Un porte-avions et des navires chinois ont traversé le détroit de Taïwan

Un porte-avions et des navires chinois ont traversé le détroit de Taïwan

Huit avions de chasse chinois auraient également franchi la ligne médiane du détroit au cours des dernières 24 heures, selon Taipei

 

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Le porte-avions chinois Shandong.
EPN/Newscom/SIPA

La tension reste latente entre Pékin et Taipei. Le porte-avions chinois Shandong et deux autres navires ont traversé, samedi 27 mai, le détroit de Taïwan, a annoncé le ministère taïwanais de la Défense. Les navires ont ensuite navigué en direction du nord, vers midi, heure locale, le long de la ligne médiane qui sépare Taïwan et la Chine continentale

Dans un communiqué, le ministère de la Défense a indiqué que l’armée taïwanaise, qui a surveillé ce déplacement de près avec ses propres navires et avions, a « réagi de manière appropriée ». Le ministère chinois de la Défense n’a pas répondu à une demande de commentaire et les forces armées du pays n’ont fait aucune mention de ce déplacement sur leurs réseaux sociaux officiels.

Manœuvres militaires. En août dernier, la Chine avait déployé un grand nombre d’avions et effectué des tirs de missiles près de Taïwan, dans ce qui constitue ses plus importantes manœuvres militaires jamais menées dans le détroit de Taïwan, après la visite de l’ancienne « speaker » démocrate Nancy Pelosi à Taipei.

Le ministère taïwanais de la Défense a également indiqué samedi que huit avions de chasse chinois avaient franchi la ligne médiane du détroit au cours des dernières 24 heures, une opération devenue régulière depuis août 2022. Taïwan revendique son indépendance face à la Chine qui considère pour sa part qu’elle fait partie de son territoire et menace de la réintégrer dans son giron par la force. Le dossier empoisonne les relations sino-américaines, alors que Washington se pose en garant de l’indépendance de Taipei et maintient une ambiguïté stratégique.

(Avec Reuters)

Ukraine : l’affrontement à venir, un instant de vérité ?

Ukraine : l’affrontement à venir, un instant de vérité ?

 

D’abord quelques liens permettant l’accès aux replays de mes interventions :

L’affrontement militaire de grande ampleur, instant de vérité, se précise en Ukraine. Le « façonnage » (« shaping ») du champ de bataille se poursuit : désinformation, opérations de déception, guerre électronique, frappes dans la profondeur par les deux belligérants, sabotages ou attaques ciblées non revendiqués en Russie, combats aussi sur le terrain pour tester le dispositif adverse, accumulations d’équipements. Le doute persiste sur l’attaque ukrainienne mais peut-on croire qu’elle n’aura pas lieu bientôt quand les conditions seront globalement favorables et avant l’automne ? Elle est nécessaire quoi qu’il en coûtera, à la fois pour des raisons géopolitiques, militaires sinon de politique intérieure ukrainienne.

En effet, le créneau pour une offensive généralisée est court et se raccourcit pour les forces ukrainiennes. Or, cette période de fin mai à juin est historiquement favorable à l’affrontement militaire. Napoléon lançait sa Grande Armée le 23 juin 1812 en franchissant le Niémen. L’opération nazie Barbarossa débutait le 22 juin 1941. La bataille de chars à Koursk, 220 km au NE de Kharkiv à laquelle s’est référée V. Poutine dans son discours du 9 mai 2023, mettait aux prises Allemands et Soviétiques du 5 juillet 1943 au 23 août 1943. Une force soviétique de 2 millions d’hommes répondait à l’offensive de 800 000 allemands, avec 3 300 chars contre 2 900, 31 400 canons contre 7 600, 3 000 avions contre 650. Cette bataille certes titanesque montre d’ailleurs en terme de préparation quelques similitudes aujourd’hui du côté russe face à l’offensive ukrainienne (Cf. https://www.histoire-pour-tous.fr/batailles/2961-la-bataille-de-koursk-juillet-aout-1943.html).

Deux facteurs priment aujourd’hui dans cet affrontement entre peut-être un million d’Ukrainiens à peut-être 300 000 Russes sur plus de 800 km de front, les conditions « météo » et le calendrier. Une offensive réussie, c’est-à-dire avec un résultat tangible sur le terrain conduisant à la défaite russe, doit pouvoir se prolonger dans le temps. Elle doit intégrer l’exploitation des succès tactiques par des forces en deuxième échelon, capables de relever celles du premier échelon, c’est-à-dire en première ligne, avec la logistique nécessaire (carburant, munitions, maintenance, service de santé…), et cela avant la mauvaise saison (Cf. Le Monde en date du 20 mai, « Comment l’Ukraine a préparé sa contre-offensive »).

Sur les moyens, le débat sur la livraison d’avions à l’Ukraine se clôt montrant une élévation inexorable du seuil d’engagement des occidentaux dans ce conflit avec le déploiement d’armements de plus en nombreux et performants. Restant dans l’attente de demandes formelles, les États-Unis autorisent la livraison des F16 des Etats européens concernés (Belgique, Pays-Bas, Danemark, Norvège), soit une estimation de 50 appareils dont l’utilité dépendra aussi du nombre de pilotes disponibles. Encore faut-il que ces avions stockés soient remis en état, que leur maintenance soit organisée, les munitions livrées, les pilotes formés. Malgré les affirmations américaines, on peut douter que même un pilote ukrainien « brillant » puisse être formé en quatre mois au lieu de 18. Il est vrai que cela dépend aussi des missions. Cependant l’appui aérien reste nécessaire pour une attaque terrestre d’envergure soit pour appuyer les blindés, soit pour interdire le ciel ukrainien aux avions russes au nombre variant entre 500 et 800. Sauf surprise, il apparaît peu vraisemblable que d’ici l’automne cette force aérienne ukrainienne soit opérationnelle. Cela conduit à deux hypothèses : la contre-offensive réussit amenant une victoire et ces avions assureront la sûreté de l’Ukraine à terme. La contre-offensive échoue et ces avions seront prêts pour la reprise des combats en 2024.

Par ailleurs, les principaux Etats susceptibles de fournir les F16 comme ceux qui vont contribuer à la formation des pilotes (France, Etats-Unis) sont membres de l’OTAN qui affirme de plus en plus clairement son engagement dans ce conflit. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a participé ce 17 mai à la première conférence conjointe des commandants de composante. Organisée au QG du Commandement allié pour les opérations de l’OTAN à Mons, elle a réuni l’ensemble des commandants subordonnés à l’OTAN et au Commandement des forces des États-Unis pour l’Europe (USEUCOM) pour un débat stratégique sur les prochaines étapes de la mise en œuvre du dispositif de dissuasion et de défense collective de l’OTAN. « Si tu veux la paix, prépare la guerre » vise au minimum à dissuader d’une manière crédible tout agresseur mais on ne peut écarter l’hypothèse d’un engagement plus agressif en Ukraine en cas d’incident militaire, aujourd’hui situation restant cependant sous contrôle. En déplacement au Portugal ce 18 mai, M. Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, a précisé que les Alliés enverront au sommet de l’OTAN à Vilnius en juillet prochain « un signal fort de soutien à l’Ukraine par le biais d’un programme d’assistance stratégique pluriannuel permettant à l’Ukraine de passer de l’ère soviétique aux doctrines, équipements et formations de l’OTAN et de parvenir à l’interopérabilité avec l’Alliance ».

De fait, l’Ukraine prend sa place dans l’OTAN comme cela était annoncé dans le communiqué officiel du 3 avril 2008 suite au sommet de Bucarest. « L’OTAN se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance. Aujourd’hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN. Ils ont l’un et l’autre apporté de précieuses contributions aux opérations de l’Alliance. Nous nous félicitons des réformes démocratiques menées en Ukraine et en Géorgie, et nous attendons avec intérêt la tenue, en mai, d’élections législatives libres et régulières en Géorgie » (Cf. https://www.nato.int/docu/pr/2008/p08-049f.html). Le renforcement de l’armée russe a été engagé par V. Poutine à compter de 2008 et la Géorgie attaquée par la Russie en août 2008.

En ce mois de mai 2023, alors que la ligne de front est aussi testée, le président Zelenski donne cependant l’impression que l’offensive n’est pas prête et multiplie les déplacements à l’étranger à la différence de ces quinze derniers mois : visites en Allemagne, en France, au Royaume-Uni, au Royaume-Uni, au G7 et, suprême audace, à la Ligue arabe invité par MBS, le prince héritier d’Arabie saoudite. Défendant les tatars de Crimée, musulmans turcophones, un président « juif » bien que non pratiquant, s’exprime devant les 22 membres de la ligue. Malgré les accords d’Abraham, je doute que le président d’Israël ou son Premier ministre auraient pu avoir le même accueil. Bref, est-ce que ces multiples voyages loin du front ukrainien sont un leurre ? Je formule cette hypothèse dans l’article du Figaro du 13 mai écrit par Jeanne Sénéchal, auquel j’ai contribué et que je publie ci-après.

« Guerre en Ukraine : la contre-offensive a-t-elle commencé à Bakhmout ou n’est-ce qu’un leurre ? » le Figaro du 13 mai 2023

Par Jeanne Sénéchal

DÉCRYPTAGE – Jeudi, Zelensky a affirmé que l’armée ukrainienne n’était pas encore prête à lancer sa contre-offensive. Le chef de Wagner, lui, a affirmé que les forces russes fuyaient Bakhmout. Que se passe-t-il réellement à Bakhmout ?

L’ombre de la contre-offensive ukrainienne «de printemps» continue de planer sur Bakhmout, sans savoir quand le couperet pourrait tomber sur les troupes du Kremlin. Fin avril, le ministre ukrainien de la Défense assurait que les préparatifs touchaient à leur fin, et que les grandes manœuvres étaient imminentes. Mais jeudi 11 mai, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a rétropédalé et assuré que son armée avait encore besoin de temps pour se préparer. Le lendemain pourtant, la vice-ministre ukrainienne de la Défense a annoncé que les forces de Kiev avaient avancé de deux kilomètres autour de la ville et que les forces russes avaient reculé sur certaines zones proches de la ville à la suite des contre-attaques des forces de Kiev. Que se passe-t-il réellement à Bakhmout ? La contre-offensive a-t-elle commencé, ou l’Ukraine mène-t-elle une opération d’intox, jeu auquel elle excelle ?

Les dernières informations font effectivement état d’une avancée ukrainienne à Bakhmout. Sur Telegram, le commandant des troupes terrestres ukrainiennes explique que «l’opération défensive» en direction de la ville «se poursuit». «Nos soldats avancent dans certaines zones du front et l’ennemi perd de l’équipement et des troupes». Vendredi, le patron du groupe paramilitaire russe Wagner, Evgueni Prigojine, a accusé les troupes régulières russes de «fuir» leurs positions près de la ville. Il faut toutefois rester prudent avec ce type de déclarations: «Dans des phases cruciales comme celle-ci, les informations ne sont pas très fiables», commente Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux.

Avec les informations dont nous disposons aujourd’hui, «nous ne pouvons pas parler de contre-offensive», tranche le consultant. «Cela ressemble plus à une contre-attaque, au sens où tous les jours, il y a des actions sur le front, qui ne sont pas toujours planifiées. Ce sont souvent des opportunités». Pour le moment, les Ukrainiens ne semblent pas vouloir faire de grandes percées, se contentant de faire reculer les lignes russes. Le ministre ukrainien de la Défense utilise notamment le terme «d’opération défensive». Les Ukrainiens testent également le dispositif russe «pour voir si celui-ci est solide, ils tentent d’amasser des forces pour exploiter leur vulnérabilité», commente à son tour le général (2S) François Chauvancy, consultant en géopolitique, docteur en sciences de l’information et de communication. Lorsque l’Ukraine affirme avoir gagné deux kilomètres de terrain, outre l’aspect militaire, «il y a un discours politique qui montre que les forces continuent à avancer», ajoute-t-il.

