Au cours des dernières décennies, l’OTAN s’est révélée être un instrument fondamental dans la stratégie géopolitique des États-Unis pour maintenir le contrôle sur le Rimland européen et sur les industries militaires du continent. La théorie géopolitique, développée par des figures telles que Halford Mackinder et Nicholas Spykman, identifie dans le contrôle des régions côtières européennes et asiatiques une clé pour empêcher l’émergence de rivaux potentiels capables de défier l’hégémonie mondiale des États-Unis. Selon cette vision, l’Europe, avec son potentiel économique et industriel, représente une zone d’intérêt stratégique qui doit rester sous contrôle afin d’éviter qu’elle ne devienne une puissance indépendante ou pire, qu’elle collabore étroitement avec la Russie, créant un axe qui affaiblirait la domination américaine.
L’OTAN, née dans le contexte de la Guerre froide, avait pour mission principale de contenir l’expansion soviétique et de protéger l’Europe occidentale des menaces du bloc communiste. Cependant, avec la fin de la Guerre froide et la dissolution de l’Union soviétique, l’alliance a maintenu sa centralité en tant qu’instrument de contrôle géopolitique, en particulier vis-à-vis de la Russie et de ses aspirations à redevenir un acteur majeur sur la scène internationale. Plus qu’une simple alliance défensive entre égaux, l’OTAN a fini par représenter une forme d’influence directe des États-Unis sur les politiques de sécurité et de défense européennes.
Entretenir la dépendance militaire et énergétique de l’Europe
L’un des aspects centraux de ce contrôle est le monopole que les États-Unis exercent sur l’industrie militaire européenne. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec le Plan Marshall, les États-Unis ont fourni une aide militaire et économique massive à l’Europe, s’assurant ainsi une position privilégiée dans la fourniture d’armes et de technologies aux pays européens. Cela s’est traduit par une dépendance qui, avec le temps, est devenue systématique : les armées européennes, au lieu de développer leur propre industrie de défense autonome et compétitive, ont souvent choisi d’acheter des armes américaines.
Un exemple emblématique de ce processus est le « Pacte du Siècle » de 1975, lorsque plusieurs pays européens, dont la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège, ont été poussés à acheter le chasseur américain F-16, bien que des alternatives européennes telles que le Mirage F-1 français ou le Saab Viggen suédois, tous deux mieux adaptés aux besoins des forces aériennes européennes, étaient disponibles. Ce scénario s’est répété à de nombreuses reprises, comme dans le cas de l’achat des F-35 par la Belgique en 2018, où le gouvernement de Bruxelles a choisi le chasseur américain malgré sa réputation peu fiable et difficile à moderniser, rejetant des options européennes comme le Rafale français ou le Typhoon d’Eurofighter.
Ce phénomène ne se limite pas seulement à l’achat de systèmes d’armes, mais s’étend au contrôle des principales industries militaires européennes. Grâce à des acquisitions et des fusions, des groupes financiers américains ont absorbé bon nombre des entreprises européennes opérant dans le secteur de la défense. L’un des cas les plus significatifs est l’acquisition de la division aéronautique Fiat Avio par des investisseurs américains, une opération qui a permis aux États-Unis de mettre la main sur des technologies stratégiques utilisées dans des projets tels que l’Eurofighter et l’Airbus A400M, ainsi que dans le programme spatial européen Ariane.
La pénétration américaine dans l’industrie militaire européenne ne s’est pas arrêtée là. Des entreprises allemandes comme MTU Aero Engines, qui produit des composants pour l’Eurofighter, ont été acquises par des groupes américains, tout comme la suédoise Bofors et l’espagnole Santa Bárbara Blindados, productrice des chars Leopard 2-E. Cette stratégie a conduit à une dépendance accrue de l’Europe vis-à-vis de la technologie militaire américaine, rendant difficile pour les pays européens de développer une industrie de défense compétitive et autonome.
L’objectif principal de cette stratégie est évident : empêcher l’Europe de développer une capacité de défense indépendante et empêcher toute collaboration étroite entre l’Europe et la Russie, une éventualité que Washington considère comme une menace pour son hégémonie mondiale. La rupture des relations entre l’Europe et la Russie a toujours été une priorité stratégique pour les États-Unis et le conflit en Ukraine n’est que le dernier exemple de cette politique. Le sabotage des gazoducs en mer Baltique, qui a interrompu les approvisionnements énergétiques russes vers l’Europe, et l’isolement de régions stratégiques telles que le Donbass et la mer Noire, démontrent clairement l’intention de Washington d’empêcher une coopération économique et stratégique entre l’Allemagne et la Russie.
Sur le plan énergétique, l’Europe se trouve aujourd’hui dans une position vulnérable, avec ses approvisionnements en gaz fortement compromis. Le conflit israélo-palestinien a encore compliqué la situation, empêchant l’exploitation de gisements de gaz en Méditerranée orientale, ce qui pourrait avoir des répercussions durables sur la sécurité énergétique européenne. Cet isolement énergétique, combiné au contrôle américain des industries militaires, laisse l’Europe dans une position de dépendance qu’elle aura du mal à surmonter sans un changement radical de stratégie politique et industrielle.
En définitive, le contrôle que les États-Unis exercent sur l’Europe à travers l’OTAN n’est pas seulement une question de sécurité, mais représente un obstacle structurel au développement d’une Europe autonome et compétitive. La survie de l’OTAN et son influence croissante, notamment après la fin de la Guerre froide, montrent que l’Europe est considérée par Washington non pas comme un allié égal, mais comme une région à contrôler et à gérer pour éviter qu’elle ne devienne un rival mondial. La dépendance militaire, énergétique et industrielle de l’Europe vis-à-vis des États-Unis est le résultat de décennies de politiques visant à maintenir le continent fragmenté et faible, incapable de développer sa propre vision stratégique autonome.
La volonté de l’OTAN de renforcer ses capacités confrontée à de multiples difficultés
L’analyse stratégico-militaire et économique des plans de renforcement de l’OTAN, tels qu’ils ont été récemment révélés, permet de mettre en lumière une série de complexités et de contradictions qui reflètent les difficultés structurelles des alliances militaires dans le contexte d’une crise internationale en constante évolution. La proposition d’augmenter le nombre de brigades de l’OTAN de 82 à 131 d’ici 2030, comme mentionné dans le document confidentiel cité par Die Welt[1], est clairement une réponse à l’escalade des tensions entre l’Occident et la Russie, notamment après l’invasion de l’Ukraine. Un tel renforcement se justifie aux yeux de l’alliance par la perception d’un risque croissant d’affrontement direct avec Moscou, alimenté par l’implication croissante de l’OTAN dans le soutien logistique et militaire à Kiev. Cependant, ce plan se heurte à un certain nombre de difficultés économiques, sociales et politiques, qui pourraient rendre sa mise en œuvre difficile.
D’un point de vue géopolitique, l’idée d’un renforcement des capacités militaires de l’OTAN découle de la nécessité de répondre à la menace d’une éventuelle attaque russe contre l’Europe, bien que le Kremlin continue de nier avoir une telle intention, la qualifiant de propagande occidentale visant à justifier des dépenses militaires supplémentaires. Cette politique de l’Alliance reflète la polarisation croissante entre la Russie et l’Occident, alimentée par la guerre en Ukraine et la rhétorique agressive qui domine le discours international. La décision de l’OTAN d’augmenter le nombre de brigades et de commandements militaires, ainsi que de renforcer la défense aérienne et le nombre d’hélicoptères[2], s’inscrit dans une logique de préparation à un conflit de longue durée, qui pourrait toutefois ne pas être perçu comme imminent par les opinions publiques des États membres. En effet, bien que les gouvernements occidentaux soient engagés à renforcer leurs capacités défensives, le soutien populaire à ces mesures reste incertain, notamment dans un contexte de difficultés économiques, de récession et de crise énergétique.
L’aspect économique est en effet crucial. L’Europe traverse une période de désindustrialisation et d’augmentation des coûts énergétiques, ce qui rend difficile le financement d’un vaste programme de réarmement. Le plan de renforcement de l’OTAN nécessiterait des investissements bien au-delà des 2% du PIB, un seuil que beaucoup de pays peinent déjà à atteindre. Seuls 23 des 32 membres de l’OTAN respectent actuellement cette exigence et parmi les principaux contrevenants figurent des nations comme l’Italie, l’Espagne et la Belgique. Cela met en évidence une disparité claire entre les pays les plus riches et ceux plus petits ou économiquement fragiles, qui pourraient ne pas être en mesure de supporter le poids financier requis. En outre, le plan implique que les grandes nations, telles que l’Italie, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, devraient constituer au moins trois ou quatre nouvelles brigades chacune, ce qui nécessite des ressources supplémentaires et pourrait ne pas être bien accueilli par les opinions publiques nationales, de plus en plus sceptiques quant aux dépenses militaires.
Le plan de l’OTAN pourrait par ailleurs s’avérer irréalisable en raison de facteurs internes aux armées occidentales. L’un des défis les plus importants concerne la pénurie de personnel militaire, un problème qui affecte presque toutes les forces armées de l’Occident. Ces dernières années, il y a eu un déclin des vocations militaires dans tous les principaux pays de l’OTAN, avec un exode de personnel qualifié et une diminution des recrutements. Cette tendance est particulièrement grave dans des pays comme le Royaume-Uni, où le nombre de soldats en service est à son plus bas niveau historique, et aux États-Unis, qui n’atteignent plus leurs objectifs de recrutement depuis des années. Les marines occidentales connaissent également de graves difficultés, avec de nombreux navires laissés à quai par manque d’équipages. Dans ce contexte, augmenter le nombre de brigades et renforcer les capacités militaires semble être un objectif difficile à atteindre, voire utopique. L’OTAN pourrait ainsi se trouver confrontée à un dilemme : comment concilier l’ambition de renforcer ses défenses avec la réalité d’une pénurie de ressources humaines et financières ?
Un autre aspect à prendre en compte est la capacité des nations de l’OTAN à soutenir un long programme de réarmement dans un contexte d’incertitude économique et politique. Le soutien militaire à l’Ukraine, de plus en plus critiqué par les opinions publiques européennes, combiné aux difficultés économiques internes, pourrait réduire le consensus politique en faveur de telles mesures. Dans de nombreux pays européens, les citoyens demandent « du beurre » plutôt que « des canons », c’est-à-dire une plus grande attention aux politiques économiques et sociales plutôt qu’à des programmes de défense coûteux. Cette dynamique pourrait affaiblir la détermination des gouvernements à s’engager dans le renforcement des forces armées, en particulier si le risque d’une invasion russe est perçu comme lointain ou exagéré.
En conclusion, bien que le plan de renforcement de l’OTAN soit une réponse logique aux tensions croissantes avec la Russie, il risque de rester davantage un vœu pieux qu’une réalité concrète. La combinaison de difficultés économiques, de pénurie de personnel militaire et d’un consensus politique incertain rend ce projet difficile à réaliser, voire impossible. L’OTAN devra donc faire face à des défis importants dans les années à venir, en cherchant à équilibrer les besoins en matière de sécurité avec les ressources limitées dont disposent ses membres.
Guerre en Ukraine : Gazprom, aide française… Le point sur la nuit
Le gouvernement hongrois a annoncé négocier avec Gazprom pour des livraisons de gaz russe en 2025. L’aide française à l’Ukraine devrait dépasser les deux milliards d’euros en 2024. Retour sur les événements qui ont marqué la nuit du lundi 14 au mardi 15 octobre 2024.
Le gouvernement hongrois et le géant énergétique public russe Gazprom sont en négociations pour conclure un contrat prévoyant des livraisons supplémentaires de gaz à la Hongrie en 2025. | FILIP SINGER / EPA-EFE
Ouest-France avec agences – Publié le
Selon le ministre français des Armées Sébastien Lecornu, l’aide militaire française à l’Ukraine dépassera deux milliards d’euros en 2024, mais n’ira pas jusqu’aux trois milliards évoqués en début d’année.
Des centaines d’organisations ont reçu des alertes à la bombe lundi, forçant certains bâtiments publics à évacuer. Ces menaces interviennent vraisemblablement à la suite d’une enquête journalistique du média Radio Free Europe sur l’emploi de jeunes Ukrainiens par les services de renseignement russes pour incendier les voitures de membres de l’armée.
La Hongrie discute avec Gazprom pour des livraisons de gaz en 2025
Le gouvernement hongrois et le géant énergétique public russe Gazprom sont en négociations pour conclure un contrat prévoyant des livraisons supplémentaires de gaz à la Hongrie en 2025, a déclaré le ministre hongrois des Affaires étrangères Peter Szijjarto, cité mardi par l’agence de presse russe RIA.
Gazprom a annoncé la semaine dernière avoir signé un mémorandum d’entente avec Budapest en vue d’une possible augmentation des ventes de gaz russe. Le groupe n’a pas donné de détails.
Le chef de la diplomatie hongroise a par ailleurs fait savoir que Budapest mettrait son veto à toute sanction de l’Union européenne contre Moscou si les exemptions permettant à la Hongrie de se procurer du gaz russe sont révoquées. « Habituellement les sanctions sont examinées tous les six mois. Et tant que les sanctions (visant la Russie) sont en place, ces exemptions doivent rester applicables, parce qu’autrement nous mettrons notre veto aux sanctions », a-t-il dit.
Plus de 2 milliards d’euros d’aide française à l’Ukraine en 2024
L’aide militaire française à l’Ukraine dépassera deux milliards d’euros en 2024, notamment grâce à l’utilisation d’intérêts d’avoirs russes gelés, mais n’atteindra pas le maximum de trois milliards envisagé dans un accord de sécurité conclu avec Kiev, a affirmé lundi le ministre des Armées Sébastien Lecornu.
