APAGAN : Face au risque d’attaque, un A400M français largue des leurres anti-missiles en décollant de Kaboul

APAGAN : Face au risque d’attaque, un A400M français largue des leurres anti-missiles en décollant de Kaboul

http://www.opex360.com/2021/08/23/apagan-face-au-risque-dattaque-un-a400m-francais-largue-des-leurres-anti-missiles-en-decollant-de-kaboul/


L’Afghanistan, vingt ans de guerre contre-insurrectionnelle, tout cela pour çà !

L’Afghanistan, vingt ans de guerre contre-insurrectionnelle, tout cela pour çà !

Crédit photo : US Army.

Le régime afghan s’écroule peu à peu devant l’insurrection talibane pachtoune, une minorité ethnique, à forte identité tribale et religieuse (Cf. Mon interview du 7 aout 2021 sur RT) à moins qu’un sursaut bien peu vraisemblable change l’issue de cette campagne militaire. Jour après jour, 20 ans après le 11 septembre qui a conduit à la chute des Taliban, ceux-ci reviennent irrésistiblement au pouvoir par les armes.

Un constat dévastateur

Au bilan, près de 1 700 milliards d’euros ont été dépensés en Afghanistan par les Etats-Unis soit près de six fois le budget annuel de la France, près de 2500 Américains tués et 20 000 blessés, pour leurs alliés, quelques centaines de tués (France, 89, Royaume-Uni 453) et des milliers de blessés souvent amputés.

Les forces armées afghanes devaient compter 352 000 hommes au 1er octobre 2012 (Cf. Mon billet du 27 mai 2012, « La France et l’OTAN : quelle stratégie d’influence après Chicago et le retrait d’Afghanistan ? »).

Le coût annuel de son soutien était estimé à 3,6 milliards d’euros à partir de 2015, principalement assuré les Etats-Unis à 75% car l’Afghanistan ne pouvait financer que 450 millions d’euros. Aujourd’hui, l’effectif total des forces de sécurité nationales afghanes s’élevait à environ 307 000 fin avril 2021, avec des forces de combat d’environ 180 000 personnels. Cependant, elle a subi de lourdes pertes et a un fort taux de désertions. Les attentats contre les forces de sécurité sont nombreux comme en témoignent les éliminations physiques des pilotes afghans, déjà en nombre limité, qui auraient pu donner l’ascendant dans les combats. En avril 2021, les forces de sécurité ont perdu 68 000 militaires et policiers en pertes cumulées.

Selon l’ONU en 2020, les combattants talibans étaient estimés entre 55 000 et 85 000 hommes, leurs ressources financières évaluées annuellement entre 300 et 1,2 milliard d’euros Les insurgés bénéficient notamment de l’exploitation de la drogue notamment dans la province du Helmand. Les talibans auraient perdu plus de 51 000 combattants.

Enfin, 47 000 civils afghans dont beaucoup de femmes et d’enfants ont été tués. De nombreux Afghans ont fui le pays constituant par exemple la 2e communauté à déposer des demandes d’asile dans l’Union européenne.

Un bilan donc peu reluisant.

Les causes de cet échec ?

Plusieurs causes peuvent être identifiées.

Au niveau international, le Pakistan persiste à jouer un double jeu mais c’est aussi la réalité de l’Etat multiethnique qu’est l’Afghanistan. Les frontières politiques, si intangibles qu’elles paraissent aujourd’hui, sont-elles toujours pertinentes au XXIe siècle ? Les pachtounes sont un peuple séparé comme d’autres peuples de la région et aspirent à une forme d’unité. Le droit international et son processus de négociation ont aussi montré leur incongruité notamment avec une incapacité notoire à imposer une décision venant de l’extérieur du pays concerné. Comment croire qu’une armée même insurgée et à l’équipement militaire limité, vainqueur sur le terrain, accepterait les solutions négociées que l’on entend aujourd’hui ? Comme en 1975 au Viet-Nam, l’abandon des Etats-Unis dont je peux comprendre la lassitude en Afghanistan, a créé en toute connaissance de cause la dynamique de la victoire presqu’annoncée des Talibans (Cf. Lire aussi cet article très complémentaire de Renaud Girard paru dans le Figaro du 12 juillet 2021).

 

 

Quant à l’Union européenne, symbole de tous les aveuglements utopiques, je citerai Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne : « Nous voulons aider à construire un Afghanistan souverain, unifié et démocratique, sur la voie de la prospérité et de l’autonomie. La trajectoire de l’Afghanistan, à l’avenir, doit préserver les droits humains et les avancées démocratiques acquis depuis 2001, notamment en ce qui concerne les droits des femmes et des enfants. » (9 juin 2021) L’Union européenne comme toujours ne voit que l’exportation de son idéologie, y compris là où cela n’a que peu de sens. Sa seule crainte est l’arrivée d’un nouveau flot de migrants qu’elle ne saura pas encore gérer.

Au niveau de la politique intérieure afghane, l’importation d’un modèle occidental a montré à nouveau son échec. Imposer une gouvernance peu conforme aux traditions locales permettait de justifier une intervention internationale. Aujourd’hui, comme dans d’autres Etats, qui peut croire que le gouvernement afghan actuel pourra résister, malgré des élections répétées représentant en soi un succès mais qui ne satisfaisaient que la communauté internationale dans sa volonté de promouvoir droits de l’homme et changements de la société locale ? Malgré l’assistance occidentale et des Nations unies, les réformes ont eu peu d’effets sur la justice, la police, l’armée dès lors que la corruption reste endémique et le double discours des dirigeants locaux permanent.

Au niveau économique et du développement, la société afghane a sans doute changé pour se rapprocher de quelques normes occidentales comme par exemple l’accès à l’éducation pour les filles et la question de leur place dans la société afghane, grande sinon seule préoccupation du parlement européen ce qui n’est certainement pas le problème majeur de l’Afghanistan. Pourtant l’Afghanistan n’a pas été abandonnée. Elle a bénéficié depuis 2001 de plus de 35 milliards d’euros en aide civile par des donateurs bilatéraux et multilatéraux (Banque mondiale, Banque asiatique de développement notamment). L’économie locale a été le centre d’intérêt d’acteurs étrangers (Cf. Mon billet du 4 mars 2012 sur le rapport Hostalier). Les résultats paraissent cependant plutôt minces, au bénéfice des villes et non des campagnes, terreau du recrutement taliban. Le trafic de drogue qui fournit plus de 50% de l’héroïne mondiale reste une des grandes richesses « agricoles » de ce pays.

Ce constat certes lapidaire explique aujourd’hui l’effondrement probable du régime afghan, finalement pourri de l’intérieur, ce qui n’était pas ignoré par les occidentaux notamment ayant combattu en Afghanistan.

Des enseignements à tirer ?

Sans aucun doute après ces vingt ans de guerre depuis le 11 septembre 2001. Je les situerai dans les trois lignes d’opération que les occidentaux ont mises en œuvre à travers le concept qui a été appelé « l’approche globale » : la gouvernance, l’économie et la sécurité.

Dans le domaine de la gouvernance, il est temps de cesser d’exporter notre « modèle » de gouvernance. On n’impose pas d’une manière idéologique et artificielle dans un pays en guerre une démocratie de type occidental sous prétexte de légitimer une action internationale nécessaire du point de vue sécuritaire. Comme au Mali, vouloir changer de l’extérieur la perception politique des peuples surtout quand ils ne sont pas homogènes, et c’est bien souvent le cas dans les Etats créés après 1945, révèle l’utopie de la communauté internationale sinon la prétention notamment des démocraties, les autres Etats n’en ayant cure. La Chine vient de le montrer en ouvrant une porte diplomatique aux Taliban s’ils arrivaient au pouvoir.

Concernant le développement, se donner bonne conscience, notamment par l’humanitaire, sans réelle contrepartie, devrait être une position à revoir. Que ce soit en Afghanistan, au Mali, en Irak, l’aide au développement a été soumise à la corruption, à son inadéquation aux besoins et finalement à une mise sous perfusion de l’économie locale qui s’est bien adaptée à cette manne inespérée. Il suffit de lire les rapports de l’inspecteur général américain spécial pour la reconstruction afghane (SIGAR). Depuis 2002, l’UE a fourni environ de cinq milliards d’euros d’aide au développement et pour quelle efficacité ? Elle renouvelle néanmoins tous les quatre ans une aide économique d’1,5 milliard d’euros ce qui fait de cet Etat le premier bénéficiaire d’aide publique au développement dédiée à 80% pour le long terme et 20% à l’humanitaire. N’est-il pas temps de laisser ces pays résoudre seuls leurs problèmes intérieurs sauf si la situation menace nos intérêts correctement identifiés ?

Enfin concernant la sécurité locale ou régionale, est-il bien acceptable que les occidentaux finissent toujours par faire la guerre pour des causes qui ne sont pas directement les leurs, à leurs frais, au prix de la vie de leurs soldats (Cf Mon billet du 11 août 2019, « David Galula et la théorie de la contre-insurrection – un ouvrage à lire ») ? Comment comprendre que les Afghans migrants soient bien souvent des jeunes hommes en âge de porter une arme pour défendre leur pays contre l‘obscurantisme taliban mais il est vrai qu’il n’est pas correct selon nos normes d’imposer à quelqu’un de se battre pour son pays, au nom de la liberté de conscience… À ce titre, une réforme du droit d’asile devrait être engagée avec ce critère sélectif : tout ressortissant susceptible d’être un combattant pour le gouvernement d’un pays reconnu par la communauté internationale devrait être débouté du droit d’asile et y être expulsé.

