Le livret A pour financer la défense : trois députés relancent l’idée

Le livret A pour financer la défense : trois députés relancent l’idée


Trois mois après la censure par le Conseil constitutionnel d’un article de la loi de programmation militaire fléchant une partie de la collecte du livret A vers les industries de défense, trois députés déposent un nouvel amendement pour pousser le projet.

Des canons Caesar dans l'usine de Nexter/KNDS à Roanne

Des canons Caesar dans l’usine de Nexter/KNDS à Roanne (Loire)

Vincent Lamigeon / Challenges

Une partie de la collecte du livret A va-t-elle financer l’industrie de défense ? Éjecté par la porte, le projet revient par la fenêtre. Le 28 juillet dernier, le Conseil constitutionnel avait censuré un article de la loi de programmation militaire 2024-2030, l’article 52, qui prévoyait de consacrer à l’industrie militaire une partie des fonds de l’épargne réglementée. Motif du rejet : l’article, rajouté lors de la commission mixte paritaire sur le projet de LPM sous pression du Sénat, était considéré comme un « cavalier législatif », en clair une mesure hors sujet par rapport au projet de loi.

Trois mois plus tard, trois députés repartent au front sur ce dossier sensible. Le président de la commission de la défense Thomas Gassilloud (Renaissance), le député Horizons Christophe Plassard et le député LR Jean-Louis Thiériot, ont déposé le 24 octobre un amendement au projet de loi de finances 2024, qui propose d’assigner à l’industrie de défense une partie des fonds du livret A et du livret de développement durable et solidaire « aux entreprises, notamment petites et moyennes », de notre « Base industrielle et technologique de défense (BITD) ».

Frilosité bancaire

Pourquoi ce projet ? Les députés justifient l’amendement par les difficultés d’accès aux financements privés des entreprises de défense, notamment les PME. Cette frilosité bancaire avait été mise en évidence dès 2020 par le GICAT (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres), l’association professionnelle des industriels de la défense terrestre. Elle avait été confirmée par deux rapports de l’Assemblée, l’un des députés Jean-Louis Thiériot et Françoise Ballet-Blu sur le financement de la BITD, publié en février 2021, l’autre du député Christophe Plassard sur l’économie de guerre, publié en mars dernier.

L’idée de piocher dans l’épargne réglementée pour soutenir les industries de souveraineté est un serpent de mer depuis des années. C’était une des pistes suggérées par Christophe Plassard dans son rapport de mars. Celui-ci évoquait plusieurs scénarios : le fléchage de fonds du livret A ou du LDDS vers l’industrie de défense ; la création d’un livret dédié à la défense ; la création d’un plan d’épargne défense ; ou encore un emprunt d’Etat. Le Sénat avait également poussé l’idée d’un « livret d’épargne souveraineté », un livret d’épargne réglementée dédié, qu’il avait intégré au projet de LPM.

Les montants ont, de fait, de quoi faire rêver : l’encours cumulé des Livrets A et des LDDS atteint le niveau record de 551,1 milliards d’euros, un chiffre en hausse de 41,4 milliards d’euros depuis le début de l’année. Une petite partie de ces encours suffirait à combler les besoins de financement de la BITD. Mais un obstacle de taille se dresse toujours devant le projet : Bercy, qui n’a jamais caché son manque d’enthousiasme sur le sujet.

Objectif : obtenir la neutralité de Bercy

L’objectif des députés est d’obtenir, sinon un soutien du ministère de l’Economie, du moins une neutralité, un « ni oui ni non » qui permettait à l’amendement de passer la rampe. Si, comme c’est probable, un 49.3 du gouvernement sur le PLF empêche l’examen de l’amendement, les trois députés poussent à une reprise du sujet en réunion ministérielle, pour que le texte figure bien dans la loi de finances définitive. Un pari encore loin d’être gagné.

Pourquoi l’augmentation de 150 % du budget de la défense turc est-elle si inquiétante ?

Pourquoi l’augmentation de 150 % du budget de la défense turc est-elle si inquiétante ?


Turkish special Forces e1603818311768

Pourquoi l’augmentation de 150 % du budget de la défense turc est-elle si inquiétante ?


Sommaire

 

Le vice-président turc Cevdet Yilmaz a annoncé, le 17 octobre, que le budget de la défense turc atteindrait 40 Md$ en 2024, soit une hausse de 150 % par rapport à 2023. En l’absence d’explication concernant les raisons de cette hausse sans précédant, ni l’utilisation qui sera faite des crédits supplémentaires, cette annonce suscite de nombreuses inquiétudes tant au sujet des ambitions régionales d’Ankara, que des programmes militaires qui pourraient être prochainement annoncés par le président Erdogan fraichement réélu.

Si le pari de l’argument défense n’aura pas souri au PiS et au président polonais lors des récentes élections législatives, il s’est montré payant pour le président turc R.T Erdogan et l’AKP. La coalition islamo-conservatrice Alliance Populaire, dont il est le principal parti, conserve la majorité au Parlement avec 323 des 600 sièges, et rate de peu la majorité absolue des voix, avec 49,47 % des votes exprimés.

En effet, pour compenser une situation économique désastreuse, avec une Livre turque qui a perdu 80 % de sa valeur ces 5 dernières années, et une inflation dépassant les 50 %, ainsi que la gestion du séisme de mars 2023, le président Erdogan s’est appuyé sur les progrès réalisés par l’industrie de défense turque ces dernières années, et l’objectif de l’autonomie stratégique qui était désormais à portée de main.

Ces mauvais résultats économiques avaient d’ailleurs lourdement handicapé les armées ces trois dernières années. Ainsi, après 15 ans de hausse interrompue ayant amené les dépenses militaires de 10 Md$ en 2003 et l’arrivée de l’AKP au pouvoir, à plus de 20 Md$ en 2021, ce budget n’avait cessé de faire d’immenses variations, pour prendre en compte les effets de l’inflation galopante, pour s’établir à 16 Md$ en 2023.

Il n’y a donc pas surprenant, dans ce contexte, que le budget de la défense turc ait été réévalué à la hausse pour 2024. Mais personne n’avait anticipé une hausse aussi marquée.

Une hausse du budget de la défense turc sans équivalent de 150 % en un an

En effet, à l’occasion d’une conférence de presse donnée par le vide-président Cevdet Yilmaz, celui-ci a annoncé que le budget de la défense turc serait porté, en 2024, à 40 Md$, soit une hausse de 150 % vis-à-vis de celui de 2023.

Erdogan sous-marin classe reis type 214
Le soutien de R.T Erdogan à l’industrie de défense turque, permit à celle-ci de faire d’immenses progrès en 20 ans, et au pays de se rapprocher de l’autonomie stratégique.

Une telle hausse est sans précédant pour un pays n’étant pas en situation de guerre ces dernières années. Même la Pologne, particulièrement volontaire dans ce domaine, n’envisageait qu’une hausse de 50 % entre 2023 et 2024, afin de financer l’ensemble des programmes de modernisation des armées.

Le vice-président turc a indiqué que le pays atteindra, en 2024, un taux d’acquisition domestique de 85 %, et que les exportations de la BITD turque atteindront 11 Md$ en 2024, en hausse de 83 % par rapport à 2023 et ses 6 Md$ exportés.

En revanche, il n’a nullement donné le détail de la ventilation qui sera faite de cette hausse spectaculaire, qui amènera l’effort de défense du pays au-delà des 4 % de son PIB, ni les raisons ayant amené les autorités turques à arbitrer en faveur d’une telle hausse.

On ne peut, dès lors, qu’émettre des hypothèses à ces sujets, aucune d’entre elles n’étant, par ailleurs, particulièrement rassurante.

Des gages donnés aux armées et à l’industrie de défense turques ?

Les ressources supplémentaires ne pourront, dans les faits, qu’être ventilés vers deux grandes entités : les armées turques, et la BITD nationale. L’AKP et l’Alliance Populaire savent devoir beaucoup au soutien sans faille de cette dernière lors de la campagne. Il est alors plus que probable que les entreprises de défense turques seront les premières bénéficiaires de ces crédits.

Vers une hausse des soldes pour compenser l’inflation ?

Les relations entre les autorités et les armées du pays sont sensiblement plus tendues, même si, ces dernières années, de vastes purges ont permis au président Erdogan de position des militaires proches de l’AKP, aux fonctions clés des armées.

Forces spéciales turques
Une hausse sensible des soldes et traitement des militaires turcs pourrait, pour Erdogan, finir de s’assurer de leur parfait soutien.

Il est donc très probable, en premier lieu, que cette hausse serve à donner des gages aux armées turques, en permettant une modernisation rapide de ses équipements, mais aussi la hausse des soldes et des traitements, afin de s’aligner sur l’inflation du pays.

Toutefois, on notera que le budget étant exprimé en dollar américain, et non en livre turque, une hausse aussi spectaculaires n’était en rien nécessaire pour revaloriser les soldes sur la base de l’inflation, celle-ci étant, en grande partie, répercutée par la déflation de la monnaie nationale face au dollar.

Il est aussi possible que cette hausse permette d’anticiper une augmentation à venir du format des armées, et particulièrement des militaires sous contrat, même si rien n’indique qu’Ankara veuille se diriger dans cette direction.

Un effort accru pour atteindre l’autonomie stratégique ?

L’un des objectifs déclarés de cette hausse, serait de permettre d’accroitre encore davantage le taux d’équipement domestique des armées, qui doit passer de 80 % en 2023, à 85 % en 2024.

Un tel effort est aligné sur la stratégie mise en œuvre par R.T Erdogan depuis qu’il arriva au poste de premier ministre en 2003, en soutenant très activement le développement d’une puissante industrie de défense turque, susceptible d’amener, à terme, le pays vers l’autonomie stratégique.

Le fait est, la BITD turque produit aujourd’hui l’immense majorité des nouveaux équipements acquis par les armées, et le recours à des technologies importées, ne concerne désormais que quelques domaines précis et particulièrement ardus, comme les turboréacteurs des avions, les turbines des hélicoptères et des navires, ou encore les moteurs et transmissions des blindés.

TFX Kaan turquie
La Turquie n’est plus qu’à quelques encablures de l’autonomie stratégique concernant les technologies de défense. Mais les dernières compétences sont aussi les plus difficiles à acquérir, comme la conception des moteurs d’avions.

L’industrie turque a toujours également quelques lacunes en termes de métallurgie, d’optique ou de composant électronique de pointe. Les ressources supplémentaires libérées par cette hausse pourraient, dès lors, permettre d’entamer le développement et l’acquisition technologique nécessaire pour atteindre l’autonomie stratégique convoitée.

Rappelons à ce titre qu’aujourd’hui, de nombreux programmes majeurs de la BITD turque, sont handicapés par les sanctions plus ou moins officielles décrétées par les Etats-Unis, mais aussi la France, l’Allemagne, le Canada et la Suède, contre Ankara suite aux interventions des armées turques en Syrie, dans le nord de l’Irak, et en Libye.