« Il était arrêté politiquement au début de l’année 2024 que cette aide pouvait aller jusqu’à trois milliards d’euros. Dans les faits, nous serons au-dessus de deux milliards d’euros, mais pas à trois milliards d’euros », a annoncé le ministre devant les députés de la commission de la Défense.
La France avait garanti son soutien à l’Ukraine dans un accord bilatéral de sécurité conclu le 16 février entre Paris et Kiev. L’aide militaire française a atteint 1,7 milliard d’euros en 2022 et 2,1 milliards en 2023, selon Paris.
Des organisations ukrainiennes menacées après une enquête journalistique
Des centaines d’écoles, d’entreprises, d’ambassades ou encore de médias ukrainiens ont reçu des alertes à la bombe par mail lundi, entraînant l’évacuation de bâtiments publics. Ces menaces semblent liées à une enquête menée par le média Radio Free Europe, montrant comment les services de renseignement russes ont recruté des jeunes Ukrainiens, dont des mineurs, pour incendier les véhicules de membres de l’armée et de dirigeants de centres de conscription.
« J’ai placé plusieurs engins explosifs dans votre bâtiment, et il va bientôt exploser », disait le message reçu par le média ukrainien The Kyiv Independent, également visé par ces menaces.
Radio Free Europe rapporte que des officiers de la police nationale ukrainienne ont inspecté leurs locaux, sans trouver trace d’engin explosif. Les messages de menaces comportaient les noms des trois journalistes auteurs de l’enquête, Iryna Sysak, Valeria Yegoshyna et Yulia Khymerik. « Nous ne nous laisserons pas intimider et nous soutiendrons nos journalistes qui continueront à informer le public ukrainien sans crainte ni faveur », a réagi Stephen Capus, président de Radio Free Europe.
Missiles balistiques à la Russie : des sanctions « injustifiées » selon l’Iran
L’Union européenne a annoncé lundi avoir décidé de prendre des sanctions contre l’Iran, accusé de livrer des missiles balistiques à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Le Royaume-Uni a annoncé de son côté des sanctions contre plusieurs dirigeants de l’armée iranienne après l’attaque de missiles lancée par l’Iran contre Israël le 1er octobre.
Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Esmail Baghaei, a rejeté mardi ces sanctions, les qualifiant d’« injustifiées et contraires au droit international ».
« Il a également souligné le droit inaliénable de l’Iran à la défense et à la coopération militaire avec d’autres pays, y compris la Russie », a rapporté l’agence de presse officielle iranienne Irna.
Le 14 août dernier, nous avons appris que l’Allemagne avait émis un mandat d’arrêt européen contre un ressortissant ukrainien accusé d’avoir fait partie d’un commando qui aurait exécuté, en septembre 2022, le sabotage de trois des quatre gazoducs Nord Stream. Le même jour, le Wall Street Journal publiait un article affirmant qu’il s’agissait d’une « opération ukrainienne [ayant] coûté environ 300 000 dollars, selon des personnes qui y ont participé. Elle impliquait [l’Andromeda,] un petit yacht loué par un équipage de six membres, dont des plongeurs civils formés [au sabotage sous-marin]. L’un d’eux était une femme, dont la présence a contribué à créer l’illusion qu’ils étaient un groupe d’amis en croisière de plaisance. “J’éclate de rire à chaque fois que je lis des spéculations dans les médias sur une énorme opération impliquant des services secrets, des sous-marins, des drones et des satellites”, a déclaré un officier qui a participé à ce plan. “Toute cette affaire est née d’une nuit bien arrosée et de la détermination inébranlable de quelques personnes qui avaient le courage de risquer leur vie pour leur pays.” »
Toujours d’après le Wall Street Journal, « Volodymyr Zelensky avait initialement approuvé ce plan, selon un officier impliqué dans cette mission et trois personnes proches du dossier. Mais plus tard, lorsque la CIA en a pris connaissance et a demandé au Président ukrainien de stopper l’opération, il a ordonné d’y mettre fin, d’après ces sources. Cependant, le commandant en chef de Zelensky, Valeriy Zaloujny, qui dirigeait cet effort, a malgré tout décidé de le concrétiser. » Outre le fait improbable de confier une telle opération à une équipe partiellement composée de plongeurs civils, qui auraient navigué en mer Baltique avec le drapeau ukrainien accroché sur le mât de l’Andromeda, qui étaient mal équipés et qui n’auraient pas nettoyé ce bateau après y avoir transporté des explosifs, il est à noter que cet article disculpe opportunément la CIA autant que le Président Zelensky. En d’autres termes, son ex-chef d’état-major des armées Valeriy Zaloujny est présenté comme le seul responsable de ce sabotage, ce qui permet subtilement ne pas faire porter la responsabilité de cet acte de guerre sur les autorités présidentielles ukrainiennes, ni sur l’administration Biden.
Or, de solides indices jamais relayés par les médias grand public occidentaux viennent renforcer le retentissant article de Seymour Hersh publié en février 2023, et accusant le gouvernement des États-Unis d’avoir clandestinement détruit trois des quatre gazoducs Nord Stream. Ces indices suggèrent également que ce sabotage fût potentiellement planifié avec l’aide de l’OTAN et des services spéciaux norvégiens, mais exécuté uniquement par des spécialistes états-uniens, et non grâce à un Poseidon P8-A de la Marine norvégienne, tel que Seymour Hersh l’avait affirmé. Après avoir exposé ce faisceau d’indices, nous expliquerons pourquoi cet acte de sabotage industriel sans précédent favorisera de manière durable et décisive 1) les exportations de gaz naturel de la Norvège vers l’Europe via le Baltic Pipe, un gazoduc construit par le Danemark et la Pologne, et inauguré le lendemain des attaques contre Nord Stream, et 2) les importations de gaz naturel liquéfié des États-Unis par les pays d’Europe centrale et orientale via l’architecture de l’Initiative des Trois Mers, un projet soutenu par Washington et élaboré par l’Atlantic Council à partir de 2014, lancé par la Pologne et la Croatie l’année suivante, et grâce auquel le Baltic Pipe livre du gaz norvégien via le territoire polonais depuis début octobre 2022.
Le conspirationnisme antirusse et la « zone d’exclusion intellectuelle » qu’est l’affaire Nord Stream
Avant d’expliquer et de documenter ces arguments clés, il convient de rappeler que, immédiatement après les attaques contre Nord Stream, une cohorte d’experts, de politiciens et de journalistes occidentaux ont accusé sans preuve Vladimir Poutine d’être l’instigateur de ce sabotage. Fondées sur de simples raisonnements sophistiques, ces allégations auraient dû être rejetées comme des théories du complot par des autorités et des médias occidentaux pourtant obsédés par la vérification des faits et la lutte contre les fausses informations. Cependant, et sans surprise, la presse dominante en Occident a largement diffusé ces analyses biaisées sans aucune conséquence en termes de réputation pour les auteurs de ces accusations, même après qu’elles furent discréditées au profit de l’hypothèse tout aussi douteuse du voilier Andromeda loué par une équipe de plongeurs ukrainiens. Comme l’a observé FAIR.org en octobre 2022, après les attaques contre l’infrastructure Nord Stream, « une grande partie de la presse a docilement répété la ligne officielle occidentale. Le Washington Post a rapidement publié un article titré “Les dirigeants européens accusent la Russie de sabotage après les explosions de Nord Stream”, ne citant que des responsables de l’UE qui affirmaient que, bien qu’ils n’avaient aucune preuve de l’implication russe, “seule le Kremlin avait la motivation, les équipements sous-marins et la capacité” [de planifier et d’exécuter cette attaque – une évaluation totalement inexacte, tel que nous le démontrerons]. Une grande partie des médias ont dirigé leurs soupçons vers la Russie, y compris Bloomberg, Vox, l’Associated Presset la plupart des chaînes d’information. À de rares exceptions près, toute spéculation sur l’implication [éventuelle] des États-Unis fut manifestement considérée comme une “zone d’exclusion intellectuelle”. »
Comme l’on pouvait s’y attendre, les médias occidentaux ont été appuyés dans cette offensive de désinformation par plusieurs think tanks militaristes et antirusses. Par exemple, seulement deux jours après cet événement, le chercheur Daniel Kochis écrivait sur le site de la Heritage Foundation – un cercle de réflexion notoirement belliciste –, que « l’arsenal de guerre de la Russie [semblait alors] inclure le sabotage de pipelines sous-marins (…) [, ce qui] devrait être clairement interprété comme un autre exemple frappant de la manière dont la Russie continu[ait] à utiliser tous les outils à sa disposition pour faire pression sur l’Occident et le déstabiliser. Poutine considère sa guerre en Ukraine et ses attaques plus larges contre le monde occidental comme un conflit à long terme qui ne sera pas résolu de sitôt, et c’est pourquoi il est prêt à littéralement couper les liens avec l’Europe en sabotant les mêmes gazoducs Nord Stream dans lesquels il a investi tant d’argent (y compris en achetant de l’influence) et de capital politique et diplomatique il n’y a pas si longtemps. » Alors que l’hypothèse d’une responsabilité russe dans ce sabotage est désormais écartée en privé comme en public par la plupart des autorités occidentales, cet article n’a pas été modifié ni retiré jusqu’à présent.
Au lendemain de cette attaque, Elisabeth Braw, une chercheuse du tout aussi belliciste think tank American Enterprise Institute, écrivait que « le coupable semble être le gouvernement russe. Avec les pays européens réduisant leurs importations de gaz en provenance de Russie, les pipelines n’étaient de toute façon pas pleinement utilisés, d’autant plus que l’Allemagne a refusé d’homologuer Nord Stream 2 [deux jours avant l’invasion russe du 24 février 2022 en Ukraine]. Par ailleurs, Moscou tente désespérément de faire peur à l’Occident. À plusieurs reprises (…), des responsables russes – y compris Vladimir Poutine –, ont brandi la menace nucléaire dans le but d’effrayer les gouvernements occidentaux pour qu’ils stoppent leur soutien militaire à l’Ukraine. Mais cela n’a pas fonctionné. Désormais, la Russie semble tester une nouvelle stratégie : causer discrètement des dommages à la mer Baltique, un petit océan déjà extrêmement pollué. » Cependant, nous allons constater que des indices disponibles en source ouverte suggèrent non pas un complot russe – un scénario désormais écarté par des responsables de la diplomatie et des services de renseignement occidentaux –, mais une potentielle opération clandestine des États-Unis et de la Norvège, tel que nous le résumerons à travers cette analyse.
Les révélations sous-médiatisées et malhonnêtement discréditées de Seymour Hersh
Le 8 février 2023, le célèbre journaliste d’investigation Seymour Hersh rapporta que la CIA, avec l’aide de l’OTAN, de la Marine états-unienne et des services spéciaux norvégiens, aurait planifié et exécuté une opération clandestine pour détruire les gazoducs Nord Stream. Sans surprise, l’article de Hersh a été soit largement ignoré aux États-Unis, soit rejeté avec des arguments discutables et des tentatives malhonnêtes de discréditer son auteur. Comme il l’a affirmé dans son article, « des plongeurs de la marine [états-unienne], opérant sous la couverture d’un exercice estival de l’OTAN largement médiatisé, et connu sous le nom de BALTOPS 22, ont mis en place les charges explosives déclenchées à distance qui, trois mois plus tard, ont détruit trois des quatre gazoducs Nord Stream, selon une source ayant une connaissance directe de cette planification opérationnelle. (…) La Norvège était l’endroit idéal pour baser la mission. Ces dernières années, au cœur de la crise Est-Ouest, l’armée états-unienne a considérablement renforcé sa présence sur le territoire norvégien, dont la frontière occidentale s’étend sur 2 250 kilomètres le long de l’océan Atlantique Nord et fusionne au-dessus du cercle polaire avec la Russie. Le Pentagone a créé des emplois bien rémunérés et signé divers contrats, malgré quelques controverses locales, en investissant des centaines de millions de dollars pour étendre et moderniser les installations navales et aériennes états-uniennes en Norvège. »
Dans cet article, Hersh écrivit que les services spéciaux norvégiens auraient participé à la planification de ce sabotage, et qu’ils « avaient trouvé une solution à la question cruciale de savoir quand [cette] opération devait avoir lieu. Chaque mois de juin, depuis 21 ans, la Sixième Flotte états-unienne, dont le navire amiral est basé dans la ville italienne de Gaeta, au sud de Rome, parraine un exercice majeur de l’OTAN en mer Baltique impliquant des dizaines de navires alliés de toute la région. Organisé en juin, il serait nommé Baltic Operations 22, ou BALTOPS 22. Les Norvégiens ont suggéré que cet exercice constituerait la couverture idéale pour poser les mines. (…) Leurs partenaires états-uniens ont fourni un élément crucial : ils ont convaincu les planificateurs de la Sixième Flotte d’ajouter au programme un exercice de recherche et de développement. L’exercice, tel que rendu public par l’U.S. Navy, impliquait la Sixième Flotte en collaboration avec les “centres de recherche et de guerre” de la Marine. L’événement en mer se tiendrait au large de l’île de Bornholm [– dans la même zone où les pipelines Nord Stream ont été détruits –,] et impliquerait des équipes de plongeurs de l’OTAN déployant des mines, avec des unités concurrentes utilisant les dernières technologies sous-marines pour les localiser et les détruire », tel qu’annoncé par l’U.S. Navy elle-même.
