Les cultures française et américaine en terme de grandes unités de 1936 à nos jours

Les cultures française et américaine en terme de grandes unités de 1936 à nos jours


 

En 1935, sous l’impulsion vigoureuse donnée par le général Weygand, cinq ans plus tôt, l’armée française mettait sur pied la 1re Division Légère Mécanique (D.L.M.) qui était en fait la première division blindée existant en Europe. On le sait peu !

Depuis cette date, plusieurs types de divisions ont été conçus, en national, la D.M.R. et les divisions « Lagarde » tandis que, à d’autre périodes, sous l’influence des États-Unis, et de l’OTAN, d’autres types de divisions ont vu le jour, au sein de l’armée de Terre, la division 59 puis la division 67, et enfin la « division de classe OTAN » actuelle. La question est donc posée : existe-t-il une culture militaire française en termes de définition de grandes unités et, dans quelle mesure diffère-t-elle de la culture américaine et otanienne en la matière ?

La réponse est absolument affirmative, il existe bien une culture militaire française à cet égard, culture fondée sur la souplesse à la fois de l’organisation du commandement et de la manœuvre. Cette culture s’oppose fondamentalement à la culture militaire américaine, fondée uniquement sur la masse des moyens.

Les caractéristiques des deux systèmes français et américains.

Quels sont les trois critères principaux respectifs des cultures militaires française et américaine en la matière ?

Tout d’abord, pour le cas français, la stricte adaptation des niveaux de commandement tactique à ceux de la manœuvre : En dessous du niveau tactico-stratégique ou tactico-opératif, constitué par l’Armée, il n’existe que trois niveaux — corps d’armée, division et régiment/groupement — correspondant aux trois niveaux de conception, conduite et exécution de la manœuvre interarmes. Dans le système français, depuis 1916, l’échelon de la brigade n’existe pas. La division constituant l’échelon de conduite de la manœuvre, les appuis qui lui sont alloués sont réduits aux seuls appuis directs, l’essentiel de ceux-ci étant regroupés au niveau du corps d’armée où ils constituent des « éléments organiques ».

Considérant que l’on ne manœuvre bien qu’avec quatre pions, le système français privilégiera toujours la quaternisation en termes d’organisation divisionnaire et régimentaire. Cette quaternisation permet également un mixage optimal des moyens (blindés et mécanisés) au sein des groupements.

Enfin, le système français s’efforce de toujours faire coïncider l’organisation organique sur le besoin opérationnel, ce qui permet de disposer d’une grande cohérence en terme de préparation opérationnelle (entraînement autrefois). Cette corrélation organique —opérationnel n’est aucunement exclusive de la possibilité de mixage des unités (par échanges entre régiments), pour former des groupements temporaires, mieux adaptés à la mission et au terrain. Ce principe n’a été respecté que jusqu’à l’adoption des principes de « modularité » et de « réservoir de forces » fondements de la « Refondation » de 1998.

Le système américain, pérennisé après 1942 lors du réarmement des États-Unis, prend l’exact contrepied de la position française. Il s’agit de divisions lourdes, d’ailleurs le terme de « heavy division » est passé dans le langage courant. Il existe un échelon de commandement de plus que dans le système français, la brigade, ou en 1942 combat command pour les divisions blindées et regimental combat team pour les divisions d’infanterie. Ce système de division lourde a perduré à l’issue de la guerre et s’est installé comme la norme dans l’OTAN. Il a fait dire au critique militaire Liddell Hart, que les divisions alliées correspondaient à un énorme serpent qui se mouvait plus qu’il ne manœuvrait, et dont seuls la tête et le dard piquaient. Dans cette organisation, la structure divisionnaire est ternaire, ainsi que celle de la brigade. Quant aux appuis, ils existent sous une forme redondante, aux deux niveaux de la division et du corps d’armée.

Durant la Guerre froide, il existait également en Centre Europe, une différence majeure entre les deux systèmes, concernant la mise en œuvre[1] du feu nucléaire « tactique ». Du côté des États-Unis, c’était la division qui en était chargée, alors que dans le système français (le PLUTON n’est apparu qu’en 1975), il s’agissait du corps d’armée. C’est également une des raisons qui ont conduit les Américains à constituer un système divisionnaire « lourd ». Et, c’est donc tout naturellement que, dans le système français, les régiments PLUTON ont rejoint les EOCA, en étant intégrés à l’Artillerie de CA.

De la DLM à la DMR.

La D.L.M., imparfaite avec ses deux régiments de chars, son régiment de découverte et son régiment de Dragons portés (en fait une infanterie portée à trois bataillons), répondait aux canons d’organisation français. Il est d’ailleurs significatif que le regroupement de deux d’entre elles, en un « corps de cavalerie » en 1939-1940, a constitué le seul corps d’armée blindé dont n’ait jamais disposé l’armée française. Cette simple remarque est de nature à fortement nuancer le regard généralement porté sur le concept blindé français de 1940. Qui plus est, il était prévu, qu’en opérations, le régiment de dragons portés éclatât et fût réparti au sein des régiments de chars et du régiment de découverte pour former groupements. À ce double titre, la D.L.M. était la première division moderne française. Elle a disparu dans la tourmente de 1940.

Son concept a été repris en 1954 avec la 7e D.M.R. (Division Mécanique Rapide). À cette époque, le maréchal Juin commandait le théâtre Centre-Europe de l’OTAN (AFCENT). Il était fortement conscient que les divisions lourdes de « classe OTAN » étaient tout à fait impropres à conduire le combat « tournoyant » qui était attendu d’elles : en effet, en ambiance nucléaire (c’est-à-dire sous menace d’emploi), il s’agissait, dans des délais les plus brefs possibles, de passer d’un dispositif ouvert et réparti sur le théâtre, pour éviter de constituer un « pion nucléaire » justiciable d’une frappe soviétique, en un dispositif concentré et puissant pour frapper a contrario les « pions nucléaires » dévoilés par le dispositif adverse. Comme Juin était simultanément, la plus haute personnalité militaire française (même s’il avait perdu les attributions de CEMDN, grosso modo CEMA en 1953), il a chargé les inspecteurs de l’infanterie et de l’arme blindée cavalerie[2] de concevoir deux types de division. Ce seront la 7e D.M.R. et la 2e D.I.M. (division d’infanterie mécanisée). La D.M.R., particulièrement légère et toute en souplesse, était articulée autour de quatre « régiments interarmes » constitués de deux compagnies sur half-tracks et de deux escadrons des AMX 13 et une batterie de 105 automoteurs. Un régiment de reconnaissance sur E.B.R. (engin blindé de reconnaissance) est conservé aux ordres, au niveau de la division[3]. Les échelons de la brigade et du bataillon avaient disparu. Tous les canons de l’école française étaient réunis. Quant à la 2e D.I.M., elle est organisée en cinq régiments d’infanterie à 4 compagnies sur half-tracks ou Bren carrier et un escadron Shaffee[4]. Dans ce cas également, les échelons de la brigade et des bataillons ont disparu. Ces deux divisions ont rapidement perdu leurs spécificités puisqu’elles ont été engagées en Algérie où leurs régiments ont été alignés sur l’organisation des unités de quadrillage (la 7e D.M.R. ayant fait un détour par Suez).

Les divisions 59 et 67.

Avant le désengagement d’Algérie, l’armée française avait conçu un nouveau type de Grande Unité, la division 59, sur des critères otaniens (La France était toujours membre des instances de commandement intégrées). À ce titre, les États Unis mettaient à disposition de la France un armement nucléaire « tactique », le lanceur Honest John, dont la mise en œuvre serait effectuée selon le principe de la « double clé », au niveau de la division. Il ne pouvait donc s’agir que d’une division « lourde », à base de trois brigades, et disposant d’éléments organiques variés et puissants.

En réalité, cette division constituait un compromis boiteux entre le tactiquement souhaitable et le budgétairement possible. Les brigades et les régiments étaient articulées autour d’une structure ternaire, et, au moins pour les brigades motorisées, mixaient des régiments de pied absolument différents (régiments motorisés à deux bataillons curieusement rebaptisés E.M.T., et mécanisés ou de chars à 3 compagnies ou escadrons). En outre, le matériel était trop disparate, puisque des camionnettes tactiques y côtoyaient des engins blindés à chenille (VTT/AMX et AMX 13). Cette disparité conduisait à mettre sur pied une multitude de groupements et sous-groupements, sans cesse réarticulés en fonction du milieu et de l’ennemi, ce qui conduisait à un rythme de manœuvre beaucoup trop séquencé.

Des études furent lancées dès le désengagement d’Algérie (Études DAVOUT et MASSENA) pour corriger ces défauts. Elles aboutirent à la constitution de la Division 67, laquelle, conçue alors que la France était toujours membre des structures intégrées de l’OTAN, était encore une division lourde, mais aux structures plus cohérentes que sa devancière. Néanmoins, des impératifs budgétaires ont conduit à maintenir temporairement (mais le temporaire a souvent tendance à durer) au sein de chacune des cinq divisions ainsi constituées deux brigades mécanisées et une brigade motorisée. Enfin, les divisions, comme les brigades ont été bâties sur une structure ternaire (toujours pour des motifs d’économie).

Il convient de noter que la division d’intervention (la 11e division) était construite selon les mêmes errements ; une structure ternaire de brigade avec deux brigades parachutistes et une brigade légère (la 9e brigade).

Les « divisions Lagarde ».

