Les États-Unis renforcent leur présence militaire en Europe de l’Ouest.
“Ce déploiement est l’occasion de faire progresser nos capacités opérationnelles et démontrer les avantages que ces armements apporteront à l’aviation navale, à la région et à nos alliés et partenaires”, explique l’amiral américain Greg Huffman, cité par le UK Defence Journal.
“Aujourd’hui plus que jamais, ajoute-t-il, il est primordial pour la marine américaine de renforcer nos relations avec nos alliés et partenaires pour contribuer à promouvoir une région atlantique et pacifique, stable et sans conflit.” Sans évoquer la guerre en Ukraine et les menaces russes de recours à des frappes nucléaires tactiques.
Le groupe aéronaval américain, mené par le porte-avions à propulsion nucléaire USS Gerald Ford, arrivera en Europe à la mi-novembre, selon le média britannique.
Opérations maritimes conjointes
Il devrait participer, avec ses alliés de l’Otan, à des exercices de formation, notamment des frappes maritimes à longue portée, à la défense aérienne, à la guerre anti-sous-marine et à des opérations maritimes conjointes.
Le porte-avions devrait faire escale à la base navale de Portsmouth dans le sud de l’Angleterre, mais sa date exacte d’arrivée n’a pas été communiquée. Et aucune confirmation officielle n’est venue de l’état-major américain.
Ce vendredi, l’USS Gerald Ford mouillait au port d’Halifax au Canada, selon le service de presse de la deuxième flotte de la marine américaine.
Jusqu’ici, un seul groupe aéronaval américain naviguait dans les eaux européennes, celui du porte-avions USS George Bush.
L’USS Gerald R. Ford (CVN-78) est un porte-avions de même type que les bâtiments de classe Nimitz, lancé en 2017. Il embarque 90 avions, hélicoptères et drones, dont des chasseurs F-35C de cinquième génération.
Soucieux de protéger l’indépendance de Taïwan, les Etats-Unis travaillent sur un Taïwan policy act destiné à se doter des moyens juridiques de protéger l’île. Cela révèle les liens compliqués entre les Etats-Unis et la Chine et la position particulière de Washington sur ce dossier.
La commission des affaires étrangères du Sénat américain a laissé passer le 14 septembre Taiwan Policy Act [1]avec une majorité de 17 voix pour et 5 contre après avoir introduit quelques modifications par rapport à la version présentée. La Chambre a fait sa lecture avec quelques remarques différentes de celle du Sénat. Pour l’instant, l’examen conjoint et la mise en cohérence des textes puis le vote par le Sénat et la Chambre des députés ne sont pas encore programmés. Il sera remis sur les métiers après les élections de mi-novembre.
Que signifie ce document destiné à devenir une loi s’il reçoit le feu vert des deux Chambres ? Quelle est la réelle intention des US ? Quels seraient ses impacts ?
Faisons une lecture analytique d’abord avant d’évaluer ses impacts / sa portée et d’analyser l’intention et les visées américaines.
Un rappel historique
Un court rappel nous paraît nécessaire pour comprendre les relations complexes et compliquées sino-américaines et la portée du Taiwan Policy Act.
En Chine, les nationalistes et les communistes ont longtemps été confrontés dans une série de guerres civiles ponctuées de périodes de collaboration. Ensemble, ils ont renversé la dernière dynastie pour fonder la République de Chine en 1912. Puis, les nationalistes ont attaqué les communistes dans l’intention de les éliminer afin de devenir la seule force gouvernante. L’invasion de la Chine par le Japon les ont poussés de nouveau dans une collaboration patriotique anti japonaise. Une fois les envahisseurs boutés hors du pays, ces deux forces se sont jetées de nouveau dans une lutte à mort qui aboutit à la victoire des communistes sur le continent et à la fuite des nationalistes qui se réfugièrent sur l’île de Taiwan.
Juridiquement parlant, ils sont toujours et encore dans cette guerre civile. Aucun cessez-le-feu ou aucun traité de paix n’a été signé entre les deux rives du détroit. Dans les Constitutions respectives en vigueur, nous pouvons constater que les deux côtés réclament le contrôle de toute la Chine y compris Taiwan.[2] Un courant à tendance indépendantiste s’est développé à Taiwan ; encouragé par les Etats-Unis ces dernières années, il limite sa réclamation à la dimension de l’île.