Toujours selon Hersh, alors que les explosifs devaient initialement se déclencher 48 heures après BALTOPS 22, l’administration Biden aurait décidé de reporter le sabotage en déclenchant ces bombes à distance via « une bouée sonar larguée par un avion à la dernière minute », affirmant que ce système aurait été activé trois mois plus tard, « le 26 septembre 2022, [après] qu’un avion de surveillance [Boeing P-8A Poseidon] de la marine norvégienne [et de fabrication états-unienne] ait effectué un vol de routine et largué une bouée sonar. Le signal s’est propagé sous l’eau, d’abord vers Nord Stream 2, puis vers Nord Stream 1. Quelques heures plus tard, les explosifs C4 à forte puissance ont été déclenchés et trois des quatre gazoducs ont été mis hors service. » Produite par le chercheur suédois Ola Tunander, une importante enquête en deux volets confirme la plausibilité des principaux arguments de Hersh, bien que ce spécialiste ait une autre hypothèse sur les auteurs du déclenchement des explosifs ayant détruit ces gazoducs.
Les indices d’une opération états-unienne « pas si secrète », et la douteuse piste de l’Andromeda
Tel que documenté par Ola Tunander, chaque nuit entre le 22 et le 25 septembre 2022, un « P-8A [Poseidon] immatriculé aux États-Unis, mais avec une “identité masquée”, (…) a quitté la base navale de Cuxhaven/Nordholz, dans le nord de l’Allemagne » et a survolé deux fois la zone du sabotage, tandis qu’un hélicoptère militaire états-unien, un « Sikorsky MH-60R Seahawk (…) survolait pendant des heures le sud-est de la mer Baltique. Il aurait été en mesure de capter tout signal émis par une bouée sonar larguée par un P-8A Poseidon. » Cette même mission a été répétée durant la nuit des 23/24 septembre et celle des 24/25 septembre. Comme il l’a expliqué dans un autre article, « nous savons qu’un avion Poseidon états-unien a quitté la base aérienne navale de Keflavik pour la mer Baltique [environ] deux heures avant que la première explosion n’ait lieu à 02h03 CEST (heure d’été d’Europe centrale) le 26 septembre 2022, et que cet avion devait couvrir la zone à l’est de Bornholm pendant plusieurs heures dans la nuit et la matinée du 26 septembre, avant la première explosion. Nous le savons car un avion ravitailleur états-unien a été envoyé d’Allemagne pour ravitailler le Poseidon au-dessus de la Pologne exactement à la même minute que la première explosion sur le Nord Stream 2, ce qui supposait que le Poseidon devait être utilisé pour une période prolongée. » Comme l’a observé en février 2024 le spécialiste des questions militaires Laurent Lagneau, « le fait qu’un avion de patrouille maritime P-8A Poseidon [états-unien] volait au-dessus de la Baltique peu avant les explosions pouvait (…) susciter des interrogations… d’autant plus qu’il avait coupé son transpondeur », un fait également détecté par Tunander.
Confirmant l’argument de Hersh selon lequel ce sabotage a été préparé et exécuté par des acteurs étatiques – une évaluation partagée par les enquêteurs officiels suédois et danois –, Ola Tunander a conclu à l’issue de ses recherchesapprofondies que «toute cette opération a été planifiée à l’avance [par les services spéciaux états-uniens]. Cela n’indique pas seulement [leur] connaissance préalable de l’explosion, mais (…) du moment exact de la première détonation.On n’envoie pas sans raison un Poseidon depuis l’Islande vers la mer Baltique en pleine nuit [, appuyé par] un avion ravitailleur [qui décolle à la même minute que l’explosion initiale] afin d’assurer une opération de longue durée. » Tunander a pu ainsi cumuler de nombreux indices trahissant ce qu’il perçoit comme une « vaste et (…) arrogante opération états-unienne impliquant l’usage [d’équipements de] haute technologie, [mais] pas si secrète. » En effet, les missions nocturnes suspectes de l’U.S. Navy qu’il a détectées entre le 22/23 et le 24/25 septembre au-dessus de la mer Baltique – et qui impliquaient chacune deux survols de la zone de Bornholm –, étaient traçables sur FlightRadar24.com. Elles n’étaient donc pas véritablement furtives. Un tel manque de discrétion fut observable dans le périple maritime, en mer Baltique, de l’équipe d’Ukrainiens aujourd’hui accusée par l’Allemagne et les médias grand public occidentaux d’avoir saboté les gazoducs Nord Stream. Dans l’un de ses articles, Tunander estima que les « plongeurs ukrainiens à bord de l’Andromeda [, qui auraient été commandés par le chef d’état-major des armées Valeriy Zaloujny,] ont peut-être joué un rôle dans cette affaire, mais plutôt en tant que couverture pour la véritable opération. »
Cet argument est corroboré par de multiples sources officielles occidentales indiquant que la piste du voilier Andromeda n’est pas crédible, du moins pour expliquer qui étaient les planificateurs et les auteurs de cette attaque. Tel que rapporté par le New York Times en avril 2013, « après que des saboteurs ont gravement endommagé les gazoducs Nord Stream en septembre dernier, les autorités allemandes se sont concentrées sur un voilier loué [dont l’équipage] semblait avoir participé à la pose d’engins explosifs en profondeur sous la mer Baltique. Or, après des mois d’enquête, ces autorités judiciaires soupçonnent désormais que le yacht de 15 mètres, l’Andromeda, n’était probablement pas le seul navire utilisé dans cette attaque audacieuse. Ils estiment également que ce bateau pourrait avoir été un leurre, mis en mer pour détourner l’attention des véritables auteurs, qui sont toujours en fuite, selon des responsables informés d’une investigation dirigée par le Procureur général d’Allemagne. Ils se sont exprimés anonymement pour partager des détails sur l’enquête en cours, y compris des doutes sur le rôle de l’Andromeda qui n’avaient pas encore été rapportés [par d’autres médias]. (…) Des responsables états-uniens et européens ont déclaré qu’ils ne savaient toujours pas avec certitude qui était à l’origine de l’attaque sous-marine [contre l’infrastructure Nord Stream]. Mais plusieurs d’entre eux ont affirmé qu’ils partageaient le scepticisme allemand quant à l’idée qu’un équipage de six personnes à bord d’un seul voilier ait posé les centaines de kilos d’explosifs qui ont désactivé Nord Stream 1 et une partie de Nord Stream 2, un ensemble de gazoducs plus récent qui n’avait pas encore commencé à livrer du gaz aux clients. »
Comme l’a ajouté le New York Times dans cet important article, «des experts ont noté que, bien que poser manuellement des explosifs sur les gazoducs soit théoriquement possible, même des plongeurs expérimentés auraient du mal à s’immerger à plus de 60 mètres de profondeur et à remonter lentement à la surface pour laisser le temps à leur corps de se décompresser. Une telle opération aurait nécessité plusieurs plongées, exposant l’Andromeda à une détection par des navires à proximité. La mission aurait été plus facile à dissimuler et à réaliser en utilisant des véhicules submersibles télépilotés ou de petits sous-marins, ont déclaré des experts en plongée et en récupération ayant travaillé dans la zone de l’explosion, caractérisée par des mers agitées et un trafic maritime dense. » Discréditant d’avance l’article douteux du Wall Street Journal paru l’année suivante, ces expertises tendent à conforter les révélations sous-médiatisées de Seymour Hersh, tandis que le récit du « groupe pro-ukrainien » de l’Andromeda a été largement diffusé dans les médias occidentaux un mois plus tard, malgré son manque flagrant de crédibilité. Pointant la Norvège comme un allié des États-Unis qui serait impliqué dans les préparatifs de ce sabotage, Hersh affirma que les planificateurs norvégiens auraient proposé le « vaste exercice de l’OTAN en mer Baltique (…) [nommé] BALTOPS 22 (…) [comme] la couverture idéale pour poser les mines. » Bien sûr, ces allégations doivent être prouvées par d’autres sources que Seymour Hersh, et si possible par une institution judicaire. Cependant, le comportement suspect du Premier Ministre norvégien après sa visite aux États-Unis avec son Ministre de la Défense – et ce quelques jours seulement avant ce sabotage –, ne peut que renforcer les soupçons légitimes d’une opération possiblement planifiée par les États-Unis et la Norvège contre les gazoducs Nord Stream, comme nous allons l’expliquer.
Le Premier Ministre norvégien était-il au courant de la destruction imminente de Nord Stream ?
Deux jours après le sabotage de l’infrastructure Nord Stream, James Crisp spécula dans The Telegraph, avec un argumentaire qui aurait certainement été qualifié de théorie du complot si ces accusations avaient visé Washington, que Poutine cherchait « à briser le moral [des Européens] pour que [leurs] gouvernements (…) subissent la pression des électeurs en colère, craignant une chute brutale des températures cet hiver. Le timing était parfait. Un nouveau gazoduc entre la Norvège et la Pologne [nommé le Baltic Pipe] a été inauguré le [27 septembre], tout près du gazoduc Nord Stream 2, alors que la nouvelle du sabotage présumé était annoncée. » Dans ce contexte, comme Ola Tunander l’a souligné dans sa première enquête complétant l’article de Hersh à propos de cette attaque, il est extrêmement important d’analyser le comportement de Jonas Gahr Støre, le Premier Ministre norvégien, quelques jours avant que le sabotage ne soit commis.
En effet, ce dernier était inexplicablement absent de l’inauguration du Baltic Pipe le 27 septembre 2022, soit le lendemain de l’attaque contre Nord Stream, bien qu’il s’agissait d’une cérémonie de la plus haute importance, décrite par Tunander comme « un évènement norvégo-polono-danois des plus médiatisés, probablement l’inauguration la plus capitale pour la Norvège ces dernières années. Jonas Gahr Støre aurait dû y être présent, mais il ne l’était pas. » Ayant initialement annoncé sa participation à cette cérémonie le 20 septembre, l’annulation soudaine et inexpliquée de Støre le 22 septembre, juste avant son départ des États-Unis, soulève de sérieuses questions jusqu’à présent irrésolues. L’agenda officiel de Støre avant cet événement détaillait ses rencontres aux États-Unis – avec son Ministre de la Défense –, jusqu’au 23 septembre, suivies d’activités non spécifiées en Norvège jusqu’au lendemain du sabotage de Nord Stream. Par conséquent, l’annulation discrète de sa participation prévue à l’inauguration du Baltic Pipe à la fin de son voyage aux États-Unis est indéniablement suspecte.
Comme l’a observé Tunander, « le 20 septembre, le Bureau du Premier Ministre norvégien avait annoncé que le Premier Ministre Støre se rendrait en Pologne, à Szczecin, le 27 septembre pour l’inauguration du Baltic Pipe, le gazoduc [norvégo-polono-danois]. (…) Cependant, le Bureau du Premier Ministre a modifié cette annonce le 22 septembre, en déclarant que le Ministre du Pétrole et de l’Énergie, [Terje] Aasland, remplacerait le Premier Ministre Støre. Cet avis n’a pas été publié dans le calendrier gouvernemental habituel. L’annonce initiale du voyage de Støre à Szczecin a été retirée de son agenda. Où se trouvait le Premier Ministre Støre durant cette période ? Le dimanche 18 septembre, Støre et son Ministre de la Défense, Bjørn Arild Gram, se sont rendus aux États-Unis. Le lendemain, ils ont visité le porte-avions états-unien USS Gerald R. Ford et le Commandement des Forces Conjointes de l’OTAN à Norfolk, près de Washington DC. Ils ont été guidés par Carlos Del Toro, le Secrétaire de la Marine états-unienne, [c’est-à-dire de l’U.S. Navy accusée par Hersh et Tunander d’être impliquée dans le sabotage de Nord Stream]. Ils ont visité le quartier général de la Deuxième Flotte des États-Unis et du Commandement de l’OTAN, où ils ont également rencontré des officiers norvégiens. Le soir, le Premier Ministre Støre a rendu visite à Nancy Pelosi et à Mitch McConnell au Congrès. Le 20 septembre, Støre a assisté à l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York et il a eu une réunion avec le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Støre a prononcé le discours de la Norvège devant l’Assemblée générale le 22 septembre, ainsi qu’au Conseil de Sécurité le même jour. Le soir, il a participé à une réunion transatlantique des Ministres des Affaires étrangères dirigée par [le Secrétaire d’État] Antony Blinken, avant de rentrer en Norvège. » Décidée à la fin de sa visite aux États-Unis, après sa rencontre avec le Secrétaire de l’U.S. Navy Del Toro, puis avec le principal architecte de la guerre par procuration de l’OTAN en Ukraine Antony Blinken, son absence inexpliquée à l’inauguration du Baltic Pipe ne prouve pas, mais suggère fortement – à la lumière des éléments précités –, sa possible pré-connaissance d’un sabotage imminent de l’infrastructure Nord Stream.
