Russie : à la recherche de la confiance perdue

Russie : à la recherche de la confiance perdue

par Jean Daspry* – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°179 / avril 2025

*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

https://cf2r.org/tribune/russie-a-la-recherche-de-la-confiance-perdue/


 

Coopération militaire nordique dans l’Arctique à l’époque de Trump

Coopération militaire nordique dans l’Arctique à l’époque de Trump

Greenland national flag and coastal landscape with snow, winter, Greenland, Denmark, North America/ibxrpa07151937/imageBROKER.com/Reinhard Pantke/SIPA/2110191510

par Henrik Werenskiold – Revue Conflits – publié le 7 avril 2025

https://www.revueconflits.com/cooperation-militaire-nordique-dans-larctique-a-lepoque-de-trump/


La période où l’Arctique était une zone de faible tension géopolitique est révolue. Les pays nordiques doivent unir leurs forces pour protéger au mieux leurs intérêts dans une région de plus en plus importante sur le plan géostratégique.

Maintenant que la realpolitik et la politique de puissance font leur grand retour dans la politique internationale, l’importance géostratégique des régions nordiques – à mesure que la glace fond – est plus cruciale que jamais. Avec les récentes déclarations de Trump sur le Groenland, la vulnérabilité potentielle de l’Islande et la position géographique délicate du Svalbard, l’enjeu pourrait potentiellement se révéler immense pour les pays nordiques.

En tant que puissances arctiques naturelles à une époque marquée par une incertitude géopolitique croissante, les pays nordiques ne peuvent plus se fier aux solutions de sécurité d’hier pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Le moment est donc venu de repenser – et d’agir – pour protéger au mieux les intérêts des pays nordiques dans une période de plus en plus troublée.

Il existe désormais un large consensus politique en Scandinavie sur la nécessité d’augmenter les investissements dans les capacités militaires maritimes, mais cela doit se faire dans un cadre nordique plus large et en tenant compte du contexte géopolitique plus vaste : il est donc temps de mettre en place une flotte pan-nordique permanente dans l’Atlantique Nord et les eaux arctiques.

Une flotte pan-nordique permanente, opérant régulièrement dans la mer du Groenland, la mer de Norvège, la mer de Barents et l’océan Arctique, pourrait servir plusieurs objectifs géopolitiques. Elle enverrait un message clair aux grandes puissances mondiales que les pays nordiques prennent la sécurité militaire au sérieux et qu’ils sont prêts à défendre leur souveraineté ainsi que leurs intérêts dans les régions nordiques – y compris par la force militaire si nécessaire.

Une position commune nordique dans l’Arctique

Les marines nationales nordiques ont diverses limites en ce qui concerne leur capacité de frappe si elles agissent seules, mais, ensemble, elles pourraient potentiellement former une force que personne ne pourrait ignorer – même pas les États les plus puissants. Un renforcement de l’intégration entre les marines nordiques améliorerait également l’efficacité, en évitant le chevauchement des capacités militaires et en garantissant la puissance de frappe la plus élevée possible pour chaque couronne investie.

En tant que pays nordiques détenant le plus grand contrôle sur des territoires arctiques – et ayant par conséquent le plus à perdre dans les régions nordiques –, les marines du Danemark et de la Norvège devraient former l’ossature d’une flotte pan-nordique intégrée. La Norvège, qui a à la fois le plus à défendre et les ressources financières les plus importantes, devrait assumer la responsabilité principale des investissements nécessaires pour rendre la flotte opérationnelle et efficace.

Même si la principale préoccupation sécuritaire de la Suède et de la Finlande se situe dans la mer Baltique, elles ont tout intérêt à soutenir la création d’une telle flotte pan-nordique de l’Atlantique et devraient contribuer avec du matériel militaire naval pertinent. Même les micro-États nordiques – l’Islande, les îles Féroé et le Groenland – devraient trouver leur place : l’Islande, qui n’a pas de marine militaire, peut fournir des navires de garde-côtes ou tout autre équipement pertinent, tandis que les îles Féroé et le Groenland peuvent apporter du personnel.

Utilité géopolitique

Outre l’effet symbolique considérable de l’unité nordique, tant pour les amis que pour les rivaux, une telle flotte commune pourrait atteindre plusieurs objectifs géopolitiques cruciaux. De manière générale, elle contribuerait à persuader les Américains que les pays nordiques prennent au sérieux leurs préoccupations quant à la volonté et la capacité de protéger le flanc nord de l’OTAN.

Plus précisément, elle permettrait de renforcer la surveillance des eaux groenlandaises afin de contrer l’augmentation de la présence militaro-navale russe et chinoise dans la région – affaiblissant ainsi l’argument principal de Trump pour revendiquer le contrôle de l’île. La flotte exercerait également un effet dissuasif contre une éventuelle agression russe – non seulement à l’encontre du Svalbard, qui pourrait potentiellement être la Crimée arctique de la Norvège, mais aussi dans les zones frontalières avec la Russie en Finnmark oriental et en Finlande du Nord.

La valeur géopolitique d’une flotte nordique commune est évidente. Néanmoins, il reste à voir si nos dirigeants politiques sont prêts à prendre une mesure aussi ambitieuse et tournée vers l’avenir. Si les pays nordiques veulent vraiment défendre leurs intérêts dans l’Arctique – avant que d’autres acteurs ne prennent l’initiative et, dans le pire des cas, ne nous évincent d’une partie du monde de plus en plus stratégique –, il faut agir dès maintenant.

Politique étrangère ou étrange politique ?

Politique étrangère ou étrange politique ?

par Jean Daspry* – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°178 / avril 2025

*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

https://cf2r.org/tribune/politique-etrangere-ou-etrange-politique/


 

 

« L’avenir n’appartient à personne. Il n’y a pas de précurseurs, il n’existe que des retardataires » (Jean Cocteau).

On ne saurait mieux dire de la sidération de l’élite française face aux bouleversements actuels du monde depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump. Pourtant, il fait ce qu’il dit depuis des mois et entend bien continuer sur cette voie ! En quelques semaines, il met à mal tous les paramètres de la gouvernance internationale d’un monde révolu. Il prend de court tous ceux qui avaient le tort de ne pas le prendre au sérieux sur des sujets comme le conflit russo-ukrainien, celui du Proche-Orient ou de la sécurité européenne. Pour avoir fait preuve d’une imprévoyance coupable, ils sont contraints, dans l’urgence absolue et dans l’agitation permanente, d’improviser d’improbables scénarios déconnectés du réel. Le temps des rêves des dividendes de la paix fait place au temps des cauchemars des dividendes de la guerre.

Le temps des rêves : les dividendes de la paix

Les accents joyeux de la symphonie d’un nouveau monde aux innombrables promesses conduisent à l’anesthésie d’une politique étrangère insouciante.

La symphonie d’un nouveau monde

Les trois décennies écoulées resteront dans l’Histoire comme celles d’un optimisme béat et d’une insouciance assumée. Avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, le monde entrerait dans une période de paix, de stabilité et de prospérité sans équivalent depuis des siècles. Le monde des bisounours où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Le monde des fins (histoire, géographie, nations, frontières, protectionnisme, recours à la force, coercition, guerre…) et des commencements (universalisme, sécurité, liberté, doux commerce, recours au droit, coopération, paix éternelle…). Le monde allant vers la paix perpétuelle chère à Emmanuel Kant. En un mot, un monde qui récolterait, intérêt et principal, les dividendes de la paix. Un remake des mots du ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand devant la Société des nations (SDN) à Genève en 1926 : « Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l’arbitrage à la paix ! ». Dans cet environnement euphorique, tout questionnement sur l’imprévisibilité du monde de demain est incongru, pour ne pas dire saugrenu. Les empêcheurs de tourner en rond sont stigmatisés pour leur pessimisme de mauvais aloi alors que les marchands d’illusion tiennent le haut du pavé médiatique. Le fameux « gouverner, c’est prévoir » est oublié, balayé pour faire place au « gouverner, c’est communiquer » à longueur de journée, c’est-à-dire être actif sur les réseaux sociaux.

L’anesthésie de la politique étrangère

Il va sans dire, mais cela va mieux en le disant, que toute réflexion salutaire sur les linéaments de la politique étrangère du futur est proscrite tant l’avenir est radieux. Multilatéralisme à tout-va et Europe à tout bout de champ sont les marqueurs d’une action extérieure assoupie. A-t-on encore besoin de tous ces inutiles que sont les diplomates dont on ne devine guère la réelle valeur ajoutée ? Laissons-nous porter par l’air du temps qui passe ! Cessons de suivre les conseils de certains esprits retors qui nous incitent à nous interroger sur les adaptations requises par un monde nouveau ! Or, ce dernier n’est pas exempt de spasmes, de défis, de menaces telles que le terrorisme islamiste, l’accession à l’arme nucléaire de la Corée du Nord ou de l’Iran, le retour des conflits, l’affaissement du multilatéralisme… Le temps est à la paresse intellectuelle. Nos femmes et hommes politiques sont trop affairés à se quereller sur des questions intérieures pour perdre inutilement du temps à réfléchir aux surprises que pourrait nous réserver un avenir incertain, un ensauvagement inattendu d’un monde sans maître ni règles. Le temps est aux rêveries d’un voyageur solitaire aux quatre coins de la planète. Qu’il est doux de ne rien faire lorsque tout s’agite autour de vous ! Laissons-nous porter par les bienfaits éternels d’un monde merveilleux à perte de vue et d’un avenir réconfortant par toutes les promesses mirifiques qu’il laisse entrevoir à celui qui sait les attendre.

