Au Gabon, un groupe d’officiers dit avoir mis fin au régime d’Ali Bongo

Au Gabon, un groupe d’officiers dit avoir mis fin au régime d’Ali Bongo

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Un second coup d’État militaire fut tenté en janvier 2019, alors que la réélection – trois ans plus tôt, du président en exercice, Ali Bongo [qui avait succédé à son père, Omar Bongo, en 2009], était contestée, notamment en raison de graves difficultés économiques. Mais les choses n’allèrent pas plus loin qu’un appel à l’insurrection lancé par le « Mouvement patriotique des jeunes des forces de défense et de sécurité » sur les ondes Radio Gabon : sur les cinq mutins, deux furent tués et les autres arrêtés.

La troisième tentative connaîtra-t-elle un sort différent? En effet, alors que les autorités gabonaises venaient à peine d’annoncer qu’Ali Bongo allait entamer un troisième mandat après avoir remporté les élections présidentielles du 26 août, avec 64,27% des voix, un groupe d’officiers supérieurs, prétendant représenter « toutes les forces de sécurité et de défense du Gabon », a dit contester ce résultat et annoncé avoir pris le pouvoir.

« Nous, forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions [CTRI], au nom du peuple gabonais et garant de la protection des institutions, avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place », ont en effet affirmé ces officiers, dans un message lu par l’un des leurs à la télévision. « À cet effet, les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés », ont-ils ainsi fait savoir.

Ces militaires, issus apparemment de la Garde républicaine [GR] et de l’armée régulière, ont dénoncé un scrutin non transparent ainsi qu’une « gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos ». En outre il sont annoncé la dissolution de toutes les istitutions gabonaises ainsi que la fermeture des fronière « jusqu’à nouvel ordre ».

Producteur de pétrole et bien pourvu en ressources naturelles [manganèse, bois], le Gabon a pris ses distance avec la France au cours de ces derniers mois, malgré la présence d’environ 300 militaires français sur son sol [via les « Éléments français au Gabon – EFG].

Ainsi, en juin 2022, au côté du Togo, ce pays francophone a rejoint le Commonwealth, composé d’anciennes colonies… britanniques. Et, plus récemment, il a renforcé ses liens avec la Chine [qui est son premier partenaire économique] à la faveur d’une visite à Pékin d’Ali Bongo [par ailleurs en indélicatesse avec la justice française au sujet de l’affaire dite des « biens mal acquis].

Pour le moment, seule la cheffe du gouvernement français, Elisabeth Borne, a réagi à cette tentative de putsch en disant suivre avec la « plus grande attention » la situation à Libreville. En revanche, la Chine a rapidement appelé les « parties concernées à agir dans l’intérêt du peuple gabonais […], au retour immédiat à l’ordre normal et à garantir la sécurité personnelle d’Ali Bongo ».

Quoi qu’il en soit, cette tentative de putsch est la huitième depuis 2020 en Afrique, après celles ayant eu lieu au Mali, au Burkina Faso [ces deux pays en ont chacun connu deux en huit mois], en Guinée, au Soudan et, plus récemment, au Niger.

« Il y a une épidémie de putschs dans tout le Sahel. Mais qui repose sur quoi? Sur la faiblesse des systèmes militaires, sur une insuffisance d’efficacité et aussi sur la politique que nous devons conduire en soutien avec toute la région. […] Et donc, je pense que nous devons sur ce point être clairs. La période est très difficile […] mais nous devons, avec fermeté, là aussi, éviter tout double standard, rester sur nos principes et avoir cette politique de clarté », avait affirmé le président Macron, le 28 août, lors de la Conférence des ambassadeurs.

Quelques mois plus tôt, à l’occasion du « One Forest Summit », organisé à Libreville en mars dernier, le locataire de l’Élysée avait affirmé que « l’âge de la Françafrique était révolu ».

« On semble encore aussi attendre [de la France] des positionnements qu’elle se refuse à prendre et je l’assume totalement. Au Gabon comme ailleurs, la France est un interlocuteur neutre qui parle à tout le monde et dont le rôle n’est pas d’interférer dans des échanges de politique intérieure », avait-il alors expliqué.

Un commando parachutiste de l’Air a perdu la vie lors d’une opération contre un groupe terroriste en Irak

Un commando parachutiste de l’Air a perdu la vie lors d’une opération contre un groupe terroriste en Irak

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Cela étant, des commandos français, affectés à la « task force » Hydra [qui relève de la force Chammal, ndlr], sont également engagés, généralement en toute discrétion, dans de telles missions contre l’EI. Et c’est au cours de l’une d’elles, menée en appui des forces de sécurité irakiennes que le sergent Nicolas Mazier, du Commando Parachutiste de l’Air n°10 [CPA 10] a été mortellement blessé, le 28 août.

« Hier, en fin d’après-midi, une unité de militaires français a été engagée dans une opération de reconnaissance en appui des forces irakiennes, à une centaine de kilomètres au nord de Bagdad. Un groupe de terroristes retranchés a vivement pris à partie les forces irakiennes. Les militaires français ont immédiatement riposté pour le partenaire, infligeant de sérieuses pertes à l’ennemi », a expliqué l’État-major des armées [EMA], dans un communiqué.

Malheureusement, lors de cet échange de tirs, le sergent Mazier a été mortellement touché et quatre de ses camarades ont été blessés. Ils ont depuis été transférés vers un hôpital militaire américain à Bagdad.

« Issu du CPA 10, le sergent Nicolas Mazier était déployé en opération extérieure depuis le 19 juillet 2023 dans le cadre de l’opération Chammal. Il contribuait à la formation et à l’appui de nos partenaires irakiens dans le domaine de la lutte anti-terroriste », a précisé l’EMA.

« C’est avec une très vive émotion que le président de la République a appris la mort du sergent Nicolas Mazier du commando parachutiste de l’air n°10, tué hier en Irak alors que son unité appuyait une unité irakienne en opération antiterroriste », a fait savoir l’Élysée. « La Nation pleure de nouveau aujourd’hui l’un de ses fils […] J’adresse mes condoléances à sa famille, ses proches et à ses frères d’armes. Face au terrorisme, la France ne reculera pas », déclaré Sébastien Lecornu, le ministre des Armées.