Tel qu’analysé par Tunander, « le problème de Støre était qu’une attaque contre (…) [ces] gazoducs le 26 septembre rendrait impossible sa participation à la cérémonie d’inauguration [du Baltic Pipe] en Pologne [le lendemain]. Sa participation à l’évènement de Szczecin risquait d’être perçue comme une célébration norvégienne de la destruction de Nord Stream, (…) comme si la Norvège fêtait l’élimination de la Russie en tant que principal concurrent gazier de la Norvège, et comme si l’Europe entrait désormais dans une nouvelle ère avec le gaz russe remplacé par du gaz occidental [, y compris grâce au Baltic Pipe]. Nous savons que les dirigeants polonais étaient plus qu’heureux de célébrer la destruction de Nord Stream. Le député européen polonais et président de sa délégation auprès des États-Unis, l’ancien Ministre de la Défense et des Affaires étrangères Radosław Sikorski, a écrit sur Twitter le 27 septembre, juste après l’attaque contre les gazoducs : “Merci, les USA”. Peu de temps après, le Premier Ministre polonais Mateusz Morawiecki l’a critiqué pour ce tweet, le qualifiant d’irresponsable, mais si un ministre ou un politicien norvégien avait exprimé un tel sentiment, cela aurait provoqué un tollé majeur. (…) La présence de Støre à Szczecin aurait été tout aussi scandaleuse, attirant l’attention sur les bénéfices accrus de la Norvège après la destruction des gazoducs germano-russes. »
Sur le long terme, la Norvège et les États-Unis bénéficieront de la destruction de Nord Stream
À la suite de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie en février 2022, « la Norvège a continuellement renforcé sa position en tant que principal fournisseur [gazier du continent] européen. Le pays a augmenté ses exportations vers l’Allemagne à des niveaux sans précédent, représentant 48 % des importations de gaz au cours des neuf premiers mois de 2023, contre moins de 20 % il y a moins de deux ans », selon HighNorthNews.com. Comme l’a observé le New York Times en avril 2023, « alors que la Russie réduisait ses exportations de gaz naturel l’année dernière, la Norvège les augmentait, devenant désormais le principal fournisseur de ce combustible en Europe. La Norvège fournit également de plus grandes quantités de pétrole à ses voisins, remplaçant le carburant russe sous embargo. “La guerre et la situation énergétique actuelle ont montré que l’énergie norvégienne est extrêmement importante pour l’Europe”, a déclaré Kristin Fejerskov Kragseth, directrice générale de Petoro, une entreprise publique qui gère les actifs pétroliers norvégiens. “Nous avons toujours été importants”, a-t-elle ajouté, “mais peut-être que nous ne le réalisions pas”. »
Il faut souligner que la hausse de la demande européenne en gaz norvégien ne résulte pas du sabotage des gazoducs, sachant que le gouvernement allemand avait refusé d’homologuer Nord Stream 2 juste avant l’invasion russe de l’Ukraine. De plus, en septembre 2022, « la Russie avait réduit ses approvisionnements en gaz via Nord Stream 1 pendant plusieurs mois. En juin [de la même année], elle avait diminué les livraisons par ce gazoduc de 75 % – passant de 170 millions de mètres cubes de gaz par jour à environ 40 millions. En juillet [2022], la Russie l’a fermé pendant 10 jours, invoquant la nécessité de travaux de maintenance. Lors de sa réouverture, le flux avait été réduit de moitié à 20 millions de mètres cubes par jour. Fin août [2022], elle a complètement arrêté Nord Stream 1, prétextant des problèmes d’équipement. Le gazoduc n’avait pas été rouvert depuis », si bien que le gaz qu’il contenait ne circulait plus vers l’Allemagne et l’Europe lorsqu’il a été détruit. Cependant, cette attaque sans précédent contre l’infrastructure énergétique européenne a probablement éliminé toute possibilité d’exportations massives de gaz russe vers l’UE à l’avenir, tout en privant le Kremlin d’un levier d’influence majeur sur l’Europe. Ce fait diminue davantage la plausibilité d’une implication russe dans cette attaque. En effet, ce sabotage a consolidé de manière décisive la position de la Norvège en tant que principal fournisseur de gaz à l’Europe sur le long terme, tandis que le GNL exporté par les États-Unis est devenu une nouvelle source majeure de substitution au gaz russe. Il est également à noter que la Commission européenne prévoit d’arrêter toutes les importations de gaz russe à l’horizon 2027.
Dans un tel contexte, il est difficile d’expliquer l’annulation soudaine – et non justifiée par une urgence publiquement connue –, de la participation du Premier Ministre norvégien à l’inauguration du Baltic Pipe autrement que par sa possible pré-connaissance de l’opération contre les gazoducs Nord Stream. Bien entendu, ce soupçon n’aurait pas nécessairement de pertinence si Seymour Hersh n’avait pas suggéré la complicité potentielle de la Norvège dans la préparation de ces attaques. Cependant, les services spéciaux norvégiens ont-ils participé à leur mise en œuvre ? Sur cette question cruciale, Hersh a affirmé qu’un P8-A Poseidon de la Marine norvégienne aurait été l’avion qui a largué la bouée sonar pour déclencher les explosifs. Tunander a une évaluation différente, basée sur son enquête approfondie qui révèle les sorties nocturnes hautement suspectes de plusieurs P8-A de la Marine états-unienne au-dessus de la mer Baltique entre le 8 et le 26 septembre 2022 – en particulier les nuits du 22/23 et du 24/25 septembre, tel que documenté précédemment.
Selon lui, « le fait que les pipelines aient été mis hors service la veille de l’inauguration du gazoduc [norvégo-polono-danois] (…) peut s’expliquer d’une manière ou d’une autre, et il est certain que l’on n’aurait pas pu, du point de vue norvégien, choisir un jour pire que celui-ci. (…) Peut-être que quelqu’un, (…) y compris le Premier Ministre Støre lui-même, a fait marche arrière, en estimant que la Norvège “n’était pas prête à s’en charger”, parce que les États-Unis avaient livré leurs P-8A Poseidon trop tard. Le 22 septembre, cinq jours avant la cérémonie d’inauguration du Baltic Pipe norvégo-polono-danois à Szczecin, (…) et après une journée complète de visites avec le Secrétaire de la Marine des États-Unis (…) à la base navale de Norfolk, près de Washington, puis [peu] après sa rencontre avec le Secrétaire d’État Antony Blinken, Støre a inexplicablement annulé sa participation à cet évènement. » Dès lors, il est possible que l’utilisation d’un P8-A norvégien alléguée par Hersh ait été refusée par Støre après avoir été initialement prévue pour couvrir les probables architectes états-uniens de cette opération – du moins si l’on considère avec le sérieux qu’il mérite le « Merci, les USA » tweeté par l’influent député polonais et figure néoconservatrice Radosław Sikorski à la suite du sabotage de Nord Stream.
Dans la seconde partie de cette analyse, nous replacerons cette attaque et la mise en service, dès le lendemain, du Baltic Pipe dans le plus large contexte géostratégique de la méconnue Initiative des Trois Mers (ITM), dont la Pologne est un acteur central, et qui permet à la Norvège d’amplifier ses exportations de gaz naturel vers l’Europe centrale et méridionale depuis début octobre 2022. Nous reviendrons alors sur la vieille obsession stratégique de Washington, qui est d’empêcher tout rapprochement durable entre l’Allemagne et la Russie. En substance, cet objectif clé est en train d’être parachevé grâce à la guerre en Ukraine provoquée par les néoconservateurs états-uniens – en particulier depuis le coup d’État du Maïdan de février 2014 –, au redéploiement irresponsable de l’OTAN en Europe de l’Est et dans les pays baltes à partir de 2015, et au sabotage de Nord Stream qui est opportunément attribué au général Valeriy Zaloujny par les médias occidentaux.
Maxime Chaix
Journaliste indépendant, essayiste et traducteur, Maxime Chaix est spécialisé dans l’étude approfondie des opérations clandestines occidentales, de la politique étrangère des États-Unis et de l’instrumentalisation étatique du terrorisme islamiste. Entre 2009 et 2015, il a traduit trois ouvrages de l’universitaire, essayiste et ancien diplomate canadien Peter Dale Scott. En 2019, il a publié son premier essai, intitulé La guerre de l’ombre en Syrie, aux Éditions Erick Bonnier. Déplorant le soutien irréfléchi de la majorité des médias français pour le militarisme de Washington et de ses principaux alliés, dont l’État français, Maxime Chaix pratique un journalisme à l’anglo-saxonne, résolument critique envers les excès militaires occidentaux et le conformisme universitaire, politique et médiatique qui les légitime.
L’affaire Nord Stream (2/2) : un sabotage qui a replacé l’Initiative des Trois Mers au centre du jeu
EXCLUSIF : Photographie jamais publiée de plongeurs d’une force spéciale européenne (Sabotage, rens..).
Ils sont équipés avec le système recycleur à circuit fermé (CC), on peut voir ici au premier plan le système de dos.
Photo Jean-Paul Louis Ney.
L’affaire Nord Stream (2/2) : un sabotage qui a replacé l’Initiative des Trois Mers au centre du jeu
Par Maxime Chaix – Le Diplomate – publié le 8 octobre 2024
L’Initiative des Trois Mers : un substitut à Nord Stream impulsé par Washington
Dans la première partie de cette analyse, nous avons exposé un faisceau d’indices solides qui tendent à indiquer non pas une responsabilité russe ou ukrainienne dans la destruction de trois des quatre gazoducs Nord Stream, mais une possible opération clandestine états-uno-norvégienne. À travers cette seconde et dernière partie, nous expliquerons pourquoi cet acte de sabotage industriel sans précédent favorisera de manière durable et décisive 1) les exportations de gaz naturel de la Norvège vers l’Europe via le Baltic Pipe, un gazoduc construit par le Danemark et la Pologne, et inauguré le lendemain des attaques contre Nord Stream, et 2) les importations de gaz naturel liquéfié des États-Unis par les pays d’Europe centrale et orientale via l’architecture de l’Initiative des Trois Mers (ITM), un projet soutenu par Washington et élaboré par l’Atlantic Council à partir de 2014, lancé par la Pologne et la Croatie l’année suivante, et grâce auquel le Baltic Pipe livre du gaz norvégien via le territoire polonais depuis début octobre 2022. Alors que l’influent député polonais Radosław Sikorski avait tweeté « Merci, les USA » au lendemain du sabotage de Nord Stream – c’est-à-dire le jour de l’inauguration du Baltic Pipe –, il est crucial de s’intéresser de plus près à la Pologne, et plus largement à l’Europe centrale et orientale dont elle est un acteur majeur, en particulier dans le cadre de l’ITM et de la redirection des flux gaziers que ce projet transnational concrétise au détriment du gaz russe et de la relation russo-allemande.
Ayant depuis longtemps la réputation d’être un néoconservateur, Sikorski n’a pas été sanctionné pour avoir sous-entendu sur Twitter que l’administration Biden était à l’origine de l’attaque contre Nord Stream. En effet, il est redevenu Ministre des Affaires étrangères de la Pologne en décembre 2023. Ce puissant politicien, dont les liens intimes avec Washington sont bien connus, n’était pas le seul décideur occidental à exprimer sa grande satisfaction après le sabotage de Nord Stream. Quatre jours après cet événement, le notoirement belliciste Secrétaire d’État Antony Blinken qualifia publiquement cette destruction de «formidable opportunité de supprimer une fois pour toutes la dépendance [européenne] à l’énergie russe et d’ainsi ôter à Vladimir Poutine l’arme de l’énergie utilisée pour faire avancer ses desseins impérialistes. Cela est très important et cela offre une formidable opportunité stratégique pour les années à venir. » Admise ouvertement et à plusieurs reprises, cette ambition états-unienne se concrétise grâce à l’Initiative des Trois Mers, un projet transnational lancé et soutenu par les États-Unis, dont l’objectif principal est de mettre fin à la dépendance de l’Union européenne au gaz russe en réorientant les flux énergétiques du nord de l’Europe – spécifiquement le gaz norvégien via le Baltic Pipe – vers le centre et le sud du continent, et même au-delà.
Élaboré et promu par l’Atlantic Council depuis 2014, lancé par la Pologne et la Croatie en 2015, et impliquant actuellement treize pays d’Europe centrale, orientale et méridionale, le projet ITM a récemment ajouté la Grèce et la mer Égée comme quatrième zone maritime dans cette architecture transnationale en développement. En 2017, cette politique a été décrite par son principal concepteur et ancien haut gradé du Pentagone comme « “un projet visant à unifier la région d’Europe entre la Baltique, l’Adriatique, (…) la mer Noire [, et désormais la mer Égée] grâce à des infrastructures énergétiques (…) [qui] devraient être une priorité stratégique pour l’administration [Trump]”, selon le général des Marines à la retraite James L. Jones, président du Brent Scowcroft Center on International Security de l’Atlantic Council, lors du sommet de l’organisation à Istanbul le 28 avril [2017]. “C’est un projet véritablement transatlantique qui a d’énormes ramifications géopolitiques, géostratégiques et géoéconomiques”, a affirmé Jones, qui a été Conseiller à la Sécurité nationale sous l’administration Obama. Par conséquent, il a soutenu que “nous devons cultiver l’intérêt de la nouvelle administration états-unienne [pour ces enjeux]. En renforçant la région des Trois Mers, et par extension le reste de l’Europe, cette initiative renforcera l’ensemble de la communauté transatlantique”, a-t-il ajouté. »
Comme l’a souligné le général Jones lors de ce sommet, « l’Initiative des Trois Mers vise à unir les douze [, et désormais treize] pays de l’Union européenne en Europe orientale et centrale en créant une infrastructure Nord-Sud dans les secteurs des télécommunications, de l’énergie et des transports. Bien que cette initiative ne soit pas directement punitive envers la Russie, selon Jones, elle est conçue pour atténuer l’influence du Kremlin dans le secteur énergétique européen, que Moscou a exercée au détriment des États membres de l’UE. » L’objectif de capter l’attention de l’administration Trump sur ce projet a été atteint, puisque le Président lui-même a assisté au sommet de Varsovie dédié à l’Initiative des Trois Mers en juillet 2017. À cette occasion, Trump a vertement critiqué l’Allemagne pour le développement de Nord Stream 2, ce qui a conduit à un intérêt croissant de Berlin pour le projet ITM. En conséquence, au cours du mois de juillet 2021, l’Allemagne a exprimé sa volonté de l’intégrer dans les « politiques et instruments d’investissement de l’Union européenne ».
