Conseil de Défense : le rapport déclassifié sur les Frères musulmans en intégralité
Le 21 mai 2025, un rapport confidentiel intitulé « Frères musulmans et islamisme politique en France » a été présenté au gouvernement, puis examiné en Conseil de défense.
Le 21 mai 2025, un rapport confidentiel intitulé « Frères musulmans et islamisme politique en France » a été présenté au gouvernement, puis examiné en Conseil de défense. Rédigé par deux hauts fonctionnaires, ce document de plus de 60 pages ne parle ni de terrorisme, ni de séparatisme violent. Il s’attaque à une dynamique autrement plus insidieuse : l’enracinement d’une idéologie islamiste intégraliste dans le quotidien des structures françaises.
Son objet ? Décrire, analyser, et nommer une mouvance trop souvent mal comprise : le frérisme. Ce courant, héritier des Frères musulmans fondés en Égypte en 1928, s’adapte à son environnement, s’organise sur le temps long et se développe sous le seuil de détection classique des outils de lutte contre l’islamisme.
Frères musulmans : une organisation à cercles concentriques
Au cœur du rapport, une description limpide d’un mode de structuration méconnu. La confrérie fonctionne selon « des cercles concentriques dont le centre est constitué d’un “cercle restreint” de militants assermentés». Autour de ce noyau, gravite une galaxie plus diffuse d’influence et de relais idéologiques, désignée comme la « mouvance frériste ».
Cette distinction est importante. Le frérisme ne désigne pas seulement l’adhésion à une organisation formelle, mais aussi l’adhésion à des logiques, des langages, des pratiques, sans nécessairement revendiquer l’appartenance au noyau central. C’est cette souplesse organisationnelle qui rend le phénomène difficile à appréhender. Il ne s’agit pas d’une armée, mais d’un archipel.
Une stratégie d’influence territoriale progressive
Loin d’une stratégie de confrontation, le frérisme agit par infiltration. Le rapport décrit une dynamique fondée sur l’implantation locale et l’adaptation stratégique. En Europe, les Frères musulmans « capitalisent […] sur une dynamique désormais ancienne » : les institutions communautaires.
Il ne s’agit pas de s’enfermer dans des enclaves, mais d’investir les structures sociales existantes. Associations, écoles, lieux de culte, centres culturels, clubs sportifs deviennent autant de points d’appui pour une influence organisée. Cette présence « renforcée par une nouvelle génération de prédicateurs » permet une diffusion culturelle et religieuse ciblée, agile, et médiatiquement compatible.
Les enfants en première ligne du projet frériste
La jeunesse est au cœur de cette stratégie. Le rapport insiste sur « la rigorisation de la pratique religieuse» chez les plus jeunes, avec une mention spécifique à « l’explosion du nombre de jeunes filles portant une abaya et l’augmentation massive et visible du nombre de petites filles portant le voile ».
Cette observation n’est pas anecdotique. Elle met en lumière une influence qui ne vise pas seulement les individus mais les structures d’éducation, de transmission, de socialisation. L’objectif est clair : forger très tôt des repères religieux conservateurs, en rupture progressive avec les normes républicaines.
Une subversion sans violence mais avec méthode
Ce qui rend le frérisme redoutable, c’est son invisibilité relative. Loin des discours de rupture, c’est dans le glissement progressif des normes, dans la normalisation d’un contre-discours religieux politique, que s’installe la menace. Un lent travail d’érosion idéologique.
La dernière partie du rapport n’est pas seulement analytique. Elle formule des recommandations. Les auteurs appellent à « mieux appréhender la menace, documenter ses structures, connaître les aspirations de la population musulmane et lui adresser des messages forts ».
C’est une stratégie d’intelligence politique qui est proposée. Parmi les priorités : « une prise de conscience des effets de l’islamisme en France » et « un discours laïque renouvelé ». L’enjeu est de reconstruire un récit républicain fort, audible et cohérent.
Le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » documente un phénomène invisible à l’œil nu, mais bien réel. Il ne décrit ni un coup d’État ni un projet violent. Il décrit un travail d’influence, un enracinement idéologique, une conquête culturelle progressive.
C’est une alerte froide et rigoureuse. Une alerte qui, si elle est entendue, pourrait permettre à la République de se défendre, non pas contre une menace spectaculaire, mais contre une lente et méthodique transformation de ses fondations.
Défense : « Lorient tient une place prépondérante »
Dans le cadre d’une mission d’information, les députés Damien Girard et Thomas Gassilloud ont passé la journée, lundi 19 mai 2025, chez Naval Group et à la base aéronavale de Lann-Bihoué.
Les députés Thomas Gassilloud (deuxième en partant de la gauche) et Damien Girard (au centre) en visite chez Naval Group. | NAVAL GROUP
par Stéphane Bacro – Ouest-France – Publié le
Vers quel modèle l’Armée française doit-elle se tourner dans les années à venir ? Vaste question sur laquelle Damien Girard, député de la circonscription de Lorient (Morbihan) et son collègue du Rhône, Thomas Gassilloud, planchent depuis le mois de janvier.
Dans le cadre de leur mission d’information, les deux parlementaires ont passé la journée, lundi 19 mai 2025, chez Naval Group et à la base d’aéronautique navale de Lann-Bihoué. « Les réflexions venant du terrain sont toujours riches d’enseignements », pointe Damien Girard.
« Lorient tient une place prépondérante en matière de défense, rappelle Thomas Gassiloud. Car c’est ici que sont construits les bâtiments de surface de premier rang de la Marine nationale. Les frégates livrées par Naval Group sont indispensables à la sécurisation du trafic maritime. Notre dissuasion repose également sur la base de Lann-Bihoué. Ses avions permettent de sécuriser la sortie de nos sous-marins depuis l’île Longue et de repérer les éventuels sous-marins russes. »
Comment équilibrer le plan de charge chez Naval Group ?
Les deux lieux sont également indispensables à l’économie locale, puisque Naval Group et la base de Lann-Bihoué emploient, chacun, environ 2 000 personnes. Avec pour chaque structure ses problématiques. Notamment celle du plan de charge chez Naval Group. « L’entreprise se trouve actuellement dans un léger creux, mais il est impératif de maintenir la masse de salariés afin de ne pas perdre les compétences », souligne Damien Girard.
Une à deux frégates de défense et d’intervention sortent, chaque année, de chez Naval Group. | THIERRY CREUX / OUEST-FRANCE
D’où cette réflexion de l’élu écologiste. «Naval Group produit à la fois des frégates pour la Marine nationale (à raison d’une tous les deux ans), et pour d’autres pays (la Grèce). Les bateaux sont construits une fois les commandes passées. On pourrait imaginer fonctionner différemment comme le fait l’Italie, en ayant des frégates en surnuméraire et en cédant certaines en fonction des besoins d’autres pays. D’autant que l’on sait que le carnet de commandes va se remplir dans les six à neuf mois à venir, et que la capacité à livrer rapidement est importante. »
Damien Girard et Thomas Gassilloud présenteront leur rapport d’information le 11 juin en commission défense, à l’Assemblée nationale.
Le sergent Maxence Roger est “décédé accidentellement dans le cadre de l’opération Harpie contre l’orpaillage illégal en Guyane“, a annoncé lundi 19 mai le ministère des Armées.
Une enquête pour faire la lumière sur les circonstances de son décès a été ouverte.
Un soldat français tué en Guyane. Le sergent Maxence Roger est “décédé accidentellement dans le cadre de l’opération Harpie contre l’orpaillage illégal”, annonce dans un communiqué le ministère des Armées. Portée disparue dans la nuit du 18 au 19 mai dans les environs du poste fluvial de Saut-Maman-Valentin, la victime a été retrouvée, sans vie, après des “recherches menées en eaux vives”. Le militaire était âgé de 27 ans.
