L’institut Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) est un centre de recherches qui décrypte les questions géopolitiques et stratégiques de la zone couvrant le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, de même que les recompositions entre acteurs globaux. Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.
Pourquoi Donald Trump, qui n’hésite pas à sidérer ses partenaires comme ses rivaux pour imposer des accords avantageux pour les États-Unis, a-t-il volontairement déstabilisé le Danemark (UE) et le Canada, tout en cherchant à s’entendre avec la Russie ? Une réponse par une carte commentée par l’équipe de direction de la FMES.
LES déclarations de Donald Trump relatives à son souhait d’annexer le Canada et le Groenland, au-delà de la provocation assumée, illustrent le caractère hautement stratégique de l’Arctique sur trois plans illustrés par cette carte.
Carte. L’Arctique : un espace hautement stratégique
Réalisation P. Orcier. Copyright février 2025-Orcier/FMES
Orcier/FMES
Tout d’abord sur un plan stratégique dans le cadre de la dissuasion nucléaire, car l’espace arctique demeure la voie la plus courte et donc la plus efficace permettant aux missiles intercontinentaux d’atteindre le cœur du territoire adverse (Russie-Chine d’un côté, Etats-Unis de l’autre), qu’ils soient basés à terre ou à bord de sous-marins lanceurs d’engins navigant en Atlantique Nord ou en Arctique. Cette représentation « polaire » le montre clairement, à l’inverse des représentations Mercator classiques. S’approprier des îles ou des terres permettant de repérer, de suivre et d’intercepter le plus tôt possible de tels missiles balistiques revêt donc une importance cruciale. Tout comme construire des voies ferrées qui permettent d’accéder au cercle arctique.
Donald Trump et le Pentagone ne cherchent pas l’affrontement avec la Russie, mais ils souhaitent étendre le plus possible le bouclier antimissile des Etats-Unis en direction de la Russie et de la Chine, tout en inscrivant dans le temps long la présence en Arctique de bases américaines liées à ce même bouclier.
Ensuite sur un plan économique lié aux enjeux de souveraineté, car l’espace arctique est riche en ressources hydrocarbures offshore, mais aussi en terres rares et minerais stratégiques. Si la Russie et la Norvège se sont entendues sur leur délimitation maritime et le partage des hydrocarbures, et si le Canada et le Danemark ont conclu un accord sur la délimitation maritime et l’accès aux ressources de certaines îles voisines du Groënland, des différends subsistent entre le Canada et les Etats-Unis au niveau du passage du Nord-Ouest. Les Etats riverains (Russie, Norvège, Danemark, Canada et Etats-Unis) poussent leurs revendications en direction du pôle Nord. La Russie considère l’océan Arctique comme un immense « lac russe » ; elle a planté son drapeau sous le pôle par 4 267 mètres de profondeur, mis en place des infrastructures militaires permanentes sur certaines îles, et installé des bases temporaires sur la banquise. Elle s’apprête à déployer un câble sous-marins de communication (Polar Express) reliant Vladivostok à Mourmansk.
La France a obtenu en 2000 le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique et a adopté une stratégie pour l’Arctique.
Enfin sur un plan maritime, deux routes concurrentes traversent l’espace arctique pour relier l’Europe et la côte Est américaine à l’Asie du Nord par la voie maritime la plus courte. La route maritime du Nord longe les côtes de Norvège et de Russie, alors que le passage du Nord-Ouest longe le littoral du Groënland, du Canada et de l’Alaska. A terme, avec le réchauffement climatique, la fonte de la banquise pourrait permettre d’emprunter en été une route maritime directe encore plus courte passant par le pôle Nord. Ces trois routes convergent au niveau du détroit de Béring qui pourrait devenir à terme un détroit aussi convoité que celui d’Ormuz, tant pour les Etats-Unis et la Russie qui en contrôlent l’accès, que pour la Chine qui ambitionne de le sécuriser à des fins commerciales et stratégiques.
Si les compagnies maritimes russes et chinoises utilisent de plus en plus ces routes maritimes, les grandes compagnies occidentales ont annoncé qu’elles renonçaient à court-moyen terme à la voie arctique, arguant des difficultés de navigation : nuit de six mois, absence de ports et d’infrastructures permettant de réparer des avaries graves ou de soigner des membres d’équipages en cas d’urgence.
On comprend dès lors mieux pourquoi Donald Trump, qui n’hésite pas à sidérer ses partenaires comme ses rivaux pour imposer des accords avantageux pour les États-Unis, a volontairement déstabilisé le Danemark (UE) et le Canada, tout en cherchant à s’entendre avec la Russie.
L’équipe de direction de l’Institut FMES Manuscrit clos en février 2025. Copyright Février 2025-institut FMES-Orcier.
Titre du document : Carte. L’Arctique : un espace hautement stratégique Réalisation P. Orcier. Copyright février 2025-Orcier/FMESDocument ajouté le 29 mai 2025 Document JPEG ; 687065 ko Taille : 1048 x 832 pxVisualiser le document
Pourquoi Donald Trump a-t-il volontairement déstabilisé le Danemark (UE) et le Canada, tout en cherchant à s’entendre avec la Russie ? Une réponse par une carte commentée par l’équipe de direction de la FMES.
La conception des équipements se fonde sur les besoins des forces armées pour la meilleure exécution de leurs missions
. Ces équipements répondent à un besoin militaire opérationnel exprimé pour obtenir un effet tactique, opératif ou stratégique
. Il s’agit de disposer d’un avantage en évitant une éventuelle surprise technologique sans introduire de vulnérabilités qui pourraient être exploitées par l’adversaire. Cet argument est à analyser en prêtant une attention particulière à la variable énergétique, compte tenu du recours de plus en plus massif à des technologies énergivores.
Les forces terrestres connaissent une véritable révolution énergétique. Au XXè siècle, l’énergie de base était constituée par les carburants fossiles alimentant les moteurs de plateformes qui garantissaient leur mobilité et créaient l’énergie électrique et hydraulique nécessaire au fonctionnement des systèmes et équipements embarqués dans une logique d’équilibre énergétique. Aujourd’hui, les plateformes, dont la motorisation est peu différente, intègrent des équipements énergivores en raison d’une numérisation et d’une robotisation croissantes depuis le début du siècle. Dès le moyen terme, ces équipements énergivores seront imposés par l’utilisation qui se profile d’armements à rayonnement électromagnétique ou laser pour le combat ou encore le brouillage. Ces besoins qui ne cessent de croître tout en s’avérant « gourmands » en électricité produite localement tendent à augmenter le niveau de criticité du système énergétique sur lequel elles reposent et conduisent à la rupture de l’équilibre énergétique des plateformes de combat. Si la technologie demeure un atout tactique ultime, l’approvisionnement et la sécurité énergétiques s’imposent également comme le fondement de cet atout.
Or, dans l’éventualité d’un déséquilibre où la disponibilité énergétique et logistique deviendrait insuffisante face aux besoins énergétiques (alors trop importants), c’est l’ensemble des chaînes d’approvisionnement qui est fragilisé, auquel cas, la situation pourrait finalement s’apparenter à des configurations expérimentées durant les opérations en Afghanistan lorsque le dispositif logistique alourdi est ciblé par l’adversaire avec des conséquences humaines (pertes, moral, etc.) et tactiques (missions limitées, par exemple.)
. Cela conduit dans un premier temps à une réelle sensibilisation aux questions d’approvisionnement énergétique ainsi qu’à une anticipation de scénarios de rupture originaux pour y faire face.
Dans le cas des plateformes de combat mobiles, un accroissement de la complexité des systèmes embarqués induit généralement un plus haut degré de sensibilité à leur environnement et donc de fragilité. Cette fragilité peut nécessiter l’augmentation du niveau de protection des appareils concernés (exemple : gestion des batteries inflammables) ainsi que certaines caractéristiques ou impératifs techniques liées ou propres à certaines formes d’énergie (propriétés de combustible spécifiques, un niveau minimum d’intensité énergétique, un flux – électrique – continu ou alternatif, etc.). Sur ce dernier point, la question de la disponibilité de l’énergie pour le bon fonctionnement des équipements s’impose à nouveau comme un enjeu central, surtout pour les activités sur le territoire national comme en OPEX, et constitue vraisemblablement un élément structurant dès la phase de conception des équipements.
Suivant cette logique, cette note propose de mettre en évidence l’impact de la disponibilité de l’énergie relativement aux capacités militaires. Autrement dit, il s’agit d’une réflexion sur l’efficacité des missions en environnement énergétique contraint ou contesté
et ainsi de mettre en évidence des leviers ou des marges de vulnérabilité et d’évolution dans ce contexte. C’est dans ce cadre que la question des low-tech sera abordée afin d’évaluer si, de prime abord, elles peuvent constituer un élément de réponse satisfaisant à ces enjeux. L’intérêt pour les technologies low-tech est à comprendre ici comme la recherche d’équipements peu énergivores et robustes sans occasionner de perte d’efficacité, ce qui les distingue d’une conception « anti-technologique », les low-tech pouvant au contraire impliquer de hauts niveaux d’innovation.
Le projet East African Crude Oil Pipeline qui se situe entre l’Ouganda et la Tanzanie orchestré par Total energie fait débat. En effet, EACOP sera le plus long oléoduc chauffé du monde, grand de près de 1 443 km. Cependant, ce projet suscite de nombreuses préoccupations, que ce soit de la société civile et des ONG environnementales. L’acheminement des matières premières par pipelines est un sujet central en géopolitique car il est quasi généralisé à l’échelle mondiale. Cependant, son aspect transnational et écologique questionne. Nous pouvons nous demander, comment les réseaux de pipelines influencent-ils la sécurité énergétique des États et leurs stratégies géopolitiques ?
Les pipelines comme levier géopolitique
Il existe environ 2 millions de kilomètres de pipelines traversant le monde. Le contrôle de ces infrastructures permet à certains pays de détenir une part significative du pouvoir sur les flux énergétiques mondiaux, ce qui est particulièrement vrai pour les nations productrices de pétrole et de gaz, comme la Russie, les pays du Moyen-Orient ou ceux d’Asie centrale.
