Léo Péria-Peigné : “L’armée allemande a une stratégie claire, contrairement à la France”

Léo Péria-Peigné : “L’armée allemande a une stratégie claire, contrairement à la France”

 

par Léo PÉRIA-PEIGNÉ, interviewé par Clément Daniez pour L’Express– IFRI _ publié le 29 septembre 2023

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/leo-peria-peigne-larmee-allemande-une-strategie-claire-contrairement


La montée en puissance de l’armée allemande rebat les cartes en Europe, explique Léo Péria-Peigné, qui vient de publier une étude sur le sujet pour l’Ifri.

Laissée en déshérence pendant des années, l’armée allemande, la Bundeswehr, remonte en puissance. La décision a été prise juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un événement menant, pour l’Allemagne, à un nécessaire “changement d’époque” (“Zeitenwende”), comme l’a qualifié le chancelier Olaf Scholz. Grâce à un fonds de 100 milliards d’euros, Berlin multiplie les commandes, dans le cadre d’un programme de rééquipement destiné à en faire la “première armée d’Europe”.

Dans un rapport invitant la France à mieux appréhender la révolution en cours de l’autre côté du Rhin – “La Bundeswehr face au Zeitenwende” –, Elie Tenenbaum et Léo Péria-Peigné, du centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri), auscultent la transformation de l’outil militaire allemand. “L’Allemagne a un but stratégique unique et clair, quand la France, elle, court trois lièvres à la fois : être une alliée crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présente dans l’espace indo-pacifique”, explique Léo Péria-Peigné à L’Express. Entretien.

L’Express : Le gouvernement allemand a annoncé qu’il disposerait bientôt de la première armée d’Europe. En prend-elle vraiment le chemin ? 

Oui, mais pas de la façon dont on l’imagine d’un premier abord. La Pologne est l’autre pays qui a l’ambition d’être la première armée de terre d’Europe. Mais elle pense d’abord à elle-même, alors que l’Allemagne ambitionne cela de manière européenne. Elle se dote de moyens de commandements, de communications, de supports logistiques, qui vont permettre à d’autres nations de brancher leur armée sur ce système, pour amplifier les synergies dans le cadre de l’Otan. L’Allemagne pourrait ainsi devenir la première, en devenant la base d’une « armée européenne », pas forcément en nombre de chars. 

Beaucoup d’experts, en Allemagne, soulignent que les 100 milliards du fonds spécial serviront surtout à combler les retards accumulés… 

 Oui, un peu comme l’augmentation du budget pour la France selon sa loi de programmation militaire (LPM, 413 milliards d’euros de 2024 à 2030). Le fonds de 100 milliards est un plan de restauration, pour faire fonctionner ce qui existe et redensifier certaines capacités perdues. Ils ne dureront que quelques années, mais permettront d’atteindre l’objectif de l’équivalent de 2% du PIB consacré à la défense, comme le préconise l’OTAN. L’idée est ensuite qu’en 2027, les 2% seront assurés par le seul budget, sans un fonds complémentaire. Pour le prochain gouvernement allemand, il faudra cependant que ce soit politiquement acceptable. Pour cela, il faudra que le « Zeitenwende » atteigne les consciences. 

Jusqu’à quand la Bundeswehr va-t-elle rester « à sec », avec très peu de disponibilité de matériel, comme la dit le chef de son armée de terre ? 

La situation s’améliore déjà et cela devrait continuer. Par exemple, il y avait un gros problème de disponibilité dans la marine allemande, lié à l’encombrement des chantiers navals civils. En 2017, aucun des six sous-marins allemands n’était disponible. La marine a acheté des infrastructures existantes qui lui sont maintenant dédiées pour résoudre ce problème. Les améliorations vont s’amplifier, mais jusqu’à un certain seuil. Car il faut que les ressources humaines suivent. Il faut des spécialistes et des volontaires pour utiliser les nouveaux équipements. 

L’Allemagne n’ayant plus le service militaire, elle doit attirer des talents, des jeunes, avec des compétences de plus en plus pointues. Dans un pays plus vieillissant – bien plus que la France –, c’est déjà un problème. A cela s’ajoute le fait que le marché du travail civil est plus attractif. Si les Allemands n’arrivent pas attirer de nouveaux soldats, l’effet de la revitalisation restera limité. Il y a un travail à mener pour rendre la fonction militaire plus attirante pour les jeunes. 

Pourquoi ce Zeitenwende renforcent-ils plus le partenariat de l’Allemagne avec les Etats-Unis qu’avec la France ? 

Le Zeitenwende va servir à renforcer non seulement le partenariat avec les USA, très important pour l’Allemagne [achat de nombreux appareils américains, en particulier des avions et des hélicoptères], très attachée à l’Otan. Mais il va aussi lui servir à renforcer son partenariat avec l’Europe, plus qu’avec la France. Pour une raison très importante : si, en Europe, l’Allemagne est le principal partenaire de la France, l’inverse n’est pas vrai. Son principal partenaire, ce sont les Pays-Bas. A l’heure actuelle, les trois brigades qui composent l’armée de terre néerlandaise sont intégrées dans les trois divisions de l’armée allemande.  

L’Allemagne développe des partenariats avec d’autre pays européens pour les intégrer dans son modèle de force et constituer une plateforme commune. D’autres pourraient se monter avec la Hongrie, ou au niveau des différentes armées de la Baltique, en particulier les marines. Celui lui vaut certaines critiques, à Paris, comme quoi l’Allemagne fournit les fonctions non-combattantes pour envoyer les autres Européens sur le front à leur place.   Mais la France pourrait tenter de faire la même chose avec la Belgique, comme elle a commencé à le faire avec son partenariat stratégique sur les capacités motorisées CaMo. Une unité luxembourgeoise pourrait aussi être intégré au sein des divisions françaises. 

En quoi, les deux pays veulent se constituer deux armées différentes ? 

L’armée française se perçoit comme une armée d’emploi, qui peut faire la guerre et intervenir là où on a besoin d’elle, même loin. Après la fin de l’URSS et la réunification, l’Allemagne s’est lancée elle aussi dans une logique d’interventions internationales, comme en Afghanistan, mais cela n’a pas vraiment bien marché. Depuis, elle est revenue à sa culture d’armée d’avant la chute du mur : une armée conventionnelle, qui doit maintenir un niveau de puissance suffisant pour dissuader tout agresseur potentiel, axé sur la haute intensité. La France, elle court trois lièvres à la fois : être un allié crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présent en Indopacifique, avec un budget en grande partie consacré à la dissuasion nucléaire. La LPM a acté cette absence de choix.  

Peut-on être sûr que les deux grands programmes franco-allemands phare, le SCAF (l’avion du futur) et le MGCS (le char du futur), se feront ? 

Ces projets ont été lancés pour des raisons politiques et avancent lentement et de manière chaotique. Mais ils ont du mal à avancer sur le plan militaire et industriel. Les armées ne veulent pas la même chose. Concernant le SCAF, les Français veulent qu’il puisse atterrir sur un porte-avion et porter les futurs missiles nucléaires ASM4G. Les Allemands ne sont pas forcément prêts à payer pour ces capacités-là, dont ils se fichent. Sur le plan industriel, Airbus et Dassault, en plus d’être rivaux, se détestent, car Airbus a essayé de racheter Dassault au début des années 2000. 

Du côté du MGCS, le projet devait associer le français Nexter, très bon dans la fabrication de canons, et KMW, le concepteur de la caisse du Leopard 2. Mais le Bundestag a exigé qu’on ajoute Rheinmetall, une entreprise de défense beaucoup plus grosse que les deux autres. Or KMW craint de se faire racheter par Rheinmetall, dont le canon de 130 est en concurrence avec celui de 140 de Nexter pour équiper le MGCS…. 

Que faudrait-il faire pour relancer un partenariat franco-allemand dans la défense ? 

Il faudrait que les structures qui existent soient revitalisées et qu’on leur redonne une pertinence. Qu’on sache ce qu’on pourrait faire de la brigade franco-allemande. Pour la Marine, il y avait la Force navale Franco-Allemande (FNFA), une structure d’entrainement commun, tombée en désuétude.

[…]

> Lire l’interview intégrale sur le site de L’Express (réservé aux abonnés)

Un nouveau standard du blindé de reconnaissance et de combat « Jaguar » sera livré à l’armée de Terre en 2024

Un nouveau standard du blindé de reconnaissance et de combat « Jaguar » sera livré à l’armée de Terre en 2024

 

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Pourtant, quelques semaines plutôt, lors de l’examen de la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 à l’Assemblée nationale, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait confié être « inquiet pour la livraisons des Jaguar », après avoir évoqué, sans donner de détails, des aléas affectant ce programme. « Ce n’est pas une critique, c’est la réalité : il va falloir qu’on mette les bouts pour tenir les délais », avait-il dit.