Déployé pour une “mission de courte durée” au sein du 9e Régiment d’infanterie de Marine stationné à Cayenne, le sergent Maxence Roger est présenté comme un “marsouin parachutiste motivé”,“sérieux et autonome”, “toujours enthousiaste, même dans les situations les plus difficiles”. Le ministère des Armées évoque également un leader “exemplaire”, doté d’un “très bon sens tactique” et d’une bonne dose de “sang-froid et maturité”. Auteur d’un parcours remarquable depuis son engagement en 2018, il s’est vu remettre plusieurs distinctions, à l’instar de la “médaille de la défense nationale bronze”.
“J’adresse mes plus sincères condoléances à sa famille, à ses proches ainsi qu’à ses frères d’armes au nom des armées françaises. Nous n’oublierons pas le courage et l’engagement absolus dont il a fait preuve dans l’accomplissement de sa mission”, écrit le chef d’état-major des armées sur X, faisant part de sa “profonde tristesse”.
Une enquête judiciaire a été ouverte et doit désormais permettre de déterminer les circonstances de son décès. Lancée en 2008, l’opération Harpie est menée conjointement par les forces de gendarmerie et les forces armées pour lutter contre l’orpaillage illégal dans le département, autrement dit l’exploitation clandestine de gisements d’or.
Malgré une hausse continue de ses crédits depuis 2018, le ministère des Armées manque de marges de manœuvre budgétaires pour accompagner sa remontée en puissance. Tel est en effet le constat établi par deux récents rapports publiés par la Cour des comptes et la commission sénatoriale des Finances.
Ainsi, l’un et l’autre ont mis en garde contre le niveau trop élevé du report des charges, lequel a atteint le niveau record de 8 milliards d’euros lors de l’exercice 2024. Pour rappel, il s’agit d’une astuce comptable consistant à ne payer les factures que l’année suivante, des intérêts moratoires étant versés aux industriels en compensation.
« Alors que le stock de report de charges de 2022 vers 2023 était de 3,88 milliards d’euros, il s’établirait à environ 8,02 milliards d’euros de 2024 vers 2025. Il a ainsi plus que doublé en deux ans », a ainsi relevé le sénateur Dominique de Legge, dans son rapport rendu au nom de la commission des Finances.
Pour la Cour des comptes, cette « augmentation du report de charges en 2024 » va « bien au-delà de l’objectif fixé au ministère ». Et d’ajouter : « La révision de la trajectoire de report de charges en fin de période sous programmation, interrogent sur la capacité du ministère à en maîtriser le retour à un niveau raisonnable d’ici à 2030 ».
Un autre point d’attention sont les « restes à payer », c’est-à-dire les autorisations d’engagements [AE] non encore couvertes par des crédits de paiement [CP]. Leur niveau est « en très forte augmentation depuis 2019 » note la Cour des comptes, qui précise qu’il s’est élevé à 100 milliards d’euros à la fin de l’exercice 2024 [soit + 2,9 % par rapport 2023].
Or, comme le souligne M. de Legge, « près de 90 % des crédits de paiement prévus en 2025, hors dépenses de personnel, seront ainsi destinés à apurer ce stock, qui continue par ailleurs d’être alimenté par l’engagement d’AE. »
Aussi, les magistrats de la rue Cambon font valoir que, malgré la hausse significative du budget des Armées et l’évolution « très favorable » de la « moindre évolution des coûts de facteurs » [prix du carburant, par exemple], la « nouvelle dégradation des ratios de report de charges et de restes à payer fait peser un risque significatif sur la soutenabilité des dépenses de la mission Défense ».
« Le ministère et le gouvernement, se doivent désormais d’y mettre impérativement de l’ordre, soit en parvenant à couvrir par des ressources additionnelles ses besoins financiers non programmés, soit en faisant des choix capacitaires pour se ramener plus étroitement à la trajectoire financière planifiée par la Loi de programmation militaire », estime la Cour des comptes.
D’autant plus que, la semaine passée, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a fait savoir que la France allait souscrire à l’objectif de l’Otan visant à porter les dépenses militaires à 5 % du PIB d’ici 2032.
«L’objectif de 3,5% est le bon montant pour les dépenses de base en matière de défense. Mais cela s’accompagne de dépenses qui vont concourir à l’augmentation de notre capacité de défense, qui ne sont pas des dépenses de défense directes, mais qui doivent être réalisées », comme la cybersécurité ou la mobilité militaire, a expliqué M. Barrot.
Pour rappel, il faut remonter au début des années 1960 pour retrouver un tel niveau de dépenses militaires en France.
Cependant, malgré les plans d’économies, les « réformes » et les promesses faites par les gouvernements successifs à la Commission européenne, les finances publiques continuent de se dégrader, avec une dette publique ayant dépassé les 3 300 milliards d’euros [113 % du PIB] et un déficit public s’étant établi 169,6 milliards d’euros en 2024 [soit 5,8 % du PIB]. Dans ces conditions, comment porter les dépenses militaires, au sens large, à 5 % du PIB, alors que d’autres priorités doivent aussi être financées ?
Le Haut-commissariat au Plan a tenté de répondre à cette question dans une note « flash » qu’il vient de publier. Selon lui, il n’existe que quatre leviers pour financer un tel effort, à savoir : la maîtrise des dépenses publiques, avec des « réduction inédites » dans certains domaines [social, fonction publique, etc.], une « hausse majeure des prélèvements obligatoires », alors que leur niveau, selon l’INSEE, est déjà de 42,8 % [hors cotisations sociales imputées], une « croissance du taux d’emploi », ce qui paraît compliqué à court terme, sauf à prendre des mesures radicales, et le « recours à un financement européen, via un endettement commun », ce qui pose des problèmes politiques et juridiques.
Selon cette note, « financer l’effort en ne recourant qu’à un seul levier – que ce soit la maîtrise de dépenses, des hausses d’impôts ou des réformes visant à accroître le taux d’emploi et grâce à cela les recettes publiques – semble peu crédible tant l’ampleur et la vitesse dans l’usage de chacun d’eux serait conséquente et inédite ». Aussi, « il apparaît donc indispensable de combiner plusieurs leviers, qui relèvent d’un choix politique essentiel », estime-t-elle.
Sans surprise, quand on connaît ses engagements pro-européens, le Haut-commissaire au Plan, Clément Beaune, pense que « la clé du problème » passe par l’Union européenne [UE], tant sur le plan financier qu’industriel.
« Au-delà du projet ‘ReArm Europe’, des solutions plus radicales doivent être envisagées. Un emprunt européen, permettant non seulement des financements communs mais aussi des acquisitions et des programmes industriels conjoints, est une idée qui progresse. Un montant proche de 500 milliards d’euros […] serait près de deux fois inférieur à l’effort consenti pendant la crise du Covid et faciliterait grandement les efforts nationaux, le niveau d’endettement global de l’Union européenne restant modéré », écrit M. Beaune dans son « éditorial ».
S’agissant de l’aspect industriel, le Haut-commissaire au Plan plaide pour une DGA [Direction générale de l’armement] européenne, laquelle serait créée à partir de l’Agence européenne de défense [AED], « sous le contrôle des États ». Une telle structure permettrait « de définir et d’acquérir en commun de nouveaux équipements » à des industriels européens.
« De la prescription à la production, c’est un modèle européen qu’il faut inventer : les erreurs commises dans le secteur spatial notamment, avec un ‘retour géographique’ inefficace, doivent inciter à bâtir un autre schéma, reposant sans doute, en aval, sur une spécialisation industrielle nationale plus assumée », conclut M. Beaune sur ce point.
OPINION. Légèreté et impatience ont tué la loi de programmation militaire
Selon le groupe Vauban, la loi de programmation militaire (LPM), dès sa conception, reposait sur des hypothèses qui, toutes, sont devenues de lourdes hypothèques, à l’exception peut-être de l’évolution du coût des facteurs plus favorable qu’estimé par le ministère des Armées. Par le groupe Vauban.
