Cette ancienne carrière de Vernon abrite un QG secret du système de communication de l’armée française
Le camp de Mortagne, dans l’Eure, pierre angulaire du système de communication des forces armées françaises, vient de bénéficier d’un vaste chantier à 50 millions d’euros pour sa sécurisation et sa modernisation.
Par Laurent Derouet – Le Parisien/Eure – publié le 2 octobre 2024
Christian Lequesne, spécialiste des relations internationales, est professeur à Sciences Po. Il est notamment l’auteur d’une remarquable « Ethnographie du Quai d’Orsay » (CNRS Éditions, coll. « Biblis », 2020). Il dirige un nouvel ouvrage fondateur : « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021. Propos recueillis par Eléna Roney, étudiante en 3ème année de Licence à Paris 3 (Sorbonne-Nouvelle) en majeure études internationales, mineure anglais.
La diplomatie publique est-elle aujourd’hui plus efficace que la diplomatie dite traditionnelle ? Une nouvelle forme de guerre, celle de l’information, remplace-t-elle la guerre “traditionnelle” caractérisée par des combats armés ? Comment la France pourrait-elle améliorer l’efficacité de sa diplomatie publique ? Voici quelques-unes des questions posées par Eléna Roney à Christian Lequesne qui vient de diriger « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po.
Initialement publié sur Diploweb.com en 2021, nous remettons cet entretien à l’honneur dans le contexte des JOP de 2024. Beaucoup conviendront que ces JOP sont aussi un succès d’image.
Eléna Roney (E.R.) : Comment expliquez-vous que vous soyez le premier chercheur en France à consacrer un ouvrage à la diplomatie publique, alors que celle-ci occupe une place très importante dans le champ des relations internationales, et ce depuis plusieurs décennies ?
Christian Lequesne (C.L.) : En France le concept importé des États-Unis de public diplomacy a davantage tendance à se traduire par “diplomatie d’influence” que par diplomatie publique. En effet, en langue française, l’adjectif “public” se rapporte à ce qui a trait à l’État plutôt qu’à la société. De plus, une opinion à mon avis encore majoritaire en France est que la puissance d’un État se fonde plus sur le hard power, sur sa puissance militaire et la diplomatie coercitive que sur une influence culturelle et médiatique. Cela est en partie dû à l’histoire et au passé de puissance de la France, qui au fil des siècles a appuyé son influence sur des interventions militaires et un pouvoir coercitif.
Définition de la diplomatie publique : “A la différence du soft power, qui décrit un état de fait, la diplomatie publique (appelée diplomatie d’influence en France et au Québec) est la construction volontariste d’une médiation par une autorité politique. Le plus souvent un État, cette autorité peut aussi être une organisation internationale (l’Union européenne ou l’OTAN ont des diplomaties publiques) ou un gouvernement infra-étatique. […] Elle consiste pour une autorité politique (le plus souvent État, comme nous venons de le voir) à demander à ses agents de réduire l’écart, ou l’éloignement, avec une autre autorité politique (le plus souvent un autre État). La diplomatie publique a toutefois ceci de spécifique que l’acte de médiation ne vise pas seulement les représentants de l’autre entité politique, mais la société dans son ensemble. Le principal interlocuteur du diplomate public n’est pas le diplomate de l’autre État, mais l’ensemble des acteurs composant la société.” C. Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021. p.14-15
Ainsi, la diplomatie publique a-t-elle été un peu reléguée dans le champ des sciences sociales au rang des accessoires mineurs, car considérée à tort comme moins efficace et moins importante que le hard power.
E. R. : Pensez-vous que la diplomatie publique est aujourd’hui plus efficace que la diplomatie dite traditionnelle ?
C.L. : La diplomatie publique appartient complètement à la diplomatie traditionnelle en cherchant à influencer les opinions publiques étrangères. Depuis plusieurs années, elle est de plus en plus développée, car elle permet aux États d’élargir leur influence par rapport à de simples relations inter-gouvernementales, et elle touche le public de plus en plus facilement grâce à l’essor des réseaux sociaux.
Cependant, chaque État développe plus ou moins tel ou tel type de diplomatie en fonction de ses ressources et de ses objectifs. Ainsi, au sein de chaque État existe-t-il une réflexion autour de l’exercice de la puissance. Après analyse, selon ses capacités et ses caractéristiques, l’État choisit de porter ses efforts sur la puissance militaire ou le soft power, et parfois les deux. Ceci est valable aussi bien pour des démocraties que pour des régimes autoritaires.
Pour donner des exemples de spécialisation, la Suisse, pays neutre sur le plan militaire, donne l’avantage à la diplomatie publique. L’État suisse participe ainsi à l’aide au développement ou encore, pour choisir un exemple très concret, à la rénovation en Albanie d’une ancienne prison datant de la dictature d’Enver Hoxha pour en faire un lieu de mémoire sur les crimes du communisme. En participant à ce travail de mémoire, la Suisse donne d’elle l’image d’une nation démocratique responsable, aussi bien en Albanie que dans la communauté internationale. La Norvège privilégie également la diplomatie publique, ce qui a pu notamment se traduire par sa participation à la rénovation du fort millénaire de Lahore au Pakistan. Participer aux travaux de rénovation permet à Oslo de montrer qu’elle s’intéresse à la culture et qu’elle cherche à la préserver. La Russie quant à elle à une inclinaison naturelle pour le hard power, intervenant dans de nombreux conflits armés, mais elle se sert de plus en plus des réseaux sociaux afin de diffuser ses messages politiques dans les opinions publiques étrangères, comme cela a pu se voir lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 ou française de 2017.
E.R. : Quelles sont les idées reçues qui circulent dans le débat public sur la diplomatie publique, et plus généralement sur la diplomatie ? Lesquelles vous irritent le plus ?
C.L. : L’idée reçue principale qui circule au sein de la société sur la diplomatie est une affaire de secrets et de connivences entre responsables politiques au plus haut niveau. Il est certain qu’il reste une part de secret indispensable dans la diplomatie. Cette part de secret par exemple se manifeste lors des échanges d’otages ou de la préparation des interventions militaires. Cependant, la diplomatie se limite de moins en moins à ce que Richelieu appelait le « cabinet noir ». La diplomatie se doit de concevoir de plus en plus des actions ouvertes aux sociétés. Les ambassadeurs parlent de plus en plus dans les universités, se rendent dans les foires commerciales, visitent les collectivités locales dans le but de donner une « bonne » image de leur pays. Parler aux publics autres que les gouvernements est devenu une part essentielle de la diplomatie contrairement à l’idée reçue qui a tendance encore à ne voir que l’ambassadeur enfermé dans sa salle de négociation.
