Infographie : dissection de la Maison Blanche

Infographie : dissection de la Maison Blanche

par Revue Conflits avec AFP – publié le 20 janvier 2025


La Maison-Blanche, résidence et bureau du président des États-Unis, est un monument emblématique de l’histoire et du pouvoir américain. Mélange de grandeur architecturale et de symbolisme politique, elle incarne l’essence même de la nation américaine.

L’Architecture de la Maison-Blanche : Un symbole de pouvoir et d’histoire

La Maison-Blanche, résidence officielle du président des États-Unis, est bien plus qu’un simple bâtiment : c’est un symbole de l’autorité présidentielle et de l’histoire américaine. Son architecture incarne la grandeur de la nation tout en intégrant des éléments classiques et modernes qui la rendent unique. L’édifice de plus de 5 100 m2, situé au 1600 Pennsylvania Avenue à Washington D.C., est un mélange de style néoclassique, de design pratique et de symbolisme politique.

Les origines architecturales

La conception de la Maison-Blanche débute au XVIIIe siècle, sous la direction de George Washington, premier président des États-Unis. Cependant, c’est l’architecte irlandais James Hoban qui est choisi pour réaliser le projet. Hoban s’inspire des bâtiments palladiens, notamment du Leinster House à Dublin, pour créer une résidence digne du chef de l’État américain. Le style néoclassique, qui reflète les idéaux de la Rome antique, a été choisi pour incarner l’autorité, la rationalité et l’équilibre.

La structure de la Maison-Blanche

La Maison-Blanche est constituée de plusieurs éléments distincts. Le bâtiment principal, avec ses murs en pierre calcaire, présente une façade symétrique, caractéristique du style palladien. Il se compose de trois étages : le rez-de-chaussée, l’étage principal et l’étage supérieur. L’entrée principale, ornée d’un porche à colonnes, est flanquée de chaque côté par des fenêtres en arc de cercle, un autre élément typique du style classique. L’édifice comprend également de nombreux salons et bureaux qui servent aux fonctions politiques et diplomatiques. Le bureau Ovale, situé au premier étage, est l’un des espaces les plus célèbres du bâtiment, un lieu où le président prend ses décisions et accueille des dignitaires étrangers. À proximité, on trouve la salle à manger d’État, la salle de réception diplomatique et les salons de l’Executive Residence.

Les évolutions architecturales

Au fil des siècles, la Maison-Blanche a subi plusieurs modifications et agrandissements. Après l’incendie de 1814, lors de la guerre de 1812, le bâtiment est presque entièrement détruit. La reconstruction permet de conserver le plan initial tout en apportant des améliorations. Les modifications les plus notables au cours du XIXe et du XXe siècle ont été réalisées lors des mandats de Theodore Roosevelt, Franklin D. Roosevelt et Harry S. Truman, ce dernier étant responsable de la rénovation complète de l’intérieur. Les jardins et les terrains environnants ont également évolué. Le plus célèbre d’entre eux est le Jardin de la Rose, situé à l’arrière du bâtiment, qui constitue un espace de détente tout en étant utilisé pour des événements officiels et des cérémonies.

La Maison-Blanche et la symbolique

La Maison-Blanche ne se limite pas à ses fonctions de résidence et de bureau. Elle incarne aussi la représentation du pouvoir exécutif américain. Ses colonnes majestueuses, ses jardins soignés et ses vastes espaces intérieurs sont autant de preuves de la stabilité, de la continuité de la nation américaine. En tant que centre névralgique du pouvoir, la Maison-Blanche est aussi un lieu de visibilité internationale. Chaque modification ou rénovation est scrutée de près et devient un moyen de marquer les changements dans l’histoire politique du pays. La Maison-Blanche est donc bien plus qu’un simple bâtiment : elle est le cœur battant de la politique américaine et un symbole fort de la république.

Le 4e Régiment de Chasseurs innove pour accroître le réalisme de sa préparation opérationnelle

Le 4e Régiment de Chasseurs innove pour accroître le réalisme de sa préparation opérationnelle


Le 15 janvier, le Commandement du combat futur [CCF] de l’armée de Terre a levé le voile sur le plan ATHENA [Accélération de la Transformation à la Hauteur des ENgagements de l’Avenir], lequel doit permettre d’identifier des technologies innovantes susceptibles d’avoir un intérêt militaire, de les expérimenter au sein d’unités « pilotes » et, le cas échéant, d’accélérer leur appropriation par les régiments.

Pour cela, le CCF entend s’appuyer sur les centres de recherche et sur les entreprises tout en encourageant l’innovation venant de la base [c’est-à-dire l’innovation « participative »]. Comme l’a récemment expliqué son commandant, le général Bruno Baratz, il s’agit de faire en sorte qu’elle soit « plus réactive » afin d’exploiter « l’accélération technologique » qui, de nos jours, est « sans précédent ».

Grâce à cette innovation participative, de nombreuses solutions ont été trouvées pour améliorer l’efficacité opérationnelle. Récemment, deux sous-officiers du 3e Régiment du Génie ont eu l’idée d’associer un drone Parrot ANAFI à un détecteur de métal afin de reconnaître les axes ou les points susceptibles d’avoir été piégés avec des mines ou des engins explosifs improvisés. Autre exemple : un militaire du 1er Régiment de Hussard Parachutistes a développé la munition téléopérée « Fronde » en adaptant d’anciennes grenades à fusil [AC58 et APAV40] à un drone FPV Racer.

La dernière innovation évoquée par l’armée de Terre est le fait du 4e Régiment de Chasseurs [RCh]. Et elle n’a pas hésité à parler de « procédé révolutionnaire ».

Ainsi, afin d’améliorer le réalisme des entraînement au tir de ses AMX-10RC, le régiment a développé une solution permettant de « projeter des cibles modulaires à l’aide d’un laser ».

« Cette idée géniale résulte d’une culture très présente au sein du régiment, celle de faire de l’innovation une pierre angulaire de la préparation opérationnelle. Pour cela, le 4e RCh s’appuie sur sa cellule ‘Transformation et innovation ‘ », a souligné l’Inspection de l’armée de Terre, via le réseau social LinkedIn.

Cette solution repose sur un « boîtier laser, qui est relié à un ordinateur, avec un logiciel. L’alimentation nécessite un groupe électrogène », a succinctement expliqué l’adjudant-chef « Rudy », du 4e RCh.

« L’utilisation du système de projection laser pour l’entraînement est adaptable à une large gamme d’armements. Cela permet de personnaliser l’entraînement selon les besoins de chaque unité [fantassins, chars, artilleurs, missiles]. Cette technologie permet d’améliorer les compétences tactiques, la précision, la gestion des situations, tout en maintenant un environnement d’entraînement sécurisé et flexible », a ajouté le sous-officier.

Testé lors de la dernière édition de l’exercice CERCES 2024 de la 27e Brigade d’Infanterie de Montagne [BIM], ce dispositif, appelé « Laser RK », a donné pleinement satisfaction… au point qu’il fait désormais l’objet d’un financement pour qu’il soit déployé dans d’autres unités de l’armée de Terre.

Photo : armée de Terre

Feu vert sénatorial pour une hausse de 3,3 Md€ des dépenses militaires

Feu vert sénatorial pour une hausse de 3,3 Md€ des dépenses militaires

– Forces opérations Blog – publié le

Les sénateurs ont adopté hier matin un budget de 50,5 Md€ pour la mission Défense, l’une des rares rescapées de la chasse aux économies conduite par le nouveau gouvernement. Et un vote qui permet de sanctuariser la hausse de 3,3 Md€ fixée dans la loi de programmation militaire. 

« Oui, la programmation militaire est protégée au regard des risques qui pèsent sur notre pays », déclarait le ministre des Armée Sébastien Lecornu, ce samedi en amont du vote du Sénat. Désormais adoptée, cette hausse de 7% des crédits s’avère primordiale « pour poursuivre notre réarmement dans un contexte sécuritaire durci », complétait-il dans la foulée. Une fois définitivement adoptée, cette marche portera à 7,5 Md€ le sursaut financier consenti en faveur des armées depuis 2022. 

« Est-ce que c’est suffisant ? », questionnait le ministre des Armées en écho aux inquiétudes de plusieurs sénateurs quant à l’ampleur de l’effort nécessaire pour répondre efficacement aux enjeux sécuritaires. « J’ai toujours considéré que c’était un plancher et non pas un plafond », répondait-il. Rehausser ce plafond n’aura cependant rien d’évident au vu de l’état de santé des finances publiques. 

La programmation reste un processus « vivant », notait Sébastien Lecornu tout en assumant « quelques décalages par rapport à ce qui a été voté par la LPM ». Quelques adaptations et autres redéfinitions des priorités marquent donc ce PLF 2025, à l’exemple des accélération annoncées en matières d’intelligence artificielle (300 M€, dont 100 M€ supplémentaires) et de recomplètement des stocks de munitions (1,9 Md€). 