Dans son œuvre magistrale de réorganisation, le général Lagarde a voulu revenir, aussi bien pour le corps de bataille que pour les forces d’intervention, aux canons de la culture militaire française : à partir des 5 divisions « lourdes » et de la division d’intervention, soit 18 brigades, ternaires il a mis sur pied 15 divisions quaternaires, soit 8 divisions blindées[5], 5 divisions d’infanterie[6], et 2 divisions d’intervention[7]. Le corps de bataille était réparti en 3 corps d’armée, dotés d’éléments organiques puissants, et constituant à leur échelon la cohérence tactico-logistique, grâce à la création de 3 brigades logistiques. (les divisions disposaient quant à elles, d’un « volant logistique » sous la forme d’une base divisionnaire déployée à partir d’un régiment de commandement et de soutien). Cette réforme complète et profonde des forces était marquée d’une rare cohérence. Toutes les divisions et tous les régiments de mêlée étaient bâtis sur une structure quaternaire. Pour trouver la ressource indispensable à une telle réforme en profondeur, le général Lagarde a dissous tous les régiments de D.O.T. (en fait, des bataillons à trois compagnies en sous-effectifs, noyaux actifs des véritables régiments de D.O.T.) en en conservant quelques-uns pour les divisions d’infanterie. Seul le 41e RI, en sureffectif à la 9e DIMa a conservé une mission de D.O.T., de protection des installations terrestres de la F.O.S.T. en Bretagne.

Pour conserver la D.O.T., chaque régiment métropolitain d’active dérivait un régiment de réserve. Ceux-ci étaient employés à deux niveaux hiérarchiques : au niveau de la D.M.T. pour les missions statiques de protection de points sensibles d’importance, soit regroupés au sein de brigades de zone, au niveau de la Région militaire — Zone de défense pour des mission de défense de surface, en action d’ensemble.

Cette réforme a été conduite en trois ans, selon un principe de complète décentralisation : en 1976, le général Lagarde en a énoncé les principes et défini les structures à réaliser. Ensuite, chaque année, de 1977 à 1979, chaque commandant de corps d’armée concerné a conduit lui-même la réorganisation de ses moyens et le fusionnement du commandement opérationnel (CA – Divisions) au commandement territorial (Région – Division militaire territoriale[8]). C’est ainsi que, le 1er juillet 1979, ce qui avait été annoncé et planifié le 1er juillet 1976 était réalisé. Chaque année, la mise sur pied à l’été du corps d’armée concerné était suivie à l’automne, d’un exercice en terrain libre sur une profondeur de 300 kilomètres, et mettant en jeu de l’ordre de 800 blindés dont 400 chars et 180 hélicoptères.

Enfin, en liaison avec la mission militaire française présente à Brunssum à AFCENT, la 1re Armée a conduit un long et profond travail de planification pour adapter l’engagement des nouveaux corps d’armée aux différentes hypothèses d’engagement alliées[9], ce qui a abouti à la diffusion d’un Plan Général d’opérations (P.G.O.) à l’intention des CA. Il est à noter que la différence de structures et de taille entre les grandes unités alliées et françaises n’a jamais nui à leur interopérabilité.

Mais, il ne faut pas se voiler la face, il existait une ombre au tableau, l’équipement des forces. Si les unités de l’ABC avaient connu un plan d’équipement de ses régiments en AMX 30 extrêmement rapide, la totalité de ses régiments avait été équipée en moins de quatre ans (1967–1971), il n’en allait pas de même pour les autres programmes. L’AMX 10 P, l’AMX 10 RC, le VAB, les Canons de 155 AUF 1 et TR F 1 allaient demander quasiment une décennie pour équiper les forces, qui, jusqu’à cette échéance devaient continuer à servir des matériels anciens, des VTT AMX, des EBR, des canons automouvants, et, comme les régiments motorisés avaient été créés ex nihilo, dans l’attente du VAB, certains (la 14e DI) allaient être équipés de Dodge 6×6 comme matériels de substitution durant de longues années.

En outre, les cibles de ces nouveaux matériels majeurs avaient été définies en deçà des besoins correspondant aux effectifs alloués. Une réduction d’effectifs était donc inévitable à moyen terme.

Celle-ci intervint en 1983, de façon parallèle avec la création de la FAR. Les deux divisions nouvellement créées, la 6e DLB et la 4e DAM, l’ont été à partir des 6e et 4e DB, dissoutes. Les autres divisions ont été un peu renforcées par l’ajout d’un second régiment d’artillerie et d’un régiment motorisé. Ces mesures ont conduit à la dissolution de deux divisions d’infanterie et leur transformation en « divisions École », à partir des formations dédiées implantées en leur sein. Ces modifications n’ont pas altéré la logique d’organisation des différentes divisions, qui est demeurée conforme aux principes nationaux.

La refondation de 1998. La disparition des divisions permanentes.

En revanche, la « refondation » de 1998 constitua une remise en cause complète et profonde de la logique d’organisation des forces terrestres. Tous les principes d’organisation des grandes unités, liés à la culture militaire nationale ont disparu.

La cohérence entre l’organique et l’opérationnel a complètement disparu, la logique relevant alors de celle de la « modularité » des forces, l’organique étant réduit un simple « réservoir de forces ».

S’agissant des niveaux de commandement, ils ont été réduits, pour ce qui concerne les niveaux permanents, à deux, la brigade et le régiment/groupement. La division permanente a disparu, pour la première fois depuis 1788. Elle a été remplacée à la demande, par quatre EMF (états-majors sans moyens dédiés[10]) qui, regroupés par deux, pouvaient alors constituer un PC de division. Il s’agissait alors, à l’occasion des grands exercices, de mettre sur pied une division « de classe OTAN », soit le retour à une division lourde.

Quant au niveau du corps d’armée, il a été fusionné avec le « Commandement de la Force d’action terrestre » (CFAT) avant d’être rétabli en 2007 sous la forme d’un PC de CA, certifié aux normes OTAN. Avec le rétablissement des divisions permanentes en 2015, l’armée de Terre a donc renoué avec un système de commandement complet, à quatre niveaux depuis le corps d’armée jusqu’au groupement/régiment.

Enfin, la cohérence tactico-logistique était fortement obérée par le fait que la brigade, pion de manœuvre, ne constituait-il pas un échelon logistique.

« And so what ? »

Sous l’influence de l’OTAN dont elle a rejoint les structures de commandement intégrées, la France a donc renoué avec un alignement de ses structures de commandement sur celles de l’Alliance, en tournant ostensiblement le dos à sa culture militaire propre ; ceci, au nom du respect d’une indispensable interopérabilité avec nos Alliés. La question se pose donc de savoir si cette interopérabilité est réellement incompatible avec d’autres structures que celles ayant cours aux États-Unis. Il semblerait que la réponse soit négative, puisqu’à l’époque où la France disposait d’un corps de bataille dont les divisions avaient été bâties sur des critères nationaux, les divisions Lagarde, l’interopérabilité des trois corps d’armée français avec les corps alliés dont les divisions avaient une toute autre dimension, n’a posé aucun souci.

La question est donc posée : à l’heure où l’armée de Terre va connaître la transformation actuellement en cours, ne faut-il pas réfléchir à la structure de nos grandes unités, et s’extraire d’une stricte logique de ressources pour les constituer, pour, a contrario, imaginer quel pourrait être leur emploi et, partant, définir leurs structures. Autrement dit, raisonner de manière cohérente : partir de la finalité pour définir les modalités, et non l’inverse.


NOTES :

  1. Uniquement la mise en œuvre, en aucun cas la décision d’emploi, du niveau politique.
  2. Les généraux de Linarès et de La Villéon.
  3. 4 régiments interarmes : 2e Dragons, régiment Colonial de Chasseurs de Chars (RCCC), 1er RBIC (Régiment Blindé d’Infanterie Coloniale) et 21e R.I.C (Régiment d’Infanterie Coloniale). Rgt de Reconnaissance : 3e R.C.A. (Régiment de Chasseurs d’Afrique).
  4. 26e R.I., 60e R.I., 151e R.I., 152e R.I., 153e R.I. et le 31e Dragons.
  5. Les 1re DB (Trèves), 2e DB (Versailles), 3e DB (Fribourg), 4e DB (Nancy), 5e DB (Landau), 6e DB (Strasbourg), 7e DB (Besançon) 10e DB (Châlons sur Marne).
  6. 8e DI (Amiens), 12e DI (Rouen), 14e DI (Lyon), 15e DI (Limoges) et 27e DIA (Grenoble).
  7. 9e DIMa (Saint Malo) et 11e DP (Toulouse).
  8. 1977 : 6e RM- 1er CA à Metz. . 1978 : CCFFA – 2e CA à Baden Oos. 1979 : 1re RM – 3e CA).à Paris et Saint Germain les Loges.
  9. Depuis la signature des accords Valentin – Ferber, en 1972, la 1re Armée était la seule réserve de théâtre d’AFCENT, et se trouvait engagée comme telle, même si la France ne faisait plus partie des instances de commandement intégrées de l’OTAN.
  10. Participant à tous les grands exercices nationaux et alliés, ces EMF ont néanmoins emmagasiné une solide culture opérationnelle.

Colonel (ER) Claude FRANC

Colonel (ER) Claude FRANC

Saint-cyrien de la promotion maréchal de Turenne (1973-1975) et breveté de la 102e promotion de l’École Supérieure de Guerre, le colonel Franc a publié une dizaine d’ouvrages depuis 2012 portant sur les analyses stratégiques des conflits modernes, ainsi que nombre d’articles dans différents médias. Il est référent “Histoire” du Cercle Maréchal Foch (l’ancien “G2S”, association des officiers généraux en 2e section de l’armée de Terre) et membre du comité de rédaction de la Revue Défense Nationale (RDN). Il a rejoint la rédaction de THEATRUM BELLI en février 2023. Il est âgé de 70 ans.