Les Etats-Unis ont maintenu des relations non officielles avec le Gouvernement nationaliste à Taiwan après la guerre civile jusqu’à ce qu’ils effectuent, pour leurs propres intérêts, réajustement stratégique pro Chinois / anti soviétique. Dans les années 1970, les US ont normalisé ses relations diplomatiques avec la République Populaire de Chine. Au travers des trois communiqués conjoints sino-américains,[3] le Gouvernement américain a reconnu la République Populaire de Chine en tant que seul représentant légitime de la Chine et Taiwan comme partie inséparable de la Chine.
En 1978, le gouvernement américain de Jimmy Carter a accepté les trois principes que la Chine avait formulés pour établir les relations diplomatiques entre les deux pays : 1/ le retrait total des forces armées américaines de Taiwan ; 2/ l’annulation de tous les traités signés entre les Etats-Unis et l’Autorité de Taiwan ; 3/ la rupture des relations diplomatiques avec Taiwan et la reconnaissance de la République Populaire de Chine.
La RPC et les USA ont publié conjointement le « Communiqué sur l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et les Etats-Unis » le 12 décembre 1978. Selon le communiqué, les deux pays sont convenus de se reconnaître mutuellement et d’établir des relations diplomatiques entre eux, ceci à compter du 1er janvier 1979.
Les Etats-Unis reconnaissent le gouvernement de la République populaire de Chine comme l’unique gouvernement légal de la Chine. Dans ce contexte, le peuple américain maintiendra des relations culturelles, commerciales et autres relations non officielles avec la population de Taiwan.
Bien que mis en service en 2017, l’USS Gerald R. Ford [CVN78], qui inaugure une nouvelle classe de porte-avions américains, n’a jamais été encore déployé. Et pour cause : il n’était pas encore prêt au combat. En effet, durant ces cinq dernières années, le navire a subi une batterie de tests visant à éprouver la fiabilité de ses nombreux nouveaux systèmes, dont ses catapultes électromagnétiques [EMALS], son dispositif AAG [Advanced Arresting Gear] pour la récupération des aéronefs, ou encore ses ascenceurs.
En outre, l’USS Gerald R. Ford a fait l’objet d’une ultime mise à niveau – appelée PIA, pour planned incremental availability – effectuée par le chantier naval Huntington Ingalls Industries [HII]. Commencée en septembre 2021, après des « essais de choc » pour vérifier son aptitude à résister aux conditions de combat les plus éprouvantes, celle-ci a été achevée en mars 2022.
Et ce n’est qu’en septembre que l’US Navy a prononcé la capacité opérationnelle initiale de son nouveau porte-avions. Ce qui signifie qu’il est désormais prêt à effectuer sa première mission. C’est ainsi que l’USS Gerald R. Ford appareillera de Norfolk, le 3 octobre, pour se déployer dans la zone de responsabilité de la 2e Flotte de la marine américaine, réactivée en 2018 [après avoir été mise en sommeil sept ans plus tôt, ndlr] afin de répondre aux activités navales croissantes de la Russie et de la Chine dans l’océan Atlantique ainsi que dans la région de l’Arctique.
Ce premier déploiement de l’USS Gerald R. Ford devrait être court, par rapport à ceux qu’effectuent les porte-avions américains. Cependant, il comptera huit phases distinctes ayant chacune leur propre thème [frappe longue portée, lutte anti-sous-marine, défense aérienne, etc]. Et il donnera surtout l’occasion de mettre l’accent sur la coopération avec les forces navales alliées, dont celles de la France, du Danemark, de la Finlande, de la Suède, des Pays-Bas, de l’Allemagne, du Canada et de l’Espagne.
« L’Atlantique est une zone d’intérêt stratégique. Notre objectif principal est de faire en sorte qu’elle soit stable et sans conflit grâce à la puissance navale combinée de nos alliés et partenaires », a fait valoir le vice-amiral Dan Dwyer, commandant de la 2e flotte américaine.
Le groupe aéronaval formé autour de l’USS Gerald R. Ford, appelé « Carrier Strike Group 12 », comprendra les « destroyers » USS Thomas Hudner, USS Ramage et USS McFaul [de type Arleigh Burk], ainsi que le croiseur USS Normandy [classe Ticonderoga] et les navire de soutien USNS Joshua Humphreys et USNS Robert E. Peary.
Quant à au groupe aérien embarqué [GAé], il sera fourni par le Carrier Air Wing 8 [CVW-8]. Il sera constitué de F/A-18 Super Hornet, de E/A-18G Growler, de E-2D Hawkeye et d’hélicoptères MH-60R/S Seahawk.
