Au début des années 2010, quelques voix, dont celle d’un ancien ministre de la Défense, défendirent – vainement – l’idée que la dissuasion nucléaire française ne devait plus reposer que sur les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la Force océanique stratégique [FOST] et que, par conséquent, sa composante aéroportée était vouée à disparaître. Et de justifier leur raisonnement par les choix faits par le Royaume-Uni quelques années plus tôt.
En effet, à la fin des années 1990, les Britanniques renoncèrent à la composante aéroportée de leur dissuasion, avec le retrait des Blackburn Buccaneer [en 1995], puis de la bombe nucléaire tactique WE.177, pouvant être emportée par des Tornado GR1/1A de la Royal Air Force [RAF]. En revanche, ils conservèrent la composante océanique, laquelle repose actuellement sur quatre SNLE de type Vanguard, armés de missiles balistiques Trident D5 de conception américaine.
Seulement, s’il a lancé l’ambitieux programme « Dreadnought » pour remplacer les quatre SNLE de type Vanguard de la Royal Navy, le Royaume-Uni s’apprête, a priori, à revenir sur la décision qu’il avait prise il y a près de trente ans.
En effet, la nouvelle revue stratégique britannique, qui sera dévoilée le 2 juin, prévoit, selon l’édition dominicale du quotidien The Times, l’acquisition de F-35A, c’est-à-dire la version « classique » du chasseur-bombardier de Lockheed Martin, en vue de recréer une composante nucléaire aéroportée au sein de la RAF. Pour cela, Londres envisagerait d’acquérir des armes nucléaires tactiques B-61 auprès des États-Unis.
« Le Royaume-Uni cherche à acheter un avion de combat capable de lancer des armes nucléaires tactiques, dans le cadre d’une expansion significative de ses capacités de dissuasion, le tout dans le but de faire face à la menace croissante de la Russie », avance le journal. « Le secrétaire à la Défense, John Healey, et l’amiral Sir Tony Radakin, le chef des forces armées [britanniques], ont des discussions sur ce sujet avec le Pentagone », poursuit-il.
L’hypothèse d’un achat de F-35A par le Royaume-Uni a déjà été évoquée en mars dernier. Et cela alors que, selon les plans initiaux, le ministère britannique de la Défense [MoD] prévoyait d’acquérir un total de 138 F-35B, c’est-à-dire la version STOVL [short take off / vertical landing] de cet appareil. D’ici la fin de cette année, il devrait en compter quarante-neuf exemplaires.
Jusqu’en 2008, le Royaume-Uni a abrité des bombes B-61 sur son sol, précisément sur la base aérienne de Lakenheath. Mais, à la différence des pays impliqués dans le partage nucléaire de l’Otan, comme la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Italie, ces armes étaient destinées à être mises en œuvre, si nécessaire, par des F-15E de la 48e escadre de l’US Air Force.
A priori, ce devrait être à nouveau le cas bientôt dans la mesure où, selon des documents budgétaires du Pentagone, les dépôts ayant autrefois servi à stocker un total de 132 bombes B-61 font l’objet de travaux de rénovation depuis au moins trois ans. Au passage, les F-15E vont quitter Lakenheath, des F-35A devant les remplacer.
Dans un entretien accordé au Sunday Times, M. Healey n’a pas voulu faire de commentaires sur ce sujet. « Le Royaume-Uni doit faire face à une nouvelle ère de menaces. Le monde devient plus dangereux. Le risque nucléaire augmente », a-t-il seulement déclaré.
L’institut Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) est un centre de recherches qui décrypte les questions géopolitiques et stratégiques de la zone couvrant le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, de même que les recompositions entre acteurs globaux. Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.
Pourquoi Donald Trump, qui n’hésite pas à sidérer ses partenaires comme ses rivaux pour imposer des accords avantageux pour les États-Unis, a-t-il volontairement déstabilisé le Danemark (UE) et le Canada, tout en cherchant à s’entendre avec la Russie ? Une réponse par une carte commentée par l’équipe de direction de la FMES.
LES déclarations de Donald Trump relatives à son souhait d’annexer le Canada et le Groenland, au-delà de la provocation assumée, illustrent le caractère hautement stratégique de l’Arctique sur trois plans illustrés par cette carte.
Carte. L’Arctique : un espace hautement stratégique
Réalisation P. Orcier. Copyright février 2025-Orcier/FMES
Orcier/FMES
Tout d’abord sur un plan stratégique dans le cadre de la dissuasion nucléaire, car l’espace arctique demeure la voie la plus courte et donc la plus efficace permettant aux missiles intercontinentaux d’atteindre le cœur du territoire adverse (Russie-Chine d’un côté, Etats-Unis de l’autre), qu’ils soient basés à terre ou à bord de sous-marins lanceurs d’engins navigant en Atlantique Nord ou en Arctique. Cette représentation « polaire » le montre clairement, à l’inverse des représentations Mercator classiques. S’approprier des îles ou des terres permettant de repérer, de suivre et d’intercepter le plus tôt possible de tels missiles balistiques revêt donc une importance cruciale. Tout comme construire des voies ferrées qui permettent d’accéder au cercle arctique.
Donald Trump et le Pentagone ne cherchent pas l’affrontement avec la Russie, mais ils souhaitent étendre le plus possible le bouclier antimissile des Etats-Unis en direction de la Russie et de la Chine, tout en inscrivant dans le temps long la présence en Arctique de bases américaines liées à ce même bouclier.
Ensuite sur un plan économique lié aux enjeux de souveraineté, car l’espace arctique est riche en ressources hydrocarbures offshore, mais aussi en terres rares et minerais stratégiques. Si la Russie et la Norvège se sont entendues sur leur délimitation maritime et le partage des hydrocarbures, et si le Canada et le Danemark ont conclu un accord sur la délimitation maritime et l’accès aux ressources de certaines îles voisines du Groënland, des différends subsistent entre le Canada et les Etats-Unis au niveau du passage du Nord-Ouest. Les Etats riverains (Russie, Norvège, Danemark, Canada et Etats-Unis) poussent leurs revendications en direction du pôle Nord. La Russie considère l’océan Arctique comme un immense « lac russe » ; elle a planté son drapeau sous le pôle par 4 267 mètres de profondeur, mis en place des infrastructures militaires permanentes sur certaines îles, et installé des bases temporaires sur la banquise. Elle s’apprête à déployer un câble sous-marins de communication (Polar Express) reliant Vladivostok à Mourmansk.
La France a obtenu en 2000 le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique et a adopté une stratégie pour l’Arctique.
Enfin sur un plan maritime, deux routes concurrentes traversent l’espace arctique pour relier l’Europe et la côte Est américaine à l’Asie du Nord par la voie maritime la plus courte. La route maritime du Nord longe les côtes de Norvège et de Russie, alors que le passage du Nord-Ouest longe le littoral du Groënland, du Canada et de l’Alaska. A terme, avec le réchauffement climatique, la fonte de la banquise pourrait permettre d’emprunter en été une route maritime directe encore plus courte passant par le pôle Nord. Ces trois routes convergent au niveau du détroit de Béring qui pourrait devenir à terme un détroit aussi convoité que celui d’Ormuz, tant pour les Etats-Unis et la Russie qui en contrôlent l’accès, que pour la Chine qui ambitionne de le sécuriser à des fins commerciales et stratégiques.
Si les compagnies maritimes russes et chinoises utilisent de plus en plus ces routes maritimes, les grandes compagnies occidentales ont annoncé qu’elles renonçaient à court-moyen terme à la voie arctique, arguant des difficultés de navigation : nuit de six mois, absence de ports et d’infrastructures permettant de réparer des avaries graves ou de soigner des membres d’équipages en cas d’urgence.
On comprend dès lors mieux pourquoi Donald Trump, qui n’hésite pas à sidérer ses partenaires comme ses rivaux pour imposer des accords avantageux pour les États-Unis, a volontairement déstabilisé le Danemark (UE) et le Canada, tout en cherchant à s’entendre avec la Russie.
L’équipe de direction de l’Institut FMES Manuscrit clos en février 2025. Copyright Février 2025-institut FMES-Orcier.
Titre du document : Carte. L’Arctique : un espace hautement stratégique Réalisation P. Orcier. Copyright février 2025-Orcier/FMESDocument ajouté le 29 mai 2025 Document JPEG ; 687065 ko Taille : 1048 x 832 pxVisualiser le document
Pourquoi Donald Trump a-t-il volontairement déstabilisé le Danemark (UE) et le Canada, tout en cherchant à s’entendre avec la Russie ? Une réponse par une carte commentée par l’équipe de direction de la FMES.
Emmanuel Macron se dit prêt à déployer des avions français équipés de l’arme nucléaire et à en discuter avec les autres pays européens. Pourquoi le chef de l’État fait-il ce choix et sous quelles conditions ?