E.R. : La télévision utilisée à des fins de diplomatie publique est-elle véritablement efficace pour changer l’opinion publique ? Les téléspectateurs des chaînes implantées à l’étranger ne sont-ils pas déjà d’accord avec la ligne idéologique de la chaîne qu’ils regardent ?
C.L. : Les effets de la diplomatie publique sur l’opinion publique font partie des choses les plus difficiles à mesurer. Simplement, s’il existe un tel déploiement de moyens financiers, matériels, et humains pour faire exister des chaînes de télévision à portée internationale, c’est que les États y trouvent un intérêt. Un sondage datant d’il y a quelques années a par exemple montré que l’électeur classique du Rassemblement national trouvait très justes les informations sur Russia Today, et que de nombreux téléspectateurs réguliers de la chaîne en France se sentaient une certaine proximité avec les idées de l’extrême droite. L’idéologie du gouvernement de Vladimir Poutine parvient ainsi à toucher une partie de l’opinion publique française et à influencer les résultats d’élections. Ce n’est un secret pour personne que Vladimir Poutine a affiché en 2017 son soutien à Marine Le Pen, et Russia Today a fait de cette dernière un portrait souvent complaisant dans ses émissions diffusées en France.
E.R. : Estimez-vous qu’aujourd’hui il y a un changement de paradigme dans les relations internationales, et qu’une nouvelle forme de guerre, celle de l’information, remplace la guerre “traditionnelle” caractérisée par des combats armés ?
C.L. : Tout d’abord, il faut distinguer les médias ayant une indépendance rédactionnelle des médias sans aucune indépendance, comme Russia Today ou Sputnik. Mais le véritable enjeu communicationnel aujourd’hui pour la diplomatie publique se joue autour des médias sociaux. Les régimes non démocratiques l’ont parfaitement compris. Ces derniers se servent des réseaux sociaux comme un outil de propagation de leur modèle, voire de conflit. C’est ce qu’il s’est passé en 2016 aux États-Unis où la Russie a propagé de nombreuses fake news sur Facebook et a instrumentalisé le réseau social afin d’influer sur les élections présidentielles américaines et de pousser les Américains à voter pour Donald Trump. Il s’est passé la même chose lors des élections présidentielles en France en 2017 où la Russie a lancé une large campagne en faveur de Marine Le Pen sur les réseaux sociaux, et a diffusé des contenus complotistes contre le candidat Emmanuel Macron.
Les réseaux sociaux représentent aujourd’hui un véritable enjeu, car il est difficile d’identifier qui est derrière la diffusion de messages, les traces pouvant même être brouillées afin de faire accuser ses ennemis politiques, comme la Russie l’a beaucoup fait avec l’Ukraine. En effet, la Russie a partagé de nombreux messages depuis une adresse IP située en Ukraine, afin de faire désigner cette dernière coupable.
Contre la multiplication des fake news, des politiques d’État sont nées. En effet, les États ont dû mettre en place une vérification régulière des informations publiées et échangées sur les réseaux sociaux. Désormais, dès qu’une fake news est identifiée, il est publié des contre-messages. Ces derniers doivent être publiés au plus vite, afin d’empêcher l’opinion publique de croire aux fausses informations diffusées et donc éviter un éventuel changement d’opinion.
E.R. : Dans quelle mesure la diplomatie publique des États reflète-t-elle les inégalités entre les pays, notamment au niveau de la représentation médiatique internationale, ainsi qu’une forme de néocolonialisme de la part des anciens pays colonisateurs sur les anciens pays colonisés ?
C.L. : Pour avoir une diplomatie publique efficace, un État doit en effet disposer de moyens financiers, humains et matériels. Une diplomatie publique efficace n’est pas possible sans ressource. A partir de ce constat, il est certain que les grandes puissances, ou les États possédant un certain niveau de développement ont plus de facilités à avoir une diplomatie publique. La diplomatie publique reflète donc des inégalités de richesse. Elle peut également prendre la forme d’un certain néo-colonialisme, lorsque les anciens pays colonisateurs tentent d’avoir une certaine influence sur les anciens pays colonisés. Ceci est d’autant plus facile lorsque, dans les anciens pays colonisés, la langue de l’ancien pays colonisateur est parlée par une grande partie de la population. En Afrique de l’Ouest par exemple, l’audience de France 24 est très élevée et la chaîne est très connue, alors qu’en France métropolitaine cette chaîne est très peu regardée. Les anciens pays colonisateurs cherchent à conserver une influence sur les anciens pays colonisés, ainsi qu’une relation privilégiée. Cela se fait à travers la télévision, mais aussi par l’implantation des lycées français ouverts aux enfants des élites locales, comme au Maroc, au Liban ou à Madagascar. Il existe parfois une concurrence autour de ces formes de néo-colonialisme. Il existe des chaînes de télévision émettant uniquement dans les langues locales qui, au travers du choix de cette langue, s’oppose au néo-colonialisme. C’est par exemple le cas au Sénégal de la chaîne 2STV dont les programmes sont majoritairement diffusés en wolof.
Dans quelle mesure existe-t-il une réciprocité d’influence entre les acteurs de la diplomatie publique et les acteurs visés par la diplomatie publique ? Par exemple, dans quelle mesure les ONG ont- elles une forte influence sur la diplomatie publique et vice-versa ?
L’influence de la diplomatie publique est à double sens. L’époque où l’État pouvait contrôler l’ensemble des flux d’informations est complètement dépassée. Même au sein des États autoritaires il existe des moyens de contourner les informations officielles, diffusées et transmises par le gouvernement. Les habitants peuvent s’informer en consultant des sites étrangers apportant les informations censurées par le régime en place. En Turquie, la population grâce à quelques manœuvres informatiques peut par exemple consulter Wikipedia, normalement indisponible dans le pays. Beaucoup de Turcs ont donc la possibilité de contourner le verrouillage internet de certains sites.
Certains acteurs, comme les ONG internationales, en faisant pression sur les États, peuvent également redéfinir leur diplomatie publique. Ceci est particulièrement flagrant aujourd’hui pour les ONG environnementalistes qui font pression sur les gouvernements, afin que ceux-ci changent leur politique et poussent d’autres gouvernements à faire de même.
E.R. : Selon vous, comment la France pourrait-elle améliorer l’efficacité de sa diplomatie publique ?