D’un point de vue strictement militaire, la question qui demeure aujourd’hui n’est pas celle de savoir s’il fallait combattre en Afghanistan mais comment cette guerre devait être menée. Pour ma part, je considère que ce conflit a permis à l’armée française de sortir de son confort notamment après l’embuscade d’Uzbin et de se préparer réellement au moins à cette forme de guerre. Je me souviens de cette réunion peu de temps après où le commandement était désemparé. Il avait été fait appel pour une fois au centre interarmées de doctrine, là où on écrit le « comment faire la guerre ». Nous avons donné des pistes de réflexion compte tenu de notre recul par rapport aux « opérationnels », ce qui était logique. Il a fallu cependant des mois pour qu’elles soient exploitées et qu’elles contribuent en partie au retour d’une armée d’emploi dans ce contexte particulier. Je n’en ai pas moins regretté une trop lente réactivité mais je ne doute pas que les tergiversations politiques ont entravé l’efficacité militaire.

Ainsi, les combattants de nos armées respectives ont fait le « job » et plutôt bien. L’armée afghane reconstruite à l’occidental, mais cela n’était pas apparemment la bonne solution, assistée par nos conseillers militaires, par des aides matérielles et militaires, a fait ce qu’elle a pu. Il faut constater aujourd’hui comme d’autres armées soutenues par l’occident dans le monde qu’elle est incapable de vaincre. Compte tenu de la sélection initiale nécessaire, évoquer en outre aujourd’hui dans les combats contre les Taliban l’engagement de 50 000 « forces spéciales » afghanes, une solution « miracle », avec ce qui représente 15 à 45% des forces militaires, montre qu’il s’agit d’abord de forces mieux entraînées et non de « forces spéciales » dont l’intitulé signifierait des « super-rambo » capables de changer le sens de la guerre.

Pour conclure

L’engagement militaire contre une insurrection conduit à une réflexion, certes rapide à la fois sur la stratégie et sur la guerre de contre-insurrection, toujours facile à énoncer à Paris ou ailleurs. La stratégie du « containment » telle qu’elle a été pratiquée au XXe siècle trouverait une certaine pertinence et résumerait la stratégie à développer dans ces Etats fragiles. Il est vrai que le monde « politico-économico-associatif » déclare souvent « qu’il n’y a pas de solution militaire ».  Les militaires en sont bien convaincus. Une action militaire directe reste coûteuse mais agir indirectement, y compris par des actions militaires ponctuelles pourrait s’avérer utile. Il est temps d’infirmer cette idéologie dominante de complaisance et d’aveuglement qui s’abrite derrière les mots « développement » et « humanitaire ». N’a-t-on pas appris depuis l’Afghanistan, l’Irak, sinon le Mali que le développement n’est pas non plus une réponse pour amener la paix quand la sécurité n’existe pas et que l’humanitaire ne résout pas les conflits mais finit par les entretenir ?

Cette stratégie renouvelée du « containment » répondrait à ces guerres insurrectionnelles qui ne sont pas nouvelles et dont les réponses pour les résoudre sont similaires : un personnel politique local légitime et donc soutenu, une guerre mobile, agressive et permanente avec du personnel militaire local et rustique convaincu de la justesse de la cause, du renseignement, une capacité d’adaptation et bien sûr des moyens suffisants éventuellement conventionnels pour gagner, une assistance étrangère limitée. Cependant, dès lors qu’une force étrangère assure une grande partie de la mission, obtenant des résultats mitigés en raison des multiples contraintes qui lui sont imposées (moyens restreints et souvent insuffisants, processus décisionnel en partie ou totalement multinational, droit international et ses avatars sur la conduite d’une guerre, respect de la souveraineté locale…).

Sur cet engagement de forces étrangères qui peut s’avérer nécessaire, il semblerait opportun désormais de n’agir militairement que ponctuellement pour obtenir un effet militaire unique dans le cas où nos intérêts sont menacés et des états d’âme limités que ce soit en politique intérieure ou internationale. Un ancien CEMA évoquait cette vision militaire de l’engagement il y une dizaine d’années, le « first in, first out » (« premier arrivé, premier parti »). Nul doute que le politique dans ses calculs bien souvent alambiqués ait modifié cette approche raisonnée pour y inclure l’utopie des changements démocratiques et du développement. À nouveau, l’Afghanistan montre que cela ne fonctionne pas et qu’il faudrait peut-être même écouter les chefs militaires pour éviter des guerres longues dont le seul intérêt positif est celui d’entraîner nos forces. Il n’y en a qu’en faisant la guerre qu’on apprend à la faire mais autant que cet « entraînement » réel affiche de réels succès et son utilité géopolitique.

 

* Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François Chauvancy a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Il est expert des questions de doctrine sur l’emploi des forces, sur les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, à la contre-insurrection et aux opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde depuis août 2011, il a rejoint depuis mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.

Des mustangs en Corée-De l’importance de conserver les anciens pour faire face au nouveau

Des mustangs en Corée-De l’importance de conserver les anciens pour faire face au nouveau

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le  8 juillet 2021

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Innover c’est parfois simplement se rappeler de quelque chose que l’on a oublié. L’appui aérien rapproché, plus connu par les initiés sous l’acronyme anglais de Close air support (CAS) n’est généralement pas ce que les armées de l’Air préfèrent faire, sauf quand il n’y a rien d’autre à faire. Comme toutes les organisations, elles privilégient plutôt leur noyau noble sur les branches périphériques, surtout si elles doivent coopérer avec des organisations rivales. Pour savoir quel est ce cœur noble, il suffit de regarder de quelles spécialités sont issus les chefs de l’organisation et quels investissements matériels y sont considérés comme prioritaires.

Luttant pour leur indépendance, les armées de l’Air anglo-saxonnes de l’entre-deux-guerres ont joué la carte de l’Air Power, et soutenu de bonne foi l’idée que l’on pouvait vaincre l’ennemi par le seul bombardement. Il ne s’agissait pas pour le coup de bombardement sur la ligne de front, mais au contraire le plus loin possible de cette ligne. La même frappe aérienne gagnait en noblesse en passant de « tactique » à « opérative » puis à « stratégique » au fur et à mesure que l’on s’éloignait des forces terrestres amies.

L’expérience de la Seconde Guerre mondiale s’est terminée sur un constat ambigu. Pour certains, les grandes campagnes de bombardement contre le Japon et l’Allemagne n’ont finalement été que des monstruosités couteuses qui ont finalement produit peu d’effets stratégiques par rapport aux manœuvres terrestres. Les Britanniques, honteux, ont peu célébré le Bomber Command et son chef contesté, le général « Bomber » Harris. Aux États-Unis au contraire, les promoteurs de l’Air Power et de l’indépendance de l’US Air Force (USAF), acquise en 1947, n’ont eu de cesse de proclamer, et de persuader, qu’ils avaient eu raison et d’autant plus qu’ils disposaient désormais de l’arme atomique. Le Japon n’avait-il pas capitulé quelques jours seulement après l’action de quelques bombardiers B-29 ?

Pour autant, avec toutes les ressources disponibles pendant la guerre, ce qui était encore l’USAAF (Army Air Force) avait quand même laissé ses branches secondaires se développer sous la pression des besoins. Elle a pu ainsi constituer une puissante flotte de chasseurs, dotée notamment des excellents P-51 Mustang. Le P-51 D Mustang est alors une réussite inattendue. Il ne correspond pas à une demande de l’USAAF qui croit que ses bombardiers peuvent se défendre tous seuls, mais à l’initiative d’une société, North American Aviation, qui n’avait par ailleurs jamais construit de chasseur jusque-là. L’association d’un regard neuf sur l’aérodynamique et de l’excellent moteur britannique Merlin acquis par la société a finalement donné un remarquable chasseur doté d’un très grand rayon d’action.

Il fallut quand même un an pour convaincre l’Air Force de se doter de cet engin « not invented here ». La décision a été définitivement acquise lorsqu’il est apparu que les bombardiers B-17 et B-24 ne pouvaient effectivement pas se défendre seuls au cœur de l’Allemagne et subissaient même des pertes terribles en 1942-43. L’USAAF a alors accepté de sacrifier une hypothèse secondaire, le « bombardier est autosuffisant », pour sauver le paradigme de l’Air Power. Les avions de chasse P-47 et surtout P-51 Mustang sont devenus acceptables dans les missions offensives comme avions d’escorte d’abord mais aussi comme d’avions d’attaque au sein des Tactical Air Command (TAC). Les premiers groupes de P-51 sont formées en Angleterre à l’automne 1943. Non seulement le P-51 s’est révélé excellent dans son rôle d’escorteur puis pour obtenir la supériorité aérienne en Allemagne, la coopération entre les forces au sol et les TAC a été remarquable comme le 12 septembre 1944 lors de la bataille de Dompaire où la 2e DB de Leclerc a été appuyée toute la journée par les avions américains dans une parfaire coordination.

À la fin de la guerre, tous les « services » américains sont drastiquement réduits, mais l’USAF se taille la part du lion avec en particulier le Strategic Air Command (SAC), la force de bombardement disposant de l’arme nucléaire, et entreprend la transformation de toutes ses escadrilles restantes en aviation « à réaction ». À l’imitation des autres armées prend l’initiative de former une Air National Guard afin de conserver un vivier de pilotes expérimentés. Et pour faire voler de temps en temps ces « pilotes du dimanche », on consent à conserver quelques avions de chasse à hélices et moteurs à piston dont la force d’active ne veut plus.

Et puis survient la surprise de l’invasion de la Corée du Sud en juin 1950 par l’armée nord-coréenne soutenue par l’Union soviétique. Le président Truman décide d’engager tout de suite les forces armées américaines basées au Japon au secours de la Corée du Sud. Cela ne se passe pas très bien. Cinq ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les premiers combats révèlent la chute incroyable des capacités américaines en si peu de temps. C’est un choc qui mettra d’ailleurs fin au syndrome de l’éternel recommencement qui frappait surtout l’US Army, obligée de se reconstituer à chaque guerre, de subir des humiliations dans les premiers combats, puis de se démobiliser au moment où elle atteignait sa pleine puissance. À partir de la guerre de Corée, il y aura désormais toujours une US Army prête au combat.

