Georgie, Moldavie, Ukraine : le reflux géopolitique euro-atlantiste

Georgie, Moldavie, Ukraine : le reflux géopolitique euro-atlantiste

Pierre-Emmanuel Thomann* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°659 / novembre 2024

*Docteur en géopolitique

La victoire du parti « Rêve géorgien » en Géorgie, le mauvais résultat lors du référendum sur l’adhésion à l’UE en Moldavie – où la majorité des Moldaves résidents ont voté NON, tandis que le OUI n’est passé qu’avec les voix de la diaspora dans l’UE et dont la légitimité est douteuse –, mais aussi l’élection présidentielle dans ce pays remportée par la présidente sortante Maia Sandu avec les voix de la diaspora de l’UE (elle est Roumaine et a été formatée par sa carrière précédente aux États-Unis), signifient en réalité un renversement de la tendance à l’extension inéluctable de l’espace euro-atlantique et annonce le reflux géopolitique de l’UE mais aussi de l’OTAN.

En effet, suite à la victoire géopolitique de plus en plus inéluctable de la Russie en Ukraine, où la seule inconnue réside dans le nouveau tracé de la frontière à la suite du processus de réunification russe, les citoyens et gouvernement des pays qui ont fait partie du monde russe (et s’en rapprochent à nouveau) ont appris de l’histoire récente. Ils ont remarqué que les pays qui se sont positionnés comme États-fronts contre la Russie sont devenus un champ de bataille entre les États-Unis et la Russie au détriment de leur sécurité et de leur économie, et ont perdu des territoires au cours cet affrontement.

Le positionnement du parti « Rêve géorgien » est ainsi le plus en phase avec les intérêts de sécurité de la Géorgie. Les Géorgiens lucides ont bien compris que positionner leur pays comme instrument de Washington pour encercler la Russie (cf. carte) ne pouvait qu’aboutir à en faire un champ de bataille au seul profit des Américains et de leurs supplétifs de l’OTAN et de l’UE, qui cherchent à les instrumentaliser. La promesse du « Rêve géorgien » était de refuser un politique de sanctions contre la Russie (ce qui détruirait l’économie géorgienne) et d’éviter un nouveau conflit avec la Moscou. D’où le résultat des élections en sa faveur, malgré la tentative de changement de régime raté de la présidente Salomé Zourabichvili, qui travaille pour les intérêts euro-atlantistes sous couvert d’élargissement à l’UE. Les intérêts de la Géorgie sont secondaires pour l’UE qui ne s’intéresse qu’à son « occidentalisation », c’est-à-dire à la réorienter géopolitiquement pour la détacher de Moscou et imposer son modèle de démocratie libérale d’inspiration américaine en synergie avec Washington et l’OTAN. Pour survivre comme civilisation, et au vu de sa position géographique (en Asie) et de sa culture, la Géorgie a intérêt à se rapprocher du monde russe dont elle a fait partie : c’est le sens de la géohistoire. L’occidentalisation (américanisation) de la Géorgie promue par les idéologues admirateurs de l’Occident américanisé, ferait disparaitre la Géorgie comme entité civilisationnelle, c’est donc une dangereuse illusion. Il en va de même pour l’Ukraine et la Moldavie qui risquent l’alinéation géopolitique et culturelle en s’occidentalisant.

Les Géorgiens ont appris des conflits récents en observant la défaite inéluctable du régime de Kiev qui a fait l’erreur stratégique funeste de se positionner comme État-front contre la Russie. Il ont aussi l’expérience de la guerre Russie-Géorgie de 2008 déclenchée par l’ancien président Mikhaïl Saaskachvili, promoteur des intérêts américains et finalement lâché par Washington qui lui avait pourtant promis à long terme une adhésion à l’OTAN avec pour résultat de provoquer la Russie, comme en Ukraine. Ce conflit de 2008 a constitué la première guerre du monde multipolaire : les États-Unis, qui ont tenté, via à la Géorgie, de poursuivre l’élargissement de leur stratégie d’encerclement et de fragmentation de l’Eurasie pour imposer le monde unipolaire, n’ont pas pu absorber ce pays en raison de la réaction russe. Ils continuent cependant de soutenir les forces politiques favorables à l’occidentalisation pour reprendre la manœuvre contre Moscou, à un moment plus favorable.

Après l’échec, pour l’UE, des deux évènements électoraux en Géorgie et en Moldavie, et la défaite des États membres de l’OTAN en Ukraine, c’est un scénario alternatif qui se profile. L’OTAN et l’UE, telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, ne s’élargiront ni à la Géorgie, ni à l’Ukraine, ni la Moldavie. La réforme de ces deux institutions aux paradigmes de plus en plus obsolètes – défendre la stabilité et la prospérité européennes dans un nouvel ordre géopolitique post-américain, car créées pendant le Guerre froide et consolidées lors du monde unipolaire après la disparition de l’URSS – est une illusion. Les États membres de l’UE et de l’OTAN se diviseront de plus en plus sur la question de l’élargissement et les citoyens de l’UE y sont de plus en plus largement opposés. Seuls les gouvernements vassalisés à Washington y sont favorables et cherchent à accélérer le processus pour éviter que ces pays coopèrent avec Moscou. La visite du Premier ministre hongrois Victor Orban à Tbilissi pour féliciter la victoire électorale du gouvernement géorgien a torpillé toute velléité de l’UE de promouvoir un changement de régime et annonce la fragmentation géopolitique croissante de l’UE, mais aussi de l’OTAN, sur cette question. Les angles morts de la politique d’élargissement de l’UE englobent aussi : l’ambition géopolitique de l’Allemagne – qui cherche à reconstruire sa zone d’influence en Europe centrale et orientale au détriment de la Russie sous le parapluie nucléaire américain –, le projet d’annexion de la Moldavie par la Roumanie, les visées polonaises dans l’Ouest de l’Ukraine (Silésie) et la France, au départ réticente à l’élargissement, mais qui s’est alignée pour contrebalancer l’Allemagne. Tous ces projets sont surtout susceptibles d’aboutir au dépeçage géopolitique de ces pays candidats, dans la pure tradition de la géopolitique du XIXe et XXe siècles.

 

Le Sahel après le retrait français par Bernard Lugan

par Bernard Lugan – AASSDN – publié le 3 novembre 2024

https://aassdn.org/amicale/le-sahel-apres-le-retrait-francais_par_bernard-lugan/


Après la mort de 52 des meilleurs enfants de France tombés pour défendre des Maliens et des Nigériens préférant émigrer en France plutôt que se battre pour leurs pays respectifs, que devient le Sahel depuis le retrait français des années 2022 et 2023 ? 
La région est en effet sortie de l’actualité française, d’une part parce que l’Ukraine et le Moyen-Orient attirent tous les regards ; d’autre part, en raison de la situation intérieure hexagonale. Or, à bas bruit, se poursuit l’extension des territoires contrôlés par les islamistes, par les trafiquants de drogue et par les passeurs de migrants. 

Avec des moyens dérisoires à l’échelle du gigantesque théâtre d’opérations saharo-sahélien, – plus de 8 000 000 km2 de désert et plus de 3 000 000 km2 de Sahel -, Barkhane, qui n’était que de passage, n’était évidemment pas en mesure de refermer ces plaies ethno-raciales ouvertes depuis la nuit des temps et qui sont à la base des guerres actuelles. 

Aujourd’hui, les Russes comprennent à leur tour qu’ils ne peuvent agir sur les constantes millénaires qui conditionnent les définitions politico-sociales régionales. Ils ne peuvent pas davantage résoudre les problèmes liés à la démographie, à la sous-administration et à l’inexistence d’Etats sans profondeur historique qui associent tout à fait artificiellement des Nord blancs et des Sud noirs immémorialement antagonistes. 

L’ignorance des constantes ethno-historico-politiques régionales et d’un milieu dans lequel les populations ont une tradition de violence en raison de la concurrence pour les maigres ressources en eau ou en pâturages, a fait qu’un conflit localisé à l’origine au seul nord-est du Mali, limité à une fraction touareg, et dont la solution passait par la satisfaction de revendications politiques légitimes de cette dernière, s’est transformé en un embrasement régional échappant désormais à tout contrôle. 

Un désastre qui s’explique par une erreur originelle de diagnostic. La polarisation sur le jihadisme fut en effet l’alibi servant à masquer la méconnaissance des décideurs français, doublée de leur incompréhension de la situation. Comme je n’ai cessé de le dire et de l’écrire depuis au moins deux décennies, le jihadisme saharo-sahélien est en effet, et d’abord, la surinfection de plaies ethniques séculaires et même parfois millénaires. 

Or, comme il vient d’être dit, nul n’étant en mesure de cautériser ces dernières, les malheureuses populations continueront donc à vivre dans la terreur. 