Cela étant, le magazine spécialisé DSI avait expliqué, en mars, que la tourelle du Jaguar n’était « pas stabilisée ». D’où des « retards importants » pour équiper le Régiment d’Infanterie Chars de Marine [RICM] afin de lui permettre de remplacer ses AMX-10RC, à l’instar du 1er Régiment Étranger de Cavalerie [REC].

Mais lors d’une audition au Sénat [dont le compte rendu s’est fait attendre durant plus de trois mois], le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, a livré quelques détails sur ces « aléas » évoqués par le ministre.

« Concernant le Jaguar, je suis convaincu qu’il est un très bon équipement. […] Des ajustements sont encore nécessaires pour qu’il soit pleinement opérationnel. Les industriels ont bien intégré cet aspect », a fit le général Schill. Et d’annoncer qu’un « nouveau standard du Jaguar, doté d’un nouveau logiciel, sera livré par l’industriel mi-2024 ».

Pour rappel, le Jaguar est équipé d’une tourelle dotée d’un canon de 40 mm télescopé, d’une mitrailleuse téléopérée de 7,62 mm et de missiles Akeron MP [ex-MMP, fournis par MBDA, ndlr] qui, actuellement associés au viseur PASEO d’Optrolead, sont susceptibles de lui donner une capacité de tir au-delà de la vue directe, leur portée pouvant atteindre les 5 km. Mais celle-ci ne sera pas encore disponible sur le prochain standard de cet engin.

« Il ne fera pas encore du tir au-delà de la vue directe, mais il fera du tir en mouvement sur des cibles en mouvement. Si cette conduite de tir est performante, nous poursuivrons la transformation des régiments », a en effet expliqué le CEMAT.

Photo : armée de Terre

Abrams M1E3, Leopard 2AX : l’EMBT français peut-il s’inviter dans le reboot en cours des chars occidentaux ?

Abrams M1E3, Leopard 2AX : l’EMBT français peut-il s’inviter dans le reboot en cours des chars occidentaux ?


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Abrams M1E3, Leopard 2AX : l’EMBT français peut-il s’inviter dans le reboot en cours des chars occidentaux ?


Plutôt que de développer un nouveau char de combat, l’US Army a annoncé, il y a quelques semaines, se tourner vers une évolution radicale de son M1 Abrams, pour donner naissance au M1E3 Abrams d’ici à la fin de la décennie.

À l’instar de l’Allemagne et de son Leopard 2AX, il s’agit pour les États-Unis de répondre au mieux, face aux contraintes de temps et de technologies, aux enseignements de la guerre en Ukraine, et notamment à l’arrivée massive des drones à tous les échelons du combat.

Cette approche, qui s’oppose aux objectifs d’un programme MGCS menacé de toutes parts, se veut pragmatique pour répondre aux enjeux opérationnels, mais aussi commerciaux, qui se présentent aujourd’hui.

Dans ce contexte, la France, sur la base d’une évolution radicale du char Leclerc basée sur la tourelle EMBT, doit-elle, elle aussi, s’inviter dans cette course contre-la-montre qui s’est engagée des deux cotés de l’Atlantique ?

La transformation robotique du champ de bataille est en marche

S’il est un enseignement crucial à retenir des 19 mois de guerre en Ukraine, c’est incontestablement le rôle désormais central que les technologies robotisées, plus particulièrement les drones, ont pris sur le champ de bataille.

Leopard 2A4 ukraine
La guerre en Ukraine a montré toute l’utilité des chars de combat, un temps destinés au musée selon certain.

Ceux-ci interviennent dans la presque totalité des espaces de conflictualité, qu’il s’agisse de frapper les unités sur la ligne de front, de diriger le tir de l’artillerie à longue et très longue portée, de mener des raids aériens ou navals contre les bases arrière de l’adversaire, et même pour mener des campagnes de terreur contre les populations civiles.

L’arrivée de ces drones et autres munitions rôdeuses, influence à présent la réflexion opérationnelle des stratèges militaires, au point de modeler, avec d’autres facteurs souvent connexes, la conception même des nouveaux équipements militaires.

C’est ainsi que les Loyal Wingmen et autres Remote Carrier sont aujourd’hui au cœur de la conception des avions de combat de nouvelle génération comme les NGAD aux Etats-Unis, le GCAP britannique (Italie/Japon), et le SCAF européen.

Ils influencent aussi la conception des nouveaux navires militaires, qu’il s’agisse des unités de surface combattantes comme les destroyers et frégates, les grands navires aéronavals et d’assaut, les bâtiments de guerre des mines et même les sous-marins.

C’est aussi le cas dans le domaine des armements terrestres, qu’il s’agisse de l’artillerie, des blindés de combat et de soutien, et désormais du seigneur du champ de bataille, le char de combat.

T14 Armata
Le T14 Armata russe fut le premier char à intégrer pleinement la révolution robotique. Toutefois, les difficultés qu’il rencontre depuis presque 10 ans maintenant pour sa mise au point, laisse penser que celui-ci était trop ambitieux pour les technologies du moment maitrisées par l’industrie russe.

En effet, les programmes de chars de combat de nouvelle génération, ou devons-nous dire plutôt de génération intermédiaire, comme le K2 Black Panther, le T14 Armata, le Leopard 2A8 ou le récemment annoncé, Abrams M1E3, sont conçus autour de cette révolution robotique.

Ils intègrent ainsi des drones de reconnaissance pour une perception étendue de leur environnement, des systèmes antidrone et APS pour engager et détruire les drones de reconnaissance et les munitions rôdeuses,

La robotique entre aussi dans l’habitacle, pour remplacer le poste de chargeur par un système automatisé, même au sein des armées attachées à l’équipage à quatre traditionnels jusqu’ici.

Cette influence dépasse même ce cadre direct, en imposant, par exemple, des chars plus légers et plus mobiles, avec une empreinte logistique plus faible, de sorte à préserver les flux logistiques des frappes indirectes menées, là encore, avec l’aide ou par des drones.

Avions, hélicoptères, chars : leur rôle va évoluer dans les années à venir

Au-delà de ces aspects déjà appliqués au combat aujourd’hui, notamment en Ukraine, il apparait surtout que la révolution robotique des armées en cours, va considérablement influencer le rôle même des piliers de l’action militaire.

F-35 et drones de combat loyal wingman
Les avions de combat vont rapidement évoluer du rôle de vecteur effecteur à celui de coordinateur des drones de combat, qui eux assureront le transport et la livraison des munitions.

Ainsi, les avions de chasse, mais aussi, les frégates, destroyers et sous-marins, les hélicoptères et les chars, voient leur rôle opérationnel évolué d’une mission de type vecteur/effecteur, c’est-à-dire de transport et de mise en œuvre des munitions et des systèmes d’armes, à celui de coordinateur de drones jouant précisément ce rôle de vecteur/effecteur.

Dit autrement, là où aujourd’hui un avion de combat comme le Rafale transporte lui-même ses bombes et ses missiles, ou un char comme le Leclerc emploie son canon de 120 mm, les équipements qui devront les remplacer s’appuieront avant tout sur les munitions et capacités de leurs drones, pour frapper l’adversaire.

En effet, les systèmes d’armes sont désormais à ce point efficaces et précis, et les moyens de communication performants et réactifs, qu’exposer un avion de combat de 100 m€ ou un char lourd de 20 m€, ainsi que leurs précieux et rares équipages, ne peut se faire que parcimonieusement, avec un temps d’exposition le plus réduit possible.

Quelle influence sur les nouveaux chars de combat ?

Si la révolution drone et robotique s’était déjà invitée depuis plusieurs années dans la conception des systèmes de combat aériens de nouvelle génération, et dans la guerre navale, son intégration aux véhicules blindés, et notamment aux chars de combat, était en revanche plus timide (en dehors des systèmes de chargement automatique en Russie, France ou encore Corée du Sud).

M1A2 Abrams
Au fil des années et des évolutions, le M1 Abrams américain a connu de nombreuses évolutions, ayant chacune laissé des marques sur son toit, et sur la balance.

Toutefois, il semble que les nouveaux programmes en cours de développement, comme le toujours mystérieux Leopard 2AX en Allemagne, et surtout le M1E3 Abrams récemment dévoilé par l’US Army, semblent précisément tournés vers celle-ci.