De quelques évolutions de l’armée de Terre dite de combat…

De quelques évolutions de l’armée de Terre dite de combat…

Mars attaque – publié le 12 septembre 2023

Quelques points (évidemment non exhaustifs) transparaissent peu à peu sur des évolutions capacitaires significatives à venir de l’armée de Terre de demain (dite “de combat“), pour densifier la bulle aéroterrestre (en termes de létalité, de transparence, et de protection).


Par exemple, à terme, il est recherché 3 gammes différentes de munitions télé opérées (MTO / MUNTOP) :

  • MUNTOP – AD (appui direct) pour la zone 0-30 km, soit celle de la brigade interarmes (BIA), dans la zone du radar Murin, du Griffon VOA d’observation, du Griffon MEPAC de mortier embarqué, du drone SMDR… ;
  • MUNTOP – AE (action d’ensemble) dans la zone 0-80 km, soit celle de la division (dans la zone des tirs de Caesar, ou de la roquette LRU, qu’elle soit non souveraine, aujourd’hui, ou demain potentiellement souverraine…) ;
  • Puis, à terme, MUNTOP – FLP (feux longue portée), dans la zone des 0-150 km.

Cela s’ajoutera à de nouvelles capacités acquisition/feux :

  • Radars Cobra ou équivalents pour passer de 40 km à 100 km en acquisition ;
  • Un SDT pleinement opérationnel, dans les 0-150 km ;
  • Des drones MALE/MAME dédiés aux feux dans les 0-150 km ;
  • Le retour des Détachements d’appui dans la profondeur (DAP)…

En parallèle, il est poursuivi l’ambition de faire de l’armée de Terre le 1er opérateur de systèmes automatisés en Europe (un peu comme l’ALAT est depuis quelques temps déjà le 1er opérateur d’Europe en nombre d’hélicoptères détenus) :

  • Dès 2025, il devrait y avoir un peu moins de de 900 systèmes militarisés (un système + plusieurs drones) et plus ou moins 600 drones civils, plus les MTO FS (environ 100 exemplaires) ;
  • Vers 2026, le SDT (armé ?) et le drone MAME FT (cf. ci-dessus), plus l’automatisation des nano et micro drones et intégration dans la bulle Scorpion de l’ensemble, avec en parallèle la mise en œuvre de MTO souveraines de courte portée en développement rapide actuellement (pour une commande de l’ordre de 1.000 exemplaires – projet Colibri) ;
  • Vers 2028, des MTO souveraines de moyenne portée en développement rapide (projet Larinae), de l’ordre de plus de 250 exemplaires ;
  • Pour au final en 2030 : 2 type de MTO souveraines à plus de 1.250 exemplaires + environ 1.100 systèmes militaires + de l’ordre de 800 drones civils.

A noter que ces chiffres ne sont pas forcément des volumes de commandes, mais plutôt des parcs détenus à l’instant t (grâce à une petite agilité contractuelle (enfin possible…) pour pouvoir recompléter rapidement et facilement les stocks au fil du temps, malgré les pertes, leur utilisation, etc.).

En parallèle toujours, la feuille de route robotique progressera, avec des plateformes polyvalentes terrestres de combat pour 2030, après des premiers prototypes en 2027, plus les MTO en phase de généralisation progressive pour 2026, plus l’école des drones pleinement opérationnelle (qui passera à terme du Commandement du renseignement COMRENS à la brigade d’Artillerie BART).

Pour les capacités émergentes et/ou critiques (drones armés, défense sol-air – DSA, feux dans la profondeur, cyber, influence et champs immatériels), un phasage sera mené… parce que ce n’est pas si simpliste de faire de la remontée en puissance et du capacitaire… Avec en plus un rééquilibrage des fonctions opérationnelles au profit des capacités C2, intégration des effets, appui et soutien, une remontée des stocks de munitions et de rechanges, et l’accompagnement à la montée en compétences et masse d’une BITD MCO terrestre.

  • D’ici 2025, comblement progressif des ruptures de capacité prioritaires en artillerie moyenne portée et drone tactique ;
  • D’ici 2027, efforts sur les soutiens tactiques et opératifs (notamment sur les flottes tactiques et logistiques) et comblement des faiblesses en artillerie moyenne portée, drone tactique, contre-minage, transport d’engins blindés… ;
  • D’ici 2030, montée en puissance des flottes logistiques, efforts sur la décontamination de l’avant et d’ensemble, le ravitaillement carburant et transport médian, la défense sol-air d’accompagnement…
Pour les effets dans les champs immatériels, un “bataillon de leurragedevrait prochainement voir le jour (à Lyon), rattaché au CIAE (Centre interarmées des actions sur l’environnement), en plus de l’École de l’influence qui y sera opérationnelle et de la 1ère Unité multi-capacités (UMC) pour opérer en LID (lutte informatique défensive), LIO (lutte information offensive) et L2I (lutte informatique d’influence).

Enfin, un effort sera mené sur la consolidation et la modernisation des forces de souveraineté, notamment dans les capacités de protection, de prévention et d’influence, via des stocks prépositionnés, un renforcement de capacités notamment C2/renseignement/influence/cyber/réserves/formation des partenaires…, les capacités d’accueil de renforts… Cela ira notamment de paire avec la régionalisation géographique des divisions et la sectorisation des brigades (changeants à intervalles réguliers), pour une meilleure connaissance des zones d’opérations potentielles.

Une vision encore partielle, non exhaustive, et non définitive, à compléter.

Haute intensité : quels défis pour les armées françaises ? Notes de l’Ifri, Ifri, juillet 2023.

Haute intensité : quels défis pour les armées françaises ? Notes de l’Ifri, Ifri, juillet 2023.

Scène de combat de nuit dans une ville en ruine. Credits: © Zef Art/Shutterstock

par Elie Tenenbaum – IFRI – publié le 12 juillet 2023

https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/haute-intensite-defis-armees-francaises


La nouvelle Loi de programmation militaire 2024-2030 engage résolument les armées françaises dans la voie de la haute intensité. Ce terme continue cependant d’être sujet à débat et source de confusion au sein de la communauté de défense.

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Une définition stricte de la notion est donc nécessaire afin de mieux en comprendre la portée et les implications pour la France. Sur le plan militaire, la haute intensité renvoie d’abord à un type d’engagement déployant un haut niveau d’énergie cinétique dans un espace et une durée limités. À ce facteur énergétique, s’ajoutent le niveau de sophistication technologique des équipements (intensité en capital) et la létalité qui résulte de ces deux éléments. Émerge ainsi une notion de haute intensité capacitaire qui s’articule autour du triptyque énergie-technologielétalité.

Cette intensité capacitaire doit être distinguée  de l’intensité politique, ou virulence d’un conflit armé, laquelle dépend avant tout des intérêts en jeu. Lorsque ceux-ci sont très élevés pour un belligérant, le conflit prend pour ce de rnier les aspects d’une guerre majeure, mettant en jeu sa survie. À l’inverse, la mise en jeu d’intérêts réels mais non existentiels se traduit par des formes de guerre limitée. Si l’histoire militaire offre des exemples de conflits où haute intensité politique et militaire se combinent, elle montre aussi des cas de guerres limitées à haute intensité capacitaire. C’est cette configuration qui paraît la plus pertinente pour la France où la dissuasion nucléaire prémunit en principe de toute menace contre les intérêts vitaux de la nation.

Il existe donc une large gamme de scénarios situés en deçà des intérêts vitaux mais au-delà de l’horizon capacitaire et opérationnel des trois dernières décennies, marquées avant tout par la gestion de crise et dans la perspective desquelles s’est construit le format des armées françaises. Solidarité stratégique dans le cadre de l’alliance atlantique ou d’accords de défense, confrontation avec une puissance grande ou moyenne sur des espaces périphériques, affrontement avec un « proxy », acteur tiers soutenu par un État-puissance ou encore confrontation dans des espaces communs isolés (haute mer, espace exo atmosphérique, cyber, fonds marins, etc.) sont autant d’hypothèses à prendre en compte qui relèveraient de la haute intensité capacitaire.

Haute intensité : quels défis pour les armées françaises ?

La France dans l’OTAN : de l’allié difficile au contributeur essentiel Focus stratégique, n° 115, Ifri, juin 2023

La France dans l’OTAN : de l’allié difficile au contributeur essentiel Focus stratégique, n° 115, Ifri, juin 2023

 

par Guillaume Garnier – IFRI  – publié le 23 juin 2023

https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/france-lotan-de-lallie-difficile-contributeur


Dégradation rapide du contexte sécuritaire et retrait chaotique d’Afghanistan, différends internes éclatant au grand jour, questionnements sur son périmètre de responsabilité en matière de sécurité, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) semblait en fâcheuse posture jusqu’à ce que l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022 vienne la remettre pleinement en selle.

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Le nouveau Concept stratégique, agréé au sommet de Madrid de juin 2022, se veut une réponse à ce tournant majeur et représente l’aboutissement d’un processus d’introspection consécutif aux propos du président Emmanuel Macron évoquant, dans une interview au magazine The Economist, la « mort cérébrale » de l’organisation. L’Alliance actualise ainsi dans ce document ses buts politiques et stratégiques. Les effets d’entraînement que suscitera un tel aggiornamento sur la politique de défense de la France et sur ses armées sont souvent sous-estimés depuis Paris.