Le groupe Vauban* – La Tribune – Publié le 19/05/25
« La fameuse haute intensité n’aura guère touché les armées, notamment l’armée de Terre dont l’entraînement tient toujours aussi peu compte dans les écoles de formation d’officiers et de sous-officiers des enseignements des guerres en cours et, qui…Gonzalo Fuentes
Dans deux articles [1] qui firent à l’époque grand bruit dans les cercles politiques, militaires et industriels de l’armement, notre groupe démontrait, chiffres à l’appui, le non-financement de la Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 et prétendait que l’économie de guerre cachait en réalité une guerre à l’économie. Deux ans ont passé où notre groupe s’est fait silencieux préférant observer la tournure des évènements, sûr que bon sens et épreuve des faits lui donneraient raison. Avec la publication salutaire du rapport du Sénat sur le financement de la LPM, l’heure est venue en effet de constater, comme Richelieu dans son Testament politique, qu’« il n’y a pas de nation au monde si peu propre à la guerre que la nôtre ; la légèreté et l’impatience qu’elle a dans les moindres travaux sont deux principes qui ne se vérifient que trop ».
Vers un écroulement capacitaire
Légèreté d’abord : dès sa conception, la LPM reposait sur des hypothèses qui, toutes, sont devenues de lourdes hypothèques, à l’exception peut-être (provisoire ?) de l’évolution du coût des facteurs plus favorable qu’estimé par le ministère des Armées. Mais pour le reste, pour tout le reste, nos deux articles se sont tous confirmés dans le moindre détail : sous-estimation des besoins de financement des armées, sous-estimation des surcoûts, non prise en compte des surcoûts (Ukraine, OPEX et OPINT) et des besoins autres (financement de l’OTAN, par exemple), insincérité des ressources extra-budgétaires, déplacement des hausses majeures hors du mandat politique du président…
Nul mérite à ce résultat que la censure sur les comptes rendus des commission de défense du Parlement n’a pas réussi à étouffer : il était d’emblée vain de croire que la défense pouvait, seule, surnager dans la tempête qui décimait les finances publiques nationales sans choix dans le périmètre de l’État. Ce constat fait, l’avenir s’écrira logiquement : sans la priorité donnée au domaine régalien contre les choix sociaux et environnementaux, impossibles, illusoires et inefficaces, la Défense nationale s’écroulera progressivement et avec elle, l’État. Déjà, sans réaction du président ni du ministre des Armées, c’est Bercy qui dirige : bloquant et débloquant les crédits au gré de sa gestion personnelle, au détriment des armées, de l’industrie d’armement et d’une loi votée au Parlement. La légèreté budgétaire entraînera l’écroulement capacitaire.
De l’économie de guerre à une guerre à l’économie
L’impatience ensuite : notre groupe avait également critiqué l’impatience de l’exécutif dans trois domaines : le contexte international, la haute intensité et l’armement. Pour tragique qu’elle soit, la guerre russo-ukrainienne n’a aucune incidence sur les intérêts vitaux de la France et, si elle devait en avoir, la force de frappe est là pour y répondre ; oser prétendre que l’armée russe ira déferler sur l’Europe dès 2029 alors qu’elle peine à prendre des objectifs extrêmement limités en Ukraine ou sur son propre territoire, est tout aussi exagéré que prétendre que les États-Unis se retireront du champ européen, alors qu’ils y opèrent des bases majeures (de logistique, de renseignement et d’interception).
Dans tous les cas, la dissuasion protège la France. La fameuse « haute intensité » n’aura guère touché les armées, notamment l’armée de Terre dont l’entraînement tient toujours aussi peu compte dans les écoles de formation d’officiers et de sous-officiers des enseignements des guerres en cours et, qui repose toujours sur un matériel dépassé, usé, échantillonnaire ou carrément absent.
Enfin, l’impatience dans le domaine de l’armement s’est traduite par l’économie de guerre : au lieu d’être un réarmement classique, s’appuyant sur des commandes fermes, pluriannuelles de la Direction générale de l’armement (DGA), l’économie de guerre s’est surtout traduite par une guerre à l’économie de l’armement où les mesures à la fois intrusives, instables et infondées du ministère des armées sont prises dans un climat généralisé de suspicion des industriels et des banques sans pour autant être compensées par des commandes nouvelles fermes. L’État avec légèreté et impatience ignore que qui paie, commande et qui commande, paie.
Dans ces trois domaines, l’impatience était inutile et surtout mauvaise conseillère : il fallait attendre la fin de l’ancienne LPM, se donner le temps de faire des choix, notamment en tenant compte des guerres en cours et surtout ménager un espace budgétaire ferme à la LPM pour traduire financièrement les exigences réels d’un réarmement de fond. Celui-ci s’impose toujours, non en raison d’un quelconque contexte stratégique versatile qu’en raison de la permanence des ambitions nationales de la France qui se veut encore une grande puissance défendant ses intérêts dans le monde et ses alliances tout aussi mondiales.
« C’est chose étrange que la légèreté des Français… »
Au bilan tout provisoire et qui s’alourdira, n’en doutons pas, dans les semaines à venir, légèreté budgétaire et impatience stratégique ont ruiné dès sa conception l’actuelle LPM ; il est curieux de constater qu’à part quelques sénateurs, ce constat pourtant clair dès 2023 ne choque aucun autre parti politique. Voilà qui est de mauvaise augure pour 2027. Comme le remarquait Louis XIII à Richelieu dans une lettre du 5 août 1635 : « c’est chose étrange que la légèreté des Français… ».
Alors que la France fait face à des incendies de plus en plus fréquents et violents, une innovation prometteuse émerge du côté des forces armées : l’A400M, avion de transport militaire de l’armée de l’Air et de l’Espace, a réussi avec succès ses premiers essais de largage d’eau, ouvrant la voie à une nouvelle capacité de lutte contre les feux de forêts.
Des résultats très encourageants
Les tests ont été menés récemment par Airbus en collaboration avec l’armée française, la Direction Générale de l’Armement (DGA) et la Sécurité Civile. Résultat : l’A400M, équipé d’un kit amovible de largage, a pu déverser jusqu’à 20 000 litres d’eau en un seul passage, avec une précision et une efficacité impressionnantes.
Ces premiers essais sont jugés très concluants par les autorités, démontrant que l’A400M peut non seulement remplir un rôle de transport stratégique, mais aussi devenir un appui majeur dans la lutte contre les incendies à grande échelle.
Une transformation rapide et réversible
Le système utilisé repose sur un kit « Roll-on/Roll-off », facilement installé dans la soute de l’avion sans nécessiter de modifications permanentes. Cela permet de convertir rapidement l’A400M en bombardier d’eau, tout en conservant sa vocation militaire principale. Cette flexibilité en fait un atout logistique précieux en cas d’urgence.
Un soutien stratégique face aux mégafeux
Face à l’augmentation dramatique des incendies en France — notamment dans le sud, en Corse et désormais dans des zones autrefois épargnées — cette nouvelle capacité arrive à point nommé. Elle pourrait combler les lacunes des moyens civils, parfois débordés lors de crises multiples.
L’engagement des A400M dans ce rôle marque aussi un tournant dans la coopération entre les armées et les services civils, pour répondre à des menaces liées au climat.
Et maintenant ?
Fort du succès des premiers essais, l’armée française envisage d’intégrer cette capacité dans son arsenal opérationnel dès les prochaines saisons estivales. D’autres phases de test et de validation opérationnelle sont attendues, mais l’enthousiasme est réel tant chez les militaires que chez les pompiers.
*Samuel Henry s’exprime en son nom propre. Samuel Henry est officier de l’armée de Terre, actuellement stagiaire à l’Ecole de Guerre (Paris). L’an passé, il a soutenu une thèse sur les biais cognitifs dans la planification militaire. Il explore depuis plusieurs années nos mécaniques cognitives et leurs effets dans la prise de décision et dans le domaine des manipulations de l’information.
