L’armée de Terre déploie le véhicule blindé Serval sur un théâtre extérieur pour la première fois

L’armée de Terre déploie le véhicule blindé Serval sur un théâtre extérieur pour la première fois


Contrairement au Véhicule blindé multi-rôles [VBMR] Griffon, l’Engin blindé de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar et le VBMR Serval n’ont pas eu l’occcasion de connaître les rigueurs du climat sahélien pour leur premier engagement opérationnel étant donné que l’un et l’autre n’ont commencé à être livré à l’armée de Terre qu’au moment où la France s’apprêtait à mettre un terme à sa présence dans la bande sahélo-saharienne [BSS].

En revanche, en mai, le 1er Régiment Étranger de Cavalerie [REC] a déployé plusieurs de ses Jaguar en Estonie, dans le cadre de la mission Lynx. Il s’agissait du premier engagement de ce blindé issu du programme SCORPION sur un théâtre extérieur [et non première participation à une opération extérieure étant donné que les missions menées au titre de l’Otan en Europe de l’Est relèvent de la préparation opérationnelle].

En janvier, le colonel Patrick Ponzoni, alors à la tête du détachement français présent en Estonie, avait confié à ERR, c’est-à-dire la radio-télévision publique estonienne, que le Serval serait engagé dans la mission Lynx à partir du mois d’août.

Finalement, c’est à avec quelques jours de retard que les premiers Serval sont arrivés en Estonie.

« Premier déploiement opérationnel en Estonie pour le véhicule blindé multi-rôles Serval. L’armée de Terre engage ses matériels les plus modernes au service de la solidarité stratégique avec ses alliés », a affirme le général Pierre Schill, son chef d’état-major, via le réseau social X.

Les quatre premiers Serval avaient été livrés au Centre d’appui de préparation au combat interarmes – 51e régiment d’infanterie [CAPCIA-51e RI] de Mourmelon [Marne]. Un an plus tard, le 3e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine [RPIMa] devint la première unité opérationnelle de l’armée de Terre à en être dotée.

Pour rappel, devant équiper en priorité la force de réaction rapide de l’échelon national d’urgence, le Serval est un blindé 4×4 de 15 à 17 tonnes, produit par KNDS France [ex-Nexter] et Texelis. Partageant les mêmes équipements que les deux autres véhicules du programme SCORPION [vétronique et système d’information et de commandement, notamment], il est équipé d’un tourelleau téléopéré armé d’une mitrailleuse de 12,7 mm et de détecteurs de menaces. En plus de ses deux membres d’équipage, il peut transporter huit soldats équipés du système FELIN [Fantassin à équipements et liaisons intégrés].

Au-delà de ses capacités en matière de combat collaboratif, le Seval se distingue du Véhicule de l’avant blindé [VAB] qu’il remplace par « ses qualités de mobilités tactique et stratégique », d’après la Section technique de l’armée de Terre [STAT].

Photo : armée de Terre

ANALYSE – Nouvelle tentative d’assassinat de Donald Trump


Tentative d'assassinat contre Donald Trump
Donald “John Wick” Trump attire-t-il l les balles ? Photomontage de l’affiche du film John Wick 2. (c) 87Eleven Productions/TIK Films

Par Alain Rodier – Directeur de recherche au Cf2R

Note d’actualité N°651 du Cf2R – Septembre 2024

ANALYSE – Nouvelle tentative d’assassinat de Donald Trump

Dimanche, alors que Donald Trump effectuait un parcours de golf à West Palm Beach, des coups de feu ont retenti. Un agent du service secret chargé de sa protection qui se trouvait un trou en avance sur le parcours a repéré un suspect situé à moins de 400 mètres au niveau de la clôture grillagée du terrain. Distinguant une arme, il a ouvert le feu à plusieurs reprises dans sa direction.

L’homme s’est enfui abandonnant sur place un fusil d’assaut de type AK-47 et, accrochés à la clôture, deux sacs à dos remplis de morceaux de carrelage et une caméra Go-Pro. Il est vraisemblable que les sacs devaient protéger le sniper des tirs adverses et la caméra filmer la scène. Pour un bon tireur, la version civile de l’AK-47 équipée d’une lunette est efficace pour un tir de précision allant jusqu’à 450 mètres.

Le numéro d’immatriculation du véhicule noir de marque Nissan du fuyard ayant été relevé par un civil, il a été arrêté sur l’I-95, à 70 kilomètres du golf, par la police locale.

Le suspect serait Ryan Wesley Routh, un homme de 58 ans originaire d’Hawaii très concerné par la guerre en Ukraine. Sur les réseaux sociaux où il ne semble plus actif depuis plusieurs semaines, Routh plaide pour un soutien militaire à l’Ukraine et se dit même prêt à aller se « battre » et « mourir » pour Kiev.

Dans une interview accordée à Newsweek Romania en juin 2022, il était présenté comme un « recruteur » pour la « légion internationale » qui se bat aux côtés de l’armée de l’armée ukrainienne.

Sur son compte X, rendu inaccessible dans la nuit de dimanche à lundi, il a également partagé le lien du site internet de la « légion étrangère de Taïwan » dont il semble être le responsable. Il invite toute personne souhaitant se battre pour l’île à le rejoindre. Dans un autre post sur X en 2020, il indiquait avoir voté pour Donald Trump en 2016 mais il avait ensuite déclaré : « Nous avons tous été très déçus et il semble que vous êtes de pire en pire. Êtes-vous retardé ? Je serai content quand vous ne serez plus là ».

Ryan Wesley Routh vivait ces dernières années à Hawaï. En 2012, il s’était inscrit sur les listes électorales de Caroline du Nord. Dans cet État de l’est des Etats-Unis où les citoyens peuvent rendre publique leur affiliation politique, Ryan Wesley Routh avait décidé de ne pas choisir entre la mention « républicain » ou « démocrate ». Mais lors des primaires de 2020, il aurait fait plusieurs petits dons (entre 1 et 25 dollars) à plusieurs candidats du Parti démocrate.

Entre 2001 et 2010, il s’est fait connaitre de la police de Caroline du Nord principalement pour des infractions au code de la route et pour la possession de biens volés. En 2002, il a également été arrêté pour « possession d’armes de destruction massive » car il détenait une mitrailleuse.

Le Président Joe Biden et la vice-Présidente Kamala Harris ont été informés de l’incident. « Ils sont soulagés de savoir qu’il est en sécurité. Ils seront tenus régulièrement au courant jour par leur équipe », a déclaré la Maison Blanche.

Dans une déclaration, Biden a déclaré : « Je suis soulagé que l’ancien Président ne soit pas blessé. Il y a une enquête active sur cet incident car les forces de l’ordre recueillent davantage de détails sur ce qui s’est passé. Comme je l’ai dit à maintes reprises, il n’y a pas de place pour la violence politique ou pour une quelconque violence dans notre pays, et j’ai demandé à mon équipe de continuer à veiller à ce que les services secrets disposent de toutes les ressources, de toutes les capacités et de toutes les mesures de protection nécessaires pour assurer la sécurité continue de l’ancien président ».

La vice-présidente a quant à elle publié sur X : « J’ai été informée des informations faisant état de tirs par balles près de l’ancien président Trump et de ses biens en Floride, et je suis heureuse qu’il soit en sécurité. La violence n’a pas sa place en Amérique. »

Rappelons que Trump avait miraculeusement survécu à une tentative d’assassinat en juillet dernier lors d’un rassemblement à Butler. Un participant à la manifestation avait été tué ainsi que le tireur. La directrice du Secret Service, Kimberly Cheatle, avait dû démissionner pour les « failles » dans la sécurité.

Découvrir l’Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine. Entretien avec F. X. Nérard

Découvrir l’Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine. Entretien avec F. X. Nérard

par François-Xavier Nerard, Pierre Verluise – Diploweb – publié le 15 septembre 2024

https://www.diploweb.com/Decouvrir-l-Atlas-historique-de-la-Russie-D-Ivan-III-a-Vladimir-Poutine-Entretien-avec-F-X-Nerard.html 


François-Xavier Nérard, maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, est spécialiste d’histoire sociale de l’Union soviétique. Depuis juin 2024, Directeur du MRIAE – Magistère/Masters Relations Internationales et Action à l’Étranger de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. François-Xavier Nérard co-signe avec Marie-Pierre Rey, « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine ». Cartographe : Cyrille Suss. Coll. Atlas Mémoires, éd. Autrement, 2024.
Marie-Pierre Rey, est co-auteure de cet atlas, ancienne élève de l’ENS, professeure d’histoire russe et soviétique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directrice du Centre de recherches en histoire des Slaves.
Cyrille Suss, cartographe indépendant, a réalisé les plus de 90 cartes et infographies de l’« Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine », éd. Autrement, 2024.

Depuis le XVe siècle jusqu’à aujourd’hui, quelles sont les grandes ruptures et les continuités qu’il faut avoir l’esprit pour mieux comprendre la Russie ? Les programmes de l’enseignement secondaire sont-ils à la hauteur des besoins pour permettre à un bachelier de saisir les singularités du pays le plus étendu du monde ? Aujourd’hui, comment caractériser les relations entre la Russie et les quatorze autres ex-Républiques socialistes soviétiques ? Vu de Moscou, que signifient les expressions : « étranger proche » et « monde russe » ? Depuis l’accession au pouvoir de V. Poutine (2000), quid de la promesse de la restauration d’un État centralisé ? Quelles réformes économiques et sociales ? Quelle politique extérieure ? François-Xavier Nérard apporte des réponses claires et précises aux questions de Pierre Verluise pour Diploweb.com.

François-Xavier Nérard est co-auteur, avec Marie-Pierre Rey, de l’« Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine », cartographe Cyrille Suss, édition Autrement. Cet entretien est illustré par une carte extraite de l’atlas : Russie. Un interventionisme tous azimuts. Disponible en deux formats JPG et PDF pour impression haute qualité.

Pierre Verluise (P. V.) : Votre « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine » (éd. Autrement) embrasse à la fois la profondeur historique et l’étendue spatiale de Russie, du XVe siècle à aujourd’hui. Au terme de cet exercice, quels sont les traits — éventuellement contradictoires ou en tension — qui caractérisent la construction de l’empire russe ? Comment les cartes réalisées par Cyrille Suss aident-elles à le comprendre ?

François-Xavier Nérard (F.-X. N.) : La construction de l’espace impérial russe se fait par continuité géographique. À la différence des grands empires européens qui conquièrent des territoires outre-mer, loin de la métropole, les Russes soumettent des terres immédiatement contiguës à celles qu’ils dominent déjà. Cela a permis pendant longtemps à la Russie de s’exclure de toute histoire coloniale en refusant l’idée même d’avoir possédé des « colonies ». Et ce, alors qu’on retrouve pourtant dans l’expansion russe bien des traits de l’expansion européenne : violence, racisme, modernisation proclamée…

Cette continuité géographique, donc cet empire d’un seul tenant, se double d’une hétérogénéité ethnique et culturelle dès la conquête des khanats de Kazan et d’Astrakhan au milieu du XVIe siècle. En 1897, les Russes ethniques ne représentent que 44 % des 123 millions d’habitants de l’Empire. La mosaïque des peuples, des religions et des cultures est extrêmement complexe. Si la religion orthodoxe domine, on trouve au sein de l’Empire aussi bien des protestants, des juifs, des catholiques, des musulmans que des peuples qui pratiquent le chamanisme. La réponse politique à cette diversité a changé au fil des régimes et du temps. Le modèle impérial insistait sur le lien personnel entre tous les sujets, quelles que soient leurs particularités, et l’Empereur, mais au cours du XIXe siècle se développe aussi un récit national qui tend à penser l’empire comme spécifiquement russe. Les Soviétiques tentent eux aussi de concilier l’unité du pays et la diversité de ses peuples et de ses cultures, alternant périodes d’autonomies culturelles et périodes de russification plus marquées. Il faut d’ailleurs attendre 1977 pour que la Constitution du pays parle explicitement de peuple soviétique.

