La France va fournir des avions de chasse Mirage 2000-5 à l’Ukraine pour renforcer ses moyens aériens face à la Russie, a annoncé ce jeudi soir Emmanuel Macron.
« Nous allons annoncer la cession de Mirage 2000-5″ vendredi à l’occasion de la visite de Volodimir Zelensky en France« , a déclaré le président français lors d’une interview sur TF1 et France 2. Le chef de l’État s’exprimait au terme d’une journée de commémorations du Débarquement du 6 juin 1944, où était invité le président ukrainien.
Les pilotes de ces avions de chasse seront formés en France, a précisé Emmanuel Macron. La formation des pilotes, en fait leur transformation sur Mirage 2000-5 qui commencera dès l’été avec pour objectif de lâcher hommes et machines en fin d’année, se déroulera certainement sur la base aérienne de Nancy.
Combien d’avions seront livrés? Le parc initial français comptait une quarantaine d’avions de ce type. Il faut compter que la France fournisse aux Ukrainiens de quoi former un escadron solide, soit une bonne vingtaine d’avions. Seul bémol: ce type d’avion est monoplace. Il faudra donc que l’armée de l’Air et de l’Espace rameute ses 6 Mirage 2000B disponibles pour les vols de formation conjoint.
Un chasseur monoplace
Mis en service en 1999, le Mirage 2000-5 est un 2000C modernisé. Il est équipé d’instruments écrans en remplacement des instruments analogiques et d’un nouveau radar RDY lui donnant des capacités de tirs simultanés sur plusieurs cibles avec les missiles MICA, plus petits et plus modernes que les Magic 2.
Il est utilisé en mission de police du ciel sur le territoire, en OPEX (opération extérieure) et aussi dans le cadre des missions au-dessus des pays Baltes face aux appareils russes dont les vols sont systématiquement accompagnés lorsqu’ils s’approchent de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie.
Une brigade équipée et formée
En outre, la France prévoit de former 4 500 soldats ukrainiens, a poursuivi le chef de l’État, assurant qu’il n’y avait pas « aujourd’hui » d’instructeurs militaires français sur le sol ukrainien mais tout en reconnaissant que des civils français travaillaient déjà en Ukraine (dans les domaines du soutien, de la logistique etc.).
« Notre souhait, c’est aussi de former une brigade« , a-t-il ajouté. Cette brigade sera équipée, entraînée et armée par la France. Sur le territoire ukrainien? Le président français ne l’a pas confirmé, se contentant de préciser que la discussion était en cours avec les partenaires de la France.
Alors que la guerre fait rage en Ukraine, le Royaume-Uni ambitionne d’assurer son indépendance énergétique par un mix décarboné et donc… nucléarisé. Principal défi pour concrétiser cette stratégie, la mobilisation des financements avec la possibilité de se tourner vers les Émirats arabes unis.
Le gouvernement britannique vise à produire 95 % d’électricité décarbonée d’ici 2030. Pour y parvenir, il conçoit un mix électrique combinant éolien offshore (y compris l’éolien flottant), baisse des coûts du gaz, investissements dans l’hydrogène et nouvelles unités nucléaires.
Le Royaume-Uni ambitionne ainsi de redevenir un leader de l’atome, avec un objectif de 25 % d’énergie nucléaire dans son mix énergétique d’ici 2050. Malgré la fermeture imminente de cinq de ses six centrales le Royaume-Uni planifie maintenant de tripler sa capacité nucléaire à l’horizon 2050. A cette date, le gouvernement vise 24 GW de capacité installée. Un objectif ambitieux qui impliquera la construction de plusieurs réacteurs nucléaires pour un quasi-renouvellement de son parc. Toutefois les deux projets de centrales en cours et menées par EDF rencontrent des difficultés liées aux financements. La porte de sortie pourrait être une solution externe apportée par les Émirats.
Les mésaventures d’EDF
Mais comment le Royaume-Unis en est venu à une situation paradoxale ? Les mésaventures nucléaires britanniques commencent lorsque EDF remporte l’appel d’offre pour diriger l’installation des tranches deSizewell C et d’Hinkley Point, les seuls contrats en cours dans le pays. Critiquée en France, EDF demeure un électricien de rang mondial et qui dispose expérience reconnue dans le domaine nucléaire. Raison pour laquelle le groupe a remporté plusieurs contrats en Europe, notamment face à l’entreprise américaine Westinghouse. Problème, les obstacles rencontrées sur ses chantiers en Angleterre et sur l’EPR de Flamanville ont ternis cette réputation.
C’est en 2012, qu’EDF est sélectionnée pour superviser la construction de la centrale nucléaire de Hinckley Point en Angleterre, composée de deux tranches de réacteurs de type EPR. Le budget initial était fixé à 13 milliards de livres sterling, avec un démarrage des travaux prévu pour 2017. En 2015, EDF a noué un partenariat financier avec la société chinoise CGN, EDF détenant 65,5 % des parts et CGN 33,5 %. Ce projet était alors financé exclusivement par ces deux entreprises, sans aide du gouvernement.
Au fil des années, les coûts du projet ont grimpé et la date de début de la construction a été repoussée à plusieurs reprises. En 2016, le coût du projet était réévalué à 18 milliards de livres, puis à 25 milliards en mai 2022, et enfin à 32,7 milliards en janvier 2023. En France, des critiques ont été formulées à l’encontre du partenaire chinois, accusé de ne pas prendre en charge les surcoûts engendrés par les retards de construction. Initialement, EDF devait investir 4 milliards de livres par an, mais cette somme a augmenté à 5 milliards, laissant EDF seul face à un risque financier croissant. Le coût du projet a ainsi augmenté de 72 % à 89 %.
Le projet a également accumulé quatre ans de retard, repoussant sa mise en service prévue entre 2029 et 2031. La pandémie de Covid-19 a aussi joué un rôle dans ces retards et surcoûts. Aujourd’hui, EDF supporte seul ces dépenses supplémentaires, CGN ayant décidé de ne plus participer au financement tout en restant actionnaire. EDF est donc en quête de nouveaux partenaires pour soutenir ce projet colossal.
Financements privés
L’Angleterre n’est cependant pas arrivé au bout de ses peines, puisque c’est désormais Sizewell C, dont la construction n’a même pas encore commencé, qui connait des difficultés. Seulement, cette fois-ci, elles ne sont pas imputables à EDF. Initialement, le financement devait être assuré par le consortium, mais en 2020, GCN s’est retiré du projet, obligeant le gouvernement de sa Majesté à prendre une participation de 50 % et à assumer le financement du projet. En janvier dernier, le gouvernement britannique a injecté 1,3 milliard de livres sterling pour maintenir le projet à flot. Pour 2023, EDF a déclaré que sa part dans le projet ne dépasserait pas 20 %.
Face à l’ampleur des coûts, le gouvernement cherche à attirer des investisseurs privés pour partager le fardeau financier. Un programme de financement récent permet de poursuivre les travaux en attendant une décision finale sur l’investissement, prévue pour plus tard dans l’année. En septembre 2023, un appel a été lancé aux investisseurs potentiels pour préparer un processus d’appel d’offres, avec l’espoir de boucler la levée de fonds en 2024. Des investisseurs comme l’Universities Superannuation Scheme, Amber Infrastructure, Equitix, et Schroders Greencoat ont déjà manifesté leur intérêt. Toutefois, seulement deux entreprises ont été sélectionnées pour la deuxième phase de l’appel d’offres : Centrica, le plus grand fournisseur d’énergie du Royaume-Uni, et Emirates Nuclear Energy Corporation (ENEC), l’entreprise publique nucléaire des Émirats Arabes Unis.
La piste émiratie
Si la participation de Centrica n’est pas surprenante – l’entreprise détient déjà une participation de 20 % dans les cinq centrales nucléaires opérationnelles du Royaume-Uni – celle d’ENEC est plus inhabituelle. En 2023, The Guardian rapportait que le gouvernement avait approché Mubadala, le fonds d’Abu Dhabi géré par le cheikh Mansour bin Zayed Al Nahyan, propriétaire du club de football Manchester City, pour financer le projet. Par ailleurs, l’offre émiratie s’est révélée plus compétitive que celle de l’entreprise britannique.
Cependant, cette offre reflète une stratégie mise en place depuis plusieurs années qui dépasse les frontières des Émirats. En effet, ENEC est le principal sponsor de la centrale nucléaire de Barakah à Abu Dhabi, d’une capacité de 5,6 GW, qui peut fournir jusqu’à 25 % des besoins en électricité des Émirats arabes unis. Ce projet a été la première centrale nucléaire du monde arabe et les Émirats ont été le premier pays de la région à s’engager dans l’énergie nucléaire. En 2009, le pays a adopté un plan de développement durable comprenant un volet nucléaire. Aujourd’hui, les Émirats arabes unis sont un des leaders de la région du Golfe dans sa politique de diversification énergétique. Alors que le Koweït a abandonné son projet nucléaire, l’Arabie saoudite l’a lancé tardivement, en 2018, avec une mise en service prévue pour 2036.
En participant à cet appel d’offres, les Émirats poursuivent leur stratégie de diversification des ressources. Par ailleurs, lors de la COP de Dubaï, plusieurs pays ont signé un accord pour renforcer leurs capacités dans le domaine nucléaire. Dans cette logique, l’ambition de l’ENEC est de devenir une entreprise internationale d’énergie nucléaire, détenant des participations minoritaires dans les infrastructures d’énergie nucléaire d’autres nations, sans les gérer ni les exploiter. Son soutien financier pourrait aider le Royaume-Uni, qui connaît des difficultés dans ses projets nucléaires, comme un premier pas vers le développement et l’exportation de compétences pour d’autres programmes étrangers.
Les disparitions du président et du ministre des Affaires étrangères iranien le 19 mai 2024 dans un accident d’hélicoptère sont venues secouer le pays. Dans un contexte de déstabilisation régionale et de regains de tensions notamment avec Israël, l’élection d’un nouveau président s’impose et le décès d’Ebrahim Raïssi vient également questionner les futures perspectives du Guide suprême Ali Khameini pour le pays. Quelles réactions le décès du président a-t-il suscité au sein de la population iranienne ? À l’horizon des élections présidentielles qui se tiendront le 28 juin prochain, quelles sont les perspectives politiques et géopolitiques pour l’Iran ? Éléments de réponse avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS.
Comment a été reçue en Iran l’annonce de la mort d’Ebrahim Raïssi et de ses circonstances ? Que doit-on retenir de sa présidence ?
L’annonce du décès du président Ebrahim Raïssi, le 19 mai 2024, après un accident d’hélicoptère en Iran dans la province de l’Azerbaïdjan oriental, a été un choc politique, comme cela se serait passé dans n’importe quel pays où un incident similaire aurait eu lieu. Les premières réactions des autorités et notamment du Guide Ali Khameini ont été d’assurer qu’il n’y aurait pas de conséquences sur la gestion du pays. Le premier vice-président, Mohamed Mokhber a été nommé pour assurer l’intérim en attendant de nouvelles élections présidentielles fin juin 2024. On peut noter que ce dernier a été le directeur d’une des plus importantes fondations (bonyads) d’Iran, Setad Edjrâi Farman Imam, à savoir des organismes parapublics qui possèdent de nombreuses entreprises, ne paient pas d’impôts et ne rendent de compte qu’au Guide. Cette nomination confirme donc le poids économique et politique de ce secteur parapublic (regroupant les bonyads et les entreprises travaillant pour les Pasdarans) dans la République islamique d’Iran. Par ailleurs, une enquête a été lancée par le Chef d’état-major des forces armées, Mohamad Bâqeri, pour déterminer les causes de cet accident. Tout ce que l’on peut dire à ce sujet est que la flotte aérienne iranienne civile et militaire est vieillissante (l’une des plus « vieilles » du monde …) : les sanctions américaines limitent les capacités d’achat de l’Iran d’avions et de pièces de rechange. On rappellera que les sanctions américaines empêchent les achats d’Airbus par l’Iran puisqu’au moins 10 % des composants de cet avion sont fabriqués aux États-Unis. Il y a donc un vrai risque pour la sécurité des passagers : l’Aviation Safety Network notait en 2022 qu’il y avait eu près de 1 800 accidents depuis la révolution.