« Certains des escadrons [du CVW-8] ne seront pas au complet. Mais le nombre d’aéronefs embarqués se rapproche de celui d’une dotation complète », a précisé le capitaine de vaisseau Paul Lanzilotta, le « pacha » de l’USS Gerald R. Ford.
Pour rappel, avec ses 97’000 tonnes à pleine charge pour une longueur de 337 mètres et un maître-baau de 78 mètres, l’USS Gerald R. Ford est le plus grand navire militaire jamais construit à ce jour. Doté de quatre catapultes électromagnétiques, de chaufferies nucléaires A1B trois fois plus puissantes que celles de la classe Nimitz, d’un blindage électromagnétique [DAPS, Dynamic Armor Protection System], il est mis en oeuvre par un équipage « réduit » de 4.460 marins.
Équipé d’un radar à antenne active multifonction bande-X Raytheon AN/SPY-3, qui lui permettant d’assurer une surveillance permanente à 360 degrés, l’USS Gerald R. Ford est armé de missiles RIM-162 ESSM et RIM-116 Rolling Air Frame, du système Phalanx CIWS et de missiles anti-navire.
Sa construction, qui n’aura pas été épargnée par les retards [son premier déploiement opérationnel était attendu en 2018…], a coûté 12,6 milliards de dollars [sans compter les coûts de recherche et de développement].
D’ailleurs, le chef d’état-major de l’US Navy, l’amiral Michael Gilday, a admis que l’intégration de trop de nouvelles technologies [23 au total] constituait un risque de retards et de surcoûts. « Nous ne devrions vraiment pas introduire plus d’une ou deux nouvelles technologies sur une plate-forme complexe comme celle-ci afin de nous assurer que nous maintenons le risque à un niveau gérable », avait-il en effet déclaré, en août 2021.
Camerone pour les légionnaires, Bazeille pour les marsouins et les bigors, ou encore Sidi-Brahim pour les Chasseurs… Chaque année, ces batailles, quelle que soit leur issue [victoire ou défaite] sont commémorées au sein de la Légion étrangère, des Troupes de Marine [qui viennent de fêter leur 400e anniversaire] et certaines unités d’infanterie car elles illustrent les qualités et les vertus [courage, esprit de sacrifice, la combativité, etc] qui fondent leur identité tout en étant une source d’inspiration pour le présent et l’avenir.
C’est donc pour de telles raisons que la Marine nationale a décidé de célébrer, chaque année, une bataille décisive et emblématique de sa longue histoire, en l’occurrence celle de la baie de Chesapeake, qui, conduite le 5 septembre 1781, par le comte de Grasse, alors lieutenant général des armées navales, se solda par une victoire éclatante contre la Royal Navy.
« Bataille de référence, succès tactique ayant conduit à une victoire stratégique, Chesapeake rappelle le rôle décisif du combat naval dans un conflit d’ampleur. Elle incarne une Marine victorieuse, grâce à la préparation de ses équipages, à leur combativité et aux qualités tactiques et de commandement de ses officiers », explique la Marine nationale, via un communiqué.
Pour rappel, la bataille de la baie de la Chesapeake fut décisive pour la suite de la guerre d’Indépendance américaine. Alors qu’un débarquement de troupes et de canons était en cours en vue de préparer une offensive des insurgés en direction de Yorktown, l’amiral de Grasse engagea le combat contre la flotte britannique de l’amiral Thomas Graves, avec des navires aux équipages réduits.
Bien que plus homogène et imposante [avec vingt navires de ligne et sept frégates], l’escadre de la Royal Navy dut battre en retraite, avec six vaisseaux gravement endommagés et des pertes s’élevant à 300 tués, avec presque autant de blessés.
Pour la Marine nationale, commémorer cette bataille permet de rappeler « l’actualité des facteurs ayant permis la victoire : événement tactique ayant induit une bascule stratégique, innovation tactique, importance de l’entraînement, prise de décision rapide dans l’incertitude, courage physique, conditions dégradées, etc ». Et, conformément au souhait de l’amiral Pierre Vandier, son chef d’état-major, elle fera donc l’objet, tous les ans, de « cérémonies » et d’ »activités collectives » au sein de l’ensemble des unités de la Marine.
« Cette première commémoration et celles qui suivront doivent être une source d’inspiration forte pour chaque marin », fait valoir l’amiral Vandier.
Cela étant, la bataille de la baie de Cheasapeake a d’autres dimensions symboliques. Tout d’abord, elle illustre les liens historiques et opérationnels de la Marine nationale avec l’US Navy qui, malgré les aléas politiques et diplomatiques, ne cessent de se renforcer.