Parmi tant d’autres thèmes possibles, j’insisterai enfin sur la difficile maîtrise du territoire conquis. Se déplacer dans cet espace russe a longtemps été chose complexe. Les routes, que le marquis A. de Custine [1] décrit au XIX e s. avec beaucoup d’effroi, ont longtemps été négligées et le sont encore dans bien des endroits de la Russie contemporaine. Les fleuves ont certes permis des déplacements, mais il faut surtout attendre le chemin de fer, qui se développe réellement à compter du dernier tiers du XIXe siècle, pour que l’empire dispose d’un moyen de transport efficace. Le train permet de façon d’abord imparfaite des déplacements facilités dans cet espace immense. Les zones couvertes restent pour autant limitées tant les conditions physiques et climatiques rendent l’accès à de nombreux espaces difficiles. L’avion, grâce à un réseau d’aéroports relativement dense, a permis à la fin de la période soviétique de compléter cet arsenal.

P. V. : Venons-en à une période plus proche et parfois délicate à dater, localiser et conceptualiser pour les personnes nées post-Guerre froide. Comment s’est constitué le « bloc socialiste » et quelles étaient les relations entre les « satellites » et l’URSS ? Au sein même de l’URSS, comment s’organisaient les relations entre la Fédération de Russie et les quatorze autres Républiques socialistes soviétiques ?

F.-X. N. : Le « bloc » socialiste se met progressivement en place entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la fin des années 1940. L’autonomie politique des territoires libérés par l’Armée rouge est d’abord limitée par la présence même des troupes soviétiques. Ce contrôle se fait de plus en plus strict au fur et à mesure que les relations entre les anciens alliés se détériorent. Les communistes, souvent dirigés par des responsables réfugiés à Moscou pendant la guerre, jouent un rôle de plus en plus central dans les gouvernements. À partir de 1947, marquée par la conférence de Sklarszka Poreba, la mise au pas est nette. Le coup de Prague, en février 1948, à l’occasion duquel les communistes confisquent la totalité du pouvoir en Tchécoslovaquie en est le meilleur exemple.

Le bloc socialiste se structure à compter de 1949 grâce à plusieurs outils.

Le bloc se structure alors grâce à plusieurs outils : un contrôle politique strict, fondé sur la répression et l’organisation de grands procès qui rappellent ceux des années 1930 à Moscou ; de multiples traités bilatéraux d’assistance et d’amitié ainsi que la mise en place du Conseil d’assistance économique mutuelle, le CAEM en 1949 (l’ensemble sera complété, plus tard en 1955, par le Pacte de Varsovie) ; la présence enfin dans chacun des pays du bloc de conseillers soviétiques qui assurent contrôle politique et contribuent à la « soviétisation ».

On peut considérer que ce « bloc » socialiste est ainsi structuré en 1949. Pour autant, il ne faut pas en faire un tout homogène, ni dans l’espace ni dans le temps. La déstalinisation entraîne des évolutions nettes, mais hétérogènes, qui s’accompagnent parfois de violences. La Hongrie de Janos Kadar a ainsi peu à voir avec la RDA ou la Pologne. La Roumanie de N. Ceausescu qui refuse de participer à la répression du Printemps de Prague promeut une voie spécifique qui en fait un pays à part puisque, seul parmi les pays du bloc, il rejoint la Banque mondiale et le Fonds monétaire international en 1972. Les évolutions possibles restent néanmoins étroitement contrôlées par Moscou comme en témoignent les moments répressifs majeurs de 1953 à Berlin-Est, de 1956 à Budapest, de 1968 à Prague ou de 1981 en Pologne (sans intervention soviétique dans ce cas précis).

En URSS, le centre du pouvoir est à Moscou ce qui ne signifie pas que ce pouvoir est nécessairement « russe », même s’il est souvent perçu comme tel. Les évolutions au cours du XXe siècle sont marquées. Une période qui va de la fin de la guerre civile au début des années 1930 promeut « l’indigénisation » (korennizatsia) de la direction des Républiques, on assiste alors à ce que l’historien états-unien Terry Martin appelle une floraison nationale. Le pouvoir moscovite est lui-même ethniquement très divers, sans se limiter au seul Staline. Mais la « russification » du pouvoir commence dès la famine ukrainienne et se renforce avec la marche vers la guerre, à partir de la Grande terreur. L’histoire soviétique en vient à rimer avec l’histoire russe. Dans les faits, c’est donc Moscou qui décide. Mais l’autonomie locale ne doit jamais être négligée du fait des dysfonctionnements du système et de l’impossibilité de tout contrôler. Ce n’est d’ailleurs pas la Fédération de Russie en tant que telle qui joue un rôle central. La russification de l’échelon soviétique mériterait une étude approfondie. Elle passe par des acteurs situés aussi bien à Moscou que localement, par la langue (le russe est la lingua franca imposée en URSS), par la diffusion d’une culture unifiée marquée par les productions du centre moscovite. Mais le système soviétique ne peut se réduire à un système russe, comme on pourrait avoir tendance à le penser rétrospectivement.

P. V. : Aujourd’hui, comment caractériser les relations entre la Russie et les quatorze autres ex-Républiques socialistes soviétiques ? Vu de Moscou, que signifient les expressions : « étranger proche » et « monde russe » ?

F.-X. N. : Moscou a depuis la fin de l’URSS voulu maintenir une influence sur les ex-pays soviétiques. La création de la Communauté des états indépendants (CEI) le 8 décembre 1991 visait d’ailleurs à maintenir un lien entre les anciens états soviétiques. La crise politique, économique et sociale des années 1990 a peut-être fait un peu passer cette ambition au second plan, mais le retour de la puissance à l’ère poutinienne marque le renouveau de cette préoccupation symbolisée par le concept « d’étranger proche ».

Celui-ci est utilisé à la suite de la chute de l’URSS par Andrei Kozyrev, qui était alors ministre des Affaires étrangères de Boris Eltsine. Progressivement, le mot en vient à désigner une sorte de pré carré russe, dans le cadre d’une sorte de doctrine Monroe russifiée, une zone dans laquelle seule Moscou aurait son mot à dire. Toute ingérence extérieure, réelle ou supposée, étant interprétée comme une menace. C’est le cas notamment au moment des deux révolutions ukrainiennes en 2004 et en 2013-2014. Cette conception de l’étranger proche débouche même sur des interventions armées comme en Géorgie en 2008.

Le concept de monde russe est activement soutenu par le Patriarcat de Moscou. L’Eglise orthodoxe russe vient donner une pseudo-légitimité et un appui à une politique étrangère désormais belliqueuse et agressive.

Au-delà de cet étranger proche, les penseurs du Kremlin développent l’idée de « monde russe » qui vise l’ensemble de la diaspora russe, estimée à plus de 20 millions de personnes, que Moscou cherche à mobiliser comme relais d’influence. Différentes structures sont alors mises en place pour atteindre ce but, comme, en 2007, la fondation « Russkij mir » ou « Rossotroudnitchestvo » qui développe ici ou là des « maisons russes de la science et de la culture. » Cette stratégie de Soft Power, assez classique, se fonde d’abord sur la langue et la culture russes et de plus en plus sur la religion orthodoxe, car le concept de monde russe est activement soutenu par le Patriarcat de Moscou. Elle vient donner une pseudo-légitimité et un appui à une politique étrangère désormais belliqueuse et agressive.

P. V. : Votre « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine » (éd. Autrement) s’achève sur la Russie actuelle que nous pourrions appeler « poutinienne ». Quid de la promesse de la restauration d’un État centralisé ? Quelles réformes économiques et sociales ? Quelle politique extérieure ?

F.-X. N. : L’ambition de V. Poutine, depuis son accession au pouvoir, est de renouer avec la puissance. Son modèle a probablement été celui, plus ou moins mythifié, de l’URSS brejnevienne de la fin des années 1960 et du début des années 1970 quand le pays était une puissance mondiale, présent sur la plupart des continents, bénéficiant des contacts économiques, politiques et culturels renouvelés avec le monde dans le cadre de la détente. Et, sur le plan intérieur, jouissant d’une stabilité relative après des décennies de bouleversements et de crises, avant les difficultés de la fin des années 1970.

Les années 1990, celle de la crise économique, sociale et politique, servent, elles, de repoussoir. V. Poutine a donc cherché à restaurer une autorité qui manquait, à son sens, via une centralisation accrue et la construction d’une « verticale du pouvoir » visant à limiter au maximum l’autonomie régionale. Cette « centralisation » est aussi, et même plutôt, une concentration du pouvoir. Toute source alternative de pouvoir ou de contre-pouvoir a progressivement disparu. La mise au pas des gouverneurs, sortes de barons régionaux, s’est accompagnée de l’assujettissement des riches acteurs économiques, les oligarques, qui ont dû renoncer, de gré ou de force, à jouer tout rôle politique alors que c’était pourtant leur objectif revendiqué à l’époque de la présidence de Boris Eltsine. Les médias enfin sont étroitement contrôlés avec la disparition de la diversité médiatique, à l’image de la chaîne NTV rachetée par Gazprom en 2001.

Sur le plan économique et social, les premières années du pouvoir de V. Poutine, et cela explique en large partie sa popularité durable, correspondent à un mieux-être économique, largement favorisé par la hausse des prix des hydrocarbures qui a permis d’assurer d’importants revenus, en partie redistribués, à l’État. L’inflation maîtrisée, une croissance économique de 5 à 6 % jusqu’à 2014, ont assuré à la population russe de meilleures conditions de vie : le pays s’est transformé, le souvenir de la pauvreté endémique s’est éloigné.

Carte. Russie. Un interventionnisme tous azimuts, situation au printemps 2023
Source : François-Xavier Nérard, Marie-Pierre Rey, de l’« Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine », cartographe Cyrille Suss, 3e éd. édition Autrement, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’éditeur. Voir cette carte au format PDF haute qualité d’impression
Autrement

La politique extérieure, elle aussi, a alors renoué avec cette ambition de puissance. La Russie aspire à redevenir un acteur majeur des relations internationales. Mais peu à peu, le pouvoir russe interprète l’élargissement de l’OTAN comme une menace à ses intérêts, les révolutions dites de couleur en Géorgie ou en Ukraine sont perçues comme des ingérences insupportables et entraînent la crispation d’un pays qui critique de plus en plus un « Occident » présenté comme un danger et un contre-modèle en termes politiques et sociaux. La crise de 2014 en Ukraine et l’annexion, au mépris du droit international, de la Crimée marquent une nouvelle étape. La Russie intervient désormais hors de ses frontières, notamment en Syrie ou au Mali, au moyen de groupes de mercenaires comme Wagner.

P. V. : Depuis le XVe siècle jusqu’à aujourd’hui, quelles sont les grandes ruptures et les continuités qu’il faut avoir l’esprit pour mieux comprendre la Russie ?

F.-X. N. : C’est une question qui nous a semblé essentielle quand nous avons réfléchi avec Marie-Pierre Rey à cet atlas et son architecture. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas choisi un plan strictement chronologique. Nous consacrons une première partie de l’ouvrage précisément à cette question de la longue durée qui permet de prendre un véritable recul.