La diffusion de faux contenus n’est plus anodine, tant par son caractère massif, que par les effets induits sur les opinions publiques et sur la vie de nos démocraties. Le terme « désinformation » fait désormais florès pour désigner ce phénomène accéléré par l’usage immodéré des réseaux sociaux. Si la désinformation agit d’abord sur nos croyances et dans un cadre virtuel, sa propagation peut avoir des effets réels dans le monde matériel. C’est de cette matérialité de la désinformation qu’il est question.
Documenté et pédagogue, Samuel Henry offre des clés pour comprendre un sujet majeur.
FRANCE, le 2 octobre 2023. « Punaises de lit. PERSONA NON GRATA. » titre le journal Libération. La recrudescence de punaises de lit devient un sujet public. Dans l’espace privé, de nombreuses personnes croient voir leur logement infesté. Certains individus en perdent momentanément le sommeil. Le sujet devient un enjeu politique : un projet de loi est envisagé. L’invasion virtuelle a des effets réels. Pourtant, hormis quelques vidéos qui font le buzz sur les réseaux sociaux, la prétendue invasion de punaises de lit est loin d’être prouvée.
Illustration 1 – La Une de Libération, le 2 octobre 2023. La matérialité des punaises de lit.
Copyright Libération, 2023
Cinq mois plus tard, au début du mois de mars 2024, les responsables politiques français dénoncent officiellement ce qui s’est avéré être une manœuvre de désinformation « artificiellement amplifiée sur les réseaux sociaux par des comptes dont il a été établi qu’ils sont d’inspiration ou d’origine russe [1] ». La Russie, adversaire de la France sur le plan informationnel, s’est contentée de prendre le train de nos peurs en marche, afin d’amplifier une mauvaise rumeur. Et ça marche !
La désinformation surfe sur des peurs virtuelles, mais ses effets dans la sphère politique et privé sont bien réels. L’illusion des punaises de lits illustre un problème concret. Alors que la désinformation agit d’abord sur nos esprits et concerne la diffusion de faux contenu, la notion de matérialité a une double acception : matériel (au sens de concret) et vérifiable. Evoquer la matérialité de la désinformation convoque un double paradoxe. D’une part, c’est opposer l’immatériel des contenus de l’information aux effets concrets de nos choix. D’autre part, c’est affirmer l’idée d’effets vérifiables à ce déluge de contenus non-vérifiés.
Comment la matérialité de la désinformation nous renseigne sur la lutte à mener ?
Si la désinformation est de prime abord une matière qui échappe et qui semble floue ou immatérielle (I), ses effets concrets sont cependant bien réels (II). Dès lors, anticiper la matérialité de la désinformation semble être une clé judicieuse pour mieux lutter contre les manipulations de l’information (III).
I. La désinformation : une matière qui échappe
Une matière galvaudée
La désinformation est un terme que personne n’entend de la même oreille. Selon l’acception que l’on retient, elle peut soit être confondue avec l’onomatopée « fake news [2] » de Donald Trump, ou, plus sérieusement être définie comme une « diffusion volontaire et intentionnelle d’une fausse information en sachant qu’elle est fausse ». Toujours est-il que cette définition demeure assez peu connue du grand public. L’usage du terme désinformation est suffisamment galvaudé pour qu’il puisse aussi bien englober les fausses nouvelles diffusées sciemment que les accusations péremptoires utilisées pour discréditer un adversaire politique. Bien souvent, le fait de qualifier dans un débat public un fait ou une information comme de la « désinformation » permet de censurer facilement n’importe quel contradicteur. Tout l’enjeu de la sensibilisation à la désinformation consiste donc à repositionner la véracité des faits sans s’ériger en arbitre subjectif. Plusieurs versions des faits peuvent parfois cohabiter. Elles peuvent alors donner lieu à des vérités sélectionnées ; c’est-à-dire des faits qui ne sont pas faux en eux-mêmes, mais dont l’évocation sélective oriente les perceptions. Il s’agit là encore d’une logique de manipulation des perceptions, sans que les faits en eux-mêmes ne soient strictement réfutables. C’est pourquoi, pour lutter contre la désinformation, s’attaquer strictement au contenu n’est pas toujours la solution.
Pour lutter, étudier la propagation plutôt que la vérité matérielle
Chez les Britanniques, l’ « information warfare » est aussi appelée « political warfare ». Se faire l’arbitre du vrai confine à l’action politique. C’est pourquoi, en France, l’agence VIGINUM, responsable depuis 2021 de la détection des manœuvres informationnelles de nos adversaires, caractérise les manœuvres informationnelles plutôt que les contenus. En démocratie, une agence gouvernementale responsable de lutter contre la désinformation ne peut pas être l’arbitre du vrai. En revanche, sans préjuger de la véracité des contenus, il est possible de caractériser l’amplification artificielle d’un contenu sur les réseaux sociaux. Ce genre d’action – une manœuvre inauthentique coordonnée – atteste d’une volonté de nuire de la part de nos adversaires et permet de les exposer. Le mensonge se caractérise donc par le mode de propagation, plutôt que par la matière du contenu. Même la lutte contre la désinformation consiste à étudier la mécanique de propagation plutôt que la matière !
Illustration 2 – L’ouvrage « Warfare by words » (Penguin, 1942).
Son auteur, Ivor Thomas explique très bien le caractère politique de l’information warfare.
Affaiblir la démocratie et faire advenir la post-vérité
L’important n’est plus la véracité du message, mais d’exposer le plus souvent possible la cible à votre message d’influence. D’abord faire naître le doute, puis imposer votre récit par une diffusion massive, afin de remporter la partie. L’inversion accusatoire (« whataboutism » en anglais) illustre parfaitement cette « diffusion du doute ». Ainsi, nos adversaires sont particulièrement performants pour dresser des « accusations en miroir », ou plus prosaïquement, une stratégie du « C’est celui qui dit qui y est. » La Russie est accusée d’attaquer un pays souverain en violation de l’ordre international ? Il lui suffit d’accuser en retour. Expliquer que l’OTAN s’est montré agressive. Expliquer que les Ukrainiens sont des « nazis ». Expliquer que les droits des peuples du Donbass sont violés depuis plusieurs années. La multiplication de ces accusations dilue l’accusation initiale dans un océan de vérités alternatives. L’effet final est de lasser le public, de défaire son rapport à la vérité, avant de défaire les cœurs et les esprits.
Illustration 3 – Sempé. L’inversion accusatoire : une stratégie aussi puérile qu’efficace
« L’agent d’influence n’est jamais pour, toujours contre, sans autre but que de donner du jeu, du mou, tout décoller, dénouer, défaire, déverrouiller. » explique un agent soviétique dans le roman « Le montage » (Vladimir Volkoff, éd. Julliard – L’Age d’homme, 1982). Cette technique d’influence est appelée « technique du fil de fer ». Ce fil de fer, c’est notre rapport à la vérité. A force de le tordre, l’avalanche de désinformation finit par le casser. « Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais celui pour qui les distinctions entre fait et fiction et entre vrai et faux n’existent plus. » écrivait Hannah Arendt. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’ère de la post-vérité : un monde où la distinction entre le vrai et le faux n’importent plus, tant le flux est assourdissant. Inonder la zone de merde (« Flood the zone with shit ») préconisait Steve Bannon. Il s’agit d’inonder l’auditoire de « fake news » afin de susciter la confusion et de lasser les journalistes et les communautés de « fact-checking ». La diffusion massive de contenus de désinformation pourrait faire advenir ce monde-là – et ses effets seraient matériels.