N’en déplaise aux tueurs de mémoire, nous assistons bien en réalité au retour à la longue durée régionale. Une situation qui avait été mise entre parenthèses entre les années 1890 et 1960, durant la brève parenthèse coloniale, quand la France s’est ruinée avec application pour assurer la paix aux populations, pour les soigner, pour les nourrir, pour tracer des routes, lancer des ponts, bâtir dispensaires, hôpitaux, écoles…

Bernard Lugan
Editorial du 1er novembre 2024
https://bernardlugan.blogspot.com/

Général Burkhard : « L’armée française n’est pas taillée pour aller faire la guerre » dans la zone Indopacifique

Général Burkhard : « L’armée française n’est pas taillée pour aller faire la guerre » dans la zone Indopacifique


Avec la professionnalisation des armées, la Révision générale des politiques publiques [RGPP] et les contraintes budgétaires, le format des forces dites de souveraineté, car affectées dans les territoire d’outre-Mer, a été réduit d’environ 20 % entre 2000 et 2015. Et cela s’est également traduit par des ruptures capacitaires temporaires, voire définitives.

Aussi, ces dernières années, plusieurs rapports parlementaires ont établi le constat que, malgré leurs contributions aux principales fonctions stratégiques [connaissance et anticipation, protection et intervention], voire leur appui à la dissuasion, les forces de souveraineté n’avaient pas les moyens suffisants pour mener l’ensemble des missions qui leur sont assignées.

Cependant, les deux dernières Lois de programmation militaire [LPM] ont acté une remontée en puissance des forces de souveraineté, avec, par exemple, le renouvellement des patrouilleurs de la Marine nationale. Il est aussi question qu’elles bénéficient d’un investissement de 13 milliards d’euros pour la période 2024-30. En outre, des déploiements aériens comme « PEGASE » [Projection d’un dispositif aérien d’EnverGure en Asie du Sud-Est] permettent de renforcer ponctuellement la posture des forces françaises dans les territoires ultramarins de la zone Indopacifique.

« Il s’agit d’améliorer notre contribution à la protection du territoire national, singulièrement de nos territoires d’outre-mer et de nos zones économiques exclusives, où l’accumulation des tensions stratégiques et les stratégies hybrides – sans oublier les effets liés au changement climatique, à la prédation sur les ressources naturelles et aux flux migratoires illégaux – nous obligent à revoir notre dispositif », avance la LPM 2024-30.

Or, en 2021, alors chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier avait dit ne pas exclure un « coup de force » contre un territoire français ultramarin. « Des affrontements violents en mer sont possibles, y compris de la part d’adversaires qui pourraient agir de manière à défier notre détermination et tester l’articulation de notre capacité de réponse conventionnelle sous le seuil nucléaire », avait-il confié à Mer & Marine, en prenant l’exemple de la guerre des Malouines / Falklands.

« De la même manière, on pourrait imaginer à l’avenir une tentative d’éviction de la France de certaines régions du monde, notamment celles où nous avons des territoires. Nous devons pouvoir décourager et si nécessaire empêcher de telles initiatives », avait ajouté l’amiral Vandier, avant de souligner la nécessité pour la Marine nationale d’aligner des « équipements répondant à la hausse du niveau de menace ».

Parmi les territoires d’outre-mer susceptible de faire l’objet d’un éventuel coup de force, la Nouvelle-Calédonie arrive en tête de liste, en raison de la position stratégique qu’elle occupe. Dans un volumineux rapport publié en 2021, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire [IRSEM] avait expliqué que l’éventuelle indépendance de l’archipel ne pourrait que servir les intérêts de Pékin.

« Une Nouvelle-Calédonie acquise à la Chine deviendrait la clé de voûte de la stratégie d’anti-encerclement chinoise, tout en isolant l’Australie puisqu’en plus de Nouméa, Pékin pourra s’appuyer sur Port Moresby, Honiara, Port-Vila et Suva », avait avancé l’IRSEM. D’où l’intérêt que porte Pékin aux mouvements indépendantistes néo-calédoniens.

« La Chine fonctionne en noyautant l’économie, en se rapprochant des responsables tribaux et politiques parce que c’est la méthode la plus efficace et la moins visible. Sa stratégie est parfaitement rodée et elle a fonctionné ailleurs dans le Pacifique », avait souligné le rapport.

Pour autant, faut-il redouter un coup de force militaire contre le « Caillou » ? Le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, n’y croit pas. D’ailleurs, même si cela devait arriver, la France n’aurait pas les moyens de s’y opposer…

« Bien sûr, nous devons assurer la souveraineté de nos territoires d’outre-mer, mais soyons clairs : la France n’a pas l’ambition d’aller faire la guerre dans la zone indo-pacifique ! », a en effet affirmé le CEMA, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 25 septembre dernier [le compte-rendu vient d’être publié, ndlr].

« Ce qui menace la Nouvelle-Calédonie n’est pas une invasion par la Chine. [Si] celle-ci cherche probablement à y étendre son influence, l’armée française n’est pas taillée pour aller faire la guerre à 17 000 kilomètres d’ici. La menace qui s’exerce sur notre souveraineté en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française aujourd’hui n’est pas stricto sensu une menace militaire qui nécessite des installations et un outil de combat », a conclu le général Burkhard.

En attendant, la situation en Nouvelle-Calédonie, en proie à de vives tensions d’une ampleur inédite depuis les années 1980, inquiète l’Australie ainsi que, dans une moindre mesure, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis.

L’Europe coalisée contre la France : Les deux Bruxelles contre la France (1/2)

L’Europe coalisée contre la France : Les deux Bruxelles contre la France (1/2)

OPINION – Où va l’Union européenne dans le domaine de l’industrie de la défense ? Selon le groupe Vauban, la création d’un marché unique au niveau européen ouvrira la porte aux industriels américains, israéliens et sud-coréens avec la création d’une autorité centralisée européenne de l’industrie de défense. Elle permettra une « coordination améliorée pour agréger l’acquisition de systèmes américains par des groupes d’États-Membres de l’UE », selon une recommandation du rapport Draghi. C’est pour cela que la France doit quitter et l’OTAN et l’Union européenne, selon le groupe Vauban.

« L'Europe ne faisant pas le poids face à l'OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d'opération majeur pour eux quoiqu'en dise) et s'assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense » (Le groupe Vauban)
« L’Europe ne faisant pas le poids face à l’OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d’opération majeur pour eux quoiqu’en dise) et s’assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense » (Le groupe Vauban) (Crédits : Commission européenne)

 

Dans sa longue histoire, la France s’est régulièrement retrouvée seule face à une Europe coalisée contre elle : la force de son État-nation, de son génie diplomatique et militaire et de son rayonnement culturel lui a toujours permis d’y faire face. Les guerres de Louis XIV puis celles de la Révolution et de l’Empire, jusqu’aux décisions diplomatiques et militaires du général de Gaulle, en témoignent. L’Histoire se répète aujourd’hui sous d’autres formes, moins épiques mais tout aussi décisives : la résurrection de la Communauté Européenne de Défense de 1952, l’alliance germano-italienne dans le domaine terrestre (avant son prolongement ultérieur dans le domaine naval), et l’accord germano-britannique de Trinity House, prenant à revers le Traité de Lancaster House et celui d’Aix-la-Chapelle, en sont trois récentes manifestations.

Au terme de ces développements, la France n’est nulle part dans une Europe qu’elle prétend pourtant bâtir mais qu’elle n’a ni volonté ni constance pour la guider vers le sens de ses intérêts.

Bruxelles la fédérale ou la « volière des cabris »

L’âme de la première coalition anti-française est à Bruxelles. S’arrogeant des compétences qu’aucun traité ne lui reconnaît, la Commission européenne, pourtant gardienne des traités, use et abuse des mêmes procédés, dénoncés en son temps par la France lors de la politique de la chaise vide (mai – juillet 1965) : utilisant avec zèle son droit d’initiative, elle prend prétexte du marché intérieur pour réglementer le domaine de la défense, sanctuaire pourtant exclusif des États-nations.

Avec ses manières à la fois arbitraires et bureaucratiques mais toujours opaques, car avançant masquée, elle promet à ce secteur le même sort que les autres domaines dont elle s’est occupée depuis 1958 : la ruine totale au profit de la concurrence extra-européenne. L’agriculture, les transports, l’énergie, la métallurgie, l’automobile ont été sacrifiés sur l’autel de ses décisions et de ses convictions : les mêmes remèdes produisant les mêmes causes, la défense ne fera pas exception.

