Plaque tournante de l’aide militaire fournie par l’Allemagne à l’Ukraine, la base de Cologne-Wahn [Rhénanie du Nord-Westphalie] abrite plusieurs unités de la Luftwaffe, dont son commandement de la force aérienne [LwTrKdo pour Luftwaffentruppenkommando]. Au total, environ 4000 militaires et 1500 civils y travaillent.
Or, ce 14 août, des capteurs électroniques censés surveiller l’intégrité du réseau d’adduction d’eau potable [AEP] de la base ont signalé des anomalies.
C’est ainsi que, explique la Frankfurter Allgemeine Zeitung [FAZ], une brèche dans la clôture entourant cette emprise militaire a été découverte non loin de ce dispositif d’alimentation en eau. En outre, un employé a dit avoir vu un individu « s’enfuir ».
Aussi, à des fins de vérifications, il a été décidé de fermer la base de Cologne-Wahn, les entrées et les sorties ayant été temporairement suspendues. Dans le même temps, la consommation d’eau a été interdite, dans l’attente des résultats des analyses d’échantillons prélevés dans le réseau AEP.
« Nous prenons cette affaire très au sérieux et travaillons en étroite collaboration et en toute confiance avec les autorités d’enquête compétentes », a expliqué la Bundeswehr. Le MAD [Amt für den Militärischen Abschirmdienst, service de contre-espionnage] participe également aux investigations.
Cela étant, selon la FAZ, les informations selon lesquelles il y aurait eu des cas d’intoxication liés à la consommation d’eau n’ont pas été confirmées. Du moins pas encore.
Par ailleurs, également située en Rhénanie du Nord-Westphalie, la base aérienne de Geilenkirchen, qui abrite notamment les 14 avions d’alerte avancée E-3A AWACS de la Force aéroportée de détection lointaine et de contrôle de l’Otan [NAEW&C], a vu son niveau de sécurité renforcé, alors que des informations contradictoires ont circulé à son sujet.
« La base [de Geilenkirchen] n’a été fermée à aucun moment. Nous avons vérifié l’eau. Elle est bonne. La base reste accessible », a en effet assuré un porte-parole de l’Otan, prenant ainsi le contre-pied de la Bundeswehr, qui avait affirmé le contraire un peu plus tôt.
Pour rappel, plusieurs responsables de services de renseignement européens ont mis en garde contre de possibles « opérations de sabotage » orchestrées par la Russie. En avril, deux ressortissants germano-russes ont été interpellés en Bavière. pour avoir planifié des attaques « contre des installations militaires américaines ».
Alors que les menaces proférées par Donald Trump à l’encontre des Européens continuent de défrayer la chronique, un rapport des services de renseignement extérieurs russes, dresse un tableau des plus inquiétants concernant le potentiel industriel militaire européen en développement dans les années à venir, face à celui des armées russes.
En effet, selon ce rapport, en dépit des annonces et déclarations politiques, les européens ne parviendraient pas, par manque de munitions, à contenir la menace russe dans les années à venir, en appliquant les plans qui sont les leurs aujourd’hui, et il leur faudra quinze ans pour être en mesure de mener un conflit majeur.
Cette faiblesse structurelle européenne créera, selon le rapport des services de renseignement extérieurs russes, de nombreuses opportunités pour que Moscou puisse exploiter son rapport de force favorable, pour tenter de prendre l’avantage sur l’UE et l’OTAN. Car de toute évidence, que Trump soit ou non élu en novembre prochain, les européens devront contenir seuls, et à court terme, la menace russe.
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L’électrochoc Trump pour sortir les européens de leur léthargie volontaire
Il faut dire que la menace de retirer la protection américaine aux pays qui ne « paieraient pas ce qu’ils doivent aux États-Unis« , a sorti brutalement de leur torpeur un grand nombre de dirigeants européens, persuadés que la protection que leur confèrent les États-Unis depuis 75 ans maintenant, était inamovible et illimitée, et qu’il leur suffisait d’acheter quelques avions et missiles américains, pour assurer leur sécurité.
De fait, un certain vent de panique est venu souffler dans les chancelleries européennes, entrainant des réactions allant de la prise de conscience violente, à une certaine forme de déni peu convaincant, voulant se persuader que la menace est purement électorale, voire que le peuple américain, et ses représentants au Congrès, ne laisseraient pas Donald Trump prendre une telle posture, s’il venait à remporter les prochaines élections.
Or, si Donald Trump venait à s’imposer lors des prochaines élections, et qu’il détenait la majorité au Sénat et la Chambre des Représentants, les risques qu’il puisse, effectivement, mettre en œuvre son projet, sont très élevées, d’autant qu’il en a fait un thème récurrent de sa campagne et un argument majeur de sa réélection.
L’indispensable basculement des armées américaines vers le Pacifique face à la Chine
Si les positions de Trump font l’effet d’un électrochoc sur les européens, elles sont loin d’être les seules à venir remettre en question la protection, par les armées US, de l’Europe. En effet, comme abordé à plusieurs reprises sur ce site, le Pentagone sera, bientôt, contraint d’effectuer un redéploiement majeur de ses forces déployées en Europe, en Afrique, et au Moyen-Orient, pour concentrer l’immense majorité de ses moyens militaires face au théâtre Pacifique.
Pire encore, si un conflit venait à éclater en Europe, Washington serait certainement dans l’incapacité de venir renforcer, de manière significative, le dispositif européen, au risque de donner à Pékin l’opportunité de déclencher une action militaire contre laquelle les armées US n’auraient plus les moyens de réagir, et de perdre, ainsi, sur les deux tableaux.
Les différences, avec les menaces faites par Donald Trump, sont tout de même significatives. En effet, dans le cas d’un redéploiement américain encadré, le bouclier antimissile, et surtout, le parapluie nucléaire américain, demeurerait en place, contenant de fait un potentiel chantage nucléaire russe, qui devrait, autrement, être contenu par les seuls moyens français et britanniques.
En outre, les armées US pourraient continuer à alimenter leurs alliés en matière de renseignement et de communication, en particulier grâce à la galaxie de satellites en cours de déploiement, alors que les européens auraient l’assurance de pouvoir s’appuyer sur l’industrie américaine de défense, tout au moins pour un temps, tant que cela ne viendra pas menacer le bon fonctionnement des armées US face à l’APL.
En revanche, que Trump mette ou pas en œuvre ses menaces, il ne fait guère de doutes qu’à compter de 2025, probablement avant, les européens devront assurer eux-mêmes leur propre sécurité, et contenir la Russie, sans pouvoir compter sur une aide conventionnelle américaine significative dans ce domaine.
Les armées européennes doivent anticiper et accompagner le désengagement américain, plutôt que le subir
Il apparait, de ce qui précède, que le retrait des armées américaines d’Europe, a un caractère inéluctable et indépendant du résultat des élections présidentielles à venir. Ne pouvant agir ni sur les électeurs américains, ni sur les impératifs des États-Unis en matière de défense, et la priorité donnée au théâtre pacifique et la Chine dans ce domaine, les européens n’ont d’autres choix, que d’accompagner au mieux ce désengagement, plutôt que de le subir.
La première étape, pour y parvenir, serait de mettre fins aux faux espoirs, et aux dénis de réalité, que l’on peut percevoir, encore, dans les déclarations de certains dirigeants européens, comme Olaf Scholz. Il s’agit, en effet, d’anticiper cette transformation, dans toute son urgence, y compris en agissant bien avant l’élection possible de Trump.
Cette prise de conscience suppose, d’ailleurs, un effort de bonne volonté de la part des États-Unis, qui doivent aussi, de leurs côtés, reconnaitre le plus rapidement possible, la nécessité de ce désengagement, et ne pas mettre les européens devant le fait accompli, comme ils le firent en Afghanistan, ou plus récemment, en Ukraine.
Les européens, de leurs côtés, sont en devoir de considérer, dès à présent, l’hypothèse de devoir contenir la menace russe, sans s’appuyer sur les États-Unis, y compris en matière industrielle et technologique.
Cela suppose, évidemment, la mise en œuvre d’un vaste plan de réinvestissement industriel, de sorte à être en mesure de soutenir un conflit majeur de longue durée, le cas échéant, et de repenser le format des armées, pour contenir une armée forte de près de 2,5 millions d’hommes, soit les 1,5 million de militaires d’active et le million de réservistes russes.
Le renseignement extérieur russe estime qu’il faudra 15 ans aux européens pour mener une guerre de haute intensité
En effet, la faiblesse des européens, dans ces deux domaines, aiguise désormais jusqu’aux appétits des services de renseignement russes. Ainsi, un récent rapport des services de renseignement extérieur, le SVR, a présenté un tableau pour le moins inquiétant, mais pas nécessairement exagéré, des capacités des industries de défense européennes, aujourd’hui, et dans les années à venir.
Si le soutien à l’Ukraine est déjà, en soi, un problème important pour les européens, la reconstruction de leurs capacités industrielles de défense, face à la Russie, l’est encore davantage. En effet, selon ce même rapport, il faudra quinze ans aux européens, pour reconstruire une industrie de défense suffisante pour soutenir un conflit majeur face à la Russie.
