Une mission universelle pour la France ? par Michel Pinton

Une mission universelle pour la France ?

par Michel Pinton* – CF2R – Tribune libre N°157 / août 2024

https://cf2r.org/tribune/une-mission-universelle-pour-la-france/


*Ancien élève de l’École Polytechnique et de l’université Princeton, il fut l’un des collaborateurs de Valéry Giscard d’Estaing au ministère de l’Économie et des Finances puis à la présidence de la République. Membre fondateur puis délégué général de l’UDF (1978-1983), Michel Pinton a été également député européen et maire de Felletin (Creuse).

 

 

Le peuple français, s’il veut survivre, a besoin d’une politique étrangère de portée mondiale. Ce n’est pas moi qui ose une idée aussi bizarre : je reprends les paroles du meilleur connaisseur de la France à notre époque, Charles De Gaulle. Sur quel argument appuie-t-il son affirmation ? Observant que notre nation est « par nature, perpétuellement portée aux divisions et aux chimères », il rejoint l’historien Braudel pour qui « l’identité de la France » est faite de « divisions physiques, culturelles, religieuses, politiques, économiques, sociales qui s’ajoutent les unes aux autres ». L’unité française n’est pas naturelle ; elle doit toujours être construite ou reconstruite par un effort de volonté raisonnée dont la responsabilité incombe à l’Etat. Mais effort vers quel but ? De Gaulle conclut d’une expérience bimillénaire que le seul moyen de rassembler le peuple français, c’est « une grande mission internationale, faute de laquelle il se désintéresserait de lui-même et irait à la dislocation ».

Cette exigence capitale pour la survie de la France, revient me hanter au moment où des élections législatives soudaines nous montrent un peuple profondément divisé, incertain de son avenir et menacé de dislocation interne. Les zones rurales, appauvries et humiliées, s’opposent par leur vote, aux métropoles, lesquelles sont partagées entre centres prospères et banlieues d’immigrés en état de sécession larvée. Encore cette description générale occulte-t-elle une réalité plus confuse : la France est éclatée en petits morceaux disparates en fonction de conditions physiques, religieuses, économiques et sociales qui varient à l’infini. Au point de divisions auquel notre nation est tombée, l’unité est devenue un rêve auquel le chef de l’État lui-même a renoncé : il limite son ambition à un vague consensus du « centre républicain » contre les « extrêmes » de toute sorte, même si ces derniers pèsent électoralement plus lourd que le premier.

La dislocation française qui se fait sous nos yeux a-t-elle pour cause l’absence d’une mission internationale propre à notre pays ? Notre classe dirigeante, Président de la République en tête, le réfute avec indignation. Elle affirme nous proposer une politique étrangère, à la fois raisonnable et ambitieuse, qu’elle poursuit avec une ardeur inébranlable. Cette mission naît d’un constat : la France est désormais trop petite pour agir seule dans le monde. Mais elle a la chance d’appartenir à deux ensembles qui sont à l’avant-garde de l’humanité contemporaine : l’Europe et l’Occident. Elle doit « s’intégrer » dans les institutions qui donnent forme à ces deux ensembles et qui s’appellent l’Union européenne et l’OTAN. Notre souveraineté se manifeste par des propositions d’action collective que notre gouvernement fait à ses partenaires dans ces deux organisations. Qu’elles soient acceptées ou refusées, la France se plie librement à l’exécution des choix décidés en commun.

Nous voici devant un dilemme : ou bien De Gaulle s’est trompé sur la France et le remède à nos divisions est à chercher ailleurs ; ou bien la mission internationale que notre classe dirigeante nous assigne, est un faux-semblant dont le peuple français devine l’imposture. C’est pourquoi elle ne le rassemble pas.

Examinons pour commencer ce qu’est réellement l’OTAN, que nos dirigeants nous présentent comme la protectrice indispensable des nations démocratiques d’Europe et d’Amérique de Nord contre les assauts d’États ennemis de la liberté. L’OTAN se flatte d’être « l’alliance la plus puissante et la plus durable de l’histoire universelle ». Elle vient de célébrer son soixante-quinzième anniversaire dans une grande cérémonie à Washington. Ses 32 États membres, dont les dépenses militaires additionnées constituent plus de la moitié du total mondial, étaient représentés par leurs responsables suprêmes. Ils ont tous signé le communiqué final qui proclame leur volonté d’accroître encore leurs armements et les effectifs de leurs armées. Ils ont tous réaffirmé leur « soutien inébranlable » au gouvernement « démocratique » de l’Ukraine, victime d’une attaque injustifiée menée par la Russie « autocratique ». Ils ont tous dénoncé l’aide qu’apportent à l’agresseur, deux États, eux aussi dictatoriaux : la Chine et la Corée du nord. C’est une manière de signifier au reste du monde que l’alliance ne baisse pas sa garde et qu’elle est prête à relever tous les défis à venir.

Cet optimisme de façade dissimule quelques réalités moins brillantes. La sénilité de Biden est de plus en plus difficile à cacher. Les Polonais et les Baltes s’impatientent de sa prudence excessive en Ukraine. Erdogan et Orban, trublions permanents, jouent leurs propres partitions. Mais toutes les chancelleries savent que, dans les décisions de l’OTAN, la volonté américaine finit toujours par l’emporter. Dans son discours conclusif, le Président des Etats-Unis l’a rappelé fermement à ses invités en décrivant son pays comme le « leader » nécessaire du « monde libre », les autres devant se contenter de suivre « la seule nation indispensable » à l’ordre universel.

Autrement dit, l’OTAN assigne à la politique internationale de la France une place subalterne, dans le sillage de l’Amérique. Nous voici loin de la mission propre recommandée par Charles De Gaulle.

Si encore la politique mondiale des États-Unis répondait à des objectifs de paix et de progrès pour l’humanité entière, le peuple français pourrait y reconnaître sa propre vocation et la soutenir librement. Mais il n’en est rien. L’Amérique a une autre préoccupation : elle sent avec inquiétude que la prééminence universelle lui échappe. Elle accepte mal que la Chine, le Brésil, l’Inde, la Russie et d’autres contestent son « leadership ». Alors elle se crispe sur le maintien de l’ordre mondial établi il y a un quart de siècle, quand sa suprématie politique, sociale, militaire et morale était indiscutée. La politique mondiale que Biden incarne, est toute entière inspirée par la volonté d’immobiliser l’histoire à cet âge d’or.

Rien ne l’illustre mieux que l’affreuse guerre en Ukraine. Je m’honore d’être de ceux qui ont discerné, dès le début, que la sollicitude empressée du gouvernement de Washington pour « la démocratie ukrainienne brutalement agressée », cachait mal la volonté américaine de maintenir la Russie dans l’état de faiblesse où elle était reléguée depuis un quart de siècle.  C’est la même croyance dépassée de toute-puissance militaire, financière et technique qui a fait croire à Biden et ses conseillers que l’Ukraine gagnerait aisément la guerre, dès lors qu’elle recevrait le soutien de l’OTAN. La liste des « mesures décisives » prises par les États-Unis et ses alliés pour vaincre la Russie, est longue : expulsion du système SWIFT, « arme atomique financière » qui devait ruiner l’agresseur ; arrêt des achats de gaz, « source vitale de revenus » pour le Kremlin ; embargo « paralysant » sur les exportations occidentales de produits utilisés pour fabriquer des armes modernes ; transmission « en temps réel » à l’état-major ukrainien d’informations « exclusives » sur les mouvements des troupes russes ; don à l’armée kiévienne de canons, puis de chars, puis de missiles, puis d’avions dont la supériorité devait à chaque fois assurer la victoire. Aucune de ces prédictions ne s’est réalisée. L’ennemi a trouvé des parades à toutes les mesures que l’OTAN pensait insurmontables. La raison en est simple : les États-Unis n’ont plus, sur le reste du monde, l’avance technique ni le monopole financier qui était les leurs il y a encore vingt ans. Des États d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud, s’en sont affranchis.

Il est triste, le crépuscule de la domination américaine sur le monde. Depuis près de quatre ans, il s’incarne dans le vieillard entêté qui siège à la Maison-Blanche. Il agit dans l’illusion de ressusciter une époque disparue. Inévitablement, il va d’échec en échec. Il s’est fait le champion universel des valeurs démocratiques mais n’a pas su éviter qu’elles soient rejetées dans le monde, minées en Occident et jusque dans son propre pays par le « populisme ». Il laisse à son successeur l’héritage de deux guerres qui traînent en longueur parce qu’il ne sait pas comment les terminer. Il assiste, impuissant, à la détérioration des relations de son pays avec les puissances montantes d’autres continents. Et, plus redoutable encore pour l’avenir de sa nation, il a étourdiment provoqué l’alliance du géant chinois et du géant russe contre les États-Unis.

C’est à cette suprématie moribonde que notre classe dirigeante accroche la politique étrangère de notre pays. Le peuple français sent bien qu’une telle mission internationale est indigne de sa vocation. Alors il s’en désintéresse et ses divisions ne rencontrent plus de force unificatrice qui les contrarie.

Il est vrai que nous ne sommes pas seuls à suivre le « leadership » américain. Presque tous les États-membres de l’Union européenne s’y sont aujourd’hui ralliés, y compris ceux qui, tels la Suède et la Finlande, avaient longtemps gardé leur distance avec l’OTAN. La guerre d’Ukraine en est la cause. Jusqu’à ce qu’elle éclate, les dirigeants de l’Union communiaient dans la conviction d’être les acteurs d’une « fin de l’histoire » en Europe, le système « d’union toujours plus étroite » organisé par Bruxelles garantissant définitivement «la paix et le bien-être de ses peuples ». Désemparés par un évènement qui démentait brutalement leur certitude, nos gouvernements ont cru l’avertissement que Biden ne cessait de leur marteler : « Si quelqu’un en Europe pense que Poutine s’arrêtera à la conquête de l’Ukraine, je peux vous certifier qu’il ne le fera pas ». Contre cette « menace existentielle » soudain révélée, la protection de la grande puissance d’outre-Atlantique a paru indispensable aux dirigeants alarmés de l’Union. Quelques responsables plus réfléchis ont fait observer que Poutine n’avait ni les moyens, ni le motif d’envahir l’Europe ; en semant la peur, Biden voulait en réalité renforcer la tutelle américaine sur notre continent dans l’espoir de maintenir sa suprématie universelle. Leurs voix n’ont pas été écoutées. L’Union européenne, presque unanime, a offert au Président des Etats-Unis un de ses rares succès de politique étrangère.

Mais la tutelle de Washington sur l’Union européenne, entraîne cette dernière dans un engrenage redoutable. Elle la détourne de sa mission constitutive, « la paix et le bien-être de ses peuples », pour la transformer en appareil de guerre et d’appauvrissement collectif. Elle la contraint à épouser les autres querelles américaines, au Proche Orient et en mer de Chine notamment, contre son intérêt évident. Elle arrache les peuples qui la composent, Allemagne et France en premier lieu, à leur indispensable complémentarité culturelle, économique et politique avec la Russie. Les tragiques enseignements de l’histoire européenne sont oubliés.

Depuis qu’a commencé cette funeste guerre, l’Union présente un visage plus lugubre encore que celui de l’Amérique. Agissant contre ses principes et ses intérêts, elle s’enfonce dans l’impuissance. Son action en Ukraine l’illustre cruellement. Les décisions communes des « vingt-sept » s’obstinent à associer des buts inaccessibles (l’intégrité territoriale de l’Ukraine, y compris la Crimée) et un soutien dérisoire à l’armée de Kiev (des chars et des avions déclassés).  Empêtrée dans ses contradictions, elle ne pèse pas sur le cours des évènements.

Est-ce avec cette Union européenne dont la politique étrangère est tombée dans l’insignifiance, que notre classe dirigeante compte offrir au peuple français, une mission d’envergure mondiale ?

Pourtant, il ne tient qu’à nous de renouer avec ce que De Gaulle appelait « la grandeur de la France ». Arrachons-nous aux facilités de la tutelle américaine dont l’OTAN est l’outil. Cessons de nous illusionner sur la chimère d’une « souveraineté européenne » dont aucun de nos vingt-six partenaires n’est capable. Il n’y a là que tentatives stériles pour retenir l’histoire à ce qu’elle était au seuil de notre millénaire. Le présent du monde, ce n’est pas de maintenir l’ordre qu’avait établi la suprématie de l’Occident mais d’organiser de façon pacifique une humanité « multipolaire ». Les États-Unis ne le feront pas parce qu’ils ont beaucoup de mal à comprendre ce concept. Leur courte expérience historique se limite à des périodes « d’isolationnisme » farouche suivies de poussées vers l’autre extrême, un « interventionnisme » quasi universel. Nous, Français, avons appris de notre longue histoire de relations incessantes avec des États nombreux, tantôt plus puissants que nous, tantôt moins forts, que la sagesse de la politique internationale se trouve dans le « concert des nations » ou, à défaut, « l’équilibre des grandes puissances ».  Ce que Saint Louis, Richelieu et De Gaulle ont réussi pour la paix de l’Europe, n’est-il pas temps de le transposer maintenant pour la paix du monde ? Voilà, sans aucun doute, la grande mission internationale à laquelle notre vocation nous appelle. C’est elle, et elle seule, qui peut à nouveau rassembler les Français.