« Je m’incline avec tristesse devant l’engagement du sergent Nicolas Mazier, CPA 10, mort le 29 août en Irak dans le cadre de l’opération Chammal. Un Aviateur remarquable aux qualités reconnues de tous. Mes pensées vont vers sa famille, ses camarades blessés, ses frères d’armes », a réagi le général Stéphane Mille, le chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE].

« D’abord engagé comme militaire du rang, le sergent Mazier était un sous-officier perfectionniste et d’une motivation sans faille. Cet aviateur aguerri a très rapidement démontré son sens de l’engagement et ses compétences, que ce soit lors de ses différentes OPEX ou en métropole », a-t-il précisé.

Après l’adjudant Nicolas Latourte et le sergent Baptiste Gauchot, de l’armée de Terre, le sergent Mazier est le troisième militaire français à avoir perdu la vie en Irak au cours de ces deux dernières semaines. Pour rappel, les forces spéciales françaises avaient été endeuillées pour la première fois au Levant en septembre 2017, avec la perte de l’adjudant-chef Stéphane Grenier, du 13e Régiment de Dragons Parachutistes [RDP], lors d’une mission de combat contre l’EI.

Pourquoi y a-t-il encore des militaires français en Irak ?

Pourquoi y a-t-il encore des militaires français en Irak ?


Un militaire français de l'opération Chammal, en 2019.

Un militaire français de l’opération Chammal, en 2019. DAPHNE BENOIT / AFP

 

Lancée en septembre 2014, l’opération Chammal rassemble près de 600 militaires français en Irak et en Syrie voisine. Ces soldats y mènent toujours des actions d’appui et de formation aux forces locales.

Deux jours après la mort du sergent Baptiste Gauchot, un deuxième militaire français a perdu la vie en Irak, dimanche 20 août. L’adjudant Nicolas Latourte est décédé lors d’un «exercice opérationnel», a indiqué l’Élysée, le ministre des Armées Sébastien Lecornu précisant qu’il «participait à une mission de formation de l’armée irakienne». Le sergent Gauchot est, lui, mort le vendredi 18 août, après un «accident de la circulation». Il était également engagé dans cette mission de formation de l’armée irakienne.

La présence de soldats français en Irak et en Syrie est moins médiatisée ces dernières années, éclipsée par d’autres opérations d’envergure, comme Barkhane au Sahel. L’opération Chammal a pourtant été lancée quasiment en même temps que cette dernière, le 19 septembre 2014. Elle représente le volet français de l’opération internationale Inherent Resolve (OIR), rassemblant 80 pays et cinq organisations internationales. Son but premier : apporter un soutien militaire aux forces irakiennes engagées dans la lutte contre Daech.

Des actions d’appui

Aujourd’hui, la perte d’influence de l’État islamique sur ces territoires a limité l’action de la coalition. Plus aucune opération au sol n’est par exemple menée depuis janvier 2022. Mais quelque 600 militaires français y sont encore déployés. Car si Daech n’a plus d’emprise territoriale en Irak et en Syrie, la menace terroriste y demeure élevée. Le soutien de la coalition se concentre donc surtout sur la montée en compétences des forces irakiennes, afin d’établir les conditions d’une paix durable.

Dans cet objectif, la France et ses militaires œuvrent selon deux piliers complémentaires : l’appui et le conseil. Pour le premier, outre les 600 militaires déployés, la coalition peut compter sur 10 Rafale*, positionnés sur des bases aériennes au Levant et aux Émirats arabes unis. Ces chasseurs appuient directement les troupes au sol, mènent des missions de renseignement, de reconnaissance, et ponctuellement des frappes en cas d’urgence. Ils manœuvrent souvent en interopérabilité avec des F-16 jordaniens ou irakiens et des F-15 américains.

                                               Les effectifs de l’opération Chammal. Ministère des Armées

 

Un volet maritime de l’opération Chammal est également assuré par la présence quasi continue d’une frégate en Méditerranée orientale ou dans le golfe Arabo-Persique. L’action de ces chasseurs français est complétée par celle d’aéronefs qui réalisent des missions de ravitaillement et de commandement aéroporté. Depuis 2014, l’opération Chammal a ainsi donné lieu à quelque 12.700 sorties aériennes et plus de 1570 frappes qui ont détruit 2400 objectifs, selon les chiffres du ministère des Armées.

Formation et déminage

la coalition s’illustre également par une mission de conseil et d’accompagnement du commandement irakien des opérations dans sa mission de stabilisation de la région. Cette collaboration a permis aux unités irakiennes d’étoffer leurs compétences tactiques et de développer leur autonomie opérationnelle, se targue le ministère.

La France joue ici un rôle important : depuis 2020, c’est le Military Advisory Group (MAG), une entité interarmées, qui se charge de la politique de conseil au profit des états-majors irakiens. La MAG dirige le Joint Operations Advisory Team (Jocat), à la tête duquel se trouve un colonel français, et qui comprend également quatre autres officiers français, spécialisés dans les domaines des feux dans la profondeur, des opérations terrestres et des opérations aériennes.

Très concrètement, le rôle des militaires français en Irak se cantonne aujourd’hui à assurer la formation des troupes irakiennes. Le sergent Baptiste Gauchot officiait d’ailleurs auprès d’elles «dans les domaines du combat d’infanterie et du secourisme au combat», indique le ministère des Armées. Les soldats tricolores mènent aussi régulièrement des actions de déminage. L’adjudant Nicolas Latourte a ainsi été «mortellement blessé en marge d’un exercice d’entraînement au combat en zone urbaine», alors qu’il formait des soldats irakiens à la lutte contre les engins explosifs improvisés.

*le Rafale est une production du groupe Dassault, propriétaire du Figaro.

Un sous-officier du 6e Régiment du Génie mortellement blessé en marge d’un entraînement au combat en Irak

Un sous-officier du 6e Régiment du Génie mortellement blessé en marge d’un entraînement au combat en Irak

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Issu du 6e Régiment du Génie et déployé au sein de l’opération Chammal depuis mai 2023, ce sous-officier a été mortellement blessé alors qu’il « participait à une mission de formation de l’armée irakienne pour, inlassablement, lutter contre le terrorisme », a indiqué Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, via X/Twitter.

