M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, nous recevons à présent le nouveau chef d’état-major de la marine, l’amiral Nicolas Vaujour, pour sa première audition budgétaire, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2024.
Amiral, je vous félicite pour cette nomination venant couronner un parcours exemplaire au sein de la marine nationale, qui vous a conduit à la fois à servir et à commander de nombreux bâtiments, des frégates de surveillance, des frégates de défense aérienne, des Aviso. Vous avez effectué des missions sur presque toutes les mers et océans du monde, mais vous avez également occupé de hautes fonctions tant à l’état-major de la marine qu’à l’état-major des armées.
Le PLF 2024 sera le premier exercice budgétaire de la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030. La Marine, comme les autres armées, bénéficiera d’un surcroît de ressources, dans un monde marqué par des tensions croissantes. Je pense naturellement à l’Ukraine, mais également à l’Asie où nos compétiteurs multiplient des démonstrations de force, notamment dans l’océan Indien, qui constitue une zone cruciale pour nos approvisionnements énergétiques. Je pense également aux nouvelles formes de conflictualité dans de nouveaux espaces, comme le cyber ou les fonds marins, qui représentent autant de menaces que d’opportunités.
Face à ce contexte, notre commission éprouve trois préoccupations principales. De quelle manière ce contexte oblige-t-il la Marine à se transformer et dans quelle mesure les ressources supplémentaires apportées par la LPM y contribueront-elles ?
La deuxième préoccupation porte sur nos coopérations, en particulier avec nos partenaires européens, qu’il s’agisse de la coopération capacitaire ou de la coopération opérationnelle. Pourriez-vous nous préciser où en sont ces programmes d’armement, dans le cadre européen, otanien ou en bilatéral ? Je pense en particulier à celui des corvettes de patrouille ou à la guerre des mines.
Enfin, au-delà de la transformation des coopérations, une troisième préoccupation concerne les hommes et femmes qui servent dans la Marine. Nous sommes conscients des enjeux complexes d’attractivité et de filiation auxquelles les armées sont soumises, en particulier dans la Marine, dont les sujétions sont particulières, notamment en raison de l’éloignement. Un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) part parfois pour des périodes de soixante-dix ou quatre-vingts jours sous les mers. Je me souviens d’une discussion avec Alfost, qui me disait qu’il sera toujours possible de composer avec la technologie, mais qu’il est plus difficile de trouver des jeunes marins volontaires prêts à partir dans une « boîte de conserve » pendant de telles durées.
Amiral Nicolas Vaujour. Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui et tiens d’abord à rendre hommage à mon prédécesseur, l’amiral Vandier, qui a accompli pendant ses trois années de mandat un travail absolument extraordinaire, notamment pour renforcer la préparation au combat de la Marine. C’est un honneur de lui succéder et de poursuivre les projets qu’il a initiés.
Au cours de mon premier mois dans mes nouvelles fonctions, j’ai effectué la tournée des ports de la Marine. Je me suis rendu à Toulon, à Lorient, à Brest et à Cherbourg. J’ai également rencontré un grand nombre de mes partenaires internationaux à l’International Seapower Symposium organisé par la Marine américaine, où une centaine de chefs d’état-major de marine du monde étaient rassemblés.
Je retire de cette tournée un grand nombre d’enseignements. Nos marins sont déterminés, motivés et engagés dans l’ensemble des missions de la Marine, tous les jours de l’année, sous l’eau, sur l’eau, dans les airs, à terre. Nos jeunes font preuve d’un véritable sens de l’engagement et ont pleinement conscience des enjeux auxquels nous faisons face.
Nos états-majors travaillent pour les marins qui sont en mer. Ainsi, je leur demande toujours ce qu’ils accomplissent pour nos militaires en opérations, car il s’agit là de notre raison d’être. L’ambition qui m’a été fixée a pour objet de préparer une Marine de référence en Europe, mais aussi une Marine globale, puisque l’ensemble de nos territoires se répartissent partout à travers le monde.
Je voudrais commencer par répondre à votre première question qui portait sur la transformation de la Marine au regard du contexte stratégique. Je peux la reformuler de la manière suivante : quelle est la transformation de notre espace de manœuvre aujourd’hui ? Cet espace se modifie largement. Ces modifications entraînent des changements dans notre capacité à trouver des points d’accès, des partenaires sur qui nous pouvons compter — et qui peuvent changer au fil du temps — pour contenir les débordements de certaines grandes puissances qui veulent affirmer ou étendre leurs zones d’influence, pour protéger les approches non seulement outre-mer, mais également les approches dans les eaux autour de l’hexagone. De fait, l’ensemble de ces sujets me conduisent à dire que nous connaissons une véritable transformation de notre espace de manœuvre, dont nous devons tenir compte pour proposer de nouvelles capacités et modes d’action, afin de répondre aux crises qui émergent.
Votre deuxième question porte sur la coopération capacitaire. En réalité, celle-ci est native à un très grand nombre de nos programmes. Par exemple, nous avons construit des frégates Horizon avec l’Italie. Certains objets sont donc communs, dès le départ, surtout le système de combat, et notamment le système Aster. De la même manière, nous allons effectuer la rénovation des frégates de défense aérienne en coopération avec les Italiens.
Par ailleurs, je tiens à insister sur un point essentiel : nous avons travaillé sur une révolution technologique. Ainsi, nous transformons une fonction stratégique de la Marine, la guerre des mines, avec l’usage de drones. Cette transformation stratégique de l’ensemble d’une fonction, sa « dronisation », a été d’abord travaillée en coopération avec les Britanniques. Désormais, le démonstrateur a été créé et nous mettons en place une nouvelle coopération avec la Marine néerlandaise et la Marine belge. De fait, nous sommes constamment à la recherche de la meilleure solution. Avec mes homologues belges et néerlandais, nous effectuons le même pari, celui d’une guerre des mines qui sera demain une guerre dronisée. En revanche, les Belges et les Néerlandais vont choisir des options qui ne sont pas identiques aux nôtres ; mais l’essentiel consiste à pouvoir échanger pour évoquer les options qui seront retenues de part et d’autre. Il en sera de même demain, lorsque nous mènerons des évolutions.
En outre, dans le domaine capacitaire, nous continuons à travailler sur les missiles Aster. Le système de combat aérien du futur (SCAF) fait naturellement partie des réflexions avec nos partenaires. En résumé, la coopération capacitaire est native, dans la mesure où elle est absolument essentielle, d’une part pour répartir les coûts ; et d’autre part parce que les bonnes idées naissent de ces coopérations.
La puissance navale est fréquemment envisagée sous la forme de trois piliers : le nombre, la technologie et les savoir-faire. À partir de ce socle de trois piliers, il est essentiel d’ajouter un élément complémentaire: les partenariats. En effet, les partenariats renforcent la puissance navale : malgré le nombre de bateaux, la technologie et le savoir-faire, sans partenariat, il est difficile d’obtenir de bons résultats. Les partenaires offrent bien plus que la masse et ils fournissent également des accès, c’est-à-dire la connaissance d’une certaine zone. Ils apportent une vision du monde différente, qui nous enrichit.
