Nucléaire : Où en est aujourd’hui la filière nucléaire française ?

AASSDN par Charles de BLONDIN – Revue Conflits publié le 21 janvier 2025

https://aassdn.org/amicale/nucleaire-_ou-en-est-aujourd-hui-la-filiere-nucleaire-francaise/


AASSDN Commentaire : Cet article sur la filière nucléaire fait le point sur l’état de notre filière nucléaire et rappelle les les décisions politiques désastreuses prises essentiellement sous la pression des partis écologistes soutenus par des ONG anti-nuclaires soutenues par certains pays européens.

Pour renforcer sa souveraineté et sa puissance économique, la France doit retrouver et développer une fière complète et cohérente capable de fournir de manière continue, une énergie nationale, en quantité, bon marché et la moins polluante possible.
C’est la condition première pour conduire une politique de réindustrialisation et permettre notamment l’installation de data center, gros consommateurs d’énergie électrique, mais indispensables au développement de l’intelligence artificielle, secteur hautement stratégique dans lequel la France a un important potentiel de Recherche et développement.

Le 30 mars 2023 était clôturée la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. Après six mois de travail et l’audition sous serment de 88 personnes (experts et scientifiques, dirigeants du secteur énergétique et des organismes de régulation, hauts fonctionnaires en charge des dossiers énergétiques, anciens ministres, anciens Premier ministres et même – fait inédit dans l’histoire des commissions d’enquêtes parlementaires – deux anciens présidents de la République), la trentaine de députés placés sous la présidence de M. Raphaël Schellenberger concluait à la nécessité de « refaire de la filière nucléaire la grande force française » et soulignaient la nécessité d’un « renforcement du cycle du combustible ».

Le cycle français du combustible

Pourquoi insister sur cette question du cycle du combustible ? Quels en sont les enjeux exacts ? Selon le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), « le cycle du combustible correspond aux différentes étapes d’extraction, fabrication, retraitement puis recyclage du combustible des centrales nucléaires. Son retraitement permet de récupérer l’ensemble des matières réutilisables et de réduire en parallèle le volume et la toxicité des déchets. »

Après avoir été extrait de la roche, l’uranium doit être converti, enrichi et conditionné sous forme de « crayons de combustible » avant d’être introduit dans un réacteur nucléaire. Après 4 années d’utilisation, ce combustible, dit « usé », doit être retiré du réacteur. Il se compose alors de 4% de déchets ultimes, c’est-à-dire d’éléments non réutilisables issus de la fission de l’uranium, et de 96 % de matières réutilisables possédant encore un potentiel énergétique. D’un côté, l’uranium extrait du combustible usé peut être ré-enrichi. C’est ce qu’on appelle l’uranium de retraitement (URT). D’un autre côté, une nouvelle matière qui s’est formée dans le réacteur, appelée plutonium, peut être recyclée sous la forme d’un nouveau combustible, le MOX, à partir duquel 10% de l’électricité française sont produits. Ce constat a amené la France à mettre en place une stratégie de cycle « fermé » qui prévoit le recyclage des combustibles usés en récupérant toute la matière réutilisable. L’objectif visé est triple : économiser la ressource en uranium ; diminuer les quantités de déchets radioactifs ; réduire leur toxicité.

Consolider la filière

Aujourd’hui, le recyclage de l’uranium de retraitement (URT) a lieu en Russie dans l’usine sibérienne de Seversk (anciennement Tomsk-7). Grâce à ce partenariat noué par EDF avec l’entreprise publique russe Rosatom, le combustible usé est recyclé pour servir de nouveau de combustible – sous le nom d’uranium de retraitement enrichi (URE) – dans les centrales nucléaires françaises à eau pressurisée.

L’intérêt est également économique, le prix de l’uranium ayant été multiplié par 5 en moins de 10 ans (le prix spot est aujourd’hui à plus de 100 dollars la livre. Enfin, la valorisation de l’uranium de retraitement (URT) a l’avantage d’éviter son stockage. En effet, avant qu’EDF ait passé cet accord avec Rosatom, des dizaines de milliers de tonnes d’URT étaient stockées sur le site de Tricastin, faute de mieux. Selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ce stock pourrait être résorbé « à l’horizon 2050 ».

À l’issue du processus de ré-enrichissement, le nouveau combustible (URE) repart en France tandis que la matière appauvrie reste en Russie, chez l’enrichisseur. Cet uranium qui a été appauvri deux fois reste pourtant une matière valorisable. Il peut en effet être réutilisé dans des réacteurs nucléaires à neutrons rapides, dits « de 4e génération ». La Russie en compte actuellement trois et elle en construit de nouveaux. La France qui a eu trois prototypes – Phénix (arrêté en 2010), son évolution Superphénix (abandonné dès 1997 suite à une décision de Lionel Jospin), Astrid (abandonné en 2019 suite à une décision d’Emmanuel Macron) – n’en a plus aucun.

D’où la proposition 26 faite par la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale d’« accentuer le soutien aux technologies liées à la 4e génération nucléaire ». De tels réacteurs, équivalents à ceux que possèdent la Russie (et l’Inde), permettraient de « multi-recycler » le combustible usé et même d’utiliser presque tout l’uranium appauvri (résidu de la fabrication du combustible) présents sur notre territoire, avec à la clé plusieurs milliers d’années de ressource énergétique. Cette technologie, qui permettrait de fermer complétement le cycle de l’uranium, est la brique manquante du nucléaire français.

Une autres faiblesses sont ses capacités insuffisantes pour réenrichir l’uranium de retraitement (URT) sans l’aide de la Russie… Si Orano dispose en théorie de cette capacité de ré-enrichissement dans son usine Georges-Besse II, l’entreprise successeur d’Areva n’a pas l’équipement nécessaire pour assurer la phase préliminaire de conversion : principalement pour des raisons économiques et industrielles et non technologiques. C’est ce qui explique qu’EDF ait dû se tourner vers Rosatom qui fait partie du club restreint d’acteur à fournir cette capacité.

Risques géopolitiques 

Est-il besoin de souligner qu’il s’agit dans le contexte géopolitique actuel de deux dangereuses vulnérabilités ? Certes, le domaine du nucléaire civil est pour l’instant exclu des sanctions. Et pour cause ! Il y a sur le sol européen 18 réacteurs de conception russe, tandis que 20% de l’uranium importé par l’Union européenne vient de Russie. Mais parier qu’il en sera toujours ainsi est risqué, car qui peut dire comment évoluera la guerre ? Les rapports économiques entre l’Occident et la Russie font-ils autres choses que se dégrader au fil des mois et de la multiplication des sanctions ? Le Sénat américain n’a-t-il pas voté l’année dernière une loi à l’unanimité interdisant les importations d’uranium enrichi en provenance de Russie ? Certes EDF est robuste et Orano – acteur français du combustible nucléaire parmi, classé au 3e rang mondial du secteur- lui assure la plus grande partie de ses besoins. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une vulnérabilité à combler.

