Accélérer la production, cette rupture qu’espère le ministre des Armées pour 2025

Accélérer la production, cette rupture qu’espère le ministre des Armées pour 2025

– Forces opérations Blog – publié le

L’année 2025 sera synonyme de « ruptures puissantes », assurait hier le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Parmi ces axes d’effort, une montée en cadence de la production d’armement qui exigera de gagner en audace, en simplification, en agilité et en compétitivité tout en restant vigilant face à certaines entraves persistantes ou potentielles notamment à l’échelle européenne. 

« Nous ne devons pas faiblir ». Le ton adopté lors des traditionnels voeux aux armées aura été clair, direct, parfois tranchant. Sébastien Lecornu avait fixé un cap en 2024, celui d’un réarmement devenu nécessaire « alors que le monde devient de plus en plus désordonné et brutal, alors que la course aux technologies est de plus en plus rapide et dérégulée, alors que les menaces se cumulent pour notre sécurité ». 

De ce constat découlent des lignes directrices pour les 12 prochains mois. Ou, plutôt, des « ruptures puissantes pour nous donner des capacités militaires concrètes et efficaces que l’histoire décidera ou non de mettre à l’épreuve », annonçait le ministre des Armées depuis la cours des Invalides. L’une d’entre elles consistera à accélérer encore sur la production de matériels militaires, une dynamique appelant à la prise de risque « pour faire plus, pour faire mieux et pour faire plus vite » et dans laquelle certaines grandes nations alliées ou concurrentes à l’exportation ont pris de l’avance. 

Cette rupture, c’est le fondement d’une économie de guerre présentée en juin 2022, largement théorisée depuis lors mais seulement partiellement mise en œuvre aujourd’hui. Le doublement de production d’obus de 155 mm et de missiles MISTRAL, ou encore le nouvel outil de production qu’EURENCO inaugurera à Bergerac au printemps en sont de trop rares exemples. « Soyons lucides, nous ne sommes qu’au début de ce que nous devons accomplir pour être au niveau d’une véritable économie de guerre », admettait Sébastien Lecornu tout en déplorant des freins « encore trop nombreux ». 

Parmi les chantiers à poursuivre, un agenda européen de soutien à l’industrie de défense « utile » mais dont la construction n’exclut pas, du moins pour l’instant, le spectre d’un cheval de Troie américain. Effort principal, le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP), vise certes à muscler l’autonomie mais pose la question de l’appui financier à la production d’équipements sous licence américaine. Un hiatus dont la France s’est emparée de longue date et qui se maintient à l’heure où la Pologne prend la tête du Conseil européen pour les six prochains mois. 

« Nous ne céderons rien », assure le ministre des Armées. Il est désormais impératif, pour ce dernier, que le pilotage des priorités reste dans les mains des États membres, que les autorités européennes participent à accélérer et simplifier le fonctionnement de la filière plutôt que de se substituer aux États par de nouvelles contraintes. Garantir l’équilibre des pouvoirs dans un secteur régalien, « c’est tout l’enjeu de la négociation en cours sur EDIP ». Et « en la matière, il vaut mieux ne rien faire que de faire mal », martelait Sébastien Lecornu. 

Autre chantier majeur, le financement des entreprises de défense s’avère plus que jamais nécessaire pour « investir dans de nouvelles machines, dans des stocks plus importants, dans la formation et, bien sûr dans les recrutements ». Ici aussi, l’Europe s’expose au tacle ministériel. « La taxonomie européenne actuelle génère encore un effet d’éviction au financement de nos entreprises de défense. Cela n’est pas acceptable ». Derrière ce combat mené à l’Europe, le degré national fera l’objet d’une réunion au premier trimestre 2025 des acteurs du financement et de l’industrie pour préciser les modalités de mise en oeuvre de nouvelles mesures incitatrices. 

L’export, parallèlement, « est vital pour développer notre base industrielle et technologique de défense ». Celle-ci s’en est bien sortie l’an dernier, avec plus de 18 Md€ de prises de commandes dont près de 10 Md€ pour des plateformes emblématiques. Si 2024 restera la deuxième meilleure année de l’histoire de la BITD française, « l’année 2025 s’annonce comme une excellente année », poursuivait Sébastien Lecornu avant de confirmer l’achat par l’Irak de 14 hélicoptères Caracal. 

Une nouvelle année record doit se profiler à l’horizon selon le ministre, à condition de transformer les essais sur les bâtiments de surface – « de frégates de défense et d’intervention en particulier » -, l’artillerie, les radars, les hélicoptères. L’effort portera également sur un système SAMPT NG « qui répond fondamentalement aux prochaines menaces balistiques notamment venues d’Iran et de Russie ». Pour s’en assurer, la BITD doit néanmoins gagner en compétitivité. L’exigence matérielle des clients s’assortit en effet de nouveaux critères de contraction des prix et des délais. Ce à quoi, justement, l’accélération visée pour l’an prochain tend à répondre. 

Crédits image : X/Sébastien Lecornu

Conférence d’Alain Juillet : “Fondements et frontières de la souveraineté numérique”

AASSDN – publié le 1er janvier 2025

https://aassdn.org/amicale/conference-d-alain-juillet_fondements-et-frontieres-de-la-souverainete-numerique/


Le monde est en train de changer en passant de la domination des occidentaux à celle des BRICS. Parallèlement après avoir cru à la mondialisation depuis 1990 nous rentrons dans la multipolarité dans laquelle chaque groupe de pays veut affirmer sa spécificité et recouvrer une souveraineté mise à mal par le système occidental.

La souveraineté c’est le droit absolu d’exercer une autorité législative, judiciaire ou exécutive sur une région, un pays ou un peuple. Comme l’a défini le général De Gaulle : Tout système qui consisterait à transmettre notre souveraineté à des aéropages internationaux serait incompatible avec les droits et devoirs de la république française.

Au niveau d’un pays elle peut être politique, territoriale, économique, militaire et, pour ce qui nous intéresse, numérique.

A ce stade il faut rappeler la définition du numérique : c’est une information qui se présente sous forme de nombres, associés à une indication de la grandeur physique à laquelle ils s’appliquent, permettant les calculs, les statistiques, et la vérification des modèles.

La souveraineté numérique c’est donc tout ce qui permet à un état ou une organisation d’établir son autorité, pour exercer ses pouvoirs dans le cyberespace, en couvrant des domaines comme le contrôle des données personnelles ou la dépendance technologique.

Pour aller plus loin il faut se souvenir qu’elle est de deux ordres :

  • La souveraineté numérique proprement dite concerne la propriété et fait référence à la capacité de gouverner l’infrastructure numérique. Elle permet de donner confiance aux citoyens, aux entreprises et aux administrations en contribuant à la protection de leurs données personnelles, professionnelles ou étatiques. On la mesure en identifiant au niveau des fournisseurs, des technologies, et des personnes, les endroits où un effet de verrouillage ou d’autres problèmes affectent ou peuvent affecter la souveraineté numérique
  • La souveraineté des données concerne le contrôle. Elle fait référence aux lois et à la gouvernance entourant la collecte et le stockage des données. Elle repose sur l’autorité permettant de détenir des données et sert en droit générique au service des nombreux aspects liés au traitement des données numériques entre protection chiffrement transmission et stockage. 

En France la RGPD établit ce qui est acceptable en matière de collecte de traitement et de stockage des données personnelles. On attend des entreprises qu’elles respectent la vie privée, qu’elles soient transparentes sur la manière de collecter et d’utiliser les données, et qu’elles leurs fournissent les outils dont elles ont besoin pour gérer leurs données.

Au niveau de l’UE dans le cadre du Digital Cyber Act mis en marche le 6 mars 2024, le commissaire européen Thierry Breton a fait adopter 3 textes : le Digital Operational Resilience Act (DORA) pour les financiers, le Digital Service Act (DSA) pour les contenus illégaux , et le Digital Market Act (DMA) pour protéger les utilisateurs européens et leurs données.

Cette souveraineté des données de l’UE est garantie par l’application de ces réglementations assurant leur protection quel que soit leur lieu de traitement ou de stockage. 