En attendant, les choses sont difficiles en Corée. Les premières divisions américaines se retrouvent coincées dans la poche autour du port de Pusan et à deux doigts d’être obligées de rembarquer sous la pression des divisions nord-coréennes. L’US Army appelle à l’aide l’Air Force. Les Américains ont alors la suprématie dans le ciel coréen et avec ses 400 chasseurs à réaction F-80 et ses 48 bombardiers B-29 et B-26, la Far East Air Force (FEAF) basée au Japon apparaît comme un atout maitre.

Il y a juste un problème : l’USAF ne sait plus faire du CAS. Cédant à ses préférences, l’Air Force a pendant ces quelques années investi dans tout sauf dans le CAS et s’est même empressé d’oublier tout ce qu’elle avait appris en la matière de 1944 à 1945. C’est assez incroyable, car on aurait pu imaginer que ce savoir-faire serait utile à l’avenir, mais avec la réduction de ressources ce sont les branches périphériques qui ont le plus souffert, et ce indépendamment de leur degré d’utilité. Il faut dire aussi que l’US Army ne s’est pas beaucoup inquiété non plus de cette compétence externalisée.

Bien entendu, tant que l’on ne fait pas la guerre, cela ne pose pas de problème, mais dès qu’on la fait, et souvent pas comme on l’a prévu (c’est-à-dire telle qu’on aurait aimé la faire) c’est la crise. L’US Army s’en prend aux aviateurs et d’autant plus vertement qu’elle a le spectacle de la brigade de Marines qui est venue en renfort avec ses propres avions d’appui. Le corps des Marines s’est trouvé dans les Caraïbes dans les années 1920 dans une situation où il était plus facile d’utiliser des avions pour appuyer ses forces expéditionnaires que d’utiliser de l’artillerie. Il s’est retrouvé rapidement pionnier en matière de CAS et a rapidement internalisé cette fonction. Cela ne pose aucun problème aux Marines aviateurs d’appuyer les Marines fantassins en Corée, qu’ils connaissent souvent, et ils font ça très bien.

Dans la crise, la FEAF tente d’abord d’expliquer que sa force de frappe est plus utile dans la profondeur dans des missions d’interdiction, en détruisant les liens entre les unités nord-coréennes du front et l’arrière, plutôt qu’au plus près des fantassins de l’Army. Ce n’est pas faux, mais les soldats de l’Army ne voient pas les frappes d’interdiction. Ce qu’ils voient ce sont des forces nord-coréennes à l’assaut contre eux. Ils persistent donc à demander avec insistance des appuis aériens au général Mac Arthur, commandant en chef, qui ordonne à la FEAF de donner satisfaction à l’Army.

Logiquement, comme pendant la Seconde Guerre mondiale, la FEAF commence par utiliser ses nombreux chasseurs F-80 Shooting Star dans un rôle d’appui. Premier problème : venant du Japon les F-80 n’ont que quelques minutes d’autonomie sur la zone d’action. On le résout partiellement en utilisant des réservoirs additionnels que l’on fait venir massivement des États-Unis, adaptation simple et rapide qui permet de disposer de 10 à 15 sur zone. Second problème, ces quinze minutes laissent quand même peu de temps pour se coordonner avec les forces terrestres et d’autant plus que cela ne s’improvise pas. Il y aurait dû y avoir réglementairement une équipe de guideurs aviateurs TACP (Tactical Air Control Party) par régiment de l’Army. Cela fait longtemps que ce n’est plus le cas. On en « produit » donc en urgence en ratissant dans toute la FEAF puis le reste de l’USAF et les réserves pour retrouver des gens qui savent encore faire. On crée un centre de formation pour la suite. Le guidage peut se faire aussi depuis les airs, un savoir-faire qui là aussi a presque disparu. On ressuscite donc les « moustiques » du 6147th Tactical Air Control Squadron, à bord de petits avions L-5 puis T-6 Texan. Le principal problème reste cependant que contrairement aux avions à piston de 1944 les F-80 C ne sont pas du tout de bons avions d’attaque. Ils ne peuvent pas porter de bombes, mais seulement mitrailler et larguer quelques roquettes, le tout à grande vitesse et sans grande visibilité, bref sans aucune précision.

Que faire ? Utiliser aussi les bombardiers ? Pour les aviateurs, c’est une hérésie de les employer au-dessus de la zone des combats, mais Mac Arthur ordonne de le faire. La FEAF organise donc deux bombardements à 10 000 pieds de 1 000 tonnes de bombes explosives avec tous les B-29 réunis au-dessus d’une zone de concentration nord-coréenne. Les résultats matériels sont comme prévu très incertains, tant la précision des tirs est faible, mais cette démonstration de force proche de ses lignes rassure un peu l’Army. Pour frapper en sécurité à plus basse altitude, on redécouvre le bombardement de nuit avec guidage par le sol au radar jusqu’à la zone de frappes, mais là encore les effets restent très limités.

Il y a aussi le F-82F/G dans l’ordre de bataille, c’est-à-dire dans un design étrange deux fuselages de Mustang formant un seul avion avec une aile de jonction un stabilisateur de queue. Le Twin Mustang, qui dispose d’un très grand rayon d’action et d’une grande endurance avec deux pilotes qui se relaient, est évidemment taillé pour l’escorte des bombardiers lourds où les missions d’interdiction dans la profondeur, ce pour quoi il est immédiatement utilisé. Mais avec ses six mitrailleuses 12,7 mm et sa capacité d’emport de 1,8 t de charge offensive, il peut faire du CAS plus efficacement que le F-80. Le problème est que cet avion mis en service à la fin de la guerre n’est disponible qu’en petit nombre, une trentaine au maximum en ratissant dans tout le Pacifique.

Au bilan, même en employant tous les moyens disponibles et en procédant à des adaptions rapides, l’Air Force parvient à nouveau à faire du CAS au profit de l’Army, mais l’ensemble reste encore très insuffisant en volume alors que la pression de l’ennemi se fait de plus en plus forte sur la poche de Pusan.

La FEAF demande évidemment tout de suite des renforcements. Les Américains disposent bien de chasseurs-bombardiers F-84 Thunderjet, plus performants que le F-80, mais l’USAF n’a pas que la Corée à prendre en compte et elle réserve initialement ses moyens les plus modernes à la défense de l’Europe et du territoire continental américain.

Finalement, la solution est trouvée en faisant appel aux « anciens » des TAC. Si on ne peut envoyer des avions modernes, il reste encore miraculeusement des P-51 D Mustang, F-51 dans la nouvelle dénomination, à la Garde nationale. En un mois seulement, 150 de ces avions à pistons considérés comme dépassés sont envoyés au Japon et en Corée avec leurs pilotes et maintenanciers récupérés parmi les vétérans. La lenteur de vol du Mustang sur objectif par rapport aux jets, son armement de bord, sa capacité à décoller des pistes sommaires en Corée ou de conserver une grande autonomie en venant du Japon rendent finalement cet « ancêtre » (mis en service huit ans plus tôt) parfaitement apte à effectuer la mission sans obérer les moyens nécessaires à un combat éventuel contre les jets soviétiques. Plus de 200 autres F-51 suivront dans l’année et permettront de réaliser au total plus de 60 000 missions de CAS. L’arrivée des Mustang, associée à la remise en place de l’infrastructure de guidage et contrôle, permet enfin au CAS américain d’être à nouveau efficace et contribue grandement à sauver la situation jusqu’au débarquement d’Inchon en septembre 1950.

L’armée américaine en Corée a été sauvée par les vétérans dans ses rangs et surtout dans la réserve. Sans l’armée de réserve, Garde nationale ou réservistes individuels des forces d’active, les forces armées américaines auraient été incapables de s’adapter et auraient sans doute subi une défaite dans la poche de Pusan. Nul ne sait comment aurait alors évolué la guerre froide.

La morale de cette histoire est qu’il est dangereux pour une organisation soumise au changement et à l’incertitude de faire du « zéro stock » et du « juste ce qu’il faut et à temps ». Dans un tel environnement instable, les économies à court terme se payent forcément de catastrophes à long terme. En stratégie opérationnelle, on garde toujours un élément réservé dans son dispositif pour faire face aux surprises et saisir les opportunités. En stratégie des moyens, cela s’appelle conserver des stocks de matériels et de compétences, divers et même autant que possible différents que ceux qui sont mis en œuvre normalement et dans le sens que l’on préfère.

Réalité augmentée Microsoft va developper un casque de combat futuriste pour l’armée américaine

Réalité augmentée Microsoft va developper un casque de combat futuriste pour l’armée américaine

01.net – publié le 1 avril 2021

https://www.01net.com/actualites/realite-augmentee-microsoft-va-developper-un-casque-de-combat-futuriste-pour-l-armee-americaine-2040083.html


Microsoft va développer une version militaire de son casque de réalité augmentée Hololens. L’entreprise va dans un premier temps livrer 120 000 pièces à l’armée américaine. Le montant maximal du contrat irait jusqu’à 21,9 milliards de dollars sur 10 ans.

Encore un jackpot pour Microsoft : après avoir remporté l’appel d’offre à 10 milliards de dollars pour le cloud du Pentagone, le géant logiciel remporte aujourd’hui un contrat portant sur le développement d’une version militaire de son casque de réalité augmentée Hololens. La première tranche du travail consiste à livrer 120 000 « super » casques AR. Si tout se déroule selon les plans de Microsoft, le contrat décennal (première tranche de cinq ans, renouvelable une fois) porterait sur 21,9 milliards de dollars.

