Conflit armé longue durée : L’armée israélienne à l’épreuve du temps

par Kevan Gafaïti – AASSDN – publié le 29 mai 2025

L’armée israélienne à l’épreuve du temps :
Enjeux et défis d’un conflit de longue durée

Face à une situation particulièrement complexe et dangereuse pour Israël, vient l’interrogation sur la capacité réelle dont il dispose pour mener un conflit prolongé. Peut-il encore soutenir un effort militaire aussi intense sur plusieurs théâtres d’opérations sans compromettre son modèle stratégique ? Ses forces armées, malgré leur supériorité technologique affichée et leur préparation revendiquée pour les conflits asymétriques, peuvent-elles faire face à une guerre d’usure imposée par un ensemble d’adversaires aux stratégies diversifiées et pas nécessairement coordonnées ?

Le 7 octobre 2023, le Hamas lance depuis Gaza une attaque massive et multidimensionnelle contre Israël — la plus meurtrière qu’il ait connu depuis sa création en 1948, avec environ 1200 morts et 251 personnes capturées. Outre le bilan humain, cet épisode marque également un point de non-retour pour la défense israélienne. Avec 3000 roquettes tirées en une journée, des incursions terrestres inédites (par les airs avec des parapentes motorisés, par la terre en franchissant les barrières de sécurité avec des explosifs et par la mer avec des commandos), une réactivité israélienne jugée a posteriori particulièrement lente, de flagrantes failles dans l’appareil sécuritaire de l’État hébreu ont fait surface. 

Pis encore, Tel Aviv s’est depuis enlisé dans un conflit à plusieurs fronts, menaçant d’une part son modèle stratégique basé sur la supériorité technologique, la dissuasion (nucléaire) et l’anticipation, et d’autre part sa réputation d’armée la plus puissante du Moyen-Orient, suréquipée face à des voisins aux armements considérés comme obsolètes et peu menaçants. Tsahal mène une guerre de haute intensité dans la bande de Gaza, frôlant la destruction complète de cette zone d’un point de vue matériel, avec plus de 30 000 raids aériens et un contrôle terrestre prolongé visant à défaire le Hamas. Israël lutte aussi contre le Hezbollah libanais, tant sur son propre territoire que dans le Sud-Liban, ce dernier ayant tiré des milliers de roquettes et drones-suicides, forçant l’évacuation massive de localités israéliennes. En mer Rouge encore, les Houthis ciblent des navires qu’ils estiment affiliés à Israël et tentent de contrôler les flux maritimes. À l’est enfin, Israël voit l’Iran enfin répliquer par la force armée aux attaques israéliennes sur son territoire, à l’image de l’attaque de drones iraniens dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, après les frappes israéliennes du 1er avril sur le consulat iranien de Damas (côté iranien, l’opération est appelée « Promesse honnête », va’deh-yé sâdeq en persan).

Sur le plan interne encore, ces crises et conflits attisent des tensions sociopolitiques déjà lourdes, mêlant contestations du gouvernement Netanyahou, interrogation sur ses objectifs stratégiques réels (récupération des Israéliens détenus par le Hamas ou destruction de ce dernier ?) et critiques de la réforme institutionnelle lancée par ledit gouvernement pour réduire les pouvoirs de contrôle de la Cour suprême. Du fait de ce projet de réforme, c’est non seulement une fracture de la société et de la cohésion nationale qui est engendrée, mais plus concrètement un risque pour la solidité de l’armée israélienne : des milliers de réservistes, notamment dans l’armée de l’air et dans les unités cybernétiques, menacent de ne plus servir. Par ailleurs, la mobilisation massive de plus de 360 000 réservistes — une première depuis la guerre du Kippour, un demi-siècle plus tôt — pressurise l’économie israélienne, qui a vu son PIB reculer de 20 % au quatrième trimestre 2023, sans évoquer la baisse drastique des investissements étrangers.

État de la défense israélienne : un appareil militaire sous pression

Depuis le 7 octobre 2023, la défense israélienne est mise à rude épreuve, contrainte de multiplier les fronts et les opérations. D’inattendues vulnérabilités sont apparues dans son système de sécurité, imposant une réévaluation stratégique, tant la pression continue sur plusieurs fronts : à Gaza et en Cisjordanie, mais aussi en Iran et au Liban. Le budget israélien de défense, l’un des plus élevés au monde avec environ 30 milliards de dollars en 2024 (soit environ 5 % de son PIB), a été rehaussé pour financer l’effort de guerre. C’est une augmentation de quasiment 50 % (environ 55 milliards de shekels, soit 14 milliards de dollars) qui a été décidée en 2024, sans compter 14 autres milliards de dollars d’aide américaine comportant entre autres des livraisons accélérées de munitions et de systèmes d’interception. Malgré ce budget de guerre, c’est environ 250 millions de dollars qui sont quotidiennement consommés par Israël pour ce conflit, éreintant encore plus son économie déjà fragilisée par le ralentissement de sa croissance et la baisse des investissements directs étrangers. L’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant avait d’ailleurs évoqué que le prolongement de la guerre pourrait nécessiter des coupes budgétaires supplémentaires.

L’armée israélienne est par ailleurs autant mobilisée qu’elle subit une tension croissante. Tsahal dispose d’environ 169 500 soldats actifs et 465 000 réservistes, en faisant donc l’une des armées les plus militarisées du monde par rapport à sa population. Après l’attaque du Hamas, Israël a déployé près de 360 000 de ses réservistes, une mobilisation record ajoutant à la pression économique et sociale du pays. Après plus d’un an et demi de conflit enfin, la fatigue morale et physique se fait sentir chez les troupes israéliennes, particulièrement chez les unités sur le front, alors que les délais de rotation sont allongés, réduisant d’autant plus leur moral et leur efficacité opérationnelle. Le Dôme de fer, système israélien de défense antimissile ayant intercepté plus de 90 % des roquettes tirées depuis Gaza, a également été continuellement sollicité par l’intensité des attaques. Face aux frappes avérées et aux menaces balistiques grandissantes, Israël a également déployé la Fronde de David (système d’interception de missiles et roquettes, élaboré en partenariat avec l’entreprise américaine Raytheon) pour intercepter des missiles de plus longue portée, à laquelle se rajoute le système Arrow 3 contre les missiles balistiques iraniens, parachevant sa défense aérienne multicouches. 

La réponse iranienne des 13 et 14 avril 2024, plutôt que de démontrer les capacités d’interception israéliennes, en expose plutôt les carences : avec une sommation iranienne de 48 heures avant l’attaque, l’annulation de tous les vols civils dans l’espace aérien israélien, l’assistance armée des États-Unis, de la France, de la Jordanie et du Royaume-Uni, « seulement » 90 % des drones et missiles ont été interceptés. Les 300 drones et missiles tirés par l’Iran à ce moment ne représentent qu’une partie minime de tout son arsenal, qui pourrait donc lourdement percer la défense israélienne en cas d’attaque massive sans sommation. L’industrie militaire israélienne est par ailleurs au cœur de l’effort de guerre, l’État hébreu étant un acteur incontournable en matière d’armement, avec des entreprises comme Elbit Systems, Israel Aerospace Industries et Rafael, ces dernières ayant augmenté leur production pour répondre à la demande. Cependant, les stocks de certaines munitions — notamment les obus de 155 mm et les missiles intercepteurs — s’amenuisent, aggravant la dépendance aux livraisons américaines et européennes. Si Tsahal reste technologiquement très avancé et possède des alliés occidentaux de poids, l’usure prolongée de son appareil militaire et les multiples fronts ouverts posent avec acuité la question de sa capacité à tenir un conflit de longue durée.

Forces de la défense israélienne : atouts stratégiques et militaires

Tsahal dispose d’indéniables atouts militaires et stratégiques lui permettant de maintenir une haute capacité opérationnelle, malgré le lourd conflit dans lequel il évolue. Son adaptabilité tactique, sa supériorité technologique, le soutien occidental, son renseignement avancé et sa réactivité militaire restent au cœur de sa puissance. Il possède un écosystème de défense en faisant l’une des armées les plus technologiquement avancées au monde, avec une combinaison d’armements de pointe, de cybercapacités (avec son Unité 8200 pour la cyberdéfense et la guerre électronique, qualifiée par Peter Roberts, chercheur au Royal United Services Institute de « meilleure agence de renseignement technique au monde, qui se situe au même niveau que la NSA à tout point de vue, sauf l’échelle ») et de systèmes de surveillance. Israël est usuellement considéré comme faisant partie des trois premières puissances mondiales en cybersécurité, avec la Chine et les États-Unis. Il peut ainsi neutraliser les communications adverses, infiltrer les réseaux ennemis et intercepter des données sensibles. L’objectif qu’il s’est fixé est de compenser sa faible profondeur stratégique (lié à son territoire restreint) par une haute capacité de renseignement et d’anticipation, en théorie. Ses moyens technologiques (SIGINT, écoutes, satellites d’observation Ofek) et son réseau d’espionnage lui octroient des informations capitales sur ses adversaires réels et potentiels. C’est avec de telles capacités de renseignement qu’Israël a pu mener des assassinats de hauts dirigeants du Hamas en 2024, à l’image de Saleh al-Arouri [le 2 janvier] à Beyrouth, Ismaël Haniyeh [le 31 juillet] à Téhéran ou encore Hassan Nasrallah [le 27 septembre], figure historique du Hezbollah libanais, à Beyrouth également.

Pour encore compenser son manque de profondeur stratégique, Tel Aviv peut compter sur la capacité de réaction quasi-immédiate de son armée et de sa réserve (après le 7 octobre 2023, il faut 48 heures pour mobiliser près de 300 000 réservistes) et sur le soutien des États-Unis. Avec le U.S.-Israel Memorandum of Understanding on Security Assistance du 14 septembre 2016, ce sont 38 milliards de dollars qui sont fournis sous forme d’aide militaire pour la période 2019-2028. Outre l’approvisionnement en munitions (obus de 155 mm, missiles pour son Dôme de fer notamment), Israël est entre autres le seul État du Moyen-Orient à posséder des chasseurs F-35 et peut compter sur des centaines de tonnes de matériel militaire expédiés par les États-Unis depuis le 7-Octobre, sans oublier le déploiement de leurs porte-avions en Méditerranée et autour du détroit de Bab el-Mandeb. En ajoutant à cela son expérience accrue des guerres conventionnelles ou non (avec plus de dix conflits majeurs depuis 1948), Tsahal sait combattre sur plusieurs fronts à la fois et en environnement urbain (l’armée israélienne a immédiatement développé des unités spécialisées en guerre souterraine et de nouveaux capteurs pour contrer les tunnels du Hamas). Sa capacité d’adaptation et sa doctrine militaire fournie restent des atouts majeurs en sa faveur.

Faiblesses et vulnérabilités israéliennes : les limites d’un modèle éprouvé

L’armée israélienne, bien que connue et reconnue pour son efficacité opérationnelle et sa technologie avancée, fait face à nombre de vulnérabilités et défaillances, menaçant son efficacité dans un conflit de longue durée. Ces faiblesses peuvent engendrer, outre un affaiblissement de la défense israélienne, un profond risque stratégique. La mobilisation prolongée des réservistes depuis octobre 2023 provoque un épuisement physique et psychologique, auquel se couple un plus que fragile équilibre social. Les crises politiques à répétition, les manifestations de masse, les tensions internes et critiques du modus operandi de Benyamin Netanyahou ainsi que la réforme judiciaire renforcent un sentiment de fracture sociale. 

Outre l’épuisement des soldats et l’érosion de la cohésion nationale, se fait jour une réelle tension sur les stocks de missiles et de munitions guidées, suite aux frappes prolongées sur Gaza et le Sud-Liban. Les difficultés d’approvisionnement rencontrées concernant ces munitions essentielles pour le combat en milieu urbain constituent un facteur pouvant compromettre les futures opérations israéliennes. L’aide américaine envers Israël, à hauteur de 3,8 milliards de dollars, ne semble pas être pour le moment dans le viseur de Donald Trump et de sa politique récente de reconfiguration de l’échiquier international (coupes drastiques de l’aide à l’Ukraine, lourde incitation envers les membres de l’OTAN à rehausser leur budget de défense, retour de la guerre commerciale avec la Chine, etc.). Cependant, des ajustements pourraient survenir à moyen et long terme, et un changement d’administration pourrait avoir un impact si le conflit venait à s’enliser. L’aide militaire américaine constitue donc un facteur stratégique majeur et Israël pourrait se trouver dans une situation vulnérable en cas de cessation ou de diminution de celle-ci. Enfin le conflit multi-fronts dans lequel se trouve Israël (Gaza, Liban, Iran, Yémen) distend ses capacités humaines et matérielles autant que sa faculté de réaction rapide et de stratégie d’ensemble. En cas de prolongation et d’élargissement du conflit, ce sont bien des limitations opérationnelles qui pourraient alors apparaitre, contraignant Israël à prioriser certains fronts.

Israël pourra-t-il tenir un conflit destiné à durer ?

La résilience d’Israël est mise à l’épreuve depuis le 7 octobre 2023. Tsahal démontre certes une puissance militaire redoutable, mais plus dans des conflits courts et intenses que dans des combats persistants aux nombreux épicentres. De sérieuses interrogations sur son endurance stratégique émergent à l’heure où Tel Aviv fait face à ce dilemme : comment maintenir une pression militaire constante tout en évitant l’essoufflement de ses ressources ? Ses bombes guidées JDAM et ses munitions d’artillerie commencent à s’épuiser, son système de défense Dôme de fer se base sur des missiles couteux, le prix unitaire oscillant entre 40 000 et 100 000 dollars et la mobilisation des réservistes et de la société civile s’étiole. Parallèlement, bien que la capacité industrielle israélienne soit avancée, elle ne permet pas une production rapide et en masse de tous les équipements sophistiqués utilisés, à l’image des avions de combat F-35 nécessitant des pièces produites seulement aux États-Unis. 

Cette guerre d’usure avantage en réalité les adversaires d’Israël, quand bien même ceux-ci ont pu connaitre des revers largement médiatisés par Tel Aviv, à l’image de l’assassinat de hauts dirigeants du Hamas et du Hezbollah. La guerre à Gaza s’éternise et le risque d’escalade avec le Liban et même l’Iran est un scénario plus que possible. Le Hamas maintient une capacité opérationnelle, alors qu’il était décrit comme éreinté après les premières représailles israéliennes fin 2023. L’incapacité de l’État hébreu à éradiquer le Hamas d’un point de vue matériel prélude d’autant plus au fait qu’il ne parviendra pas à vaincre le Hamas d’un point de vue moral et idéologique. Le Hezbollah libanais représente pour Israël une menace encore plus sérieuse, avec un arsenal estimé à plus de 150 000 roquettes et missiles, pouvant potentiellement saturer les systèmes de défense israéliens. Le Hezbollah est encore plus préparé que le Hamas à un conflit prolongé, du fait de ses ressources plus fournies, et une opération israélienne à son encontre serait bien plus couteuse pour Tel Aviv que la guerre en cours à Gaza. Enfin, une potentielle guerre directe et d’envergue avec l’Iran semble être un scénario catastrophe, les implications stratégiques et régionales étant difficilement discernables avec précision. 

Le plus grand danger pour Israël semble finalement être l’opinion publique. À l’international d’abord, les opérations israéliennes à Gaza sont régulièrement qualifiées de génocide, tant les actions à Gaza semblent disproportionnées et viser les populations civiles plus que des cibles militaires. La procédure engagée par l’Afrique du Sud contre Israël le 29 décembre 2023 devant la Cour internationale de Justice, cette première alléguant d’une violation par le second de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 (dont Israël est signataire) n’en est que l’illustration la plus saillante. À l’échelle nationale ensuite et surtout, la population israélienne semble chaque jour plus divisée sur la stratégie à mener et sur le soutien, ou non, à Benyamin Netanyahou. Or nombre de conflits récents démontrent à quel point l’opinion publique nationale détermine l’issue d’une guerre. Qu’il s’agisse de la France durant la guerre d’Algérie (1954-1962) ou des États-Unis au Vietnam (1955-1975) ou en Afghanistan (2001-2021), des États largement plus puissants que leurs cobelligérants ont été défaits. Non pas sur le champ de bataille, mais au sein de leurs propres sociétés, celles-ci s’opposant à des conflits perçus comme étant trop longs et couteux d’un point de vue humain et financier. Un tel scénario pourra alors s’imposer à Israël : on peut gagner une guerre stratégiquement, et la perdre politiquement.

Kevan Gafaïti (*)
Aereion 24

(*) Enseignant du département Middle East Studies (Sciences Po Paris) et chercheur du Centre Thucydide de l’Université Paris-Panthéon-Assas.

Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram

Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram

Sabotages, cryptomonnaie, agents dormants : comment la Russie utilise Telegram pour mener une guerre secrète sur le sol européen.

par Augustin Lormeau – armees.com – Publié le

Russie, saboteur, Telegram, cryptomonnaie, espion, europe, guerre hybride, recrutement
Quand la Russie recrute des saboteurs sur Telegram | Armees.com

Le 12 mars 2025, la nouvelle cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, s’est exprimée avec une clarté inhabituelle pour les cénacles bruxellois : les actions de la Russie — et de l’Iran — relèvent du « terrorisme d’État ». L’accusation, relayée par Politico Europe le 22 mai 2025, ne porte pas seulement sur l’invasion continue de l’Ukraine ou la désinformation systémique ; elle vise désormais une stratégie d’actions clandestines directement menées sur le territoire de l’Union européenne : cyberattaques, sabotages, recrutement d’agents dormants.

Telegram, canal de guerre secrète

Cette intensification de la guerre hybride menée par Moscou s’est traduite ces derniers mois par une recrudescence d’attaques contre les infrastructures critiques et les forces de soutien à l’Ukraine. La Lituanie, la Pologne, l’Allemagne et la République tchèque ont toutes identifié des réseaux d’agents recrutés en ligne, rémunérés en cryptomonnaie et chargés de missions simples : vandaliser, observer, transmettre.

L’un des cas les plus emblématiques a été révélé en mars 2024 en Pologne. Un ressortissant ukrainien vivant à Rzeszów a été arrêté alors qu’il filmait des convois militaires en direction de l’Ukraine et repérait des points sensibles sur le réseau ferroviaire. L’homme, recruté via un canal Telegram administré depuis l’étranger, recevait des instructions précises et éphémères : poser des traceurs GPS, filmer les entrées de dépôts d’armes, observer les rondes de sécurité. À chaque mission accomplie, une somme en cryptomonnaie était versée. Ce n’était pas un agent de carrière, mais un pion d’une guerre de basse intensité menée au cœur de l’UE. Son arrestation s’inscrit dans une série d’enquêtes menées par les services polonais, lettons et tchèques sur des réseaux de sabotage pro-russes.

Une guerre sans uniforme

Ce modus operandi s’appuie sur la désintermédiation des moyens de recrutement : plus besoin de contacts physiques ou de voyages suspects. Il suffit d’une messagerie chiffrée et d’un transfert en crypto pour activer un agent opérationnel sur le territoire européen. C’est ce que souligne encore l’article de Politico en évoquant la montée d’un activisme clandestin, télécommandé depuis Moscou, qui vise à semer la discorde et l’insécurité dans les sociétés européennes.

Face à cette offensive hybride, l’UE renforce sa coopération avec l’OTAN : déploiement de troupes sur le flanc Est, augmentation des budgets de cyberdéfense, adoption de sanctions économiques ciblées. Mais ces réponses, bien qu’indispensables, ne suffisent pas à inverser le rapport de force.

L’Europe en terrain miné

La reconnaissance par Bruxelles du « terrorisme d’État » pratiqué par la Russie constitue certes un tournant, mais elle appelle à une riposte à la hauteur : coordination du renseignement, protection des systèmes d’information, lutte contre la propagande, traque des circuits de financement clandestins.

À l’heure où les démocraties sont ciblées non pas pour ce qu’elles font, mais pour ce qu’elles sont, une stratégie purement défensive ne suffit plus. Comme le notait déjà Politico dans un précédent article de mars 2024, « l’Europe est entrée dans l’ère du sabotage invisible ». Elle doit désormais choisir comment elle veut répondre à ces agressions.

Quelle matérialité de la désinformation ?

Quelle matérialité de la désinformation ?

Par Samuel Henry* – Diploweb – publié le 18 mai 2025 

https://www.diploweb.com/Quelle-materialite-de-la-desinformation.html


*Samuel Henry s’exprime en son nom propre. Samuel Henry est officier de l’armée de Terre, actuellement stagiaire à l’Ecole de Guerre (Paris). L’an passé, il a soutenu une thèse sur les biais cognitifs dans la planification militaire. Il explore depuis plusieurs années nos mécaniques cognitives et leurs effets dans la prise de décision et dans le domaine des manipulations de l’information.