Ebrahim Raïssi s’est montré durant sa présidence comme un fidèle exécutant des directives du Guide Ali Khameini. Contrairement aux présidents précédents, il n’y a pas un seul moment où l’on a pu noter un semblant de désaccord entre le Guide et Ebrahim Raïssi. Évidemment, on retiendra du président qu’il a mené une répression féroce du mouvement de protestation « Femmes, vie, liberté » en 2022 (avec plus de 500 personnes tuées du côté des manifestants), et qu’il a été incapable d’apporter une réponse autre que sécuritaire à cette crise. Cette répression a accentué les « fractures » dans la société iranienne et explique qu’un certain nombre de personnes, notamment des membres des familles des victimes de cette répression, se soient ouvertement réjouies du décès du président. D’autres critiques portent plutôt sur sa politique économique. En effet, Ebrahim Raïssi s’est fait élire en promettant qu’il allait améliorer la situation économique de l’Iran et en expliquant que l’ancien président, Hassan Rohani, avait tort de lier toutes les difficultés de l’économie iranienne à la réimposition des sanctions américaines après la sortie de Donald Trump de l’Accord en 2018. Or, en dépit de ces promesses, l’inflation est restée très forte en Iran depuis son élection : elle a été proche de 50 % depuis 2021 pour toutefois ralentir à près de 30 % début 2024. Ebrahim Raïssi s’est donc trouvé en porte-à-faux par rapport à son discours pré-électoral pour finalement constater qu’il ne pouvait pas vraiment réduire l’inflation tant que les sanctions américaines étaient en place. On peut également reprocher au président iranien des erreurs en termes de politique économique comme la suppression des subventions de change liées aux importations de produits essentiels en 2022 (blé, huile, médicaments), ce qui a conduit à accélérer une inflation déjà élevée.
À quelles conséquences politiques doit-on s’attendre en Iran alors qu’Ebrahim Raïssi était « pressenti » pour succéder à l’Ayatollah Khamenei et que des élections seront organisées le 28 juin prochain ?
Il faut rester prudent à ce sujet. Certes, Ebrahim Raïssi était cité comme l’un des candidats possibles pour prendre la succession du Guide Ali Khameini. D’un autre côté, il n’était pas le seul. Certains estiment en outre que son « mauvais » bilan sur le plan économique en tant que président a pu peser sur sa crédibilité en tant que futur remplaçant du Guide. D’autre part, depuis la révolution de 1979, on a souvent évoqué certaines personnalités comme étant de possibles successeurs du Guide pour constater que ces mêmes personnes étaient tombées en disgrâce quelque temps après. Ce qui est sûr est que la succession du Guide Ali Khameini, quand elle interviendra, sera un évènement majeur de la scène politique iranienne. On peut noter à ce sujet que l’Assemblée des Experts, dont la mission est notamment de choisir le nouveau Guide et dont Ebrahim Raïssi était l’un des membres, vient de tenir sa première réunion après les élections de mars 2024 qui en ont défini sa nouvelle composition. Tous ses membres se rejoignent sur une ligne politique radicale défendant avant tout le principe de Velayat-eh faqih (la supériorité du religieux sur le politique) et que toutes les personnalités ne remplissant pas cette condition, comme l’ancien président Hassan Rohani, en ont été écartées.
En ce qui concerne les prochaines élections présidentielles, tout va dépendre des choix qui vont être faits par le Guide Ali Khameini. S’il considère que la stratégie globale du pays doit rester la même, il va, dans ce cas, favoriser la candidature d’un profil semblable à celui d’Ebrahim Raïssi, c’est-à-dire d’un radical qui poursuivra les politiques menées précédemment, notamment en matière de répression et du contrôle du voile obligatoire pour les femmes. Sinon, il peut penser que la situation de crise politique que connait l’Iran depuis 2022 ne doit pas perdurer et qu’il faut donc nommer une personnalité capable d’avoir une approche un peu plus pragmatique pouvant limiter la cassure entre le pouvoir et une grande partie de la société tout en maintenant le dialogue en cours avec les États-Unis sur les conflits régionaux et le nucléaire. Dans tous les cas, le futur président sera proche de la ligne radicale défendant le Velayat-eh faqih.
Dans un climat régional particulièrement tendu, un changement de présidence peut-il réellement amener à une fragilisation de l’Iran sur la scène internationale et accroitre l’instabilité actuelle au Moyen-Orient ?
Cela demeure peu probable. La stratégie régionale de l’Iran est d’abord définie par Ali Khameini et ses conseillers. D’ailleurs, Ali Bagheri Kani, qui a été nommé pour assurer l’intérim après le décès d’Hossein Amir Abdollahian, le ministre des Affaires étrangères (également mort dans cet accident d’hélicoptère), peut être considéré comme faisant partie de ce courant défendant la Velayat-eh faqih et l’ « Axe de résistance ». Il a été directeur de campagne de Said Djalili, une personnalité connue de cette mouvance lors des élections présidentielles de 2013. Il était également en charge dans le gouvernement de Raïssi des négociations sur le nucléaire, ce qui montre à quel point ce dossier reste important pour l’Iran.
La stratégie internationale de l’Iran va rester marquée par l’objectif de défendre l’Axe de résistance tout en renforçant progressivement les liens auparavant distendus avec des pays du Conseil de coopération du Golfe comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, et le Koweït. Sur la scène internationale, la priorité est notamment de maintenir des contacts avec les États-Unis, notamment pour limiter les risques de « dérapage » des conflits dans la région et dans l’optique de « futures » négociations sur la question du nucléaire. On peut noter à ce sujet que tous les dirigeants de cet « Axe de résistance » étaient présents lors des funérailles d’Ebrahim Raïssi à Téhéran et que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, et le Koweït y avaient envoyé leurs ministres des Affaires étrangères.
Les « séparatistes » de Taïwan finiront « dans le sang », a averti Pékin après avoir lancé des exercices militaires de grande ampleur autour de l’île, ce 23 mai. Une démonstration de force qui intervient trois jours après le discours d’investiture du nouveau président taïwanais William Lai. Une sortie de crise est-elle possible ? « Marianne » en a discuté avec Marc Julienne, directeur du centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Depuis jeudi 23 mai au matin, la Chine a lancé des exercices militaires de grande ampleur autour de Taïwan. Le but selon Pékin, envoyer un « sérieux avertissement » aux « séparatistes », trois jours après l’investiture de William Lai à la présidence de l’île. Décrit comme « un grave danger » par Pékin , le nouveau président a livré un discours remarqué lundi 20 mai et a notamment appelé à la Chine à « cesser ses intimidations politiques et militaires ».
La réaction chinoise ne s’est pas fait attendre. Percevant le discours comme une provocation d’un « dangereux séparatiste », Pékin a menacé Taïwan de « représailles » et indiqué son intention de « punir » le PDP, le Parti démocrate progressiste dont est issu William Lai. Une nouvelle montée de tensions dans les relations entre la République populaire de Chine et Taïwan, que Pékin considère comme faisant partie du territoire chinois. Si les États-Unis ont appelé Pékin à la « retenue » ce jeudi, la situation semble particulièrement instable dans la région. Pour y voir plus clair, Marianne s’est entretenu avec Marc Julienne, directeur du centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Marianne : A-t-on déjà connu un tel épisode de tensions entre la Chine et Taïwan ?
Marc Julienne : Il y a eu de multiples crises dans le détroit depuis 1949 et la proclamation de la République populaire de Chine. Un épisode récent a fait suite à la visite de Nancy Pelosi, l’ancienne présidente de la Chambre des représentants américaine, en août 2022, avec un déploiement militaire de trois jours. Cela avait donné lieu à un exercice de plus grande ampleur encore, certainement la démonstration militaire la plus importante dans l’histoire des relations entre les deux rives du détroit. Toutefois, le déploiement récent est qualitativement plus menaçant pour Taïwan. Toutes les forces chinoises sont mobilisées, mais également les garde-côtes, ce qui est quelque chose d’inédit. C’est un exercice qui encercle l’île de Taïwan, plus proche encore des côtes que celui d’août 2022, et qui donne aussi lieu à des manœuvres des garde-côtes autour des archipels administrés par Taïwan le long du littoral chinois. Cela montre une montée en puissance qualitative de la coercition chinoise.
En quoi le discours de William Lai a-t-il accru les tensions ?
On peut déceler une évolution dans le discours officiel taïwanais par rapport à sa prédécesseure, Tsai Ing-wen. Elle avait un discours plus nuancé, elle maintenait une zone de flou dans le statut des entités politiques de part et d’autre du détroit. Le président Lai a été plus direct dans la qualification de « la Chine » et de « Taïwan », et d’un État chinois et un État taïwanais.
Cela a probablement été noté à Pékin, mais ces exercices étaient de toute façon attendus par les observateurs, même si on ne connaissait pas précisément la date. Symboliquement, la Chine marque son opposition au nouveau gouvernement taïwanais et particulièrement au PDP, le Parti démocrate progressiste, reconduit au pouvoir pour la troisième fois d’affilée, qui est la bête noire de Pékin.
C’est ce signal que veut envoyer la Chine : à la fois de la réprobation et de l’intimidation ?
Exactement, la Chine ne peut pas ne pas manifester sa réprobation. Elle tente d’intimider le gouvernement et les forces armées de Taïwan, et essaie de dissuader le peuple taïwanais dans son ensemble de soutenir ce gouvernement. Force est de constater que cela n’a pas fonctionné jusqu’alors, puisque le PDP a été reconduit pour un troisième mandat d’affilée.
Peut-on y voir également la volonté d’envoyer un signal plus global ?
Oui, la Chine veut montrer au monde, et particulièrement aux Américains, qu’elle a les capacités et la préparation nécessaires pour mener une offensive contre Taïwan – et c’est tout le discours qui est diffusé par la propagande chinoise. Toutefois, on sait que l’armée chinoise accuse encore des lacunes capacitaires et de préparation au combat pour entreprendre une telle attaque.
À quelles lacunes capacitaires faites-vous référence ?
Taïwan est une île de 23 millions d’habitants, montagneuse, et il faut traverser un détroit de 180 kilomètres au plus large. Il y a besoin de beaucoup de capacités de transports amphibies, pour transporter les soldats et les blindés de part et d’autre de détroit, et Pékin en manque aujourd’hui. Pour envisager cette invasion, il faudrait aussi mettre en place une zone d’exclusion aérienne et la Chine n’en a pas les capacités, car elle manque de ravitailleurs en vol.
En matière de lutte anti sous-marine, la Chine accuse également un certain retard, et ses navires pourraient se trouver vulnérables si d’autres pays intervenaient dans le conflit. Ce qui fait donc penser que pour l’instant, c’est trop tôt, et que, quand la propagande chinoise dit « nous sommes prêts », c’est sans doute une évaluation surestimée à but d’intimidation. A priori, la Chine ne veut pas envahir Taïwan, son objectif prioritaire reste une unification pacifique. Toutefois, cet objectif s’éloigne et l’option militaire est plus que jamais présente dans les discours, dans les esprits et dans les déploiements de forces toujours plus nombreux.
Au-delà de la dimension symbolique, ces exercices visent aussi un objectif tout à fait tangible : l’entraînement des militaires. L’invasion de Taïwan serait une opération extrêmement complexe et nécessitant des troupes expérimentées, qui savent travailler ensemble. L’arrivée au pouvoir du nouveau président taïwanais représente une opportunité, ou un prétexte, pour lancer des manœuvres de grande envergure et entraîner les troupes.