Ces partenariats s’avèrent essentiels pour mener à bien les travaux d’interopérabilité, qui ne se résument pas à la connectivité. L’interopérabilité comporte certes une part technologique et des procédures, mais elle se fonde aussi sur la confiance. Ainsi, quand je me suis rendu à Newport, ma tâche était aussi de créer de la confiance, à travers des échanges. De la même manière, j’ai reçu hier mon homologue grec à Lorient. Cette capacité partenariale se manifeste aussi à travers nos déploiements dans le cadre des missions réalisées sous la bannière de l’Union européenne, notamment dans l’océan Indien. Elle intervient également au sein de l’Otan. Nous avons multiplié notre participation aux forces permanentes de l’OTAN par un facteur trois depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Votre troisième interrogation concernait les ressources humaines. Lors de ma prise de commandement de la Marine sur le pont du Dixmude à Toulon, le ministre m’a donné une feuille de route et m’a confirmé que le premier des enjeux était celui de la fidélisation. À ce titre, je dresse ma stratégie RH selon trois axes : je dois donner envie de rentrer, je dois donner envie de rester et je dois donner envie de progresser. Dans ce cadre, je considère que les axes majeurs sont les deux derniers : la Marine a la chance aujourd’hui de répondre plutôt bien au besoin et parvient à recruter suffisamment. Cependant, je suis bien conscient que cette attractivité n’est pas gagnée à vie. Il me faut recruter chaque année 3 600 personnes, mais particulièrement dans des spécialités critiques au sujet desquelles nous menons des plans d’actions particuliers pour alimenter l’ensemble de notre filière. Ensuite, nous devons leur donner envie de rester. Nous disposons à ce titre d’un certain nombre d’objets qui ont été posés dans la LPM et qui vont entrer immédiatement en action. Enfin, nous devons leur donner envie de progresser, en leur confiant des responsabilités croissantes, pour les faire accéder à un grade supérieur. En résumé, nous mettons en œuvre une véritable stratégie pour conserver l’ensemble de nos talents, qui sont fort nombreux. Notre Marine est pleinement engagée pour remplir les missions qui lui sont ordonnées.
M. le président Thomas Gassilloud. J’ai particulièrement relevé votre évocation de l’ensemble des milieux dans lesquels la marine opère : sur la mer, sous la mer, dans les airs, voire dans l’espace, grâce à certains vecteurs. Je rappelle également que la haute mer représente 60 % de la surface mondiale — la France possédant la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde — mais aussi que 60 % de la population mondiale habite à moins de 150 kilomètres des côtes, que 90 % du volume du commerce mondial de marchandises se réalise par voie maritime et que 99 % du trafic internet passe par les câbles sous-marins.
M. Yannick Chenevard (RE). La situation internationale conduit de nombreuses nations à réévaluer leur politique de défense. La politique de défense a longtemps été estimée comme secondaire, tant le monde devait, selon Hegel ou Fukuyama, sonner la fin de l’histoire, c’est-à-dire la fin des combats entre idéologies. Nous savons désormais qu’il n’en est rien. Cependant, les dégâts causés dans les esprits et dans certaines armées étrangères ont été considérables.
La France, comme la plupart des démocraties, n’y a pas échappé. Il suffit pour s’en convaincre de vérifier la non-exécution des LPM durant trente ans, jusqu’en 2018. En ce qui concerne la marine, à l’exception de la dissuasion nucléaire, qui a été totalement préservée, certaines capacités ont été conservées, mais parfois de manière échantillonnaire. À partir de 1990, notre marine a subi une véritable saignée, ses bâtiments de combat passant de 135 à 85.
Désormais, l’objectif du format 2030 est conforté par la nouvelle LPM. Des unités ont d’ailleurs déjà été livrées ou sont en construction. En 2024, un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) et une frégate de défense et d’intervention (FDI) seront livrés dans les forces. Des lots de torpilles lourdes Artemis, des bâtiments de guerre, des mines, des missiles mer-mer Exocet, ainsi que des robots sous-marins autonomes seront commandés. À Toulon, les bassins Vauban seront renforcés, tout comme les infrastructures à Brest. La livraison d’équipements connexes destinés à nos SNA et des hangars d’accueil des systèmes de lutte anti-mines marines futur (SLAMF) sera effectuée cette année.
La marine peut donc à présent regarder plus sereinement l’avenir dans un monde de plus en plus menaçant, dont l’économie bascule vers la zone indo-pacifique. Pour mémoire, en 2030, cette zone représentera 40 % du PIB mondial. La territorialisation et la contestation rendue possible, y compris par la force des espaces maritimes, nous imposent de renforcer nos outils de souveraineté à l’intérieur de nos onze millions de kilomètres carrés de ZEE.
Outre-mer, le remplacement de nos frégates de surveillance par des navires d’environ 3 000 tonnes devrait débuter à l’horizon 2030. Pouvez-vous nous éclairer sur la nature de l’armement de ces bâtiments et l’évolution du projet de construction de ces corvettes ? Nous avons d’ailleurs voté un amendement largement porté par plusieurs de nos collègues présents ce matin, qui, constatant les lacunes créées par la disparition des bâtiments de transport légers (Batral), envisage la construction de ce type de bateau. La définition du besoin est-elle en cours ?
Quelle évaluation pouvons-nous porter sur les SNA dits de nouvelle génération (SNA-NG) et des patrouilleurs outre-mer (POM) récemment admis au service actif ? Enfin, la zone maritime de l’océan Indien prendra, pour les années à venir, de plus en plus d’importance. De quels moyens de surveillance aérienne permanents devrions-nous nous doter ?
Amiral Nicolas Vaujour. Le PLF 2024, première marche de la LPM 2024-2030, symbolise bien la transformation de la Marine. S’agissant de la guerre des mines, nous allons effectivement disposer en 2024 du premier module dronisé de lutte contre les mines. Le prototype arrivera à Brest cette année. Au cours de ce PLF, d’autres modules seront commandés et nous initierons les travaux du bâtiment de guerre des mines. En 2024 seront également livrés un nouveau SNA, le Tourville ; un deuxième POM, qui ralliera son port-base outre-mer et la FDI Amiral Ronarc’h qui fera sa première sortie à la mer. Cette transformation capacitaire est en cours. Après une LPM de réparation, la LPM actuelle en est la consolidation, et vient produire des effets véritables pour les opérations que nous devons mener. La Marine se construit dans le temps long.
