Hercule empoisonné – 4. Le gendarme embarrassé (1995-2011) par Michel Goya

Hercule empoisonné – 4. Le gendarme embarrassé (1995-2011)

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 4 septembre 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Après les contrecoups d’État, les évacuations de ressortissants la contre-insurrection, les interventions « coup de poing », une campagne aérienne, l’appui indirect, les opérations humanitaires, on passe en 1995 à de nouvelles formules militaires qui s’efforcent d’être plus efficaces que dans les années précédentes tout en étant moins intrusives et sans ennemi, déclaré ou non. On essaie en fait de transférer sur le continent africain les nouvelles méthodes en œuvre dans les Balkans. La France devient à ce moment-là véritablement le « gendarme de l’Afrique », un surnom dont elle a horreur, mais qui signifie qu’on s’efforce de gérer les crises et de maintenir la stabilité et non de faire la guerre puisqu’on ne désigne pas d’ennemi politique.

Les années 1990 voient un certain nombre d’États africains s’affaiblir d’un coup sous le triple effet du départ des sponsors étrangers, de l’imposition d’un désendettement public massif par les institutions financières internationales et du multipartisme forcé. En attendant des effets positifs à long terme, ces politiques ont d’abord pour effet d’aggraver une crise profonde des administrations et des services publics, tandis que les nombreux partis politiques qui se forment sans aucune pratique de la vie démocratique commencent souvent par se constituer des milices armées. Les élections deviennent souvent des batailles électorales au sens premier. Beaucoup de ces États, aux armées affaiblies, se voient assaillis et contestés par des dizaines, voire des centaines, de groupes armés irréguliers, seigneurs de guerre, bandes criminelles, forces d’autodéfense, etc. parfois soutenus par les États voisins rivaux. On voit ainsi du golfe de Guinée à la Somalie en passant par l’Afrique centrale, se former des « complexes conflictuels » régionaux englobant pendant des années plusieurs États et des organisations armées irrégulières dans une mosaïque compliquée de rivalités violentes. On est loin du monde apaisé libéral-démocratique décrit par les thuriféraires de mondialisation.

L’Afrique subsaharienne devient le lieu principal et presque unique après l’échec en ex-Yougoslavie des opérations de maintien de la paix des Nations-Unies, en conjonction avec la tentative de mettre en place une structure africaine de résolution des conflits sous l’égide de l’Organisation de l’unité africaine, Union africaine (UA) en 2002. À côté des missions de paix onusiennes, les « MI », on voit donc se former aussi des forces régionales, les « FO », qui tentent également gérer les complexes de conflits, avec moins de moyens et pas plus de bonheur. La France reste le seul acteur militaire extérieur en Afrique subsaharienne tout en y étant également le plus puissant. Sa position est forcément délicate au sein de cette instabilité générale. Les opérations d’évacuation de ressortissants se multiplient, au Zaïre, au Togo, au Congo-Brazzaville, en Guinée, au Libéria, etc., mais le pire est de se retrouver au milieu du désordre sans trop savoir quoi faire.

Après le Rwanda et le Zaïre, devenu Congo en 1997, l’instabilité frappe la République centrafricaine où la France est présente militairement depuis 1980.  À partir d’avril 1996, les mutineries se succèdent à Bangui. La France lance l’opération Almandin afin de protéger ou évacuer les ressortissants, la présidence et différents points sensibles.  Almandin connaît plusieurs phases d’accrochages avec les mutins, de mouvements de foule et de répits, avec notamment l’assassinat de deux militaires français, jusqu’à ce que le président Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin se mettent d’accord pour désengager les forces françaises d’un environnement aussi instable.  Au printemps 1998, les forces françaises laissent la place à la première d’une longue liste de mission interafricaines qui ne contrôlent en réalité pas grand-chose.

Quelques semaines avant le départ de la dernière unité française, le conseil de Défense du 3 mars 1998, a décidé que selon le slogan « ni ingérence, in indifférence » les forces françaises ne seraient désormais plus engagées que dans le cadre d’opérations sous mandat et drapeau européen, les missions EUFOR, ou en deuxième échelon de forces africaines régionales, que l’on appuie avec le programme de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) français d’abord puis européen. Il n’est plus question de guerre, avec engagement direct ou indirect de forces auprès d’armées au combat, mais, dans l’esprit de l’époque, de « ramener la violence vers le bas ».

Cela réussit parfois. En juin 2003, à la suite d’une résolution du CSNU, l’Union européenne reçoit le mandat de stabiliser la province d’Ituri dans l’est du Congo, en attendant le renforcement de la Mission des Nations-Unies au Congo (MONUC). C’est une première pour l’UE en Afrique qui s’appuie sur la France pour réaliser la mission.  À partir de la base d’Entebbe en Ouganda, l’opération Artémis déploie donc un GTIA et un groupement de Forces spéciales (GFS) français sur l’aéroport à Bunia, soit un millier d’hommes dans une ville de 300 000 habitants. Il y a de nombreux petits accrochages, mais la présence dissuasive française suffit presque sans combat à faire cesser les violences et à protéger la population jusqu’à de nouveaux bataillons de la MONUC mi-août. L’opération Artémis est un succès indéniable et elle devient même une référence. L’Union européenne est donc capable de mener des opérations de stabilisation en Afrique et il est possible de rétablir l’ordre sans faire la guerre. On oublie cependant qu’il s’agit surtout d’une opération militaire française, avec 70 % des effectifs totaux, et que le contingent projeté a été suffisant en volume et surtout en capacité de dissuasion pour établir la sécurité, dans une région de seulement 300 000 habitants.

Les missions européennes qui suivent, baptisées EUFOR (European Union Force), sont moins impressionnantes. Lourdes, longues à monter et coûteuses pour un effet limité, au mieux une présence dissuasive, comme lors des élections au Congo en 2006 ou au Tchad en 2008. Cette dernière opération, baptisé EUFOR Tchad/RCA, est assez typique. Les exactions ont débuté au Darfour soudanais en 2003, la décision européenne d’agir est prise en octobre 2007, l’opération est décidée Conseil de l’Europe en janvier 2008 et la force n’est opérationnelle qu’en mars 2008, le temps de réunir 3 700 soldats de 26 pays différents et de laisser passer les combats de février au Tchad entre le président Idriss Déby et ses opposants. L’EUFOR est constituée de trois bataillons multinationaux et d’un bataillon d’hélicoptères, dont un détachement privé russe. EUFOR effectue beaucoup de patrouilles, mais ne combat pas, même si un homme des Forces spéciales françaises est tué au cours d’une infiltration au Soudan. Pour 800 millions d’euros, elle assure de loin la protection des camps de réfugiés, qu’en réalité personne ne menace plus, au Tchad et en République centrafricaine avant d’être remplacée au bout d’un an par une mission des Nations-Unies tout aussi peu utile.

Entre-temps, la République de Côte d’Ivoire (RCI) n’a pas été épargnée par les turbulences. Le leader historique Félix Houphouët-Boigny meurt en 1993 et la dispute pour la succession au pouvoir sur fond de crise économique vire en quelques années à la guerre civile. Henri Konan Bédié, successeur immédiat d’Houphouët-Boigny n’hésite pas à introduire le concept d’ « ivoirité » dans la loi afin d’exclure de la citoyenneté par ce biais plusieurs rivaux à la future élection présidentielle, tout en rejetant de la vie politique un quart de la population, particulièrement celle à majorité musulmane du nord du pays. Henri Bédié gagne ainsi sans concurrence l’élection présidentielle de 1995, avant d’être renversé quatre ans plus tard par le coup d’État du général Guéï qui organise de nouvelles élections. En octobre 2000, ces élections portent Laurent Gbagbo au pouvoir, ce qui suscite la confrontation armée avec le général Guéï, jusqu’à la victoire définitive de Gbagbo. Une nouvelle tentative de coup d’État le 19 décembre 2002 à Abidjan et dans les principales villes de Côte d’Ivoire donne le départ d’une guerre civile. Le coup d’État échoue, mais les rebelles prennent le contrôle de la moitié nord du pays, dont ils sont pour la plupart issus.

Au contraire du Rwanda, la France a de nombreux ressortissants en Côte d’Ivoire, alors plus de 16 000 dont les 600 sociétés génèrent 30 % du PIB ivoirien. Elle ne peut se désintéresser du sort de cet allié qui est apparu longtemps comme un modèle de stabilité. L’opération Licorne est déclenchée dès le 22 septembre avec le bataillon basé à Abidjan renforcé d’une unité venue du Gabon. On ne veut plus appuyer le gouvernement en place et son armée face à une rébellion mais on ne va pas non plus être accusé d’inaction à côté de massacres, éternel dilemme entre l’accusation d’intrusion et celle de non-assistance. On choisit donc d’abord de mener une opération humanitaire armée afin de protéger et d’évacuer les ressortissants français et autres étrangers menacés dans le nord du pays.

Pour le gouvernement ivoirien, la rébellion est soutenue par l’étranger et il n’est pas question de négocier avec elle, mais seulement de l’écraser. Il préférerait que la France la soutienne dans ce sens et il invoque pour cela l’accord de défense d’août 1961. Non seulement la France refuse, mais, en accord avec les organisations internationales, elle appuie l’idée d’une négociation, et donc de concessions à la rébellion. L’opération d’évacuation de ressortissants devient alors une opération d’interposition, un genre que l’on croyait disparu. A la fin de l’année 2002, 2 500 soldats français sont dispersés sur une « ligne de non franchissement » (puis « ligne de cessez-le-feu » et enfin « zone de confiance ») de 600 km qui partage le pays en deux. L’idée est alors de garantir pour un temps limité, le cessez-le-feu instauré le 17 octobre 2002, en attendant le relai d’une force régionale, la Mission de la Communauté économique en Côte d’Ivoire (MICECI) ou « Ecoforce », formée par la CEDEAO.

