Face aux traumatismes psychologiques

Face aux traumatismes psychologiques

 

par Emmanuelle Halioua (*) – Esprit Surcouf – publié le 12 janvier 2024
https://espritsurcouf.fr/defense_face-aux-traumatismes-psychologiques_par_emmanuelle-halioua/


Les évènements du 7 octobre 2023 témoignent aussi de la nécessité de pouvoir gérer au mieux les chocs post traumatiques. Emmanuelle Halioua, experte en la matière, explique en quoi la méthode établie par l’armée israélienne s’avère efficace et combien nos ministères auraient intérêt à l’intégrer à leur programme. En attendant, dans les faits, elle n’a pas échappé aux membres des forces de sécurité et de la Défense.

Représenter et former au protocole de 1ers secours psychologiques d’urgence israélien

Dès l’urgence : Déchoquer – rester opérationnel – enclencher la résilience – réduire les risques PTSD

Spécialisée en consultations civiles et militaires sur les troubles psychologiques liés aux traumatismes, je suis la représentante officielle du protocole national israélien de 1ers secours psychologiques d’urgence le 6C©. Je dirige le seul organisme habilité à former à cette méthode en Europe et au sein des pays francophones.

Le modèle des SIXCs/6C© est une intervention précoce unique, disruptive, à 180 degrés des paradigmes européens. Simple et efficace. Faussement simple en pratique diront souvent les médecins et psychologues français. Un protocole qui permet de basculer de l’impuissance à l’efficacité en 90 secondes. Il s’agit des 1ers secours psychologiques d’urgence, ceux de l’État d’Israël.

Je me suis donc engagée à transférer cette méthode israélienne à tous les pays francophones par le biais de sessions de formations et de conférences. Des formations dont les fonds alimentent le centre de recherche sur la résilience fonctionnelle en Israël, l’ICFR. Centre de recherche de l’auteur de la méthode Moshé Farchi également Maître de conférences à l’Université de Tel Hai.
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Le protocole de l’Etat d’Israël

Israël est le pays du trauma par excellence. Les Israéliens sont des polytraumatisés qui ont métabolisé leur PTSD (Post-traumatic stress disorder) en facteurs de croissance : nouvelles technologies, innovations à profusions, 8ème puissance du monde en 75 années seulement. Israël témoigne d’une capacité à rebondir quasi instantanée. Vue d’Europe, il constitue une sorte de mutant agressif mais rudement efficace et particulièrement respecté pour ses expertises en sécurité technologiques et ses expertises psychologiques, notamment par ceux qui ont des cadres de références communs, les militaires et les forces de l’ordre. Depuis ces trois dernières années, j’ai toujours trouvé auprès d’eux respect pour l’expertise israélienne et solidarité en toute discrétion.

D’un désert infécond dont aucun pays autour ne voulait, a surgi une industrie florissante et une agriculture abondante, déclenchant de nouveau les convoitises voisines. Depuis sa création en 1948, le niveau d’adversité auquel font face les Israéliens est quotidien, alternant entre tirs de roquettes, attentats à la bombe, au couteau ou à la voiture bélier.

Qui dit menace de mort dit très souvent traumatismes physiques et psychologiques. Le fameux PTSD ou TSPT en français : le trouble de stress post-traumatique.

Qu’est-ce que le SIXCs/6C©

Petite fille de légionnaire j’ai donc débuté ce transfert d’expertise (quinze années de retour d’expériences) par mon autre pays de cœur, la France. Le protocole 6C© n’est pas une thérapie pour soigner le PTSD.

Le protocole 6C© est une méthode permettant en état de choc de basculer de l’impuissance à l’efficacité en 90 secondes.

Cette méthode est née au sein de l’armée pour le soldat en zone de combat qui « freeze » (sidération) plaçant alors son unité et la mission en danger de mort ou d’échec.

Comment permettre de refonctionner immédiatement à un primo intervenants devenu dysfonctionnel parce que sidéré, incapable de bouger physiquement et de penser de façon efficace ?

C’est le défi qu’a relevé le Pr Moshe Farchi, il y a 15 ans, en tant que créateur du protocole, lui-même officier en santé mentale au sein de Tsahal (IDF).

Ce protocole est essentiellement destiné aux primo-intervenants tels que les soldats, les pompiers, les forces de l’ordre, les secouristes, fort des 15 années d’expériences au sein de l’armée et de son impact sur la société israélienne dans son ensemble. La méthode est devenue, en 2017, le protocole national de l’Etat d’Israël soit celui de toute la société civile, du ministère de l’intérieur à celui de l’éducation nationale en passant par la Santé.

La société civile aussi

Le protocole concernent aussi une mère de famille face à son enfant qui s’étouffe, en raison d’une « fausse route », des accidentés de la  voie publique, une victime de viol, un enseignant menacé d’une « Paty » qui perd ses moyens, une catastrophe naturelle, sanitaire, un attentat ou des collègue incapables de réagir efficacement face à leur collègue pris à partie.

Dans la société civile, les exemples sont innombrables et concerne toute situation de stress aigu/dépassé dans laquelle nous perdons nos moyens au point de mettre en danger notre survie. Toute situation où au lieu d’augmenter nos capacités, le stress nous rend dysfonctionnel, inefficace, bon pour le banc de touche devenant celui que l’équipe stigmatisera comme le maillon faible à éviter désormais en mission.

Israël, pays soumis à l’adversité, a donc assez logiquement déployé une méthode permettant de rester efficace face à un évènement soudain, violent et imprévisible.

Solution inexistante en urgence au sein des pays dits « en paix » comme les pays européens et notamment la France par lequel j’ai débuté les sessions de formation au protocole 6C©, il y a 3 ans. La France où j’ai présenté la méthode à mon arrivée en priorité à des représentants du ministère de l’intérieur et de la santé.

Le protocole, en 2019, a été confronté à plusieurs types de réactions :

Si les policiers étaient eux très demandeurs, car en grande détresse, il a semblé très compliqué pour leur direction de valider la proposition particulièrement amicale qui leur a été présentée alors.

De leur côté, les cellules psychologiques civiles en place l’ont violement rejeté au prétexte, je cite, « qu’ils n’ont pas attendu les Israéliens pour être efficaces en urgence et que la France avait montré lors du Bataclan son excellente prise en charge des victimes sur le plan psychologique ».

De son côté, la position du SSA est probablement prise entre les deux feux que sont les courants historiquement freudiens et la neuropsychologie du stress. Deux approches antagonistes donc.

20 années de retard face au Canada ou à Israël

Les neurosciences sont assez éloignées des pratiques en place depuis plus de 30 ans en matière de santé mentale en urgence en France. Il y a, en France et globalement en Europe, 20 ans de retard et il faudra sans doute des esprits ouverts et combatifs, et l’arrivée d’une nouvelle garde pour avancer efficacement sur ce terrain en matière d’urgence.

Quinze années de littératures scientifiques sur la neuropsychologie du stress en situation de stress aigu ont mis en évidence que la prise en charge pratiquée durant des années est non seulement inefficace mais aggravante du trauma ; ce qui explique que l’OMS en 2012 ait fortement déconseillé le débriefing psychologique.

Quant aux pompiers, aux policiers, aux gendarmes et aux soldats, ils le savent depuis longtemps. Ce qui explique leur forte réticence à reconnaitre une autorité de compétence et à consulter les cellules psychologiques à leur disposition en interne.

Les paradigmes des interventions en santé mentale en urgence sont redéfinis. Malgré certaines résistances, le terrain finira par avoir raison, comme le plus souvent.

Enfin, de son côté, l’ARS ayant validé une méthode dénommée le PSSM il y a 20 ans (premiers secours en santé mentale/ Australie) et n’ayant pas auditionné le 6C©, ne peut réaliser combien la temporalité de chacune de ses deux méthodes est différente.

Le PSSM souffre, selon moi, d’une dénomination inappropriée puisque dans les faits c’est un second secours, le 6C© se positionnant juste avant en terme de temporalité permettant en cas de développement de troubles persistants au PSSM de prendre le relai afin d’orienter au mieux la personne en souffrance.

En somme, il s’agit plus d’une complémentarité que d’une concurrence.

Enfin, difficile de ne pas citer une dose non négligeable d’antisémitisme et d’électoralisme au regard des réflexions entendues ou lues. Rien de très nouveau dans ce registre. Ce qui explique l’hémorragie des citoyens de confession juive, se réduisant aujourd’hui à 400 000 personnes sur le territoire national français.

Malgré ces fins de non-recevoir institutionnelles, de nombreux médecins, psychologues, unités d’élite et policiers sont venus se former depuis 3 ans. Par centaine.

Très éprouvés par les violences disproportionnées sur le terrain, par l’absence de solutions efficaces, par un drame sanitaire national, celui des suicides au sein des forces de l’ordre (policiers, gendarmes, pompiers), par un sentiment d’impuissance face à l’adversité croissante pour laquelle leur formation de base n’a pas encore prévu de volet mental efficace ou convaincant à leurs yeux. Il est presque amusant d’observer combien l’unique évocation du mot « psychologie » devant un FDO déshabille aussitôt son interlocuteur d’autorité de compétences et le mot « techniques de… » tend fortement à le remplacer dans cet univers.

Succès d’un bouclier cognitif pour tous afin de faire face à l’adversité ?

Pourtant, les métiers exposés au danger nécessitent de s’équiper aussi d’un bouclier cognitif, à l’instar de celui que les primo-intervenants enfilent contre l’impact des balles.

Depuis 2 ans, ce sont donc de grandes institutions françaises publiques et privées qui se forment comme le TER, le TGV, les sapeurs-pompiers, la ville de Nice, des cliniques, des multinationales comme Manpower, Oracle, Q Park, compagnie aérienne, service de sécurité privée, des universités comme celle de Médecine Paris Cité , celle de Saclay, celle d’Assas, la Faculté de médecine de Brest ainsi que des reporters de guerre, des policiers municipaux etc…

Il faut reconnaitre au protocole israélien une triple vertu, conséquence directe de son efficacité :

Retour opérationnel en quelques minutes, enclenchement des mécanismes de résilience et réduction des risques de développer un PTSD. Lorsqu’en situation d’urgence, de choc, vous permettez à quelqu’un de basculer de l’impuissance à l’efficacité en quelques minutes. Redevenir actif enclenche aussitôt les mécanismes de résilience : il retrouve sur le site même de l’évènement traumatogène, un sentiment de contrôle, d’auto-efficacité et donc d’estime de lui-même et ce, en dépit de la peur et de l’effroyable sentiment d’impuissance qui l’a saisi et paralysé.

De fait, la moitié des personnes prises en charge avec la méthode 6C© versus une prise en charge classique basée sur un langage émotionnel ou empathique, n’ont pas développé de PTSD. Trouble qui peut se transmettre jusqu’à 3 génération(épigénétique).

