LPM 2024-2030 : Audition du général Susnjara, directeur de la DRSD (Assemblée nationale, 13 avril 2023)

LPM 2024-2030 : Audition du général Susnjara, directeur de la DRSD (Assemblée nationale, 13 avril 2023)


 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous avons le plaisir d’accueillir le général Philippe Susnjara, directeur du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) depuis octobre 2022. C’est la première fois, mon général, que nous vous auditionnons en cette qualité. Saint-Cyrien passé par les troupes de marine, vous avez notamment été adjoint au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l’état-major des armées en 2018 avant d’en prendre la direction deux ans plus tard.

Lors de ses vœux aux forces armées, le Président de la République a annoncé un doublement des crédits de la DRSD dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM). J’imagine que vous ne manquerez pas de revenir sur cette augmentation substantielle des crédits dans un contexte où les défis à relever sont nombreux pour la DRSD : recrutement et fidélisation des personnels civils et militaires ; réaménagement de la direction centrale au fort de Vanves ; développement de nouveaux systèmes d’information souverains ; contre-ingérence économique et contre-ingérence cyber à l’heure de l’économie de guerre et de l’explosion du nombre de signalements d’intrusions cyber.

N’hésitez pas, dans votre introduction, à rappeler les missions de la DRSD car la commission a été fortement renouvelée lors des dernières élections législatives.

Général de corps d’armée Philippe Susnjara, directeur du renseignement et de la sécurité de la défense. Je suis extrêmement honoré d’être parmi vous pour présenter la DRSD. Cette direction est le service de renseignement du ministre des Armées chargé d’assurer la protection des installations, des personnes, des systèmes, des matériels et des informations du ministère. Le champ de compétences de la direction couvre la sphère de défense élargie, à savoir le ministère des armées et les personnels qui y servent, mais aussi les familles, les anciens militaires, les réservistes et la base industrielle et technologique de défense (BITD), composée d’environ 4 000 entreprises.

La mission du service est contenue dans sa devise, « Renseigner pour protéger ». Notre action comporte en effet deux volets : le premier, de renseignement, consiste à collecter et à analyser des informations et le second vise à améliorer la protection de la sphère de défense élargie. Le travail repose sur trois piliers : évaluation de la menace, identification des vulnérabilités – physiques, cyber, des personnels –, puis estimation, reposant sur le croisement des deux premières tâches, d’un niveau de risque, acceptable ou non. Si le niveau de risque nous semble inacceptable, nous réfléchissons au déploiement de mesures destinées à le diminuer ou à entraver toute ingérence.

Pour remplir ces missions, notre organisation est très centralisée, puisque tout remonte à la direction centrale, située au fort de Vanves à Malakoff ; nous possédons en outre une particularité que nous partageons avec nos camarades de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à savoir une implantation locale : la direction compte ainsi huit directions zonales constituées de cinquante-six postes répartis dans l’Hexagone, outre-mer, à l’étranger où nous avons des forces prépositionnées et aux côtés des forces en opération.

La DRSD poursuit sa transformation engagée depuis plusieurs années et accélérée ces derniers temps. Nos effectifs ont crû et nous avons retrouvé, en 2021, le niveau d’avant la période 2008-2014, à savoir 1 550 personnels. Toujours dans le domaine des ressources humaines, de nouveaux métiers se sont implantés dans la direction : cyber ; développeurs informatiques ; jeunes agents civils, que l’on appelle les agents de contre-ingérence économique et qui agissent en complément des inspecteurs de la sécurité, qui sont, eux, plutôt des personnels militaires. Nous nous adaptons en permanence aux nouvelles technologies pour relever, avec nos camarades du premier cercle, les nombreux défis de ce domaine. Enfin, nous avons conduit une transformation capacitaire, la plus emblématique étant le développement d’une nouvelle base de données souveraine, qui doit se substituer à notre système vieillissant à partir de 2024.

Ces multiples évolutions se sont déployées dans le cadre de la LPM en cours. Entre 2019 et 2025, la direction a reçu 120 millions d’euros en crédits de paiement (CP) ; les révisions annuelles nous ont alloué 219 millions de CP pour conduire nos nouveaux projets : la nouvelle base de données souveraine ; l’acquisition de nouvelles capacités cyber ; l’adaptation à la nouvelle instruction générale interministérielle, IGI 1 300, sur la protection ; la conception puis la construction du nouveau bâtiment au fort de Vanves, qui sera livré à la fin de l’année 2024 et qui accueillera à partir de 2025 l’ensemble des personnels du cœur de métier de la direction ; l’amélioration du système d’enquêtes administratives de renseignement et de sécurité, en développant de nouveaux outils comme l’empreinte numérique finalisée,; l’amélioration, enfin, de notre système d’information dédié aux habilitations – synergie pour l’optimisation des procédures d’habilitation de l’industrie et des administrations (Sophia).

Les ressources qui nous ont été allouées ont eu un effet direct sur les missions du service, dans un contexte tendu sur le front des menaces. En plus des risques traditionnels liés au terrorisme, nous assistons à une résurgence, déjà soulignée dans la revue nationale stratégique (RNS) de 2017 et amplifiée par le conflit en Ukraine, des États-puissances, laquelle accroît le coût de la menace. Nous avons enregistré une augmentation spectaculaire des demandes liées à la protection, puisque nous en avons reçu 390 000 en une année, soit 1 500 à 1 800 par jour : ces demandes vont de contrôles simples de personnes devant entrer dans une base ou une zone réservée à des habilitations de personnes devant avoir accès à des documents très secrets. La hausse des sollicitations est constante depuis plusieurs années, avec des accélérations lors des périodes d’attentat ; nous tenons les délais qui nous sont fixés, mais y parvenir représente un défi quotidien ; nous souhaitons donc automatiser le plus possible ce processus, afin que les agents de la direction puissent effectuer des enquêtes de qualité, à charge et à décharge. En 2022, nous avons mené en outre 155 inspections en milieu militaire et industriel, destinées à vérifier le niveau de protection de ces installations et leur conformité avec la réglementation.

Nous avons effectué près d’un millier de sensibilisations du personnel du ministère des armées et de la BITD : ces actions sont la base de la réussite de notre mission car, quand les gens sont sensibilisés, ils font attention et ils évitent de commettre certaines erreurs. Si jamais un événement se produit, ils sont capables de nous en informer pour évaluer la situation et prendre les mesures nécessaires.

Notre production de notes de renseignement a, elle aussi, augmenté, de l’ordre de 19 % en quatre ans.

Dans le cadre de la préparation de la nouvelle LPM pour les années 2024 à 2030, nous avons conduit, à notre niveau, une sorte de revue stratégique, dans laquelle nous nous sommes penchés sur les évolutions des six à sept prochaines années. Nous avons identifié quatre axes d’effort. Le premier concerne l’adaptation, dans le domaine de la contre-ingérence, aux nouvelles conflictualités, principalement liées aux États intrusifs, au premier rang desquels figurent la Russie et la Chine. Le deuxième consiste à répondre à la forte progression des actions hostiles à la BITD ; le contexte économique et géopolitique actuel montre que cette tendance est appelée à durer. Le troisième vise à poursuivre notre montée en puissance cyber et à nous adapter aux bouleversements technologiques à venir. Le quatrième, enfin, tient à l’exigence de ne pas baisser notre garde face aux menaces des dernières années, principalement le terrorisme et la radicalisation.

Premier axe, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a profondément marqué le cadre géopolitique actuel. Elle a tout d’abord confirmé la désinhibition de certains États à conduire des actions violentes ; ceux-ci sont prêts à employer de multiples moyens, et un conflit de haute intensité en Europe est possible. Avec cette agression, la Russie est entrée dans la catégorie des nations hostiles, au moins à court et à moyen terme et dans notre domaine d’action. Les conséquences sont multiples mais assez prévisibles : les tentatives d’ingérence russes vont se multiplier, notamment à l’encontre de nos institutions et des armées européennes ; l’Otan va revenir au premier plan, puisque la totalité de nos partenaires se tournent vers cette organisation ; enfin, les questions de sécurité et de défense vont connaître un regain d’intérêt dans l’ensemble des pays occidentaux, notamment européens. L’ingérence russe s’étend partout, notamment en Afrique : au-delà des actions traditionnelles qui se situent en dessous du seuil de conflictualité – espionnage, manœuvres de déstabilisation et d’intimidation –, nous subissons des contestations à visage découvert. Il n’y a qu’à écouter Evgueni Prigojine, chef de la société militaire privée (SMP) Wagner, qui assume d’agir contre les intérêts français, notamment en animant des réseaux dans le champ informationnel. Dans ce domaine, notre priorité est d’accompagner les forces déployées sur le terrain pour qu’elles puissent conduire correctement leurs opérations sans subir d’actions d’ingérence ; nous recueillons du renseignement pour participer à la protection de nos forces ; nous avons ainsi accompagné ces dernières lors de leur retrait du Mali et du Burkina Faso ; nous restons aux côtés des forces prépositionnées au Sénégal, au Tchad, au Gabon et à Djibouti et des forces en opération au Niger et au Tchad. Nos compétiteurs stratégiques, principalement la Chine et la Russie, disposent de moyens puissants, variés et sophistiqués qui nous obligent à conserver la capacité de traiter et d’exploiter les données – la « guerre de la donnée » n’est pas une vaine expression – et à posséder un temps d’avance. Pour la nouvelle LPM, nous avons mis en avant la nécessité de poursuivre le développement de notre nouvelle base de données souveraine pour y inclure certains outils qui nous permettent de traiter les données, de mettre en relation des signaux faibles, de déterminer des schémas d’attaque d’adversaires, de mieux orienter nos capteurs et de mieux conseiller la BITD et les forces pour renforcer leur protection. Nous réfléchissons également au développement d’un arsenal normatif à même de prévenir les ingérences étrangères ; dans cette optique, nous avons travaillé au renforcement du contrôle déontologique des militaires, anciens et actuels, afin d’éviter la fuite de savoir-faire, comme la presse s’en est fait l’écho ces dernières semaines au sujet des pilotes de chasse.

Le deuxième axe touche aux actions hostiles contre la BITD. Les tentatives de prédation et de déstabilisation de la base industrielle et technologique de défense se sont multipliées. Elles prennent la forme d’ingérences légales, au travers des normes et de la réglementation, ou extralégales, avec, par exemple, des attaques contre la réputation d’une entreprise concourant à un marché, des captations d’informations, l’affaiblissement d’un concurrent, etc. L’augmentation du budget de la défense et la mise en avant des matériels occidentaux aiguisent certains appétits. Dans ce domaine, la Chine représente la menace principale : elle agit dans de nombreux secteurs, pas uniquement celui de la défense, et se montre particulièrement intrusive dans la recherche. Nous devons nous montrer vigilants sur les normes et les réglementations, notamment anglo-saxonnes, car la Chine et d’autres pays souhaitent se doter de moyens importants en la matière ; la DRSD travaille très étroitement avec Tracfin et la DGSI, services avec lesquels nous avons des contacts hebdomadaires. Dans le cadre de l’économie de guerre, nous avons identifié avec la direction générale de l’armement (DGA), au-delà des entreprises connues possédant des savoir-faire particuliers, les petites et moyennes entreprises (PME) de la chaîne logistique qui peuvent constituer une cible pour nos adversaires. À cet égard, notre objectif est de se doter d’un outil utilisant la cartographie en 3D et la technologie des jumeaux virtuels pour disposer d’une meilleure vision de l’ensemble des installations et d’une connaissance en temps réel et à jour de nos niveaux de protection.

Le troisième axe a trait à la montée en puissance du cyber. La croissance de la virtualisation de la vie économique augmente naturellement le niveau de risque cyber, principalement pour les PME dont la capacité à se doter d’outils de défense est plus faible que celle des grosses sociétés. Nous travaillons beaucoup avec ces entreprises, en lien avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et le commandement de la cyberdéfense (Comcyber), avec lequel nous avons développé une coopération renforcée. Dans notre direction, des équipes techniques de réponse aux attaques cyber sont centrées sur l’économie de défense, quand le Comcyber s’occupe du ministère des armées. Nous devons être à jour des capacités modernes – objets connectés, 5G, intelligence artificielle, etc. –, qui nécessitent des moyens toujours plus sophistiqués pour être à la pointe des avancées technologiques.

Le dernier axe concerne le terrorisme et la radicalisation. Notre feuille de route est claire : ne pas baisser la garde. Nous avons développé de nombreuses actions de coopération efficaces entre les services du premier cercle et avec le commandement des différentes armées. Le risque existe, mais il est connu et contenu. Nous devons rester vigilants sur les évolutions de la menace, y compris celles provenant d’autres fragmentations sociales et du séparatisme. Sur ce dernier point, tout ce qui nous permet de savoir ce qui se passe sur les réseaux sociaux est intéressant, puisque les personnes, notamment les jeunes, échangent énormément sur ces réseaux et très peu sur l’internet classique : nous devons nous adapter à ces nouveaux moyens de communication.

Pour atteindre nos objectifs dans ces quatre domaines, nous devons, comme les autres services de renseignement, relever le défi des ressources humaines, à savoir conquérir de nouveaux talents et les garder quelque temps pour tenir les délais. Nous souscrivons à tous les efforts que la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) a engagés pour coordonner notre action dans le domaine des ressources humaines et nous participons activement à tous les travaux en cours. Grâce à la sous-direction « stratégie et ressources » et à un effort quotidien, nous avons tenu nos engagements pour le recrutement de nos agents et nous sommes à environ 97 % de l’effectif autorisé. Il s’agit d’un combat quotidien, d’autant que la jeunesse de nos agents crée un flux permanent dans nos effectifs. Nous insistons sur la création de nouveaux métiers et sur la diversification de nos viviers, tout en étant conscients du fait que l’augmentation des effectifs de la direction est principalement due à l’arrivée de civils, parce que les armées peinent à maintenir le nombre de militaires au sein de la direction. Nous suivons des pistes pour trouver de nouveaux profils de militaires. Mon prédécesseur a engagé des actions dans le domaine de la formation et des parcours professionnels, lesquelles seront poursuivies avec la volonté de mettre en place un centre de formation, qui nous sera utile car 700 de nos agents reçoivent chaque année une formation ; nous voulons proposer des formations certifiantes, qui valorisent nos personnels. Dernier point, le nouveau bâtiment de la direction centrale offre au service l’opportunité de se réorganiser en mettant en adéquation l’espace géographique des bureaux et les processus internes de la direction. Un grand travail nous attend pour exploiter au maximum toutes les capacités du nouveau bâtiment du fort de Vanves et accomplir notre mission de mieux renseigner pour mieux protéger.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. J’ai eu la chance de visiter la DRSD centrale et locale, la direction comptant une antenne dans le pays de Lorient. Je vous remercie de l’accueil que j’y ai reçu. Comme mes collègues députés, j’ai participé à des événements avec les entreprises qui travaillent dans l’écosystème de la défense et j’ai trouvé très intéressant de me connecter avec vous pour que tous les membres de l’équipe France se rencontrent, car de nombreuses entreprises locales ne sont pas forcément sensibilisées à l’ingérence : nous, parlementaires, devons les aiguiller vers vous.