La construction de nouveaux pipelines modifie les relations économiques et politiques entre les pays, car ces infrastructures créent des interdépendances. Ainsi, le contrôle des pipelines offre à un pays la possibilité de sécuriser ses approvisionnements énergétiques tout en réduisant sa vulnérabilité aux coupures potentielles. En effet, la dépendance des pays aux matières premières peut être utilisée comme un levier de pouvoir, établissant ainsi un axe de domination.
Dans le droit international, la construction des pipelines dépend généralement de l’accord des États concernés, qui négocient souvent les conditions de leur installation. Cela se reflète dans des accords comme celui du 12 août 2018, sur le statut de la mer caspienne signé par les chefs d’État de la Russie, de l’Iran, du Kazakhstan, de l’Azerbaïdjan et du Turkménistan, qui a permis la création du gazoduc transcaspien de 878 km.
Un réseau de pipelines international nécessite une coopération minimale entre les États, matérialisée par l’« Intergovernmental Agreement » (IGA), accord intergouvernemental qui stipule les conditions de transit énergétique et l’engagement des États à garantir les terrains nécessaires pour son passage. Cet IGA est souvent accompagné de contrats entre la compagnie opératrice et chaque État hôte.
Cependant, il convient de noter que, bien que les pipelines sous-marins soient régis par des lois internationales solides, les pipelines terrestres ne bénéficient pas du même cadre juridique en droit international. Néanmoins, les perspectives de développement de ces infrastructures sont vastes et en constante évolution, comme en témoigne l’exemple des accords liés au Nord Stream 2.
Les enjeux géopolitiques : Europe, Moyen-Orient et Asie
Nous pouvons prendre le cas de l’Europe qui utilise les pipelines comme levier géopolitique. En effet, il y a divers pipelines qui acheminent les matières premières vers l’Europe que ce soit Nord stream 1 et 2, trans adriatic pipeline (indiquez sa longueur)…
Nous allons nous pencher sur le cas Nord Stream 1 et 2. En quelques chiffres, Nord Stream atteint 1 222 km de longueur, 55 milliards m3/a en capacité de transport entre Oust-Louga en Russie jusqu’à Greifswald en Allemagne. De ce fait, depuis le début de la guerre en Ukraine, les enjeux géopolitiques des pipelines reviennent sur le devant de la scène car en septembre 2022, Nord Stream 1 et 2 ont été sabotés occasionnant d’importantes fuites.
Les auteurs de ce sabotage ont fait l’objet de nombreuses spéculations. De nombreuses agences de presse soupçonnent un commando ukrainien. De plus, , depuis le début de la guerre en Ukraine, afin de réduire les exportations énergétiques russes, , les pays européens se sont entendus pour suspendre leur flux via le Nord stream 2, illustrée par la citation de l’ancien ministre de l’économie français Bruno Le Maire « Nord Stream 2 pourra ouvrir le jour où le pouvoir russe respectera ses engagements internationaux et l’intégrité du territoire de l’Ukraine ».
Nord stream 2 fait polémique car il accroît la dépendance aux ressources russes et donc retire à l’Europe de la souveraineté en matières premières. Ce qui peut être dangereux lorsqu’il s’agit de conflits. Nord stream est un gazoduc maritime, il ne traverse ni les pays baltes, ni l’Ukraine. Il prive donc ces territoires de revenus de transport (estimés à 1,5 milliard d’euros par an).
Dans le contexte du Moyen-Orient, la situation est différente. On y observe une distinction entre les grandes puissances pétrolières et les pays moins favorisés. Les pipelines sont au centre des enjeux géopolitiques et des débats. Prenons l’exemple du « Dolphin Pipeline », lancé en 1998 pour fournir du gaz qatari aux Émirats arabes unis. Ce projet a toutefois été source de tensions, notamment avec l’Arabie Saoudite qui a contesté en 2006 le passage du pipeline dans ses eaux territoriales. Le projet Dolphin a été officiellement lancé en 2004, avec la Mubadala Development Company (détentrice de 51 % des parts, appartenant à Abu Dhabi), le géant français Total et l’Américain Occidental Petroleum détenant chacun 24,5 % des parts. Le Qatar, quant à lui, fournit le gaz, et le pipeline est capable de transporter jusqu’à deux milliards de pieds cubes standard de gaz naturel par jour.
Le Dolphin Pipeline a traversé plusieurs crises, comme la « crise du Golfe » de 2017 à 2021, sans affecter son fonctionnement. Ce projet a émergé grâce à des considérations économiques et énergétiques significatives, avec une politique tarifaire au cœur des discussions. En 2022, le Qatar a dépassé les États-Unis en termes de production de gaz naturel. De plus, en participant au projet Dolphin, il a pu bénéficier d’un tarif avantageux, ne payant que 1,28 $ par million de BTU, alors que la moyenne mondiale était de 5 $.
En Asie, la Chine exerce une véritable domination sur les matières premières. En l’espace de quatre ans, sa capacité de stockage a augmenté, passant de 1,7 milliard à 2 milliards de tonnes. En 2023, la Chine a importé 16 % de matières premières en plus par rapport à l’année précédente. Plusieurs pipelines traversent l’Asie pour acheminer ces ressources, comme le China-Myanmar Oil and Gas Pipeline et le gazoduc d’Asie centrale. Ce dernier relie le Turkménistan à la région autonome du Xinjiang, à l’ouest de la Chine. Inauguré en 2009, ce gazoduc atteint 1 833 kilomètres de longueur et est conçu pour transporter 40 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an vers la Chine
Le gaz en provenance du Turkménistan permet de répondre aux besoins énergétiques croissants de la Chine, dont la demande a augmenté de 2 % en 2023. Les pipelines jouent ainsi un rôle crucial dans la géopolitique asiatique, avec la Chine dominant le marché énergétique de la région. Par conséquent, elle est perçue par les Européens et les Américains comme un concurrent majeur menaçant leur souveraineté énergétique.
Les enjeux énergétiques deviennent de plus en plus centraux dans les relations internationales, soulevant la question de l’influence des pipelines sur la sécurité énergétique globale et leurs impacts sur les relations internationales.
Les pipelines et la transition énergétique
Même si nous savons que les pipelines sont soumis à des lois plus ou moins respectées, ils (pipelines est du masculin) sont également exposés aux crises géopolitiques tel que les Nord Stream 1 et 2.
Deutsch: Karte der Explosionen, die an den Nord-Stream-Pipelines am 26. September 2022 verursacht wurden. 05 october 2022 Source : Commons.wikimedia.org
. Les pipelines sont vus comme un axe de transaction très sécurisé et sûr pour assurer une bonne transaction de matière première entre les pays. Nous pouvons parler de “la théorie des pipelines”. Cette théorie repose sur le fait que les pipelines sont le transport d’hydrocarbures le plus sûr du monde. En effet, ils sont moins sujets aux accidents, aux problèmes météorologiques. Ils sont par ailleurs plus efficaces et rentables que des tankers et supertankers, car ils peuvent transporter une plus grande quantité en continu.
Les pipelines réduisent ainsi la dépendance à une route commerciale spécifique, évitent les zones sensibles qui jalonnent les routes maritimes tel le détroit de Malacca où plusieurs interruptions du trafic maritime ont été recensées en raison des actes de piraterie et de tensions locales. Un pipeline qui passe par des zones plus stables peut assurer un approvisionnement plus sûr. Cela a conduit à des projets de pipelines transitant par des pays comme le Kazakhstan ou le Turkménistan pour assurer un flux énergétique continu vers la Chine ou l’Europe.Nous pouvons prendre aussi l’exemple du pipeline Myanmar-China offre à la Chine une route alternative pour accéder au pétrole et au gaz naturel en provenance du Moyen-Orient et de la région du Golfe, réduisant ainsi le risque de perturbations dues à des tensions maritimes mais aussi le Trans-Anatolian Natural Gas Pipeline (TANAP) qui permet d’acheminer du gaz naturel de l’Azerbaïdjan à travers la Turquie vers l’Europe, diversifiant les sources de gaz pour les pays européens.
Plus sûrs, les pipelines permettent une meilleure planification à long terme et garantissent ainsi une meilleure stabilité des prix. Ce qui nous renvoie aussi à la réduction des prix de transport environ 5 à 7$ dollar moins cher sur le baril de pétrole. Par rapport à un bâtiment de surface, ils permettent d’éviter les rejets de dioxyde de carbone, propice à la formation de gaz à effet de serre.moins de gaz à effet de serre : Selon une étude de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les émissions moyennes du cycle de vie des oléoducs sont d’environ 18,5 grammes d’équivalent CO2 par mégajoule (gCO2e/MJ), tandis que la moyenne des gazoducs est d’environ 15,3 gCO2e/MJ. Ces valeurs varient en fonction du type et de la qualité du carburant, de la distance et du terrain du pipeline, ainsi que de l’efficacité et du taux de fuite du système.
Selon une étude du Département d’État américain, les alternatives au projet d’oléoduc Keystone XL, qui transportent le pétrole du Canada vers les États-Unis, sont le train, le camion ou une combinaison des deux. L’étude a révélé que ces alternatives entraîneraient 28 % à 42 % d’émissions de gaz à effet de serre en plus que le pipeline.
Nous ne pouvons pas parler de matières premières et d’énergie sans parler de transitions écologiques. En effet, dans l’essai d géographe suédois Andreas Malm Comment saboter un pipeline? (2020), l’auteur nous explique que le sabotage peut être une forme d’activisme écologique. Même si les pipelines ont beaucoup d’avantages, leurs constructions sont source de débat écologique. Cela englobe un large éventail de facteurs environnementaux qui peuvent être influencés par les pipelines, notamment l’utilisation des terres, la qualité de l’eau, la pollution de l’air et la perturbation de l’habitat de la faune.
Les écologistes soulignent les risques de marées noires et de fuites de pétrole, qui peuvent entraîner une contamination des plans d’eau et des sols, nuire aux écosystèmes et mettre la faune sauvage en danger. De plus, la construction de pipelines implique souvent la déforestation et la destruction d’habitats, ce qui aggrave encore l’impact sur la biodiversité. En effet, les pipelines sont remis en cause par la transition écologique vers les énergies renouvelables. Certains chercheurs estiment que les pipelines réduisent l’ascension des énergies renouvelables car les pipelines sont encouragés par davantage d’investissements.