Atteindre une réelle autonomie stratégique permettrait à Ankara de mener une politique internationale entièrement autonome, ne pouvant être entravée par les sanctions américaines ou européennes, en particulier dans le domaine des armements.

Des programmes d’acquisitions exceptionnelles planifiées ?

Char Altay turquie
Le char Altay pourrait enfin débuter sa production en série, avec l’aide de la Corée du sud pour le moteur et la transmission.

Il est aussi très possible qu’Ankara anticipe, par cette hausse massive de crédits, le lancement simultané de plusieurs programmes d’acquisition exceptionnels, planifiés de longue date.


Le reste de cet article est réservé aux abonnés

Projet de loi de finances 2024 Ce qu’il faut retenir

Projet de loi de finances 2024 Ce qu’il faut retenir

 

Le ministre des Armées a présenté le Projet de loi de finances (PLF) 2024, ce mercredi 11 octobre, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Un budget en hausse de 7,5 % par rapport à 2023. Focus sur les 5 grands points à retenir.

Poursuivre la hausse des crédits

En 2024, le budget de la Défense s’élèvera à 47,2 milliards d’€ (hors pension), soit 3,3 milliards d’€ de plus que l’année précédente. Cette enveloppe représente une progression de 7,5% par rapport à l’année 2023. Pour la 7e année consécutive, le budget des armées française est en hausse mais cette marche de 3,3 milliards d’€ est la plus importante depuis 2017. Elle permettra de mettre l’accent sur les priorités définies avec le Parlement lors de la discussion sur la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 : « Au total, le budget de nos armées aura augmenté de 46 % entre 2017 et 2024. Cet effort considérable de la Nation pour sa défense nous oblige », souligne Sébastien Lecornu, ministre des Armées.

Poursuivre la réparation des armées et engager le chantier de leur transformation

Le PLF 2024 s’inscrit dans un mouvement engagé depuis 2017, qui vise à répondre à l’impérieuse nécessité d’engager la remontée en puissance de notre appareil militaire, pour faire face à la dégradation du contexte international. Il s’agit de réparer les composantes abimées par 3 décennies de désinvestissement budgétaire, désinvestissement engagé après la dissolution du pacte de Varsovie et la fin de la Guerre froide.

Le PLF 2024 est la première marche de la LPM 2024-2030 qui vise à moderniser et transformer nos armées pour leur permettre d’affronter tout le spectre des menaces actuelles et futures. À ce sujet, il fixe 6 priorités :

  •  Le renforcement de la préparation opérationnelle ;
  •  Le renforcement des capacités de soutien ;
  •   La modernisation des infrastructures ;
  •  La modernisation de notre dissuasion nucléaire ;
  •  La remontée globale des stocks de munitions et le renforcement des systèmes de défense sol-air ;
  • La fidélisation des personnels.

    Prioriser la cohérence à la masse pour remplir nos contrats opérationnels

    Devant la commission de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale, Sébastien Lecornu a tenu à rappeler qu’« il ne servirait à rien d’avoir des centaines de canons Caesar sur étagères, si nous n’avons pas les femmes et les hommes pour les armer, le MCO et les infrastructures pour les accueillir, les munitions, les heures de formations et d’entrainement opérationnel qui vont avec et enfin les moyens logistiques pour les déployer et les soutenir en opérations. »

Paris, le 12 octobre 2023

Ainsi, le PLF 2024 vient apporter une première réponse à une ambition forte de la LPM 2024-2030. Celle qui vise à agir conjointement sur différents leviers pour trouver la cohérence optimale de notre modèle d’armée plutôt que le caractère spectaculaire des commandes de masse sur les secteurs les plus visibles.
Pour l’année 2024, cette recherche de cohérence se traduit par la combinaison de 5 facteurs :

  • La livraison d’équipements majeurs : 13 Rafale, un sous-marin nucléaire d’attaque, une frégate de défense et d’intervention, 138 véhicules blindés Griffon et 103 véhicules blindés SERVAL ;
  • Le renforcement de la préparation opérationnelle : plus de matériels disponibles, plus de stocks de munitions, plus d’heures d’entrainement de « haut de spectre » ;
  • Une hausse nette des effectifs : 456 équivalents temps plein avec un ciblage assumé vers les secteurs prioritaires (soutien, cyber, renseignement, outre-mer…) ;
  • La montée en puissance de la réserve : recrutement dès 2024 de 3 800 réservistes avec des objectifs chiffrés à chaque échelon du ministère des Armées ;
  • La remontée en puissance des soutiens et des infrastructures. Préparer la guerre de demain

    Le contexte stratégique actuel se caractérise par l’apparition de nouveaux espaces de conflictualité que nos compétiteurs tentent de militariser. C’est notamment le cas du cyber, de l’espace et des fonds marins. À ce sujet, Sébastien Lecornu rappelle l’importance pour la France de réussir les sauts technologiques : « Rien ne serait plus dangereux que de nous préparer à la guerre de demain avec les moyens d’hier. Préparer les guerres de demain ne se mesure pas uniquement à l’aune des montants investis. Il s’agit également de s’organiser pour anticiper et innover. »

    Le PLF 2024 consacre donc, près de 600 millions d’€ pour renforcer notre présence dans l’espace, grâce notamment au lancement du satellite d’observation CSO ou encore 500 millions d’€ pour le renseignement.

    Le conflit en Ukraine nous a confirmé l’importance des drones et des munitions téléopérés. Il s’agit, dès 2024 de commencer à financer les ruptures technologiques pour permettre à la France de devenir leader dans les prochaines années. Près de 430 millions d’€ seront mis sur la table soit une hausse de 43% par rapport à 2023 avec la livraison de 8 drones sous-marins et de 4 drones Patroller.

    En 2024, anticiper et financer les sauts technologiques consistera à poursuivre une politique de recherche et de développement ambitieuse dans des domaines clés où les armées françaises ont plutôt pris de l’avance. Il s’agit de l’intelligence artificielle et de l’ordinateur quantique.

    Pour l’intelligence artificielle, le PLF 2024 va déployer 100 millions d’€ pour accélérer la cartographie des fonds marins et surtout pour commencer le déploiement d’Artemis IA. Cette plateforme de traitement de données massives renforcera considérablement les capacités d’analyse de la Direction du renseignement militaire et du Service de santé des armées.

    Aviver les forces morales de nos armées et de la Nation

    L’importance de la réussite des sauts technologiques ne doit pas nous faire oublier une réalité permanente des enjeux de défense. La guerre était, est et sera toujours létale. A travers la longue histoire de la France, ses chefs militaires les plus prestigieux n’ont jamais manqué de souligner l’importance des forces morales et du lien entre les armées et la Nation. Dans ce domaine, le PLF 2024 vise à conforter une spécificité française : nous sommes aujourd’hui l’un des rares pays occidentaux à accepter d’avoir des morts dans nos rangs, pour remplir les missions qui nous sont confiées.

    A ce sujet, le PLF 2024 fixe trois priorités :

  • La reconnaissance de la Nation à ses soldats en renforçant notamment l’accompagnement des blessés ;
  • La transmission de l’esprit de défense aux plus jeunes ;
  • La participation des armées aux grands évènements qui réuniront la Nation en 2024. Il s’agit notamment

    du 80e anniversaire du Débarquement et de la Libération ainsi que les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

Nb : Plaquette « Projet de Loi de Finances 2024 » en annexe.

Projet de Loi de Finances 2024 plaquette

Que pèse Tsahal, l’armée israélienne?

Que pèse Tsahal, l’armée israélienne?

par Pierre Kupferman & Pascal Samama – BFMTV – publié Le

Israël dispose d’une armée considérée comme l’une des plus puissantes du monde. Ce pays de moins de 10 millions d’habitants consacre 4,5% de son PIB à son armement.

Tsahal est-elle comme on le dit souvent l’une des plus puissantes armées du monde? Sans nul doute du point de vue technologique, en dépenses consacrées à l’armement ou en effectif militaire mobilisable rapidement. Ce pays de 9,6 millions d’habitants, en guerre depuis sa création en 1948, est le 15e pays consacrant le plus d’argent à ses forces armées, selon le dernier rapport du Sipri, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.

En 2022, l’État hébreu a consacré 23 milliards de dollars pour ses dépenses militaires. Ce montant représente 4,5% de son produit intérieur brut (PIB), soit deux fois plus que la plupart des pays de l’Union européenne. Le budget d’armement atteint 2500 dollars (2350 euros) par habitant. Par comparaison, si la France consacrait le même montant par habitant, ses dépenses militaires annuelles dépasseraient 150 milliards d’euros contre 49 milliards en 2022.

Des F-35 avec avionique israélienne

En volume, les Etats-Unis sont en tête avec un budget 38 fois plus élevées. La France est au 8e rang mondial. L’État hébreu, qui est aussi une puissance nucléaire, est à la 15e place de ce classement mondial, mais il est dans le top 10 des exportateurs d’armes au monde, selon le Sipri.

Le Dôme de fer (Iron Dome) ou le système anti-missile Arrow sont les plus connus. Mais Tsahal dispose aussi d’un arsenal conventionnel conséquent. Elle dispose d’environ 2200 blindés. C’est 10 fois plus que ce dont dispose l’armée française. À ces chars s’ajoutent 530 pièces d’artillerie.

Les forces aériennes disposent de 339 avions de combat américains, dont près de 200 F-16, des F-15 et une cinquantaine de F-35. En juillet, une nouvelle commande de 25 F-35 a été passée. Israël est le seul pays du Moyen-Orient à posséder des F-35 et à être autorisé à installer son propre système avionique qui a été élaboré par le groupe Elbit Systems.

Enfin, la force navale s’appuie sur six sous-marins (classe Dolphin 1 et 2), 14 navires de guerre et 48 patrouilleurs. La marine compte également des unités de forces spéciales.

Une volonté de souveraineté quasi-totale

Cette puisssance repose sur une industrie parmi les plus performantes et une volonté de souveraineté quasi totale pour la défense de ses intérêts. Toujours selon le Sipri, trois entreprises israéliennes se classent dans les 100 premiers fabricants d’armes de la planète: Elbit Systems, qui est en 28e position, Rafael (35e) et Israel Aerospace Industries (38e). Ces trois entreprises produisent directement -ou via des filliales- aussi bien des chars, comme la Merkava, les boucliers anti-aériens Iron Dome et Arrow, que des drones ou des satellites d’observation.

Israel Military Industries produit aussi ses armes légères. La plus connue est le pistolet-mitrailleur Uzi, mais elle fabrique également des fusils d’assaut de calibre 5,56 Otan (Galil, Tavor, Negev, TAR-21) ainsi que des pistolets semi-automatiques (Jericho 941, Barak ou Desert Eagle).

170.000 militaires et 465.000 réservistes

La particularité de Tsahal repose aussi sur la conscription. Le service militaire dure presque trois ans pour les hommes et deux ans pour les femmes. L’effectif de cette armée est de 170.000 militaires en activité (dont 126.000 pour l’armée de Terre) avec en plus 465.000 réservistes mobilisables à tout moment.

