L’Inde conclura un accord avec la France pour 26 Rafale-M et 3 sous-marins Scorpène d’ici janvier 2025

L’Inde conclura un accord avec la France pour 26 Rafale-M et 3 sous-marins Scorpène d’ici janvier 2025

L’industrie de la défense indienne s’apprête à franchir une étape majeure dans sa modernisation navale. Un accord stratégique avec la France devrait être conclu d’ici janvier 2025, renforçant considérablement les capacités maritimes de l’Inde. Cette collaboration franco-indienne s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu, marqué par l’expansion maritime chinoise et les activités navales pakistanaises dans la région indo-pacifique.

Linde Conclura Un Accord Avec La France Pour 26 Rafale M Et 3 Sous Marins Scorpene Dici Janvier 2025
L’Inde conclura un accord avec la France pour 26 Rafale-M et 3 sous-marins Scorpène d’ici janvier 2025 – © Armees.com

L’acquisition prévue de 26 avions de chasse Rafale-M constitue un pilier majeur de cet accord. Ces appareils, spécialement conçus pour les opérations maritimes, viendront équiper le fleuron de la marine indienne, le porte-avions INS Vikrant. Le Rafale-M se distingue par sa structure renforcée et son train d’atterrissage adapté aux catapultages et appontages sur porte-avions.

Les caractéristiques techniques du Rafale-M en font un atout précieux pour la marine indienne :

  • Vitesse maximale : supérieure à Mach 1,8
  • Rayon d’action en combat : plus de 1 850 km
  • Armement varié : missiles air-air Meteor, missiles de croisière SCALP-EG, missiles anti-navires Exocet
  • Technologie de pointe : radar RBE2-AA AESA, système de guerre électronique SPECTRA

Cette acquisition s’inscrit dans la continuité de la collaboration franco-indienne en matière d’aviation de combat. En effet, l’Indian Air Force a déjà intégré 36 Rafale entre 2019 et 2022, validant l’efficacité de ces appareils dans diverses missions.

Expansion de la flotte sous-marine

Le volet sous-marin de l’accord prévoit la construction de trois nouveaux sous-marins de classe Scorpène. Ces submersibles, fruit d’une collaboration entre l’Inde et le groupe Naval, viendront compléter la flotte existante de six sous-marins Scorpène, dont le dernier a été livré en 2021.

Les Scorpène, construits localement au chantier naval Mazagon Dock Limited à Mumbai, offrent des capacités avancées :

L’amiral Dinesh K. Tripathi, chef de la marine indienne, a souligné l’importance de ces acquisitions dans un contexte où l’Inde surveille étroitement les mouvements navals en océan Indien. La présence croissante de navires de recherche et de suivi par satellite chinois, ainsi que la collaboration militaire sino-pakistanaise, poussent New Delhi à renforcer sa flotte pour maintenir l’équilibre stratégique dans cette région cruciale.

Transferts technologiques et production locale

Au-delà des acquisitions d’équipements, cet accord franco-indien vise à développer l’industrie de défense locale. Dassault Aviation prévoit d’établir un centre de maintenance, réparation et révision (MRO) en Uttar Pradesh pour soutenir les flottes indiennes de Rafale et de Mirage 2000. De son côté, Naval Group s’est engagé à augmenter la part de composants locaux dans les nouveaux sous-marins Scorpène.

Cette stratégie de transfert technologique et de fabrication locale s’inscrit dans la vision plus large de l’Inde visant à :

  1. Renforcer son autonomie en matière de défense
  2. Stimuler l’innovation technologique nationale
  3. Créer des emplois qualifiés dans le secteur de la défense
  4. Réduire la dépendance aux importations d’armements

En bref, l’acquisition prochaine de Rafale-M et de sous-marins Scorpène supplémentaires témoigne de la volonté de l’Inde de s’affirmer comme une puissance navale majeure dans la région indo-pacifique. Face aux défis sécuritaires croissants, New Delhi mise sur une coopération renforcée avec Paris pour moderniser ses forces armées et consolider sa position stratégique. Cette collaboration franco-indienne promet de redéfinir l’équilibre des forces maritimes dans une région au cœur des enjeux géopolitiques mondiaux.


Laurène Meghe

Rédactrice spécialisée en économie et défense armées. Je couvre également les domaines des enjeux industriels et politique, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

La France pourrait développer son propre char de combat dans le cadre du projet MGCS

La France pourrait développer son propre char de combat dans le cadre du projet MGCS


En avril, la France et l’Allemagne ont signé un protocole d’accord visant à relancer leur projet commun de Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], alors bloqué par des désaccords entre les principaux industriels concernés depuis près de sept ans.

Ainsi, pour garantir un partage équitable des tâches, il a été décidé de réorganiser ce projet selon huit piliers capacitaires distincts et de créer une société de projet réunissant KNDS France, Thales, KNDS Deutschland et Rheinmetall. Quant aux choix technologiques à l’origine des querelles entre les industriels, ils devront n’être faits qu’après une évaluation des solutions proposées. Et cela vaut notamment pour le canon du futur char de combat sur lequel reposera le MGCS.

Pour rappel, KNDS France a soumis le système ASCALON [Autoloaded and SCALable Outperforming guN], capable de tirer des obus de 120 et de 140 mm ainsi que des « munitions intelligentes pour des tirs au-delà de la vue directe » tandis que Rheinmetall défend son canon de 130 mm, lequel doit équiper la tourelle de son char KF-51 « Panther » qui, dévoilé en 2022, est en passe d’être retenu par l’armée italienne.

Seulement, cette « compétition » inquiète les parlementaires français, quel que soit leur bord politique. C’est ainsi le cas du député François Cormier-Bouligeon, qui s’en est ouvert dans son avis budgétaire sur le programme 146 « Équipement des forces – Dissuasion ». Même chose pour les sénateurs Hugues Saury et Hélène Conway-Mouret. Dans un récent rapport, ils ont avancé que l’ASCALON risquait d’être « écarté de toute perspective de commercialisation afin de préserver le ‘leadership’ de Rheinmetall et KNDS Deutschland « . Cela « interroge sur l’intérêt même de la création de KNDS et, a fortiori, sur celui de poursuivre le programme MGCS », ont-ils même insisté.

Cela étant, le MGCS ne doit pas être considéré comme étant seulement le successeur des chars Leclerc et Leopard 2 dans la mesure où il s’agit de développer une « famille de systèmes » [chars, drones, robots, etc.] devant reposer sur un « cloud de combat ».

Par ailleurs, ce Système principal de combat terrestre ne devant pas être opérationnel avant 2040 au plus tôt, la question du maintien en service du Leclerc jusqu’à cette échéance se pose. De même que celle d’une éventuelle « solution intermédiaire », censée faire le « pont » entre le Leclerc et le MGCS. Ce qui a été proposé par Nicolas Chamussy, le PDG de KNDS France, en mai 2023.

Lors d’une audition sur l’économie de guerre, à l’Assemblée nationale, le 4 décembre, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, n’a pas coupé à une question sur l’avenir du MGCS.

« Sur le char lourd c’est une préoccupation. D’abord, je l’ai dit et je continue à la dire : on ne fait pas n’importe quoi et on a étudié évidemment le fait de pouvoir prolonger, jusqu’en 2040, le Leclerc. On se donne les moyens de se donner du temps », a répondu M. Chiva.

« Le MGCS n’est pas le successeur du Leclerc et il ne préfigure en rien la nature du char lourd. Le MGCS, c’est des moyens de combat terrestre, avec des ailiers scorpionisés, dronisés, dans un cloud de combat », a-t-il ensuite rappelé.

Ce qui ouvre éventuellement la voie à la coexistence de deux chars différents au sein de ce « système de systèmes ».

« On peut se dire que les Allemands pourraient avoir un char lourd différent du char lourd français au sein du même projet. Ça ne me choquerait pas. Ça serait financé sur fonds propres », a en effet affirmé M. Chiva, laissant ainsi entendre que l’initiative reviendrait à KNDS France, qui fait justement la promotion du Leclerc Evolution, doté du système ASCALON.

« Dans le cadre du projet [MGCS], ce que l’on essaie d’avoir, c’est cette architecture de système qui nous permet[tra] de préparer le système de combat futur », a enchaîné le DGA, qui a ensuite évoqué un « plan B », sans plus de précision.

« On soutient nos champions français, qui innovent sans arrêt. Je pense notamment au canon ASCALON, qui est une innovation majeure. […] On a un nombre de possibilités aujourd’hui qui nous permettent de palier le fait que l’on a arrêté des chaînes de production. […] Ce n’est pas en deux ans qu’on résout tous les problèmes mais la Loi de programmation militaire, dans sa déclinaison du combat blindé, est faite justement pour nous éviter toute rupture capacitaire », a conclu M. Chiva.

Les risques d’AUKUS s’accumulent. L’Australie doit se préparer à construire des SSN français à la place

Les risques d’AUKUS s’accumulent. L’Australie doit se préparer à construire des SSN français à la place

par Peter Briggs – The Strategist – publié le 5 décembre 2024 

L’Australie devrait commencer à planifier l’acquisition d’au moins 12 sous-marins de la conception française Suffren. Le plan actuel d’AUKUS pour huit sous-marins d’attaque à l’arme nucléaire (SSN) a toujours été imparfait, et maintenant ses risques s’accumulent.

Nous devrions aller de l’avant avec les aspects de l’opération navale du plan SSN AUKUS, tels que le soutien aux sous-marins américains et britanniques lorsqu’ils arrivent en Australie. Mais pour l’effort d’acquisition, nous devrions être prêts à abandonner le plan d’achat de huit SSN sous AUKUS – trois aux États-Unis que Washington a de plus en plus de chances de fournir, et cinq qui sont censés être construits selon un design britannique surdimensionné et probablement pas arriver à temps.

Au lieu de cela, nous commencerions un programme de construction franco-australen pour un plus grand nombre de sous-marins de la classe Suffren, un design qui est déjà en service avec la marine française.

Pour garantir que les livraisons puissent commencer dès 2038, le gouvernement australien qui est élu l’année prochaine devrait s’engager à décider en 2026 s’il convient de passer à la conception française.

Même si le plan d’acquisition d’AUKUS réussit, il fournira une capacité discutable. La conception des sous-marins serait un mélange de deux blocs de sous-marins de classe Virginia, à plus de 14 ans de conception, et de SSN-AUKUS encore à concevoir en utilisant le réacteur PWR3 de la Grande-Bretagne. En outre, SSN-AUKUS serait en partie construit par l’entreprise sous-marine britannique sous-marine qui est sous forte pression pour livrer la prochaine classe de sous-marins de missiles balistiques de la Royal Navy.