Ensuite, des travaux sont en cours sur la corvette hauturière pour mieux cerner les besoins et le cadre dans lequel nous pouvons l’acheter, ainsi que le type d’armement, qui doit être à la hauteur des menaces des zones de déploiements. Vous avez bien souligné que les espaces se durcissent, ce qui nécessitera des ajustements, notamment pour ces corvettes hauturières. Les études prennent précisément en compte les menaces auxquelles feront face ces bateaux. Pour le moment, je reste prudent, dans la mesure où le contrat n’a pas encore été signé.
S’agissant des bâtiments de type Batral, une demande d’étude a été déposée. À mon avis, notre stratégie sur les outre-mer est très pertinente. Elle stipule que chaque plot outre-mer doit pouvoir répondre à l’ensemble des enjeux auxquels nous faisons face.
Pour ce qui concerne les POM, je suis très satisfait de l’Auguste Bénébig qui a rallié sa zone, mais également du deuxième POM, qui est en train de terminer sa phase de montée en puissance, avant de rallier son port d’attache. Ils offriront de meilleures capacités d’autonomie et de déploiement. Je rappelle que plus de 40 % de nos eaux de souveraineté sont situées dans des espaces immenses, dans lesquels nous devons être capables d’aller loin et longtemps en équipage. Nous allons étudier notre capacité à pouvoir répondre à nos besoins de transport, en prenant en compte des bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) et les engins de débarquement amphibie standard et répondent de manière plus ou moins adaptée à nos problématiques.
Nous allons également bénéficier du renouvellement de la composante aérienne de surveillance des espaces maritimes grâce au remplacement de nos Falcon 200 par des Falcon 50, mais aussi grâce au futur programme Avsimar et à ses Albatros. Ici encore, ces aéronefs témoignent de la transformation de la Marine. En 2024, un Falcon 50 arrivera ainsi à Tahiti pour remplacer le Falcon 200 Gardian. En 2025, les Falcon 50 se répartiront outre-mer.
Je répondrai à la question sur la classe Suffren lors de la partie à huis clos.
M. Pierrick Berteloot (RN). La France possède le deuxième domaine maritime mondial, avec 10,9 millions de kilomètres carrés de ZEE, dont 97 % bordent ses outre-mer. Notre territoire national s’étend sur la totalité des océans, du Pacifique à l’océan Indien, de la terre Adélie à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour assurer notre souveraineté sur ces vastes étendues, nous disposons de 111 bâtiments, soit trois fois moins que les États-Unis et la Chine. Notre flotte est donc clairement sous-dimensionnée. Certes, nous avons fait un choix stratégique heureux pour notre marine il y a plusieurs années, qui a consisté à conserver la totalité de nos capacités stratégiques en pariant sur la complémentarité de nos forces et la polyvalence. Dans ce cadre, nos frégates multi-missions (FREMM) servent autant pour assister nos sous-marins que pour escorter notre porte-avions dans le cadre du groupement aéronaval. Nous disposons donc d’une pleine capacité d’action. Mais se pose alors un problème : nous sommes à flux tendu et ne disposons pas des forces nécessaires pour défendre notre souveraineté sur l’entièreté de notre territoire en cas de conflit de haute intensité.
Même en temps de paix relative, nous sommes de plus en plus contestés dans nos espaces ou ceux de nos alliés. Je pense par exemple aux tensions en Méditerranée orientale entre la Grèce et la Turquie, alors qu’Ankara promeut son projet Mavi Vatan. Nous devons également rivaliser en force avec des puissances parfois alliées, parfois concurrentes, qui arrivent à produire des navires lourdement armés en un temps record. Face à ces défis, la mobilisation d’une frégate ne suffit plus à asseoir une posture crédible. Je rappelle que la Chine met tous les dix-huit mois à l’eau l’équivalent de la flotte française et qu’elle affiche ses ambitions territoriales.
Pour complexifier encore la situation, d’autres théâtres d’opérations émergent. Je pense aux fonds marins où la présence de câbles et de pipelines en fait un lieu stratégique de premier ordre. Je pense en outre à la fonte des glaces et aux nouvelles routes maritimes qu’elle créera, mais aussi aux spéculations quant à la présence d’hydrocarbures nouvellement accessibles.
Enfin, nous vivons un monde multipolaire où des puissances commencent à contester à bas bruit, pour le moment, nos possessions ou celles de nos alliés. Au vu de ce PLF 2024, quelles seront les missions de la marine les plus en tension du fait de notre sous-dimensionnement ? En cas de conflit majeur, comment pouvons-nous nous adapter en conséquence pour demeurer crédibles ?
Amiral Nicolas Vaujour. Le binôme composé des patrouilleurs d’outre-mer et des avions de surveillance maritime permet d’obtenir de meilleurs résultats qu’auparavant : l’autonomie du patrouilleur permettra d’aller beaucoup plus loin et l’avion de surveillance maritime bénéficiera d’une meilleure autonomie sur zone. Nous y associons également la surveillance satellite de nos espaces maritimes.
Nous effectuons une surveillance précoce par les systèmes satellitaires, nous procédons à une vérification avec un avion et n’envoyons un bateau qu’au « bon moment » et au « bon endroit », de façon à être le plus efficace possible. Nous obtenons de meilleurs résultats dans la lutte contre la pêche illicite en Guyane, en Polynésie française ou contre le narcotrafic. Cette LPM marque, dans le sillage de la précédente, une évolution assez majeure en termes de volumes financiers. Aujourd’hui, nous remplissons nos missions et des partenaires nous demandent de les aider à lutter contre la pêche illicite, notamment dans le Pacifique.
La mission de protection de notre souveraineté est au cœur de notre action et, aujourd’hui, nous répondons aux défis auxquels nous sommes confrontés. Notre modèle doit s’adapter et le PLF le prend en compte. La Marine est soumise au temps long, notamment pour la fabrication de gros objets comme les SNLE de troisième génération ou le porte-avions. Cependant, le PLF offre une première marche et nous fournit des capacités pour structurer l’ensemble de ces programmes. Ensuite, face aux enjeux immédiats du temps court, nous devons être agiles et adaptables.
Lorsque je m’adresse à mes troupes, je mets précisément l’accent sur ces deux volets : la détermination du temps long et l’agilité du temps court. La détermination du temps long me permettra de conforter le format de la Marine que vous avez confirmé en LPM. L’agilité du temps court consiste pour moi, PLF après PLF, à embarquer une nouvelle technologie qui me permet de disposer de la supériorité au bon moment, au bon endroit, en fonction de la crise à laquelle je vais devoir répondre.