De son côté, l’État-major des Armées [EMA] a précisé que l’adjudant Latourte a été « mortellement blessé en marge d’un exercice d’entraînement au combat en zone urbaine », au cours de la soirée du 20 août. « Il a été pris en charge immédiatement et transféré par hélicoptère vers un hôpital d’Erbil où l’équipe médicale a constaté son décès », a-t-il ajouté, sans donner plus de détails.

L’adjudant Latourte « contribuait à la formation de nos partenaires irakiens dans le domaine de la lutte contre les engins explosifs improvisés », a souligné l’EMA.

« En Irak, ils défendaient nos idéaux. Quelques jours après le sergent Baptiste Gauchot, l’adjudant Nicolas Latourte a perdu la vie dans l’accomplissement de sa mission. La Nation s’associe à la peine immense de leurs familles et frères d’armes des 19e et 6e régiments du génie », a réagi le président Macron.

Pour rappel, dans le cadre de l’opération Inherent Resolve [OIR], dirigée contre les groupes jihadistes par les États-Unis, et si elle continue à fournir un appui aérien aux forces locales, la force Chammal a également la mission de former et d’entraîner les troupes irakiennes.

Ce volet « conseil » va d’ailleur prendre de l’ampleur dans les mois à venir, avec la mise en place d’un « cycle de formation unique » qui, grâce à un détachement de 80 instructeurs français, devra permettre de former l’équivalent de cinq bataillons [soit 2100 soldats irakiens].

Décès accidentel d’un militaire français en Irak

Décès accidentel d’un militaire français en Irak

 

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Malheureusement, et malgré une prise en charge par les secours, le sergent Baptiste Gauchot, du 19e Régiment de Génie, a succombé à ses blessures alors qu’il était opéré en urgence à l’hôpital d’Erbil. Quand au second militaire qui se trouvait dans le même véhicule, il a été transféré dans un état grave vers un hôpital militaire à Bagdad.

« Le sergent Baptiste Gauchot était déployé en opération extérieure depuis le 21 mai 2023 au sein de l’opération Chammal et contribuait à la formation de nos partenaires irakiens dans les domaines de combat d’infanterie et du secourisme au combat », précise l’État-major des armées, via un communiqué.

Le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, « s’incline avec une profonde tristesse devant la mémoire de ce militaire mort en opération dans l’accomplissement de sa mission. Ses pensées accompagnent sa famille, ses frères d’armes, ainsi que tous ses proches », poursuit le texte.

Ayant appris « avec une vive émotion le décès en Irak dans un accident de la circulation du sergent Baptiste Gauchot », le président Macron a dit s’associer à « la douleur de sa famille et de ses proches ». Puis il a réaffirmé son « soutien au peuple et aux autorités irakiennes et la détermination de la France à continuer d’œuvrer à leurs côtés pour l’instruction de leurs forces de sécurité qui luttent contre le terrorisme ».

Pour rappel, la force Chammal a déjà été endeuillée avec le décès accidentel du caporal-chef Bogusz Pochylski, du 2e Régiment Étranger d’Infanterie [REI], lors d’une séance d’entraînement menée au profit des forces de sécurité irakienne, en mars 2018. Et, en septembre 2017, l’adjudant-chef Stéphane Grenier, de la « Task Force » Hydra, avait été mortellement touché lors d’un accrochage avec l’État islamique [EI ou Daesh] en Syrie.

Splendeurs et misères de la stratégie française en Afrique

Splendeurs et misères de la stratégie française en Afrique

 

par Catherine Van Offelen – Revue Conflits – publié le 18 août 2023


Un coup d’État de plus au Sahel. Un coup d’État de trop ? Au moment où une junte militaire renversait le président nigérien Mohamed Bazoum le 26 juillet dernier, Emmanuel Macron se trouvait à 18 000 kilomètres de là, à Nouméa, pour clamer que « la Nouvelle-Calédonie est française ». Hasard du calendrier, le symbole n’en est pas moins éloquent. Alors que le séparatisme menace l’Océanie française, l’influence française sur le continent africain se délite. Les attitudes hostiles à la France, tandis que la France essaie tant bien que mal de maintenir ce que le journaliste Jean-Claude Guillebaud appelait jadis « les confettis de l’empire »[1], vestiges mélancoliques d’une grande fête évanouie.

Ce coup d’État – le cinquième en deux ans au Sahel – est un clou de plus dans le cercueil des ambitions françaises dans la région. Celle-ci fut plongée dans une spirale infernale à partir de l’intervention militaire de la France en Libye en 2011 et la chute du régime de Kadhafi qui s’ensuivit. Quantité d’armes de l’ex-dictateur furent pillées puis se répandirent dans les pays voisins, si bien que le chaos libyen déstabilisa bientôt l’ensemble du Sahel. À partir de 2013, la France lança une deuxième guerre, pour tenter de réparer les conséquences de la première.

La contagion putschiste s’étend au Niger

Mais l’opération Barkhane, déployée au Sahel où elle traquait les groupes armés depuis neuf ans, a créé des attentes impossibles à satisfaire. La présence française, perçue comme un résidu d’ingérence coloniale, a soulevé les opinions publiques contre elle. Certes, l’opération a éliminé 3 000 combattants djihadistes au cours des neuf dernières années. Mais les groupes armés terroristes (GAT), loin de réduire leur empreinte, ont proliféré jusqu’à essaimer dans les pays du golfe de Guinée. Leurs combattants, qui n’étaient que quelques centaines en 2013, se comptent par milliers aujourd’hui. La France a gagné toutes les batailles, mais perdu la guerre.

À la racine du rejet de la France au Sahel, il y a donc la frustration générée par l’incapacité de l’une des plus grandes armées du monde à résorber le fléau djihadiste. L’incompréhension s’est muée en suspicion et la suspicion en véritable rejet. Un terreau fertile cultivé par des opérateurs politiques locaux, qui en ont fait une rente de situation, ainsi que par des acteurs extérieurs, notamment russes.