Si les services de renseignement russes ne préconisent pas d’action militaire contre l’Europe pour exploiter cette faiblesse, ce n’est pas leur rôle, ils préconisent, cependant, d’exploiter cette faiblesse relative sensible, pour déstabiliser, voire briser, les alliances qui existent en Europe, en détachant, un à un, les pays les plus vulnérables ou exposés, de l’UE et de l’OTAN, en agitant la menace militaire, et en menant, simultanément, des actions de déstabilisation politique.
Nous voila prévenu ! Alors que certains estiment encore que la Russie n’est pas un adversaire des européens, de toute évidence, l’Europe est désormais l’adversaire à abattre pour Moscou, ses services de renseignement, et ses armées.
Le rôle stratégique de l’aide européenne à l’Ukraine pour contenir la menace russe
Ce rapport fait écho à d’autres rapports, occidentaux cette fois, particulièrement pessimistes quant à l’avenir du conflit en Ukraine. Selon ceux-ci, l’action conjuguée de l’arrêt de l’aide militaire américaine, les difficultés de l’industrie européenne pour prendre le relais de Washington dans ce domaine, et celles rencontrées par les Armées ukrainiennes pour renouveler leurs effectifs, dessinent des perspectives des plus inquiétantes dans les mois à venir pour Kyiv, alors que, dans le même temps, Moscou peut s’appuyer sur une industrie en pleine croissance, et une population docile et mobilisée.
Certes, les armées ukrainiennes peuvent toujours s’appuyer sur la plus-value conférée par leur posture défensive, engendrant bien plus de pertes chez l’attaquant que chez le défenseur, pour des gains territoriaux limités.
Toutefois, le potentiel militaire ukrainien semble s’user bien plus rapidement que celui des russes, de sorte que l’hypothèse d’une rupture n’est plus à exclure, sauf à ce que les européens parviennent à augmenter rapidement, et de manière très conséquente, leur soutien militaire, et ce, sans attendre que les États-Unis fassent de même, comme évoqué, là encore, par Olaf Scholz.
En effet, si les lignes défensives ukrainiennes venaient à céder, la chute du pouvoir politique, donc du pays, ne peut probablement pas être évitée. Dans l’hypothèse d’une victoire russe en Ukraine, Moscou disposerait alors d’un outil militaire susceptible d’être rapidement régénéré, par son industrie, et tout aussi rapidement redéployé, pour venir menacer certains pays européens, sans que ceux-ci puissent y répondre de manière symétrique.
Rappelons, à ce titre, qu’il ne fallut, en 1945, que 3 mois aux armées russes, pour déplacer plusieurs corps d’armées du théâtre européen, à la frontière avec la Corée et la Mandchourie, face à l’Empire du Japon, à 8 000 km de là, après la victoire alliée contre l’Allemagne Nazie.
De fait, déplacer de mille ou deux mille kilomètres le dispositif russe face à l’Ukraine, est largement à la portée des armées et chemin de fer russes, en quelques semaines seulement. En outre, une fois le pouvoir politique ukrainien tombé, les armées russes pourront aisément venir se déployer sur les frontières occidentales du pays, bordant la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, ou encore la Roumanie, quatre pays de l’OTAN et de l’UE, et la Moldavie, candidate à l’adhésion.
De fait, le soutien européen à l’Ukraine représente, aujourd’hui, un impératif de portée stratégique pour l’Europe, et les européens, et leur sécurité, pour contenir et limiter la menace russe immédiate, alors même qu’aucune armée européenne n’est effectivement prête à s’engager dans un conflit de haute intensité aujourd’hui.
Un changement radical de calendrier s’impose pour la modernisation des armées et de l’industrie de défense européennes
De toute évidence, et de ce qui précède, un changement radical de calendrier s’impose concernant la modernisation des armées européennes, pour répondre à la dynamique de la menace qui se dessine.
Non seulement, les européens doivent-ils mobiliser leurs moyens pour garantir la résistance des armées ukrainiennes face aux coups de boutoirs russes, mais aussi, doivent-ils réviser en profondeur les calendriers qui, aujourd’hui, encadrent la modernisation de leurs forces, et le redéploiement industriel qui l’accompagne.
Loin de représenter une opportunité commerciale ou politique, comme plusieurs dirigeants européens continuent de la considérer, l’évolution de la menace russe, cumulée à l’inévitable retrait américain du théâtre européen, constitue un enjeu sécuritaire existentiel pour l’ensemble des organes politiques mis en place depuis 70 années pour assurer la sureté du vieux continent, qui ne résisteront pas à un rapport de force trop défavorable en faveur de la Russie, sans une protection américaine de plus en plus incertaine.
En particulier, les européens, et plus spécifiquement les économies les plus importantes du vieux continent, doivent accroitre leurs investissements en matière de défense, avec des objectifs à court terme, dans les 5 ans à venir, et non se contenter de projets à long terme, au-delà de 2040, alors que le pic de la crise se situera probablement entre 2027 et 2032.
Surtout, les dirigeants européens doivent cesser de considérer avec dédain les alertes des services de renseignement, des armées, et du pouvoir politique des pays d’Europe de l’Est les plus concernés, qui sont en première ligne face à cette menace, et bien souvent, qui connaissent le mieux la Russie.
C’est à cette condition, et seulement celle-ci, que l’Europe pourra traverser les crises qui se dessinent dans les années à venir, et qui ont un pouvoir déstructurant plus que considérable.
Article du 13 février en version intégrale jusqu’au 23 aout 2024
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À l’occasion de la Conférence navale de Paris, qui s’est tenue il y a quelques jours, le Chef d’état-major des Armées français, le général Thierry Burkhard, a défendu la pertinence et l’efficacité du porte-avions dans la guerre navale moderne.
Soutenant la décision de remplacer le Charles de Gaulle par le porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ou PANG, en 2038, le CEMA a ainsi fait une liste non exhaustive des différentes capacités exclusives à ce navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, allant de la rupture d’un déni d’accès à la communication géopolitique, en passant par la transformation de la géométrie d’un espace de crise ou de conflit.
Le fait est, si le porte-avions fait toujours l’objet de nombreuses critiques, il est aussi doté de capacités opérationnelles, technologiques et politiques, qui en font un outil sans équivalent à disposition des états-majors et des autorités politiques, qui peuvent aisément justifier son existence, mais qui, dans le même temps, interrogent sur la nécessité d’un second navire pour assurer la permanence de ces mêmes capacités jugées uniques et indispensables…
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Trop vulnérable, trop cher… La pertinence du porte-avions remise (à nouveau) en question
Ces dernières années, la pertinence du porte-avions a été fréquemment remise en cause, en France comme aux États-Unis, y compris au sein des armées. Pour ses détracteurs, le porte-avions est désormais un outil obsolète, trop vulnérable pour représenter un atout opérationnel. Cette perception a été accrue avec l’apparition des missiles balistiques antinavires, ou AShBM, comme le DF-21D et le DF-16 chinois, et surtout le missile hypersonique antinavires 3M22 Tzirkon russe.
Présentés comme imparables par certains, ces nouveaux missiles seraient, en effet, capables d’atteindre une cible majeure, comme un porte-avions ou un grand navire amphibie, à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres, sans qu’il soit possible de s’en protéger.
En outre, les investissements nécessaires pour concevoir, construire et mettre en œuvre un porte-avions moderne, son groupe aérien embarqué, et son escorte de frégates, destroyers, navires logistiques et sous-marins, pourraient, toujours selon ses détracteurs, être bien mieux employé dans d’autres domaines, également sous tension.
En revanche, la question de la prétendue vulnérabilité du porte-avions face aux nouvelles menaces, n’est pas un enjeu. Certes, de nouveaux missiles antinavires sont apparus. Toutefois, leurs performances ne constituent, dans les faits, qu’une évolution des performances qu’avaient certains missiles plus anciens, notamment les missiles antinavires supersoniques soviétiques, qui évoluaient au-delà de Mach 1 en transit, et Mach 3 ou 4 en attaque finale.
Comme ce fut le cas dans les années 70, avec la conception du système AEGIS et du couple F-14 Tomcat/ AIM-54 Phoenix, pour contrer la menace que représentaient ces nouveaux missiles soviétiques, de nouveaux missiles et systèmes défensifs sont en développement pour contrer ces missiles balistiques, hypersoniques ou non, antinavires.
À ce titre, les destroyers américains ont déjà pu employer, avec succès, le nouveau missile SM-6 pour intercepter les AShBM Houthis en mer Rouge, ce qui tend à indiquer qu’ils seront aussi capables d’intercepter les DF-21D et DF-16, les fameux Tueurs de Porte-Avions chinois, qui avait tant fait couler d’encre il y a quelques années. Il est probable qu’un missile comme l’Aster 30 soit, lui aussi, d’une telle interception. Et il en va de même de la menace hypersonique.
En d’autres termes, si, comme l’a reconnu le général Burkhard , il n’est plus possible, aujourd’hui, de revendiquer la supériorité technologique sur un espace de conflictualité, naval ou autre, le porte-avions n’est pas plus exposé ou vulnérable qu’il ne l’était auparavant, tout en conservant des capacités exceptionnelles.