Or ces crises sont multiples et singulières. À chaque niveau de crise, nous devons ainsi répondre de manière différente. Lorsque nous protégeons nos eaux souveraines, nous agissons seuls, avec nos moyens. En revanche, face à une crise en Méditerranée ou dans l’océan Indien, nous nous efforçons de voir quels sont les partenaires avec lesquels nous voulons travailler. Dans l’océan Indien, nous avons créé la mission EMASoH-Agenor dans laquelle nous avons intégré tous nos partenaires européens pour protéger les flux économiques qui irriguent l’Europe. Ainsi, le gain que j’obtiens avec les partenariats me permet de renforcer, de mon côté, soit la protection de mes eaux souveraines, soit les missions qui me sont ordonnées. Sur le théâtre méditerranéen, nous pouvons travailler directement avec l’Espagne, l’Italie, la Grèce, mais également l’OTAN, en fonction de ce que nous voulons réaliser.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). De quelle manière l’inflation vous impacte-t-elle ? Quelles mesures mettez-vous en place pour essayer de la compenser ? Ensuite, nous avions évoqué assez longuement le système de drone aérien pour la marine (Sdam) lors de l’étude de la LPM. Quelles sont les perspectives de ce programme ?
Dans le programme 146, l’action 09.56 évoquant les missiles de croisière navals (MdCN) signale une baisse draconienne des crédits de paiement. Quels seront les effets sur le stock ? À l’action 10.75 concernant le patrouilleur futur, les autorisations d’engagement (1,4 milliard d’euros) s’éteignent, face à une augmentation des crédits de paiement. Que cela signifie-t-il pour l’état réel du programme ?
À l’inverse, pour le programme FlotLog, les crédits de paiement diminuent quand les autorisations d’engagement apparaissent maintenues. Que pouvez-vous nous en dire ?
Amiral Nicolas Vaujour. L’inflation a été prise en compte dans la construction de la LPM, mais également dans le PLF.
Nous sommes sur le point de parvenir à une très grande avancée technologique sur le SDAM. Des essais sont en cours sur la frégate Provence pour réaliser une manœuvre inédite : l’appontage automatique d’un drone hélicoptère sur un bateau, qui n’a jamais été réussi jusqu’à présent. Si nous y parvenons, il s’agira d’une véritable rupture en matière de drone.
Ensuite, une rénovation à mi-vie (RMV) est prévue pour le MdCN, comme pour tous les types de missiles, comme les Aster et les Exocet.
Pour le programme de patrouilleurs hauturiers, nous avons opéré un choix spécifique, en privilégiant des PME navales sur l’ensemble de notre territoire plutôt qu’un seul grand chantier, pour maintenir les savoir-faire et permettre à ces entreprises de participer à l’élaboration de la Marine..
Vous avez évoqué le programme FlotLog, qui s’appelle désormais « bâtiments ravitailleurs de forces » ou BRF. Nous venons de recevoir le Jacques Chevallier qui est parti pour une traversée de longue durée, qui a pour vocation de vérifier les capacités militaires du bateau. Cette phase de test nous en dira plus, mais nous en sommes déjà extrêmement satisfaits. Vous avez relevé des moindres crédits de paiement, mais ils sont liés au report du quatrième BRF en dehors de la LPM. Je ne le perds pas de vue pour autant et, au-delà, la manière dont ces BRF ont été pensés et construits est tout à fait remarquable.
À ce titre, il faut relever que les marines se distinguent par la capacité à capitaliser leur savoir-faire grâce aux retours d’expérience et l’implémentation de nouveaux systèmes. L’expérience recueillie en matière de défense aérienne a été introduite dans nos frégates Horizon, celle provenant des anciennes frégates anti-sous-marines a été réinjectée dans les FREMM. Aujourd’hui, le Jacques Chevallier bénéficie de l’expérience de nos anciens pétroliers ravitailleurs. Celui-ci permet de bien mieux gérer le ravitaillement en vivres, en gasoil, en eau ou en munitions. Il permet également de récupérer les déchets et de les valoriser à terre. Le deuxième BRF est rapidement attendu.
M. Jean-Louis Thiériot (LR). Amiral, bienvenue à bord. Nous vous accueillons avec plaisir pour la première fois dans cette commission. Nous gardons tous un très bon souvenir des auditions de votre prédécesseur, et je ne doute pas que l’excellence de La Royale continuera de s’exercer, de chef d’état-major en chef d’état-major.
Dans le cadre de la commission mixte paritaire, nous sommes parvenus à dégager des marches supplémentaires plus importantes, en début de LPM, notamment pour améliorer la préparation opérationnelle et la disponibilité des matériels ou des équipages. À cet égard, pouvez-vous nous donner quelques tendances sur cette première marche ? Quel est l’effet des décisions qui ont été prises ? Je comprendrais tout à fait si vous préférez me répondre lors de l’audition à huis clos.
Ensuite, pouvez-vous revenir de manière plus détaillée sur les coopérations en Méditerranée et dans l’océan Indien ? Lorsque nous nous sommes déplacés pour assister à un exercice de défense surface-air (DSA), nous avons rencontré une grande variété d’officiers généraux. À cette occasion, j’ai été frappé par la volonté de coopération existant dans le domaine naval, mais également par le concept de Méditerranée élargie promu par nos amis italiens, qui m’apparaît particulièrement intéressant.
Par ailleurs, je souhaite évoquer la guerre des mines. Pouvez-vous fournir des détails sur les principales différences entre l’approche de la marine française et celle de la marine belge dans ce domaine, que vous avez esquissée un peu plus tôt ?
Enfin, l’amiral Vandier insistait beaucoup sur le fait qu’il ne faut pas nécessairement fonctionner dans une logique de RMV, mais plutôt procéder à des améliorations de manière incrémentale sur les navires, tout au long de leur durée de vie prévisible. Où en sont les réflexions sur ce point ?
Je souhaite en outre approfondir la question de M. Chenevard sur nos futures corvettes. Certaines rénovations sont positives, mais elles peuvent parfois paraître incomplètes. Je pense notamment à l’exemple de la rénovation des frégates de type La Fayette, qui bénéficieront de sonars, mais pas de moyens de lutte anti-sous-marine (ASM). Comment est-il possible de traiter ce type de problématique ?
Amiral Nicolas Vaujour. Nous nous inscrivons dans une dynamique de consolidation de notre préparation opérationnelle, qui implique à la fois une disponibilité technique, mais aussi des exercices et des tests de nos systèmes. S’agissant de la disponibilité, la marine a mis en place des contrats verticalisés sur l’ensemble des bateaux, en sachant que 75 % des contrats de maintenance sont soumis à concurrence, ce qui nous permet à la fois d’intégrer de nouveaux entrants sur le marché, mais aussi de diminuer les coûts. La verticalisation se met d’ailleurs en place pour les contrats aéronautiques. Elle permet en outre d’offrir aux industriels une meilleure visibilité, grâce à des contrats pluriannuels qui sont soutenus, PLF après PLF.
Vous avez ensuite évoqué les coopérations. Celles-ci s’effectuent en fonction de nos intérêts et des zones spécifiques. En Méditerranée, nous avons vocation à échanger avec les Italiens, les Espagnols et les Grecs. Dans le même ordre d’idée, lorsque je regarde l’Atlantique, je parle avec mon homologue britannique. Nous échangeons ainsi des informations, de manière à conforter différentes postures et à œuvrer de manière complémentaire.