Un succès majeur pour le casque professionnel de Microsoft : vendu 3500$ dans la version actuelle, il n’a jamais visé le grand public comme les modèles de HTC ou Facebook/Oculus – ou la future version d’Apple. Microsoft n’a pas remporté le contrat sur un coup de chance : l’entreprise avait déjà remporté en 2018 un contrat de 480 millions de dollars pour le développement d’un prototype appelé IVAS (Integrated Visual Augmented System, ou système visuel augmenté intégré). C’est sur le succès de cette base technologique que Microsoft va concevoir une nouvelle version).

Conçu pour les fantassins et les forces spéciales, ce casque est destiné autant au terrain pour des missions de combat – affichage et partage d’infos en temps réel, bascule de modes de vision (thermique, infrarouge, etc.) – que pour la formation des combattants. De l’ajout en temps réel d’informations topographiques – carte en surimpression du réel de nuit par exemple – jusqu’à un partage des informations au sol avec l’état-major, les scénarios d’utilisation sont nombreux.

A découvrir aussi en vidéo :

Loin d’être un simple deal matériel, le méga-contrat porte à la fois sur le casque, mais aussi sur les briques logicielles (intégration dans les systèmes de combat numériques de l’armée américaine) ainsi que sur la partie cloud.

Source : CNBC

La nomination du général Lloyd Austin à la tête du Pentagone par M. Biden va se heurter à un écueil législatif

La nomination du général Lloyd Austin à la tête du Pentagone par M. Biden va se heurter à un écueil législatif

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Les « Village Stability Operations/Afghan Local Police » (VSO/ALP) et la « Transition Strategy » américaine en Afghanistan

Les « Village Stability Operations/Afghan Local Police » (VSO/ALP) et la « Transition Strategy » américaine en Afghanistan

 

«Nous avons tué des milliers et des milliers d’ « ennemis » en Afghanistan, et il est évident que cela ne nous a en rien rapproché de nos objectifs. Nous pourrions en tuer un millier de plus, et pourtant, nous n’en serions pas plus proches dans cinq ans »1.
Voilà comment le Major Jim Gant, des US « Green Berets », analyse, en octobre 2009, la stratégie américaine en Afghanistan.


par Hugo Queijo, chercheur associé du pôle études et prospective du CDEC – publié le 18/09/2020

L’opération débute en octobre 2001, en représailles aux attentats du 11 septembre. Sa première phase, qui voit la chute du régime taliban, est, déjà, un cas d’école d’emploi des forces spéciales. C’est l’Alliance du Nord, regroupant Tadjiks, Hazaras et Ouzbeks, et des chefs de guerre aux loyautés changeantes, au sud, qui conduisent la manoeuvre2. Les Américains déploient, au sol, moins de trois cents hommes, qui assurent, essentiellement, la coordination avec l’aviation. Au bout de quarante-neuf jours d’opérations aéroterrestres3, les Talibans sont repoussés à la frontière pakistanaise. En décembre, la victoire est proclamée. L’Amérique se tourne vers les préparatifs de l’invasion de l’Irak, puis la gestion, difficile, de ses conséquences. L’Afghanistan devient un théâtre secondaire.

Suite à la conférence de Bonn, Les forces US restantes se concentrent sur le contre-terrorisme et la traque des cadres d’Al Qaïda (opérations Anaconda, Harpoon). Le reste du pays est laissé à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS, ISAF en anglais), et aux 7 000 hommes des Provincial reconstruction teams (PRT). En 2003, le budget de l’Agency for international development on relief and reconstruction (AIDRR) atteint, à peine, un milliard de dollars. Le nord-ouest est difficilement contrôlé en 2004. Le sud et l’est, majoritairement pashtounes, restent, très largement, hors de portée.

Pour contrôler 650 000 kilomètres carrés, la coalition n’aligne que 30 000 hommes, surtout présents à Kaboul et ses environs. L’administration parvient à survivre en cooptant cadres de l’Alliance du Nord et seigneurs de guerre (Ismaël Khan, Dostom), qui abandonnent leurs fiefs en échange de postes ministériels. La situation se dégrade, brutalement, en 20064. Il faut néanmoins attendre 2009, après les quelques succès obtenus en Irak par le Général David Petraeus, pour assister à une véritable bascule d’effort vers l’Afghanistan, mis en oeuvre au sein d’une nouvelle stratégie. L’initiative Village stability operations/Afghan local police (VSO/ALP), en constitue un des volets. Elle va représenter un véritable challenge opérationnel et institutionnel pour les forces spéciales américaines, après plus d’une décennie de focalisation sur le combat et l’action directe5.

UNE EXPÉRIENCE SINGULIÈRE : JIM GANT ET LE CONCEPT « ONE TRIBE AT A TIME »

Le Major Jim Gant était6 un officier des forces spéciales américaines, appartenant aux Green Berets. En plus de maîtriser l’ensemble des missions commando (action directe, reconnaissance), ils sont, par rapport aux autres unités, spécialisés dans la formation, l’encadrement et l’accompagnement de forces étrangères, régulières ou non. Spécialisés selon les théâtres d’opérations, leur cellule de base est l’Operationnal detachment alpha (ODA), cellule de douze hommes. La plupart sont détenteursd’un titre universitaire et/ou, suivent une formation en continu (linguistique notamment)7. Le Major Jim Gant est déployé plusieurs fois en Afghanistan, entre 2003 et 2009, comme chef de l’ODA 316 du 3rd Special Force Group8. Il arrive en 2003 à Asadabad, dans la province de Konar. Il y est assigné, avec des commandos afghans, les counterterrorism poursuit team (CTPT), et leurs coordinateurs de la Central Intelligence Agency (CIA), à des missions d’action
directe9. Le tableau qu’il dépeint de son arrivée sur le théâtre est le suivant : pas de renseignement suffisant, pas de cartes actualisées, pas de préparation sur la population et la culture locale. Le mot d’ordre est simple, « capture or kill anti-coalition members »10.

Au hasard d’une des patrouilles, l’équipe va se lier avec une tribu de la vallée de la Pech, comptant environ 10 000 personnes, les Mohmands, basée sur le village de Mangwel. Tissant des liens étroits avec ses notables, et, principalement, son chef, le malik Noor Afzhal, et ses fils, l’équipe parvient, progressivement, à améliorer la situation sécuritaire dans la vallée.

Cette expérience lui inspire la rédaction d’un texte de quarante cinq pages intitulé « One Tribe At A Time », véritable plaidoyer de sa philosophie du « Go Native » (devenir indigène)11. Remarqué par le général David Petraeus, il est rappelé par ce dernier pour commander et former un groupe de soldats à la guerre irrégulière.

S’engagent alors vingt-deux mois d’opérations ininterrompues. L’application de ses théories, et les effets positifs qui s’ensuivent, amènent Oussama Ben Laden à mettre sa tête à prix12. Ces dernières doivent beaucoup, outre sa première expérience afghane, en 2003, à son déploiement en Irak, en 2006. Il y accompagne au combat, pour la première fois, une unité indigène. Il s’agit d’un bataillon de réaction rapide de la police irakienne, qui est, dans les faits, une milice chiite adoubée par le gouvernement13. C’est là qu’il prend conscience de la nécessité de s’appuyer sur les institutions locales. Pour lui, le défaut principal de la stratégie américaine en Afghanistan réside dans l’incapacité à rallier les tribus pashtounes, qui représentent près de 40 % de la population, occupent le sud et l’est du pays, et fournissent la majeure partie des combattants insurgés. Pour y remédier,

il propose une stratégie d’engagement tribale (TES – tribal engagement strategy)14. L’idée principale est de conseiller, d’assister, d’entraîner et d’accompagner (advise, assist, train and lead) des arbakaï. Ces derniers sont des combattants, issus d’une tribu, désignés par une Shura (assemblée), sorte de conseil des anciens. Ils sont ainsi, à la différence des milices des seigneurs de guerre, au service d’une communauté, d’institutions traditionnelles, et non d’un individu15. En parallèle, les unités spéciales américaines s’installent directementdans les villages et plus dans des bases fermées, de façon à protéger directement la population et éviter les engins explosifs improvisés qui menacent, en permanence, le reste des forces16.

Pour Gant, l’avantage principal est double. Il permet, d’une part, de se concentrer sur la protection et l’amélioration du quotidien de la population, en s’appuyant sur des structures préexistantes.
D’autre part, l’implantation de la plupart des tribus pashtounes permet d’agir de part et d’autre de la frontière afghanopakistanaise17. De manière plus générale, ces dernières sont, aux dires de Gant, les principaux garants en termes de sécurité (au sens large, physique, patrimoniale, financière), et de capital social et politique (rôle de l’honneur)18. Perdre ou non la face est un paramètre prépondérant de la stratégie de tous les acteurs, sans doute trop rarement compris et, ou, pris en compte. Le document finit par parvenir à certaines autorités politiques et militaires, au Pentagone, à la Maison Blanche et au Capitole.

LA TRANSITION STRATEGY : ENTRE DERNIER EFFORT ET ANNONCE DE RETRAIT

Le document parvient, en premier lieu, à l’Amiral Olson, premier Navy Seal à diriger l’US Special operations command (USSOCOM). Or, Olson est une des figures de proue d’un mouvement d’officiers défendant, en pleine première année du mandat de l’administration Obama, une position alternative. À cette époque, la majorité des responsables militaires et think tank promeuvent le passage complet à une stratégie pleinement contre-insurrectionnelle.
Son principal avocat est le général Petraeus, auréolé des succès obtenus à la suite du « réveil » des tribus sunnites de la province d’Al Anbar. Ses défenseurs préconisent l’envoi de 80 000 soldats supplémentaires, censés, enfin, bâtir un véritable État afghan et défaire l’insurrection. L’amiral Olson, à l’inverse, est proche de la ligne du Vice-président Joe Biden, soit une stratégie minimaliste, centrée sur le contre-terrorisme, notamment le long de la frontière avec le Pakistan. Cette approche est accompagnée d’une volonté de renforcer une armée afghane devant tenir les grandes villes, ainsi que d’efforts de réconciliation visant à convaincre les Talibans d’abandonner la lutte armée19.