Depuis l’attaque du 7 octobre, Tsahal a rappelé 350.000 soldats réservistes. En seulement trois jours, ils ont rejoint leur unité. Si l’on prend le nombre total de citoyens aptes à intégrer les forces armées, le nombre de soldats représente 2,4 millions d’hommes et de femmes.

Puissance du Hamas et du Hezbollah

Tsahal fait face à des groupes terroristes (Hamas et Hezbollah) évidemment moins puissants, mais très efficacement armés, comme le dévoile un reportage de France Culture paru quelques jours seulement avant l’attaque du 7 octobre. Le Hamas a patiemment constitué un arsenal pendant une décennie. Il est fait d’armes récentes et modernes données par des Etats ou achetées officiellement à différents pays. Elles proviennent de Syrie, de Libye, du Liban, d’Iran, et même de Chine ou de pays de l’Est. Certaines ont été récupérées lors de combat avec les militaires israéliens.

Le groupe terroriste est aussi équipé de « drones, mines, engins explosifs improvisés, missiles guidés antichars, lance-grenades, obus de mortier », assure à l’AFP Lucas Webber. Dans une vidéo publiée sur plusieurs réseaux sociaux, le Hamas montre comment son réseau transforme des canalisations en roquettes. Selon l’IISS (institut international d’études stratégiques), les brigades Al-Qassam du Hamas sont au total constituées de 15.000 à 20.000 agents.

Le mouvement pro-iranien Hezbollah, installé dans le Sud-Liban, est bien plus armé. Cette milice dispose de toutes les armes classiques possibles, de 200.000 missiles (Katioucha, Grad, Shahab) d’une portée allant jusqu’à 1000 km et de presque autant de roquettes. S’y ajoutent des batteries anti-aériennes et une gamme de drones, dont des Shahed-136 utilisés par la Russie en Ukraine et des Mohajer-4, tous deux de facture iranienne.

« La question la plus importante, c’est combien (de missiles) disposent d’un guidage de précision mais cela devrait être significatif », juge Fabian Hinz, un expert de l’IISS.

Le Hezbollah est « plus grand, mieux financé, plus professionnel, mieux équipé et mieux armé que le Hamas », insiste Lucas Webber. En 2021, ce groupe revendiquait 100.000 combattants.

Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

La Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire et sur l’Alliance atlantique.

Une image tirée de Unsplash

Par Romain Delisle – Contrepoints – Publié le 8 octobre 2023

https://www.contrepoints.org/2023/10/08/465045-loi-de-programmation-militaire-chronique-dune-etrange-defaite


Un article de l’IREF

En 1934, le général de Gaulle, alors simple colonel, avait publié un livre visionnaire, intitulé Vers l’armée de métier, sur l’état de l’armée française, et sur la nécessité de constituer une force blindée autonome pour percer les lignes ennemies.

À l’époque, la hiérarchie militaire et les gouvernements successifs avaient préféré parier sur la ligne Maginot pour défendre la frontière nord-est, route de toutes les invasions. Le maréchal Pétain notamment, avait écrit une préface au livre du général Chauvineau[1] pour appuyer l’option défensive de ce qui sera plus tard appelé la « maginotisation » de la France.

Cet exemple est assez révélateur de l’ambiance éthérée et confiante dans une paix perpétuelle, dont l’armée a été la victime, qui a sévi dans notre pays au moins jusqu’aux attentats de 2015, date à laquelle les coupes budgétaires sur la défense ont commencé à être freinées.

En avril 2023, deux mois après son annonce, le projet de loi de programmation militaire a été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres, puis voté sans trop d’encombres à la fin de la session parlementaire.

Dans le contexte de tensions internationales consécutives à l’invasion de l’Ukraine, il était très attendu et devait permettre la modernisation de notre outil de défense pour faire face aux fameux « conflits de haute intensité ».

Jusqu’en 2015, la Grande Muette a été la variable d’ajustement budgétaire de l’État

En mars 2023, les sénateurs Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti avaient rendu un rapport pointant du doigt la baisse des effectifs et des équipements depuis la suspension du service militaire.

Depuis 2002, c’est-à-dire au moment où les effets de sa professionnalisation se sont dissipés, l’armée a perdu plus de 70 000 équivalents temps plein, l’effectif global n’étant plus que de 270 000 personnels civils et militaires. Aucun autre ministère n’a été capable de réduire ainsi ses effectifs, les autres administrations publiques embauchant même plus de 700 000 agents durant la même période.

À titre d’exemple, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2012, le nombre de postes a diminué de 7,1 %, contre 5,4 % pour le reste de la fonction publique d’État. En fait, l’armée a été sacrifiée parce qu’elle n’est jamais source de troubles sociaux ou de grèves en tous genres qui émaillent l’actualité hexagonale de manière récurrente.

Cette déflation d’effectifs pose de nombreux problèmes de cohérence et engendre un déficit de compétences dans certains domaines comme le déminage d’un champ de bataille, la protection des bases aériennes, ou la mécanique aéronautique.

En vingt ans, les équipements ont également fondu.

L’armée de terre a perdu près de 400 chars de combat (654 contre environ 220 aujourd’hui) et plus de trois quarts de ses canons (231 contre 58 canons CAESAR actuellement) ; la marine est passée de 87 navires à 79, l’armée de l’Air a également perdu près de 200 avions de chasse (387 contre 195), la moitié étant encore constituée de Mirages 2000 en voie d’obsolescence.

Comme nous l’avons déjà souligné, cette situation délétère a été la cause d’impréparation et de ratés dans de nombreux domaines, comme celui des drones ou des stocks de munitions.

Les trous capacitaires de l’armée française ne devraient pas être résorbés en 2030

Partant de ce constat, un arbitrage politique devait être effectué pour moderniser les forces armées tout en augmentant un minimum sa masse.

Or, selon un autre rapport du Sénat, il se susurre dans les travées du pouvoir que « le retour d’expérience de la guerre en Ukraine n’est qu’un élément de réflexion parmi d’autres »…

La Loi de programmation se contente donc de pallier les manques observés depuis 20 ans, sans véritable augmentation de la force de frappe de nos armées, et ce malgré 268 milliards d’euros consacrés aux équipements, contre 172 pendant la période de la précédente loi.

Un chiffre visiblement insuffisant eu égard à la baisse programmée du nombre de Rafales de l’armée de l’Air à 135, contre 185 actuellement, ou encore de celui des A 400 M (35 contre 50) et chars Leclerc (200 à 160). Le nombre de véhicules initialement prévus par le programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation) baisse également de 21 % pour le Griffon et le Jaguar, et de 30 % pour le Serval (véhicules blindés de transports de troupes, de reconnaissance et d’appui feu).

Autre exemple : la Marine nationale ne dispose que de 6 bâtiments de lutte anti-mines, soit autant que la Belgique ou les Pays-Bas, alors que notre pays possède la deuxième ZEE (zone économique exclusive) mondiale…

Il est patent que le gouvernement a centré ses choix sur le renseignement (+60 % de budget, soit 5,4 milliards), la cyberdéfense et la dissuasion nucléaire (dont le budget annuel passe de 5,6 à 7 milliards), et ce au détriment du combat direct.

Notons toutefois que, indépendamment des arbitrages financiers opérés ces dernières années, l’armée française a su conserver la majeure partie de ses compétences, dans un format extrêmement réduit mais permettant, le cas échéant, de les recouvrer à moyen terme. L’interopérabilité des armes et des munitions utilisés au sein des pays membres de l’OTAN facilite également la mise sur pied d’une coalition dans des délais relativement brefs, leur supériorité sur le champ de bataille ayant pu être observé lors de la guerre en Ukraine.

En somme, la Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire, nouvelle ligne Maginot du XXIe siècle.

Dans le cadre d’une potentielle coalition militaire, le risque est de la voir perdre de son influence du fait de la faible ampleur de ses moyens conventionnels, en particulier si nos ennemis n’avaient pas la gentillesse d’attendre la fin de l’exécution de la prochaine Loi de programmation militaire en 2030. Dans un contexte de hausse effrénée de la dépense publique, il est difficile de comprendre que la sécurité des Français n’ait pas été une priorité pour les gouvernants successifs, justifiant la phrase prémonitoire du maréchal de Saxe : « Nous autres, militaires, nous sommes comme des manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie ».

[1] Dont le titre était : Une invasion est-elle encore possible ?

La participation de la France à l’OTAN: 826 personnels et 203 millions d’euros en 2022

La participation de la France à l’OTAN: 826 personnels et 203 millions d’euros en 2022

 

par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 5 octobre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Dans son récent rapport sur « la participation de la France à l’Otan : une contribution croissante« , la Cour des comptes dévoile quelques chiffres intéressants. 

Les effectifs actuels sont inférieurs à ceux de 2011 (932 personnes). En 2022, la représentation permanente à Bruxelles était forte de 63 personnes, représentation militaire de défense incluse, avec seulement neuf diplomates. Ces effectifs sont inférieurs à ceux de l’Allemagne (120) et des États-Unis (200).

Après le plan annuel de mutation de 2022, le ministère des Armées a affecté 763 militaires et civils à l’OTAN, incluant la représentation militaire de défense (voir ci-dessous). 

effectifs.jpg

Où sont-ils basés?

repartgéo.jpg

Du côté des budgets
Le budget total de l’OTAN s’élève en 2022 à 2,6 Md€. Ce montant comprend un budget civil de 289 M€, le budget militaire de 1 562 M€ et le budget d’investissement de 790 M€.

Quelle est la cote part française au budget ?
La France (10,49% du budget OTAN en 2021) se situe au quatrième rang des contributeurs derrière les États-Unis et l’Allemagne (16,34 % chacun) et le Royaume-Uni (11,28 %). Représentant 203 millions d’euros en 2022, la contribution française à l’Otan pourrait atteindre environ 833 M€ en 2030 en euros constants. Actuellement 176 M€ sont à la charge du ministère des Armées, tandis que la contribution au budget civil, à la charge du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, se monte à 27 M€. En 2030, le montant du budget militaire sera de 770 M€ et celui du budget civil à 63 M€ en 2030.

Les dépenses de rémunérations des personnels militaires et civils affectés au commandement intégré et dans les agences de l’OTAN s’élevaient à 121,3 millions d’euros en 2022. 

LPM 2024-2030 : « rupture maîtrisée » ou « continuité vigilante » ?

LPM 2024-2030 : « rupture maîtrisée » ou « continuité vigilante » ?

 

Votée le 1er août 2023, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 se substitue à la LPM 2019-2025, dont les deux dernières annuités avaient été laissées dans le flou.

Comme les précédentes, cette loi comporte une prévision de ressources financières année après année, une présentation générale de son contenu physique (effectifs, normes de préparation opérationnelle, équipements) et des dispositions normatives diverses, qui ne sont pas l’objet principal des commentaires qui suivent.

Un rappel préliminaire des limites de tout exercice de programmation budgétaire militaire n’est pas inutile, d’autant que quelques spécificités sont identifiables pour celui-ci.