La diffusion de faux contenus n’est plus anodine, tant par son caractère massif, que par les effets induits sur les opinions publiques et sur la vie de nos démocraties. Le terme « désinformation » fait désormais florès pour désigner ce phénomène accéléré par l’usage immodéré des réseaux sociaux. Si la désinformation agit d’abord sur nos croyances et dans un cadre virtuel, sa propagation peut avoir des effets réels dans le monde matériel. C’est de cette matérialité de la désinformation qu’il est question.

Documenté et pédagogue, Samuel Henry offre des clés pour comprendre un sujet majeur.

FRANCE, le 2 octobre 2023. « Punaises de lit. PERSONA NON GRATA. » titre le journal Libération. La recrudescence de punaises de lit devient un sujet public. Dans l’espace privé, de nombreuses personnes croient voir leur logement infesté. Certains individus en perdent momentanément le sommeil. Le sujet devient un enjeu politique : un projet de loi est envisagé. L’invasion virtuelle a des effets réels. Pourtant, hormis quelques vidéos qui font le buzz sur les réseaux sociaux, la prétendue invasion de punaises de lit est loin d’être prouvée.

Quelle matérialité de la désinformation ?
Illustration 1 – La Une de Libération, le 2 octobre 2023. La matérialité des punaises de lit.
Copyright Libération, 2023

Cinq mois plus tard, au début du mois de mars 2024, les responsables politiques français dénoncent officiellement ce qui s’est avéré être une manœuvre de désinformation « artificiellement amplifiée sur les réseaux sociaux par des comptes dont il a été établi qu’ils sont d’inspiration ou d’origine russe [1] ». La Russie, adversaire de la France sur le plan informationnel, s’est contentée de prendre le train de nos peurs en marche, afin d’amplifier une mauvaise rumeur. Et ça marche !

La désinformation surfe sur des peurs virtuelles, mais ses effets dans la sphère politique et privé sont bien réels. L’illusion des punaises de lits illustre un problème concret. Alors que la désinformation agit d’abord sur nos esprits et concerne la diffusion de faux contenu, la notion de matérialité a une double acception : matériel (au sens de concret) et vérifiable. Evoquer la matérialité de la désinformation convoque un double paradoxe. D’une part, c’est opposer l’immatériel des contenus de l’information aux effets concrets de nos choix. D’autre part, c’est affirmer l’idée d’effets vérifiables à ce déluge de contenus non-vérifiés.

Comment la matérialité de la désinformation nous renseigne sur la lutte à mener ?

Si la désinformation est de prime abord une matière qui échappe et qui semble floue ou immatérielle (I), ses effets concrets sont cependant bien réels (II). Dès lors, anticiper la matérialité de la désinformation semble être une clé judicieuse pour mieux lutter contre les manipulations de l’information (III).

I. La désinformation : une matière qui échappe

Une matière galvaudée

La désinformation est un terme que personne n’entend de la même oreille. Selon l’acception que l’on retient, elle peut soit être confondue avec l’onomatopée « fake news [2] » de Donald Trump, ou, plus sérieusement être définie comme une « diffusion volontaire et intentionnelle d’une fausse information en sachant qu’elle est fausse  ». Toujours est-il que cette définition demeure assez peu connue du grand public. L’usage du terme désinformation est suffisamment galvaudé pour qu’il puisse aussi bien englober les fausses nouvelles diffusées sciemment que les accusations péremptoires utilisées pour discréditer un adversaire politique. Bien souvent, le fait de qualifier dans un débat public un fait ou une information comme de la « désinformation » permet de censurer facilement n’importe quel contradicteur. Tout l’enjeu de la sensibilisation à la désinformation consiste donc à repositionner la véracité des faits sans s’ériger en arbitre subjectif. Plusieurs versions des faits peuvent parfois cohabiter. Elles peuvent alors donner lieu à des vérités sélectionnées ; c’est-à-dire des faits qui ne sont pas faux en eux-mêmes, mais dont l’évocation sélective oriente les perceptions. Il s’agit là encore d’une logique de manipulation des perceptions, sans que les faits en eux-mêmes ne soient strictement réfutables. C’est pourquoi, pour lutter contre la désinformation, s’attaquer strictement au contenu n’est pas toujours la solution.

Pour lutter, étudier la propagation plutôt que la vérité matérielle

Chez les Britanniques, l’ « information warfare » est aussi appelée « political warfare ». Se faire l’arbitre du vrai confine à l’action politique. C’est pourquoi, en France, l’agence VIGINUM, responsable depuis 2021 de la détection des manœuvres informationnelles de nos adversaires, caractérise les manœuvres informationnelles plutôt que les contenus. En démocratie, une agence gouvernementale responsable de lutter contre la désinformation ne peut pas être l’arbitre du vrai. En revanche, sans préjuger de la véracité des contenus, il est possible de caractériser l’amplification artificielle d’un contenu sur les réseaux sociaux. Ce genre d’action – une manœuvre inauthentique coordonnée – atteste d’une volonté de nuire de la part de nos adversaires et permet de les exposer. Le mensonge se caractérise donc par le mode de propagation, plutôt que par la matière du contenu. Même la lutte contre la désinformation consiste à étudier la mécanique de propagation plutôt que la matière !

Illustration 2 – L’ouvrage « Warfare by words » (Penguin, 1942).
Son auteur, Ivor Thomas explique très bien le caractère politique de l’information warfare.

Affaiblir la démocratie et faire advenir la post-vérité

L’important n’est plus la véracité du message, mais d’exposer le plus souvent possible la cible à votre message d’influence. D’abord faire naître le doute, puis imposer votre récit par une diffusion massive, afin de remporter la partie. L’inversion accusatoire (« whataboutism » en anglais) illustre parfaitement cette « diffusion du doute ». Ainsi, nos adversaires sont particulièrement performants pour dresser des « accusations en miroir », ou plus prosaïquement, une stratégie du «  C’est celui qui dit qui y est.  » La Russie est accusée d’attaquer un pays souverain en violation de l’ordre international ? Il lui suffit d’accuser en retour. Expliquer que l’OTAN s’est montré agressive. Expliquer que les Ukrainiens sont des « nazis ». Expliquer que les droits des peuples du Donbass sont violés depuis plusieurs années. La multiplication de ces accusations dilue l’accusation initiale dans un océan de vérités alternatives. L’effet final est de lasser le public, de défaire son rapport à la vérité, avant de défaire les cœurs et les esprits.

 
Illustration 3 – Sempé. L’inversion accusatoire : une stratégie aussi puérile qu’efficace

« L’agent d’influence n’est jamais pour, toujours contre, sans autre but que de donner du jeu, du mou, tout décoller, dénouer, défaire, déverrouiller. » explique un agent soviétique dans le roman « Le montage  » (Vladimir Volkoff, éd. Julliard – L’Age d’homme, 1982). Cette technique d’influence est appelée « technique du fil de fer ». Ce fil de fer, c’est notre rapport à la vérité. A force de le tordre, l’avalanche de désinformation finit par le casser. « Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais celui pour qui les distinctions entre fait et fiction et entre vrai et faux n’existent plus . » écrivait Hannah Arendt. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’ère de la post-vérité  : un monde où la distinction entre le vrai et le faux n’importent plus, tant le flux est assourdissant. Inonder la zone de merde (« Flood the zone with shit ») préconisait Steve Bannon. Il s’agit d’inonder l’auditoire de « fake news » afin de susciter la confusion et de lasser les journalistes et les communautés de « fact-checking ». La diffusion massive de contenus de désinformation pourrait faire advenir ce monde-là – et ses effets seraient matériels.

II. Des effets souvent immatériels mais toujours réels

Une action réelle sur le domaine virtuel de nos croyances et de nos représentations

Les actions de désinformation agissent d’abord sur un espace virtuel, celui de nos cadres de représentation et de nos croyances. Chez les héritiers des Soviétiques, ce genre d’action est appelé mesures actives, depuis l’époque de la Tcheka (1917-1922). Les mesures actives [3] sont des actions informationnelles qui ont pour objet de faire évoluer la vision d’un auditoire sur un sujet. L’addition de ces manœuvres permet in fine de faire évoluer le cadre de croyance. Un dicton du KGB illustre ce principe : « La goutte d’eau creuse la pierre, non par la force, mais en tombant souvent. ». Cette récurrence est appelée « bruit de fond » dans le domaine de la lutte informationnelle. Un peu à la manière d’une contrebasse ou d’un piano dans un orchestre de jazz, le bruit de fond permet d’assurer la permanence du rythme de la manœuvre d’influence.

L’effet du bruit de fond est démontré en psychologie sociale, depuis 1968 par Robert Zajonc [4]. « L’effet de simple exposition », tel que ce chercheur en psychologie sociale le baptise, est la tendance que nous avons à évaluer plus favorablement des informations familières, quels que soient la signification ou le crédit que nous accordons à ces informations. Le bruit de fond de la désinformation devient persistant par un autre effet documenté : l’effet d’influence continu. Les premières recherches sur l’effet d’influence continue datent de 1994 grâce à Hollyn Johnson et Colleen Seifert [5]. Leurs expériences démontrent qu’une information démentie et désormais tenue pour fausse par une audience, continue à guider inconsciemment le raisonnement d’une partie de l’audience, comme s’il n’y avait jamais eu de démenti. Comme le disait le philosophe Francis Bacon, « Calomniez ! Calomniez ! Il en restera toujours quelque chose » dans l’esprit de l’auditoire.

L’effet final : priver de la souveraineté, sans que le territoire ne soit pris

Le pouvoir de l’influence n’est pas nouveau. Le stratège Sun-Tzu (IV e siècle avant J-C) expliquait : « Soumettre l’ennemi sans ensanglanter la lame, voilà le fin du fin. ». Les ressources de l’influence permettent d’envisager cette soumission, ou plutôt la démission de l’adversaire. Comme l’a affirmé le général russe Valeri Guerassimov (1955 – ) « Les ressources de l’information permettent de priver l’adversaire de sa souveraineté sans que le territoire ennemi ne soit pris. ». C’est une nouvelle forme de stratégie indirecte, consistant à « gagner la bataille avant de l’engager » pour reprendre les mots de Sun Tzu. Avec Donald Trump au pouvoir, les mesures de contrôle réflexif déployées par la Russie semblent porter leurs fruits. Les Etats-Unis, le principal compétiteur de la Russie, sont désormais dirigés par un homme qui a fait l’objet de mesures actives des services russes, et qui laisse dire que l’Ukraine a provoqué l’invasion russe sur son sol et est responsable du conflit, en laissant élire le « dictateur » Zelensky à sa tête [6].

« Une bataille perdue, c’est une bataille qu’on croit perdue. » L’adage du maréchal de Saxe (1696-1750) n’a pas vieilli. Les contenus de désinformation peuvent littéralement défaire nos sociétés lorsqu’ils échappent à notre discernement, mais ils peuvent aussi, au contraire, susciter une envie de « faire bloc », une envie de demeurer souverains. Pour ce faire, la désinformation doit être combattue avant que ses effets ne se matérialisent.

Lorsque c’est matériel, c’est souvent trop tard

Lorsque la désinformation se matérialise, il est souvent trop tard. Si la population ne trouve plus le sommeil, c’est que l’hypothèse des punaises de lit est complètement ancrée dans les esprits. Si la population refuse de se faire vacciner, c’est que le scepticisme anti-vax triomphe. Si, comme en Roumanie en 2024, la population se choisit un candidat populiste, qui passe de 1% d’intentions de vote à la majorité des suffrages en six semaines, c’est que la rationalité démocratique est vaincue. Après avoir renforcé les peurs, après avoir altéré les croyances, après avoir convaincu les individus d’agir, la désinformation finit par se concrétiser au travers de conséquences matérielles : des insomnies, la recrudescence d’une épidémie ou encore un résultat électoral populiste. La matérialisation n’est que l’ultime effet de la désinformation. Lorsqu’elle advient, c’est qu’il est souvent trop tard pour agir. L’annulation de l’élection de Calin Georgescu en Roumanie au motif d’interférences étrangères dans la campagne a permis à l’intéressé de dénoncer un « déni de démocratie ». Et d’ouvrir un boulevard pour le candidat d’extrême droite qui se présente à sa suite.

Aux Etats-Unis, lorsque la foule donne l’assaut sur le Capitole (6 janvier 2021), il est trop tard pour agir contre les rumeurs et les fausses nouvelles. Dans l’échelle de viralité (« breakout scale ») construite par Ben Nimmo [7] pour évaluer la dangerosité des faux contenus, la matérialisation par l’action violente est d’ailleurs l’ultime degré de viralité auquel un contenu peut prétendre. L’échelle se divise en six « paliers de viralité » :

1. Une plateforme, pas de propagation.

2. Deux plateformes pas de propagation ou une plateforme et début de propagation.

3. Plusieurs plateformes, propagation.

4. Reprise médiatique.

5. Amplification par une personnalité publique.

6. Réponse politique ou Appel à la violence.

Illustration 4 – L’échelle de viralité de Ben Nimmo, toujours utilisée pour caractériser la manœuvre adverse

La matérialité est le signe d’un contenu de désinformation qui triomphe. On ne peut que souhaiter que la désinformation reste en deçà du stade 6, aux stades des rumeurs. Finalement, anticiper la matérialité des contenus de désinformation, permet de mieux limiter leurs effets.

 
Illustration 5 – États-Unis, 6 janvier 2021. L’assaut sur le capitole : illustration de la matérialité de la désinformation, stade ultime de propagation

III. Anticiper la matérialité

Ouvrir les yeux avant la matérialisation

C’est pourquoi il est essentiel d’ouvrir les yeux avant la matérialisation. « On ne combat pas un incendie les yeux fermés », entendait-on aux prémices du Covid pour justifier le besoin de tests de dépistage. Il en va de même pour les contenus de désinformation. Ils doivent être détectés et exposés dès qu’ils atteignent un certain seuil de viralité. C’est le travail essentiel que réalisent les équipes de VIGINUM. 
Pourtant, en dépit de nos capacités d’analyse, certaines données demeurent encore invisibles à nos yeux. Il est par exemple impossible d’estimer le volume et la proportion des contenus produits par intelligence artificielle que nous rencontrons au quotidien. De même, il est encore impossible de connaître avec exactitude le fonctionnement de l’algorithme de recommandation des plateformes. Ce sont donc les règles invisibles des algorithmes qui déterminent ce qui nous est donné à voir et à ne pas voir. Sur ces questions, il paraît essentiel de légiférer pour ne plus être aveugles. [8]

Ou plutôt pour ne plus être borgne, car il y a malgré tout des phénomènes qui sont observés et documentés en détail. Ainsi, 70% des contenus visionnés sur YouTube sont directement suggérés par l’algorithme de recommandation [9]. Par ailleurs, une fausse nouvelle se répand six fois plus vite et plus profondément qu’une information classique [10]. Sans surprise, nous sommes plutôt enclins à écouter l’arbre qui tombe, plutôt que la forêt qui pousse [11] ; les contenus construits pour devenir viraux sont souvent empreints de négativité. Ils se répandent ainsi plus facilement, dopés par la peur, la colère ou l’indignation qu’ils suscitent chez les utilisateurs. Enfin, une récente étude a également démontré que la représentation politique du monde que vous forgez sur X n’est en rien conforme à la réalité [12].

Reconnaître la réalité, sans attendre la matérialité

L’enjeu de la désinformation consiste finalement à reconnaître sa réalité, sans attendre d’observer sa matérialité. Un peu comme certains déclaraient « ne pas croire au Covid », il se trouve encore des individus qui « ne croient pas à la désinformation ». Ce déni est très pratique car il déresponsabilise. Une enquête de 2019 avait d’ailleurs souligné que ce refus de croire aux effets matériels avaient des conséquences sur la propagation des contenus. Ainsi la population de plus de soixante-cinq ans relaie davantage les faux contenus [13], car elle envisage moins les effets réels de la propagation de ces contenus. C’est l’illusion qu’un mauvais contenu peut rester une « bonne blague ».

Le cauchemar de Saint-Exupéry

De fait, il est difficile de croire que notre clic peut finir par influencer une mécanique électorale. Il est aussi difficile de croire que notre simple bulletin peut décider du sort d’une élection, pourtant nous votons. Nous reconnaissons l’incidence infinitésimale de ce geste. Nous gagnerions sans doute alors à comprendre que, lorsque nous facilitons la diffusion d’un contenu, nous votons. Puisque ce vote peut avoir de l’effet, il est opportun de s’interroger  : « Qu’attend-t-on de moi ? » . Telle est la question pertinente, plutôt que « Suis-je d’accord ? ». Si chaque utilisateur effectuait ce questionnement, la propagation des contenus serait vraisemblablement plus rationnelle et moins manipulable. D’autant que les statistiques des réseaux sociaux (metrics) permettent de sonder une population en temps réel sur ses opinions. En réagissant à chaud sur les réseaux sociaux, nous autorisons leurs propriétaires à nous sonder et à nous influencer en direct, sans jamais avoir ouvertement consenti à une telle situation. C’est un vote inconscient mais permanent que nous effectuons. L’analyse de nos données permet de cataloguer la population en un vivier influençable. Antoine de Saint-Exupéry affirmait qu’une « industrie basée sur le profit tend à créer – par l’éducation – des hommes pour le chewing-gum et non du chewing-gum pour les hommes ». L’écrivain rêvait de demeurer dans un monde où on fait du chewing-gum pour les hommes. Las ! Moins d’un siècle plus tard, l’exploitation systématique et semi-consentie des données de navigation accouche d’un monde où l’on utilise les hommes pour leurs cookies. Nous vivons en quelque sorte le cauchemar de Saint-Exupéry.

La réalité incontournable, finalement, est que la désinformation est devenue le premier sujet de préoccupation stratégique [14]. Le premier terrain que laboure la désinformation est celui de nos croyances, de nos peurs et de nos représentations. Un domaine immatériel, mais bien réel. L’un des enjeux de la lutte contre les manipulations de l’information est de reconnaître ce fléau réel, pour le combattre et le contrer, avant qu’il ne se matérialise. C’est pourquoi il est primordial d’ouvrir les yeux, d’exiger l’accès aux données, de continuer à détecter les actions informationnelles adverses et d’exposer celle qui le méritent. Ce combat, le citoyen ne le mène pas seul. Il peut exiger que la législation soit plus dure envers les plateformes. Exigeons que le consentement à l’utilisation de nos données par les plateformes soit explicitement sollicité. Exigeons la transparence sur le fonctionnement des algorithmes de recommandations. Exigeons des possibilités de paramétrages dans la vitesse de navigation ou dans les modalités d’affichages des statistiques. Exigeons davantage de taxes, qui viendraient financer des médias de confiance. Aujourd’hui, chaque utilisateur délègue aux plateformes le choix éditorial des contenus qui lui est proposé. Nous sommes arrivés à cet état de fait parce que nous n’avions pas réfléchi aux effets induits, à leur matérialité. Il est temps de reconnaître la réalité des effets sur nos démocraties. Il est temps de mieux analyser, mieux légiférer et mieux propager.

Copyright Mai 2025-Henry/Diploweb.com


Plus

. Edward Bernays, « Propaganda », H. Liveright, 1928.

. Stephen Brill, « The death of truth », Knopf, 2024.

. Gérald Bronner, « Apocalypse cognitive », PUF, 2021.

. David Colon, « La guerre de l’information », Tallandier, 2023.

. Giuliano Da Empoli, « Les ingénieurs du chaos », Jean-Claude Lattès, 2019.

. Christine Dugoin-Clément, « Influence et manipulations », VA Editions, 2021.

. Christine Dugoin-Clément, « Géopolitique de l’ingérence russe. La stratégie du chaos », PUF, 2025.

. Jean-Noël Kapferer, « Rumeurs », Seuil, 1987.

. Bruno Patino, « La civilisation du poisson rouge », Grasset, 2019.

. Ivor Thomas, « Warfare by words », Penguin, 1942.

. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorcia, Marine Guillaume, Janina Herrera, « Les manipulations de l’information, un défi pour nos démocratie »s, Carnets du CAPS, 2018.

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Cyberguerre et IA : l’armée française est-elle prête pour les conflits du futur ?

Cyberguerre et IA : l’armée française est-elle prête pour les conflits du futur ?

Armées brouillées, infrastructures paralysées, communications falsifiées : l’intelligence artificielle redéfinit la guerre. L’armée française est-elle capable de suivre le rythme ?

par Jean-Baptiste Giraud – armees.com – publié le

cyberguerre
Cyberguerre et IA : l’armée française est-elle prête pour les conflits du futur ? | Armees.com

Depuis décembre 2024, avec la publication du 2025 Armis Cyberwarfare Report, la guerre numérique, ou cyberguerre, s’est imposée comme une réalité opérationnelle. Les chiffres sont sans appel : 87 % des responsables IT dans le monde considèrent que leur organisation est exposée à des cyberattaques d’ampleur, souvent d’origine étatique. En France, les militaires font face à un défi inédit : basculer dans une doctrine de cyberguerre alimentée par l’intelligence artificielle, tout en composant avec des infrastructures fragmentées, un déficit de talents spécialisés et une course technologique déjà lancée ailleurs.