En ce sens, le rapport Draghi et la nomination d’un Commissaire européen à la défense accélèrent le processus, amorcé en 1952 avec la CED. La marche fédérale de von der Leyen consiste en cinq étapes claires dont la caractéristique commune est de reposer sur des principes tous aussi faux que néfastes aux systèmes de défense de chaque État-membre :

  • D’abord, proclamer l’urgence en raison de la guerre en Ukraine et de la menace russe (voire du résultat redouté des élections américaines) : ce sentiment d’urgence, déjà utilisé lors de la crise du COVID pour faire de la santé – domaine intergouvernemental – un domaine communautaire, est la pédale d’accélérateur destinée à éviter les débats et prendre de court des États toujours aussi lents à réagir.
  • Cantonner ensuite les États aux seules questions de doctrine et d’emploi des forces, en détachant soigneusement les questions d’armement de ces domaines : la Commission s’affirme ainsi compétente en matière d’industrie de défense au nom de ses prérogatives générales en matière de marché intérieur, notamment dans le domaine de l’industrie et de la technologie ; or, sans industrie d’armement, il ne saurait être question de politique de défense et encore moins de capacités militaires. Cette séparation des composantes de la défense est une négation pure de la doctrine française, qui a toujours établi que pour bien faire la guerre, il faut soi-même être capable en national de concevoir, développer, produire et entretenir ses propres matériels ; cette politique industrielle a créé deux instruments efficaces : la DGA et des champions nationaux, maîtres d’œuvre de la dissuasion ;
  • Poursuivre l’élan avec la création d’un marché unique de la défense au nom de l’efficacité ; gouverné avec les mêmes principes ultra-libéraux qui l’ont toujours guidé, ce marché unique s’ouvrira sans réciprocité à la concurrence extra-européenne (américaine, israélienne et sud-coréenne, voire turque) au nom d’accords de commerce internationaux conclus sous la seule autorité de la Commission ; ce « single market for defence », censé « accroître la capacité de production et de soutenir les achats conjoints d’équipements européens » – ne résoudra rien car les racines du mal européen ne sont pas à rechercher dans les monopoles nationaux, mais bel et bien dans d’autres raisons que la Commission se refuse évidemment de mentionner : dans le désarmement généralisé que chaque pays a délibérément voulu ; dans des investissements de lâche confort extra-européens, américain, israélien et désormais sud-coréen, acquisitions qui ruinent toute préférence européenne pour les 50 ans à venir ; dans la mauvaise méthode de coopération dans les programmes où le plus incompétent des industriels devait toujours recevoir une part égale et qui finissent toujours par des retards, des surcoûts, des sous-performances (NH90, Tigre, A400M, Eurodrone, Eurofighter, etc) et des pertes d’emplois qualifiés (Airbus Defense & space actuellement).
  • Créer en parallèle une autorité centralisée européenne de l’industrie de défense (« centralised EU Defence Industry Authority ») pour faire « une programmation et des achats d’armement en commun, i.e. c’est-à-dire pour acheter en central au profit des États-Membres » (recommandation n° 9 du rapport Draghi, cité comme référence dans la lettre de mission de Mme von der Leyen vers Andrius Kubilius). Cette autorité permettra évidemment une « coordination améliorée pour agréger l’acquisition de systèmes américains par des groupes d’États-Membres de l’UE » (recommandation n°10 du rapport Draghi) : la préférence européenne est ainsi sacrifiée par ceux qui devraient la défendre…
  • Achever enfin la « véritable Union de Défense Européenne », nouvelle expression d’une Communauté Européenne de Défense qui verra, à son apogée la création d’une armée européenne sous la direction d’un Commissaire européen à la défense, prenant lui-même ses ordres auprès du SACEUR américain à l’OTAN.

L’Europe sous les fourches caudines américaines

Ce schéma n’est ni imaginaire ni exagéré : c’est très exactement l’Europe de la Défense que dessine le rapport Draghi et que M. Kubilius s’efforcera, pas à pas, de concrétiser durant son mandat. En ruinant assurément le secteur de l’industrie d’armement en Europe, il détruira l’objectif même recherché : la défense de l’Europe par elle-même. Que nombre d’États-membres n’aient pas protesté, se conçoit : comme le disait le général De Gaulle [1], « les Allemands, les Italiens, les Belges, les Pays-Bas sont dominés par les Américains ».

Mais il est tragique de constater qu’en France, il n’y aura plus communistes et gaullistes – ou un Mendès-France – pour faire échec à cette CED nouvelle version. Les communistes ont disparu et les gaullistes, depuis Jacques Chirac, se sont ralliés à la fédéralisation de l’Europe tout maintenant la doctrine de dissuasion française, refusant de voir que l’une sacrifie délibérément l’autre. Aucun parti, y compris le RN, ne va jouer le rôle-clé qu’il aurait pu jouer sur ce dossier, à l’instar de celui joué par le gaullisme en 1954.

Cette marche à la supranationalité ne sera donc pas freinée par les États-membres sans géopolitique ni par les partis souverainistes sans courage, mais bel et bien recadrée par ceux-là même à qui elles profitent in fine : l’OTAN et les Etats-Unis, car ce que Madame von Der Leyen n’a pas voulu voir ou dire, c’est que sa CED à elle, en faisant doublon à l’OTAN, se condamne d’elle-même.

  • Les capacités ? C’est l’OTAN.
  • Les normes pour l’industrie d’armement ? C’est encore l’OTAN.
  • La structure de commandement ? C’est toujours l’OTAN.
  • La force d’intervention ? C’est évidemment l’OTAN.

L’Europe ne faisant pas le poids face à l’OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d’opération majeur pour eux quoiqu’en dise) et s’assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense. « To get the U.S in, the Soviets out and the Germans down » : cette définition cynique de l’OTAN formulée par le premier Secrétaire-Général de l’OTAN, Lord Ismay, reste toujours d’actualité.

L’Europe de la défense de Mme von der Leyen se dissoudra donc dans le pilier européen de l’OTAN, donnant ainsi raison au général De Gaulle : « Vous savez ce que ça veut dire, la supranationalité ? La domination des Américains. L’Europe supranationale, c’est l’Europe sous commandement Américain » [2].

La seule initiative qui subsistera sera la communautarisation forcée de l’industrie de défense des États-membres, annoncée dès le 8 juillet 2017 par Mme Goulard, éphémère ministre de la défense française : « Si nous voulons faire l’Europe de la défense, il va y avoir des restructurations à opérer, faire des choix de compatibilité et, à terme, des choix qui pourraient passer dans un premier temps pour aboutir à privilégier des consortiums dans lesquels les Français ne sont pas toujours leaders ». La perte de souveraineté industrielle assumée est toujours d’actualité si l’on en croit MM. Cingolani et Folgiero, respectivement PDG de Leonardo et de Fincantieri qui ont repris récemment la même antienne…tout en s’assurant que cette Europe industrielle-là se fera sous leur tutelle [3].

Au bilan, la seule « politique de la chaise vide » que la France aura faite, n’a pas été le fruit d’une décision d’un ministre de la défense français qui s’affiche gaulliste, mais de quelques industriels tricolores qui ont refusé de signer leur arrêt de mort sur l’autel de la fédéralisation de l’industrie d’armement. Deux d’entre eux sont les maîtres d’œuvre de la dissuasion : ce n’est pas un hasard tant la CED de Mme von Der Leyen est négatrice de la doctrine de dissuasion nationale qui suppose la souveraineté intégrale et non la servitude volontaire aux deux Bruxelles.

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[1] C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte, Tome II, page 296
[2] Op.cit.
[3] Propos extrêmement clairs de M. Cingolani, Corriere della Serra, 27 octobre 2024, liant perte de souveraineté et leadership« Dans l’espace, comme dans la défense, ce qui est petit n’est pas beau et même une taille moyenne comme la nôtre ne suffit pas : les entreprises européennes doivent s’allier, sacrifiant leur souveraineté sur le petit marché intérieur pour pouvoir rivaliser ensemble sur l’immense marché mondial. Leonardo fait office de sherpa dans ce domaine et avec Rheinmetall, nous avons atteint un premier sommet historique ».

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[*] Le groupe Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

par Giuseppe Gagliano* –  CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°657 / octobre 2024

https://cf2r.org/actualite/rapport-niinisto-plus-surs-ensemble-renforcer-la-preparation-et-letat-de-preparation-civils-et-militaires-de-leurope/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.


Le récent rapport de Sauli Niinistö, ancien président de la Finlande, commandé par Ursula von der Leyen pour évaluer la préparation de l’Union européenne face aux crises et aux conflits, dessine une vision qui pourrait représenter un tournant politique, stratégique et en matière de renseignement pour l’Union européenne.

Politiquement, la proposition de créer un service de renseignement européen démontre une reconnaissance croissante au sein de l’UE de la nécessité de construire une défense intégrée et autonome, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis des États membres et des alliés étrangers, en particulier les États-Unis. La demande d’une structure de renseignement unifiée répond au besoin de défendre le territoire européen contre des menaces internes et externes de manière plus efficace, améliorant la capacité de réponse collective. Cependant, l’idée d’une agence de renseignement centralisée se heurte aux préoccupations de certains États membres, qui pourraient craindre une perte de souveraineté concernant leurs capacités de renseignement et leur sécurité nationale.