Civil War par michel Goya

Civil War

par michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 17 juillet 2024

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Il s’en est donc fallu de quelques centimètres que l’histoire des États-Unis bifurque et donc par contrecoup aussi un peu celle du reste du monde. A 137 mètres, un tireur moyen armé d’un fusil AR-15 ne peut normalement pas rater une cible de la corpulence de Donald Trump, surtout peu mobile devant un pupitre. Thomas Matthew Crooks est pourtant parvenu à réaliser ce double exploit ce samedi 13 juillet à 18h00 locale à Butler (Pennsylvanie) : parvenir à tirer sur un ancien président des États-Unis à nouveau candidat et parvenir à le rater à aussi courte portée.

L’anomalie comme opium des complotistes

Comme toute chose surprenante en politique ces deux anomalies sont évidemment à l’origine de deux théories complotistes contradictoires qui ont circulé immédiatement après les faits. La première, que l’on retrouve évidemment du côté des gens très hostiles à Trump décrit un candidat organisant lui-même son agression afin de booster sa popularité, à la manière de Nelson Hayward, ce personnage de la série Columbo (S03E03)…qui en profitait aussi au passage pour éliminer un adjoint gênant. La seconde, étrangement plutôt parmi les partisans de Trump, où en France les amis de la Russie ce qui revient un peu au même, est que l’« État profond américain » a voulu se débarrasser de ce révolutionnaire acharné à le détruire. On a même vu le tireur dans un publicité de 2022 financé par le fonds d’investissement Black Rock, c’est dire.

Tout cela ne présente pas grand intérêt, sinon comme symptôme d’une tension particulière. Les pseudo-attentats ont peut-être existé depuis toujours. C’était même une spécialité russo-soviétique justifiant répressions diverses, purges ou effectivement tremplin électoral pour Vladimir Poutine, alors peu connu, mais élu triomphalement à la présidence après les attentats d’août-septembre 1999 organisés par le FSB à Moscou. Les tentatives d’assassinats contre soi sont en revanche beaucoup plus complexes à organiser parce qu’il faut bien prendre un peu de risque pour que cela ait l’air crédible, mais surtout éviter que l’enquête du Columbo ou du journaliste local ne révèle un pot aux roses qui pour le coup s’avérera désastreux politiquement et même judiciairement. Dangereux et délicat à manier donc. On se souvient de l’imbroglio de l’« attentat de l’observatoire » dans la nuit du 15 au 16 octobre 1959 à Paris contre François Mitterrand, alors sénateur. Ce fut une affaire assez minable dont on ne sait pas encore très bien qui a manipulé qui, mais qui a fait très mal à l’image de Mitterrand au lieu de la renforcer comme celui-ci l’espérait. En dehors de cette affaire rocambolesque, je ne connais aucun cas réel d’auto-attentat.

Les assassinats organisés de citoyens de son propre pays par l’État ou ses services de manière autonome sont évidemment plus courants, et c’est là encore plutôt une spécialité russe depuis quelques années. C’est toutefois assez rare dans les démocraties, ne serait-ce que parce que les capacités d’investigation et de révélation du complot sont plus importantes qu’ailleurs. Mais ce n’est pas impossible. Pour rester aux États-Unis, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 est sans aucun doute celui qui a donné naissance à la plus grande littérature et le plus grand nombre d’organisations suspectes, depuis la CIA, jusqu’aux anticastristes, en passant par la mafia de Chicago, l’Union soviétique, le complexe militaro-industriel et même le vice-président Johnson. Peut-être. Rappelons simplement que comme dans le cas de l’auto-attentat, on n’a pas droit à l’erreur dans ce genre d’exercice sous peine de retours politiques dévastateurs, au moins en démocratie. On s’efforce donc, sans certitude absolue, de faire en sorte que cela réussisse. En clair et pour revenir à l’attentat de Butler, on ne confie pas ce genre de mission à un gamin de vingt ans, un âge où aux États-Unis on a le droit d’acheter des armes mais pas de l’alcool, plutôt instable et par ailleurs mauvais tireur selon ses camarades du Clairton Sportsmen’s Club.

Avec Thomas Matthew Crooks on est effectivement loin assez loin de simplement Lee Harvey Oswald, mais bien plus proche de tous les presque toujours illuminés qui ont assassiné quatre présidents des États-Unis et essayé 17 fois de la faire sans réussir, ce qui au passage donne quand même une bonne moyenne pour 46 POTUS. Quant aux assassinats et tentatives d’assassinats de candidats à la présidence ou des personnalités politiques majeures, elles sont singulièrement nombreuses. Et pour tous ceux qui sont passés à l’acte, combien y ont songé mais n’ont pu passer à l’acte comme Travis Bickle, le héros de Taxi Driver car ils n’ont pas trouvé de faille dans le dispositif de sécurité ?

4,86 grammes de politique

Thomas M. Crooks, a, lui, pu accéder à la célébrité morbide, car il a trouvé une faille dans le dispositif, certes assez incroyable mais tout à fait possible dans le monde réel et non fantasmé des complotistes.

Un dispositif de sécurité comprend au moins deux cercles de protection. Le premier est très proche afin d’empêcher les attaques à très courte portée et protéger la cible si ces attaques ont quand même lieu puis procéder à l’évacuation, les soins éventuels, etc. Un deuxième cercle vise à protéger la cible des tireurs à quelques centaines de mètres de portée, mais aussi de possibles attaques de drones. Après reconnaissance des lieux, tous les emplacements de tir possibles sont soit occupés, soit lorsque c’est possible barricadés ou entravés, soit, au minimum, surveillés à vue directe ou par drone. On peut inclure aussi un troisième cercle plus large face aux menaces à plus longue portée, des mortiers par exemple, et surveiller les approches. Ce réseau de surveillance est doublé d’un dispositif de filtrage et de fouilles ou, pour faire simple, plus on s’approche de la cible et plus on doit être léger, à pied et sans moyen de dissimuler des objets lourds.

Après le quadrillage et l’occupation rationnelle du terrain, le point clé réside dans la coordination de tous les agents de sécurité dans le secteur, souvent issus de services différents. C’est là que le bât blesse le plus souvent. Il y a normalement un poste de commandement qui gère toutes les unités impliquées, avec un réseau de communication simple et parfois unique. Si les choses sont bien organisées tout le monde sait ce que font les autres et où. Cela n’a visiblement pas été complètement le cas à Butler où Crooks a pu assez facilement grimper sur un toit non surveillé avec un fusil. Il n’a même pas eu besoin d’actionner à distance l’explosif qu’il avait placé dans sa voiture, sans doute pour attirer l’attention des forces de sécurité. Plusieurs témoins l’ont fatalement vu ramper sur le toit et ont averti des policiers plusieurs minutes avant l’attaque. Il est possible aussi que l’équipe d’antisniping à proximité de Donald Trump l’ait vu également lorsqu’il s’est mis en position de tir, mais c’est là qu’intervient la deuxième faille après le trou dans le dispositif : faute de coordination tout le monde, des policiers dans la foule ou des antisnipers, se demandait probablement s’il ne s’agissait pas de collègues.

Ce flottement a laissé suffisamment de temps à Crooks pour tirer plusieurs coups, et heureusement l’AR-15 vendu dans le commerce ne permet normalement pas de tirer en rafale. Crooks a raté sa cible. Cela tient parfois à peu de choses. Je suis devenu bon tireur seulement après avoir admis qu’étant droitier je devais quand même tirer en gaucher parce que mon œil directeur était le gauche. Peut-être était-ce le cas. Il était en tout cas certainement très stressé parce qu’il voulait tuer, ce qui n’est jamais anodin, et savait qu’il allait probablement mourir à l’issue, ce qui l’est encore moins. La vision n’est alors plus la même et si on ajoute surtout de fortes pulsations cardiaques, avec le stress et l’effort fourni pour grimper sur le toit, ramper et se mettre très vite en position, on conçoit que la qualité du tir sera réduite par rapport à une situation normale au champ de tir, où rappelons-le, il était déjà médiocre. Crooks s’est apparemment compliqué également la tâche en visant la tête au lieu du corps, cible bien sûr plus petite et par ailleurs plus susceptible de bouger. Une balle de 5,56 mm, 2,6 grammes en 22 LR ou 4,86 en calibre OTAN, parcourt 137 mètres entre 1/3 et 1/6e de seconde. C’est court mais c’est suffisant pour une tête de bouger un peu et voir ainsi la balle frôler une oreille au lieu de toucher le front.

On notera la stupeur du public et bien sûr de Trump lui-même au moment des tirs. Le bruit des 5,56 est assez faible, surtout s’il s’agit du calibre 22LR, assez loin en tout cas de l’imagerie véhiculée par l’emploi des fusils d’assaut dans les films, et on peut aisément le confondre avec d’autres claquements, comme des ballons (et là on pense évidemment au discours de Reagan à Berlin en 1987). On rappellera aussi que ce bruit est d’abord une onde de Mach autour du projectile et donc directement sur la cible, rejoint en une demi-seconde par celui de la détonation de départ à 137 m de là. Très difficile alors de comprendre ce qui se passe sauf à voir des gens touchés autour de soi ou des impacts dans le sol ou des murs. Et même alors, un très rapide 5,56 ou tout autre petit calibre, peut traverser des chairs sans provoquer de choc. On peut être touché sans bouger si aucun élément dur, une plaque de protection, un casque ou un objet quelconque mais aussi simplement son ossature, n’est frappé et si c’est le cas, on partira en arrière si c’est en haut (ce que l’on voit toujours dans les films) et on chutera en avant si c’est dans les jambes tandis qu’on se cassera en deux et on tombera sur place si c’est dans le ventre. Trump ne bouge pas à cause du choc mais à cause de la douleur de l’éraflure de l’oreille.

Derrière lui, hormis les gardes du corps qui comprennent très vite, le public est dans l’expectative dans la situation de tension-incompréhension où on ne sait pas quoi faire et où on obéit immédiatement aux ordres, ou on imite ceux qui font quelque chose s’il n’y a pas d’ordre. C’est ce qui se passe lorsque quelqu’un crie « il a un fusil », en voyant simplement le tireur et que les agents de sécurité hurlent « à terre ! ». À ce moment-là, la menace est terminée puisque Crooks a déjà été repéré et abattu tout de suite par des tireurs d’élite.

Donald Trump réagit bien à l’attaque, sort vite de sa stupeur et a l’intelligence de parler tout de suite avec un ordre-slogan simple « Fight ! » qui dans ce contexte-là résonne dans une foule qui n’attend que ça et répond avec force « USA ! ». L’exploitation instinctive de l’agression par Trump est, il faut bien l’admettre, remarquable, ce qui donne l’impression qu’il est capable de résister à la pression – une qualité nécessaire, mais non suffisante, à un bon président. Appuyée par l’intelligence de placement du photographe Evan Vucci, la scène donne même naissance à une photo destinée à être iconique, à l’image de celle du mont Suribachi à Iwo Jima en 1945, et inestimable pour la popularité de Trump. Crooks voulait abattre Donald Trump, il l’a renforcé.

Trump est immédiatement transporté à l’hôpital de Butler à 17 km de là, dont il ressort très vite pour rejoindre la convention républicaine à Milwaukee (Wisconsin) où il est évidemment acclamé. Les croyants fans de Trump invoquent évidement la main de Dieu pour ce qu’ils considèrent comme un miracle et un signe. Cela signifierait donc que Dieu n’avait pas grand-chose à faire au même moment de Corcy Comperator tué par une balle perdue alors qu’il protégeait ses filles de son corps. La plupart de ces croyants politico-chrétiens étant également « pro-guns », ils oublient aussi que Dieu n’aurait pas eu à intervenir avec une législation « normale » de contrôle des armes.

Minutemen ou super-vilains ?

Les assassinats ou les tentatives d’assassinats politiques sont donc nombreux dans l’histoire des États-Unis, mais le plus étonnant est peut-être qu’il n’y en ait pas plus dans ce pays qui conjugue le culte de l’action individuelle et plus d’armes à feu que d’habitants. Nous sommes dans un pays qui a, dès sa naissance, mis en avant les Minutemen, ces citoyens capables de prendre les armes dans la minute pour défendre la Patrie et la liberté, alors que l’armée régulière permanente était longtemps interdite, car soupçonnée d’être l’instrument potentiel de la tyrannie. Dans cette conception où on se méfie plus de l’État que d’ennemis extérieurs, le monopole légitime de la force n’est pas attribué au gouvernement mais aux citoyens.