Le Niger, un État pivot

Que reste-t-il de l’aventure sahélienne de l’armée française ? Le Niger constituait le dernier bastion démocratique et l’ultime pivot du dispositif antidjihadiste de la France. Le pays, où Mohamed Bazoum avait été élu à 55% deux ans plus tôt dans le cadre d’une alternance démocratique jugée exemplaire, affichait une certaine stabilité politique. Après avoir été chassée du Mali en 2022 et du Burkina Faso en février 2023, l’armée française avait donc partiellement réinstallé ses troupes au Niger, soit 1 500 militaires, principalement positionnés sur la base aérienne projetée (BAP) dans la périphérie est de Niamey. Mais cette présence est en suspens depuis que la junte a exigé le départ de ces militaires d’ici à début septembre.

Or les solutions de repli se réduisent. Avec le Tchad, où l’armée française reste présente (1 000 hommes), les relations bilatérales ne sont plus les mêmes depuis que Mahamat Idriss Déby a succédé à son père sans égard pour la Constitution. Au Sénégal, les récentes manifestations signalent une détérioration de la situation politique, tandis qu’en Côte d’Ivoire, qui compte 900 soldats français, la succession d’Alassane Ouattara, 81 ans, est source d’inquiétude.

Pauvreté du Niger

Le Niger est l’un des pays les plus pauvres du monde, avec 41,8 % de la population vivant dans l’extrême pauvreté en 2021, selon les Nations unies. Ce pays sahélien musulman, grand comme deux fois et demie la France et peuplé de 25 millions d’habitants, connaît également l’une des plus fortes croissances démographiques de la planète, avec une moyenne de 7 enfants par femme. La population, qui comptait quatre millions d’habitants au moment de son indépendance en 1960, pourrait atteindre les 70 millions en 2050. Quant aux forces armées nigériennes, elles sont déjà durement éprouvées par le terrorisme: au nord-ouest, dans la zone dite des « trois frontières », elles affrontent des groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique (EI) qui sévissent aussi au Mali et au Burkina Faso. L’armée nigérienne doit également combattre Boko Haram qui sévit depuis des années à Diffa dans le sud.

Malgré ces fragilités endémiques, le Niger était devenu la pièce maîtresse de l’ancrage militaire français dans la région. Avec le coup d’État du général Abdourahamane Tiani, la France perd en outre son principal partenaire en matière de contrôle des flux migratoires au Sahel. Le pays est en effet la plaque tournante des migrants désireux de se rendre en Europe. Porte d’entrée du désert, carrefour des migrations et de toutes les contrebandes, Agadez est le point de départ des principales routes menant vers la Méditerranée, via la Libye ou l’Algérie. La crise actuelle, couplée à la dégradation sécuritaire et les conséquences économiques des sanctions, fait craindre un relâchement du contrôle des frontières, voire une vague migratoire d’ampleur.

À Niamey, les scènes ont des airs de déjà-vu. Le drapeau russe est brandi devant l’ambassade de France devenue une forteresse assiégée. « Notre politique africaine s’effondre sur nous » avertit l’ancien ambassadeur Gérard Araud[2]. Une fois de plus, le Quai d’Orsay se trouve confronté à l’épineuse, la lancinante et désormais brûlante équation africaine : la France a-t-elle toujours vocation à rester en Afrique ? Et, si oui, comment préserver son influence sur le continent tout en évitant l’écueil de l’impopularité ? Une équation à double inconnue qui, si elle n’est pas résolue, risque de faire boire à la France la coupe jusqu’à la lie. Car nul ne sait si demain le virus antifrançais ne se propagera pas au Tchad ou en Mauritanie, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire.

La France à la croisée des chemins sahéliens

La crise au Niger révèle au grand jour la panne de la stratégie de la France au Sahel. Les vieilles idées demeurent, sans que se dessine une nouvelle politique. La rituelle promesse de la fin de la Françafrique, invoquée par Emmanuel Macron tout comme ses prédécesseurs, appelait d’autres lendemains. Le président de la République « avait cru en 2017 pouvoir passer l’ardoise magique sur la période postcoloniale en proposant à la jeunesse africaine de replier les rétroviseurs » explique le spécialiste de l’Afrique Antoine Glaser. Mais en vain : tout passe, sauf le passé. Les ingérences – réelles ou perçues – de la France attisent un ressentiment qui peut sembler paradoxal au vu de l’aide au développement considérable fournie (97 millions d’euros engagés au Niger en 2021, selon les chiffres disponibles sur le site internet de l’Agence française de développement). Paris subit aujourd’hui la double peine de son interventionnisme en Afrique : la perte de son influence économique et le développement du sentiment anti-français.

 

 

Désormais, la France tergiverse, tiraillée entre la nostalgie de ses rentes politiques d’antan et le changement d’époque qui se profile, entre la préservation de l’attribut de puissance que constituaient ses anciennes colonies et le farouche désir d’émancipation de celles-ci. Un atermoiement qu’elle paie au prix fort. La « réarticulation » de Barkhane annoncée en février 2022 n’a toujours pas été détaillée. Emmanuel Macron avait évoqué en février dernier le souhait de transformer les bases militaires françaises sur le continent en académies militaires, cogérées avec les pays d’accueil[3], mais sans donner de précisions. Le président de la République joue l’ambigüité. Il a compris la nécessité d’un changement de paradigme, mais s’est arrêté à mi-chemin. Trop vague pour être lisible, trop confuse pour être crédible, trop tiède pour être efficace, la politique africaine de la France continue de s’effilocher au gré d’événements subits.

Que faire ?

À présent, la France est devant l’urgence et l’histoire à la fois. L’heure est au choix. Le temps joue pour les putschistes, chaque jour passé légitimant un peu plus la junte au pouvoir. La France se trouve à un carrefour inconfortable de solutions toutes également mauvaises. Soit elle décide de tendre la main à la junte, ce qui semble a priori inacceptable. Soit elle décide de soutenir une éventuelle intervention militaire conduite par un groupe de pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), ce qui risquerait d’enflammer la région, un désastre humanitaire dont la France serait certainement tenue pour responsable. Soit elle procède à un retrait complet de ses troupes, ce qui constituerait un aveu d’impuissance. La France est, comme les héros de tragédie classique, placée devant un dilemme inextricable. Plus pragmatiques, les États-Unis ont fini par opter pour la voie du dialogue avec les putschistes. De fait, pire que la dictature, il y a l’anarchie. Et pire que l’anarchie, il y a la guerre civile.

