Du Gros, du beau, du lourd (2ème partie)
par Blablachars – publié le 24 juin 2022
https://blablachars.blogspot.com/2022/06/du-gros-du-beau-du-lourd-2eme-partie.html
Après les VCI (Véhicules de Combat d’Infanterie) que Blablachars vous a récemment présenté, le blog complétement blindé s’est intéressé aux « stars » de la catégorie des engins blindés chenillés, les chars de bataille. Dans ce domaine, Eurosatory a permis de découvrir, voir et approcher l’ensemble des productions en service ainsi que quelques engins prometteurs, démonstrateurs technologiques ou combinaisons judicieuses de l’ancien et du moderne. Les engins exposés durant cette semaine parisienne ont permis de confirmer que le char n’était pas mort et qu’il était bien de retour chez les militaires (pour ceux qui l’avaient abandonné) et chez les industriels, qui ont pu présenter leurs innovations dans le domaine, aux côtés des engins existants.
C’est avec le vétéran du salon que débute ce tour d’horizon blindé. Le M1A2 présenté par la 3ème Division d’Infanterie américaine n’était certainement pas le char le plus moderne du plateau mais il était certainement celui qui avait le plus servi et certainement dans des contrées lointaines au vu des nombreuses traces de peinture sable affleurant sous le camouflage centre-Europe. Le char exposé était un M1A2 SEP V2, entré en production à partir de 1990 et intégrant les premiers sous ensembles numériques, comme des écrans multifonctions, une unité de gestion numérique du moteur (DECU Digital Engine Control Unit), de la tourelle (TEU Turret Electronics unit) et du châssis (HEU Hull Electronics Unit), tous reliés à un bus numérique. La 3ème Division devrait entamer sa transformation sur M1A2 SEPV3 après son déploiement en Europe.
M1A2 SEP V2 « dans son jus »
Un autre engin d’une génération plus ancienne était également visible sur les extérieurs du salon. Cependant cette antériorité ne concernait que le châssis, qui était celui d’un Leopard 1 sur lequel la firme belge John Cockerill Defense a astucieusement « greffé » une tourelle 3105, armée comme son nom l’indique d’un canon rayé de 105mm. Le résultat obtenu, même s’il doit encore être affiné, envoie un message clair aux pays utilisateurs de chars plus anciens. Si le châssis choisi est celui du Leopard 1, utilisé aujourd’hui par le Brésil, rien n’interdit en effet de penser que cette modernisation pourrait être appliquée à des chars autres que le Leopard 1. A l’heure ou de nombreux pays souhaitent réintégrer le char de bataille dans leur arsenal, l’assemblage proposé par John Cockerill constitue une piste de modernisation à ne pas négliger ; Pour des raisons évidentes de cout, mais aussi parce que le calibre de 105mm reste d’actualité comme le montre le programme MPF (Mobile Protected Fire) en cours aux États-Unis. La pose de la tourelle 3105 sur le châssis du Leopard a nécessité la mise en place d’une entretoise conséquente qui accentue le défaut de tourelle, et de façon indirecte la vulnérabilité du char. Cependant ce bémol sera certainement compensé par l’adjonction d’un blindage composite, ou d’autres dispositifs de protection comme les chaînes anti-RPG que John Cockerill a placé sur l’arrière de la tourelle. Au final, cet assemblage illustre les possibilités existantes de modernisation de chars anciens et ouvre d’intéressantes perspectives.