Bien des continuités se situent dans la logique de la construction de l’espace que nous avons abordée au début de cet entretien.

De manière caractéristique, la quête d’un immense espace est accompagnée d’un sentiment de fragilité.

L’un des traits fondamentaux est celui du sentiment de fragilité, ressenti ou proclamé par les dirigeants russes et que l’on retrouve dans la longue durée. Il s’explique en partie par l’espace russe, fruit de l’expansion commencée sur la base de la principauté de Moscou au XVe siècle. Après le XIXe siècle qui voit une poussée majeure vers le Sud notamment avec la très difficile conquête du Caucase et celle de l’Asie centrale qui pour être plus simple n’en est pas moins violente, le territoire des empereurs Romanov mesure près de 22 millions de km2.

Ce vaste territoire, qui à son apogée, va de la Pologne au Pacifique, de l’Océan glacial arctique aux confins de l’Afghanistan, n’est que mal protégé sur ses marges par des barrières naturelles. Ce qui a facilité les conquêtes est alors perçu comme une source de faiblesse, qui à son tour justifie de nouvelles conquêtes pour se « protéger », assurer des glacis protecteurs comme c’est le cas après la Seconde Guerre mondiale. Les invasions répétées, de Napoléon à Hitler, en passant par les interventions étrangères pendant la guerre civile, donnent d’ailleurs du grain à moudre aux dirigeants du pays.

La rupture la plus évidente et qui mérite réflexion est celle de 1917. Si la tendance historiographique de ces dernières années vise à replacer 1917 dans le continuum de la guerre de huit ans (1914-1922), il serait bien entendu erroné de faire abstraction de cette année qui a vu la fin de la monarchie et la mise en place d’un régime inédit fondé sur des aspirations politiques et sociales d’un genre nouveau. Pour autant, si l’on réfléchit sur le long terme, cette période soviétique close depuis plus de trente ans désormais apparaît à sa façon comme une sorte de parenthèse.

La centralisation du pouvoir, qui n’est pas incompatible avec l’existence de poches d’autonomie, ou de richesses culturelles locales, reste également un trait majeur du pouvoir en Russie. Elle s’accompagne, chez les dirigeants, de la perception d’une maîtrise difficile du territoire, d’un doute permanent sur la fiabilité des dirigeants locaux, particulièrement nette chez Staline, et donc du risque d’insubordination qui, à son tour, justifie une violence politique récurrente.

Depuis quelques temps, la protestation de masse semble avoir disparu de la grammaire politique russe.

La place du peuple, de son consentement au pouvoir et de ses révoltes me semble enfin un thème transversal, crucial, que nous avons abordé dans plusieurs cartes de l’atlas. La forme particulière du pouvoir autocratique qui supposait que le lien était direct entre le souverain et Dieu rendait toute forme de révolte complexe en rendant impossible le questionnement de la légitimité d’un monarque, émanation divine. Certains historiens, comme Claudio Ingerflom, l’ont bien montré. Il reste, au long de l’histoire russe, de nombreuses révoltes populaires souvent menées par des autonommés, des imposteurs comme Pougatchev qui prétendent être le véritable tsar. À la période soviétique, une fois la guerre civile achevée, les révoltes sont relativement rares, mais méritent toute notre attention : on peut penser à la quasi-guerre civile des paysans qui s’opposent à la collectivisation, aux révoltes sporadiques dans les camps du Goulag, aux manifestations, certes rares et réprimées dans le sang, comme à Novotcherkassk en 1962. Dès lors, peut-on dire que le peuple a été un acteur majeur de l’histoire russe ? Ce fut bien le cas en 1905 ou en février 1917. Mais depuis ? Les immenses manifestations contre le rôle dirigeant du parti organisées à Moscou en février 1990 semblent lointaines. On en trouve un écho affaibli lors des protestations contre les fraudes sur la place Bolotnaya en 2011. Mais la protestation de masse semble avoir disparu de la grammaire politique russe, y compris depuis le début de la guerre contre l’Ukraine.

P. V. : Enfin, que pensez-vous de la place de la Russie dans l’enseignement secondaire général en France ? Avez-vous l’impression que les programmes et les enseignements sont à la hauteur du challenge intellectuel que ce pays représente pour qui veut le comprendre dans le temps et dans l’espace ?

F.-X. N. : La place des mondes étrangers dans l’enseignement secondaire est toujours difficile à appréhender dans un volume horaire contraint, c’est certain. J’imagine que bien des collègues spécialistes d’autres zones pourraient porter des critiques identiques. Pour autant, il faut bien constater que la Russie, son histoire et sa géographie ne sont que très imparfaitement abordées dans l’enseignement secondaire général français. On peut le regretter. La clé d’entrée principale reste celle du « totalitarisme » et de la guerre froide (en classe de troisième et de terminale). Au-delà même des critiques que l’on peut adresser à un concept qui ne me semble guère pertinent, les éléments qui permettent de comprendre le XXe siècle soviétique sont difficilement accessibles aux élèves. [2] L’évolution du régime après Staline n’est pas, ou peu, enseignée. On évoque en classe de Terminale l’effondrement du bloc soviétique, mais comment l’appréhender sans comprendre la déstalinisation ou le brejnevisme ? Comment dans ces conditions comprendre le régime poutinien, sans en faire, comme on l’entend trop souvent, une sorte d’écho du stalinisme ?

La Révolution de 1917 n’est ainsi plus étudiée en tant que telle, alors que c’est pourtant un moment essentiel du XXe siècle qu’il est nécessaire de comprendre autant dans son surgissement que pour ses conséquences.

Au-delà même de ce que nous appelons, tout en interrogeant le concept, la « parenthèse soviétique », les élèves ne peuvent pas appréhender une Russie qui ne surgirait pas en octobre 1917 et il faut le regretter. La construction de l’Empire, sa difficile compréhension des limites, ses hésitations permanentes entre l’attirance pour le modèle occidental, ce que Marie-Pierre Rey a appelé la « tentation de l’Occident » et son rejet radical mériteraient une étude plus précise.

Des éclairages, partiels, ne suffisent pas, à appréhender la Russie dans sa complexité.

La Russie n’est pour autant pas absente des programmes. Elle est bien une option des programmes de géographie en seconde (Développement et inégalités en Russie), en terminale (La Russie, un pays dans la mondialisation). Les élèves qui suivent la spécialité HGGSP en classe de Première travaillent sur la Russie après 1991 et sur les services de renseignements pendant la guerre froide. Mais ces éclairages, partiels, ne suffisent pas, à mon sens, à appréhender la Russie dans sa complexité.

Tout ceci a des conséquences. Notre société, à tous les niveaux, a du mal à penser la Russie en dehors de bien des stéréotypes. Or, connaître ce pays s’avère crucial en temps de crises, qui plus est dans les moments tragiques que nous connaissons.

Copyright Septembre 2024-Nérard-Verluise/Diploweb.com


Plus

. François-Xavier Nérard, Marie-Pierre Rey, « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine ». Cartographe : Cyrille Suss. Coll. Atlas Mémoires, éd. Autrement, 3e éd. 2024, 95 p.

4e de couverture

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. La Russie impériale, puissance en expansion depuis le XVᵉ siècle, est fragilisée par une modernisation tardive et la guerre ; elle est mise à terre par la Révolution de février 1917.

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D’Ivan III, « grand-prince de Moscou et de toute la Russie » au XVᵉ siècle, à Vladimir Poutine, président d’un pouvoir central qui ébranle la scène internationale, cette nouvelle édition dresse le bilan actualisé des transformations que continue de connaître la Russie.


[1] NDLR : Astolphe de Custine « La Russie en 1839 » éd. Amyot, 1843 ou 1846 selon les sources. « La Russie en 1839 » a été rédigé par Custine entre 1840 et 1842.

[2] NDLR : Cette insuffisance de l’enseignement secondaire français au sujet de l’histoire et de la géographie de la Russie facilite le travail de manipulation et désinformation par la Russie elle-même auprès de larges pans des opinions. Des faits historiques comme le caractère colonial de l’empire russe puis de l’URSS et de la Russie post-soviétique ne sont pas intégrés par un bachelier. Ce qui permet à la Russie de se faire encore passer comme un soutien aux forces anti-colonialistes, par exemple en Afrique.

La Chine commence à mener des opérations de « liberté de navigation »

La Chine commence à mener des opérations de « liberté de navigation »

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 16 septembre 2024

https://www.revueconflits.com/la-chine-commence-a-mener-des-operations-de-liberte-de-navigation/


À l’image des opérations de liberté de navigation menées depuis des années près de ses côtes, la Chine commence à afficher sa présence militaire à proximité de ces mêmes pays, parfois en collaboration avec la Russie. Cela suscite des réactions de surprise de la part des nations qui en étaient à l’origine. Avec l’augmentation des tensions et des rencontres plus fréquentes, il devient crucial que tous les acteurs fassent preuve de plus grande prudence afin de réduire les risques de malentendus ou d’incidents militaires.

Freedom of Navigation Operations (FONOPs)

Bien que les États-Unis ne soient pas signataires de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS : United Nations Convention on the Law of the Sea), [1]  qui définit le cadre juridique des opérations dites de « Liberté de navigation » (Freedom of Navigation Operations, ou FONOPs), ils mènent régulièrement de telles opérations, avec une intensification notable ces dernières années, notamment à proximité de la Chine, en mer de Chine méridionale. D’autres membres du G7 suivent de près l’exemple américain. Selon eux, ces opérations ont pour objectif de réaffirmer le droit de passage inoffensif dans les eaux internationales, même si les routes maritimes commerciales de cette zone n’ont jamais été entravées.

Les FONOPs se sont intensifiées, avec une augmentation notable depuis 2015 sous l’administration Obama. Cette politique a été maintenue et renforcée sous les administrations suivantes de Trump et Biden. Les opérations ont été menées régulièrement, souvent plusieurs fois par an.Durant la période 2020 – 2023, les États-Unis ont mené environ 8 à 12 FONOPs par an en mer de Chine méridionale. Ces opérations impliquent souvent des destroyers ou des croiseurs américains. Les opérations sont également parfois soutenues par des survols d’avions de reconnaissance ou de bombardiers américains.

La Chine réagit régulièrement aux FONOPs en dénonçant ces opérations comme des provocations et des violations de sa souveraineté. Les forces armées chinoises (notamment la marine et les garde-côtes) suivent souvent de près les navires américains et ceux de ses alliés, et il y a eu des incidents de quasi-collision ou de tensions accrues entre les parties.

Pour les Chinois, ces opérations menées par les États-Unis et leurs alliés sont perçues comme du sel sur des plaies encore ouvertes. Ils considèrent que ces passages de navires et d’avions de guerre ne sont pas innocents, d’autant plus que les pays qui les réalisent sont les mêmes qui ont tenté de coloniser la Chine par la force durant le « siècle des humiliations ». L’histoire laisse des traces et suscite des réactions actuelles. La Chine estime qu’elle dispose désormais de la puissance nécessaire pour faire entendre sa voix et considère qu’il est temps de le faire dans le cadre du droit international.

Des silhouettes inhabituelles dans des zones inhabituelles

Récemment, des rapports ont signalé la présence accrue de navires et d’avions militaires chinois à proximité des côtes américaines, anglaises et françaises. Les silhouettes inhabituelles ont été aperçues dans les zones inhabituelles. Examinons quelques cas.