De plus en plus de voix s’élèvent pour demander que la France baisse le pavillon en Afrique. Après tout, l’ensemble du continent africain ne représente que 5% des échanges commerciaux avec la France ; le Sahel compte pour moins du dixième de ce total. « Puisque les Africains ne veulent pas de nous, partons ! » clament ces esprits. Pourtant, cela revient à faire fi de trois siècles d’aventures communes et d’un lien profond, survivant aux déceptions, aux espoirs et aux malentendus. En outre, l’Afrique est démographiquement le continent le plus jeune de la planète. Ses immenses ressources lui donneront un rôle crucial à moyen terme dans l’économie mondiale. Culturellement, la France y détient un avantage comparatif indéniable.

La ligne est étroite entre les nostalgies possessives, le goût des résidences exotiques, les rêves de grandeur et la tentation militaire, mais elle existe. Elle exige de consacrer davantage d’efforts diplomatiques, d’encourager vigoureusement ses entreprises, et de ne privilégier les solutions militaires que pour des missions tactiques ponctuelles, discrètes et ciblées, actionnées en strict partenariat avec les forces armées locales. Il n’est pas trop tard, mais il est plus que temps.


[1] Jean-Claude Guillebaud, Les Confettis de l’empire, Paris, Le Seuil, 1976.

[2] Gérard Araud, « Niger, Mali, Burkina Faso… Notre politique africaine s’effondre sur nous », Le Point, 1er aout 2023.

[3] Toutes les implantations – Côte d’Ivoire, Sénégal, Gabon, Tchad – sont concernées, à l’exception de la plus grande, Djibouti.

Catherine Van Offelen est Consultante en sécurité internationale, spécialiste des questions de sécurité et de terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest.

La « Françafrique » fantasmée des intellectuels et des médias français est morte

La « Françafrique » fantasmée des intellectuels et des médias français est morte

par Raphaël Chauvancy – Thétrum belli – publié le

 

Le putsch au Niger a donné lieu à de nouvelles démonstrations antifrançaises et à un flot de commentaires à Paris. Ceux de Rémi Carayol en réponse à une interview du Figaro du 11 août sont parmi les plus révélateurs des fourvoiements français.

 

« Il y a dans l’armée et surtout au sein des officiers un puissant souvenir des épisodes « glorieux » de l’armée française, et qui remontent en partie à l’époque coloniale. Cette vision se transmet souvent de père en fils chez les officiers ». Pour faire bonne mesure, « parmi les sous-officiers que j’ai pu interroger beaucoup avaient l’impression d’être perdus dans cet environnement, de n’y rien comprendre ». Rémi Carayol ne nous apprend rien sur les perceptions des Africains ou sur les causes du déclin français en Afrique. En revanche, il en dit beaucoup sur ses propres préjugés.

Le cliché complotiste d’une caste d’officiers arrogants attachés de père en fils aux débris d’un ordre colonial révolu et d’une clique de sous-officier obtus, dépassés par les évènements, prêterait à rire s’il ne constituait le fond de sac de nombreux analystes français de l’Afrique. Ce sont eux qui ont mis au France au banc des accusés sur le continent. Leur incapacité à analyser l’Afrique sous le prisme des relations internationales et en dehors de leurs fantasmes idéologiques ont nourri le narratif de la milice Wagner et fait le malheur des populations.

La Françafrique est morte. Ses protagonistes ne sont plus. Les intérêts économiques entre Paris et l’ensemble de la zone du franc CFA sont devenus dérisoires et ne représentent que 0,6% du commerce extérieur français. Sur le plan militaire, les Etats de la région multiplient les partenariats qui laissent à la France une position importante mais plus exclusive.

Seulement, une certaine intelligentsia refuse de l’accepter. La Françafrique est son « ailleurs idéal », c’est-à-dire le prolongement fantasmé de ses combats idéologiques métropolitains. Antimilitariste et paternaliste, elle y essentialise les militaires français en colonialistes impénitents, les Africains en victimes perpétuelles et elle-même en chevaleresque redresseuse de torts.

Elle ne comprend rien à l’Afrique car elle assimile ses habitants aux minorités « raciales » défavorisées des grandes métropoles américaines ou européennes, recyclant les vieilles lunes de la lutte des classes en lutte des « races ». En plaquant les catégories de son petit monde à un continent divers et complexe, elle passe à côté des grandes tectoniques à l’œuvre. Ses préjugés exaspèrent les élites africaines. Elle sert même d’idiote utile aux militaires putschistes les plus rétrogrades, aux nervis russes les plus criminels, aux agents chinois les plus cyniques dans l’exploitation des ressources naturelles locales et aux lobbyistes anglo-saxons les plus décomplexés. Les intellectuels français ont bien mérité leur place parmi les maux qui rongent l’Afrique.

Les facteurs du déclin français au Sahel ne sont pas forcément ceux que l’on met le plus communément en avant. L’impuissance de Paris à appuyer l’ordre constitutionnel des États amis, directement ou, plus subtilement, en autorisant enfin la création de sociétés militaires privées, la fait passer pour un partenaire faible et peu fiable. Le fourvoiement de sa diplomatie dans l’activisme LGBT a discrédité son combat légitime en faveur de l’égalité des droits de tous et démonétisé ses valeurs. Le spectacle de ses crises intérieures à répétition, de la crise des retraites aux émeutes urbaines en fait un contre-modèle pour des États dont le premier souci est la quête d’ordre et de stabilité. Son incapacité à agir de manière globale et à mettre en valeur ses réalisation est illustrée par la discrétion de l’Agence Française de Développement dont l’œuvre remarquable est prise pour celle d’une ONG apatride par les populations qui n’en sont donc d’aucun gré à la France qui est pourtant une des principales pourvoyeuses d’aides internationales. L’intervention catastrophique décidée par le président Sarkozy en Libye a discrédité la diplomatie française en Afrique. Enfin, Paris a mis du temps à comprendre que l’excellence opérationnelle et les coups portés à l’ennemi ne pouvaient tenir lieu de politique ; une guerre menée sans définir un état final recherché réaliste ne peut que s’éterniser jusqu’à lasser les populations.