C’est à l’intérieur du salon qu’il fallait se rendre pour découvrir sous forme de maquettes une famille dont les succès futurs pourraient bien bouleverser les données du marché mondial des chars. Cette famille était exposé dans le pavillon sud-coréen, plus précisément sur le stand de Hyundai Rotem, constructeur du K2. Trois modèles étaient présentés, à savoir le K2 originel en service dans l’armée de Séoul, le K2NO proposé à la Norvège pour le remplacement de ses Leopards 2 et enfin le K2PL dont la route vers la Pologne semble de plus en plus tracée, au vu des des dernières infos sur le sujet. Le K2 désert n’était pas exposé mais une photo en arrière plan rappelait aux visiteurs que le char avait effectué des tests en environnement désertique confirmant les informations parues il y a quelques mois. Il faut noter que le char visible sur la photo ne possède que six galets comme le K2 d’origine tandis que la version présentée à Edex 2021 était basée sur un châssis à sept galets. Hyundai Rotem a peut être entrepris le développement d’une version spécifique pour répondre aux demandes d’éventuels pays clients (Égypte ?) certainement différentes des besoins du Sultanat d’Oman, où le char sud-coréen est régulièrement donné vainqueur. La différence entre les deux engins proposés dans la zone MENA serait similaire à celle existant entre le K2NO et le K2PL. La maquette de ce dernier était accompagnée de la légende « The Indigineous main Battle Tank of Poland » tandis que celle du K2NO était définie comme » Norway Export version of K2″. Quoiqu’il en soit la relative discrétion sud-coréenne n’empêche pas de constater le dynamisme du constructeur du K2 qui s’apprête à mettre un pied dans l’Europe des chars, au nez et à la barbe des industriels régionaux.
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Le K2 : Du désert au grand Nord ! |
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K2 PL : L’artisan du succès |
En l’absence de contribution italienne et britannique, c’est aux industriels français et allemands que revenaient la lourde tâche de défendre les couleurs européennes sur le salon. Pour cela les trois industriels concernés (KMW, Nexter et Rheinmetall) avaient imaginé des stands permettant une réelle mise en valeur de leur production bien que témoignant d’une approche radicalement différente du sujet. Du côté de Rheinmetall, la vedette s’appelait KF-51 Panther dont la présentation avait été annoncée par plusieurs teasers et images diffusées par la firme allemande. Le KF51 était donc installé sur le chemin menant au pavillon (climatisé !) afin que personne ne puisse le rater. Visuellement très réussi, l’engin ne manquait pas de susciter la curiosité et de nombreuses questions auxquelles les éléments de langage « maison » permettait d’apporter des réponses précises. Sur le châssis, le train de roulement et le GMP sont les seuls éléments que le KF51 partagent avec son cousin Leopard2, le reste étant d’origine Rheinmetall comme le système de protection active Strike Shield ceinturant les flancs du char. Système à propos duquel notre interlocuteur nous a affirmé qu’il était efficace contre les munitions KE ou Flèche sur l’arc avant du char. Côté tourelle, les innovations semblent se bousculer avec des postes d’équipage standardisés, dominés par des écrans multifonctions, deux palonniers (à droite et à gauche) regroupant les actionneurs de la majorité des fonctions du char, un système de chargement automatique contenant 20 obus répartis dans deux caissons ou encore la possibilité d’embarquer un quatrième homme, sans oublier le canon de 130mm. Toutes ces innovations sont contenues dans un engin d’un poids n’excédant pas 60 tonnes, caractéristique qui semble avoir été une des principales exigences du développement du char. Bien que nombreuses, ces innovations ne doivent pas être réduites à la seule participation de Rheinmetall au programme MGCS, car elles révèlent la vision de la firme allemande dans le domaine des chars pour les 20 prochaines années.
Il faut peu de temps pour se rendre du stand Rheinmetall à celui de KNDS, où l’aménagement du stand permet une mise en valeur élégante et ordonnée des productions du groupe franco-allemand. Comme les années précédentes et depuis la création de KNDS, le stand « commun » est organisé autour de deux pavillons distincts et de zones d’exposition propres à chacune des entités. On peut donc découvrir sur la partie gauche du stand les matériels développés et produits par KMW tandis que la partie droite est dévolue aux productions de Nexter. Le résultat (volontaire ?) de cette séparation est que, si vous souhaitez voir des engins blindés chenillés rendez vous côté allemand, alors que pour les véhicules médians à roues, c’est du côté français que cela se passe !