Déplaçant plus de 10 000 tonnes, les sous-marins SSN-AUKUS seront trop importants pour les besoins de l’Australie. Leur taille augmentera leur détectabilité, leur coût et leurs équipages. (La grande taille semble être entraînée par les dimensions du réacteur.)

La marine royale australienne est déjà incapable d’équiper ses navires et de croître pour répondre aux besoins futurs. Il aura de grandes difficultés à équiper des Virginias, qui ont besoin de 132 personnes chacun, et les bateaux SSN-AUKUS, aussi, si leurs équipages sont égaux à la quelque 100 choses nécessaires pour l’actuelle classe d’Astute britannique.

Nous n’avons pas encore vu de calendrier pour le processus de conception britannique, pas plus qu’une équipe de conception conjointe ne semble avoir été établie. En l’absence de nouvelles que les jalons ont été atteints ou même fixés, il est très probable que le programme SSN-AUKUS, comme le programme Astute, fonctionnera tard et fournira un bateau de première classe avec de nombreux problèmes. Sachant que la Revue stratégique de la défense de la Grande-Bretagne est aux prises avec de graves déficits de financement, il n’est guère insufflé de confiance.

En outre, huit SSN suffiront à maintenir le déploiement d’un ou deux à tout moment, ce qui n’est pas suffisant pour un moyen de dissuasion efficace. La difficulté de formation des équipages et la mise en place de l’expérience acquise dans trois conceptions de sous-marins renforcerait les défis évidents de la chaîne d’approvisionnement pour parvenir à une force opérationnelle.

Il est moins probable que même cette capacité insuffisante soit moins probable. Les rapports du récent US Navy Submarine League Symposium révèlent que les États-Unis n’ont cessé d’augmenter les taux de construction sous-marin. À présent, un sous-marin supplémentaire aurait dû être commandé pour couvrir le transfert d’un bloc IV de Virginie en Australie dans huit ans, mais aucun contrat n’a été passé. Pire encore, la production de Virginie des deux constructeurs sous-marins américains se ralentit en fait en raison des retards dans la chaîne d’approvisionnement. Le programme de construction de la construction la plus prioritaire des États-Unis, pour les sous-marins de type missiles balistiques de classe Columbia, continue de subir des retards. Fin novembre, la Maison Blanche a demandé un financement d’urgence au Congrès pour les programmes de Virginie et de Columbia.

Cette situation signale de plus en plus probable que, malgré tous ses efforts, la marine américaine ne sera pas en mesure d’épargner des Virginias pour la vente à l’Australie. Le président de l’époque ne sera probablement pas en mesure, comme l’exige la législation, de certifier 270 jours avant le transfert, il ne dégradera pas les capacités sous-marines des États-Unis.

Pendant ce temps, l’establishment de soutien sous-marin britannique a des difficultés à amener les SSN à la mer. Un incendie récent affectant la livraison de la classe Astute finale SSN ne peut que s’ajouter à ces malheurs.

La classe SSN française Suffren était la conception de référence pour la classe d’attaque diesel que l’Australie avait l’intention d’acheter avant de passer à des SSN. Il offre la solution à nos problèmes d’AUKUS. Il est en production par Naval Group, avec trois des six sous-marins prévus en cours de commande dans la marine française.

À 5 300 tonnes et avec une endurance de 70 jours, une capacité de 24 torpilles ou missiles, quatre tubes torpilleurs et un équipage de 60, il serait moins cher de construire, de posséder et d’équipage que les bateaux AUKUS. La conception est flexible – optimisée pour la guerre anti-sous-marine, mais avec une bonne capacité de navires anti-surfaces à partir de torpilles à double usage et de missiles de croisière anti-navires. Il peut également transporter des missiles de croisière, des mines et des forces spéciales.

La classe Suffren utilise du combustible d’uranium faiblement enrichi et a besoin de se ravitailler tous les 10 ans, tandis que les modèles américains et britanniques, avec de l’uranium hautement enrichi, sont censés ne jamais être ravitaillés. Mais le réacteur de Suffren est conçu pour simplifier le ravitaillement, qui pourrait être achevé lors d’un réaménagement prévu en Australie. Le carburant usagé peut être retraité, ce qui simplifie le déclassement en fin de vie.

Il est vrai que la conception de Suffren n’a pas la charge d’arme, les tubes de lancement verticaux ou l’endurance de 90 jours de la Virginie et, vraisemblablement, SSN-AUKUS. Cependant, en tant que parent à propulsion nucléaire de la classe Attack, il est beaucoup plus proche de l’exigence initiale australienne de remplacement de la classe Collins que SSN-AUKUS est en train de s’éteindre. La conception offre une capacité adéquate aux besoins de l’Australie dans un ensemble que nous pouvons nous permettre de posséder. Nous pourrions utiliser 12 Suffrens et nous avons encore besoin de moins de membres d’équipage que nous ne le ferions dans le cadre du plan AUKUS.

Si nous nous sommes tournés vers la conception de Suffren, nous devrions néanmoins nous en tenir aux programmes d’entraînement SSN que nous avons mis en place avec l’US Navy et la Royal Navy. Nous devrions également aller de l’avant avec la mise en place d’une installation de réparation intermédiaire qui soutiendrait leurs NDS ainsi que les nôtres et les faire tourner vers l’Australie-Occidentale.

En ce qui concerne le plan d’acquisition d’AUKUS, nous devons commencer dès maintenant les préparatifs pour construire conjointement des Suffrens avec la France. L’Australie ne peut pas attendre que les États-Unis disent enfin que les Virginias ne seront pas disponibles.

Dans la mesure où la conception a besoin d’être modifiée, nous pouvons revenir au travail accompli pour la classe Attack, en particulier l’intégration d’un système de combat américain et des normes australiennes.

Difficile, difficile et politiquement courageux ? Assurément. Mais ce n’est pas presque aussi improbable que les SSN sous AUKUS à l’heure.

Corée du Sud: l’institution militaire plongée dans les convulsions politiques post-loi martiale

Corée du Sud: l’institution militaire plongée dans les convulsions politiques post-loi martiale

Des soldats devant les bâtiments de l’Assemblée mardi soir. Photo by Jung Yeon-je / AFP

Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a créé la surprise en proclamant mardi la loi martiale, avant de la retirer quelques heures plus tard sous la pression des parlementaires et d’une foule de manifestants. Yoon a dit avoir proclamé la loi martiale « pour protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments hostiles à l’État ».

En ce qui concerne l’armée sud-coréenne, principale partie prenante de la loi martiale d’urgence, que retenir des événements de mardi soir?

D’abord, l’alignement des chefs militaires sur la décision présidentielle. Cet alignement a débouché sur la proclamation d’un décret en six points du nouveau commandant de la loi martiale, le chef des armées, général Park An-su. Ce décret interdisait les activités et les partis politiques, la « fausse propagande », les grèves et les « rassemblements qui incitent à l’agitation sociale ». Yoon s’est entouré d’hommes à sa botte et à nommé des proches dans toute l’infrastructure sécuritaires (armées et renseignement). Mais, comme l’écrivait en septembre l’ancien patron des forces spéciales sud-coréennes, le général Chun in-bum, « pour qu’un coup d’état ou une loi martial réussisse, il faudra plus que des nominations de hauts gradés; ça exigera la complicité de l’institution militaire dans son ensemble et une opinion publique passive ». Et c’est bien ce qui a manqué mardi soir.

Ensuite, l’entrée (plutôt compliquée) des commandos sud-coréen dans un des bâtiments du Parlement, comme le montre cette vidéo où l’on voit le personnel et vraisemblablement des élus s’opposer à la progression des soldats:

Des hélicoptères ont déposé des troupes dans l’enceinte du Parlement, selon des images de vidéosurveillance diffusées mercredi. D’autres soldats, obéissant aux ordres du chef d’état-major conjoint (Joint Chiefs of Staff JCS), l’amiral Kim Myung-soo, ont escaladé les clôtures de l’enceinte gouvernementale après minuit. Quelque 300 militaires ont pris part à cette action au Parlement dont 230 ont été héliportés en 24 rotations. Mais numériquement, ils ont été vite débordés par la foule des opposants.

Enfin, un constat encourageant: les militaires ont fait preuve de retenue et il ne semble, en ce mercredi matin, qu’aucun débordement/dérapages par les forces de l’ordre n’ait été recensé. On a connu (malheureusement) des militaires sud-coréens ayant la main beaucoup plus lourde, comme en 1980 lors de la précédente et dernière en date proclamation de la loi martiale (officiellement 230 morts). D’ailleurs, des photos des soldats à l’Assemblée montrent qu’ils étaient équipés de munitions d’entrainement (voir le chargeur bleu du militaire à droite de la photo):

Photo by YONHAP / AFP

Et maintenant?

Le Joint Chiefs of Staff JCS a, peu après l’annonce de l’imposition de la loi martiale, rassuré les Américains, précisant que les troupes engagées ne venaient pas de la zone frontalière avec la Corée du Nord et que la sécurité du territoire était bien assurée.

A moyen terme, les forces armées sud-coréennes risquent de se retrouver plongées dans les convulsions politiques post-loi martiale, convulsions exacerbées par la « complicité » du ministre de la Défense de Yoon, Kim Yong Hyun, la complaisance de certains chefs militaires et l’assaut très médiatisé mené par des unités contre l’Assemblée nationale.

« Cette situation laissera des séquelles durables dans les relations civiles et militaires délicates de la Corée du Sud. Mais le risque sécuritaire immédiat concerne la défense extérieure, en particulier compte tenu des incertitudes probables autour du commandement et du contrôle militaires au lendemain de la loi martiale. Cela va évidemment inquiéter les États-Unis, allié de la Corée du Sud par traité, et les forces américaines en Corée », estime Euan Graham, un analyste de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute).

Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

par Pierre-Emmanuel THomann* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°664 / décembre 2024

*Docteur en géopolitique

Une alliance de terroristes islamistes dont le noyau est le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en provenance d’Idlib, refuge pour les anciens djihadistes de Daesh[1], ont lancé une offensive en Syrie et conquis la ville d’Alep. Derrière ces djihadistes, il y a les intérêts géopolitiques des puissances : avant tout Ankara (soutien à HTS), mais aussi Tel-Aviv[2] et Washington[3] qui utilisent des proxys islamistes depuis 2011 pour provoquer un changement de régime en Syrie.

Derrière cette nouvelle offensive djihadiste, les rivalités géopolitiques entre puissances aboutissent à des objectifs variés. Pour Washington, le bénéfice de cette opération vise avant tout à ouvrir un nouveau front contre la Russie, pour tenter de ralentir la défaite inéluctable en Ukraine, mais aussi au Proche-Orient contre l’Iran. L’objectif est également d’accroître la conflictualité avec la Russie et ses alliés, pour torpiller l’objectif annoncé par Donald Trump de résoudre les conflits en cours.