“Nous sommes prêts à ouvrir cette discussion”. Emmanuel Macron a franchi un pas supplémentaire vers l’élargissement de la dissuasion nucléaire française à l’Europe et veut en discuter avec les partenaires européens. Il annoncera le cadre de cet élargissement “dans les semaines et les mois qui viennent”, a-t-il dit sur TF1 mardi soir.
Début mars, Emmanuel Macron avait annoncé pour la première fois “d’ouvrir un débat stratégique” sur la protection de l’Europe par l’arme nucléaire française, en réponse à une interrogation de Friedrich Merz, alors futur chancelier allemand.
Trois conditions selon Emmanuel Macron
Face aux Français, mardi soir, Emmanuel Macron a fixé trois conditions à cette possibilité d’élargir la dissuasion nucléaire française :
“La France ne paiera pas pour la sécurité des autres“
Cet élargissement potentiel “ne viendra pas en soustraction de ce dont la France a besoin
“La décision finale reviendra toujours au président de la République, chef des armées”
Le président de la République a assuré que ce possible déploiement ne modifierait pas, selon lui, la doctrine française. “Depuis qu’une doctrine nucléaire existe, depuis le général de Gaulle, il y a toujours eu une dimension européenne dans la prise en compte de ce qu’on appelle les intérêts vitaux. On ne le détaille pas parce que l’ambiguïté va avec la dissuasion”, a-t-il rappelé.
Le possible élargissement à l’Europe de notre arme nucléaire intervient sur fond de rapprochement entre les États-Unis de Donald Trump et la Russie de Vladimir Poutine et la crainte d’un désengagement américain majeur sur le Vieux Continent alors que l’alliance Etats-Unis-Europe dure depuis la deuxième guerre mondiale.
Cette possibilité a fait réagir le Kremlin dans la matinée. “Le déploiement d’armes nucléaires sur le continent européen, ce n’est pas ce qui apportera de la sécurité, de la prévisibilité et de la stabilité“, a déclaré Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine.
“Notre Europe, elle a été faite d’abord pour la paix“
En Europe occidentale, seuls deux pays possèdent l’armé nucléaire : la France et le Royaume-Uni. Les autres pays européens membres de l’Otan sont jusqu’ici sous le parapluie nucléaire américain.
Aujourd’hui, la doctrine française n’offre que des options limitées de coopération en matière de dissuasion nucléaire, telle que la participation d’avions européens aux exercices nucléaires français, en fournissant par exemple des chasseurs d’escorte. “Le moment que nous vivons, c’est celui d’un réveil géopolitique. Notre Europe, elle a été faite d’abord pour la paix“, a rappelé Emmanuel Macron mardi. “Le défi des défis pour nous, c’est de rester libres”.
Le président Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais Donald Tusk ont paraphé vendredi 9 mai à Nancy un traité d’amitié et de coopération renforcée, signe de l’importance stratégique prise par la Pologne sur le flanc oriental de l’Union européenne. [EPA-EFE/CHRISTOPHE PETIT TESSON]
Paris et Varsovie vont accélérer leur coopération militaire, et les deux capitales sont désormais liées par une « clause de solidarité », qui pourrait s’étendre jusqu’à la dissuasion nucléaire si les intérêts vitaux des deux pays étaient menacés.
Le président Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais Donald Tusk ont paraphé vendredi 9 mai à Nancy un traité d’amitié et de coopération renforcée, signe de l’importance stratégique prise par la Pologne sur le flanc oriental de l’Union européenne. Ce traité bilatéral est le premier conclu par Paris avec un pays non frontalier, après ceux parafés avec l’Allemagne (1963), l’Italie (2021) et l’Espagne (2023).
« Nous avons décidé d’envoyer un signal très clair en intégrant [dans ce traité] une clause de défense et d’assistance mutuelle, dans le prolongement de nos engagements communs dans le cadre de l’OTAN et de l’Union européenne », a expliqué le président français.
Cette clause de défense « implique l’ensemble des composantes » des capacités militaires des deux pays, a encore souligné Emmanuel Macron, qui a rappelé que les intérêts vitaux des « principaux partenaires » de la France étaient intégrés dans ses propres intérêts vitaux.
Début mars, Emmanuel Macron s’était déjà dit prêt à « ouvrir la discussion » sur l’élargissement de la dissuasion nucléaire française à certains pays européens. Paris envisagerait d’ailleurs d’augmenter son arsenal nucléaire.
Le traité de Nancy doit permettre une meilleure collaboration des armées françaises et polonaises, avec des réunions régulières des États-majors des deux pays, des exercices conjoints, et surtout « la mise en oeuvre et le développement de projets conjoints » dans le domaine de l’armement.
Le « traité d’amitié et de coopération », qui sera signé vendredi 9 mai par Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais Donald Tusk, illustre la volonté de Paris de choyer la Pologne qui a pris un poids considérable en Europe depuis le début de la guerre en Ukraine.
La première armée de terre d’Europe
Alors que Varsovie consacre déjà plus de 4% de son PIB à la défense, la Pologne ambitionne de devenir la première puissance militaire terrestre du continent européen d’ici 2035, avec une armée qui devrait dépasser les 300 000 hommes.
Elle aura donc « d’importants besoins en matière de formation » et pourrait s’appuyer sur l’expérience de l’armée française, note Léo Péria-Peigné, spécialiste des industries de défense pour l’Institut français des relations internationales (IFRI), et co-auteur d’une étude sur le réarmement polonais.
Pour Paris, il s’agit de poursuivre son « pivot vers l’Europe », après le désengagement de l’armée française du continent africain et le déploiement de plusieurs centaines de ses militaires en Roumanie et en Estonie. L’objectif affiché des autorités françaises est de prendre une place centrale dans la future architecture de sécurité du continent européen.
Construire un partenariat solide avec Varsovie pourrait aussi permettre d’ouvrir de nouveaux débouchés à la base industrielle et technologique de défense (BITD) française, alors que la Pologne se fournit pour l’heure principalement auprès des États-Unis et de la Corée du Sud.
L’année dernière, l’armée polonaise a commandé à Washington 96 hélicoptères de combat Apache et 48 lanceurs de missiles antiaériens Patriot. Ces dernières années, la Pologne s’est aussi équipé d’obusiers, de chars et d’avions sud-coréens.
« Nous allons progressivement introduire la préférence européenne dans l’industrie de la défense », a cependant promis vendredi le président polonais Donald Tusk.
Le « Triangle de Weimar » au cœur de l’Europe
La signature du traité de Nancy consacre le réchauffement spectaculaire des relations entre Paris et Varsovie, qui avait débuté avec la défaite aux législatives polonaises de 2023 des nationalistes du PIS. Les liens entre la France et la Pologne avaient beaucoup souffert en 2016 de l’abandon d’un contrat qui prévoyait la fourniture à l’armée polonaise de 50 hélicoptères H225M Caracal, fabriqués par Airbus.
Cette signature intervient aussi alors que le tout nouveau chancelier allemand Friedrich Merz – qui s’est rendu à Paris et Varsovie quelques heures après son élection – semble vouloir appuyer sa politique européenne sur ses deux partenaires du « Triangle de Weimar ».
Iran : Donald Trump fera tout pour empêcher l’accès au nucléaire. Entretien avec Fred Fleitz
In this photo released by the Atomic Energy Organisation of Iran, International Atomic Energy Agency (IAEA) Director General, Rafael Mariano Grossi, left, speaks with deputy chief of Atomic Energy Organisation of Iran, Behrouz Kamalvandi, upon his arrival at Mehrabad airport in Tehran, Iran, Wednesday, Nov. 13, 2024. (Atomic Energy Organisation of Iran via AP)/VAH101/24318585430436//2411131720
par Henrik Werenskiold – Revue Conflits – publié le 28 avril 2025
Il a été l’adjoint de Donald Trump lors de son premier mandat. Fred Fleitz dispose d’un œil avisé sur les relations avec l’Iran, le sujet des sanctions et l’avancement du programme nucléaire. Pour Conflits, il expose la vision de l’administration Trump et son plan pour empêcherl’Iran d’accéder à la bombe. Entretien exclusif.
Fred Fleitz est vice-président du Center for American Security à l’America First Policy Institute (AFPI). En 2018, Fred Fleitz a occupé les fonctions d’adjoint au président Donald Trump et de chef de cabinet du Conseil national de sécurité. Il a travaillé pendant 25 ans dans le domaine de la sécurité nationale américaine, notamment à la CIA, à la DIA, au département d’État et au sein du personnel de la commission du renseignement de la Chambre des représentants. Fred Fleitz est un auteur prolifique qui a beaucoup écrit sur le programme nucléaire iranien et nord-coréen, la menace croissante que représente la Chine pour la sécurité des États-Unis, la politisation des services de renseignement américains et de nombreux autres sujets liés à la sécurité nationale. Il est l’auteur ou l’éditeur de sept livres.