Quand on conjugue le culte du héros individuel et des centaines de millions d’armes à feu – dont au moins 11 millions d’AR-15 (certains parlent de 25 millions) et bien d’autres armes tout aussi dangereuses – on peut s’attendre à ce que certains se sentent investis d’une mission, sacrée ou pas, malgré la mort presque assurée au bout. Il y a en eu ainsi 38 en 2023 à s’être lancé dans des fusillades de masse provoquant 288 morts ou blessés, avec une préférence pour les écoles ou les supermarchés. Certains ont une conception plus politique de leur action, comme John Wilkes Booth lançant « Sic semper tyrannis » (« ainsi en est-il toujours des tyrans ») après avoir tiré sur Abraham Lincoln, une phrase attribuée à Brutus après l’assassinat de César et devise de l’État de Virginie.

Dans le long cycle des Princes d’Ambre, le romancier Roger Zelazny décrit l’affrontement entre des puissants mondialisés (en l’occurrence plutôt universalisés) et des modestes qui ont le pouvoir, dit du Logrus, de faire venir à eux tout ce qu’ils veulent. Des individus qui peuvent faire venir à eux facilement des armes de guerre disposent d’un super-pouvoir d’autant plus puissant qu’ils agissent désormais dans un contexte hypermédiatisé qui va amplifier les effets de leurs actes. Que l’on songe simplement à l’impact considérable en France des frères Kouachi et Amédy Coulibaly en janvier 2015, amenant quelques jours plus tard 44 chefs d’État à Paris et des millions de Français dans les rues après une émotion immense.

Que l’on songe aussi à ce qui se passerait en France, s’il y avait plusieurs millions de Kalachnikovs, même bridées au coup par coup, en circulation presque libre et non en passant par des réseaux criminels. On peut imaginer que beaucoup d’attaques que l’on parvient à maintenir au niveau- incompressible – de l’arme blanche, comme encore avant-hier contre un soldat français Gare de l’Est à Paris, se feraient au fusil d’assaut. Outre la menace jihadiste ou celle de tous ceux qui en veulent à la France, on peut imaginer aussi des possibilités terribles pour les groupuscules radicaux, type Action directe ou Charles Martel pour des bords opposés dans les années 1970-1980 mais dotés d’un arsenal militaire. Pour autant, on peut encore croire qu’il n’y a pas en France un quart de la population considérant la violence mortelle venant des citoyens eux-mêmes comme légitime pour sauver le pays, comme c’est le cas actuellement aux États-Unis selon un sondage du Public Religion Research Institute, avec même une proportion d’un tiers chez les électeurs républicains, ceux-là mêmes qui viennent de la subir à Butler et paradoxalement par un des leurs.

Les individus seuls lourdement armés sont donc des super-héros potentiels, du moins dans la croyance libertaire américaine, alors que dans les faits ce sont presque toujours des super-vilains. En 2006-2007, une série crossover de l’univers Marvel imaginait que l’État décide d’obliger tous les individus dotés de super-pouvoirs de servir le gouvernement au lieu d’agir individuellement. En clair, il s’agissait de rétablir le monopole de l’État sur l’usage de la force selon la description de Max Weber. Cette décision entraînait une scission entre les héros, les rebelles au gouvernement mais passionnément patriotes étant dirigés par Captain America, le plus vieux de tous les super-héros américains puisque né en 1917, incarnation de la great generation blanche et probablement électeur républicain. Captain America finit par être assassiné dans cette histoire par des gens qui veulent réellement instaurer une dictature aux États-Unis. Et c’est là que se situe toute l’ambiguïté de Butler, des gens d’un même camp pouvant simultanément voir en Donald Trump un champion de la liberté et un potentiel dictateur à éliminer, au risque de déclencher une guerre larvée des Minutemen de l’Amérique profonde contre le pouvoir jugé totalitaire d’un État mondialisé. La série Marvel s’appelait Civil War et cette idée de guerre civile, reprise entre autres dans un film récent, se promène dans le conscient collectif américain.  

Nouvelle-Calédonie : la tentation du développement séparé

Nouvelle-Calédonie : la tentation du développement séparé

Debris and burned cars used for blockades and now cleared from the roads, awaiting treatment.
NOUMEA, NEW CALEDONIA – 07/06/2024//JOBNICOLAS_job.0089/Credit:Nicolas Job/SIPA/2406101456

par Eric Descheemaeker – Revue Conflits – pubié le 16 juillet 2024

https://www.revueconflits.com/nouvelle-caledonie-la-tentation-developpement-separe/


Dans son allocution du 14 juillet, Sonia Backès, présidente de l’Assemblée de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, a évoqué l’autonomisation des provinces et un nouveau contrat social. Une intervention qui a fait réagir dans l’archipel et à Paris tant cela pose la question de l’unité de l’île et de ses habitants.

L’heure est grave en Nouvelle-Calédonie. Les « événements » ayant commencé le 13 mai 2024 ont certes largement perdu en intensité, et les caméras de télévision sont retournées en métropole. Pourtant, comme souvent, c’est après que les choses les plus sérieuses commencent : les événements les plus spectaculaires sont rarement les plus significatifs. Pour les observateurs de la situation locale, ce qui est en train de se passer est en réalité beaucoup plus grave que les blocus, les pillages et même les morts (une dizaine) depuis deux mois. Il est possible – en tout cas c’est une hypothèse à prendre avec le plus grand sérieux – que le rideau de l’Accord de Nouméa, déjà bien abîmé il est vrai, se soit déchiré sur l’île : autrement dit, que la conscience se soit faite que le « vivre-ensemble » entre indépendantistes et non-indépendantistes était en réalité une vue de l’esprit.

Vivre-ensemble il n’y aura pas ; au mieux un côte à côte dont on pourrait s’efforcer qu’il ne devienne pas un face-à-face.

Des tensions toujours aussi vives

En parallèle pourrait se dérouler un événement politique aussi majeur qu’invisible : le départ progressif des Calédoniens d’origine européenne, à commencer par ceux, extrêmement nombreux, dont les racines sur l’île sont récentes (les « z’oreilles », par opposition aux Caldoches, de bien plus vieille souche, qui ont souvent des ascendances mêlées et dont le rapport à la France est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine en métropole). Un tel exode donnerait aux indépendantistes ce que les trois référendums leur avaient dénié : une majorité, à moyen terme, dans les urnes.

C’est à cette aune qu’il faut comprendre le récent et important discours de Sonia Backès, présidente de la province Sud – la province la plus riche, structurellement anti-indépendantistes, et où les Européens d’origine dominent – à l’occasion de la fête nationale. Avec la liberté de ton pour laquelle elle est connue, mais en ayant nous semble-t-il franchi un cap depuis le début des événements à la fois dans la forme et le fond de ses propos, la chef de file des anti-indépendantistes a pris acte de cette cassure entre deux camps antagonistes (deux « sensibilités politiques » et à vrai dire deux « civilisations »), ainsi que de ce possible exode, suggérant de la manière la plus claire que l’esprit de Nouméa était mort. Il n’y a pas de « destin commun » possible, quoiqu’ait pu en penser la gauche romantique d’alors (MM. Jospin et Christnacht). Tout au plus pourrait-il y avoir une cohabitation pacifique sur une même terre, une forme de développement séparé qui est celui que les Accords de Matignon-Oudinot (1988, dix ans avant celui de Nouméa) avaient tenté de matérialiser, à la suite du compromis historique entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Un « développement séparé » ?

Le mot de « développement séparé » est employé par nous, non par elle. Le but est de mettre aussi directement que possible les pieds dans le plat : car développement séparé, bien sûr, est la traduction française habituelle de l’afrikaans « apartheid » ; et c’est bien de cela dont elle sera accusée. Mais il ne faut jamais céder au terrorisme des mots. Si la cohabitation joyeuse et « créolisée » des individus et des peuples est impossible, alors il nous faut renoncer au romantisme. Or, le moins que l’on puisse dire est que la situation insurrectionnelle de l’île et, surtout, les déploiements de haine à l’égard de l’autre des deux côtés tendraient à suggérer que ce que soit le cas. Les êtres humains, les collectivités politiques et les peuples sont infiniment plus complexes que la doxa pseudo-humaniste qui a dominé depuis plus d’un demi-siècle ne le suggère.

La question soulevée par Mme Backès est infiniment sérieuse et ne saurait être rejetée par simple moralisme.

À ceux qui voudraient la neutraliser à l’aide de références historiques infâmantes, on ne pourrait que demander ce qu’ils proposent en retour. Un Accord de Nouméa-II signé sur les ruines fumantes de Nouméa (la ville) et de Nouméa-I (l’accord) ? Revenir à la case départ d’un processus qui a démontrablement échoué ? Une question sérieuse doit faire l’objet d’une réponse sérieuse, et celle-ci l’est infiniment. L’heure est grave.

Les problèmes de Nouméa sont aussi ceux de Paris

Il ne s’agit pas en ces quelques lignes de proposer une solution : ce ne serait pas non plus sérieux. On se contentera de remarquer que les questions qui se posent là-bas sont très exactement les mêmes qui se posent déjà en métropole, et vont se poser avec une acuité de plus en plus grande dans les années et décennies à venir : comment faire tenir ensemble une société constituée de personnes pour qui les affiliations ethniques et religieuses (« ethnoculturelles » dans un sens large) sont diverses, divergentes, voire potentiellement hostiles ; mais qui comptent pour les personnes en question peut-être d’autant plus que la doxa républicaine leur répète incessamment qu’elles ne devraient pas (puisque nous sommes tous égaux sans distinction &c., &c.) ? Cette question est peut-être la plus importante à se poser à nous, d’abord à Nouméa puis à Paris. Le jacobinisme ayant montré l’étendue de son échec, on pourrait attendre de ses partisans une certaine retenue, et qu’ils laissent une chance à des visions beaucoup plus communautaires (« communautariennes », puisque le mot « communautaristes » semble être devenu un gros mot, sans qu’on ait bien compris pourquoi). Dans une certaine mesure, d’ailleurs, la Nouvelle-Calédonie s’était engagée sur cette voie, mais sans doute de manière très maladroite et inadaptée : il n’est pas certain, pour le dire simplement, que ce dont les Kanaks aient besoin soit d’un droit distinct des contrats ou de la responsabilité civile, comme la République le leur a concédé. Nous avons, quoi qu’il en soit, besoin d’une réflexion profonde sur ce qu’on pourrait appeler la France post-jacobine : cette réflexion commence à Nouméa, mais ne s’y arrêtera certainement pas.

En revanche, il y a un aspect du discours de Mme Backès auquel il convient de marquer une opposition claire : c’est celle de la provincialisation de l’île. Derrière le terme technique d’« autonomisation des provinces » se cache une réalité relativement simple : couper très largement entre elles – politiquement, financièrement, économiquement, socialement, et donc inéluctablement culturellement et humainement – les trois provinces de l’archipel : la province Sud, riche et européenne ; la province Nord, pauvre et kanake ; et les îles Loyauté (celles où eurent lieu en 1988 la prise d’otages d’Ouvéa), également pauvres et autochtones.

Le danger des ingérences étrangères

La tentation d’une telle proposition, nous la comprenons intimement. La province Sud, aux mains des Européens, est fonctionnelle. Elle paye pour les deux autres qui, aux mains des Kanaks, sont dysfonctionnelles et, non contentes d’être financées par « Nouméa la Blanche » et d’être considérablement surreprésentées au Congrès de Nouvelle-Calédonie, mordent constamment la main qui les nourrit, accusée d’être colonialiste. Pour comprendre l’étendue du problème, il suffit d’emprunter l’une des routes qui coupent l’île dans le sens de la largeur, du Sud vers le Nord.

Au moment où on change de province, au milieu des montagnes, la route à l’occidentale de la province Sud devient une voie digne du tiers-monde au Nord.

La tentation, après des décennies d’efforts, d’envoyer ces gens se faire voir est à la fois humaine et compréhensible.

Elle n’en demeure pas moins profondément erronée. Les raisons n’en sont pas difficiles à percevoir, même si elles sont plus faciles à admettre quand on n’est pas directement confronté, sur place, aux « événements » qui s’y déroulent (et dont on ne voit pas d’issue facile, au-delà d’un apaisement bien superficiel quand la fatigue gagnera les combattants).

Un vrai enjeu politique

La raison la plus évidente est d’ordre politique. La province Nord et les îles Loyauté – entités administratives au demeurant parfaitement artificielles, notamment la ligne de partage entre le nord et le sud de la Grande-Terre) – font tout autant partie de la France que la province Sud. On n’abandonne pas des territoires, pas plus là-bas qu’à Mayotte ou en Seine-Saint-Denis, parce qu’ils sont principalement source d’ennuis (ce qu’en un sens ils sont, mais pas que évidemment). C’est une question de principe à laquelle aucune statistique ne pourrait être opposée.