La Groupe d’action naval, un outil d’une polyvalence inégalée
Ces atouts uniques sont au nombre de quatre. Le premier d’entre eux, repose sur la polyvalence sans équivalent, d’un porte-avions et de son Groupe d’Action Navale à la mer. Cette polyvalence a été démontrée, ces dernières semaines, par le déploiement de l’USS Eisenhower en Méditerranée et au Proche-Orient.
Initialement, la mission de Carrier Strike Group de l’Eisenhower, était d’effectuer une démonstration de forces au large des côtes israéliennes, suite à l’attaque du 7 octobre, pour contenir le conflit et empêcher son extension. Après quoi, il fut envoyé dans le golfe d’Aden, d’abord pour protéger les navires commerciaux des frappes Houthis, puis pour mener des frappes contre ces mêmes infrastructures Houthis desquelles les missiles étaient lancés.
De fait, au cours d’un même déploiement, le navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, ont effectué plusieurs missions de nature très différentes, aussi bien offensives que défensives, et même purement géopolitiques.
En effet, le groupe aérien du porte-avions, ses moyens propres et ceux de son escorte, confèrent au groupe d’action naval une polyvalence supérieure à celle de n’importe quelle unité navale, et même aérienne, susceptible non seulement de remplir un très vaste panel de missions, mais de les remplir simultanément ou successivement lors d’un même déploiement.
La capacité à durer d’un porte-avions au combat
Non seulement le porte-avions est-il d’une polyvalence inégalable, mais il dispose, en outre, d’un atout remarquable, sa capacité à durer au combat. En effet, contrairement à la plupart des navires militaires, le porte-avions a la possibilité de régénérer, voire de remplacer dynamiquement ses moyens offensifs et défensifs, au cours d’un même déploiement.
Ainsi, si l’Armée de l’Air et de l’Espace était parvenue à effectuer, avec l’ide de frégates de la Marine nationale, l’opération Hamilton contre les infrastructures chimiques syriennes, en avril 2018, celle-ci aurait été incapable de mener des frappes de même type dans la durée.
En effet, chaque mission ayant une durée de plus d’une dizaine d’heures, et mobilisant un grand nombre d’avions de soutien pour accompagner les Rafale et Mirage 2000-5 de la métropole jusqu’à la Méditerranée Orientale, l’Armée de l’Air serait rapidement arrivée à court de son potentiel au bout de quelques missions seulement.
À l’inverse, le porte-avions peut maintenir une posture opérationnelle, beaucoup plus proche des cibles visées, et donc mener des frappes quotidiennes, tout en économisant le potentiel de vol de ses aéronefs, pendant plusieurs mois. Ainsi, l’USS America, CVA-66, a été déployé en mission opérationnelle au large des côtes vietnamienne, durant 292 jours, de juin 1972 à mars 1973.
Faute de disposer d’un allié acceptant l’utilisation de ses bases, comme c’était le cas pour les frappes contre la Syrie, la base aérienne française de Jordanie ne pouvant être employée pour cette mission, le porte-avions est le seul à pouvoir maintenir une pression constante et soutenue, sur le dispositif adverse.
L’adaptabilité intrinsèque du porte-avions pour répondre aux évolutions
Système de systèmes par excellence, le porte-avions et son groupe naval, se caractérise également par une très importante évolutivité, lui conférant de nouvelles capacités qui ne s’imaginaient peut-être pas, lors de son entrée en service.
Ainsi, le groupe aérien de l’USS Nimitz, entré en service en 1975, se composait initialement de F-4 Phantom 2, A-6 Intruder et A-7 Corsair II, à la sortie de la guerre du Vietnam. Il se compose, dorénavant, de F/A-18 E/F Super Hornet et C Hornet, de EA-18G Growler et de E-2C Hawkeye, lui conférant des possibilités sans commune mesure avec son groupe aérien initial. Ses sisterships emportent, quant à eux, le nouveau F-35C, et certains pourraient même accueillir le futur NGAD.
Son escorte, quant à elle, est passée des croiseurs Longbeach ou California, destroyers Spruance, frégates Knox et sous-marins Los Angeles, aux destroyers Arleigh Burke et croiseurs Ticonderoga armés du système antiaérien et antibalistique AEGIS et de missiles de croisière Tomahawk, et sous-marins Virginia. En outre, par son volume et sa capacité énergétique, le porte-avions lui-même est une plate-forme nativement conçue pour être évolutive.
Ainsi, le Charles de Gaulle français s’est vu doté, au fil des années, de nombreuses capacités nouvelles, alors qu’à l’occasion de sa prochaine phase de modernisation, il recevra le nouveau radar AESA à face plane Sea Fire 500 de Thales, lui permettant de contrôler un espace aérien sur 350 km de rayon, étendues par les capacités de détection des nouvelles frégates FDI, elles aussi, équipées du même radar, et du nouvel avion radar E-2D Hawkeye.
Cette capacité à évoluer, et à intégrer de nouveaux moyens pour répondre à l’évolution de la menace sur les différents espaces de conflictualité, est, à ce titre, présentée comme l’un des enjeux clés du développement du nouveau porte-avions nucléaire PANG de la Marine nationale, par le CEMA lui-même.
La visibilité du porte-avions, un atout majeur dans la guerre de communication et la communication de guerre
Enfin, le porte-avions peut se parer d’une dernière vertu, que très peu de moyens militaires peuvent égaler, tout au moins dans le domaine conventionnel. En effet, au-delà de son potentiel offensif et défensif global, et de sa capacité à faire peser une menace constante sur l’adversaire, le porte-avions a un atout majeur dans la guerre moderne : il dispose d’une visibilité aussi importante que modulable.
Ainsi, l’envoi d’un porte-avions et de son escorte, à proximité d’un espace de crise, constitue aujourd’hui un message politique et diplomatique d’une immense portée, qui ne peut, objectivement, être dépassée que par le déploiement de missiles à capacités nucléaires, ou d’une force armée conventionnelle considérable.
Il s’agit, pour les pays qui disposent de cet outil, souvent du dernier avertissement précédant une frappe massive, qui d’ailleurs a fréquemment eu les effets escomptés, y compris contre des pays vindicatifs, comme l’Iran, la Syrie, la Libye, ou la Corée du Nord. Dans la même temps, par sa grande mobilité, le porte-avions sait aussi se faire discret, lorsque cela est nécessaire.
Conclusion
Bien que remis en cause par certains, le porte-avions demeure, aujourd’hui, un outil sans équivalent en matière de guerre navale, et ce, dans de nombreux domaines. Par sa polyvalence, sa capacité à durer, son évolutivité et sa visibilité, il confère aux pays qui en disposent, et à leur marine, un potentiel opérationnel et politique unique pour agir sur une crise, ou un conflit ayant une dimension navale.
Reste qu’il s’agit d’un outil onéreux, que l’on peut aisément comparer, à l’autre bout du spectre naval, avec les sous-marins à propulsion nucléaire, aussi discrets, invisibles et spécialisés que le porte-avions est ostentatoire, visible et polyvalent. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce sont les pays qui disposent, également, de ce type de sous-marins qui, par ailleurs, alignent les porte-avions les plus importants.
Reste qu’en France, si la question du remplacement du Charles de Gaulle par le PANG, ne semble plus se poser, celle de la construction d’un second navire, de même type, ou de dimensions plus réduites, et doté d’une propulsion conventionnelle, pour en optimiser les couts et le potentiel export, ne semblent pas, non plus, sérieusement considérée, alors qu’un unique navire ne permet d’en avoir la jouissance opérationnelle que 40 à 50% du temps, dans le meilleur des cas.
En outre, en dépit des surcouts engendrés par une telle décision, des solutions existent précisément pour en réduire les effets de captation sur les autres budgets des armées, comme la coopération internationale européenne, avec des pays comme la Belgique et les Pays-Bas, dont les frégates escortent fréquemment le Charles de Gaulle ces dernières années.
Il faudra donc, dans un avenir proche, mettre en cohérence les positions et les besoins opérationnels, avec les ambitions politiques, et surtout avec les moyens conférés aux armées, en particulier dans ce domaine.
Article du 2 février en version intégrale jusqu’au 21 aout 2024
Le capitaine Sébastien Mabire (36 ans). Pilote de chasse depuis 2013, il a commencé sa carrière opérationnelle au sein du régiment de chasse 2/30 « Normandie-Niémen » avant d’être instructeur au sein de l’escadron de transformation Rafale 3/4 « Aquitaine », depuis août 2022.
Le lieutenant Matthis Laurens (29 ans). Pilote de chasse breveté en 2021, il était affecté sur Rafale au sein du régiment de chasse 2/30 « Normandie-Niemen » depuis novembre 2023. Il poursuivait son instruction au sein de l’escadron de transformation Rafale 3/4 « Aquitaine ».
Pour rendre hommage à ces deux aviateurs : inmemoriam.aae@gmail.com
À Vilnius, le 11 avril 2024, le neuvième sommet annuel de « l’initiative des trois mers » avait des allures de nouveau pacte de Varsovie. Depuis février 2022 et l’invasion de l’Ukraine, les anciennes nations du bloc soviétique redoublent leurs efforts économiques pour refouler la puissance russe.
