Podcast Diploweb. Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ?

Podcast Diploweb. Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ? E. Danon

Popartic/Shutterstock

Par Eric Danon, Hugo Leclerc, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise,- Diploweb – publié le 1er août 2024 

https://www.diploweb.com/Podcast-Diploweb-Proche-Orient-la-paix-a-t-elle-encore-un-avenir-E-Danon.html


Intervenant : Éric Danon, Ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023 et actuellement consultant international. Il s’exprime à titre personnel.
Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, diplômée d’un M2 de Sciences Po. Co-organisation de la conférence Pierre Verluise, fondateur du Diploweb, avec l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I et le Centre géopolitique. Son : Hugo Leclerc, co-gérant de l’agence Klimax. Montage : Hugo Leclerc et Pierre Verluise.

Quelle est la situation fin avril 2024 dans la guerre opposant Israël et le Hamas ? Pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont-ils rien fait pour favoriser l’émergence d’un Etat palestinien ? Pourquoi l’Arabie Saoudite peut-elle jouer le rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien ? Que faut-il faire concrètement ? Eric Danon s’exprime à titre personnel. Ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023, il apporte des éléments de réponse lors d’une conférence publique en Sorbonne.

Voici le podcast de la conférence organisée par Diploweb.com, le 25 avril 2024, en partenariat avec l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I.

Ecouter gratuitement en cliquant sur le triangle

Ecouter gratuitement cette conférence au format podcast sur six plateformes dont Spotify, Apple Podcasts et Google Podcasts.


Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, validée par E. Danon

Quelle est la situation au 25 avril 2024 dans la guerre opposant Israël et le Hamas ?

SE M. Éric Danon explique que cette guerre va durer. De fait, les deux protagonistes souhaitent qu’elle continue car ils n’ont pas atteint leurs objectifs respectifs.

En effet, Israël poursuit trois objectifs officiels : détruire le Hamas le plus possible, récupérer les otages et faire de Gaza une zone ne représentant pas de menace. Ceux-ci ont été atteints à moitié. À cela, s’ajoutent trois objectifs officieux. Premièrement, Israël souhaite rebâtir une dissuasion afin qu’aucun groupe n’ambitionne de faire pareil que le Hamas. Deuxièmement, Israël veut pouvoir surmonter le très fort traumatisme du 7 octobre 2023. Enfin, au vu de ses relations tendues avec le président J. Biden, B. Netanyahou cherche à faire durer la guerre au moins jusqu’au 5 novembre 2024, date de l’élection présidentielle américaine, car il ne souhaite pas faire le cadeau de la paix au président actuel.

De son côté, le Hamas a trois objectifs officiels : rentrer en Israël et tuer le maximum de personnes, capturer le plus d’otages possibles pour les échanger avec des prisonniers et préempter l’objet « résistance palestinienne » en montrant qu’il est le plus crédible pour porter ce combat. Enfin, il a également comme objectif officieux d’être présent à la table des négociations du jour d’après.

Podcast Diploweb. Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ? E. Danon
Eric Danon
Centre Panthéon de l’Université Paris 1 Sorbonne, 25 avril 2024. Crédit photographique : Pierre Verluise pour Diploweb.com
Verluise/Diploweb.com

Dans l’atmosphère actuelle, SE M. Éric Danon sent deux peuples en souffrance. Du côté israélien, cette souffrance est liée aux actes des terroristes du Hamas. À cet égard, il souligne un paradoxe : les Israéliens considèrent que le gouvernement actuel porte une responsabilité dans l’attaque menée par le Hamas mais, dans le même temps, ils ne veulent pas lâcher ce gouvernement.

Quant à eux, les Palestiniens vivent le désastre de ce qui produit à Gaza mais prennent aussi conscience que les pays arabes, notamment méditerranéens, ne sont pas intéressés par la fin du conflit. La jeunesse palestinienne réalise ainsi qu’ils ont toujours été empêchés, depuis 1949, d’avoir un État par leurs dirigeants ou par ces pays arabes.

Pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont-ils rien fait pour favoriser l’émergence d’un Etat palestinien ?

Premièrement, SE. M. Danon note que la cause palestinienne constitue un puissant levier de politique intérieure pour les pays arabes. En effet, elle permet d’entraîner la population en faveur des gouvernements au pouvoir.

Deuxièmement, si les populations des pays arabes s’entendent très bien, leurs gouvernements ne s’apprécient pas, comme le souligne la rivalité entre le Maroc et l’Algérie ou celle entre la Tunisie et l’Égypte. De fait, le rejet d’Israël contribue à rassembler ces pays lorsqu’ils se réunissent, par exemple lors des sommets de la Ligue arabe. Pour que cette entente dure, ils ont donc tout intérêt à ce que le conflit perdure.

Troisièmement, si le conflit israélo-palestinien prend fin, Israël pourrait devenir encore plus puissant. Israël est déjà une puissance déterminante du Proche-Orient dont le PIB (525 milliards de dollars) est supérieur à l’addition du PIB de tous les pays qui l’entourent. Ce conflit, et notamment la dégradation d’image engendrée ainsi que les pertes économiques représentées par les appels au boycott, demeure un frein qui empêche Israël de devenir une superpuissance.

Quatrièmement, SE. M. Danon évoque une raison psychologique, liée au concept de dhimmitude (le « dhimmi » étant celui qui a un statut dégradé dans le monde musulman). Il apparaît pénible pour les pays arabes que des non-musulmans puissent faire mieux qu’eux en termes de gouvernance, d’économie et de sécurité.

Enfin, le statut de Jérusalem demeure une des réticences essentielles à la création d’un État palestinien. Le fait que la Palestine récupère ce lieu saint (la mosquée Al-Aqsa) pourrait ne pas convenir à l’Arabie Saoudite ou à l’Iran.

 
Eric Danon
Centre Panthéon de l’Université Paris 1 Sorbonne, 25 avril 2024. Crédit photographique : Pierre Verluise pour Diploweb.com
Verluise/Diploweb.com

Quel est l’état du rapport de force concernant la paix au Proche-Orient ? Quels diagnostics peut-on formuler ?

Parmi les forces opposées à la paix, SE. M. Danon insiste sur le manque d’enthousiasme des pays arabes de la Méditerranée. Il souligne également que des individus sont profondément contre l’idée de la paix aussi bien du côté palestinien qu’israélien.

Ainsi, du côté palestinien, l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 a d’abord été revendiquée comme une non-acceptation d’Israël, au sens d’un refus du partage de l’ancienne Palestine mandataire (1923-1948). En ce sens, la difficulté originelle, renforcée par l’échec des nombreuses négociations, tient à la non-acceptation de ce partage.

Du côté israélien, le sionisme messianique, qui a pris une importance grandissante pour des raisons démographiques et politiques, refuse l’existence d’un État palestinien. Ainsi, le massacre du caveau des Patriarches commis par un colon juif fanatique en 1994 puis l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un juif religieux d’extrême-droite en 1995 ont eu pour but de tuer le processus d’Oslo (1993). La part de ces Israéliens qui n’acceptent pas d’abandonner leurs idéaux pour la paix a augmenté, passant de 25% en 1993 à plus de 40% en 2024. Enfin, dans les territoires occupés de Cisjordanie, les gens s’installant ne le font plus exclusivement pour des raisons religieuses (comme les Juifs messianiques) mais également pour des motifs économiques. Ce faisant, quasiment 700 000 personnes vivent dans ces territoires occupés, ce qui rend compliquée toute évolution de la situation.

Pour autant, la majorité des Palestiniens et des Israéliens de la société civile veulent la paix. Mais, les extrémistes des deux camps parviennent à bloquer les processus de paix.

Dès lors, étant donné les fortes incertitudes, SE. M. Danon propose trois diagnostics pour avancer.

Premièrement, il récuse l’utilisation du terme « solution »(l’expression « solution à deux États » étant très présente dans le débat public) pour parler du conflit israélo-palestinien, et lui préfère l’expression de « tectonique des puissances ». Selon lui, il ne faut pas penser les dynamiques politiques en termes de « solution » mais plutôt d’évolution.

Deuxièmement, il soutient que la paix est aussi une question de personnes capables de la faire advenir. Or, sortir de ce conflit requiert des gens à la hauteur, ce qui n’est pas le cas au premier trimestre 2024.

Troisièmement, au vu du rapport de forces déséquilibré entre Israël et la Palestine, il n’est pas possible de les laisser négocier face-à-face. Il faut donc une médiation. Or, celle-ci ne peut pas s’articuler exclusivement autour des Etats-Unis, médiateur traditionnel, car sa proximité vis-à-vis des Israéliens tend à les disqualifier. SE. M. Danon défend donc une double médiation menée par l’Arabie Saoudite avec les Etats-Unis.

 
Eric Danon
Centre Panthéon de l’Université Paris 1 Sorbonne, 25 avril 2024. Crédit photographique : Pierre Verluise pour Diploweb.com
Verluise/Diploweb.com

Pourquoi l’Arabie Saoudite peut-elle jouer le rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien ?

SE. M. Danon considère que le seul État arabe véritablement intéressé par l’arrêt du conflit est l’Arabie Saoudite. En effet, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) souhaite normaliser les relations de son pays avec Israël car il a besoin de stabilité au Proche-Orient.

Sur le plan de la normalisation politique, l’Arabie Saoudite a observé la mise en œuvre des Accords d’Abraham (2020), entre Israël et les Émirats Arabes Unis (EAU) ainsi qu’entre Israël et Bahreïn, avant de chercher possiblement à les rejoindre. Or, ces accords sont un vrai succès. Ainsi, en 5 ans, le commerce bilatéral entre les EAU et Israël a dépassé celui entre la France et Israël. Le volet politique fonctionne donc, et ces accords n’ont pas été remis en cause par les EAU ou par le Bahreïn depuis le 7 octobre 2023.

En outre, MBS souhaite prolonger cette normalisation politique classique par une « normalisation religieuse » entre La Mecque et Jérusalem. En effet, MBS, qui contrôle déjà les lieux saints de Médine et La Mecque, cherche à devenir le chef spirituel total du monde sunnite. En ce sens, il pourrait souhaiter à terme récupérer la gestion de la Mosquée al-Aqsa, actuellement sous l’administration du Waqf, c’est-à-dire un bien public durablement confié aux Jordaniens.

MBS souhaite également être celui qui va régler la question israélo-palestinienne pour rentrer dans l’histoire. Pour ce faire, il s’appuie, en termes de méthode, sur ce qu’il s’est passé dans les pays du Golfe. En effet, ceux-ci ont envoyé les étudiants des EAU, de Bahreïn etc. dans les meilleures universités mondiales pour apprendre à construire et à gérer leur pays. MBS veut reproduire ce schéma pour assurer à terme le développement d’un Etat palestinien. Et ils semblent prêt à mettre les moyens pour que cela se concrétise.

Enfin, les négociations entre l’Arabie Saoudite et Israël n’ont jamais cessé, d’autant plus que les Etats-Unis sont à la manœuvre. En effet, les Etats-Unis ont tendance à apprécier les alliances de bloc à bloc. Dans la situation présente, l’Ouest fait face à la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran. Cependant, de nombreux pays, et notamment les pays arabes du Golfe, ne veulent pas rentrer dans cette logique.

De son côté, MBS a initialement posé deux conditions pour normaliser politiquement avec Israël : une liste de matériel militaire pour se protéger de l’Iran et une stabilisation du conflit israélo-palestinien. Ne les ayant pas obtenus, l’Arabie Saoudite a annoncé qu’elle allait baisser le niveau de conflictualité avec son ennemi potentiel, l’Iran. Ainsi, le 10 mars 2023, cassant la logique bloc à bloc des États-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Iran ont annoncé avoir signé un accord pour reprendre leurs relations diplomatiques. Finalement, les États-Unis ont cédé sur les deux conditions posées par MBS, auxquelles a été ajoutée ensuite la livraison d’une centrale nucléaire civile.

Quelle est l’incidence de l’Iran sur le conflit israélo-palestinien ?

En raison de ses proxys (le Hezbollah au Liban, le Hamas dans la bande de Gaza et les Houthis au Yémen), l’Iran est un facteur clé dans le conflit israélo-palestinien. L’Iran a désigné Israël comme un ennemi absolu qu’il souhaite détruire. En ce sens, l’Iran représente une « menace existentielle » pour Israël, même si le risque de mise à exécution de cette menace est très faible . Pour autant, l’Iran cherche à développer un axe chiite dans la zone et se focalise sur la destruction d’Israël.

De plus, l’Iran a inscrit le nucléaire dans son récit national. Il met en place des installations capables d’enrichir l’uranium à des degrés militaires, et se rapproche donc d’un pays du seuil. L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPoA), signé en 2015 après 16 ans de négociation, prévoyait de limiter l’enrichissement iranien. Mais, en 2018, D. Trump, poussé par B. Netanyahou, a cassé cet accord, ce que SE. M. Danon considère comme la plus grosse erreur stratégique des Etats-Unis depuis l’invasion de l’Irak en 2003. Dès lors, les pays occidentaux n’ayant pas de plan B, il est probable que ce soit la Russie qui s’occupe de cette question, avec l’appui de la Chine. Dans cette perspective, l’Iran va devenir un pays du seuil, ce qui va renforcer l’Iran dans sa posture. Surtout, ce ratage occidental va avoir des conséquences pour Israël, qui va se trouver sous la menace d’un pays du seuil.