Comment s’applique le protocole national israelien des 6C© ?

Le modèle intègre les concepts et les fondements neurobiologiques du stress et de la résilience en 6 stratégies d’intervention. Toutes débutent par la lettre C et permettent de basculer d’un mode passif à un mode actif et efficace.

  1. Commitment (= engagement)

C’est la stratégie pour lutter contre la solitude.

  1. Communication

C’est l’outil pour lutter contre la perception altérée de la réalité

  1. Cognition

Elle vise à contrer le débordement émotionnel (pleurs, irritabilité, colère, hyperventilation.) Le mécanisme physiopathologique en cause ici se résume essentiellement par l’hyperactivation des amygdales cérébrales (centre responsable des émotions, de la survie…) au détriment du cortex préfrontal (zone en charge de la planification, du raisonnement, des décisions…). Le but de l’approche cognitive est donc de sortir de cette surstimulation amygdalienne en ciblant le fonctionnement préfrontal. On ne demande surtout pas au patient d’exprimer le ressenti de son expérience ni ses émotions car cela entretiendrait la suractivation de l’amygdale.

  1. Continuity (Rétablir une continuité)

Elle permet de pallier au sentiment de confusion spatio temporelle et aux pensées répétitives. En situation de stress, le cerveau est inondé d’informations, ce qui peut entraver le séquençage chronologique des événements qui se sont déroulés ( flashback et phénomène de « comme si j’y étais encore »)

  1. Challenge et 6. Control

Pour lutter contre la passivité et la dépendance.

Pour ces deux derniers items, on accompagne le patient à retrouver un « état de capacité ». Les sujets dépendants ou passifs attendent une aide extérieure qu’il ne faut pas leur apporter au risque d’entretenir la problématique et d’être aggravant pour la victime.

Ce protocole est à la portée de tous. Dès l’âge de 7 ans, comme certaines vidéos des évènements israéliens ont pu montrer son application le 7octobre, mais aussi lors de la libération des otages où l’opération 6C© a été déployée de façon aigue pour leur retour de Gaza.

Les pogroms du 7 octobre 2023

L’actualité a donné une nouvelle ampleur à l’adversité israélienne puisque le 7 octobre ce pays qui n’est guère plus grand que la Bretagne a connu les pogroms les plus dévastateurs depuis la Shoah.

Comment ne pas penser à cette phrase de la Marseillaise :

« Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils et vos compagnes ! Aux armes, citoyens ! « 

Et curieusement, lorsqu’en réponse à ces atrocités les Israéliens prennent précisément les armes comme chaque Français qui chante la Marseillaise le clame…lorsque les Israéliens les prennent pour se défendre, eux sont cloués au pilori.

Photo publiée sur le compte Instagram du Tsahal

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Pourtant, un samedi matin à l’heure où se réveille les fermes du sud d’Israel, des hordes en moto et 4×4 de sauvages enturbannés de vert ont semé sur des kilomètres de route des cadavres. Hamas et civils gazaouis sans distinctions se sont livrés à des meurtres, des viols et des immondices humaines. Ils ont massacré des jeunes gens venus célébrer une paix possible entre israéliens et palestiniens limitrophes lors d’un concert.

Hommes et femmes ont été violées, certaines tant de fois que leur bassin a été fracturé, des ciseaux ont été plantés dans leur sexe quand d’autres ont été torturées et empalées. Des yeux ont été sortis de leur orbites, d’autres civils ont été ligotés et massacrés à coups de crosse de kalach, les enfants le crâne éclaté. PENDANT les massacres, le Hamas était accompagné de journalistes qui commentaient en direct et se félicitaient.
Derrière eux, on entend les massacres, qu’ils filment et que la plupart des médias français refusent de partager contrairement aux Israéliens qui souhaitent montrer les réalités puis saisir, eux aussi, la cour internationale pour crimes contre l’humanité.

Le Hamas envoie ensuite sur les portables des familles des Otages les vidéos des actes de tortures qu’ils commettent sur eux à Gaza.
Environ 80% des corps récupérés portent des signes de torture. Deux tas de 10 enfants chacun, brûlés ensemble les mains liées, ont ainsi été retrouvés, .

Des femmes ont été éventrées enceintes devant les enfants, les fœtus extraits des corps puis décapités ; des petites filles violées devant leur mère. Des otages dont un bébé et des enfants en bas âge sont toujours à Gaza après 3 mois (vivants ?). Plus de 850 morts civils et encore des centaines en cendres qu’on cherche à identifier via ADN. Des caissons par dizaine remplis de corps pour autopsies.

Saviez-vous que dans un gilet pare-balles, sur le corps d’un terroriste du Hamas tué le 7 octobre, nous avons trouvé la tête d’un bébé qu’il venait de décapiter et qu’il voulait ramener chez lui comme souvenir ?
Saviez-vous que de jeunes hommes ont été retrouvés morts, les organes génitaux coupés et enfoncés dans la bouche ? Saviez-vous qu’une jeune fille a été sauvagement violée, puis qu’une arme à feu a été enfoncée dans ses parties génitales et que la balle tirée est sortie de sa tête ? Que dans une crèche on a trouvé 40 bébés. Leur tête à côté de leur corps et éventrés ont été découverts,
Des corps en morceaux, découpés sur lesquels les terroristes et leurs complices ont uriné ?

La réalité doit être DITES pour ne pas AJOUTER au malheur des Israéliens et la Cour pénale faire son travail pour acter des crimes contre l’humanité perpétré par le Hamas.

Comment ne pas penser à cette Algérie française qui a connue des modes opératoires absolument identiques à ceux commis sur les familles israéliennes des kibboutz du sud d’Israël ? L’omerta sur la guerre d’Algérie résonne comme un violent écho à la chappe de plomb qui s’est abattu aussi sur les réalités des horreurs commises le 7 octobre.

Et essayons seulement d’entrevoir le choc monstrueux pour les quelques survivants de la Shoah.

Evidemment, un nombre sans précédent d’environ 9 000 soldats y compris les réservistes ont demandé un soutien psychologique depuis le 7 octobre.

Quant à ce 7 octobre, il n’en finit pas et dure pour nous depuis 95 jours puisque les otages n’ont toujours pas été récupérés faisant de nous des impuissants en masse.

L’impuissance, le sentiment emblématique dans la perception d’un trauma.

Le pays et les juifs partout dans le monde vivent depuis le 7 octobre une temporalité très perturbée, un ralentissement temporel, ce sentiment d’un jour qui n’en finit pas. Cette perception altérée de la réalité est commune à tous ceux avec qui j’ai échangé. Serons-nous tous traumatisés, impliqués directs et indirects ? Probablement pour bon nombre mais, néanmoins, j’ai la conviction qu’à l’échelle collective cette ignominie sera facteur de croissance pour Israel.

Un jour.

L’expertise israélienne en urgence et en santé mentale au service de tous

Être en capacité d’apporter les 1ers secours physiques et psychologiques c’est être un citoyen autonome et la résilience passe par l’autonomie d’action. Nul besoin d’être un professionnel de santé pour pratiquer un massage cardiaque, pour peu qu’on ait été formé au PSC1. L’analogie est la même avec le protocole 6C©.Il s’agit de réduire ou d’arrêter l’hémorragie émotionnel afin de permettre à l’individu de fonctionner normalement et efficacement. Au point de retourner à sa routine c’est-à-dire à l’activité qui était la sienne juste avant le choc traumatogène.

La passivité affaiblit et renforce le sentiment d’impuissance. C’est la préparation à l’adversité qui renforce l’individu, le citoyen. Au-delà du 6C, c’est une réflexion de fond sur la société que nous voulons. Celle de l’assistanat ou celle de l’autonomie ? Israel a déjà répondu et l’Europe, au regard du niveau de violences qui la frappe n’aura d’autre choix que de faire face et d’aguerrir. A défaut elle ne survivra aux puissantes intentions obscurantistes et destructrices.

Pour connaitre et aimer ces 2 pays profondément que sont la France et Israel, un peuple, un pays n’est pas résilient par hasard.

Au risque de déplaire, la communauté qui, de mon point de vue, s’intègre le moins bien aux Israéliens en Israël est la communauté française, en raison de son absence de pragmatisme et d’une délicatesse culturelle qui dans un pays en guerre ou un continent confronté à une haine de l’autre extrême est un handicap et non plus un atout.
5783 années que le peuple juif est l’objet de haine.  Néanmoins toujours en vie. Parfois amputé, parfois tremblant, parfois blessé mais toujours pérenne et refleurissant sur ses cendres…

Faire face à l’adversité, être un citoyen préparé et autonome. Être un peuple résilient.

La résilience des Israéliens peuple n’est pas due au hasard. Il y a la foi comme facteur de protection, la cohésion sociale très forte et il y a la posture face à l’adversité.

Les Israéliens en particulier se relèvent toujours. Ils sont toujours actifs. Toujours. Dès le 8 octobre, le demain des pogroms du Hamas, un tsunami d’actions solidaires est venu contrer le sentiment d’impuissance national des civils face aux massacres de jeunes et de familles entières dans les kibboutz du sud du pays. L’action efficace donne aux Israéliens un sentiment d’auto efficacité et d’estime fort renforcé par une éducation scolaire qui apprend à anticiper, à faire face à l’adversité dès l’arrivée de la menace, dès l’âge de 7 ans.

L’auteur du Protocole national israélien, référent gouvernemental pour les opérations d’urgence estime qu’il y a 2 apprentissages qu’il nous faut développer pour augmenter nos aptitudes à résilier rapidement : Enclencher la bonne posture dès la menace donc dès la situation de choc et s’entraîner à la cohérence cardiaque avant la menace ou 24h plus tard.

Pourquoi ? Parce que nous avons 2 grands vecteurs de résilience : psychologiques et physiologique (le nerf vague cf théorie polyvagale)
Au-delà de l ‘outil indispensable que représente cette méthode pour les primo-intervenants confrontés à la menace et au risque fort de PTSD et donc de crise suicidaire, chaque citoyen, au même titre qu’il est formé aux premiers gestes physiques doit se former aux premiers secours psychologiques afin d’être un citoyen AUTONOME. Pour rester efficace en situation de menace de mort, réduire le risque de développer des pathologies post traumatiques et enclencher les mécanismes de résilience fonctionnelle.

L’adversité, les traumas font partie de la vie. Voulons-nous nous affaiblir ou nous aguerrir ? Dans les deux cas il y aura un prix à payer. Notre rôle avec le protocole national israélien 6C ©️ est de nous aguerrir et de rester actifs et efficaces en situation de détresse émotionnel. De basculer de l’impuissance liée au choc à un retour à un fonctionnement normal et efficace afin de se relever, de poursuivre notre « routine » avec le moins de dommages psychologiques possibles.