Plusieurs points d’attention demeurent, dont celui d’une hausse du report de charges privilégiée pour s’assurer de clôturer la gestion 2024 dans les cordes. Ceux-ci dépasseraient désormais les 7 Md€ selon les dernières estimations sénatoriales. Ce sont autant de paiements reportés à plus tard et risquant donc de grever les prochaines annuités de la LPM. « Si j’avais pu en faire moins j’en aurais fait moins », indiquait un ministre invitant à ne pas s’en inquiéter. « Je préfère quand même passer des commandes à nos industriels pour respecter le physique de la programmation militaire », s’est-il justifié. 

L’exercice s’accompagne également d’un petit coup de rabot : 57,2 M€ de crédits et autant en autorisations d’engagement annulés par voie d’amendement gouvernemental « afin d’atteindre la cible de déficit public de 5,4 % de PIB en 2025 fixée par le Premier ministre et de garantir la soutenabilité de la trajectoire des finances publiques ». L’essentiel sera ponctionné sur la masse salariale, les équipements étant totalement préservés. 

« Ces montants, qui n’affectent pas les objectifs ni la trajectoire d’augmentation des moyens prévue par la loi de programmation militaire, pourront toutefois être amenés à évoluer notamment compte tenu de l’abandon, annoncé par le Premier ministre, de l’ajout de deux jours de carence pour les agents de la fonction publique », précisait le gouvernement. 

Crédits image : EMA COM

La plus puissante flotte de guerre du monde passe un cap stratégique avec l’intégration de missiles hypersoniques high-tech sur 2 de ses destroyers

La plus puissante flotte de guerre du monde passe un cap stratégique avec l’intégration de missiles hypersoniques high-tech sur 2 de ses destroyers

La plus puissante flotte du monde passe un cap stratégique avec l'intégration de missiles hypersoniques high-tech sur 2 de ses destroyers
La plus puissante flotte du monde passe un cap stratégique avec l’intégration de missiles hypersoniques high-tech sur 2 de ses destroyers

L’US Navy intègre des armes hypersoniques à sa flotte de missiles guidés.

L’US Navy entre dans une nouvelle ère avec l’intégration du système de missiles hypersoniques Conventional Prompt Strike (CPS) dans sa flotte de destroyers. Cette évolution, marquant un tournant stratégique majeur, promet de redéfinir les capacités offensives de surface de la marine américaine.

Transformation en cours pour le destroyer USS Zumwalt

Le USS Zumwalt, vaisseau de tête de sa classe, a récemment subi des modifications importantes pour accueillir le système CPS. Ces travaux, réalisés dans les installations de HII’s Ingalls Shipbuilding à Pascagoula, Mississippi, ont impliqué le retrait de l’armement traditionnel pour faire place à quatre tubes de lancement capables de déployer jusqu’à trois missiles chacun, soit un total de douze munitions hypersoniques.

Une modernisation d’envergure

La modernisation du Zumwalt inclut l’installation de nouveaux systèmes et ponts autour des tubes de missiles, tout en conservant l’armement à l’arrière du navire. Ce destroyer, conçu initialement pour le soutien rapproché des forces terrestres, voit ainsi sa mission évoluer radicalement vers une capacité de frappe stratégique à longue portée.

Le USS Lyndon B. Johnson suit le pas

Dans une démarche similaire, le USS Lyndon B. Johnson est actuellement en cale sèche pour débuter sa transformation. Ce sera le second navire de classe Zumwalt à intégrer le large système de lancement vertical pour les missiles hypersoniques, marquant une étape supplémentaire dans la modernisation de la flotte.

Des délais étendus pour une intégration complète

Pour permettre ces installations, le calendrier d’activation du système de combat a été prolongé de deux ans, soulignant l’importance d’une intégration approfondie des nouvelles technologies. Cette extension permettra d’assurer que les capacités du système de combat soient pleinement opérationnelles avant leur mise en service.

Un changement de cap stratégique pour l’US Navy

Initialement prévue comme une flotte de près de 30 navires, la classe Zumwalt a été réduite à seulement trois unités en raison de considérations budgétaires. Cependant, ces navires jouent maintenant un rôle crucial dans le redéploiement stratégique de l’US Navy, avec un accent mis sur les capacités de frappe précises et à longue portée offertes par les armes hypersoniques.

Vers une guerre navale de haute technologie

Le programme CPS ne se limite pas aux destroyers Zumwalt. Il est également prévu pour être intégré sur les sous-marins d’attaque nucléaires de classe Virginia et déployé par les Forces de Tâches Multi-Domaines de l’Armée américaine, illustrant la volonté de l’US Navy de renforcer ses options tactiques dans les futurs conflits.

Avec l’intégration des armes hypersoniques, l’US Navy se positionne à la pointe de la technologie militaire. Le déploiement du système CPS sur les destroyers Zumwalt et d’autres plateformes marque le début d’une nouvelle ère dans la guerre navale, où la vitesse et la précision des armements hypersoniques promettent de redéfinir les règles du combat maritime moderne.

Source : https://www.navalnews.com/event-news/sna-2025/2025/01/us-navy-begins-hypersonic-integration-on-uss-lyndon-b-johnson/

Photo : L’USS Zumwalt (DDG 1000)

Général Schill : Alors que la « place du char reste primordiale », l’armée de Terre a « besoin du MGCS »

Général Schill : Alors que la « place du char reste primordiale », l’armée de Terre a « besoin du MGCS »


Censé avoir été relancé après la signature d’un protocole d’accord par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et son homologue allemand, Boris Pistorius en avril 2024, le projet de Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System] est toujours au même point.

Si les turbulences politiques de part et d’autre du Rhin n’y sont pas étrangères, il n’a pas encore été possible de notifier les premiers contrats à la société de projet devant être créée par les principaux industriels concernés [KNDS France, KNDS Deutschland, Thales et Rheinmetall], la constitution de cette dernière ayant pris du retard. En outre, la chambre basse du Parlement allemand [Bundestag] ne s’est pas encore prononcée sur l’accord signé par MM. Lecornu et Pistorius.

Pour rappel, comme il vise à développer une « famille de systèmes » [chars de nouvelle génération, drones, robots, etc.] reposant sur un  » cloud de combat », le MGCS doit être réorganisé selon huit piliers capacitaires distincts [plateforme, tourelles et canons, armement secondaire, système de communication et de commandement, simulation, capteurs, protection contre les drones, logistique], tout en assurant un partage industriel à 50-50 entre la France et l’Allemagne.

En outre, certains choix technologiques, comme l’armement principal du futur char de combat, n’ont pas encore été tranchés.

Quoi qu’il en soit, après s’être mis d’accord avec son homologue allemand sur une fiche commune d’expression des besoins [HLCORD], le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, s’est dit convaincu que le MGCS allait incarner une « bascule technologique ».

« En 2045, le char que nous utiliserons ne sera pas un char actuel amélioré, pour la simple raison que s’il faut équiper un seul véhicule de tous les équipements de protection et d’agression nécessaires, nos analyses montrent qu’il atteindrait un poids rédhibitoire de 70 ou 80 tonnes », a-t-il expliqué en novembre, lors d’une audition au Sénat dont le compte rendu vient d’être publié.
« C’est pourquoi nous nous orientons – et les Américains sont sur la même ligne – vers des systèmes combinant plusieurs véhicules. Ce ne sera pas une évolution des chars actuels, mais un système de systèmes au sein d’un cloud de combat », a poursuivi le CEMAT.

Au regard des implications technologiques et financières que cela suppose, le général Schill a estimé qu’un projet comme le MGCS ne peut qu’être conduit à « l’échelle européenne » car « aucun pays du continent n’aura la capacité de fabriquer seul les centaines d’équipements nécessaires à un coût contrôlé ».

Aussi, « nous sommes dans la ligne fixée […] par le préaccord industriel », a-t-il ajouté, alors que, de leur côté, Rheinmetall et Leonardo ont créé une coentreprise afin de proposer le char KF-51 « Panther » et le véhicule de combat d’infanterie KF-41 « Lynx » à l’armée italienne… A priori, le CEMAT ne pense pas que cette approche puisse être viable…

Quoi qu’il en soit, « l’armée de Terre a besoin du MGCS » car « la place du char reste primordiale », a insisté le général Schill.

Seulement, aussi « primordiale » soit-elle, cette place du char au sein de l’armée de Terre est réduite : la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 prévoit un parc de seulement 160 Leclerc rénovés [a minima] à l’horizon 2030… et de 200 en 2035.