Cependant, SE. M. Danon estime que cette situation ne va pas entraîner une guerre entre l’Iran et Israël. En effet, l’Iran est affaibli sur le plan intérieur car la population n’apprécie pas le gouvernement des mollahs et le pays est durement touché par les sanctions économiques. Pour autant, ce n’est pas le moment opportun pour attaquer l’Iran car cela pourrait susciter un fort sursaut nationaliste iranien. En outre, Israël ne peut pas tenir longtemps seule une guerre contre l’Iran. Si l’on s’en réfère à Clausewitz, il apparaît compliqué de faire rivaliser 9 millions d’habitants (Israël) contre 88 millions (Iran). Dès lors, afin d’anticiper au mieux une potentielle frappe en retour de l’Iran, Israël cherche à monter à l’avance une coalition suffisamment dissuasive. Récemment, une pré-coalition s’est formée entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Jordanie et l’Arabie Saoudite.
Au vu des liens entre le Hamas qui a préempté la résistance palestinienne et l’Iran, se profile donc une bataille géopolitique des chiites, emmené par l’Iran, face au monde sunnite, mené par l’Arabie Saoudite avec l’appui des Occidentaux.

Que faut-il faire concrètement ?

Outre le fait de changer les responsables à la manœuvre dans les deux camps, SE. M. Danon préconise une médiation équilibrée qui tient compte de la réalité des Palestiniens. Celle-ci doit prendre son temps car envisager un Etat palestinien à court terme serait prématuré. En effet, il est nécessaire de construire une gouvernance solide pour que les Israéliens puissent accepter un État palestinien.

Si le conflit israélo-palestinien est de nature géopolitique, il comporte une autre composante déterminante, la dimension religieuse. En effet, les Messianiques juifs refusent de lâcher les territoires pour des raisons religieuses. Une difficulté structurelle à gérer le Mont du Temple persiste. Enfin, les politiques et diplomates souhaitant le compromis se heurtent à la radicalité religieuse. L’attentat du 7 octobre 2023 en est le symbole. Par conséquent, cette montée du religieux déplace les frontières du conflit israélo-palestinien. En effet, le Palestinien est devenu un symbole du refus de l’histoire et des valeurs de l’Occident.

Enfin, au-delà de l’action politique, SE. M. Danon incite ceux qui choisissent leur camp à garder au fond d’eux de la compassion et de l’empathie pour ce qu’il se passe de l’autre côté.

Copyright pour la synthèse 7 mai 2024-Danon-Reynier/Diploweb.com

Copyright pour l’audio et la vidéo Avril 2024-Danon/Diploweb.com


Bonus, la vidéo de la conférence Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ? E. Danon

La guerre éternelle II : Et maintenant le Liban par Michel Goya

La guerre éternelle II : Et maintenant le Liban

 

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 30 juillet 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Le 25 juin 2006, un commando palestinien attaque le poste militaire de Kerem Shalom, près du territoire du Gaza. Le commando tue deux soldats israéliens et en capture un autre, nommé Gilad Shalit. Le 28 juin, Tsahal lance l’opération Pluies d’été pour essayer de le retrouver et punir les auteurs de l’attaque. L’opération commence par une série de frappes aériennes sur des infrastructures du Hamas mais aussi de l’Autorité palestinienne et du Fatah, pourtant étrangers à l’attaque du 25 juin. La centrale électrique du sud du territoire est ainsi détruite. La campagne de frappes est prolongée en juillet par des incursions de forces terrestres au centre de Gaza. Le 12 juillet, sans doute pour montrer sa solidarité avec les organisations palestiniennes et faire libérer des prisonniers en échange d’otages, le Hezbollah organise à son tour un raid de commandos qui parvient à franchir la barrière le long de la frontière nord d’Israël. Le commando intercepte une patrouille israélienne, tue huit soldats et en capture deux autres avant de revenir au Liban. 

Dissuasion instable

Le Premier ministre Ehoud Olmert qui vient de succéder à Ariel Sharon saisit l’occasion pour reprendre l’initiative après le retrait de Gaza, assurer une image d’homme fort soucieux de la sécurité des Israéliens et restaurer la capacité de dissuasion israélienne. L’effort de guerre est déplacé immédiatement de Gaza vers le Liban et Olmert annonce haut et fort la destruction prochaine du Hezbollah, l’organisation chiite qui a contraint l’armée israélienne à quitter le Sud-Liban et menace désormais tout le nord du pays.

On connaît la suite : les forces aériennes israéliennes ravagent le Liban sans empêcher le Hezbollah de tirer une centaine de roquettes chaque jour pendant plus d’un mois sur le nord d’Israël et les forces terrestres, très maladroitement engagées, sont tenues en échec. La résolution 1701 du conseil de sécurité des Nations unies qui appelle au désarmement du Hezbollah et au contrôle du Sud-Liban par l’armée libanaise et la FINUL permet à tout le monde de sauver la face et d’arrêter les combats, même si personne ne croit à sa mise en œuvre réelle. Depuis cette époque, Israël et le Hezbollah s’observent avec méfiance, conscients du mal que chacun peut faire à l’autre, ce qu’on appelle aussi de la dissuasion mutuelle.

Les choses ont fondamentalement peu changé depuis cette époque, à part que le Hezbollah est bien plus puissant qu’à l’époque. C’est l’organisation armée qui dispose du plus grand arsenal de projectiles au monde, un arsenal bien supérieur en quantité, avec un total de 130 à 150 000 projectiles en tout genre et en qualité avec des engins à courte portée – drones, missiles – très difficiles à arrêter et des centaines de missiles balistiques capables de frapper toutes les villes d’Israël. Le Hezbollah peut lancer chaque jour autant de projectiles que pendant toute la guerre de 2006 et finir par submerger le très sophistiqué système de défense aérienne israélien.

Une question fondamentale qui se pose du côté israélien est de savoir si cet arsenal peut être suffisamment réduit par une attaque massive préventive pour permettre ensuite au bouclier de contrer le reste et neutraliser ainsi l’ennemi. La tentation est donc très forte de recourir à cette attaque désarmante, mais pour autant son résultat n’est pas certain. Il est fort possible que l’arsenal du Hezbollah soit une force de seconde frappe, c’est-à-dire capable de faire quand même très mal malgré une attaque préalable. Du côté du Hezbollah on se dit sans doute aussi qu’il vaudrait également mieux frapper les premiers.

Ce n’est pas tout. Le Hezbollah dispose aussi d’une infanterie très supérieure en qualité, en armement et en quantité à celle du Hamas, avec entre 40 et 50 000 combattants permanents, dont la force spéciale Radwan, et bien plus de miliciens réservistes. Outre les combats de 2006 et ceux des années 1990 pour les plus anciens, beaucoup de ces combattants ont l’expérience de la guerre en Syrie où ils ont servi de fer de lance du régime d’Assad. Autrement dit le Hezbollah, a non seulement aussi au sol de quoi résister durement à une offensive israélienne mais également sans doute de quoi attaquer le territoire israélien. Même si le Hezbollah n’a plus osé attaquer directement Israël depuis 2006, contrairement au Hamas, il constitue la menace principale pour l’Etat hébreu

Juste en dessous de la guerre totale

Survient le 7 octobre 2023. Alors que les Israéliens ont surtout le regard tourné vers le Liban et la Cisjordanie, l’attaque la plus terrible contre le sol israélien depuis 1949 vient du territoire de Gaza. Tout en combattant l’attaque du Hamas au sud, le gouvernement israélien observe donc avec angoisse la frontière nord avec la crainte d’une offensive similaire de la part du Hezbollah selon un plan coordonné, comme lors de l’offensive commune de l’Égypte et de la Syrie le 6 octobre 1973 ou en décalé comme en 2006. Le risque est majeur et dès la mobilisation trois divisions de réserve israéliennes sont immédiatement envoyées ou renforcées au nord du pays et l’aviation effectue des démonstrations de force.

Rien ne vient pourtant de ce côté le 7 octobre. Il est clair désormais que le Hezbollah n’avait pas été mis au courant de l’attaque du Hamas, ne serait-ce que pour préserver le secret et la surprise. Il est clair aussi que le Parti de Dieu, par peur de la furie israélienne contre lui et un Liban en crise profonde, n’avait pas du tout envie de se lancer dans une guerre totale. Pour autant, il semblait obligatoire de montrer sa solidarité avec le Hamas, même si les relations avec l’organisation palestinienne ont toujours été ambiguës. Il ne faut pas oublier non plus que la plupart des organisations armées palestiniennes, dont le Hamas et le Jihad islamique, sont également présentes au Liban, avec des capacités de frappe et de combat terrestre modestes mais suffisantes pour harceler la frontière avec Israël. Les premiers tirs venant du Liban contre l’État hébreu et les premières ripostes israéliennes surviennent le 8 octobre. Les populations frontalières israéliennes et libanaises commencent à évacuer la région.

La tentation est alors forte au sein du gouvernement israélien, le ministre de la Défense Yoav Gallant en tête, de considérer, comme en 2006, qu’il faut certes châtier le Hamas mais aussi, et peut-être même prioritairement, attaquer préventivement le Hezbollah. L’intervention rapide américaine, avec le déploiement d’une armada très dissuasive vis-à-vis de l’Iran et du Hezbollah (on rappellera au passage que les Américains n’ont jamais oublié les 240 morts du 23 octobre 1983 à Beyrouth ni l’aide de l’Iran à beaucoup de leurs ennemis en Irak) et le déplacement de Joe Biden appelant dès le 10 octobre les Israéliens à la retenue calme en partie les ardeurs. La constitution d’un cabinet de guerre avec Benny Gantz et Gadi Eisenkot, deux anciens chefs d’état-major hostiles à l’aventurisme, finit par convaincre au moins de la dangerosité de se lancer dans deux guerres simultanément.

Les forces aériennes et les divisions d’active 98 et 162, aidées des divisions de réserve les plus solides, sont finalement totalement engagées à Gaza. Les Israéliens saisissent néanmoins toutes les occasions pour frapper au Liban et en Syrie pour interdire l’approvisionnement du front libanais et pour tuer les cadres du Hamas bien sûr, comme Saleh el-Arouri frappé le 2 janvier 2024 au cœur de Beyrouth, du Hezbollah et même de l’organisation Qods dans le consulat iranien à Damas le 1er avril 2024. Ces frappes sont toujours expliquées comme étant en riposte de celles du Hezbollah, qui annonce lui-même que ce sont des réponses aux frappes israéliennes. Le Hezbollah prend soin de ne pas aller trop loin en évitant de toucher les civils. En neuf mois, les 6 400 projectiles du Hezbollah, des roquettes à faible portée et missiles antichars à longue portée comme les Kornet russes pouvant frapper avec précision et sans pouvoir être arrêtés jusqu’à 10 km, provoquent la mort de plus de trente Israéliens, des soldats pour la plupart. Dans la grande majorité des cas, le Hezbollah tire sur des villages vides. Les attaques israéliennes tuent près de 400 personnes au Liban, là encore des combattants du Hezbollah pour la plupart et une centaine de civils.

Même lorsque les Iraniens décident de frapper Israël dans la nuit du 13 au 14 avril en riposte à l’attaque du consulat à Damas et actionnent l’ensemble du « cercle de feu » des organisations armées alliées, la participation du Hezbollah est des plus modestes. La réponse israélienne le 19 avril évite également le Parti de Dieu pour frapper en Iran et en Syrie. La guerre de part et d’autre de la frontière entre Israël reste donc volontairement contenue.

Les choses commencent à bouger à l’été. Le 9 juin, Benny Gantz quitte le cabinet de guerre et la capacité de persuasion de Joe Biden s’effrite au grès de ses difficultés dans la campagne électorale américaine. Les 63 000 réfugiés intérieurs israéliens originaires de la frontière expriment de plus en plus fort leur lassitude. La guerre à Gaza est également en train de changer de phase. Le Hamas a été sévèrement touché et ne constitue plus une menace. Si la guerre continue de ce côté, elle prend de plus en plus l’aspect d’un quadrillage. Cela signifie concrètement qu’une fois le nettoyage de Rafah terminé, les divisions 98 et 162 ainsi que la majorité des forces aériennes seront disponibles pour agir ailleurs. Il faudra certes reconstituer un peu ses forces et recompléter son stock de munitions aériennes avec l’aide américaine, mais on pouvait alors considérer que Tsahal pourrait mener bientôt une campagne aéroterrestre complète au Liban à la fin de l’été ou au début de l’automne, peut-être en profitant de grands évènements internationaux comme les Jeux olympiques ou l’élection présidentielle américaine.