La seconde raison est d’ordre géopolitique. Certes, personne ne parle à ce stade d’indépendance des deux provinces majoritairement autochtones, mais il est parfaitement évident que plus on les coupera du Sud, de Nouméa, de la France, des richesses, de l’administration, etc., plus on les abandonnera à elles-mêmes (c’est l’objectif à peine déguisé) ; et plus on les abandonnera à elles-mêmes, plus on les livrera à des puissances étrangères qui ne nous veulent aucun bien. Comment croire que la Chine, qui lorgne déjà sans se cacher sur notre joyau d’outre-mer ; mais tout aussi bien l’Azerbaïdjan, dont on sait désormais le rôle qu’il joue dans la déstabilisation de la région, peut-être au profit de la Russie ; ou d’ailleurs l’Australie, dont la jalousie demeure tenace même si elle s’exprime moins ouvertement que par le passé, ne s’engouffreraient pas immédiatement dans la brèche ? Le déficit de la province Nord sera réglé par Pékin, qui en retour hypothéquera ses immenses ressources (minières, halieutiques, etc.) : le scénario est tellement bien rôdé dans la région qu’on se sent gêné de devoir même le rappeler. Inutile de dire que les biens hypothéqués ne sont jamais revus.

Non seulement une Nouvelle-Calédonie réduite, de facto, à sa province Sud, ne serait plus la Nouvelle-Calédonie, et n’aurait plus pour la France qu’une fraction de son intérêt géostratégique existant, mais on voit mal comment elle demeurerait viable à plus long terme. Vu la difficulté qu’a la République à maîtriser ce territoire aujourd’hui, on ne place guère d’espoir dans ses chances une fois que d’autres seront sur place.

Une territorialisation sans logique

La troisième raison est qu’il n’y a pas de logique intrinsèque à cette territorialisation. Mme Backès parle de laisser les deux « sensibilités politiques », et derrière elles les deux « civilisations », faire l’expérience de leur développement (séparément, donc). Certes, la province Sud est largement européenne et anti-indépendantiste, là où la province Nord et les îles Loyauté sont essentiellement autochtones et indépendantistes. Mais, d’une part, laisser la province Sud faire la démonstration de son évidente supériorité ne réglera rien à long terme ; surtout, l’équivalence implicitement dressée entre provinces et considérations ethno-politiques est extrêmement simpliste. Il y a un quart des habitants de la province Nord qui ne sont pas recensés comme Kanaks (ce qui statistiquement correspond à la proportion de non-indépendantistes) : il est moralement inacceptable de les abandonner à des gouvernants incompétents, au motif que ce serait là le modèle de développement qu’ils auraient choisi. Quant au Sud, les Européens n’y sont qu’en très relative majorité ; les personnes recensées comme kanakes forment un gros quart de la population, et celles venues de partout ailleurs – les éternelles oubliées, originaires de Wallis-et-Futuna, des autres îles du Pacifique, de Java, du Japon, d’Indochine, de Kabylie, des Antilles même – un gros tiers.

La province Sud n’est pas la Nouvelle-Calédonie européenne : c’est, pour le dire brutalement, la Nouvelle-Calédonie beaucoup plus fonctionnelle parce que les Kanaks n’y ont pas le pouvoir.

Ce n’est pas du tout la même chose. Ce qu’il faudrait espérer, ce n’est pas une sécession de ceux qui se portent encore relativement bien ; c’est de trouver le moyen d’étendre ce modèle de développement au reste de l’archipel. Cela impliquerait sans doute de revenir sur beaucoup des idées romantiques de l’Accord de Nouméa, qui pensait que beaucoup d’amour et de générosité financière à sens unique pouvait être la solution à tout, et notamment sur la surreprésentation (dans une mesure proprement scandaleuse) des provinces majoritairement kanakes et indépendantistes, et une péréquation parfaitement déresponsabilisante à leur égard. Pour le dire là encore très brutalement, l’erreur a été de « donner » les deux petites provinces de l’archipel aux Kanaks, dans l’espoir de satisfaire leur désir de pouvoir. C’est là-dessus qu’il faudrait revenir.

Les problèmes soulevés par Mme Backès et les loyalistes sont donc aussi réels que profonds. Ils méritent qu’on s’y intéresse en vérité, loin des slogans permettant de se donner bonne conscience à peu de frais, que nous voyons partir en fumée devant nos yeux.

La manière de faire coexister des populations ethnoculturellement diverses, voire dans certains cas hostiles, est la question fondamentale qui va se poser à la France, et se pose déjà avec une acuité particulière en Nouvelle-Calédonie. Mais la réduire à une dimension territoriale n’est pas juste ; elle est même dangereuse.

Elle est d’ailleurs une manière de contourner la question qui est plus importante et plus difficile, celle de la cohabitation de ces groupes sur un même territoire. C’est à celle-ci qu’il convient de réfléchir. La chose est complexe et délicate, mais elle est désormais urgente : il en va de la survie, à moyen terme, tant de la Nouvelle-Calédonie que de la France tout entière.


À propos de l’auteur
Eric Descheemaeker est professeur à l’Université de Melbourne

UN CHOIX PAS TOUT A FAIT NEUTRE

UN CHOIX PAS TOUT A FAIT NEUTRE

 

– 11 juillet 2024

https://blablachars.blogspot.com/2024/07/un-choix-pas-tout-fait-neutre.html


On a appris cette semaine quelques détails intéressants sur le choix norvégien en faveur du Leopard 2A8, annoncé en février 2023. Alors que les militaires norvégiens avaient choisi le K2 sud-coréen après plusieurs mois d’évaluation, les militaires norvégiens avaient choisi le K2 sud-coréen, c’est finalement son concurrent allemand qui a été sélectionné par les responsables politiques du pays. Derrière cette distorsion, se cacherait un certain nombre d’arguments allemands visant à favoriser le blindé allemand.

On ne connait pas les détails exacts de ces tractations au cours desquels plusieurs sujets sensibles auraient été abordés comme le pétrole et le gaz ou le coût des programmes associés et la présence de la marine allemande au large des côtes norvégiennes.

Le résultat de ce qui ressemble à une vaste tambouille dans laquelle l’avis des militaires n’a pas été pris en compte, a débouché sur la sélection du Leopard 2, qui serait trop lourd pour être déployé dans les zones les plus septentrionales du pays, où se trouvent les frontières finlandaises et russes, objets des mesures de surveillance des états de la région et de l’OTAN. En dépit de leur caractère très surprenant, ces informations si elles étaient confirmées, démontrent que le choix d’un char de combat est un acte éminemment politique, caractéristique qui peut paraître choquante pour les utilisateurs. Cet aspect politique demeure néanmoins essentiel pour une opération liant deux pays pour plusieurs décennies comme on a pu déjà avec la décision allemande du 24 janvier 2023.

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

https://www.opex360.com/2024/07/08/avec-une-lpm-2024-30-en-suspens-le-ministere-des-armees-va-au-devant-de-gros-problemes-budgetaires/


Les urnes ont livré leur verdict et la « clarification » souhaitée par le président Macron au moment de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, n’a pas eu lieu dans la mesure où aucune formation politique n’a obtenu la majorité absolue, fixée à 289 sièges.

Ainsi, avec 178 élus, le Nouveau front populaire [LFI, PS, PCF, écologistes, NPA, etc.] en est très loin, même si son résultat est supérieur à celui qu’avait précédemment obtenu la Nouvelle union populaire écologique et sociale [Nupes] dont il est la continuité. Sa progression est surtout due au PS, qui double pratiquement le nombre de ses députés, alors que LFI en a perdu une poignée [71 contre 75].

L’ancienne majorité présidentielle, composée notamment de Renaissance, de Horizon et du Modem, a sans doute « sauvé les meubles ». Mais ses 156 députés ne seront évidemment pas suffisants pour former un gouvernement. Même chose pour le Rassemblement national et ses alliés issus des Républicains qui, malgré un écart conséquent en termes de suffrages exprimés par rapport au Nouveau front populaire [3’134’022 voix], n’a obtenu que 143 sièges. Enfin, avec une soixantaine de députés, Les Républicains sont parvenus à maintenir peu ou prou leur position par rapport à la dernière assemblée.

Dans de telles conditions, il sera très difficile, de former un gouvernement… et donc de maintenir un cap politique en esquivant les motions de censure que ne manqueront pas de déposer ses opposants. À moins de trouver d’improbables majorités de circonstances ou quelques élus dont l’échine est plus souple que celle de leurs collègues, ce qui, en l’état actuel des choses, est une tâche impossible.

En attendant, l’heure de vérité arrivera très vite, avec la Loi de finances initiale pour 2025, qui doit être soumise au Parlement à la fin du mois septembre [du moins, en théorie]. Et cela alors que l’état des finances publiques s’est encore aggravé au cours de ces derniers mois.

Ainsi, selon les derniers chiffres de l’INSEE, à la fin du premier trimestre 2024, la dette publique avait encore augmenté de 58,3 milliards pour s’établir à 3159,7 milliards d’euros [soit 110,7 % du PIB]. Quand au déficit public, aucune amélioration n’est en vue : il devrait s’élever à 5,1 % du PIB en 2024… Ce qui a d’ailleurs motivé la Commission européenne à placer la France en « procédure de déficit excessif », quinze jours après que l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note de la dette française de AA à AA-.

« La France […] soumettra son plan national budgétaire et structurel à moyen terme [pour une durée de cinq ans] le 20 septembre 2024. La Commission procédera ensuite à son évaluation. Ce n’est qu’en novembre 2024 que la Commission formulera ses recommandations. La France aura six mois pour s’y conformer. Et, si, en juin 2025, la France n’a pris aucune mesure correctrice, alors la Commission pourrait envisager des sanctions », explique le site officiel Vie Publique.

Le risque est donc de voir les taux d’intérêts augmenter, ce qui augmentera mécaniquement la charge de la dette, sur laquelle il n’y a aucune marge de manœuvre. Aussi, pour le projet de loi de finances 2025, on peut s’attendre à des débats houleux sur les mesures à prendre : faudra-t-il augmenter les recettes [et donc les impôts], réduire les dépenses, ou faire les deux à la fois ?

Quoi qu’il en soit, au vu des positions affichées [et défendues] par les uns et les autres, trouver une majorité pour faire passer ce texte [qui, par ailleurs, ne manquera pas d’être modifié par le Sénat] avant le 31 décembre prochain sera une gageure. D’où l’hypothèse très probable d’un retour à une pratique qui était en vogue lors des IIIe et IVe Républiques, avec leurs majorités instables : la méthode dite du douzième provisoire.

Concrètement, en cas de blocage, le Parlement vote une loi d’urgence budgétaire dont les dépenses et les recettes, identiques à celles de la précédente loi de finances, sont divisées par douze. Ainsi, on appliquerait ces douzièmes pour chaque mois de l’année 2025, tant qu’un nouveau budget n’aura pas été adopté.

Sauf que, selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, qui n’est pas contraignante stricto sensu, il est question d’augmenter le budget du ministère des Armées de 3,3 milliards d’euros en 2025, pour le porter à 50,5 milliards. Un effort quasi identique est prévu pour les annuités 2026 et 2027.

Si la méthode du douzième provisoire s’applique, alors le ministère des Armées devra faire une croix sur la trajectoire financière de la LPM, alors que plusieurs programmes d’envergure ont d’ores et déjà été engagés et que la modernisation de la dissuasion est un impératif. En outre, il faudra aussi prendre en compte les effets de l’inflation, ce qui compliquera davantage une équation déjà difficile à résoudre, d’autant plus que les marges de manœuvres sont déjà étroites…

Avec la guerre aux confins de l’Europe, l’apparition de nouveaux champs de conflictualité et des menaces qui s’empilent, une telle situation n’est évidemment guère confortable. Se posera également la question de l’engagement de la France auprès de ses Alliés.

Une solution serait de faire en sorte que les crédits du ministère des Armées soient votés en dehors d’un projet de loi de finances initiale. Là, il n’y aurait aucun difficulté à trouver une majorité confortable, le bloc central comme le RN et LR ayant pris l’engagement de respecter la LPM 2024-30 durant la campagne électorale. Seulement, il n’est pas certain qu’un tel expédient puisse être possible d’un point de vue juridique.

Dossier géopolitique : La désinformation

Dossier géopolitique : La désinformation

Par Pierre Verluise – Diploweb – publié le 7 juillet 2024  

https://www.diploweb.com/Dossier-geopolitique-La-desinformation.html


Docteur en géopolitique de l’Université Paris IV – Sorbonne. Fondateur associé de Diploweb. Chercheur associé à la FRS. Il enseigne la Géopolitique de l’Europe en Master 2 à l’Université catholique de Lille. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.

La désinformation est peut-être vieille comme le monde, mais elle ne cesse de se réinventer, notamment avec Internet et l’Intelligence Artificielle. L’usage de relais lui permet de gagner en furtivité, voire en efficacité. Pour cliver, rendre hystériques et fragiliser les institutions démocratiques.

Depuis sa création, en l’an 2000, le Diploweb a consacré nombre de publications à la désinformation. En voici une sélection. Aujourd’hui, le contexte rend plus que jamais nécessaire de contextualiser et d’apprendre à se préoccuper de la source pour comprendre comment cette information est arrivée sous nos yeux.

Ce dossier géopolitique du Diploweb conçu par Pierre Verluise rassemble des éclairages féconds à travers des liens vers des documents de référence de nombreux auteurs : articles, entretiens, cartes, vidéos. La page de chaque document en lien porte en haut et en bas sa date de publication, afin de vous permettre contextualiser.