On retiendra, in fin, que les pipelines sont des instruments géopolitiques clés, garantissant une sécurité énergétique et influençant les relations internationales. Ils permettent de sécuriser les approvisionnements en énergie tout en créant des interdépendances stratégiques. Cependant, leur impact environnemental, notamment en termes de pollution et de déforestation, ainsi que leur rôle dans la transition énergétique, suscitent des préoccupations croissantes. Les enjeux géopolitiques et écologiques liés aux pipelines illustrent la complexité des défis énergétiques mondiaux et la nécessité de trouver rapidement le point équilibre entre sécurité énergétique et durabilité environnementale.
Eloïse Herbreteau (*) est étudiante à l’Université catholique de l’Ouest (campus de Nantes) en 3ème année de licence de sciences politiques, le parcours géopolitique et stratégie internationale. Elle se spécialise en relations internationales. Héloïse Herbeteau est actuellement en stage de fin de licence au sein de la revue Espritsurcouf.
AASSDN Commentaire : Cet article sur la filière nucléaire fait le point sur l’état de notre filière nucléaire et rappelle les les décisions politiques désastreuses prises essentiellement sous la pression des partis écologistes soutenus par des ONG anti-nuclaires soutenues par certains pays européens.
Pour renforcer sa souveraineté et sa puissance économique, la France doit retrouver et développer une fière complète et cohérente capable de fournir de manière continue, une énergie nationale, en quantité, bon marché et la moins polluante possible. C’est la condition première pour conduire une politique de réindustrialisation et permettre notamment l’installation de data center, gros consommateurs d’énergie électrique, mais indispensables au développement de l’intelligence artificielle, secteur hautement stratégique dans lequel la France a un important potentiel de Recherche et développement.
Le 30 mars 2023 était clôturée la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. Après six mois de travail et l’audition sous serment de 88 personnes (experts et scientifiques, dirigeants du secteur énergétique et des organismes de régulation, hauts fonctionnaires en charge des dossiers énergétiques, anciens ministres, anciens Premier ministres et même – fait inédit dans l’histoire des commissions d’enquêtes parlementaires – deux anciens présidents de la République), la trentaine de députés placés sous la présidence de M. Raphaël Schellenberger concluait à la nécessité de « refaire de la filière nucléaire la grande force française » et soulignaient la nécessité d’un « renforcement du cycle du combustible ».
Le cycle français du combustible
Pourquoi insister sur cette question du cycle du combustible ? Quels en sont les enjeux exacts ? Selon le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), « le cycle du combustible correspond aux différentes étapes d’extraction, fabrication, retraitement puis recyclage du combustible des centrales nucléaires. Son retraitement permet de récupérer l’ensemble des matières réutilisables et de réduire en parallèle le volume et la toxicité des déchets. »
Après avoir été extrait de la roche, l’uranium doit être converti, enrichi et conditionné sous forme de « crayons de combustible » avant d’être introduit dans un réacteur nucléaire. Après 4 années d’utilisation, ce combustible, dit « usé », doit être retiré du réacteur. Il se compose alors de 4% de déchets ultimes, c’est-à-dire d’éléments non réutilisables issus de la fission de l’uranium, et de 96 % de matières réutilisables possédant encore un potentiel énergétique. D’un côté, l’uranium extrait du combustible usé peut être ré-enrichi. C’est ce qu’on appelle l’uranium de retraitement (URT). D’un autre côté, une nouvelle matière qui s’est formée dans le réacteur, appelée plutonium, peut être recyclée sous la forme d’un nouveau combustible, le MOX, à partir duquel 10% de l’électricité française sont produits. Ce constat a amené la France à mettre en place une stratégie de cycle « fermé » qui prévoit le recyclage des combustibles usés en récupérant toute la matière réutilisable. L’objectif visé est triple : économiser la ressource en uranium ; diminuer les quantités de déchets radioactifs ; réduire leur toxicité.
Consolider la filière
Aujourd’hui, le recyclage de l’uranium de retraitement (URT) a lieu en Russie dans l’usine sibérienne de Seversk (anciennement Tomsk-7). Grâce à ce partenariat noué par EDF avec l’entreprise publique russe Rosatom, le combustible usé est recyclé pour servir de nouveau de combustible – sous le nom d’uranium de retraitement enrichi (URE) – dans les centrales nucléaires françaises à eau pressurisée.
L’intérêt est également économique, le prix de l’uranium ayant été multiplié par 5 en moins de 10 ans(le prix spot est aujourd’hui à plus de 100 dollars la livre. Enfin, la valorisation de l’uranium de retraitement (URT) a l’avantage d’éviter son stockage. En effet, avant qu’EDF ait passé cet accord avec Rosatom, des dizaines de milliers de tonnes d’URT étaient stockées sur le site de Tricastin, faute de mieux. Selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ce stock pourrait être résorbé « à l’horizon 2050 ».
À l’issue du processus de ré-enrichissement, le nouveau combustible (URE) repart en France tandis que la matière appauvrie reste en Russie, chez l’enrichisseur. Cet uranium qui a été appauvri deux fois reste pourtant une matière valorisable. Il peut en effet être réutilisé dans des réacteurs nucléaires à neutrons rapides, dits « de 4e génération ». La Russie en compte actuellement trois et elle en construit de nouveaux. La France qui a eu trois prototypes – Phénix (arrêté en 2010), son évolution Superphénix (abandonné dès 1997 suite à une décision de Lionel Jospin), Astrid (abandonné en 2019 suite à une décision d’Emmanuel Macron) – n’en a plus aucun.
D’où la proposition 26 faite par la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale d’« accentuer le soutien aux technologies liées à la 4e génération nucléaire ». De tels réacteurs, équivalents à ceux que possèdent la Russie (et l’Inde), permettraient de « multi-recycler » le combustible usé et même d’utiliser presque tout l’uranium appauvri (résidu de la fabrication du combustible) présents sur notre territoire, avec à la clé plusieurs milliers d’années de ressource énergétique. Cette technologie, qui permettrait de fermer complétement le cycle de l’uranium, est la brique manquante du nucléaire français.
Une autres faiblesses sont ses capacités insuffisantes pour réenrichir l’uranium de retraitement (URT) sans l’aide de la Russie…Si Orano dispose en théorie de cette capacité de ré-enrichissement dans son usine Georges-Besse II, l’entreprise successeur d’Areva n’a pas l’équipement nécessaire pour assurer la phase préliminaire de conversion : principalement pour des raisons économiques et industrielles et non technologiques. C’est ce qui explique qu’EDF ait dû se tourner vers Rosatom qui fait partie du club restreint d’acteur à fournir cette capacité.
Risques géopolitiques
Est-il besoin de souligner qu’il s’agit dans le contexte géopolitique actuel de deux dangereuses vulnérabilités ? Certes, le domaine du nucléaire civil est pour l’instant exclu des sanctions. Et pour cause ! Il y a sur le sol européen 18 réacteurs de conception russe, tandis que 20% de l’uranium importé par l’Union européenne vient de Russie. Mais parier qu’il en sera toujours ainsi est risqué, car qui peut dire comment évoluera la guerre ? Les rapports économiques entre l’Occident et la Russie font-ils autres choses que se dégrader au fil des mois et de la multiplication des sanctions ? Le Sénat américain n’a-t-il pas voté l’année dernière une loi à l’unanimité interdisant les importations d’uranium enrichi en provenance de Russie ? Certes EDF est robuste et Orano – acteur français du combustible nucléaire parmi, classé au 3e rang mondial du secteur- lui assure la plus grande partie de ses besoins. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une vulnérabilité à combler.
En admettant même que le nucléaire civil européen soit préservé, la coopération entre EDF et Rosatom autour du ré-enrichissement de l’URT pour créer un nouveau combustible pourrait tomber sous le coup de sanctions indirectes. C’est du moins ce que laissent présager les récentes sanctions prises par les États-Unis et le Royaume-Unis contre les principaux assureurs maritimes russes dans le cadre de leur lutte contre la « flotte fantôme ». Le convoiement de l’uranium de retraitement (URT) vers la Russie, puis de l’uranium de retraitement enrichi (URE) vers la France, se fait en effet sur des navires russes spécialisés disposant d’assurances sur-mesure. Si, à cause d’une mauvaise évaluation de l’« effet boomerang » de ses décisions, l’Union européenne en venait à sanctionner elle aussi ces assureurs russes toute cette chaîne logistique serait compromise. Comment imaginer en effet que des navires transportant des tonnes de combustible nucléaire puissent naviguer sans assurance ?
Devant de telles incertitudes, la France doit réagir. Elle a commencé à le faire. Orano investit 1,7 milliard d’euros pour augmenter de 30% les capacités d’enrichissement de son usine de Tricastin à Pierrelatte dans la Drôme. Même s’il faudra attendre au moins 2028 pour que cette nouvelle usine entre en fonctionnement, l’initiative doit être saluée. Des mesures comparables devraient être prises pour développer une capacité propre de ré-enrichissement de l’uranium de retraitement (URT). Cet objectif n’est pas inatteignable à moyen terme. Enfin, il vaut voir plus loin et, comme la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale le demande, il faut relancer la construction d’un prototype de réacteur nucléaire à neutrons rapides, dit « de 4e génération ». Ce n’est qu’en bouclant le cycle du combustible que la France assurera sur le long terme son indépendance énergétique et donc son indépendance, tout court.
Des décennies de fermeture d’usines ont fait de la France le pays le plus désindustrialisé d’Europe. Les volontés naissantes de réindustrialisation contrastent avec un manque de compréhension de la nature et du fonctionnement industriel, aux échelles décisionnelles comme au niveau de la population. Jean Dautrey, ingénieur.
L’avenir de nos sociétés dépend directement du tissu-industriel qui les supporte et sa prospérité dépasse la volonté des injonctions. Sa mise en œuvre est délicate : elle implique des investissements et des délais incompressibles. Ainsi, elle requiert des décisions précautionneuses et une capacité d’évolution permanente, là où nos négligences et abandons répétés nous mettent aujourd’hui en danger.