Ainsi, à l’occasion de la Defense Warfighter Conference, le général de brigade Geoffrey Norman, directeur de la Next-Generation Combat Vehicle Cross Functional Team de l’US Army, a donné des précisions sur le nouveau char à l’étude, dont l’existence fut dévoilée il y a tout juste une semaine.

Comme anticipé, le nouveau char sera conçu sur la base des avancées développées dans le cadre de la version SEPv4 du M1A2 Abrams, finalement annulée au profit du nouveau programme.

Il intégrera de fait de nouveaux équipements de vetronique, comme un système infrarouge de nouvelle génération 3GEN FLIR, un détecteur de menace laser, un système de gestion thermique et d’autres nouvelles capacités.

En revanche, celui-ci sera entièrement repensé pour absorber les enseignements de la guerre en Ukraine, et intégrer la révolution robotique en cours. Il disposera de cette manière d’un système de protection actif passif, soft et hard-kill intégré nativement, et non ajouté comme c’est le cas du Trophy sur le M1A2 SEPv3.

AbramsX de GDLS
Le démonstrateur AbramsX de GDLS a été présenté au salon AUSA de 2022. Il préfigure probablement le M1E3, qui en reprend les principales caractéristiques.

Son équipage sera, lui, ramené à trois membres, avec la suppression du poste de chargeur, et l’intégration d’un système de chargement automatique du canon principal.

Surtout, le char sera considérablement allégé, de sorte à en réduire l’empreinte logistique et doté d’une propulsion hybride, tant pour réduire sa consommation que pour en améliorer au besoin la furtivité.

Si la masse au combat du M1E3 n’est pas encore révélée, le General Norman a toutefois précisé qu’il s’agissait notamment de lui permettre d’employer certaines infrastructures de transport civiles, comme les ponts, aujourd’hui interdits au M1A2 et à ses 73 tonnes.

Abrams M1E3, Leopard 2AX : Pourquoi l’option du reboot générationnel a beaucoup d’intérêt ?

Il est toutefois intéressant de remarquer qu’à l’instar du Leopard 2AX allemand, l’US Army privilégie dans ce programme une évolution de l’Abrams, même si celle-ci est radicale, au développement d’un nouveau char, comme envisagé par le désormais moribond MGCS franco-allemand. Ce choix s’explique par plusieurs facteurs concomitants.

La pression du calendrier géopolitique et commercial

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L’armée américaine dévoile un plan de modernisation plus ambitieux que prévu pour le char M1A2 Abrams

L’armée américaine dévoile un plan de modernisation plus ambitieux que prévu pour le char M1A2 Abrams

 

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Actuellement, celle-ci aligne 6612 chars de combat de ce type, dont 500 portés au standard SEPv3, qui est le dernier à avoir été développé par General Dynamics Land Systems [GDLS]. C’est d’ailleurs cette version qui est proposée à l’exportation par Washington [la Pologne en attend 250 exemplaires et la Roumanie envisage d’en commander 54].

Cependant, l’US Army avait jusqu’alors le projet d’un nouveau standard, appelé SEPv4, dans ses cartons. Finalement, elle a décidé de l’annuler, au profit d’un chantier de modernisation de l’Abrams encore plus ambitieux.

Il sera mis un terme « à l’effort concernant la version SEPv4 du M1A2 afin de développer le M1E3 Abrams, qui visera à améliorer les capacités nécessaires pour contrer les menaces futures sur le champ de bataille de 2040 et au-delà », a en effet annoncé l’US Army, via un communiqué publié le 6 septembre.

« Nous comprenons que les futurs champs de bataille poseront de nouveaux défis au char alors que nous étudions les conflits récents et en cours », a commenté le général Geoffrey Norman, directeur des projets de véhicule de combat de nouvelle génération au sein de l’armée américaine. « Nous devons optimiser la mobilité et la capacité de survie de l’Abrams afin de lui permettre de se rapprocher de l’ennemi et de le détruire et d’en faire le ‘roi’ des futurs champs de bataille », a-t-il ajouté.

Le communiqué de l’US Army ne livre que très peu de détails sur cette modernisation de l’Abrams… Si ce n’est qu’elle reprendra certaines fonctionnalités qui étaient prévues pour la version SEPv4 afin de les associer « avec les dernières normes d’architecture de systèmes ouverts modulaires », ce qui permettra de « concevoir un char plus léger et plus résistant, plus efficace sur le champ de bataille lors de sa mise en service initiale [attendue d’ici 2030, ndlr et plus facile à mettre à niveau à l’avenir. »

Le général Glenn Dean, responsable des systèmes de combat terrestres, a sans doute donné quelques indices supplémentaires. « Le char Abrams ne peut plus accroître ses capacités sans prendre de poids » alors que « nous devons réduire son empreinte logistique », a-t-il dit. « La guerre en Ukraine a mis en évidence un besoin critique pour des protections intégrées », c’est à dire installées à l’intérieur du char « au lieu d’être ajoutées ».

Selon l’US Army, des « années de tests, d’analyses, de commentaires des soldats et de technologies en phase de maturation ont abouti à cette décision stratégique ». Et d’ajouter que cette nouvelle approche permettra d’équilibrer les « coûts avec les besoins » et d’investir dans la base industrielle de défense américaine.

Probablement que ce M1E3 Abrams s’appuiera sur les travaux menés par GDLS pour l’Abrams X, un démonstrateur de char de combat de nouvelle génération dévoilé en octobre 2022. À l’époque, l’industriel avait assuré que ce dernier aurait une masse réduite [et donc une meilleure mobilité] et qu’il serait équipé d’un groupe motopropulseur [GMP] hybride, reposant probablement sur l’Advanced Combat Engine [ACE] fourni par Cummins.

L’appellation M1E3 Abrams est un « retour à la nomenclature type pour notre flotte de véhicules de combat », a souligné le général Dean. Le « E » signifie que la modification devant être apportée à une plate-forme existante sera « plus importante qu’une modification mineure ». Et il sert « à désigner un prototype et la configuration de développement jusqu’à ce que le véhicule soit officiellement classé par type et reçoive une désignation ‘A’ », a-t-il expliqué.

Photo : Démonstrateur Abrams X

À Berlin, on doute de plus en plus de l’avenir du char franco-allemand de nouvelle génération

À Berlin, on doute de plus en plus de l’avenir du char franco-allemand de nouvelle génération

 

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Le développement d’un char lourd de combat franco-allemand, appelé à remplacer le Leclerc et le Leopard 2, est, jusqu’à présent, la partie « visible » du MGCS. Et pour le mener à bien, Paris et Berlin favorisèrent le rapprochement entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann [KMW], les deux entités s’étant depuis fondues sous la marque KNDS.

Seulement, le gouvernement allemand imposa un troisième acteur, à savoir Rheinmetall. Et cela n’a pu que compliquer le partage des tâches à 50-50 entre les deux parties…

« Nous vivons une situation difficile avec le MGCS. KDNS est née de la fusion de Nexter et de KMW pour réunir les industries de défense allemandes et françaises. Notre partenaire technologique Rheinmetall nous a rejoint plus tard, à la demande du gouvernement fédéral. L’Allemagne s’est ainsi lancée dans un triangle amoureux qui n’était pas prévu initialement », a ainsi récemment déploré Ralf Ketzel, le responsable de la division allemande de KNDS.

Pour autant, en juillet, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, et son homologue allemand, Boris Pistorius, ont une nouvelle fois assuré que le MGCS irait jusqu’au bout.

« Ni un nouveau Leclerc, ni un nouveau Léopard, le MGCS opère un saut technologique majeur qui sera en service jusqu’en 2070 », avait alors lancé M. Lecornu, avant d’annoncer que les états-major français et allemand allaient plancher sur une fiche commune d’expression des besoins… Six ans après le coup d’envoi du programme.

Depuis, on a appris que Paris verrait d’un bon oeil une participation italienne au MGCS afin de « rééquilibrer » le rapport de force avec la partie allemande…

Seulement, la question est de savoir si le MGCS impliquera nécessairement le développement d’un char de combat de nouvelle génération. La France le souhaite, afin de pouvoir remplacer les Leclerc à l’horizon 2035. Au point que, lors des débats portant sur la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, un amendement du Sénat demandant la mise au point d’un démonstrateur de Leclerc Mk3, n’a pas été adopté, à la demande du ministre.

Outre-Rhin, la musique est toute autre. En effet, certains industriels et élus ne voient pas la nécessité de financer le développement d’un nouveau char dans l’immédiat puisqu’il existe déjà, avec le Leopard 2A8, la dernière évolution du Leopard 2. Et plusieurs pays ont fait part de leur intention de se le procurer… à commencer par l’Allemagne.