Elle développe la concurrence sur les marchés numériques avec les géants du secteur. Sa mise en œuvre au niveau des enquêtes qui démarrent va permettre des sanctions réelles : ainsi Apple risque 6% d’amendes sur son CA mondial pour abus de monopole. Mais les capacités de remplacement des GAFAM par des acteurs européens est loin d’être évidente d’autant que la commission se mobilise peu pour y contribuer comme on l’a vu par exemple pour Nokia.

En complément de la souveraineté numérique et des données, il faut évoquer l’IA souveraine qui est la capacité d’une nation à développer l’IA avec des talents locaux à différents niveaux, en fonction de sa stratégie nationale en matière d’IA. Elle fait référence au contrôle exercé par un gouvernement ou une organisation sur les technologies d’IA et les données pour l’adapter à ses besoins locaux en vue de préserver ses valeurs et sa surveillance réglementaire.

Comme l’a dit Joseph Wehbe au World Economic Forum de Davos : Tous les gouvernements devraient travailler à lancer et développer des ecosystèmes d’IA locaux pour piloter la compétitivité économique et préserver leurs propres valeurs.

Selon la définition de Francois Jolain, la souveraineté numérique repose sur 3 piliers :

– l’électronique que l’on fabrique (hardware) 
– les logiciels qui tournent (software),
– les logiciels qui offrent un service en ligne sur internet (cloud)

Le Hardware :

C’est la filière des infrastructures commençant par les serveurs dans les datacenters reliés par des câbles de fibres optiques à travers le monde et se terminant en périphérie par tous les appareils connectés.

Les GAFAM et les BATX investissent dans les infrastructures. Les câbles sont surveillés et interceptés non seulement par les pays traversés mais aussi sur leur parcours sous-marins.

L’ensemble repose sur l’utilisation massive de semi-conducteurs. Il y a quelques années Intel contrôlait la chaine avec un quasi-monopole. Aujourd’hui c’est très fragmenté mais la majeure partie de la fabrication se concentre sur l’Asie, principalement à Taiwan avec TSMC, Foxcom, et Mediatel mais il y en a aussi en Corée, au Japon, et en Chine avec Huawei.

La clé du process est dans la réalisation des puces. Les schémas de base sont vendus par ARM ou RISC-V en open source. La fabrication passe par un producteur sélectionné pour sa capacité selon l’épaisseur en nanomètre sachant que plus les transistors du circuit électronique sont fins plus on peut densifier le circuit et dissiper la chaleur. La plupart des producteurs font des puces de 7nm, soit environ 10.000 fois moins que l’épaisseur d’un cheveu, qui répondent à des besoins courants.

Les Hollandais d’ASML sont les seuls à faire des machines de gravure de 5nm. En position quasi monopolistique puisqu’elle est la seule capable de fabriquer des puces de 5nm, TSMC  est localisée dans la zone conflictuelle de Taiwan. Pour préserver la souveraineté numérique des occidentaux, les Américains ont obtenu la création de deux usines dans l’Arizona qui seront opérationnelles fin 2026. l’UE a également obtenu qu’une usine soit construite en Allemagne. Parallèlement on est obligé de constater que, depuis l’interdiction d’achat de puces taiwanaises et de machines ASML imposée par les Américains, la Chine rattrape son retard plus vite que prévu grâce à de très gros investissement dans la recherche avec l’aide de l’espionnage technologique.

Dépendre de puissances étrangères pour le hardware ouvre la porte à la surveillance et aux interceptions. On l’a vu avec Cisco pour la 4G et Huawei pour la 5G. Pour limiter le risque il faut avoir des entreprises capables de concevoir et de produire en France, comme ST Micro appuyé par des labos de recherche comme le CEA Tech à Grenoble qui intéresse nos concurrents. 

Le Software :

Il existe autant de logiciels tournant sur le hardware que d’usage, les plus critiques étant les systèmes d’exploitation (OS). Chacun crée une sorte de monopole car leurs applications sont conçues pour cet OS. De surcroit, plus il y a d’utilisateurs plus il y a d’applications ce qui attire plus d’utilisateurs. Le meilleur exemple est Microsoft qui propose un OS avec son ensemble d’applications permettant de répondre à tous les besoins.

Tout OS permet d’espionner son utilisateur directement ou par des back doors. C’est dans le software qu’apparaissent chaque semaine 5 000 virus nouveaux qui peuvent piller, détourner, copier ou détruire les données, ou encore organiser des demandes de rançons. Leur capacité peut aller jusqu’aux destructions massives avec des virus type Scada  comme Stuxnet et Olympic Games qui peuvent détruire des usines iraniennes ou couper des sources d’énergies comme la lumière de villes ukrainiennes.

D’un autre côté l‘exploitation des failles des OS et des applications ouvre des possibilités qui justifient les travaux de recherche pour les détecter et les éliminer.  L’open source qui réduit une partie du danger et de la dépendance est devenue la norme la plus utilisée. La Gendarmerie française qui utilise un OS, basé en open source, sur Linux en est un bon exemple.  

Le Cloud

Les Américains ont été les premiers à créer des clouds pour stocker des datas et créer nombre de services et logiciels en ligne. Le problème est venu des lois extraterritoriales des Etats-Unis qui permettent aux Services et administrations de pouvoir consulter et copier tout ce qui passe à travers ou utilise un élément américain.

De surcroit les différences de conception de la donnée, protégée en Europe mais commercialisée aux USA fait que des opérateurs comme, par exemple, Facebook, Tik tok ou Waze aspirent les données quand on les utilise.

Au-delà de son utilité indiscutable, le cloud est donc un endroit dangereux pour la sécurité des données si l’on n’y prend pas garde. Il faut toujours vérifier où sont localisés les datacenters et connaitre l’origine et les fonds du propriétaire du cloud. Ce risque réel a provoqué la création de clouds souverains européens et nationaux aux résultats variables car la concurrence est rude avec ceux d’outre atlantique qui sont en général moins coûteux et plus performants.

En réalité, si l’on veut vraiment sécuriser ses données, la solution passe par une évaluation hiérarchisée des données mises dans le cloud. On peut confier à un cloud américain ou international celles dont la diffusion ne représente aucun risque, à un cloud national celles qui sont très importantes ou essentielles, et à un cloud européen celles qui sont entre les deux.

La pratique montre que nous en sommes loin pour deux raisons ;

  •  Après l’échec du projet Andromède, la France ne dispose que d’un nombre très restreint de clouds souverains performants. De plus on est obligé de constater que les tentatives d’entrées en bourse d’OVH  pour se renforcer ont été perturbées selon un processus que l’on a déjà connu chaque fois que cela pouvait pénaliser des entreprises américaines.
  • En dépit des alertes et sensibilisations l’État et de nombreuses grandes entreprises continuent à traiter avec des clouds et des sociétés américaines dans des domaines variés comme la santé les impôts ou les énergies.

Au-delà du législatif, incluant la certification et les réglementations en vigueur, de l’optimisation de la chaine opérationnelle, et de la protection des données, le maintien de la souveraineté numérique implique l’utilisation de la cyberdéfense défensive et offensive face aux prédateurs de toute sortes et de toutes origines. Face à une évolution continue des technologies et des modes d’actions utilisés par les Etats, certaines entreprises et les groupes criminels, c’est un complément indispensable pour sécuriser sa position, qui utilise des outils conçus pour cette mission.

L’efficacité de la cybersécurité suppose une définition des objectifs à atteindre, un cadrage du périmètre et une identification préalable des vulnérabilités de l’entreprise. A ce stade il faut viser large en commençant par les modes de travail, les outils et leur utilisation, les bonnes pratiques, sans oublier les actions de prévention. Il ne faut jamais oublier que sans une politique de prévention on subit. Ajoutons que le développement de la mobilité et des outils nomades renforce l’importance des communications sécurisées et les risques d’interceptions.

 Vouloir une souveraineté numérique demande non seulement d’anticiper mais aussi de répondre aux attaques qui se multiplient. Ainsi en 2023 :

  • 69% des attaques ciblaient des entreprises
  • 20% des collectivités territoriales
  • 11% des établissements de santé

Sommes-nous numériquement souverains quand :

– en janvier 2024 l’hôpital Simone Veil de Cannes est attaqué par un ransomware et le groupe Ramsay santé subit une attaque conjointe dans deux établissements

– en février France Travail subit un malware infiltré ses systèmes informatiques

– en avril Saint-Nazaire subit une attaque qui paralyse les systèmes d’information et les services municipaux tandis qu’à Pont-à-Mousson la communauté de communes doit faire face à un cryptovirus

– en mai Engie subit une cyberattaque du groupe Lapsus tandis qu’Intersport se fait voler 52 Go de données sensibles.