Washington est responsable de l’affaiblissement de la Syrie par sa politique de sanctions, avec son occupation – avec les Kurdes – d’une partie du territoire au nord-est du pays et sa base militaire d’Al Tanf, au sud. Les États-Unis ont aussi pour objectif d’orienter l’expansionnisme turc vers les zones d’intérêt de la Russie en Syrie, au Caucase et en Asie centrale. La Turquie occupe une large bande de territoire syrien le long de sa frontière avec Damas, et cherche à élargir sa zone de contrôle contre les Kurdes. Tel-Aviv, soutenu par Washington, bombarde la Syrie depuis des années pour affaiblir la partie du pays loyale à Bachar el Assad, mais aussi le Hezbollah, d’où ses bombardements récents au Liban. L’objectif de Tel Aviv est d’affaiblir l’axe chiite Iran/Syrie/Liban. 

En toile de fond des crises multiples en Ukraine, en Géorgie (tentative de coup d’État en cours), à Gaza (épuration ethnique par Israël), au Liban (offensive de Tsahal), et maintenant en Syrie, c’est la lutte pour nouvel ordre géopolitique mondial qui s’exprime, tournant la page de l’ancien ordre spatial unipolaire américain.

La multiplication des conflits au Proche-Orient, dans le Caucase, en Ukraine et dans les Balkans, malgré leurs spécificités régionales, font partie d’un même théâtre mondial et sont situés dans les zones de confrontation géopolitique entre grandes puissances. Les États-Unis, dans le cadre de leur stratégie d’encerclement de la Russie, cherchent à provoquer la surextension de Moscou, doctrine explicitement préconisée par la Rand Corporation[4] afin que la Russie soit obligée de faire face à différentes menaces sur différents théâtres.

Tout conflit, ancien ou récent, est désormais aspiré dans cette lutte pour le contrôle des espaces géopolitiques entre les États-Unis, la Russie, la Chine et les puissances secondaires.  Au-delà des conflits autour des territoires et des populations, l’enjeu est la nouvelle architecture du système international : la Russie, l’Iran et la Chine, les autres États membres des BRICS et de l’Organisation de Shangaï (OCS) font la promotion d’un monde multipolaire qui s’oppose à celui que défendent les États-Unis, Israël et leurs alliés (OTAN-UE) qui cherchent à en torpiller l’émergence et, a minima, ralentir la mutation vers un nouvel ordre mondial plus équilibré. La Turquie, membre de l’OTAN, mais refusant les sanctions contre la Russie, joue sa propre carte entre les regroupements antagonistes.

L’obstacle principal a une résolution des crises multiples est donc de nature systémique, et tant qu’un nouvel ordre géopolitique plus multipolaire ne sera pas accepté par les États-Unis et leurs supplétifs de l’OTAN/UE, le conflit mondial s’élargira à de nouveaux théâtres et s’envenimera jusqu’au seuil d’une troisième guerre mondiale. 

Cette nouvelle offensive djihadiste en Syrie a été facilitée par les attaques de l’armée israélienne au Liban et en Syrie, pour affaiblir le Hezbollah depuis plusieurs semaines. Le groupe djihadiste HTS est l’héritier de Jabhat al-Nusra, sous-groupe d’Al-Qaïda qui avait fusionné avec l’État islamique mais s’en est détaché en 2014.

Il ne faut pas oublier que la Syrie, la Russie, le Hezbollah, et l’Iran avaient réussi à empêcher les djihadistes sunnites d’Al-Qaïda – soutenus par Washington, Londres, Paris, Tel Aviv, Ankara, Ryad, Doha et Amman – de prendre Damas et avaient aussi combattu l’État islamique. Aujourd’hui, nous assistons à une réactivation des terroristes pour relancer l’objectif de changement de régime. Toutefois, dans le monde arabe, l’Égypte[5] et l’Irak vont cette fois-ci soutenir la Syrie de Bachar el Assad.

Rappelons-nous le soutien de la CIA, non seulement aux djihadistes afghans[6], mais aussi aux bandéristes néonazis contre l’URSS pendant la Guerre froide[7]. Souvenons-nous de la stratégie de tension de la CIA, soupçonnée d’avoir organisé des attentats ayant tué des civils en Europe, afin d’entretenir les populations dans la peur du communisme, toujours dans le contexte de la Guerre froide[8]. Plus récemment, rappelons les changements de régimes organisés en ex-Yougoslavie, en Irak, en Libye et en Syrie[9], à l’occasion desquels Washington, Londres et leurs alliés, ont soutenu des mouvements islamistes. Enfin, souvenons-nous que depuis 2014, les extrémistes ukrainiens se considérant comme les héritiers de Stepan Bandera, mais aussi des mercenaires étrangers néonazis, ont servi de supplétifs pour atteindre les objectifs géopolitiques de Washington et Londres.

Au final, Washington (Grand Occident), Tel Aviv (Grand Israël), Ankara (panturquisme) et Kiev (nation antirusse) continuent de soutenir les terroristes sunnites pour atteindre leurs objectifs géopolitiques respectifs.

Washington en soutenant militairement les deux pivots, Israël (contre l’Iran) et l’Ukraine (contre la Russie), a pour objectif géopolitique de torpiller l’émergence du monde multipolaire et déstabilise l’Europe et le Proche Orient. La politique de terreur exercée par Washington (sabotage de Nord Stream) et son soutien aux djihadistes au Proche-Orient et aux extrémistes bandéristes et néonazis en Ukraine, est destinée à menacer et contraindre tout État qui serait tenté de s’émanciper de la tutelle américaine et de rejoindre le projet géopolitique multipolaire. 

Washington, Tel Aviv et Ankara sont donc des régimes qui pratiquent le terrorisme d’État et menacent à nouveau la sécurité européenne. Ce n’est pas nouveau, la guerre en Irak en 2003 promue par les néoconservateurs adeptes du suprémacisme américano-israélien, a abouti à la montée en puissance de l’État islamique. Ces États sont co-responsables des crises migratoires de ces dernières années et des attentats islamistes en France. Leurs tentatives de changement de régime en Syrie, depuis 2011, avec leurs proxys islamistes (soutenus par Londres et aussi malheureusement aussi par Paris) demeurent jusqu’à aujourd’hui infructueuses.

On l’a dit, les Etats-Unis et la Turquie occupent le territoire syrien depuis des années, ce qui leur permet d’entretenir des djihadistes pour leurs objectifs de déstabilisation, et aujourd’hui ouvrir un nouveau front.

Pour éviter que la Syrie ne tombe aux mains des djihadistes, et préserver la sécurité de l’Europe mais aussi de toute l’Eurasie, il est dans l’intérêt de la France que Bachar el Assad, la Russie et l’Iran réussissent à éliminer ces djihadistes. Si un régime islamiste parvenait à se hisser au pouvoir à Damas, une nouvelle crise migratoire surgirait et les attentats islamistes sur le sol européen seraient facilités.

 

 


[1] https://www.fabricebalanche.com/syrie/lemirat-islamique-didleb/

[2] https://mayenneaujourdhui.com/2024/11/30/le-role-disrael-dans-le-retour-du-terrorisme-en-syrie/

[3] Ömer Özkizilcik, Uniting the Syrian Opposition the Components of the National Army and the Implications of the Unification. Ce rapport de 2019 souligne le soutien militaire de Washington à l’opposition à la Syrie de Bachar el Assad, et notamment sa composante turque, sous le prétexte de combattre Daesh (https://www.setav.org/en/assets/uploads/2019/10/A54En.pdf).

[4] https://www.rand.org/pubs/research_briefs/RB10014.html

[5] https://french.ahram.org.eg/NewsContent/1/130/57427/Egypte/Politique/L%E2%80%99Egypte-souligne-son-soutien-;-l%E2%80%99Etat-syrien-et-;.aspx

[6] https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/SOUCHON/54701

[7] ttps://mronline.org/2022/09/14/ukraine/

[8] https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20110501.RUE2092/quand-l-otan-tuait-des-civils-en-europe-pour-lutter-contre-l-urss.html

[9] https://cf2r.org/actualite/revelation-des-plans-secrets-de-la-cia-pour-la-destabilisation-de-la-syrie/

Le maillage territorial : colonne vertébrale de la BITD française

04/12/2024

https://aassdn.org/amicale/le-maillage-territorial_colonne-vertebrale-de-la-bitd-francaise/


Pour s’adapter aux bouleversements géopolitiques, la France a dévoilé une nouvelle feuille de route pour son industrie de défense. L’augmentation de la production, la refonte des normes et le développement de pôles d’excellence régionaux sont au cœur de cette stratégie. 

Commentaire AASSDN : L’industrie de Défense française s’articule autour de 9 grands groupes (Thalès, Dassault, Safran, Naval Group, Airbus, KNDS1, MBDA, TechnicAtome, Arquus), reliés à environ 4 000 sous-traitants (ETI,  PME, TPE, laboratoires et centres de recherche). Ce réseau d’entreprises est un atout majeur pour assurer à la France sa souveraineté dans le domaine de la Défense . En outre, ce réseau lui fournit  des outils lui permettant de nouer des partenariats stratégiques avec des pays qui souhaitent ne pas être totalement dépendants de tel ou telle grande puissance (Etats-Unis ou Chine notamment ) tout en disposant de matériels de la meilleure qualité.

Par ailleurs, c’est un atout pour notre économie tant par les exportations qu’elle réalise (la France est 2e ou 3e exportateur mondial selon les années) que par le fait que l’essentiel des armements est produit en France.
Notons que les centres de recherche et les processus de fabrication de certains équipements de haute technologie, sont particulièrement visés par les Services de nos compétiteurs. C’est pourquoi la France se doit de maintenir, voire renforcer son excellence scientifique et d’assurer la meilleure protection contre les ingérences étrangères.

1 En 2015, les sociétés Nexter et Krauss Maffei Wegmann (KMW), respectivement systémier intégrateur du Leclerc et du Leopard, se sont regroupées au sein de KNDS afin de devenir le leader européen de la défense terrestre.

Le 24 octobre 2024, sur le site Maîtrise NRBC de la Direction générale de l’Armement à Vert-le-Petit, le Ministre des Armées Sébastien Lecornu a dressé la feuille de route que tâchera de suivre l’industrie de défense nationale pour les années à suivre. Un mot d’ordre : relancer « l’esprit pionnier ». Une question se pose alors : quelles sont les forces qui motivent la transformation de la base industrielle et technologique de défense (BITD), et comment y parvenir ?

