Pourquoi projeter un chef supplémentaire ?

Pourquoi projeter un chef supplémentaire ?

Par DESTIA (Direction de l’Enseignement Supérieur Tactique InterArmes) – Tactique générale

https://www.penseemiliterre.fr/articles_1013547.html

La projection d’un chef du niveau immédiatement supérieur au niveau tactique déployé. Le militaire français se plaint souvent de l’ingérence de ses chefs dans les opérations. La numérisation de l’espace de bataille (NEB), le sureffectif de certains postes de commandement lors de la fin des phases d’intervention des opérations (Licorne, Afghanistan)… tout est prétexte à ingérence.

Le jeune chef ne pense plus avoir d’initiative et de liberté d’action. Pourtant, les retours d’expérience (RETEX) des derniers chefs engagés viennent contredire cette position. Un chef peut commander pleinement une opération de son niveau si tout ce qui gravite autour est géré par son propre supérieur. Les témoignages poignants des premières unités débarquées au Mali qui mettaient l’opération en place sur le terrain attestent de ce besoin du supérieur.

Le jeune lieutenant qui sort d’école, après tant d’années de formation, a besoin de montrer que, lui aussi, est capable de conduire des hommes au feu, qu’il peut se débrouiller seul. Gaulois, il se plaint de la trop grande proximité de son chef, d’être espionné par la NEB, écouté sur le réseau radio, bref de n’être que peu autonome. D’aucuns souligneront, par exemple, les effectifs grandissant d’un poste de commandement interarmées de théâtre (PCIAT) en République de Côte d’Ivoire (RCI) alors que les effectifs globaux diminuaient. Le commandant de la force (COMANFOR) de l’époque parlait même d’école d’application des états-majors de brigade ou des états-majors de force (EMF) ! La crainte du caporal stratégique n’a-t-elle pas poussé certains états-majors à commander des sections voire des groupes de combat directement ?

Il n’est pas question de cela ici. Au contraire, les anciens doivent être persuadés que les plus jeunes sont mieux instruits qu’eux. « L’interarmisation » a commencé bien plus tôt. La numérisation, malgré son aspect peu intuitif, est assimilée bien plus rapidement. L’Afghanistan a (re-)professionnalisé de nombreuses unités en exigeant un entrainement complet. Les opérations récentes (Libye, Mali) viennent consolider ces acquis. Aujourd’hui, la qualité de nombreux chefs plaide en faveur d’une autonomie plus grande.

Le besoin d’un chef supplémentaire du niveau tactique immédiatement supérieur au volume de la force engagée n’est pas dû à la compétence des cadres d’aujourd’hui, malgré la célèbre phrase qui commence par « de mon temps… » Il appartient de regarder ailleurs, notamment de se concentrer sur la complexification des opérations ou plutôt de leur environnement.

Les chefs, du niveau section jusqu’au niveau groupement tactique interarmes (GTIA), voient le nombre de liaisons montantes se multiplier. Les patrouilles de niveau section devaient être capables d’avoir une liaison satellite donc d’être équipées du poste radio et de l’opérateur capable de l’actionner. Les Sous-groupements tactiques interarmes (SGTIA) « afghans » ont vu la création d’un deuxième adjoint car le volume d’information à traiter devenait trop important. Les chefs de GTIA, en plus des communications avec la brigade, doivent posséder une section transmission particulièrement aguerrie pour veiller et gérer tous les réseaux français et internationaux sans parler des « tchat » américains, avoir un téléphone portable bien chargé pour répondre aux innombrables appels en provenance de Paris, des ambassades…

« Au contraire, les anciens doivent être persuadé que les plus jeunes sont mieux instruits qu’eux »

Le cours des futurs commandants d’unité (CFCU) devrait apprendre à veiller plus que deux réseaux en même temps.

L’interarmisation, poussée au plus bas niveau, démultiplie le nombre de pions tactiques à commander malgré la doctrine. Certains commandants d’unité ont pu se trouver, en Afghanistan, au Mali ou même au centre d’entrainement tactique (CENTAC) avec plus de 15 interlocuteurs sur le réseau SGTIA. Le chef interarmes doit maîtriser l’emploi du génie, des équipes Explosive Ordnance Disposal (EOD) et de l’équipe Weapon Intelligence Team (WIT) qui ne veut pas que les marsouins polluent la zone. Puis il doit parler au Joint Terminal Attack Controller (JTAC) qui veut des informations pour les hélicoptères américains qui survolent le dispositif, tout en donnant l’autorisation à l’équipe de guerre électronique (GE) de s’implanter dans son secteur. Enfin il faut placer ses appuis, gérer les sections spécialisées (Groupe Commando Parachutiste, Section d’Aide à l’Engagement Débarqué…) qu’il a réussi à obtenir en renfort, et profiter du renseignement fourni par le détachement de liaison des forces spéciales (DL FS)… Et bien entendu, le chef du centre opération (CO) veut un point de situation au plus vite.