Que pensez-vous de la politique de l’administration Trump à l’égard de l’Iran ? Selon vous, quelle direction va-t-elle prendre ? Que nous réserve l’avenir ?
J’ai beaucoup travaillé sur l’analyse du programme nucléaire iranien. Je vais publier l’année prochaine un livre intitulé Nuclear Brinksmanship: Iran and the Oval Office (La politique de la corde raide nucléaire : l’Iran et le Bureau ovale) sur ce sujet, je le connais donc très bien. Je pense que l’approche de Trump consiste à empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, tout en évitant à l’Amérique de s’engager dans une nouvelle guerre.
Son approche « America First » en matière de sécurité nationale implique un président fort et une armée forte, mais aussi une utilisation prudente de la force militaire américaine afin de nous éviter de nouvelles guerres inutiles. Trump prend la diplomatie au sérieux et a donné deux mois aux Iraniens pour parvenir à un accord.
Mais s’ils tentent de faire traîner les choses, comme ils ont tendance à le faire, ou s’ils proposent un accord partiel bidon, je pense que Trump va imposer des sanctions très sévères avant d’envisager une action militaire contre l’Iran.
Alors, à quoi ressembleraient ces sanctions ? L’Iran est déjà un pays fortement sanctionné, le plus sanctionné au monde après la Russie.
L’Iran est aujourd’hui environ 100 milliards de dollars plus riche en termes de recettes publiques qu’il ne l’aurait été si Trump avait été élu en 2020. Cela s’explique par le fait que le président Joe Biden n’a pas appliqué les sanctions contre l’Iran, en particulier dans le secteur pétrolier.
Les ventes de pétrole ont apporté à l’Iran des revenus supplémentaires qui lui ont permis de poursuivre ses activités malveillantes, notamment le financement du Hamas, des rebelles houthis, de son programme d’armement nucléaire, etc. De plus, le pétrole est actuellement vendu à prix réduit en Chine, ce qui crée d’autres problèmes de sécurité.
Donc, en théorie, l’Iran est le deuxième État le plus sanctionné au monde, mais comme les États-Unis n’ont pas appliqué leurs sanctions, ce n’est pas vraiment le cas. Trump va inverser cette politique en imposant non seulement des sanctions très sévères à l’Iran, mais aussi des sanctions secondaires aux pays qui ne respectent pas ces sanctions.
Qu’en est-il des sanctions secondaires ? Qui achète aujourd’hui le pétrole iranien ? Commençons par la Chine : comment les États-Unis pourraient-ils la sanctionner ? Et qu’en est-il d’autres pays comme l’Inde, le Japon et la Corée du Sud ? Les sanctionner ne risquerait-il pas d’aliéner des partenaires clés, en particulier dans le contexte plus large de la rivalité entre les grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine ?
Le président Trump a adressé le même avertissement à la Chine lors de son premier mandat concernant l’achat de pétrole iranien. Je pense qu’il le fera à nouveau. Il n’est dans l’intérêt de personne, y compris de la Chine, de laisser ce régime islamiste fanatique se doter d’armes nucléaires.
La Chine ne sait pas où ces armes finiraient. Les États-Unis doivent donc travailler avec la Chine pour faire clairement comprendre que, même si nous avons des divergences d’opinion sur l’Iran et son programme pour le Moyen-Orient, Pékin et Washington doivent coopérer sur cette question.
Quant à l’Inde, la Corée du Sud et le Japon, je pense qu’ils mettront fin à leurs importations de pétrole iranien. Il est vrai que l’Inde n’a pas mis fin à ses importations de pétrole russe après l’invasion de l’Ukraine, et je m’y oppose, mais c’est un autre sujet.
Pensez-vous que les États-Unis et Trump peuvent réellement contraindre l’Iran à abandonner son programme d’armement nucléaire par le seul biais de sanctions, compte tenu de l’inefficacité dont celles-ci ont souvent fait preuve par le passé pour provoquer des changements politiques ? Est-ce un scénario crédible ?
Eh bien, Trump a presque ruiné l’Iran pendant son premier mandat. Mais je pense que vous soulevez là un point intéressant, à savoir que les sanctions ont leurs limites. Je doute par exemple que les États-Unis parviennent un jour à utiliser les sanctions pour faire changer la politique de Vladimir Poutine et le pousser à se retirer d’Ukraine.
Le problème, c’est que dans les États autoritaires ou dictatoriaux, les dirigeants ne sont pas responsables devant le peuple. Et ils sont prêts à laisser leur peuple souffrir sous le poids des sanctions afin de promouvoir leurs politiques. C’est différent dans une démocratie, où le peuple se rebelle et où les dirigeants sont destitués par les urnes. Je suis donc d’accord avec vous pour dire que les sanctions ont leurs limites.
Que se passera-t-il si les sanctions n’aboutissent à rien et que l’Iran est sur le point de se doter de l’arme nucléaire ? Une action militaire serait-elle alors envisageable ? Et dans le prolongement de cette question, compte tenu de la guerre en cours en Ukraine et de la nécessité de dissuader la Chine en Asie de l’Est au sujet de Taïwan, les États-Unis ne sont-ils pas déjà quelque peu débordés pour mener une telle opération militaire ?
Vous abordez le concept de rareté de la puissance militaire dont certains membres de l’administration Trump ont parlé, à savoir que les États-Unis n’ont pas la capacité ni les forces militaires nécessaires pour faire face à toutes ces crises simultanément. Je ne suis pas d’accord avec cela. En tant que superpuissance, les États-Unis doivent être capables de gérer plusieurs crises dans différentes parties du monde en même temps. Nous disposons d’un budget militaire important, de forces armées très compétentes et de moyens pour gérer ces conflits simultanément.
En ce qui concerne l’Iran, nous nous trouvons actuellement dans une situation intéressante. L’économie iranienne est en difficulté et le pays s’est révélé extrêmement vulnérable aux frappes aériennes. Les deux frappes menées par Israël contre l’Iran l’année dernière ont montré que ses défenses aériennes sont extrêmement faibles et qu’Israël a la capacité de détruire n’importe quelle installation en Iran.
Ainsi, avec le déploiement par les États-Unis de nombreux moyens militaires dans la région, notamment des bombes antibunker pouvant être transportées par des bombardiers B-2 basés à Diego Garcia, l’Iran se trouve dans une situation stratégique différente. Nous espérons que cela l’encouragera à négocier sérieusement avec les États-Unis au cours des prochains mois, afin qu’il n’ait pas à faire face à la possibilité d’une attaque militaire massive que Trump ne souhaite pas mener.
Pensez-vous que Trump prendra des mesures militaires si les sanctions et les négociations n’aboutissent à rien ?
Tout d’abord, je ne suis pas optimiste quant à l’issue des négociations. Je ne pense pas que les Iraniens aient montré la moindre intention de conclure un accord de dénucléarisation sincère. Ils poussent pour un accord partiel. Les Iraniens sont très doués pour cela : ils manipulent les médias. Ils font toutes sortes de déclarations sur leur volonté de coopérer et leur recherche d’investissements économiques américains.
Mais Trump ne se laissera pas berner. J’ai récemment publié un article dans lequel je citais une étude de l’Institute for Science and International Security selon laquelle l’Iran pourrait enrichir suffisamment d’uranium pour fabriquer une arme en moins d’une semaine, et 14 armes en quatre mois. À titre de comparaison, lorsque Trump a quitté ses fonctions, l’Iran pouvait enrichir suffisamment d’uranium pour fabriquer deux armes en 5,5 mois.
C’était déjà dangereux, mais la situation actuelle est très grave, et Trump n’acceptera pas un accord partiel ni ne laissera l’Iran continuer à enrichir de l’uranium. Il y aura un accord sérieux, sinon je pense que Trump imposera des sanctions très sévères. Je ne sais pas s’il recourra à la force militaire, mais je pense que des sanctions très sévères sont très probables à l’heure actuelle.
Il existe des divergences d’opinion entre l’administration Trump et la plupart des pays européens, mais il est dans notre intérêt à tous que l’Iran ne se dote pas de l’arme nucléaire. L’Europe peut-elle jouer un rôle constructif à cet égard et aider les États-Unis à conclure cet accord ?
Je pense qu’il est essentiel que les États-Unis travaillent en étroite collaboration avec leurs alliés européens sur la menace nucléaire iranienne, qui nous menace tous. Les missiles à moyenne et longue portée de l’Iran peuvent déjà atteindre le sud de l’Europe. De plus, l’instabilité au Moyen-Orient aura des répercussions sur l’économie mondiale et l’économie européenne.