II. Des effets souvent immatériels mais toujours réels
Une action réelle sur le domaine virtuel de nos croyances et de nos représentations
Les actions de désinformation agissent d’abord sur un espace virtuel, celui de nos cadres de représentation et de nos croyances. Chez les héritiers des Soviétiques, ce genre d’action est appelé mesures actives, depuis l’époque de la Tcheka (1917-1922). Les mesures actives [3] sont des actions informationnelles qui ont pour objet de faire évoluer la vision d’un auditoire sur un sujet. L’addition de ces manœuvres permet in fine de faire évoluer le cadre de croyance. Un dicton du KGB illustre ce principe : « La goutte d’eau creuse la pierre, non par la force, mais en tombant souvent. ». Cette récurrence est appelée « bruit de fond » dans le domaine de la lutte informationnelle. Un peu à la manière d’une contrebasse ou d’un piano dans un orchestre de jazz, le bruit de fond permet d’assurer la permanence du rythme de la manœuvre d’influence.
L’effet du bruit de fond est démontré en psychologie sociale, depuis 1968 par Robert Zajonc [4]. « L’effet de simple exposition », tel que ce chercheur en psychologie sociale le baptise, est la tendance que nous avons à évaluer plus favorablement des informations familières, quels que soient la signification ou le crédit que nous accordons à ces informations. Le bruit de fond de la désinformation devient persistant par un autre effet documenté : l’effet d’influence continu. Les premières recherches sur l’effet d’influence continue datent de 1994 grâce à Hollyn Johnson et Colleen Seifert [5]. Leurs expériences démontrent qu’une information démentie et désormais tenue pour fausse par une audience, continue à guider inconsciemment le raisonnement d’une partie de l’audience, comme s’il n’y avait jamais eu de démenti. Comme le disait le philosophe Francis Bacon, « Calomniez ! Calomniez ! Il en restera toujours quelque chose » dans l’esprit de l’auditoire.
L’effet final : priver de la souveraineté, sans que le territoire ne soit pris
Le pouvoir de l’influence n’est pas nouveau. Le stratège Sun-Tzu (IV e siècle avant J-C) expliquait : « Soumettre l’ennemi sans ensanglanter la lame, voilà le fin du fin. ». Les ressources de l’influence permettent d’envisager cette soumission, ou plutôt la démission de l’adversaire. Comme l’a affirmé le général russe Valeri Guerassimov (1955 – ) « Les ressources de l’information permettent de priver l’adversaire de sa souveraineté sans que le territoire ennemi ne soit pris. ». C’est une nouvelle forme de stratégie indirecte, consistant à « gagner la bataille avant de l’engager » pour reprendre les mots de Sun Tzu. Avec Donald Trump au pouvoir, les mesures de contrôle réflexif déployées par la Russie semblent porter leurs fruits. Les Etats-Unis, le principal compétiteur de la Russie, sont désormais dirigés par un homme qui a fait l’objet de mesures actives des services russes, et qui laisse dire que l’Ukraine a provoqué l’invasion russe sur son sol et est responsable du conflit, en laissant élire le « dictateur » Zelensky à sa tête [6].
« Une bataille perdue, c’est une bataille qu’on croit perdue. » L’adage du maréchal de Saxe (1696-1750) n’a pas vieilli. Les contenus de désinformation peuvent littéralement défaire nos sociétés lorsqu’ils échappent à notre discernement, mais ils peuvent aussi, au contraire, susciter une envie de « faire bloc », une envie de demeurer souverains. Pour ce faire, la désinformation doit être combattue avant que ses effets ne se matérialisent.
Lorsque c’est matériel, c’est souvent trop tard
Lorsque la désinformation se matérialise, il est souvent trop tard. Si la population ne trouve plus le sommeil, c’est que l’hypothèse des punaises de lit est complètement ancrée dans les esprits. Si la population refuse de se faire vacciner, c’est que le scepticisme anti-vax triomphe. Si, comme en Roumanie en 2024, la population se choisit un candidat populiste, qui passe de 1% d’intentions de vote à la majorité des suffrages en six semaines, c’est que la rationalité démocratique est vaincue. Après avoir renforcé les peurs, après avoir altéré les croyances, après avoir convaincu les individus d’agir, la désinformation finit par se concrétiser au travers de conséquences matérielles : des insomnies, la recrudescence d’une épidémie ou encore un résultat électoral populiste. La matérialisation n’est que l’ultime effet de la désinformation. Lorsqu’elle advient, c’est qu’il est souvent trop tard pour agir. L’annulation de l’élection de Calin Georgescu en Roumanie au motif d’interférences étrangères dans la campagne a permis à l’intéressé de dénoncer un « déni de démocratie ». Et d’ouvrir un boulevard pour le candidat d’extrême droite qui se présente à sa suite.
Aux Etats-Unis, lorsque la foule donne l’assaut sur le Capitole (6 janvier 2021), il est trop tard pour agir contre les rumeurs et les fausses nouvelles. Dans l’échelle de viralité (« breakout scale ») construite par Ben Nimmo [7] pour évaluer la dangerosité des faux contenus, la matérialisation par l’action violente est d’ailleurs l’ultime degré de viralité auquel un contenu peut prétendre. L’échelle se divise en six « paliers de viralité » :
1. Une plateforme, pas de propagation.
2. Deux plateformes pas de propagation ou une plateforme et début de propagation.
3. Plusieurs plateformes, propagation.
4. Reprise médiatique.
5. Amplification par une personnalité publique.
6. Réponse politique ou Appel à la violence.
Illustration 4 – L’échelle de viralité de Ben Nimmo, toujours utilisée pour caractériser la manœuvre adverse
La matérialité est le signe d’un contenu de désinformation qui triomphe. On ne peut que souhaiter que la désinformation reste en deçà du stade 6, aux stades des rumeurs. Finalement, anticiper la matérialité des contenus de désinformation, permet de mieux limiter leurs effets.
Illustration 5 – États-Unis, 6 janvier 2021. L’assaut sur le capitole : illustration de la matérialité de la désinformation, stade ultime de propagation
III. Anticiper la matérialité
Ouvrir les yeux avant la matérialisation
C’est pourquoi il est essentiel d’ouvrir les yeux avant la matérialisation. « On ne combat pas un incendie les yeux fermés », entendait-on aux prémices du Covid pour justifier le besoin de tests de dépistage. Il en va de même pour les contenus de désinformation. Ils doivent être détectés et exposés dès qu’ils atteignent un certain seuil de viralité. C’est le travail essentiel que réalisent les équipes de VIGINUM. Pourtant, en dépit de nos capacités d’analyse, certaines données demeurent encore invisibles à nos yeux. Il est par exemple impossible d’estimer le volume et la proportion des contenus produits par intelligence artificielle que nous rencontrons au quotidien. De même, il est encore impossible de connaître avec exactitude le fonctionnement de l’algorithme de recommandation des plateformes. Ce sont donc les règles invisibles des algorithmes qui déterminent ce qui nous est donné à voir et à ne pas voir. Sur ces questions, il paraît essentiel de légiférer pour ne plus être aveugles. [8]
Ou plutôt pour ne plus être borgne, car il y a malgré tout des phénomènes qui sont observés et documentés en détail. Ainsi, 70% des contenus visionnés sur YouTube sont directement suggérés par l’algorithme de recommandation [9]. Par ailleurs, une fausse nouvelle se répand six fois plus vite et plus profondément qu’une information classique [10]. Sans surprise, nous sommes plutôt enclins à écouter l’arbre qui tombe, plutôt que la forêt qui pousse [11] ; les contenus construits pour devenir viraux sont souvent empreints de négativité. Ils se répandent ainsi plus facilement, dopés par la peur, la colère ou l’indignation qu’ils suscitent chez les utilisateurs. Enfin, une récente étude a également démontré que la représentation politique du monde que vous forgez sur X n’est en rien conforme à la réalité [12].
Reconnaître la réalité, sans attendre la matérialité
L’enjeu de la désinformation consiste finalement à reconnaître sa réalité, sans attendre d’observer sa matérialité. Un peu comme certains déclaraient « ne pas croire au Covid », il se trouve encore des individus qui « ne croient pas à la désinformation ». Ce déni est très pratique car il déresponsabilise. Une enquête de 2019 avait d’ailleurs souligné que ce refus de croire aux effets matériels avaient des conséquences sur la propagation des contenus. Ainsi la population de plus de soixante-cinq ans relaie davantage les faux contenus [13], car elle envisage moins les effets réels de la propagation de ces contenus. C’est l’illusion qu’un mauvais contenu peut rester une « bonne blague ».
