Vidéo. Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ? E. Danon

Vidéo. Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ? E. Danon

Par Eric DANON, Hugo LECLERC, Marie-Caroline REYNIER, Pierre VERLUISE – Diploweb – publié le 11 mai 2024   

https://www.diploweb.com/Video-Proche-Orient-la-paix-a-t-elle-encore-un-avenir-E-Danon.html


Intervenant : Éric Danon, ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023 et actuellement consultant international. Il s’exprime à titre personnel.
Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, diplômée d’un M2 de Sciences Po. Co-organisation de la conférence Pierre Verluise, fondateur du Diploweb, avec l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I et le Centre géopolitique. Images et son : Hugo Leclerc. Photos : P. Verluise. Montage : Hugo Leclerc et Pierre Verluise.

Quelle est la situation fin avril 2024 dans la guerre opposant Israël et le Hamas ? Pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont-ils rien fait pour favoriser l’émergence d’un Etat palestinien ? Pourquoi l’Arabie Saoudite peut-elle jouer le rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien ? Que faut-il faire concrètement ? Eric Danon s’exprime à titre personnel. Ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023, il apporte des éléments de réponse lors d’une conférence publique en Sorbonne.

Conférence organisée par Diploweb.com, le 25 avril 2024, en partenariat avec l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I.

Cette vidéo peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir sur youtube/Diploweb

Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, validée par E. Danon

Quelle est la situation au 25 avril 2024 dans la guerre opposant Israël et le Hamas ?

SE M. Éric Danon explique que cette guerre va durer. De fait, les deux protagonistes souhaitent qu’elle continue car ils n’ont pas atteint leurs objectifs respectifs.

En effet, Israël poursuit trois objectifs officiels : détruire le Hamas le plus possible, récupérer les otages et faire de Gaza une zone ne représentant pas de menace. Ceux-ci ont été atteints à moitié. À cela, s’ajoutent trois objectifs officieux. Premièrement, Israël souhaite rebâtir une dissuasion afin qu’aucun groupe n’ambitionne de faire pareil que le Hamas. Deuxièmement, Israël veut pouvoir surmonter le très fort traumatisme du 7 octobre 2023. Enfin, au vu de ses relations tendues avec le président J. Biden, B. Netanyahou cherche à faire durer la guerre au moins jusqu’au 5 novembre 2024, date de l’élection présidentielle américaine, car il ne souhaite pas faire le cadeau de la paix au président actuel.

De son côté, le Hamas a trois objectifs officiels : rentrer en Israël et tuer le maximum de personnes, capturer le plus d’otages possibles pour les échanger avec des prisonniers et préempter l’objet « résistance palestinienne » en montrant qu’il est le plus crédible pour porter ce combat. Enfin, il a également comme objectif officieux d’être présent à la table des négociations du jour d’après.

Eric Danon
Centre Panthéon de l’Université Paris 1 Sorbonne, 25 avril 2024. Crédit photographique : Pierre Verluise pour Diploweb.com
Verluise/Diploweb.com

Dans l’atmosphère actuelle, SE M. Éric Danon sent deux peuples en souffrance. Du côté israélien, cette souffrance est liée aux actes des terroristes du Hamas. À cet égard, il souligne un paradoxe : les Israéliens considèrent que le gouvernement actuel porte une responsabilité dans l’attaque menée par le Hamas mais, dans le même temps, ils ne veulent pas lâcher ce gouvernement.

Quant à eux, les Palestiniens vivent le désastre de ce qui produit à Gaza mais prennent aussi conscience que les pays arabes, notamment méditerranéens, ne sont pas intéressés par la fin du conflit. La jeunesse palestinienne réalise ainsi qu’ils ont toujours été empêchés, depuis 1949, d’avoir un État par leurs dirigeants ou par ces pays arabes.

Pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont-ils rien fait pour favoriser l’émergence d’un Etat palestinien ?

Premièrement, SE. M. Danon note que la cause palestinienne constitue un puissant levier de politique intérieure pour les pays arabes. En effet, elle permet d’entraîner la population en faveur des gouvernements au pouvoir.

Deuxièmement, si les populations des pays arabes s’entendent très bien, leurs gouvernements ne s’apprécient pas, comme le souligne la rivalité entre le Maroc et l’Algérie ou celle entre la Tunisie et l’Égypte. De fait, le rejet d’Israël contribue à rassembler ces pays lorsqu’ils se réunissent, par exemple lors des sommets de la Ligue arabe. Pour que cette entente dure, ils ont donc tout intérêt à ce que le conflit perdure.

Troisièmement, si le conflit israélo-palestinien prend fin, Israël pourrait devenir encore plus puissant. Israël est déjà une puissance déterminante du Proche-Orient dont le PIB (525 milliards de dollars) est supérieur à l’addition du PIB de tous les pays qui l’entourent. Ce conflit, et notamment la dégradation d’image engendrée ainsi que les pertes économiques représentées par les appels au boycott, demeure un frein qui empêche Israël de devenir une superpuissance.

Quatrièmement, SE. M. Danon évoque une raison psychologique, liée au concept de dhimmitude (le « dhimmi » étant celui qui a un statut dégradé dans le monde musulman). Il apparaît pénible pour les pays arabes que des non-musulmans puissent faire mieux qu’eux en termes de gouvernance, d’économie et de sécurité.

Enfin, le statut de Jérusalem demeure une des réticences essentielles à la création d’un État palestinien. Le fait que la Palestine récupère ce lieu saint (la mosquée Al-Aqsa) pourrait ne pas convenir à l’Arabie Saoudite ou à l’Iran.

Eric Danon
Centre Panthéon de l’Université Paris 1 Sorbonne, 25 avril 2024. Crédit photographique : Pierre Verluise pour Diploweb.com
Verluise/Diploweb.com

Quel est l’état du rapport de force concernant la paix au Proche-Orient ? Quels diagnostics peut-on formuler ?

Parmi les forces opposées à la paix, SE. M. Danon insiste sur le manque d’enthousiasme des pays arabes de la Méditerranée. Il souligne également que des individus sont profondément contre l’idée de la paix aussi bien du côté palestinien qu’israélien.

Ainsi, du côté palestinien, l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 a d’abord été revendiquée comme une non-acceptation d’Israël, au sens d’un refus du partage de l’ancienne Palestine mandataire (1923-1948). En ce sens, la difficulté originelle, renforcée par l’échec des nombreuses négociations, tient à la non-acceptation de ce partage.

Du côté israélien, le sionisme messianique, qui a pris une importance grandissante pour des raisons démographiques et politiques, refuse l’existence d’un État palestinien. Ainsi, le massacre du caveau des Patriarches commis par un colon juif fanatique en 1994 puis l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un juif religieux d’extrême-droite en 1995 ont eu pour but de tuer le processus d’Oslo (1993). La part de ces Israéliens qui n’acceptent pas d’abandonner leurs idéaux pour la paix a augmenté, passant de 25% en 1993 à plus de 40% en 2024. Enfin, dans les territoires occupés de Cisjordanie, les gens s’installant ne le font plus exclusivement pour des raisons religieuses (comme les Juifs messianiques) mais également pour des motifs économiques. Ce faisant, quasiment 700 000 personnes vivent dans ces territoires occupés, ce qui rend compliquée toute évolution de la situation.

Pour autant, la majorité des Palestiniens et des Israéliens de la société civile veulent la paix. Mais, les extrémistes des deux camps parviennent à bloquer les processus de paix.

Dès lors, étant donné les fortes incertitudes, SE. M. Danon propose trois diagnostics pour avancer.

Premièrement, il récuse l’utilisation du terme « solution »(l’expression « solution à deux États » étant très présente dans le débat public) pour parler du conflit israélo-palestinien, et lui préfère l’expression de « tectonique des puissances ». Selon lui, il ne faut pas penser les dynamiques politiques en termes de « solution » mais plutôt d’évolution.

Deuxièmement, il soutient que la paix est aussi une question de personnes capables de la faire advenir. Or, sortir de ce conflit requiert des gens à la hauteur, ce qui n’est pas le cas au premier trimestre 2024.

Troisièmement, au vu du rapport de forces déséquilibré entre Israël et la Palestine, il n’est pas possible de les laisser négocier face-à-face. Il faut donc une médiation. Or, celle-ci ne peut pas s’articuler exclusivement autour des Etats-Unis, médiateur traditionnel, car sa proximité vis-à-vis des Israéliens tend à les disqualifier. SE. M. Danon défend donc une double médiation menée par l’Arabie Saoudite avec les Etats-Unis.

 
Eric Danon
Centre Panthéon de l’Université Paris 1 Sorbonne, 25 avril 2024. Crédit photographique : Pierre Verluise pour Diploweb.com
Verluise/Diploweb.com

Pourquoi l’Arabie Saoudite peut-elle jouer le rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien ?

SE. M. Danon considère que le seul État arabe véritablement intéressé par l’arrêt du conflit est l’Arabie Saoudite. En effet, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) souhaite normaliser les relations de son pays avec Israël car il a besoin de stabilité au Proche-Orient.

Sur le plan de la normalisation politique, l’Arabie Saoudite a observé la mise en œuvre des Accords d’Abraham (2020), entre Israël et les Émirats Arabes Unis (EAU) ainsi qu’entre Israël et Bahreïn, avant de chercher possiblement à les rejoindre. Or, ces accords sont un vrai succès. Ainsi, en 5 ans, le commerce bilatéral entre les EAU et Israël a dépassé celui entre la France et Israël. Le volet politique fonctionne donc, et ces accords n’ont pas été remis en cause par les EAU ou par le Bahreïn depuis le 7 octobre 2023.

En outre, MBS souhaite prolonger cette normalisation politique classique par une « normalisation religieuse » entre La Mecque et Jérusalem. En effet, MBS, qui contrôle déjà les lieux saints de Médine et La Mecque, cherche à devenir le chef spirituel total du monde sunnite. En ce sens, il pourrait souhaiter à terme récupérer la gestion de la Mosquée al-Aqsa, actuellement sous l’administration du Waqf, c’est-à-dire un bien public durablement confié aux Jordaniens.

MBS souhaite également être celui qui va régler la question israélo-palestinienne pour rentrer dans l’histoire. Pour ce faire, il s’appuie, en termes de méthode, sur ce qu’il s’est passé dans les pays du Golfe. En effet, ceux-ci ont envoyé les étudiants des EAU, de Bahreïn etc. dans les meilleures universités mondiales pour apprendre à construire et à gérer leur pays. MBS veut reproduire ce schéma pour assurer à terme le développement d’un Etat palestinien. Et ils semblent prêt à mettre les moyens pour que cela se concrétise.

Enfin, les négociations entre l’Arabie Saoudite et Israël n’ont jamais cessé, d’autant plus que les Etats-Unis sont à la manœuvre. En effet, les Etats-Unis ont tendance à apprécier les alliances de bloc à bloc. Dans la situation présente, l’Ouest fait face à la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran. Cependant, de nombreux pays, et notamment les pays arabes du Golfe, ne veulent pas rentrer dans cette logique.

De son côté, MBS a initialement posé deux conditions pour normaliser politiquement avec Israël : une liste de matériel militaire pour se protéger de l’Iran et une stabilisation du conflit israélo-palestinien. Ne les ayant pas obtenus, l’Arabie Saoudite a annoncé qu’elle allait baisser le niveau de conflictualité avec son ennemi potentiel, l’Iran. Ainsi, le 10 mars 2023, cassant la logique bloc à bloc des États-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Iran ont annoncé avoir signé un accord pour reprendre leurs relations diplomatiques. Finalement, les États-Unis ont cédé sur les deux conditions posées par MBS, auxquelles a été ajoutée ensuite la livraison d’une centrale nucléaire civile.

Quelle est l’incidence de l’Iran sur le conflit israélo-palestinien ?

En raison de ses proxys (le Hezbollah au Liban, le Hamas dans la bande de Gaza et les Houthis au Yémen), l’Iran est un facteur clé dans le conflit israélo-palestinien. L’Iran a désigné Israël comme un ennemi absolu qu’il souhaite détruire. En ce sens, l’Iran représente une « menace existentielle » pour Israël, même si le risque de mise à exécution de cette menace est très faible . Pour autant, l’Iran cherche à développer un axe chiite dans la zone et se focalise sur la destruction d’Israël.