Sur le plan des relations sino-américaines, est-ce que ces manœuvres peuvent aggraver encore davantage les tensions ?
Elles sont déjà très élevées, donc on n’espère que cela ne va pas les accentuer encore. Il faut cependant remettre cet exercice, certes de grande ampleur, dans le contexte plus général de ces derniers mois, dans lequel la Chine et les forces armées chinoises ont été relativement modérées par rapport à la normale de ces quatre dernières années.
Depuis 2020, il y a une montée en force de la coercition chinoise envers Taïwan par différents moyens, mais pendant la campagne électorale taïwanaise et au moment de l’élection en janvier 2024, il n’y a pas eu de manœuvres militaires particulièrement appuyées. À l’approche des élections, il y a pourtant souvent eu par le passé un renforcement de cette coercition militaire pour tenter d’orienter le vote de la population en faisant planer la menace de la guerre.
Ça n’a pas été le cas cette année. Ce qui peut l’expliquer, c’est justement le facteur américain. Aux États-Unis, on est également en campagne électorale et il y a un large consensus sur la Chine entre les démocrates et les républicains. Il y a une sorte de surenchère entre les deux partis pour savoir qui sera le plus dur à l’encontre de la Chine. Ce n’est donc pas le moment opportun pour Pékin de se montrer trop menaçant ou de déstabiliser excessivement son environnement régional. Cela donnerait l’occasion aux républicains d’accuser les démocrates d’être trop faibles et forcerait ces derniers à se montrer encore plus durs.
Est-ce qu’on peut espérer une désescalade des tensions ?
L’exercice dure deux jours, donc il va se terminer et les forces chinoises vont se retirer. On peut anticiper un retour à la « normale », mais cette normalité est très évolutive depuis quatre ans. Depuis 2020, c’est une courbe ascendante en termes d’activités militaires et de montée des tensions, donc on est depuis plusieurs années dans un niveau de tensions élevé qui continue de croître.
Ainsi, oui, la pression peut redescendre dans les semaines à venir. Mais si on élargit la focale sur les quatre dernières années, la Chine vient de franchir un nouveau palier. Les zones d’exercice annoncées par les autorités chinoises, par exemple, sont plus proches du territoire taïwanais que lors de l’exercice de 2022, et deux d’entre elles se trouvent de l’autre côté de la ligne médiane de démarcation du détroit. Par ce type d’exercice, Pékin va toujours plus loin dans la négation du statu quo et met en péril la paix et la stabilité.
[…]
>>> Retrouvez l’interview complète de Marc Julienne sur le site de Marianne.
Intervenant : Éric Danon, ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023 et actuellement consultant international. Il s’exprime à titre personnel. Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, diplômée d’un M2 de Sciences Po. Co-organisation de la conférence Pierre Verluise, fondateur du Diploweb, avec l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I et le Centre géopolitique. Images et son : Hugo Leclerc. Photos : P. Verluise. Montage : Hugo Leclerc et Pierre Verluise.
Quelle est la situation fin avril 2024 dans la guerre opposant Israël et le Hamas ? Pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont-ils rien fait pour favoriser l’émergence d’un Etat palestinien ? Pourquoi l’Arabie Saoudite peut-elle jouer le rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien ? Que faut-il faire concrètement ? Eric Danon s’exprime à titre personnel. Ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023, il apporte des éléments de réponse lors d’une conférence publique en Sorbonne.
Conférence organisée par Diploweb.com, le 25 avril 2024, en partenariat avec l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I.
Cette vidéo peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir sur youtube/Diploweb
Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, validée par E. Danon
Quelle est la situation au 25 avril 2024 dans la guerre opposant Israël et le Hamas ?
SE M. Éric Danon explique que cette guerre va durer. De fait, les deux protagonistes souhaitent qu’elle continue car ils n’ont pas atteint leurs objectifs respectifs.
En effet, Israël poursuit trois objectifs officiels : détruire le Hamas le plus possible, récupérer les otages et faire de Gaza une zone ne représentant pas de menace. Ceux-ci ont été atteints à moitié. À cela, s’ajoutent trois objectifs officieux. Premièrement, Israël souhaite rebâtir une dissuasion afin qu’aucun groupe n’ambitionne de faire pareil que le Hamas. Deuxièmement, Israël veut pouvoir surmonter le très fort traumatisme du 7 octobre 2023. Enfin, au vu de ses relations tendues avec le président J. Biden, B. Netanyahou cherche à faire durer la guerre au moins jusqu’au 5 novembre 2024, date de l’élection présidentielle américaine, car il ne souhaite pas faire le cadeau de la paix au président actuel.
De son côté, le Hamas a trois objectifs officiels : rentrer en Israël et tuer le maximum de personnes, capturer le plus d’otages possibles pour les échanger avec des prisonniers et préempter l’objet « résistance palestinienne » en montrant qu’il est le plus crédible pour porter ce combat. Enfin, il a également comme objectif officieux d’être présent à la table des négociations du jour d’après.
Dans l’atmosphère actuelle, SE M. Éric Danon sent deux peuples en souffrance. Du côté israélien, cette souffrance est liée aux actes des terroristes du Hamas. À cet égard, il souligne un paradoxe : les Israéliens considèrent que le gouvernement actuel porte une responsabilité dans l’attaque menée par le Hamas mais, dans le même temps, ils ne veulent pas lâcher ce gouvernement.
Quant à eux, les Palestiniens vivent le désastre de ce qui produit à Gaza mais prennent aussi conscience que les pays arabes, notamment méditerranéens, ne sont pas intéressés par la fin du conflit. La jeunesse palestinienne réalise ainsi qu’ils ont toujours été empêchés, depuis 1949, d’avoir un État par leurs dirigeants ou par ces pays arabes.
Pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont-ils rien fait pour favoriser l’émergence d’un Etat palestinien ?
Premièrement, SE. M. Danon note que la cause palestinienne constitue un puissant levier de politique intérieure pour les pays arabes. En effet, elle permet d’entraîner la population en faveur des gouvernements au pouvoir.
Deuxièmement, si les populations des pays arabes s’entendent très bien, leurs gouvernements ne s’apprécient pas, comme le souligne la rivalité entre le Maroc et l’Algérie ou celle entre la Tunisie et l’Égypte. De fait, le rejet d’Israël contribue à rassembler ces pays lorsqu’ils se réunissent, par exemple lors des sommets de la Ligue arabe. Pour que cette entente dure, ils ont donc tout intérêt à ce que le conflit perdure.
Troisièmement, si le conflit israélo-palestinien prend fin, Israël pourrait devenir encore plus puissant. Israël est déjà une puissance déterminante du Proche-Orient dont le PIB (525 milliards de dollars) est supérieur à l’addition du PIB de tous les pays qui l’entourent. Ce conflit, et notamment la dégradation d’image engendrée ainsi que les pertes économiques représentées par les appels au boycott, demeure un frein qui empêche Israël de devenir une superpuissance.
Quatrièmement, SE. M. Danon évoque une raison psychologique, liée au concept de dhimmitude (le « dhimmi » étant celui qui a un statut dégradé dans le monde musulman). Il apparaît pénible pour les pays arabes que des non-musulmans puissent faire mieux qu’eux en termes de gouvernance, d’économie et de sécurité.
Enfin, le statut de Jérusalem demeure une des réticences essentielles à la création d’un État palestinien. Le fait que la Palestine récupère ce lieu saint (la mosquée Al-Aqsa) pourrait ne pas convenir à l’Arabie Saoudite ou à l’Iran.
Quel est l’état du rapport de force concernant la paix au Proche-Orient ? Quels diagnostics peut-on formuler ?
Parmi les forces opposées à la paix, SE. M. Danon insiste sur le manque d’enthousiasme des pays arabes de la Méditerranée. Il souligne également que des individus sont profondément contre l’idée de la paix aussi bien du côté palestinien qu’israélien.
Ainsi, du côté palestinien, l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 a d’abord été revendiquée comme une non-acceptation d’Israël, au sens d’un refus du partage de l’ancienne Palestine mandataire (1923-1948). En ce sens, la difficulté originelle, renforcée par l’échec des nombreuses négociations, tient à la non-acceptation de ce partage.
Du côté israélien, le sionisme messianique, qui a pris une importance grandissante pour des raisons démographiques et politiques, refuse l’existence d’un État palestinien. Ainsi, le massacre du caveau des Patriarches commis par un colon juif fanatique en 1994 puis l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un juif religieux d’extrême-droite en 1995 ont eu pour but de tuer le processus d’Oslo (1993). La part de ces Israéliens qui n’acceptent pas d’abandonner leurs idéaux pour la paix a augmenté, passant de 25% en 1993 à plus de 40% en 2024. Enfin, dans les territoires occupés de Cisjordanie, les gens s’installant ne le font plus exclusivement pour des raisons religieuses (comme les Juifs messianiques) mais également pour des motifs économiques. Ce faisant, quasiment 700 000 personnes vivent dans ces territoires occupés, ce qui rend compliquée toute évolution de la situation.
Pour autant, la majorité des Palestiniens et des Israéliens de la société civile veulent la paix. Mais, les extrémistes des deux camps parviennent à bloquer les processus de paix.
Dès lors, étant donné les fortes incertitudes, SE. M. Danon propose trois diagnostics pour avancer.
Premièrement, ilrécuse l’utilisation du terme « solution »(l’expression « solution à deux États » étant très présente dans le débat public) pour parler du conflit israélo-palestinien, et lui préfère l’expression de « tectonique des puissances ». Selon lui, il ne faut pas penser les dynamiques politiques en termes de « solution » mais plutôt d’évolution.
Deuxièmement, il soutient que la paix est aussi une question de personnes capables de la faire advenir. Or, sortir de ce conflit requiert des gens à la hauteur, ce qui n’est pas le cas au premier trimestre 2024.
Troisièmement, au vu du rapport de forces déséquilibré entre Israël et la Palestine, il n’est pas possible de les laisser négocier face-à-face. Il faut donc une médiation. Or, celle-ci ne peut pas s’articuler exclusivement autour des Etats-Unis, médiateur traditionnel, car sa proximité vis-à-vis des Israéliens tend à les disqualifier. SE. M. Danon défend donc une double médiation menée par l’Arabie Saoudite avec les Etats-Unis.
Pourquoi l’Arabie Saoudite peut-elle jouer le rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien ?
SE. M. Danon considère que le seul État arabe véritablement intéressé par l’arrêt du conflit est l’Arabie Saoudite. En effet, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) souhaite normaliser les relations de son pays avec Israël car il a besoin de stabilité au Proche-Orient.
Sur le plan de la normalisation politique, l’Arabie Saoudite a observé la mise en œuvre des Accords d’Abraham (2020), entre Israël et les Émirats Arabes Unis (EAU) ainsi qu’entre Israël et Bahreïn, avant de chercher possiblement à les rejoindre. Or, ces accords sont un vrai succès. Ainsi, en 5 ans, le commerce bilatéral entre les EAU et Israël a dépassé celui entre la France et Israël. Le volet politique fonctionne donc, et ces accords n’ont pas été remis en cause par les EAU ou par le Bahreïn depuis le 7 octobre 2023.
En outre, MBS souhaite prolonger cette normalisation politique classique par une « normalisation religieuse » entre La Mecque et Jérusalem. En effet, MBS, qui contrôle déjà les lieux saints de Médine et La Mecque, cherche à devenir le chef spirituel total du monde sunnite. En ce sens, il pourrait souhaiter à terme récupérer la gestion de la Mosquée al-Aqsa, actuellement sous l’administration du Waqf, c’est-à-dire un bien public durablement confié aux Jordaniens.