Vous avez laissé entendre que vous aviez plus de difficultés à attirer des militaires que des civils : comment pouvez-vous agir, surtout avec la contrainte des opérations extérieures (Opex) ? Que faire pour augmenter l’attractivité de votre direction auprès des militaires ?

Le projet de LPM prévoit 5 milliards au renseignement : la part qui reviendra à la DRSD vous paraît-elle adaptée aux objectifs de votre service ? Quels investissements bénéficieront en priorité de cette enveloppe ?

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. J’attache une grande importance à l’équilibre entre personnels militaires et civils : notre spectre d’action couvre à la fois les forces et la BITD, donc nous devons maintenir un niveau de personnels militaires suffisant, d’autant que nous accompagnons les forces dans les Opex. Actuellement, nous comptons 63 % de militaires et 37 % de civils : il faut conserver, à un ou deux pourcent près, cette répartition.

Le problème ne tient pas tant à l’attractivité du service, même si la question se pose toujours, qu’à la nature des profils : les personnels militaires qui nous rejoignent sont souvent en deuxième voire en troisième partie de carrière – sous-officiers et officiers comptant une quinzaine d’années de service. Or l’armée souffre d’un creux conjoncturel, qui rend difficile l’occupation de tous les postes. Nous souhaitons donc sélectionner des personnes aux profils légèrement différents, notamment plus jeunes : je discute actuellement avec mes camarades des armées pour prendre ce virage, qui demandera plus de formations mais qui augmentera la durée d’occupation des postes. S’agissant des Opex, nous ne déplorons pas de manque d’agents, même si nous surveillons les taux de tour.

En fonction du budget qui nous sera alloué, nous souhaitons maintenir notre effort sur la base de souveraineté: la version, qui est appelée à remplacer la base actuelle, devrait être livrée et opérationnelle mi 2024 –. Nous souhaitons incrémenter cette base de données avec des outils, des modules et des briques qui l’enrichissent : insérer du prédictif, traiter les signaux faibles, rapatrier toutes nos données dans une seule base, effectuer des recherches dans l’ensemble de nos données sont des éléments essentiels pour nous. Voilà l’effort prioritaire que nous fournissons, ce processus ne pouvant de toute façon pas être suspendu.

Nous souhaitons également améliorer les outils en place dans le cadre du Centre national des habilitations de la défense (CNHD) : nous devons automatiser et industrialiser les enquêtes administratives afin que les agents puissent consacrer toute leur énergie aux dossiers qui réclament de l’intelligence humaine. Pour ce faire, nous allons développer de nouveaux outils, qui ne sont pas forcément très complexes puisqu’il s’agit de mettre en relation les différentes boîtes qui existent déjà. Notre objectif est double : lisser les processus et améliorer notre consultation des réseaux sociaux, en employant peut-être des modules de traduction.

Enfin, nous cherchons à améliorer les conditions de travail de nos agents ainsi que la qualité de la performance, notamment dans l’utilisation d’outils nomades qui doivent nous faire gagner du temps et dans l’élaboration d’un système centralisé qui nous offre une vision plus globale et plus rapide.

Mme Anne Genetet (RE). Je comprends que vous n’avez pas encore d’idée précise de la répartition des 5 milliards et j’imagine que vous aimeriez capter une part importante de l’augmentation de 60 % de l’enveloppe consacrée au renseignement. Vous souhaitez moderniser certains de vos outils, mais cela dépendra, là aussi, des crédits qui vous seront alloués. Connaissez-vous le calendrier de ventilation du budget du renseignement ?

L’article 20 de la LPM garantit la prise en compte des intérêts fondamentaux de la nation : quand un ancien militaire veut rejoindre le secteur privé, comment se prémunir de l’ingérence d’une puissance étrangère ? La rédaction actuelle de l’article 20 vous semble-t-elle suffisante pour vous prémunir de départs d’agents, civils comme militaires, vers les conseils d’administration d’entreprises étrangères ?

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. Je ne connais encore ni le cadrage, ni l’arbitrage budgétaire : nous avons identifié des priorités, que nous mettrons en œuvre en fonction de l’arrivée des crédits.

Mme Anne Genetet (RE). Les menaces que vous avez évoquées sont multiples, hybrides et évolutives ; elles requièrent de votre part une grande agilité et réactivité, et j’imagine que, dans ce contexte, vous nourrissez sûrement des ambitions, des objectifs, des exigences, des attentes, des impatiences.

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. Bien sûr, mais les menaces étant infinies, nos capacités seront théoriquement toujours insuffisantes. Voilà pourquoi nous devons définir des priorités et optimiser les moyens dont nous disposons. Actuellement, la priorité va clairement à la base de données souveraine. Ensuite, nous voulons développer quelques capacités très particulières dans le domaine du cyber : quel que soit le montant de notre budget, nous avancerons dans ce domaine. Enfin, nous ajusterons dans le temps nos efforts de déploiement d’autres capacités suivant les crédits qui nous seront alloués.

Si l’un de nos agents veut quitter notre service pour occuper un emploi le mettant en contact avec l’étranger, nous souhaitons qu’il fasse une déclaration préalable pour que nous sachions si ce changement présente ou non une menace. Notre contrôle devrait ressembler aux enquêtes d’habilitation : nous évaluerons l’environnement de l’individu et les sujets qu’il aura à traiter pour déterminer l’existence d’un risque d’ingérence. Il y aura des avis complémentaires, l’ensemble permettant au ministre de décider si l’agent peut partir ou non à l’étranger. Nous pourrons prendre des sanctions si les individus ne tiennent pas compte de l’avis. Cette mesure d’entrave n’existait pas précédemment.

M. Pierrick Berteloot (RN). La récente acquisition de l’entreprise Exxelia par le groupe américain Heico est la dernière cession en date de l’un de nos champions industriels. Cette entreprise fournit des composants électroniques aux nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda, aux Rafale, aux lanceurs Ariane 5 et 6 et à l’Airbus A320neo. La PME française Segault est également en passe d’être rachetée par le groupe texan Flowserve, alors qu’elle possède une expertise mondiale dans les systèmes de robinetterie et de chaufferie nucléaire ; elle équipe les centrales nucléaires françaises, le porte-avions Charles-de-Gaulle et son successeur, les SNA et les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) ; elle fournit aussi les systèmes de sûreté des missiles nucléaires M51. Il n’est donc pas abusif d’affirmer que cette entreprise est stratégique pour notre armée : sa vente soulève de très nombreuses craintes légitimes et révèle l’atteinte à nos intérêts économiques et stratégiques, laquelle ne semble pas devoir s’arrêter pour le moment.

La protection de ces intérêts est pourtant une préoccupation de l’État : la défense et la promotion de l’économie française figurent en bonne place dans la stratégie nationale du renseignement, dans laquelle on lit que « Le premier objectif de notre politique de sécurité économique est de détecter et de neutraliser le plus en amont possible toute menace sérieuse, potentielle ou avérée, systématique ou ponctuelle, susceptible d’affecter les intérêts économiques, industriels et scientifiques » de la nation. La DRSD participe activement à prévenir la fuite de nos savoir-faire et à entraver l’ingérence de certains acteurs étrangers ; or toutes ces cessions d’entreprises françaises à des sociétés américaines créent un sérieux risque d’atteinte à notre souveraineté et à nos informations hautement sensibles.

La DRSD étant chargée de la protection des sites industriels sensibles de défense comme de la prévention des fuites, comment s’organise-t-elle face aux intrusions d’alliés certes importants, mais qui n’hésitent pas à nous espionner et à accroître leur contrôle sur nos industries de défense ?

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. Il s’agit effectivement du cœur de notre métier dans le domaine de la contre-ingérence économique. Plusieurs bureaux à la direction centrale veillent à la sécurité économique ; les postes locaux sont en relation avec les industries de leur ressort. Les 4 000 entreprises de la BITD voient au moins une ou plusieurs fois par an, selon leur degré de sensibilité, nos agents. Notre mission est de garantir la protection physique et cyber de l’entreprise en nous assurant qu’il n’y ait pas d’intrusion et de recueillir des informations sur de possibles cessions. Comme la DGSI, nous faisons remonter ces informations pour présenter les menaces qui peuvent peser sur une société du fait de prises d’intérêts ; nous n’avons pas la connaissance fine de la sensibilité de certaines compétences, si bien que nous travaillons avec la DGA ; la situation de l’entreprise que vous avez évoquée est évidemment connue, mais la DGA sait s’il existe ou non des alternatives et si la conservation d’un composant est vitale pour notre autonomie stratégique. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) conduit un travail interministériel, notamment avec le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse) du ministère chargé de l’économie. Dans ce cadre, nous nous interrogeons sur l’existence d’une menace réelle et sur les mesures à prendre, mais la DRSD n’a pas de levier sur ces dernières.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Mon collègue a été un peu pudique en ne vous demandant pas quelle était l’appréciation de votre service sur la possible cession de Segault. Je mets les pieds dans le plat : que pense la DRSD de cette vente ?

La DGSI signale depuis quelque temps l’extrême droite comme l’une des principales menaces contre la sécurité intérieure. Qu’en est-il du point de vue de la DRSD ?

La contre-ingérence économique couvre aussi la préservation du patrimoine intellectuel du pays : quels sont les moyens et la présence de votre service dans l’enseignement supérieur ?

Dans la fuite de documents confidentiels du gouvernement américain dans le New York Times, la France n’apparaît pas comme une cible de l’espionnage des États-Unis – ce fait étant de notoriété publique depuis bien longtemps –, mais j’aimerais connaître votre appréciation de cet événement. L’entourage du ministre des armées a contesté les faits avancés dans les documents : considérez-vous ces fuites comme une manipulation ?

Le directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) nous a dit que le budget de son service allait approcher les 5 milliards, ce qui ne laisse pas grand-chose aux autres. Qu’en est-il du vôtre ?

M. le président Thomas Gassilloud. La LPM prévoit un effort budgétaire de 5 milliards, et la DGSE recevra un budget de l’ordre de 5 milliards sur l’ensemble de la période couverte par la LPM, mais heureusement que la DGSE ne consommera pas l’intégralité de l’effort consenti dans la LPM. Le DGSE laissait sous-entendre qu’il estimait à due proportion la répartition de ces 5 milliards d’euros, mais je suppose que les autres services, dont la DRSD, diront qu’ils ont besoin d’un rattrapage en termes de crédits. Il ne faut pas confondre le budget annuel et le budget sur l’ensemble de la période de la LPM.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le plus simple serait que vous exprimiez clairement votre besoin puisque les arbitrages n’ayant pas encore été rendus, les parlementaires ont la possibilité de conclure les discussions qui se tiennent au sein de l’exécutif.

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. Nous avons évalué la sensibilité de la cession de l’entreprise Segault, sous l’angle de la menace éventuelle pesant sur certains des programmes que nous déployons avec la BITD. Je ne suis pas en mesure de dire s’il y a un danger majeur, mais j’ai défendu l’idée qu’il y avait un problème et qu’il était important de se saisir du sujet ; celui-ci est bien pris en compte, mais ce sont les gens spécialisés dans le domaine des armements qui peuvent répondre à la question de l’acceptabilité du risque. Dans ce processus, je n’évalue qu’une partie du risque.

Nous travaillons avec la DGSI pour améliorer la protection des laboratoires et des instituts de recherche scientifiques : nous nous répartissons les laboratoires, certains n’étant suivis que par la DRSD, d’autres relevant de la surveillance de notre direction et de la DGSI. L’action prioritaire est la sensibilisation : c’est une démarche essentielle car le monde de la recherche et la protection sont antinomiques, puisque la recherche suppose l’ouverture vers l’extérieur, l’échange et la publication quand la protection pousse à la fermeture et au mutisme. Nous ne sommes pas là pour empêcher les publications, mais nous sensibilisons les acteurs de la recherche à l’identification de la menace et de nos vulnérabilités ; ensuite, il convient de déterminer où l’on place le curseur entre ouverture et fermeture. Ces trois dernières années, les personnes travaillant dans les laboratoires de recherche ont modifié leur appréhension du sujet car, il y a encore quelque temps, elles ne voulaient pas entendre parler de protection ; certains épisodes malheureux ont joué un rôle dans cette prise de conscience.

D’une manière générale, nous suivons l’ensemble de la radicalisation, qui se développe malheureusement dans la société actuelle. Nous avons connu des radicalisations islamistes extrêmement rapides à cause des réseaux sociaux, et nous retrouvons actuellement ce processus pour l’ensemble des groupes radicaux, qui s’autoalimentent et développent un caractère quelque peu sectaire. Nous suivons la présence de l’ultradroite au sein des armées, mais il n’y a pas de sujet particulier ; nous prenons les mesures d’entrave, en lien avec le commandement, lorsqu’elles sont nécessaires – nous agissons de la même façon avec l’islam radical. Pour l’ultragauche, la situation est opposée puisque nous avons plutôt affaire à des gens qui pourraient viser la BITD ou les institutions de l’extérieur : là, nous travaillons de manière coordonnée avec les autres acteurs du renseignement.

J’ai des équipes qui suivent les fuites du New York Times, mais il est très difficile de se prononcer actuellement car on décèle certaines manipulations : il y a ainsi des documents-miroirs, certains donnant, par exemple, des chiffres de pertes favorables aux Ukrainiens, d’autres aux Russes. La diffusion de ces documents est parfois une simple photographie, donc il faut vérifier leur véracité : existent-ils réellement ? Certains d’entre eux sont des appréciations du partenaire américain. Nous suivons ce dossier, mais l’affaire est un peu récente pour que nous puissions nous positionner, sachant que, comme tout service de renseignement, nous sommes un peu paranoïaques et nous tentons de voir toutes les faces d’une information.

Avec la LPM actuelle, nous sommes arrivés à un plateau budgétaire, hors infrastructures, de 20 millions d’euros, donc nous sommes assez modestes. Une progression est prévue, et nous aimerions atteindre environ 30 millions d’euros en plateau à la fin de la prochaine LPM. Ces ordres de grandeur diffèrent profondément de ceux de la DGSE, mais cela a toujours été le cas et je n’en veux pas du tout au DGSE. Nous sommes un petit service.

M. le président Thomas Gassilloud. Hors infrastructures, votre budget représente environ 10 % de celui de la DGSE, n’est-ce pas ?