– et pendant tout ce temps la SNCF et la Société générale affrontent des actions de pishing sur les clients qui continuent encore aujourd’hui

Les fondements et les frontières de la souveraineté numérique concernent aussi bien la data que la régulation, l’innovation que la cyberdéfense, sans oublier la puissance numérique dans tous les domaines que nous venons d’évoquer. Leur énumération et les problèmes rencontrés démontre qu’il est impossible pour un pays comme la France mais également pour l’Europe de contrôler toute la chaine. Notre souveraineté ne peut donc être totale. Elle ne peut être que partielle et sélective car certaines composantes doivent être partagées ou transférées. C’est à travers la liberté de choisir ce qui est transférable que s’exerce la véritable souveraineté. Le but ultime étant la protection du pays et la capacité d’assurer les fonctions essentielles à son bon fonctionnement. Cette option est donc réalisable en se focalisant sur certains niveaux et certains domaines comme les logiciels dans le software et dans le cloud ou sur des secteurs stratégiques.

Mais n’oublions pas l’évolution permanente des techniques et outils. L’arrivée du quantique risque de remettre en cause toute une partie de notre analyse et des éléments potentiels de souveraineté. Pouvant gérer d’énormes ensembles de données beaucoup plus efficacement, il va changer notre futur technologique dans de nombreux secteurs. De surcroit, il faut être conscient que ces innovations et leurs applications variées vont être amplifiée par l’intelligence artificielle.

Alain JUILLET
Conférence prononcée par le président de l’AASSDN
Producteur de la chaine Open Box TV

http://openboxtv.fr/emissions/

Le Pentagone dévoile son programme d’investissement pour 2025

Le Pentagone dévoile son programme d’investissement pour 2025

Le Pentagone vient de dévoiler ses priorités d’investissement pour l’année suivante. Sans surprise, il se tourne vers des technologies de pointe pour assurer un approvisionnement suffisant aux États-Unis.

par Cédric Bonnefoy – armees.com – publié le

pentagone-programme-investissement-2025
Le Pentagone dévoile son programme d’investissement pour 2025 | Armees.com

En 2025, le Pentagone va continuer d’investir dans de nombreuses technologies, ciblant celles jugées vitales pour les États-Unis.

Le Pentagone lève le voile sur son programme d’investissement pour 2025

Une fois de plus, il s’agit d’une stratégie ambitieuse et minutieusement élaborée pour renforcer la sécurité nationale des États-Unis, sans oublier de stimuler l’innovation technologique. Cette initiative est orchestrée par le Bureau du Capital Stratégique (OSC), créé en 2022 sous l’impulsion du secrétaire à la Défense Lloyd Austin. Son objectif est clair : canaliser les ressources du secteur privé vers des technologies de pointe essentielles à la défense nationale et à l’avantage stratégique des États-Unis.

Le programme d’investissement 2025 du Pentagone cible principalement quinze segments industriels jugés critiques pour la sécurité nationale. Il inclut donc des domaines comme la fabrication de microélectronique, la biomanufacture, les technologies spatiales et les capteurs avancés. Ces priorités reflètent une vision stratégique à long terme visant à réduire les dépendances, à renforcer les chaînes d’approvisionnement et à anticiper les besoins de défense à l’échelle mondiale, mais surtout aux États-Unis.

Selon le rapport, l’investissement dans l’espace est considéré comme crucial pour maintenir un avantage concurrentiel face aux autres puissances mondiales. L’accent est mis sur le développement de vaisseaux spatiaux et de systèmes associés, qui joueront un rôle central dans la surveillance, la communication et la sécurité globale. Parallèlement, la biochimie, notamment la biomanufacture, est identifiée comme une industrie clé pour produire des solutions innovantes dans de nombreux domaines.

Le secteur privé mis à contribution

Depuis sa création, l’OSC déploie plusieurs outils financiers pour dynamiser les investissements dans ces secteurs critiques. Parmi les initiatives phares figure le programme SBICCT (Small Business Investment Company for Critical Technology), visant à attirer des capitaux privés vers les entreprises spécialisées dans les technologies de défense. En 2024, l’OSC a approuvé 13 fonds privés dans le cadre de ce programme. En octobre dernier, l’organisation a également annoncé un programme de prêts directs de 1 milliard de dollars destiné aux entreprises engagées dans la fabrication de composants de défense stratégiques. Cette initiative vise à surmonter les « points de strangulation » des chaînes d’approvisionnement et à accélérer la production dans 31 technologies critiques.

La stratégie du Pentagone s’étend sur plusieurs strates, des investissements immédiats à ceux s’échelonnant sur quinze ans. À court terme, l’objectif est de réduire les dépendances stratégiques et de sécuriser les approvisionnements essentiels. À moyen terme, soit entre deux et sept ans, l’OSC prévoit de renforcer la production américaine et alliée dans les technologies clés, notamment par des collaborations internationales. Enfin, à long terme, l’accent sera mis sur la commercialisation et la durabilité des innovations technologiques, permettant aux avancées de s’imposer durablement sur le marché.

Un rapport met en garde contre un possible conflit entre Israël et la Turquie

Un rapport met en garde contre un possible conflit entre Israël et la Turquie

https://www.opex360.com/2025/01/07/un-rapport-met-en-garde-contre-un-possible-conflit-entre-israel-et-la-turquie/


Le 6 janvier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a mis en garde contre toute partition de la Syrie, où Ahmad el-Chareh [alias Abou Mohammed al-Joulani], le chef de l’organisation Hayat Tahrir al-Cham [HTS, ex-Front al-Nosra, autrefois lié à al-Qaïda], a pris le pouvoir avec l’appui de groupes armés pro-turcs réunis au sein de l’Armée nationale syrienne.

« Nous ne pouvons permettre sous aucun prétexte que la Syrie soit divisée et si nous constatons le moindre risque nous prendrons rapidement les mesures nécessaires. […] Nous en avons les moyens », a en effet déclaré M. Erdogan.

A priori, cet avertissement concerne les Forces démocratiques syriennes [FDS], constituées essentiellement de combattant kurdes qu’Ankara accuse d’être en relation avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], considéré comme étant une formation terroriste. Et, au-delà, aux États-Unis, qui les soutiennent.

« Il n’y a pas de place pour la terreur et ceux qui soutiennent le terrorisme seront enterrés avec leurs armes », a précisé le président turc. « Si le risque se précise, nous pouvons intervenir soudainement, en une nuit », a-t-il ajouté, reprenant ainsi l’une de ses formules usuelles. « Nous en avons la capacité », a-t-il insisté.

Cette déclaration a été faite alors que des affrontements entre les combattants kurdes syriens et les groupes armés affiliés à Ankara venaient de faire une centaine de tués dans les environs de la ville de Manbij.

Cela étant, la mise en garde de M. Erdogan pourrait aussi s’adresser à Israël qui, à la suite de la chute du régime de Bachar el-Assad, a lancé une incursion armée dans la partie syrienne du plateau du Golan. Or, pour le moment, les intentions israéliennes demeurent floues.

Il s’agit d’une « mesure limitée et temporaire prise pour des raisons de sécurité », avait assuré Gideo Saar, le ministre des Affaires étrangères de l’État hébreu. Sauf que, de son côté, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou a promis que le « Golan ferait parti de l’État d’Israël pour l’éternité ».

Quoi qu’il en soit, cette incursion ne va pas améliorer les relations entre Israël et la Turquie, celles-ci étant à couteaux tirés depuis que M. Erdogan a menacé d’intervenir contre Tsahal, en juillet dernier.

« Nous devons être très forts pour qu’Israël ne puisse pas faire ces choses ridicules à la Palestine. Tout comme nous sommes entrés au Karabakh, tout comme nous sommes entrés en Libye, nous pourrions faire la même chose. Il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas le faire… Nous devons être forts pour pouvoir prendre ces mesures », avait-il affirmé, lors d’une réunion de l’AKP, le parti dont il est issu. En clair, il suggérait l’envoi de mercenaires, recrutés parmi les groupes rebelles syriens alignés sur les intérêts turcs.