Or, il n’en est rien. Le rêve merveilleux tourne au cauchemar éveillé des dirigeants politiques français, des experts et des médias face à un changement d’ère qui était largement prévisible.

Le temps des cauchemars : les dividendes de la guerre

Face à la cacophonie croissante d’un nouveau monde en éruption constante, la politique étrangère de la France est marquée au sceau d’une vacuité certaine.

La cacophonie du nouveau monde

Plus les années passent, plus le monde apparaît chaotique : attentats du 11 septembre 2001, guerre en Afghanistan, en Irak, conflit en Crimée, crise économique et financière, crise du Covid 19, guerre en Ukraine, éruption au Proche-Orient (Palestine, Iran, Israël, Liban), opposition Nord-Sud, retour des Empires, poussée des régimes autoritaires et des phénomènes migratoires, dégradation du système de sécurité collective, multiples obstacles à la liberté du commerce… Rien à voir avec la promesse de l’aube d’un monde pacifié. Mais, nous n’avions encore rien vu. Le second mandat présidentiel de Donald Trump achève de secouer l’édifice patiemment mis en place successivement après la Seconde Guerre mondiale et l’effondrement de l’URSS. En quelques semaines, l’homme à la mèche blonde provoque incompréhension et sidération chez ses alliés. Le monde ne parvient pas à se réveiller d’un cauchemar qui a pour nom États-Unis. L’Union européenne érige le fameux mur du déni pour conjurer le mauvais sort. Or, cette posture du chien crevé au fil de l’eau est de moins en moins tenable au fil des annonces du locataire malappris à crinière jaune de la Maison Blanche : l’OTAN n’est plus une assurance tous risques pour les mauvais payeurs ; l’article 5 du traité de Washington n’est plus d’application automatique ; la sécurité européenne doit être du ressort des Européens ; les problèmes sérieux se négocient entre les trois Grands (Chine, États-Unis, Russie), les va-nu-pieds n’ayant qu’à s’exécuter comme de vulgaires laquais. L’Europe devient un acteur mineur aux yeux de ses partenaires, alliés et concurrents, spectateur d’un monde en pleine recomposition. Elle ne fait qu’étaler son actuelle faiblesse. Notre pays ne fait pas exception[1].

La vacuité de la politique étrangère

Quels constats objectifs peut-on dresser de l’action internationale de la France conduite sous la férule exigeante de Foutriquet à une époque de relations internationales chaotiques et de l’émergence d’un monde nouveau ? L’élite française fait table rase de l‘un des enseignements du général de Gaulle pour qui la « France doit tenir compte de ce que l’avenir comporte d’inconnu et le passé d’expérience »[2]. Qui plus est, « Jamais le contraste n’a été aussi saisissant entre un ordre mondial et chancelant et l’impréparation des principales formations politiques hexagonales. Concentrées depuis des années sur des enjeux strictement nationaux (…) ils paraissent s’être isolés « dans une bulle »[3]. Certains y voient la conséquence d’un « sous-investissement politique et bureaucratique » dans la sphère internationale. Après avoir pensé que Donald Trump ne serait pas élu 47e président des États-Unis et avoir refusé de prendre ses propos au sérieux et au pied de la lettre, la nomenklatura germanopratine peine à prendre toute la mesure du changement de paradigme et à en tirer les conséquences qui s’imposent. Dans ce contexte, on imagine aisément que la politique étrangère (stratégie du long terme) – trop souvent confondue avec la diplomatie (tactique du court terme) – sous le second mandat empli de munificence de Jupiter 1er s’apparente à un ensemble vide, à une succession de gadgets comme celui de la dissuasion nucléaire partagée. Et cela au moment où la réalité – celle du rapport de force, du primat de la puissance – reprend ses droits. Heureusement, tout va changer avec la nomination d’un « Macronboy », l’illustrissime Clément Beaune au poste de « haut-commissaire au plan, commissaire général à la stratégie et à la prospective » en remplacement de François Bayrou[4]. Il annonce, aussitôt après avoir été choisi par Emmanuel Macron, disposer de pistes de réflexion pour donner consistance à sa fonction de stratège et de prévisionniste du XXIe siècle. Alléluia !

Chaos mondial et heure de vérité

« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ! » (Sénèque).

Les pays du « Nord global » n’ont toujours pas digéré la grande désillusion du « monde d’après ». Qui plus est, il y a de fortes chances que la « cicatrice diplomatique » du tsunami Donald Trump ne se referme pas de sitôt. Face à un monde qui vacille sur ses assises anciennes, un sursaut salutaire est indispensable. Il passe avant tout par l’adoption d’une stratégie cohérente dans le temps et dans l’espace. Or, nous en sommes encore loin tant le temps est à l’agitation et à la communication débridées. Entre le dire et le faire, il y a la page blanche qu’il faut commencer par noircir de réflexions. Face aux menaces, la France éternelle doit choisir entre puissance et effacement. La France doit effectuer un choix crucial pour espérer conserver sa place dans le monde de demain : définir une véritable politique étrangère ou bien se contenter d’une étrange politique (étrangère) ?


[1] B. D., « Macron enfin populaire … », Le Canard enchaîné, 2 avril 2025, p. 1.

[2] Maurice Vaïsse, « Les propos gaulliens de 1959 collent à l’actualité », Le Monde, 7 mars 2025, p. 26.

[3] Claire Gatinois/Gilles Paris/Philippe Ricard, « Politique étrangère. Torpeur et tremblements dans les partis français », Le Monde, 9-10 mars 2025, pp. 20-21.

[4] Décret du 5 mars 2025, JORF du 6 mars 2025.

A méditer en cas d’embrouille avec Trump: la France aussi est dépendante aux armes et technologies militaires américaines

A méditer en cas d’embrouille avec Trump: la France aussi est dépendante aux armes et technologies militaires américaines

Un Reaper français au Niger en 2021. Photo P. Chapleau

Les tensions croissantes avec l’administration Trump doivent-elles inquiéter les pays de l’Union européenne dont la dépendance en matière d’armement d’origine américaine constitue une fragilité stratégique? L’Europe est effectivement lourdement dépendante des États-Unis en matériel militaire, comme l’a admis la Commission européenne dont le récent livre blanc prône la préférence européenne en matière d’acquisition d’armement.

Si les deux tiers des armements achetés par les pays de l’Union européenne sont acquis auprès des États-Unis, ce n’est pas le cas de la France dont l’industrie de défense, globalement florissante, permet au ministère des Armées de s’équiper sur le marché français.

Il reste toutefois un certain nombre de domaines où Paris doit se tourner vers l’allié américain et son complexe militaro-industriel pour acquérir des technologies ou des équipements (certains avec des restrictions). Ces achats se font dans le cadre de Foreign Military Sales (FMS) dont le montant récent est chiffré à 6,2 milliards de dollars par le Département d’Etat.

Petite revue de détail des technologies ou des armements en cours de livraison ou fournis au cours des quinze dernières années par les équipementiers US avec la bénédiction du Pentagone. Cet état des lieux, qui ne prend pas en compte la multitude des composants et autres hardware/software américains intégrés aux armements français, montre qu’une éventuelle brouille avec les Etats-Unis aurait des conséquences néfastes dans au moins trois domaines regardant la défense.

Des lance-roquettes unitaires

En 2016, selon la DSCA (la Defense Security Cooperation Agency), la France a acheté aux Etats-Unis 13 Guided Multiple Launch Rocket System (GMLRS) pour un coût de 90 millions de dollars. Ces lance roquettes unitaires équipent le 1er régiment d’artillerie mais quatre pièces ont été fournies à l’armée ukrainienne. Le reste, vieillissant, mériterait d’être remplacé.

C’est ce que prévoit la LPM 2024-30. Avec une solution souveraine dans le cadre du programme « Frappe longue portée terrestre » (FLP-T) sur lequel travaillent deux consortiums, l’un formé par MBDA et Safran, l’autre par Thales et Ariane Group. A moins que l’urgence opérationnelle ne pousse à acheter des M142 HIMARS américains (un matériel éprouvé) proposés par l’américain Lockheed-Martin ou des PULS du groupe israélien Elbit Systems. A moins encore que le programme ELSA (European Long Range Strike Approach), qui rassemble la France, l’Italie, l’Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni, ne soit choisi à cause de son actuelle pertinence politique.

Des missiles 

Des commandes ad hoc de bombes Paveway (5 000 à partir de 1999, selon le SIPRI) et de missiles ont été faites par Paris dans le cadre de besoins ponctuels liés aux activités opérationnelles lors des opex. Selon les chiffres de la DSCA, Washington a ainsi livré 260 missiles antichars Javelin après un feu vert du Congrès en 2010.

Pour armer ses hélicoptères Tigre et ses drones MQ-9 (lire ci-dessous), Paris a acheté des missiles AGM-114R2 Hellfire (200 en 2015, 260 en 2016, 1 515 en 2023).

Plus récemment, en 2023, la France a été destinataire d’un lot de munitions rôdeuses Switchblade 300 dans le cadre d’un contrat passé entre l’US Army et la firme américaine AeroVironment, Inc. Un premier contrat d’une valeur initiale de 231 millions de dollars au profit de l’armée de Terre US a été augmenté de 64,5 millions de dollars en mars 2023 de façon à permettre la fourniture de systèmes au profit de deux armées étrangères, dont les armées françaises.