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. Oui, à peu près.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Au nom du groupe Démocrate, je vous remercie pour vos explications sur les enjeux auxquels fait face la DRSD. L’une de vos missions est de mener des opérations de contre-ingérence dans la sphère de la défense avec pour objectif de protéger nos forces armées, la BITD et le cyberespace. Votre activité est donc très liée à la guerre d’influence. Lors de la présentation de la RNS en novembre dernier, le Président de la République a érigé l’influence en sixième fonction stratégique des armées françaises. C’est la preuve que le domaine informationnel est devenu un champ de bataille, qui fait désormais partie des nouveaux espaces de conflictualité que nos armées doivent maîtriser d’ici à 2030.

Alors que votre rôle est de déceler et d’entraver toute menace externe susceptible de porter atteinte à l’institution militaire, à une entreprise de la BITD ou à un laboratoire de recherche, quelle stratégie la DRSD compte-t-elle déployer, dans la période de la LPM, dans le domaine de la guerre d’influence ?

Lors d’une audition de la commission d’enquête sur les ingérences de puissances étrangères, le directeur du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) a expliqué le fonctionnement de son service. Coopérez-vous avec lui dans le cadre de votre mission de contre-ingérence cyber ?

L’intelligence artificielle se trouve au cœur des enjeux de cybersécurité, secteur qu’elle est sur le point de révolutionner compte tenu de sa capacité à analyser des masses considérables de données. Pouvez-vous nous donner des précisions sur l’intégration de l’intelligence artificielle au sein de la DRSD ?

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. Nous investissons déjà le champ informationnel ; comme dans le domaine cyber, nous partageons la tâche avec le Comcyber : celui-ci s’occupe du ministère des armées et nous nous focalisons sur la BITD. Service de renseignement, nous nous inscrivons dans la contre-ingérence informationnelle pour voir dans quelle mesure certains acteurs peuvent attaquer la réputation d’une entreprise et divulguer de fausses informations, par exemple pour l’empêcher d’obtenir un marché. Une petite cellule suit ces dossiers, notre objectif étant, dans l’année qui vient, de nous brancher sur ceux, dans la sphère institutionnelle ou industrielle, qui mènent déjà des actions très intéressantes ; les grands groupes font déjà de la veille informationnelle, mais pas forcément dans leur chaîne logistique. Comme pour le cyber, il peut y avoir des attaques contre les petites entreprises, qui sont des maillons de cette chaîne, pour contourner la protection que déploient les grandes sociétés. Nous essayons d’effectuer une veille générale tout en nous focalisant sur quelques thématiques, par exemple celle des marchés d’exportation vitaux pour certaines entreprises. Ensuite, il faut être capable de faire remonter l’information vers les acteurs qui peuvent agir.

Quand j’ai pris mon poste, j’ai créé une cellule de prospective et d’anticipation : nous utilisons déjà l’intelligence artificielle dans nos propres outils, mais nous devons nous demander ce que cette révolution nous apportera. Nous menons des réflexions sur le métavers : quelles sont ses implications pour nous ? Que signifie le fait de pouvoir vivre dans un monde parallèle ? Nos agents devront-ils disposer d’avatars pour agir dans ce champ ? Devons-nous être officiellement présents dans le métavers ? Doit-il y avoir une DRSD officielle dans le métavers ? Nous sommes encore dans le domaine de la science-fiction car les définitions sont complexes. Il nous faut mener des études prospectives dans ce domaine. Nous suivons ces sujets. La priorité à mes yeux est d’utiliser tous les outils pour tirer le maximum de nos bases de données et de suivre en parallèle les évolutions technologiques pour ne pas être distancés, le problème étant leur coût élevé. Les voitures électriques de type Tesla, qui communiquent et filment en permanence leur position, diffèrent fortement des véhicules classiques : il en va de même dans tous les domaines de la vie.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je vous remercie pour votre présentation reliée au triptyque « connaissance, compréhension, anticipation » de la RNS. La fonction de contre-ingérence de la DRSD est amenée à se renforcer ; cette logique paraît cohérente à la lumière de la dégradation du contexte stratégique général et de l’intensification des compétitions sectorielles. Vous avez évoqué les crédits alloués au renseignement, plus particulièrement ceux destinés à votre direction. Vous avez également défini certaines priorités de renforcement, notamment dans le domaine du cyber. Pouvez-vous nous préciser vos autres priorités de renforcement, même si vous avez déjà eu l’occasion de citer quelques secteurs dans lesquels vous êtes en pointe ?

Quel sera le rôle de la direction dans le contrôle des trajectoires des anciens militaires ? Quels sont, compte tenu de l’expérience de la DRSD, les enjeux de ce contrôle nouveau ?

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. Nous exerçons déjà un contrôle sur la trajectoire des anciens militaires, mais l’article 20 de la LPM nous fournira un moyen d’action supplémentaire avec l’outil d’entrave. En outre, les anciens militaires devront faire une déclaration s’ils veulent travailler pour des entreprises ou au profit d’États étrangers. Nous devons en revanche nous montrer flexibles sur le type d’emplois que l’on qualifie de sensibles, cette catégorie pouvant évoluer rapidement et varier selon les pays. Tout le monde parle des pilotes de chasse, qui pourraient divulguer des savoir-faire, ces révélations pouvant avoir des implications en cas de confrontation. On peut imaginer d’autres emplois sensibles dans les armées, par exemple ceux liés à la dissuasion où l’on acquiert des connaissances techniques et des savoir-faire éventuellement transférables : là aussi, notre attention peut différer en fonction des États : tout intéresse la Chine, mais d’autres États ne peuvent être motivés que par certains aspects répondant à un besoin spécifique de montée en puissance. Nous devons nous adapter à l’évolution des centres d’intérêt de nos compétiteurs. Le mécanisme de l’article 20 sera en tout cas très utile.

En interne, je souhaite accomplir un effort énorme sur les ressources humaines. Mes prédécesseurs ont lancé plusieurs grands projets que je veux poursuivre pour les mener à leur terme, parfois en les améliorant. Nous devons prolonger la dynamique de transformation de la direction lancée ces dernières années. Nous tenons également à développer des outils permettant à nos agents d’apporter une plus-value supplémentaire et d’être davantage formés. À ce titre, je souhaite mettre en avant un centre de formation, qui sera assez modeste mais qui améliorera nos échanges avec nos partenaires du premier cercle – je souscris ainsi complètement aux recommandations de la CNRLT – et qui valorisera nos formations pour mieux les inscrire, notamment par des certifications, dans des parcours de carrière. L’objectif est de fournir des formations répondant au juste besoin tout au long de la carrière, là aussi pour suivre les adaptations des fonctions.

De mon point de vue, il n’est plus possible de séparer la protection physique de la protection cyber : les deux sont liées. Historiquement, la DRSD s’est plutôt concentrée sur la protection physique, puis elle est venue au cyber, alors que les jeunes entreprises viennent à s’intéresser à la protection physique par le cyber : après avoir mis un antivirus, elles s’aperçoivent de l’utilité de mettre un verrou sur la porte du bureau, alors que notre direction a accompli le chemin inverse. Les deux protections sont liées, donc les inspecteurs de la DRSD sur le terrain doivent, sans être des experts, maîtriser un minimum de connaissances cyber ; ce bagage minimal doit leur permettre de s’adresser à des experts en cas de doute ou de problème pour obtenir le bon conseil ou la bonne information : nous sommes en train de concrétiser cette exigence, notamment dans le cadre du centre d’alerte et de réaction aux attaques informatiques – Cert pour Computer Emergency Response Team – ; nous travaillons également à maîtriser l’extraterritorialité des lois et des normes, car sans être infaillibles dans tous les domaines, nos agents doivent avoir des connaissances de base leur permettant d’identifier un problème et de se retourner vers les experts de la question.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je vous remercie beaucoup de votre éclairage sur ce projet de LPM, auquel je suis particulièrement attentif en tant que rapporteur du programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense de la loi de finances.

Je ne peux que soutenir vos priorités – formation, Cert, cyber, y compris dans les milieux virtuels. Les bâtiments et les infrastructures sont, plus que d’autres domaines, sensibles à l’inflation : est-ce une préoccupation pour vous ?

L’actualité est marquée par les fuites de documents du Pentagone, qui pourraient constituer une hypothèse de travail pour la DRSD. Comme vous l’avez dit, il faut se montrer très prudent car les rares détails sur la source présumée, « OG », peignent le tableau d’une extrême droite américaine, qui demeure, comme en France, la principale menace en matière de radicalisation et de terrorisme endémique. Comment la DRSD se prépare-t-elle à gérer d’éventuelles fuites de ce genre en France ?

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. Nous sommes attentifs à l’inflation mais nous sommes assez confiants car la majorité des engagements ont été réalisés et il ne nous reste qu’une petite part cette année, peu élevée par rapport au coût global du fort de Vanves. Les autres projets de la direction sont financés, et nous avons des assurances pour deux des trois chantiers en province. Le vrai sujet est qu’au-delà du nouveau bâtiment, essentiel pour nous, nous devons mener une réorganisation spatiale car certains bâtiments du fort sont assez anciens ; nous verrons, au cours de la LPM, si nous pouvons faire évoluer cette infrastructure, mais il est trop tôt pour se prononcer. Je vois ce que je voudrais, mais nous ferons avec les moyens mis à notre disposition.

Les fuites se trouvent au cœur du métier de contre-ingérence, dans son volet centré sur les compromissions. Nos actions dans ce domaine sont multiples. Tout d’abord, il y a les habilitations : qui a accès à nos informations ? Il faut s’assurer que seules les personnes habilitées ont accès à des informations sensibles ; les personnes qui n’ont pas besoin de les connaître ou qui ne sont pas fiables ne doivent pas y avoir accès. Ensuite, nous déployons une protection physique et cyber conforme à la réglementation des données : sont-elles bien enregistrées ? Sont-elles bien stockées ? Leur circulation est-elle bien encadrée ? Les inspecteurs et le centre d’expertise effectuent tous ces contrôles. Dans ce domaine, encore moins que dans les autres, le risque zéro n’existe pas ; quelqu’un de bonne volonté qui se fait voler son ordinateur portable après avoir oublié de chiffrer son disque dur peut nous exposer à des fuites – c’est comme si quelqu’un mettait des barreaux aux fenêtres mais ne fermait pas sa porte. Le risque principal de fuites ne tient pas à la malveillance mais à l’erreur humaine. Porter une grande attention à ce risque est notre lot quotidien ; pour le déjouer, il faut beaucoup de sensibilisation, de conseil et, de temps en temps, quelques remontrances.

M. Christophe Blanchet (Dem). Vous pouvez enquêter sur les réservistes RO1 et RO2, mais comment ferez-vous avec le doublement de cette population que prévoit la LPM ? Quel regard portez-vous sur la réserve citoyenne, qui doit augmenter dans de nombreux ministères et dans la cyberdéfense ? Effectuerez-vous les mêmes investigations pour ces réservistes citoyens, qui n’auront pas les mêmes compétences mais qui aspireront à pleinement s’engager en faveur des armées ?

Lors de la mission d’information sur les réserves que nous avons menée il y a deux ans avec mon ancien collègue Jean-François Parigi, nous avions été surpris qu’aucune disposition légale n’oblige un militaire, donc un réserviste, à informer sa hiérarchie en cas de condamnation pénale. Certes, vous enquêtez au moment de l’entrée d’une personne dans l’armée, mais une fois entré, le militaire ou le réserviste n’est soumis à aucune obligation de déclaration. Travaillez-vous sur ce thème ? Nous avons des retours sur des personnes condamnées qui prospectaient sur des éléments qui avaient entraîné leur condamnation – je pourrais vous fournir des exemples concrets en aparté. Que faire contre les possibles ingérences nées de captures d’écran ou de vidéos compromettantes de personnes, qui n’ont pas commis de délit mais qui ont honte de ces images et qui subissent un chantage ?

Général de corps d’armée Philippe Susnjara. Le doublement des effectifs de la réserve opérationnelle constitue en effet un vrai défi. Nous devrons améliorer le processus d’habilitation, notamment en automatisant certaines étapes. Pour la réserve citoyenne, il n’y a pas de saisine systématique, on nous demande de temps en temps ce que l’on pense d’un individu. Nous sommes devant un vrai défi avec le doublement des réserves opérationnelles, mais nous le relèverons ; il faut dire aussi que la profondeur de l’enquête dépend évidemment du poste auquel est affecté le réserviste.

Nous consultons les fichiers du ministère de l’intérieur, mais la déclaration de condamnation n’est en effet pas systématique pour les personnes déjà dans les cadres – une obligation de déclaration n’offrirait néanmoins pas de garantie totale. Nous avons de bons contacts, à l’échelle locale, avec les commissariats et les gendarmeries : les informations remontent souvent, et nous vérifions ce qu’il en est. Pour les personnes habilitées, nous allons rarement au bout du délai de renouvellement de cinq ou sept ans, en fonction du degré très secret ou secret, parce que l’habilitation est liée à la fonction et non à la personne en France – j’ai changé trois fois de poste en cinq ans, j’ai donc fait trois demandes d’habilitation. Nous vérifions donc assez régulièrement les casiers judiciaires des agents.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous vous remercions de nous avoir éclairés sur la DRSD et nous vous souhaitons bon courage pour la suite de vos missions et pour les quelques centaines de milliers de demandes que vous avez à traiter chaque année.

LPM 2024-2030 : Audition de Bernard Emié, Directeur de la sécurité extérieure

LPM 2024-2030 : Audition de Bernard Emié, Directeur de la sécurité extérieure

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur le directeur général de la sécurité extérieure, le Président de la République a annoncé une augmentation de près de 60 % des crédits consacrés au renseignement dans le cadre du projet de loi de programmation militaire 2024-2030. Parmi les six services du premier cercle, trois dépendent du ministère des armées : la DGSE, la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Le rapport annexé au projet de LPM chiffre les besoins programmés pour le renseignement à 5 milliards d’euros sur la période, sans préciser davantage la répartition des crédits.

Les défis que doit relever la DGSE sont nombreux et importants. Vous devriez déménager dans un nouveau siège au Fort-Neuf de Vincennes en 2028 ; vous devez également poursuivre une politique de recrutement ambitieuse. Je pense aussi à la montée en puissance sur la cyberdéfense.

Par ailleurs, quatre articles normatifs contenus dans le projet de LPM sont placés sous le signe du renseignement et de la contre-ingérence. En quoi l’adoption de ces articles devrait-elle faciliter les missions de la DGSE ?

M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure. La DGSE est le seul service secret spécial de la France, l’héritier du combat clandestin de la France libre ; c’est un service républicain et démocratique attaché avant tout à maintenir l’indépendance et la souveraineté nationales. Il est devenu l’une des clés de l’autonomie stratégique de ce pays grâce aux investissements matériels et humains voulus depuis plusieurs années par nos autorités et votés par le Parlement.