En France, la diplomatie publique est le fruit d’une longue tradition. Elle n’est pas apparue récemment. Le réseau d’influence du pays existe depuis plus d’un siècle au moins. Néanmoins, depuis les années 1990, des coupures sont intervenues dans les budgets alloués à la diplomatie. Ainsi la France ne se donne-t-elle plus les mêmes moyens de rayonner à l’étranger par la diplomatie publique. Les réseaux existent toujours à l’étranger, notamment les lycées, mais les ressources ne suffisent plus toujours pour les faire fonctionner. Il y a donc un problème de choix budgétaire. Les parlementaires qui votent le budget ont besoin d’une représentation plus juste de ce qu’est la diplomatie publique moderne, de son efficacité et de son apport à la puissance de la France. La représentation de ce qu’est la diplomatie en 2021-2022 a également besoin de changer dans la société. En effet, elle apparaît encore trop aux yeux du public comme un monde éloigné, vivant entre soi, et mangeant des petits fours. Il y a un véritable besoin de pédagogie, d’instruction et d’éducation sur ce qu’est véritablement la diplomatie, sur son rôle et sur ce qu’elle représente pour le pays. La diplomatie publique doit aussi être mieux coordonnée entre les États membres de l’Union européenne, pour mieux peser sur le reste des acteurs mondiaux. Entre les pays de l’UE, il existe une collaboration efficace dans le domaine culturel qui passe par les instituts culturels, comme l’Institut Français et le Goethe Institut. Il faut renforcer ces collaborations et faire en sorte qu’elles concernent d’autres pays que les seules France et Allemagne, afin de montrer en dehors de l’Europe qu’il existe une influence européenne alliant culture et démocratie.
Copyright Novembre 2021-Lequesne-Roney/Diploweb.com
Mise en ligne initiale sur le Diploweb.com 21 novembre 2021
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. Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » Presses de Sciences Po, 2021. Sur Amazon
4e de couverture
On nomme diplomatie publique ce levier de puissance de plus en plus fréquemment utilisé et dont les États-Unis ont été les pionniers au début du XXe siècle. Il ne se confond ni avec le soft power ni avec la propagande. Voici le premier ouvrage que les sciences sociales consacrent en France à ce champ des relations internationales.
Séduire l’opinion mondiale : démocraties ou dictatures, tous les États s’efforcent de soigner leur image en s’adressant directement et à voix haute aux citoyens. Les moyens sont multiples pour se rendre attractif aux yeux de l’opinion mondiale : récits portés par les médias et les réseaux sociaux, implantations d’instituts culturels et d’écoles, échanges universitaires, distributions de matériel médical et de vaccins, etc. On nomme diplomatie publique ce levier de puissance de plus en plus fréquemment utilisé et dont les États-Unis ont été les pionniers au début du XXe siècle. S’ajoutant aux canaux feutrés de la diplomatie classique, il ne se confond ni avec le soft power ni avec la propagande.
Dans le premier ouvrage que les sciences sociales consacrent en France à ce champ des relations internationales, une série d’analyses transversales et de focus sur des cas concrets, illustrés de cartes et de graphiques, donnent à voir ses usages et ses effets ainsi que les nouveaux modèles qu’il propose.
Avec Maxime Audinet, Sylvain Beck, Pierre Buhler, Rhys Crilley, Etienne Dignat, Alice Ekman, Béatrice Garapon, Caterina Garcia Segura, Auriane Guilbaud, Ilan Manor, Tristan Mattelart, Benjamin Oudet, Stéphane Paquin, Elena Sirorova, Virginie Troit, Earl Wang
Instituée après la suspension de la conscription, la « Journée d’appel de préparation à la Défense » [JAPD] a, en quelque sorte, pris le relais des « trois jours » [qui duraient en réalité une journée] au cours desquels tous les hommes en âge de remplir leurs obligations militaires passaient des examens médicaux et psychotechniques.
En 2011, cette JAPD est devenue la « Journée Défense Citoyenneté » [JDC], à laquelle chaque jeune français âgé de moins de 25 ans est fortement incité à participer [sous peine de ne pas pouvoir passer le permis de conduire et le Baccalauréat], après avoir accompli les démarches [obligatoires] du recensement. Cette journée prévoit des tests d’évaluation des « apprentissages fondamentaux de la langue française » mais aussi une sensibilisation aux enjeux de défense ainsi qu’un enseignement sur le civisme et une information sur « l’égalité entre les femmes et les hommes ».
Cela étant, cette JDC est régulièrement remise en question. En mai 2015, le président Hollande avait ainsi fait part de son intention de la transformer en une « journée de formation et d’information », qu’il qualifia de « journée d’espoir » pour les jeunes gens censés y participer. Puis, il changea son fusil d’épaule en annonçant, lors de ses voeux à la jeunesse, en janvier 2016, que la JDC serait non seulement maintenue mais probablement allongée étant donné qu’elle était un « moment dans la vie de chaque citoyen aujourd’hui » et qu’elle permettait « à toute une classe d’âge […] de se retrouver pour des formations à la citoyenneté ».
À la même période, les députés Marianne Dubois et Joaquim Pueyo rendirent un rapport dans lequel ils estimaient que cette JDC « n’avait aucune utilité », alors que son coût était évalué à 100 millions d’euros par an. « Ce n’est pas en quelques heures qu’il est possible d’aborder les enjeux de la Défense, qui, par ailleurs, ne sont évoqués que succinctement pour faire la place à d’autres thématiques », avaient-ils fait observer. Et de proposer de renforcer l’enseignement sur la Défense, susceptible de faire l’objet d’une épreuve obligatoire en fin de parcours scolaire, voire de mettre au place, à l’instar du Canada, un programme de « cadets de la défense » s’adressant à tous les jeunes gens âgés de 12 à 18 ans.
Ce rapport n’a pas été suivi d’effet… Mais il a été institué un Service national universel [SNU], qui se veut un « projet éducatif d’émancipation et de responsabilisation des jeunes [de 15 à 17 ans], visant à les impliquer pleinement dans la vie de la Nation et à nourrir le creuset républicain. » Il s’effectue, pour le moment, sur la base du volontariat. Y participer dispense de toute obligation à l’égard de la JDC.
Justement, s’agissant de cette dernière, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, estime qu’elle « passe à côté de sa cible », alors que les armées ont l’ambition de doubler le nombre de leurs réservistes.
« C’est devenu une journée un peu fourre-tout, où des gens admirables s’engagent pour la faire vivre, mais au fond, elle se démilitarise un tout petit peu avec le temps », a en effet affirmé M. Lecornu, à l’antenne de LCI, le 12 avril. Aussi, a-t-il continué, « je souhaite la redurcir militairement à des fins aussi théoriques : il faut qu’à la fin de cette journée, les jeunes Françaises et les jeunes Français […] aient les idées claires sur notre système de défense et les rudiments de compréhension sur le fonctionnement de l’armée française, sur les grandes opérations auxquelles l’armée française a pu participer ces dernières années », a-t-il expliqué.