L’IA, catalyseur des nouvelles doctrines d’engagement militaire

L’intelligence artificielle transforme en profondeur les opérations militaires. Dans le rapport Armis, les capacités d’attaque recensées font froid dans le dos : « logiciels malveillants autonomes, ingénierie sociale par IA, recommandations d’objectifs exploitables, reconnaissance automatisée de failles, désinformation massive par deepfakes ». Désormais, une IA peut identifier une vulnérabilité dans un système de défense, la transmettre à un module de frappe, neutraliser la cible en quelques secondes — sans action humaine.

L’offensive se fait invisible, rapide, globale. Des groupes affiliés à des États comme la Russie, la Chine ou la Corée du Nord exploitent déjà des IA pour attaquer les réseaux électriques, perturber les chaînes logistiques militaires ou espionner les communications chiffrées. La menace n’est pas future.

Les forces armées françaises face à la cyberguerre

L’armée française a entamé sa transition vers le combat numérique. Le Commandement de la cyberdéfense (Comcyber), créé en 2017, monte en puissance. Des partenariats ont été noués avec l’Agence de l’innovation de défense (AID) pour développer des outils d’anticipation algorithmique, des contre-mesures autonomes et des systèmes de guerre cognitive.

Mais cette mutation est entravée par plusieurs obstacles :

  • Déficit de spécialistes : la France manque d’ingénieurs en cybersécurité et IA capables d’intégrer des systèmes complexes dans un cadre militaire. En 2025, moins de 2 000 personnels sont mobilisés dans la cyberdéfense militaire, un chiffre jugé « insuffisant » par le Sénat (rapport n° 626, juillet 2024).
  • Infrastructures vieillissantes : nombre de systèmes de commandement reposent encore sur des architectures non sécurisées ou non conçues pour l’IA.
  • Budget contraint : sur les 413 milliards d’euros prévus par la Loi de programmation militaire 2024-2030, seuls 4 milliards sont fléchés vers la cyberdéfense, IA comprise. Le rapport Armis note que « 49 % des organisations ne disposent pas des moyens nécessaires pour investir dans des solutions d’IA défensives ».

Pendant ce temps, les adversaires s’organisent. La Chine déploie déjà des systèmes d’analyse en temps réel alimentés par de l’IA pour suivre les mouvements logistiques adverses. La Russie expérimente des brouilleurs autonomes qui désactivent les communications radio dès qu’un signal militaire est détecté.

Des armes nouvelles, des menaces hybrides

La guerre de demain ne se joue pas uniquement dans le cyberespace. L’IA est désormais intégrée dans les systèmes d’armes classiques :

  • Drones autonomes tactiques : ils sont capables d’évaluer un terrain, d’identifier une cible et de frapper sans validation humaine immédiate. L’armée de terre française expérimente ce type de système via le programme COLIBRI.
  • Systèmes anti-drone automatisés : ils mobilisent l’IA pour identifier des menaces dans le spectre électromagnétique et les neutraliser. Le dispositif PARADE, développé avec Thales, en est un exemple.
  • Simulation et guerre cognitive : l’IA est utilisée pour simuler des comportements adverses, manipuler l’information, créer de faux ordres de mission ou de fausses voix de commandement. Les militaires français s’y préparent, mais les capacités restent limitées.

Selon Armis, « 75 % des responsables estiment que les institutions symboles de la pensée libre, comme la presse ou l’armée, seront de plus en plus ciblées par les cyberattaques à visée de déstabilisation ». Le risque est bien là : paralyser les systèmes, semer la confusion, provoquer l’erreur humaine. Et cela, sans tirer un seul coup de feu.

L’impératif stratégique : anticiper, mutualiser, dominer

Pour que la France reste souveraine sur le théâtre cyber-militaire, trois leviers apparaissent :

1. Structurer une doctrine de cyberguerre à part entière
Il est urgent d’intégrer la cyberguerre comme composante à part entière des engagements extérieurs, au même titre que l’aérien, le terrestre ou le naval. Aujourd’hui, cette doctrine est en gestation mais encore floue.

2. Créer une filière IA de défense stratégique
Cela suppose de recruter, former, fidéliser des experts en IA appliquée à la défense. Mais aussi de sécuriser les données d’entraînement, les modèles, les infrastructures de calcul. Une IA militaire n’est efficace que si elle repose sur un écosystème souverain.

3. Intensifier la coopération interalliée
À l’échelle européenne, le partage d’outils d’IA, de systèmes de veille et de protocoles d’intervention est encore embryonnaire. Pourtant, la menace est commune, et les systèmes sont souvent interconnectés. Un pacte cyber-défensif doit être pensé, au sein de l’UE comme de l’OTAN.

Dans le domaine militaire, l’inaction coûte cher. L’intelligence artificielle ne fait qu’accélérer un processus déjà en cours : la guerre moderne se numérise, se décentralise, s’automatise. L’armée française dispose de talents, d’une doctrine adaptable et d’une expérience opérationnelle reconnue. Mais elle affronte une course contre la montre.

L’ennemi, lui, n’attend pas. Il infiltre déjà nos réseaux, cartographie nos faiblesses, programme ses frappes. Dans cette guerre, la victoire ne dépend plus seulement du courage ou de la stratégie. Elle dépend aussi… de lignes de code.

UE. Quel chemin pour conquérir notre autonomie stratégique numérique ? Trump un électrochoc salutaire !

UE. Quel chemin pour conquérir notre autonomie stratégique numérique ? Trump un électrochoc salutaire !

Par Arnaud Coustillere* – Diploweb – publié le 5 avril 2025 

https://www.diploweb.com/UE-Quel-chemin-pour-conquerir-notre-autonomie-strategique-numerique.html


*Vice-amiral d’escadre (2S) Arnaud Coustillière. Président du « Pôle d’Excellence Cyber »
CEO de Str@t Algo Conseil. Senior Advisor « Cyber & Digital ». Operating Partner “TIKEAU Capital”. Ancien COMCYBER 2011/17 et DGNUM 2017/20 au Ministère des Armées.

La route sera longue, mais l’électrochoc de la prise de pouvoir par le président Trump et de son écosystème a le mérite de nous montrer que le monde d’avant est terminé ; que celui de demain parait surtout marqué par l’incertitude, les rapports de force et les volontés de domination.

L’Europe est seule et doit reprendre en main son destin. Cela passe aussi et de façon très importante par la défense militaire, la puissance économique et le numérique qui irrigue aujourd’hui tous les pans de nos sociétés. Que chacun soit à la hauteur de ses responsabilités.

LA RECOMPOSITION géopolitique majeure qui s’opère actuellement autour du conflit en Ukraine nous démontre que l’autonomie stratégique numérique n’est plus simplement une ambition économique, mais une nécessité absolue pour l’indépendance et l’autonomie de décision de nos nations. Le monde dans lequel nous vivons est marqué par l’intensification des cyberattaques, l’ingérence étrangère et la dépendance technologique.

La France et l’Europe doivent prendre leur destin numérique en main, sous peine de s’installer définitivement dans une forme d’asservissement et de disparition progressive de leurs modèles de société. Imprégné de technologie, le sujet est aujourd’hui beaucoup plus sociétal et politique que technique. Il convient donc de le placer à ce niveau de décision et de gouvernance, celui de l’État et de notre représentation nationale et européenne, mais aussi des entreprises clientes du numérique. Ce n’est plus en premier lieu un sujet d’expert technique.

Depuis 2018 le thème de la souveraineté numérique est devenu « politique » du fait de nos dépendances à nos « partenaires-concurrents » que sont nos alliés américains et des enjeux autour de la captation des données ; chaque pays, chaque bloc, défendant de plus en plus ouvertement ses propres intérêts en utilisant le droit comme forme d’ingérence extraterritoriale.

UE. Quel chemin pour conquérir notre autonomie stratégique numérique ? Trump un électrochoc salutaire !
Arnaud Coustillière
Vice-amiral d’escadre (2S).

2018/2025 a été le temps de la prise de conscience et de la fin de la naïveté…… Mais que faire à présent ?

Nous étions partenaires, alliés mais concurrents, ce n’est pas nouveau, le président François Mitterrand le déclarait déjà ; nous nous retrouvions cependant autour de valeurs communes. La souveraineté numérique semblait davantage une affaire économique que géopolitique, bien que les problématiques des données, notamment personnelles et de santé, posaient question et étaient l’objet de tractations difficiles entre l’Europe et les États-Unis.

Heureusement de nombreuses initiatives nationales et européennes ont été lancées dès cette période, tant dans le cadre de France 2030, des actions de l’ANSSI, des certifications SecnumCloud ou encore EUCS, des clouds souverains et de confiance, de la Loi « SREN » visant à sécuriser et réguler l’espace numérique en France, du combat courageux de plusieurs députés et sénateurs, du réseau des Campus Cyber, des travaux du Cigref …

Elles sont restées dans une logique de coopération, souvent subie, avec les grands acteurs non européens, sans oser en repenser le modèle relationnel, car il y avait plus d’intérêt à utiliser leurs systèmes parfaitement performants, qu’à partir sur d’autres voies très risquées, mais l’évolution vers le cloud, l’IA et le fait de confier ses données à un partenaire « non de confiance » posent de plus en plus question.

Le numérique dans toutes ses composantes est, et sera de plus en plus un terrain de compétition, de contestation et d’affrontement, tant commercial et culturel que stratégique.

Même si les actions offensives restent en deçà d’un certain seuil de violence, elles sont une réalité. De nombreux États en conduisent comme le montre régulièrement l’agence VIGINUM, elles cherchent à saper insidieusement la confiance dans l’État, le fonctionnement de la Nation et sa cohésion. Depuis une dizaine d’années, la désinformation est orchestrée avec des attaques techniques via des campagnes hybrides habilement conduites et planifiées. L’IA est plus récemment devenue un moyen et une arme pour fausser les perceptions des populations, rendant stratégique le sujet de son encadrement et de sa régulation.

La réélection du président Donald Trump en novembre 2024 marque une rupture à plusieurs niveaux

Rupture tout d’abord dans la méthode par rapport à l’administration précédente qui œuvrait avec certaines formes pour conforter sa suprématie d’empire numérique et sa « mainmise » sur l’espace numérique européen. Brutalité, surprise, hyperactivité, incertitude, mais aussi emprise sur les médias américains….

Rupture dans les soutiens : les GAFA [1] se sont ralliés très rapidement et très fortement aux discours et actions du mouvement MAGA [2], mus par l’appât des gains financiers grâce à un monde de l’Internet débridé où les données peuvent être captées sans contrainte, l’IA développée sans contre-pouvoir ou régulation, ou encore par une vision d’un monde futuriste porté par quelques grands patrons de la Silicon Valley. On parle même de « techno droite » comme nouveau courant idéologique mêlant les utopies libertariennes et les valeurs conservatrices.

Rupture majeure dans les alliances où le président Trump casse en quelques jours et quasiment seul le système des relations internationales et des alliances issues du siècle précédent, renvoyant à la politique américaine « Big Stick Policy » du tout début du XXème siècle.

Dans ce contexte, tout peut se produire… L’ennemi d’hier parait être devenu le nouvel ami ou du moins un partenaire comme les autres.

Un agent d’influence russe serait-il à la Maison Blanche comme la presse semble s’en faire l’écho ? L’Amérique est-elle en train de devenir, elle aussi, une autocratie qui tourne le dos à toutes les valeurs qui ont construit la relation transatlantique ? La question impensable il y a encore quelques semaines, est aujourd’hui sur la table.

Nous sommes face à un monde d’incertitudes !

Quid d’un décret présidentiel mettant à disposition de l’administration américaine les données des Européens, des sociétés, ou des organisations hébergées chez les GAFA ?

Quid d’une mise sous séquestre ou prise en otage des données de nos entreprises placées chez ces mêmes GAFA, juridiquement validée en droit américain ?

L’hébergement des données en France ou en Europe chez un GAFA les met de fait sous juridiction des Etats-Unis. C’est également vrai pour les données techniques confiées aux prestataires cyber de service américains issues des capteurs déployés et exploités dans le Cloud, et encore plus pour tout ce qui concerne les métadonnées et les algorithmes.

On le sait ! En l’absence d’infrastructure, de technologie et de services performants européens, il n’y a pas vraiment d’alternatives, et c’est bien cela qu’il faut collectivement bâtir progressivement afin de disposer d’une offre complémentaire, à un juste niveau technologique.

C’est ce point qui doit changer rapidement ; une voie existe, comme le montre les différentes initiatives autour des clouds de confiance/souverain, mais qui doivent passer à l’échelle au travers d’une nouvelle relation avec les grands GAFA. Une sorte de New deal entre une « Europe unie » – États et organisations représentatives des clients, comme CIGREF, NUMEUM, MEDEF, CGPME, Clubs de Directeur des Systèmes d’Information (DSI) [3]… et des sociétés privées de droit américain qui doivent s’adapter et adapter leurs infrastructures. Ce sont, in fine, les entreprises (Comex) et les DSI qui disposent du pouvoir de passer ou pas un contrat, et de peser sur leurs fournisseurs. Il faut donc s’appuyer sur eux et en faire des acteurs clef de ces démarches par de actions collectives.

Parmi les Européens employés par ces sociétés, nombre d’entre-eux se sentent de plus en plus mal à l’aise, mais ils peuvent aussi avoir un rôle en interne pour expliquer qu’un tel comportement de voyou n’est pas créateur de confiance et de stabilité. L’incertitude est mauvaise pour les affaires à moyen terme. Loin de les considérer comme des parias, il vaut mieux échanger avec eux et les associer pour en faire des « passeurs », il existe assez d’associations pour que ce sujet soit mis sur la table sans tabou.

Faire face

Premièrement, il y a aujourd’hui urgence à se préparer face à l’incertitude entretenue par la nouvelle administration américaine !

Déjà à court terme démarrons par le plus sensible qu’est déjà le besoin de se protéger et de se défendre de façon autonome, puis se mettre en sécurité juridique – déjà les sauvegardes – les données les plus importantes, et de sauvegarder sous cadre juridique européen tout ce qui peut l’être ; SECNUMCLOUD [4] bien sûr pour ce qui mérite de l’être et plusieurs initiatives de Clouds souverains sont ou seront bientôt disponibles. En cyber, il y a des solutions européennes performantes qui méritent de pouvoir passer à l’échelle.

Ensuite, un changement de paradigme pour les DSI… A-t-on besoin partout d’innovation ou de facilités de développement, qui font recourir aux « Market Places », très performantes mais non européennes pour avoir un « time to market » le plus rapide possible ? Les outils sont extraordinaires mais en a-t ’on réellement besoin partout ? Pour les domaines sensibles, ne peut-on pas penser à des systèmes plus « à façon » hébergés sur une infrastructure européenne ?

Il faut rester maître des « données sensibles » mais aussi des « algorithmes qui modélisent les savoir- faire et les modes de fonctionnement spécifiques des organisations, là où se trouvent les plus-values et la valeur qui font le « cœur stratégique » des organisations ».

Revisitons déjà tous les contrats en cours dont souvent les tarifs explosent (Broadcom/Vmware par exemple ou encore les différents avis régulièrement émis par le CIGREF).

Certains le font ! Il faut que tous les DSI s’en saisissent. Ce sont eux qui définissent l’architecture et le recours aux prestataires ; ils ont un pouvoir de décision.

Si l’infrastructure n’est pas encore passée à l’échelle ; les initiatives Secnumcloud et EUCS+ sont en cours avec des opérateurs français lancés dans l’aventure : OVH, S3NS, SCALEWAY, NUMSPOT, OUTSCALE, BLEU, OODRIVE et autres…

Des mesures à prendre en urgence, puis un long chemin restera à parcourir pour regagner le terrain informatique abandonné aux acteurs non européens, là où nos intérêts stratégiques et les données de nos citoyens le nécessitent.

Cette rupture est voulue et provoquée par notre partenaire américain. Il renoue avec le début de la Pax America post 1914 ; il tourne le dos à une partie de son histoire et de ses valeurs. Elle ne doit pas être vécue comme un traumatisme uniquement négatif mais comme un formidable défi à relever, une opportunité à saisir, pour lesquels la France a un rôle majeur à jouer, seule et avec ses partenaires les plus proches en Europe.

Un tournant de son histoire à ne pas ou à ne plus rater.

Souvenons-nous de Suez en 1956 ! Les Français et les Britanniques ont été sommés, du fait d’un accord entre les Etats-Unis et l’URSS, de stopper leurs opérations. Cela a été le point de départ de la constitution de la Force de Dissuasion par le général de Gaulle dans l’objectif de « Retrouver notre autonomie stratégique pour défendre nos intérêts nationaux ».

Le rapport « Nora-Minc » sur l’Informatisation de la Société Française datant de 1977 avait déjà anticipé beaucoup de choses, mais que d’échecs et de démissions collectives depuis face à l’émergence de l’hégémonie américaine.

Le général de Gaulle a su mobiliser les forces vives de la Nation et créer la Force de dissuasion en une dizaine d’années.

Les États et industriels ont su s’entendre et s’allier pour créer dans les années 1970 le consortium Airbus.

Plus récemment la Nation s’est retrouvée autour de la reconstruction de la cathédrale Notre Dame. L’État a su agir aux cotés des entreprises privées et d’acteurs nombreux, le tout avec un leadership original confié à un général, domaine bien éloigné de son parcours de carrière.

Des atouts à mobiliser

Si nous avons su créer une dynamique pour restaurer une architecture vielle de 800 ans, ne peut-on imaginer comment initier et entrainer une dynamique européenne pour bâtir une infrastructure numérique autonome avec des partenaires respectueux de la liberté et de la dignité des citoyens ?

Nous disposons de beaucoup d’atouts et d’énergies à libérer. La France a été à l’initiative de l’Appel de Paris en 2019 et plus récemment du Sommet de l’IA où le monde numérique a pu montrer sa diversité et son dynamisme, pas seulement états-uniens…

Il s’agit à présent de prendre son destin numérique en main et de ne plus subir. Ce n’est pas simple, même très compliqué mais la France doit se mettre au cœur de la dynamique européenne pour l’entrainer. Rassembler autour d’elle, l’Allemagne, les pays d’Europe du nord, l’Italie, l’Espagne…. Les acteurs et entrepreneurs de toute nation convaincue de cette évolution pour transformer une faiblesse en force.

L’État ne doit pas vouloir agir seul, ce doit être une action conjointe entre politiques et fonctionnaires, mais aussi et surtout avec les représentants des entreprises consommatrices et leurs DSI (Cigref, Club Décision DSI…).

Une force vive au cœur de la vie économique et politique apte à suivre un leader pour entrainer l’Europe dans cette voie.

La France dispose des atouts qu’il faut pour se positionner en catalyseur, source d’inspiration et leader. Nous avons les écoles et les compétences de haut niveau ; cyber, IA, innovation et recherche très dynamiques, French Tech, Business France, de dispositifs d’accompagnement comme France 2030 et de levées de fond.

Les compétences, la créativité et les entrepreneurs sont également là, mais il manque un marché « domestique », français et européen, d’une taille suffisante pour leur permettre de s’épanouir et de se développer, pour passer à l’échelle…

C’est l’une des étapes les plus importantes et essentielles, voire clef. Au-delà de toutes les aides et accompagnement, il faut créer un marché européen du numérique favorable aux acteurs européens et à des partenaires choisis exclusivement sous droit européen, sur la base de relations équilibrées comme on peut le voir dans les démarches de Cloud de confiance, ou encore lors de l’IA Summit.

Coca Cola est bien une société américaine, mais elle produit en France. McDonald’s est bien américain mais sa matière première est produite en Europe…. Ce sont des images éloignées du numérique, mais il faut aussi que les GAFA comprennent que leur attitude est devenue insupportable et que cela finira par nuire à leurs affaires, tant en Europe que dans le reste du monde

Il ne faut pas oublier non plus que l’espace numérique est l’espace stratégique d’affrontement où les États se confrontent en premier, restant sous le seuil de l’agression armée, combinant des actions d’ingérence, de désinformation, de propagande, ou encore des actions plus techniques pour perturber, saboter voire détruire. Saper la force morale des populations, faire perdre confiance dans l’État et ses institutions, désorganiser la société et les armées avant l’attaque, ou encore gagner sans combattre, le summum de l’Art de la Guerre (Sun Tzu).

Le réarmement européen source de nombreuses déclarations comporte lui aussi tout un champ numérique très dual qui commence chez nos industries, institutions et organisations…

L’autonomie en cybersécurité ne se limite pas à une question technique : c’est enjeu politique, un impératif de souveraineté, de compétitivité et de stabilité sociale.

Dans ce contexte, le Pôle d’Excellence Cyber est pleinement engagé à jouer un rôle clef dans la structuration de l’écosystème français et européen, centré sur le régalien européen et aligné avec les politiques du ministère des Armées, de l’ANSSI, des institutions européennes, et de partenaires européens. Sans attendre davantage, un groupe de travail sera lancé pour débattre de ce sujet avec nos membres.