MBS souhaite également être celui qui va régler la question israélo-palestinienne pour rentrer dans l’histoire. Pour ce faire, il s’appuie, en termes de méthode, sur ce qu’il s’est passé dans les pays du Golfe. En effet, ceux-ci ont envoyé les étudiants des EAU, de Bahreïn etc. dans les meilleures universités mondiales pour apprendre à construire et à gérer leur pays. MBS veut reproduire ce schéma pour assurer à terme le développement d’un Etat palestinien. Et ils semblent prêt à mettre les moyens pour que cela se concrétise.
Enfin, lesnégociations entre l’Arabie Saoudite et Israël n’ont jamais cessé, d’autant plus que les Etats-Unis sont à la manœuvre. En effet, les Etats-Unis ont tendance à apprécier les alliances de bloc à bloc. Dans la situation présente, l’Ouest fait face à la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran. Cependant, de nombreux pays, et notamment les pays arabes du Golfe, ne veulent pas rentrer dans cette logique.
De son côté, MBS a initialement posé deux conditions pour normaliser politiquement avec Israël : une liste de matériel militaire pour se protéger de l’Iran et une stabilisation du conflit israélo-palestinien. Ne les ayant pas obtenus, l’Arabie Saoudite a annoncé qu’elle allait baisser le niveau de conflictualité avec son ennemi potentiel, l’Iran. Ainsi, le 10 mars 2023, cassant la logique bloc à bloc des États-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Iran ont annoncé avoir signé un accord pour reprendre leurs relations diplomatiques. Finalement, les États-Unis ont cédé sur les deux conditions posées par MBS, auxquelles a été ajoutée ensuite la livraison d’une centrale nucléaire civile.
Quelle est l’incidence de l’Iran sur le conflit israélo-palestinien ?
En raison de ses proxys (le Hezbollah au Liban, le Hamas dans la bande de Gaza et les Houthis au Yémen), l’Iran est un facteur clé dans le conflit israélo-palestinien. L’Iran a désigné Israël comme un ennemi absolu qu’il souhaite détruire. En ce sens, l’Iran représente une « menace existentielle » pour Israël, même si le risque de mise à exécution de cette menace est très faible . Pour autant, l’Iran cherche à développer un axe chiite dans la zone et se focalise sur la destruction d’Israël.
De plus, l’Iran a inscrit le nucléaire dans son récit national. Il met en place des installations capables d’enrichir l’uranium à des degrés militaires, et se rapproche donc d’un pays du seuil. L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPoA), signé en 2015 après 16 ans de négociation, prévoyait de limiter l’enrichissement iranien. Mais, en 2018, D. Trump, poussé par B. Netanyahou, a cassé cet accord, ce que SE. M. Danon considère comme la plus grosseerreur stratégique des Etats-Unis depuis l’invasion de l’Irak en 2003. Dès lors, les pays occidentaux n’ayant pas de plan B, il est probable que ce soit la Russie qui s’occupe de cette question, avec l’appui de la Chine. Dans cette perspective, l’Iran va devenir un pays du seuil, ce qui va renforcer l’Iran dans sa posture. Surtout, ce ratage occidental va avoir des conséquences pour Israël, qui va se trouver sous la menace d’un pays du seuil.
Cependant, SE. M. Danon estime que cette situation ne va pas entraîner une guerre entre l’Iran et Israël. En effet, l’Iran est affaibli sur le plan intérieur car la population n’apprécie pas le gouvernement des mollahs et le pays est durement touché par les sanctions économiques. Pour autant, ce n’est pas le moment opportun pour attaquer l’Iran car cela pourrait susciter un fort sursaut nationaliste iranien. En outre, Israël ne peut pas tenir longtemps seule une guerre contre l’Iran. Si l’on s’en réfère à Clausewitz, il apparaît compliqué de faire rivaliser 9 millions d’habitants (Israël) contre 88 millions (Iran). Dès lors, afin d’anticiper au mieux une potentielle frappe en retour de l’Iran, Israël cherche à monter à l’avance une coalition suffisamment dissuasive. Récemment, une pré-coalition s’est formée entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Jordanie et l’Arabie Saoudite. Au vu des liens entre le Hamas qui a préempté la résistance palestinienne et l’Iran, se profile donc une bataille géopolitique des chiites, emmené par l’Iran, face au monde sunnite, mené par l’Arabie Saoudite avec l’appui des Occidentaux.
Que faut-il faire concrètement ?
Outre le fait de changer les responsables à la manœuvre dans les deux camps, SE. M. Danon préconise une médiation équilibrée qui tient compte de la réalité des Palestiniens. Celle-ci doit prendre son temps car envisager un Etat palestinien à court terme serait prématuré. En effet, il est nécessaire de construire une gouvernance solide pour que les Israéliens puissent accepter un État palestinien.
Si le conflit israélo-palestinien est de nature géopolitique, il comporte une autre composante déterminante, la dimension religieuse. En effet, les Messianiques juifs refusent de lâcher les territoires pour des raisons religieuses. Une difficulté structurelle à gérer le Mont du Temple persiste. Enfin, les politiques et diplomates souhaitant le compromis se heurtent à la radicalité religieuse. L’attentat du 7 octobre 2023 en est le symbole. Par conséquent, cette montée du religieux déplace les frontières du conflit israélo-palestinien. En effet, le Palestinien est devenu un symbole du refus de l’histoire et des valeurs de l’Occident.
Enfin, au-delà de l’action politique, SE. M. Danon incite ceux qui choisissent leur camp à garder au fond d’eux de la compassion et de l’empathie pour ce qu’il se passe de l’autre côté.
Copyright pour la synthèse 7 mai 2024-Danon-Reynier/Diploweb.com
Cela n’aura guère trainé. Après l’évocation, par le président français Emmanuel Macron, de la possibilité d’envoyer des troupes européennes en Ukraine, les réactions, souvent peu favorables, se sont multipliées, en Europe, aux États-Unis, mais aussi au sein de la classe politique française. Les seconds couteaux de la communication russe, pour leur part, tentèrent de tourner en dérision la menace.
Ce n’est pas le cas de Vladimir Poutine. Loin de considérer l’hypothèse, ou la France, comme quantité négligeable, celui-ci a vigoureusement brandi la menace nucléaire, contre la France, et surtout l’ensemble de l’Europe, si jamais les européens venaient s’immiscer sur « le territoire russe », sans que l’on sache, vraiment, si l’Ukraine faisait, ou pas, parti de sa conception de ce qu’est le territoire russe, d’ailleurs.
De toute évidence, le président russe est prêt à user de l’ensemble de son arsenal, y compris nucléaire, pour convaincre les occidentaux de se ternir à distance de ce qu’il considère comme la sphère d’influence de Moscou, une notion par ailleurs fort dynamique dans les propos du chef d’État russe depuis 20 ans.
Dans ce contexte, et alors que le soutien et la protection américaine sont frappés d’incertitudes après les déclarations de Donald Trump, la dissuasion française apparait comme le rempart ultime contre les ambitions de Vladimir Poutine en Europe. La question est : est-elle capable de le faire ?
Sommaire
Des menaces de plus en plus appuyées de la part du kremlin contre la France et l’Europe
Les menaces proférées contre l’Europe par Vladimir Poutine ce 29 février, alors qu’il s’exprimait face aux parlementaires russes, constituent, certes, une réponse particulièrement musclée aux hypothèses évoquées par le président Macron en début de semaine. Pour autant, elles sont loin de représenter une rupture dans la position récente russe, et encore moins une surprise.
La menace nucléaire russe agitée depuis 2014 et la prise de la Crimée
Déjà, lors de l’intervention des armées russes en Crimée, en 2014, pour se saisir, par surprise, de la péninsule ukrainienne, Vladimir Poutine avait élevé le niveau d’alerte de ses forces nucléaires, et déployé des batteries de missiles Iskander-M, pour prévenir toute interférence de l’Occident.
Il fit exactement de même en février 2022, lorsqu’il ordonna l’offensive contre l’Ukraine, et le début de la désormais célèbre « opération militaire spéciale », ou специальной военной операции en russe (CBO), en annonçant, là encore, la mise en alerte renforcée des forces stratégiques aériennes et des forces des fusées.
Une réponse ferme de la dissuasion occidentale en février et mars 2022
L’efficacité de cette mesure fut toutefois moindre que lors de la prise de la Crimée, lorsque européens comme américains demeurèrent figés, se demandant qui pouvaient bien être « ces petits hommes verts », qui avaient fait main basse sur ce territoire ukrainien, à partir des bases et des navires de débarquement russes.
En 2022, sous l’impulsion des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et surtout des pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne et les Pays baltes, l’aide militaire occidentale s’est organisée en soutien à l’Ukraine, avec le transfert d’équipements de plus en plus performants, d’abord des missiles antichars et antiaériens d’infanterie (février 2022), puis des blindés de l’époque soviétique (mars 2022), suivis par les premiers blindés et systèmes d’artillerie occidentaux (avril-mai 2022).
Dans le même temps, les trois nations dotées occidentales, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, répondirent à la mise en alerte des forces nucléaires russes, par le renforcement de leurs propres moyens de dissuasion, dans un bras de fer que le monde n’avait plus connu depuis 1985 et la fin de la crise des euromissiles.
Ainsi, en mars 2022, quatre semaines après le début du conflit, la France annonçait qu’elle disposait de trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engin à la mer, dans une réponse tout à fait unique et exceptionnelle depuis la fin de la guerre de froide.
Des menaces qui ont porté leurs fruits pour contenir la livraison d’armes à l’Ukraine
En dépit de la fermeté de la réponse stratégique occidentale, la menace russe porta ses fruits. Il fallut, ainsi, plus d’une année pour que les occidentaux acceptent de livrer à l’Ukraine des blindés lourds modernes, comme des véhicules de combat d’infanterie (Bradley, Marder, CV90), ou des chars de combat (Leopard 2, Abrams, Challenger 2).
Un an et demi furent nécessaires pour qu’ils livrent des munitions à longue portée (Storm Shadow et Scalp-Er..), et plus de deux ans, pour que les premiers avions de combat F-16, n’arrivent en Ukraine (ce qui n’est pas encore le cas). C’est certainement la raison qui a convaincu Moscou de persévérer en ce sens.
Ainsi, en mars 2023, le chef de l’US Strategic Command, l’Amiral Charles Richard, estimait qu’il fallait s’attendre, dans les mois et années à venir, à ce que Moscou, comme Pékin, multiplient les tentatives de chantage nucléaire, en particulier contre les pays non dotés, bien plus sensibles à ce type de menace.
Le fait est, celle-ci a été très brandie par la Russie, de manière très régulière, et peu convaincante, par les séides du Kremlin, comme Medvedev, Peskov ou Lavrov, et de manière moins fréquente, mais beaucoup plus appuyée, par Vladimir Poutine et Nikolai Patrushev, dont la parole a beaucoup plus de poids.
La puissance des forces nucléaires russes est stupéfiante
Il faut dire que la puissance des forces de dissuasion nucléaire russes est pour le moins impressionnante, faisant aisément jeu égal avec celle des États-Unis, un pays pourtant 12 fois plus riche, et trois fois plus peuplé.
5 977 têtes nucléaires dont 4 477 sont opérationnelles
Elle s’appuie sur 5 977 têtes nucléaires en inventaire (2022), dont 4 477 seraient opérationnelles. Parmi elles, 2 567 arment les systèmes stratégiques russes, alors que 1 910 têtes nucléaires sont employées à bord de systèmes dits non stratégiques, auxquels appartiennent les missiles balistiques à courte portée Iskander-M ou le missile aéroporté Kinzhal.