Plutôt que d’interroger la relation France-OTAN, sujet déjà largement couvert, l’ambition de cette étude est de disséquer les aspects concrets, d’abord militaires mais aussi politiques, découlant de cette adaptation systémique de l’OTAN et d’analyser ses conséquences potentielles sur l’appareil de défense français. Comment ce dernier doit-il appréhender ces changements ? Quel parti peut-il en tirer ? L’élément central du Concept stratégique 2022 est le retour de l’OTAN dans sa fonction première : la défense collective des États membres sur le flanc oriental, face à son rival traditionnel, la Russie, et ce dans les champs conventionnel et nucléaire. Sans occulter les autres sujets du concept, c’est donc d’abord au regard de la future posture « de dissuasion et de défense » (DDA), densifiée et plus réactive, que la France doit se positionner. Les équilibres internes de l’OTAN vont en effet s’en trouver bouleversés, dans un contexte européen où, en dépit de disparités encore notables, les efforts budgétaires de défense repartent à la hausse, ou s’accélèrent encore pour les pays orientaux et nordiques. De ces contributions financières et militaires dépendent le niveau de responsabilité, et donc le poids politique, attribué à chaque allié.

Quelle place peut aujourd’hui revenir à la France dans ce cadre ? Celle-ci dispose de nombreux atouts militaires à faire valoir au sein de l’OTAN : une armée d’emploi éprouvée régulièrement, un système de forces réactif, une expertise sur l’ensemble des sujets de défense et une capacité d’analyse stratégique en dehors de l’espace euro-atlantique. Son poids structurel dans l’organisation est également conséquent, lui conférant souvent la deuxième place derrière les États-Unis, selon les critères. Pourtant, ces leviers d’influence ne semblent pas être utilisés de manière optimale. La France ne parvient pas toujours à élaborer des coalitions internes solides et ne dispose pas d’un club structuré d’affiliés sur le plan militaire.

La France dans l’OTAN : de l’allié difficile au contributeur essentiel.

Lire et télécharger : Guillaume Garnier – IFRI – Strategie_fr – OTAN juin2023

Le signalement stratégique : un levier pour la France dans la compétition entre puissances ? Focus stratégique, n° 114, mai 2023

Le signalement stratégique : un levier pour la France dans la compétition entre puissances ? Focus stratégique, n° 114, mai 2023

 

De l’exercice interarmées et interallié Orion 2023 au déploiement de chars Leclerc en Roumanie, en passant par les tirs de qualification de nouveaux missiles, les armées françaises conduisent de nombreuses manoeuvres et activités qui sont aujourd’hui décrites comme relevant du « signalement stratégique ».

 

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par Jérémy BACHELIER, Héloïse FAYET, Alexandre JONNEKIN, François RENAUD – IFRI – publié le 17 mai 2023

Ce concept, issu de la dissuasion nucléaire, décrit une façon de diffuser un message stratégique conçu au plus haut niveau de l’État, et ce au travers de plusieurs leviers, dont l’action militaire est l’un des principaux. Bien manié, le signalement stratégique permet ainsi de démontrer la volonté et la crédibilité de la France à défendre ses intérêts et ceux de ses partenaires. Il permet aussi de moduler l’action et la réaction du compétiteur en évitant de franchir le seuil de la conflictualité, et s’inscrit dans une démarche plus large d’influence, indispensable dans une perspective d’action « multi-milieux multi-champs ». 

Cependant, pour être efficace, c’est-à-dire correctement perçu par les alliés comme les adversaires, ce signalement stratégique doit être en adéquation avec les moyens dont dispose la France, et avec une stratégie cohérente qui peine encore à être définie sur le long terme. De plus, il convient de renforcer la fluidité dans la conception et la conduite du signalement, qui souffre encore parfois d’une confusion avec la simple communication opérationnelle. Enfin, pour vérifier que le message a été compris et a eu un impact, il est indispensable d’engager une réflexion sur le feedback, notamment au travers des services de renseignement. 

Lire et télécharger l’étude de l’IFRI

IFRI Le signalement stratégique un levier pour la France dans la compétition entre puissances

Atlas stratégique des armées françaises (Institut d’études de géopolitique appliquée – DGRIS, mars 2023)

Atlas stratégique des armées françaises (Institut d’études de géopolitique appliquée – DGRIS, mars 2023)

par Theatrum Belli – publié le

Armées : Il faut changer de modèle !

Armées : Il faut changer de modèle !

par Xavier Guilhou (*) – Esprit Surcouf – publié le 10 février 2023
Expert international en prévention des risques,
pilotage de crises, et aide à la décision stratégique.

https://espritsurcouf.fr/defense_armees-il-faut-changer-de-modele_par_le-capitaine-de-vaisseau-h-xavier-guilhou_n207-100223/



Avant le Covid, déjà, les commentaires militaires croulaient sous l’expression « haute intensité ». La guerre de haute intensité est là désormais, on la voit tous les jours, depuis un an, en Ukraine. Et bien des responsables de constater avec effarement que l’armée française aurait été incapable de mener une guerre pareille pendant si longtemps. Pour l’auteur, aucun doute : il faut repenser nos armées !
 

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« Nous sommes sur l’os… ! ». Qui n’a pas entendu nos grands chefs utiliser cette expression pour préciser que nous n’avons plus de marges de manœuvre sur le plan capacitaire, voire que nous sommes bien en deçà de l’acceptable pour assurer les missions assignées à nos armées. Il est évident qu’après trois décennies de rabotage budgétaire nous ne pouvons qu’être en limite basse en termes de suffisance opérationnelle (moyens, munitions, stocks stratégiques, personnels…) et que, pour reprendre un terme de marins, « nous talonnons ! ». A ce rythme, la prochaine étape est « l’échouage ».

La guerre en Ukraine sert de révélateur dans tous les domaines et a la vertu de réveiller les consciences endormies par des années de « dividendes de la paix ». Pourtant les signaux précurseurs n’ont pas manqué, mais chaque fois le relativisme et la bureaucratie ont effectué leur travail de neutralisation et de normalisation pour continuer à tirer vers le bas nos postures de défense. De fait « nous sommes bien sur l’os » et il nous faut avant tout « remettre de l’épaisseur », à tous les niveaux, pour combler ou compenser ces faiblesses structurelles. La projection de corps expéditionnaires tous azimuts n’est plus dans nos moyens. Nous devons nous recentrer sur la défense de nos intérêts vitaux, la protection de notre territoire et remuscler notre dissuasion. Il faut changer de méthode et surtout de modèle !

CAPACITES NOUVELLES

Certes nous avons développé des capacités marginales à très forte valeur-ajoutée pour « faire autrement » quand nous ne pouvions plus « faire normalement ». Ce fut le cas au cours de ces trois décennies avec la montée en puissance des opérations spéciales. Par leurs performances indéniables, notamment dans la lutte « anti-terroriste » en Orient et en Afrique, elles ont assuré au pouvoir politique la garantie d’une posture opérationnelle à succès, avec une forte résonnance médiatique auprès des opinions publiques. Cela a plutôt bien fonctionné. Dans ce contexte les OPEX ont au moins eu le mérite de permettre à toutes ces composantes de se tester et d’acquérir une courbe d’expérience considérable.

Mais avec l’Ukraine nous passons à autre chose et le travail « sur-mesure » de nos forces spéciales doit désormais s’intégrer dans des schémas complexes de combat de haute intensité, avec un retour aux confrontations de masse sur des lignes de front, que nous n’avons plus connues depuis les grandes guerres mondiales.

Il en fut de même avec les deux fonctions essentielles que sont le renseignement et la logistique, armes souvent considérées comme secondaires dans notre culture militaire , mais qui se sont avérées cruciales pour accompagner nos projections de corps expéditionnaires sur des conflits hybrides, au sein d’alliances, sur des terres lointaines (Afghanistan, nœud syriaque, Sahel). Ces composantes souvent qualifiées de soutiens, alors qu’elles sont des précurseurs qui conditionnent le succès des opérations,  ont permis sur le terrain de faire preuve de réactivité et d’inventivité dans les modes d’action, face à de nouveaux modes d’adversités (cf. les techniques de guérillas pratiquées par les groupes islamiques, mais aussi les méthodes de désinformation et déstabilisation des Sociétés Militaires Privées comme Wagner, ainsi que l’utilisation de technologies duales et des réseaux sociaux).

 

La nouvelle tourelle d’un véhicule blindé : un concentré de high-tech. Photo Arquus, nicolas Broquedis.

Nous avons aussi compensé la baisse de nos moyens avec de la haute technologie et une professionnalisation remarquable de nos forces. Nos armées sont réduites en nombre, mais elles sont plus performantes du fait des technologies embarquées et du niveau de formation de nos combattants. Ce qui suppose aussi un niveau de soutien et de maintenance non négligeable (pour un soldat au combat il en faut en moyenne neuf en soutien). Néanmoins, pour nos spécialistes, avec les moyens actuels, nous ne pourrions tenir qu’un front de 80 kms, soit Dunkerque – Lille, là où nos anciens furent en mesure de tenir un front de 750 kms lors de la première guerre mondiale. Et que penser de nos capacités de feu qui n’excéderaient pas une semaine en termes de stock de munitions…

CAPACITES A RESISTER

De nouveau le conflit en Ukraine, et surtout les risques de confrontations pressenties en Mer de Chine et en Méditerranée orientale, posent la question des masses critiques et du niveau de rusticité qu’il faudrait désormais être en mesure d’assumer face à des armées qui utilisent des centaines de milliers d’hommes et un déluge de feu sans précédent pour arriver à leurs fins.