En admettant même que le nucléaire civil européen soit préservé, la coopération entre EDF et Rosatom autour du ré-enrichissement de l’URT pour créer un nouveau combustible pourrait tomber sous le coup de sanctions indirectes. C’est du moins ce que laissent présager les récentes sanctions prises par les États-Unis et le Royaume-Unis contre les principaux assureurs maritimes russes dans le cadre de leur lutte contre la « flotte fantôme ». Le convoiement de l’uranium de retraitement (URT) vers la Russie, puis de l’uranium de retraitement enrichi (URE) vers la France, se fait en effet sur des navires russes spécialisés disposant d’assurances sur-mesure. Si, à cause d’une mauvaise évaluation de l’« effet boomerang » de ses décisions, l’Union européenne en venait à sanctionner elle aussi ces assureurs russes toute cette chaîne logistique serait compromise. Comment imaginer en effet que des navires transportant des tonnes de combustible nucléaire puissent naviguer sans assurance ?

Devant de telles incertitudes, la France doit réagir. Elle a commencé à le faire. Orano investit 1,7 milliard d’euros pour augmenter de 30% les capacités d’enrichissement de son usine de Tricastin à Pierrelatte dans la Drôme. Même s’il faudra attendre au moins 2028 pour que cette nouvelle usine entre en fonctionnement, l’initiative doit être saluée. Des mesures comparables devraient être prises pour développer une capacité propre de ré-enrichissement de l’uranium de retraitement (URT). Cet objectif n’est pas inatteignable à moyen terme. Enfin, il vaut voir plus loin et, comme la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale le demande, il faut relancer la construction d’un prototype de réacteur nucléaire à neutrons rapides, dit « de 4e génération ». Ce n’est qu’en bouclant le cycle du combustible que la France assurera sur le long terme son indépendance énergétique et donc son indépendance, tout court.

Notre prospérité est celle d’un écosystème subtil : le tissu industriel

Notre prospérité est celle d’un écosystème subtil : le tissu industriel

par Jean Dautrey – Revue Conflits – publié le 24 janvier 2025


Des décennies de fermeture d’usines ont fait de la France le pays le plus désindustrialisé d’Europe. Les volontés naissantes de réindustrialisation contrastent avec un manque de compréhension de la nature et du fonctionnement industriel, aux échelles décisionnelles comme au niveau de la population. Jean Dautrey, ingénieur.

L’avenir de nos sociétés dépend directement du tissu-industriel qui les supporte et sa prospérité dépasse la volonté des injonctions. Sa mise en œuvre est délicate : elle implique des investissements et des délais incompressibles. Ainsi, elle requiert des décisions précautionneuses et une capacité d’évolution permanente, là où nos négligences et abandons répétés nous mettent aujourd’hui en danger.

Notre pérennité est en train de se jouer dans le tissu Industriel

Au cœur de l’économie du tissu industriel, acteurs et moyens se rencontrent en un réseau d’interdépendances, comme autant de mailles dont la viabilité et la solidité sont des équilibres subtils.

Sa fonction : produire. Consommer sans produire, c’est importer, c’est vivre au-dessus de ses moyens, c’est vivre à crédit. Une économie ne peut pas survivre en faisant simplement circuler la monnaie et en consommant ce que produisent les autres. Cette fuite en avant est la voie vers l’appauvrissement, d’abord par une dette toujours plus lourde, ensuite par l’inflation qui traduit la perte de confiance en notre monnaie.

Si la puissance publique vante son plan de réindustrialisation et ses succès aux belles couleurs d’indicateurs rassurants, il y a bien un monde où le grain du performatif et de la velléité ne prend pas : c’est celui du terreau de l’industrie. En cela, il heurte les logiques abstraites et immédiates auxquelles sont habitués gestionnaires financiers, administrations et conseillers, comme ceux qui ont cru en une société uniquement de services ou, qui persiste, d’une société libérée du travail.

Les fermetures d’usine récentes, comme celles de Michelin ou du chimiste centenaire Vencorex (qui ne parvient plus à être rentable sur le sol français) montrent le décalage entre les discours et la capacité de maîtrise de ce décrochage. Dans un tissu européen déjà inégal et à l’avantage des pays « du Nord et de l’Est », c’est un décrochage global, où la défaillance de la puissante chimie et de l’automobile allemande devrait particulièrement inquiéter la France déjà fragilisée.

Ses mécanismes complexes échappent aux injonctions

Que manque-t-il à notre vision industrielle ? D’abord, un rapport organique et pragmatique à l’industrie dépassant la vision économico-financière.

Une industrie productive efficace est un patrimoine. Il requiert du temps, des investissements, de l’intelligence et un effort qui contrastent avec la facilité par laquelle on le saccage.

Tout d’abord, il faut une chaîne d’approvisionnement, dont la mise en place est limitée plus ou moins par le temps de modification du schéma minier (comme pour la transition énergétique et son besoin en métaux rares), soit, une quinzaine d’années.

D’autres ressources sont immatérielles et leurs négligences sont des phénomènes irréversibles dont un quinquennat seul ne peut combler le retard. La rupture d’investissements dans le nucléaire a rompu une chaîne de transmission, où les sachants sont partis à la retraite sans avoir transmis leurs précieux savoir-faire aux générations suivantes, expliquant en partie les retards de Flamanville dans un secteur qui a dû réapprendre par lui-même. La Chine monte en compétence, maintient cette transmission et annonce construire ses centrales en 5 ans.

Ce qui échappe à l’œil extérieur, c’est à quel point l’avance technique réside dans des détails et dans des savoir-faire non-traçables.

Les raisons d’une modification sur un plan, les réglages d’un mécanisme, le choix d’un matériau, les trucs et astuces d’un petit atelier de sous-traitant stratégique sont autant de détails qui, une fois perdus, obligent à renouveler le cycle d’apprentissage et d’erreurs qui représentent parfois des années de re-réflexion, d’heures ingénieur (ressources limitées, critiques et sous-estimées) et d’investissements en R&D.

Symétriquement, c’est l’abandon d’années de domination économique et de contrats. Il ne suffit pas de comprendre le fonctionnement d’un avion pour en produire un viable. La maîtrise des vis et des boulons de haute performance, a priori anodins, supportant -40°C à des vitesses quasi supersoniques, est un exemple d’avance jalousée difficilement rattrapable car résultant de millions d’heures de retour d’expériences, d’analyses et de perfectionnements.

Il existe aussi un patrimoine humain et relationnel vital. Entre grands groupes et PME entraînées dans le sillage, ces relations sont la base d’une intelligence commune et d’une capacité collective à s’organiser au besoin. C’est le plus souvent par le biais de relations entretenues, de coups de fil, de repas ou cafés professionnels que les opportunités naissent, que les bonnes personnes sont placées aux bons endroits et que les ruisseaux de petits sous-traitants font les grands fleuves des grands projets et travaux. Cette réalité relationnelle n’est que trop ignorée par la froideur des grands principes administratifs, des appels d’offre et des lubies de concurrence transparente niant l’importance de l’informel.