Il est impératif de se livrer sans états d’âme à un bilan politique et stratégique de l’action de la France en Afrique mais le sujet mérite mieux que des poncifs ethnocentrés.

Raphaël CHAUVANCY

Raphaël CHAUVANCY est officier supérieur des Troupes de marine. Il est en charge du module “stratégies de puissance” de l’École de Guerre Économique (EGE) à Paris. Il concentre ses recherches sur les problématiques stratégiques et les nouvelles conflictualités. Il est notamment l’auteur de “Former des cadres pour la guerre économique”, “Quand la France était la première puissance du monde” et, dernièrement, “Les nouveaux visages de la guerre – Comment la France doit se préparer aux conflits de demain”. Il a rejoint l’équipe de THEATRUM BELLI en avril 2021.

Niger : La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest évoque à nouveau l’option militaire

Niger : La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest évoque à nouveau l’option militaire

https://www.opex360.com/2023/08/11/niger-la-communaute-economique-des-etats-de-lafrique-de-louest-evoque-a-nouveau-loption-militaire/


 

Puis, quelques heures avant l’échéance de cet ultimatum, le commissaire de la Cédéao chargé des affaires politiques et de la sécurité, Abdel-Fatau Musah, assura que « tous les éléments d’une éventuelle intervention » avaient été « élaborés, y compris les ressources nécessaires mais aussi la manière et le moment où nous allons déployer la force ».

Le Niger étant clé pour son dispositif militaire au Sahel, la France a dit appuyer les initiatives de la Cédéao. Les putschistes nigériens « feraient bien de prendre la menace d’intervention militaire par une force régionale très au sérieux », a ainsi affirmé Catherine Colonna, la ministre française des Affaires étrangères. Les États-Unis, également engagés militairement dans ce pays, ont dit également appuyer les initiatives du bloc ouest-africain, mais en insistant, toutefois, sur le recherche d’une solution « pacifique ».

Cependant, promettre est une chose. Et tenir ses promesses en est une autre. Ainsi, faute d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies [comme cela fut le cas lors de l’opération militaire menée par la Cédéao en Gambie, en janvier 2017, avec la résolution 2337], une telle intervention ne pouvait pas être imminente.

En outre, son éventualité ne fait pas l’unanimité. Ainsi, au Nigeria, dont les forces armées pourraient y tenir un rôle prépondérant, le Sénat s’est opposé à toute opération au Niger… alors que son accord est nécessaire pour envoyer des troupes sur un théâtre extérieur [cela étant, par le passé, il est arrivé à l’exécutif nigérian de s’en affranchir, comme lors de l’affaire en Gambie]. Par ailleurs, l’Algérie, qui partage une frontière de 1000 km avec le Niger, a fait part de son opposition. Et, sans surprise, le Mali et le Burkina Faso, dirigés par des putschistes, ont témoigné de leur soutien à la junte nigérienne, allant jusqu’à considérer toute intervention militaire à Niamey comme une « déclaration de guerre ».

Quoi qu’il en soit, l’ultimatum a expiré, la menace d’intervention militaire n’a pas été suivie d’effet et l’ordre constitutionnel n’a évidemment pas été rétabli au Niger. Mieux : les putschistes ont assis leur pouvoir en nommant un gouvernement à leur main… Et en continuant à s’en prendre à la France, en lançant des accusations tellement ubuesques qu’on se demande bien pourquoi le Quai d’Orsay s’est senti obligé d’y répondre… Et quant aux nouvelles tentatives de médiation de la Cédéao, des Nations unies et de l’Union africaine [UA], elles sont restées vaines.

Pour autant, lors d’un nouveau sommet convoqué à Abuja, le 10 août, la Cédéao a remis l’option militaire sur la table, en évoquant le « déploiement » de sa « force en attente » [ex-ECOMOG] pour « rétablir l’ordre constitutionnel au Niger ». Plus tard, le président ivoirien, Alassane Ouattara, a confirmé auprès de l’AFP que les chefs d’État du bloc avaient donné leur « feu vert » pour qu’une telle opération soit menée.

« Les chefs d’état-major auront d’autres conférences pour finaliser les choses mais ils ont l’accord de la conférence des chefs d’État pour que l’opération démarre dans les plus brefs délais », a en effet affirmé M. Ouatarra, depuis Abidjan. Et de préciser que la Côte d’Ivoire mobiliserait l’équivalent d’un bataillon [soit environ 1000 soldats] et que « d’autres pays » devraient en faire autant. « Les putschistes peuvent décider de partir dès demain matin et il n’y aura pas d’intervention militaire, tout dépend d’eux » et « nous sommes déterminés à réinstaller le président Bazoum dans ses fonctions », a-t-il martelé.

Pour le moment, les modalités de cette possible intervention militaire n’ont pas été précisées. Quant à savoir si elle pourrait être soutenue par la France et les États-Unis, des responsables ont indiqué qu’aucune demande de la Cédéao n’avait été pour le moment formulée. Mais selon l’AFP, à Paris, « on laisse entendre que toute demande serait étudiée de près ».

En attendant, la France a réaffirmé son « plein soutien » aux décisions de la Cédéao ainsi que sa « ferme condamnation de la tentative de putsch en cours au Niger, ainsi que de la séquestration du président [Mohamed] Bazoum et de sa famille ». Aux États-Unis, la position est presque la même. Si le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a affirmé que Washington soutient le « leadership et le travail de la Cédéao » pour le « retour à l’ordre constitutionnel » au Niger, il a ensuite souligné la détermination du bloc à « explorer toutes les options pour une résolution pacifique de la crise ».

Photo : Ministère ivoirien de la Défense

La fin de « l’armée d’Afrique » ?

La fin de « l’armée d’Afrique » ?