L’hypothèse d’un «leurre»

De leur côté, les Russes réfutent la percée des Ukrainiens. Alors que le chef de Wagner, Prigojine, affirme que ses camarades russes fuient leurs positions près de Bakhmout. Qui a raison ? Qui ment ? Pour le général Chauvancy, Prigojine est sur le terrain. «Il y a sûrement des vérités, mais cela peut être une opération de déception (les moyens destinés à tromper l’adversaire, ndlr)». «On est dans un aspect très militaire, est-ce que ce n’est pas une communication destinée à Kiev pour leur faire croire qu’ils peuvent y aller ? La réponse sera donnée dans les heures ou jours à venir, si les Ukrainiens qui ont pénétré Bakhmout sur deux kilomètres se font démolir par des Russes qui les attendaient. Cela démontrera également qu’indirectement Prigojine n’est pas un électron libre, mais qu’il est au service du Kremlin.»

Du côté de Zelensky, «curieusement, on ne l’a jamais autant vu à l’étranger en période de guerre , comme si tout allait bien, en démentant la contre-offensive». «Cela pourrait être un leurre», suppose le général. «Zelensky est peut-être en train de détourner l’attention des Russes. Je pense que la contre-offensive ne devrait pas tarder. Les combats qui se déroulent depuis deux trois jours auront montré les faiblesses côté russe. Il faudra alors que Kiev soit en mesure de déployer des forces suffisantes à l’endroit identifié. Et cela ne se fait pas du jour au lendemain», ajoute-t-il. Mais pourquoi avoir évoqué, deux semaines plus tôt, une contre-offensive imminente ? «Cela pouvait être une opération de déception, mais il semble surtout que cela soit un discours de politique intérieure», explique encore le général Chauvancy. «Les Ukrainiens perdaient beaucoup d’hommes à Bakhmout. Il fallait les rassurer, leur dire que leur mort n’était pas vaine».

Pour l’instant, les Ukrainiens poussent quelques kilomètres autour de Bakhmout. «Cela est bon pour le moral, c’est l’occasion de détruire les forces de Wagner et les forces armées russes qui sont fatiguées». Des petites actions entre Donetsk et Zaporijia sont aussi observées ; les Ukrainiens reprennent peu à peu du terrain ces derniers jours. «Cela peut être une diversion, ou ils peuvent préparer de grandes offensives dans ces zones-là. Mais pour être prêt, il faut qu’ils arrivent à prendre quelques points clés». «Nous sommes encore dans une zone de modelage qui peut durer deux à trois semaines», assure de son côté Stéphane Audrand. «Une offensive lancée trop tôt est une catastrophe. Il ne faut pas céder à la panique», prévient le consultant.

«Toute la force de Zaloujny est un pistolet à un coup»

Une contre-offensive est longue à préparer. Stéphane Audrand détaille sa phase préparatoire. La première est celle qui va générer les forces : «On va définir les objectifs politiques et la traduction en opération. Ici, l’objectif général est le territoire national. Pour l’atteindre, il va falloir X opérations. Et pour chacune d’entre elles, il faut générer une force humaine, matérielle et logistique.» «Les Ukrainiens n’ont pas de problème sur le plan humain, sur les effectifs en nombre. Cela commence toutefois à devenir tendu sur certaines spécialités et certains grades». Par ailleurs, cette force est très longue à générer d’autant qu’ils ne sont pas habitués à travailler sur des matériels hétérogènes : «Ils ont toujours travaillé sur des matériels soviétiques, ce n’est pas les mêmes unités de mesure, les mêmes performances ni les mêmes modes d’emploi». Il faut générer les flux logistiques, prépositionner les commandements, les dépôts, les relais, les transports, etc.

Ensuite, vient la phase dite de «modelage» : plusieurs frappes vont être effectuées pour affaiblir des points logistiques et compliquer les renforts ennemis, «afin de mieux préparer le théâtre lorsque le moment de la contre-offensive sera venu». Ce moment sera décidé également en fonction de la météo. «Là on est au printemps et le temps est changeant. Il faut que les sols soient porteurs et que l’aviation puisse voler ou non. Peut-être qu’ils attendent d’avoir un peu de couvertures nuageuses basses pour être tranquille au niveau de l’aviation russe. Cela dépend des fenêtres qu’ils se sont fixées», concède Stéphane Audran. Enfin, il y a la phase d’entrée dans l’offensive : «l’objectif est de pilonner certains points clé, d’écraser les lignes ennemies, de frapper les nœuds de communication et de détection pour désorganiser les renforts ennemis. Il y aura plusieurs phases d’assaut puis une phase de stabilisation, ou les Ukrainiens essaieront de consolider ce qu’ils ont pris pour ne pas se le faire reprendre lors d’une contre-attaque».

«Toute la force du général Zaloujny (le commandant en chef de l’armée ukrainienne, NDLR) est un pistolet à un coup», conclut Stéphane Audrand. «Les forces ukrainiennes ne pourront pas remplacer beaucoup de pertes, il faudra tenir les frontières et pendant plusieurs années. Il vaut mieux avoir un petit succès et ne pas perdre trop de monde, que d’avoir un gros succès et tout perdre».

Général (2S) François Chauvancy

Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François Chauvancy a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Il est expert des questions de doctrine sur l’emploi des forces, sur les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, à la contre-insurrection et aux opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Depuis mars 2022, il est consultant en géopolitique sur LCI notamment sur la guerre en Ukraine. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde depuis août 2011, il a rejoint depuis mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.

Le missile air-air à longue portée russe R-37M associé au Su-35s plus efficace qu’anticipé en Ukraine

Le missile air-air à longue portée russe R-37M associé au Su-35s plus efficace qu’anticipé en Ukraine


Le missile air-air à longue portée russe R-37M associé au Su-35s plus efficace qu’anticipé en Ukraine


Développé dans les années 80 sur la base du missile lourd R-33 (AA-9 Amos), le R-37 (AA-13 Axehead) a été conçu pour conférer à des appareils ne disposant du très puissant radar du MIG-31, la possibilité d’engager des cibles aériennes à longue portée. Pour cela, l’auto-directeur radar semi-actif du R-33 fut remplacé par un autodirecteur radar actif couplé à une navigation inertielle comme pour le missile américain AIM-54 Phoenix équipant le F-14 Tomcat de l’US Navy, ce qui devait permettre d’équiper le missile d’une portée de 200 km à bord de chasseurs de supériorité aérienne comme le Su-27 ou le Su-30. Toutefois, les difficultés économiques rencontrées par l’Union Soviétique amenèrent les autorités à considérablement ralentir les travaux autour de ce programme en 1988, sans qu’il fut jamais mis en service. En 2006, s’appuyant sur l’effort et les nouveaux crédits mis à disposition par le Kremlin depuis l’arrivée de Vladimir Poutine, le spécialiste russe des missiles Vympel MKB entreprit d’exhumer le programme, en vue de le moderniser afin de pouvoir équiper les nouveaux chasseurs Su-30SM, Su-35s et Su-57.

Les forces aériennes russes souhaitaient se doter d’un missile capable de constituer une menace pour les appareils de soutien comme les avions d’alerte aérienne avancée (Awacs E-3 Sentry, E-7 Wedgetail, E-2 Hawkeye..), les avions ravitailleurs comme le KC-135, l’A330 MRTT ou le KC-130, ainsi que les appareils de renseignement électronique comme le Rivet Joint ou le Compass Call. Il s’agissait, pour l’état-major russe, de neutraliser l’efficacité de cette flotte aérienne de soutien constituant un multiplicateur de force considérable pour l’OTAN. Initialement conçu pour remplacer le R-33 dans le cadre de la modernisation du Mig-31BM, le missile entra en service en 2018 à bord de cet appareil. Très rapidement, les ingénieurs russes entreprirent d’adapter le R-37M à bord du Su-35s, ultime chasseur de supériorité aérienne de la famille Flanker, disposant notamment du très performant radar à antenne électronique passive (PESA) Irbis-E. A peine deux années plus tard, à la fin de 2020, le couple Su-35s/R-37M était déclaré opérationnel au sein des forces aériennes russes.

Capable d’engager un appareil à 200 km en tir tendu, et jusqu’à 400 km en tir plané à haute altitude, le R-37M atteint une vitesse terminale supérieure à Mach 5, lui conférant une importante zone de non-évasion, c’est à dire la distance en dessous de laquelle la cible ne peut plus sortir de l’enveloppe de tir du missile par la manoeuvre. Ayant été développé uniquement en Russie, même dans les années 80, et n’ayant jamais été exporté, peu d’informations à son sujet ont pu filtrer permettant de configurer efficacement les systèmes de brouillage défensif pour contrer cette menace, au sein de l’OTAN comme des forces aériennes ukrainiennes. Surtout, alors que la perception générale tendait à qualifier le R-37M de missile spécialisé dans l’interception de cibles imposantes et peu manoeuvrantes de la flotte de soutien, il apparait désormais qu’il se montre également très efficace contre des avions de combat de type chasseur ou chasseur-bombardier très manoeuvrants et évoluants, qui plus est, à très basse altitude. Et de fait, à ce jour, le couple Su-35s/R-37M représenterait, selon les forces aériennes ukrainiennes, la plus grande menace pour ses avions de combat opérant à proximité de la ligne d’engagement, y compris à basse altitude et haute vitesse.

L’Occident danse sur un volcan… et monte le son

L’Occident danse sur un volcan… et monte le son

par Caroline Galactéros, Présidente de Géopragma – publié le é mai 2023

https://geopragma.fr/loccident-danse-sur-un-volcan-et-monte-le-son/


La France va mal : l’inflation dérape, les taux de crédit s’envolent, l’immobilier est à l’arrêt, et, comme pour nous mettre le nez dans notre incurie, notre note financière vient d’être de nouveau dégradée à AA- par une grande agence américaine. Ce déclassement n’est pas anecdotique. Il traduit la réalité de la dégradation de nos comptes publics, accroit encore notre dépendance aux États-Unis et la menace d’un défaut sur notre dette abyssale, et creuse notre déficit de crédibilité donc d’utilité internationale. Ce coup de semonce ne peut en effet que paralyser plus encore notre capacité résiduelle à faire bouger les lignes en portant un discours de raison et d’intelligence face au désastre de l’attitude occidentale dans le conflit en Ukraine…On me dira que c’est un faux problème car il faudrait encore en avoir le courage.

Aux Etats-Unis, la folie de l’auto-enfermement des néoconservateurs américains dans une escalade militaire permanente face à Moscou précipite la destruction totale de l’État et du territoire ukrainiens et fait grandir le risque d’un dérapage, menaçant concrètement toute l’Europe. Pourtant, la haine ouverte de la Russie, le rêve éveillé succès que constituerait son anéantissement et son démembrement s’expriment ouvertement. Les médias occidentaux, confits dans l’ignorance et l’arrogance, devenus les pathétiques chambres d’écho d’une propagande délirante, n’ont plus aucune crédibilité. On est revenu aux pires heures du Maccarthysme ou pire, du fascisme de la pensée, de la calomnie et de la délation. Ce bouquet d’indignité empeste mais il nous est en permanence jeté à la figure, certes de façon de plus en plus ridicule et désespérée. Car le rideau et les masques sont en train de tomber face au réel récalcitrant. Pourtant, la rage et désormais la panique américaines cherchent encore à perpétuer le fantasme d’une « victoire » à venir, dont on ne s’est évidemment jamais donné la peine de définir les contours. Que peut bien vouloir dire « gagner » la guerre en Ukraine ? No Clue. Aucune vision en ce domaine. Quant à gagner la paix, on n’en veut pas. Quelle horreur ! Comment faire la paix avec Vladimir Poutine ?!!! cela parait impossible à des hémiplégiques volontaires englués dans leur rhétorique de bac à sable qui ne pensent qu’à humilier un « ennemi systémique » et en sont à faire des danses de la pluie (ou plutôt contre la pluie et la boue qui font s’embourber leurs chars de la dernière chance) pour conjurer l’inévitable. C’est donc la fuite en avant dans la haine inexpiable du Russe…jusqu’au dernier ukrainien. Le vertige est si grand face au gouffre que l’on ne sait plus qu’appuyer sur l’accélérateur de la déroute militaire et stratégique et sombrer dans une démence haineuse et sans issue. Cette haine se diffuse et infuse partout en Europe, surtout chez nos « élites » vassalisées et / ou stipendiées, elles aussi emportées dans ce piège tragique qu’elles font mine d’ignorer. Pourtant, le fiasco militaire est sans équivoque depuis déjà des mois. Même les « Mainstream media » commencent, sur ordre ou via d’opportunes fuites, à laisser filtrer l’implacable vérité : sur la réalité militaire du terrain, sur les désertions en chaine des malheureux jeunes ukrainiens ramassés dans les rues et jetés de force dans « le hachoir à viande russe », sur les pertes véritables, sur l’incapacité structurelle des forces de l’OTAN à fournir l’Ukraine en quantité en rythme et en qualité pour pouvoir prétendre tenir le choc et moins encore, pour renverser le rapport de force face à la Russie. Certes, au Pentagone comme dans les États-majors européens, on sait bien depuis des mois déjà que la messe est dite et le pari perdu. Il n’y a plus que les Polonais et les Baltes pour pousser à la roue. Mais l’on ne veut pas se réveiller, et l’on continue à inonder l’Ukraine d’armes (en grande partie détournées) et de monceaux d’argent pour assurer la « grande contre-offensive » – d’été …ou d’automne – aux allures de baroud d’honneur, dont l’échec anticipé servira à démontrer que « le camp du Bien » a fait tout ce qu’il a pu, mais que l’Ukraine n’a pas su vaincre la Russie (comme si elle le pouvait !) et qu’il faut « pour sauver l’Ukraine et son peuple » (amplement sacrifié pendant 2 ans) enfin se résoudre à négocier avec Moscou. Sans doute pas avec un président Zelenski carbonisé par son jusqu’au-boutisme et de plus en plus menacé par son entourage d’ultra-droite aux relents ouvertement fascistes. Notre déréliction morale est totale mais là encore, on le nie. Nous soutenons à bout de bras depuis 2014, avec un cynisme décomplexé une clique aux antipodes des valeurs dont nous nous gargarisons pour fomenter et mener cette « proxy war » de trop.