Danse sur un volcan

Le 27 juillet, une roquette de forte puissance Falaq-1 frappe la ville druze de Majdal Shams sur le plateau du Golan, tuant 12 adolescents. C’est le plus grand massacre d’Israéliens depuis l’attaque du 7 octobre et l’émotion est évidemment immense. Le Hezbollah nie, contre toute évidence, son implication dans la tuerie. Il est vrai que ce massacre tranche avec la politique de l’organisation depuis dix mois et que le groupe d’adolescents druzes n’était pas spécialement visé, puisqu’il est impossible de le faire avec une munition aussi imprécise après un vol de plusieurs kilomètres. Toujours est-il que le Hezbollah a lancé 50 kg d’explosif sur une ville. Il avait utilisé pour la première fois une Falaq-1 fin janvier, mais contre des installations militaires et l’avait revendiqué. Peut-être s’agissait-il le 27 juillet de frapper également un objectif militaire ou peut-être un commandant a-t-il voulu réellement frapper une petite ville, on ne sait pas très bien. Toujours est-il que volontairement ou non, un seuil a été franchi qui appelle forcément à une réaction forte israélienne.

Que faire ? Les partisans de la destruction du Hezbollah ou du moins de son expulsion au sud du fleuve Litani peuvent arguer qu’on aurait dû agir plus fortement et plus tôt. Désormais en position de forces, ils prônent donc une offensive « surprenante, rapide et brutale » selon les mots du Yoav Gallant le 17 juillet devant des réservistes gardant la frontière. Les forces terrestres ne sont pas encore prêtes mais il est possible de lancer d’ores et déjà une grande campagne aérienne, même si la consommation considérable de munitions sur Gaza a un peu épuisé les stocks. Les prudents font remarquer que les opérations ne sont pas terminées à Gaza, qu’il y reste encore 116 otages, et qu’il serait hasardeux de se lancer dès à présent dans une nouvelle guerre très incertaine. La communauté internationale craint surtout un embrasement régional si l’Iran et tous ses groupes alliés se mettent de la partie, obligeant sans doute les autres acteurs de la région, occidentaux ou arabes, à s’impliquer également.

L’option la plus probable à ce stade est donc une série de frappes aériennes d’une intensité inédite sur ce front mais encore limitées dans leur volume et leur objectif, le Hezbollah et le Hezbollah seul. Une escalade limitée donc pour se venger mais aussi « pour voir ». Le Hezbollah peut alors céder et accepter un repli (sans aucun doute temporaire) au nord du Litani en signe de volonté de paix, surtout à destination libanaise. Il peut riposter modérément afin de continuer à rester sous le seuil de la guerre totale. Il peut aussi escalader en étendant nettement le volume et la portée de ses tirs sur Israël. On rentrerait alors sans aucun doute dans un engrenage terrible où l’aviation israélienne aurait alors toute justification pour frapper le Hezbollah le plus massivement possible afin de stopper ses tirs et de détruire le plus vite possible son arsenal à longue portée.

Il est fort possible aussi, comme en 2006, que les Israéliens choisissent aussi de frapper le reste du Liban en espérant que le gouvernement libanais (si tant est qu’il y en ait réellement un), l’armée libanaise (idem) et même la population finiront par pousser le Hezbollah à céder. Le général Gadi Eisenkot, membre du cabinet de guerre avait baptisé cela la « doctrine Dahiya », du nom d’un quartier de Beyrouth bombardé dès le début de la guerre de 2006. Le Liban n’a jamais eu besoin d’une campagne de bombardement mais surtout pas en ce moment, et cela a effectivement joué sans aucun doute dans la retenue du Hezbollah, mais on ne sait pas très bien par quel miracle ce concept fonctionnerait maintenant alors qu’il n’a jamais fonctionné dans le passé.

Si le Hezbollah ne cède pas malgré les coups reçus du ciel, il n’y aura pas d’autre solution que de lui donner des coups au sol et donc d’engager les forces terrestres, et notamment les deux divisions d’active venant du sud. L’armée de Terre israélienne n’est plus celle, très maladroite, de 2006 d’autant plus qu’elle s’est largement aguerrie depuis neuf mois. La nouvelle offensive serait infiniment mieux coordonnée et ressemblerait sans doute au rouleau compresseur des colonnes blindées de l’opération Paix en Galilée en 1982. L’armée israélienne avait alors engagé cinq divisions avec 78 000 hommes face à 30 000 Syriens et au maximum 15 000 combattants de l’OLP. L’armée israélienne peut désormais engager moins de troupes qu’à l’époque alors que le Hezbollah, qui a parfaitement organisé le terrain, dispose d’une infanterie très supérieure aux forces syriennes et palestiniennes.

Le combat sera sans aucun doute très brutal, pour reprendre les termes de Yoav Gallant, certainement pas rapide et effectivement sans doute surprenant mais pas forcément en faveur d’Israël. S’il y avait toujours le moyen de présenter une victoire militaire contre le Hamas, même relative puisque l’organisation est toujours là et tient le terrain, les choses sont beaucoup plus incertaines contre le Hezbollah. Ce qui est sûr c’est que le Liban sera ravagé, une partie d’Israël aussi sans doute, et les pertes et les souffrances très élevées. Cela vaut-il le coup ? Même s’il était vaincu au Sud-Liban le Hezbollah a suffisamment de profondeur stratégique pour survivre, se reconstituer, revenir et redevenir la même menace dans quelques années. A moins de changer radicalement de vision du monde et de politique dans les deux camps, et ce n’est visiblement pas la tendance, l’affrontement est condamné à être éternel.  

Attaques contre la SNCF : des actes majeurs et sans précédent

Attaques contre la SNCF : des actes majeurs et sans précédent

Photo : Mandatory Credit: Photo by dts News Agency Germany/Shutterstock (14578806d)

 

par Jean-Baptiste Noé – Revue Conflits – publié le 26 juillet 2024


La SNCF a reconnu avoir subi plusieurs attaques simultanées qui déstabilisent le trafic ferroviaire des gares parisiennes. S’il est trop tôt pour connaitre les circonstances exactes de ces événements, quelques hypothèses peuvent d’ores et déjà être émises.

Ces premières réflexions sont posées alors que les événements ferroviaires sont encore en cours. Ce ne sont que de premières hypothèses, à chaud, qui devront être approfondies, confirmées ou infirmées en fonction des informations ultérieures.

Addendum 16h

Acte terroriste ?

Nous avons écrit et dit que le sabotage du réseau SNCF était un acte terroriste. Cette qualification de terroriste n’a pas été comprise par certaines personnes, nous allons donc expliciter ce terme ici.

Par terrorisme, nous retenons la définition suivante : « Le terrorisme est une technique de communication violente qui consiste en la réalisation (et/ou la menace) d’actes de guerre visant à transmettre un message émotionnellement impactant à des audiences différentes des victimes immédiates de l’action ». Citation issue de l’ouvrage co-dirigé avec Daniel Dory, Le Complexe terroriste, VA éditions, 2022, p. 12.

Pour beaucoup de Français, un acte terroriste, c’est un musulman qui égorge un passant avec un couteau en criant « Allah akbar » ou un Basque qui fait sauter un bâtiment avec une bombe. Si ces actes relèvent en effet du terrorisme, ils ne sont pas exclusifs.

Le sabotage commis contre les infrastructures de la SNCF est bien « une technique de communication » puisqu’il s’agit de délivrer un message politique. Il fait usage de la violence (sabotage des postes de réseaux ferrés) et il transmet « un message émotionnellement impactant » (pensons aux centaines de milliers de passagers bloqués dans les gares et à leur famille).

Certes il n’y a pas eu de morts, mais un acte terroriste ne se qualifie pas par le nombre de morts (les nationalistes corses font usage du terrorisme et sont jugés comme tel alors même qu’ils tuent très peu).

Dans le terrorisme, il est nécessaire de distinguer trois strates : polémique, scientifique, juridique.

La strate juridique est celle de la justice.

La strate scientifique est celle de l’étude scientifique des actions terroristes.

La strate polémique est celle des discours autour des actes terroristes. Depuis ce matin, elle est riche d’enseignement et les termes usités par les ministres et les responsables de la SNCF sont fort intéressants à étudier.

Les sabotages sont attribués à « l’Ultra-gauche ». C’est à la fois précis et très imprécis. Mouvance écologiste ? Anarchiste ? Trotskyste ? Révolutionnaire ? Tous ces mouvements peuvent être classés sous le vocable extrême ou ultra gauche. À ce stade, nous n’en savons rien. Il faut attendre que l’enquête s’affine pour disposer de plus d’éléments.

En amont de l’ouverture des JO, de nombreux comptes Twitter d’extrême gauche avait appelés à saboter les Jeux et à les empêcher de se dérouler correctement. Visiblement, certains sont passés du tweet à l’action.

Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté. Cette émission de France Culture du 26 avril 2023 rappelle pourquoi la CGT, au début du XXe siècle, appelait à saboter le rail. C’est donc une vieille pratique, remise au goût du jour.

Affaire à suivre.

Tweet de SNCF Réseau qui montre les équipes au travail pour réparer les dégâts causés.

 

Addendum 14h

L’acte terroriste mené par l’extrême-gauche ne surprendra pas les lecteurs de Conflits. Cela fait plusieurs années que nous étudions ce phénomène et la violence déployée par les mouvements d’extrême gauche. Je renvoie notamment au dossier Terrorisme, paru en mai 2021.

Les médias mainstream n’osent pas employer le terme de « terrorisme ». Ils évoquent des actes de « malveillance« , des « attaques », des « sabotages » mais jamais de terrorisme. Ils marchent sur des œufs, refusant d’employer les termes justes et de désigner les auteurs véritables. Ce qui est en soi significatif de la terreur intellectuelle qui pèse sur le pays.

Je renvoie à ce sujet au livre co-écrit avec Daniel Dory : Le Complexe terroriste (2022).

Addendum 12h

Matthieu Chabanel, directeur de SNCF Réseau détaille le mode opératoire et les dégâts causés.

Ces propos confirment les hypothèses que nous émettions ce matin, à savoir que les personnes qui ont agit connaissent très bien le fonctionnement des réseaux et savaient où opérer. Ce ne peut donc être que des cheminots, actuels ou retraités, ou du personnel de la SNCF.

La piste de l’attaque étrangère est désormais exclue et les autorités évoquent celle de mouvement d’ultra gauche, ce qui est une indication encore très imprécise sur les protagonistes et leurs raisons d’agir.

Addendum 10h27

Alain Morel évoque « des actes de grandes délinquances avec des idéologies »

 

Le Figaro, citant des sources des milieux sécuritaires, évoque des actes menées par l’ultragauche

Les incendies volontaires qui perturbent le réseau SNCF ce vendredi matin ne peuvent encore être attribués clairement à des malfaiteurs. Toutefois, le mode opératoire incendiaire observé est généralement utilisé par des membres de l’utragauche, indique au Figaro une source sécuritaire.

Le PDG de la SNCF évoque des « illuminés« , des « irresponsables« , ce qui confirme la piste des mouvements de gauche, écologistes, ultra gauche ou autre. L’enquête devra déterminer les commanditaires exacts.

 

Texte rédigé à 8h30

Les faits

Au petit matin de la nuit de jeudi à vendredi 26 juillet, plusieurs incendies se sont déclarés à proximité de voies de chemin de fer. Ils ont touché des postes de signalisation, perturbant fortement les communications des TGV Atlantique, Nord et Est. Des tentatives d’incendies ont eu lieu sur la ligne gare de Lyon, mais elles n’ont pas abouti. La SNCF a reconnu que les quatre lignes TGV ont été attaquées.

La SNCF a reconnu un acte de malveillance et se dit victime « d’une attaque massive pour paralyser le réseau ».

 

Les incendies ont eu lieu autour de 5h du matin, c’est-à-dire au moment de la reprise des trains après la pause de la nuit.

Source BFM :

Des armoires de signalisation en bord de voies ont été incendiées et des câbles coupés et incendiés, ont appris BFMTV de source proche de l’enquête et RMC.

Dans le détail, la LGV Nord a été ciblée par des câbles coupés et incendiés aux environs d’Arras, à Croisille dans le Pas-de-Calais, ainsi que d’autres actes de sabotage.

La LGV Atlantique a subi un incendie au poste 17 de Courtalain (commune Nouvelle d’Arrou) entre Paris et Tours.

La LGV Est a souffert d’actes de sabotage avec le même mode opératoire. Deux dégradations répertoriées entre la gare Meuse TGV et la commune Lamorville et entre Pagny-sur-Moselle (54) et la commune de Lamorville.

La LGV Sud Est a subi également des tentatives de sabotage qui ont pu être évité, à Vergigny dans l’Yonne.

Plusieurs TGV ont été annulés, d’autres sont déroutés vers les voies classiques, ce qui va engendrer des retards de plus d’une heure. Dans les gares, les passagers s’entassent.

Les lieux, les dates

La date ne doit rien au hasard. Il s’agit non seulement du jour de la cérémonie d’ouverture des JO, mais aussi du week-end le plus chargé de l’année puisque c’est le départ en vacances des aoûtiens et le retour des juilletistes. Le dernier week-end de juillet est toujours le moment le plus chargé pour le trafic ferroviaire de passager.