Et pour ceux qui en ont les ressources de transformer un jour leur PTSD en ressources et compétences qu’ils n’auraient probablement jamais eu sans lui.

Bibliographie non exhaustive :

  • Farchi, Gorneman, Ben H., levy, Talg, Whitreson, Adi, Gerson, Bella Ben, Gidron, Yori (2018) The SIXCs Model for immediate Cognitive Psychological First Aid.International Journal of Emergency Mental Health and Human Resilience, 1-12.
  • Psychological First Aid Training ; A scoping Review of its Application, Outcomes and Implementation, from International Journal of Environmental Research and Public Health.
  • Etude chinoise sur 3 protocoles d’urgence 2021 : Wang, L.; Norman, I.; Xiao, T.; Li, Y.; Leamy,
  • Psychological First Aid Training: A Scoping Review of Its Application, Outcomes and Implementation. Int. J. Environ. Res. Public Health 2021, 18, 4594. https:// doi.org/10.3390/ijerph18094594
  • Farchi, Gidron (2010) The effects of psychological inoculation, versus ventilation on the mental resilience of israeli citizens under continuous war stress.Journal of Nervous &Mental Disease, (1985)
  • Developing specfic self efficacity and resilience as first responders among students of social work and stress and trauma studies (Mai 2014)
  • The sixc model for immediate cognitive psychological first aid : from helplessness to active efficient coping (2018)
  • Yahalom training in the military Epub 2019

(*) Emmanuelle Halioua est la représentante officielle du Protocole national israélien de premiers secours psychologiques d’urgence le 6C ©️/SIXC, tant en France qu’à l’International dans les secteurs civil et militaire.
Avec 25 années d’expérience clinique et terrain en situations réelles de danger, elle est spécialisée dans la prise en charge du PTSD/TSPT en thérapie et en interventions en 1ers secours en santé mentale. Formée en Israel par le Lt Colonel et Pr Farchi, auteur du protocole national israélien de 1ers secours psychologiques, responsable au sein du gouvernement des opérations d’urgence en santé mentale, Maitre de conférence et Président de l’ ICFR dédié à la recherche sur la résilience fonctionnelle.
E.Halioua est formée aux Psycho trauma aux côtés du Dr Gérard Lopez, à la faculté de Médecine de Paris René Descartes et à la faculté de Tel Hai en Israel. Formée à la Thérapie Systémique école de Palo Alto au sein de l’Institut Gregory Bateson (Mental research Institut). Formée aux TCC. Formée à l’Hypnose médicale. Depuis 3 ans elle enseigne en France la méthode israélienne nationale dites des SIXC/6C©. Présidente d’un organisme de formation, elle est également Instructeur du 6C© et dirige une équipe française de formateurs à la méthode.

Emmanuelle Halioua
Contact : e.halioua@protocolesixc.org

La conquête de Gaza par Michel Goya

La conquête de Gaza

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 7 janvier 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Le devis du sang

Quand on élabore un plan d’opération, on s’efforce normalement d’en évaluer le coût probable et on présente le devis au décideur politique. Ce qui a été demandé aux forces terrestres israéliennes avant le 27 octobre, correspondait sensiblement à quatre fois ce qui leur avait été demandé en 2014 lors de Bordure protectrice. À l’époque, la mission consistait à nettoyer de présence et infrastructures du Hamas et alliés sur 3 km au-delà de la barrière de sécurité et cela avait pris 20 jours et coûté 66 morts à Tsahal. Le niveau tactique des unités israéliennes comme des bataillons de quartiers du Hamas n’a guère évolué de part et d’autre depuis huit ans. Sur un terrain plat, sans l’emploi de véhicules ni de moyens d’appui, les pertes seraient sensiblement équilibrées. Mais les combattants palestiniens bénéficient du terrain urbain préparé, tandis que les Israéliens bénéficient de la protection de leurs véhicules et de leur puissance de feu directe, soit au bilan un échelon tactique de plus.

L’évolution du rapport de pertes étant plutôt logarithmique, à niveau tactique équivalent les pertes sont équivalentes, mais avec un niveau d’écart, on a du 1 contre 10 en faveur du plus fort, et a deux niveaux d’écart on s’approche du 1 pour 100. On pouvait donc s’attendre à au minimum 10 combattants du Hamas tués pour chaque israélien, plus des effets secondaires comme la capture de prisonniers – que seule l’opération de conquête peut obtenir – ou le traitement des blessés, en moyenne plus graves du côté du Hamas du fait des munitions utilisées et plus difficilement soignables, qui vont augmenter encore le nombre et la proportion de pertes définitives. Il faut ajouter aussi les pertes infligées simultanément par l’opération de frappes en profondeur – frappes aériennes et artillerie – qui a débuté dès le 7 octobre et se poursuit en parallèle de l’opération de conquête. Ses effets militaires déjà faibles au regard des effets contre-productifs produits par les dégâts sur la population le sont cependant encore plus avec la raréfaction des cibles. En résumé de cette évaluation macabre, le kill ratio de Bordure protectrice en 2014, opération de frappes et de conquête partielle réunies, avait été au final de l’ordre de 20 combattants palestiniens tués pour chaque soldat israélien tué. On pouvait donc s’attendre en 2023-2024 à des chiffres comparables.

Au bilan, le devis présenté à l’exécutif aurait pu être le suivant : 80 jours de combat et 250 morts pour conquérir le territoire de Gaza et tuer 5 000 combattants ennemis, sachant qu’il ne s’agirait dans tous les cas que d’une première phase, la suivante étant la prise de contrôle du territoire sur une durée indéterminée.

Le déroulement de l’action

L’offensive israélienne commence dans la nuit du 27 au 28 octobre, en bénéficiant de la supériorité israélienne dans le combat nocturne. Elle prend la forme d’une opération séquentielle, conquête du nord du territoire de Gaza puis du sud, ce qui a sans doute pour effet de retarder la fin de l’opération mais au profit d’un rapport de forces local plus favorable. La 36e division (4 brigades) porte l’attaque sur toute la face nord de la bande de Gaza avec un effort porté sur la côte tandis que la 162e division (4 brigades) attaque à l’est avec un effort au centre nord du territoire en direction de la mer. La 143e division de réserve, dite « division de Gaza » surveille pendant ce temps le sud de la frontière avec Gaza.

Après deux semaines de progression plutôt rapides, les deux divisions israéliennes se rejoignent aux alentours du grand hôpital al-Shifa, et la zone dense de Gaza-Ville est encerclée. Le 21 novembre, avec 66 soldats, les pertes israéliennes sont équivalentes à celles de 2014. Le bilan contre l’ennemi est en revanche plus important qu’à l’époque, puisque le 25 novembre Tsahal estime avoir tué 4 000 combattants ennemis contre 1 300 en 2014. Si les pertes ennemies lors de l’attaque initiale du 7 octobre sont assez bien connues puisque les corps ont été retrouvés, celle d’Épée de fer, soit donc environ 2 500, sont plus incertaines, d’autant plus que certains sont de pures « estimations aériennes » après les frappes. Avec au moins le double de blessés rendus inaptes au combat et les prisonniers, peut-être 1 500, de l’opération terrestre, on imagine que les deux brigades du Hamas au nord de Gaza sont très éprouvées. Le Hamas admet aussi le 26 novembre la mort de plusieurs de ses cadres, dont les commandants de ces deux brigades.

L’opération de conquête est interrompue du 24 novembre du 1er décembre, le temps d’une trêve humanitaire et surtout de libération d’otages en échange de celles de prisonniers palestiniens. Elle reprend le 2 décembre, plus lente au fur et à mesure que les abords denses de Gaza-Ville et de Jabaliya sont abordés. Le 3 décembre, la 98e division, forte de trois brigades d’infanterie dont une de réserve et peut-être de la 7e brigade blindée, est engagée au sud du territoire en direction de Khan Yunes. La progression est rapide jusqu’à la ville mais étroite via la route Saladin, elle s’élargit par la suite pour former une nouvelle poche. Le 10 décembre, la 143e division attaque à son tour le bord sud-est du territoire de Gaza, la progression est y est très lente. Le 15 décembre dans la zone nord, trois otages ayant réussi à s’échapper des mains sont abattus par erreur par des soldats israéliens, exemple parfait de « caporal stratégique » désastreux. Tout le reste du mois de décembre se passe à progresser lentement au sein de la zone nord. Entre le 20 et le 25 décembre, la 36e division est relevée par la 99e division de réserve, avec trois brigades. La brigade Givati est retirée de la 162e division pour renforcer la 98e division au sud. À la fin du mois, les deux brigades écoles et trois brigades de réserve auront été retirées de la zone de combat. Le 27 décembre, la 36e division attaque à nouveau, mais en centre en direction de Bureij.

Au 7 janvier 2024, après 67 jours de combat effectif, les forces terrestres israéliennes ont perdu 176 soldats, soit moins de deux par jour de combat contre plus de trois en 2014. Quatre soldats ont été tués dans les sept premiers jours de janvier, ce qui indique une réduction de l’intensité des combats dont on ne sait si cela est dû à un fléchissement de l’ennemi ou à un ralentissement de l’engagement israélien. Elles ont conquis la plus grande partie du nord de Gaza où ne subsistent plus que quatre petites poches de résistance et formé deux trois poches au centre, sud jusqu’à Khan Yunis et au sud-est, soit environ 50 % de la superficie totale. Du point de vue « terrain », on se trouve nettement en dessous de la norme indiquée plus haut de conquête totale en 80 jours. Du côté des effets sur « l’ennemi », l’armée israélienne estime avoir tué 7 860 combattants ennemis, soit environ 6 200 à l’intérieur de Gaza par la campagne de bombardements et les combats terrestres. Si ce chiffre est vrai, on se trouve dans un rapport de pertes entre Israéliens et Palestiniens de 1 pour 35, ce qui est très supérieur au chiffre de 2014. Il est probable que le chiffre estimé dans l’action des pertes ennemies soit, comme souvent lorsqu’on est jugé sur les bilans que l’on est seul à donner, un peu exagéré. Toujours est-il qu’en comptant les blessés graves et les prisonniers, le potentiel du Hamas et de ses alliés, initialement estimé à 25-30 000 combattants mais sans doute renforcé de volontaires en cours d’action, est peut-être entamé à 50 %. Les tirs quotidiens de roquettes sur Israël depuis Gaza ont fortement diminué. 

En résumé, le déroulement de l’opération de conquête et la physionomie des combats sont parfaitement conformes a ce qui était attendu, un phénomène assez rare. Toutes autres choses (autres fronts potentiels, pression internationale, libération des otages) étant égales par ailleurs, le commandement israélien peut estimer à ce rythme avoir terminé la conquête de Gaza pour fin février 2024. Il faudra enchaîner sur une nouvelle opération de nettoyage et contrôle dont, pour le coup, il est extrêmement difficile à ce jour de déterminer la durée, probablement beaucoup plus longue que la conquête, et l’intensité, probablement moins forte quotidiennement mais beaucoup plus usante sur la durée.