Comme cela était prévisible, cela ne se passe pas comme prévu. Le premier petit contingent interafricain de 1 200 hommes n’arrive qu’en mars 2003. Avant cela, fin novembre 2002, deux groupes armés, le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la justice et la paix (MJP) se sont ajoutés à la rébellion du nord pour attaquer dans l’ouest du pays à partir de bases au Libéria. Les forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) sont incapables de les refouler. En janvier 2003, devant l’absence d’évolution, la France impose un sommet international à Linas-Marcoussis. Cet aveu d’échec de la concertation africaine sonne comme un rappel à l’ordre de l’ancienne puissance coloniale. Il en ressort un accord que Laurent Gbagbo n’a aucune intention de mettre en œuvre. Les FANCI sont renforcées avec l’achat de nouveaux équipements et l’engagement de mercenaires. De leur côté, les rebelles du nord forment le Mouvement patriotique de la Côte d’Ivoire (MPCI) qui s’associe au MPIGO et au MJP pour former les « Forces nouvelles ». La situation est gelée.

En février 2004, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) relève et englobe l’Ecoforce. Les GTIA français ne sont pas intégrés dans l’ONUCI et restent placés en second échelon sous commandement national. Les choses n’évoluent guère pour autant, il y a toujours à l’époque plus de 4 000 soldats français formant trois GTIA placés entre les différentes factions qui les accusent forcément de protéger l’autre camp. Un quatrième GTIA est en réserve opérationnelle en mer, associé à l’opération Corymbe de présence navale dans le golfe de Guinée.

Il y a régulièrement des accrochages entre factions, mais aussi contre ces Français qui gênent tout le monde. En janvier et février 2004, le MJP et le MPIGO tentent des attaques contre les forces françaises au sud-ouest du pays et se font refouler. Le 25 août 2003, une patrouille fluviale française est prise à partie au centre du pays sur la presqu’île de Sakassou et perd deux soldats tués. Les 7 et 8 juin 2004, une compagnie française repousse une attaque rebelle à Gohitafla au centre du pays et lui inflige une vingtaine de morts au prix de huit blessés.  Le 6 novembre 2004, un avion d’attaque Sukhoi Su-25 de l’armée de l’Air ivoirienne bombarde un cantonnement français à Bouaké tuant neuf militaires français ainsi qu’un ressortissant américain et en blessant 31. C’est l’occasion d’une mini-guerre avec l’État ivoirien. Sur ordre du président Chirac, les six avions et hélicoptères de combat ivoiriens sont détruits au sol sur les bases de Yamoussoukro et d’Abidjan. Le gouvernement ivoirien utilise de son côté la désinformation et le mouvement des Jeunes patriotes pour s’en prendre aux ressortissants français. Le GTIA Centre est engagé d’urgence à Abidjan franchissant par combat les barrages des FANCI sur 800 km et se retrouvant par la suite pendant plusieurs jours face aux Jeunes patriotes dans la capitale, ce qui provoque plusieurs morts. Plus de 8 000 ressortissants sont évacués dans des conditions très difficiles.

La situation se calme avec le temps et le dispositif de Licorne est progressivement allégé passant de plus de 5 200 hommes au début de 2005 à 1 800 en 2009, alors que dans le même temps Laurent Gbagbo prétexte l’existence du conflit pour retarder l’élection présidentielle jusqu’en 2010. Cette élection est l’occasion d’une nouvelle crise en décembre 2010, lorsque Laurent Gbagbo en conteste les résultats et refuse de quitter le pouvoir. Les combats éclatent entre ses partisans et les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) regroupant les anciennes forces rebelles (Forces du nord) et les forces ralliées au nouveau président, Alassane Ouattara. En avril 2011, la force Licorne procède à l’évacuation de 5000 ressortissants, mais surtout grand tournant, on décide à nouveau de faire la guerre, en appuyant les FRCI jusqu’à l’arrestation de Laurent Gbagbo. On parvient ainsi enfin à un résultat décisif et à la paix, presque neuf ans après le début de l’interposition et 27 soldats français tombés.

Bien entendu lorsqu’il est mis fin officiellement à l’opération Licorne en janvier 2015, tout le monde se félicite de son succès, mais tout le monde pense aussi parmi les responsables militaires qu’il n’est plus question de recommencer. Plus personne ne proposera de « refaire Licorne », par exemple au Sahel.

Si la France est le « gendarme de l’Afrique », c’est un gendarme qui a beaucoup de mal à trouver sa place. Son architecture militaire, accords et bases, n’était pas directement liée à la guerre froide et lui a survécu, malgré les réductions régulières de format. La France est toujours la première puissance militaire de l’Afrique francophone au sud du Sahara. Mais c’est une puissance embarrassée. Par habitude, structure et effectifs insuffisants, les forces françaises en Afrique restent des forces d’intervention, de « coups de poing » ponctuels, forme d’engagement dans lequel elles sont encore très efficaces, mais que dès lors que l’on sort de ce schéma, pour une guerre de contre-insurrection ou pour une mission de stabilisation complexe, il faut être très méfiant. 

Hercule empoisonné – 3. Humanitaires et impuissants (1992-1994) par Michel Goya

Hercule empoisonné – 3. Humanitaires et impuissants (1992-1994)

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 3 septambre 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Durant tout le temps de l’opération Noroit au Rwanda, le monde a considérablement changé. Plus d’Union soviétique, plus de guerre froide, et même plus de guerre tout court dans le « nouvel ordre mondial » décrit par le président H. W. Bush en septembre 1990. Il n’y a plus que de la police internationale sous l’égide d’un Conseil de sécurité des Nations-Unies (CSNU) qui n’est plus bloqué par les vétos. De fait, il n’y a plus d’interventions militaires que contre les « Etats voyous », comme on vient de le faire en 1991 contre l’Irak, ou pour gérer les crises à l’intérieur des États.

À ce moment-là d’« État voyou » en Afrique, la Libye de Kadhafi rentrant rapidement dans le rang avant de subir la foudre, mais beaucoup de crises internes, provoquées entre autres par la fin de l’aide des sponsors étrangers, la politique de démocratisation forcée associée à des fins toujours délicates de longs règnes mais aussi la politique imposée de désendettement public. La plupart des États africains s’affaiblissent et certains s’effondrent dans de très violentes guerres civiles.

Au début des années 1990, la première réponse à cette situation est l’opération humanitaire armée. C’est la grande époque du « soldat de la paix », venant à la fois aider les populations du monde en souffrance et geler les problèmes internes jusqu’à une paix négociée. La première de ces grandes opérations de paix en Afrique intervient en Somalie effondrée et chaotique. Le CSNU décide d’y lancer en avril 1992 une opération des Nations unies en Somalie (ONUSOM) afin de protéger l’aide humanitaire et de « faciliter la fin de la guerre » entre les factions. Armée seulement de bonnes intentions et sans effectifs, l’opération ne sert évidemment à rien. Elle est relancée en décembre 1992 par les États-Unis qui demande la formation d’une Force d’intervention unifiée (UNITAF) sous la direction des Nations-Unies mais avec un commandement opérationnel autonome des dix-huit États y participant avec l’autorisation d’employer « tous les moyens nécessaires », c’est-à-dire combattre.

La force principale de l’UNITAF est constituée par les 25 000 soldats américains de Restore Hope. La France, qui croit indispensable de participer aux affaires du monde, fournit la « brigade type » des grandes opérations extérieures : en l’occurrence 2 400 hommes venant de France, de Djibouti ou de l’Océan indien pour prendre en charge avec trois bataillons et un détachement d’hélicoptères la zone de Baïdoa au nord-est de Mogadiscio et la frontière avec l’Éthiopie. Avec cette opération, baptisée Oryx, on intervient pour la première fois en Afrique hors d’une ancienne colonie et d’une manière nouvelle puisqu’il s’agit de rétablir la sécurité dans une zone et d’y protéger l’action humanitaire. Le sort des populations s’améliore incontestablement et les Français s’acquittent particulièrement bien de cette mission, qui plaît alors énormément puisqu’ « on fait le bien » sans prendre trop de risques (il n’y a qu’un seul blessé français).

Le problème est que cela ne résout en rien le problème politique de la lutte entre les principales factions, en particulier celle opposant président par intérim Ali Mahdi Mohamed et le général Mohamed Farah Aïdid, principal seigneur de la guerre du Sud somalien.

Le 26 mars 1993, une nouvelle opération, ONUSOM II, est créée en remplacement d’UNITAF afin de poursuive la protection de l’aide humanitaire, mais aussi désormais de désarmer les factions. Mais c’est à ce moment-là que les États-Unis réduisent leur effort et se placent en réserve des bataillons de Casques bleus.

La France est toujours présente avec Oryx II, soit 1 100 hommes avec un GTIA, et plusieurs bataillons multinationaux sous son commandement (Maroc, Nigéria, Botswana) dans le sud-ouest du pays de l’Éthiopie jusqu’à Kenya. Les choses les plus importantes se passent cependant à Mogadiscio où en juin 1993 la situation dégénère en guerre ouverte entre l’ONUSUM II et le général Aïdid. La France y engage pendant dix jours un sous-groupement interarmes de 200 hommes, avec cinquante véhicules dont onze blindés et quatre hélicoptères. Cet engagement est l’occasion le 17 juin 1993 du combat le plus violent mené par des forces françaises depuis 1979. Le sous-groupement français reçoit pour mission de dégager un bataillon marocain encerclé par la foule et les miliciens d’Aïdid. Après une journée de combats, les Français qui déplorent trois blessés ont dégagé le bataillon marocain et éliminé une cinquantaine de miliciens d’Aïdid. C’est un succès dont les Français n’entendront jamais parler. C’est aussi pratiquement le seul de l’ONUSOM II alors que les accrochages se multiplient. Les Américains, qui mènent en parallèle leur propre guerre contre Aïdid perdent 18 soldats tués dans les combats du 3 et 4 octobre 1993. Le président Clinton décide alors unilatéralement du retrait américain. Sans l’appui des Américains, l’opération l’ONUSOM II s’effondre et connaît la même fin piteuse que la Force multinationale de sécurité de Beyrouth dix ans plus tôt. Les dernières forces françaises se replient de Somalie en décembre 1993.