Pour Olson, il est évident que les Afghans considèrent les forces américaines, majoritairement, comme une armée d’occupation. Un terme alors soigneusement évité par les officiers dans leurs expressions publiques, qu’il utilise pourtant, en juin 2009, devantun comité de la Maison Blanche. Il est également convaincu que la compréhension américaine de la société afghane, extrêmement décentralisée, demeure lacunaire. De fait, Olson a déjà lancé une initiative, le projet Lawrence (en référence au colonel T.E. Lawrence, dit d’Arabie), visant à réfléchir à cette problématique21. À l’époque, la plupart des officiers des forces spéciales sont imprégnés par l’image du personnage et, surtout, sa préconisation de laisser au maximum les locaux conduire leur propre guerre22. Il entend, en effet, aller chercher ce type de compétence là où elles sont le plus présentes, dans son propre commandement, les Green Berets.

Le papier du Major Gant va lui en donner l’opportunité. Il le transmet à celui qui est alors son voisin sur sa base, le général Petraeus, qui a déjà eu affaire à Gant, en Irak, où il l’avait décoré pour bravoure au combat aux côtés de l’unité irakienne qu’il conseillait, en 200723. Il est alors à la tête de l’US Central Command (CENTCOM), soit toutes les forces américaines au Moyen-Orient et en Asie centrale. Il transmet le document au général Stanley McChrystal, alors commandant en chef des forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Afghanistan. Si Petraeus et Olson sont en désaccord sur la stratégie générale à adopter, ils s’accordent sur la capacité d’opérateurs tel que Gant, capable de mobiliser des forces locales, à peser sur l’issue du conflit. Suivant cette orientation, McChrystal recommande la lecture du texte à ses principaux subordonnés et ordonne la pose des premiers jalons du programme24.

Originellement appelé Civilian Defense Initiative (CDI), il devient VSO/ALP moins d’un an plus tard25. L’ODA 7724 implémente un prototype dans la province de Day Kundi, en juillet 200926. Les débuts sont encourageants. En quelques mois, dix-huit soldats américains, légèrement armés et se déplaçant en véhicules légers, stabilisent, avec 250 afghans, une zone de000 kilomètres carrés27. Désormais férocement défendu par les officiels américains, le projet est définitivement approuvé par le président Hamid Karzai en septembre 201028.

Finalement, il s’avère qu’Obama refuse de choisir. Les deux approches sont retenues simultanément, mais à la baisse. Le « Surge », avec ses 30 000 hommes supplémentaires et ses lourdes opérations de combat, est lancé. En parallèle, la formation de l’armée et de la police s’accélère radicalement. Enfin, les raids et frappes de drones, des deux côtés de la frontière, se multiplient.

En bref, les forces américaines s’engagent, par un violent dernier effort, dans une guerre d’usure avec l’insurrection. L’objectif est de créer les conditions d’une négociation plus favorable avec les Talibans, permettant un retrait laissant un délai suffisant pour être honorable entre le départ du théâtre et le, très probable, retour en force de l’insurrection. Dans ce cadre, les VSO/ALP vont être employés de manière à créer, le plus rapidement possible, une masse suffisante pour tenir le terrain dans les zones disputées. La date est déjà fixée. Les troupes américaines commenceront, quelle que soit l’issue, à quitter l’Afghanistan en juillet 201129.

L’APPROCHE « BOTTOM UP » : UNE STRUCTURE VERTICALEMENT INTÉGRÉE ET HORIZONTALEMENT DISPERSÉE

Le changement d’approche théorisé par la philosophie du « Go Native » de Gant est la transition d’une strategy dite top down (haut vers le bas) vers une stratégie bottom up (bas vers le haut). S’il n’est absolument pas le premier à l’envisager, il est, peut-être, l’un de ceux à avoir poussé la réflexion le plus loin, et surtout, à en avoir décliné les implications concrètes. En effet, le concept de hameaux stratégiques avait, déjà, été mis en oeuvre au Vietnam.

Le problème principal, au niveau opératif, est simple : le gouvernement afghan est notoirement faible, impopulaire et corrompu30. Gouverner une société aussi décentralisée et agitée ne laisse, historiquement, que deux options : un pouvoir central extrêmement fort, voire brutal, où un pouvoir s’appuyant sur le soutien d’institutions traditionnelles locales, disposant d’une large autonomie31. Depuis leur arrivée en Afghanistan, conformément sans doute, à leurs propres biais conceptuels, les forces américaines travaillent du haut vers le bas. Il s’agit, à partir de la capitale et des grandes villes, d’assurer la formation de deux forces nationales, police (ANP) et armée (ANA), devant apporter la sécurité aux périphéries, au monde rural, de plus en plus loin. Cette approche,pour de multiples raisons, trop longues à détailler ici, est à l’évidence un échec32. Le Major Gant propose d’inverser le point de départ. S’appuyant sur ce qu’il considère, à tort ou à raison, comme le principal acteur politique et sécuritaire du monde rural afghan, il préconise d’apporter la sécurité aux villages. De là, on pourra entreprendre des efforts d’assistance et de développement. Cette stratégie offre, potentiellement, plusieurs avantages. Elle contre les Talibans militairement, mais aussi et surtout, politiquement33.

Ces derniers instrumentalisent les revendications économiques, les griefs contre un gouvernement impopulaire et les rivalités tribales, accentuées, en partie, par certaines politiques de cooptation originellement mis oeuvre par la coalition34. Recruter des combattants locaux évite également, en partie, l’ethnicisation du conflit35. En effet, si la plupart des insurgés sont pashtounes, l’armée et la police recrutent, principalement, dans d’autres ethnies. Les soldats et policiers ne parlent fréquemment pas le pashto, ne sont pas forcément très bien disposés envers les Pashtounes, et sont presque autant vus comme des étrangers que des soldats occidentaux majoritairement blancs et de culture judéo-chrétienne. Les VSO/ALP se conçoivent comme des échelons intermédiaires. À partir de la tribu, du village, des liens sont établis au niveau du district, puis de la province36. Enfin, l’approche locale facilite grandement les processus de réhabilitation de combattants insurgés qui souhaitent faire défection, puisqu’ils sont gérés au niveau le plus bas, le plus concret, celui des liens et des réseaux personnels et familiaux37. Toutefois, une telle stratégie n’est pas dénuée de risques.

Accroître le nombre de combattants et le volume d’armement distribué, c’est risquer une augmentation de la violence dans les campagnes. De même, il est à craindre que certaines
personnalités charismatiques profitent de cette manne pour s’ériger, à nouveau, en seigneurs de guerre dirigeant des milices, servant des intérêts particuliers. Sans compter l’affaiblissement potentiel des troupes nationales, qui sont concurrencées par ces nouvelles forces, témoins visibles de leur faiblesse et incapacité à assurer la sécurité. Certains s’inquiètent, également, de ce qu’ils perçoivent (avec raison), comme un frein puissant aux différents programmes de désarmement et de démobilisation. Dans les faits, le moindre désarmement est, tant que les combats font rage, une illusion. Enfin, le risque le plus important reste celui de l’instrumentalisation politique par des cadres du gouvernement central, notamment, par des phénomènes de cooptation, au détriment de la stratégie d’ensemble. Pour y pallier, plusieurs critères sont posés. Il est nécessaire d’identifier des communautésau sein desquelles la volonté de résister aux Talibans préexiste au programme. Les Afghans doivent en faire la demande et en accepter les modalités.

Le gouvernement central doit jouer un rôle dans le processus, que ce soit dans la sélection des troupes ou la fourniture de matériels. Les institutions locales doivent être reconnues et légitimes. Les forces mises sur pied doivent être uniquement défensives et se coordonner avec l’ANA. Enfin, les forces américaines doivent empêcher leur neutralisation par la mise en place de forces de réaction rapide en mesure de les soutenir, tout en accompagnant les efforts d’assistance et de développement38.
Le programme est séparé en étapes distinctes (shape, hold, build, expand and transition)39, que l’on retrouve à tous les échelons (stratégique, opératif et tactique) de la doctrine américaine :

Modeler (shape) : Cette première phase regroupe le recueil de renseignement, de l’assentiment de la tribu, de sa capacité et, ou, volonté à combattre l’insurrection, la vérification de l’intérêt de la localisation pour la stratégie globale et de la faisabilité logistique40. Si besoin, elle inclut le nettoyage de la zone, soit l’élimination de la présence ennemie par les forces spéciales américaines et des commandos afghans de l’ANA, les plus à même de remplir cette mission41. Cette phase est cruciale, car elle engage définitivement la tribu, identifiée par les Talibans comme un ennemi. L’activité insurgée augmente, quasi systématiquement, à l’issu de cette première phase42.

Tenir (hold) : Elle comprend l’implantation du VSO au coeur du village, qui réduit temporairement le niveau de violence. L’équipe doit en profiter pour sélectionner, recruter et encadrer les ALP43. Bâtir (built): phase la plus sensible, qui voit l’établissement des liens avec les échelons supérieurs, districts et provinces. C’est ici que les deux approches, top down et bottom up, doivent s’intégrer l’une à l’autre, sous peine d’augmenter les tensions, et risquer de créer une nouvelle opposition dans la guerre44.

Deux institutions essentielles sont à relever :
le Ministère du développement et de la réhabilitation rurale (MRRD), chargé de réduire la pauvreté, et le Directorat indépendant de gouvernance locale (IDLG), en charge de superviser les conseils provinciaux et de districts, et d’implanter ces derniers là où les connexions manquent avec le gouvernement45. Extension et Transition (expand and transition): Si la phase précédente est un succès, l’équipe VSO cherche une nouvelle tribu pour y installer une nouvelle plateforme. Le but étant, une tribu à la fois, pour reprendre Gant46, d’obtenir des effets à l’échelle des districts entiers. Il est alors crucial de faire connaître auprès de la population, via tous les supports imaginables, les succès engrangés47.