L’année précédente, le Secrétaire d’État de Trump, Mike Pompeo, avait annoncé que le gouvernement des États-Unis « envisage[ait] de fournir jusqu’à 1 milliard de dollars de financement aux pays d’Europe centrale et orientale participant à l’Initiative des Trois Mers. Notre objectif [était] assez simple : (…) dynamiser les investissements du secteur privé dans le domaine de l’énergie pour protéger la liberté et la démocratie à travers le monde. » Lancée en février 2020, cette promesse d’aide financière états-unienne ne s’est jamais concrétisée, sachant que Trump a perdu les élections au début du mois de novembre de cette même année. Cependant, d’importants investissements ne sont plus nécessaires pour les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) états-unien vers le continent européen car, comme l’ont expliqué en mars dernier les chercheurs Paweł Czyżak et Nolan Theisen, « la capacité mondiale d’infrastructure pour le GNL semble croître bien plus que la demande de gaz réelle, en particulier sur le continent européen – le plus grand marché pour les exportations états-uniennes de GNL. Les données d’Europe centrale et orientale montrent que, dès 2025, la capacité d’importation de GNL dans les pays de l’Initiative des Trois Mers dépassera les importations historiques de gaz russe par gazoduc. Cela signifie que la consommation de GNL dans la région devra non seulement remplacer le gaz russe, mais également croître au-delà de ce niveau. » En résumé, la politique des Trois Mers lancée sous l’administration Obama et soutenue par le cabinet Trump a gagné une plus grande pertinence stratégique pour les décideurs de Washington après l’invasion russe de l’Ukraine, mais sans nécessiter d’importants investissements de la part des États-Unis.
Le 20 juin 2022, trois jours après la fin de l’exercice BALTOPS 22 commandé par l’OTAN – et qui pourrait avoir servi de couverture pour piéger les gazoducs Nord Stream –, le Secrétaire d’État Antony Blinken déclara que « la guerre d’agression du gouvernement russe contre l’Ukraine a rendu le développement de l’Initiative des Trois Mers encore plus urgent – pour tous ses membres et partenaires, et pour chacun des domaines d’intervention de ce plan : l’énergie, le transport et les communications numériques. Même avant [l’invasion russe de l’Ukraine lancée le] 24 février [2022], la concrétisation d’une plus grande sécurité énergétique nécessitait la diversification des sources, des routes d’approvisionnement et des types d’énergie. L’embargo de l’Union européenne sur le pétrole russe et son plan visant à réduire considérablement les importations de gaz naturel russe ont rendu ce travail indispensable. Une plus grande indépendance énergétique rendra les États membres moins vulnérables à la coercition du Kremlin. Et cela privera le gouvernement russe de ressources massives qu’il a utilisées pour financer son attaque contre l’indépendance de l’Ukraine et d’autres pays ces dernières années. » Le mois précédent, il avait été annoncé que le « gazoduc Pologne-Lituanie, c’est-à-dire l’interconnexion transfrontalière reliant les systèmes polonais et lituanien de transmission de gaz, venait d’être mis en service. Il [permettra] également de transporter du gaz vers la Lettonie et l’Estonie. Cette infrastructure gazière stratégique et essentielle est une étape importante pour l’Initiative des Trois Mers et pour l’Union européenne », un projet décrit par les autorités polonaises comme « la réaction la plus forte et la plus adaptée face aux actions de la Russie. »
Tel que détaillé sur le site officiel de l’Initiative des Trois Mers en mai 2024, la Pologne cherche également à parachever la « diversification des sources d’approvisionnement en gaz et l’intégration des infrastructures gazières dans la région des Trois Mers avec la mise en œuvre du projet Baltic Pipe et des interconnexions transfrontalières [entre la] République de Pologne [et la] République slovaque (…) [, ainsi qu’entre la Pologne et] l’Ukraine ». En d’autres termes, le Baltic Pipe inauguré le lendemain du sabotage de Nord Stream joue désormais un rôle clé dans cette stratégie visant à réduire la dépendance européenne au gaz russe, « surtout compte tenu de l’opposition farouche de la Pologne aux gazoducs [Nord Stream] », comme l’ont observé FAIR.org. Dans le même temps, la Croatie, la Hongrie, la Lituanie et la Slovénie étendent également leurs infrastructures gazières, tandis que la Croatie, la Lituanie et la Lettonie développent des terminaux de GNL qui favoriseraient les exportations de gaz naturel liquéfié états-unien de plus en plus massives vers le continent européen.
Grâce au sabotage de Nord Stream, l’Initiative des Trois Mers affaiblira l’Allemagne au profit de la Pologne
Jusqu’à récemment, le développement de l’Initiative des Trois Mers a rencontré plusieurs obstacles. Parmi eux, il est important de noter que Berlin s’y est longtemps opposée, principalement en raison de ses craintes que ce projet 1) ait un impact négatif sur l’économie allemande, 2) augmente de manière disproportionnée l’influence des États-Unis et leurs exportations de gaz en Europe centrale et orientale, et 3) affaiblisse la pertinence de l’architecture Nord Stream. Comme l’a expliqué le chercheur Martin Dahl en décembre 2019, « la mise en œuvre de projets d’infrastructures sur l’axe Nord-Sud à l’est de la frontière allemande, qui renforcerait la capacité des ports baltes non allemands et déplacerait une partie du transport routier vers l’Europe centrale et orientale, augmenterait la concurrence et pourrait réduire les bénéfices des entreprises allemandes. Également dans le domaine de l’énergie, les plans de l’Initiative des Trois Mers entrent en conflit avec les intérêts allemands dans les gazoducs Nord Stream. »Depuis que la majeure partie de cette infrastructure est devenue « un tas de métal au fond de la [mer Baltique] », pour reprendre les termes provocateurs de la Sous-secrétaire d’État Victoria Nuland en janvier 2022, l’obstacle Nord Stream a été éliminé. À l’avenir, il serait certainement préjudiciable pour l’Allemagne de ne pas accroître son implication dans l’Initiative des Trois Mers – ne serait-ce que pour gagner de l’influence dans son développement, notamment dans les domaines du transport, des infrastructures portuaires et, depuis la destruction de trois des quatre gazoducs de Nord Stream, de la sécurité énergétique.
Le sabotage de Nord Stream a rempli un objectif stratégique majeur de Washington : empêcher tout rapprochement germano-russe
Le 30 avril 2024, le Secrétaire d’État Antony Blinken a déclaré lors du Forum économique mondial à Riyad que « l’Europe s’est éloignée de sa dépendance à l’énergie russe de manière extraordinaire, et ce en l’espace de seulement deux ans », sans mentionner le fait pourtant crucial que le sabotage des gazoducs Nord Stream, l’Initiative des Trois Mers et le Baltic Pipe ont été des facteurs clés dans la réalisation de ce vieil objectif stratégique de Washington. Dix ans plus tôt, c’est-à-dire en 2014, l’ancienne Secrétaire d’État Condoleezza Rice avait en effet affirmé que « les Européens devront remplacer leur dépendance au gaz russe par du gaz états-unien, notamment du GNL, ce qui supposerait l’élimination des gazoducs Nord Stream. Pour Condoleezza Rice, le plus important était de mettre fin à la collaboration russo-européenne et d’éliminer leur “union gazière et industrielle” – en d’autres termes, de couper la Russie de l’Europe. » Confirmant cette ambition majeure de Washington, George Friedman – le fondateur de la « CIA privée » Stratfor –, expliqua l’année suivante que, «pour les Américains, la peur la plus centrale est (…) la combinaison de la technologie et du capital allemands avec les ressources naturelles et la main-d’œuvre russes – la seule combinaison qui, depuis des siècles, terrifie les États-Unis. Alors quelles sont les conséquences de tout cela ? Eh bien, les États-Unis ont déjà montré leurs cartes : c’est la ligne des pays allant de la Baltique à la mer Noire », comme le confirme le développement continu de l’Initiative des Trois Mers dans cette région et le redéploiement provocateur de l’OTAN dans cette même zone, une stratégie résumée en 2015 par Friedman comme l’imposition d’un « cordon sanitaire » antirusse.
Comme l’a observé en mars 2023 le journaliste polonais Agaton Koziński, « la politique d’endiguement des pulsions agressives du Kremlin porte ses fruits. Depuis que les pays de l’Europe centrale et orientale ont assumé la charge principale de ces mesures [de soutien massif à l’Ukraine contre la Russie], l’équilibre des pouvoirs en Europe a commencé à changer. Ce n’est pas seulement le Chancelier Scholz qui l’a remarqué. “La visite du Président Biden en Pologne au mois de février 2023 est perçue comme une correction face à la domination écrasante des États membres occidentaux dans la politique de l’UE”, a écrit le professeur John Keiger, historien à l’Université de Cambridge, dans l’hebdomadaire The Spectator. “L’époque où un Président français comme Jacques Chirac pouvait dire aux États d’Europe de l’Est qu’ils feraient bien de se taire est révolue”, a-t-il ajouté. On entend la même rengaine ailleurs. “Une chose est claire : un important pivot vers le flanc est de l’OTAN est en cours”, a écrit Roger Boyes, rédacteur international du quotidien britannique The Times. “On a vraiment l’impression que, sur le continent européen, le centre de gravité s’est déplacé vers l’Est”, a commenté le général Ben Hodges, ancien commandant de l’armée états-unienne en Europe. »
Dans le discours susmentionné, George Friedman souligna le fait qu’au début de l’année 2015, ce même « général Ben Hodges, alors commandant de l’U.S. Army en Europe, a visité l’Ukraine. Il a annoncé que des instructeurs états-uniens allaient officiellement arriver, et non plus officieusement. Il a même accroché des médailles à des combattants ukrainiens ce qui, selon le protocole militaire, ne peut normalement pas être fait à des étrangers, mais [le général Hodges] l’a fait, montrant que [les forces militaires ukrainiennes] étaient “son” armée. Il est ensuite parti et, dans les pays baltes, il a annoncé que les États-Unis allaient pré-positionner des blindés, de l’artillerie et d’autres équipements dans les pays baltes, en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie, ce qui est un point très intéressant. Donc (…) hier, les États-Unis ont annoncé qu’ils enverraient des armes, bien sûr, ce soir ils le nieront, mais les armes seront envoyées. Dans tout cela, les États-Unis ont agi en dehors du cadre de l’OTAN parce que l’OTAN doit obtenir un vote unanime à cent pour cent. »
Il ajouta un point crucial, soulignant que de nombreux stratèges occidentaux et lui-même étaient parfaitement conscients que la politique agressive des États-Unis en Ukraine et au sein de l’Europe centrale et orientale – c’est-à-dire de la mer Baltique à la mer Noire –, était perçue par la Russie comme une menace existentielle. En effet, il résuma son propos en expliquant que « la question qui se pos[ait] pour les Russes [en 2015] était la suivante : garderont-ils une zone tampon qui soit au moins neutre, ou l’Occident pénétrera-t-il tellement loin en Ukraine qu’il se trouvera à 100 kilomètres de Stalingrad et à 500 kilomètres de Moscou ? Pour la Russie, le statut de l’Ukraine est une menace existentielle, et les Russes ne peuvent pas lâcher sur ce point. Pour les États-Unis, si la Russie garde l’Ukraine, où s’arrêtera-t-elle ? Il n’est donc pas surprenant que le général Hodges, qui a été désigné pour essuyer les critiques engendrées par [cette stratégie], parle de pré-positionner des troupes en Roumanie, en Bulgarie, en Pologne et dans les pays baltes. C’est l’Intermarium, de la mer Noire à la mer Baltique, dont rêvait [l’ancien Premier Ministre polonais Józef] Piłsudski. C’est la solution pour les États-Unis », dont la mise en œuvre sur le plan énergétique a été grandement facilitée par l’Initiative des Trois Mers – un projet qui, selon les propos du général Hodges en avril 2020, « accentuerait l’indépendance énergétique de l’Europe centrale et orientale (…) [dans un contexte de] concurrence entre grandes puissances dans le domaine économique ». Comme nous l’avons documenté dans la première partie de cette analyse, le sabotage de l’infrastructure Nord Stream fut un facteur clé dans l’implémentation de cette stratégie disruptive ouvertement soutenue par les États-Unis. Cependant, la « zone d’exclusion intellectuelle » qui entoure cette attaque a garanti jusqu’à présent le fait que cet événement reste irrésolu, malgré de solides indices suggérant une possible responsabilité centrale de Washington dans cet acte de guerre non seulement contre la Russie, mais également contre l’Allemagne et les autres pays européens qui ont co-développé cette infrastructure.
Maxime Chaix
Journaliste indépendant, essayiste et traducteur, Maxime Chaix est spécialisé dans l’étude approfondie des opérations clandestines occidentales, de la politique étrangère des États-Unis et de l’instrumentalisation étatique du terrorisme islamiste. Entre 2009 et 2015, il a traduit trois ouvrages de l’universitaire, essayiste et ancien diplomate canadien Peter Dale Scott. En 2019, il a publié son premier essai, intitulé La guerre de l’ombre en Syrie, aux Éditions Erick Bonnier. Déplorant le soutien irréfléchi de la majorité des médias français pour le militarisme de Washington et de ses principaux alliés, dont l’État français, Maxime Chaix pratique un journalisme à l’anglo-saxonne, résolument critique envers les excès militaires occidentaux et le conformisme universitaire, politique et médiatique qui les légitime.