Le Président de la République, lors de ses vœux aux armées le 20 janvier 2023, a clairement rappelé que la précédente LPM, pour les années 2019 à 2025, avait été parfaitement exécutée. Elle visait à réparer les armées, à sortir de la logique de pénurie et à leur redonner le souffle, les leviers d’action ainsi que les moyens dont elles ont besoin. La nouvelle loi de programmation militaire devra, elle, transformer les armées.

L’un des axes majeurs de cette transformation, c’est la consolidation du cœur de notre souveraineté. Des capacités accrues de renseignement doivent permettre d’anticiper les crises ou les menaces et ainsi offrir à nos armées une autonomie de décision et d’action. Le Président de la République réaffirme ainsi que le renseignement constitue l’une des grandes fonctions stratégiques de la souveraineté.

Ces capacités sont critiques dans notre équation stratégique internationale. Les livres blancs de la défense et de la sécurité nationale, en 2008 puis en 2013, comme les revues stratégiques nationales de 2017 et de 2022 l’ont tous dit : le renseignement est l’une des clefs de l’autonomie de la France, de sa souveraineté et de son influence dans le monde.

À l’image de ce qui s’est passé chez nos alliés anglo-saxons, c’est une fonction qui s’est professionnalisée et renforcée depuis plusieurs années.

Les capacités très particulières de la DGSE apparaissent depuis plusieurs années comme toujours plus nécessaires à nos décideurs dans un monde marqué par des guerres hybrides. La DGSE peut agir là où les moyens conventionnels de l’État ne peuvent pas opérer, dans un environnement généralement non permissif, souvent hostile et dans la plupart des cas sans autre appui que celui qu’elle peut elle-même fournir à ses agents. Nous sommes le seul service spécial et secret de la communauté du renseignement : certaines de nos actions ne peuvent pas être assumées, ne peuvent pas être revendiquées, ne peuvent pas être imputées à l’État. Cela nous différencie de tous les autres services de renseignement : nous avons la responsabilité de l’action secrète de l’État, ce qui est de plus en plus difficile dans un monde qui promeut la transparence comme une valeur en soi.

Nous disposons pour accomplir ces missions d’une organisation unique, d’un modèle dit « intégré » qui regroupe sous une seule autorité une combinaison de moyens clandestins de recueil de renseignements. Ces moyens sont à la fois humains – la recherche de sources –, techniques – les interceptions sous toutes leurs formes – et opérationnels – les capacités d’entrave. Nous pouvons ainsi agir en fonction des orientations que nous recevons.

Nous sommes aussi prestataires de services pour toute la communauté du renseignement. Nous sommes notamment le chef de file du renseignement d’origine électromagnétique, autrement dit le senior SIGINT de la communauté du renseignement, et c’est dans ce domaine que nos capacités sont principalement utilisées. Cela représente un gros tiers de nos budgets. Si j’étais prétentieux, je dirais que la DGSE est une petite NSA, l’Agence nationale de sécurité des États-Unis, ou une petite GCHQ, son équivalent britannique : depuis les années Chirac et Jospin, la France a choisi un modèle intégré au sein de la DGSE. Quand vous votez des crédits à la DGSE, c’est donc l’ensemble de la communauté du renseignement qui en bénéficie.

Notre place s’est renforcée, ces dernières années, au sein de nos institutions. Nous avons connu une profonde transformation de nos moyens, de nos missions, de notre organisation. L’État a voulu développer ses capacités clandestines uniques de renseignement et d’action pour renforcer notre autonomie stratégique.

Cette transformation a été rendue possible par l’augmentation des moyens votés dans les précédentes lois de programmation militaire. La prochaine LPM poursuivra ces efforts, qui seront ainsi continus et cohérents.

Quatre objectifs nous étaient assignés dans la LPM 2019-2025. Le premier était d’investir davantage dans le cyberespace, front stratégique majeur sur lequel nos capacités restaient très inférieures à celles de nos principaux partenaires étrangers. C’est largement fait, mais il faut poursuivre. Le deuxième était de préserver notre autonomie technique au profit de l’ensemble de la communauté du renseignement, dans un monde où les technologies connaissent un développement exponentiel : c’est une véritable muraille, complexe à appréhender. Nous devons être la locomotive technologique de la communauté du renseignement. Le troisième était de renforcer le renseignement stratégique, particulièrement dans les domaines identifiés comme prioritaires du contre-terrorisme, de l’anticipation géopolitique, de l’économie ou encore de la lutte contre l’immigration irrégulière. Le quatrième était de consolider la résilience du service, ce qui impliquait notamment de nous doter enfin d’infrastructures dignes d’un service de renseignement du XXIe siècle.

Dans cette optique, la DGSE a bénéficié d’une forte augmentation de ses effectifs et a pu renforcer les domaines du traitement des données collectées, de la recherche humaine et du domaine cyberstratégique. La LPM 2019-2025 prévoyait un renfort de 772 emplois équivalents temps plein (ETP), auxquels est venu s’ajouter 360 ETP pour renforcer nos capacités cyber. Ces actualisations de la trajectoire initiale ont ainsi porté l’effort à 1038 effectifs supplémentaires sur l’ensemble de la période.

La DGSE, qui comptait, hors service action, 4 400 agents en 2008, en compte près de 6 000 aujourd’hui. À titre de comparaison, le MI6 britannique et le GCHQ comptent bien davantage d’agents, à périmètre identique. C’est un choix politique, opéré par les gouvernements successifs. Je considère que les moyens dont nous disposons nous permettent d’accomplir nos missions.

La DGSE a bénéficié d’une dotation élevée dans la LPM 2919-2025. La moyenne actuelle des crédits sur cette période a augmenté d’environ 69 % par rapport à la LPM 2014-2018 – je mets pour le moment de côté le projet de nouveau siège. La ressource totale doit s’élever à 3 milliards d’euros pour les années 2019 à 2025 ; le budget de la DGSE est passé de 310 millions par an en moyenne à 420 millions. La loi de programmation toujours en vigueur prévoit un montant de 590 millions en 2025. En 2023, la ressource allouée par la LFI s’élève à 440 millions d’euros en autorisations d’engagement et 417 millions en crédits de paiement (hors projet du nouveau siège).

Ce budget nous a permis d’appliquer une stratégie immobilière exigeante. Nous avons en permanence sur nos implantations des projets de construction de bâtiments tertiaires. Nous avons également anticipé la prise en compte du projet de nouveau siège au Fort-Neuf de Vincennes, annoncé par le chef de l’État le 6 mai 2021 lors d’une visite au Service.

Ce projet vise, je l’ai dit, à nous doter d’infrastructures dignes du XXIe siècle. Il s’agit de construire un ensemble immobilier d’environ 160 000 mètres carrés de surface de plancher, essentiellement des espaces tertiaires. Nous pourrons ainsi accueillir plus de 5 500 postes de travail, ainsi que les équipements nécessaires aux missions du Service et à la vie des agents ; nous accueillerons aussi des collègues des autres services de renseignement, dans le cadre de plateaux techniques. Nous serons de cette façon mieux connectés les uns avec les autres. Ce n’est donc pas seulement un projet immobilier mais un bâtiment qui nous permettra de mieux travailler, selon un nouveau modèle de fonctionnement, mis en place depuis la fin de l’année 2022. J’en dirai un mot tout à l’heure : le service s’est réformé, réorganisé.

Le cahier des charges impose une grande modularité des espaces de travail, qui seront adaptés à l’agilité de notre organisation. Nous pourrons rapprocher les équipes chargées du recueil et de l’exploitation du renseignement humain et de l’analyse ; ces synergies nous permettront de démultiplier notre efficacité.

En ces temps où le contre-espionnage revient au premier plan et où la menace terroriste n’a pas disparu, ce qui fait du service une cible évidente, nous disposerons aussi d’une emprise sécurisée selon les standards les plus exigeants.

Ce projet est structurant pour porter le renseignement français en 2050 au niveau où nous voulons le voir. C’est toute la fonction renseignement qui en sera améliorée, au profit des services relevant du ministère des Armées d’abord, de toute la communauté du renseignement ensuite.

Ce projet a bénéficié de l’inscription de 1,1 milliard d’euros en loi de finances pour 2021. Le projet de LPM 2024-2030 devrait permettre de sanctuariser ce projet de nouveau siège, qui est un signal majeur de la confiance que nous accorde la nation.

Nous serons, naturellement, très vigilants sur l’évolution des coûts, car les intrants augmentent et l’inflation est là. Le moment venu, nous devrons négocier de façon très dure avec les entreprises concernées pour faire en sorte que « l’édredon rentre dans la valise », pour reprendre l’expression de notre ministre.

L’exécution de la LPM actualisée nous a permis de poursuivre la transformation du service ; l’ensemble des crédits accordés annuellement ont été parfaitement et strictement consommés, hormis le report des crédits du nouveau siège.

Nous menons une politique active de recrutement, en nous adaptant constamment au marché de l’emploi. Nous obtenons de bons résultats : j’ai dix candidats pour un poste ouvert au concours d’attaché de la DGSE. Le niveau des agents qui présentent ce concours est en outre très élevé.

Nous menons pour cela une politique active de communication, bien au-delà du Bureau des légendes – même si j’admets que Malotru est pour nous un VRP extraordinaire. Nous disposons enfin d’un site internet moderne et attractif, qui n’est plus figé dans une image institutionnelle anachronique. Nous menons des campagnes de recrutement sur des réseaux sociaux professionnels, là où vont les jeunes et pas les vieux. Le directeur technique et de l’innovation passe beaucoup de temps dans les écoles d’ingénieur et les salons, pour créer de l’attractivité. Ces efforts portent : nous réussissons à recruter ceux que nous voulons attirer, notamment des spécialistes cyber, des jeunes, des geeks.

Pour faire face à la concurrence sur le marché de l’emploi, une campagne d’augmentation des salaires des contractuels, notamment dans les domaines techniques et cyber, a été réalisée en 2022. Je rends hommage à Florence Parly, qui s’est engagée sur ce sujet. Je rends hommage aussi à Sébastien Lecornu, qui entend amplifier cette politique pour fidéliser nos agents. Le ministère des armées appliquera au recrutement la grille des salaires établie par la direction interministérielle du numérique (Dinum). Nous aurons une seconde phase d’augmentation en 2023 pour le domaine du numérique.

Eu égard à la spécificité des postes concernés, les recrutements de civils se font après des recherches ciblées. Nous prenons des stagiaires uniquement dans le domaine technique, nous les choisissons de façon très précise. Nous recrutons une centaine d’étudiants en école d’ingénieur par an. Je l’ai dit, nous allons dans les écoles – et dans les salons – Vivatech, La Fabrique défense, European Cyberweek. Nous recrutons aussi beaucoup en ligne, sur LinkedIn, JobTeaser, Welcome to the Jungle

En matière militaire, nous nous sommes adaptés aux fortes tensions sur certaines spécialités. Dans le domaine de l’imagerie ou de la cyber, c’est la jungle ! Nous recrutons aussi des profils aguerris et des spécialistes de langues étrangères. Nous devons nous battre pour une ressource qui est malheureusement de plus en plus rare car très complexe à fournir.

La LPM 2019-2025, qui s’applique encore, prévoit un bond capacitaire majeur pour le Service ; nous sommes en train de réussir. C’est une obsession pour moi : ne pas décrocher du peloton de tête, rester dans la course des grands services de renseignement de la planète et ainsi préserver notre autonomie. Ce doit être notre ambition.

Je ne peux pas détailler ici le bilan opérationnel du service. Certains d’entre vous le connaissent néanmoins et savent tout ce que permettent les moyens que vous votez.

Je salue la mobilisation sans relâche des hommes et des femmes du Service pour protéger la souveraineté de la France, pour lutter contre le terrorisme, en particulier au Sahel et au Levant, pour nous protéger des menaces qui pourraient revenir sur notre territoire. Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 constitueront une priorité pour toute la communauté du renseignement. Nous contribuons également à la contre-prolifération ; notre expertise nationale est confirmée. Nous agissons aussi en matière de sécurité économique, afin de nous défendre contre les agressions, contre un espionnage de plus en plus agressif et contre les pillages technologiques dans nos laboratoires. C’est un travail mené la main dans la main avec nos cousins de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et de la DRSD.

Nous nous intéressons à l’Afrique, au monde arabe, à l’Europe, et de plus en plus à la zone indo-pacifique, où se trouvent certains de nos départements et collectivités d’outre-mer : le Gouvernement en fait une priorité.

Dans le domaine cyber, la maturité a été atteinte ces cinq dernières années. Grâce à une montée en puissance spectaculaire, nous avons remporté des succès majeurs.

Je pourrais mentionner le contre-espionnage. Le lien avec la DGSI est permanent. Nous avons là aussi remporté des succès majeurs.

Nous luttons aussi contre l’immigration clandestine. La DGSE s’est vu confier la coordination de l’action des services de renseignement pour repérer ces activités à l’extérieur du territoire. Nous identifions réseaux et trafiquants.

Il faut mesurer l’importance du bond en avant réalisé dans le domaine de la cyber, en parfaite coordination avec les armées. Nous avons vraiment changé de monde ! Nous sommes montés en puissance dans ce domaine, en soutien à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et au Centre de coordination des crises cyber (C4) qui, sous l’égide du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, assure la protection de notre pays. Nous avons également développé une capacité souveraine d’imputation de l’attaque informatique. C’est nous, DGSE, qui au sein de l’État repérons d’où viennent les attaques cyber. L’attribution publique est en revanche une décision d’ordre politique. Nous caractérisons ; le politique décide.

Au service de toute la communauté du renseignement, nous assurons le maintien de l’état de l’art technologique, et nous développons trois grands programmes mutualisés historiques. Cela concerne d’abord toutes les installations destinées à la cryptologie, qui ont fait l’objet d’investissements importants S. Nous développons ensuite les installations destinées au traitement des données. Nous élaborons enfin le dispositif technique de surveillance internationale.

Des travaux innovants et exploratoires dans plusieurs domaines de rupture ont été lancés pour préparer la DGSE à exploiter pleinement les nouvelles technologies au profit de ses missions, le tout en partenariat avec l’Agence de l’innovation de défense (AID).

Cette croissance a nécessité des adaptations et une réorganisation. Le Service a été réformé par les textes signés à l’été 2022, et entrés en vigueur le 2 novembre 2022. Du modèle en silos mis en place par Claude Silberzahn en 1989, nous sommes passés à une organisation dans laquelle les capacités sont au service des missions. Cette réforme fonctionne bien. Cette réforme donnera sa pleine mesure grâce au nouveau siège du Fort-Neuf.