D’un point de vue stratégique, la proposition de Niinistö arrive à un moment crucial, avec le conflit en Ukraine qui continue de menacer la stabilité de tout le continent et les activités russes qui demeurent une menace pour les États membres de l’UE. La Russie a intensifié ses opérations de renseignement et de sabotage dans les pays de l’Union, profitant de la fragmentation des réponses des différents pays. Dans ce contexte, la création d’une agence de renseignement européenne pourrait non seulement améliorer le flux d’informations entre les États membres, mais aussi renforcer la résilience contre les attaques informatiques, les sabotages d’infrastructures critiques et les opérations clandestines. La proposition d’un système « anti-sabotage » mentionnée par Niinistö, visant à protéger les infrastructures essentielles, montre comment l’UE évolue vers un concept de défense plus large, qui ne concerne pas seulement la dimension militaire mais aussi la sauvegarde des ressources et des réseaux internes. La guerre en Ukraine a clairement montré la vulnérabilité des infrastructures critiques, comme les gazoducs et les réseaux de communication sous-marins, incitant l’UE à adopter une approche proactive pour éviter d’autres perturbations et interruptions à l’avenir.

Du point de vue du renseignement, le projet de Niinistö s’inspire probablement des modèles déjà utilisés par les alliés occidentaux, comme le réseau des « Five Eyes » entre les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui partagent largement le renseignement pour coordonner leur protection. Bien que l’UE dispose déjà de mécanismes de partage d’informations entre les États membres, l’établissement d’une agence de renseignement pleinement opérationnelle représenterait un changement de paradigme, en consolidant et en standardisant les processus de collecte, d’analyse et de diffusion des informations. Niinistö souligne également la nécessité de renforcer le contre-espionnage au sein des institutions européennes, notamment à Bruxelles, ville devenue un point central pour les opérations de renseignement de nombreuses puissances étrangères, en particulier russes, en raison de la présence des institutions communautaires et d’ambassades. La recommandation d’un service de renseignement européen vise donc non seulement à protéger les citoyens et les infrastructures de l’UE, mais aussi à garantir l’intégrité et la sécurité de ses propres institutions.

Les propos de Niinistö reflètent le besoin croissant de confiance et de coopération entre les États membres, essentiel pour faire face efficacement aux menaces modernes. Cependant, il existe un scepticisme quant à la possibilité de mettre en place une véritable agence de renseignement européenne, car certains États membres considèrent le partage de renseignement comme une question de souveraineté nationale. Von der Leyen a déjà reconnu que la collecte de renseignement est traditionnellement une prérogative des États nationaux, et de nombreux pays pourraient voir d’un mauvais œil une entité supranationale traitant de questions aussi sensibles. Cette réticence souligne une fois de plus les limites de l’UE à surmonter les barrières nationales dans des domaines clés de la sécurité et de la défense, et montre que, bien qu’il y ait une vision claire de renforcement de l’autonomie stratégique, la réaliser sera loin d’être simple. En définitive, le rapport de Niinistö pose les bases d’une discussion critique et nécessaire sur l’autonomie stratégique de l’UE, dans un contexte mondial où la coopération entre les États européens sera cruciale pour faire face aux défis de sécurité posés par les puissances rivales.

Le rapport de Sauli Niinistö et la proposition de créer une agence de renseignement unique au niveau européen offrent de nombreux sujets de réflexion. D’une part, les avantages de cette initiative sont évidents : une agence de renseignement centralisée permettrait à l’Union européenne de répondre de manière plus coordonnée et rapide aux menaces communes, telles que le terrorisme, le sabotage et les opérations d’espionnage. Une structure unifiée pourrait réduire la fragmentation des informations entre les différents services nationaux, garantissant un flux plus rapide et fiable de données stratégiques et opérationnelles. Cela permettrait aux États membres de prendre des décisions éclairées et fondées sur la base de renseignements complets et partagés. Une agence unique pourrait également renforcer la sécurité des institutions européennes, notamment à Bruxelles. En outre, une initiative de ce type représenterait un pas en avant vers l’autonomie stratégique de l’UE, réduisant en partie la dépendance aux informations provenant d’alliés extérieurs, notamment des États-Unis.

Cependant, les inconvénients sont tout aussi importants. Tout d’abord, il existe un problème de confiance : de nombreux États membres pourraient hésiter à partager intégralement leurs informations avec une entité supranationale, craignant des fuites de données ou la possibilité que des informations sensibles tombent entre de mauvaises mains. La tradition historique des services de renseignement nationaux, considérés comme un symbole de souveraineté et de sécurité, pourrait se heurter à l’idée de céder un pouvoir décisionnel et opérationnel à une agence centrale européenne. De plus, la création d’une agence de renseignement commune pourrait ne pas garantir pleinement l’indépendance de l’UE vis-à-vis de l’influence américaine. Au contraire, une structure de renseignement centralisée pourrait faciliter le conditionnement extérieur, car les États-Unis pourraient chercher à établir des relations privilégiées avec l’agence européenne pour garder le contrôle d’informations sensibles et orienter les choix politiques et de sécurité européens. La force de l’alliance transatlantique, consacrée par des décennies de collaboration et de liens économiques et militaires, rendrait difficile pour l’UE de se libérer complètement de l’influence de Washington, qui pourrait exercer des pressions ou accéder indirectement aux informations recueillies par l’agence européenne à travers des accords ou des partenariats bilatéraux.

En définitive, la création d’une agence de renseignement unique pourrait représenter un progrès important pour la sécurité européenne, mais générer également des complexités importantes qui ne doivent pas être sous-estimées. Pour atteindre une véritable indépendance stratégique, l’UE devrait non seulement développer une structure opérationnelle centralisée, mais aussi garantir une protection adéquate contre les interférences extérieures, en maintenant une gestion autonome et confidentielle de ses propres informations. Le succès de ce projet dépendra de la capacité de l’UE à construire une agence qui sache combiner efficacement collaboration et confidentialité, en respectant les souverainetés nationales et en résistant aux possibles conditionnements extérieurs, afin que l’Europe puisse véritablement consolider son rôle d’acteur indépendant et stratégiquement autonome sur la scène internationale.

La France aurait proposé de vendre 24 Rafale au Brésil

La France aurait proposé de vendre 24 Rafale au Brésil

https://www.opex360.com/2024/11/01/la-france-aurait-propose-de-vendre-24-rafale-au-bresil/


Depuis les années 2000, marquées par la vente de cinquante hélicoptères de manœuvre Super Cougar et celle de quatre sous-marins Scorpène, l’industrie française de l’armement est à la peine au Brésil.

Ainsi, la Force aérienne brésilienne [Força Aérea Brasileira, FAB] a préféré le JAS-39 Gripen E/F du suédois Saab au Rafale de Dassault Aviation, dans des conditions ayant donné matière à maintes controverses.

Plus récemment, le CAESAr [Camion équipé d’un système d’artillerie] de KNDS France a perdu un appel d’offres lancé par l’armée brésilienne [Exército Brasileiro] pour se procurer trente-six obusiers automoteurs, celle-ci ayant choisi l’ATMOS 2000 du groupe israélien Elbit Systems. Cependant, la procédure d’acquisition n’est pas encore finalisée en raison de considérations politiques et judiciaires.

Pour autant, la partie française ne désespère pas… Et elle entend profiter du prochain sommet du G20, qui se tiendra à Rio de Janeiro, les 18 et 19 novembre, pour pousser ses pions. Du moins, c’est ce qu’affirme le journaliste brésilien Claudio Dantas.

En effet, selon ses informations, Paris aurait proposé de vendre à Brasilia cinquante hélicoptères H145 [proposés par Airbus Helicopters], trente-six CAESAr, un cinquième Scorpène et… vingt-quatre Rafale. En outre, un transfert de technologie concernant la chaufferie du sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] souhaité par la marine brésilienne [Marinha do Brasil] dans le cadre du programme Prosub est toujours sur la table. Pour rappel, il avait été évoqué par le président Macron lors d’une visite officielle au Brésil, en mars dernier.

À cette occasion, le locataire de l’Élysée avait plaidé pour renforcer significativement la coopération entre la France et le Brésil dans le domaine militaire.

« Je veux qu’à vos côtés nous puissions continuer le formidable travail qui a été mené dans la cadre de la production des hélicoptères. Regardons aussi d’autres champs, des tourelles de combat aux satellites et à l’espace, qui doit être, là aussi, un instrument de coopération concrète. […] Nous avons là aussi à bâtir des coopérations technologiques […] pour l’intérêt de nos pays », avait en effet déclaré M. Macron, lors du lancement du Toneloro, le troisième sous-marin de type Scorpène de la Marinha do Brasil.