Notre pérennité est en train de se jouer dans le tissu Industriel
Au cœur de l’économie du tissu industriel, acteurs et moyens se rencontrent en un réseau d’interdépendances, comme autant de mailles dont la viabilité et la solidité sont des équilibres subtils.
Sa fonction : produire. Consommer sans produire, c’est importer, c’est vivre au-dessus de ses moyens, c’est vivre à crédit. Une économie ne peut pas survivre en faisant simplement circuler la monnaie et en consommant ce que produisent les autres. Cette fuite en avant est la voie vers l’appauvrissement, d’abord par une dette toujours plus lourde, ensuite par l’inflation qui traduit la perte de confiance en notre monnaie.
Si la puissance publique vante son plan de réindustrialisation et ses succès aux belles couleurs d’indicateurs rassurants, il y a bien un monde où le grain du performatif et de la velléité ne prend pas : c’est celui du terreau de l’industrie. En cela, il heurte les logiques abstraites et immédiates auxquelles sont habitués gestionnaires financiers, administrations et conseillers, comme ceux qui ont cru en une société uniquement de services ou, qui persiste, d’une société libérée du travail.
Les fermetures d’usine récentes, comme celles de Michelin ou du chimiste centenaire Vencorex (qui ne parvient plus à être rentable sur le sol français) montrent le décalage entre les discours et la capacité de maîtrise de ce décrochage. Dans un tissu européen déjà inégal et à l’avantage des pays « du Nord et de l’Est », c’est un décrochage global, où la défaillance de la puissante chimie et de l’automobile allemande devrait particulièrement inquiéter la France déjà fragilisée.
Ses mécanismes complexes échappent aux injonctions
Que manque-t-il à notre vision industrielle ? D’abord, un rapport organique et pragmatique à l’industrie dépassant la vision économico-financière.
Une industrie productive efficace est un patrimoine. Il requiert du temps, des investissements, de l’intelligence et un effort qui contrastent avec la facilité par laquelle on le saccage.
Tout d’abord, il faut une chaîne d’approvisionnement, dont la mise en place est limitée plus ou moins par le temps de modification du schéma minier (comme pour la transition énergétique et son besoin en métaux rares), soit, une quinzaine d’années.
D’autres ressources sont immatérielles et leurs négligences sont des phénomènes irréversibles dont un quinquennat seul ne peut combler le retard. La rupture d’investissements dans le nucléaire a rompu une chaîne de transmission, où les sachants sont partis à la retraite sans avoir transmis leurs précieux savoir-faire aux générations suivantes, expliquant en partie les retards de Flamanville dans un secteur qui a dû réapprendre par lui-même. La Chine monte en compétence, maintient cette transmission et annonce construire ses centrales en 5 ans.
Ce qui échappe à l’œil extérieur, c’est à quel point l’avance technique réside dans des détails et dans des savoir-faire non-traçables.
Les raisons d’une modification sur un plan, les réglages d’un mécanisme, le choix d’un matériau, les trucs et astuces d’un petit atelier de sous-traitant stratégique sont autant de détails qui, une fois perdus, obligent à renouveler le cycle d’apprentissage et d’erreurs qui représentent parfois des années de re-réflexion, d’heures ingénieur (ressources limitées, critiques et sous-estimées) et d’investissements en R&D.
Symétriquement, c’est l’abandon d’années de domination économique et de contrats. Il ne suffit pas de comprendre le fonctionnement d’un avion pour en produire un viable. La maîtrise des vis et des boulons de haute performance, a priori anodins, supportant -40°C à des vitesses quasi supersoniques, est un exemple d’avance jalousée difficilement rattrapable car résultant de millions d’heures de retour d’expériences, d’analyses et de perfectionnements.
Il existe aussi un patrimoine humain et relationnel vital. Entre grands groupes et PME entraînées dans le sillage, ces relations sont la base d’une intelligence commune et d’une capacité collective à s’organiser au besoin. C’est le plus souvent par le biais de relations entretenues, de coups de fil, de repas ou cafés professionnels que les opportunités naissent, que les bonnes personnes sont placées aux bons endroits et que les ruisseaux de petits sous-traitants font les grands fleuves des grands projets et travaux. Cette réalité relationnelle n’est que trop ignorée par la froideur des grands principes administratifs, des appels d’offre et des lubies de concurrence transparente niant l’importance de l’informel.
Les hémorragies principales / Les goulots d’étranglement principaux
Mais où pêchons-nous particulièrement ? En France notre maillage rencontre d’abord une pénurie de main-d’œuvre technique, dont le mal ne pourra pas se réduire plus vite que le temps de formation d’une génération, souffrant encore d’une culture des diplômes longs (pas nécessairement plus rémunérateurs). La mise en place des écoles, elle-même, est l’œuvre d’années de mise au point d’un écosystème qui lui est propre.
La relation avec les puissances publiques doit être celle d’un soutien et garantir un environnement favorable à la rentabilité. La sur-contrainte réglementaire asphyxie les entreprises. La philosophie de décarbonation européenne restreint les prêts bancaires de certaines entreprises vitales, et crée une volonté (bientôt nécessité ?) d’expatriation vers les marchés étrangers, dont la considération polémique par Total Énergies est un symptôme. La pression fiscale, à laquelle la France excelle, crée le risque d’une économie où seuls les grands groupes historiques survivraient, tandis que l’entrepreneuriat et les petites entreprises disparaîtraient, incapables de rester viables.
Enfin, aux maux du tissu productif, s’ajoute le problème du capital c’est-à-dire de la propriété des outils de production (des usines). Car, un outil industriel propriété de capitaux étrangers, c’est une capacité décisionnelle hors de nos mains et répondant à des intérêts extérieurs. La fuite de nos talents vers des géants étrangers, comme Open-AI (à l’origine de ChatGPT), et dont se félicite le président de la République, sonne comme des victoires à la Pyrrhus. Il est dommage que l’intérêt de cette appartenance nationale ne soit compris par tous qu’en tant de crises, quand elle permet un moratoire sur les prix de l’essence ou autre participation à l’intérêt publique.
À l’inverse, on peut penser à Sanofi, qui au-delà du symbole du Doliprane, déclarait, non sans lien avec son capital maintenant principalement américain, qu’il délivrerait ses éventuels vaccins en priorité aux USA. La présence d’un tissu industriel ne suffit pas, il faut le posséder autant que possible pour disposer de soi-même et de son futur.
Pour réinjecter de l’oxygène dans notre avenir, des contre-mesures fortes doivent pourvoir être abordées : retour à un tarif national de l’électricité basé sur notre parc nucléaire et décorrélé des surcoûts allemands, fonds de retraite investis dans nos entreprises, pertinence des impôts de production spécifiquement français… La santé au long terme de notre tissu industriel, c’est notre survie.
La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires
La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires
Orano et la Mongolie scellent un accord d’investissement pour exploiter un gisement d’uranium majeur.
Comme nous l’avons vu dans un précédent article, après des années de purgatoire, la filière du nucléaire se porte très bien en France en 2025. Pour sécuriser encore un peu plus cette filière qui assure la souveraineté de la France ainsi qu’une énergie décarbonée, le groupe Orano vient formaliser un accord d’investissement avec l’État Mongol pour développer et exploiter le gisement d’uranium de Zuuvch-Ovoo, marquant un tournant majeur dans les relations franco-mongoles, en même temps qu’il vient offrir une ouverture potentielle pour la France sur une nouvelle source d’approvisionnement en uranium plus pérenne que l’Afrique, dans laquelle l’Hexagone ne semble plus le bienvenu en ce moment.
Orano prend un engagement long terme en Mongolie
L’accord, qui couronne 27 ans de présence et de collaboration entre Orano et la Mongolie, a été ratifié suite à son approbation par le parlement mongol. La cérémonie de signature s’est déroulée à Oulan-Bator, symbolisant le début d’un projet minier de grande envergure qui durera 30 ans avec un investissement initial estimé à 500 millions de dollars.
Développement du gisement et impact économique
Le projet Zuuvch-Ovoo, situé dans la province de Dornogovi, envisage une production annuelle de 2 500 tonnes d’uranium. Avec un investissement total de 1,6 milliard de dollars sur la durée du projet, cette initiative devrait générer 1 600 emplois, stimulant ainsi l’économie locale et régionale.
Standards internationaux et formation locale
Orano s’engage à respecter les standards internationaux de sécurité, de sûreté et d’environnement, et prévoit des investissements significatifs dans la formation de la main-d’œuvre locale. Cet aspect du projet vise à développer des compétences durables au sein des communautés locales et à positionner la Mongolie comme un leader dans l’industrie uranifère.
Implications stratégiques et environnementales
L’exploitation du gisement d’uranium à Zuuvch-Ovoo positionne la Mongolie comme un acteur clé dans le marché global de l’uranium, essentiel pour soutenir les besoins croissants en énergie bas carbone. Cela renforce également les efforts de la Mongolie pour contribuer à l’effort climatique mondial et à la diversification de son économie.
Les sources d’approvisionnement actuelles de la France en Uranium en 2025
La France, qui consomme environ 7 000 à 9 000 tonnes d’uranium par an pour ses 57 réacteurs nucléaires, dépend entièrement des importations pour son approvisionnement. Ses principales sources d’uranium sont diversifiées géographiquement, incluant le Kazakhstan, le Niger, le Canada, l’Australie, la Namibie et l’Ouzbékistan. Cette diversification vise à réduire les risques géopolitiques et économiques. Cependant, la dépendance à l’uranium enrichi russe reste significative, représentant environ un tiers des besoins français en 2022. EDF, le principal exploitant nucléaire français, s’approvisionne auprès de fournisseurs comme Orano (français donc) et Urenco (anglo-saxon). Le top 3 des plus gros exportateurs d’uranium vers la France est :
Kazakhstan (environ 27% des importations)
Niger (environ 20% des importations)
Ouzbékistan (environ 19% des importations)
Cet article explore le partenariat stratégique entre Orano et la Mongolie pour l’exploitation d’un gisement d’uranium de classe mondiale, soulignant l’impact économique, environnemental et social du projet. Avec des investissements substantiels et un engagement à long terme envers les normes internationales et le développement local, ce projet promet de renforcer les capacités industrielles de la Mongolie et de soutenir les objectifs mondiaux de production d’énergie propre.