Visiblement, les propos de M. Erdogan ont été pris au sérieux par la commission Nagel, laquelle réunit douze experts des questions militaires et sécuritaires [dont l’ex-général Jacob Nagel, qui lui a donné son nom]. Sa mission est de conseiller le gouvernement israélien en formulant des recommandations sur les orientations en matière de défense.

Ainsi, dans le dernier rapport sur le budget de la défense et la stratégie de sécurité qu’elle a remis le 6 janvier, et selon le résumé qu’en a fait le Jerusalem Post, la commission Nagel estime qu’Israël doit se préparer à une « confrontation directe avec la Turquie ».

« L’ambition de la Turquie de restaurer l’influence qu’elle avait à l’époque ottomane pourrait conduire à des tensions accrues avec Israël, ce qui pourrait dégénérer en conflit », estime la commission Nagel. En outre, le fait qu’il y ait des factions syriennes alignées sur Ankara est de nature à « créer une menace nouvelle et puissante pour la sécurité d’Israël ». Une menace qui pourrait même être encore « plus dangereuse » que celle incarnée par l’Iran.

Aussi, la commission Nagel recommande d’augmenter le budget de la défense de 15 milliards de shekels [3,98 milliards d’euros] par an au cours des cinq prochaines années afin de s’assurer que les forces israéliennes « soient équipées pour faire face aux défis posés par la Turquie et à d’autres menaces régionales ».

La 155e brigade mécanisée ukrainienne a égaré ses soldats entre la France et le front

La 155e brigade mécanisée ukrainienne a égaré ses soldats entre la France et le front

Un canon Caesar de la 155e brigade en action (photo E. CHAZE)

La saga de la brigade mécanisée ukrainienne « Anne de Kiev » (155e brigade) n’est pas aussi glamour qu’escomptée. Baptisée du nom de l’épouse du roi de France Henri Ier, cette brigade en partie équipée et formée en France par l’armée française s’est donné pour devise le mot d’ordre de la bataille de Verdun : « Ils ne passeront pas ».

Or, selon Yurii Butusov, rédacteur en chef du média ukrainien Censor.net, il y a loin de la coupe aux lèvres. En effet 1 700 de ses 4 500 soldats auraient déserté. Sa dotation en drones, en munitions, en moyens de guerre électronique serait largement insuffisante. Ses pertes, dès son déploiement près de la ville de Pokrovsk (sud du Donbass) que les Russes menacent depuis des mois, ont été conséquentes.

« Des personnes, de l’argent et du temps ont été consacrés à la formation de cette unité. Mais elle ne peut en fait pas être utilisée en raison de sa faible efficacité au combat »résume Butusov qui blâme le président Zelensky, son ministre de la Défense Oumerov et le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Syrsky. Dans un article du 1er janvier, le journaliste dénonce un fiasco notoire qui a poussé, en décembre, le Bureau du procureur national ukrainien à ouvrir une procédure pénale concernant les circonstances de la formation de la 155e brigade mécanisée dont l’état-major, trois bataillons d’infanterie et leurs appuis (génie, artillerie, défense sol-air et reconnaissance) ont été formés en France, soit environ 2 000 hommes, à 90 % des conscrits sans expérience du combat. Le reste de l’unité a été formé en Pologne et en Ukraine.

Des soldats reconnaissants

Sur le front du Donbass, les soldats du bataillon d’artillerie de la brigade, équipés de canon Caesar, se confondent en remerciements envers la France.

Le chef du bataillon d’artillerie, dit « Apôtre » (photo Emmanuelle Chaze)

Le commandant du bataillon, nom de code «Apôtre», s’agace même des accusations de Butusov : « Mon boulot, ce n’est pas de commenter les décisions des politiques, de me plaindre de ce qu’on a ici ou pas. Mon boulot, c’est de faire un bon travail avec mes hommes. En attendant tout de l’armée et en se plaignant: du genre «Ils ne nous ont pas donné de téléphone satellitaire Starlink» etc…, ça ne marche pas! Moi j’ai eu mon Starlink grâce à des bénévoles. L’État ne peut pas tout, l’Etat saigne: les gens doivent comprendre ça! ».

Kiev prend des mesures

Les révélations de Butusov ont fait réagir jusqu’au sommet de l’État. Face aux révélations, décision a été prise par le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, le général Sirskiy, d’approvisionner immédiatement la 155e brigade en drones supplémentaires, afin de pallier tout déficit en systèmes cruciaux.

Lundi, il a aussi dépêché le tout nouveau commandant de l’armée de Terre Mykhailo Drapatyi près de la ligne de front, à la rencontre de la 155e et d’un groupe de journalistes français dont la correspondante d’Ouest-France, Emmanuelle Chaze.

Mykhailo Drapaty lors du point presse de lundi avec des journalistes français (Photo by Genya SAVILOV / AFP)

Malgré sa bonhomie, le major général Drapatyi a concédé, lundi, des problèmes structurels au sein de l’armée ukrainienne : « Il y a des problèmes de personnel, de préparation et de composition des unités. Nous les analysons, nous en tirons des conclusions. Et ce qui ressort de la négativité nous sert d’expérience. Soyons francs, il n’y a pas d’autre exemple actuellement de brigade bâtie de zéro, et dont on attend de bons résultats à chaque étape, sans qu’elle rencontre certains problèmes. Ces problèmes, ils sont en passe d’être résolus. »

Le commandant de l’armée de Terre ne nie pas non plus des désertions  (une cinquantaine en France selon une source militaire française, le reste en Ukraine selon Butusov). Mais il refuse de commenter leur nombre, tout en distinguant entre les abandons de postes à l’arrière ou à l’entraînement et la désertion qui voit l’abandon par un soldat de ses camarades sur une position de combat. « Il existe plusieurs formes d’abandon dans les unités militaires, mais il y a aussi des raisons à cela, dont la peur, et un manque d’expérience pratique dans la conduite des hostilités. C’est à cela que nous devons travailler, et je suis certain que ce qui a été dit sur la brigade sera bientôt réfuté. »

Le système monétaire international : quelles perspectives pour le dollar ?

Le système monétaire international : quelles perspectives pour le dollar ?

par Charbel Cordahi, Grenoble École de Management (GEM)Revue Conflits – publié le 6 janvier 2025


Le dollar domine largement les échanges mondiaux. Mais des monnaies concurrentes émergent, en Chine ou en Europe, sans oublier les cryptomonnaies. Va-t-on vers la fin de la suprématie du dollar ?

Le système monétaire international, dominé par le dollar, est l’objet de préoccupations croissantes. D’une part, de nouvelles puissances cherchent à s’affranchir du billet vert ; d’autre part, la prépondérance du dollar dans la facturation des échanges mondiaux et l’émission de dette dépasse largement la part des États-Unis dans l’économie et le commerce internationaux.

Les facteurs expliquant la prédominance du dollar sont bien connus : les États-Unis sont une grande économie ouverte au commerce et aux capitaux. Ils ont de vastes marchés financiers, constituent une superpuissance militaire et politique, et leurs universités produisent d’excellents diplômés et travaux de recherche, entre autres.

Depuis que le dollar a remplacé la livre sterling en tant que monnaie de réserve internationale après la Première Guerre mondiale, il n’a cessé de consolider son statut. Cette domination ne découle pas seulement du rôle international des États-Unis, mais aussi de l’absence d’alternatives suffisantes en titres publics de première qualité, que les investisseurs peuvent détenir comme actifs sûrs et que les banques centrales peuvent conserver sous forme de réserves de change.

Même lorsque des crises trouvent leur origine aux États-Unis, l’importance du dollar ne diminue pas. Au contraire, il attire des capitaux étrangers en quête de sécurité et répond, grâce aux accords de swap de devises, aux besoins des banques centrales des pays partenaires des États-Unis, qui parviennent ainsi à fournir des dollars à leurs systèmes bancaires.

Des défis considérables

Sur le plan international, la rivalité avec le dollar s’est intensifiée depuis les années 2000 en raison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, en raison du renforcement de la structure institutionnelle de l’euro et de la volonté des autorités monétaires européennes de soutenir la monnaie unique par tous les moyens.