Mais les projets du ministre ne s’arrête pas là puisqu’il entend aussi « moderniser » le recensement en vue d’identifier « en continu » les compétences des personnes « volontaires » susceptibles de venir renforcer la réserve.
L’idée serait ainsi de faire « un vrai recensement des compétences, non seulement sur une classe d’âge, autour des 16 ans […] mais surtout d’avoir à l’heure du numérique, les moyens de faire un recensement continu régulier dans la population », sur la base du volontariat. Cela permettrait au ministère des Armées de recruter des réservistes en fonction des savoir-faire dont il aurait besoin le cas échéant.
Quoi qu’il en soit, une solution qui mériterait sans doute d’être étudiée [pour ne plus tourner autour du pot] consisterait à s’inspirer du modèle de service militaire mis en place par la Norvège, la Suède et le Danemark. Rétablir la conscription [qui n’est que suspendue, pour rappel] ne passerait pas forcément par l’incorporation de toute une classe d’âge comme c’était le cas auparavant. Ainsi, les armées ne retiendraient que les conscrits dont elles ont besoin pour une durée de 12 mois, en ne sélectionnant que les plus motivés et/ou les mieux formés.
Évidemment, ceux qui seraient appelés sous les drapeaux pourraient bénéficier de certains avantages par rapport aux autres [permis de conduire, aide à l’emploi, formation, etc.]. Grâce à un tel système, les forces armées norvégiennes retiennent, chaque année, 10’000 conscrits sur un potentiel de 60’000 jeunes en âge d’accomplir leur service militaire.
A Coëtquidan, le 28 mars: “la maîtrise des flux, clé de la victoire ? Mouvements d’hommes, de matériels et d’informations dans les opérations militaires”
par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 11 mars 2024
Le département d’histoire de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (AMSCC) organise le 28 mars à l’Amphi Foch, à Coëtquidan, une journée d’études portant sur “la maîtrise des flux, clé de la victoire ? Mouvements d’hommes, de matériels et d’informations dans les opérations militaires, de la Grande Guerre à nos jours”.
C’est à cette question de la place des multiples types de flux dans les opérations militaires et, plus encore, à leur rôle dans le succès de ces opérations que cette journée d’étude voudrait s’intéresser. En dépassant une approche par “arme”, en l’inscrivant dans la longue durée des conflits qui se sont succédés depuis le début du XXe siècle, en combinant études historiques et RETEX d’officiers ayant servi en opérations au cours des 20 dernières années, il s’agira aussi de contribuer au renouvellement en cours des problématiques de l’histoire militaire.
Pratique: Inscription/informations : JEFlux.AMSCC@gmail.com Les personnes intéressées qui ne pourraient pas se rendre le 28 mars à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (Morbihan) pourront suivre cette journée en visio-conférence.
La chancelière Merkel annonçait que des examens approfondis effectués par un laboratoire de l’armée allemande sur Alexeï Navalny, hospitalisé à Berlin depuis la fin août, avaient permis de détecter les traces d’un agent neurotoxique « de type Novitchok ». Cette révélation rapproche l’affaire Navalny de l’affaire Skripal (2018), une affaire qui avait, si j’ose dire, empoisonné, en plein Russiagate, les relations russo-britanniques … Cette nouvelle affaire Navalny, en pleine relance des sanctions américaines contre le gazoduc Nordstream-2, va-t-elle empoisonner les relations russo-allemandes ? Voire, reconfigurer l’échiquier de la politique extérieure de l’UE dans la direction souhaitée par la Pologne, la Suède ou les États baltes (et naturellement par Washington), à savoir la ligne dure vis-à-vis de Moscou ? Voire, relancer un épisode, et même pourquoi pas une nouvelle saison, de la « nouvelle guerre froide » Russie-Occident ?
Une fois insérée dans les narratifs de l’infowar que se livrent les parties adverses depuis des années – le tout prospérant sur les dépouilles toujours fumantes de la guerre froide « historique », Est-Ouest – l’affaire Navalny échappe à Navalny, elle se détache de son socle russe pour devenir une affaire avant tout info-médiatique ; elle échappe à tous ses vrais protagonistes pour devenir un nouvel épisode narratif de la « grande histoire ». En d’autres termes, l’affaire se « géopolitise ». « Novitchok » : c’est comme une formule magique déjà dotée d’un effet performatif ! Il faut dire que le choix de transférer Navalny en Allemagne avait déjà bien « géopolitisé » l’affaire…
Enjeux de la guerre d’information
La « géopolitisation » des enjeux de politique intérieure dans le contexte de la guerre de l’information, en particulier dans le contexte de la « nouvelle guerre froide », est un vrai sujet, et même tout un champ d’études, un sujet d’enquêtes qui doit faire l’objet de scrupuleuses recherches de terrain. À qui profite-t-elle ? Certainement pas à l’information du public, qui se voit toujours cantonné à de fausses polémiques ou à de faux débats, sous-tendus par des réflexes toujours binaires. La « géopolitisation » des enjeux de politique intérieure dans le contexte de la « nouvelle guerre froide » – et même en général – est un sérieux obstacle à la compréhension du monde… À « Poutine tyran ! », on rétorque : « russophobie ! ». À « absence de démocratie », on réplique : « Occident décadent ». À « régime liberticide ! », on entonne : « dictature du Nouvel Ordre Mondial ! ». Et inversement. Ainsi, la boucle est bouclée, la machine bien rodée, la roue tourne, circulez !
Si Navalny est devenu « le nom de » beaucoup de choses – « principal opposant à Poutine », « agent d’influence de l’Occident », et même « agent double du FSB » ! – il faut revenir à ce qui le définit vraiment. Navalny est un avocat moscovite qui, profitant du développement de l’internet 2.0 dans les années 2000, est devenu un lanceur d’alerte qui a développé son réseau d’informateurs dans plusieurs institutions officielles, au niveau fédéral comme dans certaines régions. Depuis presque deux décennies, il mène des enquêtes sur la corruption des fonctionnaires et des hauts responsables russes. Sa méthode favorite consiste à documenter et à révéler l’enrichissement spectaculaire et colossal – en tous les cas disproportionné, eu égard à leurs revenus déclarés – de certains hauts personnages de l’État, avec à l’appui des photos de documents officiels et, surtout, de propriétés dont le luxe tapageur n’a rien à envier aux biens immobiliers des oligarques à travers la planète. La plus grande réussite de la « Fondation de lutte contre la corruption » qu’il a fondée et qu’il dirige est sans doute d’avoir dévoilé, en 2017, la très grande fortune de l’ancien président et Premier ministre Medvedev dans une enquête retentissante[1].