  • Stricto sensu, les LPM ne s’imposent pas aux budgets annuels successifs, et, dans le passé, rares ont été les lois qui ont tenu leurs engagements. Force est cependant de constater que, jusqu’en 2023, la loi 2019-25 a tenu les siens année après année, tandis que le tuilage des deux lois sur 2024-25 se fait à une hauteur supérieure par rapport aux attentes initiales (3,3, puis 3,2 milliards, en regard des deux marches de 3 milliards attendues).
  • La loi « saute » l’élection présidentielle et les législatives de 2027 ; elle prévoit une actualisation en 2027. La période 2027-2030 reste donc soumise aux aléas de ces échéances. C’est un principe démocratique difficilement contestable !
  • De même que celles qui l’ont précédée depuis environ 25 ans, cette LPM est exprimée en crédits de paiement et ne comporte ni enveloppe ni échéancier d’autorisations de programme. D’un point de vue strictement financier, elle traduit donc une capacité à « payer des factures » et non à « passer des commandes ».
  • Dans ces conditions, il est normal de constater, comme cela a été fait avec une certaine approche polémique, qu’une grande partie des ressources de la loi servira à payer les commandes ou une partie des commandes des années passées. Si l’on prend également en compte le socle des « dépenses contraintes » du ministère (effectifs, entretien du patrimoine), il est tout aussi normal que seulement un quart à un tiers des crédits de paiement votés soient disponibles pour payer, en seconde partie de la loi, des besoins ou des commandes nouvelles. C’est la logique de la programmation en crédits de paiement.
  • Enfin, s’agissant des commandes et livraisons, cette loi ne prévoit aucun échéancier, seulement des cibles d’équipement à terminaison de la loi (même si ce calendrier existe sans nul doute dans les documents de travail du ministère). Cela peut s’expliquer par des annuités initiales qui, bien qu’en forte hausse, restent insuffisantes pour faire face aux commandes volumineuses des deux LPM précédentes et à l’incertitude créée par l’arrivée de besoins nouveaux urgents. D’ailleurs, pour la première fois, le concept de « marge frictionnelle » a été mis en avant par le Secrétaire général pour l’administration du ministère[1]: les aléas dans le déroulement des programmes, d’équipement comme d’infrastructure, permettent d’anticiper une certaine marge de gestion, qui rend inutile de fixer avec précision les flux de paiement, surtout en fin de période. C’est une réalité, au même titre que la « friction clausewitzienne » dans la conduite de la guerre !
  • On peut également noter que contrairement à la précédente, cette loi ne comporte pas d’échéancier de réduction du report de charges, sans doute une précaution vis-à-vis des effets attendus de l’inflation, dont l’impact sur le pouvoir d’achat du ministère a été intégré à hauteur de 30 milliards sur la période. 

Quelles sont les données brutes de la loi ?

Le maître mot de cette LPM est la « cohérence » entre toutes les composantes des capacités militaires. C’est au titre de cette cohérence que des étalements de livraisons touchent plusieurs des grands programmes en cours de réalisation, au bénéfice des munitions, des stocks de rechanges, de la préparation opérationnelle ou du lancement de nouveaux programmes dont le besoin est issu de l’observation du conflit en Ukraine, et d’autres tensions géopolitiques.

En augmentation de 40% par rapport à la précédente[2], l’enveloppe globale prévoit 400 milliards d’euros[3], avec un complément de 13,3 milliards de ressources extra-budgétaires (REX), dont plus de la moitié proviennent des remboursements de l’Assurance maladie de droit commun pour le fonctionnement du service de santé des armées. Le reliquat est fourni par les sources habituelles (produits de cessions de matériels ou d’aliénations immobilières). Le recours aux REX étant élevé en début de période, la discussion du texte a conduit à prévoir une clause de sauvegarde inscrite dans la loi : dans l’hypothèse où les ressources extra-budgétaires ne seraient pas à la hauteur des attentes une année donnée, le manque serait compensé par la loi de finances suivante, autre explication possible de l’absence de dispositions sur le report de charges. Un point d’attention, car l’inventivité budgétaire n’a pas de limite !

Le budget des armées passe ainsi de 43,9 milliards en 2023 à 47,2 milliards en 2024, en visant 67,4 milliards en 2030, soit une progression de plus de 50% par rapport à 2017, en euros courants. Les marches successives se situent entre 3,2 et 3,5 milliards selon les années[4].

Nul doute que les commentaires iront bon train pour comparer ce budget à celui des alliés anglais et allemands qui affichent des dotations plus importantes. Cependant, les différences dans l’équilibre entre les différentes composantes de ces budgets incitent à la prudence sur l’efficience des euros allemands et des livres anglaises, et aucun de ces deux pays n’a un « agrégat équipements » pesant plus de 50% de son budget[5].

Il est à noter que sous la pression du Sénat, les échéanciers initiaux ont été modifiés, ramenant 2,3 milliards vers l’avant sur la période 2024-2027. Ce décalage n’a pu être fléché que sur des besoins à faibles délais de réalisation (préparation opérationnelle, munitions, MCO) que des autorisations d’engagement suffisantes devront rendre possibles.

La loi et son rapport annexé mettent en avant des « efforts » qui sont autant d’axes de la communication ministérielle, permettant aux non spécialistes et au grand public de mettre du corps en regard de l’effort financier.

Dans le domaine capacitaire, sur la période de programmation, ces efforts sont les suivants (en milliards) :

Innovation 10
Renseignement 5
Défense sol-air 5
Cyber 4
Espace 6
Drones 5

En outre, quelques thématiques sont mises en avant, mais avec des recoupements avec les domaines capacitaires ci-dessus ou des programmes d’équipement mentionnés par ailleurs…

Munitions 16 (+45%)
Outre-mer 13
Forces spéciales 2

Le MCO est doté de 49 milliards, avec la reprise ad nauseam des incantations habituelles pour « des efforts de négociation rénovée entre les services de soutien et l’industrie, pour atteindre des niveaux de disponibilité plus élevés, une meilleure réactivité dans la fourniture des pièces de rechange, à coûts maîtrisés »

Pour les effectifs, 6 300 postes seront ouverts pendant la période couverte par la loi (portant les effectifs à 275 000 militaires et civils en 2030). Un effort est également promu concernant la réserve, avec un objectif de 80 000 en 2030 (puis 105 000 en 2035), et comme slogan ministériel « un réserviste pour deux militaires d’active »[6].

Prenant acte de la fin annoncée des grandes opérations en Afrique et des réflexions en cours sur l’opération Sentinelle, la loi réduit la dotation budgétaire pour les OPEX/MISSINT de 1 200 à 750 millions d’euros annuels.

Enfin, ni le Service national universel (SNU), ni le coût budgétaire de l’aide militaire à l’Ukraine ne sont inclus dans le texte et les dotations de la LPM. 

Quatre questions sur cette loi… 

Première question : rupture ou continuité ? 

Quasi unanimes ont été les responsables politiques, militaires, économiques, et nombre d’experts et d’observateurs également, à considérer que le « 24 février 2022 » marquait une rupture dans l’ordre mondial. C’est un fait indéniable, bien plus que le traumatisme du « 11 septembre 2001 ».

Présentée à l’automne 2022, la revue nationale stratégique (RNS) reprenait les orientations de celles de 2017, puis 2021, qui actaient l’évolution des menaces et le risque de glissement stratégique face à des États s’éloignant des normes des relations internationales mises en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui s’étaient maintenues, vaille que vaille, tout au long de la Guerre froide, puis de la recomposition géopolitique qui lui avait succédé.

Dans le contexte stratégique actuel, sans renier les engagements vis-à-vis de ses alliés, l’OTAN principalement comme le montre son action dans la suite de l’invasion russe en Ukraine, la France met en avant sa stratégie de « puissance d’équilibres » (avec un S)… Si la loi acte certaines évolutions capacitaires tirées de l’observation du conflit ukrainien, celles-ci demeurent marginales et ne font qu’accélérer des tendances déjà lancées. Plus que la capacité à s’engager massivement dans un « conflit de haute intensité » face à un acteur majeur, c’est l’option « gagner la guerre avant la guerre » qui prévaut, concept bâti par les armées elles-mêmes il y a peu.

Dans ce cadre, la dissuasion nucléaire autonome reste le pilier central de la défense nationale et constitue en fait l’effort réel de cette LPM, comme celui de celles qui l’ont précédée. Compte tenu des programmes en cours de réalisation et de leur environnement, la dissuasion appellera chaque année des ressources grandissantes, sans doute au-delà des 5,6 milliards du budget 2023. Conjuguée avec l’accent mis sur les outre-mer et l’Indo-Pacifique, elle a mécaniquement un effet d’entraînement sur les programmes conventionnels de la Marine, et dans une moindre mesure de l’armée de l’Air et de l’Espace.

La dissuasion nucléaire reste au cœur de la défense nationale pour des raisons qu’il ne faut pas négliger :

  • Elle est le fondement du positionnement stratégique « d’équilibre » de la France depuis le retour aux affaires du général De Gaulle, même si au fil des décennies le vocabulaire a évolué.
  • À ce titre, personne ne peut prendre la responsabilité de passer au compte des pertes et profits les investissements colossaux qui lui ont été consacrés depuis plus soixante ans.
  • Ce d’autant que la souveraineté de la dissuasion nucléaire est le premier facteur de la souveraineté de l’industrie de défense nationale, dans les domaines nucléaire, naval, aéronautique, électronique au sens très large, spatial… en dépit de ses évolutions capitalistiques.
  • Enfin, et c’est sans doute le fait nouveau du « 24 février 2022 », le comportement de la Russie a redonné toute sa place à la « dialectique du nucléaire » avec ce pays.

L’analyse stratégique qui sous-tend cette loi n’occulte pas le risque d’être confronté un jour à un engagement débouchant sur les formes les plus exigeantes et violentes du combat conventionnel ; mais c’est surtout la dissémination rapide de technologies militaires très vulnérantes parmi un nombre croissant d’acteurs au profil indéterminé qui caractérise ce risque.

Face à des acteurs étatiques, la France mise sur la dissuasion nucléaire et son appartenance active à l’OTAN pour anticiper et éviter un engagement majeur destructeur et de longue durée. C’était d’ailleurs déjà la doctrine gaullienne lors de la guerre froide.

Par conséquent, au risque de décevoir tous ceux qui appelaient à l’urgence de « préparer la guerre de masse », la LPM poursuit sur la voie d’un modèle d’armée complet, unique en Europe et cousin lointain du modèle américain[7].

Confrontée à la réalité des ressources, même en augmentation, l’ambition de ce modèle (dissuasion nucléaire autonome, capacité spatiale complète, armées professionnalisées, « blue water Navy », capacité de projection stratégique, déploiement important et permanent sur cinq continents) ne peut que le faire apparaître en permanence imparfait ou du moins en construction…

C’est à ce titre que l’on peut identifier les grandes orientations capacitaires que porte la LPM 2024-30, dans la continuité, et non la rupture, si tant est qu’elle puisse être possible.