La France et la Norvège renforcent leur coopération militaire, avec la vente de frégates en toile de fond

La France et la Norvège renforcent leur coopération militaire, avec la vente de frégates en toile de fond


Pour équiper ses forces armées, la Norvège ne se tourne pas spécialement vers la France, avec laquelle elle entretient des relations cordiales [et anciennes] dans le domaine militaire. Les chiffres sont formels : sur 115 milliards d’euros de prises de commandes obtenues à l’exportation par la Base industrielle et technologique de défense [BITD] française entre 2014 et 2023, les achats norvégiens ne représentent que 0,23 % [268,1 millions]. Mais cela pourrait changer à l’avenir.

En novembre, le ministère norvégien de la Défense fit savoir qu’il venait de retenir la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis pour lui livrer cinq à six nouvelles frégates afin de remplacer celles de la classe « Fridtjof Nansen » à plus ou moins brève échéance. Outre les caractéristiques et les performances des navires en lice, il avait expliqué qu’il souhaitait rejoindre un programme en cours et, surtout, nouer un « partenariat stratégique » avec un alliée proche, l’achat, l’exploitation et le maintien en condition opérationnelle devant être réalisés conjointement.

Parmi les quatre pays retenus, seule la France n’avait pas établi de coopération « renforcée » en matière de défense avec la Norvège. C’est désormais chose faite. En effet, le 16 janvier, à Oslo, le ministre norvégien de la Défense, Bjørn Arild Gram, et son homologue français, Sébastien Lecornu, ont signé une lettre d’intention à cette fin.

« La France est l’un de nos partenaires alliés qui navigue et s’entraîne principalement dans nos environs immédiats. Ce pays joue également un rôle important dans la défense de l’Ukraine et dans les efforts visant à renforcer les capacités de défense de l’Otan. Nos intérêts communs sont nombreux et vastes. Nous avons un fort intérêt mutuel à développer davantage notre collaboration », a fait valoir M. Gram, cité dans un communiqué publié par son ministère.

De son côté, M. Lecornu a rappelé que le lien de la France avec la Norvège était « aussi celui du sang versé pour la liberté en 1940 lors de la bataille de Narvik, pour tenter de repousser l’invasion de la Norvège » et en 1944, avec les « 3 000 soldats norvégiens ayant combattu en Normandie ». Et d’ajouter : « C’est dans cette histoire partagée que nous forgeons l’avenir ».

Sans entrer dans les détails de ce protocole d’accord, la partie norvégienne indique que la France et la Norvège y « soulignent leur compréhension stratégique commune des menaces à la sécurité mondiale ainsi que l’importance de maintenir une connaissance de la situation et une présence dans les régions du nord ». Il est question d’une « coopération renforcée » en matière de préparation opérationnelle, de formation et de protection des infrastructures critiques, comme les « câbles sous-marins et les lignes d’approvisionnement en énergie ».

Cela étant, les questions industrielles ont aussi été abordées à cette occasion. Ainsi, la délégation française a assisté à une présentation du drone sous-marin HUGIN qui, conçu par Kongsberg, a déjà été acquis par la Marine nationale dans le cadre de sa stratégie sur les fonds marins. Et le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] en a profité pour vanter les mérites de la Frégate de défense et d’intervention [FDI] auprès des autorités norvégiennes [voir photo ci-dessus].

« L’excellence norvégienne en matière d’industrie de défense en fait un partenaire naturel pour la France : nos industries partagent les mêmes exigences, et un haut niveau de maturité et de complémentarité. Nos armées en bénéficient par exemple à travers de nombreux équipements Kongsberg dans notre flotte hydrographique ou dans le domaine de la maîtrise des fonds marins, comme l’illustre notre acquisition récente d’un drone Kongsberg », a d’ailleurs commenté M. Lecornu.

« Nous souhaitons approfondir ces synergies et développer ensemble des capacités croisées de production », a insisté le ministre français, avant d’estimer que la Norvège devait « finalement être associée aux réflexions entre États membres de l’Union européenne sur notre stratégie d’acquisition commune visant à affirmer une préférence européenne ».

Sur ce point, la Norvège a droit à un traitement particulier en France, étant donné que le code de la Défense précise que les « dispositions relatives aux importations, aux exportations et aux transferts à destination ou en provenance des États membres de l’Union européenne » lui « sont applicables ». Ce qui vaut, au passage, aussi pour l’Islande.

Quant à l’achat de nouvelles frégates, le ministère norvégien de la Défense a seulement rappelé que la France « fait partie des pays » sélectionnés pour participer à l’appel d’offres. Comme la procédure est encore en cours, il ne pouvait guère en dire davantage.

En attendant, la FDI a de réelles chances de s’imposer. Du moins, c’est ce que suggère l’Association norvégienne de défense [Norges Forsvarsforening], qui, dans un récent article, souligne que le premier navire pourrait être livré par Naval Group à la Marine royale norvégienne d’ici cinq ans.

Par ailleurs, lors d’une audition au Sénat, en novembre, le Délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, a fait valoir que la frégate française était « bien placée par rapport à la concurrence grâce aux caractéristiques de son moteur, adaptées à la navigation dans les fjords ». Enfin, c’est sans compter sur le savoir français en matière de lutte anti-sous-marine. Savoir-faire que la FREMM Normandie a brillamment démontré l’an passé, lors de l’exercice Nordic Response 24.

La DGA livre deux hélicoptères Caracal à l’armée de l’Air et de l’Espace

La DGA livre deux hélicoptères Caracal à l’armée de l’Air et de l’Espace

par Antony Angrand – Air & Cosmos – publié le 17 janvier 2025

Le 20 décembre 2024, la Direction générale de l’armement (DGA) a livré à l’armée de l’Air et de l’Espace deux hélicoptères H225M Caracal. Ces livraisons sont les deux premières d’une commande de huit appareils effectuée en avril 2021 au titre du plan de soutien aéronautique à Airbus Helicopters. Ces appareils portent la dotation des forces à 21 hélicoptères, dont treize à l’armée de l’Air et de l’Espace et huit à l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT).


Deux premières livraisons sur 8 machines commandées 

Le 20 décembre 2024, la Direction générale de l’armement (DGA) a livré à l’armée de l’Air et de l’Espace deux hélicoptères H225M Caracal. Ces livraisons sont les deux premières d’une commande de huit appareils effectuée en avril 2021 au titre du plan de soutien aéronautique à Airbus Helicopters. Ces appareils portent la dotation des forces à 21 hélicoptères, dont treize à l’armée de l’Air et de l’Espace et huit à l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT).

Deux hélicoptères aux équipements accrus

Les deux hélicoptères livrés bénéficient d’améliorations par rapport aux versions précédentes : une détection accrue avec la caméra optronique de dernière génération l’Euroflir 410, un cockpit modernisé et équipé de quatre écrans multifonctions 10×8 pouces (soit 25,4 x 20,32 cm), une navigation plus précise avec le GPS CMA5024, de nouvelles radios et treuils électriques, ainsi que deux phares orientables supplémentaires (blanc et infrarouge) pour les opérations de nuit.

Industrie française 

Cette commande bénéficie très majoritairement à l’industrie française, dont Airbus Helicopters et ses principaux sous-traitants Safran Helicopter Engines, Safran Electronics & Defense et Thales. Dernier né de la famille des hélicoptères Puma / Super Puma / Cougar, le Caracal a été mis en service au sein des forces en 2006. Il est optimisé pour effectuer des missions de recherche et de sauvetage au combat, de transport tactique ou d’évacuation sanitaire de jour comme de nuit.

Des Caracal pour l’outre-mer

Grâce à sa perche de ravitaillement en vol, le Caracal dispose d’une allonge et d’une autonomie parmi les meilleures de sa catégorie, lui permettant d’assurer ses missions en France et sur les théâtres d’opérations. Ces hélicoptères sont destinés à remplacer les Puma de l’armée de l’Air et de l’Espace actuellement basés en outre-mer et à l’étranger (Guyane, Nouvelle-Calédonie et Djibouti). L’équipement de ces deux hélicoptères comprendra, en fonction des missions, deux mitrailleuses MAG 58 7,62 mm montées en sabord et canon de 20 mm SH20, systèmes électro-optique (FLIR) – caméra infrarouge, télémètre laser, pointeur laser, système PLS (Personnal Locating System) de localisation des personnels tombés en zone hostile, détecteur de départ de missile, d’alerte laser, d’alerte radar, lance-leurres et blindage.

Voici le nouvel imprimé camouflage de l’armée de terre

Voici le nouvel imprimé camouflage de l’armée de terre

Fin 2024, les premières unités de l’armée de terre ont reçu un nouveau treillis bariolage multi-environnement (BME), censé augmenter la furtivité des soldats.