Cas 1 et 2 : Le 8 juillet, peu avant le sommet de l’OTAN à Washington, la Chine a envoyé des troupes de l’Armée populaire de libération pour participer à des exercices militaires en Biélorussie, près de la Pologne, ce qui peut être interprété comme un message stratégique montrant la capacité de la Chine à projeter des forces loin de ses frontières et sa proximité avec Minsk et Moscou. Peu après, le 10 juillet, la garde côtière américaine a signalé la présence de quatre navires militaires chinois près des îles Aléoutiennes, en Alaska, déclarant que cette présence respectait les normes internationales. Ces événements illustrent l’expansion des activités militaires chinoises en dehors de ses zones traditionnelles.[2]

Cas 3 : Le 24 juillet 2024, des avions militaires chinois et russes ont survolé la mer de Béring près de l’Alaska, mais sont restés dans l’espace aérien international sans pénétrer dans l’espace souverain des États-Unis ou du Canada. Le NORAD a intercepté deux bombardiers russes TU-95 et deux avions chinois H-6 dans la zone d’identification de défense aérienne de l’Alaska (ADIZ).[3]

Cas 4 : Le 28 juillet, deux navires chinois, le destroyer CNS « Jiaozuo » et le pétrolier-ravitailleur CNS « Honghu », ont participé à la Journée de la marine russe à Saint-Pétersbourg, puis ont effectué un exercice avec une corvette russe dans le golfe de Finlande avant de retourner en Chine. Les navires chinois, lourdement armés et équipés de radars sophistiqués, ont été surveillés tout au long de leur voyage par diverses marines européennes, notamment lors de leur passage près des côtes portugaises, françaises, britanniques, et belges. La Royal Navy a coordonné la surveillance avec plusieurs autres navires et un hélicoptère pour suivre le duo chinois, démontrant ainsi l’attention portée par les forces occidentales à la présence militaire chinoise en Europe.[4]

Cas 5 : Le mois dernier, le destroyer américain USS Rafael Peralta a rencontré des navires de la marine chinoise lors d’une patrouille dans le Pacifique occidental, signalant que les forces chinoises opèrent de plus en plus loin de leurs côtes. Les interactions entre les navires américains et chinois ont été qualifiées de « sûres et professionnelles » par un porte-parole de la Septième Flotte des États-Unis. Le Rafael Peralta, basé au Japon et armé de missiles et d’un canon principal, a également été impliqué dans la protection de Guam lors des déploiements chinois et russes dans la région, bien que cette mention ait ensuite été retirée d’une publication officielle.[5]

Une plus grande prudence est nécessaire

La Chine commence, donc, à pratiquer la liberté de navigation comme d’autres pays. Ces passages ont été conformes au droit international, ils reflètent l’influence croissante de ce pays réémergé dans les affaires maritimes mondiales et ont servi de rappel de la complexité des relations internationales actuelles. C’est un fait à accepter comme les opérations de liberté de navigation effectuées par d’autres pays. Cela ne signifie pas que la Chine soit un ennemi systémique des États-Unis ou de l’OTAN. Notre analyse ne devrait pas tomber dans la logique du double standard.

En même temps, avec l’augmentation des tensions et des rencontres plus fréquentes, il devient crucial que tous les acteurs fassent preuve de plus grande prudence afin de réduire les risques de malentendus ou d’incidents militaires.


[1] Convention de Montego Bay (CNUDM) et droit de la mer, GéoConfluence, Texte original : (ST et MCD). Dernières modifications (JBB), novembre 2022, mars 2023, mai 2024

[2] Laurent Lagneau, Au moins quatre navires de guerre chinois sont surveillés par l’US Coast Guard au large de l’Alaska, Zone militaire Open360.com, 11 juillet 2024

[3] Paolo Garoscio, Sécurité aérienne : des bombardiers russes et chinois au-dessus de l’Alaska, Armée, le 26 juillet 2024

[4] Laurent Lagneau, Le patrouilleur « Commandant Blaison » a surveillé deux navires de guerre chinois près des côtes françaises, Zone militaire Open360.com, 10 août 2024

[5] Newsweek, U.S. Warship Encountered Chinese Vessels on Pacific Patrol, Navy Says, Aug 12, 2024

L’impact négatif de la doctrine de l’OTAN sur les forces et le conflit ukrainiens

L’impact négatif de la doctrine de l’OTAN sur les forces et le conflit ukrainiens

par Giuseppe Gagliano* – CF2R – publié en septembre 2024

https://cf2r.org/actualite/limpact-negatif-de-la-doctrine-de-lotan-sur-les-forces-et-le-conflit-ukrainiens/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

 

©Agence Pappleweb – 2024

Guerre en Ukraine : la Russie réalise un exercice militaire XXL avec la Chine

Guerre en Ukraine : la Russie réalise un exercice militaire XXL avec la Chine

Par Cédric Bonnefoy* – armees.com –  Publié le 11 septembre 2024

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Guerre en Ukraine : la Russie réalise un exercice militaire XXL avec la Chine – © Armees.com

 

Dans un contexte de guerre en Ukraine, la Russie montre les muscles. Moscou participe à un exercice militaire d’énorme envergure avec la Chine. L’opération se déroule dans le Pacifique et nécessite la participation de milliers d’hommes.

En pleine guerre en Ukraine, la Russie affiche sa puissance

Dans un contexte où la guerre en Ukraine s’intensifie, la Russie affiche une démonstration de force colossale. En effet, elle participe à des exercices militaires massifs. Ces derniers sont orchestrés en collaboration avec la Chine. La manœuvre, baptisée « Océan-2024 », mobilise plus de 90 000 soldats, 400 navires et 120 aéronefs. Il s’agit d’une manœuvre d’une ampleur sans précédent depuis « trois décennies » selon Vladimir Poutine. De plus, elle se déroule dans des zones stratégiques, telles que le Pacifique et l’Atlantique.

L’objectif est de tester les capacités militaires russes tout en renforçant les liens avec Pékin. L’exercice Océan-2024, s’étendant sur plusieurs océans et mers, permet également de tester l’efficacité des troupes à utiliser des armes de haute précision et à défendre les routes maritimes.

Depuis le début de l’invasion en Ukraine en février 2022, les relations sino-russes se sont considérablement resserrées. En effet, la Chine n’a jamais condamné cette offensive. De plus, elle renforce ses collaborations militaires avec Moscou. Ainsi, cet exercice militaire de grande ampleur reflète cette alliance stratégique. Le président Vladimir Poutine, lors de son discours d’ouverture, a dénoncé les « actions agressives » des États-Unis et de leurs alliés dans la région Asie-Pacifique. Ce dernier affirme que la Russie doit se préparer à toute éventualité, ce qui souligne l’importance de cet exercice pour affirmer leur puissance.

Une démonstration de force, un message à l’Occident

Avec la participation de la Chine, cet exercice militaire vise aussi à envoyer un message clair aux puissances occidentales. Selon Moscou, ces manœuvres témoignent de la montée en puissance de la coopération militaire sino-russe, un partenariat qui devient de plus en plus préoccupant pour les États-Unis et ses alliés. En effet, le Japon a récemment signalé la présence de navires chinois naviguant vers la Russie dans la mer du Japon, ce qui n’a fait qu’exacerber les tensions dans la région.

D’autre part, cette mobilisation militaire impressionnante survient dans un contexte où les pays occidentaux, menés par les États-Unis, augmentent leur présence dans la région Asie-Pacifique, ce qui est perçu comme une menace par Moscou et Pékin. Cette démonstration de force est donc un moyen pour ces deux nations de réaffirmer leur influence. Mais aussi, de rappeler leur capacité à agir en tandem pour défendre leurs intérêts communs surtout dans un contexte de guerre en Ukraine.

*Cédric Bonnefoy est journaliste en local à la radio. À côté, il collabore depuis 2022 avec Économie Matin.

NGRC : Airbus, Leonardo et Sikorsky sélectionnés pour plancher sur l’hélicoptère militaire de demain

NGRC : Airbus, Leonardo et Sikorsky sélectionnés pour plancher sur l’hélicoptère militaire de demain


A l’occasion du salon Farnborough, fin juillet, l’Agence OTAN de soutien et d’acquisition (NSPA) a notifié trois contrats de développement à Airbus Helicopters, Lockheed Martin Sikorsky, et Leonardo pour la réalisation d’études conceptuelles détaillées dans le cadre du programme « Next Generation Rotorcraft Capability » (NGRC) de l’OTAN.

Pour rappel, le programme NGRC a été lancé fin 2020 à l’initiative de la France, de l’Italie, du Royaume-Uni, de la Grèce et de l’Allemagne, rejoints par la suite par les Pays-Bas et le Canada, tandis que les États-Unis et l’Espagne conservent un rôle d’observateur au sein du programme. Il vise à concevoir une nouvelle génération d’hélicoptère de transport et d’assaut, dont les caractéristiques générales avaient été abordées dans un précédent article. A la clé : le remplacement de près d’un millier d’hélicoptères de manœuvre à partir de 2035.

Des industriels européens enfin impliqués dans le NGRC

Les trois contrats qui viennent d’être signés forment le cinquième et dernier volet des études préliminaires lancées dans le cadre du NGRC. Rappelons que, outre deux volets portant respectivement sur les technologies et les concepts opérationnels, menés par les états membres eux-mêmes, deux autres volets avaient déjà été attribués à des industriels : une étude portant sur les modes de propulsion pour les futurs hélicoptères, confiée à GE Aerospace, et une autre portant sur les architectures ouvertes et les écosystèmes numériques confiée à Lockheed Martin. Deux industriels américains, alors même que Washington n’a qu’un rôle d’observateur dans ce programme.

Vue d'artiste 3D d'un concept de NGRC d'Airbus
Airbus a dévoilé une vue d’artiste présentant un hélicoptère futuriste d’allure conventionnelle, mais présentant de petites hélices propulsives pour gagner en vitesse en autonomie. Reste à voir si ce sera représentatif de la proposition de l’hélicoptériste européen pour le NGRC. © Airbus

Une situation qui semble enfin s’inverser avec la sélection de deux industriels européens, Airbus et Leonardo, aux côtés de l’américain Sikorsky, filiale de Lockheed Martin. Chacun sera chargé de « réaliser des études détaillées sur les concepts de plateforme dans le cadre du programme Next Generation Rotorcraft Capability (NGRC). » Pas question donc, pour le moment, de financer le développement de prototypes ou même de démonstrateurs, mais simplement de proposer une architecture capable de répondre aux attentes de l’Alliance.

Un NGRC qui s’éloigne du Future Vertical Lift américain… pour l’instant.

Il faudra attendre un peu plus d’un an pour connaître plus en détail ces différentes architectures, même si chaque industriel a déjà exposé son approche générale. Leonardo devrait ainsi continuer dans la voie des rotors basculants (tilt-rotors), déjà adopté pour son AW609 destiné au marché civil. Airbus, de son côté, va sans doute proposer un dérivé de son RACER, en intégrant des hélices propulsives sur une architecture d’hélicoptère relativement conventionnelle. Lockheed Martin Sikorsky, de son côté, va ainsi profiter de ses travaux sur le X2, le S-97 Raider et le SB-1 Defiant, et présenter un engin doté de deux rotors contrarotatifs.

Lockheed Martin Sikorsky : qui perd gagne ?

La sélection par l’OTAN de Lockheed Martin Sikorsky est intéressante à plus d’un titre. Ces dernières années, le géant américain a déployé de gros efforts pour convaincre la NSPA du bien-fondé de sa formule, particulièrement depuis l’échec du SB-1 Defiant dans le cadre du programme FLRAA de l’US Army, et plus encore après l’abandon du programme FARA avant même le premier vol du S-97 Raider. Dès lors, Sikorsky n’a pas d’autre solution que de viser le marché européen – et les fonds de développement de l’OTAN – afin de rentabiliser ses nombreux investissements.