Ensuite, par le rôle grandissant du renminbi chinois, qui devient de plus en plus utilisé pour la facturation des échanges mondiaux. Cette évolution est encouragée par la création de mécanismes de swaps en renminbi et par l’augmentation du poids de la monnaie chinoise dans le panier des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI.

Un troisième élément est l’essor des monnaies numériques, qui pourrait inciter les agents économiques à réduire leur utilisation du dollar pour leurs réserves, ainsi que l’apparition de nouveaux systèmes de paiement, facilitant les échanges grâce à leurs faibles coûts de transaction.

Le prix de la puissance ?

À leur tour, les accords de swap entre banques centrales se multiplient, réduisant la dépendance au dollar américain dans les échanges financiers. À cela s’ajoute la recherche de rendements plus élevés par les banques centrales, qui allouent une part croissante de leurs investissements à des devises offrant des rendements plus intéressants que ceux libellés en dollar.

Un autre facteur est lié aux sanctions économiques imposées par les États-Unis à certains pays, ce qui pousse d’autres nations à diversifier leurs réserves loin du dollar, par crainte d’être elles aussi visées par des mesures similaires à l’avenir. Certains ont même proposé la création d’une monnaie des « pays du Sud global » en alternative au dollar (même si cette idée a peu de chances de succès en raison de l’hétérogénéité des contextes économiques, sociaux et politiques de ces pays).

Un sixième facteur découle de l’instabilité interne aux États-Unis et des débats récurrents sur le plafond de la dette publique, qui pourraient saper la confiance des investisseurs et gouvernements étrangers, les incitant à réduire leurs actifs en dollars. Enfin, l’augmentation des transactions de matières premières libellées dans d’autres monnaies que le dollar pourrait à son tour intensifier la concurrence avec la devise américaine.

Le paysage actuel

La part des réserves de change en dollar détenues par les banques centrales ne cesse de diminuer. À la fin des années 1990, le dollar comptait pour 71 % des réserves de change détenues par les banques centrales. Selon le FMI, au deuxième trimestre 2024, cette proportion a reculé à 58,2 %, suivi par l’euro (19,8 %). Pourtant, cette baisse de la part du dollar dans les réserves de change ne s’est faite que partiellement au profit du renminbi, avec seulement un quart de ce basculement allant vers la monnaie chinoise.

Une grande partie des réserves en dollars est investie dans des obligations d’État américaines, les investisseurs étrangers détenant environ un tiers des encours de titres du Trésor, contre près de la moitié il y a dix ans. Ce chiffre doit néanmoins être interprété avec prudence : en valeur, la baisse provient presque exclusivement de la diminution des encours détenus par la Chine, qui ont chuté de 548 milliards de dollars en 10 ans. Cette diminution a été contrebalancée par une hausse des placements d’autres pays, notamment le Royaume-Uni, qui a accru ses investissements de 573 milliards au cours de la même période.

Qui détient les billets de 100 dollars ?

Une autre façon de mesurer l’importance du dollar est d’examiner la détention des billets de banque. Les agents étrangers détiennent environ 50 % de la valeur des billets (monnaie papier) émis par la Réserve fédérale, avec 60 % des billets en circulation et 80 % des coupures de 100 dollars stockées hors des États-Unis.

L’influence du dollar est également visible à travers son rôle dans la facturation des échanges commerciaux à l’échelle internationale. Selon la Réserve fédérale, sur la période 1999-2019, le dollar était la monnaie de facturation de 96 % des factures dans les Amériques, de 74 % des factures dans la région Asie-Pacifique, et de 79 % des factures dans le reste du monde. La seule exception est l’Europe, où l’euro domine dans 66 % des cas.

Alors que les États-Unis ne représentent que 9 % du commerce mondial, le dollar demeure la monnaie la plus fréquemment utilisée pour les paiements transfrontaliers via le réseau Swift, avec une part supérieure à 45 %.

Le roi des échanges

Au niveau des banques internationales, environ 60 % des prêts et des dépôts à l’étranger sont libellés en dollars. De plus, 70 % des obligations émises en devises étrangères sont en dollar. Cette proportion est demeurée stable au cours de la dernière décennie.

Le dollar jouit également d’une part élevée dans les transactions de change. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), le dollar est impliqué dans environ 88 % des échanges de devises à travers le monde en avril 2022. Cette part est restée stable au cours des 20 dernières années.

Bien que le rôle du dollar soit en déclin relatif et que le système monétaire international évolue vers une multipolarité, il est très probable que le dollar maintiendra, au moins jusqu’en 2045, sa position dominante. Entre-temps, d’autres devises prendront une importance croissante, mais aucune ne remplacera le dollar, qui continuera à jouer un rôle majeur dans les échanges et la fixation des prix, ainsi que comme actif refuge.

À long terme, les choses pourraient évoluer. Le basculement vers un monde plus multipolaire sur le plan géopolitique, l’ascension de la Chine, la poursuite de l’intégration économique au sein de la zone euro, le renforcement des marchés financiers dans les pays du groupe BRICS, l’accroissement de l’endettement des États-Unis, ainsi que la montée en puissance des monnaies numériques, sont autant de facteurs qui pourraient réduire l’influence du dollar et fragiliser son statut actuel.The Conversation

Charbel Cordahi, Professeur de Finance & Economie, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Gulmurod Khalimov et Shamsud-din Jabbar : de l’armée au djihad

Gulmurod Khalimov et Shamsud-din Jabbar : de l’armée au djihad

par David GAÜZERE* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°670 / janvier 2025

https://cf2r.org/actualite/gulmurod-khalimov-et-shamsud-din-jabbar-de-larmee-au-djihad/

*Docteur en géographie, président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

Personne n’a vu venir Khalimov ; Jabbar, non plus.

Une fois de plus, par simple hostilité chronique et aveugle, faute d’une coopération insuffisante en matière militaire et de renseignement, les mondes russophone et occidental n’ont pu empêcher le départ de hauts-gradés de leur armée nationale vers l’Organisation État islamique (OEI).

L’attentat terroriste du 1er janvier 2025 à La Nouvelle-Orléans[1], commis par Shamsud-Din Jabbar, un ancien sergent-chef de l’armée américaine, auparavant distingué pour sa bravoure dans le combat contre le terrorisme islamiste en Afghanistan, rappelle dix ans plus tard la défection du colonel tadjik Gulmurod Khalimov, ancien commandant des OMON[2] du Tadjikistan, auparavant lui aussi passé un bref instant en stage dans l’armée américaine, dans le cadre de la lutte anti-terroriste, puis par la société militaire privée (SMP) américaine Blackwater.

Khalimov et Jabbar se connaissaient-ils ? Nous ne pourrons jamais obtenir de réponse à cette question. Pourtant, issus de parties différentes du monde, Khalimov et Djabbar présentaient, outre l’adhésion à la cause djihadiste, de nombreuses similitudes dans leur parcours professionnel et leur processus de radicalisation.

Il serait désormais temps que les États visés par le terrorisme oublient un instant leurs divergences pour analyser les causes, les processus et les effets communs ayant conduit des militaires entrainés à passer au service du djihad (dont les deux protagonistes cités sont l’image éclatante), apportant leur expérience à la cause islamiste et menaçant nos sociétés. Une coopération militaire internationale sur cette question est un enjeu vital pour la préservation de l’ensemble de nos sociétés contre les actions terroristes, qu’il s’agisse d’actes individuels ou collectifs.

 

Gulmurod Khalimov

Gulmurod Khalimov est né dans la région de Varzob au centre du Tadjikistan en 1975. Pendant la guerre civile dans son pays, il a combattu aux côtés du Front populaire du Tadjikistan (forces armées du président Emomali Rakhmon) et a servi dans la garde présidentielle.

A partir de 1997, il rejoint la police anti-émeute du ministère de l’Intérieur en tant que soldat ordinaire. Il reçoit de nombreuses récompenses d’État, devient tireur d’élite, grimpe tous les échelons, est diplômé de l’Académie supérieure du ministère de l’Intérieur du Tadjikistan et atteint le grade de colonel. En 2003, il effectue un stage militaire en Russie, puis participe à des opérations contre des groupes d’opposition armés dans la vallée de Racht en 2009 et à Khorog en 2012.