Par Clément Machecourt – Le Point –

https://www.lepoint.fr/societe/voici-le-nouvel-imprime-camouflage-de-l-armee-de-terre-18-01-2025-2580238_23.php#11


Le treillis F3 bariolage multi-environnement (BME) augmente de 25 % le temps de détection par rapport au précédent motif. 
Le treillis F3 bariolage multi-environnement (BME) augmente de 25 % le temps de détection par rapport au précédent motif.  © Armée de Terre

Une nouvelle identité visuelle pour l’armée de terre française. Présenté il y a deux ans, le treillis F3 bariolage multi-environnement (BME) va progressivement habiller tous les soldats. Ce sont d’abord les unités de la 7ᵉ brigade blindée qui en sont ou en seront équipés, en raison de leur participation à l’exercice Dacian Spring de l’Otan au printemps en Roumanie.

Initié en 2016, le développement du BME est le fruit « d’une coopération étroite entre la Section technique de l’armée de terre (Stat), le Service du commissariat des armées (SCA), le Centre interarmées du soutien équipements commissariat (Ciec) et les experts de la Direction générale de l’armement (DGA) », explique l’armée.

Exit le noir dans le nouvel imprimé camouflage de l’armée

Il a fallu notamment près de 1 250 heures de dessin pour mettre au point ce bariolage comprenant six nuances de couleurs, des formes brisées de grande taille, atténuées par des effets de dégradés et des petites taches blanches. Plus de noir, trop visible, tandis que la tenue s’éclaircit naturellement à la lumière et s’obscurcit à l’ombre. Des triangles rappellent, eux, le bariolage des véhicules blindés Griffon, Serval et Jaguar.

Le BME augmente le délai de détection de 25 % comparé à l’actuel treillis F3, dont le bariolage représente l’identité visuelle de l’armée française depuis trente ans, dans deux versions : centre Europe et zone désertique.

Désormais, le treillis pourra être utilisé aussi bien dans les forêts et villes du Vieux Continent que dans les déserts. Un deuxième treillis pour les zones enneigées équipera les unités de montagne. La France rejoint les États-Unis et le Royaume-Uni dont les troupes portent depuis plusieurs années déjà un treillis multi-environnement. Les armées russe et chinoise utilisent des bariolages pixélisés.

Fin décembre 2024, le 5ᵉ régiment de dragons, appartenant à la 7ᵉ brigade blindée, a été la première unité de l'armée de terre à percevoir le nouveau treillis.     © Armée de Terre
Fin décembre 2024, le 5ᵉ régiment de dragons, appartenant à la 7ᵉ brigade blindée, a été la première unité de l’armée de terre à revêtir le nouveau treillis.     © Armée de Terre

Après les différents régiments et soutiens de la 7ᵉ brigade blindée, ce sont ceux de la 2ᵉ brigade blindée qui recevront le treillis F3 bariolage multi-environnement, avant une généralisation au cours de l’année 2026. « Des colis individuels seront distribués aux 145 magasins du commissariat des Armées », explique le ministère des Armées. Un défi logistique majeur alors qu’il faut équiper 110 000 soldats. L’impression numérique du nouveau bariolage et l’automatisation de la confection des tenues réalisée en France devraient permettre de le relever.

Contenus sponsorisés

En Syrie, le pire est peut-être à venir. Entretien avec David Daoud.

En Syrie, le pire est peut-être à venir. Entretien avec David Daoud.

This photo, released by the Syrian official news agency SANA, shows the leader of Hayat Tahrir al-Sham Ahmad al-Sharaa, (Abu Mohammed al-Golani), right, as he meets with United Nations’ special envoy to Syria, Geir Pederson, in Damascus, Monday, Dec. 16, 2024. (SANA via AP)/XHM101/24351399979452/AP PROVIDES ACCESS TO THIS PUBLICLY DISTRIBUTED HANDOUT PHOTO PROVIDED BY SANA; MANDATORY CREDIT./2412161250

par Henrik Werenskiold – Entretien avec David Daoud – Revue Conflits – publié le 15 janvier 2025

https://www.revueconflits.com/en-syrie-le-pire-est-peut-etre-a-venir-entretien-avec-david-daoud/


Al-Jolani, le nouveau maître de la Syrie, présente une allure de modéré. Mais il demeure un homme formé dans la matrice islamiste. Il faut encore du temps pour voir s’il tolérera la liberté dans le pays ou s’il va exercer un régime de répression.

David Daoud est chercheur principal à la Foundation for Defense of Democracies, spécialisé dans le Liban et le Hezbollah. Auparavant, il a travaillé comme chercheur non résident à l’Atlantic Council, directeur de la recherche sur Israël, le Liban et la Syrie à United Against Nuclear Iran (UANI), et analyste de recherche à la FDD. Il a également travaillé en tant que membre du personnel au Capitole, où il a fourni des analyses sur des questions liées au Moyen-Orient, à Israël et à l’Iran.

Propos recueillis par Henrik Werenskiold

Que pensez-vous du djihadiste Abu Mohammed al-Jolani et de sa promesse d’être un islamiste modéré réformé ? Il dit toutes ces bonnes choses : qu’il protégera les minorités, que les femmes ne seront pas obligées de se couvrir. Il a même indiqué qu’il pourrait autoriser l’alcool. Est-il sincère ou n’est-ce qu’une façade ?

Je suppose que le problème n’est pas qu’il soit simplement un islamiste. C’est qu’il s’agit d’un ancien terroriste d’ISIS et d’Al-Qaïda, de sorte que l’histoire d’al-Jolani n’est pas très prometteuse en ce qui concerne son comportement futur. En ce qui concerne ce qu’il a dit au sujet de l’alcool, il n’a pas nécessairement dit que l’alcool serait autorisé. Il a dit qu’il appartiendrait aux assemblées législatives de décider de ce qui se passera, et qu’il se conformerait à leur décision.

Aujourd’hui, bien sûr, il fait tous ces gestes qui semblent prometteurs et positifs. Quelle est la part de sincérité et quelle est la part de pragmatisme tactique ? Difficile à dire. Nous sommes à peine deux semaines après la chute du régime d’Assad, ce qui n’est pas assez pour que nous puissions nous prononcer sur cet homme.

Il est en effet possible qu’il ait véritablement changé d’avis, mais c’est néanmoins peu probable. A-t-il eu sa propre vision sur le chemin de Damas, pour ainsi dire, et a-t-il changé complètement sa vision du monde ? Tout est possible, mais il est encore trop tôt pour l’affirmer avec certitude. Je pense donc que nous devons être prudents et attendre une action cohérente sur une certaine période, avant d’engager al-Jolani d’une manière qui le traite comme quelqu’un qui s’est repenti, qui a fondamentalement changé.

À l’heure actuelle, il prend le contrôle d’une Syrie fracturée, paralysée par des années de sanctions et de guerre civile. Ses besoins immédiats sont l’aide à la reconstruction, la levée des sanctions, le retour des affaires dans le pays. Tout cela nécessite de bonnes relations avec les pays extérieurs.

Si l’on considère deux exemples historiques de groupes islamistes terroristes, le Hezbollah et l’ISIS, le premier a réussi, tandis que le second n’a pas réussi. Lorsque ISIS est arrivée, il a dirigé ce qui était censé être un État, mais il l’a fait d’une manière ouvertement brutale, pour ne pas dire plus. Leur approche consistait à se battre avec le monde entier en même temps, et ils n’ont pas duré longtemps en tant qu’entité politique à cause de cela. Le modèle alternatif est le Hezbollah.

Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là ?

Dans les années 1980, le Hezbollah, en tant que force révolutionnaire, n’acceptait même pas la légitimité de l’État libanais. Techniquement, ce n’est toujours pas le cas. Pendant un certain temps, il a même tenté d’imposer la loi islamique aux chiites dans les régions qu’il contrôlait, mais rien de tout cela n’a fonctionné pour lui. Ainsi, lorsqu’il s’est agi d’élargir leur soutien aux chiites libanais, ou de tenter d’imposer la loi islamique, ils se sont heurtés à un refus.

Les Libanais ne voulaient pas soutenir le groupe sous cette forme, et le Hezbollah a donc renoncé à son idéologie pour des raisons pragmatiques. Aujourd’hui, lorsque l’on se rend dans les zones contrôlées par le Hezbollah au Liban, comme Tyr et ailleurs, on consomme de l’alcool et l’on peut voir des femmes en bikini sur les plages. Mais cela ne signifie pas que le Hezbollah s’est modéré – il s’agit simplement d’un jeu tactique.

Ils ont également cessé de s’appeler la « révolution islamique » au Liban, se rebaptisant la « résistance islamique » du pays. Cela leur a permis d’opérer dans le cadre du consensus libanais, plutôt que comme un groupe marginal, et d’accroître leur force à l’intérieur du système existant. Cela a également permis d’alléger la pression étrangère sur le groupe. Le Hezbollah a cessé d’enlever des fonctionnaires et des ressortissants étrangers au Liban. Au lieu de cela, il a concentré ses attaques terroristes et ses opérations militaires sur les Israéliens. Au cours des années 1990 et au début des années 2000, beaucoup ont dit que le Hezbollah s’était « libanisé », qu’il avait changé : il participait au processus politique et s’exprimait dans la langue de la politique libanaise.