Laure Foucher, Maitre de recherche sur le Moyen-Orient à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Cette émission s’inscrit dans le cadre des Rencontres Stratégiques de la Méditerranée RSMED 2024, dont la FRS est partenaire aux côtés de la FMES. Laure Foucher a précédemment travaillé de nombreuses années pour le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Armées, à Paris comme au Moyen-Orient. Laure Foucher a également travaillé durant 4 ans pour l’International Crisis Group sur la politique européenne au Moyen-Orient. Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com, il anime Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée en direct le 8 octobre 2024. Synthèse rédigée par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge depuis septembre 2024 du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.com.
Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Quelle est la situation en Israël et dans la bande de Gaza ? Pourquoi le conflit israélo-palestinien déborde-t-il au Liban ? Au-delà du Liban, quelles sont ses répercussions régionales ? Enfin, dans ce conflit, quel est le poids des différents acteurs internationaux comme les Etats-Unis, la Chine et la Russie, ou bien encore l’Union européenne ? Pour répondre, nous avons l’honneur de recevoir Laure Foucher. En plus du podcast, cette page offre une synthèse rédigée par E. Bourgoin, relue et validée par L. Foucher.
Cette émission, Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher, sur RND
Cette émission, Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher, sur RCF
Synthèse de cette émission, Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com, relue et validée par L. Foucher
LE 7 octobre 2023 marque une date clé dans l’histoire du Moyen-Orient. Un an plus tard, en octobre 2024, il est essentiel de comprendre les répercussions de cet événement sur la situation en Israël, à Gaza, en Cisjordanie, ainsi que son impact régional et international. Cette synthèse explore les conséquences de cette rupture stratégique, les calculs des différents acteurs impliqués et les perspectives pour l’avenir.
Un bouleversement des calculs stratégiques
La rupture du 7 octobre 2023 ne réside pas dans un renversement des tendances de long terme, mais plutôt dans une réévaluation des stratégies des acteurs régionaux, notamment d’Israël. Cet événement a poussé Israël à revoir sa perception de son environnement stratégique et à ajuster sa manière de traiter ses ennemis. Les calculs du Hamas, du Hezbollah et de l’Iran n’ont pas su anticiper l’ampleur du changement. Le Hamas, par exemple, a sous-estimé l’impact stratégique des otages capturés, pensant qu’ils serviraient de levier de négociation.
Le Hezbollah a également mal évalué la détermination d’Israël à affaiblir ses forces. Israël a démontré une tolérance zéro vis-à-vis du Hamas, du Hezbollah et des proxys iraniens. Ce changement stratégique se manifeste par la volonté d’Israël de briser l’encerclement mis en place par l’Iran à travers ses alliés régionaux. Pour Israël, il ne s’agit plus de contenir la menace, mais de l’éliminer de manière systématique, notamment en frappant directement les capacités militaires du Hezbollah et sa chaine de commandement.
Cette réévaluation stratégique a des répercussions profondes, non seulement pour Israël, mais aussi pour l’ensemble de la région. La démonstration de force d’Israël pourrait entraîner un bouleversement durable des rapports de force au Moyen-Orient. Le pays cherche à restaurer une dissuasion qui a été mise à mal par les événements du 7 octobre 2023, montrant que son armée et son leadership politique sont capables de reprendre l’avantage face à ses ennemis.
Une situation humanitaire désastreuse à Gaza
En octobre 2024, la bande de Gaza fait face à une catastrophe humanitaire sans précédent. Les chiffres sont accablants : plus de 41 000 morts, 96 000 blessés, et 17 000 enfants séparés de leurs familles. De plus, 96 % de la population se trouve en situation de précarité alimentaire. La destruction quasi totale de Gaza laisse planer une incertitude sur son avenir : sera-t-elle un jour à nouveau habitable ? L’absence de perspectives d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas laisse présager une dégradation continue de la situation.
Laure Foucher
Laure Foucher, Maitre de recherche sur le Moyen-Orient à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Crédit photographique : Pierre Verluise
Foucher/Verluise
Absence de perspectives de cessez-le-feu
Les négociations pour un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas ont échoué à plusieurs reprises. Israël refuse d’inscrire la fin des opérations militaires dans un tel accord, tandis que le Hamas réclame un cessez-le-feu permanent. La prise de Rafah par l’armée israélienne a définitivement fermé la porte à toute possibilité de compromis à ce stade. Tant qu’Israël n’obtient pas les garanties sécuritaires exigés de l’Égypte, la guerre semble vouée à se poursuivre.
L’extension du conflit
Depuis le 7 octobre 2023, la Cisjordanie est également le théâtre d’opérations militaires israéliennes. Ces interventions, justifiées comme visant à neutraliser les bastions armés, se sont intensifiées, avec des bombardements aériens et des restrictions sévères sur les déplacements. Parallèlement, la colonisation israélienne a connu une expansion sans précédent, renforçant le projet du « Grand Israël ». Cette dynamique met en péril tout espoir de solution politique pour les Palestiniens.
Le Hezbollah a ouvert un front au nord d’Israël dès le 8 octobre 2023, liant son sort à celui d’un cessez-le-feu à Gaza. L’élimination de Hassan Nasrallah a marqué un tournant majeur. Ce dernier était une figure de proue de l’axe de la résistance, tant idéologiquement qu’opérationnellement. Cette élimination affaiblit non seulement le Hezbollah mais également l’Iran, qui a développé une stratégie de défense avancée reliant ses partenaires régionaux à sa propre sécurité.
Les gains tactiques d’Israël ne doivent pas masquer son impasse stratégique.
Les limites de la stratégie d’Israël
Israël cherche à restaurer la dissuasion vis-à-vis de l’Iran, notamment en affaiblissant le Hezbollah et en éliminant ses capacités militaires. En éliminant le Hezbollah, Israël vise à avoir les mains libres en cas d’escalade directe avec l’Iran. Cependant, cette stratégie comporte des limites importantes.
Du côté iranien, malgré son soutien au Hezbollah, l’Iran a jusqu’à présent évité une confrontation directe avec Israël. La mort de Nasrallah, leader du Hezbollah, pourrait rebattre les cartes, mais Téhéran reste prudent. L’Iran est conscient de sa vulnérabilité militaire face à Israël et préfère se concentrer sur le long terme, notamment en évitant un conflit qui favoriserait un retour de Donald Trump au pouvoir, ce qui compromettrait les négociations sur les sanctions économiques et le dossier nucléaire.En outre, les gains tactiques d’Israël ne doivent pas masquer son impasse stratégique.
Le rôle des puissances internationales
Dans ce contexte, les acteurs internationaux jouent un rôle crucial, mais souvent limité. Les États-Unis, traditionnellement alliés d’Israël, ont été critiqués pour leur soutien inconditionnel à Tel-Aviv, notamment en fournissant des armes et en refusant de faire pression pour un cessez-le-feu. De l’autre côté, la Russie et la Chine profitent de l’affaiblissement diplomatique de l’Occident pour consolider leurs positions stratégiques au Moyen-Orient, bien que leur implication directe dans la crise reste limitée.
L’Union européenne, pour sa part, se trouve marginalisée, incapable de peser sur les négociations malgré son rôle important dans l’aide humanitaire. Si certains États européens tentent de jouer un rôle diplomatique, notamment par le biais de groupes comme l’E3, ils peinent à influencer significativement le cours des événements.
Copyright pour la synthèse 2024-Octobre-Bourgoin/Diploweb.com
Présentation du concept de l’émission Planisphère par Pierre Verluise
Planisphère est une émission de géopolitique proposée par Radio Notre Dame et RCF. Planisphère est animée par Hugo Billard jusqu’au 31 août 2024 ; par Pierre Verluise (Diploweb.com) depuis le 3 septembre 2024. Chaque semaine des historiens, des géographes, des géopoliticiens, des diplomates, des stratèges et des acteurs des relations internationales prennent le temps de mettre en perspective les soubresauts du monde. Planisphère cherche à comprendre l’actualité mondiale dans l’espace et dans le temps, en privilégiant la clarification des jeux des acteurs comme des résultats sur les territoires. Pierre Verluise cherche à mettre à jour l’interaction des échelles et les dynamiques de la puissance, définie comme une capacité de faire, de faire faire, de refuser de faire ou d’empêcher de faire. Cette émission est disponible en podcast sur les sites et les applications de ces deux radios, comme sur le Diploweb.com qui offre en bonus une synthèse rédigée, validée dans la mesure du possible par l’intervenant.
Des documents divulgués par le site américain The Gray Zone[1] révèlent qu’avant le renversement de la Première ministre bangladaise Sheikh Hasina, l’International Republican Institute (IRI), financé par le gouvernement américain, a formé une armée d’activistes, y compris des rappeurs et des membres de la communauté LGBT. L’IRI a même organisé des « performances de danse transgenre » pour atteindre un « changement de pouvoir » au niveau national. Les membres du personnel de l’Institut ont déclaré que ces activistes « coopéreraient avec l’IRI pour déstabiliser la politique du Bangladesh ».
Le 5 août, après des mois de manifestations violentes dans les rues, la Première ministre élue ; Sheikh Hasina ; a été renversée. Lorsque l’armée a pris le pouvoir et annoncé la mise en place d’une « administration intérimaire », des vidéos ont montré Hasina fuyant vers l’Inde à bord d’un hélicoptère. Alors que des foules d’étudiants manifestants envahissaient le palais présidentiel, les médias occidentaux et leurs consommateurs progressistes célébraient cette rébellion, la présentant comme une défaite décisive du fascisme et le rétablissement de la démocratie.
Le successeur de Hasina, Muhammad Yunus, est un ancien membre de la Clinton Global Initiative et a reçu un prix Nobel pour avoir développé le microcrédit, une pratique controversée. Yunus a salué le mouvement de protestation « minutieusement conçu » qui l’a propulsé au pouvoir. Hasina, quant à elle, a accusé Washington de travailler pour la déloger en raison de son refus présumé de permettre l’installation d’une base militaire américaine au Bangladesh. Le département d’État a rejeté ces allégations comme étant « risibles », affirmant que les États-Unis n’étaient pas impliqués dans la démission de Hasina. Pourtant, Jeffrey Sachs, lors d’une de ces interviews mi-août avait déjà signalé la responsabilité de Washington dans cet événement[2].
Cependant, les documents divulgués et examinés par The Grayzone confirment que le département d’État était informé des efforts de l’IRI pour atteindre un objectif explicite : « déstabiliser la politique du Bangladesh ». Ces documents sont marqués comme « Confidential » ou « Restricted ».
L’IRI, une organisation dirigée par le Parti républicain et affiliée à la National Endowment for Democracy, a soutenu de nombreuses opérations de changement de régime dans le monde entier depuis sa création sous la direction de William Casey, alors directeur de la CIA.
Les nouveaux fichiers révèlent comment l’IRI a dépensé des millions de dollars avant le renversement de Hasina pour former secrètement des partis d’opposition et établir un réseau d’activistes afin de préparer le changement de régime, en recrutant principalement parmi la jeunesse urbaine du pays. Parmi les « soldats de première ligne » de l’IRI figuraient des rappeurs, des leaders de minorités ethniques et des activistes LGBTQI, tous formés pour faciliter ce que l’IRI appelait un « changement de pouvoir » au Bangladesh.
L’IRI, qui opère à Dhaka depuis 2003, prétend travailler pour aider les partis politiques, les responsables gouvernementaux et les groupes marginalisés à revendiquer leurs droits. Cependant, les documents montrent que l’institut a en réalité financé et formé une large structure politique parallèle, composée d’ONG, de groupes activistes, de politiciens et même d’artistes, visant à susciter des troubles si le gouvernement bangladais refusait de se conformer aux attentes américaines.
L’article conclut en critiquant les actions de l’IRI, en les assimilant à d’autres tentatives américaines de changements de régime dans d’autres pays, tout en soulignant que la situation actuelle au Bangladesh pourrait favoriser un retour à l’influence américaine.
Quel est ce sous-marin français qui équipe de plus en plus d’armées dans le monde ?
Les succès s’accumulent pour le fabricant français de sous-marins, Naval Group. Ce week-end, des échos venant d’Argentine évoquaient la vente à venir de trois nouveaux submersibles français à Buenos Aires.
À Cherbourg, il est encore un peu tôt pour sabler le champagne. Mais les bouteilles sont déjà au frais à l’ombre des grandes nefs du chantier naval où sont construits, pièces après pièces, les sous-marins de Naval Group. L’ancien arsenal normand, qui voit défiler régulièrement des délégations de militaires étrangers, est en effet en passe de remporter un nouveau contrat d’ampleur avec l’Argentine selon la presse sud-américaine, qui se fait l’écho de discussions approfondies entre le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu et son homologue argentin, Luis Petri, justement reçu à Paris la semaine dernière.
Buenos Aires cherche en effet à renouveler une flotte totalement désuète et envisagerait donc l’achat de trois sous-marins Scorpène pour un montant d’environ deux milliards d’euros. Ce modèle est certes moins puissant que les Barracuda qui équipent la Marine française notamment, mais il intéresse beaucoup les pays émergents souhaitant s’équiper à moindres coûts.
C’est notamment le choix qu’a fait son grand rival dans la région le Brésil en 2009, en signant déjà avec Naval Group et l’État français pour s’équiper. En mars dernier, le troisième des quatre sous-marins Scorpène du programme ProSub était en effet mis à l’eau sur la base navale d’Itaguai, en présence du président brésilien Lula et d’Emmanuel Macron.