Les hémorragies principales / Les goulots d’étranglement principaux

Mais où pêchons-nous particulièrement ? En France notre maillage rencontre d’abord une pénurie de main-d’œuvre technique, dont le mal ne pourra pas se réduire plus vite que le temps de formation d’une génération, souffrant encore d’une culture des diplômes longs (pas nécessairement plus rémunérateurs). La mise en place des écoles, elle-même, est l’œuvre d’années de mise au point d’un écosystème qui lui est propre.

La relation avec les puissances publiques doit être celle d’un soutien et garantir un environnement favorable à la rentabilité. La sur-contrainte réglementaire asphyxie les entreprises. La philosophie de décarbonation européenne restreint les prêts bancaires de certaines entreprises vitales, et crée une volonté (bientôt nécessité ?) d’expatriation vers les marchés étrangers, dont la considération polémique par Total Énergies est un symptôme. La pression fiscale, à laquelle la France excelle, crée le risque d’une économie où seuls les grands groupes historiques survivraient, tandis que l’entrepreneuriat et les petites entreprises disparaîtraient, incapables de rester viables.

Enfin, aux maux du tissu productif, s’ajoute le problème du capital c’est-à-dire de la propriété des outils de production (des usines). Car, un outil industriel propriété de capitaux étrangers, c’est une capacité décisionnelle hors de nos mains et répondant à des intérêts extérieurs. La fuite de nos talents vers des géants étrangers, comme Open-AI (à l’origine de ChatGPT), et dont se félicite le président de la République, sonne comme des victoires à la Pyrrhus. Il est dommage que l’intérêt de cette appartenance nationale ne soit compris par tous qu’en tant de crises, quand elle permet un moratoire sur les prix de l’essence ou autre participation à l’intérêt publique.

À l’inverse, on peut penser à Sanofi, qui au-delà du symbole du Doliprane, déclarait, non sans lien avec son capital maintenant principalement américain, qu’il délivrerait ses éventuels vaccins en priorité aux USA. La présence d’un tissu industriel ne suffit pas, il faut le posséder autant que possible pour disposer de soi-même et de son futur.

Pour réinjecter de l’oxygène dans notre avenir, des contre-mesures fortes doivent pourvoir être abordées : retour à un tarif national de l’électricité basé sur notre parc nucléaire et décorrélé des surcoûts allemands, fonds de retraite investis dans nos entreprises, pertinence des impôts de production spécifiquement français… La santé au long terme de notre tissu industriel, c’est notre survie.

La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires

La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires


La France rebondit dans ce pays d'Asie après ses déboires en Afrique et s'ouvre une nouvelle source d'approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires
La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires

 

Orano et la Mongolie scellent un accord d’investissement pour exploiter un gisement d’uranium majeur.

Comme nous l’avons vu dans un précédent article, après des années de purgatoire, la filière du nucléaire se porte très bien en France en 2025. Pour sécuriser encore un peu plus cette filière qui assure la souveraineté de la France ainsi qu’une énergie décarbonée, le groupe Orano vient formaliser un accord d’investissement avec l’État Mongol pour développer et exploiter le gisement d’uranium de Zuuvch-Ovoo, marquant un tournant majeur dans les relations franco-mongoles, en même temps qu’il vient offrir une ouverture potentielle pour la France sur une nouvelle source d’approvisionnement en uranium plus pérenne que l’Afrique, dans laquelle l’Hexagone ne semble plus le bienvenu en ce moment.

Orano prend un engagement long terme en Mongolie

L’accord, qui couronne 27 ans de présence et de collaboration entre Orano et la Mongolie, a été ratifié suite à son approbation par le parlement mongol. La cérémonie de signature s’est déroulée à Oulan-Bator, symbolisant le début d’un projet minier de grande envergure qui durera 30 ans avec un investissement initial estimé à 500 millions de dollars.

Développement du gisement et impact économique

Le projet Zuuvch-Ovoo, situé dans la province de Dornogovi, envisage une production annuelle de 2 500 tonnes d’uranium. Avec un investissement total de 1,6 milliard de dollars sur la durée du projet, cette initiative devrait générer 1 600 emplois, stimulant ainsi l’économie locale et régionale.

Standards internationaux et formation locale

Orano s’engage à respecter les standards internationaux de sécurité, de sûreté et d’environnement, et prévoit des investissements significatifs dans la formation de la main-d’œuvre locale. Cet aspect du projet vise à développer des compétences durables au sein des communautés locales et à positionner la Mongolie comme un leader dans l’industrie uranifère.

Implications stratégiques et environnementales

L’exploitation du gisement d’uranium à Zuuvch-Ovoo positionne la Mongolie comme un acteur clé dans le marché global de l’uranium, essentiel pour soutenir les besoins croissants en énergie bas carbone. Cela renforce également les efforts de la Mongolie pour contribuer à l’effort climatique mondial et à la diversification de son économie.

Les sources d’approvisionnement actuelles de la France en Uranium en 2025

La France, qui consomme environ 7 000 à 9 000 tonnes d’uranium par an pour ses 57 réacteurs nucléaires, dépend entièrement des importations pour son approvisionnement. Ses principales sources d’uranium sont diversifiées géographiquement, incluant le Kazakhstan, le Niger, le Canada, l’Australie, la Namibie et l’Ouzbékistan. Cette diversification vise à réduire les risques géopolitiques et économiques. Cependant, la dépendance à l’uranium enrichi russe reste significative, représentant environ un tiers des besoins français en 2022. EDF, le principal exploitant nucléaire français, s’approvisionne auprès de fournisseurs comme Orano (français donc) et Urenco (anglo-saxon). Le top 3 des plus gros exportateurs d’uranium vers la France est :

  1. Kazakhstan (environ 27% des importations)
  2. Niger (environ 20% des importations)
  3. Ouzbékistan (environ 19% des importations)

Cet article explore le partenariat stratégique entre Orano et la Mongolie pour l’exploitation d’un gisement d’uranium de classe mondiale, soulignant l’impact économique, environnemental et social du projet. Avec des investissements substantiels et un engagement à long terme envers les normes internationales et le développement local, ce projet promet de renforcer les capacités industrielles de la Mongolie et de soutenir les objectifs mondiaux de production d’énergie propre.

Source : Orano

L’EPR de Flamanville, le plus puissant des réacteurs nucléaires français, est enfin raccordé au réseau électrique

L’EPR de Flamanville, le plus puissant des réacteurs nucléaires français, est enfin raccordé au réseau électrique


L’EPR de Flamanville. Stephanie Lecocq / REUTERS

 

Le dernier né des réacteurs français commence un cycle de dix-huit mois, jusqu’à sa première maintenance. Une quinzaine d’arrêts et de redémarrages auront lieu sur le chemin de la pleine puissance, l’été prochain.