Sikorsky, désormais filiale de Lockheed Martin, s’appuiera sur ses précédents travaux afin d’élaborer une proposition sérieuse pour le NGRC. Sur le papier, la formule à doubles rotors contrarotatifs et hélice propulsive présente de gros avantages en matière de performance, pour une empreinte au sol maîtrisée. Toutefois, de tels engins restent complexes à entretenir sur le terrain. © Lockheed Martin

Pour Washington, une sélection de Sikorsky pour les futures étapes du NGRC pourrait même être vu comme un bon moyen de maintenir une double production d’engins de nouvelle génération, avec un Bell V-280 Valor financé par l’US Army, et un dérivé du Raider financé par l’OTAN et certains pays européens.

Une solution unique pour l’OTAN ?

Heureusement, nous n’en sommes pas encore là. Les différents concepts seront présentés en fin d’année prochaine. Si le programme NGRC se poursuit au-delà, une de ces solutions pourrait être développée et industrialisée à large échelle afin de livrer les premiers clients vers 2035. Et rien n’empêche d’imaginer que, à la suite de la phase actuelle, plusieurs candidats se rapprochent afin de présenter une solution commune aux différents pays membres de l’initiative.

Vue aérienne de l'hélicoptère convertible AW609
Pour l’instant, Leonardo n’a pas dévoilé de vue d’artiste précise de son concept de NGRC. On sait toutefois qu’il sera basé sur les travaux menés dans le cadre du programme civil AW609. Leonardo s’étant récemment rapproché de Bell, on peut également s’attendre à une proposition inspirée du V-280 Valor. © Leonardo

Car, l’histoire nous l’a montré, les programmes otaniens de cette ampleur sont éminemment politiques. Difficile d’imaginer que les pays aujourd’hui à l’origine du NGRC, et qui sont les héritiers d’Agusta Westland, d’Eurocopter et de NHIndustries, acceptent de financer pleinement le développement d’un nouvel hélicoptère si celui-ci devait être confié uniquement à un industriel américain. Et inversement, on imagine bien que la gestion quelque peu chaotique du programme NH90 ne doit pas laisser que de bons souvenirs aux industriels européens.

Dès lors, à moins d’un fort rapprochement entre acteurs européens, à la fois sous l’égide du NGRC et sous l’impulsion du programme européen ENGRT, on risque fort de voir cette initiative de l’OTAN s’éparpiller dans plusieurs directions, au grès des investissements nationaux et des accords entre partenaires. On se rappellera peut-être que, dans les années 1950, le programme NBMR-1 avait échoué à doter l’ensemble de l’OTAN d’un avion d’attaque au sol léger commun. Mais l’élan industriel offert par cette compétition nous avait tout de même donné le G.91 italien, l’Étendard français et, d’une certaine manière, le F-5 américain, autant de symboles de leurs industries nationales respectives. A voir quel chemin prendra le NGRC.

Le marché mondial des drogues, une géo-économie singulière particulièrement dynamique ?

Le marché mondial des drogues, une géo-économie singulière particulièrement dynamique ?

Le marché mondial de la cocaïne Statistica

 

Par Florian Manet – Diploweb – publié le 8 septembre 2024  

https://www.diploweb.com/I-Le-marche-mondial-des-drogues-une-geo-economie-singuliere-particulierement-dynamique.html


L’auteur s’exprime à titre personnel. Colonel de la gendarmerie nationale, Florian Manet est essayiste, expert en sûreté globale, chercheur associé à la Chaire « Mers, Maritimités et Maritimisation du monde » de Sciences Po Rennes. Auteur du « Crime en bleu. Essai de Thalassopolitique » publié aux éditions Nuvis (2018), il publie un nouvel ouvrage intitulé « Thalassopolitique du narcotrafic international, la face cachée de la mondialisation » aux éditions EMS avec le soutien financier et scientifique de la Fondation de prospective maritime et portuaire SEFACIL et avec le partenariat opérationnel d’IRENA GROUP et de « Global Initiative Against Transnational Organized Crime » (GI-TOC). Cet ouvrage est préfacé par le général de corps d’armée (Gendarmerie) Jean-Philippe Lecouffe, directeur exécutif adjoint en charge des opérations à EUROPOL, l’agence européenne de police, tandis que Pierre Verluise, docteur en Géopolitique et fondateur du Diploweb.com clôture par la post-face cette réflexion géopolitique thalassocentrée.

Le marché mondial des drogues s’impose par une géo-économie singulière particulièrement dynamique. Exploitant les mécanismes capitalistes, il se fonde sur une offre diversifiée et évolutive, en hausse croissante en volume. Les produits majeurs sont issus de la transformation de la fleur de cannabis et de la feuille de coca. Néanmoins, les nouvelles drogues de synthèse inondent le marché par des conditionnements plus conventionnels qui se noient naturellement dans le flux des marchandises. La demande ne cesse de croitre en volume mais aussi en ouvrant sans cesse de nouveaux marchés par un subtile processus de contamination. A tel point que – in fine – les usages s’uniformisent sur le plan mondial. De fait, une géographie des zones de production et des laboratoires de raffinement ou de transformation chimique des substances se dessine, laissant émerger des espaces spécialisés au sein d’un marché global.

LES MUTINERIES observées dans les centres pénitenciers de Guayaquil en Équateur et la création d’une Alliance des ports au sein de la Rangée nord-européenne en janvier 2024, la saisie en océan Atlantique de 10 tonnes de cocaïne le 20 mars 2024 constituent autant d’illustrations complémentaires d’un phénomène mondial qui impacte la stabilité des États et met en péril l’ordre public socio-économique des sociétés. Il s’agit du commerce illicite de substances stupéfiantes et psychotropes qui répond à une consommation croissante et de plus en plus diversifiée à l’échelle mondiale. Au-delà des seuls impacts sur la santé publique, le narcotrafic constitue une activité criminelle globalisante qui implique l’ensemble des continents mais aussi les espaces océaniques. Ainsi, fort d’un chiffre d’affaire imposant, une complexe géo-économie criminelle tire grand profit de la globalisation de l’économie et des réalités géopolitiques à l’échelle mondiale.

 
Florian Manet
Florian Manet publie un nouvel ouvrage intitulé « Thalassopolitique du narcotrafic international, la face cachée de la mondialisation » aux éditions EMS (2024). F. Manet a précédemment publié « Le crime en bleu. Essai de thalassopolitique« , ed. Nuvis, 2018.
Manet/Diploweb

S’interroger sur un phénomène criminel transnational comme le narcotrafic, c’est se plonger dans les arcanes logistiques d’un commerce international fondamentalement maritimisé. C’est aussi mettre à jour une économie souterraine prolifique centrée sur le consommateur et qui fait vivre des millions de personnes à travers le monde. C’est enfin déterminer l’impact géopolitique porté par la criminalité organisée sur les relations internationales et sur la stabilité interne de sociétés où l’autorité de l’État se trouve être contestée.

Cette géo-économie souterraine particulièrement dynamique se caractérise par des productions en augmentation constante (1) qui alimentent un marché mondial des drogues en expansion durable (2). De manière synthétique, la situation internationale du marché des drogues peut se résumer à la formule suivante « Partout, tout, tout le monde [1] ».

1. Des productions en augmentation constante

Le marché mondial des drogues témoigne d’un dynamisme remarquable à tel point que l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT) résume ainsi la situation particulière de ce marché illicite : « Partout, tout, tout le monde ». La disponibilité de produits stupéfiants quels qu’ils soient reste très élevée à l’heure actuelle (11). Comme toute activité économique licite, elle repose sur le système dynamique de l’offre et de la demande réparti sur l’ensemble du globe (12). La rareté et la pureté sont les deux critères définissant le cours des différentes substances.

11. Une pluralité de produits naturels comme chimiques concoure à la diversité de l’offre

Le marché des drogues témoigne d’une profonde diversité et d’une évolution constante de l’offre. Intégrant les nouvelles pratiques addictives absentes de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention internationale sur les substances psychotropes [2] catégorise les produits selon l’évaluation du risque sur la santé publique et selon leur valeur thérapeutique. Il s’agit soit de produits d’origine naturelle à l’image de la feuille de coca, de la fleur de cannabis ou encore du pavot somnifère, soit de substances issues d’un processus de transformation chimique de molécules.

Les produits naturels, entre consommation traditionnelle et dépendance aux substances psychotropes

Certains produits relèvent d’une tradition bien souvent ancestrale. Ainsi, la civilisation pré-incaïque Tiwanaku [3] cultivait déjà la feuille de coca. Présente au sein de rites et de croyances, elle était donc associée à une dimension culturelle essentielle. L’avènement des Incas a restreint l’usage de cette plante aux seules élites même si, en cas de crise, elle pouvait être distribuée aux populations. Elle revêt, aussi, une fonction mystico-religieuse fondatrice de cette civilisation. Des qualités éminentes lui sont déjà reconnues : substitut alimentaire, valeur énergisante, remède puissant au mal causé par l’altitude et oubli des malheurs. Les feuilles sont mâchées ou infusées et bues sous forme de thé appelé « mate de coca  ». La colonisation espagnole a finalement reconnu, après de nombreux débats autour de l’éradication de sa culture, l’intérêt que présentait cette feuille dans l’ordre public des Incas. Actuellement, la feuille de coca est partie intégrante de la culture bolivienne ancestrale consacrée par l’article 384 de la Constitution de la République de Bolivie : « L’État protège la coca, une plante ancestrale et indigène, comme un patrimoine culturel, une ressource naturelle de la biodiversité de la Bolivie, et comme un facteur d’unité sociale. A son état naturel, la coca n’est pas un narcotique ». Le dilemme observé entre la référence culturelle et les pressions émanant des pays développés consommateurs de cocaïne constitue le fil conducteur de la gestion de la culture de la coca par les autorités boliviennes. La guerre déclarée à cette pratique agricole intervient initialement comme une réaction face à l’explosion de la consommation sur les marchés occidentaux dans les années 1970. Dès lors, déterminer la superficie des cultures sera au cœur des enjeux des politiques publiques et cristallisera aussi les tensions dans la lutte contre les drogues. En effet, les aspects socio-économiques au sein des pays producteurs conditionnent largement la régulation des cultures -vivrières à bien des égards – d’autant plus si la vocation des substances ainsi transformées est l’exportation vers les marchés de consommation. Toutefois, la réalité du trafic finit aussi par s’inscrire dans une logique de rivalité avec l’État central et, parfois, simultanément, avec une concurrence entre acteurs criminels.

La chimie dévoyée crée de nouveaux produits et stimule des usages associés en perpétuelle évolution

L’industrie pharmaceutique exploite usuellement des molécules issues de produits naturels. Ces cultures ont donc un usage hybride : l’un légal recherché pour ses effets notamment en médecine tandis que l’autre exploite ces vertus à des fins psychotropes et crée un effet de dépendance majeure. Ceci illustre aussi la complexité des stratégies de lutte contre les cultures de ces plants, enracinés avant tout dans un usage coutumier et légal. Ainsi, par exemple, l’opium dans ses divers dérivés fournit des substances alcaloïdes aux principes psychoactifs. Ces composants sont employés en médecine à l’image de la morphine ou de la codéine pour leurs effets analgésiques.