Après la perte du contrat australien, « nous avons revu notre stratégie« , dit Naval Group
«Ce contrat est une bonne surprise car les Pays Bas ne sont pas un client historique de la France. Ils regardaient plutôt vers TKMS. On voit que pour les sous-marins, plusieurs marchés se superposent. À côté des grands contrats très chers, du matériel plus petit avec un armement limité permet à des pays émergents de s’équiper à tarifs raisonnables», note Julien Malizard, titulaire adjoint de la chaire Économie de défense à l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), dans un long article à venir dans le prochain numéro de Capital (en kiosque fin octobre) où nous avons pu visiter l’installation de Naval Group à Cherbourg.
À cette occasion, la directrice du site, Muriel Lenglin, nous confiait justement que l’industriel s’était redimensionné après l’échec du contrat australien, torpillé par la nouvelle alliance géostratégique portée par les États-Unis et baptisée «Aukus». «Nous avons revu notre stratégie, mais cela n’a pas affecté nos résultats. Ici, avec les 5 000 salariés sur le site, nous réalisons 4,8 millions d’heures de travail par an. L’État français est notre principal client avec 70% du chiffre d’affaires (4,25 milliards d’euros en 2023, NDLR), mais notre objectif est d’équilibrer la répartition avec l’export», nous indiquait notamment Muriel Lenglin juste avant la finalisation du contrat avec les Pays-Bas.
Pour ce qui est du deal avec l’Argentine, une lettre d’intention serait en préparation même si le principal défi du gouvernement de l’ultralibéral Javier Milei, sera de boucler le financement de ce contrat.
Comment en est-on arrivé là ? Alors que l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre et la guerre de Gaza datent tout juste de un an, et que l’absence de résolution de la question palestinienne ne menace d’embraser toute la région, l’auteur retrace l’histoire des négociations entre Israéliens et Palestiniens et les raisons de leur échec.
Marwan Sinaceur est professeur de psychologie sociale à l’ESSEC. Il a un Ph.D. de l’Université Stanford aux États-Unis. Il est spécialiste de la résolution des conflits, des émotions humaines, et de la culture arabe. Il a publié sur ces thèmes dans des revues académiques telles Nature Human Behaviour, Psychological Science, et Journal of Applied Psychology. Ancien Fellow au Stanford Center on Conflict and Negotiation et ancien professeur à l’INSEAD, il a enseigné depuis plus de trente ans en France et dans douze autres pays, notamment le Maroc, le Liban et la Turquie.
L’attaque terroriste effroyable du Hamas, avec près de 1.200 morts et 250 otages (majoritairement des civils, certains toujours en captivité), et les bombardements meurtriers indiscriminés et terribles du gouvernement israélien, avec plus de 42.300 morts, 96.000 blessés, et 2 millions de déplacés (majoritairement des civils, dont 40% d’enfants), ont remis le conflit israélo-palestinien tragiquement sur le devant de la scène.
Certains présentent le conflit comme inéluctable. Mais les horreurs d’aujourd’hui n’étaient pas inéluctables. Les occasions manquées furent nombreuses, et il s’en est fallu de paix que le processus de paix ne réussisse.
Carte histoire Israël Palestine
L’assassinat de Rabin
Les accords d’Oslo, signés en 1993, ont soulevé un immense espoir. Le principe était simple : territoires contre paix. Ils promeuvent la paix contre la restitution des Territoires Occupés par Israël depuis la guerre de 1967, sur la base des résolutions du Conseil de Sécurité. Israël et l’OLP de Yasser Arafat (fédération de mouvements indépendantistes laïcs) se reconnaissent mutuellement. L’OLP reconnaît l’État d’Israël et accepte son droit à la paix et à la sécurité. Ces accords font suite à des négociations secrètes commencées par des rencontres informelles, loin des projecteurs. Ils font aussi suite à une déclaration de Arafat en 1988 par laquelle il reconnaît le droit à l’existence d’Israël. En clair, les accords d’Oslo préconisent une solution à deux États. Ils établissent une autorité intérimaire palestinienne dans les Territoires Occupés et se donnent une période transitoire de cinq ans (soit jusqu’en 1998 !) pour aboutir à un règlement permanent.
Très vite, les choses déraillent. En novembre 1995, Yitzhak Rabin, leader des accords d’Oslo et du camp de la paix en Israël, est assassiné par un terroriste ultraorthodoxe israélien. Benyamin Netanyahou conduit alors l’opposition aux accords d’Oslo et joue un rôle direct dans l’échauffement des esprits qui précède l’assassinat: dans ses manifestations, des personnes portent des panneaux représentant Rabin en uniforme nazi ou chantent « À mort Rabin ! ». Suite à la disparation de Rabin, en mai 1996 des élections se tiennent en Israël : Netanyahou l’emporte de peu (50,5%) face à Shimon Peres qui veut alors poursuivre les accords d’Oslo et le processus de paix. En pleine période pré-électorale, en février-mars 1996, le Hamas commet une série de quatre attentats terroristes en Israël, aveugles et indiscriminés. Bilan: 58 morts israéliens. Par ailleurs, les Arabes israéliens boycottent en majorité les élections, ce qui affaiblit d’autant Peres. Il est clair que ces deux événements jouent un rôle clé dans l’accession au pouvoir de Netanyahou.
Arrivé au pouvoir, Netanyahou arrive à saboter la mise en application des accords d’Oslo en faisant traîner en longueur les négociations avec l’OLP de Arafat, devenue l’Autorité palestinienne, entre 1996 et 1999. Comme le rapporte le Washington Post, Netanhyanou lui-même s’est vanté d’avoir fait échouer les accords d’Oslo au moyen de fausses déclarations et d’ambiguïtés ; il n’hésite pas à redéfinir les termes de l’accord à son avantage (par exemple, sur la notion de « zones militaires »). Il est farouchement opposé à l’établissement d’un État palestinien (Charles Enderlin, Le rêve brisé, pp. 55-59, 2002).
À cette époque, Peres reproche à Netanyahou que sa politique risque d’affaiblir l’OLP et l’Autorité palestinienne. Il l’avertit explicitement, qu’à force, cela fait le jeu du Hamas. La stratégie de Netanyahou consiste à affaiblir l’Autorité palestinienne comme interlocuteur des négociations, afin de faire monter en puissance les extrémistes du Hamas, et en conséquence montrer qu’il n’y a pas d’interlocuteur, donc pas d’accord possible avec les Palestiniens, donc pas de raison de leur concéder un État. À travers les horreurs d’aujourd’hui, on voit combien l’avertissement de Peres dans les années 1990 fut prémonitoire.
Les négociations de Camp David
Malgré tout, l’espoir persiste des deux côtés. Et en 1999, Ehud Barak, nouveau leader du camp de la paix en Israël, est élu. Comme Rabin, Barak a le prestige d’avoir servi dans l’armée et le courage des grands leaders politiques capables de faire la paix avec l’ennemi. Comme Rabin, il a l’intention de vraiment aboutir à un accord global et durable avec les Palestiniens. Et en 2000, se tiennent à Camp David les négociations de la dernière chance, sous l’auspice de Bill Clinton. Clinton est pressé, il est à la fin de son mandat et voudrait rester dans l’histoire comme le Président américain qui a réconcilié Israéliens et Palestiniens.
Les négociations de Camp David (11-25 juillet 2000) sont mal préparées. Clinton convoque les deux parties en juillet, malgré les réticences de Arafat qui estime que les négociations ne sont pas encore mûres. Dès lors, c’est le coup de théâtre. Une offre est mise par l’équipe de Barak sur la table dès le début des négociations à Camp David. Comme le rapporte Robert Malley, conseiller de Clinton pour le Moyen-Orient, l’offre a été mise sur la table beaucoup trop tôt, à un moment où « ni les Israéliens ni les Palestiniens ne s’étaient préparés à complètement comprendre les peurs et les besoins de l’autre partie ». La discussion sur une offre est venue avant que les deux parties ne comprennent réellement les intérêts sous-jacents de l’autre, en particulier avant qu’elles n’aient pu parler des questions épineuses comme le statut de Jérusalem, la sécurité, ou le statut des réfugiés palestiniens (Aaron Miller, The much too Promised Land: America’s elusive search for Arab-Israeli peace , 2008; New York Times, 26 juillet 2001). Dans nos propres recherches, nous avons montré comment faire une offre tôt plutôt que tard est généralement peu efficace dans une négociation : faire une offre tôt réduit l’échange d’informations entre les négociateurs et crispe les choses. Une offre faite tard permet que les gens comprennent d’abord les intérêts des autres et explorent des solutions créatives, avant que de rentrer dans le marchandage. L’intention de Barak était louable, cependant : il voulait éviter l’approche graduelle d’Oslo : il voulait arriver à un accord final global et éviter de perdre un précieux capital politique en le dilapidant par des négociations intermédiaires. Mais on voit que tout est question d’équilibre et de timing dans les négociations complexes : arriver au final à un accord qui englobe tous les points, mais discuter d’offres tard plutôt que tôt.
Au final, les négociations de Camp David échouent. Sans doute y avait-il trop d’empressement, trop de tension de part et d’autre. Trop de pression publique également, et surtout trop peu de temps. Les deux équipes de Barak et Arafat repartent de Camp David bredouilles. Mais l’échec est loin d’être rédhibitoire. C’est le jeu normal de négociations complexes que les choses prennent de temps. Et les négociations doivent être faites en secret, loin des projecteurs.
Mais c’est là que les choses déraillent. Barak est dépité. Il laisse se créer une version fâcheuse des négociations de Camp David, à savoir qu’il aurait fait une offre extrêmement généreuse que Arafat aurait refusée. Bref, il rejette l’entière responsabilité de l’échec des négociations sur Arafat. Il s’avère que cette version est fausse, comme le souligne Malley, qui a observé de près les négociations pour la partie américaine (et, faut-il le souligner, pour lui éviter toute accusation d’antisémitisme, se trouve être juif). La description précise des négociations par Malley se trouve dans son article Fictions about the Failure at Camp David (New York Times, 8 juillet 2001). En réalité, les deux parties étaient prêtes à des compromis et voulaient résoudre le conflit, mais il n’y a pas eu assez de temps, pas assez d’exploration des intérêts, pas assez de discussions autour des questions épineuses, trop de pression publique. La discussion des offres est venue trop tôt dans la négociation et a empêché l’exploration de solutions créatives (Aaron Miller, The much too Promised Land: America’s elusive search for Arab-Israeli peace , 2008). La déception pour les deux camps est d’autant plus grande que les espoirs étaient élevés.
Les conséquences de Camp David
C’est là que le désastre commence. La version de Barak se diffuse dans l’opinion publique. Il répète à l’envi et les médias répètent à l’envi qu’il n’y a pas de partenaire palestinien pour la paix. Le camp de la paix s’effondre en Israël. Ce n’est qu’une année après que les commentateurs israéliens et américains rétablissent la vérité complexe des négociations de Camp David, et qu’une version plus équilibrée de l’histoire émerge dans les médias israéliens et américains. Mais c’est trop tard : le mal est fait.
Mais c’est là qu’Arafat tient une égale part de responsabilité. Peu de temps après, fin septembre 2000, la seconde intifada éclate, et ce sont de nouveau des morts. Arafat n’a sans doute pas fomenté volontairement la seconde intifada, mais il laisse faire. C’est, là aussi, une erreur tragique. Ce qui met le feu aux poudres de la seconde intifada est la visite d’Ariel Sharon, alors chef de l’opposition en Israël, sur l’esplanade des Mosquées et le mont du Temple, le 28 septembre 2000. Cette visite de Sharon sur l’un des lieux sacrés pour le judaïsme et l’islam est, clairement, une provocation. Mais les Palestiniens tombent dans la provocation, dans le piège tendu. Ils réagissent par des manifestations qui dégénèrent vite en cycle de répression et de violence. En 15 jours, on compte plus de 110 morts arabes et 10 morts juifs. C’est le coup de trop dans le processus de paix. Le camp de la paix en Israël ne se remettra jamais de cette seconde intifada. Arafat pensait peut-être qu’il n’y avait pas de différence entre Barak et Sharon, là aussi c’est une grave erreur. Avec la seconde intifada, les Palestiniens affaiblissent leur interlocuteur pour la paix et renforcent les factions hostiles à la paix en Israël.
Peu de gens savent, cependant, que les négociations entre les équipes de Barak et d’Arafat ont continué… et ont été finalement couronnées de succès. Les négociations entre Israéliens et Palestiniens ont, en effet, abouti en janvier 2001. C’est l’accord de Taba, dans lequel les Israéliens et les Palestiniens ont concilié quasiment, ou sont proches quasiment de concilier, de manière exhaustive, leurs positions (Charles Enderlin, Le rêve brisé, pp. 343-351, 2002 ; Aaron Miller, The much too Promised Land: America’s elusive search for Arab-Israeli peace , 2008). Le communiqué israélo-palestinien officiel énonce « que des progrès substantiels ont été accomplis sur chacune des questions qui ont été discutées », et surtout « qu’il sera possible de résoudre les différences restantes et atteindre un accord de paix permanent entre les deux parties ». Les négociations sont interrompues du fait des élections israéliennes qui approchent en février 2001. Dans ces élections, Barak est défait : l’idée qu’il n’y a plus de partenaire pour la paix et la seconde intifada précipitent Sharon au pouvoir.