. David Colon, Pierre Verluise, La guerre de l’information cherche à accélérer la décomposition des sociétés démocratiques. Entretien avec D. Colon

Comment définir la guerre de l’information ? Comment les adversaires des États-Unis, notamment l’Iran, la Chine, la Russie ont-ils réagi à la guerre de l’information conduite par les Etats-Unis ? Quelles sont les fonctions des agences de presse et des médias sociaux dans la guerre de l’information contemporaine ? Que font les Etats-Unis mais aussi les États membres de l’UE pour se prémunir de la guerre de l’information conduite par la Russie mais aussi la Chine ?

Voici un entretien majeur avec l’auteur d’un des meilleurs ouvrages publiés depuis trente ans sur la désinformation, enjeu majeur des temps présents et futurs. Vous allez connaitre les grands moments et les principaux acteurs d’une guerre à laquelle nous n’étions pas préparés, devenue menace mortelle pour nos démocraties.

. Estelle Hoorickx, Les menaces hybrides : quels enjeux pour nos démocraties ?

Les menaces hybrides : de quoi parle-t-on ? Quels sont les outils hybrides de plus en plus nombreux et diversifiés qui nous menacent ? Quels sont les principaux acteurs des attaques hybrides ? Estelle Hoorickx fait œuvre utile en précisant les concepts, les stratégies et les moyens utilisés pour nuire aux démocraties en les polarisant à outrance. Les défis sont considérables. Seul un effort durable et conjugué de l’UE et des autres démocraties, impliquant l’ensemble des sociétés civiles, peut produire des effets bénéfiques sur le long terme.

 

 

Dossier géopolitique : La désinformation
Pierre Verluise
Docteur en géopolitique, fondateur du Diploweb.com
Verluise

. Arthur Robin, David Colon, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? D. Colon

Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre. Avec une synthèse rédigée par M-C Reynier, validée par D. Colon.

. Estelle Ménard, Jean-Robert Raviot, Kevin Limonier, Louis Petiniaud, Marlène Laruelle, Selma Mihoubi, Radio Diploweb. Russie : la reconstruction du « hard power » et du « soft power »

Émission sur la Russie réalisée par Selma Mihoubi et Estelle Ménard. Le Diploweb.com croise les regards sur le « soft power », l’idéologie, le « hard power » et le cyberespace pour comprendre la reconstruction du pouvoir en Russie. Cette émission a été réalisée en collaboration avec quatre des auteurs du numéro double de la revue « Hérodote » (N° 166-167) : « Géopolitique de la Russie ». Il s’agit de Marlène Laruelle, Jean-Robert Raviot, Louis Pétiniaud et Kévin Limonier.

. Eléonore Lebon Schindler, Quelle désinformation russe ? EUvsdisinfo.eu la réponse d’East Stratcom pour la Commission européenne

EUvsdisinfo.eu déconstruit la propagande pro-russe diffusée au sein de l’UE et des pays du Partenariat oriental, dément la désinformation du Kremlin sur la scène internationale et sensibilise au danger de la désinformation en général. Une ressource à connaître.

. Ukraine Crisis Media Center (UCMC), Vidéo. Comment les télévisions russes présentent-elles l’Union européenne ?

Passez de l’autre côté du miroir : on a peu l’occasion de se faire une idée par soi-même de l’image que donne la télévision russe de l’Union européenne. L’équipe de l’Ukraine Crisis Media Center (UCMC) a analysé pour vous 8 émissions des 3 chaînes principales sur une durée de 3 ans. Cette vidéo sous-titrée en français vous permet de voir les télévisions russes comme si vous étiez en Russie. La vidéo est accompagnée d’une présentation de l’étude et de ses enseignements.

. Laurent Chamontin, La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre

À l’occasion de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass, la Russie a donné l’impression d’avoir passé un cap en matière de guerre de l’information. L’art de la désinformation ne date pas d’hier, néanmoins le développement sans précédent d’Internet et des réseaux sociaux a mis en lumière une tradition de la manipulation spécifiquement russe, liée à l’irresponsabilité traditionnelle de l’État et à l’omniprésence des services secrets. L’Internet russe étant de plus lourdement contrôlé, il s’agit d’une forme de conflit asymétrique, contre laquelle les démocraties doivent apprendre à mieux se défendre.

. Anna Monti, James Lebreton, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. P. Verluise. La « Glasnost » de M. Gorbatchev (1985-1991) : transparence ou désinformation ?

La désinformation est vieille comme le monde et elle ne cesse de se réinventer, notamment via de nouvelles technologies, mais il existe des fondamentaux, des régularités. Que nous apprend M. Gorbatchev, Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique à propos de la désinformation ? Tout en présentant l’histoire des dernières années de la Guerre froide, P. Verluise apporte une réponse stimulante. Avec en bonus une synthèse rédigée par A. Monti.

. Colin Gérard, « Sputnik » : un instrument d’influence russe en France ?

Plus de vingt-cinq ans après la fin de la Guerre froide, peut-on vraiment inscrire Sputnik, financé à 100% par le Kremlin, dans la continuité d’une stratégie d’influence issue de l’héritage soviétique ? Colin Gérard répond en présentant les origines de la création de Sputnik et sa stratégie de développement axée sur les réseaux sociaux. Deux ans après la mise en service de la version française de Sputnik, le Diploweb publie un document de référence pour un bilan d’étape.

. Laurent Chamontin, Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

L’opinion européenne a été prise à froid par la crise russo-ukrainienne : soumise à un feu roulant de propagande et au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, au sujet de pays qu’elle connaît mal, elle peine encore aujourd’hui à admettre la réalité et l’importance du conflit. Dans le cas français, se surimposent à tout ceci une tradition anti-américaine parfois très excessive, et une russophilie qui n’a rien de répréhensible en soi mais qui ne facilite pas la compréhension de la singularité russe, ni d’ailleurs celle des causes de la chute de l’URSS. Il s’agit ici d’un ensemble de facteurs pesants, même si au total l’opinion n’a pas trop mal résisté au choc.

. Manon-Nour Tannous, Que vaut l’idée reçue : « La guerre en Syrie est un complot » ?

L’auteure démontre à travers des exemples que les théories du complot prônent une vision déterministe des événements, dans laquelle le postulat de départ (il existe un plan caché) prime sur l’analyse des faits. Elles reposent sur une surévaluation des calculs politiques pratiqués en coulisse et de leurs succès. Cette stratégie discursive a une fonction claire : établir qu’il n’y a pas eu de révolution en Syrie.

. Anne Deysine, Antonin Dacos, Vidéo. E-festival de géopolitique, GEM. La révolution numérique à l’assaut de la démocratie américaine ?

Durant cette visioconférence, Anne Deysine souligne les bouleversements qu’entraîne le « big data » dans la vie démocratique américaine. Alors que se déroule la campagne présidentielle, le sujet est important. A. Deysine présente successivement Le « big data », un nouvel outil aux services des candidats ; La révolution numérique, responsable d’une bipolarisation du champ politique aux Etats-Unis ; La politique américaine, victime de la polarisation de ses citoyens ? Avec en bonus un résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com.

. Raphaël Mineau Quels sont les effets boomerang du « sharp power » chinois en Australie ?

L’objectif du sharp power chinois est de neutraliser toutes les remises en cause de la représentation que le régime chinois se fait de lui-même. Il s’agit d’obtenir une cooptation d’étrangers pour façonner les processus décisionnels et soutenir les objectifs stratégiques de Pékin. Ce faisant, le régime chinois manipule le paysage politique des Etats démocratiques afin de légitimer son comportement, dicter des conditions favorables, et façonner l’ordre international à son image. Suite à ces manœuvres notamment appuyées sur les médias en langue chinoise et les associations de Chinois d’outre-mer Pékin représente aujourd’hui aux yeux des autorités australiennes une menace pour la démocratie et la souveraineté nationale de l’Australie. Dans un contexte de rapprochement avec les Etats-Unis, l’île-continent est ainsi passée d’une coopération à une compétition stratégique avec la Chine. Avec deux cartes et une frise chronologique.

. François Géré, Pierre Verluise, Communication et désinformation à l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et des théories du complot. Entretien avec F. Géré

L’information à l’heure d’Internet ouvre de nouvelles possibilités, y compris de manipulation. Il importe de saisir comment les progrès techniques ont renforcé la place de l’information dans notre quotidien et ses enjeux, désinformation comprise. Dans le contexte des élections à venir, tous les citoyens attachés à la démocratie y trouveront matière à réflexion.

ECFR, Charlotte Bezamat-Mantes, Carte. La désinformation sur Facebook. Comment les États transforment les réseaux sociaux en armes

L’ECFR a publié en anglais une somme considérable « The Power Atlas. Seven battlegrounds of a networked world », sur ecfr.eu. Un membre du Conseil scientifique du Diploweb a attiré notre attention sur cette publication. Nous avons demandé à l’ECFR l’autorisation de traduire quelques cartes en français afin de contribuer au débat. Traduite et réalisée en français par C. Bezamat-Mantes, la carte grand format se trouve en pied de page.

. Pierre-Antoine Donnet, Pierre Verluise, Chine, le grand prédateur. Un défi pour la planète. Pourquoi ? Entretien avec P-A Donnet

Pourquoi la RPC est-elle sur le banc des accusés en matière d’espionnage industriel ? Comment la Chine construit-elle ses relations avec les pays partenaires des Nouvelles routes de la soie ? Que penser du rapport de l’IRSEM qui fait grand bruit « Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien » ?
Voici quelques-unes des questions posées à Pierre-Antoine Donnet par Pierre Verluise pour Diploweb.com.

. Anastasia Kryvetska, Comment l’écosystème cyber ukrainien s’est-il adapté à la guerre ?

Depuis 2014, le moteur du développement du cyberespace ukrainien est la guerre avec la Russie. Même si les autorités ne sont pas parvenues à agir efficacement dans le cyberespace dès le début du conflit, ce dernier a fait émerger un écosystème cyber qui a su s’adapter au contexte de guerre. Cet écosystème a contribué à la défense du pays à toutes les échelles, tant au niveau des citoyens que des acteurs étatiques et privés. Bien que de très nombreux objectifs doivent encore être atteints, l’invasion de l’Ukraine est un catalyseur pour le développement du cyber, qui est devenu un acteur essentiel du ministère de la Défense. Illustré de trois graphes.

. Catherine Durandin, Guy Hoedts, Roumanie, vingt ans après : la « révolution revisitée »

Voici un livre au format pdf, téléchargeable gratuitement. Ce recueil rassemble des communications présentées au colloque 1989 en Europe médiane : vingt ans après organisé à Paris, en l’Hôtel National des Invalides.

. Galia Ackerman, Laurent Chamontin, Les manipulations historiques dans la Russie de V. Poutine, un sujet géopolitique

Après avoir été alliée de l’Allemagne nazie d’août 1939 à juin 1941, l’Union soviétique est attaquée par Hitler. Contrainte et forcée, l’URSS change alors de camp. Quelle relation le pouvoir russe entretient-il avec la Seconde Guerre mondiale et ses zones d’ombres ? Comment expliquer la résurgence actuelle du culte de la « Grande Guerre Patriotique » (1941-1945) et de ses héros ? Galia Ackerman, auteur de « Le régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine », éd. Premier Parallèle (2019), répond aux questions de Laurent Chamontin pour Diploweb.com

. Dans les archives du Diploweb, en 2002 Alexandra Viatteau, Bibliographie pour l’étude de l’information et la désinformation


Liens externes vers les publications de Viginum

Viginum, service d’observation chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères.

. 17 mai 2024. Nouvelle-Calédonie : manœuvres informationnelles impliquant des acteurs azerbaïdjanais

. 14 février 2024, Portal Kombat : suite des investigations sur le réseau structuré et coordonné de propagande prorusse

VIGINUM caractérise l’implication d’une entreprise russe domiciliée en Crimée, TigerWeb, dans la création et l’administration des sites du réseau « Portal Kombat ».

. 12 février 2024, Portal Kombat : un réseau structuré et coordonné de propagande prorusse

VIGINUM dévoile l’activité d’un réseau baptisé « Portal Kombat », constitué de « portails d’information » numériques diffusant des contenus pro-russes, couvrant positivement l’invasion russe en Ukraine et dénigrant les autorités de Kiev, afin d’influencer les opinions publiques notamment françaises.

. 13 juin 2023, RRN : une campagne numérique de manipulation de l’information complexe et persistante

Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM) a identifié une campagne numérique de manipulation de l’information ayant visé plusieurs États européens depuis septembre 2022, dont la France.


Toujours plus sur Diploweb

Ce dossier présente une sélection non exhaustive des ressources du Diploweb disponibles sur la désinformation. Plusieurs dizaines de documents s’y rapportent. Aussi nous vous invitons à poursuivre et affiner votre exploration de deux façons :
. par l’utilisation du moteur de recherche interne (en haut à gauche), par exemple avec le mot « désinformation » ;
. par l’usage des rubriques géographiques du menu, en fonction de votre zone d’intérêt.