Quelques remarques

À ce jour, l’armée de Terre israélienne a engagé 17 ou 18 brigades d’active et de réserve dans l’opération de conquête de Gaza. Combien la France pourrait-elle en engager dans une situation similaire ? Probablement pas plus de 4 ou 5 équivalentes à celles des Israéliens et totalement équipées. Autrement dit, l’armée française ne serait actuellement pas capable de vaincre un ennemi de 25-30 000 fantassins légers retranchés dans une zone urbaine de plusieurs millions d’habitants.

Comme l’Ukraine, Israël n’aurait rien pu faire sans brigades de réserve constituées et équipées. Il n’y a pas de montée en puissance rapide ou de capacité à faire face à une surprise sans stocks de matériels et de réserves humaines.

L’infanterie débarquée, c’est à dire à pied, la poor bloody infantry toujours oubliée, est une priorité stratégique. Il n’est pas normal que des combattants équipés d’armes et d’équipements légers des années 1960 puissent tenir tête à des unités d’infanterie modernes. Ils devraient être foudroyés. L’infanterie débarquée française seule devrait être capable d’infliger un 1 contre 10 seule et 1 pour 20 ou 30 avec ses véhicules (vive les canons-mitrailleurs) sans avoir à faire appel forcément à des appuis extérieurs et quel que soit le terrain.

La France absente des signataires de la mise en garde collective aux Houthis

La France absente des signataires de la mise en garde collective aux Houthis

par Philippe Chapleau – Lignes de Défense – publié le 4 janvier 2024

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Une coalition de 12 pays menés par les États-Unis ont exhorté mercredi les Houthis du Yémen à cesser « immédiatement leurs attaques illégales » de navires marchands en mer Rouge, faute de quoi ces rebelles, proches de l’Iran, en assumeront les « conséquences ».

L’avertissement intervient alors que la multiplication des attaques dans cette zone stratégique (déjà 24 attaques recensées), qui voit passer 12% du commerce maritime mondial, ont poussé 18 armateurs selon l’Organisation maritime internationale à éviter la mer Rouge, faisant flamber les coûts du transport. Par exemple, le transporteur maritime français CMA CGM a annoncé le quasi doublement de ses tarifs de fret à partir du 15 janvier pour les échanges entre l’Asie et la Méditerranée, en raison des attaques des Houthis contre des navires marchands en Mer Rouge. Pour un conteneur de 20 pieds, il en coûtera 3 500 dollars contre 2 000 dollars jusqu’à présent.  Le transport d’un conteneur de 40 pieds entre l’Asie et la Méditerranée occidentale va passer de 3 000 dollars à 6 000 dollars. Le tarif pour un conteneur de 40 pieds passera lui de 3 200 à 6 200 dollars pour les échanges entre l’Asie et la Méditerranée orientale.

« Notre message doit être clair: nous demandons l’arrêt immédiat de ces attaques illégales et la libération des navires et des équipages détenus illégalement« , a affirmé cette coalition de 13 pays dans un communiqué diffusé par la Maison Blanche.

« Les Houthis devront porter la responsabilité des conséquences s’ils continuent à menacer des vies, l’économie mondiale et la libre circulation du commerce dans les voies navigables essentielles de la région« , ajoute le texte. Les Etats-Unis, l’Australie, Bahreïn, le Canada, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, le Danemark, Singapour et les Pays-Bas en sont signataires.

La France n’est pas signataire de ce communiqué (l’Inde non plus, par exemple, alors qu’elle déploie aussi des navires de guerre). L’absence notable de la France a toutefois été relevée mercredi lors de la conférence de presse quotidienne du coordinateur de la communication stratégique du NSC américain, John Kirby. Voici sa réponse:

kirby france.jpg

Kirby, sans nommer la France, a rappelé que 44 nations sont engagées dans Prosperity Guardian. La France en est, même si elle a gardé la main sur ses moyens militaires (la FREMM Languedoc). 

L’absence de la France dans la liste des signataires du communiqué de mercredi (alors qu’elle a signé l’appel conjoint du 20 décembre) semble contredire la détermination du président Macron qui, cité par le Canard enchaîné, aurait confié à des proches qu’il est probable que « la France ne se limitera pas à des actions défensives face aux Houthis ».

Faut-il s’attendre à une signature tardive? Ou au maintien d’une posture prudente par crainte d’une escalade militaire en mer Rouge? 

Les militaires français de la Finul face à la dégradation de la sécurité dans le Sud-Liban

Les militaires français de la Finul face à la dégradation de la sécurité dans le Sud-Liban

« On se retrouve en plein cœur des tirs »: le capitaine Paul, membre de la Finul, s’inquiète de la nette dégradation de la sécurité dans le Sud-Liban depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre.


AFP/Archives
AFP/Archives

« On se retrouve en plein cœur des tirs« : le capitaine Paul, membre de la Finul, s’inquiète de la nette dégradation de la sécurité dans le Sud-Liban depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre.

« On est passé d’une zone relativement calme à une zone volatile où tout est très dépendant de la moindre déclaration politique« , poursuit le capitaine devant son véhicule de patrouille (VBL) peint en blanc avec le sigle « ONU » bien en vue sur la base de Deir Kifa, à une dizaine de kilomètres de la frontière entre Israël et le Liban.

Dans cette zone de collines, les échanges de tirs entre Israël et le Hezbollah libanais, qui affirme agir pour soutenir le Hamas, son allié, sont quasi-quotidiens depuis le début de la guerre entre le mouvement islamiste palestinien et Israël dans la bande de Gaza.

Les soldats français de la Force intérimaire de l’Onu au Liban (Finul) y ont depuis quasiment « doublé » leurs patrouilles quotidiennes, passant de quatre à sept par jour, selon l’officier au casque bleu en charge des opérations de la base.

« C’est tendu, il y a des obus qui tombent tous les jours, ça s’entend, vous êtes dans une ambiance de guerre« , ajoute-t-il alors qu’il est possible d’entendre au loin le bruit d’un drone, survolant la zone.

Les forces françaises, présentes au Liban depuis 1978, comptent parmi les principaux contributeurs de la Finul, avec 700 hommes sur environ 10.000.

 

Photo diffusée le 1er janvier 2024 par l’armée libanaise sur son compte X (ex-Twitter) montrant le ministre français de la Défense Sébastien Lecornu (au centre à gauche) et le chef de l’armée libanaise Joseph Aoun (au centre à droite) qui visitent la base du contingent français de la Finul à Deir Kifa, dans le sud du Liban

Tirs de roquettes, obus, drones, « ce qui se passait avant sur trois-quatre ans se passe maintenant en une semaine », estime le gradé.

Une mission potentiellement dangereuse

Les affrontements dans le Sud-Liban sont largement limités aux zones frontalières mais Israël a mené des frappes plus en profondeur, jusqu’à une vingtaine de kilomètres de la frontière, au cours des derniers jours.

La mission du contingent français « peut potentiellement devenir très dangereuse », a estimé lundi sur la base le ministre français des Armées Sébastien Lecornu devant environ 700 soldats avant de partager avec eux un repas de Nouvel An.

Depuis le 7 octobre, les affrontements entre Israël et le Hezbollah ont fait près de 160 morts du côté libanais, dont plus de 110 combattants du Hezbollah.

Du côté israélien de la frontière, au moins 13 personnes ont été tuées, dont neuf soldats, depuis le 7 octobre.

« Notre passage va être semé d’incertitudes dans les semaines et jours à venir », a ajouté le ministre devant les troupes sous une grande tente aménagée en banquet.

Éviter une escalade

Le ministre de la Défense Sébastien Lecornu le 2 novembre 2023 sur la base du contingent français de la Finul à Deir Kifa, dans le sud du Liban

Paris souhaite éviter toute escalade à la frontière libano-israélienne, et à ce titre, M. Lecornu tout comme la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, se sont rendus plusieurs fois au Liban au cours des derniers mois.

Plusieurs incidents inquiétants qui ont effectivement touché la Finul ont été identifiés ces derniers jours.

Jeudi, la mission onusienne a demandé l’ouverture d’une enquête après une « attaque contre une de ses patrouilles«  dans laquelle un Casque bleu a été blessé à Taybé.

Un second incident a été rapporté par l’agence officielle libanaise à l’encontre d’une patrouille du contingent français prise à partie « par un groupe de jeunes hommes«  à Kfar Kila, laissant craindre une montée des incidents de ce type.

Le Hamas a mené le 7 octobre une attaque sans précédent sur le sol israélien, faisant environ 1.140 morts, essentiellement des civils, selon un décompte de l’AFP à partir des chiffres officiels disponibles.

Les frappes israéliennes de représailles dans la bande de Gaza ont fait environ 22.000 morts, majoritairement des femmes, adolescents et enfants, selon le ministère de la Santé du Hamas.

L’État Islamique du Grand Sahara (EIGS), des terroristes en puissance

L’État Islamique du Grand Sahara (EIGS), des terroristes en puissance 

 
Vidéo GEO : Quelle différence entre État islamique, Al-Qaïda et talibans ?

Né en 2015, l’État Islamique du Grand Sahara (EIGS), groupe armé djihadiste, ne cesse de se déployer dans le Sahel central, une zone reculée entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

L’État Islamique du Grand Sahara, une naissance entourée de rivaux

Le premier bastion de l’EIGS se situe dans le nord-est du Mali. La région comme le reste du pays est en crise depuis 2012. Une guerre oppose l’état malien aux rebelles touaregs rejoints par les djihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

L’EIGS s’ajoute à ces acteurs déjà nombreux et s’engouffre donc dans cette spirale infernale en visant l’armée malienne, garante de l’état. Pendant un temps, ses actions sont limitées car l’armée française quadrille la zone. Paris a envoyé 5000 soldats, la force Berkhane.

L’ONU, quant à elle, mobilise aussi des milliers de Casques bleus avec la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali). Mais l’EIGS compte bien imposer son idéologie salafiste sur les populations et devenir le maître de la région. Les terroristes pratiquent l’extorsion de fonds auprès des populations civiles à travers la zakat, l’impôt religieux, dans les territoires qu’ils contrôlent. Avec leurs mines d’or artisanales, mais aussi l’argent qu’ils gagnent grâce à la contrebande de la drogue et des armes, l’EIGS devient autonome financièrement, ce qui n’est pas l’apanage de toutes les organisations djihadistes.

EIGS : une zone d’influence et de contrôle de plus en plus vaste

L’EIGS étend alors ses racines dans la zone dite « des trois frontières » aux confins du Niger, du Burkina Faso et du Mali. Terres éloignées des capitales des trois pays, peuplées de Peuls, traditionnellement des éleveurs, mais aussi d’agriculteurs, et surtout gigantesques par leur superficie, la stabilité n’y est pas une tradition.