La date est donc particulièrement bien choisie : c’est l’assurance de provoquer une pagaille maximale, de toucher le maximum de personnes, le tout sous le regard des caméras du monde entier puisque de nombreux journalistes sont présents à Paris.

Incendies

«Des incendies volontaires ont été déclenchés pour endommager nos installations» communique la SNCF.

L’incendie est l’un des actes les plus faciles qui soient à organiser. Il nécessite peu de compétence technique, mais peut engendrer des dégâts importants.

Ils ont été allumés à proximité des postes de signalisation. Ce qui signifie que les personnes qui ont allumé ces incendies savent où se trouvent ces postes et ce que cela peut engendrer. Il faut donc un niveau de connaissance minimal du fonctionnement du réseau de la SNCF.

D’autre part, les incendies ont tous été allumés en province, dans des zones rurales. Donc des lieux peu surveillés et faciles d’accès. Des lieux où il est plus simple de frapper que dans un Paris cadenassé et quadrillé.

D’un point de vue opératoire, l’opération est donc particulièrement bien réussie.

Économie des forces : peu de moyens utilisés, facilité d’action, mais dégât maximal.

Qui ?

Une fois les faits et leurs conséquences établies, la question que tout le monde se pose : qui ? Notons que le terme « terrorisme » n’a pas été employé ni par la SNCF ni par le ministre des Transports. Les deux parlent de « malveillance ».

Au regard de ce que nous venons de développer, il s’agit pourtant bien d’un acte terroriste, tel qu’il correspond à la définition classique. Il s’agit bien d’un acte de communication qui vise à faire peur, à terroriser une population, à démontrer qu’il est possible de frapper partout sur le territoire pour déstabiliser le fonctionnement normal des infrastructures. Le terrorisme ne se manifeste pas que par des bombes et des morts.

Si les autorités politiques ne parlent pas de terrorisme c’est parce que ce terme à une connotation très négative dans l’opinion, qu’il fait peur (c’est son but) et qu’il faut donc éviter de l’employer au moment de l’ouverture des JO. D’où l’emploi du terme de « malveillance ».

Qui a pu commettre de tels actes ? L’enquête devra le déterminer.

Une puissance étrangère ?

Des mouvements gauchistes et écoterroristes ? La CGT avait promis de perturber la circulation des voies durant les JO.

Les lieux attaqués montrent que les acteurs connaissaient les endroits à viser. Le groupe qui a commis ces actes bénéficie donc d’informations qui viennent de personnes qui travaillent dans le domaine ferroviaire et qui savent quels lieux viser. Une association entre une puissance étrangère et des mouvements gauchistes n’est pas non plus à exclure.

Ce ne sont là que des hypothèses, que les heures ou jours qui viennent devront affiner.

Que retenir ?

Ces actes, que l’on peut qualifier de terroristes, sont un tournant majeur. C’est la première fois qu’une telle action est menée. Elle est de grande ampleur, car elle a nécessité des moyens humains importants, des connexions humaines au niveau de la SNCF ou de Réseau ferré de France et d’un déploiement coordonné sur plusieurs points du territoire français. C’est du jamais vu. S’il n’y a aucun mort ni aucune victime civile, l’effet de déstabilisation est parfaitement atteint. Pour avoir pensé et réalisé cette opération, il faut disposer de personnes de haut niveau, capables de penser l’opération et de la mener, sans se faire repérer par des services de sécurité pourtant en alerte extrême.

L’armée israélienne prépare une «offensive décisive» contre le Hezbollah libanais

L’armée israélienne prépare une «offensive décisive» contre le Hezbollah libanais


La fumée s'élève au-dessus du Liban, au milieu des hostilités transfrontalières entre le Hezbollah et les forces israéliennes, vue depuis le nord d'Israël, le 25 juillet 2024

La fumée s’élève au-dessus du Liban, au milieu des hostilités transfrontalières entre le Hezbollah et les forces israéliennes, vue depuis le nord d’Israël, le 25 juillet 2024 Avi Ohayon / REUTERS

Après des mois d’échanges de tirs transfrontaliers entre les deux forces armées, le général israélien Ori Gordin a déclaré avoir déjà éliminé «plus de 500 terroristes au Liban» et «préparer la transition vers l’offensive».

Un commandant de l’armée israélienne a indiqué ce vendredi 26 juillet que les troupes dans le nord du pays, où Israël partage une frontière avec le Liban, se préparaient à une «offensive décisive» contre le Hezbollah, après des mois d’échanges de tirs transfrontaliers. Le mouvement islamiste libanais Hezbollah et l’armée israélienne échangent des tirs quasi quotidiennement depuis l’attaque le 7 octobre du mouvement islamiste palestinien Hamas en Israël, qui a déclenché la guerre dans la bande de Gaza.

Dans un discours prononcé lors d’un déplacement dans le Nord, le général israélien Ori Gordin, a déclaré aux soldats: «nous avons déjà éliminé plus de 500 terroristes au Liban, la grande majorité d’entre eux appartenant au Hezbollah», selon un communiqué de l’armée. Les troupes israéliennes dans le Nord sont actuellement en opération pour protéger les habitants de cette partie du pays et «préparer la transition vers l’offensive», a ajouté le général Gordin, commandant les forces israéliennes. «Quand le moment viendra et que nous passerons à l’offensive, ce sera une offensive décisive», a-t-il encore dit.

Les violences depuis le 8 octobre entre l’armée israélienne et le Hezbollah ont fait au moins 523 morts au Liban, en majorité des combattants, selon un bilan établi par l’AFP à partir de différentes sources. La plupart d’entre eux, 342 personnes, ont été confirmés comme étant des combattants du Hezbollah, mais le bilan comprend également 104 civils. Orin Gordin n’a pas mentionné de victimes civiles. Dans le nord d’Israël, au moins 18 soldats israéliens et 13 civils ont été tués, selon l’armée.

Le Hezbollah, soutenu par l’Iran, affirme que ses attaques contre Israël depuis le 8 octobre ont pour objectif de soutenir son allié du Hamas. Des dizaines de milliers d’habitants ont depuis été déplacés au Liban et en Israël en raison de cette flambée de violence transfrontalière.

La tentative d’assassinat contre Donald Trump et le Secret Service

La tentative d’assassinat contre Donald Trump et le Secret Service

par Alain Rodier – CF2R – publié le 18 juillet 2024


Le Secret Service (United States Secret Service/USSS, fondé en 1865), qui vient une fois de plus être mis en lumière le 13 juillet à l’occasion de la tentative d’assassinat de l’ancien président – et candidat à l’élection prévue à la fin de l’année – Donald Trump, est une agence gouvernementale dépendant du ministère de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security/DHS) des États-Unis.

Pour résumer, Thomas Matthew Crooks, le suspect posté sur un toit situé à environ 130 mètres de la tribune où se produisait Donald Trump, a tiré huit coups de feu avec un fusil semi-automatique AR-15 de calibre 5,56 mm (acheté légalement par son père en début d’année) avant d’être neutralisé par les tireurs de précision du Secret Service.

À quelques millimètres près, il logeait une balle dans la tête de M. Trump, mais heureusement n’est parvenu à le blesser qu’à l’oreille. Par contre, il a tué une personne et blessé deux autres. Ses motivations ne sont pas actuellement connues.

 

Le secret service (USSS)

Le Department of Homeland Security des États-Unis, créé en 2022 à la suite des attentats du 11 septembre 2001, englobe diverses agences fédérales. En 2024, le DHS comptait quelques 258 000 agents dont 6 700 membres de l’USSS. 

Le Secret Service dépendait jusqu’en 2003 du département du Trésor car sa mission première était la lutte contre la fausse monnaie et la fraude financière. Elle s’est enrichie de la lutte contre les attaques informatiques dirigées contre le système financier et les infrastructures de télécommunications américaines. 

Mais sa mission la plus connue est d’assurer la protection des présidents, vice-présidents (en exercice ou ayant quitté leurs fonctions), de leurs familles, de certaines personnalités et représentants officiels du pays, des personnalités étrangères en visite aux États-Unis et des résidences officielles.

La mission de protection du président des États-Unis ne fut confiée à l’USSS qu’après l’assassinat du président William McKinley en 1901. Mais le premier président américain à avoir été abattu alors qu’il était en fonction fut Abraham Lincoln en 1865. James A. Garfield sera également assassiné en 1881. Le plus célèbre assassinat demeure celui de John F. Kennedy en 1963.

En outre, trois présidents ont été blessés à l’occasion de tentatives d’assassinat contre eux : Ronald Reagan, alors qu’il était en fonction (1981) ; et les anciens présidents Theodore Roosevelt (1912) et bien sûr Donald Trump le 13 juillet 2024.

En fonction des missions exercées par ces personnalités, cette protection peut être partagée avec le Diplomatic Security Service (DSS)[1].

Si le Secret Service est le dernier rempart de la personne protégée, son travail a aussi lieu en amont. Ainsi, en coopération avec les agences de renseignement, il enquête sur tout ce qui peut être considéré comme des menaces pouvant peser sur le président américain et son entourage. Aux États-Unis, menacer le président – par quelque moyen que ce soit, internet compris – est un crime fédéral. Mais l’USSS ne fait pas partie de la « communauté du renseignement. » 

Parfois, le Secret Service peut aider les polices locales grâce à ses moyens sophistiqués pour résoudre certains crimes.

La sécurité des bâtiments présidentiels (complexe de la Maison-Blanche qui abrite également le département du Trésor et la résidence du vice-président), mais aussi les représentations diplomatiques étrangères à Washington est assurée par la « division en uniforme » (Uniformed Division/ UD). Ses agents mènent leur mission depuis des postes fixes et mobiles. Ils peuvent recevoir le renfort de l’unité anti-snipers (Counter Sniper Unit/CS), de l’unité canine de détection d’explosifs (Canine Explosives Detection Unit/K-9), de l’équipe d’intervention d’urgence (Emergency Response Team/ERT) et de l’unité de soutien magnétométrique (Magnetometer Support Unit), créée pour s’assurer que toutes les personnes entrant dans les zones sécurisées par le Secret Service ne sont pas armées.


[1] Il regroupe plus de 2 500 agents spéciaux, agents techniques de sécurité, spécialistes techniques de sécurité et courriers diplomatiques qui travaillent et voyagent dans le monde entier.

Comment les géographes militaires contribuent à la sécurisation des JO 2024

Comment les géographes militaires contribuent à la sécurisation des JO 2024

par – Forces opérations Blog – publié le

Ils sont moins d’une dizaine déployés pour l’occasion mais sans les géographes militaires du 28e groupe géographique de l’armée de Terre, il serait bien difficile pour les milliers de militaires chargés de protéger les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de se retrouver dans le méandre des rues de Paris. Du fond de la Seine aux abords des stades, zoom sur une spécialité aussi unique qu’essentielle à la sécurisation de cette grande messe du sport. 

Blanchir la Seine

Jamais plus petit esquif militaire n’avait navigué sur la Seine parisienne. Du long de ses 180 cm, le bathydrone VASCO de l’armée de Terre paraît minuscule dans le ballet ininterrompu des bateaux mouches, mais sa mission n’en est pas moins indispensable au bon déroulé des Jeux olympiques : cartographier le lit du fleuve en vue de la cérémonie d’ouverture de ce vendredi. Une tâche confiée au 28e groupe géographique (28e GG), seule unité française capable de produire les cartes nécessaires à la bonne compréhension de l’environnement physique et humain. 

Trois militaires du 28e GG de Haguenau (Bas-Rhin) appuyés par deux plongeurs-démineurs du 1er régiment étranger de génie (1er REG) ont parcouru de long en large un segment de trois kilomètres et profond de cinq à six mètres à l’aide de ce drone de surface équipé d’un GPS, d’un sonar et d’un sondeur. Grâce à ces capteurs, « vous pouvez faire le modèle numérique en 3D du fond de la scène et détecter les objets pouvant potentiellement nuire à la navigation », explique l’adjudant-chef Teddy, technicien géographe au sein du 28e GG. 

« C’est ce qu’on appelle une opération de blanchiment de la Seine », complète le lieutenant-colonel Sébastien, chef du bureau opération-instruction du 28e GG. Bien que conçu pour opérer de manière autonome, le bathydrone était pour l’occasion tracté par un semi-rigide des sapeurs afin de gagner en visibilité face aux autres usagers de la Seine et d’éviter de consommer la batterie en luttant contre le courant.

« Mission accomplie », avance l’adjudant-chef Teddy au terme de trois jours de va-et-vient. La première analyse réalisée à chaud n’aura pas suscité d’inquiétudes. Contrairement à l’impression initiale, l’essentiel des objets se situent au centre du lit et non sur le bord des quais ou en dessous des ponts. Ni mine immergée, ni autobus de la RATP, mais surtout des pneus de vélo et d’anciens poteaux d’amarrage, constate le spécialiste de la bathymétrie. Rien qui soit, à première vue, susceptible de gâcher la fête. Et si un doute subsiste après une relecture approfondie des données, il reviendra aux plongeurs-démineurs de la Légion étrangère d’aller le lever in situ. 