50+ Tu-95MS et une vingtaine de bombardiers supersoniques Tu-160M
À l’instar des États-Unis et de la Chine, les forces stratégiques russes s’appuient sur une triade de vecteurs, navals, aériens et terrestres. Dans le domaine aérien, Moscou dispose d’un peu moins d’une centaine de bombardiers stratégiques à très long rayon d’action, dont une cinquantaine de Tu-95MS modernisés lors de la précédente décennie, ainsi qu’une vingtaine de Tu-160M supersoniques.
Ces appareils mettent en œuvre des missiles de croisière, comme le Kh-102 ou le Kh-65, transportant une unique charge nucléaire de faible à moyenne intensité. D’autres appareils, comme le bombardier à long rayon d’action Tu-22M3M, ou le Su-34, peuvent, eux aussi, transporter des missiles ou des bombes armés d’une tête nucléaire, alors qu’une dizaine de Mig-31K a été transformée pour transporter le missile balistique aéroporté Kinzhal, pouvant être armé d’une charge nucléaire.
11 sous-marins nucléaires SSBN armés de missiles balistiques stratégiques
Dans le domaine naval, la Marine russe dispose d’une flotte de 11 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SSBN selon l’acronyme anglais, en l’occurrence, 4 Boreï-A, 3 Boreï et 4 Delta-IV. Ces derniers seront remplacés, d’ici à 2031, par 5 nouveaux Boreï-A, pour atteindre une flotte de 12 SSBN modernes au début de la prochaine décennie, identique à celle de l’US Navy.
Chaque Boreï-A transporte 16 missiles balistiques intercontinentaux à changement de milieux SLBM R30 Bulava d’une portée supérieure à 8 000 km, eux-mêmes armés de 6 véhicules indépendants de rentrée atmosphérique MIRV, armés chacun d’une tête nucléaire de 100 à 150 kt.
Outre la flotte de SSBN, la Marine russe met également en œuvre le sous-marin Belgorod, conçu pour déployer la torpille nucléaire Poseidon, alors que ses sous-marins nucléaires lance-missiles SSGN Anteï et Iassen, peuvent mettre en œuvre des missiles de croisière Kalibr, ou des missiles antinavires hypersoniques Tzirkon, pouvant, eux aussi, accueillir une tête nucléaire (bien que rien ne l’indique à ce jour). C’est aussi le cas des nouvelles frégates russes Admiral Gorshkov qui mettent en œuvre ces mêmes missiles avec leurs systèmes VLS UKSK.
700 missiles balistiques intercontinentaux ICBM mobiles et en silo
Les forces des fusées russes, enfin, alignent près de 700 missiles balistiques intercontinentaux, mobiles ou en silo, de type Topol, Topol-M, Iars et, semble-t-il, depuis cette année, Sarmat. Chaque missile a une portée de plus de 10 000 km, et peut transporter de 6 à 10 MIRV semblables à ceux mis en œuvre par le RS-30 Bulava.
À ces missiles stratégiques s’ajoutent les missiles Iskander-M, dont le nombre en service est incertain, car largement employés en Ukraine. Ce missile à trajectoire semi-balistique, d’une portée de 500 km, peut emporter une tête nucléaire de faible à moyenne intensité.
La dissuasion française et la stricte suffisance
En comparaison, les moyens dont dispose la dissuasion française, peuvent apparaitre bien faibles. En effet, celle-ci a été conçue sur le principe de la stricte suffisance, c’est-à-dire qu’elle doit suffire à dissuader n’importe quel adversaire de franchir ce seuil face à la France, faute de quoi, les bénéfices qu’il entend en retirer, seront très inférieurs aux destructions engendrées par les frappes nucléaires françaises.
290 à 350 têtes nucléaires, dont 50 pour les missiles ASMPA
N’ayant jamais été soumise aux mêmes contraintes de vérifications que la Russie et les États-Unis, engagés, jusqu’il y a peu, par plusieurs accords de limitation des armes nucléaires, la France a toujours maintenu un certain flou, concernant le nombre de têtes nucléaires détenues.
Les évaluations, dans ce domaine, se situent, le plus souvent, entre 290 et 360 têtes nucléaires, dont une cinquantaine employée par les missiles supersoniques aéroportés ASMPA-rénovés, et de 250 à 300 têtes TNO pour les missiles balistiques à changement de milieux, qui arment les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.
Deux escadrons de bombardement stratégique équipés de Rafale B et de missiles ASMPA rénovés
Contrairement à la Russie, la France n’a que deux composantes pour sa dissuasion, une composante sous-marine et une composante aérienne. Cette dernière se compose de deux escadrons de chasse stratégiques, le 1/4 Gascogne et le 3/4 La Fayette, armés de Rafale B, appartenant à la 4ᵉ escadre de chasse stationnée sur la base aérienne BA 113 de Saint-Dizier.
Ces escadrons de chasse sont épaulés par les avions de ravitaillement en vol de la 31ᵉ escadre basée à Istres, en particulier les escadrons 1/31 Bretagne, 2/31 Estérel et 4/31 Sologne, équipés d’A330 MRTT Phoenix.
À ces forces mises en œuvre par l’Armée de l’Air et de l’Espace, s’ajoute la flottille 12 F de la Marine nationale, basée à Landivisiau, montée sur Rafale M, et capable de mettre en œuvre, elle aussi, le missile ASMPA rénové, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.
4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins classe Le Triomphant
La composante sous-marine porte l’essentielle de la puissance de feu de la dissuasion française. Celle-ci s’appuie sur 4 SNLE de la classe Le Triomphant, entrés en service entre 1997 et 2010, et qui seront remplacés, à partir du milieu de la prochaine décennie, par les sous-marins nucléaires de 3ᵉ génération.
3 sous-marins, le Triomphant, le Téméraire et le Terrible, mettent aujourd’hui en œuvre 16 missiles SLBM M51.2, d’une portée estimée autour de 10 000 km, pouvant emporter de 6 à 10 têtes nucléaires TNO de 100 kt, ayant des caractéristiques évoluées de ciblage et de résistance aux contre-mesures. Le quatrième SNLE, le Vigilant, est actuellement en IPER de modernisation, pour recevoir ces mêmes nouveaux missiles, et rejoindra le service en 2025.
Le format à 4 SNLE permet de maintenir, en temps de paix, un navire à la mer, alors qu’un second sous-marin tient une alerte à 24 heures. Le troisième bâtiment est à l’entrainement, mais doit pouvoir être déployé sous 30 jours (comme ce fut le cas en mars 2022). Le quatrième est en entretien.
Cette doctrine permet de disposer, en temps de crise, de deux, voire trois sous-marins dilués, c’est-à-dire ayant suivi une procédure de plongée, protégée par des sous-marins, des frégates et des avions de patrouille maritime, pour garantir qu’il n’a pas été détecté, pour conférer à la France une capacité de seconde frappe suffisante, pour détruire entièrement n’importe quel agresseur, le cas échéant, même après des frappes nucléaires préventives contre elle.
Une équation stratégique bien plus équilibrée qu’il n’y parait
Du point de vue de la comparaison stricte des moyens, la Russie disposerait d’une dissuasion plusieurs fois supérieure à celle de la France, ceci expliquant, parfois, le sentiment de faiblesse stratégique de Paris face à Moscou.
Toutefois, si ce type de comparaison, peut avoir du sens lorsqu’il s’agit de forces armées conventionnelles, pour lesquelles la masse constitue un enjeu critique de performance et de résilience comparées, elle n’est guère pertinente, lorsqu’il s’agit de comparer des forces de discussion.
Il est vrai que Moscou dispose d’une puissance de feu suffisante pour détruire plusieurs fois la planète, et à fortiori, la France. La France, quant à elle, est en mesure de détruire, de manière certaine, toutes les villes de 100 000 habitants et plus de Russie, ainsi que l’ensemble des infrastructures économiques et industrielles significatives du pays, avec seulement un seul de ses SNLE en patrouille.
On entre, ici, dans le concept de destruction mutuelle assurée, qui a été au cœur du dialogue stratégique lors de la guerre froide. De fait, disposer d’une telle puissance de feu, pour la Russie, n’a aucune incidence sur la réalité finale du rapport de force stratégique entre Paris et Moscou, qui se neutralisent mutuellement dans ce domaine.
Contrairement à la Grande-Bretagne, la France dispose, par ailleurs, d’une capacité de riposte intermédiaire, avec sa composante aérienne, adaptée pour répondre, au besoin, à la tentative d’utiliser une arme nucléaire de faible intensité par Moscou, par exemple, pour obtenir un cadre de déconfliction, comme le prévoit d’ailleurs la doctrine russe.
La dissuasion française peut-elle protéger toute l’Europe ?
Par transitivité, si la dissuasion française est capable de contenir la menace stratégique russe contre la France, elle l’est, aussi, pour contenir cette même menace, pour tout ou partie de l’ensemble de l’Europe.
En effet, c’est par sa capacité à infliger des dégâts inévitables et insoutenables, à l’adversaire, que la dissuasion fonctionne, quel que soit le périmètre qu’elle est censée protéger. Notons qu’à ce jour, la France ne s’est nullement engagée en ce sens de manière officielle, et laisse planer, comme il est d’usage, un important flou stratégique autour de ces sujets.
Toutefois, l’efficacité de la dissuasion, repose sur la certitude qu’aurait la Russie, quant à une réponse nucléaire de la France, si elle venait à frapper, ou à attaquer, un territoire donné.
Si Moscou a, aujourd’hui, la certitude que tel sera le cas, s’il s’en prenait à la France directement, il faudra, cependant, faire preuve de beaucoup plus de fermetés dans le discours, et d’unité à l’échelle européenne, pour qu’il en soit de même à l’échelle de l’Union européenne, ou de l’Europe en général.
Conclusion
On le voit, en dépit de ce que peuvent laisser penser, la comparaison stricte des moyens dont disposent les dissuasions russes et françaises, l’équation stratégique entre Paris et Moscou, est beaucoup plus équilibrée qu’il n’y parait.
Cet équilibre est tel, que la France pourrait, au besoin, protéger de son parapluie nucléaire, tout ou partie de l’Europe, d’autant que dans une telle hypothèse, elle pourrait certainement s’appuyer sur la dissuasion britannique, et ses 4 SSBN de la classe Vanguard (si tant est qu’elle parvienne à lancer ses missiles, mais c’est un autre sujet).
De fait, en dépit des menaces de Vladimir Poutine de ce 29 février, la France, et les français, n’ont pas de raison de trembler aujourd’hui, la situation étant strictement la même qu’elle l’était hier, il y a une semaine ou dix ans.
Reste, désormais, à convaincre le Kremlin de la détermination de Paris à défendre l’Europe, au même titre que son propre territoire, mais aussi de convaincre les européens eux-mêmes, d’une telle nécessité face à l’évolution du contexte international.
Car, pour être efficace, la dissuasion doit se draper, tout à la fois, dans un flou stratégique indispensable, et s’appuyer sur un socle de certitudes ne souffrant d’aucune dissension. Dans le chaos politique européen actuel, construire cette unité représente un défi considérable.
Article du 29 février en version intégrale jusqu’au 12 Mai.
Carte. 1/3 Tectonique de la plaque géopolitique européenne. Ouverture du projet communautaire à de nouveaux Etats après la dislocation du Bloc de l’Est (1991-2023)
Par AB PICTORIS, Pierre Verluise – Diploweb – publié le 9 mai 2024
Conception de la carte : Blanche Lambert et Pierre Verluise. Réalisation de la carte : AB Pictoris. AB Pictoris est une jeune entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Passionnée de cartographie et de géopolitique, elle a obtenu un Master en Géopolitique (parcours cyber, IFG, Paris VIII) et en Géostratégie (Sciences Po Aix) après une licence de Géographie et Aménagement du Territoire (Paris I). Commentaire de la carte : Pierre Verluise, Docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com, enseignant dans plusieurs Master 2. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.