Le putsch militaire au Niger — troisième du genre au Sahel ces dernières années — est un nouveau revers pour la France en Afrique de l’ouest, sa zone de prédilection. Et surtout pour ses forces militaires, restées présentes sur le continent plus de soixante ans après la vague des indépendances, et de moins en moins supportées par les populations et les classes politiques locales.

par Philippe Leymarie – Le Monde diplomatique – publié le 2 août 2023
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Emile Marie Coquibus. — « Avant le départ de Bourem » (Mali), 1908.
© ECPAD/fonds Émile Coquibus/Émile Coquibus

 

Depuis la défection du Mali, puis du Burkina Faso, le Niger était — avec le Tchad, également gouverné par un régime de type militaire — le seul pays sahélien à accueillir, et même à demander le secours de forces étrangères. Le président Mohamed Bazoum, renversé le 26 juillet dernier par le général Abdourahamane Tchiani, chef de sa garde présidentielle, était un allié fidèle et assumé de la France, même s’il connaissait depuis longtemps les limites de ce pari risqué (1).

La présence renforcée des éléments militaires français avait été assortie de conditions qui en faisaient le « laboratoire » d’un nouveau « partenariat de combat » : une empreinte « modulable et légère » — avec le désir de « ne plus être visible sur le temps long », et une action de terrain placée exclusivement sous commandement nigérien, soulignait en mai dernier (2) le général Bruno Baratz, chef des forces françaises au Sahel, pour qui il fallait « reformater les esprits de nos militaires. On a beaucoup d’unités qui sont passées au Mali et ont connu l’opération Barkhane. Or, ce que font les forces françaises au Niger et au Tchad aujourd’hui n’a rien à voir. On se met vraiment à la disposition des partenaires, on se cale sur leur rythme opérationnel. C’est un changement culturel ».

Montée en puissance

Contrainte en 2022 d’évacuer ses bases au nord et au centre du Mali, puis au début de cette année son emprise de « forces spéciales » au Burkina Faso, et de renoncer à l’ambition régionale incarnée côté français par l’opération Barkhane, et côté africain par le G5-Sahel, Paris avait replié une partie de ses effectifs au Niger, atteignant 1500 hommes, pour mettre en œuvre des moyens essentiellement aériens — chasseurs et drones —, tandis que mille hommes sont restés stationnés au Tchad, ancien centre de commandement de l’opération Barkhane. Au total, les effectifs des troupes françaises au Sahel auront déjà été divisés par deux en quelques mois. Il était prévu qu’ils soient à nouveau réduits d’ici 2025, parallèlement à la montée en puissance de l’armée nigérienne — un pays qui a mis en place « une stratégie de contre-insurrection particulièrement efficace », reconnaissait le général Baratz.

Ce « partenariat de combat » d’un type nouveau, qui s’appliquait notamment dans la zone irrédentiste des « trois frontières », aux limites du Niger, du Mali et du Burkina Faso, où sévissent des groupes armés, et qui semblait fonctionner plutôt bien, ne paraît pas pouvoir être reconduit sous le nouveau régime, qui n’a pas supporté la condamnation immédiate du putsch par Paris, ainsi que la suspension des aides financières, et a accusé la France « d’ingérence », laissant des manifestants dans la capitale s’en prendre à des symboles français et brandir des drapeaux russes. Les incidents du dimanche 30 juillet avaient conduit l’Élysée à menacer la junte d’une « réplique immédiate et intraitable », en cas de menace sur ses ressortissants, militaires, diplomates au Niger ; ils ont motivé la décision le 1er août de rapatrier par voie aérienne militaire les Français et Européens qui le souhaitaient. L’étape suivante devrait être au minimum la suspension, voire l’arrêt de toute coopération militaire avec le Niger.

Les relations avec le gouvernement américain, qui dispose d’une base de drones au nord du pays mais a rapidement condamné le putsch, s’annoncent également problématiques. La solitude militaire à laquelle le Niger risque ainsi de s’astreindre pourrait être périlleuse pour un pays qui est défié sur deux fronts « djihadistes » : au nord-ouest, les attaques dans la zone des « trois frontières » ; au sud-est, les mille deux cents kilomètres de frontière avec le Nigeria, où sévissent les sectes armées de Boko Haram.

Utilité technique

Côté français, la nouvelle formule de coopération militaire avec le Niger faisait partie d’une réforme plus large du dispositif français sur le continent, avec le souci d’alléger encore les effectifs permanents — actuellement près de 6000 hommes — et de transformer le rôle des bases d’Abidjan, Dakar et Libreville : dans ce schéma, elles deviendraient des centres de formation militaire et non plus des points d’appui pour des interventions. La diminution des effectifs en Côte d’Ivoire, et l’accent mis sur l’affectation de coopérants militaires en longue durée — notamment d’enseignants dans les écoles militaires nationales à vocation régionale (ENVR) que Paris soutient depuis leur création — rendront difficile à l’avenir des opérations offensives, comme Serval au Mali, en 2013.

L’heure était, ces derniers mois, à l’africanisation, à la mutualisation de ces emprises qui remontent pour la plupart aux années soixante, voire plus avant… et ont souvent concentré les contestations ou protestations africaines. Aucune ex-puissance coloniale autre que la France n’a ainsi conservé un tel réseau et des capacités militaires aussi étendues sur le continent. L’efficace évacuation en mai dernier de plusieurs centaines de ressortissants français ou européens du Soudan, et l’actuelle opération du même genre au Niger, démontrent l’utilité technique — à défaut de politique — de ce réseau d’implantations.

Dans Afrique XXI, Raphaël Granvaud, de l’association Survie, invitait — avant même ce putsch — à ne pas se laisser abuser par le « trompe-l’oeil » de la « ré-articulation » du dispositif français dans le Sahel, décidée par le président Emmanuel Macron après la dissolution de l’opération Barkhane, et qu’illustraient les nouvelles pratiques militaires au Niger. Il s’agit, selon cet analyste, d’un « ravalement de façade » ; il rappelle que les gouvernements des dernières décennies ont tous promis la fin de la françafrique, la réduction des effectifs militaires, le changement de vocation des bases… et voulu déchirer l’image de « gendarme de l’Afrique » qui a longtemps collé à la peau des Français.