Malheureusement, ce sont encore les « Neocons » de la Maison Blanche, de la CIA du NSC et du Département d’État qui font la loi à Washington. Et ils n’admettent pas que La Russie a gagné et ne s’effondrera ni militairement ni économiquement. Tout au contraire. Ses armes hypersoniques sont pour l’heure sans égales, elle a su anticiper et déjouer le piège des sanctions, son économie a tenu, son peuple soutient toujours assez massivement la réponse militaire à la menace militaire de l’OTAN à ses frontières. Surtout, elle fait désormais cause commune avec la Chine. Certes c’est une alliance en apparence du moins déséquilibrée. Mais une alliance vitale, ne nous en déplaise. Une convergence tactique et stratégique d’intérêts. Le Président Xi se frotte les mains, s’érige en pôle de stabilité financière et politique de substitution et se propose même comme faiseur de paix (rapprochement Iran-Arabie saoudite, plan en 12 points, etc…). Il rassemble ses nouvelles ouailles, troupeau disparate d’égarés en mal de protection qui n’en peuvent plus du Maitre américain et de ses pratiques de cowboy. Un rassemblement massif. Pas moins de 19 pays se pressent désormais à la porte des BRICS+, véritable « contre G7 ». Un processus d’intégration gigantesque s’ébauche à partir de ce noyau accueillant et à géométrie variable, autour de la Communauté des États indépendants (CSI), de l’Union économique eurasiatique (EAEU), de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), de l’OPEP+ et par extension, du Conseil de coopération du Golfe (GCC). Tout cela au profit de la BRI (Belt and Road initiative) chinoise, de la fortification impérative de son Corridor économique d’Asie du centre et de l’Ouest, mais aussi du Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC) qui reliera la Russie et l’Iran à l’Inde. Les instruments financiers de cette intégration gigantesque que sont la BAII (banque asiatique pour les investissements et infrastructures) et la Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange sont déjà très actifs…

C’est tragique mais clair et net : Nous sommes nos propres fossoyeurs. Ce sont notre anti-russisme pathologique et notre bellicisme en Ukraine pour provoquer Moscou en espérant l’embourber et la séparer de l’Europe à jamais qui ont accéléré la grande Bascule du monde, l’émergence d’une structure multilatérale englobante et rassurante capable de mettre à bas l’hégémonie du dollar, et qui menacent l’Europe d’une crise économique financière plus grave encore que celle de 2008.

En France, naturellement, on fait comme si de rien n’était. On « s’étonne » de la dégradation de notre note financière, alors que tous les voyants sont au rouge de part et d’autre de l’Atlantique depuis déjà des mois, et que les premières secousses bancaires aux Etats-Unis comme en Allemagne et en Suisse ont été précipitamment étouffées. Peut-on éviter une crise majeure et systémique en la traitant par le mépris ? Cela parait douteux. Quoi qu’il en soit, la présidentielle de 2024 à Washington se profile mal pour le camp démocrate. Donald Trump pourrait bien de nouveau l’emporter en dépit du mur d’affaires et d’accusations dressé contre lui. Il a le cuir épais. Et puis, le fameux verdict de James Carville, conseiller de Bill Clinton, en 1992 s’impose de nouveau : « It’s the economy, stupid ! » Les Américains ne se préoccupent pas tant de l’Ukraine agressée « de manière non provoquée » ou de la victoire de la démocratie dans le monde que de leur porte-monnaie et de la fragilisation croissante de leur dollar dont la domination s’érode à vue d’œil. Dans sa curée anti-russe, Washington a en effet commis une faute cardinale en gelant de façon totalement arbitraire une fois encore, les 300 milliards de dollars d’avoirs russes au printemps 2022. Funeste décision. Bien des États ont ce jour-là compris que ce pouvait être demain leur tour. Cette démonstration de puissance a été la goutte de trop dans le vase déjà plein de rancœurs et de fureur devant les méthodes léonines de Washington en matière de sanctions et d’extraterritorialité juridique des « règles américaines ». Bien au-delà de la Russie de l’Iran ou de la malheureuse Syrie dont le calvaire n’en finit pas. Or, personne ne supporte plus ce « Rules based World Order ». Chacun a compris que seule l’Amérique édictait ces fameuses « règles » et les modifiait au gré de ses seuls intérêts. Les principes contenus dans l’imparfaite Charte des Nations unies sont bien plus protecteurs. Le dollar n’est plus ce qu’il fut longtemps, un gage de stabilité. Il incarne désormais l’incertitude, et la pure domination. Or les échanges internationaux ne peuvent se passer de sécurité et de stabilité. Le gel des avoirs russes a donné le signal d’une défiance en chaine de multiples pays qui ont compris qu’il leur fallait désormais se protéger des oukases washingtoniens et donc regarder du côté du nouveau pôle sino-russe. Pas pour s’aligner, pour doser et équilibrer leurs dépendances selon les sujets ou les secteurs. C’est l’ère du « poly-alignement » – c’est-à-dire la fin de l’alignement façon Guerre froide et le retour en grâce du non-alignement – dont la France devrait savoir se faire le chef de file. Les chiffres sont sans appel : la part du dollar dans les réserves globales est passée de 73% en 2001 à 55% en 2021 et…. 47% en 2022. L’accélération depuis 20 ans est considérable. Sans une correction urgente, qui suppose un changement de pied drastique des États-Unis dans leur comportement vis-à-vis du reste du monde, la chute devrait se poursuivre. 70% du commerce entre la Russie et la Chine se fait désormais en Yuan ou en roubles. La Russie et l’Inde commercent en roupies, le CIPS (système interbancaire chinois qui se pose en alternative au SWIFT) fonctionne à plein régime. Total et son homologue Chinois CNOOC viennent de signer un accord gazier…. en Yuan ! Pas par amour de la Chine. Parce que c’est une question de survie pour l’entreprise, que le pragmatisme convient aux affaires mieux que le dogmatisme, et que l’idéologie est en train de mettre à bas l’économie occidentale. Le monde est multipolaire et l’on ne peut plus faire semblant de l’ignorer. Le FMI reconnait que les cinq BRICS contribuent à eux seuls pour 32,1% de la croissance mondiale contre 29,9% pour les pays du G7. Et il y a encore 19 candidats…La coopération étroite entre Moscou et Ryad est aussi de mauvais augure pour l’Amérique. Elle permet à la Russie d’équilibrer sa coopération stratégique avec l’Iran, et renforce la main de Vladimir Poutine et celle de MBS dans leur fronde face à Washington en matière de prix du pétrole. Les BRICS ont de leurs cotés toutes les « commodities » et ressources naturelles du monde et défient désormais ouvertement la seule domination qui restait aux pays du G7, celle de la finance.

Derrière tous ces faits, il y a un « sous-texte », une réalité que nous devrions saisir avant que le boomerang ne frappe trop massivement nos économies européennes et que la Chine, au-delà de son effort pour échapper, grâce à la BRI, à la domination américaine des mers et des routes maritimes de transport vers l’Europe, n’en vienne à nourrir un rêve de puissance plus offensif. Cette réalité, c’est que la révolution actuelle dans la géopolitique mondiale correspond à un rééquilibrage nécessaire des rapports entre les États. Il y aura des heurts, des crises, des conflits dans les prochaines années, mais nous sommes en phase de restabilisation après le déclin de l’hégémon américain devenu insoutenable et qui ne correspondait plus à la réalité du champ de forces géopolitiques et géoéconomiques. Notre planète a besoin d’apaisement, de stabilité, de respect, de rétablissement d’une forme d’égalité formelle et en tout cas d’équité réelle entre ses membres, petits ou grands. On me dira que je suis angélique. Je pense que c’est la motivation première de pays et régions entières du globe qui veulent se développer et refusent ce jeu à somme nulle que l’Amérique a cru pouvoir imposer ad vitam aeternam. C’est valable pour les puissances du Moyen-Orient (Iran, Syrie, Libye) qui doivent sortir du marasme, pour l’Afrique – qui voit dans cette ouverture du jeu de vastes opportunités-, pour l’Amérique latine -qui est en train de reléguer aux oubliettes la doctrine Monroe. C’est enfin valable pour l’Asie elle-même, qui donne certains signes de crainte et de circonspection devant la nouvelle cible chinoise du bellicisme américain provoquée à grand renfort de déclarations martiales (Taiwan). Seule l’UE parait vivre dans une bulle. Qui ne la protège plus. Elle semble ne pas voir que tout a changé, qu’elle est située sur le continent eurasiatique qui est une terre d’opportunités vers laquelle il lui faut se projeter avec vigilance mais sans crainte. Son avenir n’est pas dans une coupure radicale avec la Russie ou un alignement sur Pékin. Il n’est pas d’avantage dans une vassalisation consentie envers Washington, qui après l’Ukraine, ambitionne déjà de jeter l’Otan (qui n’a vraiment plus rien d’une alliance régionale défensive) vers les eaux de la mer de Chine. A quoi bon ? Pour nourrir le complexe militaro-industriel américain ? Pour poursuivre la déstabilisation et la fragmentation du monde ? En quoi ces objectifs servent-ils nos intérêts nationaux, économiques et sécuritaires ? L’Europe doit comme je le dis depuis des années, sortir enfin de son enfance stratégique et apprendre à marcher la tête haute. Sans béquille ni laisse.

Les néoconservateurs américains ont mis non seulement l’Amérique mais l’Europe en grand danger. Il est plus que temps de mettre fin à cette folie et de hâter la conclusion d’un cessez-le-feu en Ukraine et d’une refondation durable de la sécurité en Europe. Le peuple ukrainien, la sécurité de l’Europe toute entière, l’économie occidentale et nos peuples le méritent. C’est de l’intérêt de tout le monde. Qu’attendons-nous ?

« Pour beaucoup de Maliens, Wagner est plus efficace que la France ». Entretien avec Michael Shurkin 

« Pour beaucoup de Maliens, Wagner est plus efficace que la France ». Entretien avec Michael Shurkin 

 

par Revue Conflits – publié le 27 avril 2023


Pour beaucoup de Maliens, Wagner a une action positive car la société apporte la stabilité et lutte efficacement contre les groupes djihadistes. Si cette vision est contestable, c’est comme cela que le groupe russe est perçu et c’est la raison pour laquelle son image est plus positive que la France. Entretien avec Michael Shurkin sur l’action de Wagner au Mali. 

