ORION 23 : durcir l’ennemi et éprouver la brigade de corps d’armée
Bien plus qu’un exercice, ORION était aussi « un laboratoire pour expérimenter de nouveaux modes d’action, de nouvelles approches », déclarait le chef d’état-major des Armées (CEMA), le général Thierry Burkhard, en clôture de la phase 4. Derrière des systèmes comme le drone Patroller, le rendez-vous était l’occasion choisie pour éprouver deux structures : une force adverse musclée et une nouvelle brigade de corps d’armée.
Jouer un adversaire durci et cohérent
Ils étaient 1100 sur le terrain, en treillis noir ou désert, alliés ou français des 94e régiment d’infanterie, 2e régiment étranger de parachutistes et de la brigade franco-allemande, notamment. Avec leurs 500 véhicules inspirés de ceux en service dans certaines armées « très à l’est », ils formaient la partie visible de la force adverse (FORAD). Un opposant particulièrement musclé auquel s’ajoutaient cinq brigades manœuvrées par ordinateur (CAX) et renforcées par une division en second échelon. Soit plus de 45 000 militaires du 4e corps d’armée mercurien et miliciens retranchés face à une coalition de 70 000 alliés réels et simulés. « C’est la première fois que nous engageons une FORAD à ce niveau-là », souligne son commandant, le général de brigade en retraite Thierry Prunière.
Inédit, le volume n’était pas de trop pour former « un ennemi de haute intensité disposant d’à peu près toutes les capacités modernes, parfois embryonnaires et parfois très développées », complète le général Prunière. Un ennemi qui ne s’interdit pas d’utiliser tout l’arsenal à disposition. « Je suis le méchant, je fais certaines choses que la France ne ferait pas ». Quitte à franchir certaines limites, tel qu’un recourt aux gaz de combat, aux mines anti-personnel ou au ciblage d’objectifs situés au milieu de civils.
L’autre originalité d’ORION ? Plutôt que de se limiter à injecter des incidents « compartimentés », la logique de continuité du combat ajoutait une difficulté supplémentaire de compréhension de l’action adverse et de réactivité. Pour le commandant des forces rouges, il s’agissait de produire une « manœuvre cohérente en réaction à celle que mènent les forces de l’état-major joueur. Je conçois la manœuvre et je l’adapte ». De même, et contrairement à ce qui était la norme auparavant, ORION aura démarré avec des rapports de force favorables à l’adversaire. La maîtrise du ciel, par exemple, lui était acquise. « Nous essayons de jouer toute la gamme de situations qui pourraient survenir dans la réalité, tout ce qui pourrait perturber la manoeuvre », à l’instar de la capture de prisonniers et de certains matériels réutilisés par la suite.
« Je suis une force crédible et sérieuse. Mon état-major travaille et pose des problèmes tactiques certains ». Installé à Mailly-le-Camp, celui-ci avait la capacité de peser sur l’ensemble du spectre des menaces et des champs et domaines dans lesquelles elles s’expriment. Jusqu’à l’influence et la guerre informationnelle. Côté rouge aussi, des équipes étaient dédiées à la production de contenus sur un réseau social interne dont il faut tenir compte dans la conduite de la manœuvre. « Par le biais des réseaux, nous avons par exemple montré que nos parachutistes s’entraînaient. Nous avons bien fait voir aux bleus que nous avions un pion aéroporté super entraîné et projetable pour qu’ils soient obligés de le prendre en compte et d’étirer leur défense ». Les commandants n’ont pas été épargnés. De chaque côté, ils ont ainsi été la cible d’attaques ad hominem.
Vers l’ennemi Titan
Sissonne n’a pas été pris par la FORAD, mais, hors de tout objectif tactique, le test s’avère concluant. « J’ai réussi, en éclatant ma brigade blindée, en faisant de la guerre électronique et de la désinformation, à l’amener assez haut dans le dispositif pour conquérir mon objectif. (…) Je les ai mis en déséquilibre, forcé à réagir et à modifier leur plan », estime le général Prunière.
Jalon plutôt qu’aboutissement, ORION aura rempli son rôle d’étape clef dans la construction d’une FORAD durcie. Mercure n’avait en effet été utilisé qu’une seule fois auparavant, lors d’un exercice Monsabert conduit en décembre dernier mais de moindre envergure. L’objectif sera de maintenir ce rythme d’une mise à l’épreuve une à deux fois par an.