Plus largement, de « nouveaux produits de synthèse [4] » sont fabriqués en laboratoire imitant des effets du cannabis, de la MDMA, de l’ecstasy ou des amphétamines. Apparaissant très régulièrement sur le marché, les organisations internationales comme les États n’ont pas encore eu le loisir de classer ces substances comme stupéfiants, échappant donc à la législation. De plus, l’exemple du Captagon illustre un phénomène de dévoiement de médicaments de leur usage initial. Le Captagon est, en effet, une substance développée par un groupe pharmaceutique allemand dans les années 1960 destinée à traiter la narcolepsie et les troubles du déficit de l’attention. Il contient diverses concentrations d’amphétamine [5]. A partir des années 1990, l’usage de ce médicament se répand de manière récréative au Moyen-Orient, notamment en Arabie saoudite, où il trouve son marché principal [6].

12. Une géographie des productions et de la transformation

Les zones de production et de transformation des produits obéissent à des logiques de milieu naturel mais aussi d’infrastructures et de contextes légaux. Autant la culture semble figée, autant les activités de transformation et de production de substances chimiques sont évolutives dans le temps comme dans l’espace. Cela impose de fait un suivi étroit de cette activité qui – rappelons-le – est hybride.

Une géographie des cultures conditionnée par le milieu physique

La géographie des cultures de plantes est déterminée par la qualité des sols, des conditions d’humidité et d’ensoleillement. Même si elles pourraient être étendues à d’autres territoires, il apparaît que les cultures sont très concentrées dans l’espace et au sein même des pays producteurs. Ainsi, la culture du cocaïer est présente dans trois pays andins (Colombie, Bolivie et Pérou). Elle couvrait 315 500 hectares en 2021 (en nette augmentation par rapport à 2020) pour une production annuelle totale de 2 304 tonnes (septième année d’augmentation consécutive). Le pavot somnifère ou pavot à opium se partage entre le Triangle d’or (Myanmar, Laos, Birmanie) et le Croissant d’or (Afghanistan, Pakistan, Iran). Le cannabis est principalement cultivé dans la région du Rif au Maroc mais aussi, dans une moindre mesure, en Afghanistan, en Inde, au Pakistan ou encore au Mexique. L’observation des zones de culture quelles que soient les espèces considérées mène à une conclusion commune : une localisation systématique dans les marges périphériques de l’État, bien souvent dans des secteurs montagneux difficiles d’accès. Comment les autorités publiques contrôlent-elles de tels territoires ? Et, en creux, sont interrogées les capacités à conduire des politiques répressives efficaces face aux tenants de cette économie souterraine.

Des chaînes de transformation décentralisées au plus près des clients

Les drogues résultent d’un processus complexe de transformation des produits naturels comprenant l’adjonction de produits chimiques appelés précurseurs. La tendance actuelle consiste de plus en plus à « casser » le cycle de transformation en réservant les dernières phases du processus dans des laboratoires de raffinement implantés au plus près des marchés de consommation, notamment en Europe. Ainsi, le chlorhydrate de cocaïne est désormais exporté tel quel en vue de son affinage.

La production de molécules par l’industrie pharmaceutique est localisée sur l’ensemble des continents. Des sites de production de méthamphétamine ont été identifiés notamment en Inde, en Corée du Nord mais aussi au Mexique comme aux Pays-Bas. Parfois, ces chaînes de production illégales peuvent s’avérer complexes et spécialisées. Si le marché de consommation du Captagon continue de progresser au Proche et au Moyen-Orient, étant plus timide en Europe, des laboratoires ont, néanmoins, été identifiés en Europe (Pays-Bas). Il apparaît une décentralisation de la chaîne de production de cette drogue : la phase technique de synthèse des molécules établie en Europe permet de constituer de la matière première qui est ensuite expédiée en vrac afin d’être affinée, coupée et conditionnée principalement au Liban. Une telle organisation pose de nombreux défis en terme de détection des flux et d’identification des acteurs répartis sur plusieurs continents.

Comment caractériser le dynamisme du marché mondial des drogues ?

2. Une offre croissante alimente un marché mondial des drogues en expansion constante

Le marché mondial des drogues se caractérise par un dynamisme (21) commun à toutes aires de consommation (22).

21. Les dynamiques du marché de consommation des drogues

L’offre croissante et diversifiée de drogues répond à un marché dont la physionomie se résume aux caractéristiques suivantes :

. un public de consommateurs en forte augmentation. 29 % des adultes de l’Union européenne (UE) âgés entre 15 et 59 ans ont consommé au moins une fois une drogue illicite, soit plus de 83,4 millions de consommateurs. L’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime [7] recensait, en 2009, 210 millions de consommateurs réguliers soit 4 ,8 % de la population mondiale âgée entre 15-64 ans. En 2019, ce sont 275 millions de consommateurs au plan mondial soit 5 ,4 % de cette même tranche d’âge soit une augmentation de 22 % par rapport à 2009. La population des pays en développement connaît, actuellement, une croissance des usages de drogue plus rapide que celle observée dans les pays développés et, ce, indépendamment des croissances différenciées de la population en fonction du niveau de développement. Cette tendance est très marquée pour les jeunes et les jeunes adultes. L’usage récent du cannabis en Amérique du Sud illustre la recomposition des marchés à la suite des nouvelles pratiques ;

. un volume croissant de produits stupéfiants disponibles souvent de teneur ou de pureté élevée. Le marché de la cocaïne est l’un des plus dynamiques au sein de l’UE. La forte disponibilité de la cocaïne s’accompagne certes d’une stabilité des prix mais aussi d’un niveau de pureté inégalée depuis une décennie. Selon l’OEDT, le taux de pureté est étalonné entre 23% et 87 % en Europe. Cependant, plus de la moitié des États-membres estiment que le taux est compris entre 53 % et 69 %. La France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne et le Royaume-Uni représentent 66 % de la population européenne mais plus de 87 % des consommateurs de cocaïne. De nouveaux marchés en développement sont identifiés comme en Pologne, au Danemark et en Suède mais aussi en Océanie ;

. une grande variété de produits mis à disposition dont des drogues de synthèse et des substances falsifiées ;

 
Figure 1 : Estimation du nombre de consommateurs de drogue illicite dans l’UE en 2022 et tendances des saisies de drogues (période 2010- 2020)
Manet/Diploweb.com

. Des modes de consommation de drogues de plus en plus complexes : poly-consommation, mélange avec des médicaments, de nouvelles substances psychoactives non réglementées et des substances type kétamine ou GBL/GBH ;

. L’UE est producteur de certaines drogues (méthamphétamine, cannabis), pour la consommation intérieure et le marché mondial comme en témoigne le démantèlement de plus de 350 installations de production en 2020 ;

. Des impacts majeurs en matière de santé publique. On estime qu’au moins 5 800 décès [8] par surdose, impliquant des drogues illicites, sont survenus dans l’UE en 2020, soit un taux de mortalité de 16,7 décès par million d’habitants (population adulte). La plupart de ces décès sont associés à une poly-consommation qui implique généralement des combinaisons d’opioïdes illicites, d’autres drogues illicites, de médicaments et d’alcool.

Selon le rapport 2019 [9], le marché des drogues européen est estimé, en valeur, à plus de 30 milliards pour l’exercice 2017.

 
Figure 2 : composition du marché des drogues de l’Union européenne sur la base de 2019
Manet/Diploweb.com

22. Les zones de consommation

Établir une cartographie des foyers de consommation constitue un exercice délicat supposant des données fiables et uniformes collectées dans l’ensemble des États. Ce travail nécessite aussi d’être régulièrement remis en cause par la diffusion de nouveaux usages et de nouvelles tendances liées aux pratiques addictives. Sans chercher l’exhaustivité, il convient de se focaliser sur les traits principaux :

. Le primat économique : la motivation fondamentale du narcotrafiquant est certes l’exercice d’un pouvoir sur un territoire donné mais avant tout l’appât du gain. La rareté demeure un critère de cotation des substances psychotropes et stupéfiantes. Le cours du gramme de cocaïne disponible sur un marché peut constituer, par exemple, un outil d’anticipation des futurs conquêtes. Ceci est bien évidemment transposable aux autres substances. Ainsi, les pays d’Asie du Sud-Est tout comme l’Océanie émergent parmi les marchés les plus lucratifs. Néanmoins, il s’agit de rester attentif à l’évolution du comportement addictif de la population, notamment à Hong-Kong, Macao ou encore à Taïwan. Il en est de même en Arabie Saoudite où le prix élevé peut aussi signifier une forte demande malgré une disponibilité réduite de la cocaïne. Ces critères peuvent séduire des opérateurs criminels dans leurs entreprises.

 
Figure 3 : Cours du gramme de cocaïne en fonction des pays, période 2018-20, en US dollar
Manet/Diploweb.com

. Le jeu circonstanciel des alliances entre opérateurs criminels

L’évolution de la composition du marché de la cocaïne est très illustrative de cette « Realpolitik » illicite. Au début des années 1980, émerge un système intégré voire monopolistique caractérisant le marché de la cocaïne aux mains exclusives d’organisations colombiennes. La cible est principalement le marché nord-américain alors en pleine expansion. Les cartels colombiens sont mis en échec par les autorités américaines lors de l’expédition de leurs cargaisons de cocaïne via les Caraïbes et, ce, aussi bien par voie maritime qu’aérienne. Le franchissement de la frontière terrestre mexico-américaine longue de 3600 kilomètres devient l’enjeu majeur. Ceci leur impose, de fait, de solliciter les cartels mexicains qui maîtrisent, parfaitement, ces techniques. Ainsi, la répartition des rôles est précisément définie. Les Colombiens assurent la fourniture de la drogue tandis que les Mexicains réalisent la mise sur le marché. Ce « service » est initialement rémunéré en numéraire puis, progressivement, en cocaïne à hauteur de 50 %. Ce changement opéré dans la rétribution contribue à modifier l’attitude du partenaire mexicain qui, en conséquence, gagne en autonomie. Interlocuteur unique des consommateurs américains, disposant de plus en plus de produit, il impose ses propres règles dans la transaction illicite et assoie définitivement son monopole. Les Colombiens sont alors progressivement réduits à un rôle de fournisseurs de substances psychotropes.

Cette répartition des rôles se double d’une spécialisation géographique. Les cartels colombiens misent alors sur le marché européen évalué comme étant beaucoup plus rémunérateur. De fait, ils mettent sur pied une stratégie commerciale s’appuyant sur une logistique bien plus complexe, nécessitant de traverser l’océan Atlantique. Ainsi, dès les années 2000, les cartels colombiens investissent l’Europe, exploitant la proximité linguistique et l’expérience des réseaux de contrebande de tabac et s’appuyant sur les organisations criminelles implantées en Galice [10]. Ce marché est perçu comme plus intéressant et moins risqué que le marché américain. En vérité, l’Europe est appréhendée comme un marché ouvert, sans barrière et sans grand risque dans l’importation comme dans la répression de ces trafics. Les estimations chiffrées [11] révèlent le changement radical dans les marchés de la cocaïne. En 1998, 267 tonnes sont expédiées aux États-Unis d’Amérique tandis que l’Europe en reçoit 63 tonnes. L’année 2008 constitue le point d’inflexion avec une baisse de 40 % (160 tonnes) des ventes aux États-Unis et corrélativement une hausse significative de près de 100 % pour l’Europe (124 tonnes estimées). Le bilan financier 2009 valide définitivement les équilibres entre foyers de consommation : l’Europe fournit, pour sa part, plus de 50 % des profits aux organisations criminelles sud-américaines tandis que le continent nord-américain « pèse » pour un tiers des revenus.