Jusqu’au bout du suspens, mais cette fois ça y est. «L’EPR de Flamanville produit ses premiers électrons ! Samedi 21 décembre 2024 à 11h48, l’EPR de Flamanville a été connecté au réseau électrique français et a commencé à produire ses premiers électrons», a annoncé Luc Rémont, le PDG d’EDF ce samedi sur la plateforme LinkedIn. «C’est un évènement historique pour toute la filière nucléaire française.» «Grand moment pour le pays. L’un des réacteurs nucléaires les plus puissants du monde, l’EPR de Flamanville, vient d’être raccordé au réseau électrique. Réindustrialiser pour produire une énergie bas carbone, c’est l’écologie à la française. Elle renforce notre compétitivité et protège le climat», a salué Emmanuel Macron, lui aussi sur Linkedin.

Fierté et soulagement pour les équipes de l’EPR de Flamanville alors que ce premier raccordement au réseau électrique avait été promis par EDF « avant la fin de l’automne », enclenchant un compte à rebours oppressant dans la dernière ligne droite.

D’abord promise pour ce vendredi matin 10 heures, l’opération, dite « couplage » a été repoussée d’abord à 23 heures ce même vendredi, puis à 10h du matin, ce samedi. Finalement l’heure à retenir sera 11h48. Avec un dernier retard de près de vingt-six heures, sur un chantier qui arrive à son terme avec douze années de retard et un coût trois fois plus élevé que prévu, à plus de 13 milliards. Mais qui est parti pour fonctionner 60 ans, au moins, et alimenter en électricité quelque deux millions de foyers chaque année. Une odyssée des temps modernes, avec un long voyage semé d’embûches. «Ce matin, c’est l’accomplissement d’un effort titanesque qui a fini par payer. Un long chemin, qui n’a été ni facile, ni parfait, mais qui aboutit au bénéfice des Français. Nous en tirons tous les enseignements pour réussir la relance du nucléaire que nous avons décidée avec le Président de la République. 
Bravo et merci à toutes les équipes d’EDF mobilisées sur place. Le cœur du réacteur, c’est eux !», salue Agnès Pannier-Runacher la ministre démissionnaire de la transition écologique. 

Des centaines de personnes restent mobilisées sur le site pour jouer cette partition au millimètre. Paradoxalement, ce n’est pas le cœur du réacteur nucléaire, là où le combustible produit de la chaleur, qui a fait l’objet du plus d’attention, mais la turbine. Cette immense machine dont les pales vont tourner à 1500 tours minutes, propulsées par la vapeur produite par le réacteur. Cette vapeur doit être parfaite, car à cette vitesse la moindre goutte d’eau a la puissance d’une balle de pistolet. Les capteurs scrutent les vibrations, la chaleur, l’environnement… Une fois toutes les conditions réunies, l’alternateur, qui produit l’électricité à proprement parler, a été lancé. « Il doit être synchronisé pour produire à 50 hertz, la fréquence du réseau électrique français », explique Régis Clément, directeur adjoint de la production nucléaire chez EDF. Dans un premier temps, cette énorme installation ne produira que quelques mégawatts (MW) d’électricité. Il n’atteindra sa pleine puissance qu’à l’été 2025. 

D’ici là, il reste encore quelques étapes techniques et réglementaires à franchir, avant la mise en service industrielle de l’EPR. Fla3, selon sa dénomination EDF, est couplé au réseau à environ 20% de ses capacités. Pour passer le seuil de 25%, EDF doit obtenir le feu vert de l’autorité de sûreté nucléaire, (ASN), de même pour 60%, puis 80%. Le couplage marque certes l’entrée en production du géant de 1600 MW, le plus puissant des réacteurs du parc français, il marque aussi le début d’une nouvelle phase de tests, faits de variations de puissance, d’arrêts en moins de deux secondes, d’îlotage (test du réacteur quand le réseau électrique a un problème). Tous ces scénarios sont faits pour éprouver l’installation et réduire au minimum tout risque d’incident. Une quinzaine d’arrêts et de redémarrages auront lieu sur le chemin de la pleine puissance, l’été prochain.

Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire

Olivier Bard, délégué général du Gifen

Ensuite, la production pourra encore varier, jusqu’à la première visite de contrôle (V1) de l’EPR prévue en 2026, soit environ dans 18 mois. Toutefois, la donnée prise en compte pour cette V1 n’est pas la durée de fonctionnement, mais le volume d’électricité produit, soit 14 TWh. Cela correspond à la consommation d’environ deux millions de foyers pendant un an. Et surtout, cela revient à user le combustible, comme on viderait le réservoir d’une voiture. À 14 TWh, il faudra refaire le plein : décharger et recharger en combustible le cœur du réacteur. À bien des égards, cette première visite complète est similaire à celles effectuées tous les dix ans dans les autres réacteurs du parc, une sorte de contrôle technique en beaucoup plus poussé, version monde du nucléaire.

Le changement du couvercle dans dix-huit mois

Il y a cependant une différence de taille : le couvercle de la cuve contenant les éléments radioactifs sera changé à cette occasion, pour répondre à un engagement pris auprès de l’ASN. « Ce n’est pas un sujet de sûreté, mais de durée de vie », résume Régis Clément. Le métal du couvercle actuel se fragilisera dans le temps au contact des neutrons, « il sera changé avant de présenter un risque », rassure Régis Clément. Dans les faits, de nombreux équipements dédiés au contrôle et au fonctionnement du réacteur sont installés sur le couvercle. Ils seront « retirés pour être installés sur le nouveau», ce qui devrait prendre « un peu plus d’un mois », ajoute Régis Clément. La donnée est connue de longue date. Fin 2014, Areva NP a «découvert une anomalie de fabrication de l’acier du couvercle », explique l’IRSN. En 2017, l’ASN et l’IRSN ont considéré que le remplacement de ce couvercle devrait être réalisé au premier arrêt pour rechargement du réacteur (VC1). Qui aurait dû survenir bien avant 2026…

Le changement du couvercle est un des innombrables déboires rencontrés sur le chantier. Et malgré tout, la mise en service de l’EPR est un sujet de fierté, chez EDF d’abord, mais aussi pour toute une filière industrielle. «Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire », souligne Olivier Bard, délégué général du Gifen, le groupement des industriels français de l’énergie nucléaire.

Reconnaissance de l’électrosensibilité : un rentable jeu de dupe

Reconnaissance de l’électrosensibilité : un rentable jeu de dupe

OPINION. Le 17 septembre dernier, 7 députés déposaient la proposition de loi n°211 visant à reconnaître l’électrosensibilité comme une maladie invalidante, espérant qu’une telle reconnaissance puisse stimuler  la recherche sur ses causes et conduire à la mise en place de mesures de protection, comme des zones blanches. Une telle démarche conduira pourtant très probablement à enfoncer et maintenir les personnes se disant électrosensibles dans leur trouble, et à favoriser le « business model anti-ondes », qui exploite leur souffrance, sur les deniers publics.