Le dernier né des réacteurs français commence un cycle de dix-huit mois, jusqu’à sa première maintenance. Une quinzaine d’arrêts et de redémarrages auront lieu sur le chemin de la pleine puissance, l’été prochain.
Jusqu’au bout du suspens, mais cette fois ça y est. «L’EPR de Flamanville produit ses premiers électrons ! Samedi 21 décembre 2024 à 11h48, l’EPR de Flamanville a été connecté au réseau électrique français et a commencé à produire ses premiers électrons», a annoncé Luc Rémont, le PDG d’EDF ce samedi sur la plateforme LinkedIn. «C’est un évènement historique pour toute la filière nucléaire française.» «Grand moment pour le pays. L’un des réacteurs nucléaires les plus puissants du monde, l’EPR de Flamanville, vient d’être raccordé au réseau électrique. Réindustrialiser pour produire une énergie bas carbone, c’est l’écologie à la française. Elle renforce notre compétitivité et protège le climat», a salué Emmanuel Macron, lui aussi sur Linkedin.
Fierté et soulagement pour les équipes de l’EPR de Flamanville alors que ce premier raccordement au réseau électrique avait été promis par EDF « avant la fin de l’automne », enclenchant un compte à rebours oppressant dans la dernière ligne droite.
D’abord promise pour ce vendredi matin 10 heures, l’opération, dite « couplage » a été repoussée d’abord à 23 heures ce même vendredi, puis à 10h du matin, ce samedi. Finalement l’heure à retenir sera 11h48. Avec un dernier retard de près de vingt-six heures, sur un chantier qui arrive à son terme avec douze années de retard et un coût trois fois plus élevé que prévu, à plus de 13 milliards. Mais qui est parti pour fonctionner 60 ans, au moins, et alimenter en électricité quelque deux millions de foyers chaque année. Une odyssée des temps modernes, avec un long voyage semé d’embûches. «Ce matin, c’est l’accomplissement d’un effort titanesque qui a fini par payer. Un long chemin, qui n’a été ni facile, ni parfait, mais qui aboutit au bénéfice des Français. Nous en tirons tous les enseignements pour réussir la relance du nucléaire que nous avons décidée avec le Président de la République. Bravo et merci à toutes les équipes d’EDF mobilisées sur place. Le cœur du réacteur, c’est eux !», salue Agnès Pannier-Runacher la ministre démissionnaire de la transition écologique.
Des centaines de personnes restent mobilisées sur le site pour jouer cette partition au millimètre. Paradoxalement, ce n’est pas le cœur du réacteur nucléaire, là où le combustible produit de la chaleur, qui a fait l’objet du plus d’attention, mais la turbine. Cette immense machine dont les pales vont tourner à 1500 tours minutes, propulsées par la vapeur produite par le réacteur. Cette vapeur doit être parfaite, car à cette vitesse la moindre goutte d’eau a la puissance d’une balle de pistolet. Les capteurs scrutent les vibrations, la chaleur, l’environnement… Une fois toutes les conditions réunies, l’alternateur, qui produit l’électricité à proprement parler, a été lancé. « Il doit être synchronisé pour produire à 50 hertz, la fréquence du réseau électrique français », explique Régis Clément, directeur adjoint de la production nucléaire chez EDF. Dans un premier temps, cette énorme installation ne produira que quelques mégawatts (MW) d’électricité. Il n’atteindra sa pleine puissance qu’à l’été 2025.
D’ici là, il reste encore quelques étapes techniques et réglementaires à franchir, avant la mise en service industrielle de l’EPR. Fla3, selon sa dénomination EDF, est couplé au réseau à environ 20% de ses capacités. Pour passer le seuil de 25%, EDF doit obtenir le feu vert de l’autorité de sûreté nucléaire, (ASN), de même pour 60%, puis 80%. Le couplage marque certes l’entrée en production du géant de 1600 MW, le plus puissant des réacteurs du parc français, il marque aussi le début d’une nouvelle phase de tests, faits de variations de puissance, d’arrêts en moins de deux secondes, d’îlotage (test du réacteur quand le réseau électrique a un problème). Tous ces scénarios sont faits pour éprouver l’installation et réduire au minimum tout risque d’incident. Une quinzaine d’arrêts et de redémarrages auront lieu sur le chemin de la pleine puissance, l’été prochain.
Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire
Olivier Bard, délégué général du Gifen
Ensuite, la production pourra encore varier, jusqu’à la première visite de contrôle (V1) de l’EPR prévue en 2026, soit environ dans 18 mois. Toutefois, la donnée prise en compte pour cette V1 n’est pas la durée de fonctionnement, mais le volume d’électricité produit, soit 14 TWh. Cela correspond à la consommation d’environ deux millions de foyers pendant un an. Et surtout, cela revient à user le combustible, comme on viderait le réservoir d’une voiture. À 14 TWh, il faudra refaire le plein : décharger et recharger en combustible le cœur du réacteur. À bien des égards, cette première visite complète est similaire à celles effectuées tous les dix ans dans les autres réacteurs du parc, une sorte de contrôle technique en beaucoup plus poussé, version monde du nucléaire.
Le changement du couvercle dans dix-huit mois
Il y a cependant une différence de taille : le couvercle de la cuve contenant les éléments radioactifs sera changé à cette occasion, pour répondre à un engagement pris auprès de l’ASN. « Ce n’est pas un sujet de sûreté, mais de durée de vie », résume Régis Clément. Le métal du couvercle actuel se fragilisera dans le temps au contact des neutrons, « il sera changé avant de présenter un risque », rassure Régis Clément. Dans les faits, de nombreux équipements dédiés au contrôle et au fonctionnement du réacteur sont installés sur le couvercle. Ils seront « retirés pour être installés sur le nouveau», ce qui devrait prendre « un peu plus d’un mois », ajoute Régis Clément. La donnée est connue de longue date. Fin 2014, Areva NP a «découvert une anomalie de fabrication de l’acier du couvercle », explique l’IRSN. En 2017, l’ASN et l’IRSN ont considéré que le remplacement de ce couvercle devrait être réalisé au premier arrêt pour rechargement du réacteur (VC1). Qui aurait dû survenir bien avant 2026…
Le changement du couvercle est un des innombrables déboires rencontrés sur le chantier. Et malgré tout, la mise en service de l’EPR est un sujet de fierté, chez EDF d’abord, mais aussi pour toute une filière industrielle. «Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire », souligne Olivier Bard, délégué général du Gifen, le groupement des industriels français de l’énergie nucléaire.
Reconnaissance de l’électrosensibilité : un rentable jeu de dupe
OPINION. Le 17 septembre dernier, 7 députés déposaient la proposition de loi n°211 visant à reconnaître l’électrosensibilité comme une maladie invalidante, espérant qu’une telle reconnaissance puisse stimuler la recherche sur ses causes et conduire à la mise en place de mesures de protection, comme des zones blanches. Une telle démarche conduira pourtant très probablement à enfoncer et maintenir les personnes se disant électrosensibles dans leur trouble, et à favoriser le « business model anti-ondes », qui exploite leur souffrance, sur les deniers publics.
Qu’est-ce que l’électrosensibilité ? Il s’agit d’un trouble auto-diagnostiqué caractérisé par des symptômes neurasthéniques, végétatifs, ou dermatologiques, très variés et non spécifiques, qui diffèrent d’un individu à l’autre, mais que les personnes affectées relient à leur exposition aux ondes. Face à une telle définition, il apparaît pertinent et nécessaire de convoquer la physique des rayonnements et les résultats des études de provocations pour mieux cerner la nature réelle de l’électrosensibilité et en comprendre l’étiologie la plus probable, dont nous allons voir qu’elle n’a aucun rapport avec l’exposition aux ondes.
Les ondes sont des rayonnements électromagnétiques dont les mécanismes d’action, au niveau biologique, diffèrent selon leur fréquence. Dans le domaine des radiofréquences, telles qu’exploitées par la téléphonie mobile et la majorité des appareils communicants sans fil, le seul effet avéré qui pourrait affecter la santé est l’échauffement des tissus par agitation moléculaire sous l’action du rayonnement. Or, des études ont permis de corréler l’intensité d’échauffement des tissus avec la puissance absorbée (ou DAS, Débit d’Absorption spécifique), et d’en tirer des limites d’exposition réglementaires très protectrices dont l’application rend impossible l’apparition de phénomènes d’échauffement notable et délétère des tissus en cas d’exposition aux ondes communément rencontrées dans l’environnement; même chose pour les différents compteurs communicants, qui émettent généralement moins d’ondes « parasites » que les petits appareils électroménagers.
On peut donc écarter les effets thermiques de la liste des causes possibles de tout ou partie des symptômes vécus par les électrosensibles. Or, aucun mécanisme scientifiquement plausible ne peut être convoqué pour expliquer un « autre » effet des ondes radiofréquence, dans les conditions d’expositions communes.
S’il n’existe pas de mécanisme d’action scientifiquement décrit, existe-t-il au moins une approche clinique démontrant la réalité de l’électrosensibilité ? Pour répondre à cette question, un échantillon de personnes se disant électrosensibles a participé, voilà plusieurs années déjà, à des études de provocation, lesquelles consistaient à tester leur capacité, dans des expériences contrôlées en double aveugle, à déterminer si une source d’émission d’ondes à proximité d’elles était active ou pas. Les résultats de ces études, plusieurs fois répliquées, démontrent une réalité bien éloignée des discours militants faisant de l’électrosensibilité une maladie des ondes: les électrosensibles testés étaient incapables de faire mieux qu’une pièce que l’on jouerait à pile ou face pour détecter la présence d’ondes dans les salles d’expérimentation. Pire, certains participants durent cesser les expériences à cause des douleurs ressenties, qu’ils attribuaient aux ondes… lors de conditions d’exposition fantôme, c’est-à-dire en l’absence d’onde.