TRANSFORMER L’APPRÉHENSION HUMAINE EN FACTEURS DE SUPÉRIORITÉ OPÉRATIONNELLE

L’ « appréhension humaine » des conflits contemporains est une expression du Professeur Hervé Coutau-Bégarie, employée lors d’un colloque des écoles de Saint Cyr Coëtquidan, en 201048. Il fait référence à la connaissance profonde des sociétés humaines, dans leurs différentes dimensions, linguistique, sociale, religieuse, économique et culturelle. Son acquisition se fait, essentiellement, par l’étude et la continuité, géographique et temporelle, sur un théâtre. On est frappé de la proximité avec le texte d’Action terrestre future (ATF) et, particulièrement, le facteur de supériorité opérationnelle (FSO) compréhension49. Si ces problématiques sont bien connues, comme en témoigne le récent séminaire de l’État-Major spécialisé pour l’Outre-Mer et l’étranger (EMSOME)50, la difficulté réside dans leur traduction, en termes de capacités opérationnelles. C’est essentiellement, à ce titre, que l’expérience des VSO/ALP est la plus instructive.

Le programme consiste en une forme de combat couplé. La terminologie est issue d’un ouvrage de Thomas Huber. Peu répandu dans les débats, il désigne au départ, dans un article de1996, les opérations britanniques contre Napoléon en Espagne51. Dans le cas afghan, une force régulière utilise une force irrégulière qu’elle contribue à former, entraîner, équiper et commander, tout en lui apportant un soutien logistique, financier et militaire, principalement, sous la forme d’appuis feu terrestres et aériens. Comme le relève Joseph Henrotin, son principe de base est une fluidification des principes de la guerre. Si le spectre est plus large, la première logique est celle de la réunion de l’économie des moyens et de la concentration des efforts52. La formule est particulièrement intéressante pour des armées expéditionnaires centrées sur des matériels de haute technologie, car elle répond à un problème simple : dans un cadre budgétaire contraint, quantité et qualité (dans une acceptation technologique) ne coexistent que difficilement53. Utiliser des combattants locaux permet de retrouver la masse suffisante pour, au moins dans une certaine mesure, contrôler le terrain (Gant pourra compter jusqu’à, avec les Mohmands, près de 800 hommes en armes)54. On adjoint ensuite à cette masse, au besoin, des appuis et des capacités de manoeuvre techniquement plus avancés. Enfin, la protection de la masse permet à des cellules réduites, comme les unités spéciales, de mener des opérations plus complexes55.

Le FSO dont la possession est la plus déterminante pour une initiative telle que les VSO/ALP est la compréhension. Les unités doivent non seulement parvenir à une solide connaissance de leur milieu, mais aussi parvenir à traduire cette dernière en véritable aide à la décision opérationnelle56. La première difficulté en Afghanistan est de saisir la multiplicité des acteurs et des données. Comme l’explique Daniel R. Green57, il est difficile, et chronophage, d’obtenir une cartographie des réseaux tribaux, d’intérêts et d’influence58. Gant prévoit ainsi une période minimum d’un à deux mois de préparation avant le déploiement d’une unité au sein d’un village, plus une période d’un mois d’analyse et de premiers contacts avec la tribu visée59. Arriver à ce stade nécessite, évidemment, une connaissance au moins minimale de la langue locale. Plus exactement, comme le souligne l’ATF, c’est la continuité temporelle et géographique de la présence qui apporte une véritable proximité. Or, comme le relèvent Green et Gant, même la Transition Strategy ne rompt pas avec la rotation permanente des unités, qui alternent souvent entre l’Irak et l’Afghanistan, tout en n’étant pas, la plupart du temps, renvoyées au même endroit60. Au Vietnam, déjà, le général Westmorland soulignait, à ce sujet, que les forces américaines n’avaient pas « mené une guerre pendant huit ans, mais huit guerres d’un an ».

Si la connaissance parvient à être traduite en compréhension, elle permet, au niveau tactique, l’agilité61. Puisque les opérateurs connaissent leur milieu et sont, en partie, renforcés par une masse plus importante de combattants, ils deviennent capables de provoquer le changement, pour se rendre imprévisibles. Comme l’évoque l’ATF, la compréhension permet de développer la manoeuvre par le renseignement62. En effet, les tribus disposent de leur propre réseau d’informateurs, les Kasheekas. Gant raconte qu’alors que son équipe tombe dans une embuscade à plusieurs dizaines de kilomètres du village de Mangwel, où sont basés les Mohmands, avoir la surprise, à son retour, de trouver les notables assemblés, afin de s’enquérir de son état, ayant été prévenus de l’incident63. Selon lui, la cartographie de l’ennemi fournie par les locaux et les familles, qui ont souvent des parents des deux côtés du conflit, est bien plus précise que les analyses fournies par l’armée. L’agilité est également permise par le développement et
l’encouragement de la subsidiarité64. Si les unités spéciales sont déjà connues pour cela, l’initiative doit, ici, pouvoir descendrejusqu’aux plus bas échelons (les ODA et équipes Seals insérées dans les villages), guidées par l’intention des échelons supérieurs.

 Gant recommande, pour ce faire, les points suivants :

  • • raccourcir drastiquement la chaîne de commandement,
    • accélérer le processus d’approbation des missions (qui peut impliquer jusqu’à une douzaine de personnes),
    • autoriser les équipes à se vêtir à la locale et à se laisser
    pousser la barbe,
    • interagir avec les tribus à tous les niveaux,
    • autonomiser le processus d’allocations de ressources financières et matérielles (qui nécessite parfois plus de deux semaines à certains opérateurs, allant de bases principales en bases principales, pour récupérer toutes les signatures nécessaires à un projet d’assistance ou de développement),
    • assouplir les règles d’engagement et, notamment, celles relatives à l’approbation des frappes aériennes, y compris à la demande des Arbakaï65. Pour ce faire, et augmenter la réactivité, les équipes déployées, qui comptent jusqu’à une trentaine d’opérateurs par plateforme VSO, sont sécables en groupes de douze, équipes de quatre, ou binômes. La coopération, soit la capacité de combattre avec les Arbakaïs, renommés Afghan Local Police (ALP), à l’efficacité militaire incertaine, conditionne, très concrètement, de nombreux aspects techniques. Les combattants sont sélectionnés et cooptés par les anciens des villages au cours d’une shura (conseil de village). La nomination doit ensuite recevoir l’approbation du chef de la police du district, de la province, de l’équipe américaine, puis, enfin, du ministère de l’intérieur66. Des photos sont prises, les informations biométriques enregistrées par un scanner de l’iris. L’entraînement de base (Gant estime obtenir des résultats corrects à partir de 90 jours), organisé par les forces spéciales, comprend : armement, endurance physique, tactique de petites unités, éthique, tenue de check point. Les recrues reçoivent un uniforme sommaire, le plus souvent sous la forme d’un gilet noir comportant le drapeau national67. Des camions, des motos, des mitrailleuses (PKM) sont occasionnellement distribuées. Des radios de la coalition servent à maintenir le lien. Chaque recrue reçoit une partie du salaire d’un membre de la police68. Gant évoque, en plus, la séparation en trois éléments distincts : force de protection, force de recueil de renseignement, force de reconnaissance (capable de combattre, ponctuellement, avec l’ANA)69. Les équipes de forces spéciales doivent, également, s’adapter. Si l’équipement n’est certainement pas fixe, et les descriptions variables, Gant liste, pour une équipe de 12 (ODA) :
  • deux interprètes (équipés, armés et entraînés pour combattre avec l’équipe),
    • deux téléphones satellites,
    • deux radios satellites,
  • deux PRC119 (radios pour la communication ordinaire/
    combat),
    • deux ATV (véhicules de combat léger multirôles),
    • deux véhicules type pick-up,
    • trois générateurs,
    • deux ordinateurs avec kit de biométrie70.

Enfin, l’achèvement, le but final de l’initiative VSO/ALP est la planification et la conduite d’une véritable stratégie d’influence71. Le but est de parvenir à influer sur les perceptions de la population d’une manière au moins équivalente à l’impact d’une opération cinétique72. Celle-ci passe par la création de liens effectifs (fraternité d’arme, amitié, respect, honneur, intérêts, voire, cas de Gant, familiaux), forts, entretenus, et pragmatiques. De fait, outre les liens avec la tribu et ses Arbakaï, Gant théorise, puis hiérarchise, la constitution de ces liens de la façon suivante : chefs locaux de l’ANA/ANP, lien avec les équipes de reconstruction provinciale (PRT) pour les actions de développement, agences médias (télé, radios, journaux), Battlespace owner US, autres ODA de la zone, unités en charge des opérations psychologiques (PsyOps), unités en charge des affaires civiles (CA), réseau des unités aériennes pour évacuation médicale ou appui, organisations non gouvernementales, cadres du gouvernement national afghan73. Il s’agit ainsi, suivant une distinction classique, de protéger l’image de la force, et dans le même temps, décrédibiliser l’adversaire,saper ses soutiens dans la population74. À défaut de gagner les coeurs et les esprits, on doit gagner les langues et les silences75. On doit obtenir, au mieux, l’adhésion de la population, a minima, son
absence d’opposition76. Gant est prolixe à cet égard. Il explique ainsi que des heures à jouer avec les enfants d’un village sont, au final, plus productives que l’ensemble des raids montés sur la même période77.