Sommaire [masquer]

  • Impulsions et transformations
  • L’Île-de-France : l’excellence terrestre, spatiale et électronique
  • L’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine : le cœur de l’aéronautique
  • La région Provence-Alpes-Côte d’Azur : territoire de l’Aéronavale
  • La Bretagne et la Normandie pour la puissance navale 
  • Des industriels étatiques en recherche d’efficacité
  • L’humain et la formation : moteurs de développement

Impulsions et transformations

D’abord, la priorité est d’augmenter les cadences de production. Depuis février 2022, l’industrie de défense française se prépare à l’éventualité de passer en économie de guerre, avec des mesures concrètes prises par certains des principaux groupes français. Dans cette optique, MBDA a annoncé son intention de produire 40 missiles Mistral-3 par mois à l’horizon 2025, ce qui revient à doubler sa production mensuelle actuelle. De son côté, la DGA apporte une nouvelle forme de support aux entreprises du secteur, avec la création de la Direction de l’industrie de Défense.

L’Île-de-France : l’excellence terrestre, spatiale et électronique

La région parisienne est spécialisée dans les questions spatiales, électroniques et terrestres.  Le plateau de Versailles-Satory est le lieu d’implantation de plusieurs grandes entreprises à la réputation mondiale comme KNDS France (ex-Nexter), Arquus mais aussi des institutions étatiques comme la Section Technique de l’Armée de Terre. Utilisé dès l’entre-deux-guerres comme terrain d’entraînement militaire, le plateau de Satory sera de plus en plus utilisé à partir des années 1960-1970. Le plateau se transforme en 2020 avec la création de nouvelles pistes d’essais destinées aux besoins de R&D de l’Armée de terre et plus généralement de l’industrie de défense française. La région francilienne n’est pas en reste dans le domaine de l’électronique, notamment par le nombre important de clusters et des laboratoires innovants, à l’image de Paris Saclay et de l’École Polytechnique. Le secteur spatial est quant à lui représenté par Ariane Groupe, Thalès, Airbus Defence and Space et Aresia.

L’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine : le cœur de l’aéronautique

L’aéronautique est particulièrement bien développée en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine, régions qui abritent de nombreux sites et entreprises majeurs, comme Dassault Aviation à Mérignac et Biarritz, ou encore Safran et Airbus Defence & Space à Toulouse. Cette concentration géographique est également le fruit d’une histoire riche. En effet, la création en 1915 du Centre d’Instruction des Spécialistes de l’Aviation à Bordeaux, ainsi que l’établissement de nombreuses bases aériennes dans la région, ont contribué à l’ancrage historique des industriels de l’aéronautique dans cette partie de la France.

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur : territoire de l’Aéronavale

L’industrie aéronavale est très présente en PACA, avec des entreprises comme Dassault Aviation à Istres, Airbus Helicopters à Marignane et Naval Group à Ollioules. Cette présence s’explique par le fait que le premier hydroaéroplane a été conçu localement, créant un environnement propice au développement de ce secteur. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, une partie des avions de chasse et des hydravions y a été produite. Post-1945, plusieurs entreprises se sont installées dans la région, notamment la Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Sud-Est. Aujourd’hui, la région demeure un endroit clé dans la production et la construction d’armement et d’équipements aéronavals, tout en développant régulièrement la recherche et l’innovation.

La Bretagne et la Normandie pour la puissance navale 

Autre pôle d’excellence, les régions bretonne et normande se sont spécialisées dans l’industrie navale, avec des implantations du géant Naval Group à Brest, Lorient, Nantes-Indrets et Cherbourg. L’entreprise emploie plus de 3 000 salariés en région normande, notamment sur le site de Cherbourg.

Cependant, cette territorialité se manifeste également en dehors des principaux pôles. Par exemple, on peut citer Eurenco, spécialiste des poudres et des explosifs, à Bergerac, ainsi que les différents sites de MBDA à Selles-Saint-Denis et à Bourges, sans oublier le site historique de production de KDNS France à Roanne. En plus de dynamiser économiquement des régions parfois en marge, cette territorialité pourrait être renforcée pour constituer une véritable force de production, notamment grâce à l’implantation d’un réseau de réservistes de la DGA.

Des industriels étatiques en recherche d’efficacité

Si les grands maîtres d’œuvre industriels privés sont répartis sur tout le territoire français, c’est également le cas des institutions de l’État chargées des questions d’armement et de sa maintenance. Dispersées dans toutes les régions de France, les industriels d’État sont des exemples du maillage territorial des services publics de l’armement : la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres, le Service de la maintenance industrielle terrestre à Versailles ainsi que les 12ème, 13ème et 14ème base de soutien du matériel, le Service de Soutien de la Flotte à Paris, Brest et Toulon, mais aussi la Direction de la Maintenance aéronautique, qui est implantée sur 17 sites différents à travers la France. La DGA est elle aussi répartie sur des centres d’expertises et d’essais dans diverses régions.

Le 2 octobre 2024 paraît le rapport d’information n°4, par la Commission des finances, à propos du maintien en condition opérationnelle des équipements militaires. Cette étude a révélé que, malgré des efforts conséquents, le maintien en condition opérationnelle ne répond pas aux besoins actuels. Les problèmes concernant la disponibilité des matériels et le coût élevé des contrats de maintenance sont trop importants. En outre, il est question de repenser la stratégie de maintenance de l’armement français, en impliquant de façon plus directe les TPE-PME françaises. Il est par ailleurs fait mention de la possibilité de ré-internaliser une partie de la maintenance militaire, ce qui sous-entend de renforcer le maillage territorial de la maintenance. La question de l’état des recrutements a également été mentionnée, notamment la fidélisation et la formation des personnels de la maintenance militaire et du secteur de l’armement en général.

L’humain et la formation : moteurs de développement

Si la voie royale pour devenir ingénieur de l’armement reste Polytechnique et l’École nationale supérieure de techniques avancées, les concours restent ouverts à tous les diplômés d’écoles d’ingénieurs. En dehors des grands corps d’ingénieurs, les universités proposant des maîtrises « Défense et Sécurité » ou des cursus d’intelligence économique intéressent de plus en plus à la fois les entreprises, mais aussi les services de la DGA.

Du point de vue opérationnel, il est tout à fait possible de développer et de renforcer l’intérêt du monde ouvrier et technique pour l’industrie de défense. MBDA et Naval Group l’ont fait, avec respectivement 2 600 et 4 500 recrutements au cours des dernières années. Pour accélérer cette capacité à recruter, il faut également offrir plus de visibilité aux entreprises et aux institutions. Uniquement au travers de la filière de la maintenance en condition opérationnelle, 25 formations certifiantes sont ainsi proposées par le ministère des Armées et des Anciens combattants, dont plusieurs bacs professionnels et un certain nombre de BTS. En renforçant le lien Armée-Nation, voir même BITD-Nation, ainsi que la formation à tous les échelons de la BITD, la France participe à donc sa souveraineté. Ainsi, le secteur de l’armement doit se réformer, recruter et impulser si il veut retrouver son esprit « pionnier ».

IIIème Guerre mondiale ou démonstrations de force avant les pourparlers ?

IIIème Guerre mondiale ou démonstrations de force avant les pourparlers ?


Conflit Russie-Ukraine et escalade militaire
Montage Le Diplomate

Par Alexandre Del Valle

IIIème Guerre mondiale ou démonstrations de force avant les pourparlers ?


Retour sur la décision du président américain sortant, Joe Biden, et de son homologue anglais, Keir Starmer, d’autoriser les forces armées ukrainiennes à utiliser des missiles ATACMS et Storm Shadows contre l’Oblast russe de Koursk. Une décision qui a déclenché une riposte « appropriée » de Moscou assimilée à une menace nucléaire et à une  déclaration de guerre de la Russie aux pays de l’OTAN devenus de facto belligérants. 

Les 20 et 21 novembre derniers, Joe Biden et Kern Stammer ont autorisé l’Ukraine à utiliser des missiles ATACMS et Storm Shadow capables d’atteindre 300 km pour frapper le territoire russe. La motivation officielle de cette décision aurait été de dissuader la Corée du Nord d’envoyer davantage de troupes et de faire dérailler la contre-attaque russe à Koursk, en train de porter ses fruits après un étrange retard. Et même la France, qui a déjà fourni des missiles à longue portée à l’Ukraine, a déclaré qu’autoriser Kiev à frapper des cibles militaires en Russie, voire même à envoyer une force européenne au sol, restait une option sur la table. De son côté, la président russe Vladimir Poutine a estimé qu’étant donné que les forces ukrainiennes ne peuvent pas utiliser les missiles occidentaux seules, elles ont forcément été appuyées par des spécialistes militaires des pays fournisseurs (Etats-Unis, Grande-Bretagne, etc) pour insérer les données de renseignement nécessaires au ciblage.

Ceci a entraîné la décision de Vladimir Poutine de riposter de façon « appropriée » en testant un missile « Oreshnik » RS26 de portée intermédiaire (IRBM) et hypersonique. Conçu pour emporter 6 ogives nucléaires, ce missile, lancé avec de simples explosifs conventionnels, a été testé et utilisé comme un avertissement quant à la capacité de Moscou à viser avec des armes nucléaires ou pas – et sur une distance de 5500 km – n’importe quel point de l’Ukraine et n’importe quelle capitale occidentale. En juin dernier, lors d’une réunion avec des représentants d’agences de presse internationales, alors que ces missiles occidentaux étaient déjà utilisés en Ukraine et en Crimée annexée contre des objectifs russes, Poutine avait déjà émis l’hypothèse que Moscou pourrait réagir en fournissant à son tour des missiles “dans les régions du monde d’où seront lancées des attaques sensibles sur les sites des pays qui fournissent des armes à l’Ukraine“. Ces derniers jours, cette menace s’est accentuée et se dirige désormais directement vers des cibles occidentales, d’où  le risque de « III guerre mondiale » agité par les médias et nombre de commentateurs. Maintes voix ont également exprimé leur étonnement concernant la décision de Biden de monter d’un cran le degré de belligérance alors que le peuple américain a voté pour un président élu ayant promis de faire la paix. Qu’en est-il vraiment ?