Je pense que si nous voulons réinstaurer des sanctions sévères contre l’Iran, nous devons revenir aux sanctions strictes qui existaient avant le lancement du Plan d’action global conjoint (JCPOA) en 2015, lorsque l’Europe soutenait à 100 % des sanctions vraiment sévères. L’Europe n’a pas réinstauré ces sanctions depuis lors, et nous devons reconsidérer cette question.
Les États-Unis tentent actuellement d’obtenir le soutien des membres européens du JCPOA pour rétablir les sanctions contre l’Iran cet automne, en raison des violations par l’Iran des dispositions du JCPOA et de son refus de coopérer avec l’AIEA sur les sites nucléaires révélés par les Israéliens il y a quelques années.
Je pense que ce serait une bonne chose, mais au-delà du simple rétablissement des sanctions, nous avons besoin que tous nos amis et alliés européens travaillent avec les États-Unis pour faire pression sur l’Iran afin qu’il renonce à son programme d’armement nucléaire.
« Je noterai une chose que les politiciens de tous bords n’aiment pas admettre : une apocalypse nucléaire est non seulement possible, mais aussi tout à fait probable[1] ».
Depuis que, sous la pression des évènements internationaux, la question du nucléaire militaire national est à nouveau à l’ordre du jour chez les chroniqueurs et éditorialistes de la grande presse, il convient de rappeler brièvement ce que fut le « nucléaire terrestre », sa finalité et les concepts auxquels son hypothétique emploi avait alors donné lieu.
Avant de s’appesantir sur le Pluton, système d’armes national de la guerre froide, il y a lieu d’évoquer son prédécesseur allié, le système Honest John[2], pour s’achever avec le missile Hadès, qui n’est jamais ressorti de sa « mise sous cocon » dès son arrivée en dotation ; puis a été démantelé sans avoir jamais vu le jour. Triste fin pour un système dissuasif.
En mars 1966, le général de Gaulle signifie, par une lettre personnelle[3] dénuée de toute aménité, au Président Johnson l’évolution de la position française à l’égard de l’Alliance Atlantique. Tout en demeurant membre de celle-ci, cette évolution inclut notamment son retrait des instances de commandement intégré de l’OTAN.
Fin juin, les ogives nucléaires américaines destinées aux unités françaises sont évacuées. les États-Unis mettent ainsi fin à l’abonnement de l’artillerie française déployée sur le territoire de l’Allemagne fédérale au système d’armes Honest John et à ses missiles.
Préalablement, le général de Gaulle avait orienté la Direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) vers la constitution d’un système d’armes nucléaire tactique national qui serait mis en œuvre conjointement par l’armée de Terre et l’armée de l’Air. Pour l’armée de Terre, ce sera le système Pluton.
Le système Honest John et la conception américano-OTANienne du nucléaire tactique
Qu’était le système Honest John ?
Il s’agissait d’un système d’armes américain d’artillerie dont la munition, un missile, possédait une tête nucléaire de faible puissance. Sa portée était d’une cinquantaine de kilomètres. Au-delà des capacités techniques du système, il s’agit plutôt de se remémorer la doctrine d’emploi américaine, donc de l’OTAN, de ce système nucléaire tactique, anti-forces.
Le qualificatif de « tactique » qui lui a été accolé était parfaitement justifié, car son emploi était directement lié et même intégré à la manœuvre tactique en cours. Engagées dans un rapport de forces défavorable, en cas d’attaque des forces du Pacte de Varsovie en Europe, les forces de l’OTAN utiliseraient le nucléaire tactique américain dans le cadre de leur manœuvre, pour s’opposer à une percée soviétique de leur dispositif de défense de l’avant.
Cet emploi allait d’ailleurs correspondre, en creux, à la doctrine d’emploi soviétique, qui, lorsque les systèmes Frog et Scud[4]seraient mis en place, se trouveront alors intégrés aux grandes unités du Pacte de Varsovie (PAVA) dans le but de percer le dispositif de défense de l’avant de l’OTAN.
C’est ainsi que la manœuvre aéroterrestre de l’OTAN se déroulait toujours, à compter des années cinquante, « sous menace d’emploi du nucléaire ». En principe, la manœuvre de l’OTAN devait correspondre à une succession, pour chacune de ses grandes unités, de concentrations temporaires des moyens pour pouvoir agir en force, suivis de rapides éparpillements pour éviter de constituer une cible potentielle d’attaque nucléaire adverse (cible dénommée le « pion nucléaire[5] »). Compte tenu de la densité du déploiement allié le long des frontières inter-allemande et germano-tchèque, ces principes demeuraient toutefois assez théoriques.
Il n’a jamais été question, au moins jusqu’au début des années soixante, d’une possibilité de couplage du nucléaire tactique avec les moyens nucléaires stratégiques. Ceci est tellement vrai, que, ce qui parait absolument ahurissant aujourd’hui, lorsque Eisenhower a accédé à la Maison Blanche, il a, en 1956, délégué l’emploi des missiles nucléaires tactiques Honest John au SACEUR[6] !
L’automaticité de l’escalade nucléaire tactique vers le stratégique n’apparaissait pas évidente à l’époque où, dans le domaine stratégique, le principe des représailles massives[7] (massive retaliation) prédominait.
Tout ceci allait être remis en cause dès 1962 par l’adoption par les États Unis de la doctrine de la riposte graduée[8] (Flexible Response) qui allait, de facto, créer un couplage entre les deux niveaux nucléaires. La délégation d’emploi consentie au SACEUR par Eisenhower allait lui être retirée par son successeur, Kennedy, dans la cadre de cette nouvelle doctrine[9].
En ce qui concerne l’OTAN, les forces françaises déployées en Allemagne se trouvaient sous le commandement opérationnel de CENTAG (Central Army Group), un des deux grands commandement d’AFCENT (Allied Forces in Center Europe), toutes les grandes unités alliées se trouvaient dotées, au niveau de la division, d’un groupe Honest John à deux batteries de quatre lanceurs. C’étaient les États-Unis qui les fournissait, ainsi que les têtes actives, le cas échéant, lesquelles demeuraient dans des dépôts américains.
En 1966, la France perd ainsi la possibilité de pouvoir disposer du « parapluie » nucléaire tactique américain au sein de ses forces. Le système destiné à y pallier, le Pluton, allait donc être développé, mais dans un cadre d’emploi radicalement différent. Si le terme tactique allait demeurer et lui être accolé, il ne correspondrait plus à aucune réalité.
C’est dans le hiatus entre la terminologie et la doctrine qu’il convient de rechercher la grave incompréhension qui fut celle de ce système, de la part d’une partie du commandement français. Ce hiatus s’est trouvé aggravé par les données de l’époque : en effet, elle correspondait aux études qui allaient aboutir à la mise sur pied des divisions 67.
Il était prévu, à l’origine, que les éléments organiques de ces futures divisions, engerberaient un régiment d’artillerie nucléaire (RAN). Comme la maquette prévoyait la constitution de cinq divisions, il y eut donc cinq RAN. Mais entre le lancement du programme et la première livraison du système, le niveau de mise en œuvre allait se trouver remonté au niveau des éléments organiques de corps d’armée (EOCA), au sein de l’artillerie des corps d’armée (ACA).
La doctrine d’emploi française du nucléaire tactique. L’apport de la pensée du général Lucien Poirier[10]
Depuis 1960, date du succès du premier tir d’essai nucléaire français, la doctrine de défense française repose sur le concept de dissuasion du faible au fort. Dans ce contexte, l’engagement du corps de bataille blindé mécanisé en Centre Europe, ne consistait pas à gagner la bataille, mais à gagner des délais pour permettre au Président d’estimer si les intérêts vitaux du Pays étaient menacés et s’il devait prendre la décision ultime d’engagement des moyens nucléaires.
C’est le général Lucien Poirier, un des quatre « théoriciens de l’Apocalypse » comme ont été surnommés les généraux André Beaufre, Charles Ailleret, Pierre-Marie Gallois et lui-même, qui a théorisé l’idée du « test ». Pour éviter de tomber dans la logique suicidaire du « tout ou rien ». Il convenait que le décideur politique en ultime recours, le Président de la République, pût disposer de moyens pour tester les intentions réelles de l’ennemi. Ces moyens correspondaient au corps de bataille aéroterrestre, composé de l’ensemble « Première Armée – FATAC (Forces aériennes tactiques) ».
Concrètement, cette fonction de « test » devait aboutir à donner à l’ennemi un « ultime avertissement », terme choisi par Poirier, sous la forme d’une frappe nucléaire anti-forces conjointe de missiles terrestres et aériens, frappe massive, unique et non répétitive.