Des drones MQ-9

Après une décision prise en 2013 par Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, l’armée de l’Air a été équipée en drones Reaper construits par la société américaine General Atomics Aeronautical Systems, Inc. Le Congrès avait donné son feu vert pour 16 drones mais 12 seulement ont été achetés. Le marché d’une valeur de 1,5 milliard de dollars incluait les drones, des pièces détachées, les software, la formation des personnels français et un soutien technique américain (le contractor logistics support). Pour les douze drones Reaper MQ-9 de l’armée de l’Air et de l’Espace qui dépendent de la 33e escadre Escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque (ESRA), installée sur la base aérienne 709 de Cognac, ce CLS coûtera en 2025 48,5 millions de dollars.

Cette dépense annuelle somme toute limitée s’inscrit toutefois dans une vraie dépendance de l’AAE. Pour Cédric Perrin, sénateur et président de la commission défense du Sénat, cette dépendance envers les États-Unis est vraiment forte. Cité par mon confrère Pascal Samama, il a rappelé que « nous ne sommes pas propriétaire des images. Si les Américains récupèrent la boite à images qui est dans le Reaper, ils peuvent le faire, nous priver de ces images et même nous empêcher de survoler tel ou tel territoire. Les Américains peuvent décider de l’usage que l’on fait de nos drones ».

Des catapultes électromagnétiques

2025 sera l’année du « dossier de lancement et réalisation » (DLR) avant la commande effective du futur porte-avions, le PA-Ng. Je rappelle que Naval Group et les Chantiers de l’Atlantique réaliseront la plateforme et TechnicAtome les chaufferies nucléaires.

Les catapultes seront fournies par le groupe américain General Atomics qui fournira trois « Electromagnetic Aircraft Launch Systems » (EMALS), pour un coût estimé à plus de 1,3 milliard de dollars. Ces trois catapultes électromagnétiques de nouvelle génération ont été développées par General Atomics pour les porte-avions de la classe Gerald R. Ford de l’US Navy.

Comme l’a bien résumé Guillaume Aigron dans le blog Secret Défense, « la France se trouve dans une position délicate car ces systèmes sont actuellement produits uniquement par les États-Unis. Le constructeur américain General Atomics est le seul à maîtriser ces technologies, déjà déployées sur le porte-avions USS Gerald R. Ford. Cette situation place la France dans une position de dépendance technologique vis-à-vis de son allié transatlantique»

Les catapultes électromagnétiques qui équiperont le PA-Ng reposent sur le principe de l’induction magnétique. Des circuits électriques, situés de part et d’autre des rails de catapultage, génèrent un champ magnétique mettant en mouvement un chariot mobile sur lequel est fixé l’aéronef. L’alimentation de ce moteur linéaire est contrôlée de manière à être ajustée à la masse de l’avion ou du drone à catapulter et à la vitesse finale nécessaire à son catapultage. Des systèmes de stockage et de restitution d’énergie, situés en amont des moteurs, permettent de lisser les appels de puissance vis-à-vis de l’installation de production électrique du navire lors de l’utilisation des EMALS.

Guet et transport aériens

Restons dans le domaine aéronautique avec un trio de contrats. D’abord celui des avions de guet aérien AWACS (Airborne Warning and Control Systems) qui date des années 1990. L’armée de l’Air et de l’Espace dispose de quatre E-3F (des Boeing 707 modifiés de 35 ans d’âge) basés à Avord, sur la base aérienne 702 où ils sont exploités au sein de la 36e escadre de commandement et de conduite aéroportés. Eux aussi vieillissants, ils pourraient être remplacés par des E-7A Wedgetail, développés par l’Américain Boeing (et retenus par l’Otan), ou par le système GlobalEye du Suédois Saab.

Deuxième contrat, celui deux C-130J et des deux KC-130J désormais installés à Evreux avec des appareils similaires de l’armée de l’Air allemande. Soit cinq aéronefs C-130J-30 et cinq aéronefs KC-130J achetés aux États-Unis en 2015 et livrés à partir de septembre 2018. A noter que le soutien technique de la flotte des C-130 français a un coût annuel d’une cinquantaine de millions de dollars versée à l’entreprise américaine Lockheed Martin Aeronautics Co.

Un Rafale Marine et un E-2 Hawkeye sur le pont du Charles de Gaulle, à Subic Bay, le 23 février 2025. (Photo by TED ALJIBE / AFP)

Enfin, un autre contrat, lui en cours depuis 2020, concerne la livraison à la Marine nationale de trois avions de guet aérien E-2D Advanced Hawkeye Aircraft pour remplacer l’actuelle flotte française d’E-2C Hawkeye 2000 entrés en service dans la Marine nationale en 1998. Le premier des E-2D est en construction aux USA depuis décembre dernier. Livraison prévue en 2027. La valeur initiale du marché était estimée à deux milliards de dollars mais l’addition s’est déjà alourdie de quelques 450 millions de dollars.

L’échange entre Trump et Zelensky : texte intégral

L’échange entre Trump et Zelensky : texte intégral

Dans une scène d’une violence verbale sans précédent, le président des États-Unis Donald Trump et son vice-président J.D. Vance ont repris les éléments de langage de Vladimir Poutine pour chercher à humilier en direct à la télévision leur allié, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche.

Nous publions la transcription intégrale de cet échange — un tournant historique.

Auteur : Le Grand Continent – publié le 1er mars 2025
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/28/lechange-entre-trump-et-zelensky-transcription-integrale/

Dans le Bureau ovale, le 28 février 2025. © Shutterstock

Alors que le président ukrainien rappelait que l’invasion russe remontait à l’annexion de la Crimée en 2014 et que l’Ukraine a déjà signé un cessez-le-feu que la Russie n’a pas respecté, le vice-président américain J.D. Vance l’a violemment interrompu, lui reprochant de plaider sa cause devant les médias américains, exigeant qu’il remercie Trump pour son soutien et insistant sur le fait que l’Ukraine manquait de soldats.

La forme est choquante.

L’objet du débat n’a pourtant rien de trivial.

Il est crucial pour l’Ukraine et pour l’Europe : un cessez-le-feu — que Donald Trump veut obtenir au plus vite — doit-il être précédé de garanties de sécurité ?

Du côté ukrainien et européen, on craint que tout accord qui ne serait qu’un gel des lignes de front — une sorte de Minsk — ne serve qu’à permettre à la Russie de se réarmer et regrouper dans un moment où son économie montre des signes de faiblesse.

Cette séquence, assez visiblement orchestrée, intervient alors que, dans les dix derniers jours, Donald Trump a traité Zelensky de dictateur et que les États-Unis ont voté aux Nations Unies avec la Russie et la Corée du Nord contre une résolution demandant la fin des hostilités ainsi qu’une résolution pacifique du conflit et réaffirmant l’engagement de l’organisation pour l’intégrité territoriale du pays.

Elle a fait réagir la plupart des chancelleries européennes en soutien à l’Ukraine dans la soirée.

Un haut fonctionnaire européen a déclaré au Grand Continent dans la soirée qu’il s’agissait « d’une embuscade pour les caméras ».

En diplomatie, chaque mot compte — ils comptent même double lorsqu’ils sont prononcés face caméra. Pour que chacun puisse avoir connaissance de ceux qui viennent d’être prononcés à Washington, de leur brutalité mais aussi de leur portée, nous publions une transcription non altérée, non éditée des échanges.

Donald Trump 

(répondant à un journaliste) Je ne suis pas aligné avec Poutine. Je ne suis aligné avec personne. Je suis aligné avec les États-Unis d’Amérique. Et pour le bien du monde. Je suis aligné avec le monde. Et je veux en finir avec cette histoire. Vous voyez la haine qu’il a pour Poutine. C’est très difficile pour moi de conclure un accord avec un tel niveau de haine. Il a une haine immense. Et je comprends cela. Mais je peux vous dire que l’autre camp ne l’aime pas non plus.

Donc, ce n’est pas une question d’alignement. Je suis aligné avec le monde. Je veux régler ce problème. Je suis aligné avec l’Europe. Je veux voir si nous pouvons trouver une solution. Vous voulez que je sois dur ? Je peux être plus dur que n’importe quel être humain que vous ayez jamais vu. Je serais si dur. Mais vous n’obtiendrez jamais d’accord comme ça. Voilà comment ça fonctionne.

J.D. Vance

Je vais répondre à cela. Écoutez, pendant quatre ans aux États-Unis, nous avons eu un président qui se montrait dur avec Vladimir Poutine lors des conférences de presse. Et ensuite, Poutine a envahi l’Ukraine et a détruit une grande partie du pays. Le chemin vers la paix et la prospérité passe peut-être par la diplomatie. Nous avons essayé la voie de Joe Biden, celle de bomber le torse et de faire comme si les paroles du président des États-Unis comptaient plus que ses actions.

Ce qui fait des États-Unis un grand pays, c’est leur engagement dans la diplomatie. C’est ce que fait le président Trump.

Volodymyr Zelensky

D’accord. Il a occupé des territoires, nos territoires. De grandes parties de l’Ukraine. L’est et la Crimée. Il les a occupés en 2014. Pendant de nombreuses années, et je ne parle pas seulement de Biden. À cette époque, c’était Obama, puis le président Obama, puis le président Trump, puis le président Biden, et maintenant le président Trump. Que Dieu bénisse : maintenant, le président Trump va l’arrêter. Mais depuis 2014, personne ne l’a arrêté. Il a simplement occupé et pris. Il a tué des gens.

Donald Trump

2015.

Volodymyr Zelensky

2014.

J.D. Vance

2014 et 2015.