Cette réflexion rend compte d’un tournant nécessitant une vision affirmée et des actions concrètes pour renforcer notre autonomie stratégique.

Quatre grandes initiatives pourraient être envisagées

Lancer une dynamique nationale « État/Représentation nationale/Entreprises » à effet d’entrainement européen pour coordonner et suivre au plus haut niveau des États l’ensemble des actions concrètes à mener sans plus tarder. Un véritable plan d’action 2025/2027 est à construire, ainsi qu’une dynamique large soumise à une gouvernance globale regroupant l’ensemble du numérique (cyber, data, cloud, IA, quantique…) et associant en premier lieu les entreprises « consommatrices » et pas simplement les grands groupes. La France a su le faire pour les JO 2024 !

Promouvoir à la fois les offres souveraines et de confiance, mais lancer un échange entre les acteurs « français » et les GAFA pour faire comprendre que la situation actuelle est intenable et sera « perdant-perdant « comme semble le montrer les récentes évolutions de la bourse américaine. Faire des affaires ne veut pas dire écraser ou prendre son client en otage….

La Revue Stratégique 2025 lancée par le Président de la République pourrait constituer le premier réceptacle pour ses premiers travaux.

Conduire des États généraux du numérique avec l’ensemble des partenaires pour définir le plan 2027/2032, inspiré des méthodologies utilisées pour les Livres blancs sur la Défense et la Sécurité nationale. La France dispose du SGDSN rodé à ce type d’exercice.

Élargir les travaux de France 2030 en allant au-delà des seuls projets techniques. Favoriser la montée en gamme de marchés « domestiques » accessibles aux offres issues de groupements d’entreprises européennes, faciliter l’accès à des marchés (gouvernement, OIV…) d’une taille importante.

Lancer une sensibilisation et concertations avec les associations de DSI d’entreprises de toutes tailles, les éditeurs et les entreprises de services numériques ESN. Grands groupes mais aussi et surtout ETI/PME qui ont besoin de davantage de conseils et des SI moins complexes, mieux adaptés dans un premier temps à des offres de services européennes.

La route sera longue, mais l’électrochoc de la prise de pouvoir par le président Trump et de son écosystème, a le mérite de nous montrer que le monde d’avant est terminé ; que celui de demain parait surtout marqué par l’incertitude, les rapports de force et les volontés de domination.

L’Europe est seule et doit reprendre en main son destin. Cela passe aussi et de façon très importante par la défense militaire, la puissance économique et le numérique qui irrigue aujourd’hui tous les pans de nos sociétés.

Là où il y a une volonté, il y a un chemin…

Copyright Mars 2025-Coustillière/Pôle d’Excellence Cyber


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Le site du Pôle d’Excellence Cyber

[1] NDLR. GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon

[2] NDLR. MAGA : Make America Great Again. Littéralement « Rendre l’Amérique à nouveau grande », soit : « Rendre sa grandeur à l’Amérique », abrégé MAGA, est un slogan de campagne utilisé par des personnalités politiques des États-Unis, dont D. Trump.

[3] NDLR. Un Directeur des Systèmes d’Information (DSI) a pour missions de définir la stratégie informatique. Le DSI est chargé d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie informatique de l’entreprise, alignée sur les objectifs commerciaux. Cela inclut la planification des investissements technologiques et l’identification des opportunités d’innovation.

[4] NDLR. SECNUMCLOUD :« En tant qu’autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information, l’ANSSI accorde des Visas de sécurité ANSSI à des solutions, produits ou services qui démontrent un niveau élevé de sécurité et de confiance. Dans le cadre de cette démarche, l’agence a élaboré en 2016 le référentiel SecNumCloud pour permettre la qualification de prestataires de services d’informatique en nuage, dit cloud. Son objectif : promouvoir, enrichir et améliorer l’offre de prestataires de cloud à destination des entités publiques et privées souhaitant externaliser, auprès de prestataires de confiance, l’hébergement de leurs données, applications ou systèmes d’information. » Source : https://cyber.gouv.fr/

Guerre de l’information : et si nous regardions du mauvais côté ?

Guerre de l’information : et si nous regardions du mauvais côté ?

par Grégoire Darcy – Revue Conflits – publié le 3 avril 2025

Grégoire Darcy. ENS-PSL, Département d’Études Cognitives. Enseigne les sciences cognitives appliquées aux champs culturels et informationnels à l’EMSST – École Militaire

https://www.revueconflits.com/guerre-de-linformation-et-si-nous-regardions-du-mauvais-cote/


La lutte contre la désinformation se concentre souvent sur des mesures à court terme, en la traitant comme un problème isolé. Cependant, cette approche néglige les causes profondes telles que la solitude, la défiance envers les institutions et la polarisation sociale. Il est crucial de compléter les réponses immédiates par des politiques de fond pour traiter ces origines structurelles.

La lutte contre la désinformation se focalise souvent sur son atténuation immédiate, la traitant comme un fléau isolé, alors qu’elle est le symptôme de dysfonctionnements profonds dans nos écosystèmes sociaux et institutionnels. En effet, la diffusion, la force de persuasion et l’efficacité de la désinformation reposent principalement sur l’épidémie de solitude, la défiance grandissante envers les institutions et les médias, ainsi que sur l’intensification de la polarisation, des tensions entre groupes et de la précarité économique. Il est en conséquence impératif de compléter les réponses curatives spécifiques à court et moyen terme actuellement déployées par des politiques de fond, capables de traiter directement le mal à la racine.

La guerre de l’information a été déclarée. C’est du moins la perception qui prévaut, le Forum économique mondial identifiant la désinformation comme le plus important risque global à court terme dans son rapport 2025 [1]. Cette préoccupation est partagée au niveau institutionnel international : l’Organisation mondiale de la santé qualifie la prolifération de fausses informations d’« infodémie » [2], et Richard Stengel, ancien sous-secrétaire d’État américain à la diplomatie publique, évoquait dès 2019 une « guerre de l’information » [3]. Sur le plan national, la France multiplie les initiatives face à cette menace, l’exemple le plus récent étant la nomination d’une conseillère dédiée à la lutte contre la désinformation au cabinet du ministre des Affaires étrangères. Si l’ingérence informationnelle est aussi ancienne que la guerre elle-même, le sursaut actuel s’explique par une recrudescence d’actes d’ingérence récents : pour ne citer que les plus emblématiques, le scandale Cambridge Analytica – impliqué dans l’élection de Donald Trump en 2016 [4], via l’exploitation massive de données personnelles -, ou encore l’opération « Matriochka », détectée par VIGINUM en France [5], visant à relayer de faux contenus pro-russes via un réseau de sites et de comptes fictifs se faisant passer pour des médias locaux.

Lignes de défense immédiates : Soigner les symptômes, ignorer la fièvre.

À l’instar de plusieurs démocraties occidentales, l’État français a engagé une série de mesures pour se doter d’armes dans le champ cognitif. Un premier axe vise les producteurs de désinformation, à travers leur identification, leur traçabilité et, lorsque possible, leur neutralisation. La création de VIGINUM en 2021 s’inscrit dans cette logique : ce service technique rattaché au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale a pour mission de détecter et d’analyser les opérations de manipulation informationnelle d’origine étrangère – une réponse structurelle à une menace désormais constante. À l’échelle européenne, le Digital Services Act (2022) impose aux très grandes plateformes numériques une obligation de vigilance : évaluer, documenter et atténuer les risques systémiques liés aux contenus nuisibles. Ce texte prévoit notamment un code de bonnes pratiques pour encadrer la désinformation et limiter l’amplification algorithmique des contenus mensongers. Mais sa mise en œuvre reste semée d’embûches : définitions juridiques floues, responsabilités diluées, et frilosité réglementaire sur certains volets freinent encore sa portée réelle.

Un second volet de mesures cible spécifiquement les consommateurs de désinformation afin de renforcer la « résilience » de la population française face aux ingérences informationnelles. L’idée est de rendre les citoyens moins crédules et plus vigilants pour qu’ils puissent distinguer eux-même les informations fiables de celles ne l’étant pas. Parmi ces nombreux dispositifs inspirés des sciences comportementales, plusieurs interventions peu coûteuses et complémentaires sont efficaces. Par exemple, l’inoculation – ou « prebunking » – consiste à exposer le public à une version atténuée des arguments mensongers, renforçant ainsi sa capacité à repérer et à contrecarrer les fausses informations, de la même manière qu’un vaccin prépare le système immunitaire à combattre une infection. Une étude de Roozenbeek et al. (2022) a ainsi démontré que de courtes vidéos animées présentant des tactiques de manipulation amélioraient significativement la capacité des utilisateurs à distinguer les fake news des informations véridiques [6]. Une deuxième approche fréquente consiste en des formations à la littératie médiatique et à la pensée critique, pour doter les citoyens d’outils d’évaluation de la crédibilité des sources. Une étude randomisée aux États-Unis et en Inde a ainsi révélé qu’un module de formation à l’esprit critique permettait de réduire de 20 à 25 % l’acceptation des fausses nouvelles [7]. Enfin, les nudges – ces « coups de pouces » à l’esprit pouvant être intégrés directement aux interfaces – encouragent des comportements plus réfléchis avant de partager du contenu, comme l’initiative « lire avant de retweeter » sur Twitter, qui a significativement freiné la diffusion de contenus mensongers [8].

Pourtant, ces interventions demeurent, dans leur grande majorité, centrées sur la gestion immédiate du symptôme, abordant la désinformation comme un phénomène isolé que l’on pourrait endiguer à coups de correctifs techniques ou éducatifs. Mais la désinformation n’est pas qu’un objet à combattre en aval : elle est le miroir, souvent déformant mais révélateur, de fractures plus profondes au sein de nos sociétés – solitude, défiance, désengagement, précarité. La traiter uniquement comme une anomalie à rectifier, c’est verser sans fin dans le tonneau des Danaïdes, s’épuiser à colmater sans jamais tarir la source [9]. Il devient dès lors urgent de déplacer le regard vers les causes structurelles qui alimentent sa persistance et son pouvoir de persuasion, et d’engager des politiques de fond, capables d’agir en amont, là où le mal prend racine.

Solitude, défiance, inégalités : les racines sociales de la vulnérabilité face à la désinformation.

Qui croit à la désinformation ? Et pourquoi celle-ci semble-t-elle se propager plus vite, frapper plus fort, et diviser plus profondément qu’auparavant ? La recherche contemporaine converge vers un constat : la désinformation n’opère pas dans un vide. Sa réception et sa diffusion sont moins le produit d’une naïveté individuelle que d’un terreau social fertile, fait de solitude, de défiance, de détresse ou de polarisation. Autrement dit, la croyance en des récits faux, partiels ou manipulateurs n’est pas un « accident de parcours » cognitif, mais souvent une réponse – parfois même une stratégie de survie [10] – face à des contextes marqués par l’exclusion ou le désenchantement. Si les interventions actuelles (vérification des faits, régulation des plateformes, éducation aux médias) permettent de contenir les symptômes, elles restent insuffisantes tant qu’elles ne s’attaquent pas aux conditions sociales, économiques et politiques qui rendent certains publics plus réceptifs à ces récits trompeurs. C’est à ces facteurs structurels de vulnérabilité à la désinformation que nous nous tournons maintenant.

La désinformation s’enracine d’abord là où les liens sociaux se sont effondrés et où le mal-être psychique prolifère. De nombreuses études convergent vers un même constat : la solitude chronique et la souffrance mentale affaiblissent les « défenses » cognitives, rendant les individus plus perméables aux récits complotistes. Une étude longitudinale publiée dans Nature Communications [11], portant sur plus de 2 000 participants suivis sur trois décennies, révèle que les personnes ayant souffert de solitude à l’adolescence ou dont l’isolement s’est aggravé avec le temps sont significativement plus susceptibles d’adhérer à des visions complotistes à l’âge adulte. L’isolement n’est pas seulement un manque de relations : il engendre un sentiment de perte de contrôle, que certaines personnes compensent en se tournant vers des récits qui offrent une grille d’explication et un sentiment d’appartenance. Cette dynamique s’est intensifiée durant la pandémie de COVID-19 : les confinements ont exacerbé l’isolement, et une autre étude, réalisée en 2022 [12] montre que la solitude pendant cette période prédisait la croyance aux théories du complot liées au virus, en lien avec des expériences paranoïaques légères. Le besoin de sens, dans un monde perçu comme chaotique et menaçant, pousse alors vers des récits alternatifs, fussent-ils mensongers. Or, la solitude n’est pas une condition marginale : elle est alimentée par le déclin des formes traditionnelles d’engagement [13], la hausse des foyers monopersonnels, l’éclatement des réseaux de proximité, et, selon certains, par la substitution des relations physiques par des connexions numériques, souvent creuses. Par exemple, aux États-Unis, la proportion de personnes dînant seules chaque soir a doublé entre 2000 et 2023, passant de 15 % à 30 % [14]. À cela s’ajoutent un urbanisme du repli et des rythmes de travail fragmentés, qui laissent peu de place à la sociabilité.

À cette fragilisation individuelle s’ajoute une dynamique plus systémique : la défiance envers les institutions, nourrie par des décennies de scandales, de promesses trahies et de fractures politiques, affaiblit les garde-fous informationnels et favorise la circulation de contenus non vérifiés. Lorsque l’autorité est perçue comme corrompue ou indifférente, ce sont les sources marginales – souvent porteuses de désinformation – qui gagnent en crédibilité. Une vaste enquête menée dans 21 pays [15] a montré que la méfiance envers les gouvernements et les autorités sanitaires prédisait fortement l’adhésion aux fausses informations sur la COVID-19. Or, en France, seuls 34 % des citoyens déclaraient en 2023 faire confiance à leur gouvernement, un chiffre nettement inférieur à la moyenne de l’OCDE (39 %) [16] – symptôme d’une défiance structurelle qui fragilise les fondements démocratiques. Ce phénomène s’auto-entretient : moins on fait confiance aux médias traditionnels, plus on se tourne vers des canaux alternatifs, souvent biaisés. Ainsi, seuls 32 % des Français estiment encore pouvoir faire confiance à ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité. Comme le rappelle Sacha Altay, cognitiviste français spécialiste de la désinformation, la majorité des vérifications factuelles étant publiées par ces mêmes médias, elles sont perçues comme suspectes par ceux-là même qui en auraient le plus besoin. Là où la confiance est rompue, l’efficacité des correctifs s’effondre.

Sur ce terreau de défiance croissante prospèrent les conflits identitaires et la polarisation politique. La dynamique partisane et les tensions intergroupes déforment les perceptions, brouillent le jugement, et renforcent l’adhésion à des récits partisans – qu’ils soient vrais ou faux. Plus la distance affective entre les groupes s’accroît, plus les individus acceptent sans réserve les informations qui confortent leur camp, tout en rejetant a priori celles issues du camp opposé. Une étude scientifique marquante [17] montre que les personnes les plus polarisées sur le plan émotionnel sont aussi les plus enclines à croire des informations favorables à leur parti, même lorsqu’elles sont fausses – y compris, paradoxalement, parmi les individus les plus politisés. Dans les contextes de tension entre groupes ethniques, religieux ou nationaux, la désinformation devient un instrument stratégique : elle attise les peurs, légitime l’hostilité, et prépare le terrain à des violences bien réelles. Ainsi, les campagnes russes de désinformation sur les réseaux sociaux ciblaient délibérément les lignes de fracture raciales et religieuses aux États-Unis, en diffusant de faux récits conçus pour exacerber les antagonismes [18]. Le débat public cesse alors de reposer sur la recherche de vérité : il devient un champ de loyautés conflictuelles, imperméables aux rectifications les plus rigoureuses.

Enfin, la précarité économique et l’aggravation des inégalités nourrissent puissamment cette vulnérabilité collective à la désinformation. Lorsque les conditions de vie se détériorent et que les perspectives s’évanouissent, l’espace mental se rétracte – laissant place aux récits simplificateurs, souvent fallacieux, qui offrent des coupables, une explication et un sens. Ainsi, les croyances conspirationnistes sont plus répandues dans les sociétés marquées par une faible croissance et de fortes inégalités [19]. Ces théories fonctionnent comme des catalyseurs émotionnels : elles transforment un sentiment diffus d’injustice en grille de lecture, parfois en appel à la revanche. Dans ces contextes, la désinformation ne promet pas seulement une explication : elle offre une riposte symbolique à un système vécu comme inique. La crise informationnelle, ici, n’est que l’écho d’une crise sociale plus profonde, où la désillusion prépare le terrain à la crédulité.

Plus inquiétant : ces dynamiques ne se juxtaposent pas, elles s’entrelacent et s’intensifient. La solitude prédit la défiance, qui elle-même alimente la polarisation ; les inégalités et l’absence de mobilité sociale creusent une méfiance structurelle envers les élites. Face à cette spirale, il ne suffit pas de corriger les contenus : seules des politiques de fond – sociales, économiques, éducatives – peuvent restaurer les conditions de la confiance, sans lesquelles aucun écosystème informationnel ne peut tenir.

De la réaction à la prévention : reconstruire un écosystème informationnel et cognitif résilient.

Combattre la désinformation suppose d’agir non seulement sur ses manifestations visibles, mais sur les conditions structurelles qui favorisent son enracinement. Cela implique de reconstruire la confiance institutionnelle, retisser les liens sociaux, réduire les inégalités et apaiser les clivages politiques. La restauration de la confiance passe par une gouvernance plus transparente : publication systématique des données publiques, traçabilité des financements politiques, sanctions effectives en cas de conflits d’intérêts. Elle suppose aussi des dispositifs de participation citoyenne concrets, comme les budgets participatifs à l’échelle locale ou les jurys citoyens délibératifs dans les grandes politiques publiques, qui renforcent le sentiment d’écoute et de représentation. Contre l’isolement, il s’agit de revitaliser les espaces de sociabilité – bibliothèques, maisons de quartier, cafés associatifs – et d’étendre les dispositifs de prescription sociale, où les soignants orientent vers des activités collectives plutôt que vers des traitements médicamenteux. Sur le front économique, le renforcement des filets de sécurité, la relance de la formation continue et des investissements ciblés dans les territoires laissés pour compte – à l’image du Just Transition Fund en Europe – permettent de désamorcer les récits de trahison et de bouc-émissaire [20]. Enfin, pour atténuer la polarisation, des programmes de rencontres intergroupes – échanges scolaires entre zones opposées socialement ou politiquement, projets civiques co-construits entre habitants de quartiers différents – ont montré leur efficacité pour réduire les stéréotypes et ouvrir à d’autres récits. Ces politiques de fond ne relèvent pas d’une stratégie parallèle à la lutte contre la désinformation : elles en sont la condition. À l’heure où les États réinvestissent massivement dans le champ sécuritaire, il serait périlleux d’affaiblir l’État social. Car c’est précisément sur ses piliers – confiance, égalité, solidarité – que repose l’immunité démocratique face aux fausses vérités.

Ces politiques de long terme, exigeantes et structurelles, doivent être complétées par des leviers plus ciblés, moins coûteux, et déployables à moyen terme, notamment dans le champ médiatique. Pour restaurer la confiance dans les médias – fondement d’un espace public sain – deux axes d’action s’imposent. D’une part, renforcer l’indépendance et la régulation du secteur : cela implique de lutter contre la concentration des groupes de presse, de doter l’ARCOM de véritables moyens d’investigation, mais aussi de créer un statut indépendant d’ombudsman médiatique, garant de la transparence et de la déontologie journalistique. D’autre part, il est crucial de soutenir activement le journalisme local, dont l’effacement a laissé le terrain libre aux rumeurs, à la défiance et à la désaffiliation civique. Là où les titres de proximité disparaissent, les fake news se répandent plus facilement, la participation démocratique s’érode, et les citoyens perdent le lien avec leur environnement immédiat. Des aides publiques pérennes, des incitations fiscales ciblées, ou encore des fonds d’innovation territoriale pourraient redonner souffle à ces acteurs décisifs de la vie démocratique [21]. Il ne suffit pas de traquer les fausses informations : il faut investir dans les conditions de leur marginalité. Car dans l’asymétrie structurelle entre la vitesse virale d’une rumeur et la lenteur coûteuse de sa réfutation, seule une information robuste, proche et digne de confiance peut durablement contenir la désinformation – et de telles politiques doivent donc être déployées en complément de celles aujourd’hui mises en oeuvre.

En conséquence, dans la lutte contre la désinformation, il ne suffit pas d’éteindre les départs d’incendies : encore faut-il assainir les sous-sols. Car tant que la solitude, la défiance et l’injustice continueront de miner nos fondations collectives, les fausses vérités y trouveront toujours un terreau fertile – prêtes à reprendre feu à la moindre étincelle.