En tant qu’officier des OMON, entre 2003 et 2014, Khalimov a participé à cinq cours de formation antiterroriste au Tadjikistan et aux États-Unis, organisés par le département d’État dans le cadre d’un programme d’aide à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité diplomatique. Cette information a été rapportée par Khalimov lui-même dans une vidéo diffusée par l’OEI et confirmée par le département d’État américain.

Le 23 avril 2015, il a cessé de se présenter au travail. En mai 2015, une vidéo de Furat, la chaîne TV de l’OEI en Syrie, est apparue sur les réseaux sociaux avec un message en russe de Khalimov, qui déclarait s’être rangé du côté de l’OEI. Il a accusé les autorités tadjikes de dénigrer et d’opprimer les musulmans. Il a également appelé les travailleurs migrants en Russie à ne pas être « les esclaves des infidèles », mais à devenir « les esclaves d’Allah », à rejoindre le djihad et l’OEI. Khalimov a ensuite promis de retourner au Tadjikistan et d’y établir la charia. En juin 2015, une photo de Khalimov blessé, sur un lit, plâtré et avec un bandage sur la tête, est diffusée sur Internet.

Le Bureau du procureur général du Tadjikistan a ouvert une procédure pénale contre Khalimov en vertu de trois articles du Code pénal : trahison envers l’État (article 305), participation à une communauté criminelle (partie 2 de l’article 187) et participation illégale à des conflits armés dans d’autres États. (partie 2 de l’article 401). Les autorités de Douchanbé ont qualifié Khalimov de « traître qui a trahi sa patrie, ses enfants et son père », de malade mental après son départ pour l’OEI. Le communiqué du Bureau du procureur a déclaré qu’il avait trahi le serment de l’officier, « exploitait l’argent des clients dans une performance vidéo » et qu’il justifiait les crimes des terroristes se cachant derrière l’islam. Khalimov a nié être fou. À la demande de son frère, Saïdmurod Khalimov (fonctionnaire du ministère de la Justice avec rang de lieutenant-colonel) lui proposant de revenir et de comparaître devant la justice, Khalimov a répondu que si son frère s’opposait à lui et devenait un « infidèle », il lui couperait la tête.

Dans une vidéo diffusée par l’OEI, Khalimov a traité les Américains de « porcs », les accusant de détruire l’islam et déclarant qu’il s’était rendu trois fois aux États-Unis et avait vu des Américains entraîner leurs soldats « à tuer des musulmans ». Le département d’État américain s’est dit préoccupé par le fait que les compétences acquises par l’ancien officier des OMON pourraient être utilisées contre les États-Unis eux-mêmes[3].

En 2015, Khalimov a été sanctionné par le département d’État américain et en 2016 par le Conseil de sécurité de l’ONU. En août 2016, le département d’État américain a offert une récompense pouvant aller jusqu’à trois millions de dollars pour toute information permettant de le localiser.

En septembre 2016, Khalimov est devenu le chef militaire de l’OEI et « ministre » de la Guerre, en remplacement du Tchétchène Omar al-Chichani, précédemment tué.

Le 8 septembre 2017, le ministère russe de la Défense a annoncé que Khalimov était mort lors d’un raid des forces aériennes russes dans la région de Deïr ez-Zor dans l’est de la Syrie.

 

Shamsud-Din Jabbar

Le terroriste de La Nouvelle-Orléans, Shamsud-Din Jabbar (ou Shamud-Din Bahar Jabbar) est né le 26 octobre 1982, à Houston au Texas dans une famille afro-américaine, pratiquante baptiste assidue. Son père s’est ensuite converti à l’islam, changeant son nom de famille de Young en Jabbar et donnant également à certains de ses enfants des prénoms arabes. Pourtant, les membres de la famille ont continué à mener une vie essentiellement laïque et ceux restés chrétiens, dont sa mère, ont continué à fréquenter une église baptiste locale.

Shamsud-Din Jabbar a vécu une grande partie de son enfance à Beaumont dans l’est du Texas. Il a ensuite servi dans l’armée américaine entre 2007 et 2015 (puis dans la réserve jusqu’en 2020), où il était spécialiste des ressources humaines et des technologies de l’information. Il a été déployé en Afghanistan en 2009, où il a atteint le grade de sergent-chef, avant d’être libéré de sa mission avec les honneurs un an plus tard[4]. Il a ensuite fréquenté l’Université d’État de Géorgie de 2015 à 2017, avant de devenir en 2020 agent immobilier.

D’après les contacts en Afghanistan de l’expert russe Andreï Serenko, Jabbar aurait cependant effectué, après 2020, un ou plusieurs voyages « discrets » pour « suivre une formation dans deux camps de l’OEI-K, dans la province de Nangarhar, dans l’est de l’Afghanistan ». Là, il aurait fréquenté les centres de formation de l’OEI-K dans les districts d’Atchin et de Shinwar, « où seraient créés des groupes spéciaux pour former des terroristes censé mener ensuite des attaques terroristes ciblées sur le territoire des États-Unis ». Il ne serait pas le seul citoyen américain à y être passé, puisque « les formations dans le cadre de ce programme s’effectuent généralement en groupes de trois, cinq ou sept personnes. Les membres de chacun de ces groupes ne connaissent que leurs associés ; ils ne croisent pas les membres d’autres groupes. Cela permet de garantir un haut niveau de secret : l’échec d’un groupe n’affectera en rien les autres »[5].

Le drapeau djihadiste de l’OEI trouvé à l’arrière de son pick-up, monté à l’envers, montre que Jabbar ne connaissait toutefois pas l’arabe et que le processus de radicalisation, certes très avancé, était donc toujours en cours.

 

Les enseignements pour la communauté internationale

La comparaison de ces deux profils, différents de par leur origine et leur pedigree professionnel, est cependant intéressante à établir pour l’étude de deux points précis :

L’analyse de leur radicalisation rapide. Elle s’est produite en quelques mois et est similaire au processus de radicalisation de nombreux autres combattants djihadistes, y compris d’anciens militaires. Elle pose les mêmes questions partout dans le monde. Cette radicalisation est-elle initialement intervenue par Internet ou par des passages sur les terrains du djihad ? Pourquoi ces signaux n’ont pas été découverts par les armées nationales ? Comment détecter le plus en amont possible tout phénomène de takiia (dissimulation) dans les armées nationales ? Comment prémunir tout phénomène d’entrisme islamiste et protéger tout secteur sensible dans les armées sans tomber dans la discrimination religieuse vis-à-vis de l’islam ?

Le transfert des techniques et des secrets militaires des armées aux organisations djihadistes. En effet, contrairement à Al-Qaïda et à la plupart des filiales de l’OEI, continuant d’agir selon un schéma d’actions classiques reposant sur la guérilla, le rapt et la rançon, la garde prétorienne du « calife » Omar al-Baghdadi, constituée de combattants russophones, puis l’OEI-Khorasan (OEI-K), ont apporté une technicité opérationnelle et logistique avancée au djihadisme international, grâce à leur expérience acquise au sein de l’Armée rouge,

Ce transfert de compétence s’est d’abord fait au profit des mouvements djihadistes locaux, qui sont devenus après 2014 les filiales de l’OEI-K : en 1997, Djuma Namangani, ex-parachutiste ouzbek des troupes spéciales rejoint le Mouvement islamiste d’Ouzbékistan (MIO) ; il sera suivi en 2006, par l’ancien ministre tadjik des Situations d’urgence, le lieutenant-général Mirzo Ziioiev en 2006,

Puis, à partir de 2015, Khalimov rejoint l’OEIK ; en 2016, c’est au tour de l’Ouzbek kirghizstanais Soukhrob Baltabaev, alias Abou Rofik, fondateur de la SMP djihadiste Malhama Tactical. Ils seront imités par de hauts cadres locaux (provenant du Haut-Badakhchan tadjik) des OMON et du Commando Alpha du ministère de l’Intérieur du Tadjikistan…, tous passés du jour au lendemain avec armes, bagages, hommes et expérience militaire au service du djihad.