Mais ces changements étaient entièrement tactiques, toujours pour les mêmes raisons. Ils ne voulaient pas unir le monde entier contre eux : les anciennes factions politiques du Liban, la Syrie, qui contrôlait le Liban, et la communauté internationale – à l’exception des États-Unis et d’Israël. Cette stratégie leur a donné la longévité et la marge de manœuvre nécessaire pour survivre. Elle leur a donné la marge de manœuvre nécessaire pour mettre progressivement en œuvre un programme politique islamiste dont la finalité est un modèle théocratique. Ils l’admettent, n’est-ce pas ? Ils veulent un État islamique au Liban basé sur le modèle iranien.

Quelle est la comparaison avec al-Jolani ?

Donc, si je suis al-Jolani, j’étudie ces deux modèles et ce à quoi ils ont conduit. Et si je suis intelligent, j’opte pour le modèle du Hezbollah après la guerre civile libanaise, parce que c’est celui qui a de la longévité. C’est celui qui promet de mettre en œuvre mon programme politique islamiste, même si cela prend plus de temps, mais cela ne signifie pas qu’il est modéré. Je considère toujours qu’il joue un jeu à très long terme.

Y a-t-il une chance qu’il ait réellement changé d’avis ? Peut-être, mais il faudra du temps pour le savoir. Il faut donc au moins attendre le mois de mars, date à laquelle l’actuel gouvernement intérimaire dirigé par le HTS est censé lancer un processus de transition, et voir comment les choses se dérouleront. Al-Jolani et le HTS permettront-ils la tenue d’élections libres et équitables ? Permettront-ils à toutes les forces politiques syriennes de s’affronter sur un pied d’égalité ? Lorsque les élections auront lieu, s’ils perdent, céderont-ils le pouvoir ? Aucune de ces questions ne peut trouver de réponse à court terme, il faudra un processus de contrôle et de vérification sur plusieurs années.

Mais commençons à voir quelques mesures avant de dire : « Il porte un costume, et c’est un si beau costume, et il s’est taillé la barbe. Il a dit qu’il allait permettre aux femmes d’aller à l’école, il a donc dû se modérer ». Ce sont des choses agréables à dire, mais cela ne veut pas dire qu’il a vraiment changé d’avis. Je veux dire, encore une fois, si l’on regarde le modèle iranien, le pourcentage de femmes dans les universités a considérablement augmenté sous la théocratie islamique par rapport à ce qu’il était sous le Shah. Mais cela ne veut pas dire que nous parlons d’un pays modéré, loin de là.

Vous dites donc qu’il ne s’agit peut-être que d’un jeu tactique visant à maximiser la possibilité d’atteindre l’objectif d’établir le célèbre califat mondial à un moment ultérieur ?

Oui, c’est tout à fait possible, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il y parviendra ou qu’il cherchera à instaurer un État islamique dans les cinq années à venir. Encore une fois, nous partons du principe que parce que ces groupes ont une certaine idéologie, ils vont poursuivre cet objectif final de manière irrationnelle. Je pense, encore une fois, qu’il existe des moyens plus intelligents de poursuivre cet objectif, et c’est ce qui me rend sceptique quant à sa nouvelle image de modéré.

Ce n’est pas parce qu’il est un musulman religieux. Ce n’est pas parce qu’il porte la barbe. C’est parce qu’il est issu d’un courant spécifique du salafisme-djihadisme. Il est issu d’un groupe et d’une idéologie spécifiques dont l’objectif final est une théocratie brutale. Et je ne pense pas que ces choses soient abandonnées très facilement, surtout en si peu de temps.

Alors, que pensez-vous de l’argument selon lequel il a un nouveau protecteur en Turquie et, dans une moindre mesure, au Qatar, qui va essentiellement le modérer ? Qu’ils remplaceront ses convictions salafistes et jihadistes par une branche de la politique des Frères musulmans. Pensez-vous qu’ils exerceront une influence modératrice sur lui ?

Je ne sais pas si je considère nécessairement les Frères musulmans comme modérés au sens propre du terme. Par rapport au salafisme-djihadisme à l’extrême, il s’agit d’un autre type d’islam extrême, mais ils poursuivent toujours les mêmes objectifs par des moyens pragmatiques, peut-être plus doux. Ceci étant dit, je ne sais pas à quoi ressemblerait un État purement Frères musulmans.

Nous avons un exemple à Gaza, car le Hamas est une émanation des Frères musulmans, une émanation autoproclamée des Frères musulmans. Ils ont imposé une sorte d’État de type Frères musulmans à Gaza, et ce n’était pas nécessairement une expérience agréable pour les habitants de Gaza eux-mêmes – indépendamment de ce qui se passait entre eux et Israël.

Je considère le modèle du Hezbollah comme un modèle approprié, parce qu’il me ramène à une interview que l’actuel secrétaire général Naim Qassem (alors secrétaire général adjoint) a donnée à Mayadeen en janvier 2016. On lui a demandé : « Quel est votre objectif final ? ». Et il a répondu quelque chose comme ceci :

Eh bien, écoutez, je suis un islamiste. Je suis un croyant. Bien sûr, je veux un État islamique. Et en tant qu’islamiste, je crois que la loi islamique est la meilleure façon d’organiser la société humaine. Et pas seulement pour les musulmans, mais aussi pour les chrétiens et les juifs, pour qu’ils obtiennent leurs droits et ce qu’il y a de mieux pour eux au sein du gouvernement et de la société. Mais je ne cherche pas à leur imposer cela par la force. Je cherche à les convaincre que c’est la meilleure façon pour eux de vivre leur vie.

Ils veulent donc que ce système soit imposé par le bulletin de vote plutôt que par la balle. Et cela les fait passer pour des modérés et des démocrates, n’est-ce pas ? Mais ils en sont loin. Une fois qu’ils sont au pouvoir, leur idéologie les oblige à abandonner la démocratie, même si elle est lente et pas nécessairement sanglante comme l’a fait, par exemple, ISIS. Il s’agit d’une sorte de coup d’État sans effusion de sang, où les gens portent leur oppresseur au pouvoir, parce que ce dernier les a convaincus que leur modèle est le seul qui fonctionne : C’est le seul modèle qui mettra de la nourriture sur votre table, qui fournira de l’électricité, et ainsi de suite.

Ainsi, en ce qui concerne les Qataris et les Turcs, je ne suis pas sûr que ce modèle soit plus modéré dans ses objectifs finaux. Il est plutôt plus pragmatique dans la poursuite de ces objectifs.

La Turquie joue un peu avec le feu. Je vois des liens avec la façon dont le Pakistan a été le protecteur des talibans, et ils ont fini par se retourner contre eux. Pensez-vous qu’Erdogan joue avec le feu ici, que les HTS pourraient venir le mordre plus tard ? Qu’il ne sera pas en mesure de les contrôler autant qu’il le pense ?

C’est un jeu intéressant que de jouer avec les forces politiques islamiques. Je sais qu’avec les Qataris, au moins, leur influence régionale passe par l’exploitation des forces de la religion, qui sont très fortes dans la région. Même si les gens ne prient pas cinq fois par jour ou ne boivent pas d’alcool, il existe toujours un certain traditionalisme et une nostalgie de la tradition. Et le Qatar a su exploiter cela. Cela ne s’est pas encore retourné contre le Qatar.

Avec la Turquie, ils font quelque chose de similaire. Les Turcs essaient de se positionner comme l’Iran des sunnites et de jouer sur la corde sensible des sunnites, pour simplifier un peu les choses. C’est pourquoi, pendant la guerre de Gaza, ils se font les champions de la Palestine et d’autres choses de ce genre.

À cet égard, je considère deux modèles. Le modèle saoudien et le modèle iranien. Les Iraniens choisissent très intelligemment leurs mandataires, car ils ne se basent pas nécessairement sur des incitations financières. Le Hezbollah et les milices chiites irakiennes qui sont fidèles à l’Iran ne le sont pas sur la base d’incitations financières, mais sur la base d’une idéologie. Ils croient sincèrement qu’Ali Khamenei est le Wali al-Faqih, c’est-à-dire le représentant de Dieu sur terre.

Par conséquent, si les sources de financement sont coupées, s’il y a un désaccord ou quoi que ce soit d’autre, il ne s’agit pas d’une relation normale entre deux acteurs qui ont des intérêts finalement divergents. Il s’agit d’une relation de type patron-serviteur où le second est loyal envers le premier, quoi qu’il arrive. En effet, les Iraniens ont bâti leur loyauté sur un système de croyances, et ils ont commodément cette figure religieuse qui est censée être la voix de Dieu. Encore une fois, je simplifie un peu les choses, mais c’est en gros ce à quoi cela se résume. Il existe un véritable système de croyances.