Il évoque à quel point le développement de ce type de stratégie implique des heures à passer assis, à prendre le thé, à discuter, à essayer de comprendre l’autre et son rapport au monde78. Dans ce cadre, affronter l’ennemi devient presque une considération secondaire, tant sa destruction n’a pas d’incidence réelle sur l’évolution du rapport de force, là où, au contraire, l’engagement politique de la population aboutit, concrètement, à des progrès tactiques, voire opératifs. Gant retient, ainsi, la formulation suivante, « écouter, comprendre, apprendre, influencer »79.

CONCLUSION

Les enseignements à tirer de l’expérience des VSO/ALP sont nombreux. Elle interroge, notamment, les modalités de combinaison entre forces spéciales et conventionnelles. Du fait du trop faible nombre d’opérateurs disponibles pour ce type d’opération, le choix est fait de leur adjoindre des unités conventionnelles. Deux bataillons d’infanterie sont assignés au Combined Forces Special Operations Component Command Afghanistan (CFSOCC-A), qui envoie un groupe par équipe VSO déployée. Ces derniers déchargent les forces spéciales de certaines missions, de protection et d’entraînement des ALP, principalement. Ils permettent, à ce titre, une extension plus importante du programme80. L’incorporation d’équipes féminisées, les cultural support teams (CST)81, du fait de la spécificité de la place de cette dernière dans la culture afghane, est également à noter.

Une réflexion doit, à ce titre, être entamée sur la composition des unités armant ce type d’initiative. La question de la place de spécialistes et de chercheurs civils, d’officiers de renseignement, se pose avec acuité. Or, contrairement à des expériences précédentes des forces spéciales américaines, par exemple, en Amérique latine, il devient de plus en plus difficile de faire accéder des spécialistes civils à des zones de combat. Une évolution des perspectives et options de carrière pour les opérateurs développant des aptitudes spécifiques à l’interculturalité et à la coopération avec les autres services du gouvernement (CIA, Département d’État) s’est engagée82. Elle s’est, notamment, traduite par les réflexions autour d’un programme, dénommé Volckmann83. Si l’expérience des VSO/ALP est riche d’enseignement, elle a malheureusement, dès le départ, été conditionnée par un contexte politique et stratégique extrêmement difficile. À l’instar d’expériences précédentes, comme au Vietnam, il est probable que l’initiative, tirée d’une analyse, par des praticiens de terrain, des ressorts du conflit, est intervenue trop tard84. Un autre facteur extrêmement important a été l’opposition aux Battlespace owner 85. Une fois ceux-ci, issus des forces conventionnelles, devenus responsables des différentes zones d’opérations, les forces spéciales ont commencé à n’être utilisées qu’en appui des unités conventionnelles, concentrées sur l’insurrection86. Leur emploi s’est concentré sur des missions 8

1 GANT Jim, « One Tribe At a Time », Nine Sisters ImPorts, Inc., p. 11, 2008.
2 CHALIAND Gérard, « L’impasse afghane », édition de l’aube, p. 68, 2011.
3 VIVENOT Emmanuel, « Enduring Freedom », l’emploi des forces spéciales et de l’aviation », Défense et Sécurité
Internationale, Hors-Série n° 53, Avril 2017, p. 70-74, p. 74.4 CHALIAND, Op. cit., p. 98.
5 ROBINSON Linda, Interview, « Village Stability Operations and the Future of the American Way of War », Small Wars Journal, 2013,
https://smallwarsjournal.com/jrnl/art/village-stability-operations-and-the-future-of-the-american-way-of-war
6 Il est démis de ses fonctions en 2012, à la suite de plusieurs transgressions du règlement de l’US Army (présence de sa femme sur le théâtre, consommation
d’alcool, détournement de matériels).
7 Headquarters, Departement of the Army Special Operations Forces, Field Manual No. 3-05 (100-25), septembre 2006, p. 33.
8 GANT, Op. cit., p. 4.
9 VIVENOT Emmanuel, « Guerre irrégulière, vers un “supersoldat-diplomate” », DSI défense et sécurité internationale, Hors série n°53, avril 2017, p. 76-80,
p. 78.
10 TYSON Ann Scott, « American Spartan », William Morrow, 2014, p. 96.
11 GANT, Op. cit., p. 1.
12 VIVENOT E., p. 76.
13 TYSON, Op. cit., p. 36.
14 GANT, p. 26.
15 JONES Seth G., MUNOZ Arturo, « Afghanistan Local Wars, building local defense forces », RAND, 2010, p. 26.16 GANT, p. 31.
17 JONES, MUNOZ, Op. cit., p. 26.
18 GANT, p. 24.
19 TYSON, p. 21.
20 Ibid, p. 13.
21 Ibid, p. 13.
22 ROBINSON Linda, Interview, « Village Stability Operations and the Future of the American Way of War », Small Wars Journal, 2013,
https://smallwarsjournal.com/jrnl/art/village-stability-operations-and-the-future-of-the-american-way-of-war
23 GANT, p. 15.
24 GANT, p. 14.
25 BROWN Mark L. Jr., « Village Stability Operations, an historical perspective from Vietnam to Afghanistan », Small Wars Journal, 2013,
https://smallwarsjournal.com/jrnl/art/village-stability-operations-an-historical-perspective-from-vietnam-to-afghanistan
26 NAYLOR Sean D., « Program has Afghans as first line of defense ». Army Times, July 20, 2010.27 MANN Scott, « The Shaping Coalition Forces’ Strategic Narrative in Support of Village Stability Operations ». Small Wars Journal, 2011: 1-11.
28 BOLDUC Donald C., « The Future of Afghanistan ». Special Warfare Magazine, October-December 2011: 23-28.
29 GANT, p. 21-22.
30 CHALIAND, Op. cit., p. 26.
31 JONES, MUNOZ, Ibid, p. 17.
32 JONES Seth G., « It takes Villages : Bringing Change From Below in Afghanistan », Foreign Affairs, May-June 2010, p. 5/ MANN Thomas, « Village Stability
Operations, changing the game », Analytics, 2016, http://analytics-magazine.org/village-stability-operations-changing-the-game/
33 GREEN Daniel R., « In the Warlords Shadow’s », Naval Institute Press, 2017, p. 10.
34 JONES, MUNOZ, Ibid, p. 25.
35 CHALIAND, Ibid, p. 10.
36 CASSIDY, CONNET, « Village Stability Operations, more than local defense », Special Warfare Edition, US Army John F. Kennedy special warfare center and
school, 2011, https://www.soc.mil/SWCS/SWmag/archive/SW2403/SW2403VillageStabilityOperations_MoreThanVillageDefense.html
37 GREEN D., Op. cit., p. 18.38 JONES, MUNOZ, Ibid, p. 4.
39 CASSIDY, CONNET, Art. cit.
40 Op. cit.
41 Ibid.
42 Ibid.
43 Ibid.
44 JONES, Art. cit.
45 CASSIDY, CONNET, Ibid.
46 « One Tribe At a Time » signifie, littéralement, une tribu à la fois.
47 CASSIDY, CONNET, Ibid.
48 Intervention lors du colloque « L’Européen et la guerre » aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, novembre 2010.
49 État-Major de l’armée de Terre, « Action Terrestre Future », septembre 2016, p. 23.
50 L’interculturalité au prisme des opérations militaires, EMSOME, École Militaire, novembre 2018.51 HUBER Thomas M. (dir.), « Compound Warfare : That fatal knot », Combat Studies Institute, Command and General Staff College, Fort Leavenworth,
septembre 2002.
52 HENROTIN Joseph, « Faire coexister une force régulière et une force irrégulière, le combat couplé », DSI défense et sécurité internationale, Hors série
n° 53, avril 2017, p. 20-25, p. 21.
53 Art. Cit., p. 25.
54 Tyson, ibid, p. 104.
55 HENROTIN, ibid, p. 24.
56 ATF, p. 23.
57 Docteur en sciences politiques, réserviste de l’US Navy au sein du programme.
58 CASSIDY, CONNET, ibid.
59 GANT, ibid, p°38
60 Green, Op. cit., p. 2 (préface).
61 ATF, p. 33.
62 ibid, p. 34.
63 GANT, ibid, p. 22.
64 ATF, p. 34.65 GANT, ibid, p. 6.
66 JONES, MUNOZ, p. 19.
67 ibid, p. 19.
68 ibid, p. 19.
69 ibid, p. 19.
70 GANT, ibid, p. 40-41.
71 CASSIDY, CONNET, ibid.
72 GANT, ibid, p. 51.
73 ibid, p. 33.74 CASSIDY, CONNET, ibid.
75 HUBIN Guy, « La guerre, une vision française », Economica, 2012, p. 72.
76 ATF, p. 52.
77 GANT, ibid, p. 19.
78 ibid, p. 35.
79 ibid, p. 22.
80 ROBINSON Linda, ibid.
81 CASSIDY, CONNET, ibid.
82 ibid.
83 WENDT Éric P., « The Green Beret Volckmann Programm, Maximizing the Prevent Strategy », Special Warfare, volume 24 issue 3, juillet-août-septembre
2011, p. 12-16, p. 14 : Le programme vise à coupler le parcours d’opérateurs régionalisés, issus des Green Berets, avec celui d’officiers de renseignement
(3 ans sur un théâtre, famille présente sur place, rattachement en ambassade, couplage avec d’autres untés spéciales).
84 BROWN, Art. cit.
85 GANT, p. 89.
86 JONSHON, MASON, « Refighting the Last War: Afghanistan and the Vietnam Template ». Military Review, November/December 2009: 2-14.87 Art. cit.
88 GANT, ibid, p°88
89 ibid, p. 89.
90 HALIN Rory, « One team’s appraoch to Village Stability Operations », Small Wars Journal, 2011, https://smallwarsjournal.com/node/11412
91 Robinson L., ibid.
92 GANT, p. 91-92.
93 HUBIN, Op. cit., p. 62.