Et d’insister : « Et qui sait ? Au-delà de ces sous-marins, d’avoir d’autres équipements et d’avoir peut-être, pour fêter dans quelques années le sous-marin à propulsion nucléaire que vous aurez bâti […], avoir des Rafale qui passeront demain car nous aurons aussi, sur ce sujet, su bâtir une coopération nouvelle ».

Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que la Força Aérea Brasileira souhaite acquérir des avions de combat supplémentaires afin de compléter sa flotte de J-39 Gripen E/F [70 exemplaires prévus, au total]. Ces appareils remplaceraient ainsi une partie de ses F-5 Tiger II ainsi que ses chasseurs légers AMX, soit une quarantaine d’avions au total.

Cependant, d’autres pays lorgnent sur ce marché. C’est ainsi le cas de l’Inde, qui propose le HAL Tejas, en mettant dans la balance un possible achat massif d’avions de transport C-390 « Millenium » auprès du constructeur brésilien Embraer. C’est aussi celui de l’Italie, qui, à l’occasion du G20, devrait remettre une proposition portant sur la vente de trente M346 « Master », un chasseur léger développé par Leonardo. Enfin, le T-7A Red Hawk , produit par Boeing et Saab, serait également sur les rangs.

Face à l’envoi de troupes nord-coréennes, la Corée du Sud pourrait aussi se mêler à la guerre en Ukraine

Face à l’envoi de troupes nord-coréennes, la Corée du Sud pourrait aussi se mêler à la guerre en Ukraine

Le rapprochement entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un ne fait pas les affaires de Séoul qui n’aura peut-être pas d’autres choix que de réagir.

Un défilé militaire organisé lors de la 76e Journée des Forces armées sud-coréennes, le 1er octobre 2024, sur la base aérienne de Seongnam, près de Séoul. | Jung Yeon-je / AFP

Repéré sur Business Insider

Vous ne trouverez pas plus belle illustration de l’adage «les ennemis de mes ennemis sont mes amis». Le soutien croissant apporté par la Corée du Nord à la Russie dans sa guerre d’invasion de l’Ukraine, tant sur le plan matériel que sur le plan humain avec l’envoi récent de troupes, ne plaît pas du tout à son voisin du sud qui a menacé d’envoyer à son tour du matériel et des armes à Kiev pour aider le pays à se défendre. Pour l’instant, rien n’est fait. Mais si cette aide se matérialise, il pourrait s’agir d’un coup de pouce précieux pour Volodymyr Zelensky, analyse le média en ligne américain Business Insider.

La Corée du Sud a fermement condamné l’envoi de plusieurs milliers de soldats nord-coréens en Ukraine, plusieurs hauts responsables s’exprimant sur le sujet après une réunion d’urgence du Conseil de sécurité nationale, le 22 octobre. Ils ont également évoqué la possibilité de livraisons d’armes à l’Ukraine qui s’inscrirait dans le cadre de contre-mesures graduelles, n’excluant pas au passage l’envoi de troupes sur le terrain pour surveiller de près la présence nord-coréenne et son rôle dans le conflit. La déclaration n’a pas plu à la Russie, qui l’a fait savoir par la voix de Maria Zakharova, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Le 23 octobre, elle a ainsi menacé la Corée du Sud de «conséquences en matière de sécurité» si elle se décidait à intervenir, a rapporté l’agence de presse sud-coréenne Yonhap.

«Les armes sud-coréennes pourraient potentiellement faire une différence significative, à la fois sur les capacités défensives et offensives de l’Ukraine», estime Jeremy Chan, analyste au sein du cabinet de conseil Eurasia Group et interrogé par Business Insider. La Russie aurait donc raison de s’inquiéter d’une possible entrée de la Corée du Sud –alliée des États-Unis– dans la guerre en Ukraine. Le pays asiatique s’est constitué un arsenal robuste au fil des années, notamment en raison du conflit larvé avec son voisin du nord.

Systèmes de défenses antiaérienne et antimissile, mais aussi canons automoteurs K9 Thunder, chars de combat K2, lance-roquettes multiples: de quoi soulager grandement Kiev en permettant de mieux protéger les villes et les infrastructures du pays, tout en renforçant la puissance de feu sur le front. Cette aide matérielle ne serait pas exactement une première. La Corée du Sud a déjà participé de manière indirecte à l’approvisionnement de l’Ukraine en obus de calibre 155 mm, en envoyant des munitions à des alliés occidentaux qui ont servi d’intermédiaires.

Ira, ira pas?

Mais l’arrivée de troupes nord-coréennes change la donne, d’après Ellen Kim, experte des Corées pour le groupe de réflexion américain Center for Strategic and International Studies. «La Corée du Sud pourrait également contribuer à une campagne de guerre psychologique contre les soldats nord-coréens qui pourraient ne pas vouloir se battre dans la guerre», avance l’analyste. Mais le chemin vers un soutien matériel et humain de la Corée du Sud à l’Ukraine est encore long. La Constitution du pays et plusieurs lois nationales limitent grandement les exportations d’armes vers des pays en guerre. L’impopularité du président sud-coréen Yoon Suk-yeol serait un frein pour faire évoluer ces lois et les abroger, du moins tant qu’il n’y a pas de menace claire pour le pays.

La Corée du Sud ne tient pas non plus à s’aliéner totalement la Russie, malgré les services passés et futurs que le pays peut rendre à Pyongyang. «En échange des obus nord-coréens et du soutien militaire en Ukraine, le Kremlin a cherché à freiner les inspections de l’ONU concernant le programme nucléaire de la Corée du Nord et pourrait être prêt à lui fournir une technologie militaire sophistiquée», explique Business Insider. Selon Jeremy Chan, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol cherche le meilleur moyen de dissuader la Russie. «Séoul pense que la menace de fournir des armes lui donne plus d’influence sur Moscou qu’elle n’en aurait si la Corée du Sud commençait à fournir des armes directement», affirme l’analyste. Autrement dit, Yoon Suk-yeol bluffe.

Les véhicules nord-coréens livrés à la Russie vont-ils changer le cours de la guerre en Ukraine?

Les véhicules nord-coréens livrés à la Russie vont-ils changer le cours de la guerre en Ukraine?

Les relations diplomatiques et commerciales de la Corée du Sud avec la Russie et dans la région sont également un frein pour Yoon Suk-yeol. «Il y a une possibilité que la Corée du Sud puisse tirer sur des Russes et/ou des Nord-Coréens, ce qui internationaliserait et élargirait encore la guerre. Le pire des scénarios est que cela déclenche une guerre nucléaire dans la péninsule coréenne, qui entraînerait les États-Unis et la Chine dans un conflit armé», anticipe Sean McFate, professeur de stratégie géopolitique à l’université Georgetown (située à Washington, D.C.).

Beaucoup à perdre, donc, mais peu à gagner… pour le moment. L’alliance de plus en plus forte entre la Russie et la Corée du Nord pourrait pousser la Corée du Sud à agir, qu’elle le veuille ou non. Si le leader nord-coréen Kim Jong-un reçoit, en échange de ses services en Ukraine, des armes sophistiquées et de la technologie de pointe, la menace serait de plus en plus pressante pour la Corée du Sud. «L’implication de la Corée du Nord augmente considérablement le risque que la Corée du Sud soit obligée de s’engager dans la guerre», conclut Ellen Kim.

Ukraine: l’ordre de bataille de la brigade mécanisée Anne de Kyiv à l’entraînement en France

Ukraine: l’ordre de bataille de la brigade mécanisée Anne de Kyiv à l’entraînement en France

Les instructeurs français poursuivent la formation de leurs camarades ukrainiens de la brigade 155, baptisée « Brigade Anne de Kyiv ». Voici ci-dessus l’ordre de bataille de cette unité mécanisée, équipée de Leopard 2A4, de VAB et d’AMX-10RC. Elle regroupera 4500 hommes à terme.

On pourra lire le post que j’ai consacré à cette unité et à la reine qui lui a donné son nom. Le point sur cet effort tricolore pour préparer une brigade « bonne de guerre » d’ici à la fin de l’année.

Et la logistique?

Elle suit grâce au SCA… Comme le montrent les photos qui circulent, afin d’équiper les soldats ukrainiens, une chaîne habillement a été mise en place par le Commissariat; elle est opérée avec l’armée de Terre (14e RISLP). Treillis, équipements balistiques, sacs de couchage etc., ont ainsi été mis à disposition des stagiaires.

Pour nourrir l’ensemble de la force, le SCA a créé un ordinaire de campagne sous tente, en mesure de nourrir jusqu’à 2 000 personnes. Trois éléments lourds de cuisson (ELC 500) et des matériels de restauration collective adaptés sont mis en œuvre. Ce soutien restauration conséquent a nécessité le renfort de personnels de la spécialité Restauration-Hébergement-Loisirs (RHL) en provenance de différents organismes du SCA. Ce dernier est assisté par l’Economat des Armées à qui a été externalisée la location d’une tente de grande dimension pour abriter un foyer dédié aux militaires ukrainiens et pouvant accueillir jusqu’à 2 000 personnes.