De plus, l’Iran a inscrit le nucléaire dans son récit national. Il met en place des installations capables d’enrichir l’uranium à des degrés militaires, et se rapproche donc d’un pays du seuil. L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPoA), signé en 2015 après 16 ans de négociation, prévoyait de limiter l’enrichissement iranien. Mais, en 2018, D. Trump, poussé par B. Netanyahou, a cassé cet accord, ce que SE. M. Danon considère comme la plus grosse erreur stratégique des Etats-Unis depuis l’invasion de l’Irak en 2003. Dès lors, les pays occidentaux n’ayant pas de plan B, il est probable que ce soit la Russie qui s’occupe de cette question, avec l’appui de la Chine. Dans cette perspective, l’Iran va devenir un pays du seuil, ce qui va renforcer l’Iran dans sa posture. Surtout, ce ratage occidental va avoir des conséquences pour Israël, qui va se trouver sous la menace d’un pays du seuil.

Cependant, SE. M. Danon estime que cette situation ne va pas entraîner une guerre entre l’Iran et Israël. En effet, l’Iran est affaibli sur le plan intérieur car la population n’apprécie pas le gouvernement des mollahs et le pays est durement touché par les sanctions économiques. Pour autant, ce n’est pas le moment opportun pour attaquer l’Iran car cela pourrait susciter un fort sursaut nationaliste iranien. En outre, Israël ne peut pas tenir longtemps seule une guerre contre l’Iran. Si l’on s’en réfère à Clausewitz, il apparaît compliqué de faire rivaliser 9 millions d’habitants (Israël) contre 88 millions (Iran). Dès lors, afin d’anticiper au mieux une potentielle frappe en retour de l’Iran, Israël cherche à monter à l’avance une coalition suffisamment dissuasive. Récemment, une pré-coalition s’est formée entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Jordanie et l’Arabie Saoudite.
Au vu des liens entre le Hamas qui a préempté la résistance palestinienne et l’Iran, se profile donc une bataille géopolitique des chiites, emmené par l’Iran, face au monde sunnite, mené par l’Arabie Saoudite avec l’appui des Occidentaux.

Que faut-il faire concrètement ?

Outre le fait de changer les responsables à la manœuvre dans les deux camps, SE. M. Danon préconise une médiation équilibrée qui tient compte de la réalité des Palestiniens. Celle-ci doit prendre son temps car envisager un Etat palestinien à court terme serait prématuré. En effet, il est nécessaire de construire une gouvernance solide pour que les Israéliens puissent accepter un État palestinien.

Si le conflit israélo-palestinien est de nature géopolitique, il comporte une autre composante déterminante, la dimension religieuse. En effet, les Messianiques juifs refusent de lâcher les territoires pour des raisons religieuses. Une difficulté structurelle à gérer le Mont du Temple persiste. Enfin, les politiques et diplomates souhaitant le compromis se heurtent à la radicalité religieuse. L’attentat du 7 octobre 2023 en est le symbole. Par conséquent, cette montée du religieux déplace les frontières du conflit israélo-palestinien. En effet, le Palestinien est devenu un symbole du refus de l’histoire et des valeurs de l’Occident.

Enfin, au-delà de l’action politique, SE. M. Danon incite ceux qui choisissent leur camp à garder au fond d’eux de la compassion et de l’empathie pour ce qu’il se passe de l’autre côté.

Copyright pour la synthèse 7 mai 2024-Danon-Reynier/Diploweb.com

Carte. 1/3 Tectonique de la plaque géopolitique européenne. Ouverture du projet communautaire à de nouveaux Etats après la dislocation du Bloc de l’Est (1991-2023)

Carte. 1/3 Tectonique de la plaque géopolitique européenne. Ouverture du projet communautaire à de nouveaux Etats après la dislocation du Bloc de l’Est (1991-2023)

Par AB PICTORIS, Pierre Verluise – Diploweb – publié le 9 mai 2024

https://www.diploweb.com/Carte-1-3-Tectonique-de-la-plaque-geopolitique-europeenne.html


Conception de la carte : Blanche Lambert et Pierre Verluise.
Réalisation de la carte : AB Pictoris. AB Pictoris est une jeune entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Passionnée de cartographie et de géopolitique, elle a obtenu un Master en Géopolitique (parcours cyber, IFG, Paris VIII) et en Géostratégie (Sciences Po Aix) après une licence de Géographie et Aménagement du Territoire (Paris I).
Commentaire de la carte : Pierre Verluise, Docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com, enseignant dans plusieurs Master 2. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.

L’Europe géographique post-Guerre froide voit sa tectonique géopolitique profondément renouvelée sous la pression de forces qui étendent ou réduisent les regroupements – plaques – politiques. Preuves d’attractivité plus que d’un « complot », l’OTAN et l’UE marquent des points, s’étendent. Ce qui n’empêche pas des contradictions et tensions, aussi bien internes qu’externes. Il n’y a aucune raison de s’en étonner puisque le rapport de forces est au cœur même de l’action politique.
Carte grand format en pied de page. Deux formats disponibles : JPG et PDF haute qualité d’impression.

A TRAVERS la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et la Communauté économique européenne (CEE), la construction de l’Europe communautaire engagée dans les années 1950 se fait dans le contexte de la Guerre froide (1947-1991). Bien sûr, la tension Est-Ouest génère des dépenses, mais paradoxalement la Guerre froide est aussi un stimuli qui produit des effets politiques, comme le dépassement d’une partie des rancœurs franco-allemandes, du moins avec la RFA. Autrement dit, la peur de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) pousse quelques pays ouest-européens à dépasser leurs divergences pour mettre en place des convergences institutionnelles. [1]

Carte 1/3 Tectonique de la plaque géopolitique européenne. Ouverture du projet communautaire à de nouveaux Etats après la dislocation du Bloc de l’Est
Conception : B. Lambert et P. Verluise. Réalisation B. Lambert AB Pictoris. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression
Lambert-Verluise/Diploweb.com

La CEE puis l’Union européenne doivent être attractives pour avoir déjà connu sept élargissements et une seule sortie – pacifique – avec le Brexit (2016-2020). L’Europe communautaire s’étend vers le Sud et vers l’Est, jusqu’à intégrer trois anciennes Républiques soviétiques – Baltes – en 2004. Après celui de 1995, les élargissements de l’UE se font souvent dans la foulée de ceux de l’OTAN qui donne le rythme et prend en charge la dimension défense. D’anciens membres du Pacte de Varsovie (1955 – 1991) deviennent membres de l’OTAN dès 1999. A partir de 2004, en partie sous l’inspiration des nouveaux États membres, l’UE met en place une Politique européenne de voisinage (PEV). En deux décennies, la PEV connait plusieurs redéfinitions. Il s’agit de tenter de construire des relations aussi coopératives que possible avec les pays des marges extérieures, avec des résultats inégaux sous la pression des évènements internes et externes. Ainsi, le conflit israélo-palestinien et les printemps arabes (2011) pénalisent le développement de la dimension méditerranéenne.

L’Europe géographique post-Guerre froide voit donc sa tectonique géopolitique profondément renouvelée sous la pression de forces qui étendent ou réduisent les regroupements – plaques – politiques. Preuves d’attractivité plus que d’un « complot », l’OTAN et l’UE marquent des points, s’étendent. Ce qui n’empêche pas des contradictions et tensions, aussi bien internes qu’externes. Il n’y a aucune raison de s’en étonner puisque le rapport de forces est au cœur même de l’action politique.

. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression

Copyright pour le texte Mai 2024-Verluise/Diploweb.com
Copyright pour la carte Avril 2024-Lambert-Verluise/Diploweb.com

Titre du document :
Carte 1/3 Tectonique de la plaque géopolitique européenne. Ouverture du projet communautaire à de nouveaux Etats après la dislocation du Bloc de l’Est
Conception : B. Lambert et P. Verluise. Réalisation B. Lambert AB Pictoris. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impressionDocument ajouté le 9 mai 2024
Document JPEG ; 535706 ko
Taille : 1600 x 1122 px

Visualiser le document

L’Europe géographique post-Guerre froide voit sa tectonique géopolitique profondément renouvelée sous la pression de forces qui étendent ou réduisent les regroupements – plaques – politiques. Organisation et explication à partir d’une carte commentée.

Xi Jinping en France : soixante ans de relations franco-chinoises contrastées

Xi Jinping en France : soixante ans de relations franco-chinoises contrastées

Interview – Le point de vue d’Emmanuel Lincot – IRIS – publié le 7 mai 2024


Pour la première fois depuis 2019, le président chinois Xi Jinping observe une visite d’État en France les 6 et 7 mai 2024. C’est en réalité une tournée européenne puisque ce dernier poursuivra son périple en Serbie et en Hongrie, deux pays marqués par une forte présence économique chinoise. Alors que Pékin et Paris célèbrent le soixantième anniversaire de leurs relations diplomatiques, quel est l’état des rapports franco-chinois ? Quels sont les enjeux stratégiques de la venue de Xi Jinping au moment où la guerre en Ukraine occupe une place importante de la politique étrangère française ? Éléments de réponse avec Emmanuel Lincot, chercheur associé à l’IRIS, professeur à l’Institut catholique de Paris et auteur de Le très grand jeu. Pékin face à l’Asie centrale.

Xi Jinping entame une tournée de plusieurs jours en Europe en commençant par la France les 6 et 7 mai. Quels sont les enjeux de cette visite d’État en France, marquant la célébration des soixante ans de relations diplomatiques entre les deux pays ? Quel est l’état des relations entre Pékin et Paris ?

Il y a tout d’abord cet anniversaire qui est important puisqu’en Chine, 60 ans marquent la fin d’un cycle. Ce cycle a été marqué par une histoire parfois tourmentée, et des échanges désormais profondément déséquilibrés. Le déficit commercial pour la France n’a cessé de se creuser et des menaces de taxation pour certains produits français destinés au marché chinois confirment ce que nous observons partout ailleurs : la guerre économique est durablement installée. La Chine n’a pas d’autre choix que d’exporter massivement ses surplus de production (voitures électriques…) pour maintenir un niveau de croissance sérieusement en difficulté et va se heurter vraisemblablement à son tour à des taxations européennes. Tout cela ne présage rien de bon. Sur le plan stratégique, la Chine ne changera pas sa position vis-à-vis de la Russie. Au reste, cyniquement, elle n’a aucun intérêt à ce que le conflit avec l’Ukraine cesse. Ce conflit affaiblit chaque jour un peu plus la Russie, en voie de devenir la vassale de Pékin, et retient les Américains sur le front européen pour les écarter de l’enjeu taïwanais. La Chine n’a pas davantage intérêt à ce que le conflit israélo-palestinien cesse, tout simplement parce que le monde musulman pèse pour elle davantage et que cette guerre compromet le projet mis en œuvre à la fois par les Indiens et leur partenaire israélien, l’IMEC (l’India Middle East European Corridor) ; un projet concurrent à celui des Nouvelles Routes de la soie développé par Pékin. Dans ce contexte, la France et la Chine vont traverser une zone de turbulences, et pour longtemps. La dégradation de leurs relations va survenir après les élections américaines (novembre 2024) ; lesquelles, et quel qu’en soit le résultat, vont accélérer cette guerre économique. Rétrospectivement, en 1964, Pékin sortait de son isolement diplomatique provoqué par sa rupture avec Moscou en jouant la carte française, et partant pour se rapprocher ainsi de l’Occident. 60 ans après, Pékin renforce son partenariat avec Moscou et entre dans une logique de confrontation avec l’Occident. Mais la Chine a sans doute beaucoup plus à perdre dans ce renversement.

La guerre en Ukraine va occuper une place importante dans l’agenda politique de cette visite. Comment se positionne la Chine à l’égard du conflit russo-ukrainien ? Qu’attend Emmanuel Macron de son homologue chinois sur ce sujet ainsi que sur les autres grands dossiers internationaux ?

Nous n’avons rien à attendre des Chinois sur la guerre en Ukraine pour les raisons exprimées plus haut. De même que nous n’avons pas grand-chose à espérer des Américains, car cette guerre est une composante parmi d’autres qui oppose le duopole russo-chinois à Washington. La solution ne peut donc venir que des Européens eux-mêmes. Ce qui intéressant ici c’est de voir que la Chine, par ailleurs très attachée au principe du respect de la souveraineté des États, ne se prononce pas, comme on le sait, sur l’agression russe. Cette ambiguïté permet d’intimider par ailleurs les Occidentaux sur la question de Taïwan. Les Américains, par un effet de loupe, en font le prochain conflit alors qu’il me paraît fondamentalement difficile à envisager pour la Chine. Au reste, la Chine a une expérience suffisamment ancienne de savoir gagner une guerre sans combattre. De ce point de vue, Emmanuel Macron a raison de ne pas vouloir entraîner la France, de toute évidence à ses dépens et sans en avoir les moyens, dans une confrontation belligène au sujet de Taïwan. De même qu’il a raison de s’opposer à l’ouverture d’un bureau de l’OTAN à Tokyo. Désamorcer le risque d’un conflit sino-américain, chercher une troisième voie est la vocation historique, d’aucuns diraient « gaullienne », de la France. Cette troisième voie doit s’appliquer dans le domaine de l’écologie aussi et en la matière, il y a davantage d’appuis à espérer du côté chinois que du côté américain. En somme, vous l’avez compris, nous sommes les alliés des Américains mais nous ne partageons pas les mêmes intérêts.