Premièrement, il faut garder à l’esprit que la guerre psychologique a toujours été partie intégrante de la guerre. De ce point de vue, deux mois avant que le supposé non-interventionniste Donald Trump entre en fonction (20 janvier), chaque camp, celui pro-Ukraine et la Russie, a intérêt à exercer des pressions maximales sur les dirigeants et les populations respectives, afin d’arriver à la table des négociations tant annoncées avec le meilleur rapport de force concret et psychologique. C’est ainsi qu’il faut comprendre les propos menaçants des proches de Poutine qui ont avoué que le but est de faire « tressailler de peur » l’Occident (Kadyrov, Medvedev). Poutine lui-même a déclaré : « nous nous considérons pleinement fondés à employer nos armes contre les infrastructures militaires des pays qui autorisent l’usage des leurs contre nos propres installations (…). Je recommande vivement aux élites dirigeantes des pays qui envisagent de déployer leurs contingents militaires contre la Russie d’y réfléchir à deux fois », dans son discours de 8 minutes. Maniant le chaud et le froid, Vladimir Poutine a également dit dans son discours-avertissement, spécialement aux Anglais et aux Etats-Unis, mais aussi implicitement à la France, que la Russie serait « toujours prête, aujourd’hui encore, à résoudre tous les différends de cette manière » par le dialogue, mais en précisant que Moscou pourra « affronter tous les développements possibles que pourraient occasionner les événements en cours. Et si certains en doutent encore, ils ont bien tort de le faire. La Russie répliquera toujours »… La peur est en fait une arme qui peut s’avérer efficace, car, comme on l’a vu avec la victoire de Donald Trump et de sa nouvelle équipe, notamment Vence, Kennedy et Musk, on sait que la promesse de paix – et donc la peur de la guerre – a motivé nombre d’Américains démocrates et républicains à voter Trump afin d’éviter la « troisième guerre mondiale », expression-épouvantail d’ailleurs utilisée le 20 novembre par Trump Junior sur les réseaux sociaux. Il convient donc de relativiser la gravité certes réelle de la situation.

D’un autre côté, il serait imprudent de réduire les avertissements de Poutine à un simple bluff, car l’histoire regorge d’exemples selon lesquels les menaces et surenchères créent des engrenages guerriers infernaux. Toutefois, les dirigeants des deux camps, et même le soi-disant fou Kim Jong Un Guide suprême de Corée du Nord, ne sont pas des jihadistes candidats au suicide. Ils aiment la vie, la chair, le luxe, ont des familles, des intérêts et donc un désir de survie, comme l’expliquait inlassablement mon ami et maître le géostratège Pierre Marie Gallois, inventeur de la dissuasion nucléaire française dite « du faible au fort ». Ils n’ont donc pas l’intention de déclencher le feu nucléaire final, du moins jamais contre une autre alliance ou puissance nucléaire plus forte ou aussi forte qu’eux. Il est certes aussi vrai que la nouvelle doctrine nucléaire qui a été approuvée par Vladimir Poutine le 26 septembre dernier prévoit une éventuelle « réponse nucléaire contre tout pays qui attaquerait la Russie même s’il ne possède pas d’armes atomiques mais qui serait soutenu par des puissances nucléaires », ce qui est exactement le cas de l’Ukraine, aidée par des pays de l’Otan – dont trois sont des puissances nucléaires et d’autres abritent des ogives nucléaires. Toutefois, malgré la gravité apparente de la situation, il faut raison garder et rappeler qu’aucun déplacement d’ogive nucléaire stratégique n’a été  détecté pour le moment et que l’essai du missile hypersonique RS26 russe du 22 novembre a été effectué – comme un essai précédent en Sibérie d’ailleurs – après en avoir informé les Occidentaux afin qu’ils sachent qu’il ne s’agissait pas d’une attaque nucléaire tournée contre une capitale européenne ou ouest-américaine. De la même manière, en autorisant depuis des mois les Ukrainiens à frapper les forces russes avec des missiles de 250 à 300 km, les Occidentaux  ont toujours annoncé par avance leur décision de façon directe ou progressive, comme cela s’est passé avec les Storm Shadow et ATACMS américains, dans le cadre d’une « communication » stratégique et médiatique qui a à chaque fois laissé le temps aux troupes russes de se préparer et de déplacer hommes, munitions ou autres engins de guerre.

Le message de guerre psychologique de Vladimir Poutine, qui sait déjà que l’administration Trump pourrait lui laisser les terres ukrainiennes actuellement conquises – Crimée incluse – est de faire comprendre que c’est une erreur de penser qu’il bluffe et que l’on peut « désanctuariser » impunément le sol d’un pays nucléaire, comme cela s’est produit depuis le 6 août dernier avec l’incursion ukrainienne vers Koursk, et comme on le voit avec l’autorisation de frapper le sol russe sur un rayon de 300 km. De ce point de vue, la révision de la doctrine nucléaire puis l’essai du 22 novembre dernier sont destinés à réintroduire une effectivité de la dissuasion qui aurait été apparemment érodée. D’une certaine manière, on peut dire que Russes et Américains procèdent depuis des jours, plus encore qu’avant, à un « dialogue stratégique in vivo et in concreto ». La Russie a donc logiquement averti les États-Unis (via le Centre national russe pour la réduction des risques nucléaires), plus d’une demi-heure avant le lancement du missile hypersonique, dans le cadre d’un système d’échange automatique visant à « maintenir une communication constante » avec un système du camp adverse, selon les propres termes du porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. 

Face aux capitales pro-ukrainiennes qui estiment que la sanctuarisation nucléaire du territoire russe peut être violée sans conséquences graves, alors que pendant toute la guerre froide l’OTAN n’a jamais tenté de pénétrer « l’étranger proche russe » ou foulé le sol des pays membres du Pacte de Varsovie, d’autres Etats – même pro-ukrainiens, comme l’Italie – prennent au sérieux les avertissements poutiniens : le ministre des Affaires étrangères transalpin, Antonio Tajani, a ainsi déclaré qu’il refusait que l’Ukraine utilise des armes italiennes sur le sol russe. De même, l’Allemagne, plus grand contributeur de l’UE à l’effort de guerre ukrainien, a confirmé par la bouche de son chancelier, Olaf Scholz, que les missiles de croisière Taurus ne seraient jamais fournis à Kiev. Mieux, Scholz a téléphoné à Poutine immédiatement après la chute de son gouvernement, en parlant de nécessité de dialogue, ceci au grand dam des pays les plus antirusses, la Pologne et les pays Baltes. Quant au trio Autriche-Slovaquie-Hongrie, ce dernier pays présidant l’UE jusqu’au 31 décembre et ayant présenté à Donald Trump un plan de paix en juin dernier, il ne veut absolument pas participer à l’escalade et souhaite continuer à bénéficier du gaz russe par oléoduc. Ce trio est d’accord sur ce point avec Angela Merkel qui a avoué dans ces mémoires, parues ces jours-ci, puis dans des interviews récentes, que l’économie allemande a besoin du gaz russe bon marché par gazoducs pour que son économie et son industrie demeurent compétitive. Le chancelier Scholz a ouvertement reconnu lui-même que la reprise des relations avec Moscou permettrait de sauver l’Allemagne d’une crise économique énergétique provoquée par les sanctions sur les hydrocarbures russes. Une vision partagée plus clairement encore non seulement par la droite allemande ultra de l’AFD mais aussi par la gauche souverainiste de Sarah Wangenknecht, les deux étant en pleine ascension électorale, surtout en Allemagne de l’Est, certes, mais de plus en plus dans d’autres Landers également. 

Deuxièmement, il convient de relativiser la potentielle escalade inhérente aux autorisations occidentales de frapper le territoire russe et à la riposte russe par le test du missile hypersonique. L’autorisation faite aux Ukrainiens d’utiliser des missiles ATACMS et Storm Shadow contre le territoire russe ne changera pas plus la donne et les rapports de force que cela n’a été le cas lorsque ces armes ont été utilisées depuis des mois contre la Crimée et des forces russes dans le Donbass. Non seulement ces missiles ont souvent été abattus par la défense aérienne russe, mais ils ont été livrés en nombre très limités aux forces ukrainiennes. Par ailleurs, l’arrivée sur le front russe de militaires nord-coréens, qui a servi de prétexte à Washington pour justifier l’autorisation des ATACMS contre la Russie, a été exagérée par le camp pro-ukrainien, car si la présence de 10 000 soldats nord-coréens sans expérience du combat et armés de 70 canons et lance-roquettes est avérée, cela demeure infime par rapport aux 700 000 soldats russes au total équipés de 2 000 pièces d’artillerie sur la ligne de front. Et les reporters sur place le long du front ont plus vu de mercenaires colombiens que de Nord-Coréens. En réalité, pour ne pas avoir à trop dégarnir ses troupes en pleine progression dans l’Oblast de Doniesk, les forces russes tentent de récupérer les terres du sud occupées par les Ukrainiens dans l’oblast de Koursk avec le minimum de troupes du Donbass et le maximum de forces intérieures et de mercenaires. Enfin, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, et le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby, ont souligné à quel point l’utilisation de l’ATACMS par les Ukrainiens était inutile puisque les aéroports russes et autres bases d’importance stratégique sont situés bien hors de leur portée.

Revenons maintenant sur le discours du maître du Kremlin, qui a insisté sur un point d’histoire que l’Occident, Washington et l’Otan ont du mal à admettre, à savoir que « ce n’est pas la Russie, mais les États-Unis qui ont détruit l’architecture internationale de sécurité et, en poursuivant leurs combats, s’accrochent désespérément à leur hégémonie, entraînant la planète entière dans un conflit global ». La référence aux casus belli de la proposition faite à l’Ukraine en 2008 d’adhérer à l’OTAN, des soutiens occidentaux aux révolutions ukrainiennes antirusses de 2004 et 2014 – sans oublier la question des missiles antimissiles américains installés en Pologne et en Roumanie, rentre certes dans le registre d’une propagande de guerre psychologique visant à renverser les rôles et accuser l’Occident du bellicisme dont Moscou est justiciable. Toutefois, le propos peut malgré tout convaincre d’autant plus efficacement certains occidentaux épris de paix qu’il contient une part de vérité susceptible d’enfoncer un coin dans l’unité occidentale et de susciter une certaine empathie dans les pays du Sud global. Enfin, concernant la volonté russe de produire à nouveau et en masse des missiles à portée intermédiaire (5500 km) pouvant frapper toutes les capitales occidentales, sauf l’Australie et la Nouvelle Zélande, Poutine a rappelé que leur  développement s’est effectué « en réponse aux programmes lancés par les États-Unis, consistant à produire et déployer en Europe et dans la région Asie-Pacifique leurs propres missiles de courte portée et de portée intermédiaire. Nous estimons que les États-Unis ont commis une erreur en 2019 lorsqu’ils ont déchiré, sur un prétexte fallacieux, le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Aujourd’hui, les États-Unis ne se contentent pas de produire de tels équipements  : ils ont entrepris, dans le cadre de leurs exercices militaires, le transfert de ces systèmes avancés vers différentes régions du monde, notamment en Europe, sans compter qu’ils s’entraînent à leur utilisation lors de leurs manœuvres ». L’allusion au projet de George Bush jrentre 2004 et 2008 de prépositionner dans toute l’Europe de l’Est des missiles et anti-missiles américains pouvant annuler la capacité d’interception ou de riposte russe (option certes réduite ensuite par Barak Obama à la Roumanie avant que la Pologne fasse de même en 2024), est ici évidente et participe aussi d’une tentative de renverser l’accusation de bellicisme originel. Du point de vue de Bruxelles et Washington, il s’agit là d’un pur narratif poutinien qui, même si l’extension de l’OTAN vers l’est et l’ingérence pro-démocratique en Ukraine sont indéniables, ne justifie aucunement la guerre d’agression russe en Ukraine et l’annexion de territoires d’un pays voisin dont Moscou avait reconnu à maintes occasion l’indépendance et les frontières depuis 1991.