  • La préservation du modèle d’armée complet, plus par construction évolutive que par grandes ruptures, avec, inflexion notable, un rejet de la course à la masse au bénéfice de la cohérence capacitaire (le « DORESE »[8] mis en avant de longue date au sein de l’armée de Terre). Le prix à payer est le ralentissement de certains programmes majeurs.
  • Cette inflexion se traduit par des objectifs ambitieux en matière de réactivité d’engagement d’un volume plus important de forces des trois armées (ENU-R, FIRI…)[9], d’où l’accent mis sur les soutiens, les munitions et l’entraînement.
  • L’attachement à la capacité d’engagement et de « nation-cadre » au sein d’une coalition, prioritairement au sein de l’OTAN, capacité qui passe par les moyens de commandement et d’appuis au sens large.

Deuxième question : la loi prend elle en considération de « nouvelles menaces » ?

Les « nouvelles menaces » ont été décrites lors des exercices d’évaluation stratégique successifs et rappelées par la RNS 2022, la guerre russo-ukrainienne n’ayant en fait été qu’une concrétisation de certaines d’entre elles. Leur analyse était à l’origine de la stratégie de « gagner la guerre avant la guerre », afin de ne pas se laisser entraîner dans des spirales de confrontation nécessitant des moyens hors de portée.

En effet, le choc provoqué par l’irruption d’un conflit européen digne de la Seconde Guerre mondiale ne doit pas occulter les autres sources d’inquiétude pour la sécurité nationale et celle de l’Europe. On peut citer : les tensions dans l’espace Indo-Pacifique, la course mondiale aux capacités spatiales, l’échec relatif ou total de « la lutte contre le terrorisme » et le retrait qui s’en suit des Occidentaux de certaines parties du monde[10], l’exploitation des fragilités des sociétés européennes, ouvertes, transparentes et placées « hors du monde cruel » par plus de soixante-dix ans de paix interne.

Au niveau stratégique, la LPM 2024-30 poursuit les efforts entamés depuis une dizaine d’année dans les domaines du renseignement et des capacités regroupées sous le terme « cyber ». Comme pour le spatial, ces capacités ne sont plus considérées comme des « facilitateurs » des autres capacités, mais au contraire comme des moyens à placer au centre des modes d’action, y compris dans leur emploi offensif. Il en va de même de l’action dans les champs dit « immatériels ».

Toujours au niveau stratégique, la capacité de projection lointaine de volumes de forces bien calibrés relève également de cette stratégie. Qu’il soit nucléarisé ou non, un acteur étatique sera toujours plus réticent à engager la confrontation violente s’il sait d’emblée qu’il sera confronté aux forces d’une puissance nucléaire, qui plus est agissant dans le cadre de l’OTAN.

La projection graduelle des moyens décrits dans le rapport annexé, depuis les premiers modules du l’ENU-R jusqu’à la division à trente jours (pour ne parler que du domaine terrestre), joue en quelque sorte le rôle que le 2e corps d’armée stationné en Allemagne jouait durant la guerre froide : démontrer l’acceptation d’une confrontation conventionnelle pouvant déboucher sur des extrêmes mal définis (c’est la finalité du dispositif de « réassurance » aux confins orientaux de l’Europe auquel la France participe depuis une dizaine d’années. C’est également celle des déploiements aéronavals lointains dont la capacité est régulièrement démontrée, comme l’exercice réalisé en Indo-Pacifique pendant l’été 2023).

On peut dire la même chose de la capacité d’action dans les grands fonds marins qui, de prime abord, peut laisser perplexe. Comment peut-on avoir la prétention de savoir protéger l’ensemble les capacités numériques qui transitent par le réseau tentaculaire des câbles sous-marins ? L’intérêt n’est-il pas plutôt d’affirmer une capacité de créer un risque de contact direct dans ce nouvel espace de « guerre hybride », au-delà de la mise en évidence de la preuve ?

Au niveau tactique, le choc des images a donné aux opérations terrestres du conflit russo-ukrainien un écho propice à l’emballement des enseignements… Les effets meurtriers de puissants feux d’artillerie, la réduction des villes en tas de ruines, le blocage de toute progression par le minage intensif, autant de réalités qui renvoient aux images d’un lointain passé et à des capacités massives abandonnées en France faute de moyens (y compris humains) ou du fait des lois internationales (comme les mines).

Si l’approche par la masse est sans nul doute possible abandonnée par la stratégie de « gagner la guerre avant la guerre », la capacité de constituer des modules de forces plus agressifs, mieux appuyés et soutenus semble bien au cœur des efforts de la loi au titre de la cohérence déjà évoquée. Et quoique l’on en pense, l’effort à fournir ne doit pas être sous-estimé : pour l’armée de Terre, il faudra dès 2027 disposer de la capacité d’engagement d’une division à deux brigades à trente jours, avec en 2030 une capacité de la relever. C’est un objectif ambitieux dont il faudra suivre la réalisation tout au long de la période de programmation, en se souvenant que la projection durant l’hiver 2022 d’un bataillon en Roumanie, si elle a été rapide n’en a pas moins nécessité de faire appel à 80 points de perception pour réunir ses équipements[11].

Les autres armées ont également des objectifs ambitieux. Si la nature de leurs milieux d’évolution, plus homogène que le milieu terrestre, peut paraître leur créer moins de difficultés, les distances et la permanence seront leurs défis. En effet, alors que les forces terrestres doivent se préparer à des actions de force en Europe et au Moyen-Orient, les outre-mer et l’Indo-Pacifique prennent désormais une importance inédite dans les stratégies navale et aérienne.

Toujours au niveau tactique, un autre effet des moyens inscrits dans la loi réside dans ce que l’on pourrait qualifier de « descente » des capacités nouvelles (renseignement, cyber, influence, champs immatériels…) vers la plupart des niveaux tactiques. Sa concrétisation la plus visible est la « dronisation » de tous ces niveaux, y compris des cellules de base que sont, dans l’armée de Terre, le groupe de combat de 10 hommes ou le véhicule blindé. On pourrait en dire autant de la « guerre électronique ». D’où l’évolution des systèmes de commandement annoncés dans le prolongement de ces choix.

Il y a ici une question subsidiaire à poser : Quid des menaces anciennes ?

Les deux grands glissements stratégiques des dernières années, résurgence de la confrontation OTAN/Russie, militarisation progressive des tensions avec la Chine en Indo-Pacifique, n’ont pas pour autant fait disparaître les vecteurs des menaces ou des risques de crise qui ont marqué les engagements des armées françaises pendant trente ans depuis la chute du mur de Berlin.

Pour reprendre une question posée récemment par l’animateur d’un blog très suivi[12] : Est-on certain qu’en 2035, l’adversaire le plus probable ne sera pas toujours le terroriste (ou trafiquant) africain, armé d’une kalachnikov, d’IED et d’un smartphone avec une bonne liaison internet ?

Certes le désengagement du Sahel, la nouvelle stratégie africaine, une appréciation différente du risque sur le territoire national laissent aujourd’hui envisager le contraire, et la réduction des dotations budgétaires pour les OPEX va dans ce sens. Mais rien ne dit que la conjonction de la mauvaise gouvernance dans de nombreux pays, des tensions interétatiques, des effets dramatiques du dérèglement climatique sur des populations souvent pauvres, fragiles et de plus en plus nombreuses, notamment au sud du Sahara, n’ouvriront pas à nouveau un cycle d’engagements peut-être moins puissants mais toujours compliqués.

Bien sûr, des armées qui occupent le haut du spectre capacitaire ne devraient pas avoir de difficultés à s’engager un cran en dessous, « qui peut le plus, peut le moins »… À voir ! En tout cas, à surveiller, au travers de la formation, de l’entraînement, de certains équipements, de la doctrine d’emploi des forces spéciales et de leur environnement, ainsi que, pour l’armée de Terre, de l’atteinte de la capacité de maintenir une brigade interarmes disponible pour intervenir sur quatre théâtres d’opérations « secondaires ».

Troisième question : quels sont les effets de la loi sur l’écosystème de production des équipements militaires ?

Pour être caricatural, on peut confondre cet écosystème avec l’expression péjorative de « lobby militaro-industriel », heureusement tombée quelque peu en désuétude.

Destiné à produire les équipements constitutifs des capacités militaires et leur soutien, il regroupe et articule, d’une part les acteurs publics et leurs procédures, d’autre part le tissu industriel impliqué dans la défense, avec ses caractéristiques capitalistiques.

La loi inscrit d’emblée parmi ses objectifs la souveraineté de l’industrie de défense nationale. Ce terme doit être bien compris comme le souci qu’aura plus que jamais l’État français de maîtriser les capacités industrielles et de les piloter prioritairement dans le sens de ses intérêts. La création d’une « direction de l’industrie de défense » au sein de la DGA se rattache à cette priorité.

L’existence même de la programmation militaire fournit le cadre d’élaboration d’une vision partagée de l’avenir par l’administration (armées, DGA, ministère du budget) et l’industrie. La mise au point d’une LPM vise à fournir un outil de pilotage cohérent du déroulement des programmes d’équipement, notamment en assurant la crédibilité des engagements de l’État (c’est la raison pour laquelle, exprimée en crédits de paiement, la LPM doit garantir aux industriels le paiement des commandes passées lors des lois précédentes…).

Dans une perspective d’avenir, la loi doit également permettre à l’écosystème de le préparer au mieux, au-delà de la poursuite des programmes en cours. C’est tout le rôle des ressources consacrées à « l’innovation », terme qui recouvre désormais les études amont, les subventions aux opérateurs comme le CEA, le CNES, la recherche appliquée… En prévoyant un total de 10 milliards sur la période, la loi reste sur la tendance à la hausse imprimée depuis 2018, avec l’objectif de ne plus chercher à rattraper des retards, mais plutôt à promouvoir des « innovations de rupture »[13].

À priori, le décalage des commandes et livraisons de certains programmes majeurs, dont les cibles restent inchangées, n’est pas une préoccupation forte des acteurs industriels qui se sont exprimés lors de l’élaboration de la LPM 2024-30. Pour la plupart (surtout dans les domaines aéronautique, naval et munitionnaire), les plans de charge et le chiffre d’affaires bénéficient des succès à l’export des dernières années et des besoins de production pour alimenter l’Ukraine en équipements et munitions, financés en grande partie par l’Union européenne.

L’attention des industriels se polarise plus sur les dispositions désormais regroupées dans l’article 49[14] de la loi qui, au titre de « l’économie de guerre », institue à la fois des obligations de constitution de stocks stratégiques, à la charge financière des industriels, et un « droit de préemption » de l’État français sur la production industrielle, fusse au détriment des livraisons prévues à des clients étrangers. Quasi totalement privée, soumise tant aux règles du marché concurrentiel qu’à la surveillance de la Commission européenne, l’industrie rappelle que sa contribution à l’économie de guerre décrétée en France ne l’exonère pas des dangers de la guerre économique qu’elle conduit à l’international.

Au-delà du coût à supporter pour les stocks stratégiques, c’est le risque de se voir écarter des compétitions internationales qui est identifié comme le principal, les clients potentiels ne pouvant accepter de voir éventuellement leurs livraisons ne pas respecter les délais contractuels.