Quels sont les objectifs de la tournée européenne de Xi Jinping ? Pour quelles raisons le président chinois poursuit-il sa tournée en Serbie et en Hongrie après avoir quitté la France ?

C’est une façon d’annoncer la suite, et qui est : nous, Chinois, souhaitons donner la priorité au développement de nos relations avec des pays qui affichent leur proximité de vue avec Moscou et avec nous. Dont acte. In fine, Xi Jinping recevra Vladimir Poutine à son retour à Pékin. Ce qui me conforte dans l’idée que Xi Jinping ne changera pas sa position vis-à-vis de la Russie. En somme, il existe désormais trois Europe. En premier lieu, la France, seule puissance nucléaire militaire de l’Union européenne, seule puissance de l’Union européenne à être membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, et la présence de Madame Von der Leyen aux côtés d’Emmanuel Macron pour recevoir Xi Jinping était là pour rappeler que la France et les autorités de Bruxelles faisaient bloc face à la Chine. L’Allemagne, en second lieu, tentée par l’aventure de faire cavalier seul hier vis-à-vis de la Russie, aujourd’hui vis-à-vis de la Chine ; le chancelier Olaf Scholz s’étant rendu quelques jours plus tôt à Pékin. L’Europe des Balkans, enfin, et qui est la plus vulnérable. C’est l’Europe qui tourne le dos à Bruxelles. En d’autres mots, la visite de Xi Jinping est révélatrice des tensions fortes qui existent entre les Européens.

France. Callac : les enjeux géopolitiques de l’accueil des réfugiés, à plusieurs échelles

France. Callac : les enjeux géopolitiques de l’accueil des réfugiés, à plusieurs échelles

Par David Basol* – Diploweb – publié le 28 avril 2024   

https://www.diploweb.com/France-Callac-les-enjeux-geopolitiques-de-l-accueil-des-refugies-a-plusieurs-echelles.html


*Étudiant en Master 2 de Géopolitique locale à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris 8). Sa formation universitaire et son parcours personnel l’ont conduit à s’intéresser à la géographie humaine, dont les enjeux migratoires et d’identité. Il a rédigé en Master 1, un mémoire de recherche sur la conflictualité liée à l’annonce de l’accueil de réfugiés à Callac en Bretagne en 2022-2023.

En quoi les mobilisations sur les projets d’accueil de réfugiés à Callac sont-elles révélatrices des tensions locales, nationales, voire européennes, sur la question de l’accueil des réfugiés ?

En Bretagne, dans les Côtes d’Armor, les projets d’accueil de réfugiés à Callac ont provoqué un mouvement de contestation dont l’envergure a largement dépassé les limites de la ville et de la région. Des contestations qui ont révélé les tensions que suscitait l’enjeu de l’accueil à toutes les échelles. Celles-ci ont abouti à l’annulation du projet d’accueil principal, Horizon. Les tensions provoquées par ces projets d’accueil ont mis à jour un système de représentations.

LE 14 avril 2022, le projet Horizon d’accueil de réfugiés est révélé aux habitants de Callac, une petite commune bretonne d’environ 2 200 habitants, située dans le département des Côtes d’Armor. Cette annonce provoque la naissance d’une première opposition locale, qui se structure et se mobilise rapidement à une échelle nationale. Finalement, un deuxième projet d’accueil de réfugiés, toujours à Callac, est présenté en octobre 2022 par le préfet, alors même que les mobilisations rencontrent un écho national. Ce conflit local interroge ainsi les logiques d’accueil et d’intégration mises en place aussi bien par la France que l’Union européenne ces dernières décennies.

Lexique. Eléments de définition : immigré, étranger, migrant, demandeur d’asile, réfugié politique
Conception et réalisation : D. Basol
Basol/Diploweb.com

En effet, la figure du réfugié politique est source d’une multitude de représentations dont se servent notamment les partis politiques. Des représentations nombreuses, dont certaines sont à l’origine d’un repli identitaire qui questionne les rapports de la société aux notions de nation et d’identité. Cet article cherche à étudier en quoi les mobilisations sur les projets d’accueil de réfugiés à Callac sont-elles révélatrices des tensions locales, nationales, voire européennes, sur la question de l’accueil des réfugiés ? Il s’agira d’abord de s’intéresser au contexte local du conflit et de sa structuration. Ensuite, de comprendre l’envergure nationale prise par le conflit et comment les enjeux locaux font écho à des enjeux globaux. Enfin, nous aborderons l’enjeu de l’accueil à l’échelle de la France et de l’Union européenne.

Des projets d’accueil de réfugiés, une réponse aux enjeux de développement territorial qui divise

L’analyse territoriale de Callac permet de révéler le contexte particulier dans lequel s’inscrivent les projets d’accueil de réfugiés. Situé au sein d’un territoire rural du centre Bretagne, cette ville fait face à de nombreux défis d’ordres aussi bien sociaux, qu’économiques ou géographiques.

Tout d’abord, la ville de Callac connaît un déclassement important depuis plus d’un siècle. En 2020, la population est estimée à 2233 habitants par l’INSEE, contre plus de 3500 habitants au début du siècle précédent. Les trois abattoirs sur lesquels s’appuyait l’économie locale ont fermé dans les années 1960 et ont entraîné le déclin de la commune. L’activité de la commune reposait principalement sur cette activité en raison d’un système de protectionnisme commerçant qui a perduré jusqu’en 1973. En effet, les commerçants Callacois qui avaient prospéré dans différents corps de métiers ont refusé l’installation de tous les commerces qui pouvaient leur faire concurrence. Les maires étant eux-mêmes commerçants, le système s’est entretenu plusieurs décennies et a bloqué l’arrivée de l’usine Velux ou de la base logistique d’Intermarché, pourtant possiblement synonymes d’opportunités de développement. Enfin, ce déclin s’est accentué en 2017 avec le passage de 32 communautés de communes dans le département à 8 intercommunalités. La communauté de communes dont Callac était le chef-lieu, a ainsi disparu en faveur de Guingamp – Paimpol Agglomération. La ville ne dispose plus que de 2 sièges sur 88 et ses enjeux ruraux sont alors moins bien pris en compte dans les décisions qu’auparavant.

Au-delà du déclin global de la ville, la situation de la commune est également préoccupante. En effet, Callac se localise à la périphérie géographique du territoire français et de son département et à la marge économique au niveau régional. Le manque de moyens de transport l’affecte tout particulièrement dans sa capacité à proposer des projets inclus dans d’autres dynamiques et à également bénéficier de projets de développement sur son sol. De plus, sa configuration territoriale est contraignante, avec de l’habitat isolé et dispersé en dehors du centre-ville. De ce fait, les déplacements sans voiture sont inenvisageables pour de nombreux résidents vivant en dehors du bourg se retrouvant alors à la périphérie d’une ville déjà marginalisée par sa localisation et ses infrastructures.

Enfin, la population callacoise en 2022 est également marquée par sa précarité et son taux élevé de personnes âgées (1 habitant sur 2 est à la retraite). En effet, les taux de pauvreté (21%) et de chômage (17,6%) sont supérieurs aux moyennes nationales au sein d’un bassin de vie parmi les 200 plus pauvres de France. Des chiffres élevés qui s’expliquent d’abord par le choix du maire de privilégier dans les logements HLM des familles monoparentales avec plusieurs enfants pour augmenter les effectifs à l’école. Mais également avec l’arrivée entre 2010 et 2019 de personnes bénéficiant des minimas sociaux souhaitant s’installer dans un espace plus abordable mais qui les a cependant maintenus dans la précarité.

Le projet Horizon a été pensé par le Fonds de dotation Merci (FDM), détenu par la famille Cohen, originaire de Paris, qui a fait fortune grâce à sa marque de vêtements pour enfant Bonpoint. Le projet Horizon s’inscrivait dans une logique d’accueil déjà en place à Callac que le FDM aurait pu mieux structurer. En effet, depuis 2018, la ville de Callac accueillait déjà 7 familles de réfugiés. Un réseau de solidarité s’était mis en place, s’appuyant sur des bénévoles et une vie associative intense. Horizon aurait permis d’encadrer au mieux l’intégration de ces populations dans une commune déjà engagée malgré des moyens limités. Horizon consistait à faire venir 5 à 6 nouvelles familles de réfugiés sur une dizaine d’années en facilitant leur intégration par une insertion professionnelle adaptée aux compétences des réfugiés et aux besoins de Callac. En effet, 78 postes vacants avaient été repérés par la municipalité dont auraient pu bénéficier les réfugiés. Cet objectif devait s’accompagner d’un programme de renouvellement et de rénovation du centre-ville en termes de logements, mais également d’équipements socio-culturels (nouveau cinéma, une crèche, réhabilitation de logements etc.). L’intérêt pour la municipalité de Callac était de bénéficier de financements pour mettre en place de nouvelles dynamiques aussi bien économiques que démographiques dans une ville sur le déclin.

L’annonce du projet Horizon s’est réalisée lors d’une réunion publique à Callac le 14 avril 2022 devant près de 150 personnes. Cette réunion s’est déroulée sous tension, avec la présence d’individus menaçants au fond de la salle qui ont contraint la gendarmerie à escorter les membres du FDM jusqu’à leur hôtel. Le lendemain une pétition en ligne est également lancée pour s’opposer au projet. Cette annonce a rapidement révélé les représentations locales opposées sur la question de l’accueil, malgré de nombreux éléments encore flou sur le projet. Une premier collectif s’est formé en juin 2022, composé de trois Callacois : Collectif pour la défense et l’identité de Callac. Ce collectif n’est pas à l’origine de la pétition, ni des tensions provoquées lors de la réunion. Il s’inscrit plutôt dans un contexte de remise en question de l’accueil de nouveaux arrivants à Callac.

La première source d’opposition locale se concentre sur les réfugiés accueillis, mais aussi à accueillir. En effet, ils sont qualifiés « d’invisibles » par les Callacois, mais cet adjectif renvoie à deux images contradictoires. D’un côté, le réfugié apparaît plus comme un fardeau pour la collectivité, qui vivrait des aides de l’État. De l’autre, cette non-visibilité dans l’espace public est aussi signe que le réfugié se fond dans la masse. Cependant, les difficultés d’intégration des réfugiés déjà accueillis sur Callac en raison du contexte territorial, interroge la population sur l’intérêt d’en accueillir de nouveaux. Ensuite, le collectif annonce qu’il est prévu d’accueillir 70 familles « extra-européennes », soit une arrivée massive de réfugiés qui alimente la peur de la formation de ghettos dans la commune. Enfin, le collectif souhaite défendre une « identité bretonne » à laquelle il se rattache, que ces nouveaux arrivants remettraient en question. Le refus d’accueillir ces réfugiés est encouragé par l’idée que ces « extra-européens » risquent de modifier « les valeurs et les traditions bretonnes ». L’attachement à une identité régionale figée autour de symboles forts en Bretagne (la langue, la gastronomie, les fest noz etc.) doit être préservé selon le collectif, pour maintenir une identité « sans migrant ». Une division apparaît alors avec les habitants en faveur de l’accueil qui revendiquent une identité bretonne inclusive et ouverte. En effet, ces Callacois sont aussi attachés aux traditions bretonnes mais prônent d’autres valeurs à travers l’identité bretonne. Les individus, qu’ils soient en faveur ou contre cet accueil, se réfèrent à une même identité, mais à laquelle ils n’attribuent pas les mêmes qualités.

Ainsi, une première opposition locale s’est organisée en s’appuyant sur ces représentations qui seront développées pour structurer un mouvement d’opposition plus général. En effet, la dimension locale est limitée par les enjeux locaux que posent encore le projet. Cependant, l’implication de nouveaux acteurs dans ce conflit contribue à l’écho national qu’il rencontre.