Cette fin peu glorieuse calme les ardeurs. Lorsque se déclenchent en octobre 1993 les affrontements interethniques au Burundi après l’assassinat du président Ndadaye, la communauté internationale ne réagit pas malgré l’ampleur des massacres qui font entre 80 000 et 200 000 morts selon les estimations. Elle ne le fait non plus lorsque les massacres d’encore plus grande ampleur se déclenchent au Rwanda dès la mort cette fois du président Habyarimana et du nouveau président burundais, Cyprien Ntaryamira, le 6 avril 1994, dans un avion abattu par deux missiles antiaériens SA-16 au-dessus de Kigali. Le lendemain deux sous-officiers français en assistance technique et une épouse sont assassinés à Kigali. Les Hutus radicaux s’emparent du pouvoir et organisent l’assassinat des modérés ainsi que le massacre systématique et déjà préparé de la population tutsie. Le Front patriotique rwandais (FPR) lance de son côté une nouvelle offensive qui s’avère cependant beaucoup plus lente que les précédentes malgré l’absence des Français.

Ce chaos soudain désempare la communauté internationale qui vient donc à peine de sortir du fiasco somalien et se trouve empêtrée dans celui d’ex-Yougoslavie. Échaudés par l’expérience somalienne, les États-Unis, pourtant très informés des projets de massacres via l’Ouganda et le FPR, ne veulent plus bouger et ont même tendance à freiner les décisions du CSNU. À Kigali, la force des Nations-Unies, la MINUAR, en place depuis octobre 1993, est encore plus inefficace que l’ONUSOM à Mogadiscio. Elle est même incapable de protéger la Première ministre Agathe Uwilingiyimana, massacrée par la Garde présidentielle le 7 avril en même temps que dix Casques bleus belges. Le gouvernement belge ordonne le repli de son contingent à Kigali, ce qui finit de vider la MINUAR de sa force.

La France, alors en cohabitation politique, est partagée sur l’attitude à suivre. Mitterrand veut intervenir pour aider ses anciens alliés, alors que le Premier ministre Balladur est réticent. Les tergiversations retardent la décision et surtout aboutissent à une solution de compromis. Balladur accepte une intervention mais sous forme d’opération humanitaire armée, avec un mandat des Nations-Unies et sous commandement national. Il faut attendre le 22 juin 1994 pour que la résolution 929 du CSNU autorise la France à intervenir de « manière impartiale et neutre » afin d’aider autant que possible la population, mais sans réaliser d’interposition. L’opération Turquoise voit donc l’engagement de 2 500 soldats français accompagnés de 500 soldats venus de sept pays africains. Le mandat interdit tout contact des troupes françaises avec le FPR qui est en train de conquérir le sud et l’ouest du pays. Cela impose donc de réduire l’action à la zone sud-ouest du pays qui est transformée en « zone humanitaire sûre » (ZHS) où la population et les organisations humanitaires sont protégées alors que les bandes armées qui s’y trouvent ou qui y entrent sont désarmées.

C’est une mission impossible. Malgré tous les gages, il était naïf d’imaginer que l’on pourrait passer pour neutre dans un pays où quelques mois plus tôt, les soldats français étaient à côté des FAR contre le FPR. Il y a des contacts et donc des accrochages violents avec le FPR qui nous considère toujours logiquement comme un ennemi. Il est également impossible pour les Français de désarmer tous ceux qui fuient à travers la ZHS, ni même de pouvoir contrôler toute cette zone avec aussi peu de forces. Les Français n’ont par ailleurs aucun mandat pour arrêter qui que ce soit. Une grande partie des génocidaires mais aussi tous ceux qui pourraient craindre des représailles, soit plusieurs centaines de milliers de personnes, se réfugient au Congo, le plus souvent en passant par la ville frontière de Goma, à la frontière nord-ouest du Rwanda et donc hors de la ZHS protégée par Turquoise. Certains hauts responsables du pouvoir et du génocide se réfugient en France.

L’opération Turquoise se termine fin août 1994. Avec ses moyens réduits, elle a contribué à sauver la vie de 15 000 personnes et enrayé une épidémie de choléra. C’est une contribution énorme en soi, même si elle est faible au regard de l’ampleur des massacres passés, mais aussi à venir lorsque l’armée du FPR, devenue Armée patriotique rwandaise, envahit le Congo voisin en 1998 et s’y prend de manière épouvantable aux camps de réfugiés. Pour autant si l’opération Turquoise est une réussite humanitaire, c’est un désastre politique puisqu’elle nous a placés immanquablement en position de cibles non pas physiques, mais médiatiques.

Comment ne pouvait-on imaginer en effet que le FPR n’allait pas profiter de la situation pour accuser — non sans raison — l’Élysée de vouloir sauver ses anciens amis devenus génocidaires ? Par quel aveuglement, a-t-on cru que notre acharnement à soutenir le pouvoir en place au Rwanda, quel qu’il soit et quoi qu’il fasse, n’allait pas avoir des conséquences sur l’image de la France ? Par quelle naïveté n’a-t-on pas vu qu’en intervenant, même de bonne foi et avec les meilleures intentions avec Turquoise, que l’on serait forcément accusés de protéger les génocidaires en fuite, dont certains en France parmi les principaux responsables ?

Associé au fiasco parallèle en Bosnie, l’expérience des grandes opérations humanitaires armées, si séduisantes moralement mais si peu efficaces en réalité, se termine pour la France. Alors qu’il y avait 10 000 soldats français portant simultanément un casque bleu en 1992, la France refuse d’engager à nouveau de bataillon sous-direction onusienne, hormis l’éternelle Force intérimaire des Nations-Unies au Liban. Mais cela ne résout pas le problème de la France en Afrique : comment continuer à être présent militairement et agir éventuellement mais sans apparaître intrusif et colonial ? Comment, pour paraphraser Péguy, avoir les mains pures tout en ayant encore des mains ?

À suivre.

Au-delà de la blessure

Au-delà de la blessure


 

Texte lu aux arènes de Fréjus à l’occasion des cérémonies de Bazeilles 2023, dont le thème était cette année « Au-delà de la blessure ». Les blessés de l’arme des Troupes de marine ont été mis à l’honneur et ont pu mesurer à quel point la famille « colo » ne laissait personne au bord du chemin.

***

Au XVIIe siècle, Louis XIV est un des premiers princes à se préoccuper des soldats blessés à son service. Pour les empêcher de tomber dans l’indigence, il crée l’hôtel des Invalides, institution destinée à traverser les âges jusqu’à nos jours et à être imitée dans le monde entier. Le rapport à la blessure en est transformé. Elle n’est plus une disgrâce ou une malédiction, mais elle appelle dès lors la reconnaissance et la guérison. Parce qu’au-delà de la blessure, il y a un homme, ou une femme.

Avec la Révolution, le peuple français renverse les trônes et bouscule l’Europe. Contre les rois ennemis, il se donne un empereur qui lève la Grande Armée, entrée dans l’histoire. Les soldats de marine participent à l’épopée. Leurs artilleurs, notamment, s’illustrent à Lutzen et à Bautzen. Mais le temps des guerres en dentelle est révolu. Les grandes batailles du règne entraînent de grandes pertes. À une puissance de feu décuplée, répond l’invention de la médecine de guerre, par le baron Larrey. Il crée les ambulances mobiles, qui interviennent et dispensent les soins d’urgence, directement sur le champ de bataille. Il organise le tri des blessés, encore pratiqué aujourd’hui, qui permet de gagner des délais et de les sauver en plus grand nombre. Larrey montre qu’au-delà de la blessure, il y a la vie.

Les campagnes du Second empire voient les Troupes de marine engagées dans des affrontements difficiles, notamment en Crimée, ou au Mexique. Jamais, la France n’avait projeté de tels volumes de force aussi loin de son territoire. Les concentrations en hommes et l’ignorance des règles d’hygiène favorisent les épidémies. Un tiers des 300 000 Français déployés en Crimée ne rentreront jamais chez eux, fauchés par le feu et, surtout, par le choléra. Les soldats de marine paient le prix fort mais une meilleure organisation et la diffusion des normes sanitaires permettront d’éviter de tels désastres à l’avenir.

À la même époque, la vue des milliers de blessés de Solferino, en 1859, pousse Henry Dunant à initier la création du Comité international de la Croix Rouge et des Conventions de Genève, deux étapes décisives dans la considération et le soin apportés aux blessés de guerre.

1870, « l’année terrible », est celle de la guerre contre les Allemands coalisés. Les Troupes de marine s’illustrent dans tous les engagements, et particulièrement à Bazeilles. Les pertes sont effroyables. Pourtant, leur combativité et leur rage de vaincre sont telles que marsouins et bigors se battent jusqu’à l’extrême limite de leurs forces, même au-delà de la blessure. L’empereur capitule à Sedan mais les combats se poursuivent, malgré la désorganisation d’une armée acculée à la défensive, qui soigne ses blessés avec les moyens du bord, jusqu’à la défaite finale, en 1871.

Les décennies suivantes sont celles de l’expansion outremer. En 1900, les Troupes de marine quittent les forces navales pour se rattacher à l’armée de Terre, aux côté de laquelle elles ont déjà si souvent versé leur sang.