Citant les milieux gouvernementaux et industriels allemands, le quotidien économique Handelsblatt l’a affirmé sans ambage, le 4 septembre : le MGCS est sur le point d’échouer, les « divergences » entre Paris et Berlin étant trop importantes.

« Nous ne croyons plus au MGCS », a déclaré une source industrielle allemande au journal, pour qui « l’échec imminent » du projet reflète les difficultés « de la coopération en matière d’armement entre Berlin et Paris ».

Cependant, en avril, Susanne Wiegand, la PDG du groupe Renk, qui fournit la boîte de transmissions du Leopard 2, avait fait le même constat dans les pages de l’hebdomadaire Wirtschaft Woche. « Depuis l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, beaucoup de pays européens ont commandé des Leopard 2 à Krauss-Maffei Wegmann pour leurs forces armées, au point qu’il n’y a peut-être plus de place pour le MGCS pour le moment », avait-elle en effet estimé.

Et certains pensent la même chose dans les milieux politiques allemands. Tel est par exemple le cas du député Andreas Schwarz, qui, entre autres, est le rapporteur du groupe du Parti social-démocrate [SPD, membre de la majorité] sur le budget du ministère de la Défense.

 

« En tant que responsable du budget de la défense, je ne peux que dire qu’avec le Leopard 2, nous avons un char éprouvé, dont le développement devrait être encore plus poussé grâce à des financements supplémentaires », a soutenu M. Schwarz, via X/Twitter, en commentant l’article du Handelsblatt. Ainsi, a-t-il continué, cela permettrait d’éviter des crises de nerf, de gagner du temps et de faire des économies… car « avec le Leopard 2, nous savons ce que nous avons ».

Voici une déclaration qui a le mérite d’annoncer la couleur… et qui laisse augurer des débats passionnés quand il s’agira pour le gouvernement allemand de demander au Bundestag les crédits nécessaires pour financer le MGCS.

Ukraine : Dernier né des chars russes, le T-14 Armata doit revenir en usine pour des « ajustements »

Ukraine : Dernier né des chars russes, le T-14 Armata doit revenir en usine pour des « ajustements »

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Pour rappel, présenté pour la première fois en 2015, le T-14 Armata était censé marquer une rupture par rapport aux autres chars utilisés par les forces russes.

Affichant une masse de 57 tonnes et mû par un groupe motopropulseur de 1500 ch, ce nouveau char est mis en œuvre par trois hommes, logés dans une capsule blindée à couches multiples. Il est doté d’une tourelle téléopérée armée d’un canon de 125 mm, complété par une mitrailleuse de 12,7 mm, d’un canon de 30 mm et de missiles anti-char, et sur laquelle prennent place différents types de capteurs [équipements optroniques, radars, caméras]. Enfin, il dispose du système de protection active Afganit.

Dans l’une de ses évaluations quotidiennes de la situation en Ukraine, le ministère britannique de la Défense [MoD] avait estimé, en janvier, que l’envoi de T-14 au Donbass pourrait être à « haut risque » pour les forces russes étant donné les difficultés auxquelles son constructeur, Uralvagonzavod, fut confronté durant son développement. Et d’en conclure qu’un éventuel déploiement se ferait à des fins de propagande.

En tout cas, en se basant sur l’imagerie satellitaire, le MoD avait dit avoir repéré deux T-14 Armata au camp d’entraînement de Kouzminka qui, situé dans le sud de la Russie, est associé à une « activité de pré-déploiement pour les opérations en Ukraine ».

Cependant, si aucune image le montrant au combat n’a été produite, cela ne veut pas dire que le T-14 Armata n’a pas été envoyé en Ukraine… La raison de cette discrétion a sans doute été donnée par l’agence officielle russe Tass.

Évidemment, on peut toujours soupçonner une tentative de manipulation… Mais toujours est-il que, ce 22 août, et sur la foi de confidences faites par une « source du complexe militaro-industriel », celle-ci a révélé que le « nouveau char T-14 Armata » devra subir des « ajustements » sur « la base des résultats de son utilisation dans le cadre de ‘l’opération spéciale’ en Ukraine.

Le T-14 Armata « a été utilisé à plusieurs reprise dans la zone de combat en Ukraine », a prétendu la source de l’agence Tass. Quant aux modifications en question, elle n’a pas souhaité en préciser la nature par souci de confidentialité.

Selon Tass, le groupe « Sud » des forces russes aurait utilisé plusieurs T-14 « dans le but de les tester et d’observer leur comportement dans des conditions de combat réelles ». Puis ces chars ont ensuite « été retirés de la ligne de front ».

Selon les prévisions de Krauss-Maffei, le Leopard 2 ne viendra pas entamer le marché du MGCS

Selon les prévisions de Krauss-Maffei, le Leopard 2 ne viendra pas entamer le marché du MGCS


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Selon les prévisions de Krauss-Maffei, le Leopard 2 ne viendra pas entamer le marché du MGCS


Ces derniers mois, de nombreux échos industriels et militaires, venus d’outre-Rhin, donnaient corps à une possible opposition entre la reprise constatée du marché européen du char du combat, en lien avec le conflit en Ukraine, et le calendrier prévu initialement pour le programme franco-allemand MGCS. Ce dernier doit remplacer, à partir de 2035, les chers Leclerc français et Leopard 2 allemands.

La présentation, il y a quelques semaines, de la nouvelle version Leopard 2A8 du char de Krauss-Maffei Wegmann, vint accroitre cette pression sur le programme MGCS. En outre, en moins de huit semaines, le nouveau char allemand est parvenu à séduire la Bundeswehr, la Norvège, la République tchèque et l’Italie, alors que les Pays-Bas semblent également se diriger vers une acquisition prochaine.

De fait, il n’y avait rien de surprenant à ce que les industriels allemands voyaient avec inquiétude le chevauchement probable des deux offres, pouvant potentiellement nuire tant à la vente immédiate de Leopard 2A8, que réduire le marché adressable du MGCS lors de son entrée en service, comme le fit la CEO de l’industriel RENK, Suzanne Weigand, en avril dernier, en appelant à un décalage du programme franco-allemand vers 2040 ou au-delà.

S’il y a quelques jours, les ministres français et allemand Sébastien Lecornu et Boris Pistorius, maintinrent le calendrier initial à 2035 à la suite d’une rencontre à Berlin, tout indiquait jusque-là que, pour les industriels allemands, celui-ci demeurait contre-productif, même si le principal intéressé, Krauss-Maffei Wegmann produisant le Leopard 2 et partenaire du Français Nexter au sein de la coentreprise KNDS, restait étonnement discret sur le sujet.

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Sebastien Lecornu et Boris Pistorius à Berlin pour discuter du programme MGCS en juillet 2023

 

La raison de cette discrétion pourrait avoir été dévoilée par le site Stuttgart-Zeitung le 15 juillet. L’article en question annonce en effet être entré en possession de documents internes de KMW concernant la production planifiée de chars Leopard 2 d’ici à 2032, une information évidement cruciale (bien que sans le moindre doute confidentielle), pour évaluer la réalité du chevauchement industriel évoqué depuis plusieurs mois maintenant.

Or, selon ce document, l’industriel allemand ne prévoit de livrer sur les 10 années à venir, entre aujourd’hui et fin 2032, seulement que 648 Leopard 2 à ses futurs clients européens, soit un volume très inférieur à ce qu’il serait nécessaire d’atteindre pour venir éroder significativement le marché adressable du programme MGCS à son lancement en 2035.

Dit autrement, déduction faite des chars allemands, norvégiens, tchèques, italiens et néerlandais déjà évoqués, représentant entre 300 et 350 blindés, l’industriel allemand ne prévoit de livrer que 300 exemplaires supplémentaires aux armées européennes, un nombre très inférieur aux quelque 1850 Leopard 2A4, A5 et A6 actuellement en service sur le vieux continent, et qui devront être remplacés à horizon 2035.

De fait, le marché européen adressable par le programme MGCS à partir de 2035, demeurerait des plus significatifs, entre 1500 et 2000 exemplaires pour un remplacement 1 à 1 (il est vrai très peu probable), ce d’autant que la France, la Grande-Bretagne et l’Italie devront, eux aussi, remplacer leurs Leclerc, Challenger III et Ariette C1, pour un marché s’établissant entre 500 et 800 blindés.

 

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Le programme MGCS prévoit de concevoir non seulement un char de combat, mais plusieurs véhicules blindés lourds dédiés à la très haute intensité

Dans ce contexte, la réserve exprimée par plusieurs industriels allemands comme RENK mais également Rheinmetall, appelant à viser 2040 voire 2045 plutôt que 2035, précisément pour libérer des espaces aux modèles actuels Leopard 2A8 et KF-51 Panther, n’est guère convaincante, et rien ne s’oppose, objectivement parlant, à un respect strict du calendrier initial, pour peu que les actions de retardement, à dessein ou fortuites, qui entravent ce programme depuis son lancement, prennent effectivement fins à très court terme.