La structuration du conflit à l’échelle nationale

Initialement basé sur des enjeux et des acteurs exclusivement locaux, de nombreux systèmes d’acteurs aux intérêts aussi bien particuliers que collectifs interviennent. En effet, si le conflit s’est déroulé physiquement à Callac, une multitude de réseaux à travers la France ont été ensuite mobilisés par les acteurs pour mettre fin à des projets d’accueil qui ont rapidement dépassé Callac.

Pendant l’été 2022, une nouvelle opposition s’organise autour de l’extrême droite, motivée localement à se remobiliser après les élections législatives, en s’appuyant sur :

. Bernard Germain, candidat Reconquête dans les Côtes d’Armor ;

. Catherine Blein, représentante Reconquête dans les Côtes d’Armor ;

. Pierre Cassen, fondateur du site internet de « réinformation » et d’extrême droite Riposte laïque.

En effet, ils disposent tous d’un réseau médiatique et politique important, étant investis en politique depuis plusieurs décennies. Catherine Blein et Bernard Germain fondent l’association les Amis de Callac et ses environs (ACESE) en septembre 2022, avec l’aide de Danielle Le Men, présente dans le premier collectif qui s’est dissous. Ils mettent alors en place un stratégie d’omniprésence et de « réinformation » autour des projets d’accueil.

Ils investissent d’abord classiquement la place du marché de Callac, pendant près de 8 semaines afin de diffuser une nouvelle pétition. Plusieurs tracts sont également distribués pendant les mobilisations, jusqu’à 30 km autour de Callac, tout en intervenant régulièrement dans la presse locale et régionale pour faire connaître leur combat. Une première manifestation devant la mairie est organisée le 17 septembre 2022, réunissant près de 300 personnes dont 24 Callacois. Une deuxième manifestation a lieu le 5 novembre 2022 regroupant près de 400 personnes et toujours une minorité de Callacois. Ces évènements participent à la médiatisation du conflit autour des ACESE qui structurent un mouvement national d’opposition.

Carte. France. Localisation des organismes présents à la seconde manifestation à Callac le 5 novembre 2022
Conception et réalisation : D. Basol
Basol/Diploweb.com

En effet, un groupe informel composé de partis politiques et d’associations d’extrême droite aux origines géographiques extérieures à Callac se forme autour des ACESE pour soutenir et piloter la stratégie d’opposition. Profitant d’une proximité entre leurs dirigeants, ils diffusent massivement ce conflit à travers leurs réseaux, notamment sur les sites internet de « réinformation » qu’ils détiennent (Riposte Laïque, Résistance Républicaine, Place d’Armes etc.), avec des articles mensongers et diffamants sur les porteurs du projet.

Cependant si le mouvement d’opposition a pris une envergure nationale, c’est essentiellement lié aux annonces du Président de la République le 15 septembre 2022. Souhaitant revoir la politique d’accueil et d’intégration des réfugiés, Emmanuel Macron annonce vouloir mieux répartir les réfugiés dans les espaces ruraux pour faciliter leur intégration. Il juge ainsi que ces populations peuvent combler les difficultés que rencontrent les espaces ruraux déclarant que « les années qui viennent seront des années de transition démographique » [1]. A Callac, les enjeux deviennent nationaux, l’opposition considérant qu’il s’agit de la première étape d’un « grand remplacement rural ».

Les représentations que partagent les acteurs de l’opposition ont fédéré leur mouvement, servant également à justifier leur intervention. Les tensions provoquées par ces projets permettent de révéler tout le système de représentations engagé par l’annonce d’accueillir des populations réfugiées.

Tout d’abord, l’origine géographique des réfugiés est un facteur essentiel dans le consentement de la société d’accueil à accueillir. Les migrants européens et intra-Schengen sont désormais beaucoup moins perçus comme un fardeau que les migrants originaires d’Afrique ou du Moyen-Orient. En réalité, au-delà de la distance géographique, c’est la distance culturelle supposée qui influence la représentation. Ensuite, l’opposition emploie systématiquement le terme de migrant dont la définition est la plus vaste et la plus floue. Ce discours retire ainsi le statut juridique international dont bénéficie le réfugié qui atteste de sa vulnérabilité. Il permet également de développer un nouvel argumentaire qui discrimine et criminalise une catégorie entière de la société en raison du danger que d’autres migrants ont pu représenter par le passé.

Aussi, ces réfugiés [2] sont de fait considérés comme des immigrés. Un terme chargé de représentations négatives, qui s’accentuent en période de crise socio-économique et culturelle. Dans les représentations, la qualité d’immigré s’opposerait à celle d’être français. Il existerait ainsi une distance culturelle et sociale entre les individus français et ceux qui y prétendent, une distance que le processus d’intégration ne permettrait pas d’effacer [3]. De ce fait, il serait impossible pour eux de, pleinement s’intégrer, ne partageant pas la même histoire, ni les mêmes pratiques sociales et culturelles.

Les conflits à Callac ont également permis de mettre en évidence le problème que poserait la religion musulmane, particulièrement visée par les membres de l’opposition. Les pratiquants représenteraient une véritable menace et appliqueraient une stratégie de conquête territoriale dissimulée. Certains principes du Coran interprétés par les groupes d’extrême droite présents à Callac, sont vus comme des outils mis au service d’objectifs idéologiques, voire terroristes. L’islam est ainsi envisagé comme un « logiciel mental et héréditaire qui structure chaque aspect de l’existence des musulmans et gouverne leur corps et leur esprit » [4], à qui on prête une seule et unique intention , celle de conquérir l’Europe et la France.

Les mobilisations à Callac concentrent ces représentations en raison de la présence d’acteurs politisés aux intérêts politiques et médiatiques nationaux. Les représentations défendues par les acteurs de l’opposition trouvent un soutien à travers la France et une fenêtre médiatique propice pour s’exprimer. Cela explique la différence importante entre l’emprise objective des projets d’accueil à l’échelle de Callac et la répartition spatiale des opposants à une échelle nationale. Callac est envisagée par l’opposition comme un espace symbolique, celui de la première tentative de « grand remplacement rural ». La faiblesse initiale de l’opposition locale a donc été compensée par celles d’opposants extérieurs qui ne contestent pas simplement les projets d’accueil mais bien la politique migratoire menée en France.

Ces représentations sont entretenues et reprises à des fins électorales et d’influence par les partis politiques. De plus en plus de discours et de pratiques politiques cherchent à rendre coupables des catégories entières de la société française : réfugié, immigré, musulman, descendant d’immigré suspectés de véhiculer des valeurs contraires à la nation française et même de chercher à l’envahir. Ces thèmes (anti-immigrés, anti-musulmans etc.), considérés d’abord comme racistes et xénophobes sont désormais banalisés et peuvent être défendus par des candidats politiques à l’audience nationale. Les idées ainsi exprimées par de plus en plus de partis politiques contre plusieurs millions de personnes en France, se rapportent plus en 2023 aux valeurs de liberté d’expression et de conscience que de valeurs autoritaires, racistes et discriminatoires [5]. Un processus de banalisation auquel participent également certains médias. Les mobilisations à Callac, inédites contre ce type de projets, témoignent désormais de la diffusion de ces représentations et du soutien obtenu par les acteurs combattant l’immigration. Le système de représentation engagé par l’annonce de projets d’accueil de réfugiés est construit par une multitude d’acteurs interdépendants : les acteurs politiques, médiatiques et les citoyens. Ces mobilisations révèlent les tensions et les contradictions que posent le fait d’accueillir des populations étrangères.

La question de l’accueil, source de conflit en France et en Europe

La montée progressive, en France et à travers l’Union européenne, de partis politiques combattant l’immigration, témoigne de la diffusion au sein de la sphère civile de l’affirmation que le phénomène migratoire pose un problème. Un phénomène qui vient notamment interroger les sociétés d’accueil dans leur rapport à l’identité et à la nation. La nation est formée par un processus géopolitique qui implique une identité collective sur un territoire national, bien délimité dans le cas de la France et un attachement à ce territoire car « il n’y a pas de nation sans territoire » [6]. Cette identité collective, fruit d’une construction sociale, représente un enjeu essentiel pour les gouvernements, elle est chargée de valeurs fortes auxquelles se rattachent les individus.

Le statut de réfugié politique est confronté aux mêmes représentations que celles liées aux populations immigrées et étrangères, de moins en moins bien considérées. En France, l’idée que ces populations puissent être source de bénéfices et de développement pour les sociétés d’accueil est parfois contestée tant les amalgames et les discours hostiles à leur présence se multiplient. Immigrés et étrangers sembleraient, désormais, être pour plusieurs segments des opinions publiques à l’origine de nombreux maux de la société française que n’hésitent pas à instrumentaliser des acteurs politiques. Le phénomène migratoire et d’accueil de nouvelles populations, associé à un processus de mondialisation, affectent la représentation de la nation. L’idée et le fantasme d’un « grand remplacement » instaurent un climat d’angoisse à un moment où la mondialisation engendrerait un déclassement social et économique. La notion de nation, et le rattachement des individus à une identité collective et des valeurs partagées rapprochent les individus, mais tendent également à instaurer des barrières infranchissables avec l’« Autre » : l’immigré, le réfugié, le musulman, etc. L’« Autre » devient un élément perturbateur de la nation. D’une certaine façon, une nouvelle fois, l’inclusion au groupe majoritaire se fait par l’exclusion d’une ou plusieurs minorités.

L’accueil de réfugiés ou de nouvelles populations étrangères ferait ainsi peser une menace sur la nation française, une menace à l’origine d’un repli identitaire des « menacés » . L’identité est « une façon de se représenter les différences au sein d’une société » [7]. Les revendications identitaires à Callac ont une portée géopolitique nationale, elles cherchent à différencier celui à accueillir, en l’occurrence le réfugié, à une communauté nationale qui partagerait une identité française commune. La particularité de la France est que la représentation majoritaire de la nation et de l’identité française, n’est ni basée sur la diversité des origines, ni sur la diversité culturelle, elle repose plutôt sur une vision de « l’Homme blanc », influencée par les traditions chrétiennes. Cependant, la représentation d’un accueil massif de populations étrangères, sans filtrage, associée à une augmentation de la visibilité des descendants des personnes issues de l’immigration dans l’espace public, met à mal l’identité nationale représentée. Ce sont principalement les générations d’enfants d’immigrés qui s’insèrent et s’intègrent progressivement dans la société qui impactent les représentations. En effet, ils deviennent beaucoup plus visibles sur le territoire national. Ces personnes atteignent désormais une multitude de professions dans des domaines très variés, mais accentuent parfois les représentations négatives et provoquent des réactions racistes et xénophobes des « Français blancs ». Toutes ces personnes considérées comme immigrées, bien qu’elles puissent être de nationalité française, seraient autant de symptômes d’une identité française menacée qui risque de disparaître.

Par des caractéristiques physiques et/ou culturelles choisies parmi d’autres et considérées comme fondamentalement dérangeantes pour la nation française, les individus considérés étrangers à la nation sont la cible d’une instrumentalisation politique des partis « nationalistes » d’extrême droite. Ces représentations sont ainsi reprises à travers les discours politiques, mais également mobilisées pour refuser la mise en place de projets d’accueil de réfugiés. L’identité est pensée comme centrale dans notre société et montre notre difficulté à changer les représentations que nous avons de notre identité et nation, que le phénomène migratoire et la mondialisation viennent transformer.

Les partis politiques « nationalistes » [8], dans un contexte général où l’indépendance de l’État est garantie, cherchent à affirmer l’intérêt national de la nation par rapport aux intérêts des autres groupes ou classes qui n’en feraient pas partie, en fonction de critères plus ou moins discriminatoires. Les partis politiques d’extrême droite sont des partis « nationalistes », qui se « présentent comme les “vrais” défenseurs de la nation » en opposition « aux représentants de la majorité du peuple, accusés de “brader” les valeurs nationales, de fragiliser l’identité nationale, voire d’abandonner la nation aux étrangers » [9]. Ils affirment ainsi une défense des intérêts des nationaux, aux dépens des populations qui ne feraient pas partie de la nation, notamment les personnes étrangères ou immigrées. En effet, ces discours sont justifiés par l’instabilité économique provoquée par la crise des subprimes (2007-2008), puis la crise migratoire de 2015 qui a matérialisé l’idée d’une invasion et plus récemment une crise de la représentativité des institutions européennes. Nombre de partis « nationalistes » connaissent une ascension politique à travers l’Europe, à l’image du parti Fidescz de Viktor Orbán au pouvoir en Hongrie depuis 2010. Les crispations identitaires provoquées par l’accueil de nouvelles populations et le repli identitaire qu’elles entraînent sur un récit national plus ou moins fantasmé, ne sont pas une situation propre à Callac ou à la France. La montée des partis « nationalistes » qui se saisissent de ces peurs est un enjeu plus global, qu’il serait également possible d’élargir en dehors de l’Union européenne aux États-Unis avec Donald Trump ou en Inde avec Narendra Modi.