Des révélations qui provoquent l’hostilité du pouvoir
Naturellement, ce type de révélations lui vaut l’hostilité du pouvoir, qui multiplie, depuis 2017, les entraves judiciaires à ses activités. Naturellement, ses activités attisent l’inimitié – euphémisme – de hauts fonctionnaires et responsables visés par ses enquêtes et qui « arment » des officines pour bloquer son activité – nouvel euphémisme. Nul doute qu’une telle officine est à la manœuvre dans ce dernier épisode d’empoisonnement. Or, les officines de ce type pullulent, en raison de la configuration très post-soviétique du secteur de la sécurité en Russie, caractérisée par l’imbrication des « services » (et de ses réseaux d’anciens) et des innombrables entreprises de sécurité privée, cette « toile d’araignée » s’étant constituée pendant les privatisations des années 1990[2]. Comme le dit le philosophe Boris Mejouïev, il ne faut pas oublier qu’en Russie, les kshatriyas[3] sont aussi des businessmen… et que leurs officines, plus ou moins bien contrôlées, n’ont pas tant pour but de défendre la souveraineté de la Russie (objectif patriotique toujours invoqué, conforme au « politiquement correct » du poutinisme) que de protéger les intérêts privés des grands barons, et accessoirement d’obliger le plus grand nombre de hauts responsables possibles, fût-ce en les soumettant à des kompromaty dans d’interminables et inextricables batailles…
Si Navalny a joué un rôle politique en Russie, ce n’est pas tant comme « opposant », ou comme « candidat libéral » à la mairie de Moscou – il faut ici rappeler au passage qu’il avait alors bénéficié du soutien de députés du parti Russie unie pour pouvoir se présenter… – mais comme grain de sable susceptible de gripper la machine et, surtout, révélateur de la nature du pouvoir en Russie. Avec quelques autres, il a fait en sorte que le poutinisme soit désormais, et pour toujours, inséparable des conditions de sa production, pour parler le langage marxiste, c’est-à-dire qu’il n’y a plus personne aujourd’hui, en Russie, qui ne soutienne Poutine – et ses soutiens sont encore nombreux aujourd’hui – en ignorant que le régime Poutine, c’est aussi le règne d’une oligarchie d’État (à laquelle s’adjoint une oligarchie « privée » protégée par l’État), une oligarchie qui bénéficie d’une grande impunité et qui couvre certaines pratiques de corruption, à tous les niveaux de l’échelle. Il faut donc bien comprendre que c’est malgré cela (et en dépit de cela) que l’on soutient Poutine, et certainement pas en l’ignorant… Voilà qui permet, il me semble, de mieux comprendre la nature très particulière du « contrat social poutinien ».
Navalny est le révélateur du régime russe
Ainsi donc, Navalny n’est pas un xième opposant, à classer parmi « les dissidents », ou encore parmi les autres lanceurs d’alerte – beaucoup de journalistes – qui, jugés dangereux, ont été, pour certains, éliminés par une officine ou une autre. La force de Navalny n’est pas d’être un opposant parmi d’autres, un « libéral » ou un « nationaliste », ou toute autre étiquette politique – car il n’est pas un homme politique – mais d’être le révélateur d’un aspect essentiel de la nature du régime politique russe. Et un révélateur, en quelque sorte, indélébile. Et cet aspect essentiel, ce n’est pas « la tyrannie de Poutine », « l’absence de démocratie » ou bien encore « l’absence de libertés » – autant de traits éminemment discutables, et donc susceptibles d’être l’objet de polémiques par définition interminables, du régime – mais bien son caractère oligarchique, caractérisé à la fois par une centralisation et par une imbrication étroite et inextricable des réseaux du pouvoir politique, administratif, économique et médiatique, une oligarchie que Poutine préside sans la diriger, ni la contrôler d’ailleurs tout à fait, et que sa personne politique, jusqu’ici assez inusable, permet de légitimer aux yeux de l’opinion publique. C’est pourquoi cette architecture, fragile, ne peut se passer de lui. C’est pourquoi, à moins de se trouver un successeur – ce qui relève de l’exploit, pour ne pas dire de la science-fiction ! – il lui faudra boire le calice jusqu’à la lie… c’est-à-dire, après les réformes constitutionnelles votées au printemps, jusqu’à 2036, jusqu’à ses… 84 ans !…
Navalny démontre la nature oligarchique du pouvoir : celui de Poutine et le nôtre
Et c’est là, précisément, que le bât blesse. Dépeindre Navalny en dissident dénature le sens de son action et occulte son vrai « message politique », s’il en est un : il est de notre devoir de prendre conscience de la nature oligarchique du pouvoir qui nous dirige. Et ce message, précisément, est aujourd’hui un message universel. Ce n’est pas un message des « démocraties » contre les « régimes autoritaires », du « monde libre » contre les « dictatures ». C’est un message qui concerne tout autant les démocraties installées que tous les autres types de régimes… Dans tous les pays du monde, la structure oligarchique du pouvoir détruit les classes moyennes, là où elles existaient ; elle produit à un rythme accéléré des inégalités sociales grandissantes, provoquant une « re-féodalisation » du monde, pour reprendre les termes du géographe américain Joel Kotkin[4]. Le caractère oligarchique du pouvoir, c’est l’enjeu majeur de notre temps. Alors l’imbrication des pouvoirs publics et privés, la concentration des pouvoirs politique, économique et médiatique, le « double jeu » des hauts fonctionnaires d’État – un pied dans le public un pied dans le privé… Rings a bell ?… Non ? C’est une spécificité russe ?… C’est que vous n’avez lu ni Laurent Mauduit[5], ni Vincent Jauvert[6]… La France, me direz-vous, c’est plus feutré, plus « civilisé », plus huilé par des siècles de traditions et d’usages formels, c’est moins brutal, moins mortel aussi. Certes… Mais à tout bien considérer, objectivement, il y a quand même beaucoup trop de points communs pour ne pas les voir… ou plutôt pour les occulter en faisant à tout prix de « la Russie de Poutine » un « Autre » dont l’essence même nous obligerait à lui mener un combat pour défendre « nos valeurs ».