Face à l’accumulation des menaces, la future LPM doit permettre la poursuite de la montée en puissance des capacités de la DGSE pour affirmer l’autonomie stratégique de notre pays dans l’évaluation des crises comme pour protéger et renforcer notre souveraineté politique – nos jugements doivent être indépendants – économique – nous devons lutter contre les pillages et promouvoir nos intérêts –, technique et technologique.

Le Service connaît des évolutions majeures de ses missions historiques. Nous allons continuer de nous investir dans les nouvelles zones de rivalité stratégique : l’Europe continentale, notamment la Russie et l’Europe orientale où nous devons réinvestir ; l’Indo-Pacifique, zones d’intérêt majeur. Nous n’oublions pas nos « clients traditionnels », car nous sommes très attendus sur l’Afrique du Nord, sur l’Afrique subsaharienne, sur le Proche et le Moyen-Orient. Nous ne laissons pas de côté nos thématiques traditionnelles, comme le contre-terrorisme – ce que vous attendez d’abord des services de renseignement, c’est qu’il n’y ait pas d’attentat sur le territoire français – ou la contre-prolifération.

Ces défis imposent au Service de maintenir à niveau nos capacités de renseignement actuelles, et d’abord les grands programmes techniques mutualisés, mais aussi de renforcer nos équipes et nos ressources en matière de systèmes d’information et de communication, de renforcer notre souplesse pour réorienter nos capteurs et nos ressources en fonction des priorités qui nous sont fixées par les autorités.

Nous devrons également diversifier nos accès humains et techniques. Dans le domaine du renseignement humain, nous devons préserver la capacité de clandestinité de la DGSE. Mon métier, c’est de recruter des sources : cela ne peut se faire que de manière clandestine. Face à la généralisation de la biométrie et des technologies de surveillance, c’est de plus en plus compliqué. Nous devons continuer à diversifier nos accès techniques, et contourner les murailles numériques mises en place par la Russie et la Chine qui investissent des moyens gigantesques dans la protection de leurs systèmes. En Chine, le service homologue de la DGSE emploie plusieurs centaines de milliers de personnes… Je ne souhaite rien de tel pour la France, mais je cite ce chiffre pour vous donner une idée des capacités dont se dotent certains pays.

Nous devons enfin renforcer nos capacités d’action et d’influence. Nous sommes attendus pour entraver les adversaires de la France et pour déjouer les manœuvres hybrides, les attaques informatiques, les manœuvres d’influence. La manipulation de l’information, en particulier, et les opérations de déstabilisation menées en ce domaine par des structures comme Wagner, constituent un sujet de plus en plus brûlant. Nous devons donc industrialiser nos capacités d’action clandestine, en particulier dans l’espace numérique.

Le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit des dépenses élevées. Le chef de l’État a indiqué vouloir perfectionner nos capacités de renseignement pour mieux identifier, comprendre, analyser et attribuer des activités déstabilisatrices. Lorsque vous l’avez entendu le 5 avril, le ministre des armées l’a dit : « Cette stratégie de souveraineté est clé pour garantir l’autonomie de notre compréhension du monde, nécessaire à une diplomatie éclairée. » C’est pourquoi le Gouvernement prévoit une augmentation de près de 60 % des crédits alloués au renseignement ; les crédits de la DGSE devraient en particulier augmenter de manière significative, puisque les crédits alloués s’élèvent à environ 5 milliards d’euros – contre 3,5 milliards pour la précédente LPM. C’est là un sérieux bond capacitaire.

Grâce à ces ressources, nous pourrons disposer de capacités d’exploitation renouvelées et industrialiser nos outils d’investigation numérique. Nous entendons également poursuivre la transformation des services, en travaillant sur les projets d’infrastructures ambitieux dont je vous ai parlé, sur le fonctionnement interne et sur le dispositif de traitement des données de masse. Nous devons renforcer la mutualisation des outils et des ressources. Enfin, les capacités humaines de recherche technique et de traitement des sources, d’exploitation du renseignement ou d’action nécessitent une ressource qualifiée, avec le problème du recrutement et de la fidélisation.

Le Président de la République a également souligné l’importance vitale de l’aspect cyber, dans la continuité du discours de Toulon du 9 novembre 2022, qui rendait publique la revue nationale stratégique et annonçait la volonté de la France de disposer, dans les cinq ans, d’une cyberdéfense « de tout premier rang mondial ».

Le service bénéficiera aussi des montants prévus pour certains autres budgets que vous a présentés M. Lecornu, dans le cadre des synergies internes et des coopérations permanentes au sein du ministère des armées. Nous allons ainsi participer aux objectifs cyber, pour lesquels le budget prévu s’élève à 4 milliards d’euros : nous voulons une cyberdéfense de premier plan, robuste, crédible face à nos compétiteurs stratégiques, et apte à assurer dans la durée la résilience des activités critiques du ministère et l’interopérabilité avec nos alliés. La diversification des modes d’action permettra aussi de s’adapter aux évolutions technologiques.

Nos grandes priorités, vous l’avez compris, sont simples : éviter le décrochage et rester dans la course des meilleurs services de renseignement, ce que nous permettent les budgets prévus dans le projet de LPM ; accroître nos capacités au profit de la communauté du renseignement ; poursuivre l’évolution de notre organisation et déménager à Vincennes.

Je n’ai pas le temps de revenir sur les grands programmes techniques, mais j’insiste sur l’importance des investissements techniques, et notamment cyber.

Je terminerai par quelques mots sur le volet normatif. À la demande du service, le projet de LPM prévoit une modification du code de procédure pénale afin de permettre la communication par l’autorité judiciaire aux services spécialisés de renseignement des éléments d’une procédure recueillis dans le cadre d’une enquête ouverte pour crime de guerre ou crime contre l’humanité. Nous pouvons participer à la caractérisation de tels crimes. Nous pourrons aussi, sur ces sujets, échanger avec les services étrangers. Nous pourrons ainsi unifier le régime applicable à la communication d’informations par le parquet national antiterroriste – des possibilités sont déjà ouvertes en matière de terrorisme, et ce mécanisme fonctionne très bien.

D’autres mesures plus transversales sont également importantes pour le Service, notamment la disposition qui garantit la prise en compte des intérêts fondamentaux de la nation en cas d’activité privée en rapport avec une puissance étrangère, ce qui nous permettra d’empêcher des sociétés étrangères de recruter des anciens militaires français, grâce à un système d’autorisation préalable par le ministère des armées.

L’article 19 du projet de loi autorise les services de renseignement à accéder au casier judiciaire au titre des enquêtes administratives de sécurité.

L’article 22 protège l’anonymat des anciens agents des services de renseignement dans le cadre des procédures judiciaires.

Nos objectifs sont donc clairs : être les meilleurs possible pour renseigner au mieux nos autorités, et demeurer au premier rang des grands services occidentaux. Je le dis sans forfanterie : la DGSE est pour des services comme la CIA, le MI6, le BND ou le Mossad le partenaire stratégique évident dans l’Union européenne. Nous devons aussi contribuer à détecter des menaces qui pourraient peser sur notre pays avant la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. La future loi de programmation doit enfin nous permettre d’affirmer notre souveraineté dans tous les domaines et de compter d’abord sur nos propres forces, dans un monde où nous avons des alliés et des partenaires, mais pas d’amis. Il nous faut donc être autonomes. La réforme du Service, qui nous permet d’être plus efficaces, et la perspective de s’installer dans de nouveaux locaux modernes et adaptés nous permettront, j’en suis convaincu, d’exécuter les missions exigeantes et exaltantes qui nous sont confiées par nos plus hautes autorités.

M. le président Thomas Gassilloud. Avant d’en venir aux orateurs des groupes, je cède la parole à M. Jean-Michel Jacques qui est rapporteur du projet de LPM.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet de LPM consacre 5 milliards d’euros au renseignement, mais aussi 4 milliards au cyber, 6 milliards à l’espace, 8 milliards au numérique et 10 milliards à l’innovation, autant de moyens dont bénéficieront indirectement les services pour rester parmi les meilleurs. Héritière de Jean Moulin mais aussi du général de Gaulle, la DGSE, par sa liberté d’action et d’analyse, garantit l’autonomie de notre pays.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le projet de transformation des métiers qu’accompagne le déménagement au Fort-Neuf de Vincennes en 2028 ?

M. Bernard Émié. En effet, dans le cadre de la coopération avec le ministère des armées, nous profiterons d’autres crédits que ceux dédiés spécifiquement au renseignement.

Aujourd’hui, nos locaux sont situés, d’un côté du boulevard Mortier, dans ceux du premier régiment du train, de l’autre, dans un camp d’internement qui a accueilli des femmes juives mais aussi des Républicains espagnols pendant la seconde guerre mondiale. Malgré les efforts pour les optimiser au fil des ans, ils ne sont pas du tout fonctionnels. Ils ne sont pas adaptés au travail en synergie et ne sont guère attractifs pour les jeunes générations. Les effectifs étant passés de 3 000 à 6 000 et bientôt 7 000, nous sommes particulièrement à l’étroit. Il était indispensable de trouver de nouveaux locaux pour améliorer nos capacités d’accueil pour les nouvelles générations ainsi que pour optimiser le travail avec les autres services – en particulier avec la DRM, la DRSD, la DGSI, Tracfin et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) qui ont des agents sur le terrain – mais aussi entre les services à l’intérieur de la maison.

À ces mêmes fins, nous avons procédé à une réorganisation : les directions en silos – direction du renseignement, direction des opérations, direction de la stratégie – ont été transformées en centres de missions, à la fois thématiques et géographiques.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Je vous remercie d’avoir confirmé que le projet de LPM représente un bond capacitaire pour les services de renseignement.

Les crédits dédiés aux personnels dans le projet de LPM sont-ils à la hauteur de l’ambition de la DGSE ?

Le projet de LPM vise à renforcer notre résilience et à faciliter les activités de contre-ingérence de nos services. Vous paraît-il de nature à répondre à la menace de guerre hybride ?

M. Bernard Émié. L’arbitrage sur les effectifs n’ayant pas encore eu lieu, je ne suis pas en mesure de vous donner des chiffres. Au sein du ministère des armées, la DGSE est le Petit Poucet… Je suis confiant dans notre capacité à obtenir des effectifs supplémentaires au terme des négociations internes. Ils sont indispensables pour poursuivre la montée en puissance, en particulier dans le domaine cyber. De même, puisque nos ambitions mondiales ont été rehaussées, j’ai besoin de redéployer des postes et d’en ouvrir dans le monde entier pour répondre aux sollicitations.

En matière de contre-ingérence, sujet majeur, nous optimisons l’effort de l’État à travers ses différentes agences. Le contre-espionnage est une fonction essentielle de la DGSE en France comme dans les postes à l’étranger. C’est à elle qu’il appartient d’identifier les tentatives d’ingérences dans nos services publics à l’étranger, nos implantations ou nos grandes entreprises. Les moyens envisagés nous permettront d’accomplir notre mission. Je suis un haut fonctionnaire réaliste ; je n’ignore pas que des arbitrages doivent être faits. Les moyens alloués au renseignement que vous voterez le moment venu, je l’espère, nous permettront de rester dans la course.

M. Laurent Jacobelli (RN). Vous avez fait état des nouvelles menaces dans le domaine cyber et des moyens humains et financiers que prévoit le projet de LPM pour l’endiguer. S’agissant de deux autres modes de renseignement – ce que j’appellerai le renseignement « à la papa », qui privilégie les actions sur le terrain, d’une part, et les opérations spéciales, d’autre part –, quelle est votre stratégie ?

M. Bernard Émié. Le cyber est une menace majeure. La riposte est une arme essentielle à la disposition de l’exécutif. Mais le cyber est aussi un objectif stratégique du renseignement.

Le renseignement « à la papa » est fondamental. Nous devons continuer à recruter des sources en plus grand nombre : la source humaine reste essentielle, tout ne procède pas de la technique. Pour cela, il faut jouer sur les ressorts basiques et immuables de l’individu. Nous devons aussi faire évoluer nos méthodes et investir les réseaux sociaux Ma stratégie consiste donc à renouveler et à élargir le vivier des sources du service.

Les opérations spéciales, par construction, je n’en parle pas beaucoup, mais elles existent. Les moyens qui nous sont donnés sont importants. Il est crucial pour moi que, dans le cadre du budget des armées, les vecteurs qui intéressent notre service soient entretenus, adaptés et renouvelés – je le fais valoir dans les discussions internes J’ai besoin de C-130, d’hélicoptères, de bateaux, etc. d’autant que la zone grise dans laquelle j’opère ne cesse de s’étendre.

Nous serons en mesure de répondre aux commandes, nombreuses, de l’exécutif.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Dans quelle mesure le trou d’air que nous connaissons dans notre accès souverain à l’espace affecte-t-il votre service ?

Les 5 milliards de crédits pour le renseignement n’iront pas intégralement à la DGSE. Pouvez-vous préciser la ventilation des crédits ?

Pouvez-vous nous indiquer le nombre de postes que vous demandez dans les arbitrages à venir ? L’Assemblée nationale pourra peut-être vous soutenir.

Plusieurs affaires portant atteinte à la souveraineté économique de notre pays ont émaillé l’actualité, la dernière en date concernant la société Segault. Leur nombre a-t-il augmenté d’après vos informations ?

Quel regard portez-vous sur le grand banditisme et la criminalité financière, et sur la menace qu’ils font peser sur la souveraineté de certains États ? Je pense aux Pays-Bas et à la Belgique qui ont pris conscience récemment de la gravité de leur situation.

M. Bernard Émié. Je cède la parole au directeur technique pour plus de précisions sur l’espace.

M. le directeur technique et de l’innovation. Le trou d’air dans le lancement des satellites n’affecte pas encore les capacités de renseignement. Il est indispensable de conserver une souveraineté, française ou européenne, sur les lanceurs dont nous aurons besoin pour déployer, sans risque de manipulation, de nouvelles constellations satellitaires.

M. Bernard Émié. Je reste flou sur les crédits car les arbitrages ne sont pas tout à fait finalisés. Toutefois, j’ai des raisons de penser que je peux obtenir un budget tangentant les 5 milliards d’euros. Je n’oublie pas mes cousins de la DRM et de la DRSD dont le budget a augmenté de 60 %. La DGSE profitera aussi des crédits alloués par le projet de LPM dans d’autres domaines.

Le charme de la DGSE, c’est qu’elle recrute avec beaucoup de professionnalisme. Lorsque j’annonce au ministre le recrutement de 500 personnes, je tiens parole, donc je suis crédible. Je demande car je saurai faire grâce aux équipes. Il me reste des personnels à recruter au titre de 2023 dans le cadre de la queue de comète de la précédente LPM. Nous le faisons en suivant des procédures lourdes : on n’entre pas à la DGSE comme à la sécurité sociale. Les vérifications de sécurité prennent des mois.

Je n’ai pas d’éléments spécifiques sur le cas de la société Ségault.