Car d’une manière ou d’une autre, il est désormais absolument indispensable que Paris et Berlin s’entendent à très court terme sur un calendrier, un cahier des charges et une répartition industrielle stricte ne laissant plus place à l’interprétation ou la révision, faute de quoi, marché ou pas, le programme glissera au plus grand désavantage des armées européennes.

En effet, il convient de garder à l’esprit que si KMW prévoit de produire 648 Leopard 2 d’ici à 2032, auxquels on peut ajouter les 1000 K2 et Abrams polonais, l’industrie russe est, pour sa part, aujourd’hui dimensionnée pour produire entre 450 et 600 chars T-90M, T-80BVM ou T-72B3M par an, soit 3 à 4 fois plus de chars que n’en produiront les industries européennes sur les 10 prochaines années.

 

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La production de l’usine russe uralvagonzavod est désormais pleinement consacrée aux chars de combat modernes T-90M, T-80BVM et T-72B3M, avec une production annuelle estimée entre 450 et 600 blindés.

Il sera alors indispensable aux armées européennes, d’aligner des systèmes disposant d’une plus-value opérationnelle et technologique à ce point significative qu’elle permettra de compenser un rapport de force aussi défavorable, ce que ni le Leopard 2A8, ni le Challenger 3, pas même le K2PL ne pourront apporter.

De fait, arbitrer à court terme, que ce soit en faveur du MGCS mais de manière stricte, ou pour y mettre fin et se diriger vers des solutions alternatives, est désormais un impératif sécuritaire bien davantage qu’industriel pour les ministres français et allemands de la défense.

L’armée polonaise va se doter de 700 nouveaux véhicules de combat d’infanterie « lourds »

L’armée polonaise va se doter de 700 nouveaux véhicules de combat d’infanterie « lourds »

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Destiné à équiper les « unités de reconnaissance des forces blindés et d’infanterie mécanisée », le premier contrat, d’une valeur d’envion 300 millions d’euros, concerne l’achat de 400 véhicules légers tactiques KLTV, qui n’est autre qu’une version polonaise du Raycolt 4X4 proposé par le groupe sud-coréen KIA Motors.

Doté d’un moteur de 225 ch et d’une système de suspension indépendant, le KLTV offre une protection à la norme STANAG 4569 de l’Otan. Il peut être équipé de mitrailleuses [de 7,62 ou de 12,7 mm], d’un lance-grenades automatique et de missiles antichars. Les véhicules commandés seront produits par l’entreprise polonaise Rosomak SA. Les premiers exemplaires seront livrés à l’armée polonaise dès 2024.

Le second contrat vise à développer le NKTO, un nouveau véhicule blindé de transport de troupes, qui viendra d’abord en complément du KTO Rosomak, dont plus de cent exemplaires sont en dotation au sein de l’armée polonaise, avant de le remplacer.

Selon les explications données par le ministre polonais de la Défense, Mariusz Błaszczak, le potentiel de développement du KTO Rosomak serait limité, même s’il s’agit d’un « bon véhicule ». Et de se dire « convaincu » que le NKTO sera « un succès » non seulement pour répondre aux besoins de l’armée mais aussi à l’exportation. « Nous essaierons également de faire en sorte que ces produits puissent être exportés », a-t-il en effet déclaré.

Enfin, le dernier contrat approuvé par M. Błaszczak est sans doute de loin le plus ambitieux dans la mesure où il s’agit de concevoir un nouveau véhicule de combat d’infanterie [VCI], destiné à épauler le Borsuk, un engin de 28 tonnes déjà commandé à 1400 exemplaires auprès du consortium Huta Stalowa Wola [HSW]. L’armée polonaise entend acquérir 700 unités.

Selon les quelques détails disponibles, ce nouveau VCI, appelé « CBWP », sera plus lourd que le Borsuk. Sa conception reposera sur le même châssis de facture sud-coréenne que les obusiers Krab et K9 Thunder. Devant être mis en oeuvre par un équipage de trois soldats, il pourra embarquer jusqu’à huit fantassins équipés. Son armement sera composé d’un canon de 30 mm, d’une mitrailleuse UKM-2000C de 7,62 mm et de missiles antichars Spike. Le tout sera intégré à une tourelle téléopérée ZSSW-30. Là encore, il s’agira d’aller vite… puisque les premiers exemplaires devront avoir été livrés en 2025.

« Le rôle du nouveau véhicule sera de coopérer directement avec les chars et d’assurer un haut degré de protection et une puissance de feu élevée pour les unités mécanisées », a précisé le ministère polonais de la Défense.

Quel blindé pour assurer l’intérim du Leclerc si le programme MGCS venait à être reporté ?

Quel blindé pour assurer l’intérim du Leclerc si le programme MGCS venait à être reporté ?

Ces derniers jours ont probablement été les plus difficiles concernant le programme Main Ground Combat System, ou MGCS, destiné initialement à remplacer les Leclerc et Leopard 2 à partir de 2035. En effet, coup sur coup, plusieurs annonces ont été faites outre Rhin, laissant supposer que cette échéance ne serait plus respectée. Ainsi, selon la Bundeswehr, les blocages industriels auxquels le programme fait face aujourd’hui, interdiraient désormais une entrée en service en 2035.

Quelques jours plus tôt, Suzanne Weigand, la CEO de RENK, qui conçoit et fabrique les très critiques transmissions des chars français et allemands, a déclaré lors d’une interview que cette même échéance n’était plus souhaitable alors que la demande immédiate pour de nouveaux chars de combat vient redistribuer la physionomie du marché adressable en 2035.

Le coup de grâce a été porté en fin de semaine par Krauss Maffei Wegmann, le concepteur du Leopard 2, qui a présenté une nouvelle version 2A8 de son char, et indiqué qu’une version plus évoluée, encore désignée 2AX, était en développement pour une entrée en service d’ici à 2 ou 3 ans.

Le calendrier du programme MGCS menacé

De toute évidence, il sera bientôt impossible de continuer d’espérer que les premiers MGCS viendront remplacer les Leclerc français et Leopard 2 allemands à partir de 2035, la date de 2045 étant souvent citée outre-Rhin.

Cette échéance est même, d’un certain point de vue, probablement optimiste au regard de la réalité du reversement de marché concernant les chars lourds auquel nous assistons aujourd’hui en Europe comme dans le Monde. Comme nous l’avons évoqué dans nos précédents articles sur le sujet, un tel report viendrait mettre à mal tant l’Armée de Terre française que la Base Industrielle et Technologique Défense Terre nationale.

La première, en effet, n’a pas aujourd’hui la possibilité de renforcer ou moderniser comme il se doit son parc de Leclerc pour atteindre une telle échéance, ou du moins rien n’indique à ce jour dans la programmation militaire française que l’hypothèse ait été traitée dans sa globalité. La seconde, quant à elle, a un plan de charge optimisé avec le programme SCORPION l’amenant jusqu’en 2035, et tablait sur le programme TITAN, duquel MGCS est le pilier principal, pour prendre le relais à cette échéance.

Un retard de MGCS mettrait à mal le programme TITAN de l'Armée de Terre
Le programme TITAN de l’Armée de Terre est une évolution du programme SCORPION intégrant la composante blindée lourde

De fait, si, comme il est désormais très probable, le programme MGCS venait à être reporté sans être annulé, il sera nécessaire, pour Paris, de trouver une solution intérimaire capable de répondre simultanément aux besoins de l’Armée de Terre comme à ceux de la BITD terre, de sorte à préserver les capacités et ambitions de l’un comme de l’autre.

Vers une solution intérimaire pour l’Armée de terre

Plusieurs articles publiés sur ce site ont déjà étudié quelques options, comme le démonstrateur EMBT et sa très prometteuse tourelle développée par Nexter, voire en se tournant vers une solution exogène, comme le KF51 Panther de Rheinmetall, le K2PL polonais ou le nouveau Leopard 2AX en cours de conception chez KMW, le partenaire de Nexter au sein du groupe KNDS.

Toutefois, ces analyses reposaient sur l’étude d’une solution existante, pour en déterminer la pertinence et la soutenabilité dans l’hypothèse d’une augmentation de format, et non pour répondre à un report de MGCS. Dans cet article, à l’inverse, nous partirons des besoins, du contexte international et commercial, mais également des enseignements de la Guerre en Ukraine à ce sujet, pour établir quelle serait la meilleure réponse que pourrait apporter la BITD française.