La Garde nationale US dans (presque) tous ses états

La Garde nationale US dans (presque) tous ses états

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Par Philippe Chapleau – Lignes de défense – Publié le 22 mars 2020

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Mon titre a des airs de marronniers comme on dit chez nous, les journalistes, mais je le crois bien adapté à la  mobilisation de la Garde nationale dans presque tous les Etats des USA. La Garde, avec tous ses composants, est forte de 450 000 hommes déployables pour tout type de mission (même du maintien de l’ordre) sur le sol de leur Etat respectif (et au service de l’Etat fédéral pour des missions de guerre).

Actuellement, la Garde nationale américaine est effectivement sur tous les fronts puisque de très nombreux gouverneurs ont décidé de mobiliser les unités de leur Etat et de recourir aux capacités médicales et logistiques de leur Garde nationale. Ils étaient 38 selon un décompte du New York Times de samedi mais le Bureau de la Garde dit ce dimanche que les 54 gouverneurs ont fait appel à leur Garde:

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Les photos qui suivent en témoignent.

Ainsi dans l’Oregon (photo ci-dessus, Sgt. 1st Class Zachary Holden), la Garde se déploie pour assister l’Oregon Health Authority (OHA) pour mettre en place un centre d’accueil médical (une Oregon Medical Station, OMS). Une OMS est une structure temporaire d’urgence capable de recevoir 250 patients (dans ce cas venant de maisons de retraite). Les personnels déployés proviennent du State Emergency Registry of Volunteers de l’Oregon (SERV-OR) et de l’Oregon Disaster Medical Team (ODMT). 

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Ci-dessus, cette photo prise en Californie montre des Gardes du 115th Regional Support Group préparant des stocks de nourriture en vue de leur distribution par les Restos du Coeur locaux (la Food Bank & Family Service)  (Army National Guard, photo Staff Sgt. Eddie Siguenza).

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En Pennsylvanie, dans le comté de Montgomery, 80 Gardes assurent l’accueil dans un centre où les patients peuvent être testés. Ce centre est situé sur le campus Ambler de l’université de Temple (photo Senior Airman Wil Acosta).

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A New York, des soldats de l’Army National Guard montent une tente à l’hôpital de Hudson Valley, à Cortlandt Manor. L’hôpital se prépare à un afflux massif de patients porteurs du virus (photo US Army National Guard, Col. Richard Goldenberg).

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Des militaires de la Air National Guard du Maryland dans un entrepôt du Maryland Strategic National Stockpile. Ces Gardes appartiennent au 175th Logistics Readiness Squadron (photo US Air National Guard, Master Sgt. Christopher Schepers). 

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Dans le Colorado, des Gardes travaillent aux côtés du comté de San Miguel et du Colorado Department of Public Health & Environment. Ces militaires proviennent du  8th Weapons of Mass Destruction-Civil Support Team (photo Maj. Jason Reed). 

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Du côté de la Louisiane, à la Nouvelle-Orléans, les militaires de la Garde sont déployés sur trois sites où l’on pratique des tests, actuellement sur le personnel soignant et bientôt sur le grand public (photo Staff Sgt. Josiah Pugh).

Defender Europe 20: un premier roulier arrivera vendredi en Allemagne

Defender Europe 20: un premier roulier arrivera vendredi en Allemagne

Par Philippe Chapleau – Lignes de défense – Publié le 18 février 2020

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Le 21 février, le port de Bremerhaven, en Allemagne, accueillera le premier navire transportant du matériel américain déployé dans le cadre de Defender Europe 20. Un ro-ro livrera des blindés, tant chenillés qu’à roues, de la 2nd Brigade Combat Team, de la 3rd Infantry Division. 

 

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Ces matériels de la 2nd ABCT (la Spartan Brigade) ont quitté le port de Savannah, en Géorgie (photo ci-dessus US Army). D’autres unités ont aussi commencé à préparer l’acheminement par voie maritime des équipements. Sur les 20 000 pièces d’équipements engagés dans Defender Europe 20, 7000 viennent des USA, le reste provient des APS (les stocks prépositionnés) d’Europe de l’ouest. 

Les ro-ro de la société ARC, habitués des projections vers l’Europe, sont mobilisés. Le MV Endurance, en cours de chargement sur la photo ci-dessous, sera le premier à atteindre l’Europe. ARC est une filiale du groupe norvégien Wilh. Wilhelmsen Holding ASA.

 

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L’US Army souhaite un soldat augmenté dès 2021

L’US Army souhaite un soldat augmenté dès 2021


 

Des militaires de la 82e division aéroportée évaluent le HUD du programme IVAS en novembre 2019 à Fort Picket, Virginie (Crédit : US Army)

Des militaires du 3e régiment d’infanterie US évaluent le HUD du système IVAS durant l’automne 2019 (Crédit : US Army)


L’armée américaine souhaite déployer la réalité augmentée au sein de ses unités de première ligne, et ce, « rapidement ». Parmi la myriade de programmes repris dans son budget 2021, l’US Army prévoit l’acquisition de plus de 40 000 paires de lunettes à réalité augmentée (Head Up Display – HUD) dans le cadre du programme Integrated Visual Augmentation System (IVAS). Déployée au niveau du groupe de combat, cette technologie permettra aux militaires américains de disposer en permanence d’une compréhension précise de la situation tactique, qu’importe l’environnement opérationnel.

 

Seul équipement individuel parmi les cinq programmes prioritaires de l’armée américaine, IVAS requiert de débloquer près de 906M$ lors de la prochaine année fiscale, sur un peu plus de 9,5Md$ consacrés aux « autres programmes d’acquisition ». Une fois actés par le Congrès, ces fonds permettront d’ « accélérer l’acquisition du système IVAS afin de garantir l’équipement d’une première unité ainsi qu’une capacité opérationnelle initiale, » annonce l’arme américaine dans un document budgétaire. Cette enveloppe financera une première tranche de 40 219 paires de lunettes augmentées, soit un prix unitaire de 22 000$. Un coût mirobolant, plus de cinq fois supérieur aux systèmes disponibles sur le marché civil, et que l’US Army justifie par le développement et l’intégration de nombreuses innovations, ainsi que par la nécessaire « durcification » du HUD.

L’attribution du marché interviendrait dès novembre prochain, Microsoft devant logiquement en être le grand bénéficiaire. Les plus geeks d’entre vous l’auront sans doute remarqué : les prototypes sont en réalité une version militarisée du modèle HoloLens 2 conçu par le géant de l’informatique. En misant sur une technologie civile mature, l’US Army espère en effet « basculer de manière fluide d’un prototypage rapide à un déploiement rapide, » souligne le document budgétaire. Un premier lot de 850 exemplaires est donc attendu en mai 2021. Si la trajectoire budgétaire du programme se confirme et que le coût à l’unité ne varie pas, les financements requis pour la période 2022-2025 devraient autoriser la production de 75 000 exemplaires supplémentaires. Selon l’US Army, jusqu’à 200 000 HUD seront acquis afin d’équiper toutes les unités de combat, de l’infanterie aux sections de reconnaissance et du génie.

Loin d’en être à ses balbutiements, le programme IVAS a d’ores et déjà été l’objet de deux évaluations menées par l’US Army en partenariat avec Microsoft. La dernière en date, menée en novembre dernier, aura permis de recueillir les RETEX issus d’une première prise en main par la 82e division aéroportée, le 2e bataillon de rangers et le 5e groupe des forces spéciales. La prochaine étape, prévue pour cet été, verra le déploiement d’un nouveau prototype du HUD au niveau de la compagnie. La quatrième et dernière phase de ce processus de tests est attendue au printemps 2021.

À terme, le militaire augmenté disposera d’une vision infrarouge, d’une capacité d’acquisition de cible de jour comme de nuit ainsi que d’une meilleur protection des yeux et de l’audition. L’affichage tête haute présentera un point de situation continu sur base des données transmises par le réseau tactique. Des éléments de blue force tracking, de navigation et de planification opérationnelle, par exemple, seront projetés de manière intuitive et en temps réel sur un espace tridimensionnel. De même, l’usage de l’intelligence artificielle devrait contribuer à écourter et dérisquer la phase de ciblage en distinguant instantanément les éléments menaçants des non-combattants. D’après les documents budgétaires, la trajectoire d’évolution pourrait ensuite inclure une capacité de reconnaissance faciale. En combinant ces lunettes au futur système d’entraînement des forces américaines (Synthetic Training Environment), tant l’infanterie que les Marines optimiseront par ailleurs « la capacité des groupes de combat à mener des exercices et entraînements de terrain à réalité mixte, » explique le document budgétaire.

En cas de succès, le programme IVAS devrait déborder du cadre de l’infanterie et trouver des débouchés dans les unités de cavalerie. L’intégration de « technologies émergeantes telle que celles proposées par IVAS » est dès à présent l’un des axes d’évolution étudiés pour le blindé à roues 8×8 M1126 Stryker et le standard M2A4 du chenillé Bradley.

Et du côté de la France ? L’industrie française se met timidement en ordre de marche, les quelques expériences réalisées jusqu’à présent provenant pour majeure partie du domaine civil et sont limitées à des applications de maintenance et de formation. Parmi la poignée de solutions ayant approché le monde militaire, citons le casque RAFT (« Réalité augmentée pour le fantassin du futur ») développé par Scalian en partenariat avec la Direction générale de l’armement (DGA). Dévoilé en 2018 lors du dernier Forum innovations défense (dont l’on regrette la mise au frigo), ce casque reprend les fondamentaux du programme IVAS : un affichage tête haute à réalité augmentée faisant état de la situation tactique. Outre une carte tactique et le blue force tracking, il intègre des caméras de jour et de nuit dont le flux vidéo peut être transmis aux échelons supérieurs par Wi-fi ou Bluetooth. Une innovation encore aperçue en mai 2019 à Paris lors du salon Viva Technology mais depuis… plus rien.

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