Références :

  1. Elsner, M., Atkinson, G., & Zahidi, S. (2025). Global risks report 2025 (20th ed.). World Economic Forum. https://www.weforum.org/publications/global-risks-report-2025/
  2. https://www.who.int/health-topics/infodemic#tab=tab_1
  3. Richard Stengel, Information Wars. How We Lost the Global Battle Against Disinformation and What Can We Do About It, New York, Grove Press, 2019, p. 13.
  4. Wylie, Christopher (October 2019). Mindf*ck: inside Cambridge Analytica’s plot to break the world. London, United Kingdom: Profile Books. ISBN978-178816-506-8. Export edition.
  5. (2024). Matriochka: Une campagne prorusse ciblant les médias et la communauté des fact-checkers. Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
  6. van der Linden, S., Roozenbeek, J., & Compton, J. (2022). Inoculation theory: Using misinformation vaccines to prebunk misinformation and fake news. _Harvard Kennedy School Misinformation Review, 1_(Preprint). https://doi.org/10.37016/mr-2020-8; Roozenbeek, J., & van der Linden, S. (2024). _The psychology of misinformation._ Cambridge University Press.
  7. Guess A, Lerner M, Lyons B, et al. A digital media literacy intervention increases discernment between mainstream and false news in the United States and India. Proceedings of the National Academy of Sciences 2020; 117: 15536–15545.
  8. Pennycook G, Epstein Z, Mosleh M, et al. Shifting attention to accuracy can reduce misinformation online. Nature 2021; 592: 590–595.
  9. Altay, S. (2022). _How effective are interventions against misinformation?_ PsyArXiv Preprint. https://doi.org/10.31234/osf.io/sm3vk
  10. Mercier H. Not Born Yesterday : The Science of Who We Trust and What We Believe. Princeton University Press, 2020.
  11. Bierwiaczonek, K., Fluit, S., von Soest, T., & Hornsey, M. J. (2024). Loneliness trajectories over three decades are associated with conspiracist worldviews in midlife. _Nature Communications, 15_(1), Article 3629. https://doi.org/10.1038/s41467-024-47113-xTerenzi et al. (2022)
  12. Putnam, R. D. (2000). Bowling alone: The collapse and revival of American community. Touchstone Books/Simon & Schuster. https://doi.org/10.1145/358916.361990
  13. Turkle, Sherry. (2011). Alone together : why we expect more from technology and less from each other. New York :Basic Books
  14. Helliwell, J. F., Layard, R., Sachs, J. D.,De Neve, J.-E., Aknin, L. B., & Wang, S. (Eds.). (2025). World Happiness Report 2025. University of Oxford: Wellbeing Research Centre. Cité par Y. Algan.
  15. Roozenbeek, J., Schneider, C. R., Dryhurst, S., Kerr, J., Freeman, A. L. J., Recchia, G., van der Bles, A. M., & van der Linden, S. (2020). Susceptibility to misinformation about COVID-19 around the world. Royal Society Open Science, 7_(10), 201199. https://doi.org/10.1098/rsos.201199.
  16. (2024). Enquête de l’OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques – Résultats 2024. Organisation de coopération et de développement économiques. © OCDE.
  17. Jenke, L. (2023). Affective Polarization and Misinformation Belief. Political Behavior. https://doi.org/10.1007/s11109-022-09851-w
  18. Freelon, D., & Lokot, T. (2020). Russian Twitter disinformation campaigns reach across the American political spectrum. Harvard Kennedy School (HKS) Misinformation Review. https://doi.org/10.37016/mr-2020-003
  19. Casara, B. G. S., Suitner, C., & Jetten, J. (2022). The impact of economic inequality on conspiracy beliefs. Journal of Experimental Social Psychology, 98, 104245. https://doi.org/10.1016/j.jesp.2021.104245
  20. https://commission.europa.eu/funding-tenders/find-funding/eu-funding-programmes/just-transition-fund_en
  21. Bateman, J., & Jackson, D. (2024). Countering disinformation effectively: An evidence-based policy guide. Carnegie Endowment for International Peace.
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Guerre hybride : OVH devient un champion de la cybersécurité

Guerre hybride : OVH devient un champion de la cybersécurité

par Axelle Ker – armees.com – Publié le

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Guerre hybride : OVH devient un champion de la cybersécurité | Armees.com

Dans un environnement marqué par une intensification des menaces hybrides et une dépendance accrue aux infrastructures numériques, OVHcloud a obtenu une reconnaissance de premier plan. Le fleuron technologique français s’est vu attribuer une certification stratégique, susceptible de renforcer son rôle dans les dispositifs de sécurité et de souveraineté numérique, tant au niveau national qu’européen.

OVHcloud obtient la certification SecNumCloud 3.2

L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) a attribué, le 31 mars 2025, la qualification SecNumCloud 3.2 à la plateforme Bare Metal Pod développée par OVHcloud. Cette certification, comme le précise ZDNet, valide la conformité d’une infrastructure aux normes de sécurité exigées pour le traitement de données sensibles ou classifiées. Elle s’adresse aux opérateurs d’importance vitale (OIV), aux services de l’État et aux entités soumises à des obligations réglementaires strictes.

Le dispositif Bare Metal Pod fonctionne dans un environnement physiquement et logiquement isolé. Il intègre des fonctions de chiffrement, de gestion autonome des clés, de journalisation et d’isolation réseau. Comme le rappelle Clubic, plus de 360 critères doivent être validés pour obtenir cette qualification. Parmi eux figurent : la gouvernance, la traçabilité et la protection contre les législations extraterritoriales. Un niveau d’exigence très élevé qui place OVHcloud parmi les rares opérateurs capables de répondre aux besoins souverains en cybersécurité.

Une intégration dans les infrastructures de l’État

L’administration française s’appuie déjà sur la technologie d’OVHcloud. C’est notamment le cas de l’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE), qui a choisi la plateforme Bare Metal Pod pour héberger le Portail Public de Facturation, un service central dans les échanges numériques entre administrations, entreprises et collectivités. Désormais certifiée SecNumCloud 3.2, cette offre d’OVHcloud assure un haut niveau de sécurité, en intégrant des dispositifs tels que le chiffrement des données, l’isolation des réseaux et un contrôle granulaire des accès.

DEEP, la division numérique du groupe POST Luxembourg, a également retenu la solution proposée par le fleuron français OVH pour construire un cloud souverain. L’une des grandes forces d’OVHcloud réside dans la flexibilité de son offre Bare Metal Pod, qui peut être déployée aussi bien en environnement connecté que totalement isolé, en fonction du niveau de sensibilité des données.

Une extension prévue au cloud public et aux services critiques

OVHcloud prévoit d’étendre la qualification SecNumCloud à 40 services de son cloud public d’ici fin 2025. L’information a été confirmée par le directeur général du groupe, Benjamin Revcolevschi, dans une interview au Journal du Net. Cette stratégie vise à répondre aux nouvelles exigences imposées par des règlements européens comme DORA ou la directive NIS 2.

Comme le rapporte La Revue Tech, l’objectif est de couvrir l’ensemble des besoins en services numériques critiques dans les domaines de la santé, de la défense, de la finance et des services publics. Dans un contexte de guerre informationnelle et de menaces numériques persistantes, ce type de déploiement traduit une volonté claire : proposer une alternative crédible et souveraine aux solutions de cybersécurité proposées par les géants du numérique, notamment américains.

Ukraine. Intelligence économique des guerres d’Ukraine

par Bernard BESSON* – Cf2R – TRIBUNE LIBRE N°172 / mars 2025

https://aassdn.org/amicale/ukraine-intelligence-economique-des-guerres-d-ukraine/


Les guerres d’Ukraine sont aussi multiples que leurs lectures. On sait depuis Montaigne que la géographie commande la vérité. La Défaite de l’Occident[1] d’Emmanuel Todd parle d’un affaiblissement sociologique, religieux et moral de l’Occident. C’est une lecture. Nous serons plus court et tenterons de prévoir les conséquences de l’affrontement. Rien ne commence le 24 février 2022. L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une conséquence avant d’être une cause. L’Opération Z ne doit pas cacher la forêt qui précède. Ces guerres viennent de loin. Plusieurs grilles d’interprétations décrivent des événements superposés à d’autres évènements. Comme les couches géologiques ces évidences s’accumulent sans s’annuler. Les guerres d’Ukraine interrogent les diplomaties de nos États et de nos entreprises. Des acteurs émergent qui ne pensent pas le monde comme nous.

Le droit international

Le droit international est invoqué par les deux parties. L’Occident dénonce la violation des frontières. L’ONU déplore l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations unies. L’Organisation « exige que la Fédération de Russie cesse immédiatement d’employer la force contre l’Ukraine et s’abstienne de tout nouveau recours illicite à la menace ou à l’emploi de la force contre tout État membre. » On ne peut être plus clair.

La Russie de son côté invoque l’article 51 de la charte des Nations unies qui lui permet après la reconnaissance des Républiques de Donetsk et de Lougansk de répondre à la demande de légitime défense d’États soucieux de mettre fin aux bombardements des populations civiles. En théorie l’argument est recevable. Mais les circonstances sont pour le moins discutables…

Il n’en reste pas moins que le droit international est malmené. Par exemple le non-respect des multiples résolutions de l’ONU dans le conflit israélo palestinien, la contestation par plusieurs pays africains de la justice pénale internationale, les guerres illégales des États-Unis depuis 1945[2] affaiblissent ce même droit international.

Le non-respect des accords de Minsk 1 et Minsk 2 garantis par la France et l’Allemagne conjointement avec l’Ukraine et la Russie dans le format Normandie[3] ne renforce pas le droit international. La chancelière aussi bien que le président français ont reconnu publiquement avoir menti aux Russes pour permettre à l’Ukraine de se réarmer entre 2014 et 2022 afin de reconquérir la Crimée et le Donbass[4].

Savoir que les Russes n’étaient pas dupes, n’oblitère pas l’affaiblissement de la crédibilité occidentale dans le respect des engagements diplomatiques. Le décret présidentiel ukrainien interdisant toute discussion avec le président Poutine ajouté à l’annulation des élections en Ukraine paralysent pour l’instant les solutions diplomatiques.

Les accords d’Istanbul[5] signés le 29 mars 2022 grâce aux démarches du gouvernement israélien et de la présidence turque décrivaient sur 32 pages un accord de cessez-le feu. Une rencontre entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine était prévue sous l’égide des Nations Unies. L’Ukraine reconnaissait des droits linguistiques et administratifs aux minorités russophones de l’Est dont elle conservait les territoires. En échange du retrait militaire russe, déjà entamé, elle s’engageait à ne pas intégrer l’OTAN, seconde exigence de Moscou. L’arrivée à Kiev le 8 avril 2022 de Boris Johnson, Premier ministre britannique, encourage un revirement de la partie ukrainienne soutenue par l’Union européenne et les États-Unis[6]. La guerre va se poursuivre.

Cette paix ratée, confirmée par le Premier ministre israélien Naftali Bennett et le président turc Recep Erdogan, offrait une porte de sortie au président Zelensky. Celui-ci avait été élu le 20 mai 2019 avec 73,2% des voix à la suite de sa promesse de finir une guerre civile ayant fait 14 000 morts depuis la destitution du président Ianoukovitch en février 2014, après l’insurrection de Maïdan. Les historiens, en Ukraine et aux États-Unis, débattent du déroulement et du financement de cette révolution de couleur, notamment du rôle de la CIA, du MI 6 et de madame Victoria Nuland, alors sous-secrétaire d’État à l’Eurasie dans la conduite des opérations.

Depuis leur arrivée à la Maison Blanche le président Donald Trump et Robert F. Kennedy Jr ont à plusieurs reprises confirmé cette thèse affirmant que la CIA, avec les fonds dE L’USAID (5 milliards de dollars) a programmé le coup d’État de Maïdan et poussé la Russie à intervenir en Ukraine pour secourir les populations russophones.

L’objectif était comme nous allons le démontrer de s’emparer des richesses et matières premières de l’immense Fédération de Russie à la suite de son effondrement économique. L’échec de cette entreprise démocrate conduit les Républicains à se replier sur le Groenland et Panama, et à taxer l’Union européenne le Canada, le Mexique, la Chine.

L’équilibre de la terreur

Le conflit entre la Russie et les États-Unis n’a pas éclaté pour cause de terreur réciproque. En 2022 les deux puissances renoncent à s’affronter directement. En témoigne l’absence d’interdiction aérienne par les États-Unis et à fortiori par l’OTAN. L’Occident laisse l’aviation russe décapiter celle de l’Ukraine. La partie sur le plan militaire est jouée dès le début malgré les discours sur les plateaux de télévision. Plusieurs raisons expliquent la non-intervention américaine.

Le 24 février 2022 la Russie dispose de forces balistiques, aériennes et sous-marines redoutables. Les vecteurs R-28 Sarmate, Avangard, Kinjal, Poséidon, RS-26, R28, Zircon, pour ne citer que ceux-là, sont des armes hypervéloces atteignant des vitesses proches des 30 000 km/h. Ils sont également d’une grande précision. Ces vecteurs utilisent les possibilités offertes par la MHD, magnétohydrodynamique[7] théorisée en France par le physicien Jean-Pierre Petit. Les forces balistiques russes ont accordé de l’importance à ses publications scientifiques.

Le 21 novembre 2024 une attaque conventionnelle à partir de l’un de ces vecteurs l’Oreshnik (noisetier) pouvant transporter quatre bombes atomiques a touché le complexe militaro-industriel Iouzhmash à Dnipropetrovsk. La destruction par armes cinétiques de ces installations n’est pas anodine. Il s’agit d’une réponse politique et personnelle adressée au président Joe Biden qui autorisa l’Ukraine le 16 novembre 2024 à tirer 6 missiles ATACMS dans la profondeur du territoire russe[8].

Pour éviter tout malentendu, le Kremlin prévint les États-Unis avant le lancement du missile en certifiant qu’il ne transporterait pas d’armes nucléaires. Avertissement confirmé le lendemain par la porte-parole du Pentagone. Depuis 1945, les deux puissances n’ont jamais cessé d’utiliser les « canaux de sécurité habituels » afin d’éviter les méprises. Il en fut ainsi lors de la crise des missiles de Cuba en 1962.[9] Il en va de même dans le monde du renseignement où les dirigeants des deux communautés, russes et américaines, se connaissent et gardent le contact.

La « nuit du noisetier » s’adresse à la France et à la Grande-Bretagne autant qu’aux États-Unis. La Russie montre qu’elle peut à partir d’un missile hypersonique de moyenne portée (5 000 km), atteindre le sol ennemi et surtout le sous-sol avec des armes cinétiques.[10] En avertissant l’adversaire, elle montre que ses vecteurs sont à l’abri de toute interception. Elle met en avant un souci des populations civiles destiné à la propagande qui impressionne l’opinion.

En ajoutant un échelon conventionnel en amont de la dissuasion nucléaire, la Russie plonge les états-majors de l’OTAN dans une réflexion qu’ils avaient anticipée. Le Pentagone, bien informé, avait déjà retiré son porte-avions de mer Rouge.[11] La Chine, préoccupée par Taïwan, observe avec envie ce nouvel outil dissuasif. L’Inde, nous le verrons, coopère déjà avec le complexe militaro-industriel russe.

Ironie de l’Histoire, cette dissuasion non-nucléaire d’une portée moyenne a été rendue possible par le président Donald Trump lorsqu’il a dénoncé les traités interdisant ce type de missiles sur le théâtre européen lors de son premier mandat (2019). « La Russie a dû s’adapter » affirme le Kremlin. L’initiative de ces traités et leur dénonciation par les uns ou les autres mérite une étude spécifique tant les propagandes et désinformations entourent le sujet.

Présentée le 13 avril 2018 par le président Poutine devant les députés de la Douma et plusieurs centaines de scientifiques,[12]la panoplie balistique russe dissuade pour l’instant tout belligérant, fussent-ils les États-Unis. Cette technologie intéresse depuis longtemps les BRICS. Le BrahMos est un missile de croisière supersonique pouvant être lancé à partir d’un sous-marin, d’un bâtiment de surface, d’un avion ou d’une station terrestre. Développé conjointement par l’Inde et la Russie – qui ont créé à cette fin une société commune, BrahMos Aerospace Private Limited -, il tire son nom du Brahmapoutre, fleuve indien, et de la Moskova, fleuve russe. Sa vitesse de croisière est d’environ Mach 2,5-2,8, ce qui le rend trois fois et demie plus rapide que le missile subsonique américain Harpoon. Une version hypersonique de ce vecteur est en développement, le BrahMos-II. Cette supériorité aérospatiale se retrouve dans le domaine aéronautique où les performances des derniers Sukoi 57[13] et Mig 41 intéressent les armées de plusieurs nations.

Le champ de bataille

Avant d’aborder les conséquences économiques, culturelles, politiques de cette guerre, il est utile de comparer les deux lectures du champ de bataille.

Les experts occidentaux, à part quelques exceptions, commentent les combats à partir des avancées ou des reculs sur la carte. Ils recensent sur des tableaux les moyens matériels et financiers à la disposition des belligérants. Les experts russes s’expriment sur les médias domestiques et ceux du Sud Global où ils sont écoutés. Le souvenir de l’URSS qui soutint les guerres anticoloniales leur garantit une attention particulière. Les auditeurs et téléspectateurs comparent les spécialistes de la « guerre civile européenne ». Pour l’OTAN, les progrès territoriaux de Moscou ont longtemps paru médiocres, obtenus au prix de « pertes abyssales ».

L’art de la guerre russe, héritier d’une longue tradition[14] ne vise pas prioritairement la conquête ou la conservation des territoires. Les campagnes contre la Suède, la Pologne, l’Allemagne ou la France ont enseigné aux officiers russes que l’essentiel est la destruction de l’armée ennemie. L’espace, le temps et la météo sont pour eux des avantages gratuits. Le silence également.

La foi dans l’industrie financière caractérise l’approche anglo-saxonne. Avec un budget militaire de 916 milliards de dollars – contre 109 pour la Russie -, les États-Unis disposent d’une force écrasante.[15] Cette supériorité justifie la dépréciation de l’ennemi. Madame Ursula Van der Layen déclarait le 14 septembre 2022 à la tribune du Parlement européen que la Russie achetait des machines à laver partout dans le monde pour récupérer des puces électroniques afin de faire voler ses fusées et ses avions. Elle ajoutait que le complexe militaro-industriel russe était en lambeaux…

Selon Karen Kwiatkoswski, sociologue du complexe militaro-industriel, ancien officier, le budget américain entretient une pléthore de généraux. Il produits des armements couteux bénéficiant aux entreprises de la Défense dans lesquelles nombre d’officiers achèveront leur carrière. Cette armée trop grasse est moins efficace que dans le passé. Sur le terrain il s’avère que les matériels occidentaux ne sont pas à la hauteur d’une guerre terrestre de haute intensité. Les armes qui devaient « changer la donne » en faveur de l’Ukraine se révèlent les unes après les autres inefficaces. Seul le Caesar français, dont les tubes chauffent malheureusement plus vite que ses concurrents russes, et nos Rafale pourraient tenir tête à l’armée russe[16].

Les rapports se succèdent sur les échecs répétés du F-35. Fiabilité et furtivité ne sont pas à la hauteur des attentes. Parmi les problèmes figurent des retards fréquents dans la maintenance, des dysfonctionnements de l’armement et des vulnérabilités non résolues en matière de cyberdéfense. Selon Greg Williams, directeur du Project on Government Oversight (POGO) le dernier rapport révèle des failles importantes qui pourraient inciter l’administration Trump II à exiger une révision complète d’un programme dont les coûts immenses ne sont pas à la hauteur du résultat.[17]

Quand on sait que le projet F 35 « séduit » les aviations de l’OTAN, on mesure les défis auxquels nos forces aériennes, hormis la France, seront soumises. On se souviendra à l’occasion des déclarations d’experts militaires, de généraux, d’ambassadeurs, évoquant sur nos médias les faiblesses structurelles, voire congénitales, d’une armée russe démoralisée, sous-équipée, confrontée à des désertions massives, se battant avec des pelles…

Des journalistes de renom complétaient le tableau en évoquant la santé mentale voire physique du président Poutine, isolé dans son pays, paria sur la scène internationale. Ces encouragements repris par les médias ukrainiens galvaniseront une infanterie qui subira des pertes réellement abyssales, en croyant percer le système Sourovikine[18] en particulier à Robotino, Krinki, Uglédar et autres « sacs à feux ».

La très lente avancée des forces russes jusqu’à décembre 2024 n’a pas pour seule cause la stratégie d’attrition chère à Moscou. Une autre raison explique l’absence des grandes chevauchées blindées des années 1944-1945. Elles sont impossibles aujourd’hui car vouées à l’échec. Des deux côtés.

Les drones changent la guerre

Le combattant vit une guerre de plus en plus terrifiante menée des deux côtés par des jeunes gens intégrés dans les unités de première ligne. Ces nouveaux soldats jouent à la vraie guerre comme dans un jeu vidéo. Il n’y a plus de protection, il n’y a plus de tranchée ou d’abri comme à Verdun. « Si tu bouges le drone te repère, il te tue. Si tu es immobile il finit par te repérer, si tu urines contre un arbre, il détecte la chaleur qui sort de toi[19] ». « L’artillerie russe, tu ne la vois jamais mais elle te voit ! ».