L’Europe géographique post-Guerre froide voit sa tectonique géopolitique profondément renouvelée sous la pression de forces qui étendent ou réduisent les regroupements – plaques – politiques. Preuves d’attractivité plus que d’un « complot », l’OTAN et l’UE marquent des points, s’étendent. Ce qui n’empêche pas des contradictions et tensions, aussi bien internes qu’externes. Il n’y a aucune raison de s’en étonner puisque le rapport de forces est au cœur même de l’action politique. Carte grand format en pied de page. Deux formats disponibles : JPG et PDF haute qualité d’impression.
A TRAVERS la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et la Communauté économique européenne (CEE), la construction de l’Europe communautaire engagée dans les années 1950 se fait dans le contexte de la Guerre froide (1947-1991). Bien sûr, la tension Est-Ouest génère des dépenses, mais paradoxalement la Guerre froide est aussi un stimuli qui produit des effets politiques, comme le dépassement d’une partie des rancœurs franco-allemandes, du moins avec la RFA. Autrement dit, la peur de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) pousse quelques pays ouest-européens à dépasser leurs divergences pour mettre en place des convergences institutionnelles. [1]
La CEE puis l’Union européenne doivent être attractives pour avoir déjà connu sept élargissements et une seule sortie – pacifique – avec le Brexit (2016-2020). L’Europe communautaire s’étend vers le Sud et vers l’Est, jusqu’à intégrer trois anciennes Républiques soviétiques – Baltes – en 2004. Après celui de 1995, les élargissements de l’UE se font souvent dans la foulée de ceux de l’OTAN qui donne le rythme et prend en charge la dimension défense. D’anciens membres du Pacte de Varsovie (1955 – 1991) deviennent membres de l’OTAN dès 1999. A partir de 2004, en partie sous l’inspiration des nouveaux États membres, l’UE met en place une Politique européenne de voisinage (PEV). En deux décennies, la PEV connait plusieurs redéfinitions. Il s’agit de tenter de construire des relations aussi coopératives que possible avec les pays des marges extérieures, avec des résultats inégaux sous la pression des évènements internes et externes. Ainsi, le conflit israélo-palestinien et les printemps arabes (2011) pénalisent le développement de la dimension méditerranéenne.
L’Europe géographique post-Guerre froide voit donc sa tectonique géopolitique profondément renouvelée sous la pression de forces qui étendent ou réduisent les regroupements – plaques – politiques. Preuves d’attractivité plus que d’un « complot », l’OTAN et l’UE marquent des points, s’étendent. Ce qui n’empêche pas des contradictions et tensions, aussi bien internes qu’externes. Il n’y a aucune raison de s’en étonner puisque le rapport de forces est au cœur même de l’action politique.
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Titre du document : Carte 1/3 Tectonique de la plaque géopolitique européenne. Ouverture du projet communautaire à de nouveaux Etats après la dislocation du Bloc de l’Est Conception : B. Lambert et P. Verluise. Réalisation B. Lambert AB Pictoris. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impressionDocument ajouté le 9 mai 2024 Document JPEG ; 535706 ko Taille : 1600 x 1122 px
L’Europe géographique post-Guerre froide voit sa tectonique géopolitique profondément renouvelée sous la pression de forces qui étendent ou réduisent les regroupements – plaques – politiques. Organisation et explication à partir d’une carte commentée.
La puissance russe repose sur les hydrocarbures, la géographie et la volonté. Une puissance en plein renouveau depuis 2000 qui a aussi provoqué l’éloignement avec l’Europe. Analyse du fonctionnement de la puissance russe avec David Teurtrie.
David Teurtrie est docteur en géographie, maître de conférences à l’ICES. Il vient de publier Russie, le retour de la puissance (Dunod, 2024). Propos recueillis par Alban de Soos.
Vous évoquez un retour de la puissance russe : quels sont les moyens économiques, industriels, militaires, énergétiques mis en œuvre par Vladimir Poutine ?
Dans les années 2000, la Russie s’affirmait comme une puissance énergétique majeure dans un contexte de croissance soutenue des cours des matières premières. Cette dynamique a largement contribué à revitaliser l’économie russe, permettant à l’État de remplir à nouveau ses fonctions essentielles, telles que le paiement des retraites et des salaires des fonctionnaires et des militaires.
Au cours de ses deux premiers mandats, Vladimir Poutine s’est principalement appuyé sur les atouts de la Russie dans le domaine énergétique pour influencer son environnement régional. Cette période a été marquée par ce qu’on a appelé les « guerres du gaz » entre la Russie et ses voisins. Ces conflits, outre leurs aspects géopolitiques, étaient souvent motivés par des enjeux commerciaux avec les États de transit (Ukraine, Biélorussie).
Cette première phase de reconstruction de la puissance russe dans les années 2000 a également été caractérisée par une réorganisation de l’État et une recentralisation progressive du pouvoir, alors que les régions avaient acquis une grande autonomie les conduisant parfois à voter des lois en contradiction avec la législation fédérale.
À partir de 2008-2009, une nouvelle phase s’amorce. La guerre avec la Géorgie constitue un premier signal d’utilisation du « Hard Power » à l’extérieur des frontières russes de manière offensive et en opposition à l’Occident, une première depuis la fin de l’URSS.
Cette utilisation des forces militaires a permis à la Russie d’atteindre ses objectifs en Géorgie, mais elle a également révélé de nombreuses lacunes et limites de cet outil. Les autorités russes ont mis en place une réforme de l’armée russe et investit dans un vaste programme de réarmement. Il ne s’agissait pas d’une nouvelle course aux armements, mais plutôt d’une tentative de moderniser un appareil militaire vieillissant. En effet, une grande partie de cet appareil militaire datait de la fin des années 1980, et la Russie n’avait pas réellement investi dans ce domaine depuis près de deux décennies.
Ces investissements ont permis de revitaliser le complexe militaro-industriel. On est donc passé progressivement d’une vision de la Russie en tant que puissance énergétique qui exerce une influence économique sur ses voisins à une Russie qui utilise l’outil militaire de manière croissante pour s’affirmer sur la scène internationale (intervention en Syrie).
À partir de 2008-2009, une nouvelle phase s’amorce. La guerre avec la Géorgie constitue un premier signal d’utilisation du « Hard Power » à l’extérieur des frontières russes de manière offensive et en opposition à l’Occident, une première depuis la fin de l’URSS.
Ensuite, une troisième phase se dégage à partir de 2014, marquée par la crise ukrainienne, notamment l’annexion de la Crimée et le conflit armé dans le Donbass, qui incite les Occidentaux à prononcer les premières sanctions à l’encontre de Moscou. Cela a conduit le Kremlin à prendre conscience de la fragilité de l’économie russe, en particulier de sa dépendance à l’Occident. Face à cette dépendance, plusieurs mesures ont été mises en place, notamment la stratégie de « substitution des importations » visant à réindustrialiser l’économie. D’une certaine manière, la Russie a pris une longueur d’avance sur les Occidentaux en matière de réindustrialisation, amorçant ce processus dès 2014, tandis que les pays occidentaux ne l’ont sérieusement envisagé qu’avec l’avènement de la crise de la Covid-19.
Cette volonté de réindustrialisation vise à accroître l’indépendance et l’autonomie de l’économie russe, notamment dans le domaine financier où des progrès significatifs ont été réalisés. De même, le secteur agroalimentaire a été renforcé, avec une Russie retrouvant sa position de grande puissance céréalière. Moscou a également créé des champions nationaux dans les secteurs technologiques où elle a gardé des compétences de premier plan, à l’instar du nucléaire : le géant Rosatom, premier exportateur mondial de centrales nucléaires, a échappé jusqu’à présent à des sanctions significatives en raison des dépendances de plusieurs pays occidentaux à son égard. Cependant, les résultats dans le domaine industriel sont contrastés, ce qui reflète les défis similaires auxquels l’Europe est confrontée. Réindustrialiser est un objectif de moyen et de long terme.
Comment peut-on interpréter ce retour de la puissance russe et cette réactivation de l’opposition avec l’Occident ? Cela témoigne-t-il d’un affaiblissement de l’Occident ?
En réalité, il y a deux processus distincts qui ont pu concourir à la confrontation actuelle.
Premièrement, il y a un retour de la puissance russe qui s’exprime indépendamment de sa relation à l’Occident. Dans son ouvrage Le Grand Échiquier publié en 1997, Zbigniew Brzezinski soulignait que malgré son affaiblissement d’alors, la Russie avait toujours de grandes ambitions et ne tarderait pas à les exprimer dans un avenir proche. Il avait donc anticipé un possible regain de puissance russe, en mettant en avant ses atouts intrinsèques tels que la taille de son territoire, ses ressources naturelles abondantes ou encore son positionnement central en Eurasie.
Il est également crucial de prendre en compte la volonté des élites russes de jouer un rôle majeur sur la scène internationale, une ambition qui contribue au retour partiel de la puissance russe, même si elle est loin d’égaler celle de l’Union soviétique, du fait de facteurs internes (déclin démographique, dépendance accrue aux technologies étrangères) et des changements dans le contexte international avec l’émergence de nouveaux centres de puissance.
Deuxièmement, l’Occident est marqué à son tour par un déclin à la fois démographique, industriel, sociopolitique et financier (endettement croissant). L’Occident continue pourtant de se considérer comme le centre du monde, mais cette prétention devient de plus en plus anachronique à mesure que le centre de gravité mondial se déplace vers l’Asie. Ce déclin renforce la défiance de la Russie envers l’Occident, car elle estime pouvoir se permettre de le défier, malgré le coût élevé d’une telle approche. La confrontation russo-occidentale est également alimentée par une incompréhension mutuelle croissante. Déception des Occidentaux vis-à-vis de l’évolution de la Russie et de son régime, amertume des élites russes dont les attentes élevées envers l’Occident dans les années 1990 n’ont pas été satisfaites : non seulement la Russie n’a pas intégré le « monde civilisé » occidental mais elle a vu sa sphère d’influence réduite à peau de chagrin avec l’élargissement des structures euroatlantiques vers l’Est.
Nombreux sont ceux qui ont prédit l’effondrement de la Russie et une victoire ukrainienne. Comment la Russie a adapté son économie face aux sanctions occidentales ? L’aide de la Chine semble un facteur important ?
Début 2022, Bruno Le Maire annonçait vouloir provoquer « l’effondrement de l’économie russe » et qualifiait la possibilité de couper les banques russes du système d’échanges interbancaire SWIFT de « bombe atomique financière ». Le ministre français de l’Économie ne faisait alors qu’exprimer un sentiment largement partagé par les élites occidentales qui pensaient que des sanctions massives suffiraient à contraindre la Russie à se retirer d’Ukraine : l’armée russe, privée d’armements faute de composants occidentaux et de pétrodollars pour alimenter l’effort de guerre, serait incapable de résister.
La défaite en Ukraine et l’effondrement de l’économie seraient fatals à un chef du Kremlin décrit comme malade et isolé, ce qui pouvait conduire à un changement de régime en faveur de l’opposition libérale pro-occidentale. L’ordre international centré sur l’Occident en serait alors ressorti singulièrement revigoré.
Cependant, rien de tout cela ne s’est produit, en grande partie du fait de la politique de résilience mise en œuvre par le Kremlin depuis 2014. À cet égard, l’autonomisation du secteur financier russe a constitué un développement crucial qui a grandement contribué à la stabilité macroéconomique du pays : la création de cartes bancaires russes autonomes et d’une alternative au système Swift ont permis aux banques russes de continuer à fonctionner efficacement. En 2023, le secteur bancaire russe a même renoué avec des bénéfices records, un signe parmi d’autres de l’adaptation de l’économie russe aux sanctions. Le FMI, qui a pris acte de la croissance du PIB russe de 3,6 % en 2023, a même revu à la hausse ses prévisions pour 2024 à hauteur de 3,2 %, ce qui impliquerait que la croissance de l’économie russe serait supérieure à celle des pays occidentaux pour la deuxième année consécutive.