Il n’y a de cela que quelques années, la plupart des états-majors estimaient que le char de combat était une relique du passé. Pour beaucoup, les progrès réalisés ces dernières décennies en matière de munitions antichars, mais également de munitions rôdeuses et de munitions d’artillerie ou aéroportées de précision, rendaient le char de trop vulnérable pour pouvoir jouer son rôle sur le champ de bataille. Les exemples des engagements post-guerre froide, notamment en Tchétchénie, en Irak ou en Afghanistan, tendaient à accréditer cette perception.

Mais les conflits de haute intensité récents, comme la seconde guerre du Haut-Karabakh, et surtout la guerre en Ukraine, ont démontré que le char, et avec lui l’ensemble de la composante blindée lourde chenillée, demeuraient indispensables à la conduite des opérations terrestres offensives comme défensives, en espace ouvert comme en zone urbaine.

C’est précisément ce constat qui a amené un grand nombre de forces armées, en particulier en Europe, à reconsidérer à court terme leur propre parc de blindés lourds et de chars, l’exemple le plus exceptionnel n’étant autre que la Pologne qui se dote d’une force terrestre sans équivalent forte de 1250 chars lourds Abrams et Black Panther, épaulés d’un millier de systèmes d’artillerie à longue portée K9, K239 et Himars, et de 1800 véhicules de combat d’infanterie, ceci jouant un rôle déterminant dans le report probable du MGCS.

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Les premiers K2 polonais ont été produits en octobre 2022 et livrés en décembre aux forces polonaises.

Pour autant, si la demande excédait sensiblement l’offre concernant les chars et les VCI lourds jusqu’il y a peu, les industriels, notamment européens, ont pris la mesure de l’évolution des besoins immédiats depuis l’entame de la guerre en Ukraine.

La multiplication de l’offre du char de combat

C’est ainsi que l’allemand Rheinmetall a présenté lors du salon Eurosatory 2022 son nouveau char lourd KF51 Panther, développé sur fonds propres, alors que son PDG, Armin Papperger, montre de grandes ambitions pour le positionner aux côtés du VCI KF41 Lynx de sorte à s’emparer d’importantes parts de marché.

Dans le même temps, l’américain GDLS s’est montré actif pour vendre son Abrams M1A2 SEPv3, mais également, à l’instar de Rheinmetall, en présentant un nouveau char, l’AbramsX, lors du salon AUSA.

Le sud-coréen Hanwha a quant à lui marqué un grand coup en plaçant du K2 en Pologne, pour ce qui représente le plus important contrat export d’armement terrestre de ces 20 dernières années, tout en plaçant probablement le VCI AS21 Redback en Roumanie.

La Russie, acteur traditionnel de ce marché, est en revanche presque transparente sur la restructuration en cours, son char le plus récent, le T-90M, ne montrant pas de capacités remarquables en Ukraine, alors que le T-14 Armata semble bel et bien destiné à passer par les pertes et profits, au moins pour les cinq prochaines années. Quant à la Chine, elle enregistre quelques succès avec son VT4, mais demeure un acteur secondaire de ce marché.

On le voit, l’offre a désormais rattrapé à la demande, d’autant que l’annonce faite la semaine dernière par KMW, un poids lourd sur ce marché, au sujet de son Leopard 2A8, lui confère une dimension incontournable.

En outre, tous ces chars sont effectivement disponibles, et peuvent donc participer à des compétitions ou démontrer leurs capacités face à un client potentiel qui, de toute évidence, aura, lui aussi, un calendrier relativement serré pour moderniser sa propre flotte de chars lourds et de VCI.

Dit autrement, si Nexter et la BITD française devaient, aujourd’hui, entreprendre le développement d’un char de combat lourd, par exemple sur la base de l’EMBT, pour assurer l’intérim jusqu’à 2045/2050 et l’arrivée de MGCS, celui-ci arriverait probablement sur un marché relativement saturé, sans pouvoir s’appuyer sur un marché captif important comme c’est le cas du Leopard 2, de l’Abrams ou même du T-90M.

Par ailleurs, si Nexter venait à développer son propre char de combat, le groupe KNDS n’aurait tout simplement plus de sens, puisque toute la gamme de véhicules blindés serait répliquée de part et d’autre du Rhin, sans qu’aucune coopération n’ait été effectivement mise en œuvre.

T90M russe Chars de combat MBT | Articles gratuits | Conflit Russo-Ukrainien
Les forces russes ont perdu, de manière documentée, 18 T-90M depuis le début du conflit

L’achat sur étagère menacerait Nexter

L’hypothèse de l’acquisition d’un char sur étagère n’est guère meilleure. En effet, si l’acquisition du Leopard 2, du K2 et même du KF51, permettrait effectivement de répondre aux besoins de l’Armée de terre pour faire face aux évolutions de la menace, elle ne permettrait pas de maintenir les compétences et les savoir-faire de la BITD terre.

L’hypothèse pouvait avoir du sens lorsque l’échéance MGCS demeurait à 2035, puisque l’activité industrielle était garantie par SCORPION, et que l’activité R&D ne l’était pas TITAN et MGCS. Mais avec un report de 10 ou 15 ans, une telle solution marquerait l’abandon d’une grande partie des compétences de cette BITD, et donc, avec elle, d’un pan entier de l’autonomie stratégique française.

De fait, aujourd’hui, les options permettant de répondre efficacement aux besoins de l’Armée de terre, tout en préservant la BITD et les opportunités d’exportations de sorte à en accroitre la soutenabilité budgétaire, sont très limitées concernant un char lourd susceptible d’assurer l’intérim tout en préservant le programme MGCS et le groupe KNDS. Pourtant, une solution à ce problème existe bien. Pour cela, il est nécessaire de commencer par reprendre les enseignements de la guerre en Ukraine.

Les enseignements de la guerre en Ukraine

Depuis le 24 février, les chars russes comme polonais ont été au cœur des combats offensifs comme défensifs, ce d’autant que la puissance de feu aérienne a été en grande partie neutralisée, et que l’omniprésence de l’artillerie rend le blindage indispensable. Bien qu’indispensable, le char a montré toutefois, comme anticipé, sa grande vulnérabilité, près de 2400 chars ayant été perdus de manière documentée depuis le début du conflit (1900 russes et 480 ukrainiens).

Toutefois, une majorité de ces pertes est due à des armes antichars d’infanterie ou portées, qu’il s’agisse de missiles ou de roquettes, ainsi que du fait de tirs d’artillerie. En revanche, les destructions liées à un tir tendu de canon ont été relativement rares, alors même que la doctrine voulait jusqu’à présent que le pire ennemi du char était le char lui-même.

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Le KF51 Panther de Rheinmetall se positionne lui aussi sur le marché des chars intérimaires, sans toutefois disposer de commande à ce jour

L’analyse des rapports d’engagement montre, quant à elle, que l’immense majorité des combats opposants forces russes et ukrainiennes et mettant en œuvre des chars de combat, se déroulent à relativement courte portée, moins de 1000 mètres, tant du fait du relief, de la végétation que de la surreprésentation des engagements en zone urbaine.

Par ailleurs, pour la deuxième année consécutive, il apparait que les blindés très lourds, comme les chars de combat, s’avèrent sensiblement handicapés dès lors qu’ils évoluent en zone ouverte, les chars russes embourbés et capturés par des « tracteurs ukrainiens », ayant été l’un des marqueurs de l’échec de l’offensive initiale russe sur Kyiv.

Il apparait également que le franchissement de rivières et cours d’eau est un exercice des plus périlleux dès lors qu’il est nécessaire de déployer des ponts flottants. Enfin, tout indique, dans ce conflit qui dure désormais depuis 15 mois, que la plus-value la plus importante et difficile à remplacer, concernant un char, n’est autre que son équipage, dont la survie doit représenter l’objectif prioritaire.

Un nouveau paradigme du char de combat est-il possible ?

La synthèse de ces informations montrerait que le « char idéal » pour évoluer en Europe de l’Est, serait avant tout beaucoup plus mobile et léger que les Main Battle Tank actuels, protégé par un blindage plus réduit de sorte à en limiter la masse pour préserver la mobilité, et surtout par un système hard-kill / soft-kill assurant l’essentiel de la protection contre les missiles, roquettes et munitions vagabondes.

L’armement principal, quant à lui, pourrait être ramené à un tube de 105 mm long à haute pression et grande cadence de tir, monté sur une tourelle entièrement robotisée, de sorte à en accroitre la légèreté tout en réduisant la surface de cible et les risques liés aux munitions transportée.