(Crédits : Ralph Orlowski)

Qu’est-ce que l’électrosensibilité ? Il s’agit d’un trouble auto-diagnostiqué caractérisé par des symptômes neurasthéniques, végétatifs, ou dermatologiques, très variés et non spécifiques, qui diffèrent d’un individu à l’autre, mais que les personnes affectées relient à leur exposition aux ondes. Face à une telle définition, il apparaît pertinent et nécessaire de convoquer  la physique des rayonnements et les résultats des études de provocations pour mieux cerner la nature réelle de l’électrosensibilité et en comprendre  l’étiologie la plus probable, dont nous allons voir qu’elle n’a aucun rapport avec l’exposition aux ondes.

Les ondes sont des rayonnements électromagnétiques dont les mécanismes d’action, au niveau biologique, diffèrent selon leur fréquence. Dans le domaine des radiofréquences, telles qu’exploitées par la téléphonie mobile et la majorité des appareils communicants sans fil, le seul effet avéré qui pourrait affecter la santé est l’échauffement des tissus par agitation moléculaire sous l’action du rayonnement. Or, des études ont permis de corréler l’intensité d’échauffement des tissus avec la puissance absorbée (ou DAS, Débit d’Absorption spécifique), et d’en tirer des limites d’exposition réglementaires très protectrices dont l’application rend impossible l’apparition de phénomènes d’échauffement notable et délétère des tissus en cas d’exposition aux ondes communément rencontrées dans l’environnement; même chose pour les différents compteurs communicants, qui émettent généralement moins d’ondes « parasites » que les petits appareils électroménagers.

On peut donc écarter les effets thermiques de la liste des causes possibles de tout ou partie des symptômes vécus par les électrosensibles. Or, aucun mécanisme scientifiquement plausible ne peut être convoqué pour expliquer un « autre » effet des ondes radiofréquence, dans les conditions d’expositions communes.

S’il n’existe pas de mécanisme d’action scientifiquement décrit, existe-t-il au moins une approche clinique démontrant la réalité de l’électrosensibilité ?  Pour répondre à cette question, un échantillon de personnes se disant électrosensibles a participé, voilà plusieurs années déjà, à des études de provocation,  lesquelles consistaient à tester leur capacité, dans des expériences contrôlées en double aveugle, à déterminer si une source d’émission d’ondes à proximité d’elles était active ou pas. Les résultats de ces études, plusieurs fois répliquées, démontrent une réalité bien éloignée des discours militants faisant de l’électrosensibilité une maladie des ondes: les électrosensibles testés étaient incapables de faire mieux qu’une pièce que l’on jouerait à pile ou face pour détecter la présence d’ondes dans les salles d’expérimentation. Pire, certains participants durent cesser les expériences à cause des douleurs ressenties, qu’ils attribuaient aux ondes… lors de conditions d’exposition fantôme, c’est-à-dire en l’absence d’onde.

Absence de preuve scientifique d’une relation causale entre exposition aux ondes et électrosensibilité, absence de mécanisme plausible, absence de preuve clinique, douleurs ressenties en condition d’exposition fantôme… tout cela plaide pour l’hypothèse d’une étiologie psychologique, dans laquelle c’est l’exposition socio-cognitive aux informations inquiétantes entourant les ondes qui rend les gens malades en les poussant à attribuer, par erreur, des symptômes d’un trouble anxieux préexistant à l’exposition aux ondes, ce qui le mute en phobie des ondes; mécanisme que j’ai eu l’occasion d’expliciter plus en détail [1,2] et dans lequel le focus attentionnel, le biais de confirmation et l’amplification somato-sensorielle jouent un rôle, semble-t-il, majeur.

Dans cette hypothèse, il est à craindre que toute forme de reconnaissance de l’électrosensibilité favorisera le développement de stratégies d’évitement et de défense, comme le recours à des dispositifs anti-ondes, qui, parce qu’ils s’apparentent à des objets contra-phobiques, sont susceptibles de maintenir la phobie  en  diminuant l’anxiété et apaisant les symptômes associés,  et en renforçant ainsi la croyance que ces symptômes sont produits par les ondes et qu’il est nécessaire de s’en protéger…  l’exemple, réel, d’un électrosensible qui affirmait dormir beaucoup mieux dans la proximité immédiate d’un brouilleur d’ondes, et percevoir une disparition de ses symptômes, alors que, par construction, un brouilleur d’ondes est un intense émetteur radiofréquence, illustre la puissance des mécanismes psychologiques à l’œuvre.

La reconnaissance de l’électrosensibilité est donc un jeu de dupe. Le  business model du lobby anti-ondes en serait le grand gagnant, lui qui prospère sur la souffrance psychologique des électrosensibles et n’a aucun intérêt à ce que leurs troubles disparaissent. C’est à ce  business, basé sur la souffrance, auquel les députés offriront de belles perspectives de développement commercial  s’ils adoptaient le texte proposé le 17 septembre 2024, en faisant fi de la réalité scientifique et en accordant crédit aux marchands de peur et de gadgets anti-peur,  qui pourraient ainsi être intégrés aux listes des produits et prestations remboursables sur les deniers publics… ce qui n’est pas sans rappeler d’autres dérives comme le  financement, par les chambres d’agriculture, d’interventions de géobiologues, chargés de détecter les « mauvaises ondes » et autres « énergies négatives » dans les élevages [3].

Ce qu‘il faut pour traiter sérieusement l’électrosensibilité et aider les personnes qui en souffrent, c’est, d’une part, qu’elle soit comprise et abordée comme une phobie, et d’autre part que des thérapies cognitivo-comportementales soient mises en place et proposées aux électrosensibles. La communauté des psychologues cliniciens doit se saisir du sujet et ne pas laisser le champ libre aux pseudoscientifiques.


[1] Sébastien Point, Syndrome EHS: une grave épidémie de croyances, Physique au Canada, Vol.76, n°1,2020.

[2] Sébastien Point, Electrohypersensitivity as a new psychological disorder, Skeptic Magazine, Vol.26, N°4, 2021.

[3] « Élus ne cédez pas à la géobiologie » S. Point (Interview), European Scientist, novembre 2024.

Carte commentée. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?

Carte commentée. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?

Par AB PICTORIS*, Clément Alberni – Diploweb – publié le 6 décembre 2024.

https://www.diploweb.com/Carte-commentee-Quelle-influence-pour-l-Organisation-des-pays-exportateurs-de-petrole-en-2024.html


*AB Pictoris est une entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Diplômée de l’IFG et de Sciences Po Aix. B. Lambert publie « Se former à la cartographie avec Inkscape », éd. D-Booker.
Clément Alberni est diplômé d’un Master en Histoire et Relations internationales, de l’Université Catholique de Lille. Après un stage au Ministère des Armées, il occupe chez AB Pictoris un poste d’analyste-cartographe dans le cadre d’un stage se déroulant d’août à octobre 2024.