La délinquance financière n’est pas le terrain de chasse de la DGSE. C’est celui de Tracfin, un service qui est monté en puissance remarquablement au cours des dernières années et avec lequel nous travaillons très bien. La DGSE intervient aussi dans la lutte contre le trafic de drogue ou le trafic d’êtres humains dans la mesure où elle dispose de renseignements importants sur les filières et les passeurs. Elle contribue à nombre d’arrestations.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Pour éviter un décrochage par rapport à nos partenaires, l’une des clés est la capacité à recruter les meilleurs. Hélas, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Même si on ne rejoint pas la DGSE pour l’argent, cela contribue aussi à la sérénité et à l’attractivité… Comment se situent les salaires de nos agents par rapport à nos partenaires ? Outre les rémunérations, disposez-vous des outils juridiques pour vous attacher les meilleurs ? Des ajustements législatifs sont-ils nécessaires dans ce domaine ?

Sommes-nous équipés en technologies souveraines ? Comment faire en sorte que les pépites technologiques restent dans notre giron ?

M. Bernard Émié. Oui, nous disposons des outils juridiques mais nous devons faire avec les contraintes propres à l’écosystème français que sont notamment les règles de la fonction publique ou l’encadrement des rémunérations. Florence Parly et Sébastien Lecornu ont fait beaucoup d’efforts pour améliorer notre attractivité mais vous avez raison, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

Je peux compter sur une batterie impressionnante de spécialistes des mathématiques, de normaliens, de polytechniciens. Le niveau des officiers de la DGSE est supérieur à la moyenne, comme l’illustre leur taux de réussite à l’École de guerre. La qualité des agents du service est exceptionnelle.

S’agissant des rémunérations, les agents français sont moins bien payés que les Britanniques ou les Américains.

Nous réussissons à recruter les techniciens en début de carrière parce que nous sommes encore compétitifs. Mais dès qu’ils ont cinq ans d’expérience, dès qu’ils se fiancent et veulent acheter un appartement, cela devient très compliqué. Nous sommes confrontés à l’érosion de notre attractivité, en particulier en région parisienne où le coût de la vie est horriblement élevé, et nous ne sommes pas en mesure de proposer une offre alternative en province. C’est un motif d’inquiétude très sérieux.

En ce qui concerne d’éventuels ajustements législatifs, je laisserai la parole au directeur de l’administration. Sachez que nous manœuvrons au mieux pour garder une main-d’œuvre rare.

M. le directeur de l’administration. Nous disposons des outils juridiques nécessaires. Nous parvenons à transposer à nos corps les textes régissant la fonction publique. Pour les contractuels, nous nous appuyons sur des dispositifs réglementaires propres. Notre souci n’est donc pas juridique, il concerne les rémunérations et notre capacité à suivre l’évolution du marché.

M. le directeur technique et de l’innovation. Nous réussissons à conserver des capacités souveraines, soit en interne, soit en faisant appel à des industriels français voire européens, mais c’est un défi quotidien.

Je prends l’exemple de l’intelligence artificielle : si nous voulons rester maîtres des briques technologiques et garantir notre autonomie, nous devons investir et nous appuyer sur des start-up françaises et soutenir leur croissance.

M. Bernard Émié. La difficulté pour la DGSE est de conserver une part suffisante de militaires dans ses rangs. Lorsque j’ai pris mes fonctions, les militaires représentaient 25 % des effectifs, ils ne sont plus que 20 % aujourd’hui car les armées ne parviennent pas à mettre à notre disposition des personnels, non par manque de volonté mais par absence de ressources. Compte tenu de la hausse des effectifs, même si l’armée a maintenu son effort en valeur absolue, la composante militaire de la DGSE baisse. C’est un sujet de préoccupation car le service fait partie du ministère des armées. Nous devons absolument veiller collectivement à ne pas passer sous la barre des 20 % de militaires.

M. Vincent Bru (Dem). Le projet de LPM accorde 2 milliards d’euros aux forces spéciales. En opérations extérieures (Opex), les échanges entre les forces spéciales et la DGSE permettent de faire progresser nos forces grâce aux échanges de renseignements. Compte tenu de la multiplication des espaces de conflictualité, quelles relations envisagez-vous avec les forces spéciales ?

M. Bernard Émié. Les forces spéciales assument leurs actions, elles ne sont pas clandestines, donc c’est un autre monde. Que nous formions un nageur de combat de manière coordonnée, cela se conçoit mais ce sont bien deux mondes complètement différents. En zone de guerre cependant, les forces spéciales interviennent sur la base du renseignement que fournit la DGSE. La relation est forte et intime – souvent d’anciens membres des forces spéciales intègrent la DGSE –, la coordination est optimisée, les métiers et les savoir-faire sont cousins mais il y a une ligne de séparation très claire entre les missions des forces spéciales et celles de la DGSE. Les unes peuvent être assumées, les autres non et elles ont lieu sur des théâtres totalement différents.

Mme Mélanie Thomin (SOC). La réforme annoncée a pour but de décloisonner le Service et d’accroître son efficacité dans l’anticipation et le traitement des menaces. Comment se traduit-elle dans le projet de LPM ? Comment assurer le décloisonnement entre les différentes directions chargées du renseignement ? Il semble que l’effort budgétaire profite principalement à la DRM et à la DRSD et soit alloué plus à leurs moyens techniques qu’aux carrières et au recrutement en leur sein.

Le projet de LPM réduit de huit à trois l’ambition capacitaire pour les avions légers de surveillance et de renseignement (ALSR). Quel est le rôle de ces équipements pour les armées et la DGSE, sachant que cette dernière est dotée de capacités propres ?

M. Bernard Émié. La DRM et la DRSD sont des services de renseignement du premier cercle mais les ordres de grandeurs de leurs moyens n’ont rien à voir avec ceux de la DGSE. Ils bénéficient d’une hausse justifiée de leur budget mais les crédits pour le renseignement profiteront d’abord à la DGSE. Le service n’est pas mis de côté, bien au contraire. Je redis mon espoir de tangenter les 5 milliards d’euros.

Les ALSR relèvent de la DRM. Je ne peux donc pas vous répondre sur ce point. Le Service dispose de ses propres avions qu’il loue, ce qui ne va pas sans poser de problèmes. À ce stade, il possède les capacités et l’autonomie nécessaires pour répondre aux sollicitations. De temps en temps, nous pouvons faire appel à des appareils des forces spéciales pour observer un théâtre tactique dans une zone où nous agissons de manière coordonnée.

M. Loïc Kervran (HOR). Le groupe Horizons note avec satisfaction l’effort en faveur du renseignement car celui-ci est particulièrement adapté aux menaces actuelles – évolutives, sournoises, hybrides. C’est l’arme du XXIe siècle. Cet outil incarne aussi la souveraineté car sa mission est fondée sur la connaissance, l’anticipation ainsi que l’autonomie de décision et d’action. L’excellence de son renseignement, et singulièrement de son service secret spécial, est l’une des raisons d’espérer pour la France, pour reprendre le titre d’un livre qui vous est cher.

Vous avez évoqué les modifications normatives prévues par le projet de LPM. D’autres modifications législatives sont-elles nécessaires à vos yeux pour faire face aux nouvelles menaces ?

M. Bernard Émié. En tant que président de la commission de vérification des fonds spéciaux et membre de la délégation parlementaire au renseignement, vous avez joué un rôle éminent dans l’appropriation, ô combien importante, du monde du renseignement par le Parlement sous la précédente législature. La visite du président de la commission très rapidement après son élection s’inscrit dans la même logique d’interaction bienvenue.

Oui, le renseignement est l’arme du XXIe siècle. Le retour sur investissement est gigantesque et immédiat. Faute d’exposition, la DGSE souffre d’un manque de valorisation de son travail dans la protection de nos compatriotes et de l’État.

Il est en effet des domaines dans lesquels j’aurais souhaité d’autres aménagements normatifs. Je pense en particulier aux algorithmes mais le mot fait peur – je le comprends. La décision a été prise de ne pas élargir leur champ d’application, et je la respecte. Mon but est de faire fonctionner ce que j’ai à ma disposition mais je serai heureux si on venait demain à m’en donner davantage. Oui, il y a des marges de progression pour les prochaines LPM.

Rapport d’information sur la préparation opérationnelle (Assemblée nationale, 8 février 2023)

Rapport d’information sur la préparation opérationnelle (Assemblée nationale, 8 février 2023)


L’armée est-elle prête à un conflit de « haute intensité » ? Ce qu’ont dit les chef d’état-major aux députés

L’armée est-elle prête à un conflit de « haute intensité » ? Ce qu’ont dit les chef d’état-major aux députés


Devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale, les différents chefs d’état-major détaillent les lacunes dont souffre le modèle militaire français et presse le gouvernement à revoir à la hausse le budget alloué au secteur pour être à même de faire face à un conflit de « haute intensité ».

 

Les chefs d'état-major ne cachent pas leurs inquiétudes quant à la possibilité d'un conflit de « haute intensité ».
Les chefs d’état-major ne cachent pas leurs inquiétudes quant à la possibilité d’un conflit de « haute intensité ». (Ludovic MARIN / AFP)

L’entrée des forces armées russes en Ukraine le 24 février replace la probabilité d’un conflit de « haute intensité » au centre des débats dans le secteur militaire français. En juin dernier, le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense au Sénat Christian Chambon expliquait que « l’armée française est une force complète, un modèle composite, pouvant prendre en charge tout le spectre des missions mais disposant d’une faible épaisseur », notamment en termes de moyens. À l’occasion des auditions menées à huis clos en juillet par la nouvelle commission de la défense de l’Assemblée nationale, dont les comptes–rendus ont été publiés début août, les différents chefs d’état–major de l’armée française ont levé le voile sur leurs réflexions, relate Le Monde .

Ils ont notamment alerté sur les moyens peu nombreux et vétustes dont dispose l’armée française, et appelé le gouvernement à revoir à la hausse le budget de la défense alloué dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) en cours (2019-2025), dont Emmanuel Macron a promis une « réévaluation ». « Notre capacité à être une force expéditionnaire ne nous rend pas instantanément aptes à conduire une guerre de haute intensité. Le changement d’échelle et le recouvrement des capacités que nous avons éclipsées sont des défis », a déclaré sans détour le général Thierry Burkhard, lors de son audition le 13 juillet, ajoutant que « vingt années de conflits asymétriques (…) ont conduit à des arbitrages réduisant certaines capacités »

Des besoins matériels criants

Malgré une « remontée en puissance » commencée en 2017, le budget français de la défense peine aujourd’hui à atteindre 2 % du PIB, alors qu’il dépassait 3 % dans les années 1980, relate Le Monde. Et c’est dans le domaine des équipements que les gradés ont formulé les plus fortes inquiétudes. S’ils reconnaissent des avancées, ils déplorent des équipements peu nombreux et parfois vétustes. « Parmi les capacités à renforcer, je citerai les capacités de défense sol-air, les drones, les feux dans la profondeur [l’artillerie de longue portée], les systèmes d’information et de communication, le renseignement ou les moyens de franchissement [les barges et ponts flottants] », a listé le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre, le 20 juillet.

Aucun corps de l’armée ne semble épargner par ce constat. Les généraux soulignent ainsi la nécessité d’« aller au-delà ». Dans le secteur de l’artillerie longue portée par exemple, la France ne possède que 76 exemplaires du canon autoporté Caesar, dont 18 ont été envoyés en Ukraine. Malgré un complément de 32 pièces d’ores et déjà prévu, une note rédigée au début de l’été par l’Observatoire de l’artillerie, qui regroupe des officiels et des experts, estime à 2015 le nombre nécessaire de ces canons pour que l’armée de terre soit apte à mener un conflit de « haute intensité ».

Dans l’aérien et le naval, la situation est aussi tendue. Depuis 1996, l’armée de l’air a fermé une base aérienne par an et ses effectifs ont chuté de 30 % au cours de la LPM 2014-2019. Un effort jugé « excessif » par le général Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, qui a appelé à « rééquilibrer le modèle » devant les députés, le 20 juillet. L’armée de l’air ne dispose plus que de 195 avions de chasse, soit trois fois moins qu’il y a trente ans. « Sans doute faudrait-il tendre vers un plancher de 225 avions afin de pouvoir remplir sereinement nos missions », a indiqué le général Frédéric Parisot, numéro deux de l’armée de l’air, lors de cette même audition. De même, « depuis 1990, le format de la marine a été réduit de moitié », regrette l’amiral Vandier qui soulignent les « très fortes réductions temporaires de capacités » qui sont à attendre, du fait de l’entretien et de la remise à niveau des battements.

Des revendications « normales »

Le ministère des Armées assure entendre ces revendications. « Le président de la République s’est engagé à réévaluer la LPM en cours au vu de la situation en Ukraine. Il est normal que chacun exprime ses besoins », indique au Monde l’entourage de Sébastien Lecornu, ministre des armées. Le gouvernement a d’ores et déjà pris l’engagement de tenir les échéances budgétaires issues de la LPM 2019-2025 et promet en 2023, une augmentation du budget de la défense de 3 milliards d’euros, pour atteindre un total de 44 milliards. L’exécutif envisage également des « mises à jour » ciblées, en ce qui concerne l’artillerie ou le stock de munitions, qui constitue pour les hauts-fonctionnaires auditionnés une « priorité, pour toutes les armées ».

« Il faut désormais regarder avec lucidité (…) la perspective d’une confrontation globale », a insisté l’amiral Vandier devant la commission de la défense. « Les menaces se multiplient et le passage à l’acte, comme en Ukraine, est une réalité, même en Europe », a mis en garde le général Burkhard, rappelant que « l’emploi désinhibé de la force est redevenu pour beaucoup le mode de règlement des conflits ». De son côté, le ministre des Armées a mis en garde le 7 juillet dernier les militaires : « On peut se demander si un équipement à la pointe technologiquement, mais en faible quantité, est préférable à des matériels nombreux, plus rustiques mais indispensables ».

32 propositions pour préparer la France au conflit de haute intensité

32 propositions pour préparer la France au conflit de haute intensité


Jean-Louis Thiériot (LR) est rapporteur avec Patricia Mirallès, député (LRM) de l’Hérault (1), de la Mission d’information de la Commission de la défense de l’Assemblée nationale sur la préparation à la haute intensité. Il tire la sonnette d’alarme : les armées françaises ne sont pas prêtes à faire face à un conflit d’envergure. Découvrez ci-dessous les 32 propositions de cette mission d’information pour permettre à la France d’être à la hauteur de son histoire et de son destin.