Arrive l’heure de la grande épreuve de 1914-1918. La Revanche, attendue et préparée, devait prendre la forme d’une guerre courte, fraîche et joyeuse disait-on. Aussi a-t-on négligé l’installation d’hôpitaux de campagne et l’envoi de chirurgien au plus près du feu. La puissance dévastatrice de l’artillerie allemande est un choc. Pourtant, le service de santé s’adapte. L’invention des blocs opératoires mobiles, l’utilisation du sérum antitétanique, la désinfection systématique des plaies, la mise en œuvre des premières transfusions sanguines ou l’utilisation de la radiologie médicale sauvent de nombreuses vies. Les blessés graves étaient jadis des morts en sursis. Désormais, ils guérissent. L’anesthésie générale, lors des opérations chirurgicales, est progressivement maîtrisée et systématisée. Au-delà de la blessure, s’ouvre la voie du traitement de la douleur.

Les blessés contribuent à l’effort de guerre. Certains reprennent même le combat, après leur convalescence. La blessure est indifférente aux origines ou au grade. Elle touche le marsouin, comme ses chefs. Véritable légende de l’Arme, le général Gouraud est amputé du bras droit. Il reprend pourtant du service, à la tête de la prestigieuse 4e armée, qui comprend les divisions de choc du corps d’armée colonial.

La couleur de peau des soldats s’efface sous l’uniforme boueux, et il ne reste que des hommes, des frères, unis dans l’épreuve et le sang. Marsouins et tirailleurs risquent leur vie et la perdent trop souvent pour tirer un frère d’arme ensanglanté, même inconnu, du trou battu des feux où il appelle à l’aide. Engagées dans les mêmes combats, frappées par les mêmes balles, soignées par les mêmes infirmières, dans les mêmes hôpitaux, l’armée noire, l’armée jaune et l’armée blanche fusionnent sous l’ancre brodée sur leurs uniformes. Au-delà de la blessure, les hommes communient dans un sentiment d’unité indestructible.

Lorsque la guerre s’arrête, la blessure est devenue une réalité vécue par quatre millions de Français, et partagée par leur entourage. Une attention particulière est portée aux blessés de la face, les « gueules cassées », dont la chirurgie plastique tente de reconstituer le visage perdu. L’Union des gueules cassées, créée par le marsouin Albert Jugon, favorise leur intégration dans la société, et finance la recherche en chirurgie maxillo-faciale. La psychiatrie de guerre s’attache à comprendre, et à traiter, les séquelles psychologiques qui s’y rattachent, car le visage touche à l’individualité du soldat. Car, au-delà de leur visage blessé, les soldats ont une identité à retrouver.

Durant l’entre-deux-guerres, les soldats à l’ancre déployés outremer luttent contre une autre forme de blessure, cachée et souvent fatale : la maladie. Les médecins militaires s’investissent contre les maladies tropicales. Jean Laigret et Jean-Marie Robic créent respectivement un vaccin contre la fièvre jaune et un contre la peste qui sévit à Madagascar. Ils se choisissent eux-mêmes comme premiers cobayes. Le typhus recule, la maladie du sommeil est enrayée. L’état sanitaire des troupes affectées outremer en est transformé. Par extension, les découvertes de la médecine militaire tropicale étendent leurs bénéfices à l’ensemble de la population. Au-delà de la maladie s’affirme le refus de la fatalité pour donner au plus grand nombre une vie plus longue, et meilleure.

La « der des der » ne l’a pas été. Les combats de la Seconde guerre mondiale se livrent sous tous les cieux. Marsouins et bigors combattent de Koufra au nid d’aigle d’Hitler, en passant par Bir Hakeim et le débarquement de Provence. Les leçons de 1914-18 ne sont pas oubliées, mais les blessés bénéficient de surcroît des innovations britanniques et américaines et, surtout, du dévouement des fameuses Rochambelles, les infirmières de la France libre, qui interviennent jusqu’en première ligne. Certaines y laissent la vie, toutes y montrent leur héroïsme, elles y rencontrent même parfois le compagnon de leur vie, parce qu’au-delà de la blessure, il y a le dévouement et l’amour.

Les guerres de décolonisations durent près de deux décennies. Durant les combats emblématiques de Dien Bien Phu, on voit les blessés couverts de bandages surgir l’arme au poing de leur infirmerie pour refouler les Viets et dégager une position. Ils le font pour les copains qui les ont évacués sous le feu et qu’ils viennent aider à leur tour, au-delà de tout espoir. Le même esprit lie les hommes dans les douars et les djebels algériens où il faut parfois porter jusqu’à la limite de ses forces un camarade frappé par l’ennemi sur des pistes caillouteuses écrasées de soleil, car, au-delà de la blessure, il y a la fraternité d’armes.

Le médecin militaire du 8e BPC Patrice Le Nepvou de Carfort à Dien Bien Phu.

Depuis les années 1970, et l’ère des opérations extérieures, marsouins et bigors, les soldats de l’horizon, n’ont cessé de veiller et de combattre sous toutes les latitudes. Certains sont tombés. D’autres, plus nombreux, ont été meurtris dans leur chair et dans leur âme sous le feu. Tchad, Liban, Centrafrique, Irak, Bosnie ou, plus récemment, Côte d’Ivoire, Afghanistan, Sahel, les ont vu verser leur sang, mais aussi être secourus, protégés et pansés par leurs frères d’arme. Ces combats n’ont pas été menés seuls mais aux côtés d’alliés, avec lesquels les liens se sont renforcés au fil des engagements.

Les blessés reçoivent désormais directement de leurs camarades les premiers soins, dans les secondes ou les minutes qui suivent le choc. Tout est fait pour les évacuer dans l’heure fatidique où les chances de survie sont les plus importantes. Aussi sont-ils plus nombreux à survivre au feu et à entamer un nouveau combat, au-delà de la blessure : celui de la reconstruction.

La blessure peut être profonde mais invisible. La compréhension et la prise en charge des syndromes post-traumatiques permettent de rappeler les combattants, dont l’esprit est resté prisonnier d’une séquence d’une violence et d’une tension inouïe. Au-delà des blessures psychiques, il y a le retour parmi les siens.

Les grands blessés physiques se reconstruisent également. Prothèses, rééducation et volonté leur permettent de retrouver leurs passions ou de vibrer pour de nouveaux projets professionnels, familiaux, personnels ou sportifs. Les soldats blessés aux combat des grandes démocraties se retrouvent ainsi lors des fameux Invictus Games. Au-delà de la blessure, il y a le dépassement de soi.

La blessure n’est pas une fin ou une impasse. Elle est une épreuve qui se surmonte individuellement et collectivement. Les blessés guérissent, s’adaptent. Ils retrouvent leurs foyers et ceux qu’ils aiment. Mais ils continuent aussi à servir dans les régiments de la famille des Troupes de marine, en métropole et outremer. Demain, peut-être pourront-ils même être engagés à nouveau sur des théâtres opérationnels, où leur expérience du combat sera si précieuse. Parce qu’au-delà de la blessure, il y a la normalité retrouvée.

Au-delà de la blessure, il y a l’avenir.

Raphaël CHAUVANCY

Raphaël CHAUVANCY est officier supérieur des Troupes de marine. Il est en charge du module « stratégies de puissance » de l’École de Guerre Économique (EGE) à Paris. Il concentre ses recherches sur les problématiques stratégiques et les nouvelles conflictualités. Il est notamment l’auteur de « Former des cadres pour la guerre économique », « Quand la France était la première puissance du monde » et, dernièrement, « Les nouveaux visages de la guerre – Comment la France doit se préparer aux conflits de demain ». Il a rejoint l’équipe de THEATRUM BELLI en avril 2021.

Hercule empoisonné – Une toute petite histoire militaire de la France en Afrique subsaharienne 1. Le temps des guépards (1960-1980)

Hercule empoisonné – Une toute petite histoire militaire de la France en Afrique subsaharienne 1. Le temps des guépards (1960-1980)

 

par Michel Goya la Voie de l’épée – publié le 1er septembre 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/

Alors que les autres anciennes puissances coloniales se désengagent militairement de l’Afrique au moment des indépendances, la France y reste très présente par l’intermédiaire d’une série d’accords de défense bilatéraux. Ce que le président ivoirien Houphouët-Boigny a baptisé la « Françafrique » est alors clairement une forme de protectorat parfaitement consenti par certains gouvernements d’anciennes colonies, dont un noyau dur d’Etats, Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon et Djibouti (indépendante en 1977) et certains plus fluctuants comme le Cameroun ou Madagascar, alors que d’autres comme la Guinée ou le Mali, sont très hostiles et se tournent plutôt vers l’Union soviétique.

Pour ces États, l’alliance militaire française, c’est l’assurance de la défense contre les menaces étrangères et surtout un soutien à la stabilité intérieure, en clair la protection du pouvoir. Pour la France, c’est alors un surplus d’audience sur la scène internationale et l’assurance d’un soutien de plusieurs nations aux Nations-Unis. C’est aussi secondairement la possibilité de protéger la route du pétrole du Moyen-Orient et de disposer de l’exclusivité de certains produits stratégiques, en particulier ceux nécessaires à l’industrie nucléaire et à la force de dissuasion en phase de réalisation.

Cet accord très particulier entre ancien colonisateur et nouveaux Etats indépendants, reposant avant tout sur une présence militaire, s’est révélé à l’usage un piège mutuel. Par une sorte de malédiction, la force militaire française reste désespérément la plus efficace dans la région mais chaque appel à elle, quel que soit sa forme et son succès, suscite mécaniquement la critique.

Le temps des guépards

Au moment des indépendances, deux options étaient possibles pour assurer les accords de Défense. La première consistait à intervenir directement depuis la France, mais les capacités aériennes de transport lourd manquent alors cruellement (et toujours) pour pouvoir faire quelque chose à la fois important et rapide et on n’est pas du tout sûr par ailleurs d’avoir l’autorisation de survoler les pays d’Afrique du Nord. On privilégie donc très vite l’idée de maintenir des bases permanentes en Afrique, malgré leur visibilité au cœur de nations jalouses de leur indépendance.