Publication initiale de ce dossier février 2024.

5 000 militaires à Paris au soir du second tour des législatives

5 000 militaires à Paris au soir du second tour des législatives

Les forces de l’ordre sont en effectif limité. Des soldats prépositionnés en vue des Jeux olympiques craignent d’être réquisitionnés le 7 juillet à Paris.

 

Par Guerric Poncet – Le Point –

Quels que soient les résultats des élections législatives, la situation sera explosive au soir du second tour dimanche 7 juillet, en particulier à Paris. Et, situation inédite, 5 000 des 18 000 soldats prévus dans le dispositif de sécurisation des Jeux olympiques, qui doivent commencer le 26 juillet, seront déjà présents en région parisienne, le reste devant rejoindre la capitale après le défilé du 14 Juillet.

« Les militaires ne feront pas de maintien de l’ordre, ce n’est pas leur métier et c’est absolument hors de question », assure-t-on au ministère de l’Intérieur. « Des militaires seront déployés dans le cadre habituel de la prévention et de la lutte antiterroriste, ils n’auront aucune mission liée de près ou de loin au maintien de l’ordre », précise-t-on à la préfecture de police de Paris.

« La tentation serait forte… »

En cas de flambée de violence au soir du 7 juillet, seules les forces de l’ordre seront en première ligne. « Les militaires n’ont jamais fait de maintien de l’ordre sur le territoire national, cela ne s’est jamais vu », insiste-t-on à la préfecture de police. « Le métier des policiers est de ne pas tirer, celui des militaires est de tirer », résume un officier de l’armée de terre. Faire appel aux militaires pour maintenir l’ordre n’est donc pas à l’ordre du jour.

Mais « en cas d’émeutes s’étendant dans la durée, après l’installation d’un nouveau gouvernement et à l’approche de la date d’ouverture des Jeux olympiques, la tentation serait forte pour le pouvoir politique d’avoir recours aux milliers de militaires déjà sur place, surtout s’il est dans la démarche d’asseoir son autorité », ajoute cet officier, haut placé dans le dispositif des JO. À situation inédite, réponse inédite…

Des « missions de police » pour les militaires

Pour ajouter à la complexité de la situation, plus de 1 500 gendarmes mobiles, initialement affectés au maintien de l’ordre en métropole cet été, ont été envoyés en Nouvelle-Calédonie pour affronter la situation insurrectionnelle. De plus, de nombreux policiers et gendarmes seront en repos ou en congés durant la première quinzaine de juillet, leur hiérarchie leur ayant ordonné d’être disponibles durant les JO. « Tous ces enjeux de disponibilité des effectifs ont été anticipés », balaie-t-on au ministère de l’Intérieur.

L’inquiétude exprimée par certains militaires est renforcée par le fait que leur mission sort temporairement du cadre habituel de Vigipirate. Un autre officier de l’armée de terre nous assure par exemple qu’il doit désormais mener des missions de sécurisation en région parisienne sans l’assistance d’un officier de police judiciaire (OPJ). Or, la présence d’un OPJ, policier ou gendarme expérimenté, est impérative pour constater les délits et les crimes. « Je dois envoyer mes hommes assurer une mission de police, sans le pouvoir de police », regrette-t-il. « Les patrouilles se font toujours dans le cadre légal de Sentinelle, pourtant la mission n’est plus l’antiterrorisme, c’est de la sécurité sur la voie publique », lance-t-il, amer.

Des superpouvoirs pour le préfet de police

« Le ministère de l’Intérieur est drogué à notre présence sur la voie publique, mais la singularité militaire n’est pas d’agir en supplétif des forces de l’ordre sur le territoire national », assure encore un officier. De leur côté, les forces de l’ordre sont exténuées par des années de sollicitation intense et permanente depuis 2015 avec une série d’attentats, la mobilisation des Gilets jaunes ou encore la crise du Covid.

Ce n’est pas cet été que les choses vont évoluer en faveur des militaires. Habituellement, les soldats peuvent prêter main-forte aux préfets qui formulent des « effets à obtenir », en cas de crise ou de catastrophe naturelle par exemple. Charge ensuite aux militaires de choisir les moyens qu’ils allouent. Mais compte tenu du caractère exceptionnel de la mission de sécurisation des JO, les personnels militaires sont durant l’été réquisitionnables par le préfet de police, via le gouverneur militaire de Paris.

Ministère de l’Intérieur parallèle

En plus de ce pouvoir partiel sur les forces armées, le préfet de police de Paris a aussi autorité du 1er juillet au 15 septembre 2024 sur les préfets des départements de la petite couronne, normalement sous l’autorité exclusive du ministre de l’Intérieur. Et la préfecture de police a aussi temporairement autorité sur la régulation des aéronefs et des drones, sur le brouillage, sur la vidéosurveillance ou encore sur les missions des sociétés de sécurité privées.

De quoi mériter un peu plus son surnom de « ministère de l’Intérieur parallèle » pendant les JO… et donc aussi durant la phase politique et sociale explosive qui s’annonce à l’issue des élections législatives.

Pourquoi Joe Biden ne peut remporter l’élection américaine de novembre

Pourquoi Joe Biden ne peut remporter l’élection américaine de novembre

Tribune
Par Barthélémy Courmont – IRIS – publié le 28 juin 2024

Le premier débat opposant les deux principaux candidats à l’élection présidentielle américaine de novembre 2024 s’est tenu le 27 juin soit, une fois n’est pas coutume, plus de cinq mois avant le scrutin. S’il fut comme prévu brutal, témoignant de la polarisation grandissante de la vie politique américaine et de l’animosité poussée à l’extrême entre les deux concurrents, il fut également, sans surprise, un exercice extrêmement difficile pour Joe Biden, qualifié de désastre ou de naufrage. Selon CNN, Donald Trump aurait ainsi « remporté » ce débat pour 67 % des personnes interrogées. Un résultat sans appel, quand on sait à quel point le candidat républicain est clivant.  Hésitant, parfois incompréhensible, Joe Biden a offert la prestation la plus catastrophique de cet exercice médiatique depuis le premier du genre, opposant John F. Kennedy et Richard Nixon en 1960. En cause son état de santé, de plus en plus fréquemment commenté dans les médias, mais aussi son incapacité à élever le débat et à sortir du piège tendu par son adversaire. Déjà perceptible depuis le début des primaires en janvier 2024, la possibilité de voir Joe Biden être reconduit à la Maison-Blanche relève aujourd’hui du fantasme, sauf à considérer une improbable mise à l’écart pour raisons juridiques de Donald Trump ou une encore plus improbable mobilisation de l’électorat démocrate – sans oublier le soutien des indépendants, dont les votes seront comme souvent déterminants – derrière le président sortant. Tandis que les conventions nationales animeront la vie politique américaine pendant l’été, le constat est sans appel : Joe Biden n’a quasiment aucune chance de remporter l’élection face à Donald Trump. Chronique d’une élection perdue d’avance, et libre désormais aux démocrates de trouver une solution.

Le moment d’ouvrir les yeux

Comme aucune autre, l’élection américaine passionne le monde entier. Cela s’explique bien sûr par le pouvoir qu’incarne le locataire de la Maison-Blanche, mais aussi par l’attention médiatique très forte, qu’on ne retrouve dans aucun autre scrutin étranger. En prenant l’exemple français, on voit ainsi que si les analyses et informations concernant la course à la Maison-Blanche restent très nombreuses, les médias se désintéressent d’élections en Allemagne, Italie ou Espagne, pour ne prendre que quelques exemples. Cette fascination pour l’élection américaine souffre cependant d’une forme d’appropriation des débats politiques outre-Atlantique par des médias qui se montrent désormais plus partisans que commentateurs, résultat d’une bipolarisation presque manichéenne et surtout déplacée – puisqu’en dehors des binationaux, les Français ne votent pas plus pour désigner le président américain que le chancelier allemand. Certes chacun est libre de prendre position, de commenter et de critiquer. Mais le rôle des médias doit aussi être d’informer et de dépasser ces prises de position pour présenter les faits et pas uniquement leur interprétation. On voit déjà la couverture médiatique de ce débat, faisant état – comment pourrait-il en être autrement ? – du naufrage de Joe Biden. Mais il est étonnant de devoir attendre fin juin, et les Primaires terminées, pour faire ce constat que les observateurs de la vie politique américaine ne peuvent avoir ignoré depuis des mois, voire plus.

Il est donc temps d’ouvrir les yeux sur le spectacle politique que nous offre la plus grande démocratie du monde. Pas qu’il faille en ricaner, surtout en France, mais il s’agit bien d’une leçon d’humilité pour tous ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités, se focalisant sur les affaires judiciaires de Donald Trump et ignorant dans le même temps que son adversaire voit ses chances de victoire diminuer jour après jour.

Des États clefs qu’il sera quasiment impossible de conquérir

Le mode de scrutin américain se traduit par une attention toute particulière sur une poignée d’États qu’il faut remporter pour bénéficier du nombre suffisant de délégués. Inutile dès lors de regarder les chiffres à échelle nationale, qui n’ont au mieux qu’une valeur indicative – en l’occurrence, Trump devance Biden dans la majorité des sondages nationaux, ce qui renforce le constat de son avance, car les démocrates ont systématiquement plus d’électeurs à échelle nationale depuis plus de vingt ans, ce qui ne leur a pas permis de gagner à tous les coups. Or, on constate que dans la grande majorité de ces États clefs, Donald Trump fait la course en tête et a parfois même creusé de très larges écarts dont on voit difficilement comment ils pourraient être réduits. Ainsi, La Floride ou l’Ohio ne sont même plus désignés comme des États clefs, tandis que le Michigan et le Wisconsin, traditionnellement démocrates, le sont. Comment expliquer cette incapacité des démocrates à se mobiliser à échelle locale ?

Si on regarde les scrutins précédents, c’est dans l’élection de novembre 2016 qu’il faut chercher des clefs de compréhension, plus que dans celle de 2020, marquée par la pandémie de Covid-19. Hillary Clinton, candidate investie par le camp démocrate – et que les médias voyaient, pour les raisons évoquées précédemment, marcher triomphalement vers la Maison-Blanche – essuya à cette occasion un revers sérieux dans la majorité des États clefs, mais aussi dans des bastions traditionnels démocrates, le Michigan et le Wisconsin, où Trump l’emporta à la surprise générale. Surprise ? Pas tant que cela en fait. Lors des primaires démocrates, Hillary Clinton y avait été largement devancée par Bernie Sanders, et commit l’erreur impardonnable de ne pas y faire campagne, arguant du fait que si les électeurs de ces États démocrates votaient Sanders, il n’y avait aucune chance que Trump puisse l’emporter. Elle préféra donc se concentrer sur d’autres États, y compris ceux gagnés d’avance comme la Californie, tandis que Trump avait l’habileté de se déplacer dans ces États négligés par sa concurrente. Il convient ici d’être lucide : l’élection est gagnée sur le terrain plus que depuis la Maison-Blanche ou dans des grands quotidiens de la côte Est. Et on voit difficilement Joe Biden être en capacité d’enchainer les meetings de campagne, quand bien même cela serait suffisant.

Un électorat démocrate plus divisé que jamais

D’autant que si nombreux sont les républicains qui détestent Trump mais se sont résignés à sa troisième candidature consécutive, les démocrates sont aujourd’hui très divisés, et l’épisode des rassemblements propalestiniens sur les campus universitaires en témoigne. La mobilisation des démocrates derrière leur candidat est aujourd’hui le principal défi pour le parti de l’âne. Et Joe Biden n’est pas l’homme de la situation pour incarner la réunion de toutes les sensibilités politiques de son camp.

Paradoxe de cette élection : le bilan de Joe Biden n’est pas mauvais et il n’a pas à en rougir. Si les quatre dernières années furent marquées par de grandes difficultés en matière de politique étrangère (sur lesquelles il serait nécessaire de revenir en détail, parce qu’on ne peut qu’y trouver un très inquiétant signe de déclin), l’économie, qui est toujours au cœur des préoccupations des électeurs, a retrouvé une dynamique après les années de Covid. Sauf que de nombreux électeurs ne le voient pas de cette manière. Les écarts sociaux sont importants, et l’Amérique rurale et des États désindustrialisés continuent de souffrir de politiques qui les ont négligés depuis des décennies. La politique de l’administration Biden ne répond pas aux attentes de ces « gilets jaunes » américains qui pour beaucoup soutiennent le candidat républicain, et pour d’autres se détournent d’un parti démocrate qui ferait défaut sur sa politique sociale. Soyons clair, ne considérer que les chiffres de la croissance du produit intérieur brut (PIB) est très réducteur, aux États-Unis comme ailleurs, dès lors que les principaux intéressés, ceux qui voteront en novembre, ne voient pas d’amélioration sensible de leur condition.

La question doit être posée de manière brutale : de qui Joe Biden est-il le candidat ? Et au-delà, quelle Amérique incarne-t-il et quels démocrates le soutiennent ? De moins en moins visiblement.