Pour que cette fonction de test fût probante, il convenait que le volume de forces qui lui était adapté soit suffisamment significative (220 000 hommes, 1 500 chars – 400 pièces d’artillerie et 450 avions de combat) pour être crédible. De la sorte, l’ennemi se trouvait confronté à un dilemme existentiel : soit, il poursuivait son attaque et il savait qu’il encourait, à fort brève échéance une frappe stratégique française anti-cités, soit, pour éviter ce recours aux extrêmes, il stoppait son attaque, et la dissuasion se trouvait alors rétablie.
Il existait de la sorte un couplage permanent des moyens conventionnels et nucléaires tout au long de la chaîne : corps de bataille — forces nucléaires tactiques — forces nucléaires stratégiques. C’est pour répondre à ce couplage, qu’en organisation, les moyens nucléaires nationaux se trouvaient intégrés à leurs armées d’appartenance et qu’il n’a jamais existé de grand commandement stratégique des moyens nucléaires, comme c’était le cas en Union soviétique et que la Russie a conservé.
Outre l’impératif de crédibilité qui justifiait le volume de forces de la Première Armée, il lui fallait également disposer de la capacité de conduire une manœuvre autonome, à son niveau, cette fois-ci, dans le cadre de l’Alliance, puisqu’elle constituait la seule et unique réserve de l’OTAN sur le théâtre Centre Europe.
C’est cette double mission, dissuasive dans un contexte national et active dans un cadre interallié, qui a fait dire à un de ses anciens commandants, le général Jacques Antoine de Barry[11], que, pour commander la Première Armée, il fallait être un peu schizophrène. Ce n’était bien sûr qu’une boutade, mais l’image est suffisamment forte pour bien faire saisir qu’une même manœuvre répondait en fait à deux impératifs radicalement différents.
Ceci écrit, la manœuvre de « test » dissuasif devant aboutir — ou non — à la décision de l’ultime avertissement, se trouvait absolument découplée de la manœuvre tactique en cours, puisque le seul critère de choix de la décision présidentielle ne résidait pas dans la situation tactique du moment mais dans l’appréciation par le Président lui-même qu’il se faisait de savoir si les intérêts vitaux du pays étaient menacés, voire déjà battus en brèche ou non.
Cette notion de césure avec la manœuvre a mis un certain temps à voir le jour et ce n’est qu’à partir de l’alternance politique de 1981 qu’elle s’est imposée. Ce n’est pas le moindre des paradoxes, d’ailleurs que ce soit François Mitterrand, le dirigeant politique qui dans l’opposition n’avait pas eu de mots assez durs pour condamner la force nucléaire de dissuasion et sa logique propre, qui se soit le mieux coulé dans ses concepts, une fois aux affaires. « La dissuasion… c’est moi ![12] » affirmait il, à fort juste titre. Il a d’emblée saisi le couplage existant entre les forces nucléaires, tactique et stratégique.
Aussi, pour bien marquer que la décision d’emploi ne relevait aucunement d’une quelconque appréciation de la situation militaire du moment, mais uniquement de celle qu’il se faisait des intérêts vitaux de la nation, François Mitterrand a débaptisé le nucléaire tactique, en lui faisant prendre le qualificatif de « préstratégique », ce qui correspondait beaucoup mieux à la réalité.
Enfin, par rapport aux forces conventionnelles, pour ne pas subordonner sa décision aux délais inhérents à la mise sur pied et aux mouvements initiaux du corps de bataille qui ne s’engageait qu’en deuxième échelon de l’Alliance, comme réserve de théâtre, le même François Mitterrand a donné son aval et a encouragé la mise sur pied de la FAR (Force d’action rapide), destinée, officiellement, à s’opposer à un groupement de manœuvre soviétique (GMO).
En réalité, il s’agissait de disposer d’un outil en mesure de prendre le contact au plus loin et surtout au plus tôt, avec l’ennemi, de façon à ne pas obérer la décision du Président par des délais, durant lesquels les forces françaises ne se trouveraient pas au contact de l’ennemi. Ce rôle dissuasif de la FAR a peu été rappelé. C’était tout le fond en réalité de l’exercice « Moineau hardi » joué en septembre 1987 et qui a constitué à déployer et à faire manœuvrer les cinq divisions de la FAR, en totalité, dans le Jura souabe.
La poignée de main symbolique entre le président de la République française et le Bundeskanzler allemand sur un pont flottant lancé sur le Neckar était hautement symbolique de la portée politique de cet exercice, et donc du grand commandement qui le jouait.
Le général Poirier, à l’origine du concept d’« ultime avertissement » a d’ailleurs publié un article très éclairant dans la Revue de Défense nationale, au moment de la constitution de la FAR, article intitulé La greffe.
L’armée de Terre et le nucléaire préstratégique
Indubitablement, même si quelques-uns de ses commandeurs n’en étaient pas encore tout à fait convaincus, l’armée de Terre n’a tiré que des avantages de pouvoir disposer en interne d’un outil de mise en œuvre de la dissuasion, et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agissait de celui dont la décision d’emploi devait être prise en premier lieu.
C’est d’ailleurs loin d’être un hasard si le commandement de l’armée de Terre par le général Jean Lagarde, entre 1975 et 1980, unanimement regardé comme celui qui avait permis à l’armée de Terre de prendre toute sa place au sein du dispositif global de la Défense a coïncidé, en 1975, avec la mise sur pied, à Mailly, du premier des cinq régiments d’artillerie nucléaire.
Système Hadès. Crédit : DR.
L’armée de Terre était, au sens premier du terme, une armée stratégique, puisqu’elle mettait en œuvre, au même titre que la Marine et l’armée de l’Air, partie de la panoplie nucléaire française. À ce titre, force est de reconnaître que la mise sous cocon, dont elle n’est jamais sortie, car démantelée en 1997, de la division Hadès, a porté un coup réel à la représentativité de l’armée de Terre au sein des armées.
Ses chefs y ont légitimement fait face en mettant en avant les capacités, réelles et largement démontrées, de l’armée de Terre en tant qu’armée d’emploi. Mais, il n’en demeure pas moins, qu’au niveau de la Défense, la dissuasion est et demeurera toujours supérieure à l’emploi !
Au-delà, au niveau global de la dissuasion, la perte de cette capacité d’ultime avertissement a certainement pu, en partie, nuire à la dissuasion elle-même, car, s’il est vrai que le nucléaire ne dissuade que le nucléaire, la possession par un État d’une panoplie complète dissuasive demeure un gage de crédibilité.
Celle-ci a pu être vérifiée lorsque, après l’effondrement de l’Union soviétique, les archives du haut-commandent soviétique ont été déclassifiées, tout un chacun a pu s’apercevoir que la planification opérationnelle soviétique s’arrêtait toujours au Rhin et ne se poursuivait jamais en direction de Brest. Le Kremlin avait-il imaginé que les intérêts vitaux français destinés à sanctuariser le territoire national commençaient au Rhin ? Peut-être, en tous cas, le fait est là.
Aujourd’hui, alors que nos voisins allemands ont toujours, par le passé, émis les plus extrêmes réserves à l’égard du système préstratégique français, car, de nature, selon eux, à contribuer à transformer l’Allemagne ou une partie de son territoire en un champ de ruines radioactives, ont brusquement, aujourd’hui, les yeux de Chimène pour la dissuasion française, compte tenu des derniers rebondissements de la situation internationale.
Il convient de se préparer, sans attendre les oukases politiques, à cette nouvelle donne stratégique. Comment mieux s’y préparer qu’en relisant Poirier et en réfléchissant comment adapter sa notion d’ultime avertissement — toujours pertinente – à la situation actuelle, qui n’est sûrement pas qu’un simple remake de la guerre froide, mais une nouvelle situation de crise potentielle.
NOTES :
Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité de la fédération de Russie, le 3 juillet 2023
Selon la terminologie otanienne, Frog pour Free Rocket Over Ground, Scud n’est pas un acronyme mais un verbe familier signifiant se mouvoir rapidement.
L’OTAN estimait alors que le « pion nucléaire » était constitué par un bataillon.
C’est cette délégation d’emploi du nucléaire tactique américain qui a justifié la nationalité américaine du SACEUR. Eisenhower a d’ailleurs été le premier SACEUR lors de la mise sur pied de l’OTAN en 1950.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Doctrine_Dulles
https://fr.wikipedia.org/wiki/Doctrine_McNamara
Ce qui allait provoquer la démission immédiate du général Lauris Norstad, SACEUR.
Saint-cyrien de la promotion maréchal de Turenne (1973-1975) et breveté de la 102e promotion de l’École Supérieure de Guerre, le colonel Franc a publié une dizaine d’ouvrages depuis 2012 portant sur les analyses stratégiques des conflits modernes, ainsi que nombre d’articles dans différents médias. Il est référent “Histoire” du Cercle Maréchal Foch (l’ancien “G2S”, association des officiers généraux en 2e section de l’armée de Terre) et membre du comité de rédaction de la Revue Défense Nationale (RDN). Il a rejoint la rédaction de THEATRUM BELLI en février 2023.