Absence de preuve scientifique d’une relation causale entre exposition aux ondes et électrosensibilité, absence de mécanisme plausible, absence de preuve clinique, douleurs ressenties en condition d’exposition fantôme… tout cela plaide pour l’hypothèse d’une étiologie psychologique, dans laquelle c’est l’exposition socio-cognitive aux informations inquiétantes entourant les ondes qui rend les gens malades en les poussant à attribuer, par erreur, des symptômes d’un trouble anxieux préexistant à l’exposition aux ondes, ce qui le mute en phobie des ondes; mécanisme que j’ai eu l’occasion d’expliciter plus en détail [1,2] et dans lequel le focus attentionnel, le biais de confirmation et l’amplification somato-sensorielle jouent un rôle, semble-t-il, majeur.
Dans cette hypothèse, il est à craindre que toute forme de reconnaissance de l’électrosensibilité favorisera le développement de stratégies d’évitement et de défense, comme le recours à des dispositifs anti-ondes, qui, parce qu’ils s’apparentent à des objets contra-phobiques, sont susceptibles de maintenir la phobie en diminuant l’anxiété et apaisant les symptômes associés, et en renforçant ainsi la croyance que ces symptômes sont produits par les ondes et qu’il est nécessaire de s’en protéger… l’exemple, réel, d’un électrosensible qui affirmait dormir beaucoup mieux dans la proximité immédiate d’un brouilleur d’ondes, et percevoir une disparition de ses symptômes, alors que, par construction, un brouilleur d’ondes est un intense émetteur radiofréquence, illustre la puissance des mécanismes psychologiques à l’œuvre.
La reconnaissance de l’électrosensibilité est donc un jeu de dupe. Le business model du lobby anti-ondes en serait le grand gagnant, lui qui prospère sur la souffrance psychologique des électrosensibles et n’a aucun intérêt à ce que leurs troubles disparaissent. C’est à ce business, basé sur la souffrance, auquel les députés offriront de belles perspectives de développement commercial s’ils adoptaient le texte proposé le 17 septembre 2024, en faisant fi de la réalité scientifique et en accordant crédit aux marchands de peur et de gadgets anti-peur, qui pourraient ainsi être intégrés aux listes des produits et prestations remboursables sur les deniers publics… ce qui n’est pas sans rappeler d’autres dérives comme le financement, par les chambres d’agriculture, d’interventions de géobiologues, chargés de détecter les « mauvaises ondes » et autres « énergies négatives » dans les élevages [3].
Ce qu‘il faut pour traiter sérieusement l’électrosensibilité et aider les personnes qui en souffrent, c’est, d’une part, qu’elle soit comprise et abordée comme une phobie, et d’autre part que des thérapies cognitivo-comportementales soient mises en place et proposées aux électrosensibles. La communauté des psychologues cliniciens doit se saisir du sujet et ne pas laisser le champ libre aux pseudoscientifiques.
[1] Sébastien Point, Syndrome EHS: une grave épidémie de croyances, Physique au Canada, Vol.76, n°1,2020.
[2] Sébastien Point, Electrohypersensitivity as a new psychological disorder, Skeptic Magazine, Vol.26, N°4, 2021.
[3] “Élus ne cédez pas à la géobiologie” S. Point (Interview), European Scientist, novembre 2024.
*AB Pictoris est une entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Diplômée de l’IFG et de Sciences Po Aix. B. Lambert publie « Se former à la cartographie avec Inkscape », éd. D-Booker. Clément Alberni est diplômé d’un Master en Histoire et Relations internationales, de l’Université Catholique de Lille. Après un stage au Ministère des Armées, il occupe chez AB Pictoris un poste d’analyste-cartographe dans le cadre d’un stage se déroulant d’août à octobre 2024.
Découvrez l’histoire, la structure organisationnelle et le rôle de l’OPEP. Soyez au clair sur l’adaptation de l’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole. L’OPEP+ joue aujourd’hui un rôle de stabilisateur du marché pétrolier, même si sa capacité à influer sur certaines décisions et à utiliser le pétrole comme levier diplomatique reste non-négligeable. La diversité des membres qui la composent et dont les intérêts sont parfois opposés pousse ses dirigeants à agir de façon pragmatique. Ainsi, malgré le soutien affiché des pays arabes aux Palestiniens, aucun embargo à l’encontre de l’Etat israélien n’a été mis en œuvre à la suite de l’offensive sur la bande de Gaza. Carte disponible sous deux formats JPG et PDF pour l’impression haute qualité.
A L’OCCASION de la COP 28, le secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a suscité la colère et l’indignation de nombreux pays présents. Ce dernier a en effet demandé « en urgence » à ses membres de « rejeter proactivement » tout accord ciblant les énergies fossiles [1]. Il précise dans son courrier que la pression excessive et disproportionnée exercée sur les combustibles fossiles pourrait atteindre un point de basculement aux conséquences irréversibles, car le projet de décision contient encore des dispositions sur l’élimination progressive des combustibles fossiles ». Malgré un accord final faisant état d’une sortie progressive des énergies fossiles afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, cette prise de position interroge quant au poids politique de l’OPEP et à son niveau d’influence sur le marché du pétrole en 2024. Pour mieux comprendre, revenons plus en détail sur cette organisation peu ou mal connue.
Carte. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?
Pays membres de l’OPEP. Pays membres de l’OPEP+. Principaux exportateurs de pétrole. Principaux importateurs de pétrole. Cliquer ici pour voir la carte au format PDF haute qualité d’impression. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.
Alberni/AB Pictoris
L’OPEP est une organisation de pays producteurs de pétrole créée le 14 septembre 1960, lors de la conférence de Bagdad, dans un contexte de concurrence intense entre compagnies pétrolières et de fortes pressions à la baisse sur le prix du pétrole. Son objectif est de réguler la production et le prix du pétrole par une politique concertée de ses membres.
En 2024 elle est composée de douze membres, dont ses cinq fondateurs, l’Arabie Saoudite, le Venezuela, l’Irak, l’Iran et le Koweït, ainsi que de sept membres ayant rejoint l’organisation, la Libye en 1962 l’Algérie en 1969, les Émirats arabes unis en 1967, le Gabon (1975-1995, de nouveau membre depuis 2016), le Nigéria 1971, la Guinée équatoriale en 2017 et le Congo en 2018.
En 2016, les membres de l’OPEP se sont associés avec dix autres pays producteurs [2] pour s’entendre sur les quotas visant à limiter la production : Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Oman, Russie, Soudan et Soudan du Sud. Cette alliance est connue désormais sous le nom d’« OPEP+ ».
Notons cependant que d’autres grands pays producteurs ne sont pas membres de l’organisation, Etats-Unis en tête qui est de loin le 1er avec une production de plus de 13 millions barils/jour [3] (unité BBL/D/1K). C’est également le cas du Canada (4734 millions), de la Chine (4249 millions), de la Norvège (1859 millions), du Qatar(1322 millions) [4] et de l’Angola (1084 millions) [5].
Structure organisationnelle de l’OPEP
Le siège de l’OPEP est situé à Vienne en Autriche, et sa structure organisationnelle se décline en plusieurs institutions spécifiques. La conférence des ministres est l’organe suprême de décision de l’OPEP. Elle est composée des ministres du pétrole ou de l’énergie des pays membres. Le comité de revue du marché est quant à lui chargé d’analyser l’état du marché pétrolier, puis de préparer les rapports et recommandations qui seront utilisés lors de la conférence des ministres en matière de politique de production et de prix du pétrole. Ensuite, le secrétariat général, en tant qu’organe exécutif de l’OPEP, est chargé de la mise en œuvre des décisions prises en Conférence des Ministres. Enfin l’organisation est constituée de comités techniques, spécialisés et de groupes de travail pouvant mettre en place des comités ad hoc traitant de questions spécifiques. Ces derniers assistent le comité de revue du marché en fournissant des analyses techniques et des recommandations sur la production et les quotas de pétrole.
Une stabilisation des prix du pétrole et la défense des intérêts des pays producteurs aux origines de l’OPEP
Revenons maintenant aux origines de l’OPEP pour mieux comprendre son rôle et son influence croissante sur le marché mondial du pétrole.
Dans les années qui précèdent la création de l’OPEP, la majorité des pays producteurs de pétrole sont soumis à une très forte dépendance économique des revenus générés par les exportations de cette ressource. Ils se trouvent alors dans une situation de grande fragilité, notamment face à la volatilité des cours du baril, dont la tendance à la baisse est largement encouragée et induite par les pays importateurs. Ainsi, le regroupement d’un certain nombre de pays producteurs voit le jour et permet à ces derniers de peser suffisamment pour être en position de négocier avec les firmes pétrolières multinationales. Ce regroupement leur permet également d’instaurer, entre eux, des quotas de production afin de pouvoir contrôler les prix sur le marché mondial.
Différents tournants marquent alors l’histoire de l’organisation.
Le pétrole, un levier diplomatique pour les pays du Golfe
À partir des années 1970, l’OPEP se structure, se renforce et acquiert une stature internationale, lui conférant un rôle croissant sur la scène pétrolière mondiale.
En octobre 1973, la guerre du Kippour [6] éclate entre Israël et une coalition de pays arabes, menée par l’Égypte et la Syrie. Ce conflit est le point de départ d’une action concertée des pays arabes membres de l’OPEP pour utiliser le pétrole comme levier diplomatique.
L’OPEP, dominée alors par ses membres arabes, décide de réduire progressivement sa production de pétrole et d’imposer un embargo à destination des États-Unis et d’autres pays occidentaux pour leur soutien à Israël.
Le pétrole est ici utilisé comme une arme diplomatique : il s’agit de contraindre les puissances occidentales à faire pression sur Israël pour qu’il se retire des territoires acquis pendant la guerre des Six Jours de 1967 [7]. L’embargo provoque une raréfaction de l’offre mondiale de pétrole, entraînant une hausse spectaculaire des prix. En seulement quelques semaines, il sera multiplié par quatre, passant de 4 à 16 dollars. Les économies occidentales ne peuvent pas faire face. Dans les pays directement visés, la croissance s’effondre et le chômage augmente [8].
L’OPEP, auparavant perçue comme un simple groupe de pays exportateurs de matières premières, émerge comme un acteur économique et géopolitique de premier plan. Elle démontre sa capacité à influencer non seulement le marché pétrolier mondial, mais aussi les relations internationales.