Un autre candidat démocrate, mais qui ?

Depuis janvier, la rumeur d’une candidature autre que celle de Joe Biden pour redresser la barre circule dans les rangs démocrates. Celui qui a facilement, et sans faire campagne, remporté les primaires de son camp pourrait ainsi être désavoué et un autre candidat serait présenté à l’occasion de la convention d’août ? Mais lequel, et avec quelle chance de renverser la dynamique et remporter une élection trois mois plus tard ? Sans doute les luttes d’influence atteignent des sommets depuis la prestation désastreuse de Joe Biden lors du débat, mais il va falloir se mettre d’accord sur une candidature crédible, en plus de parvenir à convaincre le principal intéressé. En clair, si le parti annonce en août que Biden n’est pas candidat, cela signifie qu’il ne le juge plus capable de diriger le pays, et les conséquences seront lourdes. Les républicains ne manqueront pas ainsi d’attaquer le parti de l’âne sur la dissimulation de l’état de santé mentale du président.

Autre scénario, celui d’une démission avant novembre, pour raisons de santé par exemple. Ce n’est pas à exclure, ce qui se traduirait par une présidence de Kamala Harris – qui deviendrait ainsi la première femme présidente des États-Unis. Mais cela ferait-elle de l’actuelle vice-présidente la candidate naturelle en novembre ? Pas sûr, quand on regarde sa popularité actuelle et la difficulté qu’elle a éprouvée à s’imposer dans son rôle au cours des quatre dernières années. Dans un cas comme dans l’autre, la stratégie du changement de candidat serait une stratégie de la dernière chance, ce qui offre des chances, même minces, de victoire, mais peut, dans le même temps, totalement déstabiliser l’électorat.

Il va falloir également, et surtout, changer de registre : faire campagne sur les scandales de Donald Trump, fussent-ils financiers ou sexuels, ne marche pas. Il est même étonnant que les stratèges démocrates continuent de se focaliser sur une telle campagne, dont le principal bénéficiaire semble être celui qu’ils veulent porter au pilori. En d’autres termes, un autre candidat s’avère sans doute nécessaire, mais ce ne sera pas suffisant, puisque c’est bien d’une autre campagne dont les démocrates ont aujourd’hui besoin. Pendant ce temps, l’heure tourne, et la perspective de voir le locataire de la Maison-Blanche essuyer d’autres humiliations se profile à l’horizon, tout autant qu’une défaite annoncée.

C’est qui le chef ? par Michel Goya

C’est qui le chef ?

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 27 juin 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Dans les systèmes monarchiques, c’est le souverain qui, par tradition, commande les armées y compris normalement sur le terrain. Avec l’arrivée des régimes républicains, et de fait avec la constitutionnalisation des monarchies, les choses sont devenues un peu plus compliquées. La Constitution de 1848 en France indique par exemple dans son article 50 que le Président de la République (PR) élu au suffrage universel « dispose de la force armée, sans pouvoir jamais la commander en personne ». Les premiers projets de lois constitutionnelles de la IIIe République reprennent la formule, ce qui suscite la colère du « maréchal-président » Mac Mahon (élu par l’Assemblée en mai 1873). Devant sa menace de démission, l’amendement Barthe (1er février 1875) est repoussé et l’article 3 de la loi du 25 février 1875 indique seulement que le Président « dispose de la force armée ». Ce pouvoir est néanmoins limité par l’obligation de contreseing d’un ministre pour toutes les décisions du Président, la possibilité d’être poursuivi pour haute trahison et l’obligation d’assentiment des deux chambres pour déclarer la guerre.

Le maréchal de Mac Mahon a cependant suffisamment de latitude pour organiser un « domaine réservé », une expression de Chaban Delmas en 1959 pour désigner les prérogatives particulières qui devraient être accordées au PR en matière de défense et de politique extérieure. Mac Mahon accorde beaucoup de d’intérêt aux réformes militaires en cours et traite directement avec les ministres et les généraux de corps d’armée qu’il reçoit à l’Élysée. Il tient à désigner lui-même les ministres de la Guerre et de la Marine. La crise du 16 mai 1877 coupe court à cette interprétation. Avec la « constitution Grévy » et la révision de 1884, la France adopte un régime parlementaire et le Président de la République n’exerce plus qu’une « magistrature morale », ce qui permet à Poincaré d’imposer Clemenceau comme Président du Conseil en décembre 1917 mais ne suffit pas à Albert Lebrun pour empêcher la crise des institutions de juin 1940. Cette dernière crise et le désastre qui l’accompagne est en garder en tête pour comprendre l’esprit des institutions de défense de la Ve République.

Notons au passage que le général de Gaulle met en place dans la « France combattante » un système très simple, avec un chef du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) décideur unique avec sous ordres directs un État-major de Défense nationale pour la conduite des opérations et un ministre de la Défense nationale (et non quatre ou cinq ministères, de la Défense nationale, de la Guerre, de l’Air, de la Marine, de l’Armement). Le chef du GPRF est assisté d’un Conseil de défense nationale réunissant tous les ministres concernés par cette guerre désormais totale. Autant d’éléments que le général de Gaulle s’efforcera d’imposer dans les institutions et la pratique de la Ve République.

En attendant, l’expression « Chef des Armées » apparaît dans un décret du gouvernement provisoire de la République en date du 4 janvier 1946 avant d’être reprise, sur proposition du général Giraud alors député, dans la Constitution de 1946 (art. 33 « Le président de la République préside, avec les mêmes attributions [que pour le Conseil des ministres, c’est-à-dire faire établir et conserver les procès-verbaux], le Conseil supérieur et le Comité de la défense nationale et prend le titre de chef des armées. »). Mais l’article 47 précise que « le président du Conseil [qui devient une fonction en soi et non un ministre supérieur aux autres], assure la direction des forces armées et coordonne la mise en œuvre de la Défense nationale ». La gestion de la politique de Défense de la IVe République n’est finalement pas très différente de celle de la IIIavec ses qualités et ses énormes défauts, évidents lors de la guerre en Algérie.

La nouvelle paralysie institutionnelle qui apparaît à cette occasion impose une réforme profonde des institutions et une nouvelle Constitution. Pourtant, étrangement, cette constitution n’apparaît immédiatement pas très différente de celle de 1946 dans son organisation de la Défense nationale.  L’article 15 de la Constitution de 1958 (« Le Président de la République est le Chef des Armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale », sans préciser quelles sont les compétences qu’il exerce à ce titre) est peu différent de l’article 33 de la Constitution de 1946. De plus, l’article 19 (« Les actes du président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables. ») ne fait pas référence à l’article 15. Les actes du Président de la République en conseil de défense doivent donc normalement être contresignés par le Premier ministre. Si on ajoute l’article 20 (« le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée ») et l’article 21 (« Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la Défense nationale ») de la Constitution mais aussi l’article 7 de l’ordonnance de 1959 (« la politique de défense est définie en conseil des ministres ») et son article 9 (« le Premier ministre, responsable de la Défense nationale, exerce la direction générale et la direction militaire de la Défense »), on obtient quelque chose de proche de l’esprit de la IIIe ou de la IVe République. 

Le général de Gaulle ne l’interprète pas de cette façon dans ses Mémoires d’espoir (« Il va de soi, enfin, que j’imprime ma marque à notre défense […] cela pour d’évidentes raisons qui tiennent à mon personnage, mais aussi parce que, dans nos institutions, le Président répond de « l’intégrité du territoire » [art.5], qu’il est « le Chef des Armées », qu’il préside « les conseils et comités de Défense nationale » »). La personnalité du nouveau président de la République et les évènements en Algérie – et pour le général de Gaulle le plus choquant d’entre eux est la rébellion d’une partie de l’armée – impose une centralisation des pouvoirs à son profit. À partir d’avril 1961, la dualité des pouvoirs entre le PR et du PM s’efface au profit du premier et d’une manière générale au profit des civils. L’état-major du Premier ministre redevient le Secrétariat général de la défense nationale à direction civile et le Chef d’état-major général de Défense nationale, l’actuel Chef d’état-major des armées (CEMA), perd beaucoup de ses prérogatives. L’ordonnance de 1959, finalement abrogée en 2004, perd une grande partie de sa substance. Et puis deux phénomènes particuliers sont apparus.

Arguant du caractère très particulier de l’arme nucléaire et de la nécessité de décision urgente, le décret du 14 janvier 1964 « relatif aux forces aériennes stratégiques » décide que le Président de la République a seul qualité pour décider l’emploi du feu nucléaire, ce qui est contradiction avec les dispositions de la Constitution et de l’ordonnance de 1959. Ce décret a été abrogé et remplacé par celui du 12 juin 1996 plus conforme aux textes constitutionnels et législatifs mais qui conserve un caractère ambigu. Dans son article premier, le conseil de défense doit définir « La mission, la composition et les conditions d’engagement des forces nucléaires » alors que le président chef des armées et président du conseil de défense « donne l’ordre ». Cela est considéré très majoritairement comme un « ordre de conduite » et non une décision nécessitant donc le passage par un conseil de défense et le contreseing du Premier ministre, mais pourrait être interprété différemment si une situation de crise plaçant la France devant un tel choix survenait en période de cohabitation hostile. On se demande si un président de la République pourrait réellement engager le feu nucléaire en premier (en riposte, la question ne se pose pas) alors qu’il doit faire face à un gouvernement, une majorité et donc un peuple hostile. Plus largement, la question se pose du maintien au pouvoir d’un président désavoué par le peuple. Le général de Gaulle avait tranché cette question à sa manière mais tout le monde n’est pas de Gaulle. 

Et puis, il y a eu la multiplication des opérations extérieures, rendues possibles justement par la centralisation des institutions. Une opex, c’est une opération décidée par le président de la République, et comme c’est très facile alors que la France a de nombreuses obligations internationales, elles deviennent très nombreuses. Cela pour premier effet de remettre les militaires dans la boucle décisionnelle. Premier ministre et ministre de la Défense/Armées ont leurs états-majors particuliers et le CEMA redevient premier conseiller militaire et membre du Conseil de défense tout en étant en ligne directe avec le PR pour la conduite des opérations. Mais cela a pour effet également de multiplier les conseils de défense dès lors que l’on considère que ces opérations extérieures sont importantes, or qui dit conseil de défense dit in fine approbation du Premier ministre. Cela ne pose pas de problème en cas de situation normale, ou s’il y a désaccord cela se traduit par une démission, comme celle du ministre de la Défense en 1990 au moment de la guerre du Golfe et de la décision de François Mitterrand d’y engager les forces françaises.

En cas de cohabitation c’est forcément plus compliqué et cela se traduit souvent par une négociation entre les deux têtes de l’exécutif. On se souvient des difficultés de lancer l’opération Turquoise au Rwanda en 1994, contrairement à l’opération Noroit au même endroit deux ans plus tôt en période « normale ». Turquoise est finalement engagée mais aux conditions du Premier ministre Édouard Balladur. En décembre 1999 en revanche, le Premier ministre Lionel Jospin s’oppose totalement à une opération de contre coup d’État en Côte d’Ivoire.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 se pose aussi un autre problème. Avant l’engagement dans la guerre du Golfe (1990-1991), le PR avait ordonné au gouvernement de poser la question de confiance selon l’article 48.1 devant l’Assemblée nationale et de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale (art 49.4), afin d’asseoir la légitimité de son action. Mais il disposait alors de la majorité et le vote de confiance ne posait guère de difficultés. Désormais, le Parlement doit obligatoirement voter la poursuite ou non d’une nouvelle opération au bout de quatre mois. On imagine par exemple que l’envoi de militaires français en Ukraine soit jugé suffisamment important pour justifier d’un Conseil de défense, première étape, puis en cas d’approbation, d’un vote au Parlement. Quelle que soit la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale le 7 juillet, on peut imaginer qu’on n’est pas prêt dans ce cas d’avoir des soldats français en Ukraine. Notons au passage que tous ces blocages éventuels sont des incitations au contournement en faisant appel aux services clandestins ou discrets et même, comme aux États-Unis aux sociétés privées.

Notons que si le Premier ministre ne peut déclencher lui-même d’opérations extérieures, il peut déclencher des opérations intérieures en tant que premier responsable de la sécurité du territoire. Dans la confrontation avec l’Iran qui s’est traduit notamment pas une série d’attentats terroristes sur le sol français en 1986, le Président de la République a déclenché quelques mois plus tard l’opération Harmattan dans le Golfe arabo-persique. Entre temps, le Premier ministre et rival pour la future présidentielle, Jacques Chirac, ne voulait être en reste et avait déclenché l’opération intérieure Garde aux frontières et envoyé des soldats renforcer douaniers et policiers de l’Air et des Frontières. Cela n’avait aucun intérêt opérationnel, mais cet engagement inédit de soldats sur le sol français métropolitains (le pas avait été franchi en Nouvelle-Calédonie) permettait au Premier ministre d’exister politiquement.

Pour résumer, la reconnaissance d’un pouvoir entier et personnel du Président de la République comme chef des Armées ne peut plus être niée. La question a été tranchée dans ce sens par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution dans son rapport du 15 février 1993. Le comité, tout en jugeant discutable l’expression « domaine réservé », a estimé que ; malgré certaines ambiguïtés, l’exercice de pouvoirs propres en matière de défense par le Président de la République correspondait à une « tradition trentenaire ». La tradition est ainsi devenue une source de droit en matière constitutionnelle à condition de justifier d’une application « paisible » pendant une certaine durée. On notera que le comité avait proposé de modifier l’article 21 de la Constitution comme suit : « Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de l’organisation de la Défense nationale » afin de refléter la réalité des choses. Cela n’a pas été fait et le Premier ministre, s’il ne peut rien déclencher de vraiment nouveau en politique de défense, ni même sans doute mettre fin à quoi que ce soit d’important, conserve une grande capacité de blocage. Maintenant que la coïncidence des élections présidentielle/législatives n’existe plus et que les cohabitations risquent à nouveau de se multiplier, il n’est pas certain ensuite que l’interprétation actuelle, même confortée par une longue pratique, tienne éternellement.

Charybde, Sylla et Mars : comment éviter la crise de régime

Charybde, Sylla et Mars : comment éviter la crise de régime

OPINION – Tout en rappelant le contexte politique et historique de la situation politique française abracadabrantesque, le groupe Mars analyse les possibles conséquences des élections législatives d’une victoire du RN ou du Front populaire dans le domaine de la défense. Par le groupe de réflexions Mars.
« Quitter l'OTAN serait en effet une catastrophe pour notre pays, tant du point de vue diplomatique qu'économique, et finalement pour notre sécurité » (Le groupe Mars).
« Quitter l’OTAN serait en effet une catastrophe pour notre pays, tant du point de vue diplomatique qu’économique, et finalement pour notre sécurité » (Le groupe Mars). (Crédits : DR)

Les sondages disaient donc vrai ! Aux élections européennes du 9 juin dernier, près d’un électeur sur trois a choisi, parmi 38, la liste Bardella et 40% des électeurs ont voté pour une liste classée à l’extrême-droite. En cumulant l’ensemble des listes classées à l’extrême-gauche, le total des votes hostiles à la construction européenne actuelle est majoritaire en France. Le chef de l’État en a tiré une conclusion politique tout aussi radicale que ce vote annoncé : il a dissous l’Assemblée nationale et convoqué de nouvelles élections législatives dès que possible. La France aura donc un nouveau Premier ministre le 14 Juillet …

Oradour-sur-Glane : 36% d’électeurs RN

A vrai dire, cet enchaînement institutionnel ne devrait pas constituer une surprise. La crise politique couvait depuis que les précédentes élections législatives il y a deux ans n’avaient pas permis de donner au président une majorité claire. La surprise est ailleurs : dans l’ampleur du soutien populaire dont jouit dorénavant le Rassemblement national (RN), tant géographiquement que sociologiquement. Un exemple suffit à illustrer l’ampleur du phénomène : à l’exception d’une poignée restée fidèles à la tradition de vote rouge, dans toutes les communes de Haute-Vienne le RN est arrivé en tête, et largement.

A Oradour-sur-Glane, où le chef de l’État se trouvait au lendemain de sa déroute électorale, le RN a séduit 36% des votants. Le résultat est similaire dans les communes environnantes et dans quasiment tout le département, y compris Limoges. Inimaginable encore en 2017, un tel résultat devrait provoquer une remise en cause radicale du discours et de la pensée politique. Il n’en est rien.

Erreur historique de la gauche

Plutôt que de reconnaître son erreur historique d’avoir abandonné l’électorat populaire à l’extrême-droite, la gauche se fait plaisir en annonçant un nouveau « Front populaire ». Sympathique, mais pitoyable. N’est-ce pas Karl Marx qui disait que lorsque l’histoire se répète, c’est la première fois comme une tragédie, et la seconde comme une farce. Il est malgré tout intéressant de tenter de comparer les deux époques. Quand, en 1934, la gauche marxiste française décide d’oublier pour un temps les haines recuites du congrès de Tours, rejointe par des radicaux en perte d’influence, la France, atteinte avec un temps de retard par la crise économique, est menacée par le révisionnisme des dictatures fascistes qui s’installe chez ses plus grands voisins : Italie, Allemagne et prochainement Espagne.

Sur le front intérieur, la menace fasciste semble également se concrétiser depuis les évènements du 6 février qui ont vu les Ligues d’extrême-droite s’en prendre au Parlement. Quant à la condition ouvrière, elle est encore très difficile : en-dehors du paternalisme du patronat chrétien, les avancées sociales sont maigres, tant en termes de conditions de travail, de loisirs, de logement et de protection sociale, et les travailleurs se voient comme « des esclaves en location ».

90 ans plus tard, la situation est tout de même fort différente. La condition ouvrière ne ressemble en rien à celle d’avant 1936, la France n’est pas menacée par ses voisins immédiats et s’il existe une violence politique depuis 50 ans, elle est essentiellement le fait de l’extrême-gauche, des terroristes rouges des « années de plomb » à l’activisme vert radical d’aujourd’hui. Quant à l’antisémitisme, c’est encore à l’extrême gauche qu’il s’exprime aujourd’hui sans retenue. S’il n’est pas de même nature que dans les années trente, la haine du Juif est la même.

Dans ces conditions, la résurgence officielle d’un soi-disant « Front populaire » est problématique pour la crédibilité-même de la gauche, et donc de son avenir politique au sein de la République. L’idéologie révolutionnaire partagée par toutes les chapelles du trotskisme a fait suffisamment de mal à la social-démocratie. Au contraire, c’est sur sa vocation originelle de protection des couches populaires que la gauche doit se reconstruire un avenir afin de récupérer son électorat naturel quand il aura été suffisamment déçu par un RN directement confronté à l’exercice du pouvoir.

Bloc libéralo-centriste : la société du QR code

En se déplaçant plus au centre de l’hémicycle, le bloc libéralo-centriste n’est pas non plus épargné par les contradictions. Son « progressisme » auto-proclamé est au progrès social ce que le nationalisme de l’extrême-droite est à l’idée de nation : une trahison. Le progrès social (cf. les réformes des retraites et de l’assurance chômage) et les libertés individuelles (cf. la société du QR code et de la reconnaissance faciale) n’ont jamais autant régressé depuis que le pouvoir se dit progressiste. Est-ce qu’un pouvoir qui se dit nationaliste portera autant atteinte aux intérêts de la nation ?

Or le progrès comme la nation sont des idées de gauche. Celle-ci ne peut se reconstruire politiquement sans les assumer à nouveau, non comme des slogans mais pour répondre aux vrais besoins des gens. Ces besoins sont bien connus, à commencer par le sentiment d’insécurité sous toutes ses formes. Mais on ne lutte pas contre l’insécurité, qu’elle soit physique, sociale, culturelle ou relative aux intérêts vitaux de la nation. L’insécurité en tant que telle n’existe pas, c’est juste un slogan, un mot destiné à surtout ne rien faire. Par contre, c’est une réponse pénale adaptée qu’il faut opposer au crime, organisé ou non. C’est un filet de protection sociale raisonnable et adapté qu’il faut entretenir face aux accidents de la vie. C’est une culture particulière qu’il faut préserver et enrichir face à l’appauvrissement des écrans. Et c’est un ennemi, étatique ou non, qu’il faut se préparer à combattre s’il nous agresse.

De la même façon, l’immigration en tant que telle n’est pas un problème, du moins pour une vision de gauche. Par contre, quand on accueille des immigrés, il faut les accueillir vraiment, en leur partageant ce que nous avons de meilleur : notre sécurité (physique et sociale), notre culture, nos valeurs. On ne les laisse pas croupir dans des ghettos où ils s’enferment entre eux dans leurs valeurs réactionnaires sans autre perspective qu’une instruction au rabais et une éducation défaillante pour leurs enfants.

Tous ces défis, la gauche aurait pu et aurait dû les assumer quand elle était au pouvoir. Le fait est qu’aujourd’hui, une majorité de Français, considérant qu’elle a échoué, s’apprête à donner sa chance à un parti aux origines pour le moins controversées. Nul n’ignore que le RN est l’héritier direct du FN qui était il y a 50 ans un groupuscule d’extrême-droite fondé par un ancien député poujadiste antigaulliste qui ne répugnait ni à la violence ni à la provocation. Transformé par la fille du fondateur, le groupuscule a acquis en quelques années une respectabilité nourrie par la somme des erreurs de ses adversaires politiques.

Et voilà aujourd’hui l’ancien groupuscule devenu premier parti de France et peut-être demain majoritaire dans une Assemblée toujours élue par un mode de scrutin qui lui était jusqu’à présent défavorable. Ironie de l’histoire et des institutions, c’est grâce au scrutin majoritaire à deux tours que le RN pourrait demain emporter la majorité absolue des sièges avec moins d’un tiers des voix.

Quitter l’OTAN, une catastrophe

La bonne nouvelle, c’est que son (éventuelle) accession au pouvoir sous le régime de la cohabitation lui évitera de commettre l’irréparable dans bien des domaines, à commencer par celui qui intéresse le groupe Mars au premier chef, à savoir la défense. Réputé hostile à la présence de la France dans l’OTAN, le RN ne parviendra pas à en sortir notre pays du fait de l’opposition du chef des armées (et de tous les chefs militaires) à cette perspective.

Quitter l’OTAN serait en effet une catastrophe pour notre pays, tant du point de vue diplomatique qu’économique, et finalement pour notre sécurité. Vis-à-vis de ses alliés, la France perdrait une crédibilité qu’elle peinerait à reconquérir sous la forme de traités bilatéraux. Quant à ses ennemis potentiels, ils se réjouiraient de l’affaiblissement de sa défense. Car remplacer les garanties de sécurité d’une alliance aussi puissante que l’OTAN aurait un coût que nos finances publiques délabrées ne pourraient pas se permettre. Il en résulterait un déclassement historique de la nation France. Trahison, vous dit-on !

100 milliards : une saignée irresponsable

A l’inverse, l’autre bonne nouvelle de ces élections européennes, c’est la déroute des listes dont le programme prévoyait de consacrer davantage de moyens à l’Union européenne de défense, comme disent les Allemands. Il faut dire que la ficelle était un peu grosse : annoncer comme priorité la création d’un fonds de cent milliards d’euros pour la défense, de la part de listes dont les matières régaliennes n’étaient pas le point fort, cela sonnait étrangement faux. Il faut en effet rappeler que l’argent magique n’existe pas et que, par conséquent, si l’UE dépense 100 en plus, la France sera ponctionnée au bas mot de 18, et plus probablement de 20, voire plus en fonction de la position des autres États membres.

En milliards d’euro, cela correspond exactement à une annuité d’investissements dans des équipements de défense, c’est-à-dire le minimum du minimum pour faire face aujourd’hui aux menaces et à nos engagements. Créer un « fonds de défense » à cent milliards reviendrait en réalité à priver notre pays d’une annuité d’achats d’armements et de munitions. Une saignée complètement irresponsable. Ces listes proposaient donc ni plus ni moins que d’affaiblir notre défense au profit d’une avancée de la construction européenne. Et l’on s’étonne ensuite du résultat…

Affrontement droite-gauche dans sa version monstrueuse

L’effondrement de l’axe central du paysage politique française au profit de ses franges extrémistes tient sans doute moins à l’adhésion spontanée de l’électorat aux discours radicaux qu’à la médiocrité du personnel politique incarnant cet axe central et son incapacité à affronter les vrais défis. La fuite en avant vers le fédéralisme européen (et un inepte discours guerrier tenant lieu de soutien à l’Ukraine agressée) n’est que la conséquence de la vacuité de ses convictions et de son inaptitude à penser la politique dans son cadre naturel qu’est la nation.

Nous voilà donc revenus à l’état naturel d’un affrontement droite-gauche, mais dans sa version monstrueuse. Soucieux avant tout de préserver quelques sièges et les financements qui vont avec, la gauche et la droite modérées s’estiment contraintes, sous la pression de leur électorat respectif, de se livrer aux radicaux de leur « camp ». Tel est l’héritage de l’ère Macron, qui restera sans doute dans l’histoire comme l’illustration d’une mauvaise réponse à une bonne question.

Car le « populisme » de droite ou de gauche ne prospérerait pas sans une réalité que les « modérés » n’ont pas voulu voir et encore moins affronter. La seule réponse raisonnable au défi posé par l’échec de l’axe central est la reconstruction d’une offre politique fondée sur le progrès social et la défense nationale dans toutes ses dimensions, sécuritaire bien-sûr, mais tout autant culturelle et économique. Il n’y aura sans doute pas d’autre solution face à la crise de régime qui s’annonce, quand les institutions resteront bloquées faute de majorité claire et que toute nouvelle dissolution sera suspendue à l’expiration des délais constitutionnels. Le problème est que, à ce jour, cette offre nouvelle n’est pas incarnée. Or la Ve République, au contraire de celles qui ont précédé, exige de mettre un visage et un nom sur un programme.

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* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.