Dans les deux camps l’ingéniosité des dronistes est stupéfiante. Le Babayaga ukrainien était à l’origine un drone agricole. Il en existe désormais plusieurs versions larguant des mines ou des grenades sur l’ennemi. Il va sans dire que la mise au point de ces engins est à l’origine d’accidents mortels, d’amputations des bras.

Chez les Russes la famille des Kolibri fait l’objet d’incessantes modifications. Ces appareils volent en essaim. Certains font de la reconnaissance. Ils éclairent le chemin des drones frappeurs. Spécialistes de la guerre électronique les Russes mettent au point une nouvelle génération de drones. Ils sautent d’une fréquence à une autre afin d’échapper aux tentatives de brouillage. Les drones deviennent compacts. Les Hummingbirds sont pliables. Ils tiennent dans un petit boîtier. Ils ne pèsent pas plus de quatre kilos. Des championnats internationaux de guerre des robots ont lieu dans les pays appartenant aux BRICS.

La guerre des drones augure d’un avenir inquiétant pour l’Europe. Les compétences du champ de bataille seront le bras armé de groupes radicaux ou mafieux. Ils mèneront des guerres dévastatrices contre leurs concurrents. Les spécialistes se forment sur place, in vivo. Le combattant de demain sera jeune, manipulable. Il opérera depuis le trottoir d’en face. Nos services de renseignement extérieurs et intérieurs pensent déjà aux contre-mesures. Comme en 1946, l’après-guerre risque d’être violent.

Les drones comme les satellites qui peuvent en coordonner les essaims sont par ailleurs un enjeu de la guerre économique comme nous le verrons plus loin.[20] En décembre 2024, la Chine réduit le volume de ses exportations de métaux précieux comme le gallium, l’antimoine ou le germanium vers les États-Unis. Pékin d’attire l’attention de la Maison Blanche sur le rapport de force des deux géants dans le domaine des technologies à double usage, militaire et civil. En cette occasion, le ministère du Commerce annonce que les livraisons de graphite à usage civil, notamment dans les batteries, feront l’objet de contrôles stricts.

Le renseignement, arme déterminante

Dans un article du New York Times paru le 25 février, 2024 on apprend ce que l’on savait déjà. La CIA est largement impliquée en Ukraine. Après plus de 200 entretiens avec d’actuels ou anciens fonctionnaires ukrainiens, américains et européens, deux journalistes dressent le tableau d’une collaboration des agences de renseignement ukrainiennes et américaines depuis la révolution de Maïdan en février 2014.

La « Compagnie » compte officiellement 12 bases le long de la frontière russe, et elle n’est pas le seul service de renseignement américain. On sait que la NSA est venu « durcir » les communications ukrainiennes avant le 24 février 2024, dans l’optique d’une reconquête de la Crimée et du Dombass.

La cohabitation des services occidentaux avec leurs homologues ukrainiens n’a jamais été un fleuve tranquille. Des complications surviendront lorsque le président Donald Trump demandera à son homologue Zelensky une enquête sur Hunter Biden, le fils de Joe Biden, lors de son premier mandat. Il n’en reste pas moins que le renseignement occidental fournit à l’Ukraine de précieuses informations permettant la réalisation de frappes dans une profondeur limitée…

A la suite de l’invasion russe, Joe Biden autorise les agences américaines à abandonner les anciennes règles. Elles sont autorisées à soutenir des opérations létales visant les troupes russes présentes sur le territoire ukrainien. La CIA avertit ses alliés d’un couloir humanitaire déployé à Marioupol risquant de se transformer en piège mortel. Elle permet de déjouer un complot qui menaçait le président ukrainien. Les services américains ne sont pas les seuls sur place. Tous les pays membres de l’Union européenne ont leurs « observateurs ».

La collaboration n’exclut pas la méfiance. Jusqu’à la destitution par le parlement du président Viktor Ianoukovytch les services de Kiev collaboraient avec leurs homologues russes civils et militaires. Il reste des sympathies inavouées au sein de l’appareil ukrainien pour le grand frère russe. Cela explique les ciblages, les attentats contre les sergents recruteurs,[21] les sabotages sur les lignes logistiques, et les dépôts d’armes. Emerge à l’ouest du Dniepr une résistance qui ne peut survivre sans la complicité d’une partie du renseignement ukrainien.

Les entreprises occidentales impliquées dans les guerres d’Ukraine disposent de compétences en matière de renseignement privé. Les cellules bien équipées sont animées par des anciens des services officiels. Les investisseurs céréaliers ou miniers animent des réseaux qui s’étendent bien au-delà des frontières ukrainiennes. Depuis le Moyen-Âge et la Ligue hanséatique, l’Allemagne, l’Angleterre et les Pays-Bas ont des intérêts en Ukraine et en Russie. Leurs entreprises, banques et compagnies d’assurance sont en mesure d’éclairer le gouvernement de Kiev à partir d’entrelacements commerciaux, philanthropiques, philosophiques, religieux. Bien des ONG sont les avatars de ces traditions. Il en va de même d’Israël dont les services civils et militaires, les start-ups dans le domaine de la cybersécurité ont des clients des deux côtés de la frontière.

Rien cependant ne laissait prévoir le rôle prépondérant de Starlink. « Sans lui nous aurions perdu la guerre » commentent les officiers ukrainiens. Sur le front, le système de satellites d’Elon Musk est un outil-clé pour Kiev. Il permet des liaisons en principe sécurisées et joue un rôle dans le pilotage des drones. Une entreprise privée devient belligérante, pèse sur le cours des opérations militaires.[22] La médaille a cependant son revers. Le propriétaire de SpaceX a empêché son utilisation pour frapper une base de la marine russe afin d’éviter, dit-il, un « mini Pearl Harbor. »

Le diable, se situe dans les détails. La couverture de l’Ukraine en septembre 2023, selon la carte officielle sur le site web de Starlink « oublie » les zones situées le long des frontières biélorusses et russes. La Crimée et certaines parties du Donbass ne sont pas protégées. Elon Musk sait dès le 24 février 2022 que les États-Unis ne combattront pas. La guerre économique suffira à faire tomber le gouvernement russe. Par la même occasion, il montre à la Chine où il possède des intérêts et qu’il n’est pas un jusqu’au-boutiste. Inutile d’insulter l’avenir. La participation du réseau privé de communication ouvre un chapitre peu connu des guerres d’Ukraine : la cyberguerre.

La cyberguerre au centre de toutes les autres

L’interception du signal, le brouillage des fréquences, l’interprétation des captations par le cerveau humain ou l’intelligence artificielle atteignent des niveaux de sophistication jamais vus auparavant. Les drones dont nous venons de voir l’efficacité sont désormais pilotés par fibre optique, tel autrefois le célèbre Milan, arme antichar française filoguidée. Les images en direct des impacts transforment le conflit en « spectacle ». Dans les deux camps, chaque unité se déplace avec ses brouilleurs et ses dronistes. Les groupes d’assaut, de plus en plus petits pour limiter les pertes, « reniflent » l’ennemi, le rendent visibles à l’artillerie, aux bombes planantes, aux lance-flammes.

Les belligérants développent des politiques de souveraineté numérique. Celles-ci se déclinent en trois chapitres, la maîtrise du hardware, les installations lourdes, le software, les logiciels et le cloud, la maîtrise des données. L’Europe et la Russie cherchent par tous les moyens à bâtir une industrie du cyber avec l’aide de nombreux partenaires de manière à anticiper les risques et saisir les opportunités d’affaires.

A Moscou, les semaines de la cybersécurité ressemblent à des écosystèmes rassemblant des milliers de participants à l’échelle des BRICS. Des administrations, des entreprises privées chinoises ou indiennes y côtoient des militaires mais aussi les directeurs de système d’information de grandes entreprises.

Il en va de même dans l’Union européenne. Le NIS2[23] qui fait suite au règlement général sur la protection des données (RGPD) prépare nos administrations et organismes d’intérêts vitaux à toutes les éventualités. La vulnérabilité du système Internet, notamment les câbles par lesquels transitent 99% des données, préoccupe nos services qui disposent d’un département cyberguerre important. L’ANSSI[24] anime un écosystème de souveraineté numérique à l’image de celui de Moscou. Des rencontres de praticiens telles que les « Lundi de la cybersécurité », ou des associations comme l’ARCSI[25] sont des lieux d’échanges entre spécialistes. Comme les autres, la cyberguerre a besoin d’idées.

Sur le champ de bataille elle brouille les vecteurs de l’ennemi. C’est ainsi que la guerre électronique rend aveugle certains missiles de croisière qui n’atteignent plus leurs cibles. L’obus de 155 mm Excalibur guidé par GPS n’est plus aussi performant qu’au début du conflit. Des corsaires ou mercenaires apparaissent dans le cyberespace. Ils traversent les frontières, menacent les souverainetés des États. A l’Est comme à l’Ouest des groupes informels tels que Conti[26] en Russie ou IT Ukrainian Army, préfigurent des guerres étonnantes, inattendues.

Encore limitée, la cyberguerre peut devenir cataclysmique. Entre la dissuasion nucléaire et la dissuasion conventionnelle existe désormais une dissuasion informatique tout aussi terrifiante. Après « la nuit du noisetier » celle de Chronos menace tous les belligérants.

Au XXIe siècles, avoir l’heure exacte est critique pour de grands pans de l’industrie et des transports. En mer Baltique, notamment depuis l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, la navigation commerciale est rendue plus difficile. L’heure est diffusée de plusieurs façons : par des émetteurs radio, par les satellites GNSS (GPS, Galileo, etc.), par Internet avec le protocole NTP, par des fibres optiques dédiées, etc.

Toutes les méthodes actuelles posent de gros problème de sécurité : les GNSS, très précis, utilisés absolument partout, sont très sensibles au brouillage, qui empêche la localisation, et au leurrage, qui vous transporte n’importe où. Or le brouillage, nous l’avons vu est une spécialité russe. Le protocole NTP, qui distribue l’heure sur Internet avec une précision bien moins grande, est facilement attaquable. Et les conséquences des attaques de plus en plus nombreuses peuvent être très graves[27].

En cas d’aggravation du conflit, des pirates pourraient modifier l’heure affichée sur des serveurs de temps, entraînant des désynchronisations massives et des dysfonctionnements dans les systèmes qui s’y réfèrent. Des attaques par déni de service pourraient rendre inaccessibles les serveurs de temps, paralysant les systèmes qui en dépendent. Les conséquences de la cyberguerre pourraient être catastrophiques. Les systèmes d’exploitation, les bases de données et leurs applications dépendent d’une horloge précise pour fonctionner correctement. Une heure erronée pourrait entraîner des pertes de données, des plantages et des dysfonctionnements généralisés.

Les réseaux de télécommunications s’appuient sur la synchronisation horaire pour router les paquets de données de manière efficace. Une heure inexacte pourrait entraîner des retards, des pertes de paquets et une dégradation de la qualité des communications. Les marchés financiers fonctionnent en temps réel et s’appuient sur des horloges précises pour exécuter les transactions. Une heure erronée pourrait entraîner des erreurs de calcul, des pertes financières et une perte de confiance dans les marchés. Les réseaux électriques, les systèmes de transport et les systèmes de contrôle industriels dépendent tous d’une synchronisation horaire précise. Une heure erronée pourrait entraîner des pannes, des accidents et des perturbations majeures. Le professeur Gérard Berry auteur de L’Hyperpuissance de l’informatique, Algorithmes, données, machines,réseaux[28] trace les grandes lignes d’un conflit généralisé.

La cyberguerre ne se limite pas au terrain militaire. Elle facilite le développement de technologies qui contournent les sanctions, bâtissent une souveraineté numérique partagée entre les BRICS. C’est sur elles que s’appuieront les réponses russes à la guerre économique occidentale.

La guerre économique occidentale

La guerre économique devait vaincre la Russie grâce aux sanctions économiques et financières. Il était inutile et risqué comme nous venons de le voir d’engager l’OTAN le 24 février 2022. L’Ukraine, forte d’une armée rééquipée, aux effectifs trois fois supérieurs à ceux de la force d’invasion russe, devait obliger cette dernière à l’envahir pour éviter la reconquête de la Crimée et du Donbass. Excellent prétexte pour lancer les sanctions finales. Tout était prêt, rien n’était caché puisque visible, écouté, par les service de renseignement des uns et des autres.

Le projet de guerre économique contre la Russie est une vielle idée anglo-saxonne qui prend ses racines après le congrès de Vienne de 1815. L’Angleterre ne pardonne pas au Tsar d’avoir ménagé la France. Tout au long du XIXe siècle, ce sont les milieux libéraux britanniques pour des motifs coloniaux qui inventeront le terme russophobie. Celui-ci ne fera pas toujours l’unanimité au sein de cette famille de pensée. Les États-Unis prennent le relais avec des géopoliticiens tels que Alfred Mahan, qui développe le concept de puissance maritime, John Mackinder[29], qui voit dans le Heartland eurasiatique une menace existentielle pour l’Amérique, ou Nicolas Spikman, qui, avec la théorie de l’anneau, est à l’origine de la politique de Containment de la Russie soviétique puis de la Chine.

C’est dans la continuité de ces auteurs que se situe Le Grand échiquier de Zbigniew Brzezinski et l’émergence des néo-conservateurs américains au sein du Parti démocrate et de son concurrent républicain. Madame Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat à l’Eurasies en sera l’une des figures politiques. On remarquera la filiation « polonaise » de cette école jusqu’au président Duda qui, en juin 2024, parlait de la nécessaire décolonisation de la Russie. Bien avant le 24 février, un axe Washington-Varsovie émerge. Il joue maintenant un rôle diplomatique et militaire au sein même de l’Union européenne…

En 2019, un rapport intitulé Overextending and Unbalancing Russia de la Rand Corporation[30], sous l’administration Trump I, décrit les mesures à prendre pour ruiner la Russie. Sont abordés les chapitres suivants : Economie – Géopolitique – Système informationnel et idéologique – Dimension aérienne et spatiale – Dimension maritime – Dimension terrestre et multi-domaines. Ce rapport s’inscrit dans le contexte des sanctions communes aux États-Unis et à l’Union européenne qui depuis la sécession des oblasts russophones sont censées affaiblir la Russie. On notera que les rédacteurs envisageaient déjà la possibilité d’une victoire militaire russe.

L’attaque économique décisive est déclenchée au lendemain du 24 février 2024. Bruno Le Maire déclare le 3 mars 2022 : « Nous allons mettre l’économie russe à genoux ». Le 23 mars au sommet de l’OTAN, le président Macron annonce : « Au moment où je vous parle la Russie est en état de cessation de paiement. Nous allons l’isoler sur la scène mondiale ». La déclaration de guerre de la France s’inscrit dans celle plus globale de l’Occident. Les banques russes, exceptions faites de certaines qui négocient les hydrocarbures, sont déconnectées du système SWIFT. La Russie plie, le rouble chute lourdement, mais le pays résiste.

Le 26 septembre 2022, en mer Baltique, deux explosions occasionnent d’importantes fuites de gaz. La première, sur Nord Stream 2 est découverte au sud-est de l’île danoise de Bornholm. Plusieurs heures plus tard, deux autres fuites sont décelées sur Nord Stream 1 au nord-est de l’île. Ces actes de guerre sanctionnent les économies allemandes et françaises. On mesure mieux aujourd’hui le désastre subi. Engie, partenaire de Gazprom avec des sociétés allemandes et hollandaises, perd 900 millions d’euros d’investissement[31]. Le gaz revendu en Europe ne peut plus l’être.

Trois pays bénéficient de cette agression. La Russie libère des stocks importants qu’elle peut écouler en direction des BRICS. Elle profite de l’affaiblissement européen. Les États- Unis rentabilisent leur industrie des gaz de schiste. Ils le vendent aux Européens qui le boudaient pour des raisons environnementales. Un troisième pays tire son épingle du jeu : la Norvège[32] qui vend son gaz plus cher elle aussi. La question demeure de savoir qui a commis cette destruction stratégique, mais il est évident que le grand perdant demeure l’Union européenne.

En septembre 2024, le rapport Draghi tire un bilan provisoire des conséquences de la guerre économique. Il annonce un lent appauvrissement de l’Europe occidentale. Selon le FMI (octobre 2024) la croissance est plus forte dans les BRICS qu’au G7. En termes de pouvoir d’achat du consommateur, la Russie dépasse l’Allemagne et la France. Après la défaite militaire, l’Europe enregistre une défaite économique. Comment la Russie a-t-elle surmonté les sanctions ? Comment les a-t-elle utilisées ?

La guerre économique russe

L’échec des sanctions occidentales a pour cause première leur publicité. Bien avant 2014, les « trains » de sanctions commentés, discutés dans les assemblées et les chancelleries, décrivent par le menu toutes les attaques dont l’économie russe sera la cible. La discrétion n’est pas une arme occidentale. Depuis longtemps, la Russie maîtrise l’art de se taire. Cet avantage nous est étranger. Souffrant d’un climat rude, d’un espace immense, de conditions de vie difficiles, le peuple russe développe des capacités de résilience étonnantes. Judoka dans l’âme, le président Poutine a profité des sanctions pour « secouer » l’intelligence économique et technologique de ses concitoyens.

Comme aurait dit le général de Gaulle, la paresse et le renoncement menacent les Russes autant que les autres. Les sanctions occidentales renforcent l’idée d’encerclement autant que les Léopard dans les plaines d’Ukraine ou les bases de l’OTAN autour de la Rodina. La Russie est le pays de la TRIZ (acronyme de Théorie de Résolution des Problèmes Inventifs[33]). Chaque sanction, chaque retrait de fournisseur, chaque rupture d’approvisionnement de pièce détachée devient un problème appelant une innovation, souvent par simplification ou alliance iconoclaste de technologies séparées par des préjugés[34]. La démarche est une approche heuristique destinée à résoudre des problèmes d’inventivité technique. Comme lors du siège de Leningrad, l’intelligence russe collective va retourner les sanctions contre l’ennemi.

Dotée d’une mémoire séculaire, la diplomatie russe puise des idées dans l’histoire de l’URSS. Celle-ci commerçait en rouble et en roupies avec l’Inde dans le domaine des hydrocarbures. L’expérience cessa avec le régime communiste. Avant même les guerres d’Ukraine, la vielle idée reprend du service. Lorsque les BRICS apparaissent, l’envie d’échapper à de nouvelles sanctions se confond avec celle d’ajouter aux FMI et à la Banque mondiales des institutions financières plus souples, mieux adaptées au désir du Sud de commercer avec le Sud, sans risquer l’extraterritorialité judiciaire du dollar.

Pour madame Anuradha Chenoy analyste financière indienne, le programme des BRICS pour une dédollarisation prendra du temps. Le dollar représente encore 80% des échanges mondiaux, l’euro 16%, devant les monnaies chinoises et indiennes. La monnaie de remplacement n’existe pas encore. Cependant le manque de crédibilité militaire et diplomatique de l’Union européenne pourrait entraîner la chute de l’euro avant celle du dollar, qui a encore de beaux jours devant lui.

Lors du 16e forum de Kazan[35] les BRICS se définissent comme un club d’affaires non occidental mais pas anti-occidental. La plupart des pays membres, y compris la Russie, souhaitent entretenir des relations commerciales voire culturelles avec l’Occident. Cependant les BRICS opposent la notion d’état civilisationnel à celle d’universalisme occidental. Beau sujet de thèse pour nos étudiants en géopolitique.

Malgré la domination du dollar, le forum de Kazan réaffirme les fondements d’un projet financier calqué sur les institutions de Bretton Woods, mais plus souples, plus « technologiques ». Les BRICS envisagent la création d’une unité de compte commune basée sur la blockchain.[36] L’exercice est ardu car il faut concilier une technologie par essence décentralisée avec une nécessaire centralisation. La nouvelle unité de compte pourrait intégrer des devises mais aussi de l’or ou des matières premières.

Un système d’assurance mondial pourrait compléter le tableau de façon classique. Il est encore au stade des idées. La création d’une agence de notation mondiale indépendante posera des problèmes politiques. La Banque de développement de Shanghai, faiblement dotée (100 milliards en dollars), reste un nain. En revanche l’idée d’un dépositaire de règlement, chambre de compensation, est stratégique. Une grande partie du commerce mondial échappera aux regards des statistiques occidentales. Le monde commercera sans nous.

Les BRICS sont un animal diplomatique qui interroge les ministres des Affaires étrangères occidentaux. Le forum de Kazan acte la fin de l’anthropocène à l’instar d’un nombre croissant de scientifiques, géologues, physiciens ou climatologues. La transition climatique est ajournée. Les conclusions du GIEC sur le CO2 sont soupçonnées de favoriser les études accusant le dioxyde de carbone au détriment de celles qui relient le changement climatique à des phénomènes complexes, voire aux nanoparticules de plastique, aux évolutions du système solaire. Une telle politique remet en cause les réglementations européennes. L’industrie du Vieux continent, basée sur la « protection de la planète », est prise à revers.