  1. Élaborer un nouveau livre blanc, et plus généralement doter la France d’une grande stratégie intégrée.
  2. Conserver l’objectif d’un modèle d’armée cohérent, crédible, permettant d’être nation-cadre, et la priorité au maintien de la supériorité informationnelle.
  3. Développer une politique ambitieuse d’interopérabilité, en utilisant l’intelligence artificielle pour favoriser l’échange de données, en organisant davantage d’exercices interalliés, en recherchant la participation de nos alliés européens à nos opérations, en assurant une veille juridique et technologique, en particulier à l’égard des États-Unis pour anticiper les évolutions capacitaires.
  4. Consentir un effort financier immédiat pour :
    • la reconstitution des stocks de munitions et des stocks initiaux de projection ;
    • l’entraînement et la numérisation des soutiens ;
    • les infrastructures numériques ;
    • la constitution de « plots » prépositionnés d’équipements pour les forces terrestres.
  1. Honorer le socle d’emplois militaires dans les services de soutien.
  2. Intégrer les soutiens aux prochains exercices interarmées de grande ampleur comme Orion 2023.
  3. Poursuivre le renouvellement des deux composantes de la dissuasion.
  4. Augmenter le format de l’aviation de chasse à 215 appareils et porter le nombre de ravitailleurs à 22.
  5. Porter à 18 le nombre de frégates de premier rang en s’appuyant sur le programme européen European Patrol Corvette.
  6. Utiliser tout le potentiel de la robotisation pour acquérir de la masse en poursuivant le développement des drones terrestres, aériens et de surface et en facilitant la qualification des drones aériens embarqués.
  7. Développer une large gamme de systèmes de lutte anti-drones pour les forces terrestres et les forces aériennes, permettant un équilibre entre rusticité et haute technologie.
  8. Planifier la prise en charge de blessés en nombre avec les hôpitaux civils et organiser des exercices, par exemple en marge d’Orion 2023.
  9. Renforcer les capacités nécessaires à la défense sol-air basse altitude (radars, systèmes d’armes sol-air).
  10. Préparer le renouvellement du segment lourd et la robotisation des forces terrestres.
  11. Renforcer les capacités de frappes dans la profondeur.
  12. Se préparer à combler les lacunes du génie, notamment divisionnaire.
  13. Reconstituer le système d’armes du maintenancier (dépanneur Leclerc, porteur polyvalent lourd de dépannage, magasins, des containeurs mobiles).
  14. Devenir une puissance militaire spatiale de premier rang en poursuivant la recherche de redondance grâce au secteur civil et le développement de patrouilleurs spatiaux.
  15. Créer une cellule à vocation interministérielle chargée de planifier une remontée en puissance de l’industrie de défense et un passage en économie de guerre, avec la direction générale de l’armement, et pré-contractualiser sur la base de scénarios.
  16. Lancer un appel d’offres pour la constitution d’opérateurs privés de stockage stratégiques mutualisés (dont poudre, composants électroniques, produits de santé, produits alimentaires de base) avec la garantie de l’État.
  17. Engager, dès le début de la prochaine législature, des missions d’information sur les relations civilo-militaires, la guerre cognitique, les sociétés militaires privées, les conditions de la décentralisation de la prise d’initiative dans les armées.
  18. Susciter une réflexion au niveau européen sur la lutte contre les lois extraterritoriales ainsi que sur l’amélioration du droit des affaires européen et la constitution de stocks stratégiques.
  19. Appuyer la politique promue par le commissaire en charge de l’industrie et de la défense d’augmenter la part de semi-conducteurs produits en Europe.
  20. Créer une cellule chargée spécifiquement de suivre et d’influencer les processus d’élaboration des normes internationales susceptibles d’affecter la défense.
  21. Encourager le développement de capacités de transport stratégique au niveau européen, notamment le projet d’avion-cargo européen.
  22. Renouveler la défense opérationnelle du territoire en s’appuyant davantage sur les réserves.
  23. Poursuivre la rénovation de la formation militaire supérieure en développant les compétences juridiques.
  24. Compléter la formation éthique et historique des soldats pour mieux les préparer à des conflits plus durs.
  25. Protéger les familles de militaires contre la désinformation, en s’inspirant des pratiques en vigueur dans les forces spéciales, en particulier en développant le lien entre les bureaux « environnement humain » et les familles.
  26. Créer des mécanismes de solidarité par bassins géographiques, anticiper des dispositifs de prise en charge des enfants en urgence pour les couples de militaires.
  27. Conforter les forces morales en renforçant les représentations populaires des armées et des conflits futurs, en poursuivant les efforts en faveur du renforcement du lien armées-Nation et en formant effectivement les professeurs aux enjeux de défense.
  28. Encourager la montée en puissance du SNU financé par des moyens ad hoc et capitaliser sur son potentiel de sensibilisation de la jeunesse aux enjeux de Défense.

1- Patricia Mirallès est également vice-présidente de la Commission.

Exercice HEMEX ORION 2023 – Réussir à faire les choses en grand et le faire savoir (+MAJ)

Exercice HEMEX ORION 2023 – Réussir à faire les choses en grand et le faire savoir (+MAJ)

Mars attaque – publié le 26 mars 2022

Durant les premiers mois de 2023 devrait se dérouler en France l’exercice ORION, grand exercice de niveau division, qui doit faire la démonstration des capacités françaises dans le domaine, et donnera l’occasion d’un nouvel état des lieux et d’un point d’avancement sur certains chantiers de régénération et de modernisation, notamment, des forces terrestres. ORION étant l’acronyme pour « Opération d’envergure pour des armées résilientes, interopérables, orientées vers la haute intensité, et novatrices« . #passionacronyme Dans la continuité de précédents jalons récents, comme l’exercice Warfighter 21-4 mené l’année dernière aux États-Unis.

Cet exercice, complexe, s’inscrit dans une actuelle hausse de l’effort de préparation opérationnelle, afin que les forces terrestres soient mieux préparer. Et qu’elles se préparent à des opérations relativement différentes dans la forme de celles connues au cours des dernières années. Avec des engagements plus durs, des changements d’échelles, et dans différents champs. D’où le renforcement nécessaire des moyens consacrés à la préparation opérationnelle, avec un changement d’échelle des exercices, en rehaussant les difficultés (une durée des exercices s’allongeant, une coordination nécessaire de diverses capacités, des forces adverses renforcées, etc.) et l’ampleur : « La haute intensité, ce n’est pas que le nombre de chars. C’est la saturation dans tous les domaines : flux logistiques, nombre de blessés, flux électromagnétiques… C’est le retour de la masse : il faut pouvoir s’entraîner avec de plus gros volumes de forces« , expliquait le général Vincent Guionie, commandant des forces terrestres françaises.

Comme le précise un rapport parlementaire, reprenant l’idée de manœuvre générale de l’armée de Terre à propos de la préparation opérationelle : « Certains domaines comme la cyberdéfense, la lutte anti-drones, la navigation terrestre ou la prise en compte des effets dans les champs immatériels sont désormais associés à tous les niveaux de la programmation opérationnelle et intégrés systématiquement dans l’élaboration des exercices interarmées ou interalliés. En outre dans le cadre de la Haute Intensité, l’armée de Terre opère un durcissement de l’entraînement des forces terrestres. Elle augmente la complexité de ses entraînements par la constitution d’une force d’opposition à niveau égal, apte à la défier dans tous les domaines du combat mais aussi par la réalisation de grands exercices du niveau divisionnaire, dont la première occurrence, ORION, se tiendra en 2023. Par ailleurs, elle adapte les conditions intellectuelles et matérielles de sa préparation opérationnelle, en mettant en œuvre de nouvelles méthodes de formation et d’entraînement fondées sur la maîtrise de la technologie, la résilience face à sa disparition, l’initiative et l’endurance« .

D’un déroulé longue durée

L’exercice HEMEX-ORION (HEMEX pour Hypothèse d’engagement majeur – Exercice) est prévu en plusieurs temps, entre février et mai 2023, avec quatre séquences principales :

  • La phase O1 consistant en une période de planification opérationnelle ;
  • L’activité O2 comprenant la projection et l’intervention d’une force équivalente à l’Échelon national d’urgence (ENU), récemment modernisé, qui garantit une capacité de réaction autonome aux crises ;
  • La phase O3 prenant la forme d’un séminaire interarmées et interministériel, permettant d’étudier l’adaptation de la posture opérationnelle de défense en cas d’affrontement majeur (s’appuyant potentiellement sur des moyens de Wargaming) ;
  • La phase O4, à partir d’avril, qui verra l’engagement en coercition, à terre, d’une division multinationale après une campagne aérienne censé permettre la conquête de la supériorité aérienne et son maintien.

Il s’agira, sous la houlette de la 3è division, de remettre à la fois la brigade au cœur du déploiement (niveau rarement vu ces dernières années en entier), la division comme intégrateur des effets interarmes-interarmées sur les lignes de fronts comme sur les arrières, et, globalement, de faire effort important sur les soutiens. Plus que de se concentrer sur une période plus ou moins longue, il est prévu de l’inscrire dans un temps long, représentatif d’une montée des tensions, et d’un passage de la phase de contestation à celle de l’affrontement, selon le triptyque cher à l’actuel chef d’état-major des armées. Comme le résume en interview le commandant des forces terrestres, le général Guionie : « L’exercice Orion sera un rendez-vous majeur qui, durant quatre mois, va nous permettre de retranscrire tout l’enchaînement d’une crise. La séquence majeure pour l’armée de Terre étant la dernière, à savoir celle qui se déroulera au mois d’avril. Cette phase verra le déploiement d’une division dont l’objectif sera de figer une situation et d’empêcher un adversaire de mettre en œuvre une politique du fait accompli« .

Rapport d’information sur la préparation à la haute intensité (Assemblée nationale, 17 février 2022)

Rapport d’information sur la préparation à la haute intensité (Assemblée nationale, 17 février 2022)

 

L’hypothèse d’un conflit de haute intensité ne peut plus être exclue. En toute rigueur, elle n’est pas non plus la plus probable. Mais elle constitue un repère structurant pour guider les décideurs dans l’orientation de l’appareil de défense et de sécurité. Les rapporteurs concluent du développement sans précédent de pratiques dites « hybrides » (manipulation l’opinion publique par de fausses nouvelles, attaques cyber non revendiquées, recours à des acteurs par procuration, arsenalisation des dépendances, notamment économiques, instrumentalisation du droit) que le renforcement des capacités de renseignement restera un impératif pour dissiper ce qu’ils appellent « le brouillard des intentions ». Au plus vite. Car c’est notamment dans ce brouillard, que la violence pourra prospérer.

Les rapporteurs ont listé cinq caractéristiques des conflits de haute intensité : outre le brouillard des intentions, ils signalent :

  • la fin d’un relatif confort opératif, avec la perte de la supériorité aérienne et la généralisation des pratiques de brouillage des signaux électroniques et satellitaires sur les théâtres ;
  • une forte attrition en hommes et en matériel, en rupture avec les données de la planification depuis trente ans ; révélée par des conflits comme celui du Haut-Karabakh ou des exercices interalliés comme Warfighter (1 700 morts) ou Polaris (400 marins tués ou disparus) ;
  • une incertitude quant à la durée de la confrontation, le conflit pouvant s’éterniser, traverser d’autres phases ;
  • une population civile à la fois victime et instrument de la guerre, par le truchement des réseaux sociaux et d’autres outils d’influence.

La perspective d’un conflit de haute intensité éclaire donc d’un jour nouveau les évolutions souhaitables de la défense. Les rapporteurs ont identifié neuf enjeux pour vaincre dans les conflits de haute intensité :

  • l’anticipation, autrement dit le « gagner la guerre avant la guerre » du chef d’état-major des armées ;
  • la réactivité, puisqu’il apparaît qu’on n’« aura pas six mois » ;
  • l’interopérabilité, pour continuer à pouvoir intervenir avec des alliés qui seuls pourront apporter toute la masse nécessaire ;
  • la masse pour permettre dès aujourd’hui un meilleur entraînement, donner de la résilience et éviter d’être étiré sur plusieurs fronts au prix de la victoire ;
  • l’épaisseur, autrement dit notre capacité à durer ;
  • l’arbitrage entre technologie et rusticité, autrement dit le mix capacitaire ;
  • la synchronisation des effets, censée être permise par le « combat collaboratif » ;
  • les compétences, dont les armées auront besoin ;
  • les forces morales, des militaires et de la Nation dans son ensemble.

 

Lire et télécharger le Rapport d’information

Rapport-information en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)sur la préparation à la haute intensité 17 02 2022

Un rapport plaide pour un sursaut capacitaire de la Marine nationale afin de faire face aux défis en Méditerranée

Un rapport plaide pour un sursaut capacitaire de la Marine nationale afin de faire face aux défis en Méditerranée



 

Disputes territoriales alimentées par les convoitises de ses ressources, notamment d’hydrocarbures, durcissement des politiques d’affirmation de puissance, qui va de pair avec un réarmement significatif de certains pays riverains, instabilité dû à la situation en Libye et des conflits gelés [comme au Sahara occidental], risque de terrorisme maritime, instrumentalisation des flux migratoires dans le cadre d’une stratégie dite de « guerre hybride », trafics de drogue et d’armes, remise en cause du droit international, questions environnementales… « La zone Méditerranée sera le défi des prochaines années tant les facteurs de crise qui s’y conjuguent sont nombreux », avait affirmé le président Macron, en juillet 2020. Et, sur ce point, il est difficile de lui donner tort.

Seulement, pour faire face à de telles menaces, les forces françaises souffrent de déficits capacitaire qu’il devient urgent de combler, même si le renouvellement de certains moyens a déjà été engagé à la faveur de l’actuelle Loi de programmation militaire [LPM]. C’est en tout cas l’appel lancé par les députés Jean-Jacques Ferrara et Philippe Michel-Kleisbauer, dans un rapport qu’ils viennent de publier au nom de la commission de la Défense nationale.

Ces déficits capacitaires ont été mis en exergue par l’important exercice naval Polaris, qui, organisé par la Marine nationale, a eu lieu en Méditerranée, entre le 27 novembre et le 3 décembre 2021, avec une vingtaine de navires, dont le porte-avions Charles de Gaulle et le porte-hélicoptères amphibie [PHA] Tonnerre. Des forces navales étrangères y avaient été conviées.

Cet exercice reposait sur un scénario de « guerre complète entre deux forces symétriques déployées dans un affrontement de haute intensité, plongeant les unités dans la fulgurance des frappes ainsi que le brouillard de la guerre, épaissi par les attaques cyber, la désinformation, les brouillages radio, radar ou GPS ou encore la perte des communications satellites ».

Un précédent rapport, dédié à l’engagement de haute intensité, avait déjà indiqué que, à l’issue de cet exercice, huit navires avaient été fictivement mis hors de combat. Celui de MM. Ferrara et Michel-Kleisbauer livre d’autres détails.