Là, dans le delta intérieur du fleuve Niger, des milices se créent donc pour répondre aux conflits communautaires. Et l’EIGS de s’appuyer sur ces tensions pour asseoir progressivement son joug. Après deux ans d’activité, le groupe terroriste amplifie ses offensives en visant désormais les armées des trois pays du Sahel central, avec toujours la même optique : déstabiliser les pouvoirs en place.

Le scénario est identique. Des dizaines d’assaillants à moto ou en pick-up attaquent, mitraillettes en main, les postes militaires. Après avoir tué les soldats, ils repartent avec les stocks d’armes, puis disparaissent. À cette période et jusqu’en 2020, l’EIGS coexiste d’ailleurs avec l’autre courant djihadiste très présent sur place, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda. Les deux frères ennemis font cause commune, en tout cas, au départ.

Mais le 9 août 2020, un événement va faire connaitre l’EIGS au-delà du Sahel central. Six humanitaires français de l’ONG Acted, âgés de 25 à 31 ans, et leurs accompagnants, sont tués froidement lors d’une balade au milieu des girafes, dans la réserve naturelle de Kouré, au Niger. L’EIGS a commandité l’attentat et montre qu’elle vise aussi les Occidentaux.

2022, l’ascension de l’État Islamique du Grand Sahara (EIGS)

Le 16 septembre 2021, le président de la République française Emmanuel Macron et la ministre des Armées, Florence Parly, annoncent la mort d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui, le chef de l’État islamique dans le Grand Sahara. Celui-ci a été abattu par drone quelques semaines auparavant avec une dizaine de ses hommes à l’est du Mali. Mais ces représailles ne vont pas affaiblir pour autant l’EIGS qui se dote d’un nouveau chef, Abou al-Bara al-Sahraoui.

Surtout, la France est en passe de quitter le Mali. La fin de l’opération Berkhane est annoncée le 17 février 2022. Le dernier soldat français quitte la zone le 15 août 2022. Parallèlement, le gouvernement de Bamako a souhaité limiter l’action de Minusma. L’EIGS a donc le champs libre sur ses zones d’influence et va même se renforcer et s’étendre encore plus. En décembre, une vidéo de propagande montre plusieurs centaines de combattants dans le désert. L’EIGS ne se cache plus et va amplifier son emprise…

Des milliers de victimes, dont des civils

Commerces et maisons brûlés, amputations en place publique, l’EIGS appliquent au grand jour des châtiments liés à la charia. Les massacres et tueries se multiplient dans les villages ce qui poussent de nombreux Maliens notamment à l’exil. D’après la ministre française des Armées Florence Parly, l’EIGS serait responsable de la mort de 2 000 à 3 000 civils au Mali, au Niger et au Burkina Faso, de 2015 à 2021. Fort d’un millier d’hommes, l’Etat Islamique du Grand Sahara a maintenant une quasi-hégémonie dans la zone des « trois frontières ». En 2023, ses attaques djihadistes n’ont fait qu’augmenter…

L’État-major des armées diffuse les images de la destruction de drones par une frégate multimissions

L’État-major des armées diffuse les images de la destruction de drones par une frégate multimissions

https://www.opex360.com/2023/12/29/letat-major-des-armees-diffuse-les-images-de-la-destruction-de-drones-par-une-fregate-multimissions/


Cela étant, la marine américaine n’est pas la seule à être impliquée dans la préservation de la sécurité maritime à proximité du détroit de Bab el-Mandeb.

Ainsi, le 16 décembre, le « destroyer » britannique de type 45 HMS Diamond a intercepté un drone lancé par les Houthis grâce à son système surface-air Sea Viper, issu du programme PAAMS [Principal Anti Air Missile System]. C’était la première fois que la Royal Navy détruisait un aéronef depuis la guerre du Golfe [de 1991].

Mais le HMS Diamond avait été précédé par la frégate multimissions [FREMM] française « Languedoc ». Quelques jours plus tôt, celle-ci avait dû abattre deux drones kamikazes qui, selon le ministère des Armées, la visaient sciemment. Puis, moins de quarante-huit heures plus tard, elle fut de nouveau sollicitée pour détruire un autre engin qui menaçait, cette fois, le pétrolier norvégien Strinda.

Les drones hostiles, lancés depuis le Yémen, furent chacun abattus par un missile surface-air Aster 15, dont c’était le baptême du feu. Une FREMM en emporte 16 exemplaires qui, stockés en silos [SYLVER A-43], sont couplés au radar multifonctions Herakles, lequel est en mesure de détecter et de suivre jusqu’à 400 cibles navales et aérienne. Ce type de munition peut engager tout aéronef représentant une menace dans un rayon de 30 km et à une altitude de 13 km.

Quoi qu’il en soit, l’État-major des armées [EMA] vient de diffuser une vidéo pour rappeler les raisons de la présence de la FREMM Languedoc en mer Rouge, à savoir la lutte contre les « activités illicites » [trafics, piraterie] et le terrorisme. Et cela après avoir rappelé que plus de 20’000 navires transitent, chaque année, par le détroit de Bab el-Mandeb [soit 12% du flux du commerce maritime mondial]. Aussi, a-t-il insisté sur la contribution « active » de la Marine nationale à la sûreté maritime.

Pour illustrer son propos, l’EMA a inséré, dans son film, deux séquences montrant chacune la destruction d’un drone par un Aster 15. S’agit-il de l’épisode au cours duquel la FREMM Languedoc a abattu les deux appareils qui la menaçaient? Cela n’est pas explicitement précisé… seulement suggéré. Évidemment, la qualité des images a été volontairement dégradée, ce qui ne permet pas d’identifier les engins interceptés.

Pour rappel, même s’il a été avancé que la France participerait à l’opération « Gardiens de la prospérité », mise sur les rails par les États-Unis le 18 décembre afin d’assurer la sécurité en mer Rouge, la FREMM Languedoc reste placée sous commandement national.

Photo : copie d’écran / EMA

La foudre et le cancer- Retour dans le futur des années 1980-2

La foudre et le cancer- Retour dans le futur des années 1980-2

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 15 décembre 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Et maintenant, le cancer

On sera plus bref, car on a déjà beaucoup parlé sur ce blog. Ce qu’il faut d’abord retenir de La foudre et le cancer, c’est qu’on n’a pas attendu la « guerre hybride » pour parler des formes d’affrontement autres que la guerre ouverte. Profitons-en pour re-tuer cette expression de « guerre hybride » qui ne veut pas dire grand-chose car ce que l’on désigne généralement ainsi n’est pas de la guerre et ensuite parce que la guerre elle-même est toujours hybride, au sens où on y combine toujours des actions militaires et civiles.

Pour ma part, je parle toujours de « confrontation » par référence à la Confrontation de Bornéo de 1962 et 1966, exemple parfait d’opposition « avant la guerre » entre le Royaume-Uni et l’Indonésie. On pourra utiliser si on préfère le terme « contestation » situé entre la compétition et l’affrontement dans le Concept d’opérations des armées de 2021. En 1939, le capitaine Beaufre parlait de « paix-guerre » dans la Revue des deux mondes pour décrire cet état intermédiaire entre la paix totale et la guerre totale qui caractérisait les évènements en Europe depuis 1933.

Dans ce champ, rappelons-le tout est possible, y compris l’emploi des forces armées, du moment que l’on modifie favorablement le comportement politique de l’adversaire du moment sans franchir le seuil de la guerre ouverte. La seule limite est l’imagination.

Si on veut classifier les choses, il y a d’abord l’emploi de la force armée à des fins de dissuasion (empêcher un comportement hostile) ou de coercition (modifier un comportement hostile) mais toujours sans (trop de) violence. Ne nous étendons pas, c’est bien connu. Le blocus de Berlin (1948-1949) par l’armée soviétique et la réponse alliée par le pont aérien en est un exemple parfait. Les pays occidentaux savent faire aussi comme lors du « conflit de la langouste » en 1963 lorsque le général de Gaulle engage la marine nationale pour protéger les langoustiers français au large du Brésil ou à plus grande échelle lors du couple d’opérations Manta-Epervier (1983-1987) pour protéger le sud du Tchad contre la Libye de Kadhafi. De temps en temps, ces oppositions peuvent déboucher sur quelques accrochages et quelques frappes aériennes, mais la violence reste limitée. Étrangement, le général Delaunay ne parle pas de cet aspect ou cela m’a échappé, de la même façon qu’il ne parle pas de notre soutien aux armées et groupes armés qui servent nos intérêts, en Afrique en particulier comme l’armée tchadienne ou l’UNITA en Angola.

L’auteur s’intéresse beaucoup plus à ce qu’on appelle alors la « guerre révolutionnaire ». En fait, on l’a un peu oublié mais le terrorisme est le problème sécuritaire majeur des années 1970-1980. Il y a alors en Europe quelques groupes d’extrême-droite comme Charles-Martel en France mais surtout des organisations « rouges », Fraction armée rouge, Brigades rouges, Action directe et quelques autres, qui pratiquent attentats à la bombe et assassinats. Ces groupes rouges s’associent aussi régulièrement aux groupes palestiniens comme le FPLP, les FARL, ou Septembre Noir dans leurs actions, mais aussi aux groupes indépendantistes, tous également classés « révolutionnaires », comme l’ETA, l’IRA mais aussi le FLNC ou le FLNKS. Les attentats sont souvent moins meurtriers que les attentats djihadistes du XXIe siècle, mais très nombreux. Il n’y pas un mois, voire une semaine, à cette époque où on n’entend pas parler d’un attentat à la bombe ou d’un assassinat politique ou tentative d’assassinat. Tous ces groupes ont des motivations diverses, mais Delaunay voit la main de Moscou derrière la plupart d’entre eux, de la même façon que l’URSS soutient la plupart des groupes armés du Tiers-Monde luttant contre leurs États, selon le principe qu’il faut simplement soutenir tout ce qui peut faire du mal à l’adversaire.

Il n’évoque qu’avec quelques mots la menace islamiste montante depuis 1979, qu’elle soit salafiste ou chiite. La France est pourtant dans les années 1980 en confrontation non seulement avec la Libye – rappelons que l’attentat du vol UTA 772 en 1989, 170 morts dont 54 Français, est la plus grande attaque terroriste contre la France jusqu’en 2015 – mais aussi contre l’Iran et le Syrie. Les deux alliés nous ont déjà attaqués au Liban via des groupes libanais sous différentes formes – otages, assassinat de l’ambassadeur, attaques contre le contingent à Beyrouth – mais l’Iran va également porter le fer à Paris quelques mois après la publication de La foudre et le cancer, avec 11 attentats de 1985 à 1986 (13 morts, 303 blessés). La première vague de terrorisme jihadiste viendra d’Algérie quelques années plus tard.