En guise de conclusion : la paix annoncée par Donald Trump est-elle compromise pour autant ?

Pas forcément ! Premièrement parce que l’intensification des menaces et utilisations d’armes toujours plus efficaces et dissuasives des deux côtés du front ne signifie pas forcément une entrée dans la III -ème guerre mondiale, même si le risque n’est pas nul, mais rentre dans le contexte des dernières avancées et démonstrations de capacités de nuisance de part et d’autre avant l’ouverture prochaine de négociations annoncées par l’Administration Trump. Ensuite, il faut rappeler que, paradoxalement, cette montée en puissance – apparemment très inquiétante et « co-belligène – arrive dans un contexte global de possibles négociations imminentes. Il faut « tout faire pour mettre fin à la guerre en 2025 par la diplomatie en partant d’’une Ukraine forte’, a ainsi déclaré le président Volodymyr Zelensky, alors qu’il avait fait criminaliser dans la loi ukrainienne pareille idée et qu’il excluait toute négociation territoriale dans son fameux « plan de victoire ». Il a même été jusqu’à saluer parmi les premiers la victoire de Donald Trump et sa vision de la « paix par la force » et voit dans la nouvelle administration la perspective de sortir de la guerre par le haut, afin que cela n’apparaisse pas comme une trahison de sa part comme une décision du protecteur américain. Ceci en échange, bien sûr, de garanties pour l’avenir de la part des Etats-Unis, de l’OTAN et de l’UE. De son côté, Vladimir Poutine – lors de l’entretien téléphonique avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, le 15 novembre dernier, a réitéré qu’un éventuel accord pour la fin du conflit doit “se baser sur les nouvelles réalités territoriales”, ou plutôt sur ce que Moscou a réalisé jusqu’à présent. Ceci paraissait totalement inacceptable et inaudible il y a encore un ou deux mois, et a fortiori durant l’été, lorsque l’Ukraine réussissait une incroyable percée en terre russe vers Koursk,  mais elle est hélas devenue totalement réaliste pour les nationalistes ukrainiens maintenant qu’elle est au cœur du plan de paix du président américain élu et que les rapports de force sont nettement en faveur de l’armée russe, avec une progression accélérée dans l’oblast de Doniesk, partout  sur la ligne de front, puis même dans l’Oblast de Koursk, où les troupes ukrainiennes reculent et subissent de lourdes pertes d’ailleurs peu médiatisées. Après l’appel téléphonique avec Scholz, le Kremlin a rappelé que Poutine – dans un discours au ministère des Affaires étrangères – a posé le retrait des forces ukrainiennes des quatre régions partiellement occupées (Donetsk, Lougansk, Zaporhizhia et Kherson) comme condition d’un cessez-le-feu. Or cette option é été clairement acceptée par Donald Trump, son vice-président J.D. Vence et la quasi-totalité de son équipe, néo-cons y compris, dont Marco Rubio. En fait, le plan de paix de Trump, qui s’est appuyé en partie sur celui présenté par Victor Orban en juillet dernier, prévoit des régions autonomes de chaque côté d’une zone démilitarisée, le renvoi dans au moins vingt ans de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN ; une neutralisation totale du pays, des garanties de ne jamais redevenir une puissance nucléaire et une base de l’empire rival US, et un abandon des territoires russophones en cours de conquête par la Russie et annexés à cet effet. Il est clair que pour voir le jour, ce plan théoriquement inacceptable par Kiev, passe par une remise en question totale du “plan de victoire” de Zelensky qui a parlé au contraire d’”une invitation” de l’Alliance comme base fondamentale de la paix » …. Le président ukrainien devrait donc non seulement se dédire, donc s’auto délégitimer, mais il devrait agir en contravention non seulement du droit ukrainien mais surtout de la Constitution ukrainienne, laquelle interdit tout abandon de souveraineté, inscrit dans le marbre l’adhésion du pays à l’OTAN au plus vite, et assimile à une forfaiture le simple fait de vouloir changer la constitution sous l’influence directe ou indirecte de forces étrangères.

Pour ce qui est du « dindon de la farce » qu’est l’Union européenne, première victime des sanctions, en pleine récession, obligée de payer son gaz 3 à 5 fois plus cher que les États-Unis, et sur qui va peser le fardeau financier de la reconstruction de l’Ukraine, le plan Trump prévoit qu’elle  devra prendre la place des États-Unis sur le front de l’aide militaire, ce qui impliquera de multiplier par deux les contributions annuelles – à ce jour autour de 20 milliards, soutenues en grande partie par l’Allemagne – et à un moment où, par ailleurs, l’économie n’est pas au mieux… Face au réalisme cynique du plan Trump, que d’aucuns comparent déjà aux accords de Munich signés avec Hitler par l’Anglais Neville Chamberlain en 1938, notamment, pour éviter en vain une guerre et en se déshonorant, l’effondrement de Kiev n’est pas une option pour de nombreux États membres de l’OTAN et de l’UE. Cela représenterait en effet, selon Bruxelles et les grandes capitales européennes, surtout les Pays-Baltes, la Roumanie et la Pologne, une menace existentielle pour leur sécurité, avec à la clef un double risque d’encourager la Russie à recommencer sa politique expansionniste dans l’avenir une fois son armée reposée et renforcée, puis d’autres pays aux appétits impérialistes à faire de même. En outre, les services de renseignement occidentaux estiment que si le pays se retrouvait aux mains des Russes, 10 millions d’Ukrainiens pourraient fuir vers l’Europe, avec un exode aux proportions bibliques. Un vrai dilemme « paix maintenant » versus « si vis pacem para bellum ». Un vrai casse-tête pour l’avenir de l’UE et la crédibilité de l’Alliance atlantique, mais que les partisans de l’America First sont déterminés à résoudre avec le triomphe de la Realpolitik et des accords bilatéraux sur les logiques multilatérales et les alliances globales désormais fragiles et inquiètes du risque d’arrêt brutal de leurs logiques d’expansion permanente et existentielles, bien que belligènes…

Sénégal : la commémoration du massacre de Thiaroye, un dossier aux forts enjeux mémoriels et diplomatiques

Sénégal : la commémoration du massacre de Thiaroye, un dossier aux forts enjeux mémoriels et diplomatiques

80 ans après le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye, le Sénégal commémore ce drame historique. Entre hommage et quête de vérité, des zones d’ombre demeurent.

Par Clémence Cluzel – Le Point –

https://www.lepoint.fr/afrique/senegal-la-commemoration-du-massacre-de-thiaroye-un-dossier-aux-forts-enjeux-memoriels-et-diplomatiques-01-12-2024-2576813_3826.php

 

L'affiche annonçant les commémorations du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, au Sénégal, le dimanche 1er décembre 2024. 
L’affiche annonçant les commémorations du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, au Sénégal, le dimanche 1er décembre 2024.  © Sylvain Cherkaoui/AP/SIPA

Le moment est historique et solennel pour le Sénégal en ce 1er décembre. Pour la première fois, à l’occasion des quatre-vingts ans de cette tuerie, l’État sénégalais commémore le massacre de Thiaroye, survenu au camp militaire du lieutenant Amadou Lindor Fall de Thiaroye, en banlieue de Dakar, le 1er décembre 1944. Ce jour-là, les tirailleurs sénégalais (des soldats originaires des colonies françaises d’Afrique subsaharienne ayant combattu pour la France lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale) sont massacrés sur ordre d’officiers français. Le tort de ces anciens prisonniers de guerre détenus dans des camps allemands sur le sol français, en attente depuis le 21 novembre au camp de Thiaroye de pouvoir rentrer chez eux ? Avoir réclamé leur prime ainsi que leurs arriérés de solde. Selon la version officielle, cette « mutinerie » aurait causé 35 décès. Un chiffre largement remis en cause par des historiens qui l’estiment plutôt à des centaines de morts.

C’est devant les 103 tombes in memoriam du cimetière du camp, entouré de plusieurs dirigeants (notamment africains à l’instar du président mauritanien également président de l’Union africaine), que le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye rend un hommage appuyé à ces tirailleurs. Une commémoration à laquelle assiste également le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, représentant de la France. Le 28 novembre, le président Emmanuel Macron, dans une lettre adressée au président sénégalais, avait reconnu un « massacre », un mot auparavant jamais officiellement prononcé, les autorités françaises préférant parler de « mutinerie », au mieux de « répression sanglante » pour évoquer ce crime colonial. Une avancée considérable sur ce dossier sensible, mais est-ce pour autant la fin d’une bataille mémorielle entre les deux pays et l’assurance de faire la lumière sur cette journée du 1er décembre 1944 ?

Mémoire entravée et confisquée

« C’est un grand pas », s’est félicité Bassirou Diomaye Faye, sans omettre de pointer « la chappe de plomb » imposée par la France pendant des décennies sur ce pan de l’Histoire. Pendant quatre-vingts ans, c’est cette version officielle d’une mutinerie qui sera défendue et relayée par l’État français, quitte à modifier les documents pour tenter de masquer les preuves du massacre et corroborer le récit national. « Un mensonge d’État sur une ignominie », dénonce l’historienne Armelle Mabon*, qui travaille depuis plus de vingt ans sur le sujet et réclame la fin de l’omerta. Au-delà du nombre de victimes sous-estimé, qui oscillerait entre 300 et 400, trente-quatre tirailleurs ont également été condamnés, accusés d’être les instigateurs de cette révolte, avant d’être amnistiés deux ans plus tard (deux d’entre eux sont décédés en prison) sans indemnités. Pour avoir remis en cause l’histoire officielle, le film Camp de Thiaroye (1988) du cinéaste Ousmane Sembene sera longtemps censuré et interdit de diffusion, en France comme au Sénégal. « C’est une reconnaissance bien tardive. La mémoire a été entravée pendant des années », réagit Mamadou Diouf à cette lettre. L’historien, professeur à l’université de Columbia (New York), est aussi le président du comité chargé de l’organisation de la commémoration du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye.