À ce titre, je poursuis l’initiative de l’amiral Vandier qui a instauré des exercices conjoints de préparation opérationnelle du haut du spectre avec la marine italienne. Sur le PLF 2024, nous allons ainsi réaliser en avril prochain l’exercice Polaris, de manière commune, la version italienne de l’exercice s’appelant Mare aperto. À cette occasion, nous pourrons travailler avec deux groupes, l’un avec le porte-avions italien Cavour et l’autre avec le Charles-de-Gaulle.
Nous sommes extrêmement satisfaits de travailler avec ces nations, avec lesquelles nous partageons un certain nombre d’enjeux. D’un point de vue stratégique, nous devons être capables de nous déployer ensemble et de transmettre le même message, en Européens.
Vous m’avez également interrogé sur la guerre des mines. J’ai déjà indiqué précédemment que cette guerre des mines correspondait désormais à la dronisation d’une fonction complète. Une expérimentation est actuellement menée à Brest, où un drone de surface qui tracte un sonar remorqué est téléopéré en temps réel par une équipe à terre, à l’aide de l’intelligence artificielle. Il s’agit de gagner du temps, dans le cadre d’une véritable rupture technologique, qu’il a fallu faire mûrir. Les enjeux étaient multiples : ils portaient sur l’autonomie des drones de surface et des drones sous-marins, mais aussi sur le système d’intelligence artificielle et la base de données. Le premier module de lutte contre les mines sera livré à Brest en mars 2024. Sur place, le bâtiment qui abritera le centre de commandement à terre du système de drone est en cours de construction.
Comme vous l’avez relevé, notre approche est différente de celle retenue par les Néerlandais et les Belges. Les systèmes de drone ne sont pas figés pour plusieurs d’années, ils évoluent régulièrement. Aujourd’hui, dans le système de guerre des mines, il existe quatre grandes fonctions : la détection, la classification, l’identification et la neutralisation. Les Français, les Belges et les Néerlandais ont opéré le même choix pour la détection et la classification : il s’agit d’un sonar tracté. En revanche, le système est différent pour l’identification et la neutralisation. L’émulation est saine entre nos différents industriels, dans ce domaine.
En outre, nous réfléchissons à la meilleure manière de mettre à l’eau le drone à partir du futur bâtiment de guerre des mines. Le design du drone sera commun et nos partenaires en disposeront avant nous, ce qui me permettra de bénéficier des leçons qu’ils tireront de leurs premières expériences, car nous avons pris la décision de partager l’information extraite du retour d’expérience. Cette rupture technologique est porteuse de risques, mais en travaillant ensemble, nous les mutualisons et les limitons.
Je vous remercie pour les crédits votés en direction des premières marches de la LPM. Ils nous permettent également de mettre en place deux programmes importants : ÉVOL SNA et ÉVOL Frégate.
Nous avons commencé ce travail avec la classe Suffren, sur laquelle nous mettons en place des évolutions, afin de conserver le meilleur niveau technologique pour nos équipements. Je veux développer l’injection d’innovation à bord des bateaux, le plus rapidement possible. À titre d’exemple, nous allons placer un data hub à bord de la Provence, pour bénéficier de la gestion de données massive et de l’intelligence artificielle sur ce bateau. Pour y parvenir, nous procédons par tests, en lien avec différentes PME.
Vous avez enfin évoqué la RMV des frégates de type La Fayette (FLF), dont j’ai été l’initiateur, lorsque je travaillais à l’état-major des armées. Celle-ci a été mise en place dans un cadre de très fortes contraintes budgétaires, à l’époque. Pour rénover le système de combat, nous avons ainsi choisi de nous inspirer de celui qui venait d’être développé pour le porte-avions. Dans la même logique, le sonar retenu a été celui de la FDI.
Aujourd’hui, je suis très satisfait de disposer des capacités que nous avons pu installer sur les FLF. Je rappelle que ces bateaux ne possédaient pas initialement de capacités anti sous-marines. Ces frégates disposent aujourd’hui d’un sonar, même si elles ne sont pas dotées de torpilles. Cependant, je dois souligner l’aide précieuse fournie par la DGA pour la RMV des FLF. Finalement, nous avons pu produire une action cohérente, qui a permis de prolonger la durée de vie de nos frégates, qui nous sont essentielles. Encore une fois, je suis satisfait de ce que nous avons accompli dans ce domaine.
En revanche, pour les FDI et les FREMM, nous nous attachons à réaliser une évolution continue, au fil du temps, pour intégrer les évolutions technologiques. Vous m’avez donné les vecteurs nécessaires, et il me revient désormais de les utiliser à bon escient.
M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). Amiral, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter pour votre nomination. La marine nationale a toujours été très discrète au sujet des missions de ses sous-marins nucléaires d’attaque. Cependant, il semblerait que le 26 septembre dernier, un SNA de la classe Rubis ait fait surface à Tromsø, au nord de la Norvège. La présence d’un sous-marin nucléaire français dans cette base navale est inédite. Nous savons que le Grand Nord est stratégiquement important, tandis que les dérèglements climatiques ouvrent de nouvelles perspectives économiques.
Un budget précis est-il fléché sur la politique de la marine nationale pour les pôles, et particulièrement pour le grand froid ? Les États-Unis ont ainsi investi près de 1,8 milliard d’euros, depuis 2017, pour le financement de trois brise-glace polaires lourds. À titre de comparaison, le patrouilleur Astrolabe n’a coûté que 50 millions d’euros. La Marine nationale prévoit-elle des investissements significatifs afin d’améliorer son dispositif capacitaire opérationnel dans les zones polaires ? Jugez-vous par ailleurs que les investissements actuels sont suffisants ?
Amiral Nicolas Vaujour. Je ne peux répondre en séance publique sur les questions concernant le Rubis. En revanche, je peux vous indiquer que l’achat de l’Astrolabe a été effectué grâce à un montage innovant. Le bateau est opéré et entretenu par la Marine, il est doté d’un équipage de la Marine, mais il ne lui appartient pas. Les Terres australes et antarctiques françaises ont acheté le bateau, même si nous les avons aidées à monter ce programme. Nous l’opérons pour ravitailler nos terres en Antarctique et nos stations scientifiques. Nos allers et retours s’effectuent à partir d’Hobart en Australie. Ce partenariat assez innovant fonctionne très bien. En Antarctique, il n’existe pas réellement de menace militaire, mais nous y avons des intérêts. Nous garantissons le ravitaillement du pôle et nous profitons de ce bateau pour patrouiller dans les eaux de nos terres australes, notamment dans le canal du Mozambique, pour affirmer notre souveraineté dans notre ZEE.