Insigne d’arme :
Taillé de Gueules et de Sable, au scorpion d’acier posé en barre portant à la pince senestre un écusson de gueules à la croix pattée d’Argent, brochant sur la partition.

A voir:
Une vidéo sur l’arrivée des Ukrainiens dans un camp de l’est de la France, c’est ici.

Une vidéo sur la formation des JTAC, c’est ici.

Une vidéo sur la formation des tireurs de précision et de l’infanterie, c’est ici.

La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

La faiblesse de l'armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre
La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

 

Alerte du ministre de la défense britannique : « Nous ne sommes pas prêts pour la guerre » !

Doit-on en rire ou en pleurer ? Le ministre britannique de la Défense, John Healey, a fait un aveu qui sonne comme un avertissement : le Royaume-Uni n’est pas prêt à mener une guerre. Cette déclaration, faite lors d’un discours relayé par The Telegraph le 24 octobre 2024, révèle des lacunes significatives dans la préparation militaire du pays.

Une armée britannique sous-équipée et mal préparée

Malgré un budget de défense supérieur à 2% du PIB, conformément aux engagements de l’OTAN, le Royaume-Uni se trouve avec des forces armées qui laissent à désirer en termes de modernité et de préparation. Selon un récent rapport parlementaire, l’armée de terre britannique, la British Army, n’a pas évolué significativement depuis l’époque de la bataille de Waterloo. De son côté, la Royal Air Force manque cruellement d’avions de combat adaptés aux conflits de haute intensité, et la Royal Navy, bien que dotée de deux porte-avions, souffre d’un manque de navires de premier rang et rencontre des difficultés de recrutement et de disponibilité pour ses sous-marins nucléaires et ses frégates.

Une déclaration sans précédent

Pour la première fois, un ministre de la Défense britannique admet publiquement que le pays n’est pas prêt à soutenir une guerre. Cette révélation est d’autant plus inquiétante qu’elle intervient dans un contexte où les menaces globales, notamment de la part de la Chine et de la Russie, sont en augmentation. John Healey insiste sur le fait que sans une capacité réelle de combattre, le Royaume-Uni ne peut pas dissuader efficacement les agressions potentielles. Le constat du ministre Healey sur l’état des finances et des forces armées britanniques est alarmant. Pris au pouvoir après les élections législatives, il a été confronté à une situation bien plus précaire que prévu, avec des implications graves pour la sécurité nationale et la capacité de défense du pays.

Incertitudes budgétaires

Alors qu’une nouvelle revue stratégique de défense est en cours, il semble peu probable que le ministère de la Défense obtienne les fonds nécessaires pour rectifier le tir. Des hauts responsables militaires ont exprimé des doutes quant à l’augmentation du budget de la défense pour l’exercice 2025, ce qui pourrait entraver les efforts de modernisation et de préparation requise.

Réactions officielles et garanties de sécurité

Malgré ces défis, un porte-parole du 10 Downing Street a réaffirmé que le gouvernement prendrait toutes les mesures nécessaires pour défendre le pays. Il a souligné que les forces armées britanniques, parmi les meilleures au monde, assurent la défense du pays en permanence et travaillent en étroite collaboration avec les alliés pour anticiper et se préparer à tout événement.

Un avenir militaire incertain

Cette situation intervient alors que le général Roland Walker, chef d’état-major de la British Army, a averti que le Royaume-Uni avait peu de temps pour se préparer à un conflit majeur potentiel, en particulier une confrontation avec la Chine. De plus, quelle que soit l’issue du conflit en Ukraine, la menace russe restera prégnante et probablement vengeresse.

Cet article explore la récente déclaration choc du ministre britannique de la Défense, révélant que le Royaume-Uni n’est pas préparé à affronter les défis militaires actuels et futurs. Cette révélation met en lumière les lacunes dans la préparation militaire du pays et soulève des questions sur sa capacité à maintenir sa sécurité et à dissuader les menaces externes dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu.

Source : Telegraph

La guerre nucléaire est-elle possible ? À propos du livre d’Annie Jacobsen « Guerre nucléaire. Un scénario

La guerre nucléaire est-elle possible ? À propos du livre d’Annie Jacobsen « Guerre nucléaire. Un scénario« 

Fondation de recherche stratégique – Octobre 2024

https://www.frstrategie.org/publications/notes/guerre-nucleaire-est-elle-possible-propos-livre-annie-jacobsen-guerre-nucleaire-un-scenario-2024


Peut-on imaginer la manière dont se déroulerait précisément une guerre nucléaire ? Voilà un sujet dont les plus âgés des lecteurs sont déjà familiers, grâce notamment aux films Le Jour d’après (1983), WarGames (1983) et Threads (1984). Toutefois, depuis la fin de la Guerre froide, la probabilité d’un conflit nucléaire à l’échelle mondiale était jugée tellement faible qu’elle ne faisait plus l’objet de débats et encore moins de scénarisations de ce type.

Depuis le début de la décennie actuelle, et surtout depuis le 24 février 2022, les armes nucléaires sont revenues à l’ordre du jour, parce que la guerre en Ukraine est un conflit « en ambiance nucléaire ». Autrement dit, si la Russie a pu se permettre d’engager une telle opération sans crainte de subir les foudres occidentales, c’est bien parce qu’elle possède l’arme nucléaire. Et, à l’inverse, c’est parce que les pays de l’OTAN – États-Unis, France, Royaume-Uni en tête – sont protégés par elle qu’ils s’autorisent à aider massivement l’Ukraine. Ensuite, bien sûr, parce que l’on craint un éventuel recours à cette arme par Vladimir Poutine.

Ce n’est donc pas un hasard si le livre de la journaliste américaine Annie Jacobsen Guerre nucléaire. Un scénario sort aujourd’hui

. Au centre de cet ouvrage, la notion de guerre nucléaire, conséquence directe de l’échec de la dissuasion, ce mécanisme psychologique censé justement l’empêcher.

L’arme nucléaire a-t-elle prévenu la guerre ?

La dissuasion nucléaire a-t-elle prévenu jusqu’ici une guerre mondiale ? Valider cette hypothèse est difficile. La dissuasion – nucléaire ou non-nucléaire – ne se « décrète » pas : seule la partie dissuadée peut dire… qu’elle l’est. Elle ne se « démontre » pas non plus : il est impossible d’attribuer avec certitude la causalité de l’absence d’un fait. Mais l’on peut trouver des indices de validité du raisonnement dissuasif. Les arguments les plus convaincants relèvent de la « preuve par l’absence »

Premièrement, il s’agit de l’absence de toute guerre ouverte entre les grandes puissances du moment depuis 1945 et, plus largement, celle de tout conflit majeur entre pays disposant de l’arme nucléaire. Car, dans l’ensemble, l’on peut dire que « les États nucléaires ne se font pas la guerre ». Le seul cas où les forces américaines et soviétiques se sont affrontées directement est la guerre de Corée de 1950-1953, mais les pilotes soviétiques volaient alors sous les couleurs de la Corée du Nord ou de la Chine. La crise sino-soviétique de l’Oussouri (1969) ne fut pas, quant à elle, une vraie guerre. On peut également montrer qu’entre deux adversaires qui se dotent de l’arme nucléaire, le risque d’une guerre à grande échelle diminue. Alors que l’Inde et le Pakistan se sont battus en 1948, en 1965 et en 1971, aucune guerre n’a plus eu lieu entre eux depuis 1999. La Chine et l’Inde ont connu un affrontement important en 1962, mais se sont limitées à des escarmouches depuis lors.

Un autre argument en faveur de l’efficacité de la dissuasion est une certaine retenue adoptée par les États non nucléaires face à un pays disposant de cette arme. Le fait est qu’aucun pays nucléaire n’a jamais été envahi, ni son territoire l’objet d’une attaque militaire majeure. La guerre du Kippour de 1973 et celle des Malouines de 1982 sont souvent proposées comme contre-exemples, mais la démonstration reste peu convaincante. En effet, en 1973, l’Égypte limita délibérément ses opérations au Sinaï occupé. Les îles Malouines, envahies par l’Argentine en 1982, étaient un territoire autonome dont rien n’indique qu’il était concerné par la dissuasion.