« L’initiative des trois mers change l’axe de circulation en Europe» annonçait fièrement le président lituanien Gitanas Nauseda, le 17 janvier 2024 au forum économique mondial de Davos. À ses côtés, le président polonais Andrzej Duda, le président letton Edgars Rinkevics, et le Premier ministre croate Andrej Plenkovic. C’est en 2016 que la Croatie, la Roumanie et la Pologne, trois pays de trois mers différentes, ont regroupé pour la première fois, et dans une relative discrétion, leurs neuf voisins à Dubrovnik. Cette initiative des trois mers (ITM) avait pour simple objectif d’opérer une meilleure jonction économique entre les mers Baltique, Adriatique et Noire. L’initiative évitait de désigner ouvertement Moscou comme adversaire et ouvrait les bras aux capitaux américains et chinois, espérant capter quelques retombées des nouvelles routes de la soie (OBOR). Les communiqués officiels louaient l’esprit de partenariat, d’unité, de cohésion et de collaboration. Un vocabulaire qui semble aujourd’hui démodé.
La grande Pologne
Ce nouvel isthme stratégique européen, reliant les mers intérieures de l’Europe, est historiquement un vieux rêve polonais du maréchal Józef Piłsudski, premier chef d’État de la Pologne moderne. Il devait ressusciter, en plus grand, l’ancienne République des deux nations lituanienne et polonaise (1569-1795), laquelle englobait une grande partie de l’Ukraine et de la Biélorussie actuelle. Au début du XXe siècle, ce rêve de restauration et d’expansion nationale prit le nom de « Fédération entre-mers » (Miedzymorze en polonais). Il avait déjà pour ambition de contenir l’empire russe mais fut brisé net par les armées nazies et soviétiques en 1939. L’ITM est précisément une promesse de campagne d’Andrezj Duda, l’actuel président polonais (PIS), lequel a ensuite convaincu son homologue croate Kolinda Grabar-Kitarovic de lancer ce projet à travers l’Europe. La banque de développement polonaise, Gospodarstwa Krajowego (BGK), est toujours au cœur du dispositif. À Vilnius, les rêves de grande Pologne ou de grande Lituanie, remparts à la barbarie russe, ont sans doute trotté dans les esprits, car l’ambition géopolitique de cette nouvelle alliance de l’Europe orientale s’affiche désormais sans scrupule. Il s’agit de bâtir un mur économique étanche à l’Est. Elle exploite la nouvelle donne stratégique et les sanctions économiques échangées depuis deux ans entre la Russie et le reste de l’Europe.
Ces grands sommets internationaux, qui se teintent parfois de nostalgies impériales, peuvent accoucher d’une souris. Déjà dans l’entre-deux-guerres, « la petite entente », cette barrière de l’Est voulue par la France pour faire tampon entre l’Allemagne et l’URSS s’était effondrée comme un château de cartes. Plus récemment, on se souvient de l’inauguration en grande pompe de l’Union pour la Méditerranée au Grand Palais à Paris, laquelle a sombré dans les méandres des printemps arabes avant de revenir à quelques projets économiques plus réalistes.
L’ITM prend le chemin inverse. Elle réanime, dans un grand récit stratégique, de vieux projets économiques comme le North-South Gas Corridor (NSGC), un plan gazier lancé en 2011, déjà adoubé par l’Union européenne. À l’époque le mémorandum sur le NSGC avait été signé par 13 pays dont huit sont aujourd’hui signataires de l’ITM. L’Union européenne avait parallèlement lancé un plan d’interconnexion gazier dans les pays baltes et en Finlande dès 2009 (Baltic Energy Market Interconnection Plan, BEMIP). Quant au projet de terminal gazier en Roumanie, il était déjà dans les cartons en 2003. Depuis l’invasion de l’Ukraine, les masques sont tombés et l’ITM ne cache plus son hostilité à la Russie. L’Ukraine et la Moldavie ont fait leur entrée dans le groupe, comme membres partenaires en 2022 et 2023, à l’occasion des sommets de Riga et Bucarest. Quoique l’ITM ait été calquée sur le modèle de l’organisation de coopération de Shanghai (OCS), un espace informel de dialogue économique et politique entre les États de la région, la Chine est désormais éloignée de ce groupement d’intérêt est-européen.
Et les questions économiques ne sont plus exclusives des approches de sécurité. «L’importance stratégique de l’initiative des trois mers, où la coopération est fondée sur l’axe Nord-Sud, s’est considérablement accrue en ce qui concerne la sécurité régionale et en tant que contrepoids à l’axe dominant Est-Ouest», résumait le président lituanien dans son allocution de janvier, relayé par son service de communication.
Il est vrai que la Grèce a fait son entrée en septembre 2023 dans l’ITM. En 2022, les alliés de la Roumanie y ont vu un moyen d’ouvrir une alternative terrestre à un blocus militaire du détroit du Bosphore prévu par la convention de Montreux depuis 1936. De fait, on pourrait maintenant parler de l’initiative des quatre mers, en y ajoutant la mer Égée. Mais, en s’élargissant vers le sud, et malgré le corridor autoroutier qui relie désormais la capitale bulgare Sofia à Struma à la frontière grecque, le port roumain de Constanta perd objectivement de son intérêt au profit de Thessalonique. Surtout, l’entrée de la Grèce dans le projet tend à coaliser la Turquie et la Russie, deux grandes nations autrefois rivales dans le développement des grandes voies commerciales. L’éloignement de la Géorgie du bloc occidental ces dernières années a parallèlement rétréci les débouchés roumains en mer Noire orientale. Les nouvelles routes commerciales eurasiatiques (Est-Ouest) qui arrivent aux portes de l’Europe se trouvent dans une impasse politique et militaire.
Projets économiques
Avec le temps, l’initiative des trois mers est donc apparue comme une déclinaison énergétique des élargissements de l’OTAN et de l’UE qui se poursuivent depuis les années 2000.
À Vilnius, les chefs d’État ou de gouvernement ont d’ailleurs fait le bilan des principaux projets économiques lancés à Dubrovnik et Varsovie en 2016 et 2017. En 2015, la Pologne avait déjà inauguré son premier terminal de GNL (gaz naturel liquéfié) à Świnoujście, tout près de la frontière allemande. Elle importe depuis lors du gaz à la Norvège depuis le Baltic Pipe. L’ITM vient lui apporter les débouchés nécessaires pour toucher des droits de passage dans toute l’Europe centrale. Pologne, Roumanie et Croatie cherchent à s’interconnecter pour élargir leur hinterland et démultiplier les possibilités commerciales. La Croatie a terminé la construction de son terminal de GNL à Krk en 2019 et la Roumanie a fait de même dans le port de Constanta au bord de la mer Noire. Des pipe-lines devaient relier les terminaux portuaires de GNL de Pologne, Croatie et Roumanie et irriguer la Hongrie, la Bulgarie ou l’Autriche, dépendantes à près de 100 % du gaz russe avant que Kiev et Moscou n’entrent ouvertement en guerre. De fait, les importations de gaz en provenance d’Amérique et de la mer du Nord ont été facilitées par le TSI, mais ce sont les voies routières qui ont profité de la destruction des gazoducs Nord Stream par des services pro-ukrainiens. Ces derniers vecteurs gaziers, à majorité germano-russes, contournaient les PECO (pays d’Europe centrale et orientale) par la mer Baltique pour alimenter directement l’Europe occidentale en hydrocarbure. Une fois l’alternative gazière du GNL américain prépositionnée, la confrontation avec la Russie devenait moins aléatoire pour les anciens membres du pacte de Varsovie passés à l’ouest. Nord Stream pouvait sauter.
Polonais, Croates et Roumains ont également été encouragés par les pays baltes qui ont voulu rompre leur isolement géo-économique depuis la forte dégradation de leurs relations avec leur voisin russe. Ils insistent sur l’importance de la coordination de l’ITM avec les plans militaires de l’OTAN. En plus des autoroutes transnationales, la via Carpatia reliée à la via Baltica, le président lituanien a souligné à Davos l’importance du chemin de fer Rail Baltica pour l’acheminement rapide des troupes et des blindés de l’OTAN vers le front russe ou pour opérer des bascules de forces le long de la frontière russe. Enfin, les pays baltes ont décidé, avec un an d’avance sur leurs prévisions, de synchroniser leurs réseaux électriques avec les autres pays de l’Union européenne. Ils profitent depuis peu de l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, mais le corridor terrestre de Suwalki qui les relie à la Pologne reste étroit de 80 km.
Unification européenne
Au cœur de l’Europe centrale, ITM a été plus laborieuse. L’Autriche et son gouvernement conservateur partagent la ligne prudente de la Hongrie et de la Slovaquie par rapport à l’hostilité russo-polonaise. Ils n’ont quasiment pas financé l’ITM et bénéficient toujours d’un gaz russe qui transite par l’Ukraine. L’Union européenne a été également discrète. L’ITM enjambe l’Europe de l’Ouest pour se brancher directement sur trois piliers gaziers de l’OTAN : les États-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège. Pourtant, l’ITM a été discrètement appuyée par la Commission européenne, laquelle y voit un projet de développement économique conforme à sa doctrine d’effacement des frontières nationales au profit de grands ensembles régionaux. Les pays d’Europe occidentale n’ont pas vu l’intérêt de financer un tel projet, mais le soutien timide de Bruxelles est là. L’Union européenne a accordé le statut de PCI (projets d’intérêts communs) à l’ITM. Ce label facilite l’octroi de prêts et de financement de la part de la Connecting Europe Facility (CEF). L’objectif est de bénéficier à terme des juteux fonds d’infrastructures européens suivis par l’Agence exécutive pour l’innovation et les réseaux.