Ancien élève de l’EHESS, titulaire d’un PhD de Yale, Michael Shurkin était analyste à la CIA et chercheur au sein de la Rand Corporation. Aujourd’hui, il travaille pour 14 North Strategies, une entreprise de Conseil spécialisée dans l’Afrique subsaharienne. Il est l’auteur de deux rapports sur le Mali publiés en 2015 et 2017 par la Rand Corporation. Entretien avec Michael Shurkin.

Propos recueillis Par Gil Mihaely.

Conflits : Samedi 22 avril, la base de Wagner à Sévaré (600 km au nord-est de Bamako) a été attaquée par Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), une milice djihadiste affiliée à AQMI. Que pouvez-vous nous dire sur cet incident et sur sa signification dans un contexte de sécurité plus globale ?

Michael Shurkin : Nous savons que 11 terroristes ont participé à l’attaque et que les cibles visées étaient probablement une base de gendarmerie et une base aérienne militaire, qui abrite également du personnel de Wagner. Cependant, nous ne savons pas si les auteurs de l’attentat espéraient toucher des membres de Wagner. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas atteint les cibles présumées, grâce en partie aux actions des forces de sécurité maliennes. Ils ont fait exploser leurs bombes dans une zone civile causant la mort d’au moins dix civils et trois soldats.

La presse malienne affirme quant à elle qu’il s’agit d’un échec de la part des djihadistes et un succès pour les forces de sécurité maliennes ; j’en suis moins sûr. Deux raisons me poussent à l’affirmer. D’abord, l’attentat a démontré que malgré la pression militaire exercée sur eux au centre du Mali par les FAMa (forces armées maliennes) et Wagner, le JNIM (en supposant que ce sont bien eux) conserve la capacité d’y organiser des attaques. Ensuite, n’oublions pas que semer la terreur parmi les civils est en soi une victoire pour les insurgés, car cela sape la confiance dans l’armée. C’est la raison pour laquelle le gouvernement malien tente de faire croire que l’attaque a échoué.

Quels sont les effectifs de Wagner au Mali ? Qui est responsable de leur logistique ? De leurs renseignements ?

Il y a environ 1 000 membres du personnel de Wagner au Mali. Ils sont apparemment en charge de leur propre logistique et disposent également de capacités de renseignement organiques. Il s’agit notamment de capacités de renseignement d’origine électromagnétique et de drones de reconnaissance. Il est possible qu’ils reçoivent également des images satellites de l’État russe, mais nous ne le savons pas.

Plus généralement, quel est le bilan de Wagner depuis que la France a mis fin à Barkhane en novembre dernier ?

Le bilan est globalement bon là où Wagner fait partie des opérations militaires (le centre du pays, dans les régions de Mopti et Ségou), surtout aux yeux de nombreux Maliens. Sa présence semble avoir amélioré le moral des Maliens en même temps qu’elle offre un certain avantage tactique. Les combattants sont actifs sur le terrain et semblent bien se battre.  Du côté positif, Wagner a aidé les FAMa à remporter des victoires dans le centre du Mali, ce qui aurait encouragé certains combattants djihadistes à retourner à déposer les armes, du moins pour l’instant. Du côté négatif, Wagner est complice de violations des droits de l’Homme. Il est avéré que cela encourage la radicalisation dans certaines communautés, car cela pousse les civils dans les bras des groupes djihadistes. In effet, l’histoire des guerres contre-insurrectionelles nous rappelle que des succès tactiques n’apportent pas toujours des succès stratégiques. Comme on dit souvent par rapport aux Américains au Vietnam, l’armée américaine a gagné toutes les batailles. Pourtant…

Je ne veux pas dire que Wagner est plus efficace que l’intervention française à travers Barkhane ne le fut. Mais, vraie ou fausse, c’est la perception de nombreux Maliens, qui n’ont pas compris ce que les Français faisaient, et ce que la France leur a apporté. Aussi, il faut se rappeler que Barkhane s’est focalisée sur d’autres régions du Mali, au nord et au nord-est, et non pas le centre, qui est actuellement le focus des opérations militaires maliennes et russes.

Le problème fondamental de Barkhane était probablement que la France menait dans une certaine mesure une guerre distincte et que Paris et Bamako n’étaient pas toujours d’accord sur l’identité des ennemis. En revanche, Wagner se contente de combattre les gens que le Mali lui désigne. Autrement dit, les objectifs tactiques et stratégiques de Wagner sont très probablement fixés par les Maliens et par eux seuls. Cela rend la contribution de Wagner moins suspecte aux yeux de Bamako. C’est ainsi que du point de vue de nombreux Maliens, Wagner fait un travail satisfaisant. Ce point est discutable à l’infini, mais c’est ce que beaucoup de gens pensent là-bas.

Pour moi, le fond de l’affaire est que la présence de Wagner permet au régime malien de faire croire que ses efforts sont plus fructueux qu’ils ne le sont réellement, comme si Wagner était une solution magique. Il est une façon de détourner l’attention publique des défauts de la junte malienne.

Certes, mais Wagner peut-il sécuriser Gao, Ménaka et Tombouctou ? A-t-il pris l’initiative sur le JNIM ?

À eux seuls, les chiffres des effectifs et moyens suggèrent que les FAMa et Wagner auront du mal à sécuriser des sites sur un territoire aussi vaste. C’était également l’un des problèmes de Barkhane : les forces allouées ont toujours été trop faibles pour sécuriser tout le territoire. Concrètement, sous la pression militaire exercée par les FAMa et Wagner dans le centre du Mali, le JNIM semble déplacer certaines de ses ressources vers le sud du pays. C’est là une partie du défi militaire auquel le Mali est confronté : incapables de sécuriser simultanément une grande partie du pays, les forces maliennes se contentent de pousser les djihadistes vers d’autres régions.

Savez-vous combien le gouvernement malien paie Wagner ?

L’AFRICOM a affirmé que la facture s’élève à 10 millions de dollars par mois, un chiffre que nous ne sommes pas en mesure de confirmer. En revanche, nous pouvons affirmer qu’à ce jour, il n’y a pas de contrats miniers ou d’autres arrangements « en nature » entre Wagner ou des entités associées à Wagner et Bamako, et qu’aucune exploitation minière au Mali n’entretient des liens avec la Russie. Je suis amené à douter que Wagner profite de son intervention au Mali, qui suggère que les Russes sont là pour des objectifs politiques ou géopolitiques, et non pas pour des raisons pécuniaires.

Soudan : L’Élysée confirme la blessure d’un commando des forces spéciales lors de l’opération Sagittaire

Soudan : L’Élysée confirme la blessure d’un commando des forces spéciales lors de l’opération Sagittaire

https://www.opex360.com/2023/04/25/soudan-lelysee-confirme-la-blessure-dun-commando-des-forces-speciales-lors-de-loperation-sagittaire/


 

Une telle opération est d’autant plus délicate à planifier et à mener que les délais de réaction sont très courts et que plusieurs conditions doivent être réunies [autorisations de survol de pays voisins, accalmie dans les combats, disponibilité des moyens susceptibles d’être engagés, etc].

Les autorités françaises ont peu communiqué sur les modalités et les conditions de cette opération menée au Soudan. Cependant, quelques heures après son lancement, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, a précisé, via Twitter, qu’elle avait été baptisée « Sagittaire » et qu’elle mobilisait des avions de transport A400M et des commandos des forces spéciales. Du moins, c’est ce qu’ont suggéré les photographies diffusées par l’État-major des armées [EMA] sur les réseaux sociaux.

Or, peu après l’annonce du déclenchement de l’opération Sagittaire, il a été dit qu’un convoi français avait essuyé des tirs au niveau du quartier de Bahri, au nord de Karthoum, et que l’un de ses membres avait été blessé. Et cela, dans des conditions confuses, les FSR ayant soutenu avoir été visées par un raid aérien au moment des faits. Sollicitées par l’AFP, des sources diplomatiques et militaires ont alors dit refuser de « telles rumeurs » tant que le RESEVAC « n’est pas encore terminé ».

Quarante-huit heures après, à l’ouverture d’un Conseil de défense et de sécurité nationale, à l’Élysée, le président Macron a confirmé qu’un commando des forces spéciales avait bien été blessé – assez sérieusement, a priori – durant cette opération.

« J’ai eu, ce matin, des nouvelles rassurantes du commando des forces spéciales qui a été blessé au cours de cette opération. Et son état est maintenant stabilisé, sa vie n’est plus en danger. Il est en transfert vers les soignants qui lui permettront, dans les prochaines heures, je l’espère, de retrouver l’intégralité de ses facultés », a en effet affirmé M. Macron.

 

Pour le moment, l’opération Sagittaire a permis d’évacuer 538 personnes, dont 209 ressortissants français, du Soudan. Dans sa courte déclaration, le chef de l’État a remercié Djibouti et l’Éthiopie [qui a accepté d’ouvrir son espace aérien aux avions français].

Selon les précision de l’EMA, dix convois entre Khartoum et la base de Wadi Seidna [dont il a fallu s’assurer le contrôle] ont été organisés au cours des 72 dernières heures. Puis un pont aérien a été mis en place vers Djibouti, avec sept rotations d’A400M Atlas et deux de C-130J Hercules.

 

À noter que la frégate multi-missions à capacité de défense aérienne renforcée [FREMM-DA] Lorraine, qui effectue actuellement son déploiement de longue durée en vue de son admission au service, a également été sollicitée pour transporter des personnes évacuées de Port-Soudan vers l’Arabie Saoudite, en lien avec les Nations unies.

Evolution du rapport de force entre les puissances économiques sur le marché mondial du Lithium.

Evolution du rapport de force entre les puissances économiques sur le marché mondial du Lithium.

par Isac Babatoundé Fachina – Ecole de guerre économique – publié le 20 avril 2023

https://www.ege.fr/infoguerre/evolution-du-rapport-de-force-entre-les-puissances-economiques-sur-le-marche-mondial-du-lithium


Le monde est à un tournant et dans une course de fond vers une économie plus verte, juste et responsable pour sauver la planète et l’avenir des générations futures. En effet, face au réchauffement effréné de la planète, les dirigeants mondiaux à travers la COP21 de décembre 2015 en France ont conclu l’Accord de Paris sur le climat. Cet accord vise entre autres à réduire considérablement les émissions mondiales de gaz à effet de serre dans le but de limiter à 2 °C le réchauffement planétaire au cours du siècle présent, tout en poursuivant l’action menée pour le limiter encore davantage à 1,5 °C, d’où la nécessité de se tourner vers les énergies plus vertes à bas niveau de carbone.

Une ressource majeure

Cet accord a ainsi donné un grand coup d’accélérateur au développement des énergies renouvelables avec un cap vers la transition énergétique dans tous les secteurs dont le transport notamment les véhicules électriques.

C’est un ainsi que le Lithium se positionne aujourd’hui en un minerai extrêmement stratégique car il s’agit d’un métal utilisé pour les batteries du fait de sa grande énergie massique, sa durabilité dans le temps et sa faible autodécharge.

Le lithium devient ainsi un actif stratégique de guerre économique entre puissances avec la nécessité de la maitrise de la chaîne d’approvisionnement par l’extraction du minerai, la transformation et la production des batteries pour les constructeurs automobiles.

Le présent article[i] vise à examiner l’évolution des rapports de force entre les puissances notamment en Asie, en Amérique et en Europe sur ce marché de lithium qui devrait satisfaire les besoins du marché automobile.

Il sera ainsi abordé les réserves mondiales du lithium, les chaînes d’approvisionnement, le marché mondial du lithium et des batteries électriques avec le pays en tête de pont, les bouleversements géostratégiques avec la découverte de nouvelles réserves de lithium notamment au Maroc au niveau du mont Tropic, les affrontements économiques entre les puissances notamment la Chine, les Etats-Unis, l’Europe avec identification de la place de la France dans cette guerre économique pour le stockage de l’électricité.