Les conditions de mise en œuvre de cet article de la loi seront vraisemblablement une des premières tâches de la direction de l’industrie de défense de la DGA. Une tâche qui comportera également le traitement de l’accès au crédit bancaire, sujet brûlant qui touche toute l’industrie de défense, avec des effets dévastateurs pour le tissu des PME sur lequel repose largement l’écosystème.

Quatrième question : la loi conforte elle le système humain des armées ?

L’affirmation du rôle premier des femmes et des hommes dans la robustesse du système de défense est dans la bouche de tous les responsables politiques et militaires… depuis des siècles, au moins pour les hommes !

La LPM 2024-30 apporte sa contribution à la consolidation de ce rôle, par une multitude de dispositions dont les objectifs sont tout à la fois l’attractivité des carrières pour fidéliser les militaires en service et recruter des compétences nouvelles, améliorer les conditions de la mobilité des familles et de leur implantation dans les territoires, enfin de poursuivre les actions de reconnaissance de la Nation vis-à-vis des blessés et des familles de militaires morts en service.

L’attractivité des carrières, en fait le combat du recrutement et de la fidélisation, passera par un prolongement de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) mise en œuvre par la précédente loi, notamment au niveau indiciaire pour compenser le « tassement vers le haut » de la grille indiciaire, qui se révèle un frein à l’attractivité des progressions volontaires de carrière.

Le « Plan Famille 2 » inscrit désormais dans la durée ce mode de pilotage d’ensemble de tous les éléments constitutifs de l’accompagnement familial de la fonction militaire (logement, aide à la petite enfance, environnement médico-social). C’est déjà en soi une avancée très appréciable, même si les situations particulières et le contexte de stationnement et d’emploi de chaque armée laisseront toujours subsister des manques et des insatisfactions. Le « Plan Famille 2 » est doté de 750 millions d’euros.

Un autre aspect du modèle RH décrit par cette LPM est la volonté de porter le nombre de réservistes à 80 000 en 2030, sur une trajectoire à 105 000 en 2035. L’effort de recrutement, de formation et de fidélisation à fournir est en lui-même un défi, avant que les armées ne précisent les missions et les équipements de cette réserve opérationnelle massive.

Le modèle RH porté par la LPM 2024-30 est donc cohérent avec les objectifs fixés aux armées et s’inscrit dans la continuité de la consolidation de l’armée professionnalisée décidée il a plus de 25 ans. Absorbant plus du quart des ressources financières du ministère, il est confronté à de multiples défis, notamment ceux liés à la montée en gamme des compétences recherchées sur un marché du travail tendu et à l’évolution sociétale qui fait de la fidélisation dans toutes les catégories de grade un combat permanent.

GCA (2S) Tristan VERNA


NOTES :

  1. Audition du SGA par la Commission de la défense de l’assemblée nationale, le 12 avril 2023, reprenant une expression utilisée par le Premier Président de la Cour des Comptes devant la même Commission.
  2. Taux de progression à prendre pour ce qu’il vaut : les deux périodes programmation n’ont pas la même durée, se superposent et l’inflation rend précaire toute comparaison…
  3. Tous les montants financiers sont exprimés en crédits de paiement.
  4. Cette progression permet de viser les 2% du PIB en 2025-2027, nonobstant la fragilité de cet indicateur emblématique lié à un agrégat, PIB, dont la réalité n’est connue qu’avec plusieurs années de décalage. Il est à noter que pour certains responsables du ministère, les 2% du PIB seraient dès à présent atteints, et en voie d’être dépassés.
  5. Sans oublier qu’en 2022, des officiels américains ont fait état d’un supposé déclassement des armées britanniques, tandis que ce sont les responsables militaires allemands eux-mêmes qui ont annoncé leur incapacité d’assurer leur mission de défense nationale.
  6. La limite d’âge de tous les réservistes est portée à 72 ans, mesure mise en œuvre dès l’été 2023 par l’armée de Terre.
  7. On peut objecter l’existence d’un modèle complet en Russie, mais quelle est sa véritable fiabilité ?
  8. Pour « Doctrine, Organisation, Rh, Entraînement, Soutien, Équipement ».
  9. Échelon national d’urgence renforcé, Force d’intervention rapide interarmées.
  10. Comme la perte progressive des bases françaises en Afrique.
  11. Audition du CEMAT par la commission de la défense de l’Assemblée nationale, le 12 avril 2023.
  12. Michel Goya, dans une interview sur France Inter.
  13. Cette formulation, en cédant à la facilité, aurait pu être lourde de conséquences pour certains systèmes d’armes majeurs bien installés dans le paysage actuel des armées. Ses effets sur l’avenir devront être suivis attentivement.
  14. Il s’agit des modifications à apporter au Code la défense pour ce qui concerne « l’industrie de défense ».

CERCLE MARÉCHAL FOCH

CERCLE MARÉCHAL FOCH

Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).

Retour sur la LPM (Loi de programmation militaire)

Retour sur la LPM (Loi de programmation militaire)

 

par Victor Denis (*)
Etudiant en relations internationales
François Chauvancy (*)
Général de brigade (2s)

Esprit Surcouf – publié le 22 septembre 2023

https://espritsurcouf.fr/defense_retour-sur-la-lpm_par_victor-denis-et-general-francois-chavancy/


Quel regard porter sur les besoins de nos armées ? Quels choix budgétaires avons-nous fait ? Qu’est-ce que cette LPM raconte des relations entre politiques et militaires ? L’auteur nous propose quelques éléments de réponse dans son entretien avec le général François Chauvancy (2S).
;

Après 90 heures de débat, l’Assemblée nationale s’est prononcée. A une écrasante majorité, les députés ont voté pour la loi de programmation militaire 2024-2030, désormais transmise au Sénat. Cette LPM alloue 413 milliards d’euros au budget des armées, un chiffre en hausse de 40% par rapport à la précédente. La raison ? Une prise de conscience du monde politique devant la montée des périls : retour de la guerre de haute intensité en Ukraine, menace d’escalade nucléaire, menace chinoise dans l’indopacifique, persistance du djihadisme en Afrique et au Levant…

A quoi notre armée est-elle prête ? Quelles sont ses limites et ses besoins ? Pour répondre à ces questions, l’étudiant trouve vite l’interlocuteur : un ancien militaire étoilé qui vient donner des cours dans son université, le général François Chauvancy, dont beaucoup de journalistes se souviennent pour l’avoir connu comme Off-Com (officier communication) hors normes au Sirpa ou en opérations.

Pour quoi faire

La réponse est claire et concise, le général semble rôdé à l’exercice : « Nos armées sont prêtes à intervenir sous des formats réduits, sous format de corps expéditionnaires. Nous pouvons projeter dans la durée environ une force mécanisée importante, interarmes, environ 5 000 hommes, contre un ennemi asymétrique et sous-équipé par rapport à nous. Au niveau aéro-maritime, nous sommes capables de projeter un groupe aéronaval avec une capacité de frappe au sol ou en mer. Nous pouvons contrôler une zone maritime importante ». « Concernant les forces aériennes, nous sommes sous-équipés. L’armée l’air estime qu’il lui faut 180 Rafales pour assurer ses missions, alors qu’elle n’en a que 130 ».

Le général ajoute : « Contre un ennemi peu équipé, ou équipé d’une manière légère, on est capables de faire. Toutefois, face à un ennemi traditionnel, ou conventionnel, comme en Ukraine, on voit qu’on n’a pas tous les équipements militaires adaptés et suffisants ». Il est vrai que nous avons négligé, en France, le retour des guerres conventionnelles. La fin de la guerre froide semblait abolir à jamais la menace d’un conflit symétrique à haute intensité. 

« La 1ère loi de programmation militaire [du président Macron] a été une LPM de réparation. Le chef d’Etat-major a essayé de préserver autant que possible une armée avec toutes ses capacités, même sous forme échantillonnaire ». Nous avons une armée « bonsaï », capable de faire de tout, mais en petite quantité. Là où d’autres pays créent une interdépendance des savoir-faire, ce qui, dans un contexte de coalition, n’est pas illogique, la France préfère quant à elle conserver ses capacités dans tous les domaines, quitte à produire moins.

Regard sur la LPM

Pour le général, « la 2ème LPM dépasse le niveau de la réparation. On en arrive à une forme de reconstruction pour se donner des capacités d’action ». Il met toutefois en avant des choix budgétaires contestables.

 

La loi de programmation prévoie des budgets conséquents pour la cybersécurité. Photo sgt Moreau Sirpa Terre

/
Pour lui, il faut apprendre de la guerre en Ukraine. Il rappelle les chiffres : A Bakhmout, le nombre de morts russes est estimé à 20 000, contre 10 à 15 000 côté ukrainien. En France, nous disposons de 12 000 fantassins, ce qui paraît très peu. Quant aux réservistes : « Ce n’est pas parce qu’on nous promet 90 000 réservistes dans la LPM qu’ils sont utilisables en temps de guerre », ajoutant qu’il faut d’abord s’assurer de leur entrainement et de leur capacité opérationnelle.

Au regard de la vitesse de consommation des équipements militaires sur le terrain ukrainien, la question des équipements militaires se pose également : « L’argent qu’on met dans nos chars, qui sont coûteux, font-ils la différence avec des chars beaucoup moins chers et beaucoup plus nombreux ? Cela vaut-il le coup d’avoir des chars à plusieurs millions d’euros, qui peuvent être détruits par des missiles à quelques milliers d’euros ? ». Avec un constat global : nous manquons de chars et de Rafales, même s’il faut souligner la hausse du budget pour le maintien en condition opérationnelle.

Ces « manques » dans la LPM sont rapidement mis en parallèle avec les 13% des crédits alloués à la dissuasion nucléaire. Le général Chauvancy se questionne : « avons-nous besoin de perfectionner l’arme à ce point-là ? Les équipements qu’on met en place sont-ils totalement justifiés ? ». Qualifiés d’« excessifs », ces 13% signifient beaucoup quant à la place que tient le nucléaire dans notre stratégie. L’objectif affiché est de développer cette dissuasion, notamment par une modernisation des composantes aériennes et océaniques, afin de faire appel à moins de forces conventionnelles. Pourtant, pour le général, « nous ne ferons pas la guerre avec le nucléaire ». Il expose le risque de développer cette dissuasion aux dépends de nos capacités militaires. Pour lui, « il faut que les LPM, dans leur conception, montre notre détermination à être capables de se battre. Le fait d’être capable de se battre et de l’exprimer par la LPM et les moyens financiers qu’on y met, doit être capable de dissuader. Là ça a du sens, au même titre que la dissuasion nucléaire ». Et il émet quelques doutes sur la capacité de cette LPM à répondre à cette approche.