Ces armées ont recours à la conscription et à la mobilisation de réserves considérables. Par ailleurs elles se battent avec des doctrines basiques similaires à celles de la guerre de 1914, que nous qualifions certes d’archaïques et de barbares, mais qui s’avèrent dimensionnantes actuellement dans les conflits. Au cours de l’été 2022, les Ukrainiens ont tiré 6000 à 7000 obus d’artillerie par jour selon un haut responsable de l’Otan. Dans le même temps les Russes en tiraient 40 000 ou 50 000. A titre de comparaison les Etats Unis ne produisent que 15 000 obus par mois…

 

Sur cette photo, une centaine d’obus. Les russes auraient tiré, en une seule journée, cinq cents fois le contenu de cette photo. Photo Tsahal

De notre côté nous n’avons plus la conscription et nous avons des réserves qui sont réduites à la portion congrue malgré tous les effets d’annonce vertueux de ces dernières années… Nous faisons confiance à l’intelligence embarquée dans nos moyens, qui sont de plus en plus sophistiqués, en prétendant que cela sera suffisant pour casser ces armées « ringardes » dotées d’équipements datant de la guerre froide… Les évènements nous démontrent qu’il faut faire preuve d’un peu plus d’humilité, ces armées n’ayant pas la même notion de l’attrition et de la vie humaine que nous. Avec une société soumise à la religion du « bien-être », et soyons honnêtes peu résiliente, nous ne remplissons pas les mêmes critères en termes de résistance morale et physique que ces adversaires qui n’ont pas nos états d’âme…

Certes nous avons l’impression actuellement que le corps politique, pas seulement en France mais sur tout le continent européen, subi un électrochoc devant l’intensité et la brutalité des combats en Ukraine. Que n’ont-ils eu les mêmes réactions lors des évènements dans les Balkans, qui ont fait, rappelons-le, de l’ordre de 100 000 morts (200 000 selon les médias) ? Il en fut de même au Moyen-Orient avec les enchainements post-Irak sur le nœud syriaque qui ont fait quasiment le même nombre de victimes. Nous sommes déjà au-dessus de ces seuils pour l’Ukraine 

A chaque fois les niveaux de brutalité et d’inhumanité ont augmenté, franchissant des seuils que les ONG et les organisations internationales n’ont cessé de recenser et d’expliciter pour alerter nos dirigeants. La réponse de ces derniers fut l’invention sémantique des « lignes rouges » à ne pas franchir, mais sans postures réelles et crédibles… Tous ces théâtres d’opération furent des laboratoires, notamment pour les armées Russes et Turques, qui désormais stressent notre flanc oriental et méridional. Heureusement que la posture de dissuasion nucléaire, dont la crédibilité repose sur la permanence à la mer de nos SNLE et sur les capacités de frappes de nos composantes aéroportées ( FAS et FAN), n’a pas subi le même niveau d’altération, voire de destruction systématique, que pour nos moyens conventionnels.

Aujourd’hui le temps n’est plus aux lamentations mais à la reconstruction d’un modèle, en s’appuyant sur cette épaisseur tactique qu’offrent  les composantes à forte valeur ajoutée dont nous avons parlé. Il est évident que ces moyens, en s’intégrant intelligemment dans des schémas plus élaborés de combat de haute intensité, peuvent devenir des « démultiplicateurs de forces ».

Chronique initialement publiée sur le site de Xavier Guilhou : www.xavierguilhou.com
Dans un second article, l’auteur donnera quelques pistes pour un nouveau modèle d’armée

Source photo bandeau de l’article : ©LaureFanjeau

(*) Xavier Guilhou, spécialiste international reconnu depuis 40 ans dans les domaines de la prévention des risques, du pilotage de crises, et l’aide à la décision stratégique. Ancien responsable de la DGSE (dans les années 1980), fortement engagé dans la montée en puissance des Opérations Spéciales (COS) dans la décennie 1990, a une longue expérience de terrain. Il a par ailleurs exercé pendant 15 ans des fonctions exécutives et opérationnelles au sein de grands groupes français (Schneider Electric) et a conseillé depuis 2004 des Etats et des réseaux vitaux en matière de pilotage de crise et de géostratégie. Il est auditeur de l’IHEDN et capitaine de vaisseau (h). cf. son site www.xavierguilhou.com

Doctrine spatiale française : pas de tirs antisatellites mais plus d’« ambiguïté stratégique » ?

Doctrine spatiale française : pas de tirs antisatellites mais plus d’« ambiguïté stratégique » ?

Débris de satellite autour de la Terre, vue d'artiste
La destruction d’un satellite situé en orbite provoque de nombreux débris. C’est l’une des raisons invoquées par la France pour expliquer sa décision de ne pas procéder à des tirs anti-satellites. Frame Stock Footage/Shutterstock

Fin novembre 2022, le ministère des Armées s’est formellement engagé à ne pas conduire de tirs de missiles antisatellites.

Pourtant, la stratégie spatiale française de 2019 ne s’interdit pas de « durcir » les capacités d’action de la France dans l’espace.

À trois ans d’intervalle, la posture spatiale militaire française se contredit-elle ?

Une décision aussi historique que surprenante ?

Après avoir coparrainé la résolution A/C.1/77/L.62 (adoptée par la première Commission de l’Assemblée générale des Nations unies en octobre 2022), la France joint la parole aux actes et s’est engagée à ne pas procéder à des tirs de missiles antisatellites destructifs à ascension directe, c’est-à-dire tirés depuis la surface ou les airs. La France n’a jamais formellement disposé d’une telle capacité, même si elle possède l’expertise technique nécessaire pour la développer.

Le communiqué français, publié le 29 novembre 2022, utilise des éléments de langage forts. Il qualifie de tels tirs de « déstabilisateurs et irresponsables », rappelle que la France n’en a jamais effectué, et s’alarme des risques de débris spatiaux et des conséquences pour l’intégrité des satellites en activité et de l’ensemble du domaine spatial. La décision française suit celle des États-Unis adoptée le 9 avril 2022. La France avait d’ailleurs salué l’engagement américain.

La détermination du ministère des Armées est d’autant plus historique que la France est l’un des rares pays à avoir développé une « triade stratégique » comprenant missiles intercontinentaux, arme atomique et capacités aérospatiales. Son programme balistique se poursuit notamment dans le cadre du renouvellement de la dissuasion nucléaire, de la modernisation du missile balistique mer-sol M51 d’Ariane Group, et du développement du missile air-sol nucléaire de 4ᵉ génération (ASN4G) et d’un planeur hypersonique V-Max. Cet effort de modernisation, même s’il n’est pas directement lié à la question de la destruction des satellites, témoigne néanmoins de l’importance portée au développement des capacités balistiques françaises.

En parallèle, le programme Syracuse est destiné à doter les armées de satellites militaires de nouvelle génération pour leur permettre de communiquer à haut débit depuis n’importe quel relais (terrestre, aérien, marin et sous-marin). Ces satellites sont d’ailleurs équipés de moyens de surveillance de leur environnement immédiat (leur permettant de se déplacer pour éviter toute attaque). Avec les satellites CSO et CERES, ils représentent les yeux, oreilles, et porte-voix de la Défense française dans et depuis l’espace et seront suivis des programmes « Céleste » (renseignement d’origine électromagnétique) et « Iris » (capacités d’observation optique) (dont le lancement est contrarié par la guerre en Ukraine, les retards d’Ariane 6, et le Covid-19).

L’espace extra-atmosphérique figure enfin et surtout dans les chantiers consacrés comme prioritaires par Emmanuel Macron le 9 novembre 2022 en vue de la prochaine Loi de Programmation militaire 2024-2030.

Dans ce contexte, il était possible d’envisager que la France développe un jour ou l’autre un missile antisatellite (par exemple, une version lourde et très haute altitude du missile antibalistique Aster 30 ?) et procède à un « tir de démonstration » sur un ancien satellite non fonctionnel (et dans une orbite limitant l’impact des débris).

Les tirs antisatellites ont en effet ponctué l’histoire spatiale et sont de forts marqueurs de puissance militaire. La Secure World Foundation recense d’ailleurs plus de 70 tests antisatellites depuis 1959, dont plus de 20 tirs depuis 2005. Les plus importants incluent le tir chinois de janvier 2007, la réponse américaine de février 2008, le tir indien de mars 2019, et le tir russe de novembre 2021 (dont la NASA rappelle dans un point presse du 24 octobre 2022 qu’il est toujours à l’origine de manœuvres d’évitement de débris de la station spatiale internationale).

Un essai de missile anti-satellite russe met en danger l’équipage de l’ISS • France 24, 16 novembre 2021.

 

Notons d’ailleurs que la décision américaine constitue elle-même un revirement par rapport au renouveau nationaliste spatial américain d’après-guerre froide et la création de l’U.S. Space Force en 2020 sous les forts accents offensifs de Donald Trump.

Bien que la tendance d’ensemble des dernières décennies ait été à la recherche de normes de comportement dans l’espace (ce à quoi la France participe activement), cette recherche ne va pas de soi. L’histoire spatiale est en effet caractérisée par une alternance entre vision militariste et « retenue stratégique », et le « nouvel âge spatial », malgré son ouverture grandissante aux acteurs privés et aux logiques de commercialisation, reste marqué par la dimension militaire.

« Affermir » la doctrine spatiale française : vers une approche plus offensive ?

La France a connu une forte montée en puissance du spatial de défense, voire un véritable sursaut sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron et le mandat de la ministre des Armées Florence Parly.

La création du Commandement de l’Espace en septembre 2019, concomitante de l’élaboration d’une doctrine spatiale de défense, a représenté un point d’inflexion (qui sera suivi de la transformation de l’Armée de l’Air française en « Armée de l’Air et de l’Espace » en septembre 2020). Des députés avaient alors appelé à allier « défensif » et « offensif », usant d’une dichotomie qui n’en finit plus de caractériser les activités spatiales sur fond d’« astroculture ». À la croisée des chemins entre science-fiction et realpolitik, la technologie militaire (et les visions de puissance qu’elle porte) demeure indissociable de la « modernité spatiale » et façonne notre rapport à l’espace.