Ce qu’il faut retenir à la lecture de La foudre et le cancer, c’est que le terrorisme est finalement presque une normalité dans l’histoire et la période relativement calme – sauf en Corse – de 1997 à 2012, apparait comme une anomalie. Le terrorisme apparaît comme l’expression violente d’idéologies politiques extrémistes. Son effacement est certes le résultat d’une action répressive, dont on constate à la lecture du livre qu’elle a mis beaucoup de temps à s’organiser et continue visiblement à poser problème, mais aussi et peut-être surtout de l’effacement parallèle des idéologies-mères et des sponsors étrangers. La Chine de Deng Xiaoping, au pouvoir à partir de 1982, a d’autres priorités. L’Iran gagne la confrontation contre nous. L’URSS disparaît. On négocie avec les indépendantistes. On peut donc croire ce cancer-là est endormi au milieu des années 1990, ce qui va certainement endormir la vigilance.

L’autre cancer décrit est l’« orchestre rouge », c’est-à-dire toutes les actions clandestines possibles de l’Union soviétique, comme le sabotage qui reste surtout à l’état de préparation en attente du Grand soir et de la grande offensive, mais qui pensait-on pouvait être très destructeur. Notons que dans les années 1980, on parle déjà de lutte informatique comme dans le roman Soft War (1984) de Denis Beneich et Thierry Breton. L’Union soviétique pratique surtout à grande échelle l’espionnage et l’infiltration des réseaux politiques. On pratique aussi à l’époque bien sûr, la contrainte économique (et de souligner dans le livre que les Soviétiques ont « barre sur nous en nous vendant du gaz »), l’instrumentalisation du sport avec les boycotts de part et d’autre des jeux olympiques de 1980 et 1984 ou des matchs qui virent à l’affrontement politique comme le match de hockey entre les Etats-Unis et l’URSS à Lake Placid en 1980 qui a marqué les esprits. Bref, en la matière les années 2020 n’ont pas inventé grand-chose.

Elles n’ont même pas inventé ce qu’on appelle aujourd’hui l’« influence » mais qu’on baptisait « subversion » jusqu’à la fin des années 1980, lorsque là encore on a cru que c’était terminé avec la fin de l’URSS. Paru en 1982, Le montage de Vladimir Volkoff fait un tabac chez les militaires, dont le top management a fait les guerres d’Indochine et d’Algérie – Delaunay y a été grièvement blessé – et y revenu à la fois imprégné par cette idée de subversion et frustré de ne pas pouvoir en parler, après le fiasco de la « guerre psychologique » en Algérie.

Comme beaucoup, le général Delaunay est persuadé qu’il y a dans notre pays, une entreprise délibérée de corrosion des valeurs afin de l’affaiblir. Il n’est pas loin de penser, d’autres ont moins de retenue, que les militaires voient cela mieux que les autres et qu’il est leur devoir de proposer une contre-offensive psychologique. Je crois pour ma part que les sociétés changent vite en fonction des circonstances (à la suite d’un débat en1933, les étudiants d’Oxford votent que jamais ils n’iront « mourir pour le Roi et la Patrie » et en 1939 ils se portent volontaires en masse pour intégrer la RAF) et qu’il est un peu vain, comme en stratégie, de tracer des lignes de fuite trop lointaines sur l’évolution des sociétés car elles seront forcément démenties et parfois brutalement. Je ne suis par certain non plus que les militaires soient plus légitimes et compétents que les autres, ni moins d’ailleurs, pour évaluer et faire évoluer la société. Après tout, les « colonels » ont pris le pouvoir en Grèce en 1967 au nom de la lutte contre la subversion et le retour des valeurs (interdiction de mini-jupe et des cheveux longs) et cela s’est terminé en pantalonnade sept ans plus tard car ils n’avaient aucunes compétences pour gouverner. Mais c’est un autre débat. Les chapitres que le général Delaunay sur le sujet, la majeure partie du livre, sont tout à fait intéressants et intelligents. Je rejoins totalement tout ce qui est dit sur l’expression libre et large nécessaire sur les questions de Défense ou encore sur la gestion économique de cette Défense.

Le défaut d’un historien est souvent de ne rien trouver de nouveau dans les situations du moment puisqu’il y aura toujours dans le passé quelque chose qui y ressemblait. C’est évidemment trompeur car il y a toujours aussi des choses inédites dans les évènements du jour, mais c’est un défaut utile pour l’action. Il est donc lire et relire les écrits d’un passé que l’on croit ressemblant à notre époque, on y trouve toujours de quoi éclairer celle-ci.

Cryptomonnaies, domiciliation à l’étranger… Les combines des terroristes pour accéder aux banques françaises

Cryptomonnaies, domiciliation à l’étranger… Les combines des terroristes pour accéder aux banques françaises

DECRYPTAGE. La réglementation française rend quasiment impossible l’ouverture d’un compte bancaire par les membres d’organisations terroristes, qui passent aujourd’hui par des chemins détournés. Par Jacques Amar, Université Paris Dauphine – PSL et Arnaud Raynouard, Université Paris Dauphine – PSL

(Crédits : IBRAHEEM ABU MUSTAFA)

Par un arrêté en date du 13 novembre 2023, le ministère de l’Économie et des Finances a bloqué, pour une durée de six mois :

« les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par Mohammed Deif (commandant la milice armée du Hamas), ainsi que les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par M. Mohammed Deif ou agissant sciemment pour son compte ou sur instructions de celui-ci. »

Un arrêté en date du 30 novembre 2023 a adopté des dispositions similaires à l’encontre de Yahya Sinouar, le chef politique du Hamas à Gaza. La lecture de ces arrêtés ne manque pas de surprendre : comment les dirigeants du mouvement à la tête de la bande Gaza ont-ils pu ouvrir des comptes en France en dépit du fait que le Hamas est inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne (UE) ?

En effet, un règlement du Conseil européen prévoit le gel de tous les fonds et autres avoirs financiers appartenant aux personnes, groupes et entités inscrits sur la liste du règlement d’exécution n° 2022/147. Aucun fonds, aucun avoir financier, ni aucune ressource économique ne peut être mis directement ou indirectement à la disposition de ces personnes, groupes et entités.

La voie des néo-banques

Formellement, le Hamas ainsi que d’autres organisations palestiniennes sont expressément nommés dans les textes communautaires. Il n’en est pourtant pas de même de leurs dirigeants. Les arrêtés précités ne viendraient donc que spécifier l’arsenal des dispositions européennes en désignant nommément deux des dirigeants du Hamas. Qui peut le plus peut le moins…

Quant à la réglementation bancaire française, les textes tendraient à rendre pratiquement impossible l’ouverture d’un compte bancaire par un membre d’une organisation terroriste. Pratiquement, un non-résident de l’UE qui souhaite ouvrir un compte en France doit se présenter physiquement dans une agence et présenter un justificatif d’identité et un justificatif de domicile.

La démarche est évidemment loin d’être évidente pour une personne qui vit en clandestinité. Ou alors elle doit passer par une banque en ligne (et accessible localement). En l’état actuel, ni Gaza ni l’Autorité palestinienne ne semblent bénéficier de l’accès à de tels services bancaires en ligne, à la différence de la Jordanie et du Qatar. Il est alors parfaitement possible d’effectuer des transferts en utilisant ces néo-banques. L’autorité bancaire britannique de régulation a d’ailleurs expressément dénoncé, dès avril 2022, les possibilités de blanchiment qu’offraient ces nouvelles enseignes.

« Know your client »

L’Autorité palestinienne ne disposant pas d’une monnaie nationale, il est parfaitement possible d’y transférer des euros ou des dollars. Et comme c’est l’un des rares endroits au monde où des transferts conséquents d’argent ont lieu en cash, les règles anti-blanchiment qui structurent le système bancaire international trouvent difficilement à s’appliquer.

À s’en tenir toujours à la réglementation bancaire française, un autre obstacle surgit :

« Lorsqu’une personne […] n’est pas en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires, elle n’exécute aucune opération, quelles qu’en soient les modalités, et n’établit ni ne poursuit aucune relation d’affaires. Lorsqu’elle n’a pas été en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires et que celle-ci a néanmoins été établie […], elle y met un terme. »

C’est le principe, exigeant désormais, du KYC_, « know your client » (« connais ton client »). Autrement dit, à supposer que le compte ait été ouvert, il est difficile pour la banque d’effectuer des transferts à l’étranger à partir du moment où la nature de l’opération a un lien avec le financement d’une activité terroriste. Dans le cas contraire, elle s’exposerait à des poursuites pour complicité de blanchiment. Même si le titulaire du compte n’est pas expressément visé par une interdiction, il ne peut donc pas forcément l’utiliser. Les arrêtés adoptés tiennent compte de cette situation et cherchent donc à empêcher, indistinctement, la « mise à disposition directe ou indirecte » des fonds.

Cagnottes en ligne et cryptomonnaies

Dans son ouvrage L’abécédaire du financement du terrorisme, la sénatrice Nathalie Goulet a recensé les différentes techniques utilisées pour collecter de l’argent afin de financer des opérations ou une organisation terroriste, tout en échappant aux foudres des instances de régulation du secteur bancaire.

L’éventail est large et le conflit en cours confirme que toutes les techniques recensées sont mobilisées par les organisations terroristes. Il en va ainsi des cryptomonnaies en raison de la difficulté pour les autorités de contrôler leur conversion dans une monnaie ayant cours légal. Ou alors de l’ouverture d’une cagnotte en ligne par une association : l’objectif affiché est louable – le financement d’un hôpital à Gaza, par exemple ; il n’est cependant pas possible de vérifier l’affectation de l’intégralité des fonds.

Autre situation de plus en plus fréquente, le recours à des organisations non gouvernementales (ONG). Dès 2013, le Conseil de l’Europe signalait que les ONG pouvaient servir à blanchir de l’argent et financer le terrorisme. Depuis, de nombreuses structures ont adopté ce format institutionnel pour collecter de l’argent à des fins terroristes. Vouloir empêcher que des fonds soient mis à la disposition d’une organisation terroriste ou d’une personne précise implique donc un renforcement des contrôles aussi bien de certaines opérations aussi banales que les cagnottes que des structures de collecte de fonds.

Ambiguïté

Finalement, mais il n’est pas certain que ce soit l’effet recherché par le ministère de l’Économie et des Finances, la publication des arrêtés affiche au grand jour les failles du système bancaire français ; où l’on découvre, à cette occasion, que le régime de contrôle financier mis en œuvre n’empêche nullement un terroriste ou une personne proche des milieux terroristes d’ouvrir un compte bancaire sur le territoire français.