L’acquisition d’armes nucléaires réduit le risque d’attaque : elle inhibe la prise de risque des pays non nucléaires. Les quelques exceptions qui ont pu se produire ne sont pas de nature à invalider la règle. En 1991, Israël avait été visé par une quarantaine de tirs de missiles irakiens et, plus près de nous (2024), par quelque 300 missiles et drones iraniens. Mais le « seuil nucléaire » – le moment où un État ouvrirait le feu nucléaire – israélien est particulièrement élevé, et les États attaquants le savaient probablement (et dans le cas iranien, tout avait été fait pour qu’Israël puisse intercepter la majorité d’entre eux). Par ailleurs, aucun État non nucléaire couvert par une garantie (« parapluie ») nucléaire n’a jamais été la cible d’une attaque militaire majeure.

Certains experts et anciens responsables haut placés sont persuadés que seule la « chance » peut expliquer l’absence d’explosion nucléaire depuis 1945. L’un des arguments dans le débat nucléaire consiste ainsi à avancer que le monde est passé à plusieurs reprises à deux doigts de la catastrophe. Cette lecture pessimiste est contestable. Elle ne tient pas compte des résistances qui semblent s’être manifestées dans les circonstances précitées, en temps de crise ou en cas de fausse alerte, dans l’esprit des responsables politiques ou militaires concernés. Elle omet l’hypothèse la plus simple : les chefs d’État et de gouvernement ont toujours reculé, même si ce fut parfois presque au dernier moment, devant la terrible décision d’avoir recours à cette arme. Dire « à deux doigts » de la catastrophe néglige une dimension cruciale : dans l’escalade, la marche nucléaire serait la plus haute. On peut débattre de ce que l’on appelle la « chance », mais le fait reste que l’absence de détonation a été causée par des décisions humaines : celle de ne pas employer l’arme ; celle de ne pas considérer une fausse alerte comme une attaque ; celle d’installer des dispositifs de contrôle et de sécurité redondants.

Le fait est que la « tradition de non-emploi » s’est imposée très tôt. Dans la plupart des cas, si les armes nucléaires n’ont pas été utilisées, c’est tout simplement parce que les protagonistes se sont gardés de mettre en cause les intérêts les plus essentiels de leurs adversaires. Soit parce qu’ils ne l’ont jamais envisagé, soit parce qu’ils n’en avaient pas la capacité, soit parce que la dissuasion a fonctionné. Dans certains cas, en particulier, il s’agissait très probablement d’un bluff.

La dissuasion nucléaire a donc sans doute été une clé, et peut-être « la » clé, de la paix entre les grandes puissances depuis 1945. Ce mécanisme semble également expliquer l’absence d’attaques militaires de grande ampleur contre les pays protégés. Sans armes nucléaires, Washington aurait hésité à garantir la sécurité en Europe, et serait peut-être revenu à l’isolationnisme, et sans la protection des États-Unis, la tentation pour Moscou de s’emparer de territoires en Europe occidentale aurait été plus forte.

Un « nouvel âge nucléaire », vraiment ?

Mais si tel est bien le cas, peut-on affirmer que la dissuasion continuera bien à jouer ce rôle à l’avenir ?

L’ordre nucléaire repose sur un cadre de limitation du nombre d’États détenteurs et de limitation des armements. Or celui-ci s’érode. Bien des pays parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), faisant valoir leur frustration quant au non-respect, selon eux, des engagements de désarmement pris par les puissances nucléaires, ont souscrit au « Traité sur l’interdiction des armes nucléaires » entré en vigueur en 2021. Quant à l’instrument destiné à prévenir une nucléarisation de l’Iran, le Joint Comprehensive Plan of Action (2015), il est désormais caduc. Les instruments de limitation des armements disparaissent les uns après les autres : Moscou a suspendu son application du traité New START et révoqué sa ratification du Traité sur l’interdiction complète des essais ; quant aux États-Unis, ils se sont retirés du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), tirant argument des violations de ce Traité par la Russie. Pourtant, la retenue semble encore l’emporter. Aucun État ne s’est retiré du TNP, à l’exception de la Corée du Nord en 2003, dans des conditions juridiques discutables. La même Corée du Nord est la seule à procéder à des essais depuis 1996. Enfin, il n’est guère approprié de parler de « nouvelle course aux armements ». Tous les États continuent de moderniser leurs arsenaux, et, en Asie, les acteurs nucléaires ne sont pas encore parvenus à ce qu’ils estiment être un niveau de « suffisance ». Mais on est très loin de retrouver les dynamiques de la Guerre froide en termes de rythme de production d’armes. Rappelons qu’au pic de celle-ci, Washington et Moscou disposaient ensemble de plus de 70 000 armes nucléaires.

La dissuasion nucléaire pourrait-elle devenir obsolète car concurrencée par des moyens militaires alternatifs, offensifs (moyens hypersoniques précis…) ou défensifs (défenses antimissiles) ? En dépit de la rapidité des développements technologiques contemporains, rien ne prouve qu’un autre instrument militaire puisse se substituer à l’arme nucléaire, qui reste singulière non seulement par ses effets, mais aussi par « l’aura de terreur » qui l’entoure, du fait notamment des ravages de la radioactivité. Parce qu’elle met en jeu les composants les plus élémentaires de la matière, aucune autre technologie, à l’horizon prévisible, n’offre la même combinaison de destruction instantanée à grande échelle, aussi redoutable et prévisible. L’efficacité de la dissuasion repose justement sur ce pronostic très précis des horreurs qu’apporterait un échange nucléaire.

D’autres évolutions modifient le cadre de la dissuasion, mais pas au point de rendre ses conditions d’exercice fondamentalement différentes. Les puissances nucléaires développent des moyens hypersoniques, qui réduiront le temps de vol et la prévisibilité des missiles nucléaires. Encore convient-il de rappeler que les têtes de missiles balistiques vont déjà à une vitesse hypersonique… Certains analystes avertissent que la précision et la rapidité des missiles futurs pourraient rendre les frappes désarmantes plus facilement réalisables que par le passé. Toutefois, ce scénario reste hypothétique. La Chine et la Russie pourraient être tentées, en dépit de l’interdiction qui existe à ce sujet, de placer des armes nucléaires dans l’espace pour garantir la survie de leur arsenal et pour pouvoir « surprendre l’adversaire », mais cet effort serait sans doute surdimensionné car coûteux pour un résultat incertain. Les nouvelles technologies – capteurs, intelligence artificielle – pourraient-elles permettre de détecter les sous-marins, dont la discrétion garantit actuellement l’existence de « capacités de frappe en second », un fondement de la stabilité stratégique ? C’est peu probable. Quant à la crainte de voir les moyens de commandement nucléaire neutralisés par des attaques cybernétiques, elle est sujette à caution : leurs réseaux, outre qu’ils sont particulièrement bien protégés, sont généralement inaccessibles de l’extérieur.

Un autre risque est celui de la « banalisation » de l’arme nucléaire. En 2005, dans son discours d’acceptation du prix Nobel d’économie, Thomas Schelling s’étonnait de ce que les armes nucléaires n’aient pas été utilisées depuis 1945. Son pessimisme, hérité de la Guerre froide, nous paraît inapproprié. La tradition de « non-utilisation » semble solide. Elle s’est même universalisée. Aujourd’hui, la dissuasion est la fonction militaire unique des armes nucléaires : plus aucun État ne considère ces armes comme des moyens de « bataille » ou d’« emploi ». Tous les pays réputés disposer de l’arme nucléaire affirment avoir une stratégie de dissuasion. En dépit de leurs rodomontades, ni Vladimir Poutine, ni Kim Jong-un, ni Donald Trump n’ont jamais semblé être sur le point d’appuyer sur le bouton.

La guerre en Ukraine n’a pas invalidé les postulats de la dissuasion. Il est probable que la possession d’une capacité nucléaire ait rendu la Russie plus confiante dans l’engagement délibéré d’une opération militaire majeure aux frontières des pays de l’OTAN. De même peut-on dire qu’elle a contribué à la retenue des pays alliés dans leur assistance à l’armée ukrainienne. L’image des affrontements indirects de la Guerre froide, de la Corée à l’Afghanistan, n’est pas hors de propos. On voit, certes, avec l’invasion russe une illustration spectaculaire de ce que l’on avait appelé, au début des années 1990, la « sanctuarisation agressive » : un État s’abrite derrière son parapluie nucléaire pour agresser un pays non protégé par cette arme. On avait vu ce concept à l’œuvre en Asie avec les actions de la Chine (1969), du Pakistan (1999) et de la Corée du Nord (2010), mais aussi en Europe avec celles de… la Russie depuis 2008. Toutefois, contrairement à ce qu’une lecture hâtive des déclarations russes a parfois pu faire croire, Moscou ne s’est pas montrée particulièrement menaçante au cours de la guerre en Ukraine, les déclarations des rares responsables russes autorisés à s’exprimer étant presque toujours parfaitement en phase avec la doctrine russe déclarée, qui fait état d’un seuil nucléaire assez élevé. La configuration et la posture des forces sont restées cohérentes avec cette doctrine, de même que les exercices conduits depuis plus de deux ans. La décision spectaculaire, le 27 février 2022, de placer toutes les forces stratégiques russes dans un « régime spécial de combat » n’avait pas débouché sur une élévation du niveau d’alerte des forces nucléaires : il s’agissait essentiellement, semble-t-il, d’une mesure de précaution.