Une telle tourelle pourrait par ailleurs avoir une vitesse angulaire plus élevée, de sorte à accroitre la réactivité, donc la survivabilité, du char pour mettre en œuvre son armement.

L’armement principal, justement, devrait être complété par des missiles antichars, idéalement sans ligne de visée, pour traiter les engagements au-delà de 1000 m notamment contre les blindés lourdement protégés, ainsi que par un tourelleau de 25 ou 30 mm pour engager l’infanterie à distance de sécurité et éliminer les menaces de type drones.

L’équipage, lui, devrait être placé dans une capsule de survie le protégeant contre les frappes directes ainsi que contre les explosions secondaires, et disposerait d’une visualisation multicanale fusionnée pour percevoir son environnement, ainsi que de drones pour étendre cette perception. Enfin, idéalement, le blindé devrait disposer de capacités de franchissement étendues, y compris concernant des coupures humides.

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Le Mobile Firepower Protected de GDLS, commandé à 504 exemplaires par l’US Army, est l’un des seuls blindés modernes pouvant répondre à la classification de char moyen

Dit autrement, la solution serait, ici, non pas de concevoir un autre char de combat lourd de 60 tonnes qui arriverait sur un marché extrêmement concurrentiel, mais un char moyen, d’une masse de 40 à 45 tonnes, disposant d’un important rapport puissance/poids au-delà de 28/30 cv par tonne, dont la survivabiltié reposerait davantage sur la mobilité, sur les protections actives et éventuellement sur une solution de cloaking, et non sur un lourd blindage.

Sa puissance de feu serait orientée vers la réactivité et l’engagement à courte portée, tout en disposant d’une solution d’engagement à longue portée notamment contre les MBT par l’action conjointe de missiles, de drones et d’engagement coopératif.

Conclusion

Un tel blindé répondrait de toute évidence aux besoins de l’Armée de terre, en la dotant de capacités d’engagement de haute intensité, tout en respectant la doctrine par essence très mobile de cette force. Il permettrait aussi de maintenir et de développer l’ensemble des compétences de la BITD terre française, sans venir concurrencer le Leopard 2 au sein de KNDS.

Quant au marché export, il serait par nature plus étendue, mais plus incertain, car répondant à un besoin non adressé par l’offre actuelle de MBT ou de chars « légers ». Rien n’exclut, à ce titre, de pouvoir séduire certains partenaires de la BITD française, devant faire face à des conditions d’engagements défavorables au MBT, comme c’est le cas de la Grèce (montagne), de la Suède (toundra) ou de l’Inde (plateaux tibétains), pour co-développer un tel projet, et ainsi s’assurer d’une soutenabilité budgétaire améliorée.

Très souvent, les succès de l’industrie de défense française sur la scène internationale, ont été le fait d’une approche en rupture avec la doxa industrielle occidentale. Ce fut le cas de l’AMX13, du VAB ou plus récemment du CAESAR dans le domaine terrestre, des chasseurs Mirage dans le domaine des avions de combat, ou encore des frégates furtives dans le domaine naval.

Au-delà des équipements, les armées françaises, elles aussi, ont bâti leur réputation d’efficacité en s’appuyant sur des qualités peu répandues, notamment en matière de projection, de puissance et de rusticité.

De fait, la saturation du marché des chars de combat, et le besoin d’une solution intérimaire face à l’allongement probable des délais du programme MGCS, ouvrent peut-être une nouvelle opportunité pour qu’ingénieurs et militaires français fassent à nouveau la démonstration de leur inventivité, en se tournant vers un modèle de blindé issu conçu pour répondre aux réalités constatées plutôt que sur des paradigmes hérités de la guerre froide, d’autant qu’aucune des approches dites « traditionnelles » ne semble satisfaisante pour répondre à l’ensemble des besoins et contraintes auxquels l’un comme l’autre font face.

Allemagne vs Inde : La France doit-elle réviser sa doctrine de coopération industrielle de Défense ?

Allemagne vs Inde : La France doit-elle réviser sa doctrine de coopération industrielle de Défense ?

Peu après son accession à l’Élysée en 2017, le président Emmanuel Macron entreprit de donner corps à un des objectifs clés de son action internationale et européenne, en s’accordant avec la Chancelière allemande Angela Merkel pour faire du couple franco-allemand le pivot de l’émergence d’une Europe de la Défense.

Pour y parvenir, les deux chefs d’État annoncèrent une ambitieuse coopération industrielle au travers du lancement de 5 grands programmes industriels de défense franco-allemands : l’avion de combat de nouvelle génération SCAF pour remplacer à horizon 2040 les Rafale français et Typhoon allemands, le char de combat de nouvelle génération MGCS pour remplacer en 2035 les Leclerc et Leopard 2; le programme CIFS d’artillerie à longue portée pour le remplacement des Caesar et Pzh2000 ainsi que des LRU de l’Armée de Terre et de la Bundeswehr, l’avion de patrouille MAWS pour le remplacement des Atlantique 2 et des Orion P-3C ainsi que le programme Tigre III et son missile antichar à longue portée, pour moderniser la flotte d’hélicoptères de combat Tigre et remplacer les missiles Hellfire et Spike actuellement employés.

Lancés alors que les tensions entre Angela Merkel et Donald Trump étaient à leur paroxysme, ces programmes s’étiolèrent rapidement lorsque Berlin et Washington adoucirent leurs positions, et encore davantage après l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche.

P8 Poseidon Coopération internationale technologique Défense | Allemagne | Articles gratuits
L’annonce de l’acquisition de P8A Poseidon de Patrouille Maritime pour remplacer les P-3C Orion de la Luftwaffe, a sonné le glas du programme MAWS, même si Berlin s’en défend

C’est ainsi que successivement, l’hélicoptère Tigre III et son missile, le système d’artillerie CIFS et l’avion de patrouille maritime MAWS furent, si pas strictement abandonnés, Berlin n’ayant jamais arbitrés ouvertement à leurs sujets, en tout cas mis aux oubliettes jusqu’à ce que Paris entreprennent de développer ces capacités d’une autre manière, face à la pression opérationnelle et aux échéances qui se dessinaient.

Après avoir frôlé l’explosion en vol autour des tensions opposant Dassault et Airbus DS au sujet du pilotage du premier pilier du programme SCAF, la conception de l’avion de combat NGF lui-même, celui-ci finit par être sorti de l’ornière, il y a peu, pour lancer la phase de conception du prototype, à grand renfort d’une intervention ferme et déterminée des ministres de tutelles français, allemand et espagnol, mais non sans accuser un retard significatif ayant amené la France à lancer un programme Rafale F5 beaucoup plus ambitieux et donc capable d’assurer l’intérim tant dans le domaine opérationnel que commercial.

Quant au programme MGCS, il est aujourd’hui à l’arrêt, notamment après que Berlin y a imposé en 2019 l’intégration de Rheinmetall, venant déstabiliser en profondeur le partage industriel équilibré initial entre le français Nexter et l’Allemand KMW, pour l’occasion rassemblés dans la coentreprise KNDS.

En outre, celui-ci fait désormais face à la reprise de la demande mondiale en matière de chars lourds suite à la guerre en Ukraine, entrainant une reconfiguration profonde du marché et donc d’importants glissements de calendriers potentiellement très bénéfiques pour l’industrie allemande, mais catastrophiques pour l’industrie et les armées françaises.

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Le bouleversement du marché des chars lourds suite à la guerre en Ukraine, a remis le Leopard 2 dans sa nouvelle version A8 sur le devant de la scène, entrainant un report du programme MGCS

A ce tableau déjà largement entamé au sujet de l’éventuelle construction de l’Europe de la défense sur la base du couple franco-allemand, le nouveau chancelier Olaf Scholz a annoncé, fin aout 2022, le lancement de l’initiative European Sky Shield, visant à mutualiser et organiser les moyens de détection et d’engagement des pays européens dans le domaine de la lutte anti-aérienne et anti-missile.

Si 14 pays européens ont rejoint l’initiative à son lancement, la France n’y participe pas, sans que l’on sache vraiment s’il s’agit d’un refus de Paris ou d’une initiative allemande ayant volontairement exclu la France et surtout ses solutions industrielles dans ce domaine.

De fait, force est de constater que les objectifs visés en 2017, ne sont plus d’actualités, alors que nul n’est en mesure de prédire si MGCS et même SCAF arriveront bien à leur terme. Mais les difficultés rencontrés par Paris ces dernières années avec l’Allemagne, ne sont pas spécifiques à ce pays, tant s’en faut.