Et puis, surtout, elle renvoie à une époque où la marine française rayonnait sur tous les océans du monde, Louis XVI, et avant lui, Louis XV, n’ayant pas oublié l’enseignement de Richelieu [« Les larmes de nos souverains ont souvent le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée », ndlr]. En témoignent les noms de ses amiraux, dont les noms ont traversé le temps : La Pérouse, Suffren, Latouche-Tréville, Bougainville, La Motte-Picquet, d’Entrecasteaux ou encore, et bien évidemment, de Grasse.
Alors que la Chine venait de lancer des manœuvres d’une ampleur inédite dans les environs de Taïwan après la visite à Taipei de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants du Congrès des États-Unis, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale [National Security Council, NSC] de la Maison Blanche, John Kirby, avait assuré, le 6 août, que les forces américaines continueraient à mener des opérations visant à défendre la liberté de navigation [FONOP – Freedom of Navigation OPeration] dans le détroit de Taïwan.
« Nous effectuerons des transits aériens et maritimes dans le détroit de Taïwan au cours des prochaines semaines, conformément, encore une fois, à notre approche de longue date consistant à défendre la liberté des mers et le droit international », avait en effet affirmé M. Kirby. « Nous n’allons pas accepter un nouveau statu quo dans les relations inter-détroits », avait-il insisté.
Pour rappel, la Chine émet des protestations à chaque passage de navires militaires dans le détroit qui la sépare de Taïwan, qu’elle considère comme une province rebelle. Ces derniers temps, les forces chinoises ont haussé le ton face à de tels transits.
Désormais ancien commandant de la zone Asie-Pacifique [ALPACI] et des forces armées en Polynésie, le contre-armial Jean-Mathieu Rey a dit récemment avoir constaté une « agressivité de plus en plus en plus importante » des forces chinoises, en particulier dans les zones sur lesquelles Pékin revendique sa souveraineté. Et, a-t-il continué, cette « montée des tensions » rend de « plus en plus probable » un risque de « dérapage ».
Le Pentagone a fait un constat identique, notant une « forte augmentation des comportements dangereux et non professionnels de la part des navires et des avions [chinois], à l’égard non seulement des forces américaines mais aussi les forces alliées » opérant dans la région. « Nous voyons Pékin combiner sa puissance militaire croissante avec une plus grande volonté de prendre des risques », a ainsi commenté Ely Ratner, secrétaire adjoint à la Défense pour les affaires de sécurité dans l’Indo-pacifique, fin juillet.
Depuis la fin de ses manœuvres militaires du début de ce mois, la Chine a maintenu une forte pression militaire sur Taïwan, les incursions d’importantes formations d’aéronefs militaires dans la zone d’identification de défense aérienne [ADIZ] taïwanaise étant quasiment quotidiennes. De même que la présence de navires de la composante navale de l’Armée populaire de libération [APL] dans les environs de l’île. Dans le même temps, d’autres élus américains se sont rendus à Taipei, à la suite de Mme Pelosi, dont une délégation du Congrès [le 14/08], le gouverneur de l’Indiana, Eric Holcomb, et, il y a trois jours, la sénatrice Marsha Blackburn.
Le 25 août, Pékin a annoncé la tenue d’un nouvel exercice, devant durer deux jours et impliquant des tirs de munitions réelles, dans les environs de Fuqing et de Putian, au large de la province de Fujian, qui fait face à Taïwan. Cette annonce a été faite après une rencontre, en Chine, entre le président de l’Association chinoise pour les relations inter-détroit [ARATS] et le vice-président du Kuomintang [KMT], le plus ancien parti politique taïwanais.
Les deux jours suivants, le ministère taïwanais de la Défense a fait état de l’incursion de 56 aéronefs militaires [35 le 26/08 et 21 le 27/08] et de la présence de plusieurs navires de guerre chinois dans les approches de l’île. C’est dans ce contexte que l’US Navy a envoyé deux croiseurs de type Ticonderoga, à savoir les USS Antietam et USS Chancellorsville, naviguer dans le détroit de Taïwan.
Ces deux navires effectuent, ce 28 août, un transit « de routine dans les eaux où la liberté de navigation et de survol en haute mer s’appliquent conformément au droit international », a fait valoir la 7e Flotte de l’US Navy, via un communiqué. La mission est « en cours » et elle n’a « jusqu’à présent » fait l’objet « d’aucune ingérence de forces militaires étrangères », a-t-elle ajouté.