Depuis 2004, la célébration d’un hommage aux tirailleurs massacrés était portée par des associations ou les familles des victimes, avec peu de retentissement dans la population et sans aucun soutien de l’État. « Il est très clair que les politiciens qui se sont succédé depuis l’indépendance ont subi une pression qui a fait qu’ils étaient plus ou moins indifférents à Thiaroye et qu’ils n’ont pas essayé de commémorer ou rendre hommage aux tirailleurs », exception faite d’Abdoulaye Wade qui a instauré la journée du tirailleur (le 23 août), explique l’historien. Le nouveau pouvoir amorce donc un virage et une rupture nette avec l’attitude conciliante des prédécesseurs qui cherchaient à éviter toute remise en cause pour ne pas froisser la France. Le président sénégalais et son Premier ministre, Ousmane Sonko, défendant un programme souverainiste, veulent inscrire cet épisode tragique dans l’histoire nationale. « Le pouvoir a choisi Thiaroye pour signaler la nature de son engagement au souverainisme, mais aussi comme un engagement pour partager une histoire à venir, celle de la solidarité et de l’unité africaine », développe M. Diouf.

Le massacre est en effet une tragédie partagée par plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée). Dans cette vision panafricaniste, les prochaines commémorations du massacre de Thiaroye doivent ainsi être des co-organisations africaines. Les problématiques continuent cependant de faire obstacle à cette recherche de vérité. Il a fallu attendre dix ans après la remise de la copie des archives françaises au Sénégal en 2014 à la suite du discours de François Hollande, pour que ces dernières puissent être consultées par le comité de commémoration du massacre de Thiaroye… Mais surtout, l’obstruction délibérée de la France dans l’accès à ses archives persiste de nos jours.

Des zones d’ombre et histoire réappropriée

« Il y a eu la volonté délibérée de la France de dissimuler les archives. François Hollande n’a pas remis toutes celles disponibles », déplore Mamadou Diouf. Et parmi celles manquantes figurent les informations essentielles telles que le nombre de victimes, les lieux où elles ont été enterrées… autant de manques qui entretiennent des zones d’ombre. Car sans informations sur les lieux d’inhumation, impossible par exemple de lancer des travaux de fouille… « Ce que nous voulons, c’est la vérité et toute la vérité sur ce qu’il s’est passé ce matin-là. Le Sénégal demande tout simplement d’avoir accès à toute la documentation pour pouvoir engager une recherche et éclairer l’événement afin d’établir les faits », insiste-t-il. Du côté de l’administration française, on assure que tous les documents ont été transmis et que ceux manquants sont soit perdus soit brûlés.

En attendant, le comité a dressé une liste des archives identifiées comme étant en possession de la France et y a envoyé une délégation du 18 au 28 novembre pour faire un état des lieux. Passée par Morlaix, Aix-en-Provence ou encore Rennes, elle a déniché plusieurs actes de décès de tirailleurs sénégalais à l’hôpital de Dakar entre 1944 et 1945. Des découvertes qui font avancer le travail de recherche scientifique et de collecte des données entrepris par le comité de commémoration dont la deuxième mission consiste à établir les faits. Le comité doit remettre un livre blanc, qui recensera les conclusions de ses travaux ainsi que des recommandations, en avril 2025. Une sous-commission sera également chargée de collecter les demandes de révision et de réparation. « Les réparations ne sont pas seulement financières, mais aussi morales », souligne Mamadou Diouf.

Ces obstacles pour accéder aux archives relancent le débat sur le récit historique des événements et la bataille mémorielle qui en découle. « Ce travail nous permet de reprendre le contrôle de notre récit historique, de se le réapproprier pour produire le nôtre et ne plus avoir un récit exclusivement contrôlé par les vainqueurs. On aura un récit qui permettra d’éclairer de manière plurielle un événement », plaide-t-il. Un colloque scientifique est ainsi organisé du 2 au 3 décembre à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar avec comme thème « Enjeux historiographiques, fictions et imaginaires » pour poursuivre cette réflexion. Axe également central pour l’inscription dans le récit national, le volet transmission est en chantier. Le programme scolaire sénégalais ne fait pas mention du massacre de Thiaroye. « Il est capital que les populations puissent s’approprier cette histoire, il faut investir dans la jeunesse. Les jeunes sont engagés pour faire reconnaître cette histoire, cela donne de l’espoir », se félicite Dieynaba Sarr, professeur de français au lycée de Thiaroye, qui sur son temps libre mène des ateliers d’information sur cet événement avec des élèves de son établissement.

Vers une refonte des relations franco-africaines

Ces dernières années, la pression s’était accentuée sur la France pour demander des actes forts dans la reconnaissance du massacre à travers plusieurs mesures, dont en dernier lieu l’octroi en juin dernier de la mention « morts pour la France » à six tirailleurs sénégalais du camp de Thiaroye. Une avancée notable comme une brèche dans le mensonge d’État français qui avait relancé le débat, après la vive critique d’Ousmane Sonko à l’encontre de la France. Un grain de sable qui a continué d’enrayer un peu plus le mécanisme de la version officielle, toujours autant décriée. En France, une demande pour la création d’une commission d’enquête parlementaire a été proposée et devrait prochainement être déposée auprès de l’Assemblée nationale. Le but de cette commission, que les signataires désirent nommer « Ousmane Sembene », est d’obtenir la reconnaissance pleine et entière du massacre, l’accès à l’ensemble des archives pour le Sénégal et permettrait également la poursuite des personnes ayant fait obstruction aux faits. « Cela fait huit décennies que ce massacre pèse sur la mémoire sénégalaise, française et les relations entre les deux pays. Le temps est venu, il faut en finir avec ce silence beaucoup trop lourd », rapportait le député LFI Aurélien Taché, parmi les initiateurs de la proposition. La reconnaissance du massacre souligne plus encore les incohérences et manquements du dossier. « Si la France parle de massacre, c’est qu’elle n’a plus le choix. Elle se trouve dans une situation où elle est obligée d’engager la discussion. Il y a une évolution contrainte, mais il ne faut pas lire cela comme le Sénégal en train de faire pression sur la France ou contre la France », précise Mamadou Diouf. La reconnaissance par Emmanuel Macron fait espérer à Bassirou Diomaye Faye un engagement « franc, collaboratif et entier » de la France.

« Elle est obligée de coopérer avec les peuples africains et de les aider dans l’accès à la vérité. Il y a une revendication à la justice et à la souveraineté, les rapports ont changé. Pour le bien des échanges entre nos deux pays, elle doit revoir sa considération et son rapport », appuie Dieynaba Sarr. Derrière l’aspect mémoriel de ce dossier, ce sont en effet des enjeux diplomatiques qui sont en ligne de mire. Il s’agit des rapports Sénégal-Afrique, mais aussi des relations Afrique-France. La jeunesse africaine, désireuse d’un changement de paradigme, rejette la politique française et désire rompre avec la Françafrique. Et dans un contexte où la France entretient des relations très orageuses avec ses anciennes colonies, particulièrement dans les pays du Sahel, le massacre de Thiaroye pourrait s’ajouter aux griefs en cas d’immobilisme des autorités françaises. « Les enjeux aujourd’hui sont liés à la mondialisation et à ses conséquences en termes de relations économiques, politiques, culturelles, mais aussi des relations produites par toutes les questions qui sont liées à la migration, à l’intensification du racisme et de la xénophobie. Dans le recentrage de ces pays se joue toute la question de la souveraineté, politique et économique, avec des relations qui se distendent et sont en train d’être révisées pour se repositionner dans un monde en pleine transformation », analyse Mamadou Diouf.

Selon le Sénat, les divergences avec Berlin font douter de l’avenir du Système de combat aérien du futur

Selon le Sénat, les divergences avec Berlin font douter de l’avenir du Système de combat aérien du futur


Le Rafale porté au standard F5 sera-t-il l’alternative au Système de combat aérien du futur [SCAF], développé dans le cadre d’une coopération associant la France à l’Allemagne et à l’Espagne ? Cette queston avait été posée au moment où les industriels impliqués – notamment Dassault Aviation et les filiales allemande et espagnole d’Airbus Defence & Space – se disputaient au sujet du partage des tâches et de la propriété industrielle. Finalement, un accord fut trouvé, ce qui permit de lancer la phase 1B du projet, celle-ci devant ouvrir la voie à un démonstrateur.

Pour rappel, le SCAF repose en partie sur un avion de combat de nouvelle génération [NGF – New Generation Fighter], connecté à des drones au sein d’un système d’armes du futur, appelé NGWS Next Generation Weapon System], via un « cloud de combat ».

Lors de ses dernières auditions parlementaires, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a indiqué que, en décembre, un sommet avec l’Allemagne et l’Espagne allait permettre de faire le point sur les progrès de ce projet, de présenter un démonstrateur et de « documenter la deuxième phase ».

« Nous devrons traiter des questions politiques, telles que l’export, mais aussi des questions opérationnelles : à quoi ressemble l’avion ? Quel est son poids, sa capacité à correspondre aux besoins de la dissuasion nucléaire française, à apponter sur un porte-avions ? », a résumé M. Lecornu devant les sénateurs.

Seulement, toutes les divergences n’ont pas été aplanies. C’est en effet ce qu’a laissé entendre le colonel Jörg Rauber, responsable du SCAF au sein du ministère allemand de la Défense, lors de l’Air Force Tech Summit 2024, un évènement organisé à Berlin, le 28 novembre.

Évoquant le NGWS, et selon des propos rapportés par le site spécialisé Hartpunkt, le colonel Rauber a ainsi affirmé que les trois pays impliqués « ne se sont pas encore mis d’accord sur une architecture commune parce qu’ils ont des besoins différents ».

Rappelant que le « NGWS est actuellement un programme technologique et non un programme d’armement », le colonel Rauber a également indiqué que la portée que devra avoir le NGF est « actuellement au centre des préoccupations » de la partie allemande. Ce qui suppose de développer un avion de combat plus imposant, sauf à recourir à des réservoirs externes qui ne pourraient que dégrader sa furtivité.

Cela étant, dans l’avis budgétaire sur le programme 146 « Équipement des forces » qu’ils viennent de publier, les sénateurs Hugues Saury et Hélène Conway-Mouret ont estimé que le SCAF est « fragilisé » par le non-respect du principe du « meilleur athlète » ainsi par les restrictions que l’Allemagne pourrait imposer à l’exportation.

Ainsi, le principe consistant à donner la primeur aux industriels les plus compétents dans leur domaine [le « meilleur athlète »] n’a « pas systèmatiquement été privilégié pour attribuer les différents lots », ont déploré les rapporteurs.