En effet, traditionnellement, la France considère ses voisins directs (Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni et Belgique), comme des partenaires potentiels dans ce domaine, et a multiplié les initiatives ces dernières décennies à ce sujet, sans qu’elles aient connu de meilleures destinées que les programmes franco-allemands.

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Le drone de combat Taranis de BAe avait été développé, comme le Neuron, dans l’optique du programme FCAS franco-britannique, annulé par Londres en 2017

Ainsi, il convient de se rappeler le retrait unilatéral de Londres des programmes PA2 visant à concevoir un modèle de porte-avions commun, puis FCAS qui devait concevoir un drone de combat, ou encore des destroyers anti-missiles communs à la France, l’Italie et la Grande-Bretagne.

Par ailleurs, des initiatives lancées lors des accords de Lancaster House, il ne subsiste que le programme de guerre des mines navales et le missile antinavire léger ANL/Sea Viper proches de leur entrée en service, alors que le programme de missiles de croisière FMC/FMAN, après de nombreux stop&go, semble désormais sur une trajectoire solide pour une entrée en service en 2028.

La situation n’est guère meilleure concernant la coopération avec l’Italie, avec qui la France a efficacement conçu le système anti-aérien SAMP/T Mamba et le missile Aster, ainsi que le destroyer anti-aérien Horizon après le retrait des Britanniques, mais qui s’est heurtée à de profondes divergences au sujet du programme de frégate FREMM dont les modèles français et italiens ne partagent que 15% des composants, et encore davantage autour de l’initiative ayant visé à rapprocher Fincantieri et Naval Group, pour au final ne donner naissance qu’à Naviris, bien loin de « l’Airbus Naval » initialement envisagé.

Les coopérations avec l’Espagne ont été moins nombreuses et moins ambitieuses, ceci expliquant qu’elles se sont souvent mieux passées, en dehors de celle ayant visé un rapprochement entre DCNS (devenu depuis Naval Group) et Navantia dans le domaine des sous-marins pour concevoir le Scorpène, qui se termina devant les tribunaux sur des accusations de pillage industriel de DCNS contre son partenaire espagnol, et le retrait de Madrid du programme Scorpène pour developper son propre modèle, le S-80.

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Les FREMM italiennes et françaises ne partagent que 15% de leurs composants

Dans les faits, seule la Belgique, pourtant vertement critiquée, en particulier par la France, pour son choix du F-35 plutôt que d’un appareil européen, s’est montrée un partenaire solide dans le domaine de la défense ces dernières années, avec le programme CaMo pour doter les armées de terre des deux pays des mêmes matériels et doctrines pour une grande interopérabilité, et le programme McM de guerre des mines confié à Naval Group et au belge ECA, du fait des pressions de la partie belge sur la partie néerlandaise du programme.

On le voit, tout indique que la doctrine visant à considérer ses voisins directs comme les partenaires privilégiés de la France pour le développement de programmes industriels de défense, est loin d’être efficace, bien au contraire.

Non seulement a-t-elle un taux de réussite particulièrement faible, ce quel que soit le pays, mais elle engendre, le plus souvent, des délais et des surcouts venant handicaper l’effort de défense français, et parfois l’effort industriel lui-même.

A l’opposée de ce spectre, se trouvent les clients de l’industrie de défense française, ceux-là mêmes qui permettent à la France de conserver une industrie de défense globale et efficace, et qui contribuent de manière très sensible au financement de l’effort de défense national.

Il s’agit de pays comme la Grèce et la Belgique en Europe, l’Égypte, le Qatar et les Émirats Arabes Unis au Moyen-Orient, de l’Inde et probablement de l’Indonésie en Asie, ainsi que le Brésil et, dans une moindre mesure, l’Argentine, en Amérique du Sud.

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Paradoxalement, les plus importants clients de l’industrie de défense française ne sont pas les partenaires privilégiés de Paris pour les programmes industriels de défense en coopération

Pour Paris, même si ces pays contribuent considérablement à l’effort de défense national français, et si leur arbitrage en faveur d’équipements français, contribuent à créer un rapprochement géopolitique avec eux, ils ne sont, le plus souvent, considérés que comme des clients, certes stratégiques, mais avec lesquels il n’est pas, pour l’heure, question d’entreprendre des programmes communs destinés potentiellement à équiper les armées françaises, comme c’est le cas avec l’Allemagne, du Royaume-Uni ou de l’Italie.

Or, tous ces pays, aujourd’hui, souhaitent développer leur industrie de défense et leurs capacités technologiques, et sont prêts à produire d’importants efforts pour y parvenir.

En outre, étant plus en demande dans ce domaine que les pays européens, et donc moins concurrents de l’industrie de défense française, la coopération bilatérale ou multilatérale serait simplifiée, permettant des montages industriels efficaces tant pour eux que pour préserver et accroitre les compétences industrielles et technologiques françaises.

Enfin, nombre de ces pays disposent d’importantes capacités d’investissements, potentiellement supérieures à celles de nombreux pays européens, et d’une organisation de gouvernement à la fois plus permanente et plus centralisée que les démocraties européennes, particulièrement volatiles et donc soumises à de certains revirements selon les résultats des échéances électorales.

Une coopération industrielle entre l'Inde et la France au sujet d'un char de combat intermédiaire aurait beaucoup d'attraits
Le programme de char lourd indien représente une opportunité pour la France de co-développer un char de génération intermédiaire basé sur la tourelle EMBT de Nexter

Nous avons, à plusieurs reprises, évoqué dans des analyses publiées sur ce site, de telles coopérations potentielles, qu’il s’agisse de concevoir un char de combat de génération intermédiaire avec l’Inde, d’un Rafale de guerre électronique avec les Émirats Arabes Unis, ou d’un successeur au Mirage 2000 avec la Grèce et l’Égypte.

Par ailleurs, le profil des besoins de ces pays a beaucoup plus de chances de correspondre à celui de nombreux autres pays dans le monde, plutôt que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, ce qui donnerait un avantage concurrentiel certain à ces matériels sur la scène internationale.

Notons également que des pays comme l’Inde, la Grèce, l’Égypte ou l’Indonésie, ont des personnels parfaitement qualifiés et susceptibles de s’intégrer sans difficultés dans les processus des industriels français, comme l’a montré la construction des sous-marins de la classe Kalvari en Inde.

Ils ont également des couts de revient sensiblement inférieurs à ceux de leurs homologues européens, ce qui permettrait de disposer potentiellement d’un avantage concurrentiel sur le marché export loin d’être négligeable.

Enfin, si la coopération entamée avec l’Allemagne dans le cadre du programme SCAF ou MGCS, engendrera certaines pertes de compétences dans le domaine industriel et technologique pour les grands groupes de défense français, de telles coopérations permettraient, au contraire, de les étendre, et donc de renforcer la pérennité des industries françaises appartenant à la BITD.

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La visite de Narendra Modi en France pour le 14 juillet pourrait donner lieu à la commande de 3 sous-marins Scorpène supplémentaires construits par l’industrie navale indienne

On le voit, au-delà d’un fantasme européen qui n’existe que dans la vision du président français, et qui est le plus souvent loin d’être partagé par nos partenaires européens, la doctrine de coopération industrielle de défense française, focalisée sur les voisins directs, n’est visiblement pas la plus efficace pour amener la France et son industrie de défense vers une position dominante alors que le marché se réorganise rapidement dans ce domaine depuis quelques années, sous l’effet des tensions mondiales.

A l’inverse, se tourner vers les clients traditionnels de l’industrie de défense française, ceux qui depuis des décennies, font précisément vivre cette industrie, et qui aujourd’hui sont clairement en demande de ce type de coopération, porterait de nombreuses opportunités tant dans le domaine opérationnel en permettant d’équiper les armées sans devoir assumer intégralement les couts de développement, que dans le domaine industriel et technologique en préservant et étendant les compétences des industriels, et du point de vue politique, en positionnant la France comme un partenaire clé pour tous ces pays appelés à jouer un rôle croissant sur la scène internationale.

Alors que la prochaine visite du premier ministre indien Narendra Modi en France à l’occasion du défilé du 14 juillet est porteuse de nombreuses attentes, dans le domaine aéronautique avec la probable commande de 26 Rafale M, ainsi que dans le domaine naval avec la possible commande de trois sous-marins Scorpene supplémentaires et une coopération franco-indienne dans le cadre du programme de sous-marins nucléaires d’attaque indiens, il est certainement temps pour la France de réviser sa doctrine de partenariats et de coopération industrielle de défense, pour se tourner vers ces pays qui, aujourd’hui, sont les plus prometteurs et probablement les moins contraignants.

Article du 6 juillet 2023 en version intégrale jusqu’au 6 aout 2023