Le cauchemar de Saint-Exupéry
De fait, il est difficile de croire que notre clic peut finir par influencer une mécanique électorale. Il est aussi difficile de croire que notre simple bulletin peut décider du sort d’une élection, pourtant nous votons. Nous reconnaissons l’incidence infinitésimale de ce geste. Nous gagnerions sans doute alors à comprendre que, lorsque nous facilitons la diffusion d’un contenu, nous votons. Puisque ce vote peut avoir de l’effet, il est opportun de s’interroger : « Qu’attend-t-on de moi ? ». Telle est la question pertinente, plutôt que « Suis-je d’accord ? ». Si chaque utilisateur effectuait ce questionnement, la propagation des contenus serait vraisemblablement plus rationnelle et moins manipulable. D’autant que les statistiques des réseaux sociaux (metrics) permettent de sonder une population en temps réel sur ses opinions. En réagissant à chaud sur les réseaux sociaux, nous autorisons leurs propriétaires à nous sonder et à nous influencer en direct, sans jamais avoir ouvertement consenti à une telle situation. C’est un vote inconscient mais permanent que nous effectuons. L’analyse de nos données permet de cataloguer la population en un vivier influençable. Antoine de Saint-Exupéry affirmait qu’une « industrie basée sur le profit tend à créer – par l’éducation – des hommes pour le chewing-gum et non du chewing-gum pour les hommes ». L’écrivain rêvait de demeurer dans un monde où on fait du chewing-gum pour les hommes. Las ! Moins d’un siècle plus tard, l’exploitation systématique et semi-consentie des données de navigation accouche d’un monde où l’on utilise les hommes pour leurs cookies. Nous vivons en quelque sorte le cauchemar de Saint-Exupéry.
La réalité incontournable, finalement, est que la désinformation est devenue le premier sujet de préoccupation stratégique [14]. Le premier terrain que laboure la désinformation est celui de nos croyances, de nos peurs et de nos représentations. Un domaine immatériel, mais bien réel. L’un des enjeux de la lutte contre les manipulations de l’information est de reconnaître ce fléau réel, pour le combattre et le contrer, avant qu’il ne se matérialise. C’est pourquoi il est primordial d’ouvrir les yeux, d’exiger l’accès aux données, de continuer à détecter les actions informationnelles adverses et d’exposer celle qui le méritent. Ce combat, le citoyen ne le mène pas seul. Il peut exiger que la législation soit plus dure envers les plateformes. Exigeons que le consentement à l’utilisation de nos données par les plateformes soit explicitement sollicité. Exigeons la transparence sur le fonctionnement des algorithmes de recommandations. Exigeons des possibilités de paramétrages dans la vitesse de navigation ou dans les modalités d’affichages des statistiques. Exigeons davantage de taxes, qui viendraient financer des médias de confiance. Aujourd’hui, chaque utilisateur délègue aux plateformes le choix éditorial des contenus qui lui est proposé. Nous sommes arrivés à cet état de fait parce que nous n’avions pas réfléchi aux effets induits, à leur matérialité. Il est temps de reconnaître la réalité des effets sur nos démocraties. Il est temps de mieux analyser, mieux légiférer et mieux propager.
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Plus
. Edward Bernays, « Propaganda », H. Liveright, 1928.
. Stephen Brill, « The death of truth », Knopf, 2024.
. Bruno Patino, « La civilisation du poisson rouge », Grasset, 2019.
. Ivor Thomas, « Warfare by words », Penguin, 1942.
. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorcia, Marine Guillaume, Janina Herrera, « Les manipulations de l’information, un défi pour nos démocratie »s, Carnets du CAPS, 2018.
Le mardi 14 mai 2025 s’est déroulé à l’École Militaire le Cercle de l’Innovation et du Combat Futur (CICF) organisé par le Pôle rayonnement de l’armée de terre (PRAT). L’objectif ? Faire le point sur les ambitions de l’armée de terre, sur ses capacités opérationnelles et sur ses besoins en vue d’anticiper les combats de demain.
« Le monde est en train d’évoluer et il faut s’y adapter », a introduit le général Bruno Baratz, commandant du Commandement du combat futur, traçant ainsi le sillon à suivre pour les discussions à venir. L’événement a permis la réunion du trilogue entre la Direction générale de l’armement (DGA), les forces armées et les industries de défense, dans une optique de préparation de conflits de haute intensité, auxquels la France pourrait prendre part dans les années à venir.
À l’heure où se prépare la table des négociations à Istanbul et où l’avenir de l’Ukraine semble plus que jamais incertain, les menaces affluent de divers horizons. Dégradation de la situation au Liban, en Syrie, entre l’Iran et Israël, entre l’Inde et le Pakistan, une pression croissante sur Taïwan, une situation en France crispée par le maintien d’une menace terroriste, l’armée de terre française veut s’adapter pour « faire face ».
Les conflits actuels témoignent d’une dynamique générale de robotisation et d’autonomisation des systèmes d’armement, à laquelle il faut être à la hauteur. « Notre mission n’est-elle pas de gagner la guerre avant la guerre » ? interroge le chef de l’armée de terre, le général Pierre Schill. D’où l’urgence d’anticiper, et de prévoir la guerre du futur.
Une nécessité d’innovation et de réarmement
Dans l’amphithéâtre Foch de l’École militaire et devant des centaines d’officiers, industriels, journalistes et civils de la Défense, les officiers supérieurs se succèdent dans la prise de parole. Leur position est unanime : la France a pris du retard dans sa souveraineté stratégique, mais les moyens sont mis en œuvre afin de la résoudre. Et c’est urgent.
Alors que l’Ukraine vise à produire 4,5 millions de drones par an dans les années à venir, les derniers chiffres font état d’à peine 4000 drones à usage militaire en France. Devant l’omniprésence de ces drones dans les conflits, devenus déterminants, ces chiffres sont le reflet d’un retard stratégique accumulé ces dernières années, n’attendant qu’à être comblé. Et le ministère des armées, notamment à travers la DGA, s’y emploie résolument. Ses derniers résultats en témoignent.
Premièrement, la loi de programmation militaire 2024-2030 rehausse le budget alloué aux armées à 413 milliards d’euros, sur l’ensemble de ces années. Ensuite, la production d’armement s’accélère : la production des canons Caesar a été multipliée par deux, voire trois. Celle de ses munitions est passée de 30 000 à 60 000 par an. Dassault a hissé sa production de rafales d’un à trois par mois. En parallèle, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a inauguré en mars dernier une ligne de production de poudre gros calibre pour les systèmes d’artillerie de l’usine Eurenco, à Bergerac. Et enfin, les programmes de modernisation s’accentuent. Scorpion, le système de combat aérien du futur (SCAF), le Main Ground Combat System (MGCS), le porte avion nouvelle génération (PA-NG), le pacte drones aériens de défense, visent tous multiplier et moderniser les systèmes de défense. Le Pacte drone, justement, réunit une centaine d’entreprises civiles et militaires autour d’un projet commun : l’émergence d’une filière dynamisant le développement et la production de drones de contact.
Tout cela est bien le signe d’une volonté d’acquérir et de développer une autonomie stratégique en matière de conception et de production d’armements. Un objectif : être à la hauteur des conflits de demain.
Co-Ho-Ma : coopération homme-machine
Si la tendance est davantage à la robotisation des combats et à la transparence du champ de bataille, l’homme continuera à prendre toute sa part dans les combats futurs. C’est l’avis du Commandement du combat futur, qui considère que le soldat aura à connaître des situations de stress extrême, et que préparer la guerre de 2040, c’est également préparer l’homme à absorber des charges cognitives immenses. C’est le tandem homme-machine, que le ministère s’efforce d’accroître. Le général Baratz précise justement « qu’il ne faut pas opposer la technologie et la masse, puisque nous avons besoin des deux », voyant en eux une forme de complémentarité.