En quoi cela diffère-t-il de la Turquie ?

En ce qui concerne la Turquie, je sais qu’Erdogan veut se présenter comme une sorte de leader sunnite, mais il n’a pas la légitimité qu’Ali Khamenei a créée parmi les chiites. Il n’a pas nécessairement le même contrôle sur al-Jolani qu’Ali Khamenei sur ses pions. Je ne pense donc pas qu’al-Jolani se tourne vers lui comme les Frères musulmans idéalisent la vision du calife : l’ancien chef spirituel et mondain de l’islam sunnite combiné en un seul.

Il est donc toujours possible que les choses se passent comme elles se sont passées avec les Saoudiens. Les Saoudiens ont commencé à financer l’islamisme sunnite et les groupes extrémistes afin de contrer la révolution islamique en Iran et l’islamisme chiite politique. Mais cela leur a échappé, car leurs mandataires ne leur étaient pas subordonnés par l’idéologie, mais uniquement pour des raisons matérielles, contrairement aux Iraniens et à leurs mandataires.

Ces groupes et ces mosquées que les Saoudiens finançaient, cette idéologie dans laquelle ils injectaient de l’argent, ne regardaient pas la monarchie et la famille royale saoudiennes de la même manière que, par exemple, le Hezbollah regarde Ali Khamenei. Ils finançaient donc cette idéologie de plus en plus puriste et, lorsque les porteurs de cette idéologie ont examiné la famille royale saoudienne, ils ont constaté qu’elle n’était pas à la hauteur des idéaux de l’islam. Cette idéologie conclut que la famille royale saoudienne est corrompue, qu’elle est de mèche avec l’Occident infidèle, etc. C’est ainsi que l’on aboutit aux attaques d’ISIS contre l’Arabie saoudite.

Et au fur et à mesure que l’on progresse, c’est la conclusion logique. Je ne dis pas que les Saoudiens ont financé ISIS, mais ils ont financé la genèse d’une idéologie qui, au fil des années et des étapes, s’est métastasée en ISIS – sans doute de manière imprévisible – et cette idéologie s’est finalement retournée contre eux. Et à son apogée, il y a eu des attentats suicides et différentes attaques en Arabie saoudite même.

C’est donc une réelle possibilité pour la Turquie également. Si Erdogan continue à jouer ce jeu et que cette idéologie devient de plus en plus puriste, elle pourra alors se tourner vers la Turquie et dire : « Vous êtes tout aussi décadents et corrompus que tous les autres pays auxquels nous sommes censés nous opposer ». Et peut-être que cela ne se produira pas sous al-Jolani ou dans un avenir immédiat, mais dans une génération ou plus.

Je pense donc qu’il y a un élément de jeu avec le feu parce que la Turquie n’a pas le même contrôle sur une telle entité que, disons, l’Iran sur ses mandataires, quoi qu’il arrive. J’exagère un peu ici, mais si Khamenei décide soudainement de boire de l’alcool, cela serait presque perçu comme la bonne chose à faire par les mandataires, car il est considéré comme l’ombre de Dieu sur terre, pour ainsi dire. Erdogan, quant à lui, n’a pas cette autorité, loin de là.

Mais revenons à al-Jolani. Il compte dans ses rangs des combattants djihadistes très extrémistes, notamment des Ouzbeks, des Tadjiks, des Afghans et des Ouïghours. Comment réagiront-ils s’il devient trop modéré ? Risque-t-il que quelqu’un d’autre cherche à prendre sa place s’il ne répond pas à leur vision d’un État islamique puriste ?

Je pense que cela dépend vraiment de ce qu’il leur a promis et de leurs attentes, mais il y a ce risque. Cela dépend de ce qu’il leur a dit. Peut-être qu’il a eu ces discussions avec eux et qu’il a fixé les attentes comme il se doit, à savoir qu’ils ne chercheront pas à imposer ou à réaliser immédiatement leur objectif final ou leur vision d’un État islamique.

J’imagine qu’il a préparé quelque chose pour répondre à ces questions en interne. Peut-être en disant : « L’Émirat islamique que nous avions l’intention d’imposer ne peut pas l’être immédiatement. Il s’agira d’un processus, et les processus prennent du temps, mais nous poursuivrons ce processus en fonction des conditions de la Syrie plutôt que de rallumer une guerre civile ».

En outre, il est important de savoir comment il est perçu par ceux qui suivent l’autorité religieuse. Sont-ils prêts à faire preuve de pragmatisme dans la poursuite de leurs objectifs ? En ce qui concerne ses partisans djihadistes étrangers, il a déclaré qu’il fallait faire quelque chose pour démontrer la gratitude du peuple syrien à l’égard de ces personnes qui ont combattu et sont mortes pour la Syrie. Cela pourrait inclure la nationalité syrienne.

J’imagine que s’il est arrivé là où il est aujourd’hui, il s’est probablement préparé à cela, tout comme il joue ce long jeu avec l’Occident. Mais je ne pense pas que le Syrien moyen, même les plus traditionalistes, veuillent vivre sous la loi islamique. Donc, si al-Jolani est un dirigeant intelligent, ce que je pense, il comprend cet environnement.

C’est ce qui donne la longévité. C’est ce qui donne la durabilité. Si vous sortez d’une expérience de guerre civile, vous comprenez que même un tyran, même un autocrate qui n’est pas en phase avec la majorité de son peuple, sera déposé. C’est la leçon de Bachar el-Assad. Je veux dire, pour le dire très légèrement, qu’Assad est allé trop loin au-delà de ce que son peuple, le peuple syrien, pouvait tolérer. Cela a pris du temps, mais il a fini par être déposé.

Si al-Jolani a retenu ces leçons de l’histoire, il sait qu’il ne peut pas trop s’écarter de la ligne de démarcation avec les Syriens. Ses combattants en tiendront-ils compte ou le considéreront-ils comme un traître à la cause ? Cela reste à voir. Je pense que cela dépend du respect qu’ils lui portent, de son charisme interne et des attentes qu’il a créées. Il est donc difficile de dire ce qu’il faudra pour qu’ils l’assassinent ou se retournent contre lui.

Du point de vue des djihadistes extrémistes, il semble qu’ils gagnent sur tous les fronts. Ils ont gagné en Afghanistan, maintenant ils ont gagné en Syrie, ils gagnent au Sahel, ils poussent au Pakistan et ailleurs. Il semble que tout aille dans leur sens, et si vous êtes une personne très religieuse, pourriez-vous même avoir ce genre de considération ? Ne serait-ce pas comme une mission divine que d’imposer un État islamique strict, quelles qu’en soient les conséquences ?

Bien sûr, je comprends exactement ce que vous dites. Il est raisonnable de supposer que l’Afghanistan – ou toute autre théocratie islamique prise d’assaut par les djihadistes sunnites – représente un type de modèle qu’ils cherchent à poursuivre en fin de compte. Cependant, je pense que l’erreur que nous commettons est de supposer que leur idéologie conduit nécessairement à une poursuite irrationnelle d’un objectif final qui peut être irrationnel. Cela dit, je reconnais que l’objectif final lui-même est en effet très irrationnel.

Cela mis à part, les djihadistes peuvent être rationnels dans la poursuite de ces objectifs. Si leur but est de réussir, et de réussir vraiment – pas seulement de déposer quelqu’un et d’avoir ensuite un État islamique dans le chaos, mais d’enraciner véritablement un modèle -, alors ils feront preuve de patience. Et pour y parvenir, il existe différents modèles : le modèle du Hezbollah, mais aussi celui des Frères musulmans.

En Égypte, les Frères musulmans ont gagné par la voie des urnes, mais ils ont été déposés assez rapidement pour que nous n’ayons pas vu la plénitude du modèle qu’ils cherchaient à imposer au fil du temps. Mais nous avons des modèles où ils ont gagné par la voie des urnes, et Erdogan, dans une certaine mesure, est un Frère musulman discret. Il a gagné élection après élection, mais il a aussi terni la réputation de son pays. Il a gagné élection après élection, mais il a aussi bricolé le système au point qu’il ne peut plus être destitué. Il a mis en place des règles du jeu très strictes.

Donc, si je suis Jolani et que mon objectif final est un émirat islamique et que je m’assois avec ces types, je comprends. Mon objectif ne sera pas atteint du jour au lendemain. La Syrie est une société qui avait, dans une certaine mesure, la laïcité comme idéologie d’État. On peut dire que le baasisme est antireligieux. C’est une société où les femmes ne se couvrent pas, où l’alcool est autorisé, etc. Le pays est donc habitué à certaines normes qui ne changent pas facilement, même si le sunnite syrien moyen respecte l’islam et les traditions à sa manière. Par conséquent, si les HTS tentent de poursuivre immédiatement leur objectif final d’un État islamique, cela ne fonctionnera pas, car ils sont trop faibles à l’heure actuelle.