Nous ne savons pas si arrêtés de Bercy auront un réel impact sur les finances des personnes concernées. Le ministère de l’Économie et des Finances n’a d’ailleurs ni confirmé ni infirmé que les personnes visées disposaient ou non d’avoirs en France et cette ambiguïté fait courir un risque aux banques françaises.

Sur le fondement du Patriot Act, les Américains peuvent parfaitement s’arroger le droit de diligenter des poursuites à leur encontre en raison de leurs contributions au financement du terrorisme. Bref, en ce domaine, il est particulièrement difficile et critiquable de se contenter d’effets d’annonces.

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Par Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSL et Arnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSL

Qu’une guerre est juste ou pas s’apprécie dans le temps et cela peut changer avec les faits : Ukraine, Gaza

Billet du Lundi 04 décembre 2023 rédigé par Pierre de Lauzun, membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma.

https://geopragma.fr/quune-guerre-est-juste-ou-pas-sapprecie-dans-le-temps-et-cela-peut-changer-avec-les-faits-ukraine-gaza/


Venant après la guerre d’Ukraine, la guerre à Gaza a remis sur le devant de la scène la question de la guerre juste. Mais la plupart des réactions se caractérisent par une dominante extrêmement émotionnelle, certes compréhensible, mais qui envoie les uns et les autres dans des directions complétement divergentes, et ne donne pas de repères pour le jugement. Par ailleurs, il n’est que très rarement fait référence à la réflexion sur ce qu’on peut qualifier de guerre juste. Celle-ci est pourtant une aide précieuse pour le jugement et pour l’action. Et pour échapper aux manipulations à prétexte moralisant.

Mais il est un point important qui est encore plus négligé : la possibilité que ce jugement puisse évoluer dans le temps, en fonction du déroulement des opérations d’une part, de l’évolution des buts de guerre réels de l’autre. Le fait qu’une guerre soit considérée juste au départ, par exemple en réponse à une agression caractérisée, n’implique pas que les décisions prises ultérieurement le soient aussi. Et il faut savoir reconnaître quand le déroulé des combats et conséquemment l’évolution des enjeux changent les données du raisonnement initial.

Les données du débat

Rappelons que la justesse d’une guerre ne se limite pas à la justesse de la cause défendue, mais aussi à la haute probabilité du succès des opérations, et à la conviction raisonnablement établie que la situation résultante sera sensiblement meilleure que ce qu’elle aurait été sinon. Tous facteurs de considération réaliste qui sont par nature évolutifs. En ce sens donc, réalisme et moralité ne s’opposent pas : bien au contraire ils se combinent étroitement.

En particulier, comme je l’ai souligné par ailleurs, la guerre une fois déclenchée a sa logique : qui dit guerre dit choc de deux volontés en sens contraire, dont la solution est recherchée dans la violence réciproque. Par définition, cela suppose que l’une au moins des deux parties considère que ce recours à la force a un sens pour elle, et que l’autre soit ait la même perception, soit préfère résister à la première plutôt que céder. La clef de la sortie de l’état de guerre est dès lors principalement dans la guerre elle-même et son résultat sur le terrain. Mais comme la guerre est hautement consommatrice de ressources, puisque son principe est la destruction, elle a en elle-même un facteur majeur de terminaison : elle ne peut durer indéfiniment. Le rapport de forces sur le terrain peut d’abord aboutir à la victoire d’une des deux parties… Alternativement, on a une situation non conclusive, mais qui ne peut durer indéfiniment. A un moment donc les opérations s’arrêtent… Mais tant que ces facteurs de terminaison n’ont pas opéré suffisamment, la guerre continue… Arrêter prématurément signifierait en effet pour celui qui va dans ce sens non seulement que tous ses efforts antérieurs ont été vains, pertes humaines et coûts matériels en premier lieu, mais surtout cela reviendrait à accepter une forme de défaite avant qu’elle soit acquise ; or il avait par hypothèse décidé de se battre. Dès lors il continue, et l’adversaire de même. C’est là que les bonnes volontés, attachées à la paix, sont déçues – un peu naïvement. Leurs appels à une cessation des hostilités, si possible sans gagnant ni perdant, tombent alors presque toujours sur des oreilles sourdes. Du moins tant que la logique même du déroulement de la guerre n’y conduise.

La guerre d’Ukraine

Prenons la guerre en Ukraine. Sans remonter aux origines, il paraît clair que la résistance ukrainienne à l’invasion russe était une guerre juste. Corrélativement, il était justifié pour les Européens et les Américains de vouloir éviter une déferlante russe qui aurait déséquilibré le continent, et donc d’aider les Ukrainiens, en particulier par des armes. En revanche, l’ampleur des sanctions économiques était totalement disproportionnée et courait un risque élevé d’être contreproductive. Sur ce dernier plan, les faits ont confirmé cette analyse : la perte sèche de plus de 100 milliards d’actifs européens en Russie a été une grave sottise, sans parler du coût de la guerre, direct ou indirect. Parallèlement, la Russie a progressivement réorienté son activité en la rendant bien plus autonome, et surtout travaille à ressusciter son complexe militaro-industriel, dans la tradition soviétique, ce qui n’est certainement pas une évolution souhaitée par le côté européen.

Quant au terrain principal, qui est la guerre elle-même, la perspective d’une victoire ukrainienne est désormais plus éloignée que jamais. Si donc la réaction initiale était justifiée, le jugement à porter n’est plus le même. Ni les chances de gain, ni la perspective d’une situation meilleure ne sont favorables. Et une escalade occidentale, que certains appellent de leurs vœux, serait dévastatrice. En termes clairs, pour les Ukrainiens la recherche d’une solution de paix devient de plus en plus seule pertinente, ou au moins de cessation des hostilités.

La guerre à Gaza

Passons maintenant à Gaza. De la même façon, l’agresseur immédiat et caractérisé le 7 octobre dernier est le Hamas, marqué en outre par une barbarie révélatrice. De plus, le programme du Hamas prévoit la destruction d’Israël, et il paraît crédible que tel est bien leur but. Dès lors l’attaque d’Israël sur Gaza paraît justifiée en soi.

Je laisse ici de côté une question pourtant importante : celle des modalités de l’opération, notamment à l’égard des civils, car y répondre suppose une information qui me paraît actuellement trop parcellaire. Certes, à partir du moment où un pouvoir politique utilise sa population comme bouclier, on voit mal comment l’éradiquer sans des dommages sur celle-ci ; encore faut-il les réduire le plus possible, et pour cela il faut savoir dans quelle mesure la méthode suivie par Israël le fait. Je laisse donc ce débat ouvert à ce stade.

Mais le point qui nous concerne plus directement ici est la suite des opérations. D’un côté, la guerre suscite des réactions émotionnelles considérables, notamment dans le monde arabo-musulman, mais aussi ailleurs dans le monde. On peut certes souligner qu’il y a là deux poids et deux mesures par rapport à bien d’autres situations souvent plus douloureuses pour des populations elles aussi musulmanes, mais qui ne suscitent pas les mêmes indignations bruyantes (Iraq contre Daech avec notamment la prise de Mossoul, Syrie, Yémen, Ouigours etc.). Ce qui est vrai ; mais il faut néanmoins prendre en compte la réalité de cette différence de traitement, sans doute due en bonne partie au fait qu’ici l’autre protagoniste (Israël) est perçu comme occidental. Une telle réaction peut avoir éventuellement des conséquences géopolitiques non négligeables, et pourrait déraper en guerre élargie dans la région – même si ce n’est pas le plus probable à ce stade. Sous un autre angle, on constate la même pression émotionnelle en Israël, pays démocratique obsédé par la question des otages et par là vulnérable.

D’un autre côté, en soi la logique de l’opération israélienne est de finir ce qui a été commencé : si la guerre s’arrête demain sans élimination de l’essentiel des forces du Hamas, d’une certaine manière son effet sera limité, et par là sa justification éventuelle réduite. Toutes choses égales par ailleurs, au point où ils en sont, il peut être alors légitime pour Israël de continuer. Cela dit, la pression, notamment externe, peut conduire à une issue hybride, qui risque de ne rien clarifier.

En revanche, il est une autre considération qui sera décisive pour apprécier la justesse de cette guerre : ce que fera Israël sur la question palestinienne. On ne peut en effet apprécier le juste fondement d’une guerre que dans une perspective longue, en considérant l’ensemble de la situation. Et donc, soit Israël propose à un moment approprié un plan de paix raisonnablement crédible, donc avec une forme ou une autre d’Etat palestinien (hors Hamas évidemment) ; mais cela suppose la viabilité des territoires palestiniens, et donc un abandon de la colonisation en Cisjordanie, y compris d’une part appréciable de celle déjà réalisée. Soit Israël écarte cette hypothèse et poursuit sa politique de réduction progressive des territoires palestiniens. Mais cela signifie alors que le problème subsistera intégralement ; la seule stabilisation possible de la situation impliquerait alors d’une manière ou d’une autre le départ des Palestiniens, ce qui n’est ni juste, ni crédible : ils ne partent pas, et leur natalité est forte ; il y en a deux fois plus dans les zones concernées qu’il y a trente ans. Du point de vue de la guerre juste, dans cette deuxième hypothèse l’objectif de la guerre devient contestable ; en tout cas elle ne peut être qualifiée de guerre juste. Dit autrement, en supposant même que la conduite de la guerre soit acceptable, une opération aussi violente et brutale que l’intervention chirurgicale en cours sur Gaza ne peut être qualifiée de juste, que si, par un paradoxe apparent, elle s’accompagne au moment approprié d’une offre de paix crédible.

Conclusion

Naturellement, à nouveau, le déluge d’émotions contradictoires que suscitent ces conflits, surtout le dernier, est sans commune mesure avec les considérations précédentes. Mais cela n’enlève rien à celles-ci : c’est en regardant les réalités en face qu’on peut progresser. D’autant que l’utilisation abusive d’arguments moralisants par les divers camps en présence exige de prendre du recul. Plus que jamais, l’utilisation d’arguments moraux dans des conflits suppose une analyse lucide et attentive, en outre susceptible d’évoluer dans le temps. Le raisonnement prudentiel est une chose, la vengeance ou l’émotion incontrôlée une autre.

« Fichés S » et autres fichiers de police : de quoi parle-t-on vraiment ?

« Fichés S » et autres fichiers de police : de quoi parle-t-on vraiment ?

 

par Yoann Nabat, Université de BordeauxRevue Conflits – publié le 6 décembre 2023

https://www.revueconflits.com/fiches-s-et-autres-fichiers-de-police-de-quoi-parle-t-on-vraiment/


A chaque attaque terroriste on se demande si l’attaquant est ou non « fiché S ». Mais de quoi s’agit-il vraiment et quelles différences avec les autres fichiers de la police ?