En outre, ils ont également rappelé « l’importance de la composante aérienne dans la stratégie de dissuasion aérienne ne peut tolérer de compromis sur les performances technologiques compte tenu du caractère de plus en plus disputé des espaces aériens ». Ce qui renvoit aux propos du colonel Rauber au sujet des divergences de vues sur l’architecture du NGWS.

Quant au sujet de l’exportation, l’accord franco-allemand signé en octobre 2019 n’a pratiquement rien réglé… alors que cette question est l’une des lignes rouges posées par la France pour continuer le programme.

En effet, l’article 3 de cet accord stipule que l’Allemagne ne peut pas s’opposer à l’exportation des systèmes d’armes développés dans le cadre d’une coopération avec la France dès lors que ceux-ci contiennent moins de 20 % de composants allemands [hors maintenance et pièces détachées]. Sauf si, de façon exceptionnelle, Berlin estime qu’une vente pourrait porter atteinte à sa sécurité nationale et / ou à ses intérêts directs.

Or, soulignent Mme Conway-Mouret et M. Saury, les « industriels allemands étant associés pour un tiers au projet, il y a tout lieu de s’inquiéter sur la future capacité de la France à exporter librement ce système d’armes ».

En outre, ils ont fait part de leur préoccupation « de voir émerger un débat en Allemagne sur la création d’une instance multilatérale qui aurait le pouvoir de s’opposer à un contrat d’exportation négocié par les autorités françaises ». Et d’insister : « Une telle contrainte aurait inévitablement pour conséquence de réduire considérablement les perspectives d’exportation et donc de fragiliser l’équation économique et financière du programme ».

Aussi, les deux sénateurs ont demandé la tenue d’un débat sur l’avenir du SCAF [caractéristiques du système, modalités de production et d’exportation] au Parlement, après les prochaines élections fédérales allemandes.

Devant les députés, M. Lecornu avait assuré qu’il était « preneur d’un débat sous un format spécifique pour évoquer les piliers, entrer dans le détail du programme et, à huis clos, présenter le cahier des charges de l’armée de l’Air ». Cela « permettrait de comprendre les attentes et les pressions qui s’exercent sur la ‘trame chasse’ sur le très long terme », avait-il ajouté, après avoir précisé qu’il aborderait des « questions passionnantes relatives à l’export, à la dissuasion et à l’avenir de Dassault Aviation.

Enfin, Mme Conway-Mouret et M. Saury ont également appelé à « refuser tout mécanisme de contrôle multilatéral des exportations d’armements ayant fait l’objet d’un programme commun européen » car la « France doit demeurer souveraine en matière d’exportation d’armements ».

Un parapluie nucléaire franco-britannique pour l’Europe est-il envisageable ?

Un parapluie nucléaire franco-britannique pour l’Europe est-il envisageable ?

Le retour imminent de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait être synonyme, à terme, d’un désengagement américain de la protection du Vieux Continent. Dans une telle hypothèse, la France et le Royaume-Uni pourraient-ils faire bénéficier leurs alliés de leur force de dissuasion nucléaire ?


De l’avis de nombreux observateurs, la victoire de Donald Trump annonce le retour de l’isolationnisme américain. Dès lors, le débat au long cours autour de l’autonomie stratégique européenne revient sur le devant de la scène. Si cette notion d’autonomie stratégique comporte une composante conventionnelle et industrielle évidente, une nouvelle question émerge dernièrement : en cas de désengagement de Washington, les Européens pourraient-ils eux-mêmes assurer la protection du continent au niveau nucléaire ?

Hormis la Russie, seuls deux pays européens disposent aujourd’hui de l’arme nucléaire : la France, avec 290 têtes nucléaires, et le Royaume-Uni, qui en compte 225. Au regard de la redéfinition de l’ordre mondial qu’une nouvelle présidence Trump pourrait entraîner, les capacités nucléaires de ces deux pays prennent une importance singulière.

Depuis son premier mandat, Emmanuel Macron souhaite relancer le débat sur la dissuasion nucléaire en Europe. Il évoque notamment la possibilité d’étendre la protection de l’arsenal français aux alliés européens – une option dont l’importance n’échappe à personne à l’heure où la Russie menace d’utiliser son arsenal dans le cadre du conflit avec l’Ukraine. Les Britanniques, quant à eux, n’étant pas dans la même dynamique pour l’instant, préfèrent continuer de déléguer la protection nucléaire du continent aux Américains.

En tout état de cause, l’extension des garanties nucléaires française et britannique pour la sécurité collective du Vieux Continent poserait des problèmes doctrinaux d’une grande complexité.

La position française : de la protection nationale à la solidarité européenne ?

Depuis que la France s’est dotée de l’arme nucléaire en 1966, sa doctrine de dissuasion repose sur une notion fondamentale, très gaullienne et jusqu’à récemment jamais remise en cause par les présidents français successifs : l’arme nucléaire ne doit servir qu’à la protection des « intérêts vitaux » de la nation.

Ces intérêts vitaux n’ont jamais été clairement définis, mais ils tiennent, a minima, aux éléments indispensables à la survie et à la souveraineté du pays. Cette définition très large maintient sciemment une forme d’incertitude, pour ne pas divulguer trop d’informations à de potentiels adversaires dans l’éventualité d’une attaque.

Cependant, les crises géopolitiques et les tensions croissantes entre la Russie et le camp occidental, marquées par la formulation de menaces nucléaires par Vladimir Poutine, ont conduit Paris à remettre en cause les éléments fondamentaux de cette doctrine.

En février 2020, lors d’un discours à l’École de guerre, Emmanuel Macron a déclaré que la France était prête à s’engager dans un « dialogue stratégique » avec ses partenaires européens en vue d’explorer la meilleure façon d’intégrer l’arsenal nucléaire français dans la sécurité européenne globale – sans se substituer à l’OTAN, mais pour compléter la défense du continent. Le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, qui a souvent critiqué avec virulence l’Alliance atlantique, incite encore plus la France et l’Europe à persévérer dans cette réflexion. Rappelons à cet égard que la doctrine de l’OTAN indique que les dissuasions française et britannique « participent significativement » à la défense du continent – sans préciser comment. Le temps semble venu d’apporter plus de clarté à cette question fondamentale.

Royaume-Uni : le poids de l’influence américaine

Contrairement à celle de la France, strictement souveraine en matière nucléaire, la dissuasion du Royaume-Uni demeure fortement dépendante vis-à-vis de l’Alliance atlantique. Son système de dissuasion repose en partie sur les missiles Trident, achetés aux États-Unis bien que les têtes nucléaires soient britanniques. La souveraineté britannique dans ce domaine n’est donc pas totale ; dès lors, la marge de manœuvre de Londres en ce qui concerne une éventuelle extension de son parapluie nucléaire au reste de l’Europe est limitée.

Néanmoins, la coopération nucléaire bilatérale entre Londres et Paris, formalisée par les traités de Lancaster House signés en 2010, peut contribuer à une telle évolution.

Il demeure que le Royaume-Uni risque de ne pas pouvoir s’engager pleinement dans une dissuasion à l’échelle du Vieux Continent sans l’accord de son allié américain…

Dissuasion européenne : les défis d’une ambition encore en gestation

Le président français encourage ses homologues européens à participer à l’élaboration d’une « culture stratégique commune ». En matière de dissuasion nucléaire, cette approche se heurte toutefois aux réalités politiques et aux réticences de certains pays européens, qui considèrent qu’ils ne seront jamais aussi bien protégés que par le bouclier américain.

En outre, la dissuasion nucléaire française n’a jamais été conçue pour protéger l’ensemble de l’Europe et sa capacité reste limitée face aux arsenaux nucléaires plus vastes de la Russie. Avec ses quelque 300 têtes nucléaires (600 au milieu des années 1980) en cohérence avec son concept de « stricte suffisance », la France dispose certes d’un arsenal dissuasif crédible, mais cette capacité reste insuffisante pour couvrir toutes les éventualités d’un conflit de haute intensité impliquant plusieurs États européens.

De plus, l’idée de déléguer ou de partager cette dissuasion nucléaire est politiquement et diplomatiquement difficile. Certains pays européens, comme l’Allemagne et les États scandinaves, pourraient considérer la mise en place d’une dissuasion nucléaire commune (qui trancherait avec la situation actuelle car la dissuasion américaine est depuis des décennies un objet récurrent du dialogue sur les questions nucléaires entre les États-Unis et la Russie) comme une provocation à l’égard de la Russie allant à l’encontre des objectifs de désarmement nucléaire et de non-prolifération qu’ils défendent activement. Les pays scandinaves et l’Allemagne sont particulièrement sensibles à la relation avec la Russie, en raison de leur proximité géographique avec cette dernière et de leur histoire. Une initiative de dissuasion commune pourrait être perçue par Moscou comme un geste hostile, risquant d’intensifier les tensions.

Enfin, une difficulté majeure persiste du point de vue doctrinal. La dissuasion entre deux acteurs repose sur la notion de crédibilité. Cette dernière existe sous deux formes : technique (la capacité d’une frappe d’atteindre son objectif) et psychologique (l’adversaire, pour être dissuadé, doit être certain que l’autre est prêt à lui faire subir un bombardement nucléaire, quitte à être frappé encore plus durement en retour). À titre d’exemple, la France peut apparaître crédible aux yeux de Moscou si elle menace de détruire des infrastructures russes en cas d’attaque russe visant le territoire français ; mais le sera-t-elle autant si elle menace de s’en prendre à la Russie en cas d’attaque russe contre la Pologne, quitte à s’exposer à voir en retour Paris rasée par les bombes russes ? Ce n’est pas certain… La question est centrale et suppose l’existence d’intérêts vitaux communs européens qui restent à définir.

Une perspective peu crédible… pour l’instant

Aujourd’hui, la dissuasion nucléaire franco-britannique ne peut pleinement se substituer à la garantie américaine. Le dépassement des stricts intérêts vitaux français constitue un jalon vers une sécurité collective renforcée, mais une telle ambition nécessite un engagement fort des autres États membres et un consensus sur la stratégie nucléaire en Europe.

En fin de compte, la dissuasion nucléaire élargie est une idée à explorer, mais elle ne pourra atteindre son plein potentiel qu’à la condition qu’une approche coordonnée, intégrée et acceptée par l’ensemble des puissances européennes puisse se faire jour. Or une telle perspective semble difficilement envisageable à ce stade.

La politique de l’administration Trump sera donc décisive pour qu’une évolution puisse avoir lieu. Dit simplement, son éventuelle politique isolationniste face à l’agressivité russe doit faire peur notamment à l’Allemagne et à l’Europe orientale. Si le président américain transforme l’OTAN en coquille vide et si Vladimir Poutine poursuit sa politique agressive après un hypothétique règlement du conflit l’opposant à l’Ukraine, alors la situation pourrait peut-être évoluer…