Ces résultats sont non seulement liés aux mesures anticipant un durcissement de la confrontation avec l’Occident, ils illustrent également les capacités de gestion de crise dont ont su faire preuve les autorités russes : bien que les sanctions s’accumulent et qu’elles ont des effets parfois importants durant quelques semaines voire quelques mois pour les plus sévères, les autorités russes et les acteurs économiques parviennent généralement à trouver des solutions. Sur le plan du commerce extérieur, cela se traduit par une réorientation massive vers les BRICS ce qui démontre que ce regroupement est plus cohérent qu’il n’y paraît au premier abord. En effet, la réorientation des exportations pétrolières est loin de se limiter à la Chine puisque les croissances les plus fortes sont observé en direction de l’Inde et du Brésil. Il y a donc une reconfiguration du commerce extérieur russe vers les économies émergentes.
Cela soulève un point important : le « Sud global » parfois désigné comme la « majorité mondiale », n’a pas suivi l’Occident dans l’imposition de sanctions. Cela montre que ce dernier n’a plus le contrôle absolu dans ce domaine, et que la majorité des pays du monde n’adhère pas à son interprétation du conflit ukrainien, ce qui a eu un impact majeur sur son évolution. Bien sûr, la Chine a joué un rôle central dans cette dynamique, mais d’autres pays ont également contribué à compenser l’impact économique des sanctions occidentales sur la Russie.
Le « Sud global » parfois désigné comme la « majorité mondiale », n’a pas suivi l’Occident dans l’imposition de sanctions. Cela montre que ce dernier n’a plus le contrôle absolu dans ce domaine, et que la majorité des pays du monde n’adhère pas à son interprétation du conflit ukrainien, ce qui a eu un impact majeur sur son évolution.
En outre, il existe des circuits d’importation parallèles qui permettent à la Russie d’obtenir de nombreux composants et technologies occidentaux via des pays tiers. Bien que les autorités politiques occidentales tentent de limiter ces circuits, les acteurs économiques occidentaux ne jouent pas réellement le jeu, car, lorsqu’ils exportent massivement vers l’Asie centrale, ils sont parfaitement conscients du destinataire final. Il y a donc un certain manque de cohérence dans les actions occidentales, qui est également lié à une sous-estimation de l’interconnexion entre les économies russe et européenne. De fait, le commerce entre la Russie et l’Europe est sous-estimé dans les statistiques actuelles, car il s’effectue désormais en partie par l’intermédiaire de pays tiers tant à l’import qu’à l’export.
Au vu de l’enlisement du conflit en Ukraine, de l’augmentation des coûts de l’énergie et des matières premières en Europe, du renforcement de l’axe Moscou-Pékin, les Européens ne sont-ils pas les premières victimes de cette guerre, alors que l’Occident semble de plus en plus isolé du reste du monde ?
Si l’on se concentre sur l’Europe, il est indéniable que celle-ci est la première à ressentir les conséquences de ce conflit. Les pays européens perdent un avantage compétitif majeur : l’accès à des ressources russes bon marché et abondantes grâce à des infrastructures reliant la Russie à l’Europe. Les chiffres de la production industrielle en Europe, notamment en Allemagne, reflètent les conséquences négatives de cette rupture. De plus, nos concurrents bénéficient de l’accès aux ressources russes à des prix compétitifs en raison des sanctions, tandis que nous devons supporter des coûts plus élevés qu’avant la crise. Cette situation nous pénalise donc doublement.
En outre, bien que la Russie ne soit pas le principal partenaire de l’Union européenne, elle restait tout de même un marché d’exportation important pour les technologies occidentales, les véhicules, les machines-outils, etc. Ainsi, la perte du marché russe, même si elle est partiellement compensée par la reconstitution de certains circuits commerciaux parallèles, constitue un impact négatif supplémentaire. Ainsi, la Russie est devenue le premier marché à l’exportation pour les automobiles chinoises qui remplacent les marques européennes dont les constructeurs ont été contraints de quitter la Russie.
D’un point de vue géoéconomique, l’un des avantages de l’Europe avant le conflit était son intégration croissante à l’Eurasie, notamment à travers les routes de la soie reliant la Chine, la Russie et l’Europe. Cette dynamique est désormais compromise par ce que l’on pourrait qualifier de « rideau de fer économique » résultant des sanctions. En réalité, il apparaît que tant l’Europe que la Russie sont perdantes dans cette affaire. Bien que la Russie semble mieux résister sur le plan économique, elle paie un lourd tribut humain à cette guerre et devient plus dépendante de la Chine qu’auparavant.
Si l’on élargit encore davantage la focale, on constate que les États-Unis sont souvent décrits comme les grands gagnants à court terme, car ils peuvent désormais exporter leur gaz naturel liquéfié vers l’Europe en remplacement du gaz russe. De plus, ils ont replacé l’Europe sous le parapluie américain, la « mort cérébrale » de l’OTAN semble oubliée, au moins pour un temps.
Cependant, à moyen et long terme, la situation est plus complexe. De nombreux analystes américains s’inquiètent des effets néfastes de cette politique de sanctions sur le reste du monde, qui perçoit une forme d’impérialisme occidental à travers ces mesures coercitives. De plus, les tentatives occidentales d’expropriation des réserves financières russes suscitent des inquiétudes quant à la sécurité des investissements en Occident, ce qui conduit à une accélération de la dédollarisation et à la mise en place de mécanisme financiers indépendants de Washington.Ainsi, même pour les États-Unis, cette stratégie de la confrontation avec Moscou pourrait avoir un coût important à moyen terme.
Aujourd’hui, le retour de la puissance russe repose en grande partie sur Vladimir Poutine. Qu’en est-il de la suite, de l’après Poutine, notamment vis-à-vis des oligarques et des différents clans ?
Effectivement, la question de l’après Poutine est une grande inconnue. Si l’on prend du recul sur la présidence de Vladimir Poutine, on constate que la Russie n’a jamais connu d’alternance, du moins pas de manière pacifique : l’Empire russe a laissé la place au système soviétique du fait de la révolution russe, puis la nouvelle Russie a émergé des décombres de l’URSS du fait de l’effondrement de cette dernière. Depuis lors, chaque président russe a succédé à son prédécesseur par le biais d’une désignation plutôt que par une alternance démocratique.
La révolte de Wagner ont été interprétés trop hâtivement comme des signes d’un effondrement imminent du système, alors qu’en réalité, ce dernier s’est révélé plus résilient que prévu.
En outre, il y a une forte concentration du pouvoir et une personnification du pouvoir en Russie, qui a sans doute été renforcée sous le règne de Vladimir Poutine, bien qu’elle n’ait jamais cessé d’exister. Le chef de l’État incarne le pays d’une manière qui suscite des inquiétudes quant à la stabilité du système une fois que Poutine quittera le pouvoir. La question centrale est de savoir si le système établi par Vladimir Poutine s’effondrera, comme le pensent certains de ses opposants, ou s’il sera capable de perdurer malgré tout.
Je n’ai pas de réponse définitive à fournir, mais il est notable que des événements tels que la révolte de Wagner ont été interprétés trop hâtivement comme des signes d’un effondrement imminent du système, alors qu’en réalité, ce dernier s’est révélé plus résilient que prévu.
Pour la première fois depuis 2019, le président chinois Xi Jinping observe une visite d’État en France les 6 et 7 mai 2024. C’est en réalité une tournée européenne puisque ce dernier poursuivra son périple en Serbie et en Hongrie, deux pays marqués par une forte présence économique chinoise. Alors que Pékin et Paris célèbrent le soixantième anniversaire de leurs relations diplomatiques, quel est l’état des rapports franco-chinois ? Quels sont les enjeux stratégiques de la venue de Xi Jinping au moment où la guerre en Ukraine occupe une place importante de la politique étrangère française ? Éléments de réponse avec Emmanuel Lincot, chercheur associé à l’IRIS, professeur à l’Institut catholique de Paris et auteur de Le très grand jeu. Pékin face à l’Asie centrale.
Xi Jinping entame une tournée de plusieurs jours en Europe en commençant par la France les 6 et 7 mai. Quels sont les enjeux de cette visite d’État en France, marquant la célébration des soixante ans de relations diplomatiques entre les deux pays ? Quel est l’état des relations entre Pékin et Paris ?
Il y a tout d’abord cet anniversaire qui est important puisqu’en Chine, 60 ans marquent la fin d’un cycle. Ce cycle a été marqué par une histoire parfois tourmentée, et des échanges désormais profondément déséquilibrés. Le déficit commercial pour la France n’a cessé de se creuser et des menaces de taxation pour certains produits français destinés au marché chinois confirment ce que nous observons partout ailleurs : la guerre économique est durablement installée. La Chine n’a pas d’autre choix que d’exporter massivement ses surplus de production (voitures électriques…) pour maintenir un niveau de croissance sérieusement en difficulté et va se heurter vraisemblablement à son tour à des taxations européennes. Tout cela ne présage rien de bon. Sur le plan stratégique, la Chine ne changera pas sa position vis-à-vis de la Russie. Au reste, cyniquement, elle n’a aucun intérêt à ce que le conflit avec l’Ukraine cesse. Ce conflit affaiblit chaque jour un peu plus la Russie, en voie de devenir la vassale de Pékin, et retient les Américains sur le front européen pour les écarter de l’enjeu taïwanais. La Chine n’a pas davantage intérêt à ce que le conflit israélo-palestinien cesse, tout simplement parce que le monde musulman pèse pour elle davantage et que cette guerre compromet le projet mis en œuvre à la fois par les Indiens et leur partenaire israélien, l’IMEC (l’India Middle East European Corridor) ; un projet concurrent à celui des Nouvelles Routes de la soie développé par Pékin. Dans ce contexte, la France et la Chine vont traverser une zone de turbulences, et pour longtemps. La dégradation de leurs relations va survenir après les élections américaines (novembre 2024) ; lesquelles, et quel qu’en soit le résultat, vont accélérer cette guerre économique. Rétrospectivement, en 1964, Pékin sortait de son isolement diplomatique provoqué par sa rupture avec Moscou en jouant la carte française, et partant pour se rapprocher ainsi de l’Occident. 60 ans après, Pékin renforce son partenariat avec Moscou et entre dans une logique de confrontation avec l’Occident. Mais la Chine a sans doute beaucoup plus à perdre dans ce renversement.
La guerre en Ukraine va occuper une place importante dans l’agenda politique de cette visite. Comment se positionne la Chine à l’égard du conflit russo-ukrainien ? Qu’attend Emmanuel Macron de son homologue chinois sur ce sujet ainsi que sur les autres grands dossiers internationaux ?
Nous n’avons rien à attendre des Chinois sur la guerre en Ukraine pour les raisons exprimées plus haut. De même que nous n’avons pas grand-chose à espérer des Américains, car cette guerre est une composante parmi d’autres qui oppose le duopole russo-chinois à Washington. La solution ne peut donc venir que des Européens eux-mêmes. Ce qui intéressant ici c’est de voir que la Chine, par ailleurs très attachée au principe du respect de la souveraineté des États, ne se prononce pas, comme on le sait, sur l’agression russe. Cette ambiguïté permet d’intimider par ailleurs les Occidentaux sur la question de Taïwan. Les Américains, par un effet de loupe, en font le prochain conflit alors qu’il me paraît fondamentalement difficile à envisager pour la Chine. Au reste, la Chine a une expérience suffisamment ancienne de savoir gagner une guerre sans combattre. De ce point de vue, Emmanuel Macron a raison de ne pas vouloir entraîner la France, de toute évidence à ses dépens et sans en avoir les moyens, dans une confrontation belligène au sujet de Taïwan. De même qu’il a raison de s’opposer à l’ouverture d’un bureau de l’OTAN à Tokyo. Désamorcer le risque d’un conflit sino-américain, chercher une troisième voie est la vocation historique, d’aucuns diraient « gaullienne », de la France. Cette troisième voie doit s’appliquer dans le domaine de l’écologie aussi et en la matière, il y a davantage d’appuis à espérer du côté chinois que du côté américain. En somme, vous l’avez compris, nous sommes les alliés des Américains mais nous ne partageons pas les mêmes intérêts.