Conclusion

Les projets d’accueil de réfugiés à Callac ont provoqué un mouvement de contestation dont l’envergure a largement dépassé les limites de la ville. Des contestations qui ont révélé les tensions que suscitait l’enjeu de l’accueil à toutes les échelles. Celles-ci ont abouti à l’annulation du projet d’accueil principal, Horizon, tandis que celui porté par le préfet s’est mis en place en toute discrétion. De par la nature inédite de l’objet des contestations, portant plus sur les populations de réfugiés à accueillir plutôt que sur le projet d’accueil en lui-même, le cas d’étude sur Callac s’est montré pertinent à analyser. En effet, ce conflit local se développe dans un contexte national et européen de plus en plus hostile aux enjeux liés à l’immigration. Alors même que, depuis au moins une décennie, faute d’une natalité supérieure aux décès, l’UE maintient une croissance totale légèrement positive grâce à l’immigration. [10] La ville de Callac a alors été investie par des acteurs aux origines géographiques bien éloignées, pour annuler ces projets qui suscitaient des représentations divergentes quant aux populations de réfugiés à accueillir. Les tensions provoquées par ces projets d’accueil ont ainsi permis de révéler tout le système de représentations engagé par l’annonce d’accueillir des populations réfugiées. Des représentations dont se sont saisis les partis « nationalistes » français ainsi que la sphère médiatique, mobilisant ainsi les notions de nations et d’identité, centrales dans nos sociétés.

Les mobilisations contre des projets d’accueil se sont multipliées en France depuis 2022 et la victoire de l’opposition sur le projet Horizon. La bataille menée par ces acteurs qui reprennent des arguments similaires à ceux développés à Callac s’est répandue en France notamment à Saint-Brévin dont la situation a été médiatisée mais également dans les territoires ruraux de Bélâbre ou Beysennac. La ville de Callac a été le premier lieu de contestation d’un mouvement qui tend à se généraliser à l’échelle nationale.

Manuscrit clos en septembre 2023.
Copyright Avril 2024-Basol/Diploweb.com

[1] Discours du Président Emmanuel Macron aux Préfets, 15 septembre 2022, https://www.youtube.com/watch?v=s8PzVgA6KLQ. NDLR Le concept de « transition démographique » a un autre sens selon l’INED : « La transition démographique désigne le passage d’un régime traditionnel où la fécondité et la mortalité sont élevées et s’équilibrent à peu près, à un régime où la natalité et la mortalité sont faibles et s’équilibrent également. »

[2] NDLR Le statut de réfugié s’obtient à travers une longue procédure. Cf. le site Service public.fr Demande d’asile (réfugié, protection subsidiaire, apatride) https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N106

[3] Afrien, Boschet & Jean-Baptiste Guégan. Comprendre les migrations : approches géographique et géopolitique, 2017.

[4] Juliette Galonnier, Discrimination religieuse ou discrimination raciale, https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.8252, janvier 2019.

[5] Vincent, Geisser, Le “quadriptyque” électoral de la peur : immigration, islam, insécurité et identité nationale au programme de l’élection présidentielle, 3-18. https://doi.org/10.3917/migra.187.0003, 2022

[6] Jérémy, Robine, Des ghettos dans la nation. Conflit géopolitique à propos des enfants français de l’immigration postcoloniale, https://doi.org/10.3917/her.130.0173, 2008.

[7] Yves, Lacoste, Vive la nation, éd. Fayard, 1998.

[8] NDLR : L’expression parti politique « nationaliste » mérite ici des guillemets puisqu’il arrive qu’un tel parti soit soutenu de diverses manières par une puissance étrangère.

[9] Béatrice Giblin, Extrême droite en Europe : une analyse géopolitique, https://doi.org/10.3917/her.144.0003, 2012.

[10] Pierre Verluise, Comment la population de l’UE27 augmente-t-elle ?, publié sur Diploweb.com le 14 avril 2024 à l’adresse https://www.diploweb.com/Comment-la-population-de-l-UE27-augmente-t-elle.html

Les États arabes se rendent à l’évidence : seuls les États-Unis et leurs alliés occidentaux peuvent dissuader les Iraniens d’étendre leur influence au Moyen-Orient

Les États arabes se rendent à l’évidence : seuls les États-Unis et leurs alliés occidentaux peuvent dissuader les Iraniens d’étendre leur influence au Moyen-Orient

Après des années de flottement, de tentatives d’établir de nouvelles alliances, de recherche d’une plus grande autonomie vis-à-vis de l’Occident, les pays du Golfe semblent se rendre à l’évidence : les tentatives de rapprochement avec l’Iran n’ont pas permis de contenir la menace de Téhéran que ce soit au Yémen, en Syrie ou en Irak. Au moment des choix cruciaux, les pays de la région se sont rangés du côté des États-Unis et de leurs alliés pour faire échec à l’attaque aérienne de l’Iran contre Israël.

Le pragmatisme qui guide la prise de décision des principaux dirigeants du Golfe a été le moteur de cette décision. Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre contre Israël, les États de la région, à l’exception d’Oman très en pointe dans la dénonciation d’Israël, ont été très peu vocaux dans la condamnation de la riposte massive d’Israël. Ils se sont contentés pour la plupart à lancer des appels au cessez-le-feu, certains comme le Qatar se sont engagés dans la médiation entre Hamas et Israël pour l’instauration d’une cessation des combats et un échange des otages contre des prisonniers palestiniens, tous ont envoyé des aides humanitaires pour soulager la population de Gaza mais peu de voix se sont élevées pour condamner Israël.

Les attaques en mer Rouge, une menace prise au sérieux

L’entrée en action des Houthis en mer Rouge contre les navires supposés appartenir à des pays soutenant Israël a suscité de graves inquiétudes chez les Saoudiens qui ont concentré tous leurs projets futuristes sur cette façade maritime. Il en va de même pour les Égyptiens qui subissent des pertes considérables. L’une des principales sources de revenus du pays réside dans les droits de passage par le canal de Suez (8 milliards de dollards). La Chine non plus n’a pas réagi à ces actions qui entravent leurs échanges commerciaux.  Ce silence est dû pour l’essentiel, côté saoudien, à la volonté de ne pas rompre le fragile équilibre de la trêve au Yémen et pour l’Égypte au désastreux souvenir de son engagement au Yémen dans les années 60.

Seules les marines occidentales et l’Inde ont permis tant bien que mal d’assurer la continuité de la navigation en mer Rouge. C’est une évidence et un signal fort envoyé aux alliés de la région, tentés un moment d’aller voir ailleurs.

Les limites de la diplomatie

La diplomatie a démontré ses limites. L’accord signé à Pékin en avril 2023 entre les Saoudiens et les Iraniens a permis certes de normaliser les relations entre les deux pays mais la méfiance est restée de mise. Aucun des problèmes liés à l’ingérence de Téhéran dans la région n’a été réglé. L’influence iranienne est patente auprès des Houthis du Yémen, comme elle l’est en Syrie, en Irak ou au Liban que ce soit directement ou au travers des différentes milices qu’il y a créées et qui sont sous le commandement de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution iraniens.

Un des exemples les plus notables est la Syrie. La Jordanie qui a beaucoup œuvré avec l’Arabie de Mohammed Bin Salman pour la réintégration de Damas dans le giron arabe dans l’espoir de limiter les trafics de drogues (Captagon) et d’armes s’est rendue à l’évidence. Le régime de Bachar Al-Assad n’a tenu aucune de ses promesses et les milices proches du cercle familial du dirigeant syrien et de ses alliés iraniens ont même accentué leur trafic ce qui a nécessité l’intervention de l’armée jordanienne en territoire syrien.

La présence de Téhéran est partout dans l’arc de cercle qui va du Liban à l’Irak et au Yémen au sud. Dans ces conditions les craintes saoudiennes sont justifiées et ses espoirs de neutraliser l’influence iranienne déçus. De plus, les importantes capacités en termes de missiles et de drones développées par l’Iran ces dernières années et dont l’Arabie saoudite a subi les effets lors des attaques revendiquées par les Houthis en 2019 contre les installations pétrolières d’ARAMCO sont une source d’inquiétude. Les pays de la région souhaitent installer un système de protection antiaérien que seuls les Américains ou les Israéliens seraient capables de fournir.

Les Américains reprennent la main

De leur côté les Américains n’ont pas ménagé leurs efforts pour regagner l’influence perdue ces dernières années. Les visites à Riyad d’Anthony Blinken, Lloyd Austin, du Général Erik Kurilla, commandant du Central command, et d’autres hauts responsables américains se sont multipliées depuis le 7 octobre. Riyad est (re)devenu un interlocuteur majeur de Washington et a retrouvé sa place d’allié privilégié. Ce qui flatte l’ego de Mohammed Ben Salmane qui a avait été meurtri par le fait d’être traité en paria après l’assassinat de Jamal Khashoggi. La pusillanimité des Chinois réticents à s’engager en mer Rouge où pourtant leurs intérêts sont en jeu a fait le reste.

Dans ce contexte de fortes tensions, il n’est pas étonnant que les pays de la région aient choisi leur camp. Il est vrai que Washington dispose de trente mille militaires dans la région. L’aide non négligeable en termes d’engagement direct pour la Jordanie, d’autorisations de survols pour les aviations occidentales dans les autres pays, les renseignements fournis par les pays de la région traversés par les drones et missiles iraniens lors de leur attaque du 13 avril ont été d’une aide précieuse même si ces États se sont abstenus de tout commentaire sur l’aide fournie aux alliés occidentaux y compris Israël.

En participant activement à l’opération, la Jordanie a pris un risque important en allant à contre-courant de la majorité de sa population qui manifeste massivement devant l’ambassade d’Israël à Amman. Le Royaume hachémite avance l’argument de la défense de son espace aérien mais l’a autorisé aux chasseurs israéliens qui ont abattu un grand nombre de missiles et de drones au-dessus de la Jordanie.

Pour les pays de la région, la menace iranienne pèse très lourd dans la balance et les capacités ou la volonté d’action de la Russie et de la Chine sont encore loin de répondre aux attentes et aux impératifs de sécurité que ces pays attendent de leurs alliés.

La stratégie de dissuasion nucléaire (SDN). Un pense-bête

La stratégie de dissuasion nucléaire (SDN). Un pense-bête

Par François Gere  Diploweb – publié le 17 avril 2024    

https://www.diploweb.com/La-strategie-de-dissuasion-nucleaire-SDN-Un-pense-bete.html


Agrégé et docteur habilité en histoire (Paris 3 Sorbonne nouvelle). Président du Cercle des amis du général Lucien Poirier (2019 – ). F. Géré a présenté l’ouvrage posthume du Général Lucien Poirier, « Éléments de stratégique ». , éd. Economica, Ministère des Armées, 2023. François Géré a consigné avec Lars Wedin, L’Homme, la Politique et la Guerre, éd. Nuvis, 2018. François Géré a publié, « La pensée stratégique française contemporaine », Paris, Economica, 2017.

La menace d’un recours à l’arme nucléaire est un discours récurrent de V. Poutine depuis sa relance de la guerre russe en Ukraine, le 24 février 2022. La France est un des pays dotés de l’arme nucléaire mais la stratégie de la dissuasion nucléaire (SDN) reste relativement peu expliquée sur la place publique. François Géré fait œuvre de pédagogue avec ce document qui en explique les cinq grands principes.

Antécédents

LA DISSUASION est un mode d’action à but négatif aussi ancien que la guerre. Visant à interdire les velléités d’action d’un adversaire, il a été pratiqué avec plus ou moins de succès en raison de son caractère aléatoire. Il repose sur le calcul des probabilités connu dès le XVIIème siècle. En 1800, le mathématicien Pierre-Simon Laplace remarquait : « dans la conduite de la vie…il convient d’égaler au moins le produit du bien que l’on espère par sa probabilité, au produit semblable de la perte. »

Auparavant si un agresseur prenait le risque de transgresser la dissuasion et que son entreprise tournait mal… il se prenait une raclée mais n’en mourait pas. Avec l’atome, la dissuasion revêt désormais une toute autre dimension car la probabilité d’occurrence de la riposte nucléaire comporte le risque d’une perte exorbitante, dite insupportable, dépassant la valeur de l’enjeu.