Les deux croiseurs suivent « un couloir dans le détroit qui se trouve au-delà des eaux territoriale de tout État côtier. Le transit des navires par le détroit de Taïwan démontre l’engagement des États-Unis en faveur d’une région Indo-Pacifique et ouverte. Les forces américaines volent, naviguent et opèrent partout où le droit international le permet », a conclu l’US Navy.
Les autorités chinoises n’auront pas tardé à réagir. « Le commandement du théâtre oriental surveille le passage de l’USS Antietam et de l’USS Chancellorsville par le détroit de Taiwan. Les troupes restent en alerte maximale, prêtes à déjouer toute provocation », a déclaré un porte-parole de l’APL.
C’est une île de 550 km2 (avec 170 000 habitants) à la lisière du Pacifique qui, et c’est surprenant, est totalement absente du techno-triller La Flotte fantôme (voir mon post). Mais Guam n’est aussi citée qu’à une seule reprise dans l’étude récente intitulée “The Return of Great Power War Scenarios of Systemic Conflict Between the United States and China“, rédigée pour la Rand Corporation par Timothy R. Heath, Kristen Gunness,et Tristan Finazzo.
Les tensions actuelles entre Chinois et Américains ont poussé ces derniers à mieux s’intéresser à cette île trop éloignée des Etats-Unis et trop proche de la Chine (dont les missiles DF-26 menacent l’île) et qui est souvent estimée comme perdue d’avance en cas de conflit sino-américain (carte ci-dessous historicair).
Les opinions ont évolué. L’Indo-Pacific Command considère Guam comme une position à partir de laquelle on peut combattre (“fight from”) mais aussi pour laquelle il faut se battre (“fight for”). Guam, comme le rappelait le site War in the Rocks en 2021, abrite une base aérienne (Anderson Air Force Base), une base sous-marine, une base de l’USMC et des stocks prépositionnés (le Maritime Prepositioning Ship Squadrons 3 ou MPSRON3). Ce sont des forces qui doivent conserver leurs capacités de combat et donc être mieux protégées des possibles attaques navales et aériennes chinoises, attaques qui pourraient aussi viser les îles Mariannes du Nord.
Comment défendre Guam et comment en faire une pièce de la stratégie de défense/dissuasion de Taïwan ou du Japon?
La seconde mission paraît improbable du fait de l’éloignement. En 2021, la Rand Corporation a publié une étude de Jeffrey W. Hornung (“Ground-Based Intermediate-Range Missiles in the Indo-Pacific Assessing the Positions of U.S. Allies“) où l’auteur estime inutile de doter Guam d’un solide arsenal de GBIRM (ground-based intermediate-range missiles) du fait de la portée insuffisante des missiles de type SM-6.
En revanche, pour défendre l’île, est préconisé un panachage de missiles Patriot, de Terminal High Altitude Area Defense (déjà en place, voir photo ci-dessus DoD)), de SM-2, SM-3 et SM-6, une telle architecture hybride devant neutraliser la menace aérienne chinoise. Mais ça ne sera pas la panacée, préviennent certains experts et militaires US.
Pour l’heure, même si le budget 2023 prévoit des crédits à cet effet (892 millions de dollars dont 539 pour la défense anti-missiles, selon la Pacific Deterrence Initiative), les décisions se font attendre. Selon le vice-amiral Jon Hill, de la Missile Defense Agency, le programme de défense en est encore au stade des études de “l’architecture de base du système”. Des études d’impact ont été lancées pour déterminer les sites susceptibles d’accueillir les radars et postes de tir (42 plateformes au total) qui devraient être opérationnels d’ici à 2028. Une date déjà critiquée par les analystes comme Brent Sadler, du Center for National Defense. Il estimait, dans une contribution du 18 juillet dernier, que tout doit être prêt avant 2027. D’autres analystes estiment que l’IOC (l’Initial Operational Capability) doit être atteinte en 2024 avec le déploiement de croiseurs Aegis en attendant l’entrée en service des équipements terrestres.
Les effectifs des forces américaines en Europe sont passés de 78 000 hommes en 2021 (67 000 au plus bas, en 2019) à 102 000 en 2022, a précisé lundi le général Milley (le CEMA américain, devant les élèves officiers de West Point, avait, la veille, prédit de pertes américaines conséquentes : “des dizaines de milliers de morts américains”, en cas de conflit avec la Russie et la Chine).