Maîtriser l’espace, le nouveau défi des armées, Ministère des Armées, 25 mai 2021.

Il est vrai que la stratégie spatiale française présente néanmoins le souci de la mesure et du respect du droit international. Elle affirme clairement comme buts premiers l’appui aux opérations et la protection des moyens spatiaux français pour « décourager nos adversaires d’y porter atteinte » (p. 4). Elle considère donc l’espace avant tout comme un « multiplicateur de force » adossé aux autres champs (et non pas distinct d’eux) et souligne l’enjeu de la surveillance spatiale.

Comment protéger les satellites français ?

Cependant, si l’on poursuit le raisonnement, développer des capacités de protection nécessite deux éléments : une capacité d’action technique et un cadre d’emploi.

Du point de vue technique d’abord, à l’image des États-Unis, de la Russie, ou de la Chine, la France développe elle aussi les technologies à énergie dirigée afin d’aveugler ou de « brûler » des éléments critiques de satellites hostiles. En juin 2019, dans la revue Challenges, l’Office national d’Études et de Recherches aérospatiales (ONERA) explique travailler sur de futures armes laser antisatellites. Dans une note de mai 2019, le laboratoire public précise que « des essais grandeur nature de neutralisation de satellites en fin contractuelle de vie opérationnelle ont été menés ». Ces essais se distinguent difficilement des tirs antisatellites si ce n’est pour les débris générés. Les lasers font eux-mêmes partie d’un éventail de moyens spatiaux (entourés d’un certain silence aux États-Unis comme en France) comprenant également les attaques cyber et autres brouillages sur les satellites, des satellites « tueurs de satellites », ainsi que des drones spatiaux.

Du point de vue du cadre d’emploi, ensuite, la stratégie française ouvre une brèche vers une forme d’« ambiguïté stratégique » (une notion réactivée par la guerre en Ukraine), que vient paradoxalement renforcer la décision de pas conduire de tirs antisatellites. La France se réserve ainsi « le droit de prendre des mesures de rétorsion » face à « un acte inamical dans l’espace » (p. 28), de déployer des « contre-mesures » en réponse « à un fait illicite commis à son égard » (p. 29), et de « faire usage de son droit de légitime défense » en cas « d’agression armée dans l’espace » (p. 29).

Nul doute que les termes employés gardent une souplesse d’interprétation à même d’entretenir un certain flou sur la caractérisation d’une agression tout comme sur la nature de la riposte. Cette ambiguïté est une règle de base du lexique stratégique pour ainsi garantir l’efficacité de la « dissuasion spatiale » française. (Elle permet aussi de répondre à agressions menées « sous le seuil » de déclenchement d’un conflit).

En cela, la stratégie française semble s’inscrire dans une recherche de l’équilibre « psychotechnique » cher au réalisme aronien (voir Raymond Aron, Paix et Guerre, 1962, p. 669) : la détermination (et sa perception dans le champ psychologique) importe autant que la crédibilité technologique et la capacité technique à « frapper » (cette dernière a d’ailleurs pu être mise à mal dans l’histoire de la dissuasion française).

En s’interdisant les tirs antisatellites, la France renonce à une possibilité de la grammaire stratégique spatiale mais laisse d’autres possibilités d’action ouvertes, sans toutefois bien les spécifier (les modalités de réponse exactes à une agression dans l’espace ne sont pas publiques). Il reste donc à voir dans quelle mesure la doctrine spatiale française sera amenée à évoluer (et avec quel discours public). En l’état, rien n’exclut une possible forme de convergence (voire une intersection) avec la doctrine française cyber (en majeure partie secrète également), pour laquelle le Commandement de la Cyberdéfense créé en 2017 affiche une posture plus offensive, tournée vers la supériorité opérationnelle, et prévoit une montée en puissance du cyber militaire.

Le cerveau du chef de groupe de combat comme priorité stratégique

Le cerveau du chef de groupe de combat comme priorité stratégique

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 22 décembre 2022

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Colloque “Pour une gestion optimale du stress”- 28 septembre 2022 Ecole du Val-de-Grâce

En 1997, alors commandant d’une compagnie d’infanterie de marine, je testais mes neuf groupes de combat d’infanterie. Sur un terrain profond de 500 mètres parsemé de trous et d’obstacles, chacun d’eux devait s’emparer d’un point d’appui tenu par trois hommes. Attaquants et défenseurs étaient équipés de « systèmes de tir de combat arbitré par laser » dont chaque coup au but entraîne une mise hors de combat.

A la première attaque, les performances furent très inégales suivant les groupes. Certains ont été étrillés dès le début de l’action alors que deux sont parvenus à réussir la mission, dont un avec des pertes très légères. Après un deuxième passage, le nombre de groupes ayant réussi la mission était passé à quatre, mais la hiérarchie des résultats restait sensiblement la même. Il y avait donc eu un apprentissage très rapide. Dans un troisième passage, les hommes ont été mélangés dans les différents groupes. L’efficacité moyenne a nettement diminué, mais la hiérarchie des chefs de groupe est restée sensiblement la même. J’en concluais que deux facteurs influaient la performance des groupes : la connaissance mutuelle et l’expertise du chef de groupe. Je m’intéressais ensuite plus particulièrement à la manière dont les meilleurs chefs de groupe avaient pris leurs décisions.  

Décider dans la peur

L’instrument premier du chef au combat est sa mémoire à court terme, sorte de « bureau mental » qui permet de réfléchir à partir d’objets mentaux rapidement accessibles. Ces objets sont des informations telles que la position réelle ou supposée des amis et des ennemis, leurs actions possibles, etc. On forme ainsi une vision de la situation. Cette vision est réactualisée en permanence en fonction des informations reçues par ses propres sens ou par les subordonnés, les chefs ou les voisins.

La fiabilité de cette vision par rapport à la réalité est forcément médiocre, très inférieure, par exemple, à celle du joueur d’échecs qui voit toutes les pièces de l’échiquier et dont la seule inconnue est la réflexion de son adversaire. Elle correspond en fait à celle qu’aurait ce joueur d’échecs s’il occupait lui-même la place du Roi, un Roi accroupi ou couché, alourdi d’une vingtaine de kilos d’équipements et évoluant dans le vacarme du champ de bataille. Cette vision est surtout influencée par le stress inévitable du combat, de la même façon qu’en retour elle influe aussi ce degré de stress.

La manière dont un individu réagit à un danger dépend de l’interaction de plusieurs systèmes nerveux. L’amygdale, placée dans le système limbique, est la sentinelle du corps. Lorsqu’elle décèle une menace, elle déclenche immédiatement une alerte vers des circuits nerveux rapides. Les ressources du corps sont alors automatiquement mobilisées par une série d’ordres bioélectriques et des sécrétions chimiques. Cette mobilisation se traduit par une concentration du sang sur les parties vitales au détriment des extrémités, ainsi que par une atténuation de la sensation de douleur. Surtout, elle provoque une augmentation du rythme cardiaque afin de permettre des efforts physiques intenses.

Quelques fractions de seconde plus tard, l’alerte de l’amygdale atteint le néocortex et c’est là que se forme une première vision de la situation et la réponse à cette question fondamentale : est-ce que je suis capable de faire face à la situation ?

Si la réponse oui. Il est probable que la transformation en restera là et sera positive. Si la réponse est non, le stress augmente et le processus de mobilisation s’emballe jusqu’à devenir contre-productif. Au-delà d’un premier seuil, l’habileté manuelle se dégrade et l’accomplissement de gestes jusque-là considérés comme simples peut devenir compliqué. Au stade suivant, ce sont les sensations qui se déforment puis les fonctions cognitives qui sont atteintes et il devient de plus en plus difficile, puis impossible de prendre une décision cohérente. Au mieux, on obéira aux ordres ou on imitera son voisin. Au stade ultime du stress, le comportement de l’individu n’a plus de lien avec la menace extérieure puisque c’est le corps lui-même, et particulièrement le cœur, qui sera la menace principale. Le réflexe est alors de bloquer l’amygdale afin de stopper ce processus de mobilisation générale devenu dangereux. L’individu peut alors rester totalement prostré face à quelqu’un qui va visiblement le tuer (1). Notons que comme l’amygdale est reliée à la mémoire profonde, c’est là qu’elle puise les indices de danger, son blocage souvent influe aussi sur la mémoire. Au mieux, la séquence qui a provoqué la terreur est effacée de la mémoire ; au pire, elle s’y incruste fortement et revient à l’esprit régulièrement.

En résumé, le stress introduit une inégalité de comportement en fonction sa confrontation avec la vision du danger à affronter.  Comme disait Montaigne, la peur de la mort donne des ailes ou plombe les pieds ou c’est valable aussi pour les capacités cognitives.  