Et si Navalny n’était pas ce grand héraut de la liberté, de la démocratie et des droits de l’homme fantasmé par toutes les gazettes occidentales ? Je ne le vois pas accepter de devenir un Khodorkovski, encore moins un Kasparov, éternels opposants en exil, dont la voix ne porte plus guère que dans certaines salles de rédaction… Si Navalny n’était, au fond, qu’un homme ordinaire – ce qui n’est pas la moindre des qualités – devenu précisément ès-qualité ingérable pour quiconque en Russie ? Si une officine moscovite a voulu sa mort, elle aura raté son coup, mais elle aura tout de même réussi à provoquer son exil. Un exil qui empoisonnera, un temps, les relations internationales, mais un exil qui va aussi durablement écarter Navalny de son terrain d’action. Or, on ne peut pas combattre la corruption de l’extérieur. Encore moins quand on est enrôlé dans une guerre de l’information qui vous défigure.
[3] Mot sanskrit désignant, en Inde, la « classe » noble dans le système des castes, les kshatriyas occupent la seconde place dans la hiérarchie (après les brahmanes) et détiennent en principe le monopole du pouvoir politique et militaire. L’auteur emploie ici ce terme de manière ironique pour désigner les hauts responsables issus des structures de force en Russie, qui se présentent volontiers comme les vrais et seuls garants de la sécurité et de la pérennité de l’Etat, de son indépendance et de sa souveraineté.
[4] Joel Kotkin, The Coming of Neo-Feudalism: A Warning to the Global Middle Class, 2020.
[5] Laurent Mauduit, La Caste. Enquête sur cette haute fonction publique qui a pris le pouvoir, La Découverte, 2018. Voir aussi, du même auteur, Main basse sur l’information, Don Quichotte, 2016 et Prédations. Histoire des privatisations des biens publics, La Découverte, 2020.
[6] Vincent Jauvert, Les Intouchables d’État. Bienvenue en Macronie, Robert Laffont, 2018. Voir aussi Les Voraces. Les élites et l’argent sous Macron, Robert Laffont, 2020.
Un grand concours a été organisé au sein de l’Armée de l’Air et de l’Espace avec comme objectif la création d’un nouveau logo pour les 90 ans de l’AAE. Sur 70 logos, le projet du caporal-chef Matthieu a été sélectionné, alliant histoire et modernité.
De l’Aéronautique militaire à l’AAE
Durant la Première guerre mondiale, l’Aéronautique militaire prend son essor : l’avion est désormais un moyen indispensable sur le champ de bataille moderne. Il permet de reconnaitre les positions ennemies, de les bombarder mais également empêcher les avions ennemis d’effectuer ces missions sur les lignes amies. Cependant, à cette époque, l’Aéronautique militaire fait partie, comme c’est le cas dans de nombreuses forces armées, de l’Armée de terre française. Il faudra attendre le 2 juillet 1934 pour voir la création officielle et définitive d’une nouvelle arme indépendante au sein des Forces armées françaises : l’Armée de l’Air. Son appellation sera légèrement modifiée le 11 septembre 2020, avec l’ajout important du caractère spatial : l’Armée de l’Air et de l’Espace.
Un nouveau logo
Pour fêter les 90 ans de sa création, l’AAE prépare l’année 2024 en grande pompe. Pour cette occasion, elle a organisé un grand concours au sein de son personnel : créer un logo pour les 90 ans. Au total, ce sont près de 70 aviateurs qui ont soumis leur projet. Le choix final s’est porté sur le projet du caporal-chef Matthieu, mécanicien opérateur avionique sur la base aérienne 133 de Nancy-Ochey. Ce dernier expliquait alors :
“J’ai voulu mettre deux machines aux antipodes : un Rafale moderne d’un côté et un biplan de l’autre. Le bleu et le rouge représentent les couleurs du drapeau français et j’ai ajouté les étoiles pour l’espace. Je voulais quelque chose de sobre représentant à la fois la France et l’AAE.“
David Colon, professeur à Sciences Po Paris, auteur de « La Guerre de l’information. Les États à la conquête de nos esprits », éd. Tallandier, 2023. David Colon est chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Il y enseigne l’histoire de la communication, des médias et de la propagande. Membre du Groupement de recherche « Internet, IA et société » du CNRS. Il a précédemment publié « Propagande » (éd. Belin 2019, rééd. Flammarion, Champs histoire 2021) distingué par les prix Akropolis et Jacques Ellul. Il a aussi récemment publié « Les Maitres de la manipulation », éd. Texto, 2023. Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, diplômée d’un M2 de Sciences Po. Co-organisation de la conférence Pierre Verluise, fondateur du Diploweb et l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I. Images et son : Arthur Robin. Montage : Arthur Robin et Pierre Verluise.
Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre.
Cette vidéo peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir sur youtube/Diploweb
Synthèse par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb.com, relue et validée par David Colon
Bien qu’on ne la perçoive pas toujours, la guerre de l’information structure les relations internationales depuis les années 1990. En effet, l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux tels que CNN permet désormais aux États d’interférer plus directement. À partir d’un panorama depuis les années 1990 à aujourd’hui, David Colon s’intéresse aux États-Unis, à la Russie et à la Chine comme acteurs de la guerre de l’information. Voici la vidéo et la synthèse d’une conférence organisée par Diploweb.com et l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I, le 12 octobre 2023, en partenariat avec le Centre géopolitique.
Les États-Unis en quête de domination informationnelle mondiale
D. Colon identifie la guerre du Golfe (2 août 1990 – 28 février 1991) comme point de départ de la guerre de l’information. Les États-Unis y manifestent leur puissance militaire, économique mais utilisent également le recours à l’information comme arme. À travers la doctrine de la « guerre en réseaux » (Network-Centric Warfare), ils veulent dominer le champ de l’information. Cette guerre du Golfe est un tournant, précisément car elle est perçue comme telle par la Chine et la Russie.
Par la suite, les États-Unis cherchent à étendre leur domination informationnelle (Information Domination) via les « autoroutes de l’information », l’affirmation de leur soft power et la création de géants du numérique (Google en 1998 notamment). À cette période, comme le souligne le discours du président B. Clinton devant les étudiants de l’Université de Pékin (1998), les États-Unis pensent que l’extension de leur système informationnel au monde entier conduira les derniers régimes autoritaires à disparaître.
D. Colon relate également à quel point le film Les experts/Sneakers (1992), visionné par McConnell, directeur de la National Security Agency (NSA), a produit des effets directs sur la politique de défense américaine. Ce film accélère la prise de conscience du basculement dans une nouvelle ère, celle de l’information électronique. Il met en exergue la nécessité de faire évoluer les outils et les méthodes de la NSA, pour favoriser la pénétration des réseaux ennemis. En ce sens, dès 1992, l’agence fédérale américaine chargée de la collecte des données électromagnétiques (SIGINT) redéfinit ses missions pour se lancer à grande échelle dans des opérations de cyberguerre.
Ensuite, la manipulation massive de l’opinion mondiale pour légitimer l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Irak en 2003 apparaît comme un deuxième point de rupture. En effet, le recours à la manipulation de l’information mondiale, doublé d’une entorse au droit international n’est pas sans conséquence sur l’attitude des régimes autoritaires.
Enfin, l’utilisation du virus Stuxnet par les autorités américaines en 2009-2010 [opération conjointe avec les Israéliens mettant hors d’usage des centrifugeuses de l’usine iranienne d’enrichissement de Natanz] constitue un troisième point de rupture. Pensé comme un moyen de détourner les opérations iraniennes, ce virus, utilisé par la suite par des hackers iraniens, constitue le point de départ d’une cyberguerre mondiale.
La riposte russe
Si D. Colon utilise le terme de « riposte », il rappelle que l’action des services de renseignement russes s’inscrit dans la durée. Ainsi, la génération formée à l’art de la désinformation dans les années 1980 est actuellement au pouvoir, au premier rang duquel Vladimir Poutine qui fut agent de liaison du KGB auprès de la Stasi (police politique de la RDA) de 1985 à 1990. Pour les services de renseignement russes, la désinformation ne se définit pas comme l’obtention d’un résultat immédiat mais comme un lent travail de décomposition de la société adverse.
La spécificité russe en la matière tient au fait que ses trois services de renseignement et de sécurité réalisent des activités à l’étranger. Ainsi, le FSB (Service fédéral de sécurité) est chargé de la sécurité intérieure mais mène également des activités cyber offensives. D. Colon souligne que l’articulation faite en Russie entre activités de renseignement intérieur et extérieur est inenvisageable aux États-Unis entre le FBI et la NSA. De son côté, le SVR (Service russe des renseignements extérieurs) s’est lancé depuis les années 1990 dans des activités de renseignement sur Internet. Enfin, le GRU (Service de renseignement militaire), créé en 1918, fusionne des capacités de guerre psychologique acquises durant la Guerre froide avec des outils numériques.
La force des services de renseignement russes tient également dans leur appropriation du mode de pensée occidental. Selon les principes définis par N. Wiener, les Russes envisagent un usage militaire de l’information pour protéger leur sphère informationnelle de l’ennemi. Ils mènent également une guerre de subversion pour conquérir les esprits et semer le chaos partout où ils le peuvent. Leur efficacité tient donc à une conception défensive et offensive du conflit informationnel, tel que défini notamment par I. Panarin et S. Rastorguev.
Parmi les coups d’éclat des services de renseignement russes, la cyberattaque menée en 2007 en Estonie à l’encontre de sites web d’organisations gouvernementales fait date. D. Colon relève que ces opérations cyber sont systématiquement accompagnées d’opérations médiatiques, souvent plus fortes après l’attaque qu’avant. Par exemple, après l’élection de Trump en 2016, les Russes organisent des manifestations en faveur et à l’encontre de D. Trump. L’objectif n’était pas seulement de le faire élire mais également d’affaiblir toute confiance des citoyens américains dans la démocratie.
L’avènement du numérique et des médias sociaux est perçu comme un tournant par les services de renseignement russes. Ils y voient l’expression d’une guerre en réseaux. À cet égard, la mise en évidence de méthodes de prédiction de la personnalité à partir de la récupération de données Facebook par des chercheurs (M. Kosinski, D. Stillwell) n’a pas échappé aux services de renseignement russe. Le travail d’Alexandr Kogan, chercheur en psychométrie recruté par la société Cambridge Analytica, a tout particulièrement intéressé le GRU. Ces modèles prédictifs permettent également de cibler des individus fragiles, de les appâter avec des contenus relevant de la théorie du complot, comme l’illustre le succès de la mouvance QAnon aux États-Unis mais aussi en Europe.
L’action chinoise
Suite à la guerre d’Irak (2003), perçue comme une guerre totale, la Chine élabore une nouvelle stratégie en 2003 : « la doctrine des trois guerres », composée de la « guerre de l’opinion publique », « la guerre psychologique » et « la guerre du droit ». Ce faisant, la Chine se dote de capacités cyber lui permettant d’opérer des cyberattaques massives, profite des failles législatives américaines (si le rachat d’entreprises de la Silicon Valley est interdit, la Chine exploite la possibilité d’y prendre des participations) et joue la carte de l’influence.
Le réseau social TikTok, en ce qu’il affecte toutes les couches du cyberespace, constitue un exemple significatif de l’influence chinoise. En effet, la plateforme, qui réunit 1,7 milliard d’utilisateurs, a des incidences infrastructurelles et peut perturber le système d’information à sa source. Ainsi, en Norvège, l’un des plus grands fabricants de munition d’Europe n’a pas pu augmenter sa production en raison de la présence à proximité d’un centre de données saturé de vidéos TikTok qui accaparent la consommation d’électricité. Le réseau social interfère également sur la couche cognitive, et peut être utilisé comme un outil de subversion. En effet, l’utilisateur voit son attention captée et ne choisit pas les contenus qu’il regarde. Cette plateforme montre également les dangers de l’Intelligence Artificielle (IA) lorsqu’elle est intégrée à des opérations de grande échelle. La société NewsGuard a ainsi identifié qu’un réseau de 17 comptes TikTok utilisant un logiciel de synthèse vocale pouvait générer 5000 vidéos conspirationnistes visionnées 336 millions de fois et en mesure de recevoir 14,5 millions de mentions « j’aime » en 8 semaines.
En outre, D. Colon analyse la combinaison des intérêts chinois et russes sur le plan informationnel. Ainsi, en 2015, les deux pays ont signé un accord de cybersécurité, prenant la forme d’un pacte de non-agression dans le cyberespace. Leurs actions vont au-delà puisque la Chine et la Russie font également converger leurs opérations d’information et de désinformation.
Enfin, D. Colon met l’accent sur l’ampleur de la menace chinoise. Ainsi, les services de renseignement britanniques ont indiqué dans un rapport de 2023 que la Chine possède « presque certainement » le plus grand appareil de renseignement au monde, avec des dizaines de milliers d’agents. Un rapport de 2023 du GEC, cellule consacrée à la lutte contre la désinformation au sein du Département d’Etat américain, souligne la recrudescence de la désinformation chinoise, ce à quoi la Chine a répondu que les États-Unis sont « un empire de mensonges » ayant « inventé la militarisation de l’espace mondial de l’information ».
Que faire face aux défis informationnels ?
D. Colon insiste sur la nécessité de « renforcer notre système immunitaire face aux virus médiatiques ». Selon lui, une plus grande transparence doit être encouragée, notamment en imposant une déclaration de leurs activités à ceux qui mènent des activités d’influence. La création d’un Observatoire international sur l’information et la démocratie en 2022 est également à souligner dans cette perspective. Face aux menaces posées par Twitter, TikTok et l’IA générative, D. Colon propose de créer un réseau social européen de service public.