Un besoin croissant

Selon le rapport du 09 avril 2019 de la Commission européenne sur la mise en œuvre du plan d’action stratégique sur les batteries, la production de cobalt, du graphite et du lithium sera en 2050 cinq fois plus importante que celle de 2018 pour répondre aux besoins en batteries électriques. La demande de lithium va exploser avec l’essor de la voiture électrique. Pour l’Agence internationale de l’énergie, les besoins vont être multipliés par 42 pour assurer la transition vers la neutralité carbone. En outre, la forte progression des ventes de voitures électriques (près de 4M d’unités en Chine, en 2022) a réveillé avec acuité le marché du lithium ces derniers mois avec un envolé vertigineux du prix moyen du carbonate de lithium dans le monde entre 2010 et 2021 comme l’indique le site Statista du 22 avril 2022.

Cette tension de plus en plus forte entre l’offre et la demande sur le marché mondial du lithium est la conséquence directe des enjeux géostratégiques et politiques menés par les puissances (en Asie, Europe et Amérique) pour le contrôle des énergies bas carbone dans le cadre de la transition énergétique.

En effet, la Chine dans son plan décennal « Made in China 2025 », ambitionne de devenir à l’horizon 2049 (année du centenaire de la fondation de la République populaire de Chine), la première puissance mondiale dans l’ensemble des technologies de demain (batteries, véhicules électriques, intelligence artificielle, etc.).

Quant à l’Europe, les batteries seront l’un des grands vecteurs de la transition énergétique, compte tenu du rôle important qu’elles jouent dans la stabilisation du réseau électrique et dans le déploiement de la mobilité propre. L’Europe envisage ainsi à l’horizon 2035 une convergence totale vers les véhicules électriques avec une production massive des batteries à base du lithium-ion.

Les Etats-Unis, quant à eux, visent à l’horizon 2030 un parc automobile de 50% de véhicules électriques afin de mettre l’Amérique en position de mener l’avenir de la voiture électrique, de dépasser la Chine et de faire face à la crise climatique, a annoncé la Maison Blanche en août 2021.

Derrière toutes ces annonces et projections des différentes puissantes économiques, se joue une guerre économique sans pitié pour le contrôle des minerais stratégiques dont le lithium. Par ailleurs, cet affrontement de positionnement sur le marché des énergies vertes à base de lithium se fait atrocement entre les constructeurs automobiles dont l’américain Tesla et le chinois Byd sans oublier des pertes records des actions de Tesla à la bourse. 

Bienvenue dans cette saga de lutte à plusieurs milliards de dollars entre puissances pour le contrôle du marché mondial du lithium. Ainsi, pour mettre un coup de projecteur sur cette guerre économique avec les différentes polémiques autour du lithium, il sera abordé :

  • Le marché mondial du lithium qui traitera les réserves mondiales du lithium, les chaines d’approvisionnement et l’évolution du marché.
  • Le rapport de force de la Chine sur le marché du lithium afin de mieux cerner les stratégies de la Chine sur les 20 dernières années.
  • Les stratégies américaines et les futurs bouleversements géostratégiques sur le marché du lithium.
  • La place de l’Europe dans ce carré de l’énergie du futur par le lithium.
  • La position de la France dans l’Europe pour cette conquête de l’énergie du futur.

Marché mondial du lithium

Ce marché est structuré autour des réserves mondiales, les chaines d’approvisionnement, la raffinerie du minerai et la production des batteries à lithium notamment pour les constructeurs automobiles. Selon les études, la batterie rechargeable représente 40% du coût de production d’un véhicule électrique (VE). Aujourd’hui dans le monde plus de 4 millions de véhicules électriques sont en circulation. Ils devraient être entre 50 et 200 millions en 2028 et atteindre les 900 millions en 2040, d’où le caractère stratégique du lithium pour l’industrie des batteries rechargeables

Suivant le rapport 2018 de la BRGM sur les ressources métropolitaines de la France, le lithium est un élément métallique très léger, deux fois moins dense que l’eau, et qui possède une très forte électronégativité. Ses utilisations sont très variées, dominées depuis 2015 par le secteur des batteries rechargeables. Les enjeux du marché de lithium en 2018 portent sur des perspectives de croissance extrêmement fortes. Le principal moteur est la consommation de lithium à destination des batteries rechargeables de types lithium-ion pour le développement très rapide de l’électromobilité et du stockage d’énergie. Cette part de marché ne cesse de croître et l’impact est majeur sur la demande de lithium et donc sur les prix. La croissance moyenne de la demande de lithium devrait se situer autour de 18% par an et la part du secteur des batteries devrait être comprise entre 60% et 86% du total vers 2025.

Au niveau des réserves mondiales de lithium, les données à fin 2020 publiées en février 2021 par le site Statista font état de 18 millions tonnes de lithium détenus par cinq (05) pays à savoir : Le Chili, l’Australie, l’Argentine, la Chine et les Etats-Unis. La première réserve mondiale appartient au Chili avec 9,2 millions de tonnes, soit plus de 50% de la part des 05 pays cités. L’Australie et l’Argentine détiennent respectivement 4,7 millions et 1,9 millions de tonnes contre 1,5 million de tonnes pour la Chine et 0,75 million pour les Etats-Unis. D’autres études indiquent que le triangle de lithium en ABC (Argentine, Bolivie et Chili) abrite entre 60 à 70% des réserves mondiales. L’avenir du lithium se joue ainsi au centre de l’Amérique du Sud et ces gisements constituent entre les grandes puissances industrielles un jeu géopolitique indispensable pour conserver l’accès à la ressource.

Au niveau européen, en termes de gisement, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Ukraine et le Portugal sont les plus représentés et également les plus actifs au niveau de la prospection lithinifère.    

Sur les chaînes d’approvisionnement et le raffinage, la Chine contrôle 65% de la production mondiale de lithium raffiné avec ses deux géants du secteur, Jiangxi Ganfeng et Tianqi Lithium qui se sont hissés aux premières et troisièmes places du marché. Par ailleurs, 80% des métaux nécessaires à la fabrication des batteries des véhicules électriques sont transformés en Chine, ce qui donne un avantage concurrentiel énorme à l’économie de l’Empire du milieu qui possède la moitié du parc mondial de véhicules électriques et exporte une grande partie de sa production à l’étranger, essentiellement en Europe.

Cette position dominante de la Chine sur ce marché de l’énergie du futur n’est pas du tout du goût de l’Occident notamment les Etats-Unis et l’Union Européenne, d’où les rivalités géostratégiques en cours entre ces puissances économiques et chacune annonce comme indiqué plus haut ces ambitions pour ce potentiel marché de transition énergétique.

Rapport de force de la Chine sur le marché mondial du lithium

Depuis une vingtaine d’années, la Chine a pris conscience des enjeux que constituent les terres rares et les minerais stratégiques. Sa montée en puissance dans ce secteur est tardivement perçue comme une menace par les économies occidentales alors que la Chine avait usé de toutes les manœuvres économiques et géostratégiques y compris le dumping pour parvenir à ses fins. La Chine a ainsi organisé la sortie du marché de Molycorp (entreprise américaine, seul producteur et transformateur d’éléments de terres rares d’Amérique du Nord) par un dumping sur les prix, puis racheté (via Shenghe) une partie des droits sur la production de la mine. Aussi en 1994, Rhône-Poulenc, un des deux leaders mondiaux de la transformation des terres rares dans les années 1980, fut contraint de confier à la Chine le raffinage des terres rares.

En moins de vingt ans, la Chine a racheté des mines de métaux stratégiques partout sur la planète et développé des industries de pointe pour exporter des produits à haute valeur technologique. Il est ainsi observé une politique d’investissements colossaux dans des mines partout sur la planète où entre 2005 et 2021, ses investissements directs à l’étranger (IDE) dans le secteur minier ont atteint 125 milliards de dollars, soit presque l’équivalent de la valeur actualisée du plan Marshall des Etats-Unis à l’Europe après la seconde guerre mondiale.

Ainsi, sur le marché du lithium, les entreprises chinoises Ganfeng et Tianqi sont les leaders mondiaux qui cumulent à eux deux environ 60% de la production mondiale du lithium. Les entreprises chinoises, toute catégorie confondue, ont sécurisé des millions de tonnes d’approvisionnement en lithium sur plusieurs années grâce au rachat ou à la prise d’intérêts dans des projets phares. Aussi, la Chine a dans un premier temps accueilli de nombreuses entreprises étrangères puis, dans un second, absorbé les technologies de ces dernières pour démultiplier sa production nationale en évinçant progressivement la concurrence internationale grâce à son dumping économico-environnemental. En outre, cette position dominante s’inscrit également dans les coûts environnementaux que la Chine a accepté d’assumer. En effet, avec des normes environnementales moins contraignantes que celles des pays occidentaux, la Chine a assumé le coût écologique, ce qui lui a permis de s’assurer une position incontournable dans le raffinage du lithium pour satisfaire les besoins colossaux de l’industrie des véhicules électriques.

En somme, le rapport de force de la Chine envers l’Occident dans ce secteur découle de sa capacité à maitriser les sources d’approvisionnement en matières premières tout en maitrisant toutes les chaines de valeur dont le raffinage au détriment des normes et de l’impact environnemental.   

Les stratégies américaines et les futurs bouleversements géostratégiques du marché mondial de lithium

Parmi les grandes lignes de l’Administration Biden en matière de souveraineté et de compétition technologique figure la transition vers l’énergie verte. Cette transition sera pour les EU dans les prochaines années une source majeure de croissance économique et de création d’emplois. À plus long-terme, elle viendra également assurer l’indépendance et la sécurité énergétique des États-Unis. Ainsi, le 05 août 2021, le Président Biden signe à la Maison Blanche le décret déclarant l’objectif que la moitié des véhicules vendus aux Etats-Unis d’ici 2030 seront électriques.

Pour ce faire, le Département de l’Énergie des États-Unis a ouvert des financements de plusieurs milliards de dollars afin de mettre en place des chaînes d’approvisionnement nationales des batteries au lithium, cruciales pour faire basculer le pays dans l’énergie propre. L’objectif du gouvernement américain est de faire en sorte que plus de la moitié des véhicules vendus sur son territoire soient électriques et assurer au pays une indépendance en luttant contre la domination chinoise dans le secteur. Cette mesure prise par le Président Biden s’inscrit également dans le cadre d’une campagne plus large visant à éloigner le pays de l’énergie russe.

A cet effet, Albemarle, leader de l’industrie du lithium et des dérivés du lithium aux Etats-Unis, envisage de multiplier par cinq sa capacité de production globale de lithium pour atteindre 500.000 tonnes par an d’ici 2030.

Par ailleurs, parmi les stratégies américaines dans le lithium figurent la reconquête des sources d’approvisionnement ou la découverte des réserves de lithium et autres métaux pour l’accroissement de leur capacité industrielle dans la production des batteries rechargeables.

Ainsi l’alliance AUKUS, en dehors des enjeux dans l’indo pacifique, pourrait être une stratégie pour les Etats-Unis de resserrer les liens avec l’Australie, un des pays détenant une importante réserve de lithium et où les investissements chinois dans le lithium ont atteint 27 milliards de dollars US sur la période 2005-2021.

En outre, les Etats-Unis se sont imposés au Maroc face aux Européens (Espagne et Allemagne surtout) sur la découverte du Mont Tropic. En effet, le Mont Topic regorge de cobalt et surtout de tellure qui est un minerai très rare utilisé dans la fabrication de certaines armes mais aussi de certaines batteries de voitures électriques. Le tellure du Mont Tropic, suivant les études britanniques, serait 50.000 fois plus important que tous les dépôts découverts jusqu’à ce jour et les réserves du cobalt quant à elles, sont équivalentes aux réserves du Congo.

Si toutes ces positions se confirment, les Etats-Unis pourraient faire changer significativement le rapport de force sur le marché les batteries rechargeables et par conséquent l’avenir mondiale de la transition énergétique.

Place de l’Europe dans ce carré de l’énergie du futur par le lithium.

Le lithium a été identifié comme critique par la Commission européenne. Le rapport 2019 de la Commission Européenne sur la vision 2050 de la neutralité carbone vise à créer une chaine de valeur stratégique des batteries en Europe avec un cap sur du 100% de véhicules électriques à l’horizon 2035. Pour la Commission le potentiel du marché européen des batteries rechargeables est énorme et pourrait s’élever à 250 milliards d’euros chaque année à partir de 2025 et un cadre législatif et de gouvernance a été adopté afin d’accélérer la transition vers une économie européenne à la fois durable, sûre et compétitive.