Pour les États-Unis, le véritable parrain stratégique de l’ITM, il s’agit de réactiver l’ancien pacte de Varsovie, mais cette fois contre Moscou. Parmi les invités du sommet inaugural de Dubrovnik, on pouvait certes noter la présence de l’adjoint du ministre chinois des Affaires étrangères Liu Haixing, en vue de l’interconnexion du projet avec la nouvelle route de la soie, mais surtout celle de l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Barack Obama, le général James L. Jones, lequel insistait d’emblée sur le rôle que l’initiative pourrait avoir dans le développement de l’OTAN en Europe. «C’est un vrai projet transatlantique qui a d’énormes ramifications géopolitiques, géostratégiques et géo-économiques» déclarait-il au think tank The Atlantic Council. Dans son discours de Varsovie en 2017, Donald Trump ne cachait pas l’objectif ultime de sa venue : «Nous tenons à vous assurer l’accès aux sources alternatives d’énergie afin que la Pologne et ses voisins ne soient plus l’otage de l’unique fournisseur d’énergie. » Bien que le libéral Donald Tusk soit de retour au pouvoir à Varsovie, nul doute que Donald Trump poursuivra son soutien à la Pologne, s’il revient au pouvoir en janvier 2025. En effet, cette initiative des trois mers a un double attrait pour les États-Unis. Il s’agit non seulement de renforcer la cohésion des pays en première ligne face à la Russie de Vladimir Poutine, mais aussi de contourner l’Europe de l’Ouest, jugée parfois trop molle dans son soutien à l’OTAN. Le vaste projet de Donald Rumsfeld qui était de miser en 2003 sur « la nouvelle Europe » (centrale, conservatrice et belliqueuse) pour mieux marginaliser « la vieille Europe » (occidentale, pacifiste et progressiste) est toujours d’actualité. «La façon dont les pays d’Europe centrale et orientale regardent le monde et les menaces auxquelles ils font face est bien plus alignée sur la vision américaine que sur celle de nos alliés traditionnels d’Europe occidentale» observait le général Jones à Dubrovnik. En ligne de mire, le jeu trouble de l’économie allemande par rapport à la Russie. Pour Washington, il s’agit de couper les derniers liens qui pourraient subsister entre les intérêts allemands et russes. Un rapprochement entre Moscou et Berlin est perçu comme une menace inacceptable pour les intérêts américains en Europe. Inversement, les pays d’Europe centrale peuvent trouver à Washington un moyen de contrebalancer les pressions politique ou économique de la Commission européenne et de l’Allemagne.
Quel rapport à l’histoire, et notamment à Lénine, entretient Vladimir Poutine ? 100 ans après la mort du dictateur communiste, que reste-t-il de sa légende dans la Russie d’aujourd’hui ?
Vladimir Ilitch Oulianov, mieux connu sous le pseudonyme Lénine, pris vers 1900-1901, est décédé le 21 janvier 1924, à l’âge de 54 ans. Cent ans après sa disparition, son nom continue de susciter la controverse : père du totalitarisme soviétique et impitoyable dictateur pour les uns, il demeure pour les autres un penseur de premier plan et l’architecte d’un État, l’Union soviétique, qui a incarné durant la majeure partie du XXe siècle un contre-modèle face à l’Occident capitaliste. La polémique n’épargne pas la Russie, où le rapport au fondateur de l’URSS demeure pour le moins contrasté aussi bien dans la population qu’au sommet de l’État, Vladimir Poutine reprochant notamment à son lointain prédécesseur d’avoir « créé l’Ukraine ». Dans une riche biographie qui vient de paraître aux éditions Flammarion, l’historien Alexandre Sumpf (Université de Strasbourg) revient sur la vie tumultueuse de l’un des hommes les plus controversés de l’histoire récente. Nous vous en présentons ici quelques passages.
Beaucoup a été écrit par Lénine, sur Lénine, contre Lénine – et nombre de biographes se sont évertués à percer le mystère du personnage, à dévoiler les ressorts de sa psychologie, à se risquer dans le domaine de l’intime pour donner chair à cet homme qui, de l’avis même de ses adversaires, ne vivait que pour la révolution.
En France, le dernier opus en date, mijoté de longues années durant par l’un des plus virulents auteurs antisoviétiques (Stéphane Courtois), insiste sur la violence et le comportement pathologique du leader bolchevik. Il n’y a peut-être que Richard Pipes qui soit allé plus loin dans la haine de Lénine, faisant feu de tout bois pour affirmer qu’il était, en un sens, pire que Staline qui au moins n’était pas un intellectuel et surtout n’avait rien d’un révolutionnaire.
À l’opposé, si on ne trouve plus aujourd’hui d’idolâtres aveugles du Guide de la Révolution, il bénéficie toujours à gauche d’une fascinante mansuétude, due autant à sa stature de héros révolutionnaire vainqueur, et à la campagne de propagande permanente dont il a fait l’objet.
Chercher un juste milieu serait vain et il vaut mieux tenir compte dans l’analyse de l’amplitude des passions que Lénine a déchaînées de son vivant et depuis son décès.
Cet élargissement de la focale temporelle s’enrichira d’une attention plus fine à la société qui a vu naître ce phénomène mondial : écrire la vie de Lénine, c’est aussi raconter la Russie de la fin du tsarisme et des débuts de la période communiste, comprendre ce qu’est la province russe, la Sibérie, le Paris ou le Londres des exilés politiques, les prisons russes ou polonaises.
Enfin, il y a un avant et un après novembre 1917 : pas tant sur le plan de la conquête et de l’exercice du pouvoir – Lénine a toujours été un chef, en tout cas depuis l’exécution de son frère aîné en 1887 – que sur celui de son mode de vie. Après le transfert de la capitale à Moscou en mars 1918, pour la première fois depuis 1893, il ne déménage plus sans cesse, ne passe plus d’une ville et d’une cache à une autre, n’est plus poursuivi si ce n’est par les solliciteurs. Il n’est plus séparé de ses principaux collaborateurs et de sa famille. Il vit, enfin, une vie presque normale.
Y aurait-il encore des sources qui ont échappé à la traque menée par les historiens russes et occidentaux ? Sans doute pas, mais on peut et même on doit interroger la très ample documentation à la lumière d’approches renouvelées ces vingt dernières années : l’histoire sociale du politique, l’histoire de la propagande, l’histoire des émotions, l’histoire connectée, l’étude des sorties de guerre.
Mieux comprendre qui était Lénine et ce qu’il a continué à être quand il dirigeait la Russie rouge implique d’accorder une attention particulière aux interactions sociales et intellectuelles entre Lénine et ses lieutenants, à son errance et sa marginalité au sein du mouvement ouvrier européen qui sont à l’origine de sa violence politique, et à son engagement corporel dans l’acte d’écriture.
Il convient aussi de réévaluer le rôle attribué au cinéma dans le système de propagande soviétique, qui diffusait moins un propos abscons qu’une image-preuve, et de comparer les cultes de Lénine et Staline à l’écran – notamment en questionnant le cliché de l’ascétisme et de la simplicité léniniens. Il importe enfin de relire la fin de vie de Lénine (1922-1923) au prisme des émotions d’un homme souvent seul, isolé, qui a fini invalide […].
Ce livre offre le récit des 365 jours où l’exilé marginal Oulianov s’est transformé en Lénine, dictateur inébranlable ; il narre l’histoire d’un éternel révolté russe qui a fini par ébranler l’Europe et le monde ; et il décrypte la légende vivante d’Ilitch, le Guide d’une révolution mythifiée avant d’être momifiée.
[…]
Depuis qu’il a été appelé au pouvoir par le clan Eltsine, Vladimir Poutine a toujours pris soin de distinguer les (mauvais) bolcheviks, révolutionnaires démolisseurs, des (bons) communistes, continuateurs de la puissance grand-russe et bâtisseurs d’un État fort.
Le Russe Lénine, trop internationaliste pour être honnête, peut-être même agent allemand, a comploté sa dilution en inventant la confédération soviétique – alors que le Géorgien Staline, héritier des grands tsars et authentique patriote, a tout fait pour que le « grand frère » russe réaffirme sa domination. […]
C’est l’impensé de la reconstruction poutinienne de l’histoire nationale. Le pouvoir russe refuse d’accepter que les mouvements d’indépendance aient pu correspondre à un désir profond sinon de toute la population, du moins d’une avant-garde suffisamment active pour entraîner les peuples vers l’autodétermination.
Or, comme dirait l’autoproclamé historien, « c’est un fait historique » : l’État ukrainien est né le 10/23 juin 1917 lorsque la Rada centrale a publié son premier universal en langue ukrainienne, puis que cette assemblée élue a déclaré l’indépendance de la nation le 7/20 novembre 1917, a envoyé des émissaires à Brest-Litovsk en février 1918 avec leur propre agenda, puis a obtenu une délégation lors de la Conférence de la Paix de Paris en avril 1919 – contrairement à la Russie.