Pour en revenir avec les forces terrestres US en Europe, elles sont réparties au sein de 6 brigades de combat (Brigade Combat Teams) , de deux divisions et d’éléments de deux corps d’armée.
Du côté des forces navales (en Méditerranée et dans la Baltique), sont déployés 15 000 marins, 24 navires de surface (contre six en fin d’année 2021) et 4 sous-marins.
Les forces aériennes ne sont pas en reste avec 12 escadrons de chasse et deux brigades d’hélicoptères de combat, toujours selon Milley.
On est certes loin des effectifs et des moyens de l’époque de la guerre froide (400 000 hommes en 1953) mais la tendance est résolument d’une part au renforcement en hommes et en moyens et d’autre part à la mise en place d’une barrière défensive le long de la frontière avec la Russie. L’activité ISR alliée de la Baltique à la mer Noire (hors survol de l’Ukraine que l’Otan évite) en témoigne, comme le montre cette carte:
Faut-il craindre qu’en cas d’enlisement en Ukraine et l’avènement d’un front figé, un nouveau “mur” entre l’Ouest et l’Est soit mis en place, comme au “bon vieux” temps de la Guerre froide (1400 km de frontière fortifiée entre 1950 et 1990)? Si ce scénario se concrétisait, la nouvelle frontière fortifiée du nord de la Finlande à la mer Noire, parallèlement aux frontières russe, biélorusse et probablement de l’Ukraine sécessionniste, courrait sur au moins 4000 km.
Ces derniers mois, l’US Navy conduit au moins deux « Dual Carrier Operations », c’est à dire des opérations qui, associant deux groupes aéronavals, visent à faire une démonstration de force dans une région donnée. En l’occurrence, celles récemment menées ont concerné la mer de Chine méridionale.
La dernière opération de ce type a lieu actuellement en mer d’Arabie. Et elle implique les porte-avions USS Dwight D. Eisenhower et Charles de Gaulle, le navire amiral de la Marine nationale ayant pris, le 31 mars dernier, la tête de la « Task Force 50 », une flottille relevant de la 5e Flotte de l’US Navy.
Les deux bâtiments ont désormais l’habitude d’opérer ensemble. L’an passé, lors de la mission Foch, le Charles de Gaulle avait échangé des avions avec l’USS Dwight D. Eisenhower, alors que les deux porte-avions naviguaient en Méditerranée.
Ces derniers ont commence leurs opérations « combinées » le 13 avril. « L’IKE [surnom du porte-avions américain, ndlr] et le Charles de Gaulle partagent une place particulière dans l’histoire, les noms qu’ils portent étant ceux de deux personnalités ayant travaillé ensemble pour la liberté et qui, en tant que chefs d’État, ont tous deux œuvré pour assurer la paix et la stabilité », a fait valoir le vice-amiral Scott F. Robertson, le « pacha » du Carrier Strike Group 2 de l’US Navy.
« Aujourd’hui, plus de 70 ans après, l’esprit d’amitié et de service perdure chez les hommes et les femmes qui travaillent à bord des deux porte-avions. Nos forces combinées assurent la sécurité et la stabilité, mais soulignent également que nous sommes plus forts lorsque nous travaillons ensemble pour promouvoir un environnement maritime sûr », a-t-il ajouté.
Ce que le contre-amiral Marc Aussedat, qui commande le groupe aéronaval formé autour du Charles de Gaulle [TF 473], a confirmé. « Notre coopération est profondément enracinée dans une histoire commune », d’autant plus que « nous sommes les deux seules marines à mettre en œuvre des porte-avions nucléaires avec des catapultes et des brins d’arrêt », a-t-il souligné.
« Ces points communs, ces moyens et ces savoir-faire lient nos deux marines et représentent une opportunité unique de former et de renforcer notre interopérabilité. Ainsi nos groupes aéronavals sont prêts à travailler ensemble, comme actuellement au sein de la TF 50 contre Daesh et demain, là où nos intérêts communs l’exigeront», a expliqué le contre-amiral Aussedat.
Et l’US Navy n’a pas manqué d’enfoncer le clou en rappelant que « la France est le plus ancien allié des États-Unis » étant donné qu’elle a soutenu ces derniers durant leur guerre d’indépendance dès 1781.
Actuellement, l’escorte du Charles de Gaulle est assurée par la frégate de défense aérienne [FDA] Chevalier Paul, la frégate multimissions [FREMM] Provence et le Bâtiment de commandement et de ravitaillement [BCR] Var. Quant à celle de l’USS Dwight Eisenhower, elle s’appuie sur quatre destroyers [ou contre-torpilleurs en français], dont les USS Mitscher, USS Laboon, USS Mahan et USS Thomas Hudnet, ainsi que sur le croiseur USS Monterey.