Outre l’extraterritorialité juridique du dollar, les BRICS dénoncent les sanctions unilatérales. Selon Anuradha Chenoy, 15 entreprises indiennes ont récemment été sanctionnées par les États-Unis. Ce qui ulcère New Delhi. La politique du genre et l’étude de la transsexualité à l’école primaire choquent ses valeurs de société qui reconnaissent le masculin et le féminin. Les BRICS ont permis un gel du conflit frontalier de l’Himalaya entre la Chine et l’Inde. Ces deux pays ont reculé leurs troupes. L’Iran et l’Arabie saoudite mènent des manœuvres militaires conjointes. Pour les spécialistes du Moyen-Orient, la chose était inconcevable.

Ces développements diplomatiques sont pour la Russie une source d’influence. Ils sont dus à la compétence de fonctionnaires travaillant depuis plusieurs décennies sous les ordres du même ministre. Sergueï Viktorovitch Lavrov associe son pays à un regroupement planétaire dont le PIB dépasse celui du G7. Ce diplomate est en passe d’isoler l’Union européenne. Celle-ci, confrontée à la signature le 6 décembre 2024 du traité de libre-échange avec le Mercosur[37], doit gérer le mécontentement d’agriculteurs hostiles à l’importation de produit alimentaires et céréaliers ukrainiens ne respectant pas nos normes sanitaires.

Le souvenir, du bombardement de la Serbie en 1999 par les États-Unis hante les guerres d’Ukraine. L’annulation du premier tour des élections présidentielle en Roumanie[38] le 6 décembre 2024 par la Cour constitutionnelle empêche M Calin Georgescu, pro-russe opposé au maintien de la Roumanie dans l’OTAN, d’accéder au second tour. La condamnation par son challenger, madame Elena Lasconi, de cette décision constitutionnelle ouvre une crise politique. Dans les derniers sondages, Georgescu était crédité de 63% des voix le 8 décembre 2024. Ce séisme politique concerne la France qui dispose de troupes[39]au camp de Cincu.

La Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie – pays frontaliers de l’Ukraine – et la Serbie sont le théâtre d’évolutions hostiles au gouvernement de Kiev. La Moldavie, grâce à l’apport controversé des Moldaves de l’étranger, échappe de justesse à un gouvernement pro-russe. En Allemagne les élections partielles et la crise économique favorisent à droite comme à gauche un courant hostile à l’OTAN et à Kiev. La Géorgie souhaite une politique d’apaisement avec Moscou.

Le retrait partiel des États-Unis, renforce la tendance. Dans une Ukraine en paix, rien ne garantit un résultat électoral favorable à l’Union européenne. Le ressentiment gagne du terrain parmi la population. L’Occident est accusé de ne pas avoir été à la hauteur des promesses. L’image de la Russie s’améliore, malgré les cimetières qui s’étendent à perte de vue. La langue russe se parle à nouveau dans certains milieux. L’opposition à la guerre en France[40] affaiblit notre « soutien indéfectible » au gouvernement de Kiev. Pourquoi envoyer des jeunes Français mourir à la place des Ukrainiens, accueillis chez nous ?

Le 7 décembre 2024, à l’occasion de la réouverture de Notre Dame, Ursula Van der Layen était absente. C’est plus qu’un symbole. C’est un avertissement. L’Union européenne incapable de gagner la guerre commence à perdre une paix qu’elle n’a pas anticipée[41]. Sa dislocation devient une possibilité.

Intelligence économique et stratégique

Les guerres d’Ukraine obligent la France à voir le monde tel qu’il est. La proposition de loi du Sénat[42] du 25 mars 2021 portant sur une politique d’intelligence économique et stratégique, est une réponse à la hauteur de la menace. Il faut féliciter les sénateurs qui ont conçu un système innovant inspiré des actions de monsieur Alain Juillet, premier Haut responsable à l’Intelligence économique de 2003 à 2009. Les fondements doctrinaux, législatifs, réglementaires, existent. Il est inutile de refaire un énième rapport. Il faut passer à l’acte…Difficulté française.

Sans intelligence nationale il est impossible de lire et conduire la guerre économique[43] qui ne s’arrêtera jamais. Cette ambition, source de cohérence nationale, mobilise les élus, les chefs d’entreprises, les territoires, les métiers, les ingénieurs et les scientifiques. Elle nécessite une formation des dirigeants et des cadres aux éléments fondamentaux de la discipline.[44] Elle nous oblige à une réflexion sur les temps qui viennent. Des milliers de questions nécessiteront des réponses. En voici quelques-unes parmi une immensité :

– La Russie voudra-t-elle nous envahir ? En a-t-elle les moyens ? Le veut-elle ?

– Sommes-nous si appétissants ? Qu’avons-nous à part du charbon, du granit et de la neige l’hiver ? L’Europe occidentale a toujours été un continent pauvre…

– Quid de la Roumanie après l’annulation de la présidentielle ?

– Qui assumera la dette ukrainienne ?

– Quid de l’Ukraine dans l’Union européenne ?

– Quid des terrorismes nés de l’après-guerre ?

– Nos intérêts sont-ils compatibles avec ceux de l’Union européenne ?

– Une défense européenne est-elle crédible ?

– Nos « alliés » sont-ils nos alliés, nos « ennemis » sont-ils nos ennemis ?

– Comment rétablir nos positions en Afrique ?

– Quelles énergies pour demain ?

– Quelles valeurs compatibles avec celles des autres ?

– Pourquoi les autres ne pensent-ils pas comme nous ?

– Interactions entre le conflit ukrainien et celui du Moyen Orient ?

– Le Sud Global est déjà parmi nous, quelle approche ?

L’intelligence économique nationale travaille en collaboration avec les entreprises, car celles-ci sont déjà des intelligences économiques. La fiabilité des sources et la véracité de l’information sont prioritaires. Le présent article s’inspire à 90% de sources ouvertes facilement accessibles dont on trouvera une liste non exhaustive ci-dessous.

Beaucoup de médias ont traité le sujet conformément à la charte de Munich régissant la profession de journaliste et dont l’article premier stipule : « Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité ».

par Bernard BESSON* – Cf2R – TRIBUNE LIBRE N°172 / mars 2025

*Contrôleur général honoraire de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).
Ancien chef de cabinet du directeur central des Renseignements Généraux (DCRG) et du directeur de la Surveillance du territoire (DST), il a été chargé de mission auprès du Haut responsable pour l’intelligence économique (HRIE).
Bernard Besson est également directeur scientifique du Comité intelligence économique des Ingénieurs et scientifiques de France (IESF), membre de la Commission intelligence économique du MEDEF Ile-de-France et auteur de nombreux ouvrages consacré à l’intelligence économique et de thrillers géopolitiques dont l’un a obtenu le prix Edmond-Locard 2000 du roman noir en langue française.


Nota

Les analystes et les media dont les noms suivent ont été validés par les faits, la pertinence des commentaires, malgré des divergences d’opinions. Utiles pour comprendre la guerre, ils le sont pour anticiper l’après-guerre.

Idriss Aberkane, essayiste, Agence internationale de l’énergie, Frédéric Aigouy, journaliste, Brainlesspartisans X, Jacques Baud, analyste militaire, Espoir et Dignité, George Beebe, analyste, Bloomberg News, BFMTV.Cyril Gloagen, militaire-géopoliticien. Karine Bechet-Golovko, juriste, Anne-Laure Bonnel, journaliste, Fabien Bouglé, énergéticien. André Bercoff journaliste. Hervé Carresse analyste militaire, Tucker Carlson, journaliste, Régis de Castelnau, avocat. Consortium international des journalistes d’investigation, Eric Denécé, analyste, CF2R, CNEWS, Grillard Eric X. Dialogue franco-russe, Glenn Diesen, universitaire, Donbass insider, Diploweb, Sylvain Ferreira, historien, Chas W Freeman, analyste, JacquesFrèreX. Vladimir Fédorovski, écrivain, The Economist. FMI news, Fulguradvenit, Caroline Galactéros, géopolitologue, Géopolitique profonde, Géopragma, Charles Gave, économiste, Jacques Hogard, militaire, François Hollande ex-président. Intelligence online, Jean-Loup Izambert, écrivain, Alain Juillet, Sergueï Alexandrovitch Karaganov, politique, Olivier Kempf, militaire, Kyiv Post, Régis Le Sommier, journaliste. Le courrier des stratèges, Pascal Lottaz, universitaire, LCI, Ligne droite, Thierry Mariani, député, Dimitri Marckenko, militaire, Jack Matlock, diplomate, Le nouveau Conservateur. Mediazona, Viktor Medvedchuk, politicien, Alexander Mercouris, avocat, Angela Merkel, ex-chancelière. Military Summary Chanel. Nikola Mirkovic, écrivain, Arta Moeini, analyste Xavier Moreau, entrepreneur, Camille Moscow blogueuse, Omerta, Vasyl Muravytskyi, journaliste.Christelle Néant, journaliste, Open Box TV, New York Times, Victoria Nuland, ministre, Renard Paty, Jean-Pierre Petit, scientifique, Jean Bernard Pinatel, général, Politico, Piotr Olegovitch Tolstoï, député.  Markus Reisner, universitaire, Jeff Rich, analyste, Fabrice Ribère, analyste. Rand Corporation Scott Ritter analyste, Alexandre Robert analyste, Henri Roure, analyste militaire, RussiaToday Jeffrey Sachs, économiste, Jacques Sapir économiste, Sputnik, Sud Radio. TerciosdelsolX, Sanevox, Stratpol, Tocsin, Emmanuel Todd essayiste, SitRepInternational Reporter, TVlibertés, Veille stratégique, Dominique de Villepin, politique.


[1] La Défaite de l’Occident Emmanuel Todd, Gallimard janvier 2024. L’auteur qui avait prévu de manière détaillée et documentée la fin de l’empire communiste réitère l’exercice avec l’Occident et en particulier l’OTAN.

[2] CF. Liste des guerres des États-Unis (Wikipédia). Le bombardement de l’OTAN sur la Serbie en 1999 pendant 78 jours a marqué les esprits en Europe balkanique. Voir plus loin.

[3] Le Format Normandie est une discussion diplomatique impliquant quatre pays : Russie, Ukraine, Allemagne et France, visant à régler la guerre du Donbass. Cette configuration des rencontres diplomatiques à quatre pays a été adoptée pendant la guerre civile opposant de 2014 à 2022 l’armée ukrainienne aux deux républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk

[4] Dans un entretien au Kyiv Independent (12 décembre 2022), François Hollande a revendiqué que les accords de Minsk avaient amené la Russie sur le terrain diplomatique, laissant à l’armée de Kiev le temps de se renforcer. Un aveu contredisant les déclarations pacifiques d’alors.

[5] Guerre en Ukraine : après des pourparlers « substantiels » à Istanbul, Moscou promet de « réduire radicalement » son offensive vers Kiev (Le Monde 29 mars 20).

[6] Poutine et Zelensky “voulaient un cessez-le-feu” mais les négociations ont été rompues par les pays occidentaux a expliqu » Naftali Bennett (France soir, 6 février 2023).

[7] Site de Jean Pierre Petit. Le missile tiré le 21 novembre 2024 était un MRBM Oreshnik volant à Mach 10 (3km/s). Sur ce sujet on se réfèrera aux explications de Cyril Gloagen cité plus loin. Quant à Jean Pierre Petit sa connaissance intime du milieu scientifique russe en fait un expert également très écouté. Spécialiste des problèmes liés à l’hypervélocité, il traite de l’apparition de ces technologies dans l’industrie aérospatiale.

[8] La paternité de cette décision n’est pour l’instant pas clairement établie. La » profondeur » toute relative n’excède pas 300 km. Le tir fut d’une efficacité réduite : 5 missiles abattus, le 6edestabilisé. On peut dire que l’OTAN malgré ses fermes déclarations soutient l’Ukraine comme la corde soutient le pendu.

[9] 1962, roman de Bernard Besson, Odile Jacob, 2015. A cette époque déjà (crise des missiles de Cuba), les ambassadeurs des deux puissances jouèrent un rôle stratégique de premier plan. Aujourd’hui encore, des personnalités comme William Burns et Serguei Naryshkin qui se connaissent bien, reproduisent le dialogue de 1962, équilibre de la terreur oblige.

[10] Cyril Gloagen, « Portrait possible du missile russe Oreshnik », Diploweb, 8 décembre 2024. Ce spécialiste détaille longuement les défauts et qualités du missile, son histoire technologique.

[11] Les États-Unis retirent le porte-avions Eisenhower de la mer Rouge en raison de l’intensification des attaques des Houthis (Jade, 24 juin 2024).

[12] Site de Jean Pierre Petit.

[13] Le Russie revendique une première vente à l’export pour son nouveau chasseur Sukhoi Su-57. Le pays acheteur n’a pas été nommé mais il pourrait s’agir de l’Algérie ou de l’Iran (Frédéric Lert, Aéro Buzz, 18 novembre 2024). On écoutera avec intérêt l’analyse d’Hervé Carresse le 24 novembre 2024 sur TVL.

[14] Jacques Baud, L’Art de la guerre russe, Max Milo, 2023. Ancien expert militaire de l’ONU, r ex officier de renseignement suisse, il a travaillé en Ukraine et en Russie dans le cadre du Format Normandie. Ses analyses de terrain ont été confirmées par les faits à de nombreuses reprises.

[15] Statista 202,3 Statista Research Department, 21 mai 2024.

[16] Dès 2026, la version F4 du Rafale de Dassault va utiliser l’IA pour désigner des cibles au sol

Après huit ans de travaux de recherche, Thales est parvenu à injecter une dose d’intelligence artificielle dans le pod Talios de la nouvelle version du Rafale. Cet équipement sert à la reconnaissance des objets et à la désignation laser. Cette innovation va équiper la future version F4 du chasseur-bombardier français, prévue pour 2026 (L’Usine Digitale, IA Insider, 10 décembre 2026)

[17] Yves Pagot, « Les déboires du programme F-35 ou le paradoxe de Zénon », Aviation militaire, août 2018.

[18] Sergueï Vladimirovitch Sourovikine concepteur et réalisateur d’une « défense active », un des vainqueurs de cette guerre.

[19] Confidence d’un engagé français dans la Légioni ayant combattu du côté ukrainien. Cette relation est confirmée par le grand reporter Régis le Sommier sur la chaîne Omerta. Celui-ci a passé plusieurs semaines des deux côtés du front notamment dans le saillant de Soudja. Où il a fréquenté les « dronistes ».

[20]  Harold Thibault, Le Monde,4 décembre 2024 La Chine a annoncé, mardi 3 décembre, bloquer ses exportations de certains métaux stratégiques vers les États-Unis, au lendemain de nouvelles restrictions américaines à son encontre, dans une accélération de la guerre technologique entre les deux premières puissances de la planète. Le ministère du commerce chinois, accusant Washington d’avoir « politisé les questions commerciales et technologiques », explique dans un communiqué qu’il ne délivrera plus de licences d’exportation de gallium, de germanium, d’antimoine et d’autres matériaux vers les États-Unis dès lors qu’ils peuvent avoir un double usage civil et militaire.

[21] Des centaines de milliers de jeunes ukrainiens ont fui leur pays dès 2014 pour rejoindre les États-Unis, l’Union européenne ou la Russie. L’armée de Kiev manque cruellement d’hommes. L’argument, repris par des officiers américains, pèse dans la politique de retrait des États-Unis. Côté russe, des centaines de volontaires affluent chaque jour, motivés par des primes, de bons salaires et un patriotisme évident.

[22] Elise Vincent, Alexandre Piquard et Cédric Pietralunga Le Monde, 15 décembre 2022

[23] Securityhttps://waterfall-security.com/guides/nis2 NIS2 Directive Guide NIS2 Compliance Guide

[24] Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (https://cyber.gouv.fr). Clé de voute de la souveraineté numérique française, l’Agence mettra en œuvre les recommandations de NIS2. Les esprits critiques pour ne pas dire chagrins, remarqueront que l’Europe réglemente, la Fédération de Russie agit, les États-Unis achètent…

[25] Association des réservistes du chiffre et de la sécurité de l’information (https://www.arcsi.fr). La cybersécurité est également enseignée à l’Ecole européenne d’intelligence économique de Versailles (EEIE).

[26] « Ransomware : le groupe pro-russe Conti pratique volontiers un terrorisme numérique », Le Monde Informatique(https://www.lemondeinformatique.fr/ac).

[27] Gérard Berry, ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur général du corps des Mines, membre de l’Académie des sciences, de l’Académie des technologies est titulaire de la médaille d’or du CNRS qu’il a reçue en 2014. Il est professeur émérite (au mérite) au Collège de France, ex-chaire Algorithmes, machines et langages (Gérard Berry Le Temps vu autrement, Odile jacob, 2025).

[28] Odile Jacob, 2017.

[29] D’après sa théorie du Heartland, il estime que pour dominer le monde, il faut tenir la plaine s’étendant de l’Europe centrale à la Sibérie occidentale, qui rayonne sur la mer Méditerranée, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et la Chine.

[30] « Le rapport de la Rand Corporation pour déstabiliser la Russie », 31 octobre 2022 (https://www.francesoir.fr/politique-monde/le-rapport-de-la-rand). La Rand Corporation semble quelque peu embarrassée par ces preuves qui montrent que les États-Unis ont cherché à déstabiliser la Russie.

[31] Alors que l’enquête de la police allemande avance à petits pas, le flou demeure sur les commanditaires du sabotage des gazoducs Nord Stream survenu il y a deux ans. Les actionnaires européens et leur partenaire russe Gazprom restent dans le noir (Intelligence online, 05/12/2024). Ce média laisse clairement entendre que tout est fait pour masquer les preuves…Cette affaire marque les esprits en Allemagne ; elle jouera un rôle dans les évolutions politiques du pays.

[32] Seymour Hersh, “How America Took Out The Nord Stream Pipeline”, (https://seymourhersh.substack.com/p/how-amer). L’auteur très connu outre-Atlantique pour son sérieux, avoue ne pas apporter de preuve évidente. Mais la thèse qui accuse les Russes ou les Ukrainiens ne prouve rien non plus.

[33] Teorija Reshenija Izobretateliskih Zadatch (Теория Решения Изобретательских Задач – ТРИЗ).

[34] L’utilisation de GPS sur de vielles bombes héritées de la Seconde Guerre mondiale en est un exemple.

[35] Sommet des BRICS : 24 dirigeants étrangers et le secrétaire général de l’ONU attendus en Russie. Ce sommet revêt une importance particulière pour la Russie, qui y voit l’opportunité de briser son isolement diplomatique consécutif au conflit en Ukraine (i24News, Kazan Russian Federation, 23 october 2024).

[36] La blockchain est une technologie numérique de stockage et de transmission d’informations sans autorité centrale. Elle fonctionne comme une base de données sécurisée par des moyens cryptographiques, répertoriant les transactions dans un ordre chronologique. La validation et l’authentification des transactions se font par un réseau décentralisé et de pair à pair, sans intermédiaire ou tiers de confiance. La blockchain permet de minimiser les coûts et les retards liés à l’utilisation d’intermédiaires tiers pour les transactions financières.

[37] « L’UE et le Mercosur annoncent avoir conclu les négociations pour un accord de libre-échange », Africanews.

[38] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/12/06/roumanie.

[39] Ministère des Armées, 12 juillet 2022. Depuis le début de la guerre en Ukraine, 800 soldats français sont déployés en Roumanie pour consolider la défense du flanc Est de l’Europe.

[40] « Sondage : 68% des Français opposés à une intervention militaire » (www.cnews.fr/france/2024-11-28).

[41]« L’ancien chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, dans une interview au journal El Diario le 11 décembre 2024, reconnait que les sanctions économiques de l’Union européenne ont été rendues inefficaces du fait de la solidarité des BRICS. Il s’interroge également sur la capacité de l’Union européenne à remplacer l’effort militaire américain si celui-ci s’arrête.

[42] Proposition de loi, Texte n° 489 (2020-2021) de Mme Marie-Noëlle Lienemann, M. Fabien Gay et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 25 mars 2021

[43] Bernard Besson,4 mai 2022 (https://www.diploweb.com/Ukraine-Comment-lire-et-conduire-la-guerre). L’auteur du présent article approuvait la nécessité d’arrêter cette guerre par la négociation comme lors des rencontres diplomatiques du format Normandie. La nation ukrainienne a été brisée par ce conflit. Lorsque les pertes humaines seront comptabilisées de part et d’autre, l’Europe et la Russie prendront conscience d’une faillite morale et politique sans précédent depuis 1945.