Donald Trump

2014. Je n’étais pas là.

Volodymyr Zelensky

Mais de 2014 à 2022 (…) personne ne l’a arrêté. Vous savez que nous avons eu des discussions avec lui, beaucoup de discussions. Mes discussions bilatérales. Et nous avons signé avec lui. Moi, en tant que nouveau président, en 2019, j’ai signé avec lui un accord, j’ai signé avec lui, Macron et Merkel. Nous avons signé un cessez-le-feu. Un cessez-le-feu. Tous m’ont dit qu’il ne bougerait jamais. Nous avons signé avec lui un contrat sur le gaz. Mais après, il a rompu le cessez-le-feu. Il a tué notre peuple et il n’a pas échangé les prisonniers. Nous avons signé un échange de prisonniers, mais il ne l’a pas respecté. De quelle diplomatie, J.D., parlez-vous ? Que voulez-vous dire ?

J.D. Vance

Je parle de la diplomatie qui mettra fin à la destruction de votre pays.

Monsieur le Président, avec tout le respect, je pense que c’est irrespectueux de venir dans le Bureau Ovale et d’essayer de débattre de cela devant les médias américains. En ce moment, vous envoyez de force des conscrits sur le front parce que vous manquez d’hommes. Vous devriez remercier le président d’essayer de mettre fin à ce conflit.

Volodymyr Zelensky

Êtes-vous déjà allé en Ukraine ? Vous parlez de nos problèmes.

J.D. Vance

J’y suis allé…

Volodymyr Zelensky

Venez une fois.

J.D. Vance

J’ai regardé et vu les reportages, et je sais que vous emmenez des gens en tournée de propagande, Monsieur le Président. N’êtes-vous pas d’accord pour dire que vous avez des difficultés à recruter des soldats ?

Volodymyr Zelensky

Nous avons des problèmes. Je vais répondre.

J.D. Vance

Et pensez-vous qu’il soit respectueux de venir dans le Bureau Ovale des États-Unis d’Amérique et d’attaquer l’administration qui essaie de prévenir la destruction de votre pays ?

Volodymyr Zelensky

Beaucoup de questions. Commençons par le début.

J.D. Vance

D’accord.

Volodymyr Zelensky

Tout d’abord, en temps de guerre, tout le monde a des problèmes, même vous. Mais vous avez un bel océan et ne ressentez pas cela pour l’instant, mais vous le sentirez à l’avenir.

Donald Trump

Vous n’en savez rien.

Volodymyr Zelensky

Que Dieu vous bénisse, vous n’aurez pas de guerre.

Donald Trump

Ne nous dites pas ce que nous allons ressentir. Nous essayons de résoudre un problème. Ne nous dites pas ce que nous allons ressentir.

Volodymyr Zelensky

Je ne vous dis pas…

Donald Trump

Parce que vous n’êtes pas en position de nous dicter cela. Rappelez-vous ceci : vous n’êtes pas en position de nous dicter ce que nous allons ressentir. Nous allons nous sentir très bien.

Volodymyr Zelensky

Vous en ressentirez l’influence. Je vous le dis.

Donald Trump

Nous allons nous sentir très bien et très forts.

Volodymyr Zelensky

Vous en ressentirez l’influence.

Donald Trump

Vous n’êtes pas en bonne position en ce moment.

Vous vous êtes placé dans une très mauvaise position. Et il a raison à ce sujet. Vous n’êtes pas en bonne position. Vous n’avez pas les cartes en main pour le moment. Avec nous, vous commencez à en avoir.

Volodymyr Zelensky

Je ne joue pas aux cartes. Je suis très sérieux, Monsieur le Président. Je suis un président en temps de guerre…

Donald Trump

Vous jouez aux cartes. Vous jouez aux cartes. Vous jouez avec la vie de millions de personnes. Vous jouez avec la Troisième Guerre mondiale. Vous jouez avec la Troisième Guerre mondiale. Et ce que vous faites est très irrespectueux envers ce pays, ce pays qui vous a soutenu bien plus que ce que beaucoup de gens ont dit qu’il aurait dû faire.

J.D. Vance

Avez-vous dit « merci » une seule fois pendant toute cette réunion ? Non. Pendant toute cette réunion, avez-vous dit « merci » ? Vous êtes allé en Pennsylvanie et avez fait campagne pour l’opposition en octobre. Offrez quelques mots d’appréciation aux États-Unis et au président qui essaie de sauver votre pays.

Volodymyr Zelensky

S’il vous plaît. Vous pensez que si vous parlez très fort de la guerre, vous…

Donald Trump

Il ne parle pas fort. Il ne parle pas fort. Votre pays est en grande difficulté. Attendez une minute.

Volodymyr Zelensky

Puis-je répondre ?

Donald Trump

Non. Non. Vous avez beaucoup parlé. Votre pays est en grande difficulté.

Volodymyr Zelensky

Je sais. Je sais.

Donald Trump

Vous n’êtes pas en train de gagner. Vous ne gagnez pas cette guerre. Vous avez une sacrée chance de vous en sortir grâce à nous.

Volodymyr Zelensky 

Monsieur le Président, nous restons dans notre pays, nous restons forts. Depuis le début de la guerre, nous avons été seuls, et nous sommes reconnaissants. J’ai dit merci dans ce cabinet, et seulement dans ce cabinet.

Donald Trump

Vous n’avez pas été seuls. Nous vous avons donné, par l’intermédiaire de ce président stupide, 350 milliards de dollars. Nous vous avons fourni du matériel militaire. Et vos hommes sont courageux. Mais ils ont dû utiliser notre matériel militaire. Si vous n’aviez pas eu notre équipement militaire…

Volodymyr Zelensky

Vous m’avez invité…

Donald Trump

Si vous n’aviez pas eu notre équipement militaire, cette guerre aurait été terminée en deux semaines.

Volodymyr Zelensky

En trois jours. Je l’ai entendu de la bouche de Poutine : en trois jours.

Donald Trump

Peut-être moins.

Volodymyr Zelensky

C’est quelque chose, en deux semaines. Bien sûr. Oui.

Donald Trump

Ça va être très difficile de faire affaire dans ces conditions, je vous le dis.

J.D. Vance

Dites juste merci.

Volodymyr Zelensky

Je l’ai dit de nombreuses fois, merci au peuple américain.

J.D. Vance

Acceptez qu’il y ait des désaccords. Allons débattre de ces désaccords au lieu d’essayer de les exposer aux médias américains alors que vous avez tort. Nous savons que vous avez tort.

Donald Trump

Mais vous voyez, je pense qu’il est important pour le peuple américain de voir ce qui se passe. Je pense que c’est très important. C’est pourquoi j’ai laissé cette discussion durer si longtemps. Vous devez être reconnaissant.

Volodymyr Zelensky

Je suis reconnaissant.

Donald Trump

Vous n’avez pas les cartes en main. Vous êtes acculé là-bas, votre peuple meurt. Vous manquez de soldats.

Volodymyr Zelensky

Non, s’il vous plaît, Monsieur le Président.

Donald Trump

Écoutez. Vous manquez de soldats. Ce serait une sacrée bonne chose. Ensuite, vous nous dites : « Je ne veux pas de cessez-le-feu. Je ne veux pas de cessez-le-feu. Je veux continuer et obtenir ceci. » Écoutez, si vous pouviez obtenir un cessez-le-feu maintenant, je vous dirais de le prendre. Ainsi, les balles cesseraient de voler et vos hommes cesseraient de mourir.

Volodymyr Zelensky

Bien sûr que nous voulons arrêter la guerre.

Donald Trump

Mais vous dites que vous ne voulez pas de cessez-le-feu.

Volodymyr Zelensky

Mais je vous ai dit, avec des garanties.

Donald Trump

Je veux un cessez-le-feu, parce que vous obtiendrez un cessez-le-feu plus rapidement qu’un accord de paix.

Volodymyr Zelensky

Demandez à notre peuple ce qu’il pense du cessez-le-feu—

Donald Trump

Ce n’était pas avec moi. Ce n’était pas avec moi. C’était avec un type nommé Biden, qui n’était pas une personne intelligente. C’était avec Obama.

Volodymyr Zelensky

C’était votre président.

Donald Trump

Excusez-moi. C’était avec Obama, qui vous a donné des draps, et moi, je vous ai donné des Javelins.

Volodymyr Zelensky

Oui.

Donald Trump

Je vous ai donné des Javelins pour détruire tous ces chars. Obama vous a donné des draps. En fait, l’expression est : Obama a donné des draps, et Trump a donné des Javelins. Vous devez être plus reconnaissant parce que, laissez-moi vous dire, vous n’avez pas les cartes en main. Avec nous, vous avez des cartes. Mais sans nous, vous n’avez aucune carte.

Ce sera un accord difficile à conclure, car les attitudes doivent changer.

Une journaliste

Et si la Russie viole le cessez-le-feu ? Et si la Russie rompt les négociations de paix ? Que ferez-vous dans ce cas ? Je comprends que la conversation est tendue.

Donald Trump

Que dites-vous ?

J.D. Vance

Elle demande : et si la Russie viole le cessez-le-feu ?

Donald Trump

Et si quoi que ce soit ? Et si une bombe tombait sur votre tête maintenant ? OK ? Et s’ils le violaient ? Je ne sais pas, ils l’ont fait avec Biden, parce qu’ils ne le respectaient pas. Ils ne respectaient pas Obama. Ils me respectent.