En raison de leurs compétences reconnues par l’OEI, ces combattants russophones se sont vu confier des postes et des missions spécifiques, notamment, à partir de 2014, la direction de l’armée de l’air de l’OEI en Syrie, après la prise de quatre appareils (Sukhoï et Mig) sur la base aérienne d’al-Tabka, près de Deïr Ez-Zor. Les combattants tadjiks ont par ailleurs créé, deux ans plus tard, Malhama Tactical, la première SMP offrant ses services – contre rémunération – de logistique, de formation et d’entraînement aux unités combattantes de l’OEI, puis aujourd’hui de l’OEI-K.

Les combattants tadjiks, réputés pour leur bravoure au combat, étaient alors directement rattachés à l’OEI-Central et non pas à l’OEI-K, qui existait pourtant déjà, assurant la garde prétorienne d’Al-Baghdadi[6]. La nomination de Khalimov comme « ministre » de la Guerre de l’OEI en 2016 a parachevé la domination des Tadjiks sur les structures militaires de l’organisation terroriste en Syrie. La chute de l’OEI à Baghuz, en Syrie, en mars 2019, a ensuite amené les combattants tadjiks les plus aguerris à s’installer au nord de l’Afghanistan et à agir depuis pour le compte exclusif de l’OEI-K et de ses filiales (Mouvement islamiste d’Ouzbékistan, Ansarullah, Djund al-Khalifat[7]…).

Quelques années plus tard, fin 2024, des unités combattantes du Parti islamiste du Turkestan (PIT) et d’Al-Tawhid wal-Djihad (plus communément appelé Djannat Ochiklari) restées près d’Idlib en Syrie, ont été les fers de lance de la prise de la ville d’Alep, puis de la chute du régime de Bachar al-Assad[8].

Plus inquiétant encore est le démantèlement partiel du SORM[9], dû à la privatisation de certaines de ses fonctions au Tadjikistan et au Kirghizstan. Il n’est en effet pas exclu que parmi les nouveaux sous-traitants chargés de ces missions, il y ait des hommes à la religiosité prononcée, qui pourraient communiquer à l’avenir des renseignements importants collectés par ces deux États – voire par d’autres – à l’OEI-K.

Si Shamsuddin Jabbar n’a probablement jamais rencontré Gulmurod Khalimov, il est certain que le colonel tadjik devenu djihadiste a représenté pour lui un exemple à imiter. Depuis la défaite de l’État islamique en Syrie en 2019, l’ancienne filiale Khorasan de l’OEI a hérité des attributs de son ancienne maison-mère – selon la volonté et le testament d’al-Baghdadi – et a déplacé vers le nord de l’Afghanistan le siège central de l’organisation en charge de rétablir le « califat mondial ».

Jabbar aurait-il rencontré durant ses formations afghanes d’anciens hauts-gradés militaires tadjiks (voire ouzbeks) passés au service de l’OEI-K et de ses filiales ? Aurait-il échangé avec eux sur les dernières innovations tactiques et technologiques des armées dela région ?

Toujours est-il que l’étude comparée des parcours de Khalimov et de Jabbar nous apprend qu’il est aujourd’hui malheureusement évident que les djihadistes, tirent parti depuis longtemps des dissensions entre les pays occidentaux et ceux se trouvant dans les sphères d’influences russe et chinoise. Leur incapacité à coopérer efficacement et à aplanir leurs divergences diplomatiques pour combattre la pieuvre djihadiste permettent aux partisans du djihad de garder une longueur d’avance sur les États.

Les similitudes entre les cas de Khalimov et de Jabbar posent enfin la question de la fuite de savoir-faire sensibles des armées nationales. Après avoir acquis des connaissances et des savoirs, les terroristes les utiliseront contre elles, tant pour améliorer les performances des forces djihadistes que pour contrer celles des États grâce à la connaissance de leur organisation, de leurs tactiques et de leurs méthodes. Face à la radicalisation islamiste qui se développe dans tous les pays, le devoir de chaque État est de trouver urgemment des solutions pour s’en prémunir et de développer une coopération multilatérale et dépassant les clivages nationaux et diplomatiques traditionnels.


[1] 14 personnes sont tuées et près de 36 blessées avant que le criminel ne soit abattu par la police.

[2] Police anti-émeute et antiterroriste.

[3] Le 30 août 2016, le sous-secrétaire d’État adjoint américain, Kurt Rice, a souligné que Gulmurod Khalimov représentait réellement un danger pour les États-Unis et le Tadjikistan. « Au cours des formations, il s’est familiarisé avec les méthodes de lutte contre le terrorisme et peut mettre en pratique les compétences acquises, mais contre nous », a-t-il déclaré aux journalistes tadjiks lors d’une conférence téléphonique depuis Washington (https://rus.ozodi.org/a/27954849.html).

[4] Il a reçu plusieurs décorations, dont la Global War on Terrorism Service Medal, récompensant les soldats ayant participé la « guerre contre le terrorisme » après les attentats du 11 septembre 2001.

[5] https://t.me/anserenko/7679. Les allégations de Serenko ont été confirmées par l’agence d’information ouzbèke Vesti.Uz(https://vesti.uz/diversanta-protiv-ssha-podgotovili-v-afganistane).

[6] Giustozzi Antonio, The Islamic State in Khorasan, Éd. Hurst, Londres, 2018, p. 143.

[7] La France, lourdement affectée par les attentats terroristes islamistes par le passé, n’est bien sûr pas épargnée par la menace du « djihadisme technicisé ». C’est justement le Djund al-Khalifat, organisation djihadiste kazakhstanaise, devenue depuis 2015 une filiale de l’OEI-K, qui avait « formé » en 2011-2012 Mohamed Merah, exactement de la même manière que celle décrite par Serenko pour la « formation » de Jabbar par l’OEI-K treize ans plus tard. Fin 2024, lors de la prise d’Alep, on a appris que des combattants du groupe d’Omar Diaby (Omsen), dont un djihadiste français opérant en Syrie au sein d’Al-Qaïda depuis 2012, s’étaient illustrés dans la prise de la ville aux côtés du PIT, dont ils ont su utiliser les techniques.

[8] Composé de djihadistes ouïghours, le PIT est passé en novembre 2024 sous la tutelle d’Ansarullah, la filiale tadjike de l’OEI-K ; la Djannat Ochiklari est formée de combattants ouzbeks kirghizstanais de la ville d’Och (Kirghizstan), restée fidèle à Al-Qaïda.

[9] Le « Système dédié aux activités d’enquêtes opérationnelles » (SAEO), plus connu sous son acronyme russe SORM, est le plus important des systèmes de surveillance de haute technologie. Il comprend de nombreux moyens techniques utilisés pour surveiller le trafic entrant et sortant et effectuer des recherches opérationnelles sur les réseaux radiophoniques, télégraphiques, téléphoniques et Internet. Ce système permet notamment de garder une trace des informations transmises et d’écouter les conversations téléphoniques. Certaines parties du SORM ont été privatisées et réparties entre onze agences privées, le plus souvent des opérateurs téléphoniques. Au Tadjikistan, les sites web gouvernementaux, très mal sécurisés, sont souvent la cible d’attaques (en janvier 2016, le site officiel du ministère de l’Éducation et des Sciences avait été piraté et la page de titre remplacée par les symboles et l’hymne du groupe djihadiste baloutche Djundullah).

Grenades à fusil, viseurs et autres évolutions à l’étude pour le HK 416F

Grenades à fusil, viseurs et autres évolutions à l’étude pour le HK 416F


Le fusil d’assaut HK 416F en service dans les armées françaises pourrait bientôt tirer des grenades à fusil, un coup de punch supplémentaire pour le combattant et une évolution parmi d’autres issues de la veille technologique et des évaluations conduites par la Section technique de l’armée de Terre (STAT). 

Retrouver une capacité perdue

Sept ans après son adoption par les armées françaises, le HK 416F récupère aujourd’hui une capacité perdue depuis le retrait du FAMAS : le tir de grenades à fusil. Si celles du FAMAS sont compatibles avec la version standard (S) du HK 416F, manquait le système de visée indispensable pour puiser dans les stocks disponibles. Un hiatus en passe d’être corrigé grâce au travail d’un expert en petits armements de la STAT. 