Actuellement la part européenne dans la fabrication mondiale de cellules de batteries est de 3% alors que celle de l’Asie est de 85% et si rien n’est fait pour soutenir la création d’un secteur viable de la fabrication de batteries, l’Europe risque de perdre irrémédiablement du terrain face à ses concurrents sur le marché mondial des batteries et de devenir tributaire des importations de cellules de batterie et de matières premières utilisées dans la chaîne d’approvisionnement.

Pour la conduite de cette vision à long terme, l’Union a créé en 2017 « l’Alliance Européenne des Batteries (AEB) » pour soutenir la mise à niveau de solutions innovantes et la capacité de fabrication en Europe. Aussi en mai 2018, la Commission a adopté le plan d’action intitulé L’Europe en mouvement ». Ce plan a permis de constituer une panoplie de mesures permettant de soutenir les efforts nationaux, régionaux et industriels visant à créer une chaîne de valeur des batteries en Europe et couvrant l’extraction, la fourniture et la transformation de matières premières, les matériaux pour batteries, la production de cellules, les systèmes de batterie ainsi que la réutilisation et le recyclage.

Toutes ces mesures démontrent ainsi le dynamisme européen sur le marché des batteries à lithium et des investissements considérables sont nécessaires à cet effet. Suivant les prévisions, de 20 à 30 usines géantes devront être construites en Europe rien que pour la production de cellules de batterie et leur écosystème devra être considérablement renforcé. Il est donc recommandé la mobilisation rapide d’investissements privés comme facteur clé de réussite de ces ambitions compte tenu de l’ampleur et du rythme des investissements nécessaires.

L’Europe n’est donc pas en marge de cette guerre économique entre puissances pour la course à la transition énergétique et cette pression sur l’Europe devient plus palpable avec la guerre militaire en cours entre la Russie et l’Ukraine. Conflit dans lequel la question de la dépendance énergétique de l’Union Européenne est au cœur des débats et des affrontements géostratégiques.

Nous partageons et renforçons ainsi les pistes de solutions et les débats d’idées en cours sur cette épineuse question de transition énergétique de l’UE notamment sur les batteries rechargeables. Ces pistes sont principalement : l’exploitation des ressources sur le sol européen, le recyclage, la constitution de stocks de certains métaux stratégiques et la diversification des sources d’approvisionnement.

Ainsi en dehors de l’exploitation « responsable » des ressources de lithium sur le sol européen, l’Europe pourrait se positionner significativement sur le segment du recyclage actuellement encore bien vierge en créant des champions européens de recyclage de batteries à lithium au regard des perspectives de plus de 900 millions de véhicules électriques dans le monde à l’horizon 2040.

La France se positionne-t-elle en futur leader européen du marché du lithium ?

L’Etat français, à travers le plan France 2030 du Président Macron, envisage produire 2 millions de véhicules électriques d’ici 2030 dans le cadre de sa stratégie industrielle qui vise à implanter sur le territoire national l’ensemble de la chaîne de valeur des batteries, de matériaux de base au recyclage.  

Ainsi pour jouer un rôle de premier plan au sein de l’Union Européenne, la France a confié au Groupe Imerys l’exploitation du lithium de la région de Beauvoir dans le Département de l’Allier. Ce projet contribuera aux ambitions de la France et de l’Union européenne en matière de transition énergétique et il permettra également d’accroître la souveraineté industrielle de la France et de l’Europe à l’heure où les fabricants de batteries et les constructeurs automobiles sont fortement dépendants des importations de lithium de la Chine. Imerys vise une production de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an à partir de 2028 pour une durée d’au moins 25 ans, ce qui ferait de la France un fournisseur de premier plan du marché européen des batteries et lui conférerait un rôle clé dans l’industrie mondiale du lithium avec 700.000 de véhicules électriques à équiper par an.

En dehors de la région de Beauvoir, le rapport 2018 de la BRGM indique d’autres réserves de lithium pour la France avec une estimation globale de l’ordre de 443.200 tonnes de lithium dont 375.000 pour le site de Beauvoir.

Au regard de ces prévisions de réserves et pour pouvoir se positionner durablement sur le marché européen et mondial des batteries rechargeables, la France devra investir dans une chaine de valeur verticale en diversifiant ces sources d’approvisionnement en matières premières notamment hors de son territoire à l’instar de la stratégie chinoise et qu’envisage aussi les Etats-Unis. Par ailleurs, les recommandations à l’endroit de l’UE devront être prises en comptes par l’Etat français surtout le segment du recyclage.

Isac Babatoundé Fachina

auditeur de la 41è promotion de la MSIE de l’EGE

Sources complémentaires

https://www.agrobiosciences.org/territoires/article/les-enjeux-du-lithium-une-situation-electrique#.Y7iI8HbMLIU

https://atalayar.com/fr/blog/lithium-une-autre-guerre-entre-les-etats-unis-et-la-chine

https://www.francetvinfo.fr/economie/industrie/etats-unis-le-projet-dun-gisement-de-lithium-fait-polemique_5437876.html

https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/terre-lithium-france-impact-ecologique-nouvel-or-blanc-101509/

https://www.imerys.com/fr/media-room/communiques-de-presse/imerys-ambitionne-de-devenir-un-acteur-majeur-du-lithium-en-europe

https://m.zonebourse.com/actualite-bourse/Albemarle-prevoit-une-importante-usine-de-traitement-du-lithium-aux-Etats-Unis–40838067/

https://www.jeuneafrique.com/1225179/economie/rachid-yazami-le-maroc-est-au-coeur-de-la-guerre-pour-les-minerais-rares/

https://medias24.com/2021/10/03/tresors-caches-du-mont-tropic-mythe-ou-realite/

https://legrandcontinent.eu/fr/2022/08/26/la-californie-va-interdire-la-vente-de-vehicules-thermiques-dici-2035/

https://legrandcontinent.eu/fr/2022/05/05/un-etat-pour-la-planification-ecologique/

https://www.lesechos.fr/2015/06/lamericain-molycorp-victime-de-la-bulle-des-terres-rares-250506

https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:72b1e42b-5ab2-11e9-9151-01aa75ed71a1.0003.02/DOC_1&format=PDF

https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/tesla-il-y-a-de-lelectricite-dans-lair-1898008#xtor=CS3-3092

https://www.nationalgeographic.fr/environnement/bolivie-lextraction-du-lithium-menace-le-plus-grand-desert-de-sel-du-monde

https://planeteamazone.org/actualites/etats-unis-un-plan-pour-booster-la-production-de-batteries-alors-quune-mine-de-lithium-menace-les-peuples-amerindiens/

 

Note

[i] Cet article vient également en contribution des précédents articles du site infoguerre.fr de l’EGE qui n’ont pas encore abordé les enjeux géostratégiques et le rapport de force inter-puissances pour le contrôle de ce minerai dans l’énergie du futur et la transition énergétique.

https://www.ege.fr/infoguerre/les-manoeuvres-informationnelles-autour-du-lithium-en-france

https://www.ege.fr/infoguerre/les-polemiques-autour-du-projet-de-la-plus-grande-mine-de-lithium-deurope-mina-do-barroso-au-nord-du-portugal

https://www.ege.fr/infoguerre/2009/11/lithium-bolivie-strategie-energie

https://www.ege.fr/infoguerre/une-reponse-relative-lultra-dependance-europeenne-la-chine-en-matiere-de-batteries

Chine–États-Unis : gare à la fascination pour le « piège de Thucydide » !

Chine–États-Unis : gare à la fascination pour le « piège de Thucydide » !

 

par Pierre Grosser, Professeur de relations internationales, Sciences Po – Revue Conflits – publié le 26 avril 2023

https://www.revueconflits.com/chine-etats-unis-gare-a-la-fascination-pour-le-piege-de-thucydide/


Dans « L’autre Guerre Froide », qui vient de paraître aux éditions du CNRS, l’historien Pierre Grosser fait le bilan de la rivalité opposant les deux grandes puissances du XXIe siècle. Entre ambition de devenir la première puissance de la planète du côté chinois et crainte de perdre le monopole du leadership mondial du côté américain, un conflit armé est un scénario crédible selon la fameuse théorie du « piège de Thucydide », que l’auteur analyse dans l’extrait que nous vous présentons aujourd’hui.

Article original paru sur The Conversation

Dans l’histoire, l’ascension rapide d’une nouvelle puissance, soucieuse d’abord d’avoir « une place au soleil », puis de changer les règles du jeu pour qu’elles soient plus à son avantage, inquiéterait toujours la puissance la mieux installée, qui elle-même connaît un déclin relatif. Cela provoquerait nécessairement des guerres. Aujourd’hui, les États-Unis seraient confrontés au dilemme d’accepter ou non les changements tectoniques de la hiérarchie des puissances, et donc la domination qui en résulte de la Chine en Asie, ou de choisir la guerre pour la limiter, avec le risque de s’affaiblir eux-mêmes et de faciliter ce qu’ils voulaient prévenir, une transition vers la domination chinoise.

Cette thèse a été popularisée par un vétéran de la science politique, Graham Allison, sous le terme de « piège de Thucydide », afin d’avoir un vernis d’humanités, une prétention scientifique, et des citations au rabais (comme pour la « fin de l’histoire » ou le « choc des civilisations », qui sont aussi accusées de devenir des prophéties auto-réalisatrices).

Une situation semblable à celle de 1914 ? 

La comparaison avec 1914, qui est développée dans l’ouvrage, ne tient pas, tout simplement parce que la Première Guerre mondiale n’a pas été causée par la rivalité entre Berlin et Londres (je le montre plus en détail dans l’étude de l’IRSEM). La course aux armements navals avait été gagnée par les Britanniques dès 1912, et comptait moins que la course aux armements terrestres de l’Allemagne avec la France et la Russie. Les ennemis traditionnels de l’Allemagne étaient ces deux pays, qui étaient aussi, dans l’Empire, ceux des Britanniques, ce qui rendait possible un renversement des alliances.

Aujourd’hui, il faut tenir compte des tensions sino-indiennes et sino-japonaises, ces dernières étant parfois aussi comparées aux relations anglo-allemandes d’avant 1914. La proximité culturelle (et dynastique) anglo-allemande était bien plus forte qu’entre les États-Unis et la Chine. Celle-ci ne sort pas de guerres d’unification qui en auraient fait, comme l’Allemagne, un modèle militaire pour les états-majors du monde entier.

Non seulement la Première Guerre mondiale n’est pas due principalement à cette ascension rapide d’une nouvelle puissance, mais l’histoire regorge d’exemples où ces changements de rapports de puissance ne provoquent pas de guerre.

Ainsi, il n’y a pas eu de guerre entre les États-Unis et le Royaume-Uni, lorsque les premiers ont concurrencé le second dès la fin du XIXe siècle. La Chine aime à rappeler cette réalité, et à se comparer aux États-Unis. Une puissance qui devient la plus riche du monde souhaiterait naturellement se réserver une sphère d’influence privilégiée, voire exclusive, en prétendant la libérer d’intrus impérialistes (les puissances européennes pour l’Amérique dans la première moitié du XIXe siècle, les États-Unis pour l’Asie deux siècles plus tard), devenir une puissance navale pour protéger son commerce et ses intérêts, devenir une puissance diplomatique et culturelle. La Chine parviendrait même à être à la fois une puissance terrestre et une puissance navale, ce que n’ont pas réussi la France, l’Allemagne et la Russie – ni la Chine à la fin du XIXesiècle. La Chine de Xi Jinping connaîtrait sa « phase Theodore Roosevelt », lorsque les États-Unis sont devenus vraiment nationalistes et impérialistes, puissance industrielle et navale, avec la prétention d’être le nouveau centre du monde.

Simple perpétuation des intérêts chinois à l’international ? 

Malgré les inquiétudes que la Chine suscite, sa volonté de créer des bases à l’étranger et de s’assurer des points d’appui portuaires, serait « naturelle ». De même que son souci d’assurer la sécurité de ses routes d’approvisionnement de matières premières et de ses ressortissants, en déployant des policiers chinois là où les communautés chinoises sont menacées, et en ayant les capacités militaires d’intervenir pour les protéger ou les évacuer.