Le triptyque forces – DGA – industrie : un levier essentiel
Le CICF représente une «occasion unique de dialogue entre les forces armées, la DGA et les industriels ». C’est ainsi que l’ancien numéro deux de l’armée de terre, le général Bernard Barrera a ouvert la table ronde réunissant le chef d’état-major de l’armée de Terre, Pierre Schill, Emmanuel Chiva, de la DGA, et le président du GICAT, Nicolas Chamussy, représentant la base industrielle et technologique de défense (BITF).
Les acteurs de la table ronde ont ainsi abordé la question du besoin fondamental de disposer de capacités importantes tout en maîtrisant les coûts. Cela ne se fera que par l’affermissement de la collaboration entre le monde de la défense et celui civil. La complexité de l’ère d’extrême modernisation entamée depuis peu obligera au renforcement de ces liens.
Ainsi, rassembler les représentants des forces armées terrestres, de la DGA et des industries de défense, c’est témoigner de l’existence d’une réflexion commune autour de ces enjeux. C’est montrer que les moyens mis en œuvre sont à la hauteur des ambitions affichées par les armées. Si cela prendra du temps, le CEMAT rassure : « Je ne vois aucune raison pour laquelle la France ne serait pas capable de répondre aux enjeux de demain ». Au délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, de conclure : « Nous sommes capables de le faire ».
Anticiper et prévoir : une leçon de l’histoire
L’amiral Philippe de Gaulle, fils du général, se confiait à Sébastien Lecornu avant de s’éteindre en mars 2024 : « Il y a une question que je me pose encore, M. le ministre. Je vais bientôt mourir et il y a quelque chose que je ne m’explique toujours pas. Mais pourquoi a-t-on perdu en 40 ? ».
Une interrogation, plus de 80 ans après les faits, qui révèle sans doute un traumatisme demeuré ancré dans la mémoire des anciens. Les réponses à la défaite, elles, sont nombreuses. Un commandement qui peine à penser la guerre à mener. Un état-major incapable de s’adapter aux nouvelles formes de la guerre, loin des guerres de tranchées de la Grande Guerre. Un ennemi mieux préparé, qui a prévu et préparé le conflit.
Les responsables politiques et militaires français cherchent à tirer tous les enseignements de cette blessure française, en vue de forger les armées de demain.
Kash Patel lors de son audition du 7 mai. (Photo by CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP)
Kash Patel, le nouveau de directeur du FBI, était resté discret depuis sa nomination en février dernier. Il devrait faire des annonces ce dimanche selon des extraits d’un entretien qu’il a accordé à Maria Bartiromo de Fox News et qui sera diffusé dans l’émission « Sunday Morning Futures ».
Patel y a fait deux confidences. D’abord, il a indiqué que le célèbre Federal Bureau of Investigation va muter (« dans les trois à neuf mois qui viennent ») une partie de ses quelque 11000 employés basés dans la capitale fédérale et les transférer en dehors de la région de Washington, D.C. « Un tiers des crimes ne se produisent pas ici, alors nous prenons 1 500 agents et les relocalisons », a déclaré Patel sur Fox News. « Chaque État bénéficiera d’un coup de pouce ».
Les effectifs totaux du FBI tournent autour de 37 100 employés, dont environ 13 700 agents spéciaux et 20 100 analystes du renseignement, linguistes, spécialistes de la surveillance, ingénieurs, informaticiens, analystes financiers et autres professionnels.
Ces agents sont dispersés dans 55 « field offices ». Selon NBC News, ces « bureaux extérieurs » auraient reçu l’ordre d’affecter beaucoup plus d’agents à l’application des lois sur l’immigration. Un tel changement de priorités risque de détourner de leurs missions actuelles des personnels et des ressources actuellement affectés au contre-terrorisme, au contre-espionnage et à la lutte contre la fraude. 45 % des agents des 25 plus grands bureaux extérieurs du FBI seraient ainsi amenés à travailler à temps plein sur l’immigration.
Le siège déménage
Par ailleurs, Patel est revenu sur une vieille affaire: le FBI quittera bien son siège situé au 935 Pennsylvania Avenue à Washington, D.C et le fameux bâtiment J. Edgar Hoover. Patel a invoqué la vétusté de ce bâtiment, le qualifiant de « dangereux pour le personnel ». Ce building est le siège du FBI depuis une cinquantaine d’années.
Photo National Park Service
Comme le rappelle le site GOVEX, « la recherche d’un site pour un nouveau siège du FBI dure depuis plus de dix ans » (voir ce rapport de 2013). En 2023, l’Administration générale des services (la GSA) avait choisi Greenbelt, dans le Maryland, comme site du nouveau siège du Bureau, plutôt que de le déménager dans un emplacement en Virginie. Ce choix a suscité des protestations de la part des élus de l’État perdant et de la direction du FBI, qui a critiqué le processus de sélection. Le projet a finalement été suspendu lorsque Donald Trump est revenu à la présidence. Dans un discours prononcé en mars devant le ministère de la Justice, il a effectivement déclaré : « Nous allons stopper » le projet de Greenbelt.
Budget réduit Ces annonces interviennent alors que l’administration Trump propose de réduire de 5 % le budget du FBI et incite les employés à partir en retraite. Quelque 700 d’entre eux auraient accepté l’offre d’un départ prématuré et d’un maintien temporaire de certains avantages.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » (Albert Camus). Et, c’est bien le mal qui ronge nos sociétés occidentales. La France ne fait pas exception à la règle. Une chape de politiquement correct, de langage aseptisé, de mots choisis … pèse sur les esprits de nos jours. En un mot, il y a des mots que l’on ne peut plus prononcer sous peine de subir lynchage médiatique, de se voir réduit au silence avec une efficacité redoutable. Comme le souligne George Orwell dans sa préface de La ferme des animaux, « Le véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone ». Aussi bien la sphère de la politique intérieure que celle de la politique extérieure n’échappent à ces vents mauvais qui bâillonnent durablement L’esprit des lumières et la sacro-sainte liberté d’expression. Jusque dans un passé très récent, il était incongru de soutenir que notre Douce France se portait mal et qu’elle perdait tout crédit sur la scène internationale. Mais, les faits sont têtus. Le réel est incontournable. Le roi est nu. Rien n’y fait, y compris notre Mozart de la finance pour sauver ce qui l’être encore à l’intérieur de nos frontières comme notre Mozart de la diplomatie hors de ces mêmes frontières tant existe un lien étroit entre le dedans et le dehors. Comme le rappelle le général de Gaulle : « Il n’y a pas de réalité internationalequi ne soit d’abord une réalité nationale ».
Les vicissitudes de la politique intérieure : le Mozart de la finance
Bien qu’elle apparaisse de plus en plus comme l’homme malade de l’Europe, la France se permet de donner des leçons de bonne gouvernance à la terre entière.
La France homme malade de l’Europe
Le constat sans appel du Premier ministre François Bayrou, lors de sa conférence de presse du 15 avril 2025, sonne comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu[1]. Le ton est donné avec la devise affichée derrière l’orateur : « La vérité pour agir ». Le Béarnais est à la recherche des 40 milliards d’euros pour boucler le budget 2026[2]. Comment en sommes-nous arrivés à ce point alors que les duettistes, Gabriel Attal et Bruno Le Maire jurent, il y a peu encore, que la situation des finances de notre pays est satisfaisante en dépit des appréciations de moins en moins encourageantes, au fil du temps, des fameuses agences de notation ? La France vit au-dessus de ses moyens. Elle se drogue au déficit de ses finances publiques et de son commerce extérieur. Elle est incapable de procéder aux réformes indispensables pour remettre le pays sur les rails des limites de 3% posées par l’Union européenne. Le tableau ne serait pas complet si nous n’évoquions la transformation lente mais sûre de notre pays en un narco-état complétée par des attaques sans précédent contre les prisons ; la multiplication des règlements de compte entre bandes rivales, y compris dans la France périphérique ; une insécurité croissante[3] ; une immigration peu ou mal maîtrisée ; des services publics essentiels (santé, éducation, justice, police …) en capilotade ; une crise de l’autorité ; une crise de confiance des citoyens dans la politique et la justice, une crise morale de grande ampleur … Tous maux qui ne sont pas ou peu traités à la racine !