La question revient inlassablement après chaque attentat : l’auteur était-il « fiché S » ? Pour nombre d’entre nous, le « fiché S » serait celui qu’on soupçonne de terrorisme, qu’on surveille. Il serait l’individu dangereux que d’aucuns souhaiteraient voir enfermer, ou au moins expulser. Il serait celui qui n’a pas encore commis d’attentat, mais qui va en commettre.

Pourtant, et cela peut surprendre au regard de la lumière médiatique qui y est portée, il n’existe pas, en France, de « fichier S ». Ce qui est appelé ainsi, par abus de langage, n’est autre qu’un type de signalement inscrit au Fichier des Personnes Recherchées (FPR).

Le FPR est l’un des plus importants fichiers policiers français (à la fois quant au nombre d’individus fichés, et quant à l’utilisation quotidienne qui en est faite). Il recense les personnes qui font l’objet d’une « fiche », c’est-à-dire d’un signalement par une décision judiciaire, administrative ou policière. Il est un fichier d’identification, alors que d’autres sont davantage dédiés à l’assistance à l’enquête en elle-même (comme le logiciel Anacrim, tout aussi médiatique) ou que d’autres encore contiennent nos empreintes digitales ou ADN.

620 000 fiches actives

Il existe un très grand nombre de cas dans lesquels vous pouvez être « fiché » au FPR. On y trouve ainsi, pêle-mêle, les individus ayant fait l’objet d’une interdiction judiciaire quelconque (par exemple, une interdiction de stade), ceux qui ont une dette auprès du fisc, ou encore les déserteurs de l’armée. Les derniers chiffres font état d’environ 620 000 fiches actives.

Le FPR fait l’objet d’une alimentation à la fois par les organes judiciaires et administratifs. L’accès y est très régulier, notamment par les forces de l’ordre lors des contrôles sur le bord de la route (via leur mobile ou une tablette).

À chaque catégorie de signalement correspond un type de fichier particulier et une lettre. Les étrangers en situation irrégulière se trouveront ainsi fichés « E », les débiteurs du Trésor Public fichés « T » ou encore les enfants fugueurs « M ».

Chaque fiche est complétée par le service qui l’a créée : greffes des tribunaux, services de renseignement, direction des finances publiques, police aux frontières, etc. Elle mentionne systématiquement l’identité de la personne, sa photographie, le motif de la recherche ainsi que la « conduite à tenir » (« CAT » en langage policier). Cette dernière peut être variable, de l’arrestation de la personne à l’absence d’action, en passant par le simple signalement à l’autorité émettrice.

S pour « Sûreté de l’État »

Mais quelles sont les fameuses « fiches S » ? Le S tient pour « Sûreté de l’État ».

Elles concernent « les personnes qui peuvent, en raison de leur activité individuelle ou collective, porter atteinte à la sûreté de l’État et à la sécurité publique par le recours ou le soutien actif apporté à la violence, ainsi que celles entretenant ou ayant des relations directes et non fortuites avec ces personnes », selon le dernier rapport parlementaire sur la question.

Comprendre : les individus considérés comme potentiellement dangereux (sans distinction entre différents degrés de dangerosité), par leurs actes ou leur soutien à des actes, mais aussi les personnes gravitant autour de ces individus.

Aucune mention donc de l’islamisme radical, ni même du terrorisme. La fiche S peut aussi bien concerner le militant d’ultragauche que l’islamiste radicalisé proche de passer à l’action. Il peut concerner tout individu qui est jugé dangereux pour la sûreté de l’État par un service de renseignement national tel que la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui traite des menaces les plus importantes au niveau national, la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) pour la capitale ou encore le Service central du renseignement territorial (SCRT), dont la mission est de rassembler les informations remontées localement.

Si le nombre précis de fichés S est inconnu, il est en tout cas assez important. Il n’y a, parmi ce nombre, pas de distinction entre différents types de fiches S selon la cause de signalisation. Les fiches sont seulement distinctes par la conduite à tenir qui y est inscrite, celle-ci étant standardisée et identifiée par un numéro de 1 à 11 (fiches S1, S2, S3, etc.).

Un simple outil policier

Quel est alors le but d’une fiche S ? Il ne s’agit pas d’une condamnation, ni même d’une décision judiciaire. La fiche S émane d’un service de renseignement qui souhaite, le plus souvent, simplement être informé en cas de contrôle de l’individu quelque part sur le territoire national (ou aux frontières).

L’individu fiché S ne fait donc pas nécessairement l’objet d’une surveillance active. Pas plus qu’il n’est bien sûr informé de cette fiche (le plus souvent, les CAT prévoient d’ailleurs de ne pas alerter l’individu lors du contrôle).

La fiche permettra simplement à l’agent de police ou de gendarmerie qui, lors d’un contrôle routier, est amené à croiser la route d’un individu fiché S, de faire remonter l’information auprès des services de renseignement, qui, la plupart du temps, en prendront simplement note.

La fiche S n’est donc ni une condamnation pénale, ni même l’indice d’une surveillance active. Elle ne témoigne ni d’une dangerosité accrue ni d’un passage à l’acte immédiat. Elle pourra néanmoins impacter la vie de l’individu : le FPR est consulté lors des enquêtes administratives, et peut donc amener à un avis négatif pour l’obtention d’un emploi dans la fonction publique ou dans les secteurs privés de la sécurité.

Elle peut aussi être problématique pour l’obtention d’un passeport ou d’un permis particulier (port d’armes par exemple).

La fiche S ne permet pas, à elle seule, de fonder une décision d’expulsion (malgré une récente annonce ministérielle) pas plus qu’elle ne permet par exemple de retirer le statut de réfugié à un individu. Le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, est à ce propos extrêmement clair. La fiche S doit rester ce qu’elle est : un outil policier.

D’autres fichiers plus discrets

L’individu fiché S n’est pas nécessairement un dangereux radicalisé prêt à passer à l’acte, et tous ceux qui passent à l’acte ou qui sont soupçonnés de le faire ne sont pas fichés S. Le drame de vendredi dernier en est malheureusement la triste démonstration.

Les services de renseignement eux-mêmes d’ailleurs n’apprécient pas particulièrement la fiche S, dont la publicité (elle est visible par tous les policiers et gendarmes qui consultent le FPR) peut-être néfaste à la nécessaire discrétion en la matière. Les sénateurs pointent ainsi dans un rapport de fin 2018 le risque d’éveiller les soupçons chez la personne fichée lors d’un contrôle, si l’attitude du policier ou du gendarme est, même involontairement, modifiée à la lecture de cette information sur sa tablette.

D’autres fichiers, cette fois parfaitement confidentiels, répondent davantage à leurs besoins : CRISTINA (principal fichier généraliste propre au renseignement), et le FSPRT, spécifique à la problématique de la radicalisation. Ces deux outils font partie d’une liste de dix-sept fichiers « intéressants la sûreté de l’État » et dont le fonctionnement et l’usage sont complètement secrets.

Plus généralement, la problématique est ici la même pour tous les fichiers de police : ils sont uniquement des outils, au service de l’enquête ou de la prévention ciblée des infractions. Pourtant, leur usage et leur champ d’application tendent à se développer et ne sont pas sans conséquences sur chacun d’entre nous.

« Défavorablement connu des services de police »

Qui ne s’est jamais interrogé sur l’expression « défavorablement connu des services de police » ? Là encore, derrière cette formule, se cache un autre grand fichier : le Traitement des Antécédents Judiciaires, ou TAJ.

Or, comme le FPR, le TAJ comprend les données d’individus seulement soupçonnés, non condamnés (contrairement au Casier Judiciaire National, plus encadré, mais auxquels les forces de l’ordre n’ont pas un accès immédiat). Pourtant, là encore, les conséquences pour les individus peuvent être très concrètes, et là encore, par le biais des enquêtes administratives.

Vous avez fait l’objet d’une arrestation après un acte de désobéissance civile, pour lequel vous n’avez pas été poursuivi devant la justice ? Il est fort probable que vous soyez fiché au TAJ, et que ce fichage déclenche un avis négatif lors d’une « enquête de moralité » préalable à l’embauche dans la fonction publique ou pour certains emplois privés dans des domaines réglementés (sécurité, mais aussi jeux et paris par exemple, ou lorsqu’il y a manipulation de substances dangereuses).

Les fichiers de police sont donc beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord. Ils sont bien distincts des fichiers judiciaires, comme le Casier Judiciaire, connu de tous et obéissant à des règles bien précises. Ils répondent à une logique différente : celle de l’enquête.

Un développement exponentiel des fichiers

La numérisation des enquêtes, l’usage de l’intelligence artificielle, la généralisation des dispositifs mobiles à la disposition des forces de l’ordre, le recours à la biométrie sont autant de facteurs qui font se développer exponentiellement les fichiers de police.

Le dernier rapport parlementaire en la matière en identifie ainsi une centaine à la disposition des forces de l’ordre.

Si leur caractère utile dans les investigations, et même indispensable en matière de renseignement, ne serait être nié, il convient de garder à l’esprit leurs limites, et cela dans toutes les circonstances, même les plus atroces.

Un fichier de police, même le FPR, ne saurait justifier une mesure restrictive ou privative de liberté, même au nom de la prévention. Il ne doit pas non plus être perçu comme la marque au fer rouge du XXIe siècle.

Des mesures fortes existent

Sommes-nous pour autant démunis en matière de prévention des infractions, notamment terroristes ? La réponse négative apparaît évidente à qui s’intéresse à la matière préventive, en très large développement depuis une vingtaine d’années.

Les mesures administratives individuelles très largement admises après la fin de l’état d’urgence en 2017 et la création d’infractions pénales incriminant des actes préparatoires de plus en plus minces devraient suffire à convaincre de notre arsenal préventif.

Enfermer, punir ou expulser l’individu radicalisé avant qu’il passe à l’acte est, en droit français, largement possible et pratiqué selon un récent rapport parlementaire dressant un premier bilan de la loi de 2017.

Ainsi, le fait qu’un auteur d’attentat soit « fiché S » ou « défavorablement connu des services de police » ne peut être considéré en lui-même comme un symptôme de l’échec des services de renseignement.

Les fichiers de police ne sont, et ne doivent pas être, des outils de décision. Ils sont plutôt des outils d’aide à la décision, parmi d’autres. La décision d’interpeller ou d’enfermer un individu ne peut se prendre que sur la base d’un comportement effectif et constaté, soit par le biais des condamnations pénales, soit par le biais des mesures administratives.

Ces procédures sont mises en œuvre selon des règles précises, sont susceptibles de recours administratifs et judiciaires et sont précisément limitées. La généralisation de mesures liberticides à un ensemble d’individus d’une catégorie hétérogène et strictement policière, n’est ni possible juridiquement, ni souhaitable dans un État de droit démocratique.

Yoann Nabat, Enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.