Bien entendu, un excès d’optimisme dans le domaine nucléaire serait tout aussi inconsidéré que le catastrophisme dont font preuve de nombreux commentateurs. Les conditions d’exercice de la dissuasion nucléaire évoluent. Le nombre d’acteurs dotés de l’arme nucléaire est plus élevé (neuf) qu’à la fin de la Guerre froide (six). Cette multipolarité nucléaire grandissante pourrait rendre la dissuasion plus problématique. Si la dissuasion à deux est souvent considérée comme une partie d’échecs, la dissuasion à plusieurs pourrait être une partie de poker dans le meilleur des cas, une partie de roulette russe dans le pire. Cela est d’autant plus vrai que les arsenaux nucléaires en Asie se renforcent rapidement, sans pour autant être mûrs au point de pouvoir garantir une certaine stabilité stratégique. Et, surtout, que plusieurs des acteurs nucléaires – la Russie, la Chine, le Pakistan, la Corée du Nord – semblent particulièrement enclins à la prise de risque stratégique : or quand bien même ils resteraient prudents dans le domaine nucléaire, leurs initiatives pourraient déboucher sur des crises difficilement contrôlables. Aussi serait-il irresponsable, par exemple, de négliger l’éventualité d’un emploi délibéré par le Kremlin, notamment si le régime vacillait. Même s’il n’est pas totalement certain qu’il suffirait au président russe de donner l’ordre d’ouverture du feu nucléaire – il est le seul habilité à le faire, comme ses homologues français ou américain – pour que cet ordre soit effectivement mis en œuvre jusqu’au bout de la chaîne de commandement : des officiers subalternes chargés de son exécution pourraient peut-être refuser d’agir. L’émergence de la Chine comme puissance nucléaire majeure pose des questions nouvelles et, pour les Occidentaux, l’équilibre stratégique pourrait bientôt ressembler à un « problème à trois corps ». Enfin, la montée en puissance des défenses antimissiles pourrait rendre plus complexe le calcul offense/défense.

Mais tout cela ne crée pas nécessairement les conditions d’un « nouvel âge nucléaire ». Au fond, les éléments et les codes de la dissuasion nucléaire restent inchangés. Seul un effondrement du TNP à la suite d’un retrait de l’Iran est susceptible d’altérer fondamentalement le cadre de la dissuasion à court et moyen termes. Quant à un « troisième emploi » de cette arme, après Hiroshima et Nagasaki, il ferait connaître au monde un véritable saut dans l’inconnu.

Un roman plutôt qu’un essai

C’est, justement, l’objet de Guerre nucléaire. Un scénario. Salué par la critique aux États-Unis, l’ouvrage d’Annie Jacobsen est unique en son genre. Il relève à la fois de la fiction et du documentaire, avec de nombreuses références techniques et historiques présentées sous la forme d’encadrés ou d’inserts. La prose est sèche et nerveuse, les personnages peu détaillés : l’aspect fictionnel du livre n’est là qu’en support de la description, en 400 pages, des 72 minutes qui séparent, dans son scénario, la paix de la destruction totale.

Tout commence par un tir de deux missiles nord-coréens sur les États-Unis. L’attaque est ce que l’on appelle dans le domaine militaire un « coup de tonnerre dans un ciel bleu », sans qu’aucune crise ou événement l’ait laissé prévoir. Kim Jong-un, ou son successeur, serait-il susceptible de commettre un tel acte ? Cela supposerait qu’il soit suicidaire. Rien dans le comportement des dirigeants nord-coréens, depuis la fondation de la République démocratique et populaire de Corée, ne laisse entendre que ce soit le cas. On dit souvent que la dissuasion ne peut pas fonctionner face à un « fou ». C’est sans doute vrai, mais les dirigeants concernés ne sont jamais « fous » : ils ont leur propre rationalité. Tout l’enjeu consiste à la comprendre.

Il n’empêche : on peut se demander quelle logique voudrait que la Corée du nord ne tire que deux missiles alors qu’elle sait très bien qu’il y aurait une probabilité non négligeable qu’au moins l’un des deux soit intercepté et que la riposte américaine serait terrible.

Ces questionnements n’invalident pas les hypothèses de l’auteure, à condition de ne pas voir Guerre nucléaire comme une projection réaliste. Dans le scénario que propose Annie Jacobsen, le monde est confronté à une série de décisions fatales prises par les dirigeants de puissances nucléaires – le but de la journaliste américaine étant de montrer un véritable « scénario catastrophe », menant à la pire des issues possibles.

L’enchaînement des faits est le suivant. Les défenses antimissiles balistiques américaines, pourtant conçues justement pour intercepter une poignée de missiles nord-coréens, ne font preuve d’aucune efficacité. Et voyant arriver les missiles en direction du territoire continental américain, le président des Etats-Unis prend deux décisions surprenantes.

La première est de riposter immédiatement, sans attendre la certitude que ce sont bien des missiles nucléaires, que c’est bien l’Amérique qui va être frappée, et que les armes exploseront comme prévu. C’est ce que l’on appelle le « lancement sur alerte » (launch on warning). Or si cette option est techniquement ouverte au président américain – au nom de la maximisation de sa liberté d’action –, la culture stratégique américaine contemporaine suggère au contraire très fortement qu’un président américain attendrait d’être certain que les explosions ont eu lieu pour réagir.

La deuxième décision surprenante est que parmi les trois types de moyens de riposte dont le président dispose – missiles sol-sol, aviation, missiles mer-sol –, il privilégie les premiers dans le but de réduire au maximum la capacité de la Corée du Nord à lancer de nouveaux missiles. Or la trajectoire balistique de ces missiles lancés depuis le nord et l’ouest du territoire américain ne peut pas être contrôlée : pour atteindre la Corée du nord, ils doivent, géographie oblige, survoler le territoire… russe. Et le président américain qu’imagine Annie Jacobsen n’y va pas de main morte : il lance pas moins de cinquante de ces missiles, auxquels s’ajoutent huit missiles multi-têtes depuis les sous-marins américains dans le Pacifique.

C’est la clé du scénario infernal proposé par Annie Jacobsen. Bien évidemment, l’administration américaine, président en tête, veut immédiatement prévenir Moscou, afin de couper court à tout malentendu. Or Moscou… ne répond pas. Et, pire, va réagir exactement comme Washington l’a fait, mettant le feu à la planète. Car ses moyens d’alerte avancée détectent, à tort, plusieurs centaines de missiles dirigés vers la Russie. Enfin, dans ce scénario, la Chine n’intervient pas (les autres puissances nucléaires non plus). Or il n’est pas absurde de supposer que, dans la réalité, elle ne resterait pas inerte face à la perspective d’une guerre nucléaire à sa porte.

Enfin, le récit suppose que la « chaîne de commandement » fonctionne parfaitement. Si la décision d’emploi incombe généralement au décideur suprême, démocrate ou dictateur, elle doit être mise en œuvre par des hommes et des femmes. Or on a pu voir un débat à ce sujet sous l’administration Trump, les plus hauts responsables militaires américains affirmant qu’ils s’opposeraient à tout ordre présidentiel « illégal ». Alors que dans le livre d’Annie Jacobsen, ces mêmes responsables sont volontiers présentés comme des va-t-en-guerre…

Au vu de la radicalité des événements décrits et de leur enchaînement discutable, Guerre nucléaire. Un scénario est bien davantage un roman, une projection extrême, qu’un essai visant à coller à la réalité de l’instant présent. Mais en privilégiant la consultation d’experts favorables au désarmement, et parfois décrédibilisés, l’auteur s’expose au reproche de militantisme

. Le livre d’Annie Jacobsen pose ainsi problème tant sur le plan technique que politique, et le récit sur lequel il est basé confine à l’absurde. 

Toutefois, sa valeur réside davantage dans ses descriptions techniques que dans le scénario lui-même. Le lecteur est ainsi invité à se plonger dans un exposé ultra-détaillé aussi terrifiant que techniquement plausible de ces 72 minutes. Personne d’autre n’avait, jusqu’à présent, couché sur le papier dans un ouvrage destiné au grand public le déroulement précis de la catastrophe absolue que représenterait une guerre nucléaire totale. À quelques mois du quatre-vingtième anniversaire d’Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945), Annie Jacobsen nous rappelle l’horreur que serait un emploi massif des armes nucléaires par les grandes puissances. Paradoxalement, c’est ce tableau qui peut conforter la logique de dissuasion nucléaire : c’est parce que ces armes font peur aux dirigeants qu’elles les contraignent à une certaine retenue dans la guerre.