La France donneuse de leçon
Nonobstant, ce triste constat, « la France embêteuse du monde » si bien croquée par Jean Giraudoux dans L’Impromptu de Paris (1937) chapitre tel ou tel avec morgue sur la mauvaise conduite de sa politique intérieure, largo sensu. Emmanuel Macron excelle dans le rôle de Père Fouettard, ce personnage imaginaire que la légende représente aux côtés du Père Noël, armé de verges pour corriger les enfants indisciplinés. Il reçoit, à jet continu, les mauvais élèves en son Palais de l’Élysée pour leur faire la leçon, les chapitrer (Cf. visite controversé du président syrien, 7 mai 2025). Il présente la France en parangon de vertus contrairement à son premier ministre qui tient des propos inquiétants, alarmistes sur l’état de la France, qui soigne la dramaturgie du « comité d’alerte du budget ». Nonobstant ce lourd handicap interne, sur l’archipel du buzz, Jupiter excelle comme si de rien n’était. Depuis la dissolution de l’Assemblé nationale qui tourne à la Berezina, le président de la République laisse le soin de prendre les mauvaises décisions internes à son chef de gouvernement. Contrairement à tous les organismes indépendants qui font crédit au président argentin et à la présidente du conseil italien des bons résultats obtenus en matière budgétaire et financière, le chef de l’État les ignore superbement. Incroyable mais vrai. Comment donner des satisfécits à des membres de « l’internationale réactionnaire » ? C’est moralement impossible. Ils ne peuvent en aucun cas servir de bon exemple à la France arrogante que stigmatisent nos partenaires.
Combien de temps encore pensons-nous nous permettre d’ignorer que la déliquescence de notre situation intérieure n’emporte pas de conséquences fâcheuses[4], fatales sur notre politique extérieure, quoi qu’en dise notre Mozart de la diplomatie ?
Les vicissitudes de la politique extérieure : le Mozart de la diplomatie
D’une France sûre d’elle-même sur le plan international, nous passons, lentement mais sûrement, à une France sûre de rien en raison de lourds handicaps cumulés telle la confusion entre politique étrangère et diplomatie et le lest de notre situation intérieure dégradée.
La France sûre d’elle-même
Comment caractériser la politique étrangère d’un pays ? Par la conception générale des besoins de la nation, conception dérivant des nécessités de l’instinct de conservation, des modalités mouvantes de l’intérêt économique et stratégique et de l’état de l’opinion publique modifié à son tour par divers facteurs tels que l’ardeur ou la lassitude, les préjugés et les sympathies, l’ambition ou le souvenir d’une gloire passée. Une politique étrangère vaut par la cohérence de son dessein, une diplomatie par l’agilité de ses mouvements. La grande force de la politique gaullo-mitterrandienne, qui s’étend sur un demi-siècle, c’est de ne pas vouloir plaire à tout le monde. Elle reste marquée par plusieurs traits cumulatifs : prise en compte du temps long dans une perspective historique, dans une vision stratégique ; recherche d’une approche globale des problèmes internationaux ; attachement viscéral à l’indépendance nationale ; conjugaison harmonieuse de l’intérêt national et de l’intérêt général en raison d’une conception universelle de la mission de la France à travers ses idées et sa langue ; triomphe de la raison sur la passion ; conviction que le droit prime la force pour défendre la construction d’un ordre mondial sans le saper en même temps par un recours inconsidéré aux méthodes coercitives ; subtil cocktail entre parole et silence (la politique étrangère se nourrit d’un certain secret) destinée à préserver au maximum ses marges de manœuvre en particulier dans la recherche d’un équilibre délicat entre intérêts économiques et droits de l’homme…
La France sûre de rien
Au fil des décennies, des années les plus récentes, cette approche de l’action internationale de la France s’érode en raison d’une confusion entre politique extérieure et diplomatie et du lourd handicap tenant à la volatilité de la politique intérieure. La diplomatie est un moyen, une méthode. Elle cherche, par le raisonnement, par la conciliation et le marchandage des intérêts, à empêcher les grands conflits d’éclater. La diplomatie, c’est l’intermédiaire dont se sert la politique étrangère pour parvenir à ses buts par une entente et pour éviter la guerre. Lorsque l’accord est impossible, la diplomatie, instrument pacifique, devient inutile ; la politique étrangère, dont la sanction finale est la guerre, reste seule efficace. Ainsi, l’objectif de la diplomatie est de contribuer à l’édification d’un ordre international renforçant la paix et la sécurité internationales conformément aux objectifs de la Charte des Nations unies. Si la politique étrangère reflète des valeurs à travers une vision cohérente, la diplomatie recherche l’efficacité grâce à une méthodologie singulière. Or, Emmanuel Macron a trop tendance à confondre politique étrangère et diplomatie. Qui plus est, sa marge de manœuvre est de plus en plus grevée par la dégradation continue de notre situation intérieure sur les plans sécuritaire, économique, financier, social … Comment faire entendre une voix crédible de la France dans le concert des nations ? Nous administrons des leçons de droit et de morale à la terre entière sans pour autant balayer devant notre porte, dans un exercice de « diplomatie-fiction ». Jupiter excelle dans son rôle de mouche du coche de la scène internationale.
L’étrange défaite
« Gérer le déclin d’un empire en ruine représente l’une des plus formidables gageures de la diplomatie (Henry Kissinger, 1996). Même si comparaison n’est pas raison, tel est l’un des principaux défis que doit relever la diplomatie française si elle ne veut pas s’effacer. Elle doit s’interroger sur l’adéquation de ses moyens à ses fins ; la faisabilité de ses initiatives dans leurs dimensions géopolitique et financière ; l’importance de ses intérêts bien compris ; la cohérence avec l’action de l’Union européenne, de l’OTAN, de l’ONU ; la fiabilité de sa parole sur la scène mondiale… En un mot, elle doit se poser la question de sa crédibilité. Apporte-t-elle les réponses idoines aux problèmes qu’elle entend contribuer à résoudre ? Le problème est profond. À quand le lancement d’une véritable réflexion sur la diplomatie française par des experts indépendants posant un diagnostic sans tabou de ses maux suivi de l’exposé des remèdes pour qu’elle retrouve sa place dans le monde ? Nous n’en sommes pas encore là alors que nos problèmes internes ne trouvent pas de solutions structurelles. D’ici là, nous serons contraints de naviguer à vue dans la cour des déclassés du concert des nations. De l’intérieur à l’extérieur, il n’y a qu’un pas. Nous assistons aujourd’hui à la projection d’un film qui a pour titre La France qui tombe[5].
[1] Mariama Darame, Budget ! Bayrou décrit une situation « intenable », Le Monde, 17 avril 2025, p. 11.
[2] Erik Emptaz, Comment trouver 40 milliards d’économies ? Le couple Macron-Bayrou ponctionne à merveille !, Le Canard enchaîné, 16 avril 2025, p. 1.
[3] Alienor de Pompignan, Une semaine en France : la litanie macabre d’un pays à la dérive, www.bvoltaire.fr , 18 avril 2025.
[4] Mariama Daramé, Macron entend revenir sur la scène nationale, Le Monde, 7 mai 2025, p. 7.
[5] Nicolas Baverez, La France qui tombe, Perrin, 2003.
(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques.