Point de vue. Quelle Europe nucléaire ?

Point de vue. Quelle Europe nucléaire ?

Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances, souligne François Heisbourg, auteur d’« Un monde sans l’Amérique » paru chez Odile Jacob.

La classe Suffren, issue du programme Barracuda, est la deuxième génération de sous-marins nucléaires d’attaque de la Marine nationale française. Ici, le 6 novembre 2020, dans la rade de Toulon.
La classe Suffren, issue du programme Barracuda, est la deuxième génération de sous-marins nucléaires d’attaque de la Marine nationale française. Ici, le 6 novembre 2020, dans la rade de Toulon. | ARCHIVES NICOLAS TUCAT, AFP

Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances.

Avec la guerre contre l’Ukraine, les menaces atomiques d’une Russie néo-impériale en marche et le départ désormais inéluctable des États-Unis, cet édifice a vécu. Les pays membres de l’Union Européenne, tels la Pologne, les États baltes et la Scandinavie, qui ressentent le plus vivement la menace du grand voisin russe, cherchent désormais, parfois avec fébrilité, une dissuasion qui puisse prendre le relais.

Plusieurs voies d’inégales valeurs se présentent. Devant son Parlement, le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a esquissé il y a quelques jours l’hypothèse d’une force de dissuasion nationale. En Suède, pays qui avait engagé des travaux en ce sens pendant la Guerre froide, des chercheurs y songent, tout comme leurs collègues dans une Finlande qui partage une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie de Vladimir Poutine. Au nom de quoi la France héritière de la « force de frappe » du général de Gaulle s’y opposerait-elle ? Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais.

Pourtant, ce serait une catastrophe annoncée. Depuis plus d’un demi-siècle, l’accord quasi universel qu’est le Traité de non-prolifération l’interdit expressément. Violer l’un des derniers et peut-être le plus important élément de ce qui reste d’un ordre international ouvrirait la voie à un chaos nucléaire mondial, de l’Arabie saoudite et du Japon à la Turquie ou à la Corée du Sud. Dans une telle anarchie, le nucléaire passerait trop aisément de la dissuasion mutuelle à l’emploi mortifère d’armes à la puissance de destruction infinie. À éviter donc…

Jouer la dissuasion française

Le président polonais demande pour sa part que les États-Unis déploient dans son pays des armes nucléaires américaines, à la manière de ce qui existe déjà de longue date en Allemagne, Italie, Belgique et aux Pays-Bas. Pourquoi pas ? Mais l’Amérique de Donald Trump le voudrait-elle ? Et qui prendrait au sérieux la garantie d’un pays qui paraît désormais plus proche de l’envahisseur russe que de ses partenaires de naguère, plus prompt aussi à annexer le Canada ou le Groenland qu’à épauler ses alliés ?

Les Jeux olympiques de Paris 2024 ont-ils amélioré l’image de la France à l’international ?

Mieux vaut tenter de faire jouer la dissuasion française de façon explicite et organisée, le cas échéant aux côtés de l’allié britannique. Il est en effet clair que l’invasion de pays membres de l’Union mettrait en jeu nos intérêts vitaux. Au premier chef, la Pologne, mais aussi l’Allemagne et les États baltes qui ont tout récemment manifesté leur intérêt. D’autres, des Pays-Bas à l’Italie, y réfléchissent. Le champ de la discussion pourra être large en termes d’appréciation des moyens qu’il faudrait mobiliser, de réflexion sur leurs lieux de déploiement, de participation à des exercices, d’évaluation commune des menaces, de doctrines partagées. La décision d’emploi devrait, elle, rester nationale pour la bonne et simple raison que la meilleure façon d’apporter une garantie crédible serait d’éviter qu’elle ne soit engluée dans des procédures improbables.

Les dénonciations des initiatives françaises par les responsables russes montrent que Moscou y croit, à sa façon. C’est paradoxalement encourageant…

Avec quelles nouvelles armes la France prépare son effort de défense ?

Avec quelles nouvelles armes la France prépare son effort de défense ?

L’effort de défense pour l’Armée française se traduit par des commandes de matériels militaires plus importantes et adaptés aux conflits actuels.

par Frédéric Delmonte – mesinfos.fr – publié le

https://mesinfos.fr/avec-quelles-nouvelles-armes-la-france-prepare-son-effort-de-defense-219056.html

@Dassault Aviation - Dassault Aviation travaille sur un drone de combat, qui sera furtif et accompagnera en mission le Rafale. Du combat collaboratif.

@Dassault Aviation – Dassault Aviation travaille sur un drone de combat, qui sera furtif et accompagnera en mission le Rafale. Du combat collaboratif.

L’effort de défense de la France passe par des commandes d’équipements militaires pour moderniser l’arsenal des nos armées et surtout le renforcer. L’objectif est de mettre à niveau les capacités militaires de la France dans le cadre d’un conflit de haute intensité, qui nécessiterait des réserves importantes de munitions et un nombre plus conséquent d’armes et de véhicules militaires.

Si cette question des capacités de défense de la France est revenue sur le devant de la scène politique ces dernières semaines, à la suite des évolutions géopolitiques à la suite de l’élection de Donald Trump, elle se posait déjà bien avant l’attaque de la Russie contre l’Ukraine.

Pour comprendre quels sont les besoins en armes, munitions et hommes des armées françaises et quelle est sa doctrine, il se faut d’abord se pencher sur les Lois de programmation militaires. Parce qu’au delà des discours politiques de circonstance, protéger la France et les Français, c’est planifier .

 

2019-2025. Une Loi de programmation militaire dans un contexte de terrorisme

Cet effort, dans la mise à niveau des capacités de défense et d’intervention des armées françaises, s’est  concrétisé par la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Votée en 2018 elle a permis de réparer et moderniser nos armées après des décennies de coupes budgétaires.

Cette dernière a été élaborée dans un contexte géopolitiques plus belliqueux, marqué par le retour des attentats contre la France. L’objectif est d’engager 10 000 soldats sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle est d’accélérer les actions offensives contre Daech en Irak et en Syrie. A cette période aussi, les stratèges militaires regardent aussi les actions des séparatistes Russes du côté du Donbass et de la Crimée.

2024-2030. Une LPM pour envisager un conflit de haute intensité.

Cette politique de réarmement de la France s’est poursuivie avec la LPM 2024-2030 qui a été adoptée en 2022 avec un objectif fort : organiser nos armées face aux nouvelles menaces. Cette dernière loi LPM a pris en compte la nouvelle réalité sécuritaire, notamment avec la guerre en Ukraine et les tensions avec la Russie, la situation en Afrique, ou dans le Pacifique avec les prétentions territoriales de la Chine. Il s’agit de muscler les troupes françaises et de les préparer à la haute intensité face à un adversaire aussi puissant, voir plus puissant.

« Notre armée, je la compare à un bonsaï, à une armée américaine en version bonsaï. C’est-à-dire que nous avons, comme les Etats-Unis, une armée qui sait tout faire. Sauf que comme nous ne sommes pas les États-Unis, nous l’avons en petit. En version bonsaï. C’est efficace, ça marche, mais ça ne permet pas de faire les choses pendant longtemps et ça ne permet pas de faire les choses de manière massive » analysait sur France Info Jean-Dominique Merchet, journaliste, spécialiste des questions militaires et stratégiques.

La France entend renforcer sa dissuasion, notamment nucléaire

Avec cette LPM 2024-2030, « les commandes de 2023, et plus spécifiquement celles de décembre 2023 sont destinées à renouveler et moderniser les capacités des forces armées dans tous les domaines : aérien, terrestre, naval et spatial » rappelle le ministère de la Défense. La dernière PLM entend « maintenir la crédibilité de notre dissuasion » en renforçant « la résilience sur le territoire national, notamment les Outre-mer, et l’affirmation de notre souveraineté ».

Cette PLM prend en compte l’hypothèse qu’un « conflit de haute intensité ne peut plus être exclue« .

La dissuasion passe par un effort important dans le renouvellement des équipements nucléaires. Une grosse partie des 413 milliards, atour de 60%, va partir dans la modernisation des armes nucléaires, mais aussi des porteurs de cette arme, comme les Rafales ou les sous-marins.

Financer et préparer l’effort de guerre

Pour poursuivre cet « effort de guerre » comme l’a présenté Emmanuel Macron, la France cherche des financements. Le ministre de l’Economie, Éric Lombard, a appelé les investisseurs privés à soutenir l’industrie de défense, soulignant l’importance stratégique et économique du secteur. L’Etat réfléchit également à un placement citoyen pour financer les nouvelles armes de la France.

Concrètement, quels sont les équipements militaires commandés par les armées françaises à la base industrielle et technologique de défense ? Cette BITD regroupe entre 2 000 et 4 000 entreprises. Parce que l’objectif est également d’acheter des armes produites en France, ou en Europe. mesinfos.fr a essayé de faire un état des lieux des nouvelles armes qui arrivent dans nos casernes.

Des véhicules blindés légers et modernes pour l’Armée de terre

La guerre de haute intensité qui se joue entre la Russie et l’Ukraine rappelle la nécessité de disposer d’un nombre plus important de véhicules militaires à aligner sur une ligne de front étendue. Des véhicules adaptés aux nouveaux besoins et menaces, comme les drones. 

@Armée de Terre – le Jaguar est un engin blindé de l’Armée de terre.

La France est engagée depuis quelques années dans un programme de remplacement de ses véhicules blindés légers. C’est le cas avec le Griffon qui remplace progressivement les 2 700 véhicules de l’avant blindés (VAB). 1 872 Griffon sont livrés depuis 2019 souligne le ministère de la Défense.

En compléments, 35 EBRC Jaguar vont être livrés en 2024, soit 95 depuis 2021. 103 VBMR-L Serval seront livrés également en 2024, soit 292 depuis 2022.

@Armée de terre – La France dispose de plus de 600 VBCI.

La France dispose également de plus de 600 VBCI, livrés entre 2015 et 2018. Ce véhicule blindé à roues 8×8 « doit pouvoir être engagé, de nuit comme de jour, sous la menace des armes d’infanterie ou d’artillerie, en ambiance NBC tout en assurant la capacité à durer au personnel embarqué » détaille l’Armée de terre.

Du lourd avec la modernisation des chars de combat Leclerc

La France dispose de 241 chars Leclerc en service, mais seulement 147 chars sont disponibles. Ces chars, mis en service au début des années quatre-vingt-dix est vieillissant.

@Armée de terre – Le char Leclerc est modernisé pour répondre aux nouveaux enjeux militaires.

Plus d’un millions d’euros d’investissement dans la modernisation du char Leclerc qui arrive au milieu de sa vie. La Direction générale de l’armement (DGA) a validé en 2024 la rénovation de 100 chars Leclerc (XLR), portant à 200 le nombre de chars rénovés commandés. Les travaux de rénovation sont réalisés sur le site de l’industriel KNDS France à Roanne.

L’artillerie passe par plus de canon Caesar

Plus que la poudre, le canon Caesar a fait parler de lui dans le cadre de sa livraison aux forces armées ukrainiennes. Pour remplacer ses équipements et les compléter, 109 canons Caesar nouvelle génération sont commandés au profit de l’Armée de terre.

@Ministère de la défense – Les qualités du canon Caesar ont fait leurs preuves en Ukraine.

Pour répondre à cette demande, les cadences de la chaîne de production des Caesar, fabriqué par KNDS à Roanne, ont augmenté pour passer à 6 Caesar par mois. Il faut 15 mois pour fabriquer ce canon contre 30 auparavant.

En complément, 54 mortiers embarqués pour l’appui au contact ont été commandés entre 2025 et 2028

Des camions pour transporter des armes et du carburant

La logistique des armées françaises fait aussi partie des priorités. Ainsi, l’Armée de terre va bénéficier de 165 camions citernes de nouvelle génération à partir de 2027 et de 1 110 camions logistique de 6 tonnes à partir de 2028.

Des munitions pour éviter à l’Armée française de tirer à blanc

Avoir des canons et des chars mais pas suffisamment de munitions ? Alors que les Russes tirent autour de 10 000 obus par jour en Ukraine, la France est au défi de renforcer ses stocks.

Cela passe par plusieurs commandes : 260 millions d’euros de commandes de missiles anti-char ont été valisés entre 2022 et 2025, 75 millions d’euros d’investissements en défense sol-air ont été injectés depuis 2022, 750 millions d’euros de minutions d’artillerie ont aussi été validés depuis 2022…

L’Armée de l’air et de l’espace complète sa flotte de Rafale

Fin décembre 2023, la Direction générale de l’armement (DGA) a notifié à Dassault Aviation une commande de 42 avions de combat Rafale, dite « tranche 5 » à destination de l’armée de l’Air et de l’Espace.

© Shutterstock – Dassault Aviation espère livrer 25 Rafale en 2025.

La nécessité de renforcer l’Armée de l’air a été soulignée par Emmanuel Macron, lors de la visite de la base aérienne de Luxeuil-les-Bains, au sujet de la dissuasion nucléaire de la France.

En complément, 47 Mirages 2000D ont été rénovés en 2024.

Ces commandes de l’Armée françaises ou d’armées étrangères dopent les résultats de Dassault Aviation. En 2021, l’armée de l’Air et de l’Espace comptait 211 avions de chasse du groupe Dassault, les Rafale et Mirage 2000.

Des hélicoptères NH90 pour les forces spéciales

Les forces spéciales des l’Armée de terre font pouvoir être projetées sur des théâtres d’opération par 18 hélicoptères NH90 de plus. L’hélicoptère effectue des missions de transport tactique de troupes et de matériel ainsi que des évacuations sanitaires. 

@Ministère de l’intérieur – Le NH90 en version marine.

« Avec le retrait progressif des PUMA, les NH90 Caïman TTH constituent désormais la principale flotte d’hélicoptères de manœuvre et d’assaut des forces, aux côtés des Cougar rénovés et des Caracal, avec 63 appareils en service au sein de l’armée de Terre et 27 au sein de la Marine nationale » rappelle le ministère de la Défense.

Des hélicoptères en renfort des Gendarmes et des pompiers

La Direction générale de l’armenent A a passé commande en janvier 2024 de 42 hélicoptères H145-D3 FR auprès d’Airbus Helicopters pour les forces de Gendarmerie et les secours, comme les pompiers. Le contrat prévoit une option pour 22 hélicoptères supplémentaires pour la DGGN. Ces nouveaux hélicoptères amélioreront l’efficacité et la sécurité des missions d’assistance aux personnes, de sécurité publique et d’appui aux forces de l’ordre.

Drones, missiles… Le danger vient du ciel

@Ministère de la défense – Un fusil Nerod de lutte contre les drônes.

La Direction générale de l’armement a commandé, en décembre 2024, de nouveaux systèmes de défense surface-air et de lutte anti-drones au profit des trois armées. « D’un montant global de l’ordre de 600 M€, ces commandes s’inscrivent dans le cadre de la Loi de programmation militaire 2024-2030 qui prévoit de renforcer et moderniser les capacités des forces dans ces domaines stratégiques » rappelle le ministère de la Défense.*

Concrètement la défense sol-air de la France va passer de 8 systèmes SAMP Manba à 12 pour 2035, de 2 VL MICA à 16 en 2029, puis 24 en 2035. En 2035, 18 systèmes bi-couche basés sur le couple SAMP NG et VL MICA seront en service. La lutte anti-drone s’étoffe avec l’arrivée de 3 nouveaux systèmes laser en 2024 et un quatrième en 2025 et 4 systèmes PARADE en 2026.

Ravitailleurs, avions espions, satellites, la flotte de l’Armée de l’air et de l’espace s’étoffe

En 2026 une troisième avion léger de surveillance va entrer en service. A l’horizon 2026-2027, la France va tester deux démonstrateurs de satellites patrouilleurs-guetteurs pour protéger les moyens spatiaux de la France.

Adjudant D.THERBY – Une image aérienne du 1er terminal militaire de la base aérienne 125 d’Istres.

Pour améliorer la projetions de ses avions l’Armée de l’air et de l’espace va compter sur 15 nouveaux exemplaires de l’A330 MRTT Phénix qui est un avion ravitailleurs. Ils sont notamment basés à la BA 125d’Istres qui devient le premier terminal militaire de France. Cette année, la flotte des 24 avions de transports va recevoir un nouveau A400M Atlas pour arriver à 37 appareils en 2030.

Un plan pour le futur porte-avion français et un chantier à Toulon

L’arme la plus imposante des armées françaises reste le porte-avions de nouvelle génération [PA NG] que la France va commander pour remplacer à terme le porte avion Charles-de-Gaulle. « L’année 2025 sera celle de la passation de commande du porte-avions de nouvelle génération » a confirmé Sébastien Lecornu, le ministre de la Défense.

@D. R – Le futur porte-avions de la Marine nationale sera plus imposant que le Charles-de-Gaulle.

Difficile d’avoir un budget exact, mais l’investissement prévu devrait s’élever à « une dizaine de milliards d’euros« , selon Cols Bleus, le magazine de la Marine nationale. La construction du futur porte-avions sera réalisée par la MO-Porte-avions, la coentreprise créée par Naval Group, les Chantiers de l’Atlantique et TechnicAtome.

@K. Sarrazin – La base navale de Toulon est en chantier pour accueillir le futur porte-avions.

D’une capacité de déplacement de 80 000 tonnes, sa longueur sera de 310 mètres. Pour accueillir ce géant des mers, la base navale de Toulon a déjà lancé un chantier colossal. Elle va construire des quais et un bassin dédié au futur navire amiral de la Marine nationale.

Des sous-marins de nouvelle génération dans la Marine

La Marine nationale renouvelle sa flotte de sous-marins nucléaire.

Elle va notamment bénéficier d’ici 2030 de six SNA, ou sous-marin nucléaire d’attaque de nouvelle génération, dite de classe Suffren, pour remplacer ceux de classe Rubis. Deux SNA ont rejoint la flotte et la base navale de Toulon et un est en test en Méditerranée. Les trois autres vont être mis en service dans les cinq prochaines années.

@Marine Nationale – Un nouveau SNA dans le port militaire de Toulon.

La construction du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération a également débuté, selon le ministère des Armées. Il s’agit du premier des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de troisième génération, appelés à incarner à partir de 2035 la composante océanique de la force de dissuasion nucléaire française.

Des Frégates Bleu Blanc Rouge en renfort sur les mers du globe

Cinq Frégates de défense et d’intervention vont compléter la flotte de la Marine nationale. Il en aurait fallu plus pour assurer une présence de la Marine nationale dans toutes les mers du globe où la France a des intérêts. Mais à plus de 600 millions d’euros l’unité, la facture s’élève vite… Trois premières seront livrées entre 2025 et 2029. Il s’agit de Frégates de classe Amiral Ronarc’h qui sont construite à Lorient par Naval Group.

@Naval Group – Les nouvelles Frégates de la Marine nationale seront fabriquées à Lorient.

« Les FDI sont des navires de haute mer polyvalents, endurants et capables d’opérer, seuls ou au sein d’une force navale, dans tous les domaines de lutte : antinavire, anti-aérien, anti-sous-marin, contre les menaces asymétriques et capable de projeter des forces spéciales » détaille Naval Group.

Ces Frégates de nouvelle génération seront protégées contre les attaques cyber et elles seront « les premières frégates à bénéficier à bord d’une architecture numérique qui leur permettra de s’adapter en continu aux évolutions technologiques et opérationnelles« .

De nouveaux patrouilleurs hauturiers

En 2023 la DGA a commandé à Naval Group sept patrouilleurs hauturiers pour la Marine Nationale, pour un total de 900 millions d’euros. « Les patrouilleurs combleront le déficit de bâtiments de second rang et seront déployés à Brest, Toulon et Cherbourg. Adaptés à un environnement maritime hostile, ils disposeront d’une capacité de traitement de l’information avancée et pourront opérer des hélicoptères ou des drones » précise le ministère de la Défense.

@Naval Group – La Marine française doit se doter de nouveaux patrouilleurs hauturiers.

« En conformité avec la LPM 2024-2030, dix patrouilleurs seront en service d’ici 2035, avec une première livraison prévue en 2026, pour remplacer les patrouilleurs de haute mer et de service public existants » ajoute ce dernier.

Des drones militaires pour compléter l’arsenal sur terre, en mer et dans les airs

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine met en première ligne l’usage intensif des drones. Les armées françaises entendent être à la page de ces nouvelles armes. Dernièrement un exercice militaire s’est tenu au large de Toulon avec la Marine nationale et la participation d’industriels. L’objectif était de tester une opération avec l’usage de drones en mer et dans le ciel. Dernièrement la Marine nationale a acheté à Thales et Exail huit drones sous-marins autonomes de nouvelle génération, avec une option pour acquérir huit drones supplémentaires.

@MBDA – Le NX70 un drone militaire d’observation fabriqués prés d’Aix-en-Provence.

Les drones sont aussi utilisés pour faire du renseignement, comme le NX70 capable d’observer de jour comme de nuit. Ces drones sont fabriqués par Novadem, prés d’Aix-en-Provence.

Le génie militaire utilise également des drones, comme le Minirogen, qui permet de déconstruire à terre des obstacles ou cibles à distance. L’Armée de terre emploie aussi un drone avion de reconnaissance, le SDT Patroller. Sa mise en œuvre est assurée exclusivement par le 61e régiment d’artillerie, régiment de recherche par imagerie des forces terrestres.

Pour préparer la guerre du futur, Dassault Aviation travaille sur un drone de combat aérien furtif capable d’assurer une mission en même temps que le Rafale. On parle là de combat collaboratif…

Quelle stratégie nucléaire européenne ?

Quelle stratégie nucléaire européenne ?

Par François Gere* -Diploweb – publié le12 mars 2025

https://www.diploweb.com/Quelle-strategie-nucleaire-europeenne.html

*Agrégé et docteur habilité en histoire (Paris 3 Sorbonne nouvelle). Président du Cercle des amis du général Lucien Poirier (2019 – ). F. Géré a présenté l’ouvrage posthume du Général Lucien Poirier, « Éléments de stratégique ». , éd. Economica, Ministère des Armées, 2023. François Géré a consigné avec Lars Wedin, L’Homme, la Politique et la Guerre, éd. Nuvis, 2018. François Géré a publié, « La pensée stratégique française contemporaine », Paris, Economica, 2017.


Française ou européenne, la stratégie de dissuasion nucléaire n’échappe pas à une règle absolue : elle n’est pas une fin en soi mais un moyen de la politique en sorte que l’on ne saurait mettre la charrue atomique avant les bœufs politiques.

POUR éviter un unième enlisement en de vaines palabres sur une dissuasion nucléaire européenne, rappelons les principes fondamentaux de cette stratégie.

La dissuasion est un mode d’action à but négatif aussi ancien que la guerre. Visant à interdire les velléités offensives d’un adversaire, il a été pratiqué avec plus ou moins de succès en raison de son caractère aléatoire. Il repose sur le calcul des probabilités. Ordinairement si un agresseur prenait le risque de transgresser la dissuasion fondée sur des forces conventionnelles et que son entreprise tournait mal, il avait joué et perdu subissant au pire l’humiliation d’une défaite. Avec les armes nucléaires, la dissuasion revêt désormais une toute autre dimension car la probabilité d’occurrence de la riposte nucléaire comporte le risque d’une perte exorbitante, dite insupportable, dépassant la valeur de l’enjeu.

La stratégie de dissuasion nucléaire n’est pas la paix. Elle ne saurait éviter ni les conflits régionaux limités ni supprimer l’action terroriste. Elle ne peut en effet s’exercer que dans le cas d’une attaque massive, quelle qu’en soit la nature, contre les intérêts vitaux du pays attaqué.

La stratégie de dissuasion nucléaire repose sur cinq principes identifiés.

Ce « périmètre du vital » ne doit pas être défini précisément, restant à l’appréciation du chef de l’État de manière à placer le candidat agresseur dans l’incertitude. La stratégie de dissuasion nucléaire repose sur cinq principes identifiés, théorisés en France par les généraux Gallois [1] et Poirier. [2]

. Principe de crédibilité : la dissuasion nucléaire exige la création et la démonstration de capacités techniques. C’était le rôle des essais suspendus pour une durée indéterminée en 1994 et interdits par un traité (TICE).

. Principe de permanence : la SDN est assurée par le chef de l’État, seul décideur, disposant 24h/24 des codes électroniques et des moyens de transmission aux forces stratégiques aériennes en veille et aux sous-marins en patrouille.

. Principe d’incertitude : « l’effet dissuasif résulte de la combinaison d’une certitude et d’incertitudes dans le champ mental d’un candidat agresseur : certitude quant à l’existence d’un risque inacceptable… incertitudes sur les conditions exactes d’application du modèle en cas d’ouverture des hostilités. »

. Principe de suffisance : pour une puissance moyenne comme la France en quantité et en qualité ni trop, ni trop sophistiqué.

C’est ce que l’on nommait durant la Guerre froide « dissuasion du faible au fort » (le Fort était l’Union Soviétique que les dirigeants français eurent la sagesse de ne jamais nommer explicitement). Pour éviter de se lancer dans une ruineuse course aux armements, il faut et il suffit de satisfaire à deux conditions

. a. Détenir une force nucléaire invulnérable capable de riposter en cas d’agression (les sous-marin nucléaires lanceurs d’engins – SNLE – sont durablement indétectables). Il est indispensable de prévoir une redondance en cas de défaillance humaine ou technique.

. b. Avoir la capacité à traverser les défenses adverses.

Quelle stratégie nucléaire européenne ?
La force océanique stratégique, l’une des deux composantes de la force de frappe nucléaire française
Avec l’autorisation de l’auteur, Ewan Lebourdais, photographe maritime. Crédit photo Ewan Lebourdais www.ewan-photo.fr
Ewan-Lebourdais
 

L’interception à 100% n’existe pas. Le dommage reste tolérable si les charges explosives sont classiques mais si elles sont nucléaires le problème change complètement. Une salve de SNLE envoie 96 charges pouvant « vitrifier » potentiellement autant de cibles. Aucune défense ne parviendrait à les intercepter quels que soient les progrès réalisés. D’autant plus que ces têtes sont environnées de leurres, manoeuvrantes (changement de trajectoire) et furtives (faible signature radar). Cette supériorité durable de l’agression sur la protection fait donc de la SDN l’unique parade.

.Principe de proportionnalité  : le volume des destructions dites « insupportables » est rapporté à la valeur de l’enjeu ; en l’occurrence l’invasion et la conquête de la France valent-elles l’anéantissement d’un ou plusieurs centres vitaux de l’agresseur ?

Dès lors que cibler ? Anticités (les hommes) ou antiforces (les armes) ? Les progrès de la précision permettent un ciblage plus fin sur des surfaces réduites. Le discours officiel affiche que la France ne vise plus les villes mais les centres de commandement des forces nucléaires et les centres politiques décisionnels. Toutefois, on relèvera que de telles cibles se situent rarement au cœur des déserts mais ont le mauvais goût de se trouver profondément enfouies au beau milieu de zones densément peuplées.
La création d’une dissuasion stratégique nucléaire européenne devra donc souscrire à l’ensemble de ces principes. Comment et avec quels aménagements ?
La valeur de l’enjeu pour l’agresseur changerait de dimension. Des intérêts vitaux de la France seule, on passerait à ceux de l’ensemble des États membres de l’Union européenne ou, à tout le moins, de ceux qui consentiraient à se joindre.

Le calcul de la proportionnalité s’en trouverait affecté se répercutant ipso facto sur le principe de suffisance. En raison de sa souplesse et de sa visibilité La composante aérienne doit-elle être développée ? En conséquence, la quantité d’armes nucléaires devra-t-elle augmenter ? Le positionnement territorial doit-il s’étendre, où et jusqu’où ?
La France pourrait-elle étendre une dissuasion nucléaire élargie aux intérêts de ses partenaires européens ? Le « parapluie » nucléaire déclaré par les dirigeants des États-Unis depuis Mc Namara, ministre de la défense de Kennedy a fait souvent l’objet d’un scepticisme sur sa crédibilité, à commencer par celui du général de Gaulle. Donald Trump expose ouvertement le caractère éminemment égoïste de l’arme nucléaire. Qui peut encore croire aujourd’hui que ce Président et ses successeurs sacrifieraient New York pour Varsovie, Berlin ou Paris ? A fortiori les citoyens des pays de l’Europe sont-ils prêts à faire dépendre leur existence de la décision du seul président français ? Qui pourrait croire qu’il sacrifierait Paris pour Tallin ? En vérité si les alliés (européens et asiatiques) ont pensé pouvoir se fier à l’engagement des États-Unis c’est en raison de la puissance grandissante des forces conventionnelles américaines capables de s’opposer efficacement à des agressions non-nucléaires.

Toute comparaison avec les États-Unis relève donc de l’absurde. Ensemble, les États de l’UE disposent-ils de 11 porte-avions ? De 14 sous-marins-nucléaires stratégiques ? Leurs marines verrouillent-elles les voies du commerce mondial ? Contrôlent-ils l’Espace ? La petite grenouille européenne n’atteindra pas l’énormité du bœuf américain. Mais serait-ce bien nécessaire dès lors que leurs gouvernements procèderaient à une évaluation objective de la menace réelle, exempte de préjugés idéologiques et d’intérêts corporatistes ?

Venons-en au nerf de la dissuasion à savoir le coût : ce « partage du fardeau », tracas permanent de l’OTAN. Des États comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne sont-ils disposés à payer pour l’édification d’une dissuasion nucléaire dite européenne sans pour autant disposer de l’accès à l’ultime décision ?

L’argent c’est aussi du temps.

Une stratégie nucléaire unique multi-étatique ne s’improvise pas du jour au lendemain. Oublie-t-on que certains membres de l’UE ne perçoivent pas la Russie comme une menace ; que d’autres, comme l’Autriche, sont leaders en faveur de l’interdiction des armes nucléaires ? Enfin, et ce n’est pas peu, où viendrait se loger le Royaume-Uni post-Brexit dans ce dispositif ?

Quand bien même la volonté serait forte et largement partagée, de mettre sur pied politiquement, financièrement et techniquement une dissuasion nucléaire rassemblant certains États européens cette entreprise prendra du temps, de l’ordre de plusieurs années. A quoi ressemblera la Fédération de Russie, comment aura évolué la compétition américano-chinoise d’ici cinq à dix ans ?

C’est au pied de la guerre que l’on voit le véritable allié, quand le réalisme égoïste reprend ses droits glacés.

Les déclarations (franco-allemandes, franco-britanniques) du temps de paix n’expriment souvent que de grandes illusions ou des vœux pieux qui ne coûtent rien. C’est au pied de la guerre que l’on voit le véritable allié, quand le réalisme égoïste reprend ses droits glacés. Or depuis vingt ans, à chaque crise (financière, migratoire, sanitaire – Covid- et militaire – Ukraine-) l’UE a exhibé son impréparation, sa lenteur de réaction et surtout ses divisions. La création d’une DNE crédible entre en donc en flagrante contradiction avec l’existence même de l’UE sous sa forme et son fonctionnement actuels.

Il faut donc revenir aux fondements du projet communautaire.
Ceux des pays de l’Europe qui partageraient une conception rigoureusement identique de leur situation mondiale au point de fusionner leurs intérêts vitaux auront à s’accorder sur un cadre politique durable définissant des buts communs, dans une sorte de Charte ; à se doter en conséquence d’une alliance militaire telle qu’une Société européenne de Défense aussi longtemps que jugé nécessaire ; à se garantir par une Communauté européenne de Renseignement.

Française ou européenne, la stratégie de dissuasion nucléaire n’échappe pas à une règle absolue : elle n’est pas une fin en soi mais un moyen de la politique en sorte que l’on ne saurait mettre la charrue atomique avant les bœufs politiques.

Copyright Mars 2025-Géré/Diploweb.com


Dossier géopolitique et stratégique : Le nucléaire

La bascule stratégique en cours depuis février 2025 replace la dissuasion nucléaire au coeur de la garantie de sécurité française, voire européenne.

Le nucléaire, civil et plus encore militaire, est un sujet stratégique par excellence. Raison pour laquelle il s’agit d’un tabou ? Ce dossier aide à saisir toute la mesure de la rupture stratégique amorcée en 1945. Conçu par Pierre Verluise, ce dossier du Diploweb.com vous présente plus de 30 documents de référence : études, articles, vidéos, cartes et même une émission de radio pour vous permettre de croiser des opinions d’experts.


[1] NDLR : Voir aussi Vidéo. Un stratège français d’envergure : P.-M. Gallois et le nucléaire, Diploweb.com, 2017 https://www.diploweb.com/Un-stratege-francais-d-envergure-P-M-Gallois-et-le-nucleaire.html

[2] NDLR : Voir aussi Vidéo. Lucien Poirier, stratège français de la dissuasion nucléaire, Diploweb.com, 2017 https://www.diploweb.com/Video-Lucien-Poirier-stratege-francais-de-la-dissuasion-nucleaire.html

La France face à ses limites militaires : entretien avec le général Faugère

La France face à ses limites militaires : entretien avec le général Faugère


Les promesses de puissance militaire française se heurtent à une réalité bien plus modeste, selon le général Jean-Marie Faugère, interrogé par Ligne Droite.

ITW-général-Faugere (capture YouTube)
ITW-général-Faugere (capture YouTube)

 

La France face à ses limites militaires : entretien avec le général Faugère


Le général d’armée cinq étoiles Faugère dresse un constat sans concession de l’état actuel des forces armées françaises et de leur capacité à se projeter dans des conflits comme celui en Ukraine. Dans un entretien approfondi, il met en lumière le décalage entre les discours politiques et la réalité du terrain.

Une armée de temps de paix face à des discours guerriers

« Nous avons aujourd’hui une armée du temps de paix », affirme d’emblée le général Faugère. Bien que l’armée française soit l’une des mieux constituées en Europe et ait prouvé sa valeur en opérations extérieures depuis plus de 30 ans, elle n’est pas dimensionnée pour un conflit de haute intensité comme celui qui se déroule en Ukraine.
Avec seulement 77 000 hommes dans l’armée de terre, dont moins de la moitié sont des combattants directs, la France est loin de pouvoir rivaliser sur un front russo-ukrainien qui mobilise des centaines de milliers d’hommes sur plus de 1 300 km. Le général souligne également le manque criant de capacités de projection à longue distance, la France ne disposant pas des gros porteurs stratégiques nécessaires.

Les promesses présidentielles face à la réalité

Le général Faugère qualifie de « surréaliste » la promesse d’Emmanuel Macron de déployer 50 000 hommes le long de la frontière russo-ukrainienne. Il rappelle que selon le plan stratégique du chef d’état-major de l’armée de terre, l’objectif est de pouvoir projeter une brigade (environ 8 000 hommes) d’ici à 2025-2026, et une division (20 000 à 24 000 hommes) d’ici à 2027-2030.

Un budget en hausse mais insuffisant

Si les lois de programmation militaire initiées depuis 2017 marquent un changement d’échelle par rapport aux réductions constantes opérées sous Sarkozy et Hollande, l’effort actuel ne permet que de « combler des lacunes » et non de « remonter en puissance ».
Le budget de la défense représente aujourd’hui 1,6% du PIB, loin des 2% promis pour 2025 et exigés par l’OTAN, et encore plus loin des 3% d’après la chute du mur de Berlin ou des 6% sous de Gaulle lors du lancement de la dissuasion nucléaire.

Les pièges de l’exécution budgétaire

Le général dénonce également les « perfidies de Bercy » qui, par des gels de crédits, des annulations et des reports de charge, empêchent l’exécution fidèle des lois de programmation militaire. Fin 2024, le report de charge pour la défense atteignait près de 7 milliards d’euros, « une hauteur qu’on n’avait jamais connue jusqu’à présent ».
Cette incertitude budgétaire paralyse l’industrie de défense qui, faute de commandes garanties sur le long terme, hésite à investir dans de nouvelles capacités de production.

Une souveraineté de défense compromise

« Nous n’avons aucune souveraineté de défense actuellement en France, » affirme le général. La France dépend largement de l’extérieur pour son équipement militaire, notamment pour les composants électroniques, souvent d’origine américaine ou chinoise.
Une remontée en puissance nécessiterait non seulement des investissements massifs, mais aussi 10 à 20 ans d’efforts pour former les officiers, recréer des régiments et reconstruire les infrastructures dilapidées ces dernières décennies.

La dissuasion nucléaire en question

Sur la question nucléaire, le général Faugère rappelle que la France dispose de deux composantes : la force océanique avec quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (dont un seul est en permanence à la mer) et la composante aéroportée avec les avions Rafale.
Avec environ 290 têtes nucléaires, l’arsenal français reste modeste face aux plus de 1 000 têtes russes ou américaines. La crédibilité de cette dissuasion repose entièrement sur le président de la République, seul à détenir le pouvoir de déclencher un tir nucléaire.
Le général conclut en soulignant l’ambiguïté française sur la définition de ses « intérêts vitaux » qui justifieraient l’emploi de l’arme nucléaire, une ambiguïté qui deviendrait encore plus « vaporeuse » dans le cadre d’une défense européenne.

La défense française en 2025

La défense française en 2025

par Alain RODIER – CF2R – Tribune libre N°175 / mars 2025

https://cf2r.org/tribune/la-defense-francaise-en-2025/


 

 

Un ancien haut diplomate qui a été ambassadeur de France, en Israël puis aux États-Unis, écrit sur X : « L’Europe assiégée[1] ». Le ton catastrophique adopté provoque la question suivante : par qui ?[2]

Dans son intervention télévisée du 5 mars, le président Emmanuel Macron s’est fait plus précis : «La menace russe est là, et touche les pays d’Europe. La Russie a fait du conflit ukrainien un conflit mondialen violant les frontières, manipulant l’information, les opinions (…)  Qui peut croire que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine ? Elle est devenue une menace pour la France et pour l’Europe. »

Certes la situation mondiale est chaotique et les évolutions à venir sont imprévisibles – les analystes n’ayant jamais rien prévu de correct -, mais à priori personne ne veut aujourd’hui envahir l’Europe.

Qu’en est-il de la menace russe ?

Il est vrai que Moscou lorgne sur les pays baltes qui commandent l’accès à l’enclave de Kaliningrad considérée comme vitale par le Kremlin, un peu comme le port de Sébastopol en mer Noire. Enfin, toujours traumatisée par l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et 45 années de servitude, la Pologne continue à fantasmer le danger que la Russie ferait peser sur elle. Il y a également le problème de la Transnistrie qui souhaite son détachement de la Moldavie pour rejoindre la Russie.

Bien logiquement les dirigeants de ces pays en appellent à la solidarité de l’OTAN (les États baltes et la Pologne en sont membres et peuvent bénéficier de l’article 5) et de l’Europe car ils savent que la Russie – malgré les grandes déficiences de son armée constatées lors de l’« opération militaire spéciale » menée en Ukraine – peut les agresser et qu’il leur sera impossible d’y répondre seuls – d’autant que les pays baltes ont des armées lilliputiennes.

Si Moscou décide de passer à l’action, cela risque plus de ressembler à la conquête de la Crimée par les « petits hommes verts » en 2014 qu’à une offensive généralisée de grande ampleur. En effet, la Russie peut compter sur les populations russophones et russophiles nombreuses dans ces États (sauf pour la Pologne) pour lui apporter leur soutien du type « cinquième colonne. »

Mais une fois énoncées ces problématiques, il n’en reste pas moins que l’armée russe n’a ni la puissance ni la volonté d’envahir l’Allemagne, la France, ni d’autres pays européens.). La Russie n’est pas l’URSS d’autrefois et, en dehors de sa puissance nucléaire, elle n’a pas les moyens humains et matériels pour constituer une menace classique pour la vieille Europe – ni d’ailleurs la volonté. Qu’est qu’elle ferait de ces pays et de leyr citoyens pour le moins « ingérables » ?.

Au demeurant, durant la Guerre froide, la puissance militaire de l’URSS et du Pacte de Varsovie avaient été volontairement surévaluées par les Américains pour des questions de présence en Europe de l’Ouest. Bien sûr, elles n’étaient pas négligeables mais la « fable » des chars russes atteignant les côtes atlantiques de l’Europe en trois jours a été de mise jusqu’à ce que les faiblesses de l’Armée rouge n’aient été dévoilées lors de la guerre en Afghanistan (1979-1989) : matériels rustiques mais dépassés, valeur combative de la troupe sujette à caution, encadrement insuffisant, corruption endémique, etc.

Toujours est-il que la situation globale est très instable et la menace peut venir de là où ne l’attend pas. Il faut donc consacrer plus de moyens à la défense mais en déterminant une priorité dans les menaces.

La menace intérieure

La menace est d’abord intérieure, provenant des nombreux activistes de toutes tendances – et plus particulièrement ceux qui se revendiquent du salafisme/djihadisme – qui n’attendent que l’occasion de passer à l’action.

Les forces de sécurité intérieures doivent être beaucoup plus nombreuses et bien formées et disposer d’un renseignement adapté. Leurs unités (gendarmerie mobile, CRS, groupes d’intervention spécialisés) doivent être bien réparties sur le territoire pour pouvoir intervenir le plus rapidement possible afin d’empêcher qu’une situation violente ne dégénère en insurrection.

Des mesures ont déjà été prises avec la « recréation » la montée en puissance des anciens RG (Direction nationale du renseignement territorial/DNRT), l’implantation des d’antennes du GIGN en région, etc. Il convient encore de renforcer les effectifs de la gendarmerie et de la police et de développer une réserve opérationnelle plus active.

La menace sur l’Europe

Il n’y a pas de corps blindé-mécanisé russe prêt à fondre sur les pays de l’Union européenne, ni de forces de quadrillage pouvant être déployées pour le contrôle des terrains conquis comme du temps du Pacte de Varsovie. S’il y a une menace conventionnelle, elle est surtout aérienne. La défense de l’espace aérien ne commence pas aux frontières de l’hexagone. Elle devrait être intégrée au niveau européen, ce qui est déjà grandement le cas.

En revanche, il existe des affrontements d’influence – en particulier grâce à la guerre cybernétique – où les amis d’hier peuvent être les adversaires du jour. S’il y a eu une prise de conscience des autorités l’insuffisance de moyens humains et techniques est toujours d’actualité.

La menace sur l’Europe est donc totalement hybride et peut alimenter les mouvements activistes intérieurs. D’où l’importance de renforcer la défense des points sensibles comme les centrales nucléaires contre des actions de type terroriste pouvant être menée par tout idéologue radicalisé.

Par ailleurs, la guerre est aussi économique et a besoin de renseignements. Il convient de développer donc les services d’acquisition du renseignement offensif et le contre-espionnage défensif, bien que beaucoup d’efforts dans ces domaines aient été consentis ces dernières années. 

Les menaces hors d’Europe

Hors d’Europe, la principale menace concerne les voies de circulation maritime par lesquelles passent nos approvisionnements et nos possessions ultramarines.

Là, ce sont les frégates multi-missions qui manquent ainsi que des moyens aériens projetés à l’extérieur (un nouveau porte-avions pourrait être utile.). Pour élargir le rayon d’action de la Marine, les drones aériens navalisés doivent être considérablement développés.

La Russie constitue un redoutable adversaire hors d’Europe – comme cela a été constaté sur le continent africain – et dans les territoires d’outre-mer, parfois via des pays tiers comme l’Azerbaïdjan. Mais les dangers à venir pourront venir d’autres acteurs comme la Chine en mal d’expansion. Il ne faut pas oublier non plus les États-Unis qui sont de redoutables prédateurs économique.

La dissuasion nucléaire

La dissuasion nucléaire reste l’ultime garde-fou qui assure l’indépendance de la France et garantit sa place de membre permanent au Conseil de Sécurité. Bien sûr, le flou doit être maintenu concernant les conditions d’emploi afin qu’un adversaire éventuel ne puisse penser les contourner.

Il convient aussi de conserver les deux composantes : l’une aéroportée, pouvant servir aussi pour une éventuelle frappe de « dernier avertissement » et l’autre sous-marine pour déclencher « ‘l’apocalypse. ». L’arme aéroportée (actuellement le missile de croisière air-sol moyenne portée amélioré ASMP-A) n’est en aucun cas une arme « tactique » destinée à emporter une décision sur un champ de bataille. Elle fait partie de la doctrine stratégique de la France[3].

En Europe, les Britanniques ne sont pas libres de mettre en œuvre les armes nucléaires stratégiques embarquées sur leurs SNLE sans l’autorisation de Washington. Par ailleurs, ils n’ont plus d’armes aéroportées. Les bombes nucléaires B-61 armant certaines forces de l’OTAN (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Italie, Turquie[4]) ne sont destinées qu’à un emploi stratégique et le décideur final reste Washington. La question qui s’est toujours posée est : les États-Unis sont-ils prêts à sacrifier des villes américaines pour tenter de sauver l’Europe ? Le général de Gaulle était persuadé du contraire d’où sa décision de développer une force de frappe totalement indépendante.

Dans le domaine nucléaire, la menace est constituée par tous les pays qui la détiennent ou qui pourraient l’avoir. Il est donc essentiel de moderniser en permanence la force de dissuasion pour qu’elle reste « crédible. »  

Tout cela coûte cher. Les responsables politiques doivent donc faire des choix. Plus on dépense pour la défense (intérieure et extérieure), moins on en fait pour l’action sociale, ce qui risque de poser des problèmes sociétaux générateurs de désordres intérieurs, pouvant être exploités ou initiés par des adversaires étatiques étrangers. C’est le serpent de mer qui se mord la queue…


[1] https://x.com/GerardAraud

[2] Plus globalement, les discours des politiques et des groupes de pression divers et variés, amplifiés à souhait par les médias en mal d’audience, sont catastrophiques pour le moral des populations, en particulier pour la jeunesse. Ils promettent un réchauffement climatique qui va causer une sorte de fin de monde (grillé ou/et noyé), des épidémies dévastatrices de type Covid, des guerres meurtrières (aujourd’hui russe, demain chinoise), des mouvements de populations apocalyptiques, un chômage endémique et le rétablissement du service militaire obligatoire… Après, on se désole que la jeunesse n’ait pas le moral !

[3] Par contre, l’emploi d’armes nucléaires « tactiques » fait partie des doctrines américaine, russe et chinoise.

[4] Qui ne possède pas d’avions capables de les emporter.

La dissuasion nucléaire française est-elle crédible face à la Russie ?

La dissuasion nucléaire française est-elle crédible face à la Russie ?

L’arsenal nucléaire français (290 têtes déployées) est sous-dimensionné pour répondre à la menace russe (1.600 têtes déployées). À quelles conditions la France pourrait-elle assurer une dissuasion à l’échelle européenne, alors que la protection des États-Unis ne semble plus garantie ?

Des avions de l’armée française en démonstration. © David ALLIGNON

Benoît Grémare, Chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Stratégie et de Défense, Université Jean Moulin Lyon 3

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Dès 2020, Emmanuel Macron a proposé une réflexion sur la dimension européenne de la dissuasion nucléaire française. En ce sens, il a proposé un dialogue stratégique ainsi que des exercices nucléaires conjoints entre les partenaires européens. Cinq ans plus tard, en février 2025, Friedrich Merz, futur chancelier fédéral, a répondu à cet appel, préconisant une extension du parapluie nucléaire français à l’Allemagne alors que les États-Unis de Donald Trump n’apparaissent plus comme un partenaire fiable pour protéger l’Europe.

Mais la France a-t-elle les capacités de défendre l’Europe ? L’hypothétique déploiement du parapluie nucléaire français en Europe de l’Est permettrait-il de concrétiser l’autonomie stratégique de l’Europe, lui donnant les moyens de se défendre en toute indépendance ?

La dissuasion nucléaire française face à la menace russe

À l’origine, la France a développé son armement atomique pour répondre à la menace de l’invasion soviétique et pour éviter toute dépendance vis-à-vis des États-Unis. Selon une doctrine stable et régulièrement réaffirmée par le pouvoir politique, Paris utiliserait son arsenal stratégique par voie aérienne et sous-marine en cas d’attaque contre ses intérêts vitaux.

Reste que, sans le soutien états-unien, le rapport de force apparaît largement défavorable à la France, laquelle dispose de 290 têtes nucléaires contre 1 600 têtes déployées (4 380 têtes avec les stocks) côté russe.

Certes, la puissance explosive des ogives thermonucléaires, alliée à la portée balistique du missile mer-sol balistique stratégique français M51, permettrait de vitrifier les principales villes russes, dont Moscou.

Mais à l’inverse, il suffirait aux Russes de « 200 secondes pour atomiser Paris », selon une estimation donnée à la télévision russe au sujet des missiles thermonucléaires Satan.

Cette opération classique de communication renvoie à la perspective dite du « goutte à goutte » consistant à détruire les villes ennemies dans un échange atomique au coup par coup, dans lequel la Russie peut compter sur son immensité pour gagner à l’usure. C’est cette potentielle vitrification réciproque qu’il faut garder à l’esprit dans le pari mutuel de la dissuasion nucléaire.

Afin de doper l’impact de la dissuasion nucléaire français, un partenariat pourrait être envisagé avec le Royaume-Uni. Puissance nucléaire depuis 1952, Londres ne possède plus que des missiles balistiques lancés par sous-marin et a décidé, depuis le Brexit, de renforcer son arsenal à 260 têtes nucléaires. Mais, bien que partageant des intérêts communs, ces deux puissances nucléaires européennes ne sont pas équivalentes.

Contrairement au Royaume-Uni, qui est membre du groupe des plans nucléaires de l’Otan et dont les ogives sont conçues aux États-Unis, la France produit ses armes sur son propre territoire et n’est soumise à aucune obligation de l’Otan, ce qui donne à Paris une grande marge de manœuvre pour définir sa doctrine. Enfin, la France reste légitime pour parler au nom de l’Union européenne, dont elle fait politiquement partie depuis sa création.

La force nucléaire française : une alternative à la dissuasion élargie des États-Unis

La France est devenue officiellement une puissance atomique dès 1960 en s’appuyant sur ses propres ressources, le soutien extérieur des États-Unis oscillant au gré des événements. Car l’apparition d’une force stratégique française indépendante a longuement contrarié Washington qui a cherché à la restreindre par des traités internationaux – comme le traité de 1963 limitant les essais nucléaires atmosphériques ou encore le Traité de non-prolifération (TNP) en 1968. Depuis 1974, officiellement, la force nucléaire française a un rôle dissuasif propre au sein de l’Otan, contribuant à la sécurité globale de l’Alliance en compliquant les calculs des adversaires potentiels.

Il y a près de soixante ans, la mise en place de la riposte graduée par le président Lyndon Johnson avait renforcé les doutes sur la détermination de la Maison Blanche à s’engager pleinement dans la défense de l’Europe. Aujourd’hui, la volonté du président Trump de mettre fin au soutien de son pays à l’Ukraine confirme ces soupçons. Dès lors, des voix de plus en plus manifestes et insistantes plaident pour l’acceptation d’une force nucléaire française qui ne serait plus chimiquement pure, mais qui s’étendrait à l’échelle européenne.

Le pré-positionnement du parapluie nucléaire français en Europe de l’Est

La demande du futur chancelier allemand Friedrich Merz rejoint la proposition française d’établir un dialogue engageant les Européens dans une démarche commune. Comme l’a rappelé le ministre des armées, la définition précise de l’intérêt vital relève de la seule responsabilité du président de la République française en fonction des circonstances. Pour autant, l’emploi de l’arme nucléaire pour protéger l’Europe implique une discussion stratégique pour définir la puissance à acquérir, les intérêts à défendre et le mode de commandement du feu nucléaire.

Avancer vers le cadre d’une européanisation de la force nucléaire signifie augmenter les capacités de dissuasion et, donc, accroître l’arsenal français pour lui permettre de répondre aux menaces qui concernent l’ensemble des 27 États membres de l’Union européenne. Cela nécessite de constituer des stocks supplémentaires de matières fissiles et donc de réactiver les usines de production de Pierrelatte (Drôme) et Marcoule (Gard) démantelées en 1998, sacrifiées sur l’autel du désarmement unilatéral.

Le dogme de la stricte suffisance doit également être questionné. Si aujourd’hui, 290 têtes nucléaires représentent la valeur que la France accorde à la défendre de son existence, ce prix paraît négliger l’échelle du continent européen, et la logique le confirme : les puissances nucléaires de taille continentale telles que les États-Unis, la Russie et bientôt la Chine déploient un arsenal à hauteur d’un millier de têtes thermonucléaires.

La remontée en puissance prendra du temps et nécessitera un effort budgétaire pour son extension européenne au travers de l’augmentation du nombre de missiles et d’avions porteurs. Outre la construction de nouvelles infrastructures dans les pays européens partenaires, le coût pourrait dépasser 10 milliards d’euros annuels, sans compter les coûts indirects liés à la maintenance et à la logistique. Un temps long à prendre en compte d’autant que l’offre politique et stratégique d’une protection nucléaire élargie évolue au gré des circonstances.

Alors que Berlin préférait jusqu’à présent que la France assume un rôle simplement complémentaire à la dissuasion élargie des États-Unis, l’abandon de l’Ukraine par ces derniers donne une prime à l’agresseur russe. Comme l’indique Emmanuel Macron, la France pourrait en réaction proposer un prépositionnement de ses forces nucléaires dans les pays d’Europe de l’Est avec l’idée de se substituer à terme aux États-Unis.

Ce parapluie nucléaire français concrétiserait l’autonomie stratégique européenne à travers le déploiement d’avions de combat à capacité nucléaire, signe de la solidarité politique européenne et rendant plus difficiles les calculs de Moscou.

La présence visible de ces avions en Europe de l’Est pourrait empêcher la Russie d’attaquer les pays en question avec des moyens conventionnels, une telle attaque risquant de provoquer une riposte nucléaire française au nom de l’Europe.

La dissuasion nucléaire française peut-elle devenir européenne ?

La dissuasion nucléaire française peut-elle devenir européenne ?

Alors que les États-Unis pourraient réduire leur engagement en Europe, la dissuasion nucléaire française apparaît comme une solution.

Par Clément Machecourt – Le Point –

https://www.lepoint.fr/politique/la-dissuasion-nucleaire-francaise-peut-elle-devenir-europeenne-01-03-2025-2583611_20.php


Le 24 février, un article du Telegraph jette le trouble. Le quotidien britannique annonce que le bouclier nucléaire français pourrait s’étendre à toute l’Europe, avec le stationnement d’avions Rafale, porteurs de l’arme nucléaire, en Allemagne. Aucune déclaration officielle ne vient confirmer les propos d’une source anonyme française. L’information tombe alors qu’Emmanuel Macron est en visite à Washington pour faire entendre raison à Donald Trump sur le règlement du conflit ukrainien.

Plus récemment, le futur chancelier allemand, Friedrich Merz, s’est dit prêt à se placer sous la dissuasion nucléaire française. Un signe supplémentaire montrant que les chancelleries européennes considèrent le scénario d’un désengagement militaire des États-Unis du Vieux Continent.

« Les pays européens se sont rendu compte que les États-Unis ne risqueraient jamais un conflit nucléaire avec la Russie pour un pays européen », analyse Étienne Marcuz, spécialiste des systèmes balistiques et ancien membre du ministère des Armées. Une situation qui pousse à repenser le rôle de l’arsenal français en Europe.

Dès 2020, dans un discours prononcé à l’École de guerre, Emmanuel Macron avait bien souligné que « les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ». « Dans cet esprit, je souhaite que se développe un dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont prêts, sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective. »Un message en partie brouillé en octobre 2022 quand le président avait affirmé que les intérêts vitaux de la France ne seraient pas menacés en cas d’attaque balistique nucléaire en Ukraine ou dans la région.

« C’est français et ça restera français »

Désormais, « il faudrait avoir des déclarations bilatérales fortes, au moins avec les Allemands, éventuellement les Polonais, peut-être les Suédois, comme celle faite avec les Britanniques à l’époque de Jacques Chirac », suggère Héloïse Fayet, chercheuse en prolifération nucléaire et balistique à l’Ifri. En 1995, Paris et Londres avaient déclaré ne pas imaginer « de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’un de nos deux pays, la France et le Royaume-Uni, pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l’autre le soient aussi ».

Sur le plan opérationnel, l’intégration européenne pourrait passer par des exercices conjoints. Jusqu’ici, seul un avion ravitailleur italien a participé en 2022 aux exercices français « Poker » de simulation de frappe nucléaire. « On pourrait très bien faire un équivalent de Poker à l’échelle européenne, avec des tactiques dégradées », propose Étienne Marcuz, c’est-à-dire sans partager toutes les procédures sensibles. La dissuasion pourrait-elle être un jour partagée ? « C’est français et ça restera français », a réaffirmé sur France Info le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Le message est clair : le président de la République restera le seul à pouvoir déclencher le feu nucléaire.

Mais la France aurait-elle les épaules assez solides pour assumer seule la défense de ses intérêts vitaux sur l’ensemble du continent européen ? Face aux 300 armes nucléaires françaises, représentant la « stricte suffisance » d’un arsenal au caractère avant tout défensif, Les États-Unis alignent 3 700 têtes nucléaires, la Russie près de 6 000 ogives. Le Royaume-Uni, bien que n’étant plus membre de l’Union européenne, dispose de 225 têtes, mais sa dissuasion repose principalement sur la technologie américaine.

Un manque de capacités conventionnelles

« Ce n’est pas tant une question de nombre que de flexibilité de l’arsenal », souligne Étienne Marcuz, qui plaide pour une approche combinant capacités nucléaires et conventionnelles. « Il faut réussir à dissuader les attaques qui ne relèvent pas de nos intérêts vitaux. Dans ce cas-là, c’est aux forces conventionnelles de le faire », renchérit Héloïse Fayet. Le projet européen Elsa (European Long-Range Strike Approach) initié par la France pour développer conjointement un ou des missiles capables de frappes longue portée et de précision, en est un exemple. Une capacité permettant de rester « sous le seuil » et qui manque cruellement dans les armées européennes, pourtant conscientes de son importance dans le conflit en Ukraine.

Mais cette européanisation de la dissuasion française ne viserait pas, pour le moment, à remplacer la dissuasion élargie américaine, estime Héloïse Fayet : « C’est donner des garanties supplémentaires au cas où la dissuasion américaine soit moins crédible. » D’autant que le retrait des armes nucléaires américaines d’Europe, une centaine de bombes à gravité B61 réparties en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, en Allemagne et en Turquie, semble peu probable à court terme. Ces dernières jouant aussi un rôle dans la lutte contre la prolifération nucléaire au sein même de l’Europe.

Et hormis la Turquie, tous les autres pays qui accueillent des B61 achètent le F-35A américain pour remplacer leurs anciens avions. Un marché représentant plusieurs milliards de dollars de contrat pour la base industrielle et technologique de défense américaine.

Le pacte des flous – Quelles garanties de sécurité pour l’Ukraine ? par Michel Goya

Le pacte des flous – Quelles garanties de sécurité pour l’Ukraine ?


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le pacte des flous – Quelles garanties de sécurité pour l’Ukraine ?


En bon homme d’affaires qu’il croit être, y compris quand elles sont étrangères, Donald Trump considère le produit Ukraine comme peu rentable au sein d’un marché, l’Europe, peu porteur. On appelle cela un « poids mort » dans la vieille matrice du Boston Consulting Group, et le conseil est de s’en débarrasser au plus vite pour pouvoir mieux se concentrer sur des marchés plus profitables, comme le Moyen-Orient (qui serait classé comme « dilemme » par le BCG) et surtout l’Asie (« vedette »). Les Américains réduisent donc leurs parts au sein de l’OTAN, tout en conservant une position de contrôle et en obligeant les associés européens à payer plus, notamment pour acheter américain (le BCG parlerait dans ce cas de « vache à lait »), et vendent l’Ukraine à la Russie.

Chacun essaie donc de monnayer le maximum au sein de ce grand marchandage imposé. Du côté ukrainien, où l’on s’efforce de montrer que le poids mort est bien vivant, un des objectifs principaux est d’échanger l’acceptation d’un arrêt des combats, plus ou moins sur les positions actuelles, contre des garanties de sécurité. L’expression « garanties de sécurité » est une manière diplomatique de dire « dissuasion », et « dissuasion » est synonyme de « faire peur ». L’objectif final de l’Ukraine est donc d’avoir un dispositif militaire national et/ou intégré dans une forme d’alliance suffisamment fort pour persuader la Russie qu’une nouvelle offensive de sa part aboutirait à un désastre pour elle.

La première garantie de sécurité d’un État est sa propre armée. L’armée ukrainienne est déjà la plus importante d’Europe, et on l’a vue suffisamment forte pour tenir tête à celle de la Russie, à défaut de pouvoir libérer les territoires occupés. Le problème est qu’au contraire de la Russie, qui n’a que modérément mobilisé la nation, l’Ukraine ne peut maintenir après-guerre son énorme effort et sera obligée de réduire ses capacités militaires. Autrement dit, le rapport de forces militaires relativement équilibré actuellement basculera forcément à nouveau en faveur de la Russie, avec tous les risques que cela comporte pour l’Ukraine ou d’ailleurs les autres nations du voisinage.

Il faut donc trouver quelque chose qui puisse compenser ce futur rapport de forces défavorable. Cela pourrait être l’arme nucléaire, comme Volodymyr Zelensky l’a déjà évoqué. Ce n’est pas impossible techniquement, mais les risques politiques seraient énormes. Il y a peu de chances que la communauté internationale accepte un tel projet, et encore moins, bien sûr, la Russie qui saisirait immédiatement cette occasion pour reprendre la guerre. Il faut trouver autre chose.

L’« autre chose » privilégié par Kiev est l’adhésion à l’OTAN afin de bénéficier de l’article 5 de la charte de l’Alliance atlantique, engageant ses membres à la solidarité en cas d’agression d’un des leurs, et dans l’immédiat d’une structure militaire spécifique de commandement, d’exercices et de plans communs, de procédures d’interopérabilité, etc. Ce n’est pas forcément si protecteur que cela quand on regarde de près, mais c’est déjà beaucoup mieux que les déclarations d’intentions fumeuses du mémorandum de Budapest de 1994. L’Ukraine, suffisamment bonne élève pour s’être engagée massivement en Irak aux côtés des Américains de 2003 à 2008, souhaite intégrer l’OTAN depuis vingt ans. La question a été évoquée au sommet de l’Alliance atlantique à Bucarest en 2008 pour décider de la mettre en veilleuse, ce qui a eu le don à la fois de décevoir Kiev et d’effrayer les paranoïaques de Moscou qui ont décidé d’être plus offensifs, en Géorgie d’abord et en Ukraine ensuite. L’Ukraine a déposé une demande formelle d’adhésion à l’alliance le 30 septembre 2022, et le sujet a été abordé à l’été 2023, avec un nouveau renvoi aux calendes grecques de la part de Joe Biden. Dans l’immédiat, Trump, qui n’a probablement jamais entendu parler des calendes grecques, veut un accord de paix et sait que l’idée d’une adhésion à l’OTAN l’exclurait totalement. À défaut, l’Ukraine pourrait se tourner vers l’Union européenne, qui est également en droit une alliance militaire puisque l’article 42 du traité de l’Union impose à ses membres une assistance plus contraignante que l’article 5 de l’Alliance atlantique. Dans les faits, personne n’est dupe sur la valeur d’un tel engagement, mais la perspective d’une entrée dans l’UE est à peine moins incertaine que celle d’une adhésion à l’OTAN.

À défaut d’alliance, l’administration Trump a proposé un lot de consolation à Volodymyr Zelensky sous la forme du déploiement d’une force en Ukraine, sans troupes américaines et sans bannière de l’OTAN, et surtout sans mission claire, comme s’il s’agissait d’une fin en soi. Dans les faits, soit cette force est destinée simplement à observer les choses en excluant toute idée de combat – comme une force des Nations Unies sous casques bleus – soit elle est destinée à combattre en cas d’attaque russe.

Le premier cas n’apporterait évidemment pas plus de garantie de sécurité pour les Ukrainiens que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) après les accords de Minsk. Son seul intérêt est qu’une force impuissante, oxymore, serait acceptable pour la Russie et qu’elle permettrait à l’Ukraine de sauver un peu la face à défaut de toute autre solution. Cela permettrait également aux nations qui veulent montrer qu’elles font quelque chose « pour la paix » mais sans prendre de risques, de montrer le drapeau et éventuellement, en cas de missions des Nations Unies, de gagner de l’argent. Peu importe au passage le volume de cette force, de 0 à 200 000, puisqu’elle ne servirait à rien, sauf peut-être à mettre dans l’embarras la Chine si par extraordinaire elle décidait d’y participer.

Le second cas est évidemment beaucoup plus utile pour les Ukrainiens mais aussi, forcément, plus problématique pour tous les autres. Concrètement, il s’agirait, a priori pour les seules nations européennes, de déployer des unités de combat le long de la ligne de cessez-le-feu afin de combattre aux côtés des forces ukrainiennes en cas de nouvelle invasion.

S’il y a des moyens disponibles et une volonté, les principaux pays européens pourraient déployer chacun une brigade de 3 à 5 000 hommes renforcés de bataillons de plus petites nations. Au total, si tout le monde était d’accord, on pourrait avoir au grand maximum 40 à 50 000 soldats européens (c’était le volume des forces européennes déployées en Afghanistan) au sein d’unités de combat solides et bien équipées. Dans les faits, tout le monde ne sera pas d’accord à prendre des risques, et si on parvenait à déployer un corps d’armée de 20 000 combattants européens et canadiens, et peut-être même australiens par solidarité historique avec le Royaume-Uni, ce serait déjà extraordinaire. C’est assez peu quand on compare avec le volume des armées russe et ukrainienne qui s’affrontent actuellement, mais suffisant quand même pour résister en attendant des renforts, notamment aériens. Ces brigades serviraient en fait surtout de forces « détonateurs », à l’instar par exemple des bataillons multinationaux déployés dans les pays baltes. S’attaquer à elles entraînerait automatiquement les pays européens fournisseurs dans la guerre, ce qui poserait un énorme dilemme à la Russie. Bien entendu, l’Ukraine serait ravie d’une telle perspective, alors que la Russie ne voudra jamais en entendre parler, continuerait le combat si on en parlait quand même, et activerait tous ses relais d’influence pour la combattre « au nom de la paix ». Ce n’est pas la peine d’envahir l’Ukraine pour l’empêcher de rejoindre une alliance militaire, si des brigades de cette même alliance – même sans bannière – viennent en Ukraine pour la défendre. Si la Russie s’y oppose, les États-Unis s’y opposeront aussi.

Résumons : si une force étrangère doit être déployée un jour en Ukraine, elle ne sera en rien dissuasive face à la Russie et ne servira donc à pas grand-chose, sinon à offrir un « lâche soulagement » à certains et peut-être prodiguer un peu d’aide humanitaire.

Que faire alors ? Outre la continuation de l’aide à l’Ukraine et à son armée sous forme de coopération, les États qui restent encore pour aider vraiment les Ukrainiens n’ont pas d’autres solutions que de proposer une alliance de fait et à distance. Concrètement, il s’agirait d’utiliser les forces aéroterrestres présentes en Pologne et en Roumanie comme force d’action préventive en cas de crise semblable à celle de l’hiver 2021-2022. Dissuader, ce n’est pas simplement déployer des moyens, mais aussi persuader que l’on va les utiliser. Il faudra donc expliquer à tous qu’en cas de nouvelles tensions avec la Russie, comme à l’hiver 2021-2022, et sur la demande du gouvernement ukrainien, cette force serait engagée avec certitude et en quelques jours pour protéger le ciel ukrainien, renforcer les forces terrestres ukrainiennes et placer la Russie devant le fait accompli et le dilemme de l’escalade. Cela demandera quand même quelques moyens supplémentaires, si possible autonomes des Américains peu fiables, une approbation manifeste des opinions publiques, et un peu de courage politique. Pour paraphraser une réplique de La grande vadrouille, c’est surtout là qu’est l’os, hélas.

Vers une arme nucléaire sud-coréenne ? Considérations politiques et stratégiques

Vers une arme nucléaire sud-coréenne ? Considérations politiques et stratégiques

Note

par Emmanuelle Maitre – Fondation pour la recherche stratégique – publié le 29 janvier 2025

Le 11 janvier 2023, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol a provoqué de vives réactions en indiquant que la Corée du Sud pourrait envisager de se doter de l’arme nucléaire « si les menaces nord-coréennes [devenaient] plus sérieuses »

Cette réflexion est principalement alimentée par les progrès des capacités nord-coréennes et l’évolution de l’asymétrie perçue entre le Nord et le Sud. Sous l’administration Biden, les États-Unis n’ont pas ménagé leurs efforts pour rassurer leur allié sud-coréen et afficher la robustesse de l’alliance américano-sud-coréenne, et en particulier de la dissuasion élargie américaine dans la région. Cependant, l’élection de Donald Trump le 5 novembre 2024 soulève de nouvelles questions sur la fiabilité du soutien américain.

Si le débat sur l’opportunité pour la Corée du Sud de développer sa propre dissuasion nucléaire n’est pas nouveau, il est probablement appelé à connaître de nouveaux développements en 2025.

État du débat à Séoul

Certains observateurs estiment qu’on ne peut parler de débat nucléaire à Séoul, mais plutôt de « cacophonie »

En effet, on observe davantage des déclarations souvent politisées à fins électoralistes, et peu de réflexions construites sur les tenants et aboutissants des différentes options. En particulier, les avantages stratégiques mais également les coûts liés au développement d’un programme nucléaire ne sont pas mis en avant dans cette discussion

L’objectif des appels au développement de capacités nucléaires autonomes semble être avant tout de répondre à une demande de l’opinion publique, qui apparaît de manière constante favorable à ce projet. En effet, l’analyse de différentes études et sondages d’opinion montre depuis plusieurs années un soutien marqué au développement d’un programme nucléaire. Ainsi, depuis 2016, dans une enquête d’opinion conduite à fréquence régulière, entre 60 % et 70 % des sondés se positionnent en faveur de cette option

Ce soutien est particulièrement fort chez les électeurs du parti conservateur PPP. De manière notable, cette adhésion populaire ne reflète pas simplement un manque de confiance dans l’allié américain et la stratégie de dissuasion élargie américaine. Au contraire, les personnes se situant en faveur de l’option nucléaire sont plus susceptibles, selon les sondages, d’être confiantes dans la solidité de cette alliance. Au-delà d’une crainte d’un moindre engagement américain, ce positionnement reflète donc principalement un calcul stratégique des sondés, qui jugent en majorité que seule la possession d’armes nucléaires par Séoul pourrait rétablir un équilibre stratégique sur la péninsule et dissuader une agression nord-coréenne

Il est également à souligner que le soutien à la nucléarisation du pays s’effrite peu lorsque les sondés sont informés des coûts probables d’un programme nucléaire, par exemple en termes de sanctions et d’isolement international

Dans ce contexte, des discussions régulières sont observées non seulement sur la péninsule, mais aussi à l’extérieur, avec une interrogation de plus en plus sérieuse quant à la possibilité pour les dirigeants sud-coréens de résister à cette pression populaire en faveur d’un programme national. Cette préoccupation est d’autant plus forte que la Corée du Nord est perçue comme une menace dont l’acuité s’accroît, et que l’élection de D. Trump ajoute de l’incertitude sur la possible trajectoire de la politique américaine dans la région.

Rapports de force sur la péninsule

Le développement des capacités militaires, en particulier nucléaires, de la Corée du Nord est un facteur important de tension à Séoul et d’interrogations sur la meilleure stratégie à mettre en œuvre pour dissuader Pyongyang de s’en prendre aux intérêts du pays.

Parmi les développements préoccupants figurent les efforts produits par la Corée du Nord pour développer une capacité de seconde frappe crédible, capable de toucher non seulement Guam et Hawaii mais également l’Alaska et le territoire continental américain. À travers le développement de plusieurs programmes de missiles balistiques intercontinentaux à vocation nucléaire, Pyongyang a considérablement crédibilisé sa posture de dissuasion

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Par ailleurs, le développement en Corée du Nord d’un arsenal fourni d’armes de courte portée, missiles balistiques et quasi-balistiques, en particulier, accentue la vulnérabilité de certaines infrastructures critiques sud-coréennes et suscite de nouveaux scénarios d’escalade reposant sur l’emploi d’armes conventionnelles, chimiques ou nucléaires

Les responsables sud-coréens ont cherché à prendre en compte ces évolutions en adaptant leur stratégie de dissuasion et de défense. En 2013, le ministère a mentionné pour la première fois la notion de « kill chain », qui vise à conduire des frappes préventives sur les sites nucléaires et de missiles nord-coréens en amont d’une frappe

Cette stratégie a été rebaptisée « Strategic Target Strike » en 2019. En parallèle, en septembre 2016, l’administration de Park Geun-hye a détaillé une nouvelle stratégie intitulée « Korea Massive Punishment and Retaliation » (KMPR). Ce plan prévoit des représailles massives en cas d’attaque nord-coréenne, et notamment des frappes de précision contre les dirigeants du pays et des cibles militaires d’importance. Il est à l’origine du développement d’un arsenal balistique particulièrement développé côté sud-coréen, avec la gamme des Hyunmoo, qui inclut des systèmes quasi-balistiques, des missiles mer-sol ou encore des systèmes extrêmement lourds visant à frapper des cibles enfouies, comme le Hyunmoo-5, présenté à l’été 2024

Enfin, Séoul investit massivement dans des capacités de défense antimissile, avec l’acquisition de systèmes américains sur étagère mais également le développement de technologies nationales. La combinaison de ces trois dimensions (frappe préemptive, dissuasion par représailles et dissuasion par interdiction) forme la stratégie des « trois axes »

Malgré ces réflexions doctrinales et ses efforts capacitaires offensifs et défensifs, Séoul considère que ces éléments de dissuasion conventionnelle ne peuvent être suffisants face à un adversaire nucléarisé. Elle insiste donc fortement sur la nécessité de la dissuasion élargie américaine et réclame à Washington des assurances sur le fait que toute agression nucléaire nord-coréenne aurait pour réponse une riposte nucléaire

Comme évoqué précédemment, les garanties américaines ne parviennent cependant pas à rassurer une majorité de Coréens, qui préfèreraient disposer d’une force nucléaire indépendante. Le retour à la Maison Blanche de l’administration Trump pourrait renforcer ces questionnements.

La dissuasion élargie américaine et l’administration Trump II

Le débat nucléaire en Corée du Sud a été perçu avec inquiétude par l’administration Biden, qui a investi de nombreuses ressources diplomatiques pour convaincre le gouvernement sud-coréen de la solidité de ses engagements. Ces initiatives ont notamment débouché sur la déclaration de Washington, publiée le 26 avril 2023

Dans ce document, Joe Biden et Yoon Suk-yeol ont rappelé que « toute attaque nucléaire par la Corée du Nord contre la Corée du Sud sera contrée par une réponse rapide, puissante et décisive [swift, overwhelming and decisive response] ». Le texte pointe la création d’un nouveau forum de concertation sur les questions nucléaires, le Nuclear Consultative Group (NCG), qui a pour vocation de « renforcer la dissuasion élargie, discuter de planification nucléaire et stratégique, et gérer la menace au régime de non-prolifération posée par la Corée du Nord ». Est également prévue une meilleure intégration des forces conventionnelles sud-coréennes aux exercices nucléaires américains et la réalisation de simulations conjointes de gestion de crises nucléaires sur la péninsule. Washington indique que ses capacités stratégiques, bombardiers mais également sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, seront plus fréquemment déployées en Corée du Sud, ce qui n’était pas le cas précédemment

Yoon Suk-yeol lui-même a décrit ces engagements comme « une extension sans précédent et un renforcement de la stratégie de dissuasion intégrée », et a noté que cette déclaration devrait « soulager les inquiétudes des Sud-Coréens liées aux armes nucléaires nord-coréennes »

Kim Gi-hyeon, le président du Parti conservateur au pouvoir, le PPP, a pour sa part jugé que l’accord était « très important » et constituait un « succès diplomatique notable »

Kim Tae-hyo, directeur adjoint au National Security Office, a déclaré que les « citoyens sud-coréens pourront de facto considérer être en situation de partage nucléaire avec les États-Unis »

Cette démarche venait répondre à des doutes et interrogations vis-à-vis de l’alliance américano-sud-coréenne nées lors de la première administration Trump. D’une part, le président républicain avait prononcé un certain nombre de commentaires et de remarques regrettant les coûts pour les États-Unis de la défense sud-coréenne

Tout comme avec l’Europe, Trump avait appelé les Sud-Coréens à contribuer davantage à leur propre défense

Cette logique transactionnelle a pu atténuer la confiance de Séoul vis-à-vis de son partenaire. De plus, les initiatives diplomatiques de Trump envers Kim Jong-un, matérialisées par la rencontre de Singapour le 12 juin 2018, ont également été perçues avec circonspection à Séoul. En particulier, cette rencontre avait eu pour conséquence l’annulation par Washington de certains exercices conjoints, une décision regrettée en Corée du Sud.

L’entrée en fonction de Donald Trump en janvier 2025 pourrait à nouveau compromettre la confiance du gouvernement sud-coréen dans la solidité des garanties américaines. A peine élu pour un second mandat, le président républicain a rapidement critiqué l’accord entre les deux pays sur le stationnement de troupes américaines en Corée renégocié en octobre 2024, jugeant que s’il avait été à la Maison Blanche, il aurait demandé bien plus à Séoul, à laquelle il a reproché de considérer les États-Unis comme un « distributeur de billets »

Le caractère imprévisible de D. Trump et l’absence de stratégie assumée et annoncée pendant la campagne empêche d’anticiper la politique qui sera menée vis-à-vis de Pyongyang. Néanmoins, il est possible que Trump cherche à reprendre ses efforts de négociations avec Kim Jong-un. De tels développements seraient observés avec beaucoup d’intérêt à Séoul, en particulier si les États-Unis acceptaient des concessions sur leur présence sur la péninsule, en termes de troupes ou d’armements. Enfin, les menaces du président républicain de réduire la présence américaine de manière unilatérale pour forcer ses alliés à davantage financer leur défense sont également une cause de préoccupation en Corée du Sud. 

Cependant, à l’inverse, si certains conseillers républicains devaient avoir des marges de manœuvre dans la définition de la politique coréenne, cela pourrait favoriser un certain renforcement de la dissuasion élargie, compatible avec certaines préférences exprimées à Séoul. En effet, plusieurs experts ayant servi dans la première administration Trump ont soutenu l’accroissement des capacités nucléaires en Asie, en particulier la remise en service de missiles de croisière nucléaires embarqués (SLCM-N) ou le déploiement d’un plus grand nombre de systèmes de défense antimissile dans la région

Ces propositions découlent notamment de la perception de la Chine comme menace justifiant le renforcement de la posture de dissuasion en Indopacifique. Enfin, certains ont noté que Trump pourrait adopter une attitude tolérante vis-à-vis de Séoul si le pays venait à se lancer dans un programme nucléaire, suivant ainsi l’analyse selon laquelle cela lui permettrait de se défendre plus efficacement à moindre coût pour Washington

Les obstacles au développement d’un programme national

La période qui s’ouvre se caractérise donc par une grande incertitude, et il est certain que les appels au développement d’un programme nucléaire national sud-coréen risquent de redoubler d’intensité. Ces pressions sont préoccupantes, en particulier pour la robustesse du régime de non-prolifération. Pour autant, une éventuelle nucléarisation de la Corée du Sud fait face à un certain nombre d’obstacles.

Premièrement, un retrait du TNP et le développement d’un programme nucléaire militaire porteraient un risque énorme de fracturation de l’alliance avec les États-Unis et donc un coût immédiat majeur en termes de sécurité. Certains experts sud-coréens sont certains que les États-Unis, notamment des membres du cercle rapproché de D. Trump, pourraient in fine faire preuve d’une certaine tolérance vis-à-vis de Séoul et ne soumettraient pas le pays à un régime de sanctions sévères. Il est néanmoins très probable que Washington s’opposerait à ce changement de statut, y compris en application automatique de ses lois nationales comme le Nuclear Non-Proliferation Act de 1978, qui interdit toute coopération avec des États proliférants, et le Nuclear Proliferation Prevention Act de 1994, qui requiert l’adoption de sanctions à l’égard des entités proliférantes. Outre le risque d’un retrait des troupes américaines stationnées en Corée du Sud, Séoul serait donc très probablement également confrontée à des conséquences économiques et technologiques

Même dans le cas le plus favorable où les États-Unis accepteraient plus ou moins tacitement la situation, de nombreux pays imposeraient des sanctions à la Corée du Sud, qui, du fait de sa forte intégration au sein de l’économie mondiale, subirait des retombées économiques majeures. En raison des coopérations approfondies avec plusieurs pays, dont les États-Unis, sur le secteur du nucléaire, une telle décision aurait également des effets technologiques puisque la filière serait lourdement impactée, en particulier en ce qui concerne l’approvisionnement en combustible nucléaire

Les élites coréennes sont vraisemblablement conscientes des conséquences majeures qu’entraînerait la nucléarisation du pays et des sacrifices engendrés. En effet, les responsables politiques, notamment au sein du Parti conservateur, ont pu se montrer moins revendicatifs sur ce sujet une fois aux responsabilités. Néanmoins, comme indiqué précédemment, le fait que la crainte des sanctions dissuade peu l’opinion publique dans son soutien au lancement d’un programme nucléaire national semble traduire deux éléments : tout d’abord, une confiance peut-être excessive dans le fait que les sanctions seraient légères et que Washington en particulier chercherait des moyens de s’extraire de sa propre législation de non-prolifération pour des motifs d’intérêt stratégique. Deuxièmement, ce positionnement pourrait refléter une réelle crainte de la Corée du Nord qui justifie aux yeux des personnes interrogées des sacrifices y compris au regard des autres priorités nationales

Conclusion

Dès le 11 novembre 2024, des élus du parti présidentiel PPP discutaient des options s’offrant à la Corée du Sud suite à l’élection de Donald Trump. La majorité des participants soutenaient l’idée d’à tout le moins développer les capacités nucléaires pour être un État du seuil, prêt à revendiquer son statut d’État nucléaire en cas de besoin. Certains élus proposaient l’adoption d’une loi forçant le pays à acquérir une arme nucléaire en cas de nouvelle « provocation » du Nord

Cette réunion traduit une atmosphère d’inquiétude à Séoul, qui fait face à une Corée du Nord qui ne ralentit pas ses efforts de modernisation, y compris dans le domaine nucléaire, et un allié américain redevenu imprévisible. 

Dans ces circonstances, il sera inévitable pour Séoul de faire émerger un débat construit sur ce sujet, prenant en compte l’ensemble des variables et conséquences liées à un changement de politique : les effets stratégiques bien sûr, et les conséquences dans les relations intercoréennes d’une prolifération sud-coréenne, mais aussi les conséquences dans les relations avec les autres États de la région. Les retombées sur les alliances et partenariats qu’entretient aujourd’hui Séoul devront être correctement anticipées, tout comme les effets économiques et technologiques. Enfin, le retrait du TNP par la Corée du Sud affecterait durablement la norme de non-prolifération, ce qui aurait des effets dommageables d’ordre global.

Opération Poker : une démonstration de force des Forces aériennes stratégiques

Opération Poker : une démonstration de force des Forces aériennes stratégiques

Jean-Baptiste Leroux – armees.com – Publié le

Les forces aériennes stratégiques ont achevé une nouvelle édition de l'opération Poker. Défense.gouv
Les forces aériennes stratégiques ont achevé une nouvelle édition de l’opération Poker. Défense.gouv | Armees.com

 

Dans la nuit du 17 au 18 décembre 2024, les Forces aériennes stratégiques françaises ont mené avec succès une nouvelle édition de l’opération Poker. Cet entraînement d’envergure met en lumière la maîtrise opérationnelle et l’expertise technique de la composante nucléaire aéroportée.

Un exercice stratégique au cœur de la dissuasion nucléaire

L’opération Poker, organisée quatre fois par an, incarne le savoir-faire des Forces aériennes stratégiques (FAS). Cette manœuvre militaire d’ampleur vise à simuler un raid nucléaire d’entraînement au-dessus du territoire français. Lors de cette édition, le général de corps aérien Stéphane Virem a dirigé les opérations depuis le centre opérationnel de Taverny, soulignant l’importance stratégique de cet exercice.

Au cœur de cet entraînement, une quarantaine d’aéronefs, dont les Rafale B de la 4e escadre de chasse et les ravitailleurs A330 MRTT Phénix, ont été mobilisés. En parallèle, des avions conventionnels, comme les Mirage 2000-5 et les Rafale C, ont soutenu le raid. L’ensemble de l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) a été impliqué, y compris les bases aériennes et aéronavales, les contrôleurs aériens et les unités de défense sol-air. Ce déploiement massif vise à reproduire des conditions réalistes et exigeantes pour tester la réactivité des équipages et la coordination interarmées.

Innover pour garantir la crédibilité opérationnelle

L’opération Poker dépasse la simple répétition de procédures. Elle joue également un rôle clé dans le développement de nouvelles tactiques, intégrant le multimilieu et le multichamp (M2MC). Cette approche innovante permet de s’adapter aux défis contemporains et de renforcer la posture de dissuasion française. Chaque étape, de la planification à l’exécution, est minutieusement évaluée pour identifier les marges d’amélioration.

Au-delà de l’entraînement, l’exercice a pour objectif de démontrer la crédibilité opérationnelle de la composante nucléaire française à ses alliés et partenaires internationaux. Cette édition de décembre 2024 a réaffirmé la place centrale des FAS dans la stratégie de dissuasion nucléaire, tout en mettant en avant l’engagement et l’expertise de l’ensemble des personnels impliqués.