Lénine avait compris qu’on ne pouvait bloquer le processus d’indépendance et, conscient de l’erreur commise avec la Finlande en décembre 1917, il a décidé de le piloter en Ukraine au profit de la Russie soviétique. Loin d’avoir créé ex nihilo une Ukraine non russe, il a enterré pour des décennies l’État ukrainien défait par les armes. Poutine aurait dû le remercier et se référer à la politique d’unification par les armes d’un nouvel empire après la chute de celui des Romanov.
Alors, pourquoi tant de haine ? Lénine prône certes des valeurs internationalistes, mais le pire pour Poutine est l’interprétation des rapports sociaux en termes de classes – et non de peuples – antagonistes. Lénine permet de voir clair dans le jeu de Poutine. L’actuel maître du Kremlin masque son véritable intérêt – l’enrichissement et le pouvoir d’un clan – derrière un discours patriotique qu’on jugeait vide de contenu jusqu’à sa mise en application le 24 février 2022.
Alexeï Navalny, qui n’a rien d’un léniniste, ne dit pas autre chose. Plus encore que l’opposant emprisonné que Poutine refuse de nommer, Vladimir Ilitch Oulianov suscite une aversion totale : c’est un homme qui pense et fait la révolution, qui donne des leçons de tactique et de stratégie politique à quiconque projette de renverser un pouvoir en place. Jusqu’en cette fin d’hiver 2022, le pouvoir russe pratiquait une forme de guerre hybride contre Lénine, plus insidieuse et efficace qu’un bannissement retentissant. Ainsi, le choix du 22 avril 2020, 150e anniversaire de sa naissance, pour le vote de confirmation des modifications de la Constitution ne peut relever du hasard. Le jour où certains auraient pu célébrer l’ancien dirigeant et où il aurait à nouveau brillé sous le feu des projecteurs médiatiques, il fallait trouver un puissant contre-feu : quoi de mieux que le changement de jalons revenant pour certains aspects (place de la religion, définition de la famille) à l’époque impériale ?
De longue date, l’ensemble des médias à la botte du Kremlin caricature Lénine et la révolution, réduite au rang de conspiration de personnes ayant vécu une bonne partie de leur vie à l’étranger, pratiquant l’adultère et la concussion. Non, chers concitoyens, Lénine n’avait rien d’un génie, d’un philosophe du politique, d’un tacticien hors pair. C’était tout bonnement un traître russophobe, un bourreau athée et un syphilitique adultère. Homme du passé honni des nouveaux « temps des troubles » entre 1917 et 1921, il est aussi l’homme du passif coupable de la haine vouée à la Russie.
Comme l’a écrit Boris Souvarine dans le Figaro littéraire du 21 janvier 1939, à propos d’une restauration antérieure : « Les milliers de décrets que Lénine a signés, autant en emporte le vent. Les millions de volumes que Lénine n’aurait pas publiés, nul ne les prend au sérieux. Lénine est mort et embaumé, le léninisme est mort et enterré, les léninistes sont morts entr’assassinés et déshonorés. Un nouveau tsarisme s’installe à demeure, infiniment pire que l’ancien, lequel n’était pas totalitaire. Si Lénine, de son mausolée asiatique, pouvait contempler ce tableau qu’il n’a pas prévu, à coup sûr il ne serait pas fier. »
Ce 14 août, la préfecture de Meurthe-et-Moselle a indiqué qu’un accident impliquant « deux aéronefs militaires » venait de se produire dans le secteur de Colombey-les-Belles un commune limitrophe du département des Vosges. « Le centre opérationnel départemental a immédiatement été activé et le plan SATER [sauvetage aéroterrestre] engagé en appui des forces militaires » pour retrouver les pilotes, a-t-elle ajouté.
« Des opérations de recherche des pilotes ont été engagées par le groupement de gendarmerie départementale, le service départemental d’incendie et de secours, l’office national des forêts et l’ADRASEC [Fédération nationale des radioamateurs au service de la sécurité civile] », a ensuite précisé la préfecture, laissant le soin aux autorités militaires de donner plus de détails sur cet accident.
La base aérienne 133 de Nancy-Ochey étant la plus proche du lieu de l’accident, l’hypothèse qu’il s’agissait de Mirage 2000D de la 3e Escadre de chasse a été [trop] rapidement avancée. En effet, via le réseau social X, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a indiqué que les avions impliqués étaient deux Rafale de l’Escadron de transformation Rafale [ETR] 3/4 « Aquitaine », basés à Saint-Dizier [Haute-Marne].
« Un des pilotes a été retrouvé. Il est sain et sauf. Les recherches sont toujours en cours. Merci à nos forces armées ainsi qu’aux gendarmes mobilisés dans les recherches et pour sécuriser la zone », a déclaré le ministre.
Selon l’AAE, les deux appareils seraient entrés en collision alors qu’ils revenaient d’une mission de ravitaillement en Allemagne. Le pilote du premier Rafale a pu s’éjecter avant l’impact. Quant à l’équipage du second [un instructeur et un élève-pilote], il était encore porté disparu en début d’après-midi.
L’ETR 3/4 Aquitaine forme les futurs équipages de Rafale de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] et de la Marine nationale. Pour cette mission, il dispose de Rafale B [biplace] et C ainsi que de trois Rafale Marine.
Jusqu’à ce jour, l’AAE n’avait perdu qu’un seul Rafale. En décembre 2007, un appareil de ce type, basé à Saint-Dizier, s’était en effet écrasé sur une zone boisée de la commune de Neuvic [Corrèze], son pilote ayant été victime d’une « désorientation spatiale » selon le rapport d’enquête.
Nous sommes le 15 septembre 1918. Alors que des combats gigantesques font rage sur le front de France, un coup de tonnerre survient en Macédoine. Après des mois de préparation et en profitant du départ de la plupart des forces allemandes du secteur, le général Franchet d’Espèrey commandant les Armées alliées en Orient lance soldats serbes et français à l’assaut du plateau de Kravitza, du mont Dobropolje et du système fortifié du Sokol. L’opération, qui était très contestée à Paris comme détournant des ressources précieuses du front principal français, est un grand succès immédiatement et brillamment exploité. Il constitue même une des très rares percées de toute la guerre. L’armée bulgare s’effondre et Sofia demande à arrêter les combats le 29 septembre. L’offensive ne s’arrête plus et en liaison avec d’autres opérations menace dangereusement les empires ottoman et austro-hongrois.
De l’intérêt ou non des opérations périphériques
Lorsqu’au cours d’un conflit le front principal se trouve bloqué, les regards des états-majors se portent toujours vers d’autres possibilités de faire mal à l’ennemi. Le front principal en Ukraine se trouve depuis un peu plus de deux ans maintenant le long d’une ligne longeant les limites des deux provinces de Louhansk et Donetsk puis coupant en deux celle de Zaporijjia jusqu’au fleuve Dniepr. C’est là qu’au moins 70 % des forces des deux adversaires sont concentrées afin de procéder à des opérations de conquête ou de défense de territoire. Depuis mi-novembre 2022, les évolutions sur ce front principal sont minimes de part et d’autre, se chiffrant à quelques km2 gagnés ou perdus chaque jour pour s’emparer de villages ou au mieux de petites villes comme Bakhmut. C’est bien là que se décidera sans doute le sort de la guerre, mais les choses s’y passent lentement. Les choses s’y passent également plutôt en faveur des Russes qui grignotent inexorablement le terrain et s’approchent dangereusement d’objectifs importants, comme Pokrovsk dans le Donbass.
Dans ces conditions il n’y a guère d’autres solutions pour les Ukrainiens que de défendre le front principal en essayant de faire payer le plus cher possible chaque km2 perdu et de prendre l’initiative partout où c’est possible afin de faire mal à l’ennemi. À force d’user ainsi les forces de l’adversaire tout en renforçant les siennes avec l’aide des pays alliés, il sera alors possible de reprendre plus tard l’ascendant sur l’ennemi sur le front principal.
N’importe quel officier d’état-major exposant à Moscou les possibilités ukrainiennes dans ce sens a dû forcément expliquer à ses chefs que les Ukrainiens pouvaient mener de nombreuses opérations périphériques au front principal : frappes de drones ou de missiles sur le territoire russe, raids et frappes le long des côtes de la mer Noire, raids de franchissement au-delà du Dniepr, attaque de la Transnistrie en accord avec le gouvernement moldave ou encore attaques dans les provinces limitrophes de Belgorod, Koursk et Briansk. Notons que le même officier aura présenté également les possibilités russes en la matière, depuis les frappes de missiles et drones dans la profondeur, jusqu’à des attaques depuis la Biélorussie ou depuis les provinces limitrophes de l’Ukraine, comme par exemple l’attaque limitée dans la province de Kharkiv en mai dernier.