L’agitation de 2022 autour d’un accord de la Chine avec les îles Solomon fait suite à nombre de focalisations sur des lieux (du Cambodge au golfe de Guinée ou en Namibie, en passant par les Émirats arabes unis), que convoiterait Pékin.

Les dépenses militaires de la Chine augmenteraient mécaniquement avec l’augmentation du PNB, sans qu’il y ait volonté militariste. Enfin, la Chine entrerait dans une nouvelle étape, déjà parcourue par les grandes puissances précédentes, en cherchant à internationaliser sa monnaie et aussi son droit. Au-delà des simples comparaisons de PNB, elle a déjà un pouvoir de marché (grâce à sa population nombreuse à niveau de vie croissant), elle est centrale dans les chaînes de valeur et surtout la construction navale (45 % de la production mondiale) et le transport maritime, et pèse dans l’établissement de normes technologiques. Les actions internationales de la Chine n’auraient donc rien à voir avec l’idéologie du régime, mais seraient le simple produit de « lois » de la géopolitique.

De plus, le piège de Thucydide ne concernerait pas la Chine, car celle-ci ne serait pas une puissance guerrière (Xi Jinping dit que ce n’est pas « dans son ADN »). Elle est le seul membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, depuis la fin de la guerre froide, à ne pas avoir utilisé la force militaire et déployé ses soldats pour des guerres à l’étranger. Elle ne serait pas une puissance révisionniste, alors même que les États-Unis en sont une en s’en prenant, par ses interventions « humanitaires », à l’ordre international d’États souverains codifié en 1945.

Le retour incontestable de Pékin

Pékin appelle les États-Unis à « maintenir le système international avec l’ONU en son cœur et le droit international comme fondement ». La Chine n’essaierait pas de constituer une alliance anti-occidentale avec les pays hostiles à la domination américaine (malgré la formalisation de groupes d’amis aux Nations unies), ni à entraîner des rebelles anti-impérialistes à travers le monde comme dans les années 1960 et 1970, ni à briser les alliances américaines, ni à promouvoir un ordre alternatif. Non seulement elle ne minerait pas l’ordre international mais paye de plus en plus pour lui, par ses contributions au système onusien (notamment les Opérations de Maintien de la Paix).
En réalité, c’est le mélange d’optimisme et de pessimisme de la puissance montante qui a été une des causes de la Première Guerre mondiale, et pourrait être celle d’une guerre sino-américaine.

La Weltpolitik allemande était dans une impasse à partir de la fin des années 1900, car elle provoquait des réactions des grandes puissances concurrentes. Berlin se sentait donc empêchée d’obtenir sa « place au soleil », tout en prétendant avoir le meilleur système politique, la meilleure culture, le plus grand dynamisme industriel et commercial. C’est la remontée en puissance rapide de la Russie, après sa défaite de 1905 contre le Japon, et donc le renforcement de la tenaille franco-russe qui poussa Berlin à une guerre quasi préventive, en profitant de la crise de l’été 1914.

La Chine aujourd’hui est persuadée de devoir retrouver sa place au Centre et au sommet qui lui serait historiquement due, mais elle subit le retour de bâton de pays petits et grands qui ne goûtent guère son arrogance, les efforts des puissances concurrentes pour ne pas lui laisser le champ libre, tandis que le crises internes de certains « clients » sont attribués à un endettement excessif à l’égard de la Chine (Sri Laka, Laos…). Les observateurs qui s’inquiétaient de l’offensive de charme chinoise dans les années 2000 se frottent les mains en constatant, avec une certaine exagération, la dégradation de l’image de la Chine dans le monde depuis la fin des années 2010, à cause de son agressivité verbale et de ses pratiques coercitives.

La question du triomphalisme excessif de la Chine menant à une sorte de « surexpansion impériale » est discutée depuis plusieurs années en Chine. La comparaison avec l’Allemagne est même prolongée, en regrettant que la Chine ait abandonné une politique néo-bismarckienne, de multiplication de partenariats de toutes sortes, destinée à rassurer les voisins tout en dominant le système, et à tempérer les ardeurs des États-Unis (comme de la France pour le chancelier allemand). Xi Jinping aurait eu tort de jouer à Guillaume II, dans une politique régionale et mondiale assertive, de coups diplomatiques, de faits accomplis et de guerre juridique en mer de Chine du Sud, qui auraient rendu la Chine impopulaire, parfois isolée, et en conséquence plus agressive.

Même le Singapourien Kishore Mahbubani, chantre du triomphe de la Chine sur un Occident déclinant, déplore que celle-ci n’ait pas réussi à garder davantage d’« amis » aux États-Unis pour empêcher le tournant consensuel pour une politique de confrontation. Au XXe, l’Allemagne s’est avérée trop grosse pour les équilibres européens mais trop faible pour dominer l’Europe : la Chine serait trop puissante pour les équilibres asiatiques, et même mondiaux, mais ses prétentions de domination seraient vaines et contreproductives.

La course à la puissance

La volonté croissante de Xi d’utiliser la coercition pour atteindre les objectifs de la Chine, ainsi que la rhétorique de plus en plus agressive, pourraient même être la preuve que Pékin a conscience qu’il sera difficile de dépasser pacifiquement les États-Unis dans le long sprint à la puissance. Les condensés de pessimisme dans la marmite d’optimisme seraient dangereux, car pousseraient à prendre plus de risques, à cause d’une paranoïa et d’une impatience accrues. Le célèbre stratège Edward Luttwak parle même d’« autisme de grande puissance », qui serait une loi de l’histoire : le PCC, particulièrement ethnocentrique et plein de morgue, ne pourrait ou ne voudrait abandonner des politiques contreproductives et autodestructrices, malgré tous les signaux.

La question est donc de savoir si Pékin choisira une sorte de fuite en avant à court terme, ou bien de rassurer les puissances qu’elle inquiète et consolidera ses fondamentaux pour reprendre sa marche en avant. Les nominations récentes sont regardées avec attention. Pour certains observateurs, Xi promeut une nouvelle génération de diplomates prêts à la compétition avec l’Occident et à l’utilisation de la coercition, favorable à l’axe sino-russe et à un leadership chinois sur le monde non-occidental, et déterminés à défendre le modèle politique chinois ; d’autres au contraire estiment que ce sont des diplomates plus modérés qui sont mis en avant, pour calmer les inquiétudes des pays d’accueil. Mais comment revenir en arrière lorsque, pour des raisons avant tout domestiques, Xi Jinping aurait abandonné la montée en puissance pacifique de la Chine, et serait allé trop loin dans la projection de puissance et l’agressivité verbale, provoquant une sur-réaction des États-Unis, de leurs alliés, et certains pays du Sud ? Cette sur-réaction à son tour rendrait impossible tout retour en arrière, voire faciliterait une fuite en avant.The Conversation

Assaut à Zapo

Assaut à Zapo

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 22 avril 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Ce n’est pas tout d’avoir une force de manœuvre. Il faut s’en servir efficacement. Il ne peut être question pour les Ukrainiens de « corriger » le front comme les Russes, mais bien de percer et de s’emparer d’un objectif lointain : Mélitopol, Berdiansk, Marioupol, Donetsk, Horlivka, Lysychansk-Severodonetsk ou Starobilsk. S’il n’y a pas au moins un de ces objectifs avec un drapeau ukrainien après l’offensive, celle-ci sera considérée comme une victoire mineure en admettant même que les Ukrainiens aient réussi à progresser de manière importante sur le terrain. 

C’est une chose difficile. Deux percées seulement ont été réussies dans cette guerre : à Popasna par les Russes au mois de mai 2022 et surtout dans la province de Kharkiv par les Ukrainiens en septembre. Or les positions des deux côtés, surtout du côté russe, sont actuellement bien plus solides qu’elles ne l’étaient qu’à l’époque.

Concrètement, il y a deux problèmes successifs à résoudre pour les Ukrainiens : s’emparer le plus vite possible des positions retranchées et exploiter cette conquête. Voyons ce que cela représente dans la province de Zaporijjia, la zone d’attaque la plus probable.

En position


Les positions retranchées sont un réseau de points d’appui de sections enterrés ou installés dans des localités, protégés et reliés par des lignes successives de mines, de tranchées et d’obstacles comme les « dents de dragon ». Normalement, si le terrain le permet, ces points d’appui sont organisés en triangle base avant (deux sections devant, une derrière – deux compagnies devant, une derrière, etc.) afin qu’ils puissent s’appuyer mutuellement et appliquer des feux sur ceux qui tentent de franchir les obstacles. À ce stade, mitrailleuses lourdes et mortiers sont les armes principales.

On se trouve loin des densités de lignes des deux guerres mondiales, mais une position retranchée russe peut avoir jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur. Pire, dans certaines zones, comme dans la province de Zaporijjia, on trouve une deuxième position parallèle cinq et à six kilomètres en arrière et des môles défensifs autour des villes. Cette deuxième position est alors occupée par le deuxième échelon des grandes unités en charge de la défense et parfois l’artillerie de division ou de brigade. Plus en arrière encore on trouve les unités de réserve de l’armée et l’artillerie à longue portée. Cette artillerie a évidemment pour double mission en défense de contre-battre l’artillerie ukrainienne et de frapper toute concentration de forces en avant de la première position de défense ou à défaut de placer des barrages d’obus devant elle.
Le « front » de Zaporrijia, au sens de structure de commandement russe, dispose ainsi d’un premier échelon composé d’une « division composite » (régiments DNR, Wagner) près du Dniepr et des 19e et 42e divisions motorisées de la 58e armée jusqu’à la limite administrative de la province. Cette première position s’appuie particulièrement à l’Ouest sur la ville de Vassylivka et les coupures des rivières qui se jettent dans le Dniepr, au centre sur un groupe de villages sur les hauteurs (150 m d’altitude) autour de Solodka Balka et à l’Est sur la ville de Polohy.

La deuxième position, de cinq à dix kilomètres en arrière, est organisée d’abord sur la ligne parallèle au front Dniepr-Mykhaïlivka-Tokmak, puis sur la route qui mène de Tokmak à Polohy. On y trouve deux régiments de Garde nationale, Wagner, la 11e brigade d’assaut aérien (à Tokmak) et peut-être la 22e brigade de Spetsnaz ainsi que la 45e brigade des Forces spéciales, utilisées comme infanterie, ainsi que l’artillerie des divisions et plus en arrière, celle de l’armée. Même si on ne connaît pas bien l’attitude de Wagner, on peut considérer l’ensemble du secteur sous la responsabilité de la 58e armée, qui sur place depuis les premiers jours de la guerre.

Plus en arrière encore, constituant sans doute les réserves du front, on trouve la 36e armée (deux brigades seulement) dans la région de la centrale nucléaire d’Enerhodar, le 68e corps d’armée avec 18e division de mitrailleurs et de la 39e brigade à Mélitopol et enfin la 36e armée (deux brigades) dans le carrefour de routes Verkhnii Tokmak 20 km au sud de Polohy et 30 km à l’est de Tokmak. Et si cela ne suffit pas, les Russes peuvent encore faire appel aux renforts de la 49e et à la 29e armée dans la province de Kherson ou, surtout, de la 8e armée à Donetsk, notamment dans le conglomérat de forces au sud de Vuhledar.

Dans la profondeur


Parvenir jusqu’à Melitopol à 60 km des lignes ukrainiennes demandera l’organisation de l’opération la plus complexe de l’histoire de l’armée ukrainienne
. Elle devra concerner au moins l’équivalent de vingt brigades de combat ou d’artillerie et escadrons aériens organisés en trois forces soutenues par un réseau logistique particulièrement agile.

On qualifiera la première force de « complexe reconnaissance-frappes » (CRF), selon la terminologie soviétique. Elle est constituée d’un ensemble intégré de capteurs et d’effecteurs susceptibles de frapper de manière autonome dans la profondeur du dispositif ennemi. On y retrouve avions et hélicoptères de combat, missiles, drones, brigades d’artillerie à longue portée, forces spéciales et partisans. Le CRF ukrainien existe depuis l’été 2022. Sa mission avant le jour J de l’offensive sera d’affaiblir autant que possible l’ennemi en attaquant ses bases, ses postes de commandement, ses dépôts et flux logistiques, etc. C’est ce qui a été fait avec succès pendant la campagne de Kherson. Sa mission pendant le jour J sera d’interdire et au moins d’entraver tous les mouvements en arrière de la zone de combat principale.