Alors qu’il était chef d’un poste isolé au nord de Sarajevo en 1995, le lieutenant Pineau reçoit par les Bosno-Serbes l’ultimatum de quitter la zone dans les dix minutes avant d’être attaqué. Il témoigne de son état : « Cœur qui s’emballe, un grand blanc, puis le sentiment d’avoir des capacités décuplées, une extrême clairvoyance ». J’ai eu moi-même exactement la même sensation de « flow » décrit par le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi, lors de mon arrivée dans la même ville deux ans plus tôt et le premier accrochage, avec des miliciens bosniaques cette fois. Quelques jours plus tard, je me trouvais dans l’axe de tir d’un sniper et me réfugiais derrière un bulldozer. Je me surpris alors à calculer à quelle distance pouvait se trouver le tireur en fonction des sons entendus, le temps qu’il faudrait à une balle 7,62 x 54 mm R pour parcourir cette distance, ma vitesse de course, la vitesse de réaction du tireur en me voyant, et au bout du compte combien de mètres je pouvais parcourir avec l’arrivée de sa balle. Tout cela en quelques secondes. Autre exemple, après l’explosion d’un engin explosif qui vient de tuer un de ses hommes en Afghanistan, le capitaine Hugues Roul se rend sur place :

Je ne me sens pas submergé par les émotions, et je me concentre sur les différentes tâches à effectuer : bouclage de la zone, reconnaissance afin de déceler un éventuel deuxième IED[Improvised Explosive Device, engin explosif improvisé] coordination avec la section d’alerte qui arrive avec le médecin et l’équipe EOD [Explosive Ordnance Disposal, équipe de neutralisation des explosifs], etc. Tellement concentré que je ne remarquerai même pas le chasseur qui passera en rase motte afin d’effectuer un « show of force », et que je serai incapable de dire combien de temps nous sommes restés sur zone. J’insiste également pour que les hommes qui n’ont pas vu le corps ne se rendent pas sur la zone, afin de les préserver de cette vision (2).

Mais on n’a pas toujours des ailes au cerveau. On peut répondre aussi « je ne sais pas trop » à la question « est-ce que je peux faire face » et se trouver alors dans une contradiction entre l’obligation et le désir d’agir d’un côté et la difficulté à décider de ce qu’il faut faire de l’autre.

Lorsqu’on est simple soldat et que l’on ne doit pas donner d’ordre, il suffit d’obéir pour résoudre cette contradiction. Pour le caporal Gaudy en 1918, « C’est un des bonheurs du soldat de n’avoir qu’à se laisser guider : il se repose sur le chef qui pense pour lui (3)». On se concentre alors sur ses seules actions afin d’accomplir la mission et survivre, mais même ainsi on simplifie aussi la situation pour se concentrer. La vision de beaucoup de combattants est focalisée par une sorte d’effet tunnel sur sa propre situation et son environnement immédiat. Cet isolement s’explique par le cloisonnement du champ de bataille (terrain, poussières, vacarme) et le refus inconscient de voir les dangers contre lesquels on ne peut rien faire. Dans cette réduction du bureau mental, l’esprit se concentre souvent sur une seule idée ou une seule image concrète : le chef, la menace ou l’objectif à atteindre. Dans son analyse des combats de sa compagnie à Bangui en mai 1996, le capitaine Marchand parle d’une « focalisation complète sur l’objectif qui fait rapidement oublier les autres directions potentiellement aussi dangereuses en localité (4)». Les évènements qui surviennent dans ce petit espace-temps sont grossis, ceux qui se déroulent loin sont ignorés. Après les faits, l’interview des combattants donne souvent l’impression qu’ils n’ont pas participé au même combat. D’où la nécessité de reconstituer le plus vite possible pour eux et avec eux le puzzle du combat qui vient de se dérouler.

Pour un chef, obligé de « cheffer » selon les mots de Jacques Chirac, une manière classique de résoudre la contradiction consiste à travailler en dessous de son niveau de responsabilité. L’homme est encore un acteur mais il accepte sciemment un second rôle. Le capitaine Marchand décrit ainsi la contraction du commandement qui se manifeste dans une partie de son encadrement, augmentant par ailleurs la charge de ceux qui restent à leur niveau de responsabilité. Il décrit également « la tendance à exagérer dans ses comptes rendus le volume de l’ennemi et la difficulté de la situation » ce qui perturbe fortement la capacité d’analyse lucide de la situation.

Docteurs en morts violentes

Parlons maintenant de cette analyse qui précède les ordres, y compris les ordres à soi-même. Une situation chaotique ne devient compréhensible que si on possède certaines clefs. De la même façon que Galilée voyait des lunes là où les autres ne voyaient que des tâches sur Jupiter, l’expert tactique qui reste concentré « voit » ainsi tout de suite des choses qui échappent au novice. Mais pour voir, il faut savoir, et en appui du bureau mental de la mémoire à court terme, il y a l’expérience profonde de l’individu, sa mémoire à long terme (5).

À partir de la fusion d’informations réalisée par la mémoire à court terme, le combattant construit son estimation de la situation puis « décide de décider ». Pour cela, il commence par choisir plus ou moins consciemment de la vitesse d’analyse en fonction de l’urgence ou de la complexité de la situation. Il peut choisir un cycle réflexe de quelques secondes pour des décisions simples (tirer, bondir, etc.) ou un cycle de réflexion qui peut durer jusqu’à plusieurs minutes, en fonction de la complexité de l’action à organiser.

Chacun de ces cycles est lui-même une combinaison de souvenirs et d’analyse en fonction des délais disponibles, souvent limités, et du degré d’expérience du combat. Lorsque la situation est familière, l’appel à la « mémoire tactique », va être immédiat et automatique. Or, les souvenirs contiennent des charges affectives émotionnelles. Ces charges ont des intensités différentes et un signe positif ou négatif. Si l’expérience passée a été négative, la charge indiquera que ce n’est pas une chose à faire. Son action sera plutôt inhibitrice. Inversement, si l’expérience passée a été un succès, les émotions pousseront à agir à nouveau de la même façon. Plus la banque de réponses typiques positives est riche, plus le combattant a de chances de trouver de bonnes réponses et, paradoxalement, plus cette recherche est rapide. Ce phénomène, parfaitement analysé par le neurobiologiste Antonio Damasio (6), explique pourquoi le combattant est désemparé devant l’inconnu (il ne peut être aidé par des expériences antérieures) et pourquoi il est préférable d’agir sur un large fond d’expériences positives.

Si la situation ne ressemble pas quelque chose de connu ou si la solution qui vient à l’esprit ne convient pas, l’analyse prend le relais. Or, cette réflexion logique est beaucoup plus longue et coûteuse en énergie que l’appel aux souvenirs. Le novice a donc tendance, soit à concentrer comme on l’a vu sur quelque chose de simple mais connu, au risque de ne pas être au niveau de la situation, soit à utiliser des cycles de réflexion plus longs que ceux de l’expert pour tout analyser. Ce faisant, il risque de s’épuiser plus vite et surtout de se trouver dans une position délicate face à des adversaires plus rapides.

De plus, comme nous l’avons vu, à délais de réflexion équivalents, les experts bénéficient d’une vision de la situation de meilleure qualité qui leur permet et d’un système d’aide à la décision à base de solutions « préenregistrée ». Dans une partie d’échecs officielle, les délais de réflexion sont identiques pour les deux adversaires. La différence se fait donc dans le choix du secteur de jeu sur lequel on fait effort, la confrontation avec des séquences similaires connues et dans la manipulation des solutions possibles. Quand on lui demandait comment il était devenu champion du monde d’échecs, Garry Kasparov répondait « J’ai appris 8 000 parties par cœur ». Son génie, comme celui de Napoléon, qui lui avait appris toutes les batailles de son temps, reposait sur l’art d’utiliser les innombrables situations analogues qui se présentaient dans son esprit face à une situation nouvelle, c’est-à-dire à choisir les plus pertinentes et à les adapter.

En situation de combat rapproché, où celui qui ouvre le feu efficacement le premier sur l’autre dispose d’un avantage considérable, ce choix de la vitesse est essentiel. Si on suit les analyses du major britannique Jim Storr, celui qui prend une décision qui a une chance sur deux d’être une bonne décision a également une chance sur deux de l’emporter, alors que celui qui prend une décision parfaite mais en second n’a qu’une chance sur quatre de gagner. Celui qui est très rapide et peut prendre une deuxième décision avant que son adversaire n’ait encore pris sa première l’emporte presque à coup sûr puisqu’il peut bénéficier des résultats et de l’expérience de la première action. Un des aspects les plus intéressants de ces travaux est par ailleurs de montrer que 80 % des informations nécessaires pour prendre une bonne décision sont souvent acquises très vite et que chercher à obtenir les 20 % manquants est le plus souvent une longue et dangereuse perte de temps (7).

L’analyse offre rarement plus de deux choix. Le choix est alors conditionné par quelques critères : réussir la mission bien sûr, mais également limiter les risques pour ceux dont a la responsabilité ou encore pour les civils, « être à la hauteur », mettre en confiance le groupe, etc. En situation de rationalité limitée et sous pression du temps, la solution choisie n’est pas forcément la meilleure, mais la première qui satisfait à tous ces critères.

Améliorer le fonctionnement du groupe de combat

Voilà sensiblement comme on prend des décisions sous le feu et constatons que dans le cas des chefs de groupe de combat d’infanterie évoqués en introduction, rien n’a été conçu pour leur faciliter la tâche.

Le groupe de combat a été inventé en 1917 afin de résoudre le problème du déplacement sous le feu intense de la guerre industrielle. La solution est venue de la conjonction de plusieurs innovations : l’apparition d’armes nouvelles (grenades à main, à fusil, fusils-mitrailleurs, etc.) qui ont augmenté d’un coup la puissance de feu portable et donc offensives, mais aussi, plus subtilement, l’interdépendance des hommes. La solidité au feu est aussi affaire sociale, et même si ce n’était pas le but recherché, on s’est aperçu que les soldats spécialisés qui dépendaient les uns des autres, s’impliquaient plus dans le combat que les soldats alignés, identiques et indépendants techniquement les uns des autres de 1914. Si on ne répond pas forcément mieux en 1917 qu’en 1914 à la question « Est-ce que je peux faire face ? » (en fait, la réponse est plutôt « oui » puisqu’on a des armes plus puissantes) on répond déjà plus positivement à la question « est-ce que je dois faire quelque chose ? », c’est-à-dire prendre plus de risques. La solidité au feu, c’est-à-dire le choix d’être acteur plutôt que figurant passif, est aussi affaire sociale, plus précisément c’est un mélange de confiance, en soi, ses moyens, ses chefs, ses camarades, et d’obligations, envers ses camarades, son corps d’appartenance, sa patrie. Si en plus, on a la certitude que prendre des risques sert à quelque chose, c’est encore mieux.