Il alerte également sur le besoin de « renforcer nos anticorps ». En effet, il constate que le nombre de personnels français en charge de la veille informationnelle est inférieur à 100 personnes. Il note l’urgence du renforcement des effectifs de la Sous-direction de la veille et de la stratégie (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) et de VIGINUM (service de l’Etat chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères, rattaché au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale). Enfin, le soutien au journalisme de qualité, à la manière du projet de certification de médias lancé par RSF, lui apparaît également central.
NB : La synthèse a été relue et validée par D. Colon. Copyright pour la synthèse Octobre 2023-Reynier/Diploweb.com
En est-on arrivé à un point où la parole d’une démocratie, avec ses règles, son contrôle parlementaire et les valeurs qu’elle est censée porter vaut moins que celle d’une organisation terroriste?
On peut se le demander… Ainsi, le 17 octobre, le Hamas a accusé Israël d’avoir effectué une frappe aérienne contre l’hôpital Al-Ahli Arabi, administré par le diocèse anglican de Jérusalem et situé dans le quartier Al-Zaytoun, au sud du centre-ville de Gaza. Et, très vite, il a avancé le bilan de 471 tués.
Malgré le manque d’éléments tangibles pour la corroborer, l’affirmation du Hamas a été reprise par l’ensemble des médias et commentée par des organismes internationaux [comme l’Organisation mondiale de la santé], avant d’enflammer les réseaux sociaux et donner lieu à de nombreuses manifestations dans les pays arabes [mais aussi européens].
Seulement, la version du Hamas a été contredite par l’état-major israélien, celui-ci ayant affirmé que l’hôpital avait été en réalité touché par une roquette tirée par le Jihad islamique. Ce que, d’ailleurs, semblait confirmer des images diffusées en direct par la chaîne qatarienne al-Jazeera au moment de cette « frappe » présumée.
Et, depuis Tel Aviv, où il était en visite officielle pour exprimer son soutien à Israël après les attaques terroristes du 7 octobre, le président américain, Joe Biden, a donné du crédit à cette version [et on suppose qu’il avait des informations fournies par ses services de renseignement].
« J’ai été profondément attristé et choqué par l’explosion dans l’hôpital à Gaza hier [17/10]. Et sur la base de ce que j’ai vu, il apparaît que cela a été mené par la partie adverse », a en effet déclaré M. Biden, lors d’une conférence de presse donnée au côté de Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien.
Selon des images de l’hôpital Al-Ahli Arabi prises peu après, il est en effet apparu que la munition en cause était tombée sur le parking de l’hôpital, la structure de l’établissement n’ayant pas été directement touchée. L’explosion survenue ensuite [et que l’on peut voir sur les images d’al-Jazeera] pourrait avoir été amplifiée par celle des réservoirs des voitures qui s’y trouvaient. Ce qui expliquerait le nombre des victimes, qui « se situerait probablement dans le bas d’une fourchette de 100 à 300 » morts, selon le renseignement américain.
En tout cas, les dégâts observés ne correspondent pas à ceux que peuvent faire une bombe larguée par un avion de combat ou un drone, comme la GBU-39 SDB [Small Diameter Bomb] et ses 110 kg d’explosifs. Et c’est d’ailleurs ce qu’affirme le renseignement militaire français.
Jusqu’à présent, le président Macron s’est montré prudent dans cette affaire. « La France condamne l’attaque contre l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza qui a fait tant de victimes palestiniennes. Nous pensons à elles. Toute la lumière devra être faite », a-t-il d’abord réagi. Puis, a-t-il dit par la suite, « le jour où les services français consolideront, avec les services partenaires, des informations sûres, il y aura à ce moment-là une attribution ou des éléments ».
C’est donc désormais le cas. « La nature de l’explosion et les échanges avec d’autres partenaires du renseignement me conduisent à [affirmer] que rien ne permet de dire qu’il s’agit d’une frappe israélienne », a en effet déclaré un responsable de la Direction du renseignement militaire [DRM], le 20 octobre, selon l’AFP. Et d’ajouter : « L’hypothèse la plus probable est une roquette palestinienne qui a explosé avec une charge d’environ 5 kilos ».
Sur les images du parking de l’hopital, la DRM a identifié un « trou [et non un cratère] d’environ 1 mètre sur 75 cm, et de 30 à 40 cm de profondeur. Or, il « fait environ cinq kilos d’explosifs pour produire cet effet, assurément moins de dix kilos », explique-t-elle.
« L’hypothèse d’une bombe ou d’un missile israélien n’est pas possible car la charge minimale de ce type d’armement est très largement supérieur. Un engin de la sorte aurait formé un cratère beaucoup plus grand », insisté ce responsable de la DRM. En revanche, les dimensions du « trou » observé sont cohérentes « pour des roquettes acquises ou fabriquées » par les groupes armés palestiniens.
D’ailleurs, les éléments balistiques qu’elle a analysés confirment l’hypothèse d’un « tir de roquette qui a été détourné ou qui a connu des avaries techniques et dont des éléments ont touché le parking proche de l’hôpital ».
En outre, la DRM a dit douter du bilan avancé par le Hamas. « Un tel bilan, incohérent, supposerait des milliers de blessés », a-t-elle estimé, après avoir expliqué sa décision de « rendre publiques ses analyses à la demande de la présidence française par souci de transparence ».
“La crise est utile en ce sens qu’elle conduit à accélérer la prise de décision. Mais quand on fait face à des mutations nombreuses et de long terme, se concentrer sur la résolution d’une crise de court terme peut se révéler contre-productif sur le long terme. La capacité d’anticipation si souvent mentionnée comme un des éléments fondamentaux en matière d’intelligence économique joue ainsi un rôle fondamental.” Contrôleur général au sein des ministères économiques et financiers, ancien Coordinateur ministériel à l’intelligence économique de Bercy, Jean-Louis Tertian vient de publier La souveraineté stratégique : une question de tempo (Editions du Palio, juin 2023). De fait, nous subissons l’influence pesante des normes et des procédures. Aussi, pour résoudre cette aporie, il faut régler la question du bon tempo à adopter.
Dans l’entretien qu’il a accordé à Bruno Racouchot, directeur de Comes Communication, Jean-Louis Tertian plaide pour une souplesse accrue face aux dif- férentes configurations. Il faut ainsi privilégier notre souveraineté stratégique, prendre du recul et “anticiper les mutations à venir en prenant en compte nos intérêts propres et les porter au niveau européen. Et sans tarder.”