« RAS » au terme de trois journées de cartographie du fond de la Seine, manoeuvre conduite avec le soutien du 1er REG

Et cartographier Paris

Essentielle, l’expertise du 28e GG l’est tout autant en surface. L’appui géographique s’est en effet d’emblée avéré utile pour faciliter le travail des quelque 10 000 militaires de la force Sentinelle mobilisés à Paris au plus fort de l’événement. Une grande partie d’entre eux proviennent de la 27e brigade d’infanterie de montagne, dont les régiments sont davantage habitués à évoluer à flanc de paroi que sur les grands boulevards parisiens. Ce sont autant de groupes à qui il faut donner un instantané exact et précis d’un environnement particulièrement dense et évolutif. « Le but du jeu, c’est que chaque patrouille dispose d’une carte de sa zone. Une zone qui n’est pas forcément identique de jour en jour », pointe le LCL Sébastien. 

Qui dit épreuves sportives dit en effet stades éphémères et autres infrastructures temporaires implantées un peu partout dans et autour de Paris. « La physionomie du terrain va être modifiée, les règles de circulation, l’accès, la zone des secours vont être changés », explique le LCL Sébastien. Voilà deux ans que son groupe travaille en coordination avec l’établissement géographique interarmées (EGI) à récupérer l’information requises pour mettre à jour les outils disponibles et s’assurer « que nos soldats puissent avoir à l’instant ’t’ la carte représentant au mieux la réalité du terrain avec les endroits où ils peuvent ou non passer et planifier les opérations sans être bloqués s’il se passe quelque chose et qu’ils ont besoin de réagir ». 

Une fois les données récoltées par les topographes, celles-ci sont confiées aux cartographes chargés de produire les cartes, études et autres produits demandés à partir d’un système d’information géographique, « un logiciel qui permet de mettre en forme et mettre à jour des cartes ». Les outils qui en découlent peuvent ensuite être imprimés, intégrés aux différents systèmes d’information des armées ou diffusés sur l’intranet militaire. Pour la sous-lieutenant Marine, officier analyste géographie au sein de la cellule « Terrain Analysis » (TERA), la principale difficulté relève du « panel vraiment très dense des données que nous devons traiter, de la zone de manoeuvre aux demandes très précises des NEDEX [neutralisation, enlèvement, destruction des explosifs] ou du génie ». 

Pour les géographes militaires, le dispositif partage des similarités avec celui engagé lors de Barkhane. Et encore, cette opération extérieure clôturée en novembre 2022 au Sahel était dépourvue de moyens mobiles de production de carte, contrairement à Sentinelle. Uniques en leur genre, ces conteneurs montés sur châssis de camion GBC contiennent tout l’équipement nécessaire pour réaliser de la production cartographique, du PC à l’imprimante. Deux d’entre eux ont été déployés à Paris pour toute la durée de cette XXXIIIe Olympiade, de quoi permettre d’imprimer jusqu’à 500 cartes par jour. 

La région parisienne n’est pas le seul espace concerné. De Marseille à Saint-Étienne et de Bordeaux à Lille, d’autres sites olympiques installés en zone urbaine seront quadrillés par Sentinelle. Ce sont autant de cartes susceptibles d’être commandées auprès d’un 28e GG qui, dans ce cas, activera la cellule disponible en permanence en Alsace. 

Jusqu’à 500 cartes de toutes tailles peuvent être imprimées quotidiennement par les modules mobiles TERA du 28e GG, et bien plus en s’appuyant sur les capacités de l’EGI

Des compétences rares en évolution

Rattaché à sa création à l’artillerie, le 28e GG est « l’un des plus petits régiments de l’armée de Terre », rappelle le LCL Sébastien. Ses savoir-faire sont néanmoins essentiels à la prise de décision. Comme le démontrent les JOP, « la géographie est prise en compte à très haut niveau pour monter et conduire des opérations », complète le chef du BOI. Jusqu’à appuyer l’OTAN dans l’évolution de ses plans de défense, démarche pour laquelle le 28e GG a été réquisitionné à l’occasion d’une mission récente en Roumanie. Volontairement discret car appartenant encore au monde du renseignement, l’unité dans quelques mois sous commandement de la brigade du génie nouvellement installée à Angers et elle-même inféodée au Commandement de l’appui et de la logistique de théâtre (CALT) créé le 1er juillet à Lille. 

Derrière les théodolites et autres tachéomètres, l’éventail de matériels spécifiques au travail cartographique s’élargit progressivement au gré des nouvelles technologies, à commencer par les systèmes robotisés. Le bathydrone, conçu par l’entreprise grenobloise Escadrone, n’est qu’un exemple. Derrière les deux exemplaires en service depuis 2022, le 28e GG s’approprie depuis un moment certains drones aériens. S’ils ne sont pas employés pour les JOP, ces drones contribuent à renforcer la capacité du groupe en matière de couverture de surface, précieux gain de temps à la clef. Les montagnes ne disparaissent pas en une nuit, mais une forêt, le tracé d’une route, voire un village entier peuvent se retrouver rapidement modifiés ou effacés par la densité des combats. « L’usage du drone aérien nous permet de mettre à jour plus rapidement une situation géographique qui évolue vite », estime à ce titre le chef du BOI. 

Depuis près de trois ans, le 28e GG est doté de sa propre Google Car. Ou presque, car le système léger de topographie (SLT) fait mieux que son équivalent civil. Développé par Equans Ineo et installé sur le toit d’un véhicule, ce SLT combine un capteur LIDAR de haute précision et six caméras pour la collecte des données à des systèmes de navigation associant systèmes de positionnement par satellites et centrale inertielle. Le tout fournit une modélisation de l’environnement urbain en 3D soit rapide par nuage de points colorisés, soit plus complète en modèles vectoriels. Sept exemplaires ont été acquis pour 38 M€. 

S’il n’en sont pas les premiers bénéficiaires, les géographes sont à la fois acteurs et bénéficiaires du programme SCORPION de renouvellement du segment blindé médian de l’armée de Terre. Leurs cartes peuvent ainsi contribuer au système d’information du combat SCORPION (SICS). À terme, les VAB utilisés pour protéger des équipes de topographes « potentiellement proches de la ligne de front » seront remplacés par un véhicule Griffon spécialisé dont la configuration est en cours de définition. « C’est un objet qui est très complexe, car il faut notamment réussir à y intégrer une centrale inertielle spécifique en plus de celle nativement intégrée sur le Griffon », explique le LCL Sébastien. Cette version devrait apparaître à l’horizon 2030. 

Focalisé en surface, le travail du 28e GG pourrait s’étendre au sous-sol. Si ce domaine est plutôt dans les mains des forces de sécurité intérieure durant les JOP, celles-ci bénéficient de certains moyens militaires. La problématique est récente mais est bien prise en compte par les armées, veille technologique et expérimentations à la clef. L’armée de Terre étudie ainsi l’emport d’un système LiDar sur le sac à dos d’un combattant, solution légère lui permettant de cartographier l’environnement en 3D tout en lui laissant les mains libres. 

À l’heure du SICS et de Google Maps, l’impression de cartes de manière autonome est malgré tout « une vraie compétence à conserver parce que nous nous rendons compte que nous restons très vulnérables à beaucoup de choses avec nos réseaux. Cela se voit en Ukraine, par exemple, où le GPS est brouillé régulièrement. Cette capacité, c’est quelque chose que l’on avait un peu oublié et qui remonte donc en puissance depuis peu », conclut le LCL Sébastien. Infaillible à condition d’être régulièrement mise à jour, la carte en papier a encore un bel avenir devant elle.

Civil War par michel Goya

Civil War

par michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 17 juillet 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Il s’en est donc fallu de quelques centimètres que l’histoire des États-Unis bifurque et donc par contrecoup aussi un peu celle du reste du monde. A 137 mètres, un tireur moyen armé d’un fusil AR-15 ne peut normalement pas rater une cible de la corpulence de Donald Trump, surtout peu mobile devant un pupitre. Thomas Matthew Crooks est pourtant parvenu à réaliser ce double exploit ce samedi 13 juillet à 18h00 locale à Butler (Pennsylvanie) : parvenir à tirer sur un ancien président des États-Unis à nouveau candidat et parvenir à le rater à aussi courte portée.

L’anomalie comme opium des complotistes

Comme toute chose surprenante en politique ces deux anomalies sont évidemment à l’origine de deux théories complotistes contradictoires qui ont circulé immédiatement après les faits. La première, que l’on retrouve évidemment du côté des gens très hostiles à Trump décrit un candidat organisant lui-même son agression afin de booster sa popularité, à la manière de Nelson Hayward, ce personnage de la série Columbo (S03E03)…qui en profitait aussi au passage pour éliminer un adjoint gênant. La seconde, étrangement plutôt parmi les partisans de Trump, où en France les amis de la Russie ce qui revient un peu au même, est que l’« État profond américain » a voulu se débarrasser de ce révolutionnaire acharné à le détruire. On a même vu le tireur dans un publicité de 2022 financé par le fonds d’investissement Black Rock, c’est dire.

Tout cela ne présente pas grand intérêt, sinon comme symptôme d’une tension particulière. Les pseudo-attentats ont peut-être existé depuis toujours. C’était même une spécialité russo-soviétique justifiant répressions diverses, purges ou effectivement tremplin électoral pour Vladimir Poutine, alors peu connu, mais élu triomphalement à la présidence après les attentats d’août-septembre 1999 organisés par le FSB à Moscou. Les tentatives d’assassinats contre soi sont en revanche beaucoup plus complexes à organiser parce qu’il faut bien prendre un peu de risque pour que cela ait l’air crédible, mais surtout éviter que l’enquête du Columbo ou du journaliste local ne révèle un pot aux roses qui pour le coup s’avérera désastreux politiquement et même judiciairement. Dangereux et délicat à manier donc. On se souvient de l’imbroglio de l’« attentat de l’observatoire » dans la nuit du 15 au 16 octobre 1959 à Paris contre François Mitterrand, alors sénateur. Ce fut une affaire assez minable dont on ne sait pas encore très bien qui a manipulé qui, mais qui a fait très mal à l’image de Mitterrand au lieu de la renforcer comme celui-ci l’espérait. En dehors de cette affaire rocambolesque, je ne connais aucun cas réel d’auto-attentat.

Les assassinats organisés de citoyens de son propre pays par l’État ou ses services de manière autonome sont évidemment plus courants, et c’est là encore plutôt une spécialité russe depuis quelques années. C’est toutefois assez rare dans les démocraties, ne serait-ce que parce que les capacités d’investigation et de révélation du complot sont plus importantes qu’ailleurs. Mais ce n’est pas impossible. Pour rester aux États-Unis, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 est sans aucun doute celui qui a donné naissance à la plus grande littérature et le plus grand nombre d’organisations suspectes, depuis la CIA, jusqu’aux anticastristes, en passant par la mafia de Chicago, l’Union soviétique, le complexe militaro-industriel et même le vice-président Johnson. Peut-être. Rappelons simplement que comme dans le cas de l’auto-attentat, on n’a pas droit à l’erreur dans ce genre d’exercice sous peine de retours politiques dévastateurs, au moins en démocratie. On s’efforce donc, sans certitude absolue, de faire en sorte que cela réussisse. En clair et pour revenir à l’attentat de Butler, on ne confie pas ce genre de mission à un gamin de vingt ans, un âge où aux États-Unis on a le droit d’acheter des armes mais pas de l’alcool, plutôt instable et par ailleurs mauvais tireur selon ses camarades du Clairton Sportsmen’s Club.

Avec Thomas Matthew Crooks on est effectivement loin assez loin de simplement Lee Harvey Oswald, mais bien plus proche de tous les presque toujours illuminés qui ont assassiné quatre présidents des États-Unis et essayé 17 fois de la faire sans réussir, ce qui au passage donne quand même une bonne moyenne pour 46 POTUS. Quant aux assassinats et tentatives d’assassinats de candidats à la présidence ou des personnalités politiques majeures, elles sont singulièrement nombreuses. Et pour tous ceux qui sont passés à l’acte, combien y ont songé mais n’ont pu passer à l’acte comme Travis Bickle, le héros de Taxi Driver car ils n’ont pas trouvé de faille dans le dispositif de sécurité ?

4,86 grammes de politique

Thomas M. Crooks, a, lui, pu accéder à la célébrité morbide, car il a trouvé une faille dans le dispositif, certes assez incroyable mais tout à fait possible dans le monde réel et non fantasmé des complotistes.

Un dispositif de sécurité comprend au moins deux cercles de protection. Le premier est très proche afin d’empêcher les attaques à très courte portée et protéger la cible si ces attaques ont quand même lieu puis procéder à l’évacuation, les soins éventuels, etc. Un deuxième cercle vise à protéger la cible des tireurs à quelques centaines de mètres de portée, mais aussi de possibles attaques de drones. Après reconnaissance des lieux, tous les emplacements de tir possibles sont soit occupés, soit lorsque c’est possible barricadés ou entravés, soit, au minimum, surveillés à vue directe ou par drone. On peut inclure aussi un troisième cercle plus large face aux menaces à plus longue portée, des mortiers par exemple, et surveiller les approches. Ce réseau de surveillance est doublé d’un dispositif de filtrage et de fouilles ou, pour faire simple, plus on s’approche de la cible et plus on doit être léger, à pied et sans moyen de dissimuler des objets lourds.