On forme donc deux puis trois groupes de combat d’une douzaine d’hommes par section d’infanterie, mais comme il n’est pas possible de multiplier par deux ou trois le nombre d’officiers, les sergents passent du rôle de « serre-rangs » se contentant de faire appliquer les ordres à celui de chef et de donneur d’ordres tactiques. Ce n’est pas parce qu’on travaille à un petit échelon que les choses sont simples. Le commandement d’un groupe de combat est au contraire très complexe, surtout sous le feu. En 1925, déjà, le capitaine Maisonneuve le décrivait ainsi :

Dans l’excitation et la fièvre du combat offensif de première ligne, au milieu de la multitude des sensations qui par tous les sens envahissent son cerveau, au milieu du bruit et de la fumée, ce chef de groupe devra diriger l’emploi, selon le terrain, selon les circonstances multiples du combat, d’un fusil-mitrailleur, d’un tromblon V.B., de grenades, de fusils, de baïonnettes (8). 

Les choses n’ont guère changé. Le chef de groupe de combat actuel doit combiner l’action d’un véhicule de combat et d’une troupe à terre avec sept armes différentes. L’apprentissage du commandement n’est pas non plus facilité par les rotations constantes de personnel et les changements permanents de structure. En seize ans de compagnie d’infanterie, j’ai rencontré quatorze structures différentes de groupes de combat, en fonction de l’évolution des armements, des réductions d’effectifs, de divers tâtonnements (binômes et/ou trinômes, équipes choc, feu, mixtes, « 300 », « 600 ») et surtout des missions extérieures, comme s’il était logique de changer de structure de parce qu’on change de territoire.

Le plus grave est surtout qu’oubliant la réalité psychologique des combats, on a conçu le commandement du groupe de combat de manière très cartésienne.  On a en effet découpé le travail du chef de groupe au combat en situations types et on a défini une check-list, ou cadre d’ordre, pour chacune de ces situations. Pour commander « suivant le manuel », le chef de groupe doit donc connaître par cœur douze cadres d’ordre différents : DPIF (pour « Direction-Point à atteindre-Itinéraire-Formation » pour se déplacer), FFH, MOICP, PMSPCP, HCODF, GDNOF, ODF, IDDOF, PMS, SMEPP, etc. Outre que leur mémorisation occupe une large part de l’instruction, ces ordres « récités à la lettre » ont surtout le défaut majeur de ralentir considérablement le groupe. Si on applique strictement les méthodes de commandement réglementaires, il faut par exemple 2 minutes pour qu’un groupe pris sous le feu puisse à son tour riposter, après avoir donc reçu potentiellement plusieurs centaines de projectiles.

Bien entendu en combat réel, voire en exercice un peu réaliste comme celui évoqué en introduction, toutes ces procédures explosent. Dans le meilleur des cas, le sergent utilise des procédures simplifiées de son invention, dans le pire des cas – le plus fréquent – on assiste à des parodies d’ordres, autrement dit des hurlements variés. Ajoutons qu’en rendant complexe la tâche du chef de groupe, on rend encore plus difficile son remplacement s’il est tué ou blessé. Le groupe comprend normalement deux chefs d’équipe et même désormais, semble-t-il, un adjoint. On s’aperçoit cependant que ces caporaux-chefs qui se retrouvent d’un seul coup placés en situation de commandement ont oublié en grande partie les IDOFF et autres HCODF péniblement appris dans le passé.

Pendant quinze ans, j’ai procédé à plusieurs expérimentations pour tenter de résoudre ce problème et faire en sorte que chaque chef de groupe puisse répondre plus facilement « oui » à la question : « est-ce que je peux faire face et prendre de bonnes décisions ? ».

Le premier axe d’effort a consisté à simplifier sa tâche. Le groupe est partagé en une équipe 300 m pour le combat rapproché et une équipe 600 pour le combat plus lointain. Le problème est que les deux fonctionnent rarement optimalement en même temps. Il est finalement plus rationnel de regrouper toutes les armes à longue portée dans un groupe d’appui au niveau de la section et de faire de chaque groupe de combat un groupe 300. Pour ce qui nous intéresse ici, cela a le mérite de simplifier la tâche du sergent, chef de groupe.

Le deuxième axe, le plus important, a consisté à imiter le commandement à la radio des « tankistes » en remplaçant tous les cadres d’ordre par un seul, applicable à toutes les situations sur le modèle : « voilà l’objectif et sa position, et voilà l’action à mener », c’est le modèle dit OPAC. Ce système, très simple, permet de s’adapter à toutes les situations, même les plus confuses, sans perdre de temps à essayer de se souvenir du cadre d’ordre réglementaire, raccourcit considérablement le processus de décision et augmente sa qualité puisqu’il laisse un peu plus de temps pour réfléchir sur les options.

Le troisième axe a consisté à soulager encore le travail du chef de groupe en responsabilisant ses deux chefs d’équipe. Le chef de groupe donne des ordres à deux ou trois chefs d’équipe, on reste ainsi sous la limite des 5 objets manipulable par la mémoire à court terme, et chaque chef d’équipe commande deux ou trois hommes avec la même méthode OPAC. Utilisant la même méthode simple, un chef d’équipe peut aussi plus facilement remplacer le chef de groupe.

Il s’est agi ensuite de multiplier l’apprentissage des parties, comme Garry Kasparov, afin de constituer la plus grande mémoire tactique possible. On a donc multiplié les simulations de combat, en saisissant toutes les occasions qui se présentaient et en s’efforçant de les rendre les plus réalistes possibles, avec l’emploi de laser et d’arbitres en particulier.

Après des années d’expérimentations, et donc des erreurs, et sans aucune innovation technique, le résultat a été saisissant puisque les groupes, et les sections d’infanterie, formés selon cette méthode l’ont emporté systématiquement dans des confrontations avec des unités classiques agissant selon le règlement INF 202. Toutes capacités à résister au stress par ailleurs, les groupes nouvelle formule fonctionnaient simplement vite et mieux. Dans un combat d’infanterie, fonctionner vite et mieux que l’ennemi, cela signifie au moins réduire les pertes qu’il peut nous infliger et au mieux le battre complètement. A une époque, où la mort de quelques soldats constitue un évènement et où la majorité de ces soldats français qui tombent sont justement des fantassins, on mesure l’importance stratégique que peut avoir le bon fonctionnement du cerveau de leurs chefs.


1 Christophe Jacquemart, Neurocombat. T. I Psychologie de la violence de rue et du combat rapproché, Paris, Fusion froide, 2012.

2 Les témoignages sont extraits de Michel Goya, Sous le feu – La mort comme hypothèse de travail, Tallandier, 2014.

3 Georges Gaudy, L’agonie du Mont-Renaud, Plon, 1921.

4 Rapport du capitaine Marchand, « Enseignements tirés de l’action menée sur la maison de la radio de Bangui (21 mai 1996) ».

5 Raphel, Stivalet et Esquivie, « La vulnérabilité de l’homme au combat : aspects psychologiques », in L’armement  n°53, juillet-août 1996.

6 Antonio Damasio, L’erreur de Descartes, Paris, Odile Jacob, 1985. Voir également son entretien dans Sciences Humaines, n°119, août-septembre 2001.

7 Jim Storr« Des commandants au contact des réalités », in Objectif Doctrine n°50, avril 2001. Jim Storr, The Human Face of War, Continuum Editions, 2011.

8 Paul-Henri Maisonneuve, L’infanterie sous le feu, Berger-Levrault, 1925.

Guerre en Ukraine : Les stratégies de stockage des armées françaises

Guerre en Ukraine : Les stratégies de stockage des armées françaises

GUERRE EN UKRAINE : Les stratégies de stockage des armées françaises
par ASAF et IFRI – publié le mardi 06 décembre 2022

Stocks militaires : une assurance-vie en haute intensité ?

La guerre en Ukraine rappelle la place de l’attrition d’un conflit en haute intensité à des armées européennes taillées au plus juste après trois décennies de réduction budgétaire. L’ensemble des forces européennes ont dû réduire leurs stocks au strict minimum. En conséquence, le soutien à l’Ukraine s’est traduit par d’importants prélèvements sur leurs capacités opérationnelles. Une quantité non négligeable de systèmes retirés du service a également été donnée, par manque d’épaisseur des parcs opérationnels.

La Russie a, quant à elle, mobilisé les vastes stocks hérités de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) pour soutenir son effort de guerre après l’échec initial de son « opération militaire spéciale ». Le processus de rénovation des systèmes les plus anciens est également accru, alors que la production russe de matériel moderne reste insuffisante.

Le conflit en cours voit donc s’affronter des parcs mixtes composés de systèmes très modernes et d’autres beaucoup plus anciens – voire obsolètes – issus de stocks de long terme. Cette situation incite à s’interroger sur les stratégies de stockage des armées françaises et à les comparer à celles qui existent ailleurs.

 

Focus stratégique n° 113 ci-joint ou disponible à l’adresse suivante : https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/peria-peigne_stocks_militaires_2022.pdf

Lire et télécharger : Stocks militaires une assurance-vie en haute intensité IFRI 12 2022