Dans le Grand Nord et donc dans l’Arctique, la situation est différente puisque la compétition de puissances y est réelle. Dans cette zone, la « tectonique des puissances » est à l’œuvre, aidée par le réchauffement climatique, qui dévoile au fur et à mesure des terres et des fonds marins exploitables. Les puissances, notamment la Russie et la Chine, y sont présentes. Nous avons donc le devoir d’observer ce qui s’y passe. Je sais que l’Assemblée nationale a également établi un groupe d’étude sur les zones polaires, auquel nous sommes d’ailleurs associés.
Il y a quelques années un bâtiment de la Marine a emprunté le passage du Nord-Est. À cette occasion, nous avons eu l’opportunité d’emmagasiner des connaissances sur l’évolution du climat dans cette région. Plus globalement, il faut profiter de la période actuelle pour réfléchir à la manière dont nous, Français et Européens, voulons nous positionner sur ce grand sujet de l’Arctique. En ce qui nous concerne, nous déployons des bateaux dans le Grand Nord, en coopération avec les Norvégiens, mais également d’autres pays, pour mieux connaître et mieux appréhender cet environnement très particulier. Il y fait naturellement très froid et la navigation dans les glaces est particulièrement exigeante.
Mme Isabelle Santiago (SOC). Je m’associe à mes collègues pour saluer votre nomination. L’année 2024 verra la livraison de nombre de bâtiments à la marine, laquelle s’inscrit dans un programme de LPM sur le temps long. À ce titre, je rappelle avoir porté un amendement concernant des études à réaliser pour un deuxième porte-avions.
Les missions de la Marine se déploient sur un espace maritime extrêmement vaste, depuis la métropole jusqu’aux territoires ultra-marins et sont donc soumises à la « tyrannie des distances ». Pour exercer ces missions exigeantes, vous avez naturellement besoin d’hommes et de femmes. Par conséquent, je souhaite évoquer les contraintes en ressources humaines, que j’ai pu apprécier lors de divers déplacements sur les bases.
Pouvez-vous nous éclairer sur les mesures que vous envisagez de prendre pour faire face aux enjeux de l’attractivité et de la fidélisation, notamment auprès de la jeunesse ? Vous avez ainsi évoqué plus tôt le triptyque suivant : donner envie de rentrer, donner envie de rester et donner envie de progresser. Quelles actions menez-vous pour recruter des jeunes ?
Par ailleurs, je souhaite évoquer les outre-mer et les enjeux associés, tels la sécurisation des routes maritimes, des câbles sous-marins et des matériaux critiques et rares. Certains golfes, comme ceux de Guinée ou du Mozambique, représentent des zones clefs pour sécuriser les routes du commerce mondial. À ce titre, j’ai toujours considéré qu’à La Réunion, notre base militaire devait devenir un pôle de projection. Des travaux seront-ils effectués en ce sens pour y accueillir encore plus de bateaux ?
Amiral Nicolas Vaujour. Notre jeunesse est prête à s’engager à partir du moment où elle trouve du sens dans cet engagement. Il faut lui donner envie, d’abord en mettant en valeur le drapeau et l’histoire de notre Marine à travers les siècles.
Ensuite, en matière de ressources humaines, nous menons une bascule. Au préalable, nous recrutions des marins pour les transformer en spécialistes. Aujourd’hui, nous allons procéder de la manière inverse, ce qui modifie l’équation. Ainsi, nous avons créé un BTS nucléaire à Cherbourg, qui nous permettra d’alimenter la filière marine, pour disposer, demain, de responsables de réacteurs nucléaires sur le Charles-de-Gaulle ou dans des sous-marins. En lien avec l’Éducation nationale, nous allons contribuer à leur formation. De même, nous avons créé avec l’Education nationale des baccalauréats professionnels dédiés au monde naval, le dernier en date étant le « bac mécatronique ». Il s’agit d’une formation commune qui s’adresse à la fois aux mécaniciens et aux électriciens. Elle n’intéresse pas uniquement la Marine, mais aussi des grands groupes comme Naval Group ou CMA-CGM. Ces « mini-filières » permettent d’alimenter au bon niveau nos armées et nos industries.
Nous avons besoin de tous dans la Marine. Les mousses sont extraordinaires, ces jeunes ont envie de s’engager, mais malheureusement, ils n’ont pas réussi jusque-là à y parvenir. Nous leur tendons la main et sommes payés en retour. Lorsque je commandais le Chevalier Paul, un mousse barrait le bateau et il était fier, car nous lui faisions confiance. En résumé, notre axe majeur en matière de ressources humaines concerne l’adaptation de la formation pour être les plus efficaces possibles, au sein d’un dispositif gagnant-gagnant pour l’Education nationale, la marine et, de manière plus large, l’industrie.
Mais l’engagement ne porte pas que sur l’engagement initial, il se nourrit au quotidien. Je demande à mes commandants d’insister dessus lorsqu’ils exercent leur leadership. Nous devons conserver cette attention pour « l’escalier social », qui contribue aussi à la force de nos armées et de la Marine en particulier. Un marin embauché comme matelot est devenu amiral commandant aux Antilles. Un autre matelot est devenu un des commandants du Tourville. Opérateur sonar, il est devenu commandant de SNA. Nous devons absolument préserver cette richesse extraordinaire, donner envie d’embarquer, envie de progresser.
Vous avez également évoqué à juste titre La Réunion en tant que pôle de projection. La Réunion est au cœur de routes maritimes qui ne sont pas très connues, mais qui sont en réalité très importantes, comme la route de Malacca, au sud de l’Afrique du Sud. Lors de sa tournée de longue durée, le Jacques Chevallier accostera à La Réunion, ce qui nous permettra de tester la manière dont nous pouvons ravitailler non seulement un patrouilleur outre-mer, mais aussi une frégate.
M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je vous remercie d’avoir évoqué la guerre des mines, y compris pour évoquer les infrastructures sur la base navale de Brest. Je vous suis également reconnaissant d’avoir mentionné la stratégie polaire. Il existe en effet dans ce dernier domaine une ébauche de programmation pluriannuelle, à travers une proposition de loi en cours d’élaboration, qui a pour objectif d’offrir une meilleure visibilité à la recherche, sur le long terme.
Je souhaite vous poser quelques questions, dont certaines pourront peut-être faire l’objet de développements lors de la partie à huis clos de cette audition. La première porte sur les réserves, auxquelles le PLF 2024 attribue 20 millions d’euros supplémentaires et 3 800 équivalents temps plein (ETP). Combien d’entre eux seront-ils dévolus à la marine et à quelle intention ? Au-delà, que voulez-vous faire de cette réserve ? Quelle est la doctrine retenue, quelles sont les missions envisagées ?
Ensuite, comment abordez-vous aujourd’hui les ressources humaines pour la période où le Charles-de-Gaulle et le porte-avions nouvelle génération seront tous deux disponibles simultanément ?
Enfin, je souhaite évoquer notre stratégie d’accès dans l’océan Indien, à laquelle je m’intéresse particulièrement. Je reviens de Djibouti, l’un de nos points d’appui dans la zone. Je souhaiterais que vous puissiez détailler l’ensemble des outils dont dispose la France dans cette région. Quelle est notre stratégie d’accès face à des stratégies de déni d’accès de plus en plus renforcées ?