Cette refonte de la FORAD, le CEMA, alors à la tête de l’armée de Terre, l’a initiée il y a plus de deux ans « de façon à durcir les PC de niveaux division et corps d’armée » dans un contexte de retour des conflits de haute intensité. Depuis, une équipe d’une trentaine de militaires d’active et de réserve conduite par le général Prunière et régulièrement convoquée par le Commandement des forces terrestres (CFT) planche dessus.
Depuis 2019, la préparation opérationnelle se construit sur base de quatre niveaux d’adversaires différents : de l’ennemi non conventionnel Deimos à l’armée étatique du haut du spectre Titan. ORION se focalisait sur les deux adversaires intermédiaires, la guérilla Tantale et l’armée étatique de second rang Mercure.
Demain, le niveau de difficulté sera rehaussé d’un cran. Il s’agira alors d’affronter « un ennemi plus puissant possédant l’arme nucléaire et tout le panel d’armements possible et imaginable ». Avec tout ce que cela implique en matières de compréhension des volontés et de maîtrise de l’escalade. « Les travaux sur Titan sont bien avancés mais toujours en cours. L’ennemi est à peu près défini et nous pourrions le voir arriver autant en fin de cette année qu’en fin d’année prochaine ». Titan est en tout cas pressenti pour ORION 2026, rendez-vous désormais confirmé par le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill.
Premier test réussi pour la BRICA
Quand, le 17 avril, Mercure relançait l’offensive, le Corps de réaction rapide – France (CRR-Fr) engageait quant à lui sa brigade de corps d’armée « pour prendre le contact avec l’ennemi dans la profondeur ». Pour cette « BRICA » aussi, ORION 2023 constituait un premier test majeur. Structure ad-hoc, celle-ci rassemblait un groupement aéromobile constitué par la 4e brigade d’aérocombat et les FAMET espagnoles (Fuerzas Aeromóviles del Ejército de Tierra), des éléments du 1er régiment d’infanterie, du 3e régiment de hussards et du 9e régiment de soutien aéromobile ainsi qu’un bataillon de soutien logistique. « Ce qui constitue une brigade particulière d’environ 3000 hommes », soulignait le général Frédéric Barbry, commandant la 4e BAC et la BRICA.
Le rôle de cette brigade absente de l’ordre de bataille de l’armée de Terre ? « Façonner et déceler l’ennemi dans la profondeur du dispositif du corps pour pouvoir déterminer les contours, le détruire le cas échéant et pouvoir le canaliser et le livrer au dispositif ami de la 3e division ». Complémentaire de l’artillerie et de l’armée de l’Air et de l’Espace, cette unité aura su agir sur les arrières de Mercure grâce à la quarantaine d’hélicoptères déployés sur le terrain. Elle jouait également un rôle clef dans l’ultime phase de contre-attaque, en effectuant des actions sur les flancs de l’adversaire. « De façon préférentielle, la brigade de corps d’armée agit de nuit, au plus près du sol, dans la profondeur ou dans les espaces lacunaires, c’est à dire là où il y a une moindre densité d’ennemis ».
Le choix des régiments mandatés pour mener l’expérimentation n’est pas dû au hasard. Le 1er RI de Sarrebourg, par exemple, n’est situé qu’à 20 km du 1er régiment d’hélicoptères de combat de Phalsbourg. Une proximité des plus pratique pour s’exercer régulièrement. Entre le 1er RI et la 4e BAC, les liens sont aussi historiques. De 1985 à 1999, Picardie fut en effet l’unique régiment de combat aéromobile (RCAM) de l’armée de Terre. Son rattachement à ce qui était alors la 4e division aéromobile revit donc aujourd’hui à l’aune de l’émergence de la BRICA.
La première édition d’ORION se conclut sur « un énorme motif de satisfaction puisque cela fait plusieurs années qu’à la suite de mes prédécesseurs, nous avons enclenché ce mouvement de ‘BRICAnisation’ ». Les phases 2 et 4 d’ORION auront pleinement validé le concept et les premiers éléments tirés d’exercices de moindre envergure comme Cormoran, Baccarat et Manticore.
« Nous voyons en conditions proches de la réalité que ce qui avait été envisagé doctrinalement a une efficacité sur le terrain. Nous voyons que la BRICA est capable de se projeter avec des éléments au sol dans la profondeur du dispositif et avec des effets produits sur l’ennemi qui sont conséquents et apportent une plus-value au corps d’armée », poursuit le général Barbry. Un premier retour à chaud en attendant les autres enseignements susceptibles d’alimenter « un travail d’arrache-pied » mené ces derniers mois par les unités concernées.