Selon la DGA, les actes malveillants contre les entreprises françaises de l’armement se multiplient

Selon la DGA, les actes malveillants contre les entreprises françaises de l’armement se multiplient

https://www.opex360.com/2024/10/25/selon-la-dga-les-actes-malveillants-contre-les-entreprises-francaises-de-larmement-se-multiplient/


La sécurité informatique des entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] française est un vaste chantier, qui plus est sans fin étant donné que les « cyber-assaillants » ont souvent un temps d’avance sur les dispositifs de protection éventuellement mis en place par leurs cibles.

Pour rappel, la BITD compte environ 4000 entreprises, dont 1600 sont considérées comme critiques. Elles peuvent bénéficier d’un soutien de la part de la Direction générale de l’armement, via le Plan en faveur des ETI, PME et start-ups [PEPS, ex-plan Action PME], qui, relevant de la nouvelle Direction de l’industrie de défense [DID], comporte un axe de résilience « cyber ». Au besoin, elle peuvent la solliciter pour mener des audits sur leur sécurité informatique. Seulement, est-ce suffisant, quand seulement 56 « diagnostics cyber » ont été effectués en 2023 ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les attaques informatiques contre la BITD ont augmenté « assez significativement », a ainsi confié Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement [DGA], lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 23 octobre.

Il arrive que certaines de ces attaques aient une motivation criminelle, notamment quand elles sont menées à des fins d’extorsion avec des rançongiciels.

Mais elles peuvent aussi [et surtout] être liées aux « intérêts de nos compétiteurs dans des domaines particuliers, comme par exemple le spatial et le naval », a expliqué M. Chiva. « On voit de plus en plus d’attaques structurées de services étrangers, dirigées plutôt vers des PME et des TPE, qui sont moins bien familiarisées aux moyens de lutte », a-t-il ajouté.

« Il y a des attaques pour neutraliser, il y a des attaques pour voler. Le plus inquiétant, c’est quand on ne sait pas », par exemple « quand vous découvrez qu’on vous dérobe vos données et que vous ne savez pas depuis combien de temps ça dure », a poursuivi M. Chiva. Et puis il y a aussi « toutes les attaques qu’on n’a pas encore découvertes », a-t-il complété.

Pour parer ces attaques informatiques, la DGA mise sur le dialogue et l’incitation à adopter de bonnes pratiques et non sur la coercition.

« Je ne sais pas s’il faut être plus coercitif ou pas. D’abord, il faut avoir les moyens de l’être. Je pense que c’est un dialogue que nous avons aujourd’hui avec l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information] qui nous permettra de répondre à un certain nombre de ces nécessités », a estimé M. Chiva. D’où l’importance de l’accompagnement des PME/TPE mis en place par la DGA.

« Plutôt que de les contraindre [les entreprises, ndlr], on a choisi de créer un référentiel d’exigence minimale cyber. Dans ce domaine là, les entreprises ont peur d’être confrontées à trop de normes, à trop d’obligations. Donc, on leur dit : ‘si vous voulez travailler pour la défense, voilà le niveau minimum de cyberprotection que l’on attend de vous’ », a expliqué le DGA. Ce référentiel est en outre utilisé par les maîtres d’œuvre industriels dans leurs relations avec leurs sous-traitants.

La même approche a été adoptée pour les risques d’atteintes « physiques ». En juin, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait fait état de 150 incidents constatés entre 2021 et 2023. « C’est quelque chose qui est très ‘Guerre froide’, mais qui n’a jamais disparu et qui reprend une force particulière depuis deux ans », avait-il dit, au Sénat.

Ce qu’a confirmé M. Chiva devant les députés. « On voit se multiplier un certain nombre d’évènements, d’incendies, de dégradations et autres qui pourraient être le fruit du hasard, sauf à regarder de près ce qui se passe. Il y a une usine qui construis[ai]t un des missiles utilisés en Ukraine qui a brûlé en Allemagne et je ne pense pas que ce soit à cause d’un mégot tombé dans une corbeille à papier », a-t-il dit.

Faut-il établir un parallèle avec l’explosion survenue à la poudrerie de Bergerac, en août 2022 ? Deux ans après, l’instruction est toujours en cours et, selon France Bleu Périgord, un « nettoyage insuffisant des installations avant maintenance » et « des mesures de prévention insuffisantes » en auraient été la cause…

Quoi qu’il en soit, comme pour la sécurité informatique, la DGA a élaboré un « référentiel d’exigences minimales de protection physique », encore appelé, par M. Chiva, « référentiel de sûreté fondamentale ». Il est « pris en compte par un certain nombre de maîtres d’œuvre industriels pour évaluer leurs sous-traitants les plus critiques », a-t-il conclu.

L’affaire Nord Stream (1/2) : la piste douteuse de l’Andromeda, et les indices d’une opération états-uno-norvégienne

L’affaire Nord Stream (1/2) : la piste douteuse de l’Andromeda, et les indices d’une opération états-uno-norvégienne

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Sabotage des gazoducs Nord Stream

L’affaire Nord Stream (1/2) : la piste douteuse de l’Andromeda, et les indices d’une opération états-uno-norvégienne

Par Maxime Chaix – le Diplomate Média – publié le 1er octobre 2024

https://lediplomate.media/2024/10/affaire-nord-stream-1-2/maxime-chaix/monde/russie-et-ukraine/


Le 14 août dernier, nous avons appris que l’Allemagne avait émis un mandat d’arrêt européen contre un ressortissant ukrainien accusé d’avoir fait partie d’un commando qui aurait exécuté, en septembre 2022, le sabotage de trois des quatre gazoducs Nord Stream. Le même jour, le Wall Street Journal publiait un article affirmant qu’il s’agissait d’une « opération ukrainienne [ayant] coûté environ 300 000 dollars, selon des personnes qui y ont participé. Elle impliquait [l’Andromeda,] un petit yacht loué par un équipage de six membres, dont des plongeurs civils formés [au sabotage sous-marin]. L’un d’eux était une femme, dont la présence a contribué à créer l’illusion qu’ils étaient un groupe d’amis en croisière de plaisance. “J’éclate de rire à chaque fois que je lis des spéculations dans les médias sur une énorme opération impliquant des services secrets, des sous-marins, des drones et des satellites”, a déclaré un officier qui a participé à ce plan. “Toute cette affaire est née d’une nuit bien arrosée et de la détermination inébranlable de quelques personnes qui avaient le courage de risquer leur vie pour leur pays.” »

Toujours d’après le Wall Street Journal, « Volodymyr Zelensky avait initialement approuvé ce plan, selon un officier impliqué dans cette mission et trois personnes proches du dossier. Mais plus tard, lorsque la CIA en a pris connaissance et a demandé au Président ukrainien de stopper l’opération, il a ordonné d’y mettre fin, d’après ces sources. Cependant, le commandant en chef de Zelensky, Valeriy Zaloujny, qui dirigeait cet effort, a malgré tout décidé de le concrétiser. » Outre le fait improbable de confier une telle opération à une équipe partiellement composée de plongeurs civils, qui auraient navigué en mer Baltique avec le drapeau ukrainien accroché sur le mât de l’Andromeda, qui étaient mal équipés et qui n’auraient pas nettoyé ce bateau après y avoir transporté des explosifs, il est à noter que cet article disculpe opportunément la CIA autant que le Président Zelensky. En d’autres termes, son ex-chef d’état-major des armées Valeriy Zaloujny est présenté comme le seul responsable de ce sabotage, ce qui permet subtilement ne pas faire porter la responsabilité de cet acte de guerre sur les autorités présidentielles ukrainiennes, ni sur l’administration Biden.

Or, de solides indices jamais relayés par les médias grand public occidentaux viennent renforcer le retentissant article de Seymour Hersh publié en février 2023, et accusant le gouvernement des États-Unis d’avoir clandestinement détruit trois des quatre gazoducs Nord Stream. Ces indices suggèrent également que ce sabotage fût potentiellement planifié avec l’aide de l’OTAN et des services spéciaux norvégiens, mais exécuté uniquement par des spécialistes états-uniens, et non grâce à un Poseidon P8-A de la Marine norvégienne, tel que Seymour Hersh l’avait affirmé. Après avoir exposé ce faisceau d’indices, nous expliquerons pourquoi cet acte de sabotage industriel sans précédent favorisera de manière durable et décisive 1) les exportations de gaz naturel de la Norvège vers l’Europe via le Baltic Pipe, un gazoduc construit par le Danemark et la Pologne, et inauguré le lendemain des attaques contre Nord Stream, et 2) les importations de gaz naturel liquéfié des États-Unis par les pays d’Europe centrale et orientale via l’architecture de l’Initiative des Trois Mers, un projet soutenu par Washington et élaboré par l’Atlantic Council à partir de 2014, lancé par la Pologne et la Croatie l’année suivante, et grâce auquel le Baltic Pipe livre du gaz norvégien via le territoire polonais depuis début octobre 2022.

Le conspirationnisme antirusse et la « zone d’exclusion intellectuelle » qu’est l’affaire Nord Stream

Avant d’expliquer et de documenter ces arguments clés, il convient de rappeler que, immédiatement après les attaques contre Nord Stream, une cohorte d’experts, de politiciens et de journalistes occidentaux ont accusé sans preuve Vladimir Poutine d’être l’instigateur de ce sabotage. Fondées sur de simples raisonnements sophistiques, ces allégations auraient dû être rejetées comme des théories du complot par des autorités et des médias occidentaux pourtant obsédés par la vérification des faits et la lutte contre les fausses informations. Cependant, et sans surprise, la presse dominante en Occident a largement diffusé ces analyses biaisées sans aucune conséquence en termes de réputation pour les auteurs de ces accusations, même après qu’elles furent discréditées au profit de l’hypothèse tout aussi douteuse du voilier Andromeda loué par une équipe de plongeurs ukrainiens. Comme l’a observé FAIR.org en octobre 2022, après les attaques contre l’infrastructure Nord Stream, « une grande partie de la presse a docilement répété la ligne officielle occidentale. Le Washington Post a rapidement publié un article titré “Les dirigeants européens accusent la Russie de sabotage après les explosions de Nord Stream”, ne citant que des responsables de l’UE qui affirmaient que, bien qu’ils n’avaient aucune preuve de l’implication russe, “seule le Kremlin avait la motivation, les équipements sous-marins et la capacité” [de planifier et d’exécuter cette attaque – une évaluation totalement inexacte, tel que nous le démontrerons]. Une grande partie des médias ont dirigé leurs soupçons vers la Russie, y compris Bloomberg, Vox, l’Associated Presset la plupart des chaînes d’information. À de rares exceptions près, toute spéculation sur l’implication [éventuelle] des États-Unis fut manifestement considérée comme une “zone d’exclusion intellectuelle”. »

Comme l’on pouvait s’y attendre, les médias occidentaux ont été appuyés dans cette offensive de désinformation par plusieurs think tanks militaristes et antirusses. Par exemple, seulement deux jours après cet événement, le chercheur Daniel Kochis écrivait sur le site de la Heritage Foundation – un cercle de réflexion notoirement belliciste –, que « l’arsenal de guerre de la Russie [semblait alors] inclure le sabotage de pipelines sous-marins (…) [, ce qui] devrait être clairement interprété comme un autre exemple frappant de la manière dont la Russie continu[ait] à utiliser tous les outils à sa disposition pour faire pression sur l’Occident et le déstabiliser. Poutine considère sa guerre en Ukraine et ses attaques plus larges contre le monde occidental comme un conflit à long terme qui ne sera pas résolu de sitôt, et c’est pourquoi il est prêt à littéralement couper les liens avec l’Europe en sabotant les mêmes gazoducs Nord Stream dans lesquels il a investi tant d’argent (y compris en achetant de l’influence) et de capital politique et diplomatique il n’y a pas si longtemps. » Alors que l’hypothèse d’une responsabilité russe dans ce sabotage est désormais écartée en privé comme en public par la plupart des autorités occidentales, cet article n’a pas été modifié ni retiré jusqu’à présent.