Découvrez l’histoire, la structure organisationnelle et le rôle de l’OPEP. Soyez au clair sur l’adaptation de l’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole. L’OPEP+ joue aujourd’hui un rôle de stabilisateur du marché pétrolier, même si sa capacité à influer sur certaines décisions et à utiliser le pétrole comme levier diplomatique reste non-négligeable. La diversité des membres qui la composent et dont les intérêts sont parfois opposés pousse ses dirigeants à agir de façon pragmatique. Ainsi, malgré le soutien affiché des pays arabes aux Palestiniens, aucun embargo à l’encontre de l’Etat israélien n’a été mis en œuvre à la suite de l’offensive sur la bande de Gaza.
Carte disponible sous deux formats JPG et PDF pour l’impression haute qualité.

A L’OCCASION de la COP 28, le secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a suscité la colère et l’indignation de nombreux pays présents. Ce dernier a en effet demandé « en urgence » à ses membres de « rejeter proactivement » tout accord ciblant les énergies fossiles [1]. Il précise dans son courrier que la pression excessive et disproportionnée exercée sur les combustibles fossiles pourrait atteindre un point de basculement aux conséquences irréversibles, car le projet de décision contient encore des dispositions sur l’élimination progressive des combustibles fossiles ». Malgré un accord final faisant état d’une sortie progressive des énergies fossiles afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, cette prise de position interroge quant au poids politique de l’OPEP et à son niveau d’influence sur le marché du pétrole en 2024. Pour mieux comprendre, revenons plus en détail sur cette organisation peu ou mal connue.

Carte. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?
Pays membres de l’OPEP. Pays membres de l’OPEP+. Principaux exportateurs de pétrole. Principaux importateurs de pétrole. Cliquer ici pour voir la carte au format PDF haute qualité d’impression. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.
Alberni/AB Pictoris

L’OPEP est une organisation de pays producteurs de pétrole créée le 14 septembre 1960, lors de la conférence de Bagdad, dans un contexte de concurrence intense entre compagnies pétrolières et de fortes pressions à la baisse sur le prix du pétrole. Son objectif est de réguler la production et le prix du pétrole par une politique concertée de ses membres.

En 2024 elle est composée de douze membres, dont ses cinq fondateurs, l’Arabie Saoudite, le Venezuela, l’Irak, l’Iran et le Koweït, ainsi que de sept membres ayant rejoint l’organisation, la Libye en 1962 l’Algérie en 1969, les Émirats arabes unis en 1967, le Gabon (1975-1995, de nouveau membre depuis 2016), le Nigéria 1971, la Guinée équatoriale en 2017 et le Congo en 2018.

En 2016, les membres de l’OPEP se sont associés avec dix autres pays producteurs [2] pour s’entendre sur les quotas visant à limiter la production : Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Oman, Russie, Soudan et Soudan du Sud. Cette alliance est connue désormais sous le nom d’« OPEP+ ».

Notons cependant que d’autres grands pays producteurs ne sont pas membres de l’organisation, Etats-Unis en tête qui est de loin le 1er avec une production de plus de 13 millions barils/jour [3] (unité BBL/D/1K). C’est également le cas du Canada (4734 millions), de la Chine (4249 millions), de la Norvège (1859 millions), du Qatar(1322 millions) [4] et de l’Angola (1084 millions) [5].

Structure organisationnelle de l’OPEP

Le siège de l’OPEP est situé à Vienne en Autriche, et sa structure organisationnelle se décline en plusieurs institutions spécifiques. La conférence des ministres est l’organe suprême de décision de l’OPEP. Elle est composée des ministres du pétrole ou de l’énergie des pays membres. Le comité de revue du marché est quant à lui chargé d’analyser l’état du marché pétrolier, puis de préparer les rapports et recommandations qui seront utilisés lors de la conférence des ministres en matière de politique de production et de prix du pétrole. Ensuite, le secrétariat général, en tant qu’organe exécutif de l’OPEP, est chargé de la mise en œuvre des décisions prises en Conférence des Ministres. Enfin l’organisation est constituée de comités techniques, spécialisés et de groupes de travail pouvant mettre en place des comités ad hoc traitant de questions spécifiques. Ces derniers assistent le comité de revue du marché en fournissant des analyses techniques et des recommandations sur la production et les quotas de pétrole.

Une stabilisation des prix du pétrole et la défense des intérêts des pays producteurs aux origines de l’OPEP

Revenons maintenant aux origines de l’OPEP pour mieux comprendre son rôle et son influence croissante sur le marché mondial du pétrole.

Dans les années qui précèdent la création de l’OPEP, la majorité des pays producteurs de pétrole sont soumis à une très forte dépendance économique des revenus générés par les exportations de cette ressource. Ils se trouvent alors dans une situation de grande fragilité, notamment face à la volatilité des cours du baril, dont la tendance à la baisse est largement encouragée et induite par les pays importateurs. Ainsi, le regroupement d’un certain nombre de pays producteurs voit le jour et permet à ces derniers de peser suffisamment pour être en position de négocier avec les firmes pétrolières multinationales. Ce regroupement leur permet également d’instaurer, entre eux, des quotas de production afin de pouvoir contrôler les prix sur le marché mondial.

Différents tournants marquent alors l’histoire de l’organisation.

Le pétrole, un levier diplomatique pour les pays du Golfe

À partir des années 1970, l’OPEP se structure, se renforce et acquiert une stature internationale, lui conférant un rôle croissant sur la scène pétrolière mondiale.

En octobre 1973, la guerre du Kippour [6] éclate entre Israël et une coalition de pays arabes, menée par l’Égypte et la Syrie. Ce conflit est le point de départ d’une action concertée des pays arabes membres de l’OPEP pour utiliser le pétrole comme levier diplomatique.

L’OPEP, dominée alors par ses membres arabes, décide de réduire progressivement sa production de pétrole et d’imposer un embargo à destination des États-Unis et d’autres pays occidentaux pour leur soutien à Israël.

Le pétrole est ici utilisé comme une arme diplomatique : il s’agit de contraindre les puissances occidentales à faire pression sur Israël pour qu’il se retire des territoires acquis pendant la guerre des Six Jours de 1967 [7]. L’embargo provoque une raréfaction de l’offre mondiale de pétrole, entraînant une hausse spectaculaire des prix. En seulement quelques semaines, il sera multiplié par quatre, passant de 4 à 16 dollars. Les économies occidentales ne peuvent pas faire face. Dans les pays directement visés, la croissance s’effondre et le chômage augmente [8].

L’OPEP, auparavant perçue comme un simple groupe de pays exportateurs de matières premières, émerge comme un acteur économique et géopolitique de premier plan. Elle démontre sa capacité à influencer non seulement le marché pétrolier mondial, mais aussi les relations internationales.

Bis repetita en 1979, avec la chute du Shah d’Iran et la révolution islamique dans ce pays alors important producteur de pétrole, qui engendre un nouveau doublement du prix du baril, de 20 à 40 dollars. C’est le second choc pétrolier.

Ces crises successives modifient durablement les rapports de force internationaux et incitent les pays consommateurs à repenser leurs stratégies énergétiques.