Deuxième problème très concret : De Gaulle se méfie des troupes professionnelles, dont certaines se sont mutinées en Algérie, mais dans le même temps on ne veut toujours pas engager de conscrits en Afrique subsaharienne depuis le désastre de Madagascar en 1895. On trouve une solution en imaginant les volontaires service long outre-mer (VSLOM), des appelés effectuant quelques mois supplémentaires au-delà de la durée légale. Les VSL arment les bases, qui forment aussi des dépôts d’équipements un peu lourds. Ils règleront les problèmes simples et on fera appel à des compagnies légères professionnelles en alerte guépard en France ou, alors, au Cameroun, qui viendront en quelques heures par avions.

Tout cet ensemble ne sert d’abord que de force de « contre-coup d’État » pour aider, dès août 1960 à Dakar, les chefs d’État menacés par un putsch. La présence visible des soldats français suffit généralement à calmer les ambitions. La première opération violente, avec plusieurs dizaines de morts dont deux soldats français, survient en février 1964 lorsqu’il faut libérer le président gabonais M’Ba pris en otage. Ces interventions ne sont pas non plus systématiques. De 1963 à 1968, la France, toujours sollicitée, ne bouge pas alors qu’elle assiste à 15 coups d’État. Par la suite, elle interviendra même de moins en moins dans cette mission qui nous déplaît. On clôt cette période à la fin des années 1990, notamment en octobre 1995 aux Comores, pour mettre fin à la tentative de coup d’état du mercenaire Bob Denard associé à des putschistes locaux, ou encore en 1997-1998 à Bangui pour faire face aux multiples mutineries. A partir du Conseil de Défense du 3 mars 1998, on laisse à d’autres le marché de la protection des pouvoirs contre leur propre armée.

Le premier imprévu au modèle françafricain survient en 1968 d’abord puis surtout fin 1969 lorsque le gouvernement tchadien doit faire face, non pas à une tentative de putsch mais une grande rébellion armée. C’est très embêtant car c’est typiquement le type de guerre que l’on ne veut pas faire quelques années après la guerre d’Algérie, mais on s’aperçoit aussi que l’on est le seul « pompier de la ville ». Personne d’autre n’est militairement capable de régler le problème. On s’y résout donc et on réunit sur place tout ce que l’on a de troupes professionnelles, à peine plus de 2 000 hommes. Cela réussit plutôt bien par une stratégie de présence permanente sur le territoire. On ne détruit pas la rébellion Front de libération nationale (Frolinat) mais on l’affaiblit suffisamment pour sécuriser tout le centre et sud du pays, tandis que le nord (BET) reste incontrôlable (opération Bison). Au bout de trois ans, alors que le succès militaire est au rendez-vous et que nous avons eu 39 soldats tués, les Tchadiens nous rappellent que nous sommes les anciens colonisateurs. D’un commun accord nous mettons fin à l’opération. En 1975, dans un nouveau sursaut nationaliste, le nouveau pouvoir à N’Djamena, issu d’un coup de force que nous n’avons pas empêché, exige le départ des dernières troupes françaises.

Avec des institutions aussi centralisées et hors de tout véritable contrôle parlementaire, la décision d’engagement des forces françaises et la forme de cet engagement dépendent beaucoup de la personnalité du président de la République. Comme Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing n’est initialement pas très interventionniste. Le contexte international l’y contraint. La fin des années 1970 est une époque de troubles dans le monde entier. Les États-Unis post-guerre du Vietnam sont en retrait alors qu’inversement l’Union soviétique se déploie, en Afghanistan d’abord, mais aussi rapidement en Afrique avec l’aide des Cubains et des Européens de l’Est. La France est alors une des rares puissances occidentales qui ait la volonté de combattre et les moyens de le faire, avec l’aide discrète américaine pour le transport aérien. Elle le fait sur un laps de temps très court, de 1977 à 1979, et avec succès. C’est ce que l’amiral Labouérie appelle le temps de la foudroyance et qui constitue pendant longtemps un « âge d’or » de l’intervention « à la française ».

Cela commence en Mauritanie. Le Sahel n’est pas du tout une zone d’influence française, en partie du fait de la proximité de l’Algérie hostile et de l’influence soviétique, mais la question du Sahara occidental ex-espagnol change un peu la donne. Le gouvernement mauritanien attaqué sur son sol par les colonnes du Front Polisario basé en Algérie, fait appel fin 1977 à la France. On accepte de l’aider mais sans troupe sur place. L’opération Lamantin consiste en fait à protéger le train évacuant le minerai de fer de Zouerate vers le port de Nouadhibou, en le surveillant depuis le ciel et le sol par un petit élément discret, puis en frappant les colonnes du Polisario qui viennent l’attaquer avec la dizaine de Jaguar basée à Dakar à 1500 km de la zone d’action. Le seul vrai problème est la centralisation du commandement qui impose l’autorisation présidentielle française pour chaque frappe. Cela fera échouer un raid, mais trois autres en décembre 1977 et mai 1978 détruisent autant de colonnes du Polisario. Ces coups conduisent à la fin des attaques, mais pas à la fin de la guerre. La chute du président mauritanien Moktar Ould Daddah en juillet 1978 à la suite d’un coup d’État militaire entraine la fin des revendications du pays sur le Sahara occidental et du même coup la fin de la guerre contre le Polisario.

Lamantin n’est pas encore terminée que se déclenche une nouvelle crise, dans la province du Katanga, ou Shaba, au sud du Zaïre (ex-­Congo belge). Après l’échec d’une première tentative en 1963, soutenu par des mercenaires, les partisans de l’indépendance de la province s’étaient réfugiés en Angola où ils ont formé le Front national de libération du Congo (FNLC). Les « Tigres katangais » du FLNC, soutenus par les Soviétiques et les Cubains, tentent une première incursion en avril 1977. Dans un contexte plus large où le Zaïre est allié à la France dans la lutte clandestine contre les mouvements prosoviétiques en Angola, le président Joseph Désiré Mobutu appelle à l’aide le président Giscard d’Estaing. Celui-ci répond d’abord timidement par une aide matérielle avec un pont aérien du 6 au 17 avril avec 13 avions de transport pour aider au transport de troupes dans le sud. Cela suffit alors. Le FNLC revient en mai 1978 beaucoup plus fort avec 3 000 combattants. La troupe s’empare de Kolwezi, une ville de 100 000 habitants, dont 3 000 Européens, et point clé du Shaba. Les exactions contre la population et notamment les Européens poussent cette fois le président français à intervenir directement au combat alors que les Belges penchent pour une simple évacuation des ressortissants. Le 19 et le 20 mai 1978, 700 soldats français sont largués directement sur Kolwezi. Au prix de cinq légionnaires tués, le FLNC est écrasé, chassé de la ville, et se replie en Angola. C’est le début d’une présence militaire française importante au Zaïre jusqu’au renversement de Mobutu.

Entre temps, la guerre a repris au Tchad où le Frolinat renforcé par l’aide libyenne lance une offensive vers N’Djamena. Le même gouvernement tchadien qui nous avait demandé de partir en 1975 nous appelle au secours trois ans plus tard. Nous intervenons, avec quatre groupements tactiques interarmes (GTIA), c’est-à-dire des bataillons de plusieurs centaines d’hommes formés d’unités de régiments professionnels différents, infanterie, cavalerie et artillerie, et la force de frappe des Jaguar revenue de Dakar. L’ensemble représente au maximum 3 200 soldats français. D’avril 1978 à mars 1979, cette opération, baptisée Tacaud, est l’occasion de cinq combats importants de la dimension de celui de Kolwezi, tous gagnés de la même façon par les soldats français. On ne parvient pas cependant à traduire ces succès tactiques en effets stratégiques, en grande partie parce que la situation politique nous échappe. Un peu sous la pression de la communauté internationale et de l’opposition politique française, où on voit d’un très mauvais œil cette intervention qualifiée forcément de « néocoloniale », on se rallie à une « solution négociée ». Les forces françaises et pour la première fois une force interafricaine, sont placées en situation neutre et donc impuissantes à l’imbroglio tchadien. Plusieurs gouvernements tchadiens sont constitués entre les différentes factions en lutte mais se défont rapidement.

C’est de N’Djamena qu’en septembre 1979 décollent les unités des opérations Caban et Barracuda, 500 hommes au total, en direction de Bangui où l’empereur Bokassa 1er que l’on soupçonne de se tourner avec l’Union soviétique est rejeté par la population et les pays voisins pour ses frasques et ses exactions. La ligne de la France est normalement de privilégier la stabilité des États, mais cette fois Valéry Giscard d’Estaing, lui-même accusé à tort de corruption avec Jean-Bedel Bokassa, accepte de renverser ce dernier et de le remplacer par son opposant David Dacko. Du 20 au 23 septembre, les forces françaises s’emparent sans combat de l’aéroport de Bangui M’Poko, puis de tous les points clés de la ville. Barracuda fait place juin 1981 aux Eléments français d’assistance opérationnelle (EFAO), qui servent pour longtemps de réserve pour toute l’Afrique centrale.

Sous la pression de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et à la demande du gouvernement tchadien du moment, la France retire ses forces du Tchad à la fin du mois d’avril 1980 tandis que le pays bascule dans le chaos. Les forces françaises engagées se sont révélées tactiquement excellentes, mais contraintes à une pure posture défensive voire à de l’interposition, cette excellence n’a pour la première fois servi à rien. Dix-huit soldats français sont tombés, et cinq avions Jaguar ont été détruits, pour des effets stratégiques nuls.