Ayant rappelé que les « intérêts vitaux » de la France avaient une « dimension européenne », lors d’un discours prononcé à l’École militaire en février 2020, le président Macron avait proposé d’ouvrir un « dialogue stratégique » avec les membres de l’Union européenne [UE] sur le « rôle de la dissuasion nucléaire française » dans la sécurité du Vieux continent.
Et d’ajouter que les « partenaires européens qui souhaitaient s’engager sur cette voie pourraient être associés aux exercices » menés par les forces stratégiques françaises.
Seulement, ces propos ayant été tenus quelques mois après que M. Macron avait tendu la main à la Russie [voir la conférence des ambassadeurs d’août 2019, ndlr], cette proposition de dialogue stratégique ne suscita aucun engouement parmi les pays européens. Du moins, jusqu’au retour du président Trump à la Maison Blanche… et l’inquiétude chez certains d’un éventuel désengagement militaire des États-Unis de l’Otan.
Ainsi, début mars, alors qu’elle venait d’être remise sur la table par le locataire de l’Élysée, cette offre de dialogue stratégique autour de la dissuasion nucléaire française a été jugée « prometteuse » par Donald Tusk, le Premier ministre polonais.
Un parapluie nucléaire, « c’est ce qui peut nous donner un avantage très net sur la Russie », avait d’abord estimé M. Tusk, à Bruxelles, le 6 mars. « Comme toujours, ce sont les détails qui comptent, mais cette disponibilité de la France, c’est quelque chose de très prometteur », avait-il ajouté.
Plus tard, lors d’une séance au Parlement, M. Tusk confirma avoir « des discussions sérieuses avec les Français au sujet de leur idée d’un parapluie nucléaire au-dessus de l’Europe », avant de faire part de son souhait d’en « savoir plus, en détail, sur ce que cela signifie concernant la gestion de cette arme » car « si l’on devait s’y résoudre, cela vaudrait la peine d’avoir la certitude que c’est entre nos mains et que c’est nous qui décidons ». Et cela alors que M. Macron a soutenu que la décision a toujours été et restera entre les mains du président de la République, chef des armées ».
Reste que la position de M. Tusk se démarquait alors de celle d’Andrzej Duda, le président polonais… qui est aussi son adversaire politique, ce dernier s’étant prononcé à plusieurs reprises pour le déploiement en Pologne d’armes nucléaires tactiques B-61 américaines dans le cadre de la dissuasion de l’Otan.
Cela étant, dans un entretien accordé à l’agence Bloomberg, le 18 avril, M. Duda a finalement estimé que la Pologne pourrait profiter à la fois du parapluie nucléaire de l’Otan et de la dissuasion française, les deux pouvant être complémentaires. « Je crois que nous pouvons accepter les deux solutions. Elles ne ne sont ni contradictoires ni mutuellement exclusives », a-t-il en effet affirmé.
Pour rappel, M. Duda quittera ses fonctions dans quatre mois, c’est-à-dire à l’issue des élections présidentielles qui se tiendront le 18 mai et et le 1er juin, soit avant la signature d’un traité de partenariat stratégique entre la France et la Pologne. Les questions de défense y seront largement évoquées. Reste à savoir lesquelles…
Fin mars, le quotidien « Gazeta Wyborcza » a rapporté que ce nouveau traité de coopération, qui remplacera celui de 1991, « comprendra des garanties de sécurité et renforcera l’Otan». Plus précisément, a-t-il ajouté, il devrait contenir une « disposition clé prévoyant une assistance mutuelle, y compris armée, en cas d’attaque ». À ce titre, la « France […] offrira à la Pologne une protection sous son ‘parapluie nucléaire’, a-t-il conclu.
Marco Rubio arrive au Quai d’Orsay, jeudi 17 avril. (Photo by JULIEN DE ROSA / POOL / AFP)
C’est ce qu’on appelle souffler le chaud et le froid.
Jeudi soir, le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio « a transmis à son homologue russe (Sergueï Lavrov, ndlr) le même message que l’équipe américaine a communiqué à la délégation ukrainienne et à nos alliés européens à Paris: le président Trump et les États-Unis veulent que cette guerre prenne fin et ont maintenant présenté à toutes les parties les grandes lignes d’une paix durable », selon un communiqué du département d’Etat précisant que « l’accueil encourageant réservé à Paris au cadre américain montre que la paix est possible si toutes les parties s’engagent à parvenir à un accord ».
Vendredi matin, en revanche, Marco Rubio a laissé entendre que Washington pourrait se retirer des efforts de paix en Ukraine si les discussions continuaient à piétiner, après une série de réunion, jeudi, à Paris entre Américains, Européens et Ukrainiens.
« Nous devons déterminer dans les prochains jours si (la paix) est faisable ou non », et « si ce n’est pas possible, nous devons passer à autre chose » car « les États-Unisont d’autres priorités », a-t-il déclaré à quelques journalistes, au pied de son avion à l’aéroport parisien du Bourget.
« Si ce n’est pas possible, si nous sommes si éloignés que cela ne se produira pas (la paix, ndlr), alors je pense que le président arrivera probablement à un point où il dira : Bon, c’est fini », a prévenu Marco Rubio. « Nous devons donc déterminer très rapidement, et je parle de jours, si c’est faisable ou non dans les prochains mois ».
« Je pense que le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne peuvent nous aider, faire avancer les choses et nous rapprocher d’une résolution. J’ai trouvé leurs idées très utiles et constructives », lors des discussions de la veille avec les alliés de Kiev à Paris, a commenté le chef de la diplomatie américaine. « A la marge, nous serons prêts à aider quand vous serez prêts à la paix mais nous n’allons pas poursuivre cet effort pour des semaines et des mois », a-t-il déclaré, en rappelant que cette guerre, déclenchée en février 2022 par l’invasion russe de l’Ukraine, « se déroule sur le continent européen ».
Les premières discussions sur l’Ukraine impliquant Américains, Européens et Ukrainiens, jeudi à Paris, seront prolongées la semaine prochaine par une autre réunion à Londres. Paris et Londres ont monté une « coalition des volontaires », composée d’une trentaine de pays alliés de l’Ukraine travaillant notamment à la création d’une « force de réassurance » destinée à garantir un éventuel cessez-le-feu et empêcher toute nouvelle attaque de la Russie. Mais un contingent militaire multinational en cas de paix, souhaité par Kiev, est une ligne rouge pour Moscou. Et le sujet n’a pas été abordé en détail dans les compte-rendus émis jeudi par la France.
Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances, souligne François Heisbourg, auteur d’« Un monde sans l’Amérique » paru chez Odile Jacob.
La classe Suffren, issue du programme Barracuda, est la deuxième génération de sous-marins nucléaires d’attaque de la Marine nationale française. Ici, le 6 novembre 2020, dans la rade de Toulon. | ARCHIVES NICOLAS TUCAT, AFP
par François Heisbourg- Ouest-France –Publié le
Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances.
Avec la guerre contre l’Ukraine, les menaces atomiques d’une Russie néo-impériale en marche et le départ désormais inéluctable des États-Unis, cet édifice a vécu. Les pays membres de l’Union Européenne, tels la Pologne, les États baltes et la Scandinavie, qui ressentent le plus vivement la menace du grand voisin russe, cherchent désormais, parfois avec fébrilité, une dissuasion qui puisse prendre le relais.
Plusieurs voies d’inégales valeurs se présentent. Devant son Parlement, le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a esquissé il y a quelques jours l’hypothèse d’une force de dissuasion nationale.En Suède, pays qui avait engagé des travaux en ce sens pendant la Guerre froide, des chercheurs y songent, tout comme leurs collègues dans une Finlande qui partage une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie de Vladimir Poutine. Au nom de quoi la France héritière de la « force de frappe » du général de Gaulle s’y opposerait-elle ? Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais.
Pourtant, ce serait une catastrophe annoncée.Depuis plus d’un demi-siècle, l’accord quasi universel qu’est le Traité de non-prolifération l’interdit expressément. Violer l’un des derniers et peut-être le plus important élément de ce qui reste d’un ordre international ouvrirait la voie à un chaos nucléaire mondial, de l’Arabie saoudite et du Japon à la Turquie ou à la Corée du Sud. Dans une telle anarchie, le nucléaire passerait trop aisément de la dissuasion mutuelle à l’emploi mortifère d’armes à la puissance de destruction infinie. À éviter donc…
Jouer la dissuasion française
Le président polonais demande pour sa part que les États-Unis déploient dans son pays des armes nucléaires américaines, à la manière de ce qui existe déjà de longue date en Allemagne, Italie, Belgique et aux Pays-Bas. Pourquoi pas ? Mais l’Amérique de Donald Trump le voudrait-elle ? Et qui prendrait au sérieux la garantie d’un pays qui paraît désormais plus proche de l’envahisseur russe que de ses partenaires de naguère, plus prompt aussi à annexer le Canada ou le Groenland qu’à épauler ses alliés ?