Après le quadrillage et l’occupation rationnelle du terrain, le point clé réside dans la coordination de tous les agents de sécurité dans le secteur, souvent issus de services différents. C’est là que le bât blesse le plus souvent. Il y a normalement un poste de commandement qui gère toutes les unités impliquées, avec un réseau de communication simple et parfois unique. Si les choses sont bien organisées tout le monde sait ce que font les autres et où. Cela n’a visiblement pas été complètement le cas à Butler où Crooks a pu assez facilement grimper sur un toit non surveillé avec un fusil. Il n’a même pas eu besoin d’actionner à distance l’explosif qu’il avait placé dans sa voiture, sans doute pour attirer l’attention des forces de sécurité. Plusieurs témoins l’ont fatalement vu ramper sur le toit et ont averti des policiers plusieurs minutes avant l’attaque. Il est possible aussi que l’équipe d’antisniping à proximité de Donald Trump l’ait vu également lorsqu’il s’est mis en position de tir, mais c’est là qu’intervient la deuxième faille après le trou dans le dispositif : faute de coordination tout le monde, des policiers dans la foule ou des antisnipers, se demandait probablement s’il ne s’agissait pas de collègues.

Ce flottement a laissé suffisamment de temps à Crooks pour tirer plusieurs coups, et heureusement l’AR-15 vendu dans le commerce ne permet normalement pas de tirer en rafale. Crooks a raté sa cible. Cela tient parfois à peu de choses. Je suis devenu bon tireur seulement après avoir admis qu’étant droitier je devais quand même tirer en gaucher parce que mon œil directeur était le gauche. Peut-être était-ce le cas. Il était en tout cas certainement très stressé parce qu’il voulait tuer, ce qui n’est jamais anodin, et savait qu’il allait probablement mourir à l’issue, ce qui l’est encore moins. La vision n’est alors plus la même et si on ajoute surtout de fortes pulsations cardiaques, avec le stress et l’effort fourni pour grimper sur le toit, ramper et se mettre très vite en position, on conçoit que la qualité du tir sera réduite par rapport à une situation normale au champ de tir, où rappelons-le, il était déjà médiocre. Crooks s’est apparemment compliqué également la tâche en visant la tête au lieu du corps, cible bien sûr plus petite et par ailleurs plus susceptible de bouger. Une balle de 5,56 mm, 2,6 grammes en 22 LR ou 4,86 en calibre OTAN, parcourt 137 mètres entre 1/3 et 1/6e de seconde. C’est court mais c’est suffisant pour une tête de bouger un peu et voir ainsi la balle frôler une oreille au lieu de toucher le front.

On notera la stupeur du public et bien sûr de Trump lui-même au moment des tirs. Le bruit des 5,56 est assez faible, surtout s’il s’agit du calibre 22LR, assez loin en tout cas de l’imagerie véhiculée par l’emploi des fusils d’assaut dans les films, et on peut aisément le confondre avec d’autres claquements, comme des ballons (et là on pense évidemment au discours de Reagan à Berlin en 1987). On rappellera aussi que ce bruit est d’abord une onde de Mach autour du projectile et donc directement sur la cible, rejoint en une demi-seconde par celui de la détonation de départ à 137 m de là. Très difficile alors de comprendre ce qui se passe sauf à voir des gens touchés autour de soi ou des impacts dans le sol ou des murs. Et même alors, un très rapide 5,56 ou tout autre petit calibre, peut traverser des chairs sans provoquer de choc. On peut être touché sans bouger si aucun élément dur, une plaque de protection, un casque ou un objet quelconque mais aussi simplement son ossature, n’est frappé et si c’est le cas, on partira en arrière si c’est en haut (ce que l’on voit toujours dans les films) et on chutera en avant si c’est dans les jambes tandis qu’on se cassera en deux et on tombera sur place si c’est dans le ventre. Trump ne bouge pas à cause du choc mais à cause de la douleur de l’éraflure de l’oreille.

Derrière lui, hormis les gardes du corps qui comprennent très vite, le public est dans l’expectative dans la situation de tension-incompréhension où on ne sait pas quoi faire et où on obéit immédiatement aux ordres, ou on imite ceux qui font quelque chose s’il n’y a pas d’ordre. C’est ce qui se passe lorsque quelqu’un crie « il a un fusil », en voyant simplement le tireur et que les agents de sécurité hurlent « à terre ! ». À ce moment-là, la menace est terminée puisque Crooks a déjà été repéré et abattu tout de suite par des tireurs d’élite.

Donald Trump réagit bien à l’attaque, sort vite de sa stupeur et a l’intelligence de parler tout de suite avec un ordre-slogan simple « Fight ! » qui dans ce contexte-là résonne dans une foule qui n’attend que ça et répond avec force « USA ! ». L’exploitation instinctive de l’agression par Trump est, il faut bien l’admettre, remarquable, ce qui donne l’impression qu’il est capable de résister à la pression – une qualité nécessaire, mais non suffisante, à un bon président. Appuyée par l’intelligence de placement du photographe Evan Vucci, la scène donne même naissance à une photo destinée à être iconique, à l’image de celle du mont Suribachi à Iwo Jima en 1945, et inestimable pour la popularité de Trump. Crooks voulait abattre Donald Trump, il l’a renforcé.

Trump est immédiatement transporté à l’hôpital de Butler à 17 km de là, dont il ressort très vite pour rejoindre la convention républicaine à Milwaukee (Wisconsin) où il est évidemment acclamé. Les croyants fans de Trump invoquent évidement la main de Dieu pour ce qu’ils considèrent comme un miracle et un signe. Cela signifierait donc que Dieu n’avait pas grand-chose à faire au même moment de Corcy Comperator tué par une balle perdue alors qu’il protégeait ses filles de son corps. La plupart de ces croyants politico-chrétiens étant également « pro-guns », ils oublient aussi que Dieu n’aurait pas eu à intervenir avec une législation « normale » de contrôle des armes.

Minutemen ou super-vilains ?

Les assassinats ou les tentatives d’assassinats politiques sont donc nombreux dans l’histoire des États-Unis, mais le plus étonnant est peut-être qu’il n’y en ait pas plus dans ce pays qui conjugue le culte de l’action individuelle et plus d’armes à feu que d’habitants. Nous sommes dans un pays qui a, dès sa naissance, mis en avant les Minutemen, ces citoyens capables de prendre les armes dans la minute pour défendre la Patrie et la liberté, alors que l’armée régulière permanente était longtemps interdite, car soupçonnée d’être l’instrument potentiel de la tyrannie. Dans cette conception où on se méfie plus de l’État que d’ennemis extérieurs, le monopole légitime de la force n’est pas attribué au gouvernement mais aux citoyens.

Quand on conjugue le culte du héros individuel et des centaines de millions d’armes à feu – dont au moins 11 millions d’AR-15 (certains parlent de 25 millions) et bien d’autres armes tout aussi dangereuses – on peut s’attendre à ce que certains se sentent investis d’une mission, sacrée ou pas, malgré la mort presque assurée au bout. Il y a en eu ainsi 38 en 2023 à s’être lancé dans des fusillades de masse provoquant 288 morts ou blessés, avec une préférence pour les écoles ou les supermarchés. Certains ont une conception plus politique de leur action, comme John Wilkes Booth lançant « Sic semper tyrannis » (« ainsi en est-il toujours des tyrans ») après avoir tiré sur Abraham Lincoln, une phrase attribuée à Brutus après l’assassinat de César et devise de l’État de Virginie.

Dans le long cycle des Princes d’Ambre, le romancier Roger Zelazny décrit l’affrontement entre des puissants mondialisés (en l’occurrence plutôt universalisés) et des modestes qui ont le pouvoir, dit du Logrus, de faire venir à eux tout ce qu’ils veulent. Des individus qui peuvent faire venir à eux facilement des armes de guerre disposent d’un super-pouvoir d’autant plus puissant qu’ils agissent désormais dans un contexte hypermédiatisé qui va amplifier les effets de leurs actes. Que l’on songe simplement à l’impact considérable en France des frères Kouachi et Amédy Coulibaly en janvier 2015, amenant quelques jours plus tard 44 chefs d’État à Paris et des millions de Français dans les rues après une émotion immense.

Que l’on songe aussi à ce qui se passerait en France, s’il y avait plusieurs millions de Kalachnikovs, même bridées au coup par coup, en circulation presque libre et non en passant par des réseaux criminels. On peut imaginer que beaucoup d’attaques que l’on parvient à maintenir au niveau- incompressible – de l’arme blanche, comme encore avant-hier contre un soldat français Gare de l’Est à Paris, se feraient au fusil d’assaut. Outre la menace jihadiste ou celle de tous ceux qui en veulent à la France, on peut imaginer aussi des possibilités terribles pour les groupuscules radicaux, type Action directe ou Charles Martel pour des bords opposés dans les années 1970-1980 mais dotés d’un arsenal militaire. Pour autant, on peut encore croire qu’il n’y a pas en France un quart de la population considérant la violence mortelle venant des citoyens eux-mêmes comme légitime pour sauver le pays, comme c’est le cas actuellement aux États-Unis selon un sondage du Public Religion Research Institute, avec même une proportion d’un tiers chez les électeurs républicains, ceux-là mêmes qui viennent de la subir à Butler et paradoxalement par un des leurs.

Les individus seuls lourdement armés sont donc des super-héros potentiels, du moins dans la croyance libertaire américaine, alors que dans les faits ce sont presque toujours des super-vilains. En 2006-2007, une série crossover de l’univers Marvel imaginait que l’État décide d’obliger tous les individus dotés de super-pouvoirs de servir le gouvernement au lieu d’agir individuellement. En clair, il s’agissait de rétablir le monopole de l’État sur l’usage de la force selon la description de Max Weber. Cette décision entraînait une scission entre les héros, les rebelles au gouvernement mais passionnément patriotes étant dirigés par Captain America, le plus vieux de tous les super-héros américains puisque né en 1917, incarnation de la great generation blanche et probablement électeur républicain. Captain America finit par être assassiné dans cette histoire par des gens qui veulent réellement instaurer une dictature aux États-Unis. Et c’est là que se situe toute l’ambiguïté de Butler, des gens d’un même camp pouvant simultanément voir en Donald Trump un champion de la liberté et un potentiel dictateur à éliminer, au risque de déclencher une guerre larvée des Minutemen de l’Amérique profonde contre le pouvoir jugé totalitaire d’un État mondialisé. La série Marvel s’appelait Civil War et cette idée de guerre civile, reprise entre autres dans un film récent, se promène dans le conscient collectif américain.  

L’opération Sentinelle, un paratonnerre inadapté contre le terrorisme ?

L’opération Sentinelle, un paratonnerre inadapté contre le terrorisme ?

Mise en place au lendemain des attentats de janvier 2015, Sentinelle est destinée à la lutte antiterroriste. Les patrouilles sont régulièrement attaquées.

Par Clément Machecourt – Le Point –

https://www.lepoint.fr/societe/france-l-operation-sentinelle-inadaptee-contre-le-terrorisme-16-07-2024-2565754_23.php


L'opération Sentinelle déploie actuellement 15 000 militaires sur le territoire français pour la sécurisation des Jeux olympiques. 
L’opération Sentinelle déploie actuellement 15 000 militaires sur le territoire français pour la sécurisation des Jeux olympiques.  © SOPA Images/SIPA / SIPA / SOPA Images/SIPA

Un soldat de l’opération Sentinelle a été légèrement blessé gare de l’Est, lundi 15 juillet vers 22 heures. Son assaillant, un homme connu de la justice pour un meurtre commis en 2018, a été interpellé, avant d’être interné en psychiatrie. Cette attaque survient à moins de deux semaines de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et met en avant le rôle clé des militaires dans le dispositif de sécurité. Car aux 35 000 forces de l’ordre déployées, il faut ajouter 15 000 militaires, dont 11 000 rien que dans la région parisienne.

Tous effectuent des patrouilles dans les rues, gares et aéroports de France dans le cadre de l’opération Sentinelle. Déclenchée au lendemain des attentats de janvier 2015, sa première mission est la lutte antiterroriste. Depuis cette date, son utilité est souvent pointée du doigt. Lors des attentats de novembre 2015, une des patrouilles avait monté des barricades improvisées près des terrasses, quand une autre avait refusé d’appuyer les premiers policiers entrés dans le Bataclan.

Sentinelle visée par six attaques terroristes

Entre 2015 et 2018, les patrouilles Sentinelle ont été visées par six attaques de nature terroriste, faisant neuf blessés parmi les militaires. En février 2017, c’est dans le carrousel du Louvre qu’un Égyptien attaque quatre soldats au couteau. Ils répliquent et le blessent grièvement. Scénario quasi similaire en mars de la même année dans le Hall 1 de l’aéroport d’Orly. Un homme tente d’arracher l’arme d’une militaire avant de se faire abattre. Tous deux se revendiquaient de l’islam radical.