Quand Sharon arrive au pouvoir, il continue la politique de Netanyahou. Le processus de paix devient un processus élusif, sans volonté d’arriver à un accord final. Dans les années 2000, on parle de processus de paix en oubliant que le seul intérêt d’un processus est qu’il aboutisse à un résultat. Sharon érige un mur qui permet l’annexion effective de la moitié des colonies de Cisjordanie, soit autant de territoire palestinien annexé de fait par Israël (10% du territoire de Cisjordanie, 85% des colons). En 2005, il se désengage unilatéralement de Gaza, en évacuant les colonies de Gaza, mais sans négociation avec l’Autorité palestinienne. Deux ans après, le Hamas prend le pouvoir dans la bande de Gaza, et la bande de Gaza est ostracisée, sous le joug d’un blocus permanent des gouvernements israéliens qui se succèdent. L’échec du processus de paix comme la corruption de Arafat et de l’Autorité palestinienne jouent un rôle déterminant dans la montée du Hamas. Contrairement à Arafat et l’Autorité palestinienne, le Hamas s’oppose à l’existence d’un État juif et aux accords d’Oslo. Cela sied à Nétanyahou qui, lorsqu’il revient au pouvoir à la fin des années 2000, continue sa politique de 1996-1999 et privilégie le Hamas au détriment de l’Autorité palestinienne. Il le dit très clairement: « le Hamas, c’est bon pour nous ». Faire monter les fanatiques permet une fois encore de clamer qu’il n’y a pas d’interlocuteur pour la paix. Le processus de paix est mort et enterré.
Les imperfections des accords d’Oslo
Plusieurs imperfections dans les accords d’Oslo peuvent également expliquer l’échec du processus de la paix, qui facilitent la tâche de Netanyahou en 1996-1999 et rendent la tâche d’autant plus ardue pour Barak et Arafat en juillet 2000. Tout d’abord, les accords d’Oslo ne sont qu’un accord intérimaire. Les discussions difficiles, notamment sur le statut de Jérusalem et le statut des réfugiés palestiniens, sont reléguées à des négociations futures. La logique des négociateurs israéliens et palestiniens était louable et de bon sens: l’idée était de créer d’abord la confiance, en montrant qu’un accord même partiel était possible, et de laisser pour plus tard les questions les plus épineuses. Le problème est que ces questions épineuses ne sont pas du tout intégrées dans l’accord, alors qu’elles auraient pu être discutées à la fin des négociations, mais avant la signature de l’accord. En effet, le momentum le plus grand pour faire ou obtenir des concessions, c’est juste avant la signature de l’accord. Il est plus difficile de négocier sur les questions épineuses une fois qu’il ne reste plus qu’à négocier les questions épineuses. En négociation, un principe essentiel est le donnant-donnant (ou échange de concessions réciproques), ce qui est facilité par le fait de considérer toutes les questions de manière simultanée, et non séquentielle.
Mais les accords d’Oslo ont créé aussi des complications sur le terrain. Ils créent trois zones administratives en Cisjordanie: une zone où l’Autorité palestinienne a toute l’autorité (18%), une zone où l’Autorité palestinienne n’a que l’autorité civile (22%), une zone où Israël garde le contrôle entier (60%). Une conséquence non voulue est que cela complique les déplacements pour les Palestiniens au quotidien pour passer d’une zone à une autre, avec la multiplication des check-points et des frustrations en résultant. Les accords d’Oslo ne débouchent pas nécessairement sur un mieux-être immédiat pour la population.
Surtout, la colonisation et les implantations israéliennes en Cisjordanie n’ont jamais été freinées par les accords d’Oslo. Comme le note Charles Enderlin, on passe de 106.000 colons en 1992 à 151.000 en juin 1996 (Le rêve brisé, p. 56, 2002). Il y en a plus de 450.000 aujourd’hui en Cisjordanie, selon le décompte du Jerusalem Post, ainsi que 220.000 à Jérusalem-Est selon l’organisation israélienne Shalom Akhshav. Aujourd’hui, la Cisjordanie est un gruyère où il est impossible d’avoir une contiguïté territoriale entre les différents morceaux palestiniens. Les Palestiniens en Cisjordanie sont l’objet de multiples violences de la part des colons israéliens, comme l’arrachage des oliviers, le captage des ressources en eau, l’expulsion de maisons, etc., comme le relatent les organisations israéliennes telles B’Tselem (179 morts palestiniens en Cisjordanie avant les attaques du 7 octobre sur l’année 2023 selon CNN). De fait, la colonisation a rendu non viable un État palestinien. Pour les Palestiniens, les accords d’Oslo n’ont donc pas abouti à une réalité tangible.
À une conférence au Stanford Center on Conflict and Negotiation à laquelle l’auteur a assisté en 2004, le philosophe israélien Avishai Margalit déclarait qu’il y a deux choses différentes : la paix et la justice. La justice, disait-il, est éminemment subjective, car la perception de ce qui est justice pour les Israéliens ne correspond pas à la perception de ce qui est justice pour les Palestiniens (et réciproquement). Si on veut la justice, on n’aura pas la paix. Si on veut la paix, il faut vouloir ne pas avoir justice. Il faut espérer qu’un jour, Israéliens et Palestiniens retrouveront un chemin de la paix. Il s’en est fallu de peu, à plusieurs reprises, qu’ils n’y réussissent.
Actes attribués au Hezbollah au Liban et au nord et au centre d’Israël.
En février, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait noté que le comportement de la Russie à l’égard de la France s’était singulièrement durci depuis deux ans. Et de mettre ce changement de posture, plus agressive, sur le compte des difficultés éprouvées par les forces russes sur « le champ de bataille en Ukraine ».
Pour illustrer son propos, le ministre avait évoqué des « tentatives d’aveuglement de pilotes d’hélicoptère de nos frégates » ainsi que des « menaces » proférées par le contrôle aérien russe à l’encontre « d’un ensemble d’avions français » alors que ceux-ci survolaient les eaux internationales de la mer Noire.
À l’époque, M. Lecornu s’était gardé de donner des détails. De même que l’ État-major des armées [EMA], qui fit seulement état d’échanges par radio « particulièrement agressif » entre les forces russes et un « [E-3F] Awacs en mission d’appréciation de situation dans les eaux internationales au dessus de la mer Noire », en novembre 2023.
Mais cet incident, alors inédit, n’était pas celui dont avait parlé M. Lecornu. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Le Point, il a enfin livré le fin mot de cette histoire. Enfin presque.
La Russie « est encore plus agressive qu’elle ne l’était en 2022 ou en 2023, et plus seulement contre nos intérêts en Afrique, mais y compris directement envers nos forces armées : des pilotes d’hélicoptères français ont fait l’objet de tentatives d’aveuglement, le contrôle aérien russe a menacé d’abattre une patrouille de Rafale français », a en effet détaillé M. Lecornu. Et de noter qu’il s’agit de « pratiques qui avaient disparu depuis la fin de la Guerre froide ».
Justement, en parlant de Guerre froide, M. Lecornu estime que la période actuelle « correspond à un nouveau moment de rupture stratégique inédit » depuis la chute du Mur de Berlin et l’implosion de l’Union soviétique. « Les menaces anciennes de type terrorisme n’ont pas disparu tandis que la compétition entre grandes puissances a repris, y compris sous ‘voûte nucléaire’ », a-t-il dit.
Cela étant, cette situation n’est pas foncièrement nouvelle. Dans les années 1970/80, la menace terroriste, notamment incarnée par des groupuscules d’extrême gauche [Action directe, Brigades rouges, etc.] soutenus en sous-main par le bloc communiste, était déjà prégnante, en particulier en France, en Italie et en Allemagne.
Quoi qu’il en soit, pour M. Lecornu, l’époque actuelle est différente de celle de la Guerre froide dans la mesure où « les sauts technologiques, la militarisation de l’espace et du numérique, la guerre informationnelle [qui n’est pas non plus nouvelle, ndlr] et l’exploitation des fragilités économiques permettent à des compétiteurs de mettre en ְœuvre des menaces dont l’effet peut être gravissime ».
Aussi, estime le ministre des Armées, « l’un des risques aujourd’hui pour la France est d’être défaite sans être envahie ». Malgré la dissuasion nucléaire ? Probablement qu’il précisera sa pensée dans le livre qu’il s’apprête à publier [Vers la Guerre ? La France face au réarmement du monde – Plon].
En attendant, pour M. Lecornu, la Russie est le pays qui fait peser la menace la plus lourde sur la France actuellement. Outre sa posture agressive à l’égard des forces françaises, elle « mène une guerre informationnelle, militarise de milieux nouveaux, comme les fonds marins ou le cyber », a-t-il relevé. « Imaginez demain des dizaine d’hôpitaux subissant des cyberattaques ou des capacités de piégeage aux abords de grands ports comme Le Havre ou Marseille… », a-t-il conclu.
Iran, Russie… Voici les 10 armées les plus grandes au monde en 2024
Pays le plus peuplé du monde, la Chine possède également le plus grand nombre de soldats actifs. [Pedro PARDO / AFP]
Par Dylan Veerasamy- CNews- Publié le
Après la pluie de missiles iraniens envoyée vers Israël mardi, et depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le terme de «troisième guerre mondiale» occupe les esprits. Et en termes de soldats, l’Iran et la Russie figurent tous deux parmi les 10 armées les plus grandes au monde.
Alors que l’escalade de la guerre au Proche-Orient semble hors de contrôle et que l’invasion russe en Ukraine s’éternise, la crainte d’une généralisation des conflits à l’échelle mondiale se fait sentir, chaque pays usant de sa force militaire pour intimider son adversaire.
Le nombre, une force de dissuasion majeure lors de conflits entre pays frontaliers. La majorité des pays de la planète possèdent une armée, avec un nombre de soldats plus ou moins actifs. Mais certaines nations ont développé leurs rangs.
Voici les 10 armées possédant le plus grand nombre de soldats actifs en 2024, selon une étude menée par Statista.
Chine
Avec 2 millions de soldats actifs au sein de son armée, pour une population qui dépasse 1,4 milliard d’habitants, la Chine possède le plus grand effectif militaire au monde. Egalement connue sous le nom d’Armée populaire de libération depuis la fin de la guerre sino-japonaise, l’armée chinoise est composée de plusieurs branches, dont une force des fusées, une force de soutien stratégique et une force de soutien logistique interarmées propres à elle.
Inde
L’armée indienne compte près de 1,45 million de soldats actifs dans ses rangs selon les dernières données disponibles. Une force militaire considérable pour le pays qui est devenu le pays le plus peuplé au monde avec plus d’1,45 milliard d’habitants. Cette force militaire humaine, également appuyée par le soutien d’1,15 million de soldats réservistes, est l’une des plus importantes au sein des opérations de maintien de la paix de l’ONU.
États-Unis
Troisième pays le plus peuplé au monde avec plus de 340 millions d’habitants, les États-Unis disposent de forces armées qui comptent 1,39 million de soldats actifs, répartis au sein de l’US Army, de l’US Navy, de l’US Air Force, de l’US Marine Corps et de l’US Space Force. Les militaires évoluent sous les ordres du général Charles Q. Brown Jr, second afro-américain au poste de chef d’Etat-Major des armées des Etats-Unis.
Corée du Nord
Quatrième armée la plus importante au monde, l’armée nationale de Corée du Nord, connue sous l’appellation officielle d’Armée populaire de Corée, possède près d’1,2 million de soldats actifs dans ses rangs, pour une population totale d’environ 26 millions d’habitants, sous les ordres du commandant suprême, du chef de l’Etat Kim Jong-un, qui possède aussi le grade de maréchal. La Corée du Nord est également le pays avec le service militaire le plus long au monde (10 ans pour les hommes, 8 pour les femmes).
Russie
Depuis son invasion entamée en Ukraine il y a plus de deux ans, l’armée russe ne cesse de faire parler d’elle. Le pays dispose de 831.000 soldats actifs, pour une population totale de plus de 145 millions d’habitants, épaulés par de nombreux réservistes et hommes réquisitionnés pour la guerre en Ukraine. Trois branches principales la composent : les forces terrestres, les forces aérospatiales et la marine.
Pakistan
Voisin important de l’Inde avec qui il possède des relations diplomatiques parfois tendues, le Pakistan dispose de la 6e force armée mondiale en termes de soldats actifs, avec 654.000 soldats prêts à partir au combat, sur une population totale qui approche les 240 millions d’habitants.
Iran
Au coeur de l’actualité ces derniers jours après une attaque massive contre Israël, l’armée iranienne dispose d’un nombre de soldats plus que conséquent. Composées de l’Artesh, armée régulière, et des Gardiens de la Révolution, armée idéologique du régime, les forces armées de la République islamique d’Iran sont composées de 575.000 soldats actifs, principalement présents à l’intérieur du pays et dans le golfe persique, sur une population totale estimée à près de 89 millions d’habitants.
Corée du Sud
Voisin de Pyongyang, la Corée du Sud est dotée d’une armée comptant près de 555.000 soldats parmi son effectif actif, sur un total de près de 52 millions d’habitants. Grandement employée lors de mission de l’ONU, l’armée sud-coréenne participe à de nombreuses manœuvres avec les militaires américains, afin de se préparer à toute attaque nord-coréenne.
Vietnam
Fondée le 22 décembre 1948 dans le cadre de l’indépendance du Vietnam, l’armée populaire vietnamienne dispose d’environ 470.000 soldats actifs dans ses rangs, pour une population totale qui approche les 100 millions d’habitants. Elle est connue pour avoir été présente dans les plus grands conflits du sud-est de l’Asie dans les années 1970 et 1980.
Egypte
Avec 440.000 soldats actifs en permanence pour environ 105 millions d’habitants dans le pays, l’armée égyptienne est la 10e plus importante à l’échelle mondiale sur le plan humain. Les soldats des forces armées égyptiennes se sont fait remarquer lors de la révolution égyptienne en 2011, en refusant de suivre les ordres de l’ancien président Hosni Moubarak, le contraignant à démissionner.