 

La stratégie de dissuasion nucléaire (SDN). Un pense-bête
François Géré
Professeur agrégé, docteur habilité en Histoire des relations internationales et stratégiques contemporaine, président de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS). Crédit photo : Diploweb.com
Herbert/Diploweb.com

Domaine de validité

La stratégie de dissuasion nucléaire (SDN) n’apporte pas la paix absolue.

Elle ne peut en effet s’exercer que dans le cas d’une attaque massive, quelle qu’en soit la nature, contre les intérêts vitaux du pays agressé.

Le périmètre du « vital » ne doit pas être défini restant à l’appréciation du chef de l’État de manière à placer le candidat agresseur dans l’incertitude.

Ainsi la stratégie de dissuasion nucléaire repose-t-elle sur cinq principes.

. Principe de crédibilité

La dissuasion nucléaire exige la création et la démonstration de capacités techniques. C’était le rôle des essais qui ne sont plus nucléaires depuis leur suspension pour une durée indéterminée en 1994 ou leur interdiction par un traité (TICE).

. Principe de permanence : la SDN est assurée par le chef de l’État, seul décideur, disposant 24h/24 des codes électroniques et des moyens de transmission aux forces stratégiques aériennes en veille et aux sous-marins en patrouille. La robustesse des communications est vitale.

. Principe d’incertitude

« l’effet dissuasif résulte de la combinaison d’une certitude et d’incertitudes dans le champ mental d’un candidat agresseur : certitude quant à l’existence d’un risque inacceptable… incertitudes sur les conditions exactes d’application du modèle en cas d’ouverture des hostilités. »

. Principe de suffisance pour une puissance moyenne comme la France en quantité et en qualité ni trop, ni trop sophistiqué.

C’est ce que l’on nomme parfois « dissuasion du faible au fort » (c’était l’Union Soviétique). Il est inutile et ruineux de se lancer dans une course aux armements, il faut et il suffit :

a) de disposer d’une force nucléaire invulnérable capable de riposter en cas d’agression (les SNLE sous-marin nucléaires lanceurs d’engins sont durablement indétectables). Il est indispensable de prévoir une redondance en cas de défaillance humaine ou technique. En janvier 2024, la Royal Navy a enregistré deux tirs ratés du Trident, missile de conception américaine pourtant éprouvé de longue date.

b) de passer les défenses adverses.

L’interception à 100% n’existe pas. Le dommage reste tolérable si les charges explosives sont classiques mais si elles sont nucléaires le problème change complètement. Une salve de SNLE envoie 96 charges pouvant « vitrifier » potentiellement autant de cibles. Aucune défense ne parviendrait à les intercepter quels que soient les progrès réalisés. D’autant plus que ces têtes sont environnées de leurres, manoeuvrantes (changement de trajectoire) et furtives (faible signature radar). Cette supériorité durable de l’agression sur la protection fait donc de la SDN l’unique parade.

. Principe de proportionnalité

Le volume des destructions dites « insupportables » est rapporté à la valeur de l’enjeu ; en l’occurrence l’invasion et la conquête de la France valent-elles l’anéantissement d’un ou deux ou trois centres vitaux de l’agresseur ?

Dès lors que cibler ? Anticités ou antiforces ? Les progrès de la précision permettent un ciblage plus fin sur des surfaces réduites. Le discours officiel quelque peu jésuitique affiche que la France ne vise plus les villes mais les centres de commandement des forces nucléaires et les centres décisionnels, en l’occurrence les dirigeants politiques. Toutefois, on relèvera que de telles cibles se situent rarement au cœur des déserts mais ont le mauvais goût de se trouver au beau milieu de zones densément peuplées.*

In Cauda

La création d’une dissuasion stratégique nucléaire européenne (UE) devra souscrire à l’ensemble de ces principes. Toutefois, la valeur de l’enjeu pour l’agresseur changerait de dimension. Des intérêts vitaux de la France seule, on passerait à ceux de l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Le calcul de la proportionnalité s’en trouverait affecté.

Copyright Avril 2024-Géré/Diploweb.com


Plus

Vidéo et résumé de la conférence Eric Danon : La dissuasion nucléaire a-t-elle un avenir ?

Éric Danon, diplomate, spécialiste des questions de sécurité internationale et de prospective stratégique s’interroge dans cette passionnante conférence (2018) : La dissuasion nucléaire a-t-elle un avenir ? Une heure de réflexion partagée pour nourrir le débat citoyen.

Bonus : le résumé par Estelle Ménard pour Diploweb.com

Que pèse la France en Indo-Pacifique ?

Que pèse la France en Indo-Pacifique ?

OPINION. Dans la région indo-pacifique, la présence française, ancienne et multiforme, reste souvent méconnue et sous-estimée. Par Benjamin Blandin, Institut catholique de Paris (ICP)

Déploiement du groupement aéronaval français dans l’Océan indien dans le cadre de l’opération Antares, février 2023.
Déploiement du groupement aéronaval français dans l’Océan indien dans le cadre de l’opération Antares, février 2023. (Crédits : marine nationale)

La stratégie indo-pacifique française est souvent incomprise et parfois méconnue. Dans cette immense région à l’importance cruciale, la France est fréquemment perçue comme une ancienne puissance coloniale amenée à jouer, au mieux, un rôle secondaire.

Il est vrai que la France a connu une longue présence coloniale dans la région, pendant environ trois siècles, de 1674 à 1954, notamment à Madagascar, à Djibouti, à Mayotte, en Inde, en Indochine et dans le Pacifique Sud. En outre, elle a également eu recours de manière immodérée à la politique de la canonnière face au Siam, au Vietnam, à la Chine et à la Corée. Aujourd’hui, du fait de cette histoire, elle se trouve en conflit avec l’île Maurice pour l’île de Tromelin, avec les Comores pour Mayotte et les îles Glorieuses, et avec Madagascar pour les îles Éparses. Dans l’océan Pacifique, la France est également confrontée à un mouvement indépendantiste en Nouvelle-Calédonie et sa possession de Clipperton a été ouvertement remise en question par le Mexique.

Outre les questions historiques, plusieurs événements survenus plus récemment ont également contribué à cette perception : les essais nucléaires effectués par la France jusqu’en 1995, les scandales liés aux contrats de défense signés avec Taïwan, ainsi qu’avec l’Arabie saoudite et le Pakistan dans les années 1990 et au début des années 2000, et plus près de nous l’annulation par Canberra du contrat de sous-marins au profit de l’accord AUKUS et l’abandon par l’Australie de contrats de défense avec la France (hélicoptères d’attaque Tigre, hélicoptères de transport NH90).

Par ailleurs, l’appareil de sécurité régionale français a été considérablement réduit, passant de 8 500 à 7 000 hommes au cours des dix dernières années. Sans parler des coupes budgétaires post-crise des subprimes (les redoutables LOLF et RGPP) dans la diplomatie française qui ont entraîné une réduction d’effectifs dans un certain nombre d’ambassades. Tous ces facteurs ont clairement eu un impact sur l’image de la France dans la région et ont contribué à une opinion contrastée auprès du public, comme des experts et des autorités politiques et militaires.

En outre, la stratégie indo-pacifique de la France, publiée en 2019, reste floue pour nombre de nos voisins, partenaires et alliés. La France gagnerait certainement à améliorer sa communication autour de ses initiatives et de ses résultats concrets, pour les faire mieux connaître et apprécier. Une meilleure coopération serait également nécessaire entre ses (trop) nombreuses agences, régulièrement en concurrence les unes avec les autres.

Un pays singulier parmi les nations européennes en Indo-Pacifique

La France n’est certes pas le pays le plus puissant opérant dans la zone indo-pacifique, mais elle n’est ni une petite puissance ni une puissance lointaine dans la région, où sa présence a été continuellement maintenue depuis la première moitié du XVIe siècle.

Il est également important de noter que même si la France a été une puissance coloniale, elle a établi son influence par divers moyens, notamment l’échange d’envoyés diplomatiques et l’établissement d’alliances avec les dirigeants locaux, l’implication directe dans divers conflits, la présence des érudits jésuites à la cour de l’empereur Qianlong en Chine, la construction de forteresses de style Vauban au Siam et au Vietnam ou encore la création d’un arsenal naval moderne à Yokosuka, au Japon. Un grand nombre de Français de tous métiers ont également apporté leurs connaissances et leurs compétences aux dirigeants locaux.

Aujourd’hui encore, la présence de la France dans la zone constitue une singularité majeure puisqu’elle est le seul pays de l’UE à être membre du Conseil de Sécurité de l’ONU et à être une puissance résidente à la fois dans l’océan Pacifique et dans l’océan Indien, sur un ensemble de territoires qui représente 25 810 kilomètres carrés pour une population de près de 2 millions de Français, et 93 % de la zone économique exclusive (ZEE) française, la deuxième au monde, juste après celle des États-Unis. Ses principales entreprises y sont très présentes, notamment dans le secteur de la défense, où la France se classe au troisième rang des fournisseurs, avec des coopérations fructueuses en cours avec l’Inde, Singapour, la Malaisie et l’Indonésie (peut-être prochainement aux Philippines) et des succès plus anciens en Australie et à Taïwan.

En termes d’influence et de diplomatie, Paris bénéficie d’une position unique avec un ensemble à la fois très dense et diversifié d’outils de soft power et de coopération. Cela comprend d’abord, son réseau d’ambassades et de consulats, l’un des plus importants au monde ; deuxièmement, les écoles et centres culturels français (réseau Alliance française) implantés dans toutes les grandes villes ; troisièmement, ses chambres de commerce et d’industrie reliant les entreprises françaises et locales ; quatrièmement, les institutions françaises de coopération internationale telles que l’Agence française de développement (AFD) et Expertise France ; cinquièmement, un réseau de 18 attachés militaires en plus des officiers de liaison dans les centres régionaux de fusion d’informations à Madagascar, New Delhi et Singapour, coordonnant la coopération en matière de défense et maritime et menant la diplomatie militaire. Cet outil diplomatique unique, envié par de nombreux pays européens, permet à la France d’être un membre actif des plus importants forums et mécanismes de coopération régionale.

Des moyens limités mais une approche innovante

Pour autant, les observateurs jugent souvent que la France « manque de muscles » en Indo-Pacifique.

Une telle affirmation n’est pas dénuée de fondement. Il est vrai que le nombre de troupes dans la zone a été réduit de 20 % au cours des 10 dernières années et que la présence navale a fortement diminué depuis les années 1990, mais en tout état de cause la France n’a ni l’ambition ni les moyens d’être une puissance militaire majeure dans l’Indo-Pacifique. Ses partenaires et alliés dans la région n’attendent ni ne demandent qu’elle prenne parti dans la rivalité États-Unis/Chine ou s’interpose entre eux. Forte de son héritage historique d’autonomie stratégique et d’indépendance politique, la France souhaite ouvrir une troisième voie, ni pro-États-Unis ni anti-Chine, qui résonne avec la posture stratégique de non-alignement des « Perspectives sur l’Indo-Pacifique » de l’Asean. À ce titre, Paris privilégie une posture de facilitateur, de bon voisinage et de partenaire de confiance qui promeut l’état de droit et démontre son engagement en faveur de la sécurité régionale et de la liberté des mers.

L’architecture de défense française dans la zone comprend deux commandements sous-régionaux – ALINDIEN pour l’océan Indien et ALPACI pour l’océan Pacifique, en complément des forces de souveraineté positionnées à La Réunion, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie – et suit un axe en forme de « S ». Cet axe relie le cœur métropolitain à ses territoires d’outre-mer à travers un réseau d’alliés et de partenaires stratégiques dont les Émirats arabes unis, l’Inde, Singapour, l’Indonésie et l’Australie (mais aussi le Vietnam, la Corée du Sud et le Japon). Avec certains d’entre eux, la France a établi un dialogue stratégique de défense innovant, comme les dialogues stratégiques trilatéraux « France-EAU-Inde » et « France-Inde-Australie ».