Sans hésiter et fidèle à sa passion Blablachars se dirige vers les chars et le premier engin visible dans cet espace « germano-chenillé » n’est autre que le Leclerc Rénové, qui pourtant ne doit pas grand chose à KMW ! Il est suivi de l’EuroMBT qui fait son retour (envisagé par Blablachars avant le début du salon) sous la forme d’un démonstrateur technologique et par la dernière version du Leopard 2. La disposition des engins invite à une comparaison quasi instantanée entre le char français et son concurrent allemand, simplement séparés par l’EuroMBT. La juxtaposition des deux chars permet de mesurer l’écart qui s’est creusé depuis de longues années entre les deux engins, concrétisant la différence entre un char qui a bénéficié depuis le début de sa carrière d’investissements réguliers et un char objet d’investissements minimalistes pour lequel une mise à jour est prévue par le biais d’une timide modernisation. En élargissant la comparaison, on s’aperçoit que la conception innovante du Leclerc le place encore parmi les meilleurs chars du monde et que les solutions adoptées ont fait école et sont devenues aujourd’hui des must have des blindés modernes. Le Leopard 2 dans sa dernière version, pourtant basé sur un châssis d’une génération antérieure est aujourd’hui un engin abouti, résultat d’une longue évolution ponctuée par développement de sept versions principales et d’au moins huit adaptations. La rénovation Scorpion du Leclerc sera la première évolution majeure du char après la production de trois séries (S1, S2 et SXXI) et d’une version export. Le Leclerc en avance sur son temps lors de son arrivée dans les forces, n’a connu aucune évolution majeure, faute de budget et certainement de volonté. Le déclassement qui le guette dans les dix prochaines années peut être évité par un programme de modernisation ambitieux dont le contenu et le financement doivent être définis dès aujourd’hui.
Ce constat un peu amer est accentué par la présence de l’EMBT, vitrine technologique du savoir-faire des industriels impliqués, qui permet de constater que les technologies existent et peuvent être intégrées dès maintenant sur un char en service. On retrouve ainsi sur le démonstrateur des équipements tels qu’un système de protection active, une RWS armée d’un canon de 30mm destinée à la lutte anti drone, la possibilité d’embarquer un quatrième homme, opérateur système en attendant l’arrivée de l’intelligence artificielle, sans oublier le chargement automatique. L’architecture de la tourelle réellement novatrice illustre la volonté de rompre avec l’agencement traditionnel d’un char. Autre avancée technologique visible, le canon ASCALON, présenté avec ses munitions à côté de l’EMBT. Il est dommage mais parfaitement compréhensible que des aléas de calendrier aient empêché le montage de cette arme sur l’EMBT. Une telle combinaison aurait utilement contribué à renforcer le caractère innovant de l’engin exposé en démontrant la réalité de son intégration et constitué un symbole fort des capacités d’innovation de KNDS.
Les différences techniques et conceptuelles existant le KF51 et l’EMBT ne doivent pas être analysées au seul filtre du programme MGCS, dont les solutions techniques ne sont encore pas définies, certaines technologies n’étant pas encore disponibles ou suffisamment matures pour envisager leur intégration immédiate. L’opposition de style entre les deux engins démontre l’importance de l’innovation dans le domaine et la nécessité de consentir les investissements nécessaires pour disposer d’un engin adapté, sous peine d’être rapidement déclassé. Au-delà des différences techniques, les deux engins symbolisent chacun la vision de leurs concepteurs de l’avenir du char, accordant tous deux une place essentielle à l’innovation.
Ce tour d’horizon démontre que le char est bien de retour dans la pensée militaire et dans les projets des industriels et ce en dépit des assertions répétées de nombreux experts, annonciateurs compulsifs et obsessionnels de sa mort à l’occasion de chacun de ses engagements. Le retour du char ne se traduit pas uniquement par le développement et la production de chars neufs, mais aussi par des initiatives dans le domaine de la modernisation de chars en service. Car neuf ou modernisé le char reste l’engin le plus puissant du champ de bataille terrestre, seul capable de manœuvrer pour détruire l’adversaire. Son retour dans la chose militaire, que Blablachars évoquera prochainement ne doit pas être considéré comme la résurgence de guerres passées mais plutôt comme la marque des conflits futurs dans lesquels la notion de puissance jouera un rôle essentiel.