Quels sont les objectifs de la tournée européenne de Xi Jinping ? Pour quelles raisons le président chinois poursuit-il sa tournée en Serbie et en Hongrie après avoir quitté la France ?
C’est une façon d’annoncer la suite, et qui est : nous, Chinois, souhaitons donner la priorité au développement de nos relations avec des pays qui affichent leur proximité de vue avec Moscou et avec nous. Dont acte. In fine, Xi Jinping recevra Vladimir Poutine à son retour à Pékin. Ce qui me conforte dans l’idée que Xi Jinping ne changera pas sa position vis-à-vis de la Russie. En somme, il existe désormais trois Europe. En premier lieu, la France, seule puissance nucléaire militaire de l’Union européenne, seule puissance de l’Union européenne à être membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, et la présence de Madame Von der Leyen aux côtés d’Emmanuel Macron pour recevoir Xi Jinping était là pour rappeler que la France et les autorités de Bruxelles faisaient bloc face à la Chine. L’Allemagne, en second lieu, tentée par l’aventure de faire cavalier seul hier vis-à-vis de la Russie, aujourd’hui vis-à-vis de la Chine ; le chancelier Olaf Scholz s’étant rendu quelques jours plus tôt à Pékin. L’Europe des Balkans, enfin, et qui est la plus vulnérable. C’est l’Europe qui tourne le dos à Bruxelles. En d’autres mots, la visite de Xi Jinping est révélatrice des tensions fortes qui existent entre les Européens.
Les États-Unis ont récemment déployé le système de missiles terrestres à moyenne portée aux Philippines en invoquant des exercices conjoints. Cette initiative, la première du genre dans la région indopacifique, est perçue comme provocatrice et irresponsable par de nombreux pays locaux. Elle pourrait aggraver les tensions dans une région déjà très instable, à moins qu’il ne s’agisse d’une action délibérée.
Les États-Unis ont récemment déployé le système de missiles terrestres à moyenne portée (MRC : Mid Range Capability), également appelé système Typhon, aux Philippines pendant un exercice militaire conjoint.
Un geste perçu comme provocateur et irresponsable
Le système Typhon est équipé du missile Standard Missile 6 (SM-6), à tête conventionnelle ou nucléaire, capable de défense antimissile et de ciblage naval jusqu’à 370 kilomètres, ainsi que du missile d’attaque terrestre Tomahawk, avec une portée de 1 600 kilomètres. Son déploiement envoie un message clair selon lequel les États-Unis sont prêts à utiliser des armes offensives près des installations chinoises en mer de Chine méridionale, au sud de la Chine continentale, le long du détroit de Taiwan et même dans la région extrême-orientale de la Russie.
Cette action survient dans un contexte régional déjà tendu, suscitant de vives réactions, notamment de la part de la Chine, qui s’est opposée fermement à cette installation devant sa porte, sachant que la distance entre Luçon et la province du Hainan, terre chinoise la plus proche, est à près de 900 km. Le déploiement du système Typhon soulève des préoccupations quant à l’escalade des tensions et à la possibilité de conflits dans cette région stratégique.
Tout cela nous fait penser tout de suite à la crise des missiles de Cuba.
L’antécédent de la crise des missiles de Cuba
La crise des missiles de Cuba, également connue sous le nom de crise de Cuba, a eu lieu en octobre 1962 et a été l’un des moments les plus tendus de la guerre froide. Elle a été déclenchée lorsque les États-Unis ont découvert que l’Union soviétique déployait des missiles nucléaires à Cuba, à seulement 160 km des côtes américaines.
Cette découverte a provoqué une confrontation intense entre les États-Unis et l’Union soviétique, menaçant de déclencher une guerre nucléaire. Pendant plusieurs jours, le monde a retenu son souffle alors que les deux superpuissances se faisaient face. Les États-Unis ont imposé un blocus naval autour de Cuba pour empêcher d’autres livraisons d’armes, et le président américain de l’époque, John F. Kennedy, a exigé le retrait des missiles soviétiques de Cuba.
Finalement, après des négociations intenses entre Kennedy et le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, un accord a été conclu. L’Union soviétique a accepté de retirer ses missiles de Cuba en échange de la promesse des États-Unis de ne pas envahir Cuba et de retirer leurs missiles de Turquie, armés de têtes nucléaires. Leur présence en Turquie était considérée comme une provocation par l’Union soviétique, car ils étaient à portée de frappe de certaines régions soviétiques.
Cet épisode a été considéré comme un moment crucial de la guerre froide, soulignant à quel point les tensions entre les deux superpuissances pouvaient être dangereuses et les conséquences catastrophiques d’un conflit nucléaire.
Allons-nous revivre une crise similaire ? Est-ce un accident ou une stratégie délibérée ?
Une stratégie des cercles de feu
Le Centre for Strategic and Budgetary Assessments (CBA) a publié en 2022 une étude détaillée intitulée : « Cercles de feu : une stratégie de missiles conventionnels pour un monde post-traité INF » (Rings of fire : A Conventional Missile Strategy For A Post-INF Treaty World).
Les figues 3 et 4 de ce rapport (Cf. ci-dessous) montrent très clairement que les cercles de feu font partie intégrante d’une stratégie américaine en Indo-Pacifique, avec la Chine comme cible, et en Europe, visant la Russie.
FIGURE 3 (gauche) : LES TROIS ANNEAUX DU THÉÂTRE INDO-PACIFIQUE
FIGURE 4 (droit) : LES TROIS ANNEAUX DU THÉÂTRE EUROPÉEN
Le déploiement à Philippines est donc un test de cette stratégie, en utilisant la tactique du Fait accompli.
L’impact sur l’équilibre géopolitique de la région
Les États-Unis cherchent à empêcher la Chine de gagner du terrain dans le Pacifique en établissant, avec ses alliés, des bases militaires à proximité de ses frontières. L’introduction de missiles à moyenne portée marque une évolution significative dans cette stratégie.
La stratégie des chaînes d’îles, également connue sous le nom de « containment » maritime, fait partie de son approche. Cela fait référence à la méthode de défense employée par les États-Unis et leurs alliés pour empêcher la Chine de sortir vers le Pacifique. Dans cette stratégie, les États-Unis et leurs partenaires cherchent à maintenir une présence navale importante dans les eaux stratégiques de la région.
Les États-Unis utilisent également des alliances et des partenariats régionaux pour renforcer cette stratégie. Par exemple, des exercices militaires conjoints sont régulièrement organisés avec des pays comme le Japon, les Philippines et l’Australie pour renforcer la coopération en matière de sécurité, sous prétexte de garantir la stabilité de la région.
Cette dynamique entre les États-Unis et la Chine dans la région Asie-Pacifique reste l’un des points chauds de la géopolitique mondiale, avec des implications importantes pour la sécurité régionale et la stabilité économique. La Chine, de son côté, considère cette stratégie comme une tentative d’endiguer son ascension en tant que puissance régionale et mondiale. Elle a régulièrement appelé à des négociations bilatérales pour résoudre les différends maritimes.
On a beaucoup de mal à croire que l’installation des missiles à moyenne portée capable de porter des têtes nucléaires devant la porte de la Chine vise à garantir la stabilité de la région.
Les missiles à moyenne portée américains déployés aux Philippines pourraient aussi potentiellement menacer les installations militaires russes dans l’Extrême-Orient, y compris des villes comme Vladivostok, en fonction de leur portée et de leur capacité à atteindre ces cibles. Le déploiement de tels missiles et leur utilisation éventuelle dans une région aussi sensible auraient des implications stratégiques majeures et pourraient rapidement intensifier également les tensions entre les États-Unis et la Russie, ainsi que perturber davantage l’équilibre géopolitique de la région.
Dans un contexte de relations tendues entre les États-Unis et la Russie, tout mouvement visant à déployer des missiles américains à sa proximité est perçu comme une provocation par la Russie, et cela pourrait entraîner des réponses militaires ou diplomatiques de la part de Moscou.
Une série d’escalades possibles ?
L’installation des missiles à moyenne portée aux Philippines a déclenché des réactions importantes de la part de la Chine et de la Russie, en raison de leurs propres intérêts géopolitiques dans la région.
La Chine considère le déploiement de missiles américains aux Philippines comme une provocation directe et une menace pour sa sécurité nationale. La Chine peut intensifier ses activités militaires dans la région pour contrebalancer la présence américaine, ce qui pourrait inclure le déploiement de ses propres missiles et d’autres systèmes de défense, ainsi que des démonstrations de force navale.
Lors d’une conférence de presse régulière la semaine dernière, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, a accusé les États-Unis de chercher à obtenir un « avantage militaire unilatéral » et a souligné l’opposition vigoureuse de la Chine au déploiement. Il a appelé les États-Unis à prendre sincèrement en compte les préoccupations sécuritaires des autres pays, à cesser de nourrir les confrontations militaires, à cesser de compromettre la paix et la stabilité régionales, et à prendre des mesures tangibles pour réduire les risques stratégiques.
Les actions concrètes suivent les paroles. Un drone du type WZ-7 chinois, capable des longues heures de vol, a été envoyé immédiatement à la proximité de 55 km des Philippines. Il se peut également que l’Armée populaire de Libération (APL) renforce davantage ses forces en mer de Chine méridionale, notamment près des Philippines.
La Russie a perçu également ce geste américain comme une menace pour ses propres intérêts régionaux, en particulier en ce qui concerne ses bases militaires dans l’Extrême-Orient russe. Ils peuvent répondre en renforçant sa présence militaire dans la région, en augmentant le déploiement de forces navales et aériennes, ainsi qu’en renforçant les défenses antiaériennes et antimissiles autour de Vladivostok. La Russie peut chercher à renforcer sa coopération stratégique avec la Chine et d’autres acteurs régionaux pour contrer l’influence américaine.
Le vice-ministre des Affaires étrangères russe Sergey Ryabkof a déclaré très récemment
« Comme cela a été récemment discuté lors de la visite du ministre russe des Affaires étrangères [Sergueï Lavrov] à Pékin, nous devons répondre au double confinement par une double contre-mesure. L’un des points de cette contre-attaque sera sans aucun doute une révision de notre approche du moratoire unilatéral sur le déploiement de tels systèmes annoncés en 2018 par notre président [Vladimir Poutine] »» Le message est très clair.
Washington devrait considérer que certaines opérations ou installations militaires de leurs concurrents pourraient également être situées à proximité géographique des États-Unis comme dans le cas de la crise de Cuba. Une série d’escalades est tout à fait possible.
Il ne faudrait pas jouer avec le feu
Dans un contexte géopolitique aussi complexe, même une présence temporaire de missiles à moyenne portée aux Philippines entraînerait des conséquences significatives pour la sécurité et la stabilité régionales.
Selon certains généraux, l’Armée américaine va installer, cette année, de nouveaux missiles à moyenne portée dans l’Asie-Pacifique. Les États-Unis doivent se rendre compte de l’impact de ses actions provocatrices et y réfléchir sérieusement quant à la suite des événements.
Il est essentiel pour tous les acteurs de trouver rapidement une solution pour apaiser cette source de tension dans la région. Il est préférable de ne pas prendre de risques inutiles en jouant avec le feu.