Cet axe comprend également cinq bases militaires situées à Abu Dhabi, Djibouti, La Réunion, Nouméa et Papeete. Dans ces bases, 7 000 militaires et divers équipements sont positionnés en permanence pour protéger les intérêts de la France. Il convient également de noter que depuis la publication de sa stratégie Indo-Pacifique, la France a considérablement renforcé sa présence dans la région. Cela comprend des déploiements réguliers de moyens navals majeurs tels que son groupement tactique aéronaval, ses sous-marins nucléaires d’attaque et ses porte-hélicoptères. Paris a aussi mené des « raids aériens », déployant chaque année des avions de combat Rafale, des A330 MRTT et des A400M depuis la France, Djibouti et le porte-avions Charles de Gaulle jusqu’en Inde, en Asie du Sud-Est, en Australie et en Nouvelle-Calédonie – et cela, en des temps records, permettant de démontrer les capacités de nos derniers équipements et de s’entraîner avec nos alliés.

À la lumière d’une architecture de sécurité américaine qui ne cesse de se renforcer et d’une présence européenne globalement absente, il a fallu du temps pour que le positionnement singulier français gagne en visibilité et soit pleinement compris. Certains pays de la région se sont même demandé si la France ne faisait pas, par nature, partie d’un « Occident global » et donc un partenaire de facto du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD), mais la perte de l’accord sur les sous-marins avec l’Australie au profit de l’AUKUS a grandement contribué à repositionner la France « sur le radar » de nombreux pays, notamment de l’Asean. Les entreprises françaises occupent désormais la position de troisième exportateur d’armes dans la région.

Une puissance stabilisatrice ?

Sur le plan diplomatique, la France a su établir des relations apaisées avec ses anciennes colonies. Elle a trouvé un accord avec le Mexique sur Clipperton en 2007 et a signé un accord-cadre sur l’île Tromelin avec Maurice en 2010. Elle a également renforcé sa présence au sein de l’Asean et se montre davantage présente au Shangri-La Dialogue. D’autres options ont été envisagées pour renforcer son statut, comme l’extension de ses bases, le positionnement d’une flotte permanente et d’un escadron de Rafale, ou encore une européanisation de son architecture de sécurité (même si elle représente 90 % de la présence de l’UE), mais toutes sont économiquement ou politiquement sensibles et Paris semble pour le moment privilégier une modernisation de ses atouts existants.

De manière plus pratique, la France met à profit sa vaste expertise maritime pour approfondir ses liens avec toutes les parties intéressées, à travers le concept d’« action de l’État en mer », la conception et la construction de systèmes navals complexes, la création et la préservation de zones marines protégées, la conduite d’opérations de recherche et de sauvetage en mer, la lutte contre la pollution marine, la lutte contre la criminalité maritime et les activités illégales et l’application du droit maritime.

La France est aussi l’un des pays les plus impliqués en matière de lutte contre le changement climatique. Elle a notamment apporté une contribution significative au récent traité international améliorant la protection de la haute mer. La taille de la ZEE française, les connaissances apportées par ses territoires d’outre-mer à travers le monde et la diversité de son domaine maritime placent la France à l’avant-garde des pays qui peuvent agir comme une nation-cadre dans des domaines variés et de plus en plus cruciaux pour la région : protection des biens communs mondiaux ; résilience face au changement climatique ; protection de l’environnement et de la biodiversité ; préservation du patrimoine culturel ; aide humanitaire et réponse aux catastrophes ; économie bleue ; sécurité maritime, la gouvernance des océans et la protection des ressources marines ; et renforcement de la connectivité.

On le voit, la France ne manque ni d’atouts ni d’initiatives et a véritablement transformé sa politique et sa stratégie dans la région ces dernières années. De nombreux projets ont été lancés et des résultats encourageants ont été observés. Reste désormais à mieux valoriser les fruits de cette démarche unique.

_______

Par Benjamin Blandin, Doctorant en relations internationales, Institut catholique de Paris (ICP)

Après l’échec sahélien, repenser le logiciel de la politique française en Afrique Briefings de l’Ifri, 10 avril 2024

Après l’échec sahélien, repenser le logiciel de la politique française en Afrique Briefings de l’Ifri, 10 avril 2024

par l’IFRI – publié le 10 avril 2024

https://www.ifri.org/fr/publications/briefings-de-lifri/apres-lechec-sahelien-repenser-logiciel-de-politique-francaise


Les condamnations de la politique française ont pris de l’ampleur ces dernières années en Afrique francophone[1]. Les griefs évoqués sont multiples (interventions militaires, persistance du franc CFA, politique d’aide au développement, politique des visas restrictive, etc.) et la contestation raisonnée, qui portait sur les éléments objectifs de la politique française en Afrique qualifiée par certains de « néocoloniale », s’est transformée en diatribe anti-française sur les réseaux sociaux et dans les propos simplistes des néo-panafricanistes[2].

couv_briefing_antil_vircoulon_2024_page_1.png

Dans ce contexte, les relations entre la France et trois pays sahéliens ont été remises en cause en l’espace de deux ans (2021-2023). Au Mali, Burkina Faso et Niger – trois pays qui faisaient partie de la coalition anti-djihadiste du G5-Sahel et accueillaient des forces françaises et européennes dans le cadre de la lutte anti-djihadiste –, des militaires ont pris le pouvoir et rompu le partenariat sécuritaire avec Paris (dénonciation des accords de défense les liant à Paris et demande de départ des troupes françaises stationnées sur le territoire). Ils ont non seulement mis fin à l’engagement militaire de la France au Sahel mais aussi à la présence militaire de l’Union européenne (UE)[3] et à celle des Nations unies à travers sa Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA)[4]. Il n’y a plus d’ambassadeur de France ni de troupes françaises dans ces trois pays et Paris a fermé son ambassade à Niamey le 2 janvier 2024. L’aide publique au développement (APD) française a été suspendue ainsi que les délivrances de visas. En rupture avec la France, les Européens puis les organisations régionales (CEDEAO et UEMOA) qui ont mis en place des sanctions, les trois pays sont en quête de nouvelles alliances et ont envoyé des messages en ce sens à plusieurs pays (Pays du Golfe, Turquie, Iran, Chine, Corée du Nord, etc.) avec plus ou moins de succès pour l’instant. Les juntes malienne et burkinabée se sont également tournées vers la Russie en tant que nouveau partenaire de sécurité, la junte nigérienne l’a fait au début de l’année 2024[5]. Cette rupture brutale et ce revirement d’alliance sont d’autant plus surprenants qu’ils sont le fait d’officiers qui coopéraient avec l’armée française dans le cadre de la lutte contre le djihadisme et avaient, pour certains, été en formation en France.

Malgré les déclarations de la diplomatie française tendant à minimiser ce revers, ce retournement brutal constitue bel et bien une crise. Mais de quelle crise s’agit-il exactement ? S’agit-il d’une crise franco-sahélienne, d’une crise franco-africaine ou d’une crise de la politique africaine de la France ?

La perception d’une crise franco-sahélienne peut se justifier par le fait que, sur 49 pays d’Afrique subsaharienne, seuls trois d’entre eux ont décidé de rompre avec Paris. Au-delà du populisme et du néo-souverainisme affichés par les juntes, censés leur apporter une base sociale, les raisons de ces ruptures avec Paris sont plus complexes. Après une opération Serval au Mali unanimement saluée et la mise en place de l’opération Barkhane en bonne intelligence avec les pays qui formaient, dans le même temps, le G5-Sahel, les divergences politiques et sécuritaires entre Paris et certaines capitales sahéliennes se sont progressivement développées[6]. Si, bien sûr, chaque relation bilatérale avait sa spécificité, notamment du fait que l’essentiel de l’action de l’armée française concernait le territoire malien, deux divergences se sont accentuées : une divergence sur les causes du conflit ; une autre sur la conduite de la guerre. Dans un premier temps, nous reviendrons sur la nature du conflit sahélien et sur ces divergences pour aborder ensuite les conséquences plus larges, pour Paris, de cet échec sahélien et des réflexions préalables à l’établissement d’une nouvelle politique.


[1]. A. Antil, T. Vircoulon et F. Giovalucchi, « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone », Études de l’Ifri, Ifri, juin 2023.

[2]. A. Mbembe, « Quand le panafricanisme devient sectarisme », Jeune Afrique, 23 janvier 2023.

[3]. Fin de la Mission d’entraînement de l’Union européenne (EUTM) au Mali (formation de l’armée), fin de la task force Takuba (forces spéciales européennes placées sous le commandement de la force française Barkhane et des Forces armées maliennes), fin de la Mission EUCAP Sahel Niger (formation des forces de sécurité intérieures).

[4]. Les dernières bases de la MINUSMA ont été remises aux autorités maliennes en décembre 2023.

[5]. Au moment où nous écrivons ces lignes, plusieurs rencontres ont déjà eu lieu entre autorités russes et nigériennes (tant à Niamey qu’à Moscou) pour dessiner les contours d’un nouveau partenariat. En ce qui concerne le déploiement de forces russes, il semble que la junte soit divisée sur ce point, voir : « La perspective d’un déploiement de militaires russes au Niger divise la junte », Jeune Afrique, 1er février 2024.

[6]. Sur ce sujet, on lira entre autres avec profit : Emmanuel R. Goffi, « Opération Barkhane : entre victoires tactiques et échec stratégique », Université du Québec à Montréal, juin 2017 ; Rapport d’information sur l’opération Barkhane, Commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 14 avril 2021 ; F. Galois, « Fin de l’opération Barkhane : réflexions sur sept ans et demi d’engagement militaire », Institut Rousseau, 16 mars 2022 ; J. Guiffard, « Barkhane : échec, réussite ou bilan nuancé », Institut Montaigne, 23 mars 2023.

Après l’échec sahélien, repenser le logiciel de la politique française en Afrique

Où en est la souveraineté européenne ? par Y. Doutriaux, M. Lefebvre, J-L Bourlanges

Où en est la souveraineté européenne ? Y. Doutriaux, M. Lefebvre, J-L Bourlanges

 

Par Arthur DESCAZAUD , Jean-Louis BOURLANGES, Justine PERIES , Mario MARONATI, Maxime LEFEBVRE, Yves DOUTRIAUX  – Diploweb – publié le 10 avril 2024 

https://www.diploweb.com/Video-Ou-en-est-la-souverainete-europeenne-Y-Doutriaux-M-Lefebvre-J-L-Bourlanges.html


Avec Yves Doutriaux, Conseiller d’État honoraire ; Maxime Lefebvre, professeur à l’ESCP Business School ; et Jean-Louis Bourlanges, Président de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale.
Yves Doutriaux et Maxime Lefebvre sont co-auteurs avec Florence Chaltiel de « Propos sur la souveraineté européenne. Défis sanitaires, sécuritaires, démocratiques », éd. Dalloz, 2024. Jean-Louis Bourlanges en a rédigé la préface.
Présentation de la conférence par l’étudiant et directeur des partenariats de l’ESCP International Politics Society, Mario Maronati. Synthèse rédigée par Mario Maronati, Justine Peries et Arthur Descazeaud, étudiants à l’ESCP Business School, membres de l’ESCP International Politics Society.

D’où provient le terme de souveraineté européenne ? Quelle impulsion a-t-il connu à partir de 2017, sous la première présidence d’Emmanuel Macron en France ? Comment les multiples crises que l’Union européenne a traversées ont progressivement donné vie à ce concept initialement peu accepté parmi les États membres ? En quoi s’agit-il d’un enjeu majeur des élections européennes de juin 2024 ? Yves Doutriaux, Maxime Lefebvre et Jean-Louis Bourlanges en débattent. Avec une synthèse rédigée, validée par M. Lefebvre.

Voir la vidéo sur youtube

Synthèse rédigée par Mario Maronati, Justine Peries et Arthur Descazeaud, étudiants à l’ESCP Business School, membres de l’ESCP International Politics Society

ALORS QUE que les élections européennes approchent, la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont relancé les débats autour de la souveraineté européenne. C’est dans ce contexte que l’ESCP Business School a accueilli le 29 février 2024 une conférence pour faire le point sur ce concept encore peu clair et objet de nombreuses controverses : la souveraineté européenne. À l’occasion de la parution du livre « Propos sur la souveraineté européenne » (Dalloz, 2024), deux des trois auteurs ainsi que le préfacier sont venus apporter leur point de vue sur la situation dans cet événement co-organisé par l’ESCP International Politics Society, association étudiante visant à promouvoir les enjeux de politique internationale au sein de cette institution.