Ainsi, citant le contre-amiral Emmanuel Slaars, les deux députés expliquent que Polaris 21 « a confirmé l’importante valeur ajoutée du groupe aéronaval, ainsi que la complémentarité entre l’aviation embarquée et les hélicoptères, en dépit des problèmes de disponibilité bien connus des NH-90 » et que la capacité d’embarquer des drones à bord des navires constituerait un « un atout stratégique » dans un conflit de haute intensité. Mais cet exercice a aussi permis de constater que les « axes principaux de développement » à privilégier portent sur les « capacités de nos missiles anti-navires, le volume de nos stocks de munitions ainsi que la nécessité de renforcer la sécurité de nos systèmes de communication ».

« En cas de conflit de haute intensité, l’exercice Polaris a rappelé combien nos missiles anti-navires, tels que l’Exocet, étaient devenus peu compétitifs face aux missiles supersoniques de nos compétiteurs », a d’ailleurs insisté M. Michel-Kleisbauer, lors de l’examen du rapport en commission.

Plus généralement, les rapporteurs estiment que, pour être en mesure d’anticiper et de prévenir les crises, il est nécessaire de faire un effort supplémentaire en matière de renseignement, qu’il soit d’origine humaine [ROHUM] ou d’origine électro-magnétique [ROEM].

« Il y a d’abord urgence à accroître les capacités de renseignement d’origine électromagnétique des drones Reaper actuellement en parc. Sans cesse retardé, l’ajout d’une charge utile de renseignement d’origine électromagnétique est d’autant plus nécessaire que l’actualisation de la programmation militaire décidée par le gouvernement au printemps 2021 s’est accompagnée du retrait anticipé des C-160 Transall Gabriel, dont l’efficacité était unanimement reconnue, y compris par nos alliés les plus exigeants », affirment en effet les deux députés.

Or, selon eux, l’engagement d’un MQ-9 Reaper de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] dans l’opération européenne Irini, lancée pour surveiller l’embargo sur les armes destinées à la Libye, n’aurait pas donné « satisfaction lors des phases de survol de la mer ». Aussi, il « convient, d’une part, d’en accroître les performances et, d’autre part, de veiller à ce que le développement de l’Eurodrone tienne compte des besoins de survol maritime », font-ils valoir.

Sur ce point, M. Ferrara a indiqué qu’il est « envisagé d’acquérir sur étagère des drones, en attendant que soit disponible le drone MALE européen » car « il y a certainement une urgence dans ce domaine ».

Toujours en matière de drones, les rapporteurs recommandent l’accélération le programme SDAM [système de drone aérien marine], afin de permettre à la Marine nationale de « rattraper le retard qu’elle a accumulé en la matière sur certains de ses concurrents ».

Quant aux capacités de combat, la question du format de la flotte de surface de la Marine devra, à un moment ou un autre, être posée… tant il est évident que le nombre de quinze frégates de premier rang est insuffisant. Les rapporteurs notent d’ailleurs qu’un tel débat a été tranché en Italie.

« En 2030, les Italiens auront ainsi 19 frégates, tandis que la France n’en aura que 15. Il est donc nécessaire de rester au niveau des Italiens, voire de les dépasser », a estimé M. Michel-Kleisbauer, devant ses collègues. « Une réflexion sur l’accroissement du nombre de nos bâtiments de premier rang, notamment les frégates, parait nécessaire en vue de consolider la position de la marine nationale, au regard du réarmement naval des puissances en Méditerranée », lit-on également dans le rapport.

Celui-ci plaide également pour accélérer la commande et la livraison des patrouilleurs océaniques, les avisos [ou patrouilleur de haute-mer] qu’ils doivent remplacer étant à bout de souffle alors que leur mission principale et de sécuriser les approches maritimes. « Au titre de la préservation de nos capacités de projection, l’accélération du programme des bâtiments ravitailleurs de force [BRF] serait opportune, afin de remédier à la réduction de capacité de 50 % des bâtiments de commandement et de ravitaillement [BCR] jusqu’en 2027 », ajoute-t-il.

Et dire qu’à la fin des années 2000, il était question de doter la Marine nationale de 17 frégates multimissions [FREMM], qui se seraient ajoutés aux deux frégates de type Horizon… Et que le programme BATSIMAR [Bâtiments de surveillance et d’intervention maritime] devait permettre le renouvellement des patrouilleurs outre-Mer et celui des patrouilleurs de haute-mer [des navires essentiels à la dissuasion nucléaire puisqu’une de leurs missions est « blanchir » les approches de l’Île-Longue, où sont basés les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ndlr]. Pour des raisons budgétaires, les objectifs furent revus à la baisse ou repoussés à des jours meilleurs. Et comme le dit la fable, « la Cigale, ayant chanté tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue »…

Un effort de 20 à 30 Mds€ est nécessaire pour se préparer à la haute intensité selon un rapport parlementaire

Un effort de 20 à 30 Mds€ est nécessaire pour se préparer à la haute intensité selon un rapport parlementaire

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Entre 20 à 30 Mds€ sur la prochaine loi de programmation militaire, c’est l’enveloppe complémentaire requise pour préparer les armées françaises à un éventuel conflit de haute intensité, estiment les députés Jean-Louis Thiériot (LR) et Patricia Mirallès (LREM), co-auteurs d’un récent rapport d’information sur le sujet.

La « fin d’un certain confort opératif »

L’ordre international en place depuis 1945 est désormais « contesté par des puissances révolutionnistes insatisfaites d’un système qui lui confère des garanties de sécurité ou de développement jugées insuffisantes et des normes philosophico-politiques jugées décadentes », rappelle Patricia Mirallès. L’évolution est significative pour la France, dont l’outil de défense est tourné depuis 30 ans vers le maintien de la paix et la lutte anti-terroriste.

Il faut attendre l’actualisation stratégique de 2021 pour que le ministère des Armées évoque un risque d’affrontement entre grandes puissances, conflit dont les implications ont ensuite été précisées dans le dernier concept d’emploi des forces. « En somme, la France pourrait s’engager dans un conflit d’intensité temporairement seule ou aux côtés de ses alliés pour mettre fins à des actions déstabilisatrices de l’ordre national particulièrement préjudiciable à ses intérêts, ceci incluant l’intégrité territoriale des pays de l’Union européenne », résume Jean-Louis Thiériot.

Pour les armées, confrontées à un adversaire susceptible de combattre dans tous les champs de la conflictualité, cela signifie « la fin d’un certain confort opératif » et un éventuel retour vers « une forte attrition en hommes et en matériels », données quasiment absentes de la planification depuis plusieurs décennies. En extrapolant à partir de taux d’attrition constatés lors de conflits symétriques modernes, les rapporteurs estiment ainsi que « l’aviation de chasse française pourrait être réduite à néant en cinq jours ».

Un tel constat prévaut également à terre et en mer. Dans le domaine terrestre, l’exercice Warfighter conduit début 2021 aux États-Unis a entraîné fictivement la mort d’un millier de soldats et davantage de blessés en 10 jours de combat. « Une frappe de drones, en particulier, a provoqué la mort de 800 soldats », pointe Patricia Mirallès. Au terme de l’exercice Polaris de la Marine nationale, organisé à l’automne dernier, sept à huit bâtiments avaient été détruits, dont deux frégates envoyées par le fond et deux autres neutralisées en 15 minutes, « soit entre 200 et 400 marins tués ou disparus ».

Parce qu’il est multiforme, le conflit de haute intensité induit une incertitude quant à sa durée. À l’épuisement probablement rapide des ressources pourraient succéder un appel aux Alliés ou une remontée en puissance synonymes d’enlisement. Qu’importe le scénario, les rapporteurs relèvent une dizaine d’enjeux auxquels les armées doivent répondre. Ce sont les enjeux de l’interopérabilité, de la masse ou encore de l’épaisseur, « produit de la masse et de la résilience du soutien ». Ce sont aussi les questions d’anticipation, de synchronisation des effets et de réactivité. En cas de conflit, « on aura pas six mois ». « Les durées de conflits et les préavis des contrats opérationnels paraissent ainsi irréalistes », d’où des leçons à tirer pour les stocks, les formats d’armées et les modules de décision.

Un effort de 20-30 Mds€ sur la prochaine LPM

Si la LPM 2019-2025 répare et modernise grâce aux 215 Mds€ investis sur sept ans, le renforcement proprement dit de l’outil de défense n’est envisagé qu’après 2030. « La hausse de notre effort de défense doit être poursuivie », martèlent des députés selon qui le respect des prochaines marches de 3 Mds€ du budget annuel « est un minimum ».

« Le plus dur est devant nous », souligne Jean-Louis Thiériot, pour qui « un effort autrement plus élevé que celui qui est déjà fait aujourd’hui sera nécessaire pour amener le modèle au niveau requis par la haute intensité ». En restant « tout à fait raisonnable », les besoins complémentaires pour conserver un modèle complet et éviter l’échantillonaire peuvent être évalués à entre 20 et 30 Mds€ « rien que pour la prochaine loi de programmation militaire ». Ce qui mène « au doigt mouillé » à consacrer 2,5% du PIB à la défense. Cela paraît immense, mais ce sursaut, « pas délirant » et « raisonnable », est à relativiser en regard des efforts consentis sur les 60 dernières années et de l’effet démultiplicateur d’un investissement dans la BITD française.

Du capacitaire au soutien, sans oublier les conséquences sur la masse salariale, « il est clair que les besoins sont patents », constate le député LR. La maîtrise du champ informationnel, premièrement, biais par lequel un futur conflit de haute intensité serait susceptible de commencer. Cette perspective fait des données « notre bien le plus précieux » et implique d’accroître les capacités de traitement et de stockage des datacenters et des réseaux d’infrastructure. La perte de la supériorité aérienne requiert de faire évoluer des capteurs « mal protégés aujourd’hui ». La Direction du renseignement militaire et le Commandement de l’espace devraient quant à eux œuvrer à se doter de nouvelles capacités de surveillance, relève le rapport.  

La lutte informationnelle soulève en outre la question des actions menées sur le territoire national. Le Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE) notamment, organisme à vocation interarmées-Terre rassemblant les domaines CIMIC et PSYOPS, est à ce titre « très clairement sous-dimensionné ». Face à ces constats, les deux rapporteurs proposent le lancement d’une mission d’information dédiée à la guerre informationnelle au cours de la prochaine mandature.

L’attention porte aussi sur la préparation opérationnelle. Pour cela, « il est nécessaire de reconstituer les stocks de munitions et de pièces pour permettre un entraînement de haute intensité ». Coût estimé ? Environ 6 Mds€ sur une LPM. À défaut, les forces s’en retrouvent limitées dans leurs activités de préparation. Exemple avec l’armée de Terre, dont le taux de préparation est en progrès mais n’atteint pas encore l’optimum. En déplacement en Estonie, les deux rapporteurs ont pu constater par eux-mêmes que le char Leclerc « ne pouvait pas être utilisé comme on l’aurait souhaité à l’entraînement ». Ainsi, un capitaine du 1er régiment de chasseurs, alors intégré au SGTIA Lynx 11, ne pouvait pas commander à l’avant comme il le ferait en opération afin de conserver du potentiel pour que ses hommes puissent s’entraîner convenablement.

Campagne de tir en Lettonie pour le SGTIA français engagé sur la mission Lynx 12 (Crédit : EMA)

Dans le champ capacitaire, il faudra compléter la modernisation engagée, entre autres, par Scorpion. Il s’agit en priorité « de renouveler le segment lourd » par l’entremise du programme TITAN, de développer la robotisation et de poursuivre la numérisation des soutiens et de la maintenance. Aucune de ces dépenses ne sont pour l’instant inscrites en loi de finances, ni même, pour certaines, en programmation.

Hormis ces programmes majeurs, la préparation de l’armée de Terre implique le comblement de trous capacitaires sectoriels. C’est le renforcement de la capacité de frappe dans la profondeur, bientôt limitée aux CAESAR et à une douzaine de LRU vieillissants, de la défense sol-air basse couche et moyenne couche, limitée à quelques canons de 20 mm et au missile Mistral 3, et du génie divisionnaire avec des capacités de minage-bréchage « quasiment abandonnées » et objets d’ « une lente remontée en puissance ».

Le tout, « sans parler du système d’arme du maintenancier » et des forces aéroterrestres. Les rapporteurs pointent une capacité de transport tactique partiellement en fin de vie et, une fois encore, l’absence d’hélicoptères de transport lourds. Sur ce dernier point, « il a été identifié qu’il y a des pays qui vont avoir des hélicoptères lourds d’occasion sur le marché. La question se pose de savoir si on doit s’y intéresser », avance Jean-Louis Thiériot.

Consolider la BITD, sensibiliser les populations

Pour garantir ce rééquipement, les autorités doivent s’attacher à la remontée en puissance de la base industrielle de défense nationale. Les deux rapporteurs proposent ainsi la création au sein du ministère des Armées d’une cellule dédiée à la planification de cette relance et placée sous l’égide de la DGA. Celle-ci « identifiera les espaces qui pourraient être utilisés, s’assurera de la solidité de la chaîne de sous-traitance, et recensera les dépendances à l’égard des matières premières sensibles et des matériels dont le temps de production justifierait qu’il y ait des stocks ». Selon les cas, la création de stocks de pièces pré-usinées et de matières premières critiques pourrait être envisagés en se tournant potentiellement vers un réseau d’opérateurs de stockage privés.

« Les armées font beaucoup, mais tout ne peut pas venir d’elles », insistent les rapporteurs. Au-delà du technologique, du financier et du capacitaire, la haute intensité requiert également de porter un autre regard sur la nation. De tous les défis la concernant, l’un « paraît particulièrement important ». Il s’agit, pour la députée LREM, de « faire partager les enjeux de défense à nos citoyens ». Tout effort portant sur la haute intensité sera en effet « vain si les Français ne sont pas davantage informés des enjeux de défense et impliqués dans les choix structurants à faire pour le pays ».

Entre les limites du Service national universel et de l’enseignement civilo-militaire dans les territoires, le périmètre restreint des réserves et le manque d’exercices d’envergure, les marges d’amélioration sont nombreuses. Renforcer l’intérêt des citoyens pour les questions de défense, en commençant par renforcer les démarches envers la jeunesse, « au cœur de la haute intensité ». À ce titre, le SNU serait, selon Mme Miralles, « un outil formidable que nous devons à tout prix approfondir ».

Fruit d’une cinquantaine d’auditions, de deux déplacements et de contributions écrites, ce rapport arrive à la veille d’une nouvelle mandature et à trois annuités d’une nouvelle LPM à laquelle il entend contribuer « par une modeste brique ». Si ce document ne se veut « que » force de proposition, « à nos successeurs de faire en sorte que son destin ne soit pas de prendre la poussière ou de caler les armoires, mais de contribuer à bâtir l’outil de défense dont notre pays a besoin », concluait Jean-Louis Thiériot.