Le CRF a connu un saut qualitatif important ces derniers mois avec la livraison de Mig-29 polonais et slovaques capables de tirer des bombes guidées JDAM-ER (plus de 70km de portée) et de GLSDB (Ground Launched Small Diameter Bomb) des bombes volantes GBU-39 de 270 kg qui peuvent être lancées par les HIMARS à 150 km avec une grande précision. On ne connaît pas en revanche la quantité réelle de munitions, celles-ci comme les plus classiques, alors que les besoins sont très importants. Si le stock de munitions est plutôt réduit, il faudra plutôt les réserver pour le jour J et se contenter de frapper en préalable les cibles repérées de plus haute valeur, avec aussi cette contrainte de frapper un peu partout sur la ligne de front pour ne pas donner d’indices sur la zone d’attaque.

Reste aussi la possibilité d’attaques au sol, de commandos et/ou de partisans en arrière de l’ennemi. La densité de forces russes sur un espace ouvert (peu de grandes conurbations ou de forêts) et la forte pression exercée sur la population (surveillance coercitive, représailles possibles) rendent compliquée la circulation clandestine de combattants et d’équipements. Il est donc également difficile d’organiser des attaques non-suicidaires (les attaques suicidaires sont très simplifiées par l’absence de repli, la partie la plus difficile à organiser). On ne peut exclure certains « coups » mais il ne faut pas s’attendre à une action importante de ce côté, comme pouvaient l’être les offensives de sabotage précédant les grandes opérations de l’armée rouge en 1943-1944. L’intérêt du réseau clandestin est surtout le renseignement.

Dans la boîte


La seconde force, qui n’est pas encore complètement en place, sera chargée de s’emparer des positions de défense. Elle doit être particulièrement dense et surtout constituée de brigades puissantes. Dans le secteur qui nous intéresse ici, face à la 58e armée russe on trouve six brigades ukrainiennes de Kamianske sur le Dniepr à Houliapole au nord de Polohy. C’est sans doute trop peu, mais l’arrivée soudaine de nouvelles brigades serait évidemment suspecte, à moins là encore que des renforcements interviennent aussi simultanément dans d’autres secteurs et notamment face à la province de Louhansk, l’autre secteur d’attaque probable. Huit brigades constitueraient une densité un peu plus appropriée.

Le plus important est que ces brigades soient suffisamment fortes pour avancer chacune de cinq kilomètres en profondeur dans une défense dense et sur une dizaine de kilomètres de large. On notera que sur les six brigades actuellement en place, on trouve deux brigades territoriales et une brigade de garde nationale, par principe destinées à défendre un secteur plutôt qu’à l’attaquer. Elles devraient être remplacées par des brigades de manœuvre, pas forcément parmi celles nouvelles formées, mais peut-être parmi les plus expérimentées et solides à condition de les avoir mis au repos après le retrait du Donbass. À défaut, on peut peut-être utiliser les brigades territoriales et de garde nationale comme masques, en les renforçant considérablement. Dans tous les cas de figure ces brigades d’assaut doivent être à effectif organique à peu près complet, mais également très renforcées afin d’être capables chacune de battre un régiment russe fortifié. Il leur faut absolument un bataillon de génie au lieu d’une compagnie et sans doute un deuxième bataillon d’artillerie ainsi qu’un bataillon d’infanterie mécanisée. Il serait bon afin d’organiser le combat très complexe qui s’annoncent que ces brigades d’assaut soient regroupées et commandées par des états-majors de divisions, ou corps d’armée, face à chacun des trois axes principaux de l’offensive : le long du Dniepr, au centre en direction de Tokmat et contre Polohy.

Le combat de ces brigades d’assaut consistera à combiner l’action de leur artillerie organique et de leur petite flotte de drones avec celle des bataillons d’assaut, mélange de génie pour franchir les obstacles, d’infanterie mécanisée lourdement blindée et équipée d’armes collectives dont peut-être des mortiers, pour protéger, reconnaître et occuper, et de chars servant de canons d’assaut. Chaque bataillon agit normalement dans une boîte de quelques centaines de mètres de large. Le schéma d’action classique y est le suivant :

1 Frappes d’artillerie sur les premières lignes ennemies afin de neutraliser les défenseurs et de détruire quelques obstacles.

2 Report des frappes d’artillerie au-delà de la boîte pour la fermer à toute intrusion ennemie à l’arrière. Pour appuyer les unités d’assaut dans la boîte, on s’appuie alors sur les tirs directs de canons et surtout de mitrailleuses lourdes placés sur les côtés du bataillon d’assaut. Au fur et à mesure de la progression de ce dernier, ces tirs directs s’écartent et finissent par cloisonner la boîte sur les côtés. Les tirs indirects en revanche, mortiers et parfois mitrailleuses en tir courbe, sont permanents devant les troupes d’assaut.

3 Les unités d’assaut avancent, peut-être précédées de drones harceleurs qui renseignent et frappent quelques dizaines ou centaines de mètres devant eux. La progression s’effectue fondamentalement au rythme des sapeurs qui ouvrent des passages dans les mines ou mettent en place des ponts. Les groupes de fantassins, où prédominent les mitrailleuses et les lance-roquettes antichars, protègent les sapeurs en saturant les défenses, et exploitent les petites brèches qu’ils effectuent. Le combat se fait autant que possible en véhicules très blindés et à pied que les véhicules ne peuvent passer.

Une progression de 100 mètres ou plus par heure dans une position fortifiée sera considérée comme fulgurante. Tout dépend en réalité de la valeur de la résistance. Celle-ci peut s’effondrer tout de suite, et les défenseurs s’enfuir comme cela s’est parfois vu lors de l’offensive de Kharkiv ou autour de la tête de pont de Kherson. Mais ils peuvent aussi résister, et s’ils résistent (en clair s’ils peuvent tirer avec des armes collectives sans être neutralisés) la progression est tout de suite beaucoup plus lente. Comme tout cela est un peu aléatoire, il faut s’attendre à la formation d’une ligne discontinue avec aucune avancée à certains endroits et des poches par ailleurs. Tout l’art consiste alors à manœuvrer non plus seulement axialement, mais également latéralement afin de menacer l’arrière des poches ennemies. La menace suffit généralement à les faire céder (à condition qu’ils sachent qu’ils sont menacés) mais cette manœuvre demande énormément de coordination ne serait-ce que pour éviter les tirs fratricides. Tout le combat de positions d’une manière générale demande énormément de compétences tactiques et de solidité au feu, ce qui ne s’acquiert que par l’expérience et un entraînement intensif, notamment sur des positions retranchées reconstituées à l’arrière. Les Ukrainiens disposent-ils de cette masse critique de compétences ? C’est la condition première de la réussite. On progresse ainsi jusqu’à obtenir des brèches dans la première position ennemie et si on a encore assez de forces jusqu’à la conquête de la deuxième position.

En avant


Dès qu’il y a la possibilité de progresser de quelques kilomètres, il faut foncer. C’est là qu’intervient la force d’exploitation, moins puissante que la force d’assaut mais plus mobile. Elle n’est pas nécessairement juste derrière la force d’assaut le jour J mais doit être capable de la rejoindre en quelques heures, comme la 1ère brigade blindée par exemple qui se trouve au nord de Hulvaipole ou les brigades mécanisées proches ou dans la grande ville de Zaporijjia. Il faut compter pour avoir une chance d’obtenir des résultats importants, au moins huit autres brigades, qui viendraient se raccrocher au dernier moment aux trois corps d’armée en ligne.

La mission de la force d’exploitation est de pousser le plus loin possible jusqu’à ne plus pouvoir avancer face à une nouvelle ligne de défense ou rencontrer les réserves ennemies, ce qui donne lieu à des combats dits « de rencontre ». Une première difficulté consiste déjà à franchir la première position ennemie conquise par la force d’assaut. On peut passer à travers cette dernière, mais c’est une manœuvre là encore très délicate ou exploiter un trou dans le dispositif pour « rayonner » ensuite sur tous les axes, avec des forces légères très rapides en tête pour renseigner et des bataillons de reconnaissance pour vaincre les résistances les plus légères. Derrière suivent les bataillons blindés-mécanisés, mélanges systématiques de compagnies de chars et d’infanterie.

Et là c’est la grande incertitude. Les combats aux deux extrémités à Vassylivka et à Polohy peuvent virer au combat urbain, très rapide ou au contraire très lent en fonction de la décision de résister ou non des Russes. Ce sont, surtout le premier, des points clés essentiels qui conditionnent beaucoup la suite des évènements. Les Russes devraient donc essayer de les tenir, mais on a vu dans le passé qu’ils hésitaient devant une défense urbaine qui pourrait se révéler être un piège. On ne sait pas trop qu’elle sera leur attitude. En revanche dans la grande plaine du centre, on peut assister au nord de Tokmak à des combats mobiles entre la force d’exploitation ukrainienne et les brigades russes engagées en contre-attaque, le tout survolé par les drones et les obus guidés. Ce serait une première à cette échelle en Ukraine. On peut miser dans ce cas plutôt sur une victoire des Ukrainiens, plus aptes, semble-t-il, à ce type de combat. Mais les Russes peuvent se contenter aussi de défendre sur une nouvelle ligne en faisant appel à tout leurs renforts. On assistera donc comme dans le cas de l’offensive à Kharkiv en septembre, à une course entre l’avancée ukrainienne et la formation de cette nouvelle ligne de défense.

A moins d’un effondrement de l’armée russe, qu’on pronostique régulièrement mais qui ne vient jamais, cette nouvelle ligne surviendra forcément. Si les Ukrainiens s’emparent de Vassylivka, Tokmat et Polohy, poussent peut-être jusqu’à Enerhodar et sa centrale nucléaire, puis s’arrêtent devant la résistance russe, cela sera considéré comme une victoire, mais loin d’être décisive. S’ils parviennent jusqu’à Mélitopol, ce sera une victoire majeure, mais là encore les Ukrainiens seront encore loin de leur objectif stratégique actuel de reconquête de tous les territoires occupés. Pour avoir un véritable effet stratégique, il faudra monter une nouvelle grande offensive, vers Berdiansk et Marioupol ? Vers la province de Kherson et la limite de la Crimée ? Dans une autre région ? Cela prendra encore beaucoup de temps à organiser, à condition que tout le potentiel offensif et notamment en munitions n’ait pas déjà été consommé. On pourrait cependant atteindre à nouveau les limites du début de la guerre. Comme pendant la guerre de Corée, cela pourrait servir de base à un armistice.

Près de 400 ressortissants évacués grâce à l’opération Sagittaire

Près de 400 ressortissants évacués grâce à l’opération Sagittaire

– Forces opérations Blog – publié le

Déclenchée hier à l’aube, l’opération Sagittaire a déjà permis d’évacuer près de 400 Français et étrangers hors du territoire soudanais, annoncent les ministères des Armées et de l’Europe et des Affaires étrangères ce matin dans un communiqué conjoint. 

Environ 150 militaires français ont été déployés dans la région de Khartoum pour mener une opération aux airs de déjà vu. L’enjeu ? Évacuer au plus vite le personnel diplomatique, les ressortissants français et d’autres nations qui le souhaitent de la capitale soudanaise, en proie depuis 10 jours à d’intenses combats entre forces armées soudanaises et Forces de soutien rapide. 

Deux nouvelles rotations ont été assurées par les avions de transport de l’Armée de l’Air et de l’Espace hier en fin de journée et ce matin, précisent les deux ministères. Chacune des aura permis de rapatrier une centaine de personnes, portant à 388 le nombre de ressortissants accueillis sur la base aérienne 188 de Djibouti, dont « un nombre significatif de citoyens » de 28 pays européens, américains, africains et asiatiques.

D’une « extrême complexité » et conduite en interarmées et en interministériel, l’opération Sagittaire a nécessité, dès le 18 avril, la mise en alerte et l’envoi de renforts à Djibouti et au Tchad grâce à trois avions A400M et un C-130 de l’AdlAE. Les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj) ont en parallèle oeuvré à la mise en place d’un centre de regroupement et d’évacuation. 

Crédits image : EMA