Les années 1980 seront marquées par de nombreuses périodes de difficultés pour l’OPEP, en raison notamment d’une production supérieure à la demande, et l’augmentation de la production dans certains pays comme les Etats-Unis (présence de ressources en Alaska) et la Norvège (présence de ressources en Mer du Nord).

De plus, l’OPEP est également confrontée à des difficultés en interne, certains pays membres ne respectant pas les quotas de production décidés en commun. Cette surproduction accroît la surabondance de l’offre sur le marché mondial, entraînant une chute continue des prix du pétrole.

L’Arabie saoudite, en tant que leader de facto de l’OPEP, a joué un rôle clé en tentant d’ajuster sa production pour équilibrer l’offre. L’organisation n’a alors pas d’autres choix que de se réformer : elle adopte une nouvelle stratégie, qui met fin à la guerre des prix en adoptant un mécanisme de fixation des prix basé sur le marché.

Cette période est caractérisée par un affaiblissement important de l’influence de l’OPEP sur le cours du marché pétrolier international, et par ricochet de sa capacité à peser dans les relations internationales.

Toutefois, les années 2000 signent un tournant décisif avec l’essor et la montée en puissance de géants économiques entraînant une demande en pétrole sans précédent.

L’arrivée des émergents, une demande forte qui donne un nouvel élan à l’OPEP

Les années 2000 marquent un regain de l’influence de l’organisation. En effet, la période est caractérisée par une demande énergétique en forte croissance, notamment de la part des économies émergentes comme la République populaire de Chine et l’Inde. Le prix du baril s’envole, et atteint les 140 dollars en juillet 2008. L’OPEP s’impose comme un acteur déterminant dans la gestion de cette hausse des prix.

Elle joue un rôle stratégique de stabilisation en ajustant régulièrement les quotas de production de ses membres. Malgré une concurrence accrue de la part de pays non-membres qui augmentent les prix, elle parvient à maintenir un fort contrôle sur le marché mondial.

En plus de la montée en puissance des émergents, la période est caractérisée par une série de crises qui secouent particulièrement le Moyen-Orient. L’invasion de l’Irak en 2003 et les tensions en Iran lui imposent d’ajuster ses politiques pour maintenir des niveaux de production élevés de manière à compenser les pertes dans les pays en crise.

Une nouvelle fois, l’OPEP devient un instrument géopolitique. Riyad, en tant que leader de facto de l’organisation, tire son épingle du jeu et utilise habilement son influence sur le marché pétrolier pour renforcer ses relations avec les grandes puissances mondiales, et en particulier avec les États-Unis. Le pétrole, véritable outil de diplomatie, permet à l’Arabie saoudite de négocier des accords bilatéraux favorables, de sécuriser son rôle de partenaire stratégique des États-Unis au Moyen-Orient, et de renforcer sa position au sein du monde arabe.

L’État saoudien profite également de cette période favorable pour établir des relations stratégiques avec les pays émergents à forte demande énergétique, comme la Chine et l’Inde. Par exemple, des accords bilatéraux ont été signés pour garantir des contrats de livraison de pétrole à long terme à ces pays en échange de coopérations dans d’autres domaines, tels que les investissements infrastructurels et les partenariats commerciaux [9].

A l’automne 2008, une crise financière mondiale porte un premier coup d’arrêt à cette période de domination de l’OPEP sur le marché mondial du pétrole. Malgré la crise, l’organisation parvient à maintenir l’unité de ses membres, coordonnant des réductions de production sans précédent, allant jusqu’à retirer 2,2 millions de barils par jour du marché [10]. Cette adaptation rapide permet une reprise partielle des prix dès 2009, bien que les niveaux d’avant-crise n’aient pas été immédiatement atteints.

Au-delà de cette crise financière, l’émergence de nouveaux producteurs et l’importance croissante du pétrole de schiste américain sont à l’origine d’une remise en cause de cette quasi-hégémonie de l’OPEP.

L’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole, une adaptation cohérente

En 2014, l’arrivée des États-Unis en tant que puissance majeure sur le marché du pétrole, grâce à l’extraction accrue du gaz de schiste, marque une évolution décisive. Cette révolution énergétique permet à Washington de devenir l’un des plus grands producteurs mondiaux de pétrole, modifiant profondément les dynamiques du marché. L’explosion de la production de schiste provoque un excès d’offre et une chute brutale des prix du baril [11].

Pour faire face à cette nouvelle réalité et stabiliser les prix du pétrole, l’OPEP décide de repenser sa politique en adoptant une nouvelle approche stratégique, plus pragmatique. Ainsi, en 2016, l’organisation forme l’alliance OPEP+ avec des producteurs non-membres, dont la Russie, pour coordonner les politiques de production et limiter la surproduction, cette fois-ci dans un cadre étendu.

La formation de l’OPEP+ permet aux pays membres de l’OPEP de maintenir leur influence sur les prix mondiaux tout en adaptant leurs stratégies à un marché énergétique de plus en plus diversifié et compétitif. Alors que l’OPEP est une organisation historiquement dominée par des producteurs du Moyen-Orient, l’OPEP+ apparaît comme une adaptation à un nouveau contexte stratégique. D’un côté, elle apporte une réponse à la montée en puissance de producteurs non traditionnels, et de l’autre, elle s’inscrit dans l’évolution de la concentration des pouvoirs économiques et énergétiques, qui se trouvent aujourd’hui répartis entre plusieurs pôles majeurs.

L’organisation est aujourd’hui composée des douze membres de l’OPEP, et de douze autres pays producteurs : l’Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunéi, le Kazakhstan, la Malaisie, le Mexique, Oman, la Russie, le Soudan et le Soudan du Sud. Le Brésil les a rejoint en tant que membre en janvier 2024.

En définitive, l’OPEP+ joue aujourd’hui davantage un rôle de stabilisateur du marché pétrolier, même si sa capacité à influer sur certaines décisions et à utiliser le pétrole comme levier diplomatique reste non-négligeable. La diversité des membres qui la composent et dont les intérêts sont parfois opposés [12], pousse ses dirigeants à agir de façon plus pragmatique. Ainsi, malgré le soutien affiché des pays arabes aux Palestiniens, aucun embargo à l’encontre de l’Etat israélien [13] n’a été mis en œuvre à la suite de l’offensive sur la bande de Gaza.

L’Organisation risque aussi d’être confrontée à de nouveaux défis, notamment avec la découverte de gisements en Arctique et l’ouverture des nouvelles routes qui joueront un rôle-clé dans l’approvisionnement de cette ressource. Cette découverte et l’importance croissante de ces nouvelles routes liées à la fonte des glaces pourraient placer des pays membres de l’OPEP+, comme la Russie [14], et d’autres producteurs majeurs, comme les Etats-Unis et le Canada, en position de force sur la marché. Cette réalité représente un défi considérable pour l’unité de l’OPEP ainsi que pour son poids politique, l’organisation devra faire preuve d’une très grande capacité d’adaptation, sans quoi elle risque de se voir progressivement marginalisée.