Aussi lorsqu’une de ces attaques ukrainiennes est survenue le 6 août 2024 dans la province de Koursk, cela n’aurait dû surprendre personne. Et pourtant elle a provoqué de profondes secousses en Russie, où on imaginait sans doute cela impossible non pas militairement, mais politiquement. Attaquer le sol de la Russie d’Europe pour la première fois depuis la Grande Guerre patriotique ne pouvait semble-t-il qu’engendrer une escalade importante, c’est-à-dire une déclaration de guerre, la loi martiale, l’envoi des conscrits à la bataille et la mobilisation générale sans même parler de l’emploi éventuel de l’arme nucléaire. C’est la raison pour laquelle les alliés occidentaux avec les États-Unis en tête interdisaient aux Ukrainiens de tenter quoi que ce soit qui puisse provoquer cela. Ils interdisaient même d’employer les armes fournies pour frapper le sol russe. On se souvient que lors des raids minuscules menés en au printemps 2023 dans la province de Belgorod par des miliciens russes combattant aux côtés des Ukrainiens, certains s’étaient émus que ces hommes utilisent des fusils d’origine belge ou des véhicules légers américains. N’allait-on pas être considérés de « cobelligérants » et cela n’allait-il pas provoquer une colère terrible de Vladimir Poutine ?
Cette fois les Ukrainiens ont placé tout le monde devant le fait accompli en lançant un groupement mobile opérationnel dans la province russe de Koursk, avec de l’équipement occidental et en faisant fi de toutes les frileuses restrictions d’emploi des armes, dont on ne voit pas bien par ailleurs comment elles pourraient encore tenir désormais. Les Alliés pris de court ont été obligés de suivre, surtout lorsqu’ils se sont aperçus qu’au contraire de l’escalade attendue, Vladimir Poutine minimisait l’évènement et la traitait comme une grande affaire de police. Poutine a clairement plus peur de la mobilisation guerrière de son pays que les Occidentaux, essentiellement pour des raisons de politique intérieure.
Assaut, percée et exploitation
L’audace ukrainienne et l’habileté technique à masquer les préparatifs d’une offensive importante ont totalement surpris les Russes qui n’avaient guère préparé la défense de leur propre territoire…ou ont parfois décidé d’utiliser l’argent prévu à cet effet à des fins plus personnelles. Il semble qu’outre le classique camouflage-dispersion des forces, les Ukrainiens soient parvenus à aveugler tout ou partie les capteurs russes, par drones, guerre électronique et infiltration d’équipes de rangers dont c’est peut-être le premier emploi opérationnel. Le retour de l’infanterie légère et furtive, logique dans un champ de bataille jugée transparent, est à souligner une nouvelle fois.
Le 6 août, le groupe mobile opérationnel (GMO) ukrainien perce la frontière en six endroits avec semble-t-il autant de bataillons interarmes. Les faibles défenses des gardes-frontières sont rapidement débordées, près de 300 hommes, des conscrits pour l’essentiel, sont capturés. Pendant ce temps, les équipes de rangers et de forces spéciales s’infiltrent plusieurs dizaines de kilomètres en avant des forces mécanisées afin de renseigner sur le terrain et l’ennemi, de semer la confusion et de tendre des embuscades, directement ou en liaison avec l’artillerie à longue portée. Les bataillons mécanisés eux-mêmes engagent des sections interarmes de reconnaissance en avant. L’ensemble est survolé par les drones, qui font office d’aviation légère de reconnaissance et d’appui, et suivi de quelques batteries de mortiers (point faible ukrainien) pour l’appui au plus près et évolue sous bulle de protection antiaérienne et d’appui d’artillerie des bataillons de brigade et de brigades autonomes restées en Ukraine. Il n’est pas exclu qu’une patrouille d’avions F-16 soit également engagée en défense du ciel depuis la région de Soumy. Des frappes d’interdiction en profondeur sont planifiées pour encager autant que possible la zone d’opérations, comme celle, très destructrice, réalisée sur la base aérienne de Lipetsk le 9 août. Cette phase initiale témoigne déjà de la bonne maitrise ukrainienne des opérations mobiles complexes. Les Ukrainiens restent visiblement supérieurs aux Russes dans le combat de manœuvre, et ont donc tout intérêt à le privilégier.
Opérationnellement, la Russie réagit logiquement en ordonnant aux quelques forces encore sur place de tenir fermement toutes les localités et en envoyant sur place les forces aériennes et toutes les troupes en armes disponibles afin de freiner les forces ukrainiennes. Les forces aériennes russes, toujours très dépendantes des ordres d’un commandement au sol alors dans la confusion, ne savent pas très bien où frapper. On parle d’au moins un hélicoptère perdu par la percussion d’un drone, sans doute une première très intéressante. On signale l’emploi de missiles Iskander sur les forces de reconnaissance ukrainiennes, ce qui revient à chasser des moustiques au marteau et témoigne un peu de la fébrilité qui règne alors au sein du commandement russe.
Les bataillons interarmes ukrainiens progressent au rythme rapide de 3 à 4 kilomètres par jour, freinées principalement par la résistance dans les localités en proportion du volume de celles-ci. A l’ouest de la poche, c’est la petite ville de Soudja qui nécessite plusieurs jours de combat pour être prise ; à l’est, les russes utilisent Korvenovo comme point d’ancrage. Les Ukrainiens sont visiblement en offensive divagante, sans objectif précis mais en progressant partout où c’est possible d’où la forme de main que prend la carte de la zone d’action ukrainienne, qui n’est pas encore une zone contrôlée au regard de la densité des forces engagées. A J+6, on compte une trentaine de compagnies de manœuvre mécanisées ou de reconnaissance pour plus de 900 km2, soit une trentaine de km2 par unité, ce qui est considérable. Bien sûr, ces unités élémentaires regroupées par trois, quatre ou cinq dans des bataillons interarmes, ne sont pas réparties sur tout le secteur mais concentrées sur les trois faces de la poche avec un effort particulier à l’Est face à la province de Belgorod sans doute pour faire face au plus gros des forces russes, le 277e régiment d’infanterie déjà sur place et la 810e brigade d’infanterie navale envoyée en urgence. De ce côté, la ville de Soudja est finalement prise, et un bataillon de la 22e brigade peut progresser sur la route R200 en direction très lointaine de Koursk et un bataillon de la 92e longe la frontière à l’Est en direction encore plus lointaine de Belgorod. A l’ouest de la poche, les Russes s’accrochent à Korenovo où ils engagent leurs renforts face à la 82e brigade ukrainienne. La situation est plus fluide au nord de la poche avec la 80e brigade ukrainienne en pointe en direction, également lointaine, de Lgov, qui est fortifiée. La 80e brigade fait de plus en plus face aux unités de la 98e division aéroportée russe.
Au bout d’une semaine de combat, la défense russe se densifie progressivement, avec déjà 7 brigades ou régiments signalés, alors que les brigades ukrainiennes s’éloignent de plus en plus de leurs appuis et soutiens. Il leur sera possible de progresser quelques jours, sans imaginer pouvoir atteindre des objectifs stratégiques comme la ville de Koursk, son aérodrome et sa centrale nucléaire. La ligne de contact est destinée mécaniquement à se cristalliser en ligne de front. On ne sait pas encore qu’elle est la décision prévue par les Ukrainiens à ce moment-là entre repli derrière la frontière, et l’opération Triangle blanc aura été un grand raid de cosaques, résistance mobile sur tous les points de contact avec le risque d’être finalement refoulé par la force et avec pertes ou enfin installation sur la ligne la plus défendable possible en territoire russe afin de conserver malgré tout un gage de territoire et de créer un nouveau front fixant un grande nombre d’unités russes dans une région qui en était dépourvue. On verra alors seulement si cette opération, pour l’instant un succès opérationnel très clair pour les Ukrainiens, produira des effets stratégiques importants. En clair, on verra si cette opération périphérique valait le coup alors que les choses deviennent critiques sur le front principal.
En janvier 2023, le ministère israélien de la Défense confirma son intention de se procurer 25 chasseurs-bombardiers F-35I supplémentaires ainsi que 25 avions de combat F-15EX « Eagle II » [désignés F-15IA Ra’am II dans la nomenclature israélienne]. Il était aussi question de porter 25 anciens F-15I à ce nouveau standard.
Seulement, après l’attaque terroriste lancée par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre, des tensions sont apparues entre l’administration du président Joe Biden et le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou, la première estimant que la riposte contre les groupes armés palestiniens de la bande de Gaza allait trop loin.
Ainsi, en mars, au Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis permirent l’adoption d’une résolution exigeant un « cessez-le feu immédiat » à Gaza durant le mois de ramadan. Puis, quelques semaines plus tard, alors que Tsahal s’apprêtait à lancer une opération à Rafah, le président Biden exprima son désaccord en annonçant que la livraison de certaines munitions à Israël allait être suspendue.
Pour autant, il n’était pas question pour Washington de remettre en question les livraisons potentielles d’avions de combat à Israël. En avril, CNN et l’agence Reuters rapportèrent que le gouvernement américain était sur le point d’autoriser la vente de 50 F-15EX [ou F-15IA] et la modernisation de 25 F-15I pour un montant estimé à plus de 18 milliards de dollars. Mais avant de publier un avis pour obtenir l’aval du Congrès, l’administration Biden a d’abord voulu prendre la température auprès des élus les plus influents.