Bis repetita en 1979, avec la chute du Shah d’Iran et la révolution islamique dans ce pays alors important producteur de pétrole, qui engendre un nouveau doublement du prix du baril, de 20 à 40 dollars. C’est le second choc pétrolier.
Ces crises successives modifient durablement les rapports de force internationaux et incitent les pays consommateurs à repenser leurs stratégies énergétiques.
Les années 1980 seront marquées par de nombreuses périodes de difficultés pour l’OPEP, en raison notamment d’une production supérieure à la demande, et l’augmentation de la production dans certains pays comme les Etats-Unis (présence de ressources en Alaska) et la Norvège (présence de ressources en Mer du Nord).
De plus, l’OPEP est également confrontée à des difficultés en interne, certains pays membres ne respectant pas les quotas de production décidés en commun. Cette surproduction accroît la surabondance de l’offre sur le marché mondial, entraînant une chute continue des prix du pétrole.
L’Arabie saoudite, en tant que leader de facto de l’OPEP, a joué un rôle clé en tentant d’ajuster sa production pour équilibrer l’offre. L’organisation n’a alors pas d’autres choix que de se réformer : elle adopte une nouvelle stratégie, qui met fin à la guerre des prix en adoptant un mécanisme de fixation des prix basé sur le marché.
Cette période est caractérisée par un affaiblissement important de l’influence de l’OPEP sur le cours du marché pétrolier international, et par ricochet de sa capacité à peser dans les relations internationales.
Toutefois, les années 2000 signent un tournant décisif avec l’essor et la montée en puissance de géants économiques entraînant une demande en pétrole sans précédent.
L’arrivée des émergents, une demande forte qui donne un nouvel élan à l’OPEP
Les années 2000 marquent un regain de l’influence de l’organisation. En effet, la période est caractérisée par une demande énergétique en forte croissance, notamment de la part des économies émergentes comme la République populaire de Chine et l’Inde. Le prix du baril s’envole, et atteint les 140 dollars en juillet 2008. L’OPEP s’impose comme un acteur déterminant dans la gestion de cette hausse des prix.
Elle joue un rôle stratégique de stabilisation en ajustant régulièrement les quotas de production de ses membres. Malgré une concurrence accrue de la part de pays non-membres qui augmentent les prix, elle parvient à maintenir un fort contrôle sur le marché mondial.
En plus de la montée en puissance des émergents, la période est caractérisée par une série de crises qui secouent particulièrement le Moyen-Orient. L’invasion de l’Irak en 2003 et les tensions en Iran lui imposent d’ajuster ses politiques pour maintenir des niveaux de production élevés de manière à compenser les pertes dans les pays en crise.
Une nouvelle fois, l’OPEP devient un instrument géopolitique. Riyad, en tant que leader de facto de l’organisation, tire son épingle du jeu et utilise habilement son influence sur le marché pétrolier pour renforcer ses relations avec les grandes puissances mondiales, et en particulier avec les États-Unis. Le pétrole, véritable outil de diplomatie, permet à l’Arabie saoudite de négocier des accords bilatéraux favorables, de sécuriser son rôle de partenaire stratégique des États-Unis au Moyen-Orient, et de renforcer sa position au sein du monde arabe.
L’État saoudien profite également de cette période favorable pour établir des relations stratégiques avec les pays émergents à forte demande énergétique, comme la Chine et l’Inde. Par exemple, des accords bilatéraux ont été signés pour garantir des contrats de livraison de pétrole à long terme à ces pays en échange de coopérations dans d’autres domaines, tels que les investissements infrastructurels et les partenariats commerciaux [9].
A l’automne 2008, une crise financière mondiale porte un premier coup d’arrêt à cette période de domination de l’OPEP sur le marché mondial du pétrole. Malgré la crise, l’organisation parvient à maintenir l’unité de ses membres, coordonnant des réductions de production sans précédent, allant jusqu’à retirer 2,2 millions de barils par jour du marché [10]. Cette adaptation rapide permet une reprise partielle des prix dès 2009, bien que les niveaux d’avant-crise n’aient pas été immédiatement atteints.
Au-delà de cette crise financière, l’émergence de nouveaux producteurs et l’importance croissante du pétrole de schiste américain sont à l’origine d’une remise en cause de cette quasi-hégémonie de l’OPEP.
L’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole, une adaptation cohérente
En 2014, l’arrivée des États-Unis en tant que puissance majeure sur le marché du pétrole, grâce à l’extraction accrue du gaz de schiste, marque une évolution décisive. Cette révolution énergétique permet à Washington de devenir l’un des plus grands producteurs mondiaux de pétrole, modifiant profondément les dynamiques du marché. L’explosion de la production de schiste provoque un excès d’offre et une chute brutale des prix du baril [11].
Pour faire face à cette nouvelle réalité et stabiliser les prix du pétrole, l’OPEP décide de repenser sa politique en adoptant une nouvelle approche stratégique, plus pragmatique. Ainsi, en 2016, l’organisation forme l’alliance OPEP+ avec des producteurs non-membres, dont la Russie, pour coordonner les politiques de production et limiter la surproduction, cette fois-ci dans un cadre étendu.
La formation de l’OPEP+ permet aux pays membres de l’OPEP de maintenir leur influence sur les prix mondiaux tout en adaptant leurs stratégies à un marché énergétique de plus en plus diversifié et compétitif. Alors que l’OPEP est une organisation historiquement dominée par des producteurs du Moyen-Orient, l’OPEP+ apparaît comme une adaptation à un nouveau contexte stratégique. D’un côté, elle apporte une réponse à la montée en puissance de producteurs non traditionnels, et de l’autre, elle s’inscrit dans l’évolution de la concentration des pouvoirs économiques et énergétiques, qui se trouvent aujourd’hui répartis entre plusieurs pôles majeurs.
L’organisation est aujourd’hui composée des douze membres de l’OPEP, et de douze autres pays producteurs : l’Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunéi, le Kazakhstan, la Malaisie, le Mexique, Oman, la Russie, le Soudan et le Soudan du Sud. Le Brésil les a rejoint en tant que membre en janvier 2024.
En définitive, l’OPEP+ joue aujourd’hui davantage un rôle de stabilisateur du marché pétrolier, même si sa capacité à influer sur certaines décisions et à utiliser le pétrole comme levier diplomatique reste non-négligeable. La diversité des membres qui la composent et dont les intérêts sont parfois opposés [12], pousse ses dirigeants à agir de façon plus pragmatique. Ainsi, malgré le soutien affiché des pays arabes aux Palestiniens, aucun embargo à l’encontre de l’Etat israélien [13] n’a été mis en œuvre à la suite de l’offensive sur la bande de Gaza.
L’Organisation risque aussi d’être confrontée à de nouveaux défis, notamment avec la découverte de gisements en Arctique et l’ouverture des nouvelles routes qui joueront un rôle-clé dans l’approvisionnement de cette ressource. Cette découverte et l’importance croissante de ces nouvelles routes liées à la fonte des glaces pourraient placer des pays membres de l’OPEP+, comme la Russie [14], et d’autres producteurs majeurs, comme les Etats-Unis et le Canada, en position de force sur la marché. Cette réalité représente un défi considérable pour l’unité de l’OPEP ainsi que pour son poids politique, l’organisation devra faire preuve d’une très grande capacité d’adaptation, sans quoi elle risque de se voir progressivement marginalisée.
Titre du document : Carte. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ? Pays membres de l’OPEP. Pays membres de l’OPEP+. Principaux exportateurs de pétrole. Principaux importateurs de pétrole. Cliquer ici pour voir la carte au format PDF haute qualité d’impression. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.Document ajouté le 6 décembre 2024 Document JPEG ; 350412 ko Taille : 1200 x 849 px
Découvrez l’histoire, la structure organisationnelle et le rôle de l’OPEP. Soyez au clair sur l’adaptation de l’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole. Carte haute qualité d’impression.
[6] Une offensive lancée par les armées égyptienne et syrienne lors de la fête juive du Yom Kippour surprend et bouscule les forces israéliennes. L’affrontement se termine le 25 octobre 1973 avec un cessez-le-feu qui sera suivi, en novembre, par un accord de désengagement entre les belligérants. Université de Sherbrooke. (2019). Création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/110
[14] NDLR : Jean Radvanyi et Marlène Laruelle, « L’Artique russe, un nouveau front stratégique », Les carnets de l’observatoire, éd. L’inventaire, 2024.
L’économie, c’est de l’énergie transformée. Ce ne sont pas aux industriels allemands qu’il faut le rappeler. L’explosion des prix de l’électricité depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine les a remis face au désastre de la destruction de leurs capacités nucléaires depuis la mise en place de l’Energiewende dans les années 1990. Dans ce processus suicidaire, Berlin s’en est pris à l’avantage comparatif français dans le secteur énergétique afin de promouvoir sa propre industrie des énergies renouvelables (ENR)[1] et maintenir sa domination économique en Europe. L’Allemagne mène ainsi une guerre de l’information antinucléaire contre la France en s’appuyant sur ses réseaux influents dans les couloirs de Bruxelles et sur un attirail de fondations politiques au service de ses intérêts.
Commentaire AASSDN : Cet article retrace parfaitement le déroulement des actions menées par l’Allemagne contre les intérêts supérieurs français pendant plus de 25 ans. De nombreux responsables politiques français ont collaboré souvent pour des raisons politiciennes avec des organismes allemands dont l’objectif était d’affaiblir les capacités énergétiques et donc économiques de notre pays. La guerre notamment économique est un état permanent. Nos alliés, qui ne sont pas nos amis, chercheront toujours quand ils le pourront à nous affaiblir pour nous dominer. Il est donc urgent que nos dirigeants, mais aussi tous les Français prennent conscience de cette réalité aux conséquences graves et combattent vigoureusement ces actions souterraines menées contre nos intérêts fondamentaux non seulement par les grandes puissances (Etats-Unis et Chine) mais également au sein de l’UE.