Au lendemain de cette attaque, Elisabeth Braw, une chercheuse du tout aussi belliciste think tank American Enterprise Institute, écrivait que « le coupable semble être le gouvernement russe. Avec les pays européens réduisant leurs importations de gaz en provenance de Russie, les pipelines n’étaient de toute façon pas pleinement utilisés, d’autant plus que l’Allemagne a refusé d’homologuer Nord Stream 2 [deux jours avant l’invasion russe du 24 février 2022 en Ukraine]. Par ailleurs, Moscou tente désespérément de faire peur à l’Occident. À plusieurs reprises (…), des responsables russes – y compris Vladimir Poutine –, ont brandi la menace nucléaire dans le but d’effrayer les gouvernements occidentaux pour qu’ils stoppent leur soutien militaire à l’Ukraine. Mais cela n’a pas fonctionné. Désormais, la Russie semble tester une nouvelle stratégie : causer discrètement des dommages à la mer Baltique, un petit océan déjà extrêmement pollué. » Cependant, nous allons constater que des indices disponibles en source ouverte suggèrent non pas un complot russe – un scénario désormais écarté par des responsables de la diplomatie et des services de renseignement occidentaux –, mais une potentielle opération clandestine des États-Unis et de la Norvège, tel que nous le résumerons à travers cette analyse.

Les révélations sous-médiatisées et malhonnêtement discréditées de Seymour Hersh

Le 8 février 2023, le célèbre journaliste d’investigation Seymour Hersh rapporta que la CIA, avec l’aide de l’OTAN, de la Marine états-unienne et des services spéciaux norvégiens, aurait planifié et exécuté une opération clandestine pour détruire les gazoducs Nord Stream. Sans surprise, l’article de Hersh a été soit largement ignoré aux États-Unis, soit rejeté avec des arguments discutables et des tentatives malhonnêtes de discréditer son auteur. Comme il l’a affirmé dans son article, « des plongeurs de la marine [états-unienne], opérant sous la couverture d’un exercice estival de l’OTAN largement médiatisé, et connu sous le nom de BALTOPS 22, ont mis en place les charges explosives déclenchées à distance qui, trois mois plus tard, ont détruit trois des quatre gazoducs Nord Stream, selon une source ayant une connaissance directe de cette planification opérationnelle. (…) La Norvège était l’endroit idéal pour baser la mission. Ces dernières années, au cœur de la crise Est-Ouest, l’armée états-unienne a considérablement renforcé sa présence sur le territoire norvégien, dont la frontière occidentale s’étend sur 2 250 kilomètres le long de l’océan Atlantique Nord et fusionne au-dessus du cercle polaire avec la Russie. Le Pentagone a créé des emplois bien rémunérés et signé divers contrats, malgré quelques controverses locales, en investissant des centaines de millions de dollars pour étendre et moderniser les installations navales et aériennes états-uniennes en Norvège. »

Dans cet article, Hersh écrivit que les services spéciaux norvégiens auraient participé à la planification de ce sabotage, et qu’ils « avaient trouvé une solution à la question cruciale de savoir quand [cette] opération devait avoir lieu. Chaque mois de juin, depuis 21 ans, la Sixième Flotte états-unienne, dont le navire amiral est basé dans la ville italienne de Gaeta, au sud de Rome, parraine un exercice majeur de l’OTAN en mer Baltique impliquant des dizaines de navires alliés de toute la région. Organisé en juin, il serait nommé Baltic Operations 22, ou BALTOPS 22. Les Norvégiens ont suggéré que cet exercice constituerait la couverture idéale pour poser les mines. (…) Leurs partenaires états-uniens ont fourni un élément crucial : ils ont convaincu les planificateurs de la Sixième Flotte d’ajouter au programme un exercice de recherche et de développement. L’exercice, tel que rendu public par l’U.S. Navy, impliquait la Sixième Flotte en collaboration avec les “centres de recherche et de guerre” de la Marine. L’événement en mer se tiendrait au large de l’île de Bornholm [– dans la même zone où les pipelines Nord Stream ont été détruits –,] et impliquerait des équipes de plongeurs de l’OTAN déployant des mines, avec des unités concurrentes utilisant les dernières technologies sous-marines pour les localiser et les détruire », tel qu’annoncé par l’U.S. Navy elle-même.

Toujours selon Hersh, alors que les explosifs devaient initialement se déclencher 48 heures après BALTOPS 22, l’administration Biden aurait décidé de reporter le sabotage en déclenchant ces bombes à distance via « une bouée sonar larguée par un avion à la dernière minute », affirmant que ce système aurait été activé trois mois plus tard, « le 26 septembre 2022, [après] qu’un avion de surveillance [Boeing P-8A Poseidon] de la marine norvégienne [et de fabrication états-unienne] ait effectué un vol de routine et largué une bouée sonar. Le signal s’est propagé sous l’eau, d’abord vers Nord Stream 2, puis vers Nord Stream 1. Quelques heures plus tard, les explosifs C4 à forte puissance ont été déclenchés et trois des quatre gazoducs ont été mis hors service. » Produite par le chercheur suédois Ola Tunander, une importante enquête en deux volets confirme la plausibilité des principaux arguments de Hersh, bien que ce spécialiste ait une autre hypothèse sur les auteurs du déclenchement des explosifs ayant détruit ces gazoducs.

Les indices d’une opération états-unienne « pas si secrète », et la douteuse piste de l’Andromeda

Tel que documenté par Ola Tunander, chaque nuit entre le 22 et le 25 septembre 2022, un « P-8A [Poseidon] immatriculé aux États-Unis, mais avec une “identité masquée”, (…) a quitté la base navale de Cuxhaven/Nordholz, dans le nord de l’Allemagne » et a survolé deux fois la zone du sabotage, tandis qu’un hélicoptère militaire états-unien, un « Sikorsky MH-60R Seahawk (…) survolait pendant des heures le sud-est de la mer Baltique. Il aurait été en mesure de capter tout signal émis par une bouée sonar larguée par un P-8A Poseidon. » Cette même mission a été répétée durant la nuit des 23/24 septembre et celle des 24/25 septembre. Comme il l’a expliqué dans un autre article, « nous savons qu’un avion Poseidon états-unien a quitté la base aérienne navale de Keflavik pour la mer Baltique [environ] deux heures avant que la première explosion n’ait lieu à 02h03 CEST (heure d’été d’Europe centrale) le 26 septembre 2022, et que cet avion devait couvrir la zone à l’est de Bornholm pendant plusieurs heures dans la nuit et la matinée du 26 septembre, avant la première explosion. Nous le savons car un avion ravitailleur états-unien a été envoyé d’Allemagne pour ravitailler le Poseidon au-dessus de la Pologne exactement à la même minute que la première explosion sur le Nord Stream 2, ce qui supposait que le Poseidon devait être utilisé pour une période prolongée. » Comme l’a observé en février 2024 le spécialiste des questions militaires Laurent Lagneau, « le fait qu’un avion de patrouille maritime P-8A Poseidon [états-unien] volait au-dessus de la Baltique peu avant les explosions pouvait (…) susciter des interrogations… d’autant plus qu’il avait coupé son transpondeur », un fait également détecté par Tunander.

Confirmant l’argument de Hersh selon lequel ce sabotage a été préparé et exécuté par des acteurs étatiques – une évaluation partagée par les enquêteurs officiels suédois et danois –, Ola Tunander a conclu à l’issue de ses recherches approfondies que «toute cette opération a été planifiée à l’avance [par les services spéciaux états-uniens]. Cela n’indique pas seulement [leur] connaissance préalable de l’explosion, mais (…) du moment exact de la première détonation. On n’envoie pas sans raison un Poseidon depuis l’Islande vers la mer Baltique en pleine nuit [, appuyé par] un avion ravitailleur [qui décolle à la même minute que l’explosion initiale] afin d’assurer une opération de longue durée. » Tunander a pu ainsi cumuler de nombreux indices trahissant ce qu’il perçoit comme une « vaste et (…) arrogante opération états-unienne impliquant l’usage [d’équipements de] haute technologie, [mais] pas si secrète. » En effet, les missions nocturnes suspectes de l’U.S. Navy qu’il a détectées entre le 22/23 et le 24/25 septembre au-dessus de la mer Baltique – et qui impliquaient chacune deux survols de la zone de Bornholm –, étaient traçables sur FlightRadar24.com. Elles n’étaient donc pas véritablement furtives. Un tel manque de discrétion fut observable dans le périple maritime, en mer Baltique, de l’équipe d’Ukrainiens aujourd’hui accusée par l’Allemagne et les médias grand public occidentaux d’avoir saboté les gazoducs Nord Stream. Dans l’un de ses articles, Tunander estima que les « plongeurs ukrainiens à bord de l’Andromeda [, qui auraient été commandés par le chef d’état-major des armées Valeriy Zaloujny,] ont peut-être joué un rôle dans cette affaire, mais plutôt en tant que couverture pour la véritable opération. »

Cet argument est corroboré par de multiples sources officielles occidentales indiquant que la piste du voilier Andromeda n’est pas crédible, du moins pour expliquer qui étaient les planificateurs et les auteurs de cette attaque. Tel que rapporté par le New York Times en avril 2013, « après que des saboteurs ont gravement endommagé les gazoducs Nord Stream en septembre dernier, les autorités allemandes se sont concentrées sur un voilier loué [dont l’équipage] semblait avoir participé à la pose d’engins explosifs en profondeur sous la mer Baltique. Or, après des mois d’enquête, ces autorités judiciaires soupçonnent désormais que le yacht de 15 mètres, l’Andromeda, n’était probablement pas le seul navire utilisé dans cette attaque audacieuse. Ils estiment également que ce bateau pourrait avoir été un leurre, mis en mer pour détourner l’attention des véritables auteurs, qui sont toujours en fuite, selon des responsables informés d’une investigation dirigée par le Procureur général d’Allemagne. Ils se sont exprimés anonymement pour partager des détails sur l’enquête en cours, y compris des doutes sur le rôle de l’Andromeda qui n’avaient pas encore été rapportés [par d’autres médias]. (…) Des responsables états-uniens et européens ont déclaré qu’ils ne savaient toujours pas avec certitude qui était à l’origine de l’attaque sous-marine [contre l’infrastructure Nord Stream]. Mais plusieurs d’entre eux ont affirmé qu’ils partageaient le scepticisme allemand quant à l’idée qu’un équipage de six personnes à bord d’un seul voilier ait posé les centaines de kilos d’explosifs qui ont désactivé Nord Stream 1 et une partie de Nord Stream 2, un ensemble de gazoducs plus récent qui n’avait pas encore commencé à livrer du gaz aux clients. »

Comme l’a ajouté le New York Times dans cet important article, «des experts ont noté que, bien que poser manuellement des explosifs sur les gazoducs soit théoriquement possible, même des plongeurs expérimentés auraient du mal à s’immerger à plus de 60 mètres de profondeur et à remonter lentement à la surface pour laisser le temps à leur corps de se décompresser. Une telle opération aurait nécessité plusieurs plongées, exposant l’Andromeda à une détection par des navires à proximité. La mission aurait été plus facile à dissimuler et à réaliser en utilisant des véhicules submersibles télépilotés ou de petits sous-marins, ont déclaré des experts en plongée et en récupération ayant travaillé dans la zone de l’explosion, caractérisée par des mers agitées et un trafic maritime dense. » Discréditant d’avance l’article douteux du Wall Street Journal paru l’année suivante, ces expertises tendent à conforter les révélations sous-médiatisées de Seymour Hersh, tandis que le récit du « groupe pro-ukrainien » de l’Andromeda a été largement diffusé dans les médias occidentaux un mois plus tard, malgré son manque flagrant de crédibilité. Pointant la Norvège comme un allié des États-Unis qui serait impliqué dans les préparatifs de ce sabotage, Hersh affirma que les planificateurs norvégiens auraient proposé le « vaste exercice de l’OTAN en mer Baltique (…) [nommé] BALTOPS 22 (…) [comme] la couverture idéale pour poser les mines. » Bien sûr, ces allégations doivent être prouvées par d’autres sources que Seymour Hersh, et si possible par une institution judicaire. Cependant, le comportement suspect du Premier Ministre norvégien après sa visite aux États-Unis avec son Ministre de la Défense – et ce quelques jours seulement avant ce sabotage –, ne peut que renforcer les soupçons légitimes d’une opération possiblement planifiée par les États-Unis et la Norvège contre les gazoducs Nord Stream, comme nous allons l’expliquer.

Le Premier Ministre norvégien était-il au courant de la destruction imminente de Nord Stream ?