Ils pourraient subir un retour de bâton et perdre tout ce qu’ils ont accompli. Je ne pense donc pas que le djihadisme soit synonyme d’irrationalité. Nous supposons que ces personnes poursuivront leurs objectifs de manière irrationnelle plutôt que pragmatique parce qu’il s’agit d’extrémistes djihadistes visant à établir une théocratie brutale, mais ce n’est pas nécessairement le cas.

Qu’en est-il d’une organisation comme l’État islamique ? Était-elle rationnelle lorsqu’elle ravageait la région à l’époque ?

Non, donc je dirais que l’ISIS est le modèle irrationnel – le modèle qui a poursuivi ses objectifs irrationnels avec des moyens tout aussi irrationnels. Donc, si je suis Jolani et que je regarde l’histoire pour trouver un modèle qui maximise mes chances de réussite, je ne veux pas suivre le modèle de l’État islamique dès le départ. C’est peut-être mon objectif final, mais je ne veux pas commencer par-là, car je dois consolider mon emprise sur la société. Je dois habituer les gens à un certain mode de vie auquel ils ne sont pas habitués. Si je viens leur imposer cela, ce sera très probablement un échec.

Je voudrais à nouveau évoquer le modèle du Hezbollah. L’objectif final du Hezbollah est sans aucun doute d’imposer au Liban une théocratie de type islamique basée sur le modèle iranien. C’est leur objectif final, mais ils savent que cela doit se faire progressivement. Donc, pour l’instant, il y a de l’alcool, des femmes en bikini sur les plages, elles vont à l’université, etc.

Mais ils n’imposent pas, ils n’interdisent pas un certain style de vie pour l’instant, parce que leur objectif est de maximiser le lien de la société avec le parti, de maximiser son lien avec l’organisation. Ils créent alors ces « mécanismes de tapis roulant », comme j’aime à les appeler. Il y a les scouts, les écoles, les chaînes de télévision qui propagent leurs idées, les systèmes d’éducation religieuse. En bref, différentes choses qui fournissent aux gens toutes les nécessités d’une vie civile, mais ils endoctrinent lentement mais sûrement leur base de soutien, peut-être sur plusieurs générations, avec leur idéologie religieuse.

Les écoles gérées par le Hezbollah sont excellentes par rapport au système scolaire de la plupart des pays du Liban. Et si vous êtes un chiite pauvre, ils vous aideront à y envoyer votre enfant. Et peut-être que vous êtes un chiite qui est un Libanais typique – peut-être que vous priez parfois, peut-être que vous ne buvez pas d’alcool, mais vous n’êtes pas religieux au sens propre du terme. Vous ne cherchez pas à vivre pleinement le style de vie religieux.

Mais vous envoyez votre fils dans cette école parce qu’ils l’ont subventionnée pour vous, et il en sortira peut-être 5 % plus idéologique et plus engagé religieusement que vous. Super, c’est un succès pour eux. Et le Hezbollah travaillera à nouveau sur son fils pour le rendre encore plus religieux et conforme à ses préférences idéologiques. Je pense que c’est un modèle qui a plus de durabilité et de longévité.

Et encore, l’objectif final pourrait être barbare. Je ne nie pas que l’objectif final puisse être cauchemardesque. Je dis simplement que nous ne devrions pas supposer que parce que ces gens sont des djihadistes et des gens terribles, ils vont poursuivre leur objectif final d’une manière qui n’est pas intelligente. Et c’est en fait plus inquiétant pour moi, parce que cela donne aux Syriens un faux sentiment de sécurité, et à la communauté internationale un faux sentiment de sécurité.

Du point de vue des djihadistes, la prochaine étape logique pourrait être de s’implanter en Jordanie, ou peut-être en Égypte, pour propager leur révolution. Qu’en pensez-vous ?

Qui sait ? Je sais que les Jordaniens sont inquiets. Je ne sais pas si cela se produira dans l’immédiat. Mais la Jordanie est certainement plus vulnérable à une telle évolution. L’Égypte, en revanche, présente une dynamique intéressante. En effet, les Frères musulmans ont gagné sur le plan social et sociétal en Égypte. Mais même si leur mentalité a gagné, ils ont perdu en tant que marque. Je pense que l’Égyptien moyen réagit ‘hui avec dégoût si l’on parle des Frères musulmans.

Mais si l’on parle de loi islamique ou de tradition islamique en matière de droit, ils seront peut-être plus enclins à l’accepter. Et je pense qu’al-Sisi joue un jeu intéressant pour équilibrer tout cela. Il est lui-même un homme très religieux. Nous savons qu’il prie fréquemment. Mais il est également à la tête d’un État policier beaucoup plus cohérent et d’un appareil de sécurité plus puissant qu’en Jordanie.

En Jordanie, la légitimité du roi dépend de certains éléments qui peuvent être facilement ébranlés, et les forces islamistes du pays sont déjà puissantes. Je pense que le Front d’action islamique est aujourd’hui le plus grand parti au Parlement. Le dégoût qu’inspire à la société égyptienne la marque des Frères musulmans n’est donc pas le même en Jordanie.

La Jordanie est également une société beaucoup plus traditionnelle. Il suffit de regarder les crimes d’honneur. Il ne s’agit pas d’un phénomène arabe ou musulman, mais d’un phénomène jordano-palestinien. C’est également le cas dans la société israélo-arabe. C’est donc très spécifique à cette société, à ses traditions et à sa culture.

La société jordanienne est donc très traditionaliste. Et c’est un peu trompeur, presque, parce que la monarchie est si modérée. La monarchie n’a pas non plus une emprise aussi forte sur la société jordanienne que l’armée, al-Sisi et l’appareil d’État en Égypte. Je ne pense pas qu’il soit possible de créer un tel État policier en Jordanie.

La situation est trop compliquée pour que le roi puisse sévir et tenter de transformer la Jordanie en un État policier à part entière, plutôt qu’en un État policier souple. Je pense qu’il pourrait perdre sa légitimité. Il pourrait finir par se fracturer. Il y a donc des éléments en Jordanie qui, à mon avis, la rendent plus vulnérable aux forces politiques islamistes, même si elle est proche de la Syrie.

La société jordienne dispose donc d’un terrain potentiellement plus fertile pour la propagation éventuelle d’une révolution islamiste. La monarchie ne peut pas réprimer ou fermer la société aussi bien que l’État égyptien. Il y a aussi la proximité de la Syrie. Avec le temps, cela pourrait être un problème, mais je ne pense pas que cela devienne un problème dans l’immédiat.

Je pense que Jolani a d’autres chats à fouetter en ce moment. Et s’il commence à bricoler avec la Jordanie, sa capacité à convaincre l’Occident qu’il s’est modéré et qu’il devrait lever les sanctions sera compromise. En outre, les États-Unis et la Grande-Bretagne considèrent actuellement la Jordanie comme un « pilier de stabilité » dans la région. Par conséquent, s’il commence à s’en prendre à la Jordanie, ils ne lèveront pas les sanctions, ils les renforceront.

Tout dépend donc de l’intelligence avec laquelle Jolani veut jouer le jeu. Mais cela ne signifie pas qu’il ne poursuivra pas cet objectif à terme. Il n’y a rien que ces groupes islamistes détestent plus que les monarchies arabes traditionnelles. Au Levant, les Hachémites jordaniens sont le dernier vestige de ce type de monarchie arabe traditionnelle détestée. Alors oui, idéologiquement, c’est ce qu’il viserait. Idéologiquement, il voudrait voir cette règle tomber.

Il s’agit simplement, encore une fois, de poursuivre cet objectif de manière pragmatique ou d’agir de manière irrationnelle. Oubliez même les États-Unis et le Royaume-Uni – les Israéliens ont intérêt à maintenir la monarchie hachémite. Et ce ne serait pas la première fois qu’une menace de la Syrie à l’encontre de la monarchie jordanienne donnerait lieu à des représailles potentielles de la part d’Israël. C’est ce qui s’est passé en septembre 1970, lorsque la Syrie a envoyé des forces de l’autre côté de la frontière pour soutenir la guérilla palestinienne contre la monarchie hachémite, et que les Israéliens étaient prêts à déployer leur armée de l’air pour protéger le roi Hussein.

Nous avons donc déjà constaté que les Israéliens ne prennent aucun risque en ce qui concerne al-Jolani – ils ont détruit ce qui restait de l’armée syrienne en l’espace d’une semaine, afin d’éviter que ces armes ne tombent entre les mains d’al-Jolani. La zone tampon qu’ils ont occupée et le plateau du Golan sont des mesures préventives, car les Israéliens n’ont pas confiance en ce type. S’il s’en prend à la monarchie, la monarchie hachémite, je pense que les Israéliens interviendront tout autant pour s’assurer que la monarchie ne tombe pas.