. La contamination par de nouveaux usages de population : les pays d’Afrique de l’Ouest jouent le rôle de rebond de flux d’approvisionnement du marché européen de la cocaïne. Le fret illicite est reconditionné sur les quais de déchargement de la rangée ouest-africaine. Au fur et à mesure, les populations locales ont découvert les « usages » de ces substances, initiant ainsi un nouveau marché de consommation. Un autre phénomène est observé en Amérique du Sud, réputée initialement pour sa production et sa capacité d’exportation de la cocaïne. Il s’agit de flux inversés alimentant ce sous-continent de cannabis sous toutes ses formes ;

. Des usages spécifiques  : le Captagon demeure une substance consommée en très grande majorité au Moyen-Orient, notamment en Arabie Saoudite. Autrefois lié aux djihadistes de l’État islamique, ce stimulant connaît un usage préoccupant qui, désormais, s’étend.

*

Ainsi, le marché mondial des drogues s’impose par une géo-économie singulière particulièrement dynamique. Exploitant les mécanismes capitalistes, il se fonde sur une offre diversifiée et évolutive, en hausse croissante en volume. Les produits majeurs sont issus de la transformation de la fleur de cannabis et de la feuille de coca. Néanmoins, les nouvelles drogues de synthèse inondent le marché par des conditionnements plus conventionnels qui se noient naturellement dans le flux des marchandises. La demande ne cesse de croitre en volume mais aussi en ouvrant sans cesse de nouveaux marchés par un subtile processus de contamination. A tel point que – in fine – les usages s’uniformisent au plan mondial. De fait, une géographie des zones de production et des laboratoires de raffinement ou de transformation chimique des substances se dessine, laissant émerger des espaces spécialisés au sein d’un marché global.

Comment s’effectue la logistique de ces substances ? Quel rôle joue le transport maritime, trait d’union entre ces espaces aux fonctions de production, transit et consommation ?

A suivre : Florian Manet, Thalassopolitique du narcotrafic, la face cachée de la mondialisation ? II. Le marché mondial des drogues, une maritimisation irrésistible du narcotrafic ? Publication prévue d’ici fin septembre.

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Des légionnaires du 2e Régiment Étranger d’Infanterie vont participer à l’exercice Brunet-Takamori au Japon

Des légionnaires du 2e Régiment Étranger d’Infanterie vont participer à l’exercice Brunet-Takamori au Japon


Depuis que leurs relations ont été élevées au rang de « partenariat d’exception », en 2013, la France et le Japon n’ont de cesse de renforcer leur coopération militaire, notamment au niveau opérationnel, les initiatives en matière d’armement, malgré les ambitions affichées, ayant été plutôt timides jusqu’à présent.

Ainsi, en mai, les deux pays sont convenus d’aller plus loin encore en ouvrant des négociations sur un accord d’accès réciproque à leurs bases militaires afin de favoriser « l’interopérabilité » entre leurs forces armées respectives, via la tenue d’exercice conjoints et la participation à des opérations régionales.

À vrai dire, les liens militaires entre la France et le Japon sont très anciens puisqu’ils remontent à la mission du capitaine Jules Chanoine, qui avait été chargée de former l’armée du shogun Yoshinobu Tokugawa. En outre, Paris contribua à l’essor des forces aériennes japonaises dans les années 1920. Seulement, cette relation prit fin lors de la Seconde Guerre Mondiale, avec l’invasion de l’Indochine par les troupes nippones.

Quoi qu’il en soit, ces dernières années, les activités menées avec les forces d’autodéfense japonaises ont surtout concerné l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] et la Marine nationale.

Mais, depuis 2023, elles se sont élargies au combat terrestre, avec l’organisation de la première édition de l’exercice Brunet-Takamori [en référence au général Jules Brunet et à Saigō Takamori, le « dernier samouraï »] en Nouvelle-Calédonie, avec la participation du Régiment d’infanterie de marine du Pacifique de Nouvelle-Calédonie [RIMaP-NC] et de 5e Régiment d’infanterie de la Force terrestre d’autodéfense japonaise.

Pour sa seconde édition, l’exercice Brunet-Takamori se déroulera au Japon, plus précisément aux camps de manœuvre d’Ojyojibara et d’Iwateyama, situés dans la province d’Aomori. À cette occasion, l’armée de Terre y engagera une cinquantaine de légionnaires du 2e Régiment Étranger d’Infanterie [REI], qui relève de la 6e Brigade légère blindée. De son côté, la force terrestre d’autodéfense nippone mobilisera son 39e Régiment d’Infanterie [RI].

Devant avoir lieu du 8 au 21 septembre, l’exercice Brunet-Takamori « s’inscrit dans la montée en puissance du partenariat opérationnel des deux pays depuis 2022 », a précisé le ministère des Armées, via un communiqué. Il permettra « aux forces armées japonaises et françaises de s’entraîner dans les domaines de la lutte contre-guérilla et des opérations Commando » ainsi que dans celui de « l’appui drone au combat », a-t-il ajouté.

« La première édition de l’exercice, conduite en Nouvelle-Calédonie en septembre 2023, avait constitué une première étape essentielle dans le rapprochement opérationnel des forces terrestres des deux pays, en donnant l’opportunité de développer de manière concrète une stratégie convergente en faveur de la paix et de la stabilité dans la zone Indopacifique », a conclu le ministère.

Cela étant, ce ne sera pas la première fois que des légionnaires participeront à des manœuvres au Japon. En mai 2021, dans le cadre de la mission Jeanne d’Arc qui, cette année-là, avait mobilisé le porte-hélicoptères amphibie [PHA] « Tonnerre » et la frégate de type La Fayette « Surcouf », deux sections de la 13e Demi-brigade de Légion étrangère [DBLE] et du 1er Régiment Étranger de Génie [REG] avaient pris part à l’exercice ARC 21 aux côtés de l’infanterie de marine nippone et de l’US Marine Corps. Organisé sur l’île de Kyushu, il s’était concentré sur les opérations d’assaut amphibie.

Photo : Édition 2023 de l’exercice Brunet-Takamori – armée de Terre

Programme SCAF : La coopération européenne va couter très, très cher à la France

Programme SCAF : La coopération européenne va couter très, très cher à la France

Après des débuts très difficiles, le programme SCAF est parvenu, en 2023, à sortir de l’ornière dans laquelle il se trouvait, grâce à un accord politique imposé fermement par les trois ministres de la Défense français, allemands et espagnols.

Depuis, le programme semble sur une trajectoire plus sécurisée, même si les engagements actuels ne portent que jusqu’à la phase 1b d’étude du démonstrateur, et qu’il sera nécessaire, à nouveau, de renégocier le partage industriel au-delà, ce qui ne manquera pas de créer de nouvelles frictions.

Au-delà des tensions entourant les questions de partage industriel, voire de cahier des charges, divergent selon les forces aériennes, un nouveau sujet de discorde pourrait émerger prochainement, tout au moins en France.

En effet, loin de représenter la solution budgétaire optimisée avancée par l’exécutif français, pour justifier de cette coopération européenne, il apparait que le programme SCAF va couter plus cher, et même beaucoup plus cher, aux finances publiques françaises, comme à ses industriels, que si le programme était développé à l’identique, par la seule base industrielle et technologique aéronautique Défense nationale, avec un écart de cout, pour les contribuables français, pouvant atteindre les 20 Md€.

Sommaire

La Coopération européenne, seule alternative pour financer le développement du programme SCAF, selon l’exécutif français

Depuis le lancement du programme SCAF, le discours de l’exécutif français, pour en justifier le développement conjoint avec l’Allemagne, puis avec l’Espagne, n’a pas dévié d’un millimètre : les couts de développement d’un avion de combat et de son système de systèmes de 6ᵉ génération, sont à ce point élevés, qu’ils ne peuvent plus être supportés par un unique pays européen, fut-il la France.

Macron Merkel
Le programme SCAF a été lancé en 2017 par Emmanuel Macron, tout juste élu Président de la République, et Angela Merkel, alors en plein bras de fer avec Donald Trump.

Le sujet a, à de nombreuses reprises, été abordé sur la scène publique, notamment par les députés et sénateurs français, interrogeant le gouvernement pour savoir si la France était en mesure de développer, seule, un tel programme, en particulier lorsque le programme était au bord de la rupture.

La réponse donnée alors, par l’exécutif comme par la DGA, avançait que si la France devait faire seule un tel programme, celui-ci serait nécessairement moins performant et moins polyvalent, que ne prévoit de l’être SCAF aujourd’hui, pour des raisons essentiellement budgétaires. En d’autres termes, pour le gouvernement français, il n’y avait point de salut, en dehors de cette coopération franco-allemande, puis européenne.

Le programme SCAF en coopération coutera 14 Md€ de moins à la France, que si elle devait le faire seule.

L’étude des chiffres disponibles, aujourd’hui, tendrait, en effet, à accréditer la position gouvernementale. Ainsi, le budget total de R&D de l’ensemble du programme SCAF qui atteindrait les 40 Md€, permettant à chaque participant de ne participer qu’à hauteur de 13,3 Md€, soit, plus ou moins, un milliard d’euros par pays et par an, jusqu’en 2036 et le début de la production des avions eux-mêmes.

Même en tenant compte de la règle empirique qui veut que le codéveloppement engendre un coefficient multiplicateur de surcout équivalent à la racine carrée du nombre de participants, soit 1,73 pour 3 pays, la France économise bien 10 Md€ sur la phase de développement du programme.
Eurofighter Typhoon forces aériennes espagnoles
L’Espagne prévoit de remplacer les 125 Eurofighter en service et à venir, par le programme SCAF.

Cet écart se creuse encore davantage en intégrant les couts d’acquisition des appareils eux-mêmes. Pour étayer cette affirmation, il est nécessaire de poser certaines valeurs de départ. Ainsi, le prix unitaire de l’avion, s’il était produit uniquement en France, sera considéré à 140 m€ TTC, avec une enveloppe complémentaire de services et équipement de 40 m€ TTC par appareil. Nous considérerons, également, que les couts de R&D, pour la France, serait de 30 Md€, et que la France fera l’acquisition de 200 appareils.

Du côté du programme SCAF européen, nous considérerons un surcout par appareil et par services et équipements de 10 %, lié à la coopération (ce qui est très faible), soit respectivement 144 et 54 m€, alors que nous diviserons par deux le coefficient multiplicateur empirique de coopération internationale passant de 1,73 (racine carrée de 3) à 1,37, en admettant une coopération exemplaire entre les trois pays et leurs industriels, et très peu de dérives comme celles observées autour des programmes A400M ou NH90, pour un cout de R&D de 36 Md€.

Enfin, nous considérerons que l’Allemagne commandera 175 appareils, et l’Espagne 125, pour un total de 300 appareils pour ces deux pays, soit le remplacement incrémental de leurs flottes d’Eurofighter Typhoon en 2040. L’ensemble de ces valeurs sont, pour l’essentiel, des valeurs conservatoires, tendant à réduire l’efficacité de la démonstration qui suit.

Sur ces bases, les 200 appareils destinés aux forces aériennes et aéronavales françaises, couteront 36 Md€ aux finances publiques, pour un programme total à 66 Md€, développement inclus, dans le cas d’un programme exclusivement national, contre 40 Md€ pour les appareils, et 52 Md€ pour le programme, dans son format actuel.

porte-avions nouvelle génération
Le programme SCAF France portera probablement sur 200 appareils ou plus, sachant qu’une quarantaine, au moins, seront nécessaires pour armer le nouveau porte-avions nucléaires PANG.