Le politique et le militaire

Le général Chauvancy l’affirme : « Je suis très critique sur les relations entre le politique et le militaire sous la Vème République », évoquant notamment les LPM non respectées. Avant 2015, celles-ci étaient systématiquement bafouées. Il y a, dans l’esprit du politique, l’idée que le budget de la défense serait une forme de réserve permettant d’amortir le choc des conjonctures économiques. Les politiques, pensant que la guerre était devenue impossible depuis la chute du mur de Berlin, n’ont pas suffisamment préparé nos armées aux conflits contemporains. Le général met également en cause le rôle du chef militaire, qui est celui d’exprimer clairement les besoins de l’armée aux politiques.

Il revient alors sur la « séquence De Villiers » : « [Avec la démission du Général De Villiers], Emmanuel Macron découvre que l’armée a son mot à dire, lui qui ne connaissait pas le milieu militaire. L’armée attend que le pouvoir politique écoute […], les militaires savent qu’ils servent l’Etat et la nation, et que le politique n’est que l’expression d’une majorité à un moment donné », qualifiant le président de « locataire », à contrario des militaires qui ont une expérience plus longue. L’armée attend donc une forme d’humilité de la part du pouvoir politique.

Aussi, « le président Macron, qui ne connait pas trop le milieu militaire, profite de l’opportunité du 13 juillet 2017 au soir pour se faire le Général de Villiers. Le problème, c’est que ça ne se fait pas ». Alors, quand le général De Villiers quitte son bureau, après avoir démissionné, il est applaudi par le personnel militaire. Loin d’être anecdotique, cette séquence envoie un message fort au président de la République : « la communauté militaire a un sens global de la mission et du devoir et n’a pas du tout accepté le rôle du politique et son comportement vis-à-vis du CEMA », rappelle le général Chauvancy. Ce n’est qu’à la suite de cet épisode, qui frappe l’opinion publique, que les rapports s’améliorent entre politiques et militaires : la première loi de programmation militaire tient la route, et a globalement été respectée.

Le général Chauvancy revient sur les conséquences de la démission : « Le président Macron a découvert que le miliaire était une communauté particulière, où le sens de l’engagement réel, sans contreparties, est un fait. Il peut compter sur les militaires, puisqu’ils sont là pour les missions qu’on leur donne ». Il poursuit : « Les militaires sont le dernier recours de la République face aux menaces et aux extrémismes, face à la déstabilisation de l’Etat, et je reste convaincu que le président Macron l’a bien intégré. D’où la place des militaires, discrètes mais avec une reconnaissance : la LPM est un témoignage de reconnaissance envers les armées. C’est l’expression politique et financière de la reconnaissance du pouvoir politique envers les armées ».


(*) Victor Denis est actuellement étudiant en Master 2 « Conflictualités et médiation » à l’UCO. Il est diplômé d’une Licence d’Histoire avec pour spécialité les sciences politiques. Après de premières expériences en politique et au sein d’ONG, il choisit de s’orienter vers la géopolitique et la sécurité internationale.
(*) François Chauvancy, général de brigade (2S), est Saint-cyrien, breveté de l’Ecole de guerre et Docteur en sciences de l’information et de la communication. Il a servi en opérations au Liban, en ex-Yougoslavie, en Albanie, au Kosovo et en République de Côte d’Ivoire. De 2002 à 2012, il a été représentant français auprès de l’OTAN pour les opérations militaires d’influence, les opérations sur l’information, la communication stratégique et l’environnement humain des opérations. Il est aujourd’hui enseignant, et consultant en géopolitique, notamment sur LCI. Il anime un blog hebdomadaire « Défense et Sécurité ».

Le général Schill s’interroge : « Sommes nous collectivement prêts » à supporter le coût d’une guerre?

Le général Schill s’interroge : « Sommes nous collectivement prêts » à supporter le coût d’une guerre?

 

https://www.opex360.com/2023/09/24/le-general-schill-sinterroge-sommes-nous-collectivement-prets-a-supporter-le-cout-dune-guerre/


Puis, la chute du Mur de Berlin et la disparition de l’Union soviétique ouvrirent une ère nouvelle, au point que certains estimèrent que le temps était venu de récolter les « dividendes de la paix ». Mais c’était sans doute aller trop vite en besogne, comme le montrèrent par la suite les interventions militaires menées en ex-Yougoslavie [Bosnie, Kosovo], en Afrique ou encore en Irak et en Afghanistan.

Cela étant, le spectre d’une guerre entre adversaires à parité s’était éloigné… Mais pas pour longtemps, puisqu’il est de retour depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et, désormais, la question qui se pose est de savoir si les sociétés occidentales sont prêtes à affronter cette réalité.

Un article [.pdf] récemment publié par l’US Army War College en doute… notamment en raison des difficultés que rencontre l’armée américaine pour recruter. « Chaque soldat que nous ne recrutons pas aujourd’hui est un atout de mobilisation que nous n’aurons pas en 2031 », avance-t-il. D’autant plus que, au regard des pertes subies par les belligérants en Ukraine, elle pourrait perdre jusqu’à 3600 hommes [tués ou blessés] par jour dans un engagement ayant le même niveau d’intensité. D’où les interrogations sur sa capacité à se régénérer…

« Le concept d’une force composée exclusivement de volontaires […] ne correspond pas à l’environnement opérationnel actuel. […] Les besoins en troupes pour les opérations de combat à grande échelle pourraient bien nécessiter […] une évolution vers une conscription partielle », explique cet article… qui a été repris par le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], sur Linkedin.

L’article de l’US Army War College « trace des parallèles entre le conflit en Ukraine et un potentiel engagement similaire de l’US Army, évoquant des niveaux de pertes allant jusqu’à 3600 tués ou blessés par jour », résume d’abord le général Schill, qui, visiblement, entend lancer un débat sur son contenu.

« On peut, certes, discuter des modalités d’un engagement qui verrait l’armée française opposée à un ennemi à parité ou quasi-parité, notamment sous la protection du parapluie nucléaire », poursuit le CEMAT. Or, selon lui, malgré la dissuasion, une telle « occurrence reste possible, sans que les intérêts vitaux de la Nation soient directement menacés ».

Aussi, le niveau des pertes avancé par l’article de l’US Army War College l’interpelle. « Ce chiffre interroge la résilience de notre outil de défense ainsi que sa capacité de régénération » et « pose surtout une question ancienne mais pourtant terriblement actuelle : sommes-nous collectivement prêts à un tel sacrifice? », demande le général Schill.

« Nos sociétés occidentales, dont les dernières générations n’envisageaient jusqu’à récemment la guerre qu’au travers des livres d’Histoire, sont-elles prêtes à voir leurs fils et filles mourir en nombre pour un plus grand bien? Et en élargissant encore la focale, conçoit-on encore la guerre et ce qu’elle implique? », s’interroge encore le CEMAT, pour qui il s’agit « simplement d’ouvrir le débat sur ce qu’on attend d’un soldat français aujourd’hui, ce que la Nation exige de lui et ce qu’elle est prête à faire pour que cette exigence, librement formulée, soit comprise et endossée ».

La France peut-elle développer les programmes MGCS et SCAF sans l’Allemagne ?

La France peut-elle développer les programmes MGCS et SCAF sans l’Allemagne ?


SCAF NGF France | Allemagne | Analyses Défense

La France peut-elle développer les programmes MGCS et SCAF sans l’Allemagne ?


Ces dernières semaines, les médias ont rapporté des informations préoccupantes concernant la coopération industrielle franco-allemande dans le domaine de la défense. En effet, les programmes MGCS (char de nouvelle génération) et SCAF (avion de combat futur) sont grandement sous tension, autour du partage industriel, du calendrier et des enjeux industriels et opérationnels.

Bien que le programme SCAF ait l’assurance d’atteindre les phases 1B et 2, avec l’étude et la conception d’un démonstrateur, son avenir au-delà reste incertain en raison des éventuelles conséquences de l’annulation du programme MGCS.

Dans ce contexte, il est important de prendre en compte les conséquences potentielles d’un échec successif des programmes MGCS et SCAF, ainsi que d’évaluer les alternatives pour remplacer les chars et avions de combat français dans les décennies à venir.

1. Les menaces sur les programmes MGCS et SCAF

En dehors des quelques mois d’euphorie politique ayant suivi l’annonce, en 2017, par Emmanuel Macron et Angela Merkel, d’une vaste initiative industrielle et politique franco-allemande autour du concept encore flou d’Europe de la Défense, les programmes lancés alors conjointement rencontrèrent rapidement d’importants écueils.

C’est ainsi qu’en cinq ans de temps seulement, les programmes CIFS (artillerie à lingue portée), Tigre III (hélicoptère de combat) et MAWS (Patrouille maritime), furent enterrés faute de décision de la part de Berlin.

hélicoptère Tigre
Le programme Tigre III a été abandonné par Berlin

Début 2022, seuls 2 programmes subsistaient Le programme MGCS pour le remplacement des chars Leclerc et Leopard 2 en 2035, et SCAF, le système de combat aérien du futur pour prendre le relais des Rafale et Typhoon en 2040. S’ils subsistaient, ils n’en rencontraient pas moins d’importantes difficultés.

Ainsi, à l’hiver 2022, les tensions entre Dassault Aviation et Airbus DS obligèrent les ministres des Armées des trois pays membres de programme, Allemagne, Espagne et France, à forcer la main de leurs industriels pour sortir de l’ornière et lancer la phase 1B, pour l’étude du démonstrateur technologique.

1.1 MGCS : Le char de Schrödinger

Si SCAF semblait, début 2023, sur une trajectoire plus sécurisée, ce n’était pas le cas de MGCS. En effet, sous l’action conjuguée de l’augmentation de la demande en matière de chars de combat, de la guerre en Ukraine, et de l’arrivée de Rheinmetall au sein du programme en 2019, le programme était depuis plusieurs mois en état de stase. Les quelques évolutions et avancées le concernant suffisaient à peine à le maintenir en vie, et à ne pas suivre le destin de CIFS ou MAWS.

En cause, des visions de plus en plus divergentes entre les besoins des deux armées, la France privilégiant la mobilité, l’Allemagne la protection et la puissance de feu. Les agendas industriels et opérationnels devenaient, eux aussi, plus complexes à fusionner.

Sans solution industrielle et commerciale pour une alternative intérimaire au Leclerc, la France doit impérativement prévoir le remplacement de ses chars entre 2035 et 2040. À cette date, en effet, les Leclerc aujourd’hui en service atteindront leurs limites mécaniques comme opérationnelles, alors que l’industrie française devra trouver une activité dimensionnée pour prendre le relais du programme SCORPION.

MGCS plate-forme
Le programme MGCS doit concevoir un système de combat terrestre, bien davantage qu’un simple char

L’Allemagne, la Bundeswehr et ses industriels, ne sont pas exposés aux mêmes contraintes. Avec le KF-51 de Rheinmetall et le Leopard 2A8, ceux-ci disposent non seulement de solutions intérimaires performantes, mais également de produits demandés sur le marché.

En conséquence de quoi, au-delà des divergences déjà profondes concernant la nature même du système à concevoir, Paris et Berlin ne sont, aujourd’hui, d’accord sur rien autour de ce programme, surtout pas son calendrier ni son périmètre industriel et technologique.