Encore une fois, s’il n’est pas stupide, il le sait. Et quelque chose me dit qu’il n’est pas stupide. Mais encore une fois, cela ne signifie pas qu’il est modéré. Cela signifie qu’il sait comment poursuivre ses objectifs de manière plus intelligente.

Beaucoup de gens disent qu’il faut du temps pour découvrir les véritables intentions de Jolani. Combien de temps pensez-vous qu’il faille pour voir qui il est et quelles sont ses véritables intentions ?

Je pense que nous devons d’abord poser quelques jalons. Commençons par la transition de mars. Voyons comment ils la gèrent. Autoriseront-ils un discours politique libre et la dissidence dans le pays ? Commenceront-ils réellement à préparer les élections – et autoriseront-ils des élections libres et équitables ? Tout d’abord, voyons comment se déroule la période précédant les élections. Permettront-ils à la société syrienne de s’exprimer librement ? Autoriseront-ils les différents courants politiques ? Cela semble prendre des années, mais nous devons être patients et ne pas sauter sur la moindre miette de modération.

Dans ce contexte, nous parlons d’une société qui n’a pratiquement aucune expérience en matière d’organisation politique. Toute forme d’activisme politique a été brutalement écrasée, non seulement sous Bachar al-Assad, mais aussi depuis son père Hafez al-Assad. Il y a eu une petite ouverture au début des années 2000, puis dès que Bachar a vu que les gens le critiquaient trop, il a refermé la porte

Il s’agit donc d’une société qui a très peu d’expérience en matière d’organisation politique. Par conséquent, si M. Jolani se soucie réellement du peuple syrien, comme il l’a indiqué, le laissera-t-il compenser cette situation ? Permettra-t-il à ses opposants politiques de se développer de manière qu’ils puissent réellement rivaliser ?

En ce qui le concerne, il a au moins 10 ans d’expérience dans l’organisation politique et il est très populaire. Il a donc déjà beaucoup d’atouts en main, et il a indiqué qu’il essayait d’être juste. Voyons donc : procède-t-il de manière équitable d’ici au mois de mars et, après la transition, en s’occupant de la rédaction de la constitution ou des élections ?

En outre, le jour des élections, il est important de voir comment elles se déroulent. Sont-elles libres et équitables et dépourvues de fraude électorale ? Et s’il perd, ce qui est possible, sera-t-il prêt à se retirer ? Sera-t-il prêt à accepter sa perte de pouvoir s’il n’obtient pas le nombre de voix nécessaire ? Il s’agit donc d’un critère important pour disséquer ses véritables intentions, mais ce n’est pas le seul.

Car s’il remporte une victoire équitable, ce qui est possible, et devient président ou tout autre poste pour lequel il sera élu, nous verrons comment il gouverne. Continuons à observer son règne et la manière dont il traitera l’opposition politique au cours des années à venir. Dans ce scénario, il pourrait être judicieux de maintenir les sanctions à l’encontre de HTS.

Notre expérience de cet homme, après au moins dix ans d’expérience, est qu’il est un djihadiste, qui a commencé dans ISIS, puis est passé à Al-Qaïda, avant de se dissocier tactiquement d’Al-Qaïda. Ainsi, tout ce que nous savons de cet homme, c’est qu’il a ses racines dans des groupes terroristes. Alors, ayons au moins la moitié de ce temps – la moitié du temps qu’il a passé à être un terroriste – maintenant qu’il est au pouvoir, maintenant qu’il gouverne.

Je pense que nous avons besoin d’au moins autant de temps pour voir un modèle de comportement cohérent qui lui permette d’agir de manière modérée. Voyons au moins comment il gouverne pendant un mandat avant de nous faire une opinion. Des rumeurs circulent également sur le fait qu’il ne se présentera pas à l’élection présidentielle. Je ne sais pas, mais attendons de voir.

À lire aussi :

L’Italie, Musk et l’échec de l’Europe : un nouveau triomphe pour l’hégémonie américaine

L’Italie, Musk et l’échec de l’Europe : un nouveau triomphe pour l’hégémonie américaine

par Giuseppe GAGLIANO* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°171 / janvier 2025

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

Les négociations annoncées, à hauteur de 1,5 milliard d’euros, entre le gouvernement italien et SpaceX pour des services de communication satellitaire, bien qu’encore non officialisées, mettent en lumière une question stratégique cruciale : l’échec de l’Europe à bâtir une réelle autonomie technologique et défensive. Une fois de plus, la faiblesse des projets européens ouvre la voie à l’hégémonie américaine, incarnée ici par l’influence d’Elon Musk et de sa société SpaceX, qui renforce sa présence dans des secteurs stratégiques de la sécurité globale.

Le vide européen et la victoire de Starlink

La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, a tenté de minimiser la portée de cette nouvelle, parlant d’une « enquête en cours » et soulignant qu’il n’existe actuellement aucune alternative publique capable de rivaliser avec la technologie offerte par Starlink. Cependant, cette reconnaissance souligne une vérité amère : le projet européen de communications satellitaires sécurisées, IRIS², ainsi que l’initiative parallèle GovSatCom, peinent à rattraper une concurrence déjà gagnée par les Américains. Divisée dans ses intérêts et ralentie dans son développement, l’Union européenne a laissé un vide que les États-Unis ont rapidement comblé.

Les systèmes Starlink, déjà opérationnels, offrent des services avancés capables de répondre aux besoins de communications cryptées pour les gouvernements, les forces armées et la gestion des crises. L’Europe, avec un GovSatCom prévu pour 2025 et un IRIS² attendu pour 2031, risque d’arriver bien trop tard, laissant ses États membres dépendants d’un acteur privé américain.

L’intérêt de SpaceX n’est pas seulement commercial, mais profondément stratégique. Fournir des communications sécurisées aux gouvernements et aux forces armées signifie un accès direct à des infrastructures critiques et à des informations sensibles, renforçant ainsi l’influence américaine sur des alliés européens comme l’Italie. Elon Musk, à travers Starlink, incarne le visage moderne du pouvoir technologique américain, qui s’impose dans des secteurs vitaux pour la sécurité et l’autonomie stratégique.

La dépendance européenne vis-à-vis de SpaceX ne représente pas seulement une défaite industrielle, mais aussi une déclaration d’échec géopolitique. Tandis que le gouvernement italien considère l’adoption des systèmes Starlink comme une nécessité, cette décision met en évidence l’incapacité de l’Europe à réagir promptement face aux défis de la compétition mondiale.

Pour l’Italie, ce contrat avec SpaceX semble offrir une solution immédiate à un problème réel : l’absence d’infrastructures satellitaires autonomes et opérationnelles. Cependant, cette décision à court terme comporte des risques stratégiques sur le long terme. Confier des communications gouvernementales, militaires et diplomatiques à un acteur privé étranger, c’est céder une part de sa souveraineté technologique et opérationnelle.

Une Europe spectatrice et impuissante

Le contexte européen, fragmenté et dominé par des rivalités nationales, n’offre pas d’alternatives immédiates. Les initiatives communes, comme IRIS², sont ralenties par des complexités bureaucratiques et des tensions entre entreprises des principaux pays membres, notamment la France et l’Allemagne. Pourtant, s’appuyer sur SpaceX ne fait qu’aggraver cette dépendance, affaiblissant davantage les ambitions européennes.

Ce cas n’est pas isolé, mais reflète un paradigme. De la technologie à la défense, en passant par l’énergie, l’Europe continue de jouer un rôle secondaire sur la scène mondiale, laissant aux États-Unis le leadership. La création d’un système de communication satellitaire commun, comme GovSatCom ou IRIS², a été entravée par un manque de vision et de coordination. Chaque retard a permis aux États-Unis de consolider leur domination.

L’influence de Musk, renforcée par sa proximité avec le gouvernement américain, illustre une stratégie où les entreprises privées deviennent des extensions de la politique étrangère des États-Unis. SpaceX, dans ce cadre, agit comme un levier stratégique, pénétrant les marchés européens et s’assurant une présence clé dans des secteurs stratégiques.

Le potentiel accord entre l’Italie et SpaceX sera probablement perçu comme une victoire pour l’hégémonie américaine et une défaite pour l’Europe. Pour le Japon, qui s’appuie sur ses propres technologies, ou pour la Chine, qui développe ses constellations satellitaires, cette dépendance serait impensable. Mais pour l’Europe, incapable d’agir en tant que bloc uni et cohérent, cela devient la norme.

La question qui reste ouverte est de savoir si l’Italie et ses partenaires européens seront capables de tirer des leçons de cette situation et d’accélérer le développement de leurs propres capacités. Dans le cas contraire, l’avenir de l’autonomie stratégique européenne pourrait être déjà compromis, laissant le continent relégué au rôle de spectateur dans un jeu mondial dominé par les États-Unis.