[44] https://www.iesf.fr/752_p_43175/comite-intelligence-economique. Le MOOC-IESF-UNIT sur l’intelligence économique propose des outils pédagogiques, une certification des personnels, une évaluation de l’intelligence économique déjà présente à partir du TEST 1000 et un Questionnement stratégique. Cet enseignement en ligne s’appuie sur les retours d’expérience en France et dans le monde de nos ingénieurs confrontés à la concurrence loyale autant qu’à la guerre économique. Ce programme est supporté par L’Université numérique ingénierie et technologie (UNIT) qui est l’une des sept universités numériques thématiques nationales (UNT) créées à l’initiative d’universités, de grandes écoles et du ministère chargé de l’Enseignement supérieur. Le badge IESF-MOOC -UNIT certifie les compétences de celui ou celle qui obtient une moyenne de 14/20 en répondant au Quiz du MOOC intelligence économique. Il n’est d’ailleurs pas interdit d’obtenir 20/20…

Planisphère. La géopolitique résiste-t-elle au cyber ?

Planisphère. La géopolitique résiste-t-elle au cyber ? Avec F. Manet

Par Emilie Bourgoin, Florian Manet, Pierre Verluise – Diploweb – publié le 6 mars 2025 

https://www.diploweb.com/Planisphere-La-geopolitique-resiste-t-elle-au-cyber-Avec-F-Manet.html


Florian Manet, Colonel de la gendarmerie nationale. Il commande le volet opérationnel du Commandement du Cyberespace du Ministère de l’Intérieur.

Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée en direct le 4 mars 2025.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle a la charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.

La géopolitique résiste-t-elle au cyber ? Le cyber, est-ce virtuel, immatériel ou matériel ? De quelles façons la couche matérielle du cyber est-elle un champ d’affrontement géopolitique entre acteurs étatiques mais aussi non étatiques ? Pourquoi la couche logicielle du cyber est-elle l’enjeu de l’expression des rivalités de puissance étatique comme non étatique ? Comment pouvons-nous comprendre la géopolitique des infrastructures numériques ? Dans le cyber, l’État est-il un acteur disqualifié ? Pour répondre, nous avons l’honneur de recevoir Florian Manet.

Cette émission, Planisphère, La géopolitique résiste-t-elle au cyber ? Avec F. Manet, sur RND

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Cette émission, Planisphère, La géopolitique résiste-t-elle au cyber ? Avec F. Manet, sur RCF

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Synthèse de cette émission, Planisphère, La géopolitique résiste-t-elle au cyber ? Avec F. Manet, rédigée par Émilie Bourgoin pour Diploweb.com. Revue et validée par F. Manet

Dans un monde de plus en plus connecté, la dimension géopolitique du cyberespace soulève de nombreuses interrogations [1]. Le cyber, souvent essentiellement perçu comme un domaine immatériel, prend de plus en plus d’importance dans les enjeux de pouvoir entre États et entre acteurs privés. Le colonel Florian Manet met en lumière les aspects matériels et les confrontations géopolitiques qui se jouent dans cet espace numérique. La question centrale est alors de savoir si l’organisation géopolitique traditionnelle peut encore résister à la montée en puissance des menaces cyber, ou si elle est irrémédiablement transformée par cette nouvelle dimension.

Planisphère. La géopolitique résiste-t-elle au cyber ? Avec F. Manet
Florian Manet
Florian Manet publie « Thalassopolitique du narcotrafic international, la face cachée de la mondialisation ? » aux éditions EMS. Il s’exprime à titre personnel. Crédit photographique : Pierre Verluise
Verluise/Diploweb.com

La dimension matérielle du cyber

Contrairement à une idée répandue, le cyber n’est pas un espace purement immatériel. Il repose sur une infrastructure physique complexe, composée de câbles sous-marins, de data centers et d’une multitude d’objets connectés. Avec environ 1,2 million de kilomètres de fibres optiques sillonnant les océans, ces installations matérielles constituent la colonne vertébrale des échanges de données mondiaux. Florian Manet souligne l’importance de ces infrastructures, qui sont devenues des cibles potentielles d’actes malveillants. Le cyber, bien que virtuel dans ses effets, repose sur une base matérielle concrète, indispensable au bon fonctionnement des sociétés modernes.

Les attaques sous-marines : Nord Stream 2 en 2022 brisent un accord tacite

L’exemple le plus frappant de l’importance stratégique des infrastructures sous-marines est l’attaque sur le gazoduc Nord Stream 2 en septembre 2022 [2]. Cet incident a mis en lumière la vulnérabilité des installations offshore, qu’il s’agisse de gazoducs ou de câbles de communication. Le milieu marin comme l’éloignement des côtes n’est plus guère une protection. L’attaque a brisé un accord tacite selon lequel ces infrastructures restaient à l’abri des agressions. Le précédent créé par cet acte impose une révision des stratégies de protection des infrastructures critiques sous-marines, qui sont devenues des enjeux géopolitiques de premier plan. La protection de ces installations est désormais une priorité pour les États et les alliances comme l’OTAN.

Avec l’introduction massive des drones dans les conflits, notamment en Ukraine, la guerre prend une nouvelle forme, où les barrières géographiques sont facilement contournées. Les drones terrestres, aériens et marins peuvent être utilisés pour saturer les réseaux et cibler des infrastructures critiques comme les câbles sous-marins et les data centers.

Le dark web : un espace d’activités illicites

Le dark web, une partie obscure de l’Internet accessible uniquement via des navigateurs spécifiques comme Tor, est un espace où les activités illicites prolifèrent. Initialement développé par des agences de renseignement américaines, Tor permet d’accéder à des marchés non indexés où s’épanouissent des activités illicites à l’échelle mondiale. Ainsi, circulent des données volées obtenues notamment lors de cyberattaques comme des rançongiciels et où sont proposés à la vente des produits ou substances illicites comme des armes, des produits stupéfiants ou des contenus pédopornographiques. Ainsi, le cyberespace décloisonne des espaces géographiques, culturels, dessinant de fait une nouvelle géopolitique. À titre d’illustration, des solutions logicielles contribuent à opacifier des échanges par voie numérique en rendant incertaine la localisation géographique des acteurs. Des outils comme les VPN ( ou Virtual Private Network) permettent aux utilisateurs de masquer leur localisation géographique précise, ce qui présente l’avantage de protéger les internautes dans des zones soumises à forte censure ou pour éviter d’être repérés.

En plus des VPN, il convient d’évoquer d’autres typologies de cyberattaques qui illustrent à dessein les enjeux géopolitiques du cyberespace dans leurs capacités à fragiliser toutes tentatives d’attribution d’un acte malveillant. Il s’agit des attaques par DDOS, autrement dit des attaques par déni de service distribué. Des machines zombies c’est-à-dire des ordinateurs indûment contrôlés à distance par des hackers sont mobilisées, simultanément, pour saturer par des requêtes envoyés en grand nombre sur des services en ligne par exemple. L’effet est immédiat : le service ne peut répondre et se trouve de fait inopérant dans ses fonctionnalités ou « service ». Ces attaques, déclenchées à l’insu des propriétaires des machines, saturent les serveurs visés, rendant difficile l’identification des attaquants. Ainsi, la géographie physique n’est plus un obstacle, transformant la cybercriminalité en un défi majeur pour la sécurité internationale.

Les data centers : installations physiques névralgiques au cœur de la guerre cyber ?

Les data centers, véritables centres névralgiques du cyberespace, jouent un rôle clé dans la sécurisation des données et des communications à l’échelle mondiale. Ces infrastructures, souvent gérées par des entreprises privées, hébergent de nombreux serveurs contenant des données comme des boites mail, des fichiers d’entreprise ou des données techniques (logs de connexion, journaux d’événements etc.…). Ces centres sont devenus des points clés pour les cyberattaques. Pour les attaquants comme pour les services étatiques. Ils focalisent l’attention de toutes les parties. Ils constituent des portes d’entrée vers le « point d’eau » que constitue la «  data  », cet or du XXI -ème siècle. Il s’agit alors d’accéder à la donnée, de la rendre intelligible en passant outre les obstacles du chiffrement et des architectures informatiques souvent complexes. Ou d’exploiter les traces laissées sur les réseaux numériques par les acteurs malveillants afin de les identifier et, de fait, d’attribuer l’attaque à un groupe cybercriminel ou para-étatique. Dans ce cadre, une géopolitique des data centers émergent, distinguant les acteurs publics comme privés sur le critère de la compliance et de la coopération sollicitée par les autorités publiques.

L’État, concurrencé par les géants du numérique

L’un des changements majeurs apportés par le cyber concerne la remise en cause de la souveraineté des États sur les infrastructures de communication. Autrefois maîtres de leurs réseaux de communication, les gouvernements voient aujourd’hui leur autorité défiée par des entreprises privées de taille mondiale, comme les GAFAM (Google, Apple, Meta, Amazon, Microsoft) et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Ces géants du numérique, qui contrôlent des infrastructures critiques, ont acquis une influence géopolitique transnationale. Les États se retrouvent en position de dépendance vis-à-vis de ces entreprises pour l’accès à des services essentiels. Cette situation complexifie encore plus les relations internationales, car les entreprises privées, au même titre que les États, deviennent des acteurs géopolitiques de premier plan.

Les cryptoactifs : une nouvelle forme de monnaie indépendante des États ?

Un autre exemple du défi lancé aux États dans l’espace cyber est la montée en puissance des cryptoactifs. Ces devises numériques, basées sur la blockchain ou chaine de blocks constituant un registre numérique de transactions décentralisées, échappent au contrôle des gouvernements et des banques centrales. Elles contribuent à l’émergence d’une Finance Décentralisée qui unifie le marché des transactions financières à l’échelle internationale sur le principe d’une dérégulation absolue. Contrairement aux monnaies traditionnelles, ces cryptoactifs ne sont adossés à aucune autorité étatique, ce qui en fait une alternative autonome et transnationale. Ces nouvelles formes de monnaie sont l’expression même de la décentralisation du cyberespace, où les États perdent peu à peu leur emprise sur des secteurs stratégiques, comme la finance. C’est donc un marqueur caractéristique de l’identité d’une puissance publique qui s’en trouve contesté.

La manipulation de l’information : une arme cyber au service de guerre hybride ?

L’une des armes les plus redoutables du cyberespace est la manipulation de l’information. Elle agisse sur le champ de la connaissance et des perceptions, affectant, de fait, l’ordre public socio-économique. Elle contribue à remettre en cause la valeur de la parole publique et de la vérité de faits établis. Ainsi, à titre d’illustration, les technologies d’intelligence artificielle permettent aujourd’hui de produire des contenus falsifiés extrêmement réalistes, que ce soient des images, des vidéos ou des enregistrements audios. Dans ce nouvel écosystème numérique, la vérité devient mouvante et manipulable à volonté. Les « deepfakes », ces montages numériques qui prêtent des propos ou des actions fictives à des personnalités publiques, posent des questions éthiques et philosophiques sur la liberté de communication et sur la responsabilité de l’État dans la régulation de l’information. La manipulation de l’information via le cyber n’est plus uniquement l’apanage des États ; elle est désormais à la portée de groupes criminels et para-étatiques ou, bien encore, d’acteurs privés, ce qui modifie les rapports de force géopolitiques.

Ressources recommandées

Pour approfondir ces sujets complexes, le Colonel Florian Manet recommande le Rapport annuel sur la cybercriminalité 2024, publié par le ministère de l’Intérieur et le Commandement du cyberespace. Ce document constitue une référence essentielle pour comprendre les évolutions récentes de la cybercriminalité et les stratégies mises en place pour y faire face.

Les victimes de cybermalveillance peuvent aussi recourir au site dédié cybermalveillance.gouv.fr

Copyright pour la synthèse Mars 2025-Bourgoin/Diploweb.com


[1] NDLR : Cette émission a été enregistrée le 23 septembre 2024. La synthèse a été revue et validée le 6 mars 2025.

[2] NDLR : Les gazoducs Nord Stream 1 et 2, situés en mer Baltique, ont subi quatre explosions dont trois le 26 septembre 2022 et une le 29 septembre 2022.

La défense française en 2025

La défense française en 2025

par Alain RODIER – CF2R – Tribune libre N°175 / mars 2025

https://cf2r.org/tribune/la-defense-francaise-en-2025/


 

 

Un ancien haut diplomate qui a été ambassadeur de France, en Israël puis aux États-Unis, écrit sur X : « L’Europe assiégée[1] ». Le ton catastrophique adopté provoque la question suivante : par qui ?[2]

Dans son intervention télévisée du 5 mars, le président Emmanuel Macron s’est fait plus précis : «La menace russe est là, et touche les pays d’Europe. La Russie a fait du conflit ukrainien un conflit mondialen violant les frontières, manipulant l’information, les opinions (…)  Qui peut croire que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine ? Elle est devenue une menace pour la France et pour l’Europe. »

Certes la situation mondiale est chaotique et les évolutions à venir sont imprévisibles – les analystes n’ayant jamais rien prévu de correct -, mais à priori personne ne veut aujourd’hui envahir l’Europe.

Qu’en est-il de la menace russe ?

Il est vrai que Moscou lorgne sur les pays baltes qui commandent l’accès à l’enclave de Kaliningrad considérée comme vitale par le Kremlin, un peu comme le port de Sébastopol en mer Noire. Enfin, toujours traumatisée par l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et 45 années de servitude, la Pologne continue à fantasmer le danger que la Russie ferait peser sur elle. Il y a également le problème de la Transnistrie qui souhaite son détachement de la Moldavie pour rejoindre la Russie.

Bien logiquement les dirigeants de ces pays en appellent à la solidarité de l’OTAN (les États baltes et la Pologne en sont membres et peuvent bénéficier de l’article 5) et de l’Europe car ils savent que la Russie – malgré les grandes déficiences de son armée constatées lors de l’« opération militaire spéciale » menée en Ukraine – peut les agresser et qu’il leur sera impossible d’y répondre seuls – d’autant que les pays baltes ont des armées lilliputiennes.

Si Moscou décide de passer à l’action, cela risque plus de ressembler à la conquête de la Crimée par les « petits hommes verts » en 2014 qu’à une offensive généralisée de grande ampleur. En effet, la Russie peut compter sur les populations russophones et russophiles nombreuses dans ces États (sauf pour la Pologne) pour lui apporter leur soutien du type « cinquième colonne. »

Mais une fois énoncées ces problématiques, il n’en reste pas moins que l’armée russe n’a ni la puissance ni la volonté d’envahir l’Allemagne, la France, ni d’autres pays européens.). La Russie n’est pas l’URSS d’autrefois et, en dehors de sa puissance nucléaire, elle n’a pas les moyens humains et matériels pour constituer une menace classique pour la vieille Europe – ni d’ailleurs la volonté. Qu’est qu’elle ferait de ces pays et de leyr citoyens pour le moins « ingérables » ?.

Au demeurant, durant la Guerre froide, la puissance militaire de l’URSS et du Pacte de Varsovie avaient été volontairement surévaluées par les Américains pour des questions de présence en Europe de l’Ouest. Bien sûr, elles n’étaient pas négligeables mais la « fable » des chars russes atteignant les côtes atlantiques de l’Europe en trois jours a été de mise jusqu’à ce que les faiblesses de l’Armée rouge n’aient été dévoilées lors de la guerre en Afghanistan (1979-1989) : matériels rustiques mais dépassés, valeur combative de la troupe sujette à caution, encadrement insuffisant, corruption endémique, etc.

Toujours est-il que la situation globale est très instable et la menace peut venir de là où ne l’attend pas. Il faut donc consacrer plus de moyens à la défense mais en déterminant une priorité dans les menaces.

La menace intérieure

La menace est d’abord intérieure, provenant des nombreux activistes de toutes tendances – et plus particulièrement ceux qui se revendiquent du salafisme/djihadisme – qui n’attendent que l’occasion de passer à l’action.

Les forces de sécurité intérieures doivent être beaucoup plus nombreuses et bien formées et disposer d’un renseignement adapté. Leurs unités (gendarmerie mobile, CRS, groupes d’intervention spécialisés) doivent être bien réparties sur le territoire pour pouvoir intervenir le plus rapidement possible afin d’empêcher qu’une situation violente ne dégénère en insurrection.

Des mesures ont déjà été prises avec la « recréation » la montée en puissance des anciens RG (Direction nationale du renseignement territorial/DNRT), l’implantation des d’antennes du GIGN en région, etc. Il convient encore de renforcer les effectifs de la gendarmerie et de la police et de développer une réserve opérationnelle plus active.

La menace sur l’Europe

Il n’y a pas de corps blindé-mécanisé russe prêt à fondre sur les pays de l’Union européenne, ni de forces de quadrillage pouvant être déployées pour le contrôle des terrains conquis comme du temps du Pacte de Varsovie. S’il y a une menace conventionnelle, elle est surtout aérienne. La défense de l’espace aérien ne commence pas aux frontières de l’hexagone. Elle devrait être intégrée au niveau européen, ce qui est déjà grandement le cas.

En revanche, il existe des affrontements d’influence – en particulier grâce à la guerre cybernétique – où les amis d’hier peuvent être les adversaires du jour. S’il y a eu une prise de conscience des autorités l’insuffisance de moyens humains et techniques est toujours d’actualité.

La menace sur l’Europe est donc totalement hybride et peut alimenter les mouvements activistes intérieurs. D’où l’importance de renforcer la défense des points sensibles comme les centrales nucléaires contre des actions de type terroriste pouvant être menée par tout idéologue radicalisé.

Par ailleurs, la guerre est aussi économique et a besoin de renseignements. Il convient de développer donc les services d’acquisition du renseignement offensif et le contre-espionnage défensif, bien que beaucoup d’efforts dans ces domaines aient été consentis ces dernières années. 

Les menaces hors d’Europe

Hors d’Europe, la principale menace concerne les voies de circulation maritime par lesquelles passent nos approvisionnements et nos possessions ultramarines.

Là, ce sont les frégates multi-missions qui manquent ainsi que des moyens aériens projetés à l’extérieur (un nouveau porte-avions pourrait être utile.). Pour élargir le rayon d’action de la Marine, les drones aériens navalisés doivent être considérablement développés.

La Russie constitue un redoutable adversaire hors d’Europe – comme cela a été constaté sur le continent africain – et dans les territoires d’outre-mer, parfois via des pays tiers comme l’Azerbaïdjan. Mais les dangers à venir pourront venir d’autres acteurs comme la Chine en mal d’expansion. Il ne faut pas oublier non plus les États-Unis qui sont de redoutables prédateurs économique.

La dissuasion nucléaire

La dissuasion nucléaire reste l’ultime garde-fou qui assure l’indépendance de la France et garantit sa place de membre permanent au Conseil de Sécurité. Bien sûr, le flou doit être maintenu concernant les conditions d’emploi afin qu’un adversaire éventuel ne puisse penser les contourner.

Il convient aussi de conserver les deux composantes : l’une aéroportée, pouvant servir aussi pour une éventuelle frappe de « dernier avertissement » et l’autre sous-marine pour déclencher « ‘l’apocalypse. ». L’arme aéroportée (actuellement le missile de croisière air-sol moyenne portée amélioré ASMP-A) n’est en aucun cas une arme « tactique » destinée à emporter une décision sur un champ de bataille. Elle fait partie de la doctrine stratégique de la France[3].

En Europe, les Britanniques ne sont pas libres de mettre en œuvre les armes nucléaires stratégiques embarquées sur leurs SNLE sans l’autorisation de Washington. Par ailleurs, ils n’ont plus d’armes aéroportées. Les bombes nucléaires B-61 armant certaines forces de l’OTAN (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Italie, Turquie[4]) ne sont destinées qu’à un emploi stratégique et le décideur final reste Washington. La question qui s’est toujours posée est : les États-Unis sont-ils prêts à sacrifier des villes américaines pour tenter de sauver l’Europe ? Le général de Gaulle était persuadé du contraire d’où sa décision de développer une force de frappe totalement indépendante.

Dans le domaine nucléaire, la menace est constituée par tous les pays qui la détiennent ou qui pourraient l’avoir. Il est donc essentiel de moderniser en permanence la force de dissuasion pour qu’elle reste « crédible. »  

Tout cela coûte cher. Les responsables politiques doivent donc faire des choix. Plus on dépense pour la défense (intérieure et extérieure), moins on en fait pour l’action sociale, ce qui risque de poser des problèmes sociétaux générateurs de désordres intérieurs, pouvant être exploités ou initiés par des adversaires étatiques étrangers. C’est le serpent de mer qui se mord la queue…


[1] https://x.com/GerardAraud

[2] Plus globalement, les discours des politiques et des groupes de pression divers et variés, amplifiés à souhait par les médias en mal d’audience, sont catastrophiques pour le moral des populations, en particulier pour la jeunesse. Ils promettent un réchauffement climatique qui va causer une sorte de fin de monde (grillé ou/et noyé), des épidémies dévastatrices de type Covid, des guerres meurtrières (aujourd’hui russe, demain chinoise), des mouvements de populations apocalyptiques, un chômage endémique et le rétablissement du service militaire obligatoire… Après, on se désole que la jeunesse n’ait pas le moral !

[3] Par contre, l’emploi d’armes nucléaires « tactiques » fait partie des doctrines américaine, russe et chinoise.

[4] Qui ne possède pas d’avions capables de les emporter.