Amiral Nicolas Vaujour. La LPM nous offre une capacité d’évolution majeure pour les réserves, que nous allons mettre en œuvre autour de plusieurs axes. Nous disposions d’une réserve structurelle, construite autour d’anciens marins, que nous conservions pendant cinq ans à dix ans, dans des domaines d’expertise de niche.
Désormais, l’évolution nous permet d’aller plus loin, à partir de deux axes. Le premier axe concerne le rajeunissement. Il nous faut profiter d’experts à la pointe des dernières évolutions. Je souhaite à cet effet évoquer un exemple spécifique. Aujourd’hui, pour donner des cours dans un domaine technologique pointu, je peux soit solliciter un réserviste opérationnel venant directement dans l’industrie pour nous instruire sur ce sujet. Nous créons des unités de réserve opérationnelle à Toulon et à Brest, qui vont nous permettre d’intégrer plus de jeunes, mais également des unités de réserve opérationnelle thématiques, dont les membres pourront intervenir ponctuellement, par exemple sur une journée ou une semaine.
Le deuxième axe concerne les Flottilles côtières, soit un axe de territorialisation sur l’ensemble de notre façade atlantique. Nous voulons mettre en place des petites unités territorialisées, qui puissent bénéficier des expertises, localement. Dans cette frange côtière entre 0 et 6 nautiques, nous n’avons pas nécessairement de besoin de grandes compétences, mais surtout de volonté, de bon sens et de présence. Ces premières flottilles côtières débuteront durant le PLF 2024, à l’été prochain. Je proposerai au ministre des lieux d’implémentation.
Ensuite, vous m’avez interrogé sur les enjeux des ressources humaines, en lien avec le porte-avions nouvelle génération. Pendant que le Charles-de-Gaulle sera toujours opérationnel, le deuxième porte-avions montera en compétences. Nous le qualifierons donc pour naviguer et recevoir des avions ; quand il sera prêt, nous transfèrerons la charge d’un bateau à l’autre. Ce rendez-vous se prépare dès maintenant : au titre du PLF 2024, nous embaucherons les marins du prochain porte-avions nouvelle génération. Les 74 matelots inscrits au PLF seront prêts à exercer des fonctions expertes lorsque le porte-avions sera livré.
La manœuvre est initiée et fait l’objet d’une surveillance évidemment toute particulière, puisqu’au sein du millier de personnes nécessaires pour armer l’équipage du porte-avions, nous aurons besoin de spécialistes, qu’il s’agisse de spécialistes des installations aéronautiques, de spécialistes nucléaires ou de matelots spécialisés. Cet effort débute maintenant et je remercie encore une fois le Parlement d’avoir initié cette grande montée en puissance, laquelle est évidemment stratégique pour nos armées et pour notre marine tout particulièrement.
Vous avez également évoqué Djibouti et notre stratégie d’accès. Je souhaite en profiter pour évoquer une unité dont je n’ai pas parlé depuis le début de l’audition, mais qui constitue l’une de nos « pépites », le Mica Center, situé à Brest. Le Mica Center est composé d’une soixantaine de personnes, dont 29 réservistes, qui assurent jour et nuit l’alerte au profit de notre marine marchande, tout particulièrement dans le golfe de Guinée et l’océan Indien. Cette structure a été créée en 2016. Ces soixante personnes travaillent directement au profit des opérations EMASoH-Agenor et Atalante.
Si vous prenez une carte du golfe de Guinée, y compris une carte anglaise, vous y trouverez le numéro de téléphone du Mica Center. Ce numéro permet de transmettre une alerte. Celle-ci est traitée par nos marins français, anglophones, qui sont capables de vous informer pour vous indiquer où se situent le bateau le plus proche ou les aides dont vous pouvez disposer. Cette capacité à traiter l’information maritime est à la fois unique et absolument essentielle. Nous la consolidons en permanence et nous l’ouvrons également à nos partenaires. Les Britanniques et les Espagnols y participent, et les Italiens pourraient nous rejoindre. Cette manière de procéder est reconnue par l’industrie maritime aujourd’hui et nous proposons à chaque armateur de s’inscrire volontairement, dans une démarche gagnant-gagnant.
M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je tiens à indiquer à la commission que lorsque je me suis rendu à Djibouti, j’ai eu l’occasion de constater que nos amis américains font part d’un très vif intérêt pour ce système, qu’ils tiennent en très haute estime.
M. le président Thomas Gassilloud. Pour ma part, je souhaite vous soumettre une suggestion, amiral. Nous venons d’auditionner le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, qui nous parlé de trois axes d’effort : la spécialisation, la territorialisation et la création potentielle d’une base aérienne de réserve, afin de disposer d’un vivier de recrutement. Le projet d’une base navale de réserve vous semble-t-il pertinent ? Elle pourrait par exemple être implantée à Marseille.
Amiral Nicolas Vaujour. Nous allons créer trente unités opérationnelles d’ici 2030, soit environ 5 000 réservistes, qui seront répartis sur la façade maritime mais également outre-mer. Je précise que le chef d’état-major des réservistes est lui-même réserviste. La structuration de la réserve est donc opérante et nous allons fournir les moyens nécessaires, en termes d’infrastructures et de capacités. Nous allons procéder de manière progressive mais, dès l’été 2024, nous créerons deux unités, avant d’évoluer en fonction des besoins complémentaires.
M. Frank Giletti (RN). Alors que l’ascenseur social est en panne dans une large partie de notre société, il ne faudrait pas que les armées soient elles aussi atteintes par ce phénomène. Parmi les critères d’évaluation qui me semblent intéressants figurent les commandements de nos principaux navires. Ainsi, parmi les principaux navires de la flotte française, quelle est la proportion de ceux qui sont commandés par des officiers non issus du cursus direct de l’École navale ? Les futurs tableaux de commandement intègrent-ils ce paramètre ?
S’il est parfaitement normal que les officiers recrutés par la voie directe commandent la plupart des navires de notre flotte, permettre à des cursus moins classiques, mais tout aussi exigeants, d’accéder à ces fonctions contribuerait à renforcer l’attractivité de notre marine.
Amiral Nicolas Vaujour. Aujourd’hui, 70 % de nos mousses deviennent quartiers-maîtres, 50 % de nos officiers mariniers étaient précédemment quartiers-maîtres et 20 % de nos officiers sont issus de recrutements internes. Ces éléments attestent de la part non négligeable de fonctions de commandement assurées par des marins qui ne sont pas issus de l’École navale. En réalité, le seul critère qui m’importe concerne la compétence. Je rappelle que le futur commandant du Tourville est un ancien matelot veilleur sonar.