Survivances de la colonisation

Même si les modalités d’un retrait plus que probable des soldats français (et sans doute américains, et autres) du Niger ne sont pas encore détaillées, le putsch de Niamey signe sans doute la fin de l’aventure de l’armée française au Sahel, qui remonte aux temps coloniaux. Et aussi le déclin quasi total d’une arme originale au sein des forces françaises : l’infanterie de marine. Ces troupes, survivantes de la colonisation, sont détentrices d’un savoir-faire acquis dans les interventions outre-mer. Elles revendiquent leur origine populaire, le goût du voyage et de l’aventure, et défendent l’idée d’un soldat attentif aux besoins des populations, comme d’une certaine rusticité (3).

Elles ont été l’ossature des expéditions au Mexique, à Tahiti, en Chine et Cochinchine, en Crimée, Tunisie, à Madagascar, et en Afrique de l’ouest et centrale au XIXe siècle. Renforcés par des unités de spahis et tirailleurs recrutés sur place, les régiments de « marsouins » et « bigors » ont été engagés dans les combats de 14-18, puis en Rhénanie, en Syrie, au Maroc, dans les Balkans. Ils ont formé le gros des volontaires de la France libre, à la fin de la seconde guerre mondiale, puis participé — avec la Légion étrangère — aux opérations de « pacification » à Madagascar, en Indochine, en Algérie.

On les retrouvera, dans la seconde moitié du siècle dernier, et au début du siècle en cours en « forces de souveraineté » dans les départements et territoires d’outre-mer, en « forces de présence » dans les bases militaires en Afrique, et comme fer de lance des interventions extérieures (« opex ») au Tchad, Liban, Nouvelle Calédonie, Djibouti, Afghanistan, et en Europe de l’est ainsi qu’au Sahel — que les forces françaises n’avaient jamais vraiment quitté, avec notamment une présence quasi-permanente au Tchad depuis les débuts de la colonisation.

Omniprésence militaire

Pour la France, déjà évincée de fait en République centrafricaine avant de l’avoir été dans plusieurs pays du Sahel, et dont les principaux alliés en Afrique de l’ouest et du centre (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Sénégal) risquent d’être confrontés à des contextes difficiles de succession, le putsch au Niger fait figure de nouvel échec politique, après plusieurs autres dans les parages. Aucun bilan de la « guerre perdue » au Mali, par exemple, n’a été mené jusqu’ici, à l’échelon militaire comme politique.

Et la réflexion sur le maintien ou non d’un dispositif militaire qui paraît de plus en plus insupportable aux opinions publiques des pays africains n’a pas été entamée au Parlement ou dans d’autres enceintes de débat, alors même que le poids, l’influence diplomatique, économique et culturelle de la France sur le continent sont sans commune mesure aujourd’hui avec son omniprésence militaire, pour le coup, très « visible », et que les résultats — notamment au Sahel — n’ont pas été à la hauteur des attentes. Trop axée sur le militaire (alors que gendarmes et policiers auraient parfois été plus adaptés), à la recherche d’un ennemi aux contours flous (le « terrorisme »), sur un temps trop long finissant en « occupation » de fait, la stratégie politico-militaire française dans cette région a été victime aussi de ses rigidités « éthiques » : « Jamais avec les djihadistes… Jamais avec Wagner »

Autres fronts

Même si cette accumulation de déconvenues a l’allure d’une défaite (4), l’armée française ne quittera pas complètement le terrain africain : outre une coopération plus étendue en matière de formation, plus bilatérale et sur mesure, il reste une demande de certains pays en appui à l’antiterrorisme, notamment dans le golfe de Guinée ; et toujours, des ressortissants à exfiltrer dans tel ou tel pays : et, dans les deux cas, du travail pour les forces spéciales » — les moins « visibles » justement.

Pour les militaires français, il reste surtout du grain à moudre sur les autres fronts : déjà, ces derniers mois, il y avait plus d’hommes mobilisés à l’est européen, aux frontières de l’Ukraine, ou en Méditerranée orientale que sur le continent africain. Des forces restent déployées au Proche-Orient, au Liban, en Jordanie, dans les Émirats, à Djibouti, en Irak. Et l’exécutif souhaite développer une stratégie de présence dans l’Indo-Pacifique, et renforcer les emprises dans les départements et territoires d’outre-mer, notamment sur le plan aérien et naval. Mais l’adieu croissant à l’Afrique sera, de fait aussi, un sacré « changement culturel »…

Philippe Leymarie


(1Mathieu Olivier, « Entre la France et le Mali, le pari risqué de Mohamed Bazoum », Jeune Afrique, 13 juin 2022. Et Rémi Carayol, « La France partie pour rester au Sahel », Le Monde diplomatique, mars 2023.

(2Entretien avec l’AFP et RFI, 23 mai 2023.

(3Cf, Michel Goya, « Les troupes de marine, les conquérants de l’outre-terre », Guerres et Histoire n° 33.

(4Et d’une autre, passée inaperçue : la fin prématurée de l’opération Tabuka, au Mali, dans laquelle Paris avait entraîné plusieurs pays européens, et qui n’a pas survécu l’an dernier au désengagement français.

Joe Biden autorise le rappel de 3000 réservistes au profit de l’opération Atlantic Resolve qui change de statut

Joe Biden autorise le rappel de 3000 réservistes au profit de l’opération Atlantic Resolve qui change de statut

par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 15 juillet 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Le président Joe Biden a signé, jeudi soir un “executive order” approuvant le rappel de réservistes spécialisés pour les déployer en soutien de l’opération Atlantic Resolve.

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Selon ce décret présidentiel, jusqu’à 3 000 réservistes pourront être appelés dans le cadre d’une “contingency operation” (l’équivalent d’une opex), ce qui permettra de faire appel à des réservistes et d’octroyer des primes et des avantages aux soldats et à leurs familles. Atlantic Resolve (lancée en 2014) change donc de statut, ce qui en dit long sur la détermination de l’administration Biden et sur son analyse de la volatilité de la situation dans l’est de l’Europe.

La destination de ces réservistes sera choisie par l’European Command, selon le général Dougla Sims, le patron du J3 de l’état-major internarmées. Voir une transcription du point presse ici.

Une partie de ces spécialistes pourrait (aucune confirmation officielle US pour l’heure) rejoindre la Roumanie où va commencer la formation des personnels ukrainiens sur F-16 dans le cadre de la coalition de 11 pays annoncée lors du sommet  de l’Otan et menée par les Pays-Bas et le Danemark.