Avec Tacaud s’achève piteusement le temps des « guépards », du nom du dispositif d’alerte des forces d’intervention terrestres françaises. En incluant l’intervention de dégagement de la base de Bizerte en juillet 1961, plus de cent soldats français sont morts en moins de vingt ans pour plus de 5 000 combattants ennemis au cours de dizaines de combats dont sept engageant au moins un GTIA ainsi que six grands raids aériens autonomes. S’il n’y a jamais eu de défaite sur le terrain, il y a eu des échecs partiels comme à Salal, en 1978, des surprises comme l’embuscade de Bedo au Tchad en 1970 et des coups dans le vide comme les trois phases de l’opération Bison au nord du Tchad en 1970 mais surtout beaucoup de victoires. Ces victoires ont permis d’obtenir des résultats opérationnels : l’armée tunisienne a été repoussée en 1961, le président de la république gabonaise libérée, la 1ère armée du Frolinat neutralisée, le Polisario stoppé, le FNLC vaincu et repoussé du Zaïre. Seule la 2e armée du Frolinat dans le BET n’a pas été vaincue mais simplement contenue.

Ce sont des résultats assez remarquables, mais qui ont atteint leur point culminant en 1979. Comme Superman face à la kryptonite, les forces armées françaises en Afrique sont invincibles sauf face à deux éléments qui n’effraient pas les soldats mais l’échelon politique à Paris. Le premier est la sempiternelle accusation de néo-colonialisme dès qu’un soldat français combat en Afrique, que cette accusation soit locale, surtout lorsque la présence française se perpétue au milieu des problèmes, ou en France même. Le second est la peur des pertes humaines, françaises au moins, et la croyance que cela trouble l’opinion publique. Ces deux kryptonites ont commencé à agir dès le début des interventions françaises, mais elles prennent une ampleur croissante à la fin des années 1970. Les opérations extérieures françaises sont alors très critiquées par l’opposition de gauche comme autant d’ingérences militaristes et néocoloniales, qu’il s’agisse de soutenir des dictateurs ou au contraire de les renverser comme Bokassa. Et pourtant on va continuer.

A suivre.

Hercule empoisonné. 2. Assistance, appui et ambiguïté (1981-1993) par Michel Goya

Hercule empoisonné. 2. Assistance, appui et ambiguïté (1981-1993)

 

par Michel Goya la Voie de l’épée – publié le 2 septembre 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Alors qu’on décrit la France comme le « gendarme de l’Afrique », François Mitterrand parle dans les années 1970 du président Giscard d’Estaing comme d’un « pompier pyromane » ajoutant du désordre à l’Afrique par les interventions militaires. Mitterrand accède à la présidence en 1981, mais loin de mettre fin à la Françafrique militaire, il devient à son tour un pompier. Il est trop facile pour un président de la République de faire appel à l’armée et l’Afrique est le seul endroit où il est possible d’exister internationalement – une idée fixe de la France – avec un seul bataillon. La tentation est donc trop forte. Entre dirigeants africains obsédés par leur sécurité et présidents français obsédés par leur position politique en France et sur la scène internationale, l’usage de l’intervention militaire est une drogue.

Mitterrand endosse donc allègrement le costume de pompier, mais c’est un pompier qui craint le feu. Il fait intervenir toujours autant, mais désormais sans combattre, parce que c’est dangereux et que cela rappelle trop les guerres coloniales, nos deux kryptonites. En 1993, au moment de la crise entre le Nigéria et le Cameroun, ce dernier demandera l’aide de la France. En conseil de Défense, le président Mitterrand accepte une formule réduite à l’assistance, mais sans appuis aériens au prétexte suivant : «Imaginez l’effet sur les opinions publiques d’images montrant des avions pilotés par des Blancs écrasant sous les bombes des soldats noirs africains». Tout est dit sur la profondeur de réflexion de certains choix stratégiques et sur l’angoisse de l’étiquette « colonialiste ».

Mais on s’avance. En 1981, alors qu’on décide de ne peut plus combattre directement, du moins au sol (en fait de poursuivre la décision de Giscard d’Estaing depuis 1979) il ne reste plus dans le paquet d’actions possibles que l’aide matérielle, l’assistance technique et l’appui feu – les 3A – ainsi que la présence dissuasive.

On applique la nouvelle méthode comme d’habitude au Tchad, que l’on vient de quitter mais où le nouveau gouvernement, celui d’Hissène Habré cette fois, nous appelle au secours. N’Djamena est menacée cette fois par les forces du GUNT (gouvernement d’union nationale du Tchad) de Goukouni Oueddei, nouvel avatar du Frolinat, et surtout par la Libye qui revendique la bande d’Aouzou au nord du pays. Depuis juillet 1961 et la courte guerre contre la Tunisie, c’est la première fois que l’on peut se trouver face à un État africain. Oubliant allègrement qu’Hissène Habré, futur condamné pour crimes contre l’humanité, a torturé et assassiné un officier français quelques années plus tôt, Mitterrand accepte d’intervenir mais sans combattre.

Assez audacieusement, on joue un « piéton imprudent » en déployant très vite quatre GTIA au centre du pays et une puissante force aérienne à N’Djamena et Bangui (47 avions et 31 hélicoptères), ainsi que le groupe aéronaval au large des côtes libyennes. Le 15e parallèle est immédiatement décrit par la France comme une ligne rouge infranchissable sous peine de déclenchement de la guerre. Tout le monde est placé et bloqué devant le fait accompli.

Avec le détachement d’assistance militaire (DAMI) mis en place pour assister et parfois accompagner discrètement les Forces armées nationales du Tchad (FANT), on se trouve donc avec cette opération baptisée Manta en présence du corps expéditionnaire le plus complet et le plus puissant déployé par la France depuis 1962. La dissuasion fonctionne, même si un raid du GUNT au sud du 15e parallèle s’achève par la perte d’un Jaguar et la mort de son pilote, le président de la République se décidant trop tard à donner l’ordre d’ouverture du feu. Le bruit court qu’il aurait demandé si le Jaguar ne pouvait pas simplement tirer dans les pneus. Bien avant le « caporal stratégique », ce simple soldat pouvant avoir des dégâts d’image considérables par son attitude dans un environnement médiatisé, existait déjà le « président tactique » s’immisçant de manière désastreuse dans la conduite des opérations.

Pour compenser cet échec, la ligne rouge est placée au 16e parallèle, les effectifs français renforcés jusqu’à 3 500 hommes et les conditions d’ouverture du feu plus décentralisées. Le colonel Kadhafi finit par céder à la pression et accepte de retirer ses forces du Tchad en échange de la réciprocité française. C’est en réalité une manœuvre diplomatique et une tromperie. Le dispositif français est effectivement retiré en novembre 1984, mais au mépris des accords les Libyens continuent de construire une grande base à Ouadi Doum dans le nord du Tchad. La France laisse faire.

Les hostilités reprennent en février 1986 avec une nouvelle offensive rebelle et libyenne avec le franchissement du 16e parallèle. La France réagit cette fois par un raid aérien frappant la base de Ouadi Doum depuis Bangui. La Libye répond à son tour par le raid d’un bombardier Tu-22 sur N’Djamena, qui fait peu de dégâts et s’écrase au retour. Un nouveau dispositif militaire français est mis en place au Tchad. Il est baptisé Épervier et durera jusqu’en 2014. Les forces terrestres sont limitées cette fois à la protection du dispositif aérien et aux discrets conseillers placés au sein des Forces armées nationales tchadiennes (FANT).

Le tournant intervient lorsque Goukouni Oueddei se rallie au gouvernement tchadien. Celui-ci est alors assez fort pour lancer en janvier 1987, une vaste offensive de reconquête discrètement appuyée par la France avec les « soldats fantômes » du service Action de la DGSE et plus ouvertement par quelques frappes aériennes. Les FANT s’emparent successivement de toutes les bases libyennes et pénètrent en Libye. Le 7 septembre, trois bombardiers TU-22 libyens sont lancés en réaction contre N’Djamena et Abéché. L’un d’entre eux est abattu par un missile antiaérien français Hawk. Le 31 août 1989, la signature de l’accord d’Alger entre le Tchad et la Libye met fin au conflit. Le 19 septembre 1989, les services libyens organisent la destruction d’un avion long-courrier au-dessus du Niger qui fait 170 victimes, dont 54 Français. C’est jusqu’en novembre 2015, l’attaque terroriste la plus meurtrière menée contre la France. Comme lors des attentats d’origine iranienne de 1986, la « non attribution » de l’attaque permet de justifier de ne rien faire. La confrontation « sous le seuil de la guerre » contre la Libye de 1983 à 1989 aura donc coûté à la France toutes ces victimes civiles et 13 soldats tués, dont 12 par accident.

Malgré ce dernier coup, qui témoigne encore trois ans après les attentats de Paris de notre vulnérabilité aux attaques terroristes, on croît alors avoir trouvé avec le quadriptyque aide-assistance-appui-dissuasion une formule gagnante applicable partout. On oublie cependant une évidence : si un État fait appel à la France, c’est qu’il n’est pas capable de résoudre le problème lui-même avec une armée qui se trouve inférieure à celle de l’ennemi. L’aide française peut certes dissuader et éventuellement aider les troupes locales à gagner des combats, mais si personne ne résout les problèmes structurels qui ont fait que ces troupes étaient nettement plus faibles que celles de l’ennemi, cela ne change que provisoirement la donne opérationnelle.

Sans doute s’est-on un peu leurré sur notre rôle dans la victoire contre la Libye. Les troupes tchadiennes recrutés dans le BET, sensiblement les mêmes que les Français avaient affronté avec difficultés quelques années plus tôt, étaient d’un niveau tactique supérieur aux forces libyennes. Le changement d’alliance du GUNT a sans doute eu plus d’impact sur l’évolution du rapport de forces que l’aide française. C’est pourtant fort de cette croyance, que l’on va renouveler cette expérience à bien moindre échelle dans d’autres pays africains en difficultés.