Les Jeux olympiques de Paris 2024 ont-ils amélioré l’image de la France à l’international ?
Mieux vaut tenter de faire jouer la dissuasion française de façon explicite et organisée, le cas échéant aux côtés de l’allié britannique. Il est en effet clair que l’invasion de pays membres de l’Union mettrait en jeu nos intérêts vitaux. Au premier chef, la Pologne, mais aussi l’Allemagne et les États baltes qui ont tout récemment manifesté leur intérêt. D’autres, des Pays-Bas à l’Italie, y réfléchissent. Le champ de la discussion pourra être large en termes d’appréciation des moyens qu’il faudrait mobiliser, de réflexion sur leurs lieux de déploiement, de participation à des exercices, d’évaluation commune des menaces, de doctrines partagées. La décision d’emploi devrait, elle, rester nationale pour la bonne et simple raison que la meilleure façon d’apporter une garantie crédible serait d’éviter qu’elle ne soit engluée dans des procédures improbables.
Les dénonciations des initiatives françaises par les responsables russes montrent que Moscou y croit, à sa façon. C’est paradoxalement encourageant…
@Dassault Aviation – Dassault Aviation travaille sur un drone de combat, qui sera furtif et accompagnera en mission le Rafale. Du combat collaboratif.
L’effort de défense de la France passe par des commandes d’équipements militaires pour moderniser l’arsenal des nos armées et surtout le renforcer. L’objectif est de mettre à niveau les capacités militaires de la France dans le cadre d’un conflit de haute intensité, qui nécessiterait des réserves importantes de munitions et un nombre plus conséquent d’armes et de véhicules militaires.
Si cette question des capacités de défense de la France est revenue sur le devant de la scène politique ces dernières semaines, à la suite des évolutions géopolitiques à la suite de l’élection de Donald Trump, elle se posait déjà bien avant l’attaque de la Russie contre l’Ukraine.
Pour comprendre quels sont les besoins en armes, munitions et hommes des armées françaises et quelle est sa doctrine, il se faut d’abord se pencher sur les Lois de programmation militaires. Parce qu’au delà des discours politiques de circonstance, protéger la France et les Français, c’est planifier .
2019-2025. Une Loi de programmation militaire dans un contexte de terrorisme
Cet effort, dans la mise à niveau des capacités de défense et d’intervention des armées françaises, s’est concrétisé par la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Votée en 2018 elle a permis de réparer et moderniser nos armées après des décennies de coupes budgétaires.
Cette dernière a été élaborée dans un contexte géopolitiques plus belliqueux, marqué par le retour des attentats contre la France. L’objectif est d’engager 10 000 soldats sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle est d’accélérer les actions offensives contre Daech en Irak et en Syrie. A cette période aussi, les stratèges militaires regardent aussi les actions des séparatistes Russes du côté du Donbass et de la Crimée.
2024-2030. Une LPM pour envisager un conflit de haute intensité.
Cette politique de réarmement de la France s’est poursuivie avec la LPM 2024-2030 qui a été adoptée en 2022 avec un objectif fort : organiser nos armées face aux nouvelles menaces. Cette dernière loi LPM a pris en compte la nouvelle réalité sécuritaire, notamment avec la guerre en Ukraine et les tensions avec la Russie, la situation en Afrique, ou dans le Pacifique avec les prétentions territoriales de la Chine. Il s’agit de muscler les troupes françaises et de les préparer à la haute intensité face à un adversaire aussi puissant, voir plus puissant.
“Notre armée, je la compare à un bonsaï, à une armée américaine en version bonsaï. C’est-à-dire que nous avons, comme les Etats-Unis, une armée qui sait tout faire. Sauf que comme nous ne sommes pas les États-Unis, nous l’avons en petit. En version bonsaï. C’est efficace, ça marche, mais ça ne permet pas de faire les choses pendant longtemps et ça ne permet pas de faire les choses de manière massive” analysait sur France InfoJean-Dominique Merchet, journaliste, spécialiste des questions militaires et stratégiques.
La France entend renforcer sa dissuasion, notamment nucléaire
Avec cette LPM 2024-2030, “les commandes de 2023, et plus spécifiquement celles de décembre 2023 sont destinées à renouveler et moderniser les capacités des forces armées dans tous les domaines : aérien, terrestre, naval et spatial” rappelle le ministère de la Défense. La dernière PLM entend “maintenir la crédibilité de notre dissuasion” en renforçant “la résilience sur le territoire national, notamment les Outre-mer, et l’affirmation de notre souveraineté”.
Cette PLM prend en compte l’hypothèse qu’un “conflit de haute intensité ne peut plus être exclue“.
La dissuasion passe par un effort important dans le renouvellement des équipements nucléaires. Une grosse partie des 413 milliards, atour de 60%, va partir dans la modernisation des armes nucléaires, mais aussi des porteurs de cette arme, comme les Rafales ou les sous-marins.
Concrètement, quels sont les équipements militaires commandés par les armées françaises à la base industrielle et technologique de défense ? Cette BITD regroupe entre 2 000 et 4 000 entreprises. Parce que l’objectif est également d’acheter des armes produites en France, ou en Europe. mesinfos.fr a essayé de faire un état des lieux des nouvelles armes qui arrivent dans nos casernes.
Des véhicules blindés légers et modernes pour l’Armée de terre
La guerre de haute intensité qui se joue entre la Russie et l’Ukraine rappelle la nécessité de disposer d’un nombre plus important de véhicules militaires à aligner sur une ligne de front étendue. Des véhicules adaptés aux nouveaux besoins et menaces, comme les drones.
@Armée de Terre – le Jaguar est un engin blindé de l’Armée de terre.
La France est engagée depuis quelques années dans un programme de remplacement de ses véhicules blindés légers. C’est le cas avec le Griffon qui remplace progressivement les 2 700 véhicules de l’avant blindés (VAB). 1 872 Griffon sont livrés depuis 2019 souligne le ministère de la Défense.
En compléments, 35 EBRC Jaguar vont être livrés en 2024, soit 95 depuis 2021. 103 VBMR-L Serval seront livrés également en 2024, soit 292 depuis 2022.
@Armée de terre – La France dispose de plus de 600 VBCI.
La France dispose également de plus de 600 VBCI, livrés entre 2015 et 2018. Ce véhicule blindé à roues 8×8 “doit pouvoir être engagé, de nuit comme de jour, sous la menace des armes d’infanterie ou d’artillerie, en ambiance NBC tout en assurant la capacité à durer au personnel embarqué” détaille l’Armée de terre.
Du lourd avec la modernisation des chars de combat Leclerc
La France dispose de 241 chars Leclerc en service, mais seulement 147 chars sont disponibles. Ces chars, mis en service au début des années quatre-vingt-dix est vieillissant.
@Armée de terre – Le char Leclerc est modernisé pour répondre aux nouveaux enjeux militaires.
Plus d’un millions d’euros d’investissement dans la modernisation du char Leclerc qui arrive au milieu de sa vie. La Direction générale de l’armement (DGA) a validé en 2024 la rénovation de 100 chars Leclerc (XLR), portant à 200 le nombre de chars rénovés commandés. Les travaux de rénovation sont réalisés sur le site de l’industriel KNDS France à Roanne.
L’artillerie passe par plus de canon Caesar
Plus que la poudre, le canon Caesar a fait parler de lui dans le cadre de sa livraison aux forces armées ukrainiennes. Pour remplacer ses équipements et les compléter, 109 canons Caesar nouvelle génération sont commandés au profit de l’Armée de terre.
@Ministère de la défense – Les qualités du canon Caesar ont fait leurs preuves en Ukraine.
En complément, 54 mortiers embarqués pour l’appui au contact ont été commandés entre 2025 et 2028
Des camions pour transporter des armes et du carburant
La logistique des armées françaises fait aussi partie des priorités. Ainsi, l’Armée de terre va bénéficier de 165 camions citernes de nouvelle génération à partir de 2027 et de 1 110 camions logistique de 6 tonnes à partir de 2028.
Des munitions pour éviter à l’Armée française de tirer à blanc
Avoir des canons et des chars mais pas suffisamment de munitions ? Alors que les Russes tirent autour de 10 000 obus par jour en Ukraine, la France est au défi de renforcer ses stocks.