En d’autres termes, dans le cas du programme SCAF, la coopération européenne doit permettre aux finances publiques françaises, d’économiser 14 Md€, soit presque 27 % du prix du programme, par rapport à un programme exclusivement national. Alors, l’exécutif a-t-il raison de clamer le bienfondé de ce modèle ? C’est loin d’être évident, pour deux raisons : le retour budgétaire et les exportations.

Le retour budgétaire neutralise les bénéfices de la coopération sur le budget de l’État concernant le programme SCAF

Le retour budgétaire représente les recettes et économies appliquées au budget de l’État, par l’exécution du programme et de ses investissements. Il fait la somme des impôts et taxes générés directement et indirectement par les investissements, sur l’ensemble de la chaine industrielle, ainsi que des économies sociales pouvant s’appliquer au budget de l’État, du fait de la compensation des déficits sociaux.

Dans cette démonstration, pour plus d’efficacité, nous considérerons deux valeurs bornant le coefficient de retour budgétaire. La première, une valeur planché, est fixée à 50 %, dont 20 % de TVA, et 30 % d’impôts, de taxes et de cotisations sociales. Cette valeur correspond au cout des prélèvements français de l’OCDE, de 42 %, avec une TVA moyenne à 12 %, ramené à une TVA fixe à 20 % appliquée aux équipements des armées.

La seconde valeur applique un coefficient multiplicateur Keynésien aux recettes, lié à la Supply Chain de l’industrie de défense française, presque exclusivement française, entrainant une déperdition export particulièrement faible pour cette activité. En 2010, ce coefficient, en France, était de 1,39 pour l’investissement public. Nous ne prendrons, ici, que 1,3 pour un coefficient de retour budgétaire de 65 %, ce qui représente une valeur plafond largement par défaut, considérant la dimension industrielle et la dimension Defense de l’activité.

Ligne d'assemblage Dassault Aviation Merignac Rafale
L’industrie aéronautique militaire française est très peu exposée aux importations, ce qui lui confère un retour budgétaire particulièrement efficace.

En appliquant ces coefficients aux valeurs précédentes, nous obtenons respectivement un retour budgétaire de 33 Md€ (50 %) et de 42,9 Md€ (65 %), pour un programme exclusivement français, et de 22,5 Md€ (50 %) et 29,3 Md€ (65 %), pour les finances publiques françaises, dans le cas du programme européen.

Remarquez que dans ce dernier cas, nous avons appliqué un partage équipotentiel industriel entre les trois pays sur le volume total des appareils commandés, soit l’équivalent de 166,6 (=500/3) appareils produits en France.

Le solde budgétaire, la différence entre les dépenses et les recettes, s’établissent alors comme ceci :

  • Solde avec un retour budgétaire de 50 % (hypothèse basse) : – 33 Md€ pour le programme Fr, – 29,1 Md€ pour le programme EU
  • Solde avec un retour budgétaire de 65 % (hypothèse classique) : – 23,1 Md€ pour le programme Fr, – 22,4 Md€ pour le programme EU.

On le voit, une fois le retour budgétaire appliqué, la différence de cout entre les deux programmes, selon qu’ils sont exclusivement français ou en coopération européenne, à périmètre d’investissement constant, tend à considérablement se réduire, allant de 3,9 (33-29,1 Md€ en hypothèse basse) jusqu’à 0,7 Md€ (23,1-22,4 Md€ en hypothèse classique), selon les hypothèses.

Les industriels français pourraient perdre jusqu’au 55 Md€ de chiffre d’affaires sur le marché export en raison du partage industriel

Le volet des exportations a toujours représenté un sujet d’inquiétudes, en France, autour du programme SCAF. Industriels et analystes craignaient, en effet, de voir Berlin imposer son véto sur certains contrats exports clés, comme c’est le cas aujourd’hui avec la Turquie, concernant le Typhoon. Si les inquiétudes portaient bien sur le bon sujet, il est probable qu’elles ne portaient pas sur le bon volet.

Rafale Forces aériennes helléniques
Cinq des huit opérateurs de Mirage 2000 se sont déjà tournés vers le Rafale, alors qu’un sixième, le Pérou, pourrait le faire prochainement.

En effet, le principal inconvénient, concernant le programme SCAF, au sujet des exportations, n’est pas lié au périmètre ni au possible droit de véto de Berlin, mais à la ventilation de l’activité industrielle, en exécution de ces commandes internationales.

Ainsi, dans le cas d’un programme national, l’activité générée sera intégralement exécutée en France, par la BITD française, alors qu’elle sera équitablement répartie entre les trois partenaires, dans le cas du programme européen.

Ici, nous considérerons que le cout unitaire d’un appareil vendu à l’exportation équivaut à son prix unitaire hors taxe, auquel s’ajoutent deux lots d’équipements et services, contre un seul pour les armées Fr/De/Es employé précédemment.

Dans le cas d’un programme national, le chiffre d’affaires France hors taxes, réalisé pour 100 appareils exportés égale 18,3 Md€, 200 appareils pour 36,7 Md€, 300 appareils pour 55 Md€ et 400 appareils pour 73,3 Md€. Ce même CA HT pour la France, dans le cas du programme européen, égale 6,7 Md€ pour 100 appareils, 13,4 Md€ pour 200 appareils, 20,2 Md€ pour 300 et 26,9 Md€ pour 400 avions exportés.

De fait, la différence de Chiffre d’Affaires entre le programme France et européen, pour la BITD française, va de 11,6 Md€ à 46,4 Md€, en faveur du programme français, soit l’équivalent de 140 000 à 557 000 emplois annuels pleins. Sur une période de 40 ans de production (hypothèse haute), la différence représente de 5 600 à 22 300 emplois à plein temps.

L’État Français va perdre jusqu’à 24 Md€ sur le programme SCAF, en raison de la coopération européenne

Cependant, l’intérêt des exportations, pour la France, n’est pas uniquement que de créer de l’activité industrielle et des emplois. Celles-ci génèrent, en effet, des recettes supplémentaires au budget de l’État, de la même manière que précédemment, au travers d’un coefficient de retour budgétaire.

N’étant pas soumis à TVA, ce coefficient est toutefois réduit de 20 %, et les deux valeurs balises précédemment employées, se transforment donc en 50%-20%=30%, valeur planché, et 65%-20%=45 %, valeur plafond.

NGF programme SCAF
Le NGF ne représente qu’un élément du programme SCAF dans son ensemble.

Une fois appliquées aux chiffres d’affaires France générés selon l’hypothèse d’exportation, nous obtenons donc :

Retour export (30 %) Programme Fr Programme Eu Différence (m€)
100 app. exportés 5 500 2 017 3 483
200 app. exportés 11 000 4 033 6 967
300 app. exportés 16 500 6 050 10 450
400 app. exportés 22 000 8 067 13 933
Retour budgétaire appareils exportés, hypothèse à 30 %, en million d’euros.
Retour export (45 %) Programme Fr Programme Eu Différence (m€)
100 app. exportés 8 250 3 025 5 225
200 app. exportés 16 500 6 050 10 450
300 app. exportés 24 750 9 075 15 675
400 app. exportés 33 000 12 100 20 900
Retour budgétaire, appareils exportés, hypothèse à 45 %, en million d’euros.

En intégrant le solde budgétaire étudié dans la précédente section, pour les acquisitions nationales, nous obtenons donc le tableau suivant :

Solde budgétaire France total du programme SCAF, en million d’euros – en gras les seuils autoporteurs

On le voit, le seul cas dans lequel le programme SCAF Européen, s’avérerait plus performant, budgétairement parlant, qu’un programme SCAF français identique, s’observe avec un retour budgétaire en hypothèse basse de 50 % / 30 %, et avec un total export de 100 appareils, ou moins.

GCAP Tempest Royal Air Force Farnborough 2024
La Grande-bretagne prévoit d’injecter 12 Md£ dans la R&D du programme GCAP, concurrent du SCAF.

À l’inverse, dans le cas d’un retour budgétaire à 65 % / 45 %, par ailleurs loin d’être une hypothèse peu probable concernant l’industrie de défense, le programme SCAF serait non seulement jusqu’à 20 Md€ plus performant en version nationale, mais à partir de 300 appareils exportés, il atteindrait même un solde budgétaire positif, pour les finances publiques, signifiant qu’il rapporterait davantage de recettes et économies budgétaires, qu’il n’aura couté à l’état.

Or, 300 appareils, c’est précisément le nombre de Rafale aujourd’hui exportés, alors que Dassault Aviation peut, dans les mois et années à venir, d’accroitre encore considérablement ce total des ventes. Rappelons également que 70 % des pays utilisateurs de Mirage 2000 se sont tournés vers le Rafale à ce jour, et que le Pérou pourrait bien faire de même prochainement, et que le nombre de Rafale exporté excède désormais celui des Mirage 2000.

Conclusion

On le voit, programme SCAF, dans son organisation européenne actuelle, est loin d’être justifiable par des arguments budgétaires, et encore moins par d’éventuels arbitrages technologiques défavorables, s’il devait être réalisés seul. Au contraire, en dehors de la phase de R&D initiale, toutes les autres phases industrielles, se montrent beaucoup plus efficaces, budgétairement, socialement, comme en termes d’emplois créés, dans l’hypothèse d’un modèle exclusivement national.

Notons, enfin, que si la coopération facilite, aujourd’hui, le financement du programme dans sa phase initiale de R&D, nombreux sont ceux qui, autour de ce programme, s’inquiètent de la marche budgétaire considérable qu’il devra franchir, à partir de 2031, lorsque la phase industrielle débutera, et que le partage des couts perdra de son efficacité.

SCAF Robles Lecornu Pistorius
Il aura fallu l’intervention des trois ministres de la défense Lecornu (fr), Robles (Es) et Pistorius (All) pour sortir de programme SCAF de l’ornière dans laquelle se trouvait le programme depuis 3 ans.

De fait, une fois mis en perspectives l’ensemble des aspects budgétaires, mais également les difficultés industrielles rencontrées lors des négociations, le volet social, et les risques directement liés aux programmes en coopération, il apparait que rien, aujourd’hui, ne plaide en faveur de la poursuite de SCAF dans son modèle actuel, si ce n’est un dogme politique plébiscitant la coopération européenne, et l’éventuelle volonté de masquer des dépenses à venir, qu’il sera difficile de financer, par des dépenses plus aisément soutenables aujourd’hui, sur la phase de développement.

D’ailleurs, la situation est strictement la même, mais en faveur de l’Allemagne cette fois, concernant le programme MGCS, Berlin disposant effectivement de l’ensemble des compétences, et du marché international captif avec le Leopard 2, pour developper seul son nouveau char, et le rentabiliser, budgétairement, par l’exportation, ce qui sera beaucoup plus difficile à faire, pour Paris. Cependant, Berlin sait pouvoir financer seul le développement du MGCS, le cas échéant, ce qui n’est pas le cas de la France, aujourd’hui, concernant le programme SCAF, tout au moins dans le contexte politique et budgétaire du moment.

Reste qu’entre un programme à 12 ou 15 Md€, pour 300 chars de nouvelle génération, et un programme à 70 Md€, pour 200 avions de combat, il est impossible de compenser l’un par l’autre, et les pertes d’exploitation et de recettes budgétaires liées au partage au sein du programme SCAF, par celles qui seront générées par le programme MGCS, font de cet accord global franco-allemand SCAF + MGCS, un puissant tremplin pour l’industrie allemande, sans réelles contreparties pour la partie française, bien au contraire.

Article du 5 aout en version intégrale jusqu’au 14 septembre 2024