L’action des militaires de Sentinelle se révèle parfois décisive comme en octobre 2017 quand, sur le parvis de la gare Saint-Charles de Marseille, ils abattent un homme qui vient de poignarder deux jeunes femmes. En décembre 2018 à Strasbourg, ils tirent et blessent au bras l’individu qui a tué cinq personnes lors du traditionnel marché de Noël.

Depuis la fin territoriale de l’État islamique en 2019, la menace terroriste islamiste est devenue endogène, signant la fin des opérations type Bataclan et mettant en avant le passage à l’acte d’un seul individu faiblement armé. Les effectifs de Sentinelle étaient descendus à 3 000 hommes. Dans un rapport de 2022, la Cour des comptes estimait le coût de Sentinelle à deux milliards d’euros entre 2015 et 2020. « Les armées, telles qu’utilisées aujourd’hui, ne semblent être complémentaires des forces de sécurité intérieure qu’en termes essentiellement quantitatifs », ajoutait la juridiction financière. Problème, « l’addiction des autorités et forces de sécurité intérieure à la force Sentinelle constitue une évidence », selon un rapport de l’inspecteur des Armées en 2021.

« Une mission de police, sans le pouvoir de police »

Sans pouvoir de police, les patrouilles doivent être accompagnées d’un Officier de police judiciaire (OPJ) pour effectuer des fouilles ou des interpellations. Un officier de l’armée expliquait il y a quelques semaines au Point que les patrouilles sans OPJ étaient de plus en plus fréquentes. « Je dois envoyer mes hommes assurer une mission de police, sans le pouvoir de police », regrettait-il. « Les patrouilles se font toujours dans le cadre légal de Sentinelle, pourtant la mission n’est plus l’antiterrorisme, c’est de la sécurité sur la voie publique », ajoutait-il, amer.

Sentinelle a également été déployée en 2020 aux frontières pour lutter contre l’immigration illégale et clandestine. « Ces opérations placent les détachements Sentinelle dans des postures interministérielles inconfortables, souvent mal anticipées, proches d’un rôle de supplétifs. Elles les exposent [y compris au risque réputationnel] et surtout dévalorisent le niveau d’exigence professionnelle requis pour l’exécution des missions militaires », pointait l’inspecteur des Armées. Nul doute qu’en période de crise budgétaire, l’arrêt de Sentinelle sera remis sur la table après la fin de la séquence des Jeux. Reste à voir qui prendra la décision politique de faire disparaître le vert au profit du bleu dans les villes.

« C’est un grand déshonneur pour la France de livrer ses amis à ses ennemis » : le calvaire des derniers auxiliaires afghans abandonnés par Paris

« C’est un grand déshonneur pour la France de livrer ses amis à ses ennemis » : le calvaire des derniers auxiliaires afghans abandonnés par Paris

Plus de 1 000 afghans ont été embauchés par l’armée française lors de son intervention en Afghanistan. Mais malgré les promesses de l’État, plusieurs d’entre eux n’ont pas été évacués en France, et regrettent leur engagement aux côtés de l’OTAN.

Par Benjamin Laurent – Géo – Publié le 16/07/2024

https://www.geo.fr/geopolitique/c-est-un-grand-deshonneur-pour-la-france-de-livrer-ses-amis-a-ses-ennemis-le-calvaire-des-derniers-auxiliaires-afghans-abandonnes-par-paris-221248


 Si je retourne maintenant dans mon village, les talibans vont se saisir de moi et me kidnapper ou me tuer”. C’est ainsi que Sayed* nous raconte son quotidien, constitué de changements fréquents de cachette pour échapper aux combattants islamistes qui contrôlent l’Afghanistan.

Son crime ? Avoir travaillé comme auxiliaire de l’armée française, déployée pendant plus d’une décennie dans le pays d’Asie centrale aux côtés de ses alliés. Les forces de Paris ont employé des centaines d’afghans comme lui, luttant pour débarrasser leur pays des talibans ou simplement obtenir de quoi nourrir leur famille. Mais trois ans après la chute de Kaboul et le retour au pouvoir du régime islamiste, plusieurs d’entre eux attendent encore une évacuation qui n’est jamais venue.

Une vie sous la menace des talibans

En 2001, la France envoie ses troupes en Afghanistan après le renversement éclair des talibans par les États-Unis, dans le sillage des attentats du 11 septembre. Paris recrute alors au fil des années 1 067 « personnels civils de recrutement local », ou PCRL ; autrement dit des interprètes, chauffeurs, cuisiniers, ou encore des gardes, qui vont épauler les forces françaises sur le terrain.

Mais le retrait français survenu en 2012 place ces auxiliaires dans une situation délicate, alors que leur statut de collaborateur avec les pays de l’OTAN pousse les talibans à les menacer de représailles. S’engage alors un long bras de fer entre les autorités françaises et des associations, collectifs d’avocats, journalistes ou encore personnalités politiques qui tentent d’obtenir leur rapatriement en France. Une décision du Conseil d’État ouvre en 2019 la possibilité d’accorder un visa pour les PCRL dans le cadre de la protection fonctionnelle, autrement dit la protection due à une personne en danger des suites de son emploi par une administration française.

Car la menace est bien avérée. Le porte-parole des talibans Zabihullah Mujahid résumait en 2014 auprès de Vice News en des termes très clairs ce qui arriverait aux interprètes des armées occidentales : ils doivent être « ciblés et exécutés comme les soldats étrangers et les occupants étrangers. Ils seront mis à mort ».

Qader Daoudzai, interprète des forces françaises entre 2010 et 2012, a ainsi été tué lors d’un attentat au sein d’un bureau de vote en 2018, alors qu’il allait demander un visa déjà refusé en 2015. Abdul Basir, cuisinier pour l’armée française entre 2008 et 2013, est assassiné en juin 2021 après trois refus de visa, laissant derrière lui 5 enfants.

Quelques jours plus tôt, les talibans expliquaient que les afghans qui ont travaillé avec l’étranger « ne cour[ai]ent aucun danger de notre part […] dès lors qu’ils abandonneront les rangs de l’ennemi, ils redeviendront des Afghans ordinaires dans leur patrie et ne devraient pas avoir peur ».

Des alliés de la France laissés sur le terrain

L’assassinat d’Abdul Basir a lieu en parallèle de la reconquête éclair du pouvoir par les talibans durant le printemps et l’été 2021, suite aux accords de Doha prévoyant un retrait des forces de l’OTAN après deux décennies. Cette offensive pousse les pays occidentaux à organiser une évacuation précipitée de leurs troupes et de dizaines de milliers d’afghans avant le mois de septembre. On trouve parmi eux des personnels d’ambassade, journalistes, diplomates, membres du gouvernement, ainsi que de nombreux auxiliaires qui ont soutenu l’effort de guerre.

Mais l’évacuation est loin d’emmener tous les alliés occidentaux en sûreté. Le 16 août 2021, Emmanuel Macron souligne pourtant le rôle crucial qu’ont eu ces auxiliaires sur le terrain. « C’est notre devoir et notre dignité de protéger ceux qui nous aident : interprètes, chauffeurs, cuisiniers et tant d’autres », revendique-t-il, affirmant en parallèle que « plusieurs dizaines de personnes sont encore sur place qui ont aidé l’armée française et pour lesquelles nous restons pleinement mobilisées ».

Malgré cette annonce forte, tous et toutes ne seront pas évacués – loin de là. Selon le ministère des Affaires Étrangères en décembre 2022, si 228 PCRL ont été rapatriés entre 2013 et 2018, l’opération Apagan, durant laquelle la France organise l’évacuation de « près de 3 000 personnes dont une centaine de civils français » au cours de l’été 2021, n’emporte en tout et pour tout que 31 PCRL avec leurs familles. Ce même ministère note que 126 autres anciens PCRL ont depuis été exfiltrés entre septembre 2021 et décembre 2022.

Des centaines de PCRL ne sont donc pas inclus dans ces chiffres, pour de multiples raisons qui contribuent à brouiller un peu plus le dossier : « Des PCRL qui ont servi différentes armées ont pu être relocalisés par un autre pays, par exemple les États-Unis ou l’armée britannique », souligne Maître Magali Guadalupe Miranda, avocate membre du Collectif de défense des personnels civils de recrutement local fondé en 2015.

« Il est aussi possible que des personnes qui ont dû fuir ont finalement été pris en compte dans les chiffres de l’asile et qui de ce fait n’ont pas formulé de demande de visa », souligne l’avocate. D’autres ont tout simplement disparu lors de leur fuite vers l’étranger, sans qu’on sache ce qu’il a pu advenir d’eux.

Un long, difficile et coûteux exil vers la France

Mais pour ceux qui ont dû rester sur place, la situation sécuritaire sans cesse dégradée les pousse à fuir le pays, une tâche très complexe depuis la chute de Kaboul. Le premier obstacle des auxiliaires consiste à sortir du pays en direction du Pakistan ou de l’Iran, États dans lesquels les ambassades françaises peuvent les convoquer pour étudier leur demande de visa.

« Il est très difficile pour un afghan d’obtenir un visa » pour quitter l’Afghanistan dans un délai satisfaisant, souligne cependant Quentin Müller, journaliste qui, dans son livre Tarjuman. Enquête sur une trahison française, écrit avec Brice Andlauer et publié en 2019, dénonçait déjà la politique française envers les PCRL. D’autant que posséder un passeport en règle est également de plus en plus compliqué pour des personnes traquées par le gouvernement.

Or, les délais imposés par les ambassades en cas de convocation doivent être respectés à tout prix, pointe le journaliste : « C’est écrit noir sur blanc que si vous n’êtes pas au rendez-vous, on conclut que vous n’êtes pas intéressé de venir et qu’il n’y aura pas de chance ».

Il faut donc débourser de fortes sommes pour faciliter l’obtention de son visa vers Islamabad ou Téhéran auprès des autorités corrompues avant de fuir dans ces pays, où il s’agit ensuite de subsister en attendant pendant des mois que la France étudie le dossier. L’Iran et le Pakistan, qui abritent à eux deux des millions d’afghans, ont cependant durci leur position sur le sort des réfugiés sur leurs terres, avec l’expulsion par Islamabad de centaines de milliers d’afghans demandant l’asile en 2023.

Zahir* fait partie de ceux qui ont pu, malgré tous ces obstacles, obtenir un visa et s’installer en France, après qu’il ait assuré entre 2006 et 2007 la sécurité des forces armées françaises. « Je suis reconnaissant de l’attention exceptionnelle du gouvernement pour finaliser mon dossier et faciliter mon intégration dans la société française », nous précise-t-il : arrivé en Iran en juillet 2022, il est convoqué à l’ambassade le 16 novembre de la même année et a pu s’installer en France en août 2023.

Mais sa famille est toujours bloquée en Afghanistan, attendant que Zahir parvienne à la rapatrier. « Elle se trouve dans une situation précaire qui menace sa vie », alerte ce dernier. « Elle ne peut pas rester au même endroit en Afghanistan, elle doit constamment changer d’adresse à cause des problèmes de sécurité ».

Mais les coûts engendrés par l’exil empêchent pour le moment tout rapatriement de ses proches : « j’ai payé très cher pour que toute ma famille puisse avoir des passeports, j’ai contracté des dettes pour cela, et, maintenant, je n’ai plus d’argent pour la faire venir », regrette Zahir.

Des dossiers bloqués malgré le danger taliban

Tous n’ont pas été aussi chanceux que Zahir, comme le constate amèrement Hossain*. Ce dernier est réfugié en Iran dans l’attente d’un visa qui ne vient pas, alors que sa famille est encore en Afghanistan. « De 2011 à 2013, j’ai été employé par la société de logistique Agility France en tant que chef d’équipe du service de sécurité de la gendarmerie française«  dans une province afghane, nous raconte-t-il.

Arrivé en Iran, il obtient un rendez-vous à l’ambassade à Téhéran en juin 2023, sans obtenir de réponse de celle-ci par la suite. Sa demande de visa via un recours en urgence a été rejetée, tandis que la procédure suit encore son cours au tribunal.

Le risque d’expulsion d’Hossain vers un pays où les autorités cherchent à le tuer n’est pas une menace suffisante, comme le juge le ministère de l’Intérieur.  GEO

« Je suis très triste, très inquiet, et je ne comprends pas pourquoi le gouvernement français n’a pas tenu les promesses qu’il avait faites à ses employés et pourquoi il nous a laissés au bord du chemin », regrette ce dernier.

Contactés avant et après les élections législatives au sujet d’Hossain, l’ambassade de France à Téhéran et le ministère de l’Intérieur n’ont pas répondu à GEO, tandis que le ministère des Affaires étrangères a indiqué qu’il ne donnerait pas suite à notre sollicitation. Le ministère des Armées, contacté après les élections, n’a pas encore apporté de réponse au sujet d’Hossain.

« Ce qui est fou, c’est le manque de cohérence entre les annonces lors de la prise de pouvoir des talibans et la prise en charge des auxiliaires », souligne maître Zoé Guilbaud, qui a traité de plusieurs dossiers d’auxiliaires, comme celui d’Hossain.