Nul ne sait très bien pourquoi François Mitterrand a accepté d’intervenir militairement au Rwanda, les intérêts de la France dans les anciennes colonies belges des Grands Lacs étant des plus limités hormis une vague et fumeuse défense de la francophonie face à l’influence anglo-saxonne. Toujours est-il que lorsque le Front patriotique rwandais (FPR) lance sa première offensive au Rwanda depuis l’Ouganda en octobre 1990, le régime de Juvénal Habyarimana, dictateur putschiste depuis 1973 mais fin lettré, se trouve impuissant. Le FPR est un parti armé à l’ancienne qui a fait ses armes en Ouganda et se trouve bien plus fort que les Forces armées rwandaises (FAR). Habyarimana se trouve vers les seuls pompiers possibles : le Zaïre voisin qui envoie une brigade dont l’action se limitera au pillage du nord du pays, l’ancien colonisateur belge qui envoie un bataillon à Kigali et enfin la France qui envoie également un petit GTIA, le détachement Noroit.

La mission est une réussite puisqu’effectivement le FPR, dissuadé, ne tente pas de s’emparer de Kigali tout en restant en place dans le nord du pays. Les Zaïrois sont priés de quitter le territoire au plus vite et les Belges partent dès novembre 1990. Seuls restent les Français. Mitterrand a en effet accepté d’assurer la protection du régime en échange d’une démocratisation forcée du pas, la grande tendance du moment, et la négociation avec le FPR de Paul Kagamé. Le GTIA Noroit reste sur place, facilement renforçable depuis la Centrafrique et le Zaïre, et on forme un DAMI d’une trentaine d’hommes pour aider à la montée en puissance des Forces armées rwandaises qui souhaitent doubler de volume. On reproduit donc, à une échelle réduite, le schéma qui avait fonctionné au Tchad, à cette différence près que les FAR n’ont pas du tout la force de l’armée tchadienne. On reste ainsi pendant trois ans. Le FPR lance régulièrement des offensives qui sont stoppées par les FAR soutenues, conseillées et appuyées par les Français, non pas avec des Jaguar mais avec de l’artillerie (dont une batterie de pièces soviétiques fournies par l’Égypte) franco-rwandaise. Inversement les FAR sont incapables de réduire les forces du FPR.

Pendant ce temps on négocie à Arusha en Tanzanie et Habyarimana accepte le multipartisme. Après un an de négociations, le dernier accord est signé à Arusha en août 1993 par le nouveau gouvernement d’Agathe Uwilingiyimana. Ces accords prévoient l’intégration politique et militaire du FPR au Rwanda avec la mise en place d’un gouvernement et d’une assemblée de transition en attendant une stabilisation définitive. Un bataillon du FPR est autorisé à s’installer dans la capitale en décembre 1993, alors que la force française se retire à l’exception quelques rares conseillers dans le cadre de la coopération. C’est désormais la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) qui est le garant international de l’application des accords et de la sécurité du pays.

On se félicite alors beaucoup à Paris de la réussite de la méthode française, où sans engagement militaire direct et sans aucune perte au combat, on est parvenu à la fois à imposer la paix et la démocratisation du pays. Tout semble aller pour le mieux. Paul Kagamé, dirigeant du FPR, écrit même une lettre de remerciement au président Mitterrand. C’est en réalité un leurre. Ni le régime ni le FPR ne veulent à terme partager le pouvoir. Nous avons simplement gelé un affrontement, et une fois les soldats français partis, la réalité des rapports de forces reprend immédiatement le dessus et dans un contexte qui s’est radicalisé. Pendant que les forces françaises quittaient le territoire, mais que l’Élysée conservait un œil bienveillant et myope pour le régime de Kigali, certains partis politiques locaux nouvellement créés avec leurs milices se sont lancés dans une surenchère nationaliste sur fond de paranoïa ethnique largement alimentée par le spectacle terrible du Burundi voisin.

Des renforts espagnols pour le bataillon de l’OTAN sous commandement français

Des renforts espagnols pour le bataillon de l’OTAN sous commandement français

– Forces opérations Blog – publié le

L’information, coincée entre un sommet de l’OTAN et les célébrations du 14 juillet, était passée inaperçue : 250 militaires espagnols rejoindront le bataillon multinational commandé par la France en Roumanie. 

C’était l’une des promesses exprimées mi-juillet par le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez lors du sommet de Vilnius : son pays enverra un nouveau détachement en Roumanie pour renforcer sa contribution au dispositif dissuasif de l’OTAN. Ces 250 militaires seront basés à Cincu au sein du bataillon dont la France assume le rôle de nation-cadre, annonçait ce jeudi le ministre roumain de la Défense Angel Tîlvăr à l’issue d’un entretien avec son homologue espagnole, Margarita Robles. 

Mis sur pied il y a 18 mois dans le cadre de la mission Aigle, ce Collective Defense Battle Group (CDBG) accueille une compagnie belge ou néerlandaise en alternance autour d’un « noyau » d’environ 700 militaires français. Ils ont été rejoints au printemps dernier par une section luxembourgeoise de reconnaissance, portant l’effectif actuel à un millier de combattants.

L’Espagne « joue un rôle significatif dans la sécurisation du flanc oriental de l’OTAN », rappelait Angel Tîlvăr. Depuis 2021, Madrid participe à intervalles réguliers aux missions de police du ciel réalisées (eaP) depuis le sol roumain. Un plot d’une dizaine de chasseurs F-18 auquel s’ajoute depuis octobre 2022 un radar AN/TPS-43M de surveillance aérienne et sa quarantaine d’opérateurs.  

Derrière l’effort supplémentaire consenti en Roumanie, l’armée espagnole prendra les rênes d’un bataillon multinational installé prochainement en Slovaquie. L’Espagne y déploiera 700 militaires, annonçait Pedro Sanchez depuis Vilnius. Le tout, en maintenant sa participation déjà ancienne au bataillon multinational de l’OTAN présent en Lettoni

Crédits image : ministère de la Défense espagnol.

Au Gabon, un groupe d’officiers dit avoir mis fin au régime d’Ali Bongo

Au Gabon, un groupe d’officiers dit avoir mis fin au régime d’Ali Bongo

https://www.opex360.com/2023/08/30/au-gabon-un-groupe-dofficiers-dit-avoir-mis-fin-au-regime-dali-bongo/


Un second coup d’État militaire fut tenté en janvier 2019, alors que la réélection – trois ans plus tôt, du président en exercice, Ali Bongo [qui avait succédé à son père, Omar Bongo, en 2009], était contestée, notamment en raison de graves difficultés économiques. Mais les choses n’allèrent pas plus loin qu’un appel à l’insurrection lancé par le « Mouvement patriotique des jeunes des forces de défense et de sécurité » sur les ondes Radio Gabon : sur les cinq mutins, deux furent tués et les autres arrêtés.

La troisième tentative connaîtra-t-elle un sort différent? En effet, alors que les autorités gabonaises venaient à peine d’annoncer qu’Ali Bongo allait entamer un troisième mandat après avoir remporté les élections présidentielles du 26 août, avec 64,27% des voix, un groupe d’officiers supérieurs, prétendant représenter « toutes les forces de sécurité et de défense du Gabon », a dit contester ce résultat et annoncé avoir pris le pouvoir.

« Nous, forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions [CTRI], au nom du peuple gabonais et garant de la protection des institutions, avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place », ont en effet affirmé ces officiers, dans un message lu par l’un des leurs à la télévision. « À cet effet, les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés », ont-ils ainsi fait savoir.

Ces militaires, issus apparemment de la Garde républicaine [GR] et de l’armée régulière, ont dénoncé un scrutin non transparent ainsi qu’une « gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos ». En outre il sont annoncé la dissolution de toutes les istitutions gabonaises ainsi que la fermeture des fronière « jusqu’à nouvel ordre ».

Producteur de pétrole et bien pourvu en ressources naturelles [manganèse, bois], le Gabon a pris ses distance avec la France au cours de ces derniers mois, malgré la présence d’environ 300 militaires français sur son sol [via les « Éléments français au Gabon – EFG].

Ainsi, en juin 2022, au côté du Togo, ce pays francophone a rejoint le Commonwealth, composé d’anciennes colonies… britanniques. Et, plus récemment, il a renforcé ses liens avec la Chine [qui est son premier partenaire économique] à la faveur d’une visite à Pékin d’Ali Bongo [par ailleurs en indélicatesse avec la justice française au sujet de l’affaire dite des « biens mal acquis].

Pour le moment, seule la cheffe du gouvernement français, Elisabeth Borne, a réagi à cette tentative de putsch en disant suivre avec la « plus grande attention » la situation à Libreville. En revanche, la Chine a rapidement appelé les « parties concernées à agir dans l’intérêt du peuple gabonais […], au retour immédiat à l’ordre normal et à garantir la sécurité personnelle d’Ali Bongo ».

Quoi qu’il en soit, cette tentative de putsch est la huitième depuis 2020 en Afrique, après celles ayant eu lieu au Mali, au Burkina Faso [ces deux pays en ont chacun connu deux en huit mois], en Guinée, au Soudan et, plus récemment, au Niger.

« Il y a une épidémie de putschs dans tout le Sahel. Mais qui repose sur quoi? Sur la faiblesse des systèmes militaires, sur une insuffisance d’efficacité et aussi sur la politique que nous devons conduire en soutien avec toute la région. […] Et donc, je pense que nous devons sur ce point être clairs. La période est très difficile […] mais nous devons, avec fermeté, là aussi, éviter tout double standard, rester sur nos principes et avoir cette politique de clarté », avait affirmé le président Macron, le 28 août, lors de la Conférence des ambassadeurs.

Quelques mois plus tôt, à l’occasion du « One Forest Summit », organisé à Libreville en mars dernier, le locataire de l’Élysée avait affirmé que « l’âge de la Françafrique était révolu ».

« On semble encore aussi attendre [de la France] des positionnements qu’elle se refuse à prendre et je l’assume totalement. Au Gabon comme ailleurs, la France est un interlocuteur neutre qui parle à tout le monde et dont le rôle n’est pas d’interférer dans des échanges de politique intérieure », avait-il alors expliqué.