L’an passé, la marine américaine avait affirmé avoir abattu un drone iranien qui s’était approché d’un peu trop près du porte-hélicoptères USS Boxer, alors en mission dans le golfe arabo-persique. A priori, l’appareil aurait été détruit par le système anti-drone, le LMADIS [Light Marine Air Defense Integrated System], mis en oeuvre par deux véhicules Polaris MRZR de l’US Marine Corps depuis le pont du navire.
Mais il est probable que, à l’avenir, un autre moyen soit utilisé. En effet, cela a fait longtemps maintenant que l’US Navy cherche à doter ses navires d’armes à effet dirigé, c’est à dire des lasers. En 2011, un essai prometteur fut réalisé dans le cadre du programme Maritime Laser Demonstrator [MLD], conduit par Northrop Grumman. Une petite embarcation avait en effet été détruit, le laser ayant réussi à enflammer ses réservoires de caburant, après avoir percé l’enveloppe de ses réservoirs.
Puis, en 2014, l’USS Ponce fut désigné pour tester dans des conditions opérationnelles le Laser Weapon System [LaWS – AN/SEQ-3] dans le golfe arabo-persique. D’une puissance comprise entre 30 et 50 kw, son principe consistait à diriger le faisceau de 6 lasers en fibre optique vers une cible afin de la détruire sous l’effet de la chaleur. Les résultats de cette campagne d’essais devaient ensuite servir à Northrop Grumman pour développer une arme plus puissante.
Ce qui a donc été fait, avec le Laser Weapon System Demonstrator [LWSD] Mk 2 Mod 0 qui, d’une puissance de 150 kw, a été installé à bord du navire d’assaut amphibie USS Portland.
Le 22 mai, l’US Navy a indiqué qu’une telle arme, développée sous l’égide de l’Office of Naval Research [ONR], avait réussi, pour la première fois, à détruire un drone en vol, lors d’un essai effectué quelques jours plus tôt dans la région de Hawaï.
Dans une très courte vidéo [15 secondes], on voit un puissant rayon lumineux dirigé horizontalement, puis un drone prendre feu avant de piquer vers la terre. La vidéo étant courte [15 secondes].
La difficulté est de pouvoir maintenir le faisceau laser sur une cible mouvante.
« En effectuant des tests avancés en mer contre les drones aériens et les petites embarcations, nous obtiendrons des informations précieuses sur les capacités de ce démonstrateur de système d’armes laser à semi-conducteurs contre les menaces potentielles », a fait valoir le capitaine de vaisseau Kerry Sanders, le commandant de l’USS Portland. « Avec cette nouvelle capacité avancée, nous redéfinissons la guerre en mer pour la Marine », a-t-il ajouté.
L’US Navy conduit plusieurs projets d’armes laser, dont certaines sont plus ou moins puissantes, l’idée étant qu’elles soient adaptées aux capacités de production d’énergie de ses navires. Si le LWSD Mk Mod 0 ne pose pas de problème pour un bâtiment comme l’USS Portland, il en va autrement pour d’autres, aux capacités plus réduites, comme, par exemple, les destroyers de type Arleigh Burke.
Ainsi, la marine américaine travaille également sur une arme d’une puissance de 60 kW, appelée HELIOS [High Energy Laser and Integrated Optical-dazzler and Surveillance] et développée par Lockheed-Martin. Il est aussi question du système ODIN [Optical Dazzling Interdictor, Navy], lequel ne serait pas utilisé pour détruire des cibles mais plutôt pour avertir des drones ou des embarcations ennemis de ne pas s’approcher d’un navire ou pour « aveugler » les capteurs. Le destroyer USS Dewey en a été récemment équipé.
Enfin, Lockheed-Martin travaille sur une autre arme laser de 150 kw, destinée à équiper les Littoral Combat Ship [LCS]. Un tel système doit être installé à bord de l’USS Little Rock cette année.
Pour rappel, les armes laser présentent plusieurs avantages : elles sont extrêmement précises et leur coût d’utiliser est très faible [un « tir » coûte 1 dollar]. En outre, si elles se généralisent, alors il ne sera plus utile de stocker des explosifs à bord d’un navire. À noter que le ministère allemand de la Défense a attribué un contrat à MBDA Deutschland et à Rheinmetall pour « construire, intégrer et tester » un démonstrateur d’arme laser destiné aux corvettes K130 [Classe Braunschweig] de la Deutsche Marine.