Quant à la demande israélienne concernant les 25 F-35I supplémentaires, elle n’avait pas besoin de faire l’objet d’une notification au Congrès. Aussi, un accord a été trouvé en juin dernier. D’une valeur d’environ 3 milliards de dollars, il doit être financé par le programme américain de financement militaire étranger [FMF] dédié à Israël, doté de 38 milliards pour la période 2019-28.
Finalement, le dossier des F-15EX/IA s’est débloqué le 13 août, avec la publication par la Defense Security Cooperation Agency [DSCA], chargée des exportations d’équipements militaires américains], d’un avis recommandant au Congrès d’accepter la vente de 50 appareils ainsi que celle de kits de modernisation à mi-vie pour 25 F-15I [désignés F-15I+].
« Les États-Unis sont attachés à la sécurité d’Israël et il est essentiel pour les intérêts nationaux américains de l’aider à développer et à maintenir une capacité d’autodéfense forte et opérationnelle. La vente proposée est conforme à ces objectifs », a justifié la DSCA dans son avis. « L’intégration des F-15IA au sein de l’aviation de combat israélienne améliorera son interopérabilité avec les systèmes américains et renforcera ses capacités pour faire face aux menaces ennemies actuelles et futures », a-t-elle ajouté.
Pour rappel, développé par Boeing, le F-15EX est doté de deux nouveaux moteurs F110-GE-129, de commandes de vol électriques, d’un radar à antenne active [AESA] APG-82(V)1, d’un capteur IRST, d’une suite de guerre électronique EPAWSS [Eagle Passive/Active Warning Survivability], d’un ordinateur de mission ADCP-II [Advanced Display Core Processor-II], d’un cockpit numérique, et d’une liaison de données lui permettant de communiquer avec le F-35.
Par ailleurs, la DSCA a également approuvé cinq autres ventes potentielles concernant Israël, à savoir 30 missiles air-air AIM-120C-8 AMRAAM [Advanced Medium-Range Air-to-Air Missile] pour 102,5 millions de dollars, près de 33’000 obus de 120 mm pour 774,1 millions de dollars, 50’000 obus de mortier M933A1 de 120 mm pour 61,1 millions de dollars et un nombre non précisé de véhicules tactiques de type M1148A1P2 pour 583,1 millions de dollars.
Le rôle joué par Alexeï Dioumine, ancien garde du corps du président russe, personnage clé de l’annexion de la Crimée en 2014, passionne les influents blogueurs militaires russes.
La rumeur a commencé de se répandre parmi les principaux blogueurs militaires russes dès lundi. Le colonel-général Alexeï Dioumine, originaire de Koursk et proche de Vladimir Poutine, dont il a été l’un des chefs de la sécurité, aurait été nommé «coordinateur de l’opération anti-terroriste» dans la région de Koursk, où l’armée ukrainienne a lancé une offensive il y a une semaine, contrôlant à ce jour plusieurs centaines de kilomètres carrés, dont la petite ville de Soudja. Nikolaï Ivanov, député de cet oblast à la Douma d’État, a confirmé cette nomination à la chaîne de télévision russe RTVI, attribuant au colonel-général la «tâche principale de vaincre les troupes d’invasion des forces armées ukrainiennes» dans cette région.
Le quotidien russe anglophone Moscow Times évoque une «confirmation apparente», alors qu’il n’y a pas eu d’annonce officielle du Kremlin et que les grands médias et agences russes ne mentionnent pas cette hypothèse. Tout a commencé lundi lors de la réunion organisée par Vladimir Poutine dans sa résidence de Novo-Ogariovo, près de Moscou, et retransmise à la télévision : le général Dioumine y est apparu en bonne place parmi les participants, assis à la gauche de Sergueï Choïgou, l’ancien ministre de la Défense nommé en mai secrétaire du Conseil de sécurité. Un temps pressenti par les médias russes pour prendre la place de Choïgou lors du remaniement de printemps, Alexeï Dioumine, qui était jusqu’alors gouverneur de l’oblast de Toula, a finalement été nommé secrétaire du Conseil d’État – organe consultatif directement rattaché au président russe – et assistant de Vladimir Poutine au sein de la puissante administration présidentielle.
«Tous les pouvoirs»
Dans la foulée de la réunion de lundi, les blogueurs militaires russes, particulièrement influents depuis le début de la guerre en Ukraine, ont commencé d’affirmer que Dioumine allait «coordonner» le front de Koursk. «Selon des sources internes, le président russe a déjà donné à son assistant “plusieurs instructions importantes” (…) Son rôle est de coordonner tous les départements qui opèrent désormais conjointement dans la région de Koursk et qui font tout pour en chasser l’ennemi», a annoncé en premier la chaîne Telegram anonyme «PolitSatirKa» qui fait partie du giron de ces puissants médias informels. Régulièrement citée par la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, elle, fait partie des réseaux pro-gouvernementaux sur Telegram, d’après le site d’investigation indépendant Agentstvo cité par le Moscow Times.
Ça a ensuite été au tour du journal en ligne progouvernemental Readovka, créé en 2011, de reprendre la nouvelle. «Dyumin s’est déjà rendu dans la zone frontalière», a même précisé le site. Rybar, le plus célèbre de ces «milbloggers», a poursuivi en affirmant que Dioumine était «doté de tous les pouvoirs pour résoudre la crise opérationnelle dans la région de Koursk». «C’est le signe que les forces de sécurité, seules, n’ont pas été en mesure de résoudre les problèmes de coordination (…) Sa nomination signifie que l’équipe de Poutine prend le contrôle total de la situation (…) Je me souviens que Dioumine était destiné au poste de ministre de la Défense. Eh bien, en fait, il a des pouvoirs beaucoup plus étendus», a-t-il commenté avec ce ton critique qu’il adopte souvent à l’égard de l’armée. «WarGonzo», un autre compte Telegram très suivi, a également évoqué cette nomination, tout en reconnaissant qu’il n’y avait pas de «données officielles».
Les messages de «Sladkov», un autre de ces «milbloggers», sèment en revanche le doute. Il a commencé par suivre le mouvement en écrivant pour sa part qu’Alexeï Dioumine avait été nommé «commandant de la direction nord de l’opération militaire spéciale» – dans le jargon militaire russe, zone correspondant de facto à la zone de combat de Koursk. Mais il a ensuite rectifié le tir en publiant mardi matin, toujours sur Telegram, une «explication» pour le moins énigmatique : «C’est intéressant, j’ai lu dans une agence gouvernementale respectée [cette] nomination d’Alexeï Dioumine. Maintenant, le message officiel a disparu et ils font référence à moi». Sauf que, comme le note le site d’investigation Agentstvo, aucune trace d’une dépêche – même supprimée – des agences TASS ou RIA n’a pu être retrouvée à ce stade.
Beaucoup de brouillard entoure donc la possible mais encore hypothétique nomination d’Alexeï Dioumine comme coordinateur des opérations à Koursk. Cette incertitude est d’ailleurs à l’image des combats qui se déroulent dans la région : l’étendue exacte des territoires contrôlés par Kiev est inconnue et les informations sur les combats en cours, parcellaires. «La situation apparaît toujours confuse», confie au Figaro une source militaire française, alors qu’il est encore difficile de tracer une ligne de front précise. «Si l’arrivée du général Dioumine se confirme, nous aurions un état-major interministériel en charge des opérations dans la région de Koursk, plutôt que relevant du seul ministère de la Défense. Ce serait un camouflet pour ce dernier», décrypte l’officier supérieur.
L’homme qui a sauvé Poutine d’un ours
Le nom de Dioumine n’est pas inconnu des Russes, loin de là. Le général de 51 ans est même régulièrement cité dans la longue et fluctuante liste des successeurs putatifs de Vladimir Poutine. Cet ancien officier du FSB a surtout fait partie du service de protection présidentielle et, à ce titre, aurait été l’un des plus proches gardes du corps du président russe, depuis son accession au pouvoir en 1999. «L’ancien garde du corps qui a sauvé Poutine d’un ours – et qui pourrait lui succéder», a même titré en mai dernier le Times en référence à une anecdote sans doute un brin romancée selon laquelle Dioumine aurait un jour protégé le président russe alors qu’un ours s’était approché de sa résidence…
Plus sérieusement, le colonel-général collectionne les postes stratégiques : en 2014, il était chef-adjoint du service de renseignement militaire russe, le GRU, et, à ce titre, aurait joué un rôle clé dans l’annexion de la Crimée. En 2015, il a été nommé vice-ministre de la Défense. Avant de se lancer en politique en étant largement élu gouverneur de Toula [région à 200 km au sud de Moscou, NDLR] en 2016. Avec le remaniement de mai 2024, il est retourné au plus près de Vladimir Poutine, au cœur de la puissante machine du Kremlin. À moins qu’il ne retrouve aujourd’hui et pour un temps la région de son enfance, Koursk ? La rumeur est persistante, mais s’écrit encore au conditionnel. «Cela me rappelle le mois d’août 1999, lorsque Poutine lui-même, inconnu du pays, avait été nommé premier ministre par Eltsine et chargé de repousser l’incursion tchétchène au Daghestan, construisant ainsi sa réputation de “garant de l’ordre et de la loi” sur la voie de la succession présidentielle», glisse sur X le chercheur Alex Yusupov, directeur du programme Russie au centre Friedrich-Ebert-Stiftung.