Deux jours après le sabotage de l’infrastructure Nord Stream, James Crisp spécula dans The Telegraph, avec un argumentaire qui aurait certainement été qualifié de théorie du complot si ces accusations avaient visé Washington, que Poutine cherchait « à briser le moral [des Européens] pour que [leurs] gouvernements (…) subissent la pression des électeurs en colère, craignant une chute brutale des températures cet hiver. Le timing était parfait. Un nouveau gazoduc entre la Norvège et la Pologne [nommé le Baltic Pipe] a été inauguré le [27 septembre], tout près du gazoduc Nord Stream 2, alors que la nouvelle du sabotage présumé était annoncée. » Dans ce contexte, comme Ola Tunander l’a souligné dans sa première enquête complétant l’article de Hersh à propos de cette attaque, il est extrêmement important d’analyser le comportement de Jonas Gahr Støre, le Premier Ministre norvégien, quelques jours avant que le sabotage ne soit commis.

En effet, ce dernier était inexplicablement absent de l’inauguration du Baltic Pipe le 27 septembre 2022, soit le lendemain de l’attaque contre Nord Stream, bien qu’il s’agissait d’une cérémonie de la plus haute importance, décrite par Tunander comme « un évènement norvégo-polono-danois des plus médiatisés, probablement l’inauguration la plus capitale pour la Norvège ces dernières années. Jonas Gahr Støre aurait dû y être présent, mais il ne l’était pas. » Ayant initialement annoncé sa participation à cette cérémonie le 20 septembre, l’annulation soudaine et inexpliquée de Støre le 22 septembre, juste avant son départ des États-Unis, soulève de sérieuses questions jusqu’à présent irrésolues. L’agenda officiel de Støre avant cet événement détaillait ses rencontres aux États-Unis – avec son Ministre de la Défense –, jusqu’au 23 septembre, suivies d’activités non spécifiées en Norvège jusqu’au lendemain du sabotage de Nord Stream. Par conséquent, l’annulation discrète de sa participation prévue à l’inauguration du Baltic Pipe à la fin de son voyage aux États-Unis est indéniablement suspecte.

Comme l’a observé Tunander, « le 20 septembre, le Bureau du Premier Ministre norvégien avait annoncé que le Premier Ministre Støre se rendrait en Pologne, à Szczecin, le 27 septembre pour l’inauguration du Baltic Pipe, le gazoduc [norvégo-polono-danois]. (…) Cependant, le Bureau du Premier Ministre a modifié cette annonce le 22 septembre, en déclarant que le Ministre du Pétrole et de l’Énergie, [Terje] Aasland, remplacerait le Premier Ministre Støre. Cet avis n’a pas été publié dans le calendrier gouvernemental habituel. L’annonce initiale du voyage de Støre à Szczecin a été retirée de son agenda. Où se trouvait le Premier Ministre Støre durant cette période ? Le dimanche 18 septembre, Støre et son Ministre de la Défense, Bjørn Arild Gram, se sont rendus aux États-Unis. Le lendemain, ils ont visité le porte-avions états-unien USS Gerald R. Ford et le Commandement des Forces Conjointes de l’OTAN à Norfolk, près de Washington DC. Ils ont été guidés par Carlos Del Toro, le Secrétaire de la Marine états-unienne, [c’est-à-dire de l’U.S. Navy accusée par Hersh et Tunander d’être impliquée dans le sabotage de Nord Stream]. Ils ont visité le quartier général de la Deuxième Flotte des États-Unis et du Commandement de l’OTAN, où ils ont également rencontré des officiers norvégiens. Le soir, le Premier Ministre Støre a rendu visite à Nancy Pelosi et à Mitch McConnell au Congrès. Le 20 septembre, Støre a assisté à l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York et il a eu une réunion avec le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Støre a prononcé le discours de la Norvège devant l’Assemblée générale le 22 septembre, ainsi qu’au Conseil de Sécurité le même jour. Le soir, il a participé à une réunion transatlantique des Ministres des Affaires étrangères dirigée par [le Secrétaire d’État] Antony Blinken, avant de rentrer en Norvège. » Décidée à la fin de sa visite aux États-Unis, après sa rencontre avec le Secrétaire de l’U.S. Navy Del Toro, puis avec le principal architecte de la guerre par procuration de l’OTAN en Ukraine Antony Blinken, son absence inexpliquée à l’inauguration du Baltic Pipe ne prouve pas, mais suggère fortement – à la lumière des éléments précités –, sa possible pré-connaissance d’un sabotage imminent de l’infrastructure Nord Stream.

Tel qu’analysé par Tunander, « le problème de Støre était qu’une attaque contre (…) [ces] gazoducs le 26 septembre rendrait impossible sa participation à la cérémonie d’inauguration [du Baltic Pipe] en Pologne [le lendemain]. Sa participation à l’évènement de Szczecin risquait d’être perçue comme une célébration norvégienne de la destruction de Nord Stream, (…) comme si la Norvège fêtait l’élimination de la Russie en tant que principal concurrent gazier de la Norvège, et comme si l’Europe entrait désormais dans une nouvelle ère avec le gaz russe remplacé par du gaz occidental [, y compris grâce au Baltic Pipe]. Nous savons que les dirigeants polonais étaient plus qu’heureux de célébrer la destruction de Nord Stream. Le député européen polonais et président de sa délégation auprès des États-Unis, l’ancien Ministre de la Défense et des Affaires étrangères Radosław Sikorski, a écrit sur Twitter le 27 septembre, juste après l’attaque contre les gazoducs : “Merci, les USA”. Peu de temps après, le Premier Ministre polonais Mateusz Morawiecki l’a critiqué pour ce tweet, le qualifiant d’irresponsable, mais si un ministre ou un politicien norvégien avait exprimé un tel sentiment, cela aurait provoqué un tollé majeur. (…) La présence de Støre à Szczecin aurait été tout aussi scandaleuse, attirant l’attention sur les bénéfices accrus de la Norvège après la destruction des gazoducs germano-russes. »

Sur le long terme, la Norvège et les États-Unis bénéficieront de la destruction de Nord Stream

À la suite de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie en février 2022, « la Norvège a continuellement renforcé sa position en tant que principal fournisseur [gazier du continent] européen. Le pays a augmenté ses exportations vers l’Allemagne à des niveaux sans précédent, représentant 48 % des importations de gaz au cours des neuf premiers mois de 2023, contre moins de 20 % il y a moins de deux ans », selon HighNorthNews.com. Comme l’a observé le New York Times en avril 2023, « alors que la Russie réduisait ses exportations de gaz naturel l’année dernière, la Norvège les augmentait, devenant désormais le principal fournisseur de ce combustible en Europe. La Norvège fournit également de plus grandes quantités de pétrole à ses voisins, remplaçant le carburant russe sous embargo. “La guerre et la situation énergétique actuelle ont montré que l’énergie norvégienne est extrêmement importante pour l’Europe”, a déclaré Kristin Fejerskov Kragseth, directrice générale de Petoro, une entreprise publique qui gère les actifs pétroliers norvégiens. “Nous avons toujours été importants”, a-t-elle ajouté, “mais peut-être que nous ne le réalisions pas”. »

Il faut souligner que la hausse de la demande européenne en gaz norvégien ne résulte pas du sabotage des gazoducs, sachant que le gouvernement allemand avait refusé d’homologuer Nord Stream 2 juste avant l’invasion russe de l’Ukraine. De plus, en septembre 2022, « la Russie avait réduit ses approvisionnements en gaz via Nord Stream 1 pendant plusieurs mois. En juin [de la même année], elle avait diminué les livraisons par ce gazoduc de 75 % – passant de 170 millions de mètres cubes de gaz par jour à environ 40 millions. En juillet [2022], la Russie l’a fermé pendant 10 jours, invoquant la nécessité de travaux de maintenance. Lors de sa réouverture, le flux avait été réduit de moitié à 20 millions de mètres cubes par jour. Fin août [2022], elle a complètement arrêté Nord Stream 1, prétextant des problèmes d’équipement. Le gazoduc n’avait pas été rouvert depuis », si bien que le gaz qu’il contenait ne circulait plus vers l’Allemagne et l’Europe lorsqu’il a été détruit. Cependant, cette attaque sans précédent contre l’infrastructure énergétique européenne a probablement éliminé toute possibilité d’exportations massives de gaz russe vers l’UE à l’avenir, tout en privant le Kremlin d’un levier d’influence majeur sur l’Europe. Ce fait diminue davantage la plausibilité d’une implication russe dans cette attaque. En effet, ce sabotage a consolidé de manière décisive la position de la Norvège en tant que principal fournisseur de gaz à l’Europe sur le long terme, tandis que le GNL exporté par les États-Unis est devenu une nouvelle source majeure de substitution au gaz russe. Il est également à noter que la Commission européenne prévoit d’arrêter toutes les importations de gaz russe à l’horizon 2027.

Dans un tel contexte, il est difficile d’expliquer l’annulation soudaine – et non justifiée par une urgence publiquement connue –, de la participation du Premier Ministre norvégien à l’inauguration du Baltic Pipe autrement que par sa possible pré-connaissance de l’opération contre les gazoducs Nord Stream. Bien entendu, ce soupçon n’aurait pas nécessairement de pertinence si Seymour Hersh n’avait pas suggéré la complicité potentielle de la Norvège dans la préparation de ces attaques. Cependant, les services spéciaux norvégiens ont-ils participé à leur mise en œuvre ? Sur cette question cruciale, Hersh a affirmé qu’un P8-A Poseidon de la Marine norvégienne aurait été l’avion qui a largué la bouée sonar pour déclencher les explosifs. Tunander a une évaluation différente, basée sur son enquête approfondie qui révèle les sorties nocturnes hautement suspectes de plusieurs P8-A de la Marine états-unienne au-dessus de la mer Baltique entre le 8 et le 26 septembre 2022 – en particulier les nuits du 22/23 et du 24/25 septembre, tel que documenté précédemment.

Selon lui, « le fait que les pipelines aient été mis hors service la veille de l’inauguration du gazoduc [norvégo-polono-danois] (…) peut s’expliquer d’une manière ou d’une autre, et il est certain que l’on n’aurait pas pu, du point de vue norvégien, choisir un jour pire que celui-ci. (…) Peut-être que quelqu’un, (…) y compris le Premier Ministre Støre lui-même, a fait marche arrière, en estimant que la Norvège “n’était pas prête à s’en charger”, parce que les États-Unis avaient livré leurs P-8A Poseidon trop tard. Le 22 septembre, cinq jours avant la cérémonie d’inauguration du Baltic Pipe norvégo-polono-danois à Szczecin, (…) et après une journée complète de visites avec le Secrétaire de la Marine des États-Unis (…) à la base navale de Norfolk, près de Washington, puis [peu] après sa rencontre avec le Secrétaire d’État Antony Blinken, Støre a inexplicablement annulé sa participation à cet évènement. » Dès lors, il est possible que l’utilisation d’un P8-A norvégien alléguée par Hersh ait été refusée par Støre après avoir été initialement prévue pour couvrir les probables architectes états-uniens de cette opération – du moins si l’on considère avec le sérieux qu’il mérite le « Merci, les USA » tweeté par l’influent député polonais et figure néoconservatrice Radosław Sikorski à la suite du sabotage de Nord Stream.

Dans la seconde partie de cette analyse, nous replacerons cette attaque et la mise en service, dès le lendemain, du Baltic Pipe dans le plus large contexte géostratégique de la méconnue Initiative des Trois Mers (ITM), dont la Pologne est un acteur central, et qui permet à la Norvège d’amplifier ses exportations de gaz naturel vers l’Europe centrale et méridionale depuis début octobre 2022. Nous reviendrons alors sur la vieille obsession stratégique de Washington, qui est d’empêcher tout rapprochement durable entre l’Allemagne et la Russie. En substance, cet objectif clé est en train d’être parachevé grâce à la guerre en Ukraine provoquée par les néoconservateurs états-uniens – en particulier depuis le coup d’État du Maïdan de février 2014 –, au redéploiement irresponsable de l’OTAN en Europe de l’Est et dans les pays baltes à partir de 2015, et au sabotage de Nord Stream qui est opportunément attribué au général Valeriy Zaloujny par les médias occidentaux.


Sabotage des gazoducs Nord Stream
Maxime Chaix

Journaliste indépendant, essayiste et traducteur, Maxime Chaix est spécialisé dans l’étude approfondie des opérations clandestines occidentales, de la politique étrangère des États-Unis et de l’instrumentalisation étatique du terrorisme islamiste. Entre 2009 et 2015, il a traduit trois ouvrages de l’universitaire, essayiste et ancien diplomate canadien Peter Dale Scott. En 2019, il a publié son premier essai, intitulé La guerre de l’ombre en Syrie, aux Éditions Erick Bonnier. Déplorant le soutien irréfléchi de la majorité des médias français pour le militarisme de Washington et de ses principaux alliés, dont l’État français, Maxime Chaix pratique un journalisme à l’anglo-saxonne, résolument critique envers les excès militaires occidentaux et le conformisme universitaire, politique et médiatique qui les légitime.