Origines et développement de l’Energiewende
Dans la société allemande d’après-guerre traumatisée par les bombardements américains à Nagasaki et Hiroshima, puis par la peur d’une guerre nucléaire généralisée entre les deux blocs lors de la crise des euromissiles en 1977, l’énergie nucléaire a rapidement suscité une aversion naturelle au sein de la population. C’est d’abord ce terreau réceptif qui a fait le succès des militants antinucléaires en Allemagne. Dès 1980, émerge l’idée d’une « transition énergétique » (Energiewende[2]) qui fixe pour horizon l’abandon progressif des énergies fossile et nucléaire au profit des ENR. Ce rêve trouve immédiatement un écho favorable dans le public allemand et des relais politiques dans le jeune parti écologiste Die Grünen, qui accède au pouvoir dans le cadre de la coalition noir-vert avec la CDU au début des années 1990. C’est alors que la promotion des ENR est devenue le fer de lance d’un discours idéologique puissant reposant sur la « bonne conscience » environnementale et l’ostracisation des défenseurs de l’énergie nucléaire[3].
Le tournant énergétique se situe en 1998 lors de la première coalition rouge-verte[4] dirigée par G. Schröder. Il propose deux lois faisant de l’Energiewende un agenda politique pour l’Allemagne. La première[5] renforce le soutien au développement de la filière des ENR (en garantissant des prix de vente supérieurs au prix du marché au détriment du consommateur) et la deuxième[6] programme un abandon du nucléaire échelonné dans le temps. Concrètement, les centrales nucléaires existantes étaient condamnées à la fermeture tandis que la construction de nouvelles centrales était interdite. Cette transition est à nouveau accélérée en 2011 dans la foulée de la catastrophe de Fukushima, lorsque Angela Merkel annonce la fermeture anticipée de la totalité des centrales allemandes à horizon 2022[7]. En avril 2023, les trois derniers réacteurs nucléaires du pays sont finalement fermés[8]. Le rêve vert des écologistes est devenu réalité.
L’Union européenne mise au pas
L’abandon précipité du nucléaire a exposé l’économie allemande aux aléas climatiques et aux incertitudes de l’intermittence des ENR. Pour réguler l’instabilité de sa production énergétique, l’Allemagne dépend de la coopération des pays voisins pour liquider sa surproduction en exportant ou pour compenser son déficit de production en important. Sa survie énergétique étant désormais en jeu, elle n’a pas hésité à mobiliser son influent réseau de lobbyistes à Bruxelles pour défendre ses intérêts et imposer son modèle énergétique[9].
Cette influence s’est traduite de trois manières[10]. En 1996, la directive 96/92/CE vise à développer les débouchés allemands en favorisant les interconnexions des réseaux électriques européens dans le cadre du marché européen de l’électricité. En 2007, l’UE s’engage dans la libéralisation du marché européen de l’énergie et la directive 2009/28/EC, pour ne citer qu’elle, est reformulée sous la pression du lobbying allemand pour maintenir des tarifs de rachat avantageux aux producteurs d’ENR[11]. Enfin, l’Allemagne a vampirisé les subventions de la Banque européenne d’investissement en excluant le nucléaire du label vert de la taxonomie (exclusion levée en 2022). En revanche, le gaz fossile – notamment russe –, essentiel à l’économie allemande pour remplacer le nucléaire, est quant à lui considéré comme une énergie de transition. En d’autres termes, n’est durable ou décarboné que ce qui assure la pérennité et l’hégémonie du modèle énergétique allemand.
Une bête à abattre : le nucléaire français
Il est clair que le lobbying allemand sur la taxinomie avait un bouc émissaire : la France et son fleuron EDF[12]. La sortie du nucléaire ayant mécaniquement augmenté les prix de l’électricité outre-Rhin, le risque pour l’Allemagne était une perte intolérable de compétitivité pour son industrie alors qu’à sa frontière se vendait de l’électricité 2,5 fois moins chère. Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, déclarait ainsi à l’Assemblée nationale : «Comment voulez-vous que ce pays qui a fondé sa richesse, son efficacité, sa crédibilité sur son industrie accepte que la France dispose d’un outil compétitif aussi puissant qu’EDF à sa porte ? Depuis trente ans, l’obsession allemande est la désintégration d’EDF ; ils ont réussi[13] ! »
Dans un premier temps, EDF avait pourtant bien reçu la nouvelle de la libéralisation du marché européen. Il était théoriquement gagnant puisqu’il proposait les meilleurs tarifs du marché. Mais l’Allemagne, sous couvert de la commission bruxelloise, a eu tôt fait de pointer du doigt la position monopolistique d’EDF sur le marché français et d’exercer une pression constante pour qu’il se plie à ses exigences[14]. La docilité d’une naïveté impensable des gouvernements français pour s’y conformer s’est traduite par l’adoption de la loi NOME en 2010 et du dispositif ARENH qui en découle. Cette loi contraignait EDF à vendre chaque année un quart de sa production nucléaire à prix coûtant (42€/MWh) à ses « concurrents » qui n’existaient pas, c’est-à-dire des intermédiaires de la filière qui ne produisaient aucune énergie. EDF était riche, il fallait qu’elle donne sa rente nucléaire. C’était absurde, et la France l’a fait par dévotion à l’idée qu’elle se fait de l’Europe. En dix ans, le cours de l’action EDF a baissé de 80 % et l’entreprise a été ruinée[15]. L’Allemagne avait obtenu gain de cause.
L’arsenal de fondations allemandes dans la guerre de l’information
Dans cette entreprise de sabotage du nucléaire français, l’Allemagne s’appuie sur plusieurs fondations politiques au premier rang desquelles se trouvent Heinrich Böll et Rosa Luxembourg, financées par Berlin à hauteur de 500 millions d’euros par an[16].
C’est le cas de la fondation Heinrich Böll qui coordonne depuis 2016 des opérations d’influence contre le nucléaire français en finançant un large panel d’ONG-relais comme le Réseau Action Climat (qui regroupe 27 associations nationales telles Greenpeace France, WWF ou Sortir du nucléaire). En 2022, la fondation recevait 67 % de ses financements du gouvernement allemand et de l’UE et concentrait plus de 50 % de ses activités à l’étranger. En lien étroit avec le parti vert allemand, elle s’occupe essentiellement de produire et de financer du contenu et des rapports à diffuser dans la presse et les sphères politiques, octroyer des bourses pour la recherche universitaire écologique ou encore rencontrer les élites françaises et soutenir la création de partis politiques comme EELV. Or, les contenus qu’elle propose vouent systématiquement aux gémonies les déchets nucléaires, les risques nucléaires ou l’obstination de l’État français et d’EDF dans le nucléaire ; et n’hésitent pas à aller jusqu’à la désinformation en stipulant que l’énergie nucléaire est polluante et manque de fiabilité[17]. Et ne manquent jamais de vanter les mérites de l’Energiewende allemande ou de l’avenir des ENR.
La fondation Rosa Luxembourg, si elle n’a pas d’antenne en France, s’attaque aux intérêts énergétiques français à l’étranger à commencer par l’extraction d’uranium. Elle participe par exemple à la publication d’un Atlas de l’uranium[18]en 2022, financé par le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement allemand, et qui dénonce le néocolonialisme de la France au Niger et les dangers sanitaires de l’exploitation du minerai par Orano (ex-Areva). Comment ne pas y voir la main de Berlin qui cherche à miner la filière nucléaire française, imposer cette idée fausse dans les esprits de l’Hexagone que le nucléaire est néfaste pour l’environnement et soutenir sa propre industrie dans les ENR ?
Conclusion
Devant les ingérences allemandes contre l’indépendance énergétique française, un constat s’impose : les conflits d’intérêts et les antagonismes entre pays n’ont pas miraculeusement disparu en Europe après 1945. N’en déplaise à un certain pacifisme idéaliste, la géopolitique reste le terrain des rapports de force entre les États, même dans l’Union européenne. « Les États n’ont pas d’amis », disait le général de Gaulle. Pourtant, l’Élysée ne cesse de brandir la bannière de « l’amitié franco-allemande » tandis que la page Wikipédia de cette expression n’existe pas en allemand, mais seulement en français, en esperanto et en suédois…
Louis du BREIL
Revue Conflits 14 novembre 2024
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[1] Énergies renouvelables.
[2] Du rapport de 1980 publié par l’Okö Institut, un institut de recherche sur l’environnement, qui s’intitule « Energie-Wende : Growth and Prosperity Without Oil and Uranium ».
[3] C’est dans ce contexte que le chancelier Helmut Kohl impose la loi de tarif de rachat de 1991 qui impose aux entreprises de distribution d’acheter de l’électricité issue des énergies renouvelables à un tarif supérieur aux prix de marché.
[4] Coalition entre les socio-démocrates du SPD et les verts de Die Grünen.
[5] Loi Erneuerbare Energien Gesetz (EEG), promulguée en avril 2000.
[6] Loi sur l’énergie atomique, entrée en vigueur en 2002.
[7] Frédéric Lemaître, « La conversion d’Angela Merkel en faveur d’une sortie du nucléaire », Le Monde, 1er avril 2011.
[8] Jens Thurau, « Germany shuts down its last nuclear power stations », Deutsche Welle, 14 avril 2023.
[9] Inga Margrete Ydersbond, « Multi-level lobbying in the EU: The case of the Renewables Directive and the German energy industry», Fridtjof Nansen Institute, octobre 2012.
[10] Rapport de l’EGE de mai 2021, « J’attaque ! Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie ? »
[11] Margot de Kerpoisson, « Blitzkrieg énergétique : l’Allemagne en campagne contre le nucléaire français », Conflits, 1er mai 2022.
[12] Voir le rapport de l’EGE daté de juin 2023, « Ingérence des fondations politiques allemandes & Sabotage de la filière nucléaire française ».
[13] Commission d’enquête du 13 décembre 2022.
[14] Tribune collective, Énergie : « Pour retrouver une électricité bon marché, il faut se défaire des exigences de Bruxelles », Le Figaro, 5 juin 2023.
[15] Charles Gave, « AREVA, ALSTOM, EDF, nous avons la meilleure fonction publique au monde », Institut des libertés, 30 janvier 2022.
[16] Rapport de l’EGE, « Rapport d’alerte – Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française », 22 juin 2023.