C’est le moment que le chef de l’équipe des Actions Civilo-Militaire (ACM) qui aimerait bien construire une école dans ce village, choisit pour demander au chef tactique s’il est prévu de rencontrer le chef du village et si le convoi logistique avec les fournitures scolaires est arrivé. L’environnement extra-tactique vient donc s’ajouter aux contraintes tactiques et monopolise l’attention du chef. Cela impose parfois au chef de déléguer ses principales prérogatives pour gérer l’environnement, la presse, la politique, la logistique, les actions envers la population… La dernière opération militaire terrestre au Mali a montré la densité de la charge d’un commandant de théâtre qui est aussi chef tactique. Lors de l’arrivée des premiers éléments du 21°RIMa, le chef de corps a du responsabiliser tous ses subordonnés au-delà de leurs prérogatives normales afin de se dégager le temps nécessaire au commandement de son GTIA.

C’est pour les opérations autonomes, isolées ou déclenchées sur faible préavis qu’il est intéressant de projeter un chef du niveau immédiatement supérieur à l’élément tactique projeté. Les unités des forces spéciales déploient toujours un élément de coordination qui gère l’environnement de l’opération. Un groupe ne se déploie pas seul. Les unités parachutistes ont depuis longtemps pris cette habitude de projeter avec une compagnie, un état-major tactique qui assurera la coordination au sol avec l’environnement immédiat et gérera les problèmes annexes à l’opération.

Cette projection du chef de niveau supérieur avec un petit état-major dès le début de l’opération ne doit pas être perçue comme une contrainte mais, au contraire, doit redonner de l’autonomie et de l’initiative tactique au chef déployé avec son unité. En Afghanistan, certaines compagnies avaient déjà adopté ce modèle pour toutes les opérations quel que soit leur niveau. Dès le déploiement dans la vallée de Tagab, les patrouilles de niveau section étaient renforcées par un élément de commandement (officier adjoint ou commandant d’unité) capable, en cas d’accrochage, de gérer l’environnement puis de commander d’éventuels renforts.

« C’est pour les opérations autonomes, isolées ou déclenchées sur faible préavis qu’il est intéressant de projeter un chef du niveau immédiatement supérieur »

« L’environnement extra-tactique vient donc s’ajouter aux contraintes tactiques et monopolise l’attention du chef »

Le chef de sectionen patrouille pouvait se concentrer sur le commandement tactique de son niveau sans se soucier de l’environnement. De même, lorsqu’une opération SGTIA débutait, le commandant du SGTIA se retrouvait au plus près de ses sections sur le terrain pendant que l’adjoint gérait l’environnement vers le haut, les appuis spécifiques…

Cet élément qui devrait être projeté ou déployé en plus, apporterait beaucoup de calme et de sérénité à une opération. Beaucoup de cadres déployés dans l’urgence ont ressenti la pression qui est mise sur le chef d’une opération par son environnement. Les chefs de GTIA déployés en premier sont souvent en relation directe avec le centre de planification et de commandement des opérations (CPCO) à Paris, parfois même avec des chefs d’état-major d’armées. Les hommes politiques ajoutent une pression supplémentaire qui, sans élément intermédiaire, vient directement polluer la réflexion tactique du chef. Le déploiement logistique de l’opération SERVAL qui, imposait une relation direct avec le centre de planification et de commandement du soutien (CPCS), appuie ce besoin d’un état-major tactique intermédiaire pour les opérations isolées.

C’est tout simplement une extension du concept de poste de commandement tactique (PC TAC) ou avancé, qui a, à de nombreuses reprises, fait ses preuves, lors des diverses opérations menées par les armées françaises en interne GTIA. La nécessité ressentie de déployer un poste de commandement pour commander une opération temporaire ou isolée au sein d’un GTIA, doit être prise en compte pour le déploiement d’une force.

La mise en place d’éléments blindés via le Niger pour l’opération SERVAL a exploité ce concept en déployant, avec l’escadron blindé, un état-major tactique comprenant le chef de bureau opération instruction. Ce concept fonctionne aussi en interne SGTIA même s’il n’est que rarement exploité et pourrait alors être étudié au niveau du déploiement d’une force.

Conscient des contraintes liées à la désignation d’un chef pour une opération d’envergure comme celle du Mali, mais conscient aussi des contraintes qui pèsent sur un chef de GTIA isolé lors de la montée en puissance d’une opération de cette ampleur, n’est-il pas envisageable de mettre en alerte un commandant de la force qui comblerait le manque ressenti ? La débrouillardise du militaire français et l’investissement de tous pour remplir la mission permettent de compenser une lacune qui pourrait être comblée en adaptant la doctrine. Les exemples précités des unités aéroportées et des forces spéciales pourraient facilement être généralisés car ils ont fait leurs preuves.

« C’est une extension du concept PC TAC ou avancé qui a, à de nombreuses reprises, fait ses preuves »