Une base militaire allemande a été temporairement bouclée pour une enquête sur une tentative présumée de sabotage

Une base militaire allemande a été temporairement bouclée pour une enquête sur une tentative présumée de sabotage

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Plaque tournante de l’aide militaire fournie par l’Allemagne à l’Ukraine, la base de Cologne-Wahn [Rhénanie du Nord-Westphalie] abrite plusieurs unités de la Luftwaffe, dont son commandement de la force aérienne [LwTrKdo pour Luftwaffentruppenkommando]. Au total, environ 4000 militaires et 1500 civils y travaillent.

Or, ce 14 août, des capteurs électroniques censés surveiller l’intégrité du réseau d’adduction d’eau potable [AEP] de la base ont signalé des anomalies.

C’est ainsi que, explique la Frankfurter Allgemeine Zeitung [FAZ], une brèche dans la clôture entourant cette emprise militaire a été découverte non loin de ce dispositif d’alimentation en eau. En outre, un employé a dit avoir vu un individu « s’enfuir ».

Aussi, à des fins de vérifications, il a été décidé de fermer la base de Cologne-Wahn, les entrées et les sorties ayant été temporairement suspendues. Dans le même temps, la consommation d’eau a été interdite, dans l’attente des résultats des analyses d’échantillons prélevés dans le réseau AEP.

« Nous prenons cette affaire très au sérieux et travaillons en étroite collaboration et en toute confiance avec les autorités d’enquête compétentes », a expliqué la Bundeswehr. Le MAD [Amt für den Militärischen Abschirmdienst, service de contre-espionnage] participe également aux investigations.

Cela étant, selon la FAZ, les informations selon lesquelles il y aurait eu des cas d’intoxication liés à la consommation d’eau n’ont pas été confirmées. Du moins pas encore.

Par ailleurs, également située en Rhénanie du Nord-Westphalie, la base aérienne de Geilenkirchen, qui abrite notamment les 14 avions d’alerte avancée E-3A AWACS de la Force aéroportée de détection lointaine et de contrôle de l’Otan [NAEW&C], a vu son niveau de sécurité renforcé, alors que des informations contradictoires ont circulé à son sujet.

« La base [de Geilenkirchen] n’a été fermée à aucun moment. Nous avons vérifié l’eau. Elle est bonne. La base reste accessible », a en effet assuré un porte-parole de l’Otan, prenant ainsi le contre-pied de la Bundeswehr, qui avait affirmé le contraire un peu plus tôt.

Pour rappel, plusieurs responsables de services de renseignement européens ont mis en garde contre de possibles « opérations de sabotage » orchestrées par la Russie. En avril, deux ressortissants germano-russes ont été interpellés en Bavière. pour avoir planifié des attaques « contre des installations militaires américaines ».

Photo : Von Gordito1869 – CC BY 3.0

Point de situation : 1. Électrons, drones et saboteurs

Point de situation : 1. Électrons, drones et saboteurs

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 27 août 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Si on connaissait le score des matchs à l’avance, il n’y aurait strictement aucun intérêt à les jouer. Il en est de même pour les batailles et même encore moins, car on y meurt. Sauf à constater un rapport de forces initial écrasant en faveur d’un camp au départ d’une opération militaire, il n’est pas possible de prédire ce qui va se passer ensuite, ne serait-ce que parce que les moyens engagés sont énormes et que les interactions entre les différentes forces amies et ennemis relèvent rapidement du problème à trois corps de la science complexe. Décréter dès maintenant le succès de l’échec final d’une opération en cours est donc comme décider qu’une équipe a gagné ou perdu à 30 minutes de la fin du match alors que le score est toujours nul et qu’il n’y a pas de domination outrageuse d’un camp.

Et bien évidemment ces opérations-matchs, sanglantes, ne sont-elles même que des affrontements isolés dans la cadre d’une confrontation-compétition de longue haleine, ce qui implique une réflexion en trois étages, qui forment aussi trois niveaux d’incertitude : la stratégie pour gagner la compétition, l’art opérationnel pour gagner les matchs de différente nature, la tactique pour gagner les actions à l’intérieur des matchs. Ces opérations-matchs, il y a plusieurs et de nature différente en cours dans la guerre russo-ukrainienne et on assiste donc aussi à beaucoup d’indécisions, au sens de sort hésitant et non de manque de volonté. Faisons-en rapidement le tour, en se concentrant aujourd’hui, pour respecter un format de fiche à 3 pages, seulement sur les « opérations de coups ».

J’avais utilisé initialement l’expression « guerre de corsaires » pour désigner les opérations en profondeur. C’était une expression du général Navarre, commandant le corps expéditionnaire français dans la guerre en Indochine, pour désigner le mode opératoire qu’il souhaitait initialement appliquer contre le corps de bataille Viet-Minh à base de guérilla, de frappes aériennes, d’opérations aéroportées et de camps temporaires. L’idée était bonne mais l’application fut déficiente. Le principe général est de donner de multiples petits « coups » : raids au sol, frappes aériennes ou navales, sabotages, etc. afin d’affaiblir l’ennemi. On peut espérer que cet affaiblissement suffise par cumul à faire émerger un effet stratégique, une reddition par exemple – ce qui arrive rarement – ou une neutralisation de l’ennemi, réduit à une menace résiduelle. Le plus souvent cependant cet affaiblissement est surtout destiné à faciliter les opérations de conquête, l’autre grand mode opératoire où on cherche à occuper le terrain et disloquer le dispositif ennemi.

Les opérations de coups relèvent d’abord des forces des espaces communs, la marine, l’armée de l’Air, la cyber-force, et des Forces spéciales, de manière autonome ou parfois combinée.

Passons rapidement sur les cyber-opérations, non parce que ce ne soit pas intéressant mais parce qu’il y a peu d’éléments ouverts sur cette dimension, dont on avait fait grand cas avant-guerre et dont on est obligé de constater que cela n’a pas eu les effets spectaculaires attendus. Peut-être que ce n’est plus un « océan bleu », une zone vierge dans laquelle les possibilités sont considérables, mais un océan très rouge occupé maintenant depuis longtemps, car l’affrontement n’y connaît ni temps de paix ni temps de guerre, et où les parades ont désormais beaucoup réduit l’efficacité initiale des attaques. Peut-être aussi que cet espace n’est simplement pas vu, et donc abusivement négligé par les commentateurs comme moi, d’autant plus que ce n’est pas leur domaine de compétences. On pressent néanmoins qu’il y a là un champ où les Ukrainiens, avec l’aide occidentale qui peut s’exercer à plein puisqu’elle y est peu visible, peuvent avoir un avantage et donner des coups importants aux réseaux russes.

Le champ aérien est beaucoup plus visible. On peut y distinguer le développement d’une opération ukrainienne spécifique anti-cités, que l’on baptisera « opération Moscou » car la capitale en constitue la cible principale. Sa première particularité est de n’être effectuée, désormais presque quotidiennement, qu’avec des drones aériens à longue portée made in Ukraine, les alliés occidentaux interdisant aux Ukrainiens d’utiliser leurs armes de pour frapper le sol russe. Des drones donc, et pour rappel entre trois types de campagnes aériennes utilisant uniquement avions, missiles et drones, la diminution de puissance projetée est quasiment logarithmique. Autrement dit, avec les seuls drones on fait très peu de dégâts. Un seul avion Su-30SM russe peut porter la charge utile de 400 drones ukrainiens Beaver, avec cette particularité qu’il pourra le faire plusieurs fois.

Qu’à cela ne tienne, l’opération Moscou introduit des nuisances – la paralysie des aéroports par exemple – mais fait peu de dégâts et c’est tant mieux puisque cette opération a un but psychologique. Elle satisfait le besoin de réciprocité, sinon de représailles et vengeance, de la population ukrainienne frappée par les missiles russes depuis le premier jour de guerre, et vise également à stresser la population russe, notamment celle de la Russie préservée, urbaine et bourgeoise de Moscovie, en faisant entrer la guerre chez elle.

Sa deuxième particularité est qu’elle est peut-être la première campagne aérienne « non violente » de l’histoire, hormis les bombardements de tracts de la drôle de guerre en 1939-1940, puisqu’il y une volonté claire de ne pas faire de victimes en frappant de nuit des objectifs symboliques (bureaux de ministères ou d’affaires en particulier, voire le Kremlin) vides. Cela le mérite aussi de satisfaire le troisième public : le reste du monde et en particulier l’opinion publique des pays alliés de l’Ukraine qui accepterait mal que celle-ci frappe sciemment la population des villes russes. Il n’est pas sûr que les Ukrainiens y parviennent toujours. Il y a déjà eu des blessés par ces attaques de drones et on n’est statistiquement pas à l’abri d’une bavure qui ferait des morts. Cela aurait pour effet à la fois d’écorner l’image de la cause ukrainienne – et cette image est essentielle pour le maintien ou non du soutien occidental – et de provoquer une réaction anti-ukrainienne de cette population russe que l’on présente surtout comme apathique.

Toutes ces attaques par ailleurs sont autant de défis à la défense aérienne russe qui peut se targuer de petites victoires et de protéger la population lorsqu’elle abat des drones mais se trouve aussi souvent prise en défaut. Dans tous les cas, elle est obligée de consacrer plus de ressources à la défense des villes et donc moins sur le front, et cette présence physique dans les villes contribue encore à faire « entrer la guerre » dans la tête des civils russes, un des buts recherchés par les Ukrainiens.

En bon militaire, je préfère les actions anti-forces aux actions anti-cités et l’opération Bases consistant à attaquer les bases aériennes russes dans la profondeur me paraît beaucoup plus utile que de détruire des bureaux d’affaires. Sur 85 avions et 103 hélicoptères russes identifiés comme détruits ou endommagés par Oryx, respectivement 14 et 25 l’ont été, au minimum, dans les bases. Ces attaques ont surtout eu lieu dans les territoires occupés, dont la Crimée, mais aussi en Russie, près de Rostov le 26 février et le 1er mars avec deux missiles OTR-21 Tochka. Le 30 octobre, c’est un sabotage au sol qui détruit ou endommage dix hélicoptères dans la région d’Ostrov très près de la Lettonie. En septembre 2022, ce sont deux bombardiers qui sont touchés (un Tu-95 et un Tu-22) lors de deux attaques au drone Tu-141 semble-t-il (des vieux drones de reconnaissance à longue portée modifiés) et plus récemment le 19 août près de Novgorod (un Tu-22) de manière plus mystérieuse. On peut rattacher à cette opération, le raid d’hélicoptères Mi-24 du 31 mars 2022 sur un dépôt de carburant à Belgorod, l’attaque aux drones de la raffinerie de Novochakhtinsk le 22 juin 2022. Toute cette campagne anti-forces en profondeur n’est encore qu’une série de coups d’épingle, mais ce sont les coups d’épingle les plus rentables qui soient.

Les Ukrainiens ont tout intérêt à développer encore cette campagne en profondeur avec une force de sabotage, autrement dit clandestine. C’est plus difficile à organiser que des frappes aériennes mais les effets sont peut-être plus forts. Comme les alunissages, la présence d’humains provoque plus d’impact psychologique dans les opérations militaires que celle de simples sondes et machines. Savoir que des hommes ont pénétré, violé presque, l’espace national en l’air et plus encore au sol pour y provoquer des dégâts provoque plus de choc que si les mêmes dégâts avaient été faits par des drones. Si en plus on ne sait pas qui a effectué ces actions et c’est la paranoïa qui se développe, dans la société et le pouvoir russes plus qu’ailleurs. Les Ukrainiens ont tout intérêt surtout à développer encore leur force de frappe à longue portée au-delà des drones, qui apportent surtout le nombre, avec des missiles à portée de plusieurs centaines de kilomètres. C’est ce qu’ils sont en train de faire avec plusieurs projets qu’il ne s’agit simplement d’inventer mais surtout de produire en masse. S’ils y parviennent, la campagne de frappes en profondeur prendra une tout autre dimension, qu’elle soit anti-cités avec les risques évoqués ou préférentiellement anti-forces. Peut-être par ailleurs qu’à partir d’un certain seuil, disons si tous les jours le sol russe est attaqué par des drones, missiles ou commandos, l’interdiction d’emploi des armes occidentales n’aura plus de sens et que les Ukrainiens pourront aussi les utiliser, ce qui augmentera les capacités d’un coup.

Si la capacité ukrainienne d’agir dans la profondeur russe n’a cessé d’augmenter, celle de la Russie en Ukraine n’a cessé au contraire de se réduire. Entre une puissante force aérienne, un arsenal imposant de missiles et une dizaine de brigades de forces spéciales, on pouvait imaginer l’Ukraine ravagée dans toute sa profondeur dès le début de la guerre.

L’emploi de tous ces moyens n’a duré en fait que quelques semaines et à un niveau très inférieur à ce à quoi on pouvait s’attendre, la faute à une doctrine incertaine en la matière et surtout à une défense aérienne ukrainienne solide. Les Russes ont donc descendu très vite l’échelle logarithmique de la puissance projetée, en commençant par réduire l’activité de leurs aéronefs pilotés au-dessus du territoire ukrainien pour les consacrer à la ligne de front, puis en réduisant rapidement la cadence de tir de missiles modernes, en leur substituant ensuite de plus en plus d’autres types de missiles aussi dévastateurs mais de moindre précision et souvent de moindre portée, et enfin à utilisant de plus en plus à la place des drones Shahed et des lance-roquettes multiples pour les villes à portée de tir.

Le tonnage d’explosif lancé par les Russes n’a cessé de se réduire, tout en se concentrant sur les villes assez proches de la ligne de front et en faisant quasiment tout autant de victimes civiles par moindre précision. On ne voit d’ailleurs plus désormais de ligne directrice dans ces frappes hormis le besoin de répondre par des représailles aux coups ukrainiens. C’est d’autant plus absurde que cela contribue à dégrader l’image russe, ce dont ils semblent se moquer à part que cela joue sur le soutien de l’opinion publique occidentale à l’Ukraine, une donnée stratégique pour eux. Bien entendu, cela ne diminue en rien la détermination ukrainienne, bien au contraire.

La campagne aérienne en profondeur russe pourrait être relancée par une production accrue de missiles et/ou leur importation cachée auprès de pays alliés, mais surtout par l’affaiblissement soudain de la défense aérienne ukrainienne en grande tension de munitions. Une défense aérienne sans munitions et ce sont les escadres de chasseurs-bombardiers russes qui pourraient pénétrer dans le territoire ukrainien et faire remonter d’un coup le logarithme de la puissance. Un des intérêts des avions F-16, qui sont avant tout des batteries air-air volantes à 150 km de portée, est de pouvoir contribuer à empêcher cela.

Un des mystères de cette guerre est l’emploi étonnant des Forces spéciales par les Russes. Le ministère de la Défense russe avait pris de constituer une solide armée. Chaque service de renseignement russe, FSB, SVR, GRU, dispose de ses Spetsnaz (spetsialnoe naznachenie, emploi spécial). Les deux unités du FSB, Alfa and Vympel, totalisent peut-être 500 hommes. Zaslon, l’unité du SVR à vocation internationale en représente peut-être 300. Le gros des forces est évidemment constitué par les sept brigades Spetsnaz à 1 500 hommes du GRU, le plus souvent rattachés à des armées, et les bataillons à 500 hommes affectés à chacune des flottes, soit avec le soutien peut-être 12 000 hommes. Les troupes d’assaut aérien (VDV) ont également formé un régiment puis une brigade spéciale, la 45e, enfin, un commandement des opérations spéciales (KSO) de peut-être 1500 hommes, a été rattaché directement au chef d’état-major des armées, à la grande colère du GRU. Bref, il y avait là, avec l’appui des VDV, de quoi mener constituer une force de sabotage dans la grande profondeur, ou même de guérilla, par exemple le long de la frontière polonaise en s’appuyant sur la base biélorusse de Brest.

Il n’en a rien été, la défense aérienne ukrainienne empêchant les opérations héliportées et la défense territoriale ou les forces de police ukrainiennes maillant bien le terrain. Les Forces spéciales, 45e brigade et brigades GRU ont d’abord été utilisées en avant, clandestinement ou non, des opérations terrestres, puis de plus en plus en remplacement d’une infanterie de l’armée de Terre totalement déficiente. Une 22e brigade Spetsnaz très réduite et ce qui reste de la 45e brigade sont ainsi actuellement en train de combattre en première ligne devant Robotyne. Des occasions ont très certainement été gâchées en la matière par les Russes et on ne voit pas comment il pourrait y remédier. Sans doute y songent-ils mais on n’improvise pas une force d’action en profondeur.

Au bilan et il faut le rappeler, les opérations en profondeur apportent rarement seules des effets stratégiques, mais elles contribuent à l’affaiblissement de l’ennemi à condition de ne pas coûter plus cher qu’elles ne « produisent ». À ce titre, les opérations russes ne produisent plus grand-chose, à mort des morts et des blessés et des destructions de cathédrale, ou tout ou plus un affaiblissement économique en s’attaquant par exemple aux infrastructures de commerce de céréales. Dans un croisement des courbes stratégiques, selon l’expression de Svetchine, les Ukrainiens montent au contraire en puissance, mais les effets matériels restent minimes au regard de ce qui se passe sur le front et il s’agit surtout d’effets psychologiques, assez flous mais pourtant certains. En 2024, il en sera sans doute autrement.

La prochaine fois on parlera de guérilla d’État terrestre ou navale.

Sabotage de Nord Stream : un acte de guerre contre la Russie et l’Europe dans l’intérêt de Washington et de l’Initiative des trois mers ?

Sabotage de Nord Stream : un acte de guerre contre la Russie et l’Europe dans l’intérêt de Washington et de l’Initiative des trois mers ?

 

par Pierre-Emmanuel THomann* – Centre français de recherche sur le renseignement – publié en mai 2023

https://cf2r.org/tribune/sabotage-de-nord-stream-un-acte-de-guerre-contre-la-russie-et-leurope-dans-linteret-de-washington-et-de-linitiative-des-trois-mers/

*Docteur en géopolitique

Le sabotage des gazoducs Nord Stream et le débat sur ses responsabilités restera comme l’un des grands épisodes de la désinformation du camp atlantiste dans le conflit en Ukraine. Il n’y aura probablement jamais de confirmation officielle de l’identité du commanditaire de cet acte de terrorisme d’État puisque tout est fait pour étouffer l’affaire.

Les gouvernements concernés, Berlin et Paris en particulier, sont en état de sidération complice. Leur silence sur cette affaire, ou bien le brouillage des pistes, appuyé par les médias dominants et les pseudo-experts qui passent en boucle sur les plateaux télévisés pour relayer les narratifs atlantistes, s’explique aisément. Ils ne peuvent révéler à leurs peuples que leur soi-disant allié principal, Washington, a commis un acte de guerre contre ses propres alliés, puisque ce serait démontrer que le conflit en Ukraine est une guerre provoquée et entretenue par Washington, non pas seulement contre la Russie, mais contre l’Europe tout entière. Tout le discours sur la soi-disant unité occidentale et transatlantique serait irrémédiablement fissuré

Dès l’explosion des gazoducs en septembre 2022, alors que la Russie a été immédiatement pointée du doigt par les experts au service du camp atlantiste, Moscou avait accusé Washington d’être derrière cet acte terroriste Les révélations du journaliste d’investigation américain Seymour Hersh[1] à propos du sabotage des gazoducs Nord Stream ont pourtant renforcé la thèse de la responsabilité de Washington. Cette version a fait sans surprise l’objet d’un embargo des médias dominants qui se font les porte-voix des gouvernements des États-membres de l’UE et de l’OTAN. La tentative maladroite de diversion de Washington par l’intermédiaire du New York Times[2], pointant la responsabilité d’un groupe pro-ukrainien, n’a convaincu personne et le ministre de la Défense Ukrainien a été obligé de démentir, rare épisode où le régime de Kiev a été obligé de contredire son mentor[3].

Il faut aussi rappeler que Washington avait explicitement annoncé son intention de se débarrasser des gazoducs par la voix du président Biden[4]. Les États impliqués dans l’enquête ont par ailleurs souligné que les résultats des investigations resteraient confidentiels, la vérité n’étant évidemment pas bonne à dire[5]. L’hypothèse de la responsabilité de Washington comme commanditaire du sabotage des gazoducs Nord Stream est donc la plus vraisemblable, et à vrai dire, la seule piste crédible.

L’absence de réaction des gouvernements des États européens concernés, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, directement visés par cet acte terrorise qui peut être assimilé à un acte de guerre, révèle le degré sans précédent de soumission géopolitique de cette classe politique à Washington,

Et si l’on analyse cet événement sous l’angle géopolitique, on aboutit à la même conclusion : la responsabilité de Washington. Replacer cet acte de guerre dans le contexte du projet géopolitique « Initiative des trois mers », initié par Varsovie avec le soutien de Washington, mais imaginé par un think tank américain permet de révéler le dessous des cartes géopolitiques.

 

L’Initiative des trois mers

Le projet « Initiative des trois mers » (ITM) rassemble douze pays d’Europe centrale et orientale situés entre la mer Baltique, la mer Noire et la mer Adriatique : Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Lituanie, Estonie, Lettonie, Croatie, Slovénie et Autriche. Quinze autres participants ont choisi de s’associer à certains projets, parmi lesquels l’Ukraine. Cette initiative a pour finalité de renforcer la connectivité au sein de cet espace géographique par le développement des infrastructures de transport routières, ferroviaires et par voies navigables, des infrastructures énergétiques comme les gazoducs et les réseaux électriques, et des infrastructures numériques. Les objectifs affichés sont le renforcement du développement économique, de la cohésion au sein de l’Union européenne et des liens transatlantiques[6].

 

Carte 1

 

L’idée centrale est de développer des infrastructures énergétiques et de communication selon un axe nord-sud, car les infrastructures actuelles sont orientées dans le sens est-ouest en provenance de Russie. Ces infrastructures héritées de l’histoire sont considérées comme des facteurs de dépendance géopolitique vis-à-vis de Moscou, mais favorisent aussi la domination économique de l’Allemagne depuis l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale. L’Initiative des trois mers a été conjointement inaugurée en 2016 par la Pologne et la Croatie. Formalisée lors du premier sommet de Dubrovnik les 25 et 26 août 2016, un deuxième sommet s’est tenu à Varsovie les 6 et 7 juillet 2017. Ce projet a commencé à attirer l’attention des autres membres de l’Union européenne, notamment en raison de la présence de Donald Trump.

Le président autrichien Alexander Von der Bellen, a souligné que le projet était issu des think tank américains[7] et qu’il a été dès l’origine activement promu par le groupe de réflexion atlantiste Atlantic Council. Ian Brzezinski, le fils de Zbigniew Brzezinski, soutient activement l’Initiative des trois mers en tant que conseiller stratégique de l’Atlantic Council.[8] Une publication de ce think tank préfigure de manière très précise l’Initiative des trois mers dès 2014[9], c’est-à-dire sous la présidence Obama. Il fait la promotion d’un corridor de transports nord-sud, en adéquation avec les intérêts géopolitiques des Etats-Unis, afin d’assurer la résilience des pays d’Europe centrale et orientale face à la Russie.

 

Les origines géopolitiques du projet et sa renaissance actuelle  

Les origines de l’Initiative des trois mers sont anciennes. L’ITM est l’héritière des représentations géopolitiques polonaises qui ont émergé après la Première Guerre mondiale, plus précisément du projet d’Intermarium (traduction latine de Międzymorze en polonais) du général Josef Pilsudski. Les idées-forces de cet ancien projet ont refait leur apparition dans la configuration géopolitique actuelle. Comme la Pologne avait été dépecée plusieurs fois dans son histoire au profit de l’Empire allemand et de la Russie, le général Pilsudski a cherché, dès les années 1920, à promouvoir une Europe centrale et orientale préservée des appétits géopolitiques de ses voisins, en créant une fédération des États situés entre les mers Baltique, Noire et Adriatique – l’Intermarium – pour se protéger de l’URSS et de l’Allemagne. Le projet du général Pilsudski était destiné à assurer la survie de la Pologne, mais il fut abandonné à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Cette idée a cependant survécu au sein de la diaspora polonaise des États-Unis, proche des stratégistes américains. Cela a abouti à créer une synergie forte entre les visions géopolitiques américaine et polonaise, depuis la Guerre froide jusqu’à aujourd’hui[10]. L’Initiative des trois mers est ainsi une reprise américano-polonaise de l’Intermarium. Initialement, pour Varsovie, l’Intermarium avait pour objectif de promouvoir une troisième voie entre empires russe et allemand. Mais la configuration géopolitique est aujourd’hui différente car la Pologne et l’Allemagne, toutes deux membres de l’Alliance atlantique, sont désormais alliées. Il n’y a donc plus de volonté de former une Europe médiane indépendante de l’UE et de l’OTAN. Aujourd’hui le projet est mis en avant avec des arguments géoéconomiques, comme la nécessité de réduire la dépendance au gaz russe et à l’hégémonie économique et politique allemande dans l’UE. Toutefois, les enjeux géostratégiques sont bien réels et demeurent implicites.En effet, depuis le retour de la rivalité entre les puissances européennes et mondiales – Russie, États-Unis, Chine et pays membres de l’Union européenne –, le dilemme géopolitique de l’Europe médiane et de sa sécurité resurgit. Les pays d’Europe centrale et orientale membres de l’UE et l’OTAN sont aujourd’hui considérés comme des pivots géopolitiques. Bien que la configuration internationale ait évoluée, la géographie et les constantes géopolitiques demeurent, et la perception de sa sécurité par la Pologne découle des représentations historiques qui persistent quels que soient les gouvernements. La méfiance de Varsovie vis-à-vis de la Russie a connu une nouvelle actualité avec la crise en Ukraine à partir de 2014 et poussé les Polonais à consolider leur sécurité. A leurs yeux, couple franco-allemand, n’est pas considéré comme totalement fiable, car trop accommodant vis-à-vis de la Russie, et l’UE trop divisée pour s’affirmer. Le projet a donc désormais pour objectif de se développer en synergie avec l’UE et de l’OTAN. Le premier objectif des Polonais est de contenir la Russie perçue comme la menace principale, mais aussi d’équilibrer l’Allemagne avec qui les désaccords se sont accumulés. L’Initiative des trois mers est donc, pour la Pologne, un projet destiné à réduire la dépendance à l’égard de Moscou et maintenir le lien transatlantique. Pour Varsovie et ses alliés au sein de l’ITM, l’alliance privilégiée avec les Etats-Unis est jugée nécessaire pour accroître leur marge de manoeuvre dans l’UE. La focalisation sur la menace russe permet à la Pologne de se positionner comme pivot géopolitique régional sur le flanc est de l’OTAN. Elle est assurée du soutien des Etats-Unis afin de devenir le chef de file régional de l’UE et de l’OTAN. Varsovie participe à de nombreux projets de défense avec les Etats-Unis[11], domaine dans lequel l’Union européenne reste secondaire malgré les progrès récents. L’UE est par contre une organisation utile pour obtenir des financements – fonds structurels et fonds de cohésion – destinés aux infrastructures[12].La méfiance vis-à-vis de l’Allemagne s’est aussi cristallisée à propos de la mise en service du gazoduc Nord Stream I[13], inauguré en 2001, qui approvisionne Berlin en gaz russe via la mer Baltique, et qui devait être doublé grâce à Nord Stream II. Ce projet a été qualifié abusivement par Varsovie de « second pacte Molotov-Ribentrop ». Les anciennes représentations historiques ont été réactivées en cette occasion, illustrant la permanence des craintes historiques des pays d’Europe centrale vis-à-vis des puissances voisines qui les ont toujours dominés.

 

La synergie entre l’OTAN, le Partenariat oriental de l’UE, le programme PESCO
et l’Initiative des trois mers

Les Polonais sont parvenus à faire converger à leur bénéfice les différentes initiatives prises au niveau européen, comme le Partenariat oriental de l’UE, mais aussi le nouveau programme PESCO[14] lancé par Bruxelles en matière de défense. Leur objectif est d’attirer le maximum de financements européens sur leurs priorités. – Le programme PESCO a pour volet principal le projet « Mobility[15] » destiné à mettre à niveau et à développer les infrastructures pour améliorer la mobilité des forces armées de l’OTAN. Cette priorité est aussi un objectif des services de la Commission européenne consacrés aux infrastructures[16], souligné dans la déclaration commune OTAN-UE.[17] Le lien entre l’Initiative des trois mers et les intérêts de l’Alliance atlantique apparaissent donc de manière évidente. Le général américain Ben Hodges, ancien commandant des forces américaines en Europe (EUCOM), a ainsi déclaré que les infrastructures du projet PESCO correspondant aux priorités de l’Initiative des trois mers – notamment Rail Baltica et Via Carpatia – étaient prioritaires[18]. Il s’est par contre prononcé contre l’installation d’une base américaine en Pologne, pour ne pas diviser les alliés.[19] – Le Partenariat oriental de l’UE a été imaginé par les Polonais et promu avec les Suédois. Il est issu de la doctrine Sikorski, qui a pour objectif d’établir une zone tampon face à la Russie[20]. Ainsi, le Partenariat oriental, l’Initiative des trois mers et le projet PESCO s’inscrivent dans la stratégie de sécurité de Varsovie face à Moscou. Le souhait du gouvernement polonais d’accueillir une base militaire de l’OTAN sur son territoire est une autre preuve de la cohérence des intentions polonaises. Cette convergence des projets au niveau régional permet de percevoir que la Pologne exploite l’Initiative des trois mers comme outil d’influence et de développement économique, mais aussi comme instrument pour assurer sa sécurité. Varsovie se repose également sur les Etats-Unis qui sont engagés dans une manœuvre à l’échelle européenne – principalement pour endiguer l’Allemagne et garder l’UE sous leur influence –, mais aussi à l’échelle mondiale vis-à-vis de la Russie et la Chine. Examinons ces enjeux.

 

La synergie entre l’Initiative des trois mers et le projet géopolitique des Etats-Unis : la rivalité avec la Russie et l’Allemagne

Si l’on se réfère aux enjeux géopolitiques à l’échelle mondiale, l’Initiative des trois mers est un projet qui s’inscrit également dans les priorités géopolitiques des Etats-Unis. Leur implication dans le projet, dès son origine, est en cohérence avec leur manœuvre stratégique vis-à-vis de l’Eurasie pour contrer la Russie et la Chine, mais aussi avec leur ambition de devenir un exportateur majeur de gaz de schiste.

 


Carte 2

 

Washington a en effet pour objectif prioritaire le contrôle de l’Eurasie. Cette préoccupation ancienne se réaffirme aujourd’hui de manière explicite afin de préserver son leadership mondial et de ralentir l’émergence d’un monde multipolaire[21]. Avec une continuité remarquable, la stratégie des Etats-Unis est donc de faire front contre la Russie et d’élargir le Rimland (selon la doctrine géopolitique de Spykman), mais aussi de fragmenter l’Eurasie (selon la doctrine de Mackinder) et de détacher l’Ukraine de la Russie (doctrine Brzezinski). Cette constante géopolitique a été réaffirmée dès la fin de la Guerre froide avec la doctrine Wolfowitz (1992). Celui-ci avait souligné que la mission de l’Amérique dans l’ère de l’après-Guerre froide consisterait à s’assurer qu’aucune superpuissance rivale n’émerge en Europe occidentale, en Asie ou sur le territoire de l’ancienne Union soviétique[22]. La représentation stratégique de Zbigniew Zbrezinski[23] – qui fait de la fragmentation géopolitique du continent eurasien un objectif afin de provoquer une intégration renforcée des Etats de l’Europe occidentale dans l’espace euro-atlantique sur un axe Paris-Berlin-Kiev – a aussi exercé une influence importante[24] sur l’administration américaine. Cet objectif a été explicitement repris par Wess Mitchell, secrétaire d’État adjoint pour l’Europe et l’Eurasie au département d’État sous la présidence de Donald Trump. Il préconise de poursuivre de la consolidation par les Etats-Unis du Rimland européen[25]. Cette stratégie, combinée à celle conduite dans la région indopacifique, permet d’assurer l’encerclement du continent eurasien par les Etats-Unis. L’Initiative des trois mers s’intègre ainsi parfaitement dans cette vision et constitue un des instruments de Washington. Les Etats-Unis réinvestissent à nouveau l’Europe centrale et orientale dans le cadre de leur manœuvre vis-à-vis de l’Eurasie. La Pologne est donc le pivot qu’ils ont choisi pour préserver leur domination sur le projet européen, raison pour laquelle ils s’attachent à renforcer le poids de Varsovie au sein de l’UE. L’Ukraine était également destinée à prendre de l’importance dans l’Initiative des trois mers. En effet, arrimer Kiev à l’Europe de l’Ouest était déjà dans leurs plans initiaux et confirme le caractère très géopolitique de ce projet. Le rôle de l’Ukraine est celui d’un territoire de transit pour les corridors énergétiques permettant d’éviter la Russie via l’axe Asie centrale/Caucase du Sud/mer Noire. L’intervention russe en Ukraine à partir de 2023 est venue contrecarrer ces plans, du moins en ce qui concerne l’inclusion de Kiev dans le projet, option qui reste tributaire de l’issue du conflit. C’est dans ce contexte que l’Initiative des trois mers a été soutenue par Donald Trump à l’occasion de sa participation au sommet de Varsovie[26], en 2017. Le soutien très appuyé du président à l’ITM américain s’inscrit bien sûr dans le cadre de la rivalité géopolitique entre les Etats-Unis et la Russie. Mais il est également lié à la volonté de Washington d’exporter son gaz de schiste, lequel est devenu une arme géopolitique pour les Etats-Unis.[27] Ce soutien se comprend aussi dans le cadre d’une rivalité devenue explicite entre les Etats-Unis et l’Allemagne. La politique « America First !», de Donald Trump – objectif autrefois plus implicite qu’explicite – s’est traduite par une intense pression politique sur l’Allemagne, en donnant plus de poids aux critiques de la Pologne. En liant les dossiers énergie et sécurité[28], Trump a accusé Berlin d’importer du gaz russe, d’aggraver le déficit commercial américain et de ne pas contribuer financièrement suffisamment à l’OTAN. Cette mise sous pression a conduit Berlin à importer du gaz de schiste américain et à ouvrir un port destiné à accueillir le gaz naturel liquéfie (GNL) dans le nord de l’Allemagne. Berlin a pourtant continué de défendre fermement le projet de gazoduc Nord Stream II contre l’avis de Washington et de Varsovie, jusqu’au déclenchement de l’opération spéciale russe, en février 2022. 

 

Le sabotage de Nord Stream par Washington : un acte en synergie avec les objectifs de l’Initiative des trois mers

 L’arme énergétique comme instrument géopolitique est particulièrement importante pour Washington. Le sabotage des gazoducs Nord Stream, infrastructures qui évitaient l’Ukraine mais favorisaient la Russie et l’Allemagne, doit être replacé dans le contexte du conflit actuel dont il aggrave les enjeux et fait monter les enchères. Le déclenchement du conflit en Ukraine provoqué par Washington et Londres – notamment en raison du projet d’élargissement de l’OTAN – a été l’occasion de prendre des décisions radicales pour affaiblir la Russie et les États européens, en particulier l’Allemagne, mais aussi la France, par la même occasion. Les États-Unis ont l’ambition d’exporter leur gaz de schiste au détriment des sociétés énergétiques européennes impliquées dans l’exploration de ressources de Sibérie (Russie) et le projet de gazoduc Nord-Stream II. Dès le début de l’opération spéciale russe en Ukraine, les Etats-Unis ont fait pression sur leurs alliés de l’OTAN pour stopper les importations de gaz en provenance de Russie par les gazoducs Nord Stream, mais sans mettre un terme à celles ayant lieu via les gazoducs traversant l’Ukraine, pour donner des ressources et un levier à Kiev. Washington est arrivé à ses fins et le sabotage de Nord Stream, en septembre 2022, lui a permis de pérenniser ce gain en faisant clairement comprendre à l’Allemagne et à ses partenaires qu’il ne serait pas question d’utiliser ces gazoducs lorsque le conflit serait terminé, car la Russie a envisagé de les réparer[29] Avec ce sabotage, les Etats-Unis forcent donc les Européens à opérer une réorientation géopolitique radicale dans le sens des objectifs de l’Initiative des trois mers, destinée in fine, à détacher la Russie de l’Europe de l’Ouest en réorientant les infrastructures énergétiques et de transport et en les rendant plus dépendants au gaz de schiste américain. L’Union européenne se trouve ainsi réduite au statut de zone tampon dans le cadre de la manœuvre américaine en Eurasie, dont elle devient une périphérie de plus en plus divisée et instrumentalisée par Washington.

Forcer l’Allemagne à choisir son camp et se détacher de la Russie 

Il convient de souligner la position de Berlin par rapport au projet. Aujourd’hui, l’Allemagne est une puissance centrale qui poursuit son expansion en direction des pays des Balkans, d’Europe orientale et des anciennes républiques de l’ex-URSS (Ostmitteleuropa). L’idéologie qui sous-tend cette expansion est différente de l’idéologie pangermaniste de la veille de la Première Guerre mondiale car elle se fait aujourd’hui au nom de « l’occidentalisation » et de « l’européanisation » de son flanc oriental, d’où sa rivalité géopolitique croissante avec la Russie. Mais si l’idéologie change les tropismes géographiques demeurent. Du point de vue géopolitique, l’Allemagne, cherche à arrimer les pays d’Europe centrale et orientale – dont l’Ukraine –à l’espace euro-atlantique. Le soutien des Etats-Unis à l’Initiative des trois mers, dans le contexte des désaccords croissants avec Donald Trump, a sans doute poussé Berlin à participer à l’ITM afin d’empêcher qu’il prenne une orientation trop antiallemande et afin de contrer la politique américaine de soutien aux initiatives de la Pologne. Les gouvernements allemands successifs poursuivent ainsi la construction d’une zone tampon à l’est, face à la Russie, grâce au Partenariat oriental de l’UE que l’ITM vient compléter.

Sur le plan économique, l’Allemagne table aussi sur l’ouverture des marchés des pays du Partenariat oriental, notamment l’Ukraine. Berlin se considère responsable de la trajectoire géopolitique de ce pays et utilise le narratif euro-atlantique pour parvenir à son objectif. Cependant, jusqu’au déclenchement de l’offensive russe, l’Allemagne considérait qu’elle avait besoin du gaz et du pétrole russes pour maintenir son statut de puissance économique. Elle reste pourtant toujours sous protection militaire américaine, le parapluie nucléaire des Etats-Unis étant la défense ultime du territoire allemand. Le soutien au projet d’Initiative des trois mers et l’acceptation des importations de gaz de schiste américain étaient sans doute considérés par Berlin comme le prix à payer pour préserver Nord Stream II et sa position de puissance centrale dans l’UE, en prenant garde à contenir l’attitude hostile des Etats-Unis[30] à l’égard de Moscou. Le soutien de l’Allemagne à l’ITM n’a toutefois pas effacé la méfiance de Varsovie vis-à-vis de Berlin, très prononcée dans les milieux conservateurs et pro-américains[31] en Pologne et dans la diaspora aux Etats-Unis. Varsovie est ainsi confronté à dilemme : conserver son emprise sur l’Initiative des trois mers, mais en même temps attirer les financements de l’UE avec le soutien de l’Allemagne.

C’est à l’occasion de l’aggravation de la crise en Ukraine en 2022 que Washington a décidé de ne plus tolérer la politique d’équilibre des Allemands combinant alliance stratégique avec l’OTAN et alliance énergétique avec la Russie. Le sabotage de Nord Stream par les Etats-Unis force Berlin à choisir définitivement le camp occidental contre la Russie et à abandonner sa politique d’équilibre pour se ranger sous l’hégémonie américaine, tant géostratégique que géoéconomique.

La domination sans partage de Washington est aussi rendue possible par l’incapacité des Français et des Allemands à s’entendre sur une architecture européenne de sécurité pouvant conférer plus d’indépendance à l’UE vis- à-vis des Etats-Unis, comme sur les questions énergétiques où ils restent des rivaux. La décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire et de compter massivement sur l’importation de gaz russe, sans consultation avec la France, explique sans doute l’absence de réaction de Paris au sabotage des Américains, selon un sentiment de schadenfreude (« se réjouir du malheur d’autrui »), même si les intérêts de Paris sont également touchés. Le camp des atlantistes français, qui a toujours craint l’axe germano-russe, en sort aussi renforcé. La rivalité géopolitique franco-allemande est une faille du projet européen que les Américains ont toujours exploitée pour l’affaiblir et l’orienter à leur avantage.

 

Le succès de la stratégie américaine et le déplacement du centre de gravité de l’UE

Le sabotage de Nord Stream par les Etats-Unis s’inscrit dans leur stratégie géopolitique de fragmentation du vieux continent afin de torpiller toute entente européenne – mais aussi eurasienne – et la constitution d’un axe Paris-Berlin-Moscou. Par ailleurs, Washington est bien décidé à poursuivre son encerclement de l’Eurasie contre la Russie et la Chine, afin de préserver sa suprématie en Europe et dans le monde. L’Initiative des trois mers est l’un des instruments de cette stratégie. Dans ce contexte, le sabotage des gazoducs Nord Stream est un acte de guerre contre la Russie, mais aussi contre l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, et une atteinte à leur souveraineté. C’est un acte d’hostilité contre l’idée d’un projet européen indépendant incluant la Russie, selon la vision gaullienne d’une « Europe européenne » qui s’oppose à « l’Europe américaine ».

L’UE est la dernière zone dans le monde où les Etats-Unis, peuvent encore exercer aujourd’hui leur hégémonie sans obstacle réel. Mais ils ne peuvent durablement maintenir la pression sur la classe politique du vieux continent qu’en terrorisant les Européens par des actes comme le sabotage des gazoducs. La politique de Washington, dictée par des idéologues néoconservateurs mus par la préservation à tout prix de la suprématie américaine, constitue une menace géopolitique majeure pour les nations européennes, en particulier pour la France et l’Allemagne. Leur absence de réaction s’explique par l’asservissement géopolitique de leurs gouvernements qui ne tiennent leur légitimité que de leur appartenance au camp atlantiste sous la direction de Washington, à qui ils ont fait allégeance, et non plus de leurs peuples qu’ils sont incapables de protéger. Paris et Berlin sont ainsi engagés dans une fuite en avant qui les place en situation de cobelligérance avec la Russie, au grand bénéfice des intérêts américains et de leur instrument, le régime de Kiev. Les conséquences prévisibles pour les Européens sont une nouvelle crise économique, une désindustrialisation au profit des Etats-Unis, une baisse du niveau de vie et une déstabilisation durable du continent par un conflit militaire qui pourrait déboucher sur une troisième guerre mondiale.

Le projet d’Initiative des trois mers, qui attire de manière croissante des investissements de l’UE et de l’Allemagne, amène le centre de gravité géopolitique de l’Union européenne à se déplacer vers l’est. La consolidation de l’Allemagne en posture centrale et la confirmation d’une rupture entre la Russie et une UE dominée par les priorités allemandes et polonaises appuyées par les Etats-Unis, vont renforcer les déséquilibres géopolitiques au sein de l’Europe. Une telle évolution se fait au détriment de l’axe franco-allemand et aggrave la rivalité avec la Russie. Toutefois, l’affaiblissement économique éventuel de l’Allemagne – dont l’accès au gaz et pétrole russes bon marché est désormais plus limité – va toutefois peut-être réduire son avantage géopolitique.

Depuis la réunification allemande et l’élargissement de l’UE en Europe centrale et orientale, une nouvelle rivalité géopolitique entre l’Allemagne et la France émerge[32]. En effet, le renforcement du statut de puissance centrale de l’Allemagne entre en contradiction avec le projet d’avant-garde franco-allemande et celui d’une Europe à plusieurs « cercles » défendu par la France. Dans le passé, Paris a cherché à rééquilibrer l’UE vers la Méditerranée pour contrer le déplacement de son centre de gravité géopolitique vers l’est, provoquant à son tour des initiatives comme le Partenariat oriental[33]

Il se peut que la crise économique ralentisse la montée en puissance de l’Initiative des trois mers, mais si les flux énergétiques en provenance de Russie se tarissent, alors son objectif géopolitique sera atteint. Sa consolidation se traduira-t-elle par une politique de compensation vis-vis de la France, ainsi que cela a été pratiqué depuis la réunification allemande ? Selon les plans de Washington, l’ITM devrait permettre de faire des pays membres de l’UE, des « États-fronts » contre la Russie, car l’Europe se verrait coupée de son espace oriental, comme pendant la Guerre froide, ce qui l’empêcherait de conduire une politique d’équilibre.

Berlin et Paris oseront-ils un jour riposter au sabotage des gazoducs ? La France va-t-elle enfin contester de manière ferme cette fuite en avant de l’UE sur son flanc oriental ? En ce qui concerne l’Initiative des trois mers, il n’y a aucune raison pour que Paris participe, au travers de l’UE, au financement d’un projet menant à sa marginalisation géopolitique. Si la construction d’infrastructures entre les pays d’Europe centrale et orientale est légitime, la rupture des flux dans le sens est-ouest devrait être évitée. La France a intérêt à ce que les États participant à l’ITM se positionnent comme des ponts entre la Russie et l’UE, à l’image de la Hongrie, et non pas comme un sous-ensemble farouchement opposé à Moscou, ce qui fracture l’Europe.

En 2014, la Russie avait proposé à l’Ukraine d’intégrer son projet d’Union eurasiatique, mais le coup d’État à Kiev a réorienté le pays vers l’espace euro-atlantique et un accord de libre-échange avec l’UE. La Russie a ensuite élaboré en 2016 le projet de Grande Eurasie, qui n’était pas fermé à une participation de l’Union européenne car sa vision était celle d’une convergence des intérêts géopolitiques communs à tout le continent[34]. L’Initiative des trois mers, qui tend à privilégier les relations nord-sud, entre en contradiction avec la vision est-ouest que la Russie cherche à maintenir. Or depuis février 2022, on observe une véritable hystérie au sujet d’une menace russe, en réalité inexistante pour les membres OTAN[35], alors même que le conflit actuel est principalement dû à la non prise en compte des intérêts de sécurité de la Russie. Moscou réagit en effet selon ses propres représentations, lesquelles proviennent de son sentiment d’encerclement par l’OTAN en raison de son élargissement, de l’installation de bases américaines en Europe de l’Est et du nouveau projet de bouclier antimissiles. Les crises géorgienne (2008) et ukrainienne s’inscrivent dans ce contexte[36].

Un meilleur équilibre géopolitique en Europe est nécessaire pour éviter l’hégémonie de Washington laquelle entraine la France et les Européens dans des conflits contre la Russie et la Chine, au détriment de leurs intérêts et au seul profit des néoconservateurs de Washington et des bureaucraties alignées de l’OTAN et de l’UE. Une confrontation de long terme avec Moscou doit être évitée car toute l’Europe et sa proximité géographique s’en trouveront affectées.

A l’issue du conflit en cours, la meilleure politique pour la France serait de s’affirmer comme puissance d’équilibre grâce à un rapprochement franco-russe pour contrebalancer l’axe euro-atlantiste sous hégémonie américaine. Pratiquer l’équilibre n’est pas la neutralité, mais permet de contrebalancer le pôle trop dominant par un autre. Il serait judicieux pour la France et les États ouverts à une reprise des relations avec la Russie – l’Italie, l’Espagne, la Grèce, Chypre, mais aussi la Hongrie et la Croatie, et espérons l’Allemagne, si elle se détache de ses illusions atlantistes – de promouvoir un nouvel équilibre plus favorable à leurs intérêts.

Si Moscou restait en conflit avec ce qu’elle appelle « l’Occident collectif », la coopération avec les pays occidentaux – ceux du temps de la Guerre froide –restera toutefois d’actualité selon le Kremlin.[37] A l’échelle mondiale, l’enjeu pour les Européens est d’éviter un éventuel condominium américano-chinois et la Russie peut jouer dans cette perspective un rôle important. Une nouvelle architecture européenne de sécurité, maintes fois évoquée mais jamais mise en œuvre, incluant la Russie et l’Ukraine, reste la condition, non seulement de la paix en Europe, mais aussi de la relance du projet européen vers une Europe des nations souveraines, alliées et interdépendantes, à l’échelle continentale.


 

[1] https://seymourhersh.substack.com/p/how-america-took-out-the-nord-stream

[2] https://www.nytimes.com/2023/03/07/us/politics/nord-stream-pipeline-sabotage-ukraine.html

[3] https://www.reuters.com/world/europe/zelenskiy-aide-kyiv-absolutely-not-involved-nord-stream-attack-2023-03-07/

[4] https://www.youtube.com/watch?v=k93WTecbbks

[5] https://www.epochtimes.fr/la-suede-quitte-lenquete-conjointe-sur-la-fuite-du-nord-stream-et-refuse-de-partager-ses-conclusions-invoquant-la-securite-nationale-2135764.html

[6] « The overarching pillars of the Three Seas Initiative are threefold – economic development, European cohesion and transatlantic ties. The changing nature of global environment calls for their strengthening in order to be able to face new challenges and overcome dynamic threats.

Firstly, the Initiative seeks to contribute to the economic development of the Central and Eastern Europe through infrastructure connectivity, mainly, but not only on the North-South axis, in three main fields – transport, energy and digital.

The second objective is to increase real convergence among EU Member States, thereby contributing to enhanced unity and cohesion within the EU. This allows avoiding artificial East-West divides and further stimulate EU integration.

Thirdly, the Initiative is intended to contribute to the strengthening of transatlantic ties. The US economic presence in the region provides a catalyst for an enhanced transatlantic partnership. » (https://www.three.si/2019-summit).

[7] https://www.bundespraesident.at/aktuelles/detail/drei-meere-initiative-2018

[8] http://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/the-three-seas-summit-a-step-toward-realizing-the-vision-of-a-europe-whole-free-and-at-peace

[9] http://www.atlanticcouncil.org/images/publications/Completing-Europe_web.pdf

[10] Laruelle Marlène, Riviera Ellen, Imagined Geographies of Central and Eastern Europe: The Concept of Intermarium, Institute for Russian European, and Eurasian studies, The Georges Washington University, IERES Occasional Papers, March 2019 (https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/laruelle-rivera-ieres_papers_march_2019_1.pdf).

[11] Montgrenier Jean-Sylvestre, Dubois-Grasset Jeanne, La Pologne, acteur géostratégique émergent et puissance européenne, http://institut-thomas-more.org/2018/06/30/la-pologne-acteur-geostrategique-emergent-et-puissance-europeenne/

[12] https://www.ft.com/content/2e328cba-c8be-11e8-86e6-19f5b7134d1c

[13] https://www.ft.com/content/eb1ebca8-9514-11e5-ac15-0f7f7945adba

[14] « Permanent Structured Cooperation ». Ce projet a pour objectif de rendre la politique de sécurité et de défense européenne plus contraignante. Les États membres s’engagent à mettre en œuvre ensemble des projets de défense sélectionnés.

[15] https://www.consilium.europa.eu/media/32079/pesco-overview-of-first-collaborative-of-projects-for-press.pdf

[16] https://ec.europa.eu/transport/themes/infrastructure/news/2018-03-28-action-plan-military-mobility_en

[17] https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2016/07/08/eu-nato-joint-declaration/

[18] https://biznesalert.pl/hodges-centralny-port-komunikacyjny-mobilnosc-nato/

[19] https://www.politico.eu/article/dont-put-us-bases-in-poland/

[20] https://wikileaks.org/plusd/cables/08WARSAW1409_a.html

[21] Foucher Michel, La bataille des cartes, Analyse critique des visions du monde, Françoise Bourin, 2011.

[22] https://www.nytimes.com/1992/03/08/world/us-strategy-plan-calls-for-insuring-no-rivals-develop.html

[23] Brzezinski Zbigniew, The Grand Chessboard: American Primacy and its Geostrategic Imperatives, Basic Books, 1997.

[24] Justin Vaïsse, Zbigniew Brzezinski, stratège de l’empire, Odile Jacob, 2016.

[25] Selon Mitchell, l’objectif des Etats-Unis est d’éviter la domination des masses eurasiennes par des puissances hostiles. Ainsi, il précise que « lors de trois guerres mondiales, deux chaudes et une froide, nous avons aidé à unifier l’Occident démocratique pour empêcher nos opposants brutaux de dominer l’Europe et le Rimland à l’ouest de l’Eurasie »[25]. Sans surprise, la Russie et la Chine sont désignées comme les adversaires stratégiques des Etats-Unis alors que la Guerre froide est terminée depuis plus d’un quart de siècle, car ils « contestent la suprématie des USA et leur leadership au XXIe siècle.» On retrouve donc avec constance l’objectif des Etats-Unis de contrôler l’Eurasie afin d’empêcher un rival géopolitique d’y émerger à nouveau et de relativiser leur propre puissance mondiale (https://ee.usembassy.gov/a-s-mitchells-speec).

[26]  Le Président Donald Trump a déclaré lors du sommet de l’Initiative des trois mers le 6 juillet 2017 à Varsovie que « L’Initiative des Trois Mers transformera et reconstruira l’ensemble de la région et veillera à ce que vos infrastructures, tout comme votre engagement en faveur de la liberté et l’état de droit, vous lient à toute l’Europe et, en fait, à l’Occident. (…) L’Initiative des trois mers permettra non seulement à vos peuples de prospérer, mais aussi à vos nations de rester souveraines, sûres et libres de toute coercition étrangère. Les nations libres d’Europe sont plus fortes et l’Occident l’est aussi. Les États-Unis sont fiers de constater qu’ils aident déjà les pays des trois mers à atteindre la diversification énergétique dont ils ont tant besoin. L’Amérique sera un partenaire fiable et sûr dans la production de ressources et de technologies énergétiques de haute qualité et à faible coût. »

[27] Le Financial Times a souligné que « Donald Trump est en train d’opérer un changement radical dans la politique énergétique américaine en utilisant les exportations de gaz naturel comme un instrument de politique commerciale, en se faisant le champion des ventes à la Chine et à d’autres régions d’Asie dans le but de créer des emplois et de réduire les déficits commerciaux américains. Dans une tentative de libérer les ressources énergétiques américaines, M. Trump essaie de promouvoir davantage d’exportations de gaz naturel liquéfié et pas seulement d’utiliser le GNL comme une arme géopolitique visant des nations telles que la Russie, comme c’était la position de son prédécesseur Barack Obama. ». « Trump looks to lift LNG exports in US trade shift », Financial Times, June 22, 2017 (https://www.ft.com/content/c5c1958c-5761-11e7-80b6-9bfa4c1f83d2).

[28]https://www.euractiv.com/section/energy/news/kremlin-accuses-trump-of-trying-to-bully-europe-into-buying-us-lng/

[29] https://www.lalibre.be/economie/conjoncture/2022/10/14/nord-stream-une-grande-section-du-tuyau-doit-etre-coupee-et-remplacee-G6ROQC3BGZF4RLFWETGX7NQ6Q4/

[30] Les sanctions allemandes contre la Russie étaient toujours calibrées afin de ne pas mettre en danger les intérêts fondamentaux de sa puissance économique, tout en satisfaisant les Etats-Unis mais aussi les pays d’Europe centrale et orientale, méfiants vis-à-vis de Moscou. Il s’agissait à la fois d’une politique d’équilibre, de réassurance, et d’endiguement de la Russie sur le plan géostratégique.

[31] https://www.tysol.pl/a23593-Najnowszy-numer-%E2%80%9ETygodnika-Solidarnosc%E2%80%9D-Po-co-Niemcom-Trojmorze-

[32] Thomann Pierre-Emmanuel, Le couple, franco-allemand et le projet européen, représentations géopolitiques, unité et rivalités, L’Harmattan, Paris, 2015.

[33] Le partenariat oriental avait été promu par la Pologne et la Suède pour contrer le tropisme euro-méditerranéen de la France, dans le contexte de la crise provoquée par le projet d’Union méditerranéenne de Nicolas Sarkozy en 2007/2008. L’Allemagne a toujours soutenu le partenariat oriental, mais en agissant dans les coulisses de l’Union européenne. Berlin a bloqué le projet d’Union méditerranéenne de la France pour éviter une division de l’UE et contrer l’émergence de Paris comme chef de file des pays méditerranéens en contrepoids de l’Europe allemande, afin d’éviter une fragmentation de l’Europe en alliances variables, et maintenir la France et les pays du sud de l’Europe dans le giron de l’UE.

[34] Glaser Kukartseva, M. et Thomann, P.-E., “The concept of “Greater Eurasia”: The Russian “turn to the East” and its consequences for the European Union from the geopolitical angle of analysis”, Journal of Eurasian Studies, 13(1), 3-15, 2022, (https://doi.org/10.1177/18793665211034183).

[35] Aucun État membre de l’OTAN protégé par l’article V n’a pourtant eu de différend militaire avec la Russie.

[36] Thomann Pierre-Emmanuel, « Guerre Russie-Géorgie : première guerre du monde multipolaire », Défense nationale, n°10, octobre 2008 (http://www.ieri.be/fr/node/329).

[37] Vladimir Putin Meets with Members of the Valdai Discussion Club. Transcript of the Plenary Session of the 19th Annual Meeting, october 27, 2022

https://valdaiclub.com/events/posts/articles/vladimir-putin-meets-with-members-of-the-valdai-club/

En construction, la frégate de défense et d’intervention Amiral Ronarc’h aurait été la cible d’un sabotage

En construction, la frégate de défense et d’intervention Amiral Ronarc’h aurait été la cible d’un sabotage

https://www.opex360.com/2023/05/25/en-construction-la-fregate-de-defense-et-dintervention-amiral-ronarch-aurait-ete-la-cible-dun-sabotage/


 

Cela étant, ce cas de sabotage « présumé » n’est pas isolé… En effet, selon des informations révélées par « Le Télégramme », la Frégate de défense et d’intervention [FDI] Amiral Ronarc’h, première d’une série de cinq unités, a été visée par des « actes de malveillance », alors qu’elle est encore en construction à Lorient. Ainsi, comme le HMS Glasgow, « plusieurs câbles ont été volontairement sectionnés ». Les faits se seraient produits il y a « quelques semaines », avance le quotidien.

Une plainte a été déposée par Naval Group après la découverte de ce sabotage. Le parquet de Rennes, compétent pour les affaires militaires, a été saisi de cette affaire. Une enquête pour « destruction de bien de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation » a été ouverte. Les investigations ont été confiées à la Gendarmerie maritime.

Par ailleurs, Naval Group a indiqué avoir renforcé la surveillance de son site de Lorient. Mais il ne souhaite pas donner plus de détails sur ces actes de malveillance ayant visé la FDI Amiral Ronarc’h, lancée en novembre 2022. La même discrétion est de mise du côté de la justice. « eu égard au contexte de ces faits, je n’envisage d’apporter aucune précision sur leur matérialité », a confié Philippe Astruc, le procureur de Rennes.

Au regard du contexte international, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait évoqué, en septembre 2022, un « risque de sabotage contre les chaînes de production des industriels français de l’armement ». Et d’ajouter : « Nous constatons et nous surveillons un certain nombre d’agissements. Je n’irai pas plus loin parce que cela est couvert par le secret ».

Il n’est pas impossible que des actes de sabotages aient un rapport avec le climat social et politique. En tout cas, le Directeur du renseignement et de la sécurité de la Défense [DRSD], le général Philippe Susnjara, n’a pas écarté cette hypothèse lors d’une récente audition parlementaire.

« D’une manière générale, nous suivons l’ensemble de la radicalisation, qui se développe malheureusement dans la société actuelle. […] Nous suivons la présence de l’ultradroite au sein des armées, mais il n’y a pas de sujet particulier : nous prenons les mesures d’entrave, en lien avec le commandement, lorsqu’elles sont nécessaires. Et nous agissons de la même façon avec l’islam radical. Pour l’ultragauche, la situation est opposée puisque nous avons plutôt affaire à des gens qui pourraient viser la BITD [Base industrielle et technologique de défense, ndlr] ou les institutions de l’extérieur : là, nous travaillons de manière coordonnée avec les autres acteurs du renseignement », avait-il expliqué.

Pour rappel, affichant un déplacement de 4500 tonnes pour une longueur de 122 mètres, la FDI est conçue selon une « architecture numérique innovante lui permettant de s’adapter en continu aux évolutions technologiques et opérationnelles ». En plus, notamment, d’un sonar de coque, d’un radar Sea Fire 500 à quatre antennes planes fixes entièrement numérique et d’un mât unique rassemblant l’intégralité des capteurs aériens, elle sera dotée de deux lanceurs de 8 missiles Aster 30, d’une tourelle de 76 mm, de canons de 20 mm télé-opérés. de torpilles MU-90 et de missiles anti-surface Exocet.

Selon le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, la Marine nationale en comptera trois unités à l’horizon 2030, les deux dernières devant lui être livrées avant 2035. Par ailleurs, la construction de la première des trois FDI commandées par la Grèce a commencé en octobre 2022, à Lorient.