Laissez-moi vous dire, Poutine en a bavé avec moi. Il a traversé une fausse chasse aux sorcières où ils l’ont utilisé, ainsi que la Russie, la Russie, la Russie, la Russie. Vous avez déjà entendu parler de cette affaire ? C’était un mensonge. C’était une arnaque impliquant Hunter Biden et Joe Biden. Hillary Clinton, le sournois Adam Schiff. C’était une arnaque des démocrates. Et il a dû traverser cela. Et il l’a fait. Nous n’avons pas fini en guerre. Et il a dû le supporter. Il était accusé de toutes ces choses. Il n’avait rien à voir avec ça. C’était sorti de la chambre à coucher de Hunter Biden. Ça venait de la chambre à coucher de Hunter Biden. C’était dégoûtant. Et puis ils ont dit : « Oh, l’ordinateur portable de l’enfer a été fabriqué par la Russie ». Les 51 agents. Tout cela n’était qu’une escroquerie. Et il a dû supporter tout cela.

On l’accusait de toutes ces choses. Tout ce que je peux dire, c’est ceci : il a peut-être rompu des accords avec Obama et Bush, et peut-être avec Biden. Il l’a fait. Peut-être. Peut-être qu’il ne l’a pas fait. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Mais il ne les a pas rompus avec moi. Il veut conclure un accord. Je ne sais pas s’il peut conclure un accord.

Le problème, c’est que je vous ai donné du pouvoir pour être un dur à cuire, et je ne pense pas que vous auriez été un dur à cuire sans les États-Unis. Et votre peuple est très courageux.

Volodymyr Zelensky

Merci.

Donald Trump

Mais soit vous concluez un accord, soit nous nous retirons. Et si nous nous retirons, vous devrez vous battre. Je ne pense pas que ce sera joli, mais vous devrez vous battre.

Mais vous n’avez pas les cartes en main. Une fois que nous signerons cet accord, vous serez dans une bien meilleure position. Mais vous ne montrez aucun signe de gratitude. Et ce n’est pas une bonne chose. Honnêtement, ce n’est pas une bonne chose.

Très bien. Je pense que nous en avons assez vu. Qu’en pensez-vous, hein ? Ça va faire de la très bonne télévision. Je peux vous le dire. Très bien. Nous verrons ce que nous pouvons faire pour arranger cela. Merci.

En sortant de la paralysie politique, le Liban se remet à espérer

En sortant de la paralysie politique, le Liban se remet à espérer

par Jean-Baptiste Noé – Revue Conflits – publié le 25 février 2025

https://www.revueconflits.com/en-sortant-de-la-paralysie-politique-le-liban-se-remet-a-esperer/


L’élection d’un nouveau président et le cessez-le-feu conclu avec le Hezbollah permet d’espérer des jours plus radieux pour le Liban et les Libanais. Il y a encore fort à faire pour restaurer l’économie et la politique du pays du Cèdre. 

Le temps est loin de l’âge d’or des années 1950 et 1960 où le Liban était un îlot de stabilité au Moyen-Orient et un refuge pour les intellectuels arabes qui trouvaient à Beyrouth un havre de paix et de liberté pour fuir les régimes autoritaires de la région. L’ancienne « Suisse de l’Orient » n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ravagé par des décennies de guerre ponctuées de massacres et de destructions, et gangréné par un clanisme politique corrompu, l’État libanais est aujourd’hui un État failli. Aussi la défaite du Hezbollah et de l’axe iranien face à Israël et l’élection en janvier d’un nouveau gouvernement à Beyrouth pourraient-elles permettre au pays du Cèdre de se reconstruire et de se doter d’institutions régaliennes dirigées par des fonctionnaires compétents plutôt que par des clientèles communautaires. Pour Alain Bifani, directeur des Finances au Liban pendant vingt ans et figure de l’opposition à la corruption, « la fenêtre qui vient de s’ouvrir est l’opportunité pour le Liban d’enfin engager une transition de fond qui ne peut passer que par le renouvellement des élites dirigeantes. »

Une corruption endémique : l’héritage de la reconstruction post guerre civile

Tout a commencé par la sortie de crise après la longue guerre civile (1975-1989) lorsque le pouvoir est tombé entre les mains des anciens chefs miliciens, avides d’accaparer leur « part du gâteau » et qui ont mis le pays en coupe réglée. La reconstruction de l’État libanais s’est traduite par un lent déclin de ses institutions, rongées par une corruption endémique d’une part, et par les nombreuses difficultés posées par les occupations étrangères (israélienne et syrienne) de l’autre. Selon l’expression de Fabrice Balanche, la reconstruction ne fut que « la continuation de la guerre civile par d’autres moyens ». Autrement dit, la fragmentation territoriale du Liban sur une logique confessionnelle a persisté après 1990, et elle explique toujours la faiblesse actuelle de la souveraineté de l’État.

De fait, la nouvelle constitution entérinée par les accords de Taëf n’a fait qu’affaiblir le rôle du président de la République, chrétien maronite, en renforçant celui du Premier ministre, sunnite, et du président du Parlement, chiite. C’est donc un système qui repose sur un consensus permanent de toutes les forces politiques en présence, c’est-à-dire une « vétocratie » où personne n’a les moyens d’engager des réformes structurelles. La guerre continue autour de la table du conseil des ministres dans un contexte de délitement de l’état de droit où les chefs de clans bénéficient d’une impunité totale. Sans autorité et sans vision, le Liban est depuis condamné au brigandage politique. Une anarchie dans laquelle les élites se partagent les richesses selon leurs intérêts communautaires et familiaux, et où le travail de fond des technocrates et du personnel administratif n’a aucune marge de manœuvre.

À cela se sont ajoutées les limites de la politique de reconstruction nationale conduite par Rafic Hariri — un homme d’affaires libano-saoudien nommé Premier ministre en 1992. En voulant refaire de Beyrouth un centre financier régional et une destination touristique pour les monarchies du Golfe, Hariri a sacrifié l’agriculture et l’industrie libanaises à tel point que le Liban a fini par importer 80 % de ce qu’il consomme. Dans le même temps, les clientèles au pouvoir se sont bâti des empires immobiliers en obtenant tous les permis de construire dans les zones les plus lucratives de Beyrouth et en puisant dans les fonds publics. Pire encore, cette oligarchie s’est financée via un modèle qui s’est avéré être une « pyramide de Ponzi » géante : pour financer sa dette, la banque centrale libanaise pratiquait des taux outrancièrement généreux pour attirer les capitaux étrangers et ceux de la diaspora. Une dette le plus souvent utilisée à des fins personnelles par les élites corrompues, ce qui a laissé les infrastructures et les services publics du pays dans un état calamiteux. La crise était inéluctable dès les années 2000.

Un État failli à bout de souffle

Alors que les vagues d’émigration syrienne mettent déjà l’économie à rude épreuve, les événements s’accélèrent à partir de 2019.

En octobre, l’annonce d’une nouvelle taxe sur la messagerie WhatsApp précipite dans la rue un mouvement révolutionnaire qui conspue la corruption des élites. Puis, les banques imposent des premières restrictions sur les retraits bancaires et les transferts de dollars vers l’étranger, créant une panique chez les déposants. En mars 2020, l’abcès est crevé, le Liban fait défaut sur sa dette pour la première fois de son histoire, tandis qu’en août, une explosion dévaste le port de Beyrouth provoquant en plus d’un traumatisme social, des dégâts matériels de plusieurs milliards de dollars. La livre libanaise subit une flambée qui la fait bondir d’un taux de 1500 pour 1 dollar à plus de 80 000 en 2023, plongeant la majeure partie de la population dans la pauvreté en pleine pandémie de Covid…

Le bilan est apocalyptique. 80 % de personnes sous le seuil de pauvreté, une inflation à trois chiffres pendant plusieurs années, des centaines de milliers de personnes qualifiées quittent le pays vers des horizons plus radieux. Entre 2018 et 2024, le PIB du Liban a chuté de 55 milliards de dollars à 16 milliards, soit une baisse d’environ 70 %. La contraction est si brutale qu’elle est considérée par la Banque mondiale comme une des trois pires dépressions qu’ait connues le monde depuis le milieu du XIXe siècle. Dans un pays où il faisait encore bon vivre quelques années auparavant, les gens n’ont désormais plus que quelques heures d’électricité par jour et peinent à accéder à l’eau potable.

L’État régalien et le service public, quant à eux, ont presque disparu de la carte. Les militaires sont payés au lance-pierre et sont sans moyens face aux milices communautaires. Médecins, infirmières et professeurs ont émigré en masse. Le pays est maintenu sous perfusion par sa diaspora pendant que le Hezbollah refuse l’aide internationale du FMI sous conditions de réformes, lesquelles le priverait notamment des revenus du captagon syrien.

Enfin, les quelques hauts fonctionnaires qui ont tenté d’imposer un gouvernement de transition basé sur la compétence plutôt que le clientélisme sont ignorés ou poussés à l’exil. Ainsi des technocrates compétents ont été placardisés ou entravés. C’est le cas par exemple d’Alain Bifani – l’ancien directeur général des Finances qui avait accompli « l’œuvre herculéenne », selon l’économiste et ancien ministre des Finances George Corm, de réaliser une reconstruction complète et un audit des comptes financiers de l’État libanais – qui a dû démissionner malgré le soutien que les bailleurs internationaux avaient apporté à ses tentatives de redresser les finances publiques et de restructurer le secteur bancaire afin de protéger les déposants.

La défaite du Hezbollah ouvre un espace pour l’espoir

Le malheur du Liban est dans son voisinage. Situé sur une faille tectonique entre Israël et la Syrie, il a toujours été une « caisse de résonance » des conflits régionaux, tantôt sacrifié sur l’autel du panarabisme de Nasser et de l’irrédentisme syrien, tantôt sur celui de la cause palestinienne et de « l’axe de résistance » iranien. Ces dernières décennies, le pays du Cèdre est surtout devenu la proie de la République islamique iranienne, pour ne pas dire sa colonie.

En satellisant la communauté chiite libanaise via son bras armé, le Hezbollah, Téhéran a progressivement infiltré toutes les institutions du Liban en constituant un véritable État dans l’État. Cette prédation, en plus de bloquer toute résolution durable de la crise économique, a finalement provoqué les deux interventions israéliennes destructrices de 2006 et 2024. « Au-delà d’un changement de dirigeants, le pays doit cesser d’être une terre de convoitises », expliquait d’ailleurs l’universitaire Joseph Maïla pour Ouest France en 2020.

Toutefois, la décapitation du commandement du Hezbollah et sa défaite face aux troupes de l’État hébreu en 2024 ont changé la donne. « Le Hezbollah est affaibli militairement et politiquement », affirme ainsi Ghassan Salamé, professeur à Sciences Po, au micro de Radio France. Avec la chute du régime de Bachar El-Assad en Syrie le 9 décembre, la défaite de la milice chiite marque un revers significatif de la puissance iranienne dans la région qui aura besoin de temps avant de retrouver ses forces. Si le Hezbollah n’est pas mort comme force politique, son affaiblissement et le cessez-le-feu ont rapidement permis l’élection d’un président et la nomination d’un Premier ministre au Liban le 9 janvier 2025, après deux ans de vacance du pouvoir. « La logique voudrait qu’aujourd’hui, il soit plus difficile qu’auparavant d’entraver les réformes et de protéger la classe politique corrompue, et cela constitue une ouverture significative pour le renouvellement du Liban.», selon Alain Bifani. La recomposition des forces politiques dans les ministères marque tout du moins la sortie du Liban de l’orbite iranienne, sachant qu’Israël garde un œil attentif sur la situation du Sud-Liban.

C’est donc peut-être une nouvelle phase politique qui s’ouvre sur les décombres du pays. La fenêtre est étroite et le chantier est immense, mais il y a bien un espace en ce moment géopolitique charnière pour que le peuple libanais reprenne les rênes de son destin et s’affranchisse des puissances étrangères en se constituant un État fort et moderne. Pour sortir de l’ornière, l’État doit rapidement poser le bon diagnostic. La priorité est d’abord de renouveler la classe dirigeante en substituant aux élites prédatrices des hommes compétents qui ne manquent pas au Liban et dans la diaspora. L’autre est de couper définitivement avec les tutelles iranienne et syrienne afin de rassurer la diaspora et les investisseurs, cesser l’émigration de masse et reconstruire l’économie. Autant de mesures ardues qui pourraient permettre au Liban de renaître de ses cendres, si tant est que le gouvernement en ait les moyens et qu’un sentiment de « libanité » supra-confessionnel au sein de la population parvienne à surpasser les clivages communautaires de toujours.

Afrique : Au revoir France, bonjour Russie

Afrique : Au revoir France, bonjour Russie

Pascal Le Pautremat (*) – Esprit Surcouf – publié le 21 février 2025
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf

https://espritsurcouf.fr/billet-de-pascal-le-pautremat-afrique-au-revoir-france-bonjour-russie-n251-210225/


De nombreux militaires et diplomates français blâment, à juste raison, la politique d’Emmanuel Macron qui, seul le plus souvent ou avec quelques conseillers, a conduit au recul de la France et à un ternissement de son image en Afrique. Christophe Gomart, ancien chef du 13ème RDP (régiment de dragons parachutistes) puis du COS (Commandement des opérations spéciales) devenu Député européen, pour les Républicains, s’est même plié d’un article lapidaire, fustigeant l’actuel locataire de l’Elysée dans Valeurs actuelles (« Afrique adieu », publié le 13 février 2025).

Realpolitik oblige, si la France recule en Afrique, la Russie avance ses pions, renouant avec sa politique africaine dont l’empreinte depuis l’ère soviétique, demeure finalement assez forte.

Le Kremlin démultiplie ses implantations et points d’ancrage sur un continent africain qui conserve intacte son image addictive de véritable réserve de terres rares ou minerais d’importance stratégique à haute valeur ajoutée.

Au Soudan, c’est un nouveau pôle multimodal russe qui se profile, sur le littoral de la Mer rouge, sans doute pour contrebalancer la perte de fiabilité des ports de Tartous et Lattaquié en Syrie, suite au changement de régime – avec des djihadistes jouant les repentis – auquel les Russes ne goûtent guère a priori ; différence notable, soit dit au passage, avec les Européens et l’Etat français qui témoignent d’une certaine crédulité à l’égard du nouvel « Etat » syrien. La Russie va donc disposer d’un point d’ancrage en terre soudanaise, susceptible d’accueillir plusieurs navires de guerre y compris des bâtiments à propulsion nucléaire. Lorsque l’on sait que les Français, les Américains et les Chinois (sans oublier les Turcs) ont leur socle djiboutien, la Mer rouge risque de devenir brûlante dans les années à venir.

Confortant son retour en Afrique, en s’appuyant notamment sur la Libye, le Kremlin déploie les éléments d’un Africa Corps, véritable tête de pont interarmes, qui est venu largement se substituer à la société militaire privée Wagner, créée par Evgueni Prigojine (mort en août 2023).

Quelques milliers militaires et paramilitaires sont ainsi répartis entre les pays de l’Afrique pansahélienne ; pays qui, depuis 5 ans, ont tous vu s’afficher des régimes militaires dits de transition, tranchant ostensiblement avec la posture encline à la coopération avec la France des régimes antérieurs : Mali, Guinée, Burkina Fasso, Niger, Tchad…auquel il faut ajouter le Soudan, pays anglophone où l’on a enregistré 18 épisodes de déstabilisation par des militaires, depuis 1950… Et même si la Guinée équatoriale a résisté à la dernière tentative de coup d’Etat connu, en 2018, les Russes y auraient déployé plus de 800 hommes, pour consolider le régime de l’ancien militaire Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, au pouvoir depuis 1979…

Les mutations cycliques des régimes africains ont fini par desservir la posture de la France, en tant que nation cadre. Comme quoi, l’Afrique reste ancrée dans cette prégnante habitude, depuis notamment les années 1950, en dehors de l’espace maghrébin, des coups de force militaires. Ainsi, depuis le milieu des années 1950 jusqu’en 2001, on a pu dénombrer quelque 327 opérations de déstabilisation qui se sont traduites par 139 tentatives avortées, 108 coups d’Etat qui ont tourné court et 80 putschs militaires considérés comme réussis et inscrits dans la durée.

Les Russes témoignent également d’une présence de plus en plus influente en République centrafricaine, forts d’une stratégie du soft power assez efficace, via la création de divers centres culturels, appelées les Maisons russes, que l’on observe d’ailleurs dans les pays précédemment cités, outre la Somalie. Le lobbying culturel, avec la promotion de la culture et de la langue russe, se combine avec une diffusion de la nouvelle approche des relations internationales, au profit des pays dits émergents (cf BRICS), au gré d’une multipolarité en butte avec l’Occident.

À cela s’ajoutent les jeux commerciaux, avec notamment les ventes d’armes. La Russie est ainsi devenue le premier exportateur d’armes en Afrique, au gré d’une montée en puissance constatée tout au long des années 2010. Elle assure ainsi 24% des importations d’armes sur le continent africain entre 2919 et 2023, selon l’Institut international de recherche sur la paix (Sipri). En 2023, la Russie a vendu des équipements militaires pour près de 4,6 milliards d’euros, via sa célèbre entreprise nationale Rosoboronexport.

N’oublions pas non plus les exportations de céréales qui, en 2024, ont profité à plus de 25 pays africains, à hauteur de 14,8 millions de tonne de blés, soit une hausse de 14,4% des ventes par rapport à 2023. À eux seuls, le Burkina Faso, l’Érythrée, le Mali, la République centrafricaine et la Somalie auraient reçu près de 200.000 tonnes de céréales entre novembre 2023 et le premier trimestre 2024.

Conjointement, c’est une myriade d’entreprises qui œuvrent pour obtenir divers contrats dans le secteur minier et celui des hydrocarbures. Parmi les plus connues, citons le groupe pétrolier Lukoil, pour les concessions acquises au Ghana, Cameroun, en République du Congo mais aussi au Nigeria, la multinationale Rusal, poids lourds de la production d’aluminium, pour la bauxite ou encore le producteur de diamants bruts Alroa, pour des extractions en Angola et au Zimbabwe.

La situation d’influence croissante de la Russie dans le sud Sahara, et au Mali en particulier, ne doit pas pour autant faire oublier le rapprochement algéro-russe qui s’est traduit par le renouvellement en juin 2023, d’un partenariat stratégique initialement établi en 2001…

Toujours est-il que la multipolarité de l’Afrique se conforte…avec une floraison de rapports de force sans qu’en France, et encore moins à l’échelle européenne, une géostratégie corrective et adaptée ne soit adoptée. Des voix s’élèvent dans toutes les directions, chacun y va de son credo, entre belles intentions et gesticulations de salon. Mais, dans les faits, plus rien, ou presque. Oui, vraiment, le président de la République fut, une fois de plus, bien inspiré lorsqu’il supprima, en 2022, le corps des diplomates.

Et lorsque l’on se remémore la formule de Bruno Lemaire qui promettait de mettre la Russie à genoux, « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe » (cf Février 2022) aujourd’hui, c’est plutôt, désormais, la France qui se trouve exsangue…Mais visiblement, la honte ou le sentiment de culpabilité n’étouffe personne sous les ors de la République.

                                                      ________________________

Pour son 251ème numéro, Espritsurcouf a fait le choix de porter un regard appuyé les femmes  qui s’investissent le secteur de la Défense. Ainsi, Michèle Alliot-Marie, qui occupa notamment la fonction de ministre de la Défense, a bien voulu répondre à nos questions et revenir sur l’augmentation de la composante féminine des armées à laquelle elle fut favorable et en permit les premières concrétisations fortes : « Les femmes et la Défense » (rubrique HUMEURS).

Pour autant, la place comme le rôle des femmes dans le monde de la guerre ne sont pas récents. Les femmes ont ainsi témoigner d’influence notoires, sinon décisives dans diverses périodes marquantes de notre Histoire. Certaines ont même été immortalisées, figures éternelles de la grâce en action. André Dulou parcourt ainsi ces périodes marquantes durant lesquelles des femmes illustres ont imprégné de leur charisme la vie publique, et continuent de le faire : « Des femmes militaires, des femmes de militaires » (rubrique DEFENSE).

Dans un tout autre domaine, Eric Stemmelen revient sur l’attentat qui frappa, en janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo et n’hésite pas, fort de son expertise et son expérience, à poser la question sur les possibles failles des services de sécurité et de protection : « Pouvait-on éviter l’attaque terroriste sur Charlie Hebdo ? » (rubrique SECURITE).

Afin de prolonger la question russe sur le continent africain, Laure Fanjeau vous propose une série de documentaires pertinents, autant que précieux qui permettent d’avoir une vue d’ensemble de ce sujet sensible au cœur des enjeux géopolitiques (VIDEOS de GEOPOLITIQUE).

André Dulou, d’autre part, nous propose un nouveau SEMAPHORE en insistant sur une certaine jeunesse désœuvrée et que l’on peut considérer en perdition : « L’ensauvagement des jeunes ».

Enfin, en matière de lecture, pour clore une série d’ouvrages en lien avec l’histoire de la Russie, nous portons votre attention, cette fois, sur les relations qui existaient entre la France et la terre des tsars, entre la fin du XIXème siècle et la fin de la Première Guerre mondiale, à une période où il s’agissait aussi de pouvoir combiner les stratégies des alliés (Grande-Bretagne, France et Russie) face à la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie). Jean-Paul Bled, professeur émérite de l’université Paris-Sorbonne  éminent spécialiste de l’Europe centrale, en assure la direction : Une amitié complexe. Les relations franco-russes 1898-1918Ed. L’Harmattan, 2024, 338 pages. (rubrique LIVRES).

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.

 

Allemagne : la CDU en tête, vers une nouvelle coalition

Allemagne : la CDU en tête, vers une nouvelle coalition

par Revue Conflits avec AFP – publié le 24 février 2025

https://www.revueconflits.com/allemagne-la-cdu-en-tete-vers-une-nouvelle-coalition/


La CDU est arrivée en tête et a gagné les élections législatives en Allemagne. Mais la dispersion des voix contraint à une nouvelle coalition. Si le chancelier change, la politique suivie sera à peu près similaire.

L’Allemagne est passée d’une coalition rouge, vert, noire à une coalition rouge, vert, noire. Seule la taille des couleurs a changé.

Avec 208 sièges, la CDU est arrivée en tête. Mais elle n’atteint pas la majorité des 315 sièges. Comme elle refuse toute alliance avec l’AfD (152 sièges), il lui faudra faire alliance avec le SPD (120 sièges). En clair, le chancelier va changer, mais la coalition restera la même. Et donc, la politique suivie par l’Allemagne ne sera guère différente. Un gouvernement qui est par ailleurs le même que celui des années Merkel, où celle-ci a presque toujours gouverné avec les voix du SPD. Certains pourront appeler cela une coalition, d’autres, de l’immobilisme.

Une Allemagne divisée

La carte des partis arrivés en tête dans les circonscriptions montre une Allemagne profondément divisée. À l’ouest, la CDU ; à l’est, l’AfD. Rien n’a changé et le mur politique et mental n’est pas tombé, comme le démontre Jean-Marc Holz dans un article paru dans le numéro 56 de Conflits.

Le SPD dispose encore de quelques bastions, notamment à Hambourg. Die Linke a un fief à Berlin, les Verts sont présents dans les grandes villes de l’ouest, notamment Cologne. En Allemagne, le temps passe, mais l’histoire semble demeure la même.

Les partis « extrêmes » totalisent 301 sièges à eux trois. La gauche communiste est toujours présente et les Verts captent toujours un nombre important de voix, en dépit de la faillite de leur politique, notamment énergétique. La CDU n’a pas atteint les 30% des voix, comme elle l’espérait. Surgit donc le problème central d’une coalition : obliger des contraires à gouverner ensemble et donc aboutir à l’immobilisme. En rassemblant un tiers des députés, les partis du mouvement, fut-il radical et violent, démontrent qu’une grande partie de l’électorat allemand ne veut plus de cette immobilité dont Merkel fut le grand thuriféraire. Les semaines qui viennent s’annoncent agitées pour former un gouvernement d’une part, pour répondre aux problèmes des Allemands d’autre part.

Brève histoire des Renseignements généraux (RG)

20/02/2025

https://aassdn.org/amicale/breve-histoire-des-renseignements-generaux-rg/


Les Renseignements généraux (RG) ont joué un rôle clé dans la collecte et l’analyse d’informations sur la vie institutionnelle, économique et sociale en France. Depuis leur origine sous Napoléon Ier jusqu’à leur intégration dans le renseignement territorial moderne, leur mission a évolué au gré des menaces et des enjeux de sécurité nationale. Retour sur l’histoire d’un service central à la fois discret et stratégique.

Avec pour lignes directrices la recherche de renseignement sur la vie institutionnelle, économique et sociale et les phénomènes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public et à la sûreté générale, les Renseignements généraux ont vu leur périmètre d’action et leur organisation fluctuer au fil des temps.

La chute de la monarchie française en 1792 ouvre une période agitée, durant laquelle l’activité de police fait l’objet de nombreuses réorganisations. En février 1800, Bonaparte créé la Préfecture de police de Paris et sa division « Sûreté générale et police secrète », prémices du premier service organisé pour prendre en compte les activités de renseignement en France.  
En 1811, des « commissaires spéciaux [1] » sont attachés à la surveillance de l’opinion, des opérations de commerce, des mouvements des ports, des communications avec l’étranger, des associations politiques et religieuses.

Sous le Second Empire, Napoléon III édicte un décret qui place 30 commissaires spéciaux de police [2] sous la tutelle des préfets et du ministère de l’Intérieur. Outre la répression des infractions de droit commun, ils sont chargés du suivi de l’état de l’opinion publique. En 1861, de nouvelles directives viennent élargir leurs prérogatives, notamment en ce qui concerne la police des ressortissants étrangers et celle des ports et des frontières. Ces commissaires spéciaux constituent la première implantation territoriale durable de l’activité de renseignement.

La structuration progressive des RG

Confrontée aux mouvements anarchistes et aux attentats qu’elle ne parvient pas à endiguer seule, la police française commence à s’engager pleinement dans la coopération internationale, après l’assassinat de l’impératrice d’Autriche en 1898.

En 1907, une vaste réforme de l’organisation policière est engagée par Georges Clémenceau, alors Président du conseil et ministre de l’Intérieur. Ce dernier instaure des brigades régionales mobiles, plus connues sous le nom de « Brigades du Tigre », qui sont principalement chargées de lutter contre le crime organisé.  

En parallèle, il crée une autre brigade en charge de la police judiciaire et des renseignements généraux, placée au sein de la Sûreté générale. Le dispositif est complété, en 1911, par le nouveau service des renseignements généraux de police administrative qui a pour mission de prévenir les troubles à l’ordre public. 
Par ailleurs, le gouvernement encourage le développement à Paris d’un service de renseignement possédant des attributions similaires. Les Renseignements généraux de la préfecture de police (RGPP), ainsi que le service des renseignements généraux et des jeux, sont ainsi créés en 1913.

En avril 1937 sous le Front Populaire, le président du Conseil Léon Blum et le ministre de l’Intérieur Max Dormoy expérimentent une nouvelle Commission interministérielle du renseignement, réunie chaque semaine autour du président du Conseil, pour faciliter l’échange d’informations au plus haut niveau.

L’après-guerre impose de nouvelles missions

Dès novembre 1944, le Général de Gaulle restructure les services de renseignement et de contre-espionnage. Il crée la direction de la surveillance du territoire (DST) et confirme dans leurs missions les Renseignements généraux, placés au sein de la sûreté nationale. Le suivi de la vie politique, économique et sociale, ainsi que la surveillance des hippodromes et des établissements de jeux, leur sont confiés. 

L’appellation historique de « direction centrale des renseignements généraux » (DCRG) apparait en octobre 1968. Peu après, la DCRG intègre la nouvelle direction générale de la police nationale (DGPN) qui succède à la Sûreté nationale.

Au cours des années 70, les RG sont chargés de missions de recherche de renseignement concernant les phénomènes terroristes. Ils contribuent à l’identification des réseaux terroristes et notamment islamistes, en lien étroit avec la direction de la surveillance du territoire (DST) et les renseignements généraux de la préfecture de police (RGPP) à Paris.

Dans les années 90, les RG doivent également faire face aux phénomènes de violence urbaine, aux dérives sectaires ou au hooliganisme, qui ont une incidence sur la sécurité et l’ordre public. Ils s’intéressent aussi aux nouvelles formes de contestation sociale. Ils surveillent les groupements à risque ou les individus susceptibles de se livrer à des actions violentes, prônant des idéologies extrémistes, séparatistes (basques, corses), ou portant atteinte aux principes démocratiques. 
Le suivi de l’activité et du fonctionnement interne des partis politiques lui est retiré.

En dépit des activités et des cultures complémentaires des RG et de la DST, le contexte sécuritaire du début des années 2000 fait apparaître un besoin d’intensification de la coopération entre les services de renseignement du ministère de l’Intérieur. Une refonte des services de renseignement policier est décidée au plus haut niveau en 2007. La DCRG est alors supprimée par le décret n°2008-609 du 27 juin 2008.

Ses attributions sont en partie transférées à la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui deviendra l’actuelle DGSI en 2014. À l’inverse, ses missions relatives à la vie institutionnelle, économique et sociale, et aux phénomènes de violence urbaine susceptibles d’intéresser l’ordre public sont confiées à la sous-direction de l’information générale (SDIG) de la DGPN. Ce service forme l’ossature de l’actuel service central du renseignement territorial (SCRT), créé en 2014. Simultanément, l’activité de contrôle des établissements de jeux et de courses est définitivement transférée à la police judiciaire (DCPJ).

[1] Créés par décret impérial du 25 mars 1811
[2] Créés par décret du 22 février 1855

Source : DGSI

La chance de l’Europe pour déjouer la vassalisation de l’Ukraine

La chance de l’Europe pour déjouer la vassalisation de l’Ukraine

Poutine et Trump voudraient vassaliser l’Ukraine sans les Européens.
Mais l’Union détient encore l’une des cartes les plus fortes de la table des négociations.
Si elle tarde trop à la jouer, elle pourrait perdre la partie.Lee Buchheit, l’une des sommités mondiales sur la question des dettes souveraines, formule une proposition simple et claire pour éviter de laisser les Empires se partager la mise.
James Gillray, « The Plumb-pudding in danger; — or — State Epicures taking un Petit Souper », 1805. Domaine public

En 1805, le caricaturiste anglais James Gillray publiait une illustration célèbre intitulée The Plumb-pudding in danger ; — or — State Epicures taking un Petit Souper. Le dessin représente le Premier ministre britannique, William Pitt, et l’Empereur des Français, Napoléon Bonaparte, assis à une table en train de se partager un énorme pudding aux prunes en forme de globe. Le Premier ministre Pitt tient fermement l’hémisphère occidental en place à l’aide d’un trident et se découpe proprement le Nouveau Monde. L’Empereur semble de son côté satisfait de se trancher une part qui comprend toute l’Europe à l’est des îles britanniques.

C’est une caricature devant laquelle aucun Ukrainien, ni d’ailleurs aucun Européen, ne peut rester indifférent en février 2025.

La semaine dernière, le président américain Donald Trump a annoncé qu’il s’était entretenu près d’une heure et demie au téléphone avec le président russe Vladimir Poutine. Ils ont notamment discuté de la fin de la guerre en Ukraine. À Bruxelles, le même jour, le nouveau secrétaire à la Défense de Donald Trump a publiquement qualifié d’« irréalistes » les principales conditions que l’Ukraine est susceptible de demander dans le cadre d’un règlement négocié du conflit. Il s’agit notamment de la restitution des territoires ukrainiens  occupés par les forces russes et de solides garanties de sécurité, y compris  l’adhésion à l’OTAN, ou du moins la participation active des États-Unis, afin de s’assurer que la Russie ne tente pas de répéter l’expérience une fois que son armée aura eu le temps de se regrouper et de se réarmer. Il est inconcevable que ces évaluations des conditions de paix ukrainiennes « irréalistes » n’aient pas été partagées avec Vladimir Poutine lors d’une conversation téléphonique de 90 minutes.

Il est apparu par la suite que Poutine et Trump prévoyaient de se rencontrer en Arabie Saoudite en l’absence de l’Ukraine et des représentants des alliés européens de Kiev afin de régler les conditions  de l’accord de paix. Après celle entre Marco Rubio et Sergueï Lavrov du 18 février à Ryiad, il y a de fortes probabilités qu’une telle rencontre permettrait aux deux participants de se mettre d’accord. Les chances de parvenir à un « deal » sont généralement meilleures lorsque l’on concède à son adversaire ses principales demandes avant même le début des négociations.

Tout cela rappelle de manière inquiétante la géopolitique du XIXe siècle. De grandes puissances, ou de « grands hommes », s’assoient autour d’une table, au-dessus d’une carte, et se répartissent le stylo à la main les territoires et les sphères d’influence sans tenir compte — ou très peu — de l’avis de ceux qui y habitent.

Pour l’Ukraine, le pire des scénarios, ou du moins l’un des plus mauvais, pourrait se dérouler de la manière suivante :

  • Poutine et Trump conviennent d’un accord prévoyant que la Russie conserve ou étende ses gains territoriaux en Ukraine et laisse le reste d’une Ukraine indépendante sans garantie de sécurité américaine solide. 
  • Les autorités ukrainiennes devraient alors : soit accepter ces conditions sans sourciller ; soit risquer de passer aux yeux de Donald Trump pour des ingrats. Or dans le deuxième cas, la sanction pour avoir rejeté un accord négocié par Donald Trump lui-même risquerait tout simplement de se traduire par la fin du soutien financier américain. 

Cela poserait deux problèmes aux alliés européens de l’Ukraine :

  • Tout d’abord, sont-ils prêts sans la participation des États-Unis à fournir à l’Ukraine des garanties de sécurité qui, si elles étaient déclenchées, risqueraient de faire de faire d’eux des co-belligérants dans une guerre avec le deuxième plus grand arsenal nucléaire du monde ?
  • Deuxièmement, sont-ils  prêts à fournir à l’Ukraine, là encore sans l’appui de Washington, les fonds nécessaires pour continuer à résister à l’invasion russe  plutôt que de capituler devant un règlement défavorable du conflit ?

Bien sûr, les événements pourraient ne pas se dérouler de cette façon.

Poutine pourrait se présenter à la table des négociations en Arabie saoudite avec des exigences supplémentaires — telles que le  retrait de toutes les troupes de l’OTAN d’Europe de l’Est — que même Trump  aurait du mal à accepter. Autre possibilité : le contrecoup politique aux États-Unis de l’abandon d’un allié américain « aussi longtemps qu’il le faudra » pourrait devenir trop  inconfortable, même sous cette administration. 

Cela étant dit, les événements pourraient tout aussi bien se dérouler de cette façon.

Face à ces changements spectaculaires de la politique américaine, les alliés de l’Ukraine ne peuvent pas rester comme des lapins paralysés par la lumière des phares. Une mesure pourrait être prise rapidement pour atténuer la menace américaine d’un retrait du soutien financier si l’Ukraine ne se soumettait pas à des conditions de règlement inacceptables : utiliser les actifs russes gelés depuis 2022 pour soutenir une ligne de crédit au bénéfice de Kiev. Une proposition allant dans ce sens, baptisée « prêt en réparation », a été lancée l’année dernière 1.

Le mécanisme juridique qui la sous-tend est d’une grande simplicité. Les pays détenant des actifs russes gelés prêteraient jusqu’à 300 milliards de dollars à l’Ukraine, garantis par l’engagement de Kiev à réclamer des dommages et intérêts à la Russie pour les dommages causés par l’invasion. Cette demande, en droit, est indubitable. Cela placerait ces  pays dans une position où ils ont une créance sur la Russie (la demande en  réparation héritée de l’Ukraine) correspondant exactement à leur dette envers la Russie  (les avoirs gelés), l’équilibre de ce mécanisme reposant sur la compensation des créances réciproques.

Pour les alliés de l’Ukraine, cette option présenterait les avantages suivants : 

  • Le maintien du financement de l’Ukraine serait assuré même en cas de retrait du soutien américain.
  • Ce financement ne proviendrait pas des contribuables des pays alliés mais, indirectement, des contribuables russes.
  • Dotée d’une source de financement sûre, non soumise aux caprices des politiciens américains, l’Ukraine retrouverait un poids considérable dans le processus de paix. Les inquiétudes qui semblent avoir provoqué une paralysie de la part des pays européens détenant les avoirs gelés — de vagues préoccupations concernant le droit international et les dommages potentiels à la réputation de l’Union en tant que garant de la sécurité des avoirs d’États étrangers — semblent dérisoires par rapport au risque qu’un pays européen soit contraint de céder à la fois son territoire et son indépendance politique à un voisin détenteur de l’arme nucléaire.
  • Les alliés de l’Ukraine détiendraient un privilège sur les actifs gelés de la Russie et une garantie sur la demande de réparation de l’Ukraine contre la Russie. En d’autres termes : la mise en place d’un tel mécanisme garantirait que personne à la table des négociations ne puisse céder sur les actifs ou la demande de réparation sans le consentement de ces pays.
  • Enfin, cela démontrerait que l’Europe a encore en main des cartes très fortes — et qu’elle est prête à les jouer.

Sources
  1. Hugo Dixon, Lee Buchheit et Daleep Singh, Ukrainian Reparation Loan : How it Would Work, 20 février 2024. SSRN : https://ssrn.com/abstract=4733340