D’où provient ce terme de souveraineté européenne ? Quelle impulsion a-t-il connu à partir de 2017, sous la première présidence d’Emmanuel Macron en France ? Comment les multiples crises que l’Union européenne a traversées ont progressivement donné vie à ce concept initialement peu accepté parmi les États membres ? En quoi s’agit-il d’un enjeu majeur des élections européennes prochaines, en juin 2024 ? Ce sont ces questions qui ont rythmé les quelque deux heures et demie d’échanges menés par Yves Doutriaux, Maxime Lefebvre et Jean-Louis Bourlanges, respectivement conseiller d’État honoraire, professeur à l’ESCP Business School et Président de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale.

Le ton fut rapidement donné au terme d’une introduction effectuée par l’étudiant et directeur des partenariats de l’ESCP International Politics Society, Mario Maronati. Les États membres sont peut-être traversés par des sentiments contraires quant à leur conception de l’Union européenne, mais un impératif subsiste en ce moment si particulier de crise militaire à nos frontières : il ne faut pas s’abandonner à l’immobilisme.

Là réside la marque de fabrique de l’Union. Maxime Lefebvre nous le rappelle en s’intéressant à l’origine et au développement du concept de souveraineté européenne au fil des années. Il revient sur ce terme qui fait directement écho à celui d’autonomie stratégique, lui-même issu de la politique de défense française et qui a trouvé une déclinaison économique dans l’UE depuis 2020 (énergie, santé, électronique, matières premières, etc.). Ainsi, lorsque le président Emmanuel Macron lance le slogan de la souveraineté européenne au cours de son discours de la Sorbonne en 2017, l’ambition est tout sauf neutre. C’est bien de quelque chose de plus important que les domaines aujourd’hui de compétence exclusive de l’union (commerce, concurrence, monnaie, pêche), qu’il s’agit.

Vidéo – Yves Doutriaux, Mario Maronati, Maxime Lefebvre
Copyright ESCP Business School

Si le contenu de ce discours fut loin de faire l’unanimité au sein des pays membres à l’époque, Yves Doutriaux souligne l’importance de l’agression de l’Ukraine par la Russie en février 2022 dans le processus de prise de conscience d’une souveraineté européenne. En effet, si les crises précédentes telles que la guerre en Géorgie en 2008 ou l’annexion de la Crimée et la sécession d’une partie du Donbass en 2014, n’avaient pas toujours engendré des prises de position unanimes de la part des membres de l’Union européenne, la guerre en Ukraine marque un tournant majeur. C’est la première fois que les 27 membres vont mettre à profit tous leurs instruments disponibles, de concert. Sanctions, politique d’accueil massive de réfugiés ukrainiens, soutien humanitaire et macroéconomique, et mobilisation d’un budget pour financer l’envoi d’armes et former les soldats ukrainiens : jamais l’Union européenne n’avait réagi aussi fermement et avec un éventail aussi vaste de mesures face à un conflit international.

Yves Doutriaux rappelle aussi que tout ceci doit être remis dans le contexte de membres de l’Union réticents à l’idée de mettre en avant une Défense européenne différente du bouclier apporté par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). En effet, s’il existe bien quelques opérations menées par des troupes européennes dans le monde, la défense des pays membres repose essentiellement sur cette organisation de 32 Etats. Cependant, le blocage aux États-Unis par les républicains d’une aide supplémentaire de 60 milliards de dollars à l’Ukraine ainsi que les multiples déclarations de l’ancien président et désormais candidat Donald Trump, ne permettent guère de rassurer les Européens. Dans ce cadre, il est évident que le concept de souveraineté européenne a pris une nouvelle dimension. D’ailleurs, Maxime Lefebvre liste une potentielle nouvelle élection de Donald Trump parmi les grands défis auxquels risque de faire face l’Union européenne pendant la période législative 2024-2029. Selon lui, cette éventualité conjuguée à d’autres enjeux tels qu’une relation complexe entre l’Union et ce que l’on appelle le “Sud Global”, ou la question d’un élargissement de l’UE à 36 membres, invitent les pays membres à mieux réfléchir à ce qu’ils entendent par souveraineté et à aller au-delà de la forme, en avançant sur le fond.

Sur cette problématique de définition, Jean-Louis Bourlanges ne peut qu’être d’accord. De fait, il considère qu’il y a une contradiction originelle à parler de “souveraineté” dans un cadre européen. Comment cela pourrait-il être alors que Jean Bodin définit classiquement ce terme comme caractérisant un pouvoir qui n’est lié que par lui-même ? Cela est impossible dans la mesure où l’intégralité de la construction européenne repose sur la délégation de pouvoirs de la part d’États souverains à une autorité commune. Cependant, Jean-Louis Bourlanges explicite une condition à laquelle les mots prononcés par le président Emmanuel Macron en 2017 peuvent être acceptables : s’il ne se réfère pas à un concept juridique, mais plutôt à une notion proche de l’indépendance européenne prônée par le Général de Gaulle en son temps. Si l’idée n’est pas forcément de promouvoir un projet fédéral, mais davantage d’appeler l’Union à organiser son indépendance sur tous les plans afin de constituer une entité politique capable de ne pas subir la loi d’autrui, alors le terme de “souveraineté” est justifié.

La souveraineté européenne doit être au cœur des débats compte tenu de la situation géopolitique mondiale, et tout candidat devrait d’abord commencer par expliciter son positionnement sur ce sujet.

Pourtant, Maxime Lefebvre comme Jean-Louis Bourlanges déplorent le manque de clarté des décideurs politiques et l’absence de réflexion profonde sur la réalité que nous souhaitons attacher au terme de souveraineté européenne. D’abord parce que sans cela, l’Union européenne ne pourra répondre efficacement aux défis géopolitiques prochains, mais aussi parce qu’il s’agit d’un des enjeux les plus importants des élections européennes de juin 2024. En effet, Jean-Louis Bourlanges estime qu’il est impératif de consacrer une partie prépondérante des débats à cette notion, et qu’il est urgent que les différents pays membres répondent à trois questions au sujet de l’union : qui, quoi et comment ? Qu’est-ce qui fait que l’on peut devenir membre de l’Union européenne et qu’est-ce qui ne fait que cela peut nous être refusé ? Qu’est-ce que les pays veulent mettre en commun et qu’est-ce qu’ils souhaitent réaliser individuellement ? Et enfin, comment organiser une vie démocratique entre plusieurs États souverains ?

En fin de compte, toute l’Union européenne découle des réponses à ces trois questions. Il faut arrêter de se dissimuler derrière des idées floues et clarifier le propos. Sans quoi, il est impossible de prétendre vouloir mobiliser plus de 400 millions d’électeurs en juin 2024. La souveraineté européenne doit être au cœur des débats compte tenu de la situation géopolitique mondiale, et tout candidat devrait d’abord commencer par expliciter son positionnement sur ce sujet. Il en va du succès de ces élections et de la légitimité des futurs élus.

Copyright pour la synthèse Avril 2024-Descazeaud-Maronati-Périès/Diploweb.com


Plus

. Florence Chaltiel, Yves Doutriaux et Maxime Lefebvre, « Propos sur la souveraineté européenne. Défis sanitaires, sécuritaires, démocratiques », préface de Jean-Louis Bourlanges, éd. Dalloz, 2024.

4e de couverture

À la veille d’élections décisives, l’Union européenne apparaît comme une puissance en devenir. L’affirmation progressive de sa souveraineté ne saurait faire abstraction ni des souverainetés nationales ni des défis qu’elle doit encore relever. Face aux crises nombreuses de ces dix dernières années, sanitaire, géopolitique, financière, les États-membres et les institutions européennes ont chaque fois tenté de réagir avec unité et fermeté. Cependant les divergences d’intérêts et de vue sont autant d’obstacles sur le chemin de l’Union politique européenne. Cet essai propose une réflexion sur le chemin parcouru et dessine des perspectives pour l’Europe du XXIe siècle.

Carte. L’espace Schengen en 2024

Carte. L’espace Schengen en 2024

Par AB PICTORIS – Diploweb – publié le 8 avril 2024

https://www.diploweb.com/Carte-L-espace-Schengen-en-2024.html


Conception et réalisation de la carte : AB Pictoris. AB Pictoris est une jeune entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Passionnée de cartographie et de géopolitique, elle a obtenu un Master en Géopolitique (parcours cyber, IFG, Paris VIII) et en Géostratégie (Sciences Po Aix) après une licence de Géographie et Aménagement du Territoire (Paris I).

Chaque jour, des centaines de milliers de personnes bénéficient de la libre circulation transfrontalière permise entre des états signataires de la Convention Schengen. Pourtant, l’espace Schengen reste peu connu et souvent mal compris. Dans la foulée d’un nouvel élargissement, voici une carte inédite copubliée sur le Diploweb.com et AB Pictoris, conçue, réalisée et commentée par Blanche Lambert.
Carte grand format en pied de page, JPG et PDF.

LE 31 mars 2024, la Bulgarie et la Roumanie rejoignent les 25 membres de l’espace Schengen et l’intègrent partiellement, 17 ans après leur adhésion à l’Union européenne [1].

Après de longues négociations, les États-membres de l’UE donnent enfin leur accord en décembre 2023 pour la levée des contrôles des personnes aux frontières aériennes et maritimes de ces deux pays. La longueur de ce processus [2] et cette intégration partielle sont notamment liées aux blocages de certains pays, dont l’Autriche, qui jugeaient que les frontières bulgares et roumaines n’étaient pas assez sécurisées face à l’immigration clandestine. Un compromis a donc été trouvé, que l’Autriche nomme le « Schengen aérien » : la Bulgarie et la Roumanie rejoignent l’espace Schengen en levant les contrôles des personnes à leurs frontières aériennes et maritimes, mais les maintiennent aux frontières terrestres jusqu’à ce que les pays membres trouvent un nouvel accord.

Cette intégration – même partielle – marque un tournant pour l’espace de libre-circulation des personnes que représente l’espace Schengen, mais aussi pour l’Union européenne. Cette évolution reflète les mouvements d’intégration et de coopération qui caractérisent si bien l’UE.

Carte. L'espace Schengen en 2024
Carte. L’espace Schengen en 2024
Le 31 mars 2024, la Bulgarie et la Roumanie rejoignent les 25 membres de l’espace Schengen et l’intègrent partiellement, 17 ans après leur adhésion à l’Union européenne (2007). Conception, réalisation et commentaire de la carte : AB Pictoris, B. Lambert, 2024. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression
Lambert/AB Pictoris

L’espace Schengen puise son origine dans l’Accord Schengen, signé en juin 1985 par cinq États de la Communauté européenne [3] – la RFA [4], la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg – qui entre en vigueur dix ans plus tard, en 1995 [5]. Cet accord et sa convention d’application sont par la suite intégrés dans le droit de l’Union européenne lors des négociations du Traité d’Amsterdam, qui entre en vigueur en 1999. Tous les États membres de l’UE doivent, à terme, intégrer cet espace, à l’exception de l’Irlande [6]. La République de Chypre, malgré son adhésion à l’Union, n’est pas membre de Schengen à cause de la partition de l’île due à l’intervention turque de 1974 dont a découlé la proclamation de l’indépendance de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) en 1983 [7].

L’espace Schengen ne rassemble pas seulement des États-membres de l’UE : en effet, l’Islande, la Norvège, la Suisse, le Liechtenstein et le territoire britannique de Gibraltar font partie prenante de cet espace de libre-circulation. Des micro-États, soit Monaco, la cité du Vatican et Saint-Marin, dont les frontières sont ouvertes, sont associés à l’espace Schengen.

Cette carte de l’espace Schengen, actualisée à l’occasion de l’intégration partielle de la Bulgarie et de la Roumanie, représente également les adhésions et les candidatures à l’UE, afin de donner une vue d’ensemble d’un espace dont la compréhension est souvent confuse.

Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression

Carte au format JPG ci-dessous.

Copyright pour le texte et la carte 2024-4 B. Lambert-AB Pictoris / Diploweb.com

Publication initiale sur le Diploweb.com le 8 avril 2024

Titre du document :
Carte. L’espace Schengen en 2024
Le 31 mars 2024, la Bulgarie et la Roumanie rejoignent les 25 membres de l’espace Schengen et l’intègrent partiellement, 17 ans après leur adhésion à l’Union européenne (2007). Conception, réalisation et commentaire de la carte : AB Pictoris, B. Lambert, 2024. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impressionDocument ajouté le 8 avril 2024
Document JPEG ; 818339 ko
Taille : 1200 x 849 px

Visualiser le document

L’espace Schengen reste souvent mal compris. Dans la foulée d’un nouvel élargissement, voici une carte inédite copubliée sur le Diploweb.com et AB Pictoris, conçue, réalisée et commentée par Blanche Lambert.