Pour donner envie à nos marins de progresser, nous devons de notre côté jouer le jeu et montrer que la promotion interne fonctionne dans la marine. Le cas du commandant du Tourville permet de donner confiance à tous les autres. Le message est clair : allez-y, vous pouvez y arriver. Nous ne promouvrons pas un interne par obligation ou volonté d’affichage, la compétence prime. J’attends d’abord d’un chef qu’il soit un bon commandant, mais s’il s’agit d’un interne, je ne peux que m’en féliciter.
M. le président Thomas Gassilloud. Amiral, je vous remercie pour votre première audition en tant que chef d’état-major de la marine. Avant de passer à la partie à huis clos, je souhaite faire part de deux appréciations personnelles. Tout d’abord, je souligne votre parfaite maîtrise des sujets alors même que vous avez pris vos fonctions il y a peu. Ensuite, je tiens à signaler votre enthousiasme. Je considère qu’il s’agit là d’une condition importante pour attirer, fidéliser et faire progresser les marins.
Je vous propose à présent d’interrompre cette audition publique, pour passer à la partie à huis clos.
L’audition se poursuit à huis clos
M. José Gonzalez (RN). En 2015, la marine nationale expérimentait de nouveaux concepts de disponibilité opérationnelle à dix jours sur ses porte-hélicoptères. L’objectif consistait à assurer un maintien en condition opérationnelle (MCO) continu de ce type de navire : il s’agissait alors de limiter les arrêts techniques programmés en réalisant des tâches réglementaires hors périodes d’entretien. L’amiral Vandier avait laissé entendre que ce MCO faisait également partie de mesures palliatives prises pour les bateaux les plus anciens, afin de leur permettre de continuer à naviguer en sécurité pour les équipages.
Ce dispositif semble aujourd’hui concerner les frégates multi missions, dont les missions sont de plus en plus longues, notamment grâce au principe de double équipage. Elles opèrent aujourd’hui avec succès à l’étranger, comme ce fut récemment le cas aussi aux Émirats arabes unis.
Amiral, quel est votre vision de la normalisation du développement de systèmes continus pour les frégates multimissions (FREMM) ? Ce PLF 2024 permet-il d’envisager sereinement ce développement ?
Amiral Nicolas Vaujour. S’agissant du MCO en règle générale, je voudrais prendre un exemple personnel. Lorsque je commandais le Chevalier Paul entre 2012 et 2014, le MCO continu était employé sur ce type de navire. Trois niveaux techniques doivent être distingués en matière de MCO : le niveau 1 décrit ce que l’équipage peut réaliser ; le niveau 2, ce que l’industriel peut réaliser et le niveau 3, ce que seul l’industriel doit réaliser.
Il s’avère que les diesel alternateurs ont subi plusieurs pannes lors d’une mission opérationnelle. Nous nous sommes alors interrogés : fallait-il signaler l’indisponibilité du bateau ou tenter de le réparer ? Nous avons réuni les équipages, les mécaniciens et les spécialistes et je leur ai demandé s’ils s’estimaient capables de procéder à cette réparation. Devant leur réponse positive, j’ai pris la responsabilité d’engager cette opération, qui a réussi. J’en ai également rendu compte aux services de soutien, qui n’étaient pas satisfaits de cette initiative, dans la mesure où il s’agissait d’un problème technique de niveau 3, qui aurait donc dû être traité par l’industriel. Mais nous avons entrepris et réussi cette réparation.
Le MCO continu n’est pas tant une affaire contractuelle avec les industriels qu’une question de résilience. La question qui m’importe est la suivante : mes équipages sont-ils capables, au combat, de garantir la disponibilité d’un bateau, notamment lorsqu’ils sont confrontés à une avarie de combat beaucoup plus compliquée à régler que ce qu’ils ont « l’autorisation » de faire ? Face aux temps incertains qui nous font face, nous devons être en mesure de régler les problèmes par nous-mêmes. Aujourd’hui, nous développons ce MCO en continu, qui permet d’améliorer les compétences de nos équipages, afin qu’ils puissent les mettre en œuvre le jour où ils seront soumis aux mêmes problèmes. Le MCO continu arrive désormais à maturité.
Ensuite, le Suffren est une « bête de guerre », dont nous sommes très satisfaits. Le retour d’expérience des Rubis a permis de réaliser un très bon bateau pour diverses raisons. Il est particulièrement adapté à la lutte contre les sous-marins et il embarque un certain nombre de technologies. Le Suffren est notamment équipé d’une barre en X, qui le rend plus manœuvrable. Le MdCN ajoute une capacité militaire redoutable : il permet au sous-marin de s’approcher d’une côte sans être vu et de porter la frappe souhaitée. Le Suffren embarque également un petit sous-marin permettant de larguer des commandos en mission sans qu’ils ne puissent être détectés. Il s’agit là d’une rupture conceptuelle par rapport à la classe Rubis, lui permettant d’agir de manière plus efficace, dans le haut du spectre. Peu de nations sont capables de fabriquer un tel objet technologique, objectivement. Les stocks de MdCN sont connus et conformes aux besoins opérationnels et des crédits sont dégagés dès 2025 pour initier le programme de leur Rénovation à Mi-Vie (RMV). Il est plus difficile de réaliser une évolution des missiles au cœur de leur vie, tant il s’agit d’une technologie de haute précision. Il suffit pour s’en convaincre de visiter l’usine de MBDA à Bourges. Les missiles fonctionnent très bien et leur arrivée sur les Suffren nous permet d’élargir notre périmètre. La France et les armées françaises sont dotées d’une capacité à imposer une décision quand elles le souhaitent.
Ensuite, je souhaite revenir sur le déni d’accès évoqué en audition publique. Il est possible malgré tout de s’en extraire de différentes manières, en fonction des résultats escomptés. Pour des opérations de renseignement, des parachutistes peuvent être projetés à partir d’avion ou des commandos à partir des Suffren. Quand un pays menace nos intérêts et nos enjeux, le porte-avions est capable de projeter de la puissance régulière et nous permettre d’imposer notre volonté. De son côté, le sous-marin permet d’agir discrètement. En outre, dans les zones contestées, les manœuvres amphibies de l’armée de terre permettent de transporter des troupes jusqu’aux zones d’opération.
Nous avons heureusement conservé ces capacités. À l’heure où les accès se restreignent, nous pouvons proposer au CEMA des modes d’action robustes. Chaque armée apporte ses spécificités. Le groupe aéronaval permet de construire une bulle d’hyper-supériorité, en combinant les capacités du porte-avions et celles des frégates d’escorte, qui font partie des meilleures au monde dans le domaine de la lutte antimissile. Cette lutte sera d’ailleurs encore perfectionnée dans le cadre de la LPM, par l’amélioration de nos missiles Aster. Enfin, la veille coopérative d’impact permet de renforcer l’efficacité de notre système : nous faisons partie des rares nations capables d’intercepter des missiles supersoniques en très basse altitude.
M. le président Thomas Gassilloud. Amiral, je vous remercie.