La faute à une « volonté de ne pas accueillir d’avantages de PCRL », dénonce Nicolas Delhopital, directeur de l’association Famille France-Humanité, mobilisée depuis des années pour défendre les auxiliaires. « La situation est très proche des Harkis qu’on a laissés en rase campagne », souligne pour sa part Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne, impliquée sur le dossier depuis des années.

Mais le système qui permet d’accorder, ou non, un visa à ces auxiliaires est opaque et atténue les efforts des acteurs engagés pour tenter de les rapatrier. « Les ambassades ne prennent pas toutes seules les décisions en matière de visa asile, c’est la direction de l’Asile rattachée au ministère de l’intérieur qui va examiner les demandes et donner un avis favorable ou non », pointe ainsi Zoé Guilbaud.

Le ministère des Armées, en tant qu’ancien employeur de ces auxiliaires, joue également un rôle, comme dans les demandes de protection fonctionnelle. L’imbrication de plusieurs administrations, l’existence de plusieurs procédures pour obtenir un visa et le mutisme des différents ministères impliqués complexifie d’autant plus chaque dossier. On peut cependant distinguer une tendance générale selon maître Zoé Guilbaud : « On amène de plus en plus de preuves, de plus en plus d’éléments, mais plus ça va, moins ça suffit ».

Ces procédures de plus en plus complexes ne concernent pas qu’Hossain : « une vingtaine de personnes attend un visa dans les pays limitrophes », estime Abdul Razeq Adeel, interprète entre 2001 et 2014 et fondateur de l’Association des Anciens Interprètes Afghans de l’Armée Française, qui a aidé à mettre la lumière sur cette affaire depuis son arrivée en France en 2016.

Un retour forcé en Afghanistan

Hossain et d’autres pourraient malheureusement connaître le même sort que celui de Sayed. Ce dernier a travaillé comme garde dans une base aérienne de l’OTAN entre 2006 et 2007, un emploi qui lui vaut une médaille de la défense nationale. « Après que les talibans ont pris le contrôle de l’État afghan, j’ai fui en Iran en juillet 2022 », résume-t-il à GEO.

Les états de service de Sayed lui ont valu une récompense attribuée au nom du ministère de la Défense.  GEO

Il tente là-bas de faire valoir ses droits pour obtenir un visa qui lui permettrait d’accéder à la France. « En octobre 2022, mon avocate a reçu un mail de l’ambassade [de France à Téhéran] informant que j’avais un rendez-vous le 16 novembre 2022 pour un entretien. À la fin de l’entretien, l’ambassade m’a dit d’attendre deux ou trois mois leur décision », explique Sayed.

Sans réponse de l’ambassade à Téhéran au sujet du visa, Sayed lance une procédure via le tribunal administratif de Nantes, qui fait la jurisprudence en matière de visa. S’ensuit un refus en août 2023, validé par une décision de ce même tribunal en avril 2024 après contestation par Sayed, puis une procédure d’appel encore en cours.

Une autre demande auprès du ministère des Armées dans le cadre de la protection fonctionnelle en mars 2022 est restée lettre morte. La saisie du tribunal administratif de Paris en urgence et au fond n’aboutit pas non plus : la procédure en urgence a été refusée au motif que Sayed a également demandé un visa auprès des autorités iraniennes, tandis qu’une date d’audience pour la procédure au fond n’a toujours pas été fixée.

La décision du tribunal administratif de Nantes justifie son refus en arguant qu' »il n’est ni établi ni même allégué qu’il [Sayed] ferait l’objet de menaces directes en Iran où il réside depuis 2022″. Son retour dans un pays contrôlé par les talibans n’est pas non plus une justification suffisante : « Si le requérant soutient qu’il est retourné en Afghanistan, et fait part de menaces qu’il aurait subies et d’attaques à l’encontre de ses biens personnels, il n’apporte pas d’éléments suffisamment circonstanciés de nature à établir qu’il serait exposé dans son pays de résidence à des risques sérieux de persécutions ou de traitements inhumains et dégradants », mentionne ainsi le compte rendu.

Comme pour Hossain, la qualité de PCRL de Sayed n’entraîne pas de menace suffisamment avérée, malgré les déclarations des talibans comme leurs actions.  GEO

Abdul Basir n’était pas non plus en danger, selon la justice française. « Le juge a considéré qu’il n’y avait pas de menaces, que les preuves apportées à l’appui étaient fausses. Et aujourd’hui, voilà où l’on en est », dénonçait son avocat William O’Rorke auprès du Figaro en 2021.

Malgré le danger, Sayed a finalement dû quitter l’Iran en désespoir de cause : « Mon visa iranien était expiré et je devais emprunter de l’argent pour continuer à rester en Iran. Et comme j’ai deux enfants handicapés qui sont dans un état très grave et qu’ils avaient besoin de leur père, je suis retourné en Afghanistan », regrette-t-il.

La fille de Sayed, pour laquelle il a dû retourner en Afghanistan.   GEO


« Je dois régulièrement changer de cachette, je vais d’une ville à l’autre, mais je reste en contact avec ma famille. Elle se sent très mal, elle a peur », alerte Sayed.

C’est un grand déshonneur pour la France de livrer ses amis à ses ennemis qui veulent les tuer […] Il suffirait que ceux qui refusent nos visas viennent un jour, ne serait-ce qu’un jour en Afghanistan, et ils comprendraient que nous vivons dans la peur pour nos vies et celles de nos familles. Ils comprendraient à quel point tout est difficile pour nous.

GEO a de nouveau contacté l’ambassade ainsi que les ministères de l’Intérieur et des Affaires Étrangères pour évoquer le cas de Sayed, sans réponse.

La différence de traitement entre ces trois dossiers de PCRL est stupéfiante. Contacté en octobre 2022 au sujet des cas d’Hossain, Sayed et Zahir, un employé de l’ambassade de Téhéran indiquait alors : « après vérification, ces personnes n’apparaissent pas sur les listes des personnes à évacuer ». Pourquoi seul Zahir a-t-il finalement pu bénéficier d’un visa, alors que Sayed, arrivé en même temps en Iran et convoqué le même jour à l’ambassade, a dû retourner en Afghanistan, et qu’Hossain attend toujours le sésame vers la France ?

Un scandale qui n’a pas abouti

Sayed n’est par ailleurs pas le seul à avoir été trahi par les autorités. Yusefi, un autre PCRL réfugié en Iran, a été reconduit à la frontière avec l’Afghanistan en décembre 2023, malgré les révélations de Quentin Müller et Marianne, après avoir vendu tous ses biens pour se rendre au rendez-vous fixé par l’ambassade à Téhéran pour étudier son cas.

Et les auxiliaires français ne sont qu’une catégorie parmi tous ceux qui ont servi aux côtés des troupes occidentales. Ghulam*, un membre de la police nationale afghane d’ordre public, a suivi une formation militaire de six mois à Saint-Astier. Après la chute de Kaboul, il a tenté de quitter l’Afghanistan, sans succès, et reste coincé sous le joug des talibans.

Ma vie n’est pas en sécurité ici, il n’y a ni science ni culture. Les filles ne sont pas autorisées à étudier. J’espère trouver un endroit sûr où mes enfants pourront profiter de la vie que Dieu leur a donnée.

Si tous ces cas pointent bien vers une responsabilité de l’État dans l’abandon de ses alliés sur le terrain, l’affaire n’a pas eu la moindre conséquence politique. La sénatrice Nathalie Goulet, impliquée sur le dossier depuis des années, a demandé en 2021 la création d’une commission d’enquête afin, entre autres, « d’éclairer le Sénat sur les critères qui ont permis l’octroi des visas et les motifs des refus ». Sa demande n’a pas abouti, et le changement de gouvernement suite aux élections législatives de 2024 risque de faire disparaître certains des acteurs qui ont contribué à ces décisions.

Ghulam a été formé aux côtés d’autres policiers afghans en Dordogne en 2014.   GEO

Mais malgré les décisions françaises impactant durement leurs conditions de vie, pour beaucoup d’anciens auxiliaires, la rupture avec leur pays de naissance est définitive. « Si je réussis à repartir, je ne pourrai jamais revenir », affirme Sayed. « Mes enfants sont dans une situation terrible, il faut que je les aide à avoir un avenir. Et j’ai beaucoup trop souffert en Afghanistan« .

Hossain, lui, serait prêt à rentrer rendre visite à sa famille, s’il est pour lui possible de revenir un jour dans un Afghanistan au système politique changé. En attendant, il ne peut que contempler ce qu’infligent les maîtres du pays à leur propre population, et regretter : « L’exemple que donnent les talibans en Afghanistan, c’est celui d’une marche vers l’obscurité ».

*Les prénoms ont été modifiés.

Paris : un soldat de l’opération Sentinelle blessé au couteau gare de l’Est, le suspect interpellé

Paris : un soldat de l’opération Sentinelle blessé au couteau gare de l’Est, le suspect interpellé

Un militaire de l’opération Sentinelle a été blessé, lundi, par un homme armé d’un couteau alors qu’il patrouillait gare de l’Est à Paris. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a précisé que le pronostic vital du soldat « n’est pas engagé« . Le suspect, déjà connu dans une affaire de meurtre, a rapidement été interpellé.

Un soldat de l'opération Sentinelle patrouillant dans la gare Saint-Lazare, à Paris, le 25 mars 2024.
Un soldat de l’opération Sentinelle patrouillant dans la gare Saint-Lazare, à Paris, le 25 mars 2024. © Bertrand Guay, AFP (illustration)
À moins de deux semaines de l’ouverture des JO de Paris, un militaire de l’opération Sentinelle a été blessé d’un coup de couteau gare de l’Est, lundi 15 juillet, par un homme déjà connu dans une affaire de meurtre, pour lequel il avait été déclaré pénalement irresponsable du fait de ses troubles psychiatriques.

Le pronostic vital du militaire « n’est pas engagé », a précisé le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur X.

Peu avant 22 h, le suspect, un homme âgé de 40 ans né en République démocratique du Congo et de nationalité française, a porté un coup de couteau « entre les deux omoplates » du militaire qui patrouillait, a indiqué à l’AFP une source policière.

Le parquet national antiterroriste pas saisi à ce stade

Le suspect a très vite été interpellé par les autres soldats présents et le militaire blessé a été « évacué conscient vers l’hôpital », a détaillé cette source. Après les faits, un périmètre de sécurité a été mis en place sur un des côtés de la gare de l’Est, a constaté une journaliste de l’AFP. 

À l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment, l’ambiance était calme, les rares passants jetant seulement un regard curieux vers les véhicules de police et de gendarmerie, encore présents vers minuit, selon la même journaliste.

Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « tentative de meurtre » et saisi le deuxième district de la police judiciaire parisienne. Le parquet national antiterroriste n’a pas été saisi des faits à ce stade. « Les circonstances et motivation de l’agression font actuellement l’objet d’investigations », a précisé le parquet, ajoutant que le suspect avait été placé en garde à vue.

Selon les premiers éléments, l’agresseur « se dit chrétien et aurait crié ‘Dieu est grand’ en français » lors de l’agression, a détaillé à l’AFP la source policière. Il dit avoir agi « parce que les militaires tuent des gens dans son pays », a ajouté cette source.

Interné

Cet homme est déjà connu de la justice, notamment pour un meurtre commis en 2018, affaire pour laquelle il avait été interné en psychiatrie, ont dit à l’AFP deux sources policières. Il avait à l’époque mortellement poignardé un jeune homme de 22 ans à la station RER Châtelet-les-Halles, en plein cœur de Paris. Il avait alors été déclaré irresponsable pénalement en raison d’une abolition du discernement et n’avait donc pas été jugé, selon une décision consultée par l’AFP.

Selon cette décision, datée de 2020, une expertise psychiatrique avait conclu qu’il était atteint d’une « probable maladie schizophrénique évolutive depuis plusieurs années sans prise en charge médicale jusqu’à actuellement ».

L’homme, naturalisé français en 2006, selon l’une des sources policières, a également été condamné à deux reprises pour violences sur conjoint.

« Soutien et reconnaissance à nos forces armées qui participent plus que jamais à assurer la sécurité des Français », a écrit sur X le ministre des Armées Sébastien Lecornu, adressant ses « pensées » au militaire blessé.

L’opération Sentinelle a été lancée en 2015 après l’attentat contre le magazine satirique Charlie Hebdo dans la capitale française.

Plusieurs militaires de l’opération Sentinelle ont depuis fait l’objet d’attaques. En février 2017, un homme avait tenté d’agresser une patrouille Sentinelle au couteau au Carrousel du Louvre après avoir crié « Allah Akbar ». En mars de la même année, une patrouille de soldats avait été attaquée à l’aéroport d’Orly par un homme de 39 ans qui avait été abattu par les militaires. 

En août 2017, une voiture avait foncé sur un groupe de soldats de Sentinelle à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), faisant six blessés. Un Algérien de 36 ans avait été arrêté et incarcéré. En septembre 2017, un homme muni d’un couteau avait attaqué un militaire Sentinelle dans la station de métro parisienne Châtelet. Âgé de 39 ans, l’agresseur, inconnu de la police, qui avait crié « Allah Akbar », avait été incarcéré.