Conçue à partir d’une feuille blanche et en misant sur l’impression 3D, cette visée adaptée au HK 416F reprend les deux hausses correspondantes à chaque modèle de grenade en service. La plus petite autorise un tir à 75 et 100 m pour l’AC 58 antichar à charge creuse. L’autre, pour l’APAV (anti-personnel, anti-véhicule), permet de tirer de 50 à 150 m. La STAT a prôné la simplicité pour faciliter l’usage par le plus grand nombre : il suffit grosso-modo d’aligner de petites pointes sur l’objectif. 

Si les derniers tirs de validation datent de septembre 2024, l’idée n’est en réalité par toute neuve. Ce projet d’adaptation a démarré en 2019 avant de tomber dans l’oubli. Les réflexions avaient alors abouti à un premier modèle attaché au guidon, une configuration qui fonctionnait très bien selon la STAT. Le sujet est réapparu il y a quelques mois avec cette nouvelle contrainte qu’est la généralisation des viseurs et autres systèmes optiques.

Le système de visée sera donc intégré sur le côté tout en réduisant au maximum le déport sur le rail Picatinny. La configuration a néanmoins un avantage, car elle « permet d’avoir un découvert complet sur l’objectif au lieu d’être ‘enfermé’ dans un tube ». Elle reste par ailleurs adaptée aux ambidextres, le fichier d’origine pouvant être modifié par simple symétrie. En résulte une solution intérimaire simple et robuste permettant de maintenir un savoir-faire en attendant le lancement d’un éventuel marché pour de nouvelles grenades accompagnées d’un moyen de visée ad-hoc. 

Restent quelques inconnues, dont celle de la production. À supposer que l’impression 3D soit privilégiée, l’armée de Terre pourra s’appuyer sur les imprimantes déployées en régiment et sur l’expérience acquise, par exemple, via la ferme I3D ou par la 13e base de soutien du matériel pour produire et déployer rapidement l’outil. L’option de la fabrication additive amène cependant la question de la durabilité, une problématique à laquelle l’utilisation d’un métal comme l’aluminium répondrait mieux d’après notre interlocuteur de la STAT. 

Viseur, chargeur et réducteur

« Nous sommes obligés de nous adapter. La chance du HK 416F, c’est qu’il repose sur une plateforme de type AR-15 et reste donc une sorte de ‘Lego’. Tous les fabricants de la planète utilisent ses standards », observe un armurier de la STAT. Du garde-main à la crosse, la modularité de cette arme parmi les plus répandues au monde lui permet d’accueillir régulièrement de nouvelles briques. « On a pas mal de veille technologique », complète-t-il. Il s’agit non seulement de détecter la bonne idée au bon moment, mais aussi de mieux encadrer les modifications « maison » apportées sans logique d’ensemble et sans l’aval technique de la DGA.

L’aide à la visée, premièrement, fait dorénavant l’objet d’un effort d’acquisition. Un second essai après celui, avorté, réalisé à l’été dernier sur les viseurs de nouvelle génération proposés par Thales et Safran. Les chargeurs, ensuite, autre équipement souvent acquis à titre personnel, à l’échelon de la compagnie ou du régiment. La STAT évalue aujourd’hui des solutions en polymère synonymes de réduction de la masse et d’une « bien meilleure résistance ». Le chargeur métallique devient en effet inutilisable une fois cabossé tandis que son équivalent en polymère continuera de fonctionner même de manière dégradée. Des essais de casse se sont révélés « concluants », un chargeur fendu de bas en haut permettant toujours l’emport et le tir d’une majorité de cartouches. 

La STAT évalue enfin l’ajout de silencieux. Ou plutôt de « réducteurs de signature » (RDS) car l’atténuation n’est pas seulement sonore mais aussi thermique et visuelle. Ici aussi, certains ont pris les devants en s’équipant sur leurs propres deniers de matériels non testés et non validés par la DGA. Côté STAT, l’effort porte sur des RDS à double flux car le HK 416F n’est pas doté d’une buse permettant de réguler les gaz créés par la détonation de la cartouche. L’accumulation de gaz dans le canon doté d’un RDS accélère donc le cycle et l’usure des pièces, risque d’enrayement à la clef. 

Les RDS à double flux permettent justement de pallier à ce souci par l’évacuation d’une partie du gaz par la bouche. Leur conception « devient quelque chose de commun », note une section technique dont la recherche porte notamment sur des modèles proposées par les fabricants suisse BT et finlandais Ase Utra. Autrefois réduit aux forces spéciales, l’usage de RDS s’étendrait progressivement aux équipes spécialisées de l’armée de Terre, que sont les groupements commandos montagne et parachutistes, sections d’aide à l’engagement débarqué et autres équipes cynotechniques. 

Un nouveau lot de 8000 fusils HK 416F est attendu en 2025, l’un des derniers pour parvenir à la cible de 117 000 exemplaire définie par le programme « Arme individuelle future » (AIF). Les livraisons ne sont pas encore achevées que, déjà, l’armée de Terre entrevoit d’engager la réflexion sur l’évolution de son fusil d’assaut. Avec, d’après le dernier numéro du magazine institutionnel Fantassins, l’étude d’un éventuel changement de calibre et d’un retour vers le système « Bullpup » adopté pour le FAMAS.

Dispositif français en Afrique: comme si l’Elysée avait externalisé sa com’ africano-militaire

Dispositif français en Afrique: comme si l’Elysée avait externalisé sa com’ africano-militaire

Photo P. Chapleau

On se souvient qu’en février 2023, le président français Emmanuel Macron avait annoncé une prochaine « diminution visible » des effectifs militaires français en Afrique. Des effectifs déjà largement réduits par les décision du Mali, du Burkina Faso et du Niger de cesser leur coopération militaire avec la France.

Un an plus tard (voir mon post du 6 février 2024), on apprenait que Jean-Marie Bockel, éphémère ministre de la Coopération de l’ancien président Nicolas Sarkozy en 2007, était chargé d’une mission sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique.

Il était alors prévu qu’un rapport serait remis au Président à la mi-juillet 2024.

Las, on n’a rien vu venir. Juste entendu des bruits dont on s’est satisfait puisqu’ils confortaient dans la crainte de coupes très claires dans les moyens humains tricolores et les ambitions françaises en Afrique.

De clarifications chiffrées, aucune.

L’Elysée a donc fait l’économie d’une annonce présidentielle, d’une conférence de presse précédée d’un briefing, d’un débat parlementaire… La Présidence a tout bonnement attendu que les pouvoirs africains concernés par une présence effective de troupes françaises n’annoncent eux-mêmes l’ampleur des réductions et le calendrier. Bel exemple de sous-traitance (que même Jean-Marie Bockel n’avait pas vu venir) à peu de frais.

On attendait des chiffres pour le Tchad, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Gabon; on les connait désormais pour les trois premiers pays:
– 0 au Tchad où le désengagement est en cours,
– 0 en Côte d’Ivoire où le président Alassane Ouattara a annoncé le 31 décembre qu’il avait « décidé du retrait coordonné et organisé des forces françaises »,
– et autant au Sénégal où, le 31 décembre également, le président Bassirou Diomaye Faye a annoncé « la fin de toutes les présences militaires de pays étrangers au Sénégal, dès 2025 », dans un discours à l’occasion du Nouvel an.

Pour le Gabon, on avance le chiffre d’une centaine de formateurs qui pourraient rester sur place, à l’Académie du camp de Gaulle où sont installées l’Ecole d’administration des forces de défense de Libreville (EAFDL) et l’Académie de protection de l’environnement et des ressources naturelles (APERN). Mais Paris n’est pas à l’abri que le redéploiement et la réorganisation des EFG (éléments français au Gabon) ne soient prolongés par un désaveu du régime local et une demande de départ.

Reste Djibouti, où s’est rendu le président de la République le 20 décembre. Paris y conserve une base militaire avec 1500 soldats, la plus importante et certainement la dernière de ces bases d’Afrique « pléthoriques, permanentes, qui nourrissaient des ambiguïtés », selon Emmanuel Macron qui n’a même pas eu à sonner le glas de la présence militaire française en Afrique. La messe était dite.

Souveraineté : Rapport d’information sur la dérive normative de l’Union européenne (Sénat, 4 décembre 2024)

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