Un commando parachutiste de l’Air a perdu la vie lors d’une opération contre un groupe terroriste en Irak

Un commando parachutiste de l’Air a perdu la vie lors d’une opération contre un groupe terroriste en Irak

https://www.opex360.com/2023/08/29/un-commando-parachutiste-de-lair-a-perdu-la-vie-lors-dune-operation-contre-un-groupe-terroriste-en-irak/


 

 

Cela étant, des commandos français, affectés à la « task force » Hydra [qui relève de la force Chammal, ndlr], sont également engagés, généralement en toute discrétion, dans de telles missions contre l’EI. Et c’est au cours de l’une d’elles, menée en appui des forces de sécurité irakiennes que le sergent Nicolas Mazier, du Commando Parachutiste de l’Air n°10 [CPA 10] a été mortellement blessé, le 28 août.

« Hier, en fin d’après-midi, une unité de militaires français a été engagée dans une opération de reconnaissance en appui des forces irakiennes, à une centaine de kilomètres au nord de Bagdad. Un groupe de terroristes retranchés a vivement pris à partie les forces irakiennes. Les militaires français ont immédiatement riposté pour le partenaire, infligeant de sérieuses pertes à l’ennemi », a expliqué l’État-major des armées [EMA], dans un communiqué.

Malheureusement, lors de cet échange de tirs, le sergent Mazier a été mortellement touché et quatre de ses camarades ont été blessés. Ils ont depuis été transférés vers un hôpital militaire américain à Bagdad.

« Issu du CPA 10, le sergent Nicolas Mazier était déployé en opération extérieure depuis le 19 juillet 2023 dans le cadre de l’opération Chammal. Il contribuait à la formation et à l’appui de nos partenaires irakiens dans le domaine de la lutte anti-terroriste », a précisé l’EMA.

« C’est avec une très vive émotion que le président de la République a appris la mort du sergent Nicolas Mazier du commando parachutiste de l’air n°10, tué hier en Irak alors que son unité appuyait une unité irakienne en opération antiterroriste », a fait savoir l’Élysée. « La Nation pleure de nouveau aujourd’hui l’un de ses fils […] J’adresse mes condoléances à sa famille, ses proches et à ses frères d’armes. Face au terrorisme, la France ne reculera pas », déclaré Sébastien Lecornu, le ministre des Armées.

« Je m’incline avec tristesse devant l’engagement du sergent Nicolas Mazier, CPA 10, mort le 29 août en Irak dans le cadre de l’opération Chammal. Un Aviateur remarquable aux qualités reconnues de tous. Mes pensées vont vers sa famille, ses camarades blessés, ses frères d’armes », a réagi le général Stéphane Mille, le chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE].

« D’abord engagé comme militaire du rang, le sergent Mazier était un sous-officier perfectionniste et d’une motivation sans faille. Cet aviateur aguerri a très rapidement démontré son sens de l’engagement et ses compétences, que ce soit lors de ses différentes OPEX ou en métropole », a-t-il précisé.

Après l’adjudant Nicolas Latourte et le sergent Baptiste Gauchot, de l’armée de Terre, le sergent Mazier est le troisième militaire français à avoir perdu la vie en Irak au cours de ces deux dernières semaines. Pour rappel, les forces spéciales françaises avaient été endeuillées pour la première fois au Levant en septembre 2017, avec la perte de l’adjudant-chef Stéphane Grenier, du 13e Régiment de Dragons Parachutistes [RDP], lors d’une mission de combat contre l’EI.

Pourquoi y a-t-il encore des militaires français en Irak ?

Pourquoi y a-t-il encore des militaires français en Irak ?


Un militaire français de l'opération Chammal, en 2019.

Un militaire français de l’opération Chammal, en 2019. DAPHNE BENOIT / AFP

 

Lancée en septembre 2014, l’opération Chammal rassemble près de 600 militaires français en Irak et en Syrie voisine. Ces soldats y mènent toujours des actions d’appui et de formation aux forces locales.

Deux jours après la mort du sergent Baptiste Gauchot, un deuxième militaire français a perdu la vie en Irak, dimanche 20 août. L’adjudant Nicolas Latourte est décédé lors d’un «exercice opérationnel», a indiqué l’Élysée, le ministre des Armées Sébastien Lecornu précisant qu’il «participait à une mission de formation de l’armée irakienne». Le sergent Gauchot est, lui, mort le vendredi 18 août, après un «accident de la circulation». Il était également engagé dans cette mission de formation de l’armée irakienne.

La présence de soldats français en Irak et en Syrie est moins médiatisée ces dernières années, éclipsée par d’autres opérations d’envergure, comme Barkhane au Sahel. L’opération Chammal a pourtant été lancée quasiment en même temps que cette dernière, le 19 septembre 2014. Elle représente le volet français de l’opération internationale Inherent Resolve (OIR), rassemblant 80 pays et cinq organisations internationales. Son but premier : apporter un soutien militaire aux forces irakiennes engagées dans la lutte contre Daech.

Des actions d’appui

Aujourd’hui, la perte d’influence de l’État islamique sur ces territoires a limité l’action de la coalition. Plus aucune opération au sol n’est par exemple menée depuis janvier 2022. Mais quelque 600 militaires français y sont encore déployés. Car si Daech n’a plus d’emprise territoriale en Irak et en Syrie, la menace terroriste y demeure élevée. Le soutien de la coalition se concentre donc surtout sur la montée en compétences des forces irakiennes, afin d’établir les conditions d’une paix durable.

Dans cet objectif, la France et ses militaires œuvrent selon deux piliers complémentaires : l’appui et le conseil. Pour le premier, outre les 600 militaires déployés, la coalition peut compter sur 10 Rafale*, positionnés sur des bases aériennes au Levant et aux Émirats arabes unis. Ces chasseurs appuient directement les troupes au sol, mènent des missions de renseignement, de reconnaissance, et ponctuellement des frappes en cas d’urgence. Ils manœuvrent souvent en interopérabilité avec des F-16 jordaniens ou irakiens et des F-15 américains.

                                               Les effectifs de l’opération Chammal. Ministère des Armées

 

Un volet maritime de l’opération Chammal est également assuré par la présence quasi continue d’une frégate en Méditerranée orientale ou dans le golfe Arabo-Persique. L’action de ces chasseurs français est complétée par celle d’aéronefs qui réalisent des missions de ravitaillement et de commandement aéroporté. Depuis 2014, l’opération Chammal a ainsi donné lieu à quelque 12.700 sorties aériennes et plus de 1570 frappes qui ont détruit 2400 objectifs, selon les chiffres du ministère des Armées.

Formation et déminage

la coalition s’illustre également par une mission de conseil et d’accompagnement du commandement irakien des opérations dans sa mission de stabilisation de la région. Cette collaboration a permis aux unités irakiennes d’étoffer leurs compétences tactiques et de développer leur autonomie opérationnelle, se targue le ministère.

La France joue ici un rôle important : depuis 2020, c’est le Military Advisory Group (MAG), une entité interarmées, qui se charge de la politique de conseil au profit des états-majors irakiens. La MAG dirige le Joint Operations Advisory Team (Jocat), à la tête duquel se trouve un colonel français, et qui comprend également quatre autres officiers français, spécialisés dans les domaines des feux dans la profondeur, des opérations terrestres et des opérations aériennes.

Très concrètement, le rôle des militaires français en Irak se cantonne aujourd’hui à assurer la formation des troupes irakiennes. Le sergent Baptiste Gauchot officiait d’ailleurs auprès d’elles «dans les domaines du combat d’infanterie et du secourisme au combat», indique le ministère des Armées. Les soldats tricolores mènent aussi régulièrement des actions de déminage. L’adjudant Nicolas Latourte a ainsi été «mortellement blessé en marge d’un exercice d’entraînement au combat en zone urbaine», alors qu’il formait des soldats irakiens à la lutte contre les engins explosifs improvisés.

*le Rafale est une production du groupe Dassault, propriétaire du Figaro.

Un sous-officier du 6e Régiment du Génie mortellement blessé en marge d’un entraînement au combat en Irak

Un sous-officier du 6e Régiment du Génie mortellement blessé en marge d’un entraînement au combat en Irak

https://www.opex360.com/2023/08/21/un-sous-officier-du-6e-regiment-du-genie-mortellement-blesse-en-marge-dun-entrainement-au-combat-en-irak/


 

Issu du 6e Régiment du Génie et déployé au sein de l’opération Chammal depuis mai 2023, ce sous-officier a été mortellement blessé alors qu’il « participait à une mission de formation de l’armée irakienne pour, inlassablement, lutter contre le terrorisme », a indiqué Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, via X/Twitter.

De son côté, l’État-major des Armées [EMA] a précisé que l’adjudant Latourte a été « mortellement blessé en marge d’un exercice d’entraînement au combat en zone urbaine », au cours de la soirée du 20 août. « Il a été pris en charge immédiatement et transféré par hélicoptère vers un hôpital d’Erbil où l’équipe médicale a constaté son décès », a-t-il ajouté, sans donner plus de détails.

L’adjudant Latourte « contribuait à la formation de nos partenaires irakiens dans le domaine de la lutte contre les engins explosifs improvisés », a souligné l’EMA.

« En Irak, ils défendaient nos idéaux. Quelques jours après le sergent Baptiste Gauchot, l’adjudant Nicolas Latourte a perdu la vie dans l’accomplissement de sa mission. La Nation s’associe à la peine immense de leurs familles et frères d’armes des 19e et 6e régiments du génie », a réagi le président Macron.

Pour rappel, dans le cadre de l’opération Inherent Resolve [OIR], dirigée contre les groupes jihadistes par les États-Unis, et si elle continue à fournir un appui aérien aux forces locales, la force Chammal a également la mission de former et d’entraîner les troupes irakiennes.

Ce volet « conseil » va d’ailleur prendre de l’ampleur dans les mois à venir, avec la mise en place d’un « cycle de formation unique » qui, grâce à un détachement de 80 instructeurs français, devra permettre de former l’équivalent de cinq bataillons [soit 2100 soldats irakiens].