Que se passerait-il si, par une « erreur de calcul », la Chine et les États-Unis en arrivaient à s’affronter militairement dans la région Indo-Pacifique en 2030? Pour répondre à cette question, le Pentagone s’est livré à des « jeux de guerre » [War Games], c’est à dire à des exercices visant à examiner des scénarios possibles [voire improbables] sous toutes les coutures. Et, selon le quotidien The Times, le résultat est sans appel : les forces américaines seraient « écrasées ».
« Toutes les simulations menées sur la menace que représente la Chine d’ici 2030 se sont toutes soldées par la défaite des États-Unis », a confirmé Bonnie Glaser, directrice du projet China Power au Center for Strategic and International Studies de Washington, dans les colonnes du quotidien britannique. Et d’ajouter que le cas le plus problèmatique est celui de Taïwan, car il pourrait dégénérer en guerre, sachant que le président chinois, Xi Jinping, ne fait pas mystère de ses intentions au sujet de l’île, considérée à Pékin comme une « province rebelle ».
Dans un récent entretien, le général Qiao Liang, co-auteur de l’essai « La Guerre hors limites » a évoqué ce point. « Nous devons aussi nous demander si la question de ‘l’indépendance de Taïwan’ ne risque pas de nous entraîner trop loin si nous envisageons la guerre pour résoudre cette question. Face au soutien des États-Unis et des pays occidentaux, pouvons-nous seulement faire quelque chose? Pas nécessairement. Pour freiner ‘l’indépendance de Taïwan’, en plus des options de guerre, davantage d’options doivent être prises en considération. Nous pouvons penser à des moyens d’agir dans l’immense zone grise entre la guerre et la paix, et nous pouvons même envisager des moyens plus particuliers, comme lancer des opérations militaires qui ne déclencheront pas de guerre, mais qui peuvent consister en un usage modéré de la force modérée pour dissuader ‘l’indépendance de Taïwan’ », a-t-il expliqué.
En tout cas, ce qui est certain, c’est que la Chine n’a pas hésité à montrer ses muscles durant la crise liée à l’épidémie de Covid-19… alors que la marine américaine s’est retrouvée en difficulté avec la contamination du porte-avions USS Theodore Roosevelt. En outre, les tensions, que ce soit en mer de Chine méridionale ou dans le détroit de Taïwan, n’ont pas baissé d’un iota… Ce qui a accru, justement, le risque d’erreur de calcul.
Quoi qu’il en soit, d’après les sources du « Times », les « jeux de guerre » du Pentagone ont révélé, sans surprise d’ailleurs, que l’accumulation par la Chine de missiles balistiques à moyenne portée mettait en péril les bases américaines de Guam ou d’Okinawa, voire les groupes aéronavals de l’US Navy.
L’apparition d’armes hypersoniques, les capacités de déni et d’interdiction d’accès et le saut qualitatif des navires militaires chinois font que les forces américaines n’ont nullement la garantie d’avoir un avantage opérationnel décisif. C’est ce qu’avait d’ailleurs déjà souligné l’amiral Harry Harris, quand il était à la tête du commandement militaire américain pour la région Indo-Pacifique [USINDOPACOM], en 2017.
« Les années 2020 seront décisives car la Chine commencera à avoir la capacité de défier les États-Unis en mer et dans les airs, également dans l’espace et le cyberespace. Cela pourrait pousser Pékin à agir en mer de Chine méridionale et contre Taïwan si les Américains ne sont pas prêts à relever le gant », a commenté le Dr Malcolm Davis, de l’Australian Strategic Policy Institute [ASPI], dans la presse australienne.
Cela étant, la simulation faite par le Pentagone ne fait que confirmer une étude publié l’an passée par le Centre d’études sur les États-Unis de l’Université de Sydney. Ainsi, cette dernière avait remis en cause la supériorité militaire américaine dans la région Indo-Pacifique et affirmé que la capacité des États-Unis à maintenir un rapport de forces favorable était « de plus en plus incertaine. »
« De nombreuses bases américaines et alliées dans la région Indo-Pacifique sont exposées à une possible attaque de missiles par la Chine et manquent d’infrastructures renforcées. Les munitions et les approvisionnements déployés à l’avenir ne sont pas adaptés aux besoins de la guerre et, ce qui est inquiétant, la capacité logistique des États-Unis a fortement diminué », avait relevé cette étude.