Cela passe par plusieurs commandes : 260 millions d’euros de commandes de missiles anti-char ont été valisés entre 2022 et 2025, 75 millions d’euros d’investissements en défense sol-air ont été injectés depuis 2022, 750 millions d’euros de minutions d’artillerie ont aussi été validés depuis 2022…
L’Armée de l’air et de l’espace complète sa flotte de Rafale
Fin décembre 2023, la Direction générale de l’armement (DGA) a notifié à Dassault Aviation une commande de 42 avions de combat Rafale, dite “tranche 5” à destination de l’armée de l’Air et de l’Espace.
En complément, 47 Mirages 2000D ont été rénovés en 2024.
Ces commandes de l’Armée françaises ou d’armées étrangères dopent les résultats de Dassault Aviation. En 2021, l’armée de l’Air et de l’Espace comptait 211 avions de chasse du groupe Dassault, les Rafale et Mirage 2000.
Des hélicoptères NH90 pour les forces spéciales
Les forces spéciales des l’Armée de terre font pouvoir être projetées sur des théâtres d’opération par 18 hélicoptères NH90 de plus. L’hélicoptère effectue des missions de transport tactique de troupes et de matériel ainsi que des évacuations sanitaires.
@Ministère de l’intérieur – Le NH90 en version marine.
“Avec le retrait progressif des PUMA, les NH90 Caïman TTH constituent désormais la principale flotte d’hélicoptères de manœuvre et d’assaut des forces, aux côtés des Cougar rénovés et des Caracal, avec 63 appareils en service au sein de l’armée de Terre et 27 au sein de la Marine nationale” rappelle le ministère de la Défense.
Des hélicoptères en renfort des Gendarmes et des pompiers
La Direction générale de l’armenent A a passé commande en janvier 2024 de 42 hélicoptères H145-D3 FR auprès d’Airbus Helicopters pour les forces de Gendarmerie et les secours, comme les pompiers. Le contrat prévoit une option pour 22 hélicoptères supplémentaires pour la DGGN. Ces nouveaux hélicoptères amélioreront l’efficacité et la sécurité des missions d’assistance aux personnes, de sécurité publique et d’appui aux forces de l’ordre.
Drones, missiles… Le danger vient du ciel
@Ministère de la défense – Un fusil Nerod de lutte contre les drônes.
La Direction générale de l’armement a commandé, en décembre 2024, de nouveaux systèmes de défense surface-air et de lutte anti-drones au profit des trois armées. “D’un montant global de l’ordre de 600 M€, ces commandes s’inscrivent dans le cadre de la Loi de programmation militaire 2024-2030 qui prévoit de renforcer et moderniser les capacités des forces dans ces domaines stratégiques” rappelle le ministère de la Défense.*
Concrètement la défense sol-air de la France va passer de 8 systèmes SAMP Manba à 12 pour 2035, de 2 VL MICA à 16 en 2029, puis 24 en 2035. En 2035, 18 systèmes bi-couche basés sur le couple SAMP NG et VL MICA seront en service. La lutte anti-drone s’étoffe avec l’arrivée de 3 nouveaux systèmes laser en 2024 et un quatrième en 2025 et 4 systèmes PARADE en 2026.
Ravitailleurs, avions espions, satellites, la flotte de l’Armée de l’air et de l’espace s’étoffe
En 2026 une troisième avion léger de surveillance va entrer en service. A l’horizon 2026-2027, la France va tester deux démonstrateurs de satellites patrouilleurs-guetteurs pour protéger les moyens spatiaux de la France.
Adjudant D.THERBY – Une image aérienne du 1er terminal militaire de la base aérienne 125 d’Istres.
Pour améliorer la projetions de ses avions l’Armée de l’air et de l’espace va compter sur 15 nouveaux exemplaires de l’A330 MRTT Phénix qui est un avion ravitailleurs. Ils sont notamment basés à la BA 125d’Istres qui devient le premier terminal militaire de France. Cette année, la flotte des 24 avions de transports va recevoir un nouveau A400M Atlas pour arriver à 37 appareils en 2030.
Un plan pour le futur porte-avion français et un chantier à Toulon
L’arme la plus imposante des armées françaises reste le porte-avions de nouvelle génération [PA NG] que la France va commander pour remplacer à terme le porte avion Charles-de-Gaulle. “L’année 2025 sera celle de la passation de commande du porte-avions de nouvelle génération” a confirmé Sébastien Lecornu, le ministre de la Défense.
@D. R – Le futur porte-avions de la Marine nationale sera plus imposant que le Charles-de-Gaulle.
Difficile d’avoir un budget exact, mais l’investissement prévu devrait s’élever à “une dizaine de milliards d’euros“, selon Cols Bleus, le magazine de la Marine nationale. La construction du futur porte-avions sera réalisée par la MO-Porte-avions, la coentreprise créée par Naval Group, les Chantiers de l’Atlantique et TechnicAtome.
@K. Sarrazin – La base navale de Toulon est en chantier pour accueillir le futur porte-avions.
Des sous-marins de nouvelle génération dans la Marine
La Marine nationale renouvelle sa flotte de sous-marins nucléaire.
Elle va notamment bénéficier d’ici 2030 de six SNA, ou sous-marin nucléaire d’attaque de nouvelle génération, dite de classe Suffren, pour remplacer ceux de classe Rubis. Deux SNA ont rejoint la flotte et la base navale de Toulon et un est en test en Méditerranée. Les trois autres vont être mis en service dans les cinq prochaines années.
@Marine Nationale – Un nouveau SNA dans le port militaire de Toulon.
La construction du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération a également débuté, selon le ministère des Armées. Il s’agit du premier des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de troisième génération, appelés à incarner à partir de 2035 la composante océanique de la force de dissuasion nucléaire française.
Des Frégates Bleu Blanc Rouge en renfort sur les mers du globe
Cinq Frégates de défense et d’intervention vont compléter la flotte de la Marine nationale. Il en aurait fallu plus pour assurer une présence de la Marine nationale dans toutes les mers du globe où la France a des intérêts. Mais à plus de 600 millions d’euros l’unité, la facture s’élève vite… Trois premières seront livrées entre 2025 et 2029. Il s’agit de Frégates de classe Amiral Ronarc’h qui sont construite à Lorient par Naval Group.
@Naval Group – Les nouvelles Frégates de la Marine nationale seront fabriquées à Lorient.
“Les FDI sont des navires de haute mer polyvalents, endurants et capables d’opérer, seuls ou au sein d’une force navale, dans tous les domaines de lutte : antinavire, anti-aérien, anti-sous-marin, contre les menaces asymétriques et capable de projeter des forces spéciales” détaille Naval Group.
Ces Frégates de nouvelle génération seront protégées contre les attaques cyber et elles seront “les premières frégates à bénéficier à bord d’une architecture numérique qui leur permettra de s’adapter en continu aux évolutions technologiques et opérationnelles“.
De nouveaux patrouilleurs hauturiers
En 2023 la DGA a commandé à Naval Group sept patrouilleurs hauturiers pour la Marine Nationale, pour un total de 900 millions d’euros. “Les patrouilleurs combleront le déficit de bâtiments de second rang et seront déployés à Brest, Toulon et Cherbourg. Adaptés à un environnement maritime hostile, ils disposeront d’une capacité de traitement de l’information avancée et pourront opérer des hélicoptères ou des drones” précise le ministère de la Défense.
@Naval Group – La Marine française doit se doter de nouveaux patrouilleurs hauturiers.
“En conformité avec la LPM 2024-2030, dix patrouilleurs seront en service d’ici 2035, avec une première livraison prévue en 2026, pour remplacer les patrouilleurs de haute mer et de service public existants” ajoute ce dernier.
Des drones militaires pour compléter l’arsenal sur terre, en mer et dans les airs
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine met en première ligne l’usage intensif des drones. Les armées françaises entendent être à la page de ces nouvelles armes. Dernièrement un exercice militaire s’est tenu au large de Toulon avec la Marine nationale et la participation d’industriels. L’objectif était de tester une opération avec l’usage de drones en mer et dans le ciel. Dernièrement la Marine nationale a acheté à Thales et Exail huit drones sous-marins autonomes de nouvelle génération, avec une option pour acquérir huit drones supplémentaires.
@MBDA – Le NX70 un drone militaire d’observation fabriqués prés d’Aix-en-Provence.
Les drones sont aussi utilisés pour faire du renseignement, comme le NX70 capable d’observer de jour comme de nuit. Ces drones sont fabriqués par Novadem, prés d’Aix-en-Provence.
Le génie militaire utilise également des drones, comme le Minirogen, qui permet de déconstruire à terre des obstacles ou cibles à distance. L’Armée de terre emploie aussi un drone avion de reconnaissance, le SDT Patroller. Sa mise en œuvre est assurée exclusivement par le 61e régiment d’artillerie, régiment de recherche par imagerie des forces terrestres.
Pour préparer la guerre du futur, Dassault Aviation travaille sur un drone de combat aérien furtif capable d’assurer une mission en même temps que le Rafale. On parle là de combat collaboratif…