De fait, depuis quelques mois, l’instar du chat de Schrödinger, le programme MGCS est simultanément mort, du fait de l’explosion évidente des divergences entre les deux protagonistes, et vivant, si l’on en croit les déclarations des ministres de tutelle, Sébastien Lecornu et Boris Pistorius.

Et tout porte à penser que la rencontre prévue entre les deux hommes, d’ici à la fin du mois septembre, aura pour but d’ouvrir la boite, et de regarder, objectivement, si le char a bu le poison, ou pas.

1.2 Un dangereux effet domino

De l’avis même de sources proches du projet, aujourd’hui, les chances que le programme MGCS tourne court dans les semaines ou mois à venir, sont de l’ordre d’une chance sur deux, et l’avenir de celui-ci est désormais en grande partie entre les mains de Boris Pistorius, de KMW et de Rheinmetall.

Or, les programmes MGCS et SCAF ont été artificiellement liés, lors de leur conception, au travers du partage industriel. De fait, la chute de l’un pourrait venir gravement menacer l’avenir de l’autre, dans un dangereux effet de domino.

Les programmes MGCS et SCAF sont artificiellement liés depuis leur conception
Les programmes MGCS et SCAF sont artificiellement liés depuis leur conception

À ce titre, selon ces mêmes sources, il s’agirait désormais de la plus importante menace sur le déroulement du programme SCAF, même si tout porte à croire que les phases 1B et 2, visant respectivement à concevoir puis fabriquer le démonstrateur technologique du NGF et de certains de ses systèmes, iront à leurs termes.

Reste que si MGCS et SCAF venaient à péricliter, chacun des pays devrait alors trouver des solutions alternatives et palliatives, pour répondre aux impératifs opérationnels et technologiques jusqu’ici censés être couverts par les deux programmes.

2. Coût du développement de MGCS et SCAF

La question se pose donc, pour la France, de savoir si celle-ci sera en mesure de développer seule, ou différemment accompagnée, ces deux programmes indispensables aux armées françaises entre 2035 et 2040.

La Base industrielle et technologique défense, ou BITD, française, dispose de l’ensemble des compétences nécessaires pour développer, par elle-même, un programme comme MGCS ou SCAF. En effet, dans le domaine des blindés, elle peut s’appuyer sur Nexter, concepteur du Leclerc, et sur un écosystème complet pour concevoir un nouveau char de combat, et son système de systèmes à venir.

BITD française - usine Nexter
La BITD française a les compétences pour developper MGCS par elle-même

Il en va de même autour d’un éventuel SCAF franco-français. Emportée par Dassault Aviation, Safran, Thales, MBDA et l’ensemble de la Team Rafale, la BITD aéronautique française est aujourd’hui l’une des cinq pouvant effectivement développer en toute autonomie un avion de combat de 6ᵉ génération dans le monde.

Ce d’autant qu’une partie des développements requis pour SCAF sera préalablement développée dans le cadre du très ambitieux programme Rafale F5, annoncé par Sébastien Lecornu à l’occasion des débats parlementaires concernant la Loi de Programmation Militaire française 2024-2030.

2.1 Estimations financières

Si le développement technologique et industriel de ces deux programmes ne représente pas un obstacle pour l’industrie de défense française, leur financement, en revanche, sera incontestablement difficile à mettre en œuvre, tout au moins en visant les mêmes ambitions.

C’est d’ailleurs l’une des principales justifications avancées par l’exécutif français pour soutenir l’intérêt d’un codéveloppement franco-allemand de ces deux programmes, plutôt qu’une solution purement nationale, comme ce fut le cas pour le Leclerc et le Rafale.

En effet, concevoir seule, puis construire les quelques centaines de chars de combat, véhicules de combat blindés et lance-missiles de nouvelle génération de MGCS, ainsi que les 250 avions de chasse, et autant de drones de combat, du programme SCAF, couterait cher, et même très cher au budget des armées.

EMBT Nexter KNDS
Le EMBT peut représenter une solution d’attente, mais pas une alternative à MGCS

Sur la base des projections existantes concernant ces deux programmes, ceux-ci couteraient à la France entre 3,5 et 4,5 Md€ (en euro 2023) par an, et ce pendant plus de 20 ans.

Déduction faite des engagements de financement dans le cadre des coopérations existantes, il s’agirait d’un surcout de 2 à 3 Md€ par an, particulièrement sensible lors de la phase de conception.

2.2 Impacts sur le budget de défense français

Ce surcout peut paraitre « accessible » à la France et son PIB de 3 000 Md€. Il représente toutefois une hausse de l’ordre de 20 Md€ sur la seule LPM 2024-2030, inflation comprise, mais aussi une hausse de près de 30 % du budget consacré par les Armées aux Programmes à Effet Majeur, ou PEM, autour de 8 Md€ en 2023.

Il sera donc tout sauf aisé pour la France de financer seule un tel effort, tout de moins en préservant le périmètre technologique et les ambitions préalablement définies autour des deux programmes.

Il s’agit, à ce titre, d’une des craintes exprimées par les personnes qui aujourd’hui y travaillent côté français, redoutant que, dans une telle hypothèse, la France, ses armées et son industrie de défense, doivent descendre d’une division face aux nouveaux chars et avions américains, allemands, britanniques ou chinois.

PANG Marine Nationale
Les Armées françaises doivent financer d’autres programmes gourmands en ressources, comme le porte-avions de nouvelle génération

Il est vrai que les opportunités françaises pour financer de tels programmes, sont peu nombreuses. La pression fiscale étant déjà à un très haut niveau, il n’est pas question de s’appuyer sur de nouvelles taxes pour générer des recettes supplémentaires.

De même, la dette publique française, qui atteint désormais les 3 000 Md€, interdit à Paris de se tourner vers de quelconques formes de financement classique, fut-il issu d’un emprunt national ou d’un livret d’état, sauf à radicalement changer les paradigmes actuels concernant le financement de l’effort de défense, ce qui n’est pas d’actualité.

La réattribution budgétaire, enfin, qu’elle soit interne au ministère des Armées ou externe à ce dernier, semble aussi à exclure, tant les budgets sont sous tension dans nombre de domaines, interdisant toute marge de manœuvre de ce type à Bercy.

On comprend, dans ce contexte, l’attachement de la France à la poursuite de ces deux programmes actuels. Il s’agit aussi d’un des principaux reproches faits par l’Allemagne à la France les concernant. Les Allemands estiment, non sans raison, n’être avant tout que les financiers de cette coopération aux yeux de la France et de son industrie de défense.

3. La France peut-elle se tourner vers de nouveaux partenaires ?

De fait, la solution la plus évidente pour Paris, face à un effondrement du partenariat industriel de défense franco-allemand, serait de se tourner vers d’autres partenaires. Bien que prometteuse, cette solution n’est pas dénuée de risques et de contraintes.

En effet, les contraintes qui aujourd’hui viennent menacer SCAF et MGCS, et avant eux de nombreux autres programmes français en coopération européenne, peuvent évidemment entraver d’éventuels nouveaux partenariats industriels de défense.

3.1 Atouts et contraintes du partenariat technologique international

Il est vrai que la France fait office de mouton noir en Europe, alors qu’elle a, derrière elle, une longue liste de programmes de défense avortés avec l’Allemagne, mais aussi la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne et d’autres.

3.1.1 Réduction des couts et extension de l’assiette industrielle

Cette coopération a bien sûr de nombreux atouts. D’une part, elle permet de partager les couts de recherche et de développement, même si une règle empirique veut que les couts de conception augmentent selon la racine carrée du nombre de partenaires.

Remote Carrier Airbus DS et MBDA
Le partage industriel est l’un des sujets critiques dans la conception d’une coopération internationale industrielle de défense

Ainsi, à deux partenaires, les couts de conception augmenteront en moyenne de 40 %, et de presque 75 % à trois. Cependant, la participation de chaque État s’avère 30 % moins élevée à 2 partenaires, et plus de 40 % moins onéreuse si trois pays collaborent.

D’autre part, la collaboration internationale permet d’étendre l’assiette industrielle du programme, et ainsi d’atteindre certains seuils entrainants des baisses de couts par économie d’échelle. C’est le cas aussi bien pour la production initiale que concernant la maintenance et l’évolutivité des équipements produits.

Enfin, chaque partenaire apporte avec lui son propre réseau international et commercial, ce qui doit permettre, en toute logique, d’accroitre les chances de succès à l’exportation de l’équipement.

3.1.2 Divergence des besoins, partage industriel et véto commercial

Toutefois, la coopération internationale ne vient pas sans de sérieuses contraintes. Ce sont d’ailleurs celles-ci qui aujourd’hui menacent les deux programmes franco-allemands, et avant eux, les trois autres programmes déjà passés par pertes et profits.

Avant tout, il convient de s’assurer que l’ensemble des partenaires partagent les mêmes besoins, et ont les mêmes attentes en termes de performances, d’évolutivité et de calendrier, pour chacun des programmes.

Leopard 2A7HU avec Systeme APS TROPHY
Les calendriers français et allemands sur MGCS, divergent depuis l’apparition du Leopard 2A8 et du KF-51 Panther

Dans le cas de SCAF et MGCS, ce sont précisément ces divergences, masquées initialement par l’enthousiasme politique, qui ont creusé le précipice vers lesquels ils semblent se diriger.

Par ailleurs, la participation d’un état s’accompagne inexorablement d’un partage industriel, voire de clauses de transfert de technologies. Ce partage industriel, dans le cas de la France dont la BITD est globale, se fera systématiquement au détriment de compétences détenues par des entreprises nationales.

Dans ce domaine, la notion de ‘Best Athlete », avancée initialement par Paris face à Berlin, s’avère extraordinairement contre-productive. Non seulement ne permet-elle pas de faciliter les négociations autour du partage industriel, tout au mieux exacerbe-t-elle les frustrations, mais elle contribue à faire apparaitre les autres partenaires comme des acteurs secondaires, ajoutant à leur défiance.

Enfin, si un partenaire peut étendre les opportunités commerciales des équipements co-produits, il peut également venir entraver les chances de succès vers certains clients potentiels. Cela peut se faire par l’intermédiaire d’un droit de veto nationale difficile à contourner, soit tout simplement en raison de certaines tensions entre le client potentiel et l’un des partenaires.

3.2 Vers quels pays se tourner ?

De ce qui précède, il est possible de tracer un portrait robot du ou des partenaires idéaux de la France sur la scène internationale, pour l’accompagner dans le développement d’un système de combat aérien du Futur de type SCAF, ou d’un Système de combat blindé terrestre de nouvelle génération de type MGCS.

3.2.1 Portrait robot du partenaire international idéal pour la France

Bien évidemment, ce portrait diffère selon les programmes. Pour MGCS, d’abord, le ou les partenaires devront partager une conception proche de celle de la France concernant l’engagement blindé. Ainsi, le ou les blindés à concevoir et à produire devront être très mobiles, donc d’une masse inférieure à celle des blindés américains, allemands et britanniques actuels.

Rafale C indien
L’inde est un partenaire stratégique de la France et de son industrie de défense

Le reste de cet article est réservé aux abonnés