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Découvrez l’histoire, la structure organisationnelle et le rôle de l’OPEP. Soyez au clair sur l’adaptation de l’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole. Carte haute qualité d’impression.


[1] Le Monde. (2023, 9 décembre). À la COP28, le chef de l’OPEP demande aux membres de refuser tout accord ciblant les énergies fossiles. https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/09/a-la-cop28-le-chef-de-l-opep-demande-aux-membres-de-refuser-tout-accord-ciblant-les-energies-fossiles_6204825_3244.html

[2] Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole. (2022). OPEC annual statistical bulletin 2022. https://www.opec.org/opec_web/en/publications/4580.htm

[3] Trading Economics. (2024, 30 août). Crude oil production. https://fr.tradingeconomics.com/country-list/crude-oil-production

[4] Le Qatar a quitté l’OPEP en janvier 2019.

[5] Le pays a quitté l’OPEP en décembre 2023.

[6] Une offensive lancée par les armées égyptienne et syrienne lors de la fête juive du Yom Kippour surprend et bouscule les forces israéliennes. L’affrontement se termine le 25 octobre 1973 avec un cessez-le-feu qui sera suivi, en novembre, par un accord de désengagement entre les belligérants. Université de Sherbrooke. (2019). Création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/110

[7] Le Monde diplomatique. (2024.). Guerre des Six-Jours. https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/guerredessixjours

[8] Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. (2024). Les chocs pétroliers. https://www.economie.gouv.fr/facileco/chocs-petroliers

[9] Le Monde. (2006, 22 avril). Accord-cadre entre l’Arabie Saoudite et la Chine sur la coopération énergétique. https://www.lemonde.fr/economie/article/2006/04/22/accord-cadre-entre-l-arabie-saoudite-et-la-chine-sur-la-cooperation-energetique_764492_3234.html

[10] Le Monde. (2008, 17 décembre). L’OPEP prépare une baisse coup de poing de ses exportations pétrolières. https://www.lemonde.fr/economie/article/2008/12/17/l-opep-prepare-une-baisse-coup-de-poing-de-ses-exportations-petrolieres_1132032_3234.html

[11] Les Échos. (2015, 24 juin). Les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole en 2014. https://www.lesechos.fr/2015/06/les-etats-unis-sont-devenus-le-premier-producteur-mondial-de-petrole-en-2014-249501

[12] GEO. (2022, 20 octobre). La guerre en Ukraine chamboule les relations entre la Russie et l’Arabie Saoudite. https://www.geo.fr/geopolitique/guerre-ukraine-chamboule-relations-russie-arabie-saoudite-marche-petrole-opep-prix-production-220562

[13] L’Orient-Le Jour. (2023, 19 octobre). L’OPEP refuse d’imposer un embargo pétrolier réclamé par l’Iran. https://www.lorientlejour.com/article/1353868/lopep-refuse-dimposer-un-embargo-petrolier-reclame-par-liran.html

[14] NDLR : Jean Radvanyi et Marlène Laruelle, « L’Artique russe, un nouveau front stratégique », Les carnets de l’observatoire, éd. L’inventaire, 2024.

L’Allemagne intervient à Bruxelles, via ses ONG, pour imposer sa politique énergétique. La France et la filière nucléaire en font les frais.

par Louis du BREIL – AASSDN – publié le 14 novembre 2024

https://aassdn.org/amicale/l-allemagne_intervient-a-bruxelles-via-ses-ong-pour-imposer-sa-politique-energetique-la-france-et-la-filiere-nucleaire-en-font-les-frais/


L’économie, c’est de l’énergie transformée. Ce ne sont pas aux industriels allemands qu’il faut le rappeler. L’explosion des prix de l’électricité depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine les a remis face au désastre de la destruction de leurs capacités nucléaires depuis la mise en place de l’Energiewende dans les années 1990. Dans ce processus suicidaire, Berlin s’en est pris à l’avantage comparatif français dans le secteur énergétique afin de promouvoir sa propre industrie des énergies renouvelables (ENR)[1] et maintenir sa domination économique en Europe. L’Allemagne mène ainsi une guerre de l’information antinucléaire contre la France en s’appuyant sur ses réseaux influents dans les couloirs de Bruxelles et sur un attirail de fondations politiques au service de ses intérêts.

Commentaire AASSDN : Cet article retrace parfaitement le déroulement des actions menées par l’Allemagne contre les intérêts supérieurs français pendant plus de 25 ans.
De nombreux responsables politiques français ont collaboré souvent pour des raisons politiciennes avec des organismes allemands dont l’objectif était d’affaiblir les capacités énergétiques et donc économiques de notre pays.
La guerre notamment économique est un état permanent. Nos alliés, qui ne sont pas nos amis, chercheront toujours quand ils le pourront à nous affaiblir pour nous dominer. Il est donc urgent que nos dirigeants, mais aussi tous les Français prennent conscience de cette réalité aux conséquences graves et combattent vigoureusement ces actions souterraines menées contre nos intérêts fondamentaux non seulement par les grandes puissances (Etats-Unis et Chine) mais également au sein de l’UE.

Origines et développement de l’Energiewende 

Dans la société allemande d’après-guerre traumatisée par les bombardements américains à Nagasaki et Hiroshima, puis par la peur d’une guerre nucléaire généralisée entre les deux blocs lors de la crise des euromissiles en 1977, l’énergie nucléaire a rapidement suscité une aversion naturelle au sein de la population. C’est d’abord ce terreau réceptif qui a fait le succès des militants antinucléaires en Allemagne. Dès 1980, émerge l’idée d’une « transition énergétique » (Energiewende[2]) qui fixe pour horizon l’abandon progressif des énergies fossile et nucléaire au profit des ENR. Ce rêve trouve immédiatement un écho favorable dans le public allemand et des relais politiques dans le jeune parti écologiste Die Grünen, qui accède au pouvoir dans le cadre de la coalition noir-vert avec la CDU au début des années 1990. C’est alors que la promotion des ENR est devenue le fer de lance d’un discours idéologique puissant reposant sur la « bonne conscience » environnementale et l’ostracisation des défenseurs de l’énergie nucléaire[3].

Le tournant énergétique se situe en 1998 lors de la première coalition rouge-verte[4] dirigée par G. Schröder. Il propose deux lois faisant de l’Energiewende un agenda politique pour l’Allemagne. La première[5] renforce le soutien au développement de la filière des ENR (en garantissant des prix de vente supérieurs au prix du marché au détriment du consommateur) et la deuxième[6] programme un abandon du nucléaire échelonné dans le temps. Concrètement, les centrales nucléaires existantes étaient condamnées à la fermeture tandis que la construction de nouvelles centrales était interdite. Cette transition est à nouveau accélérée en 2011 dans la foulée de la catastrophe de Fukushima, lorsque Angela Merkel annonce la fermeture anticipée de la totalité des centrales allemandes à horizon 2022[7]. En avril 2023, les trois derniers réacteurs nucléaires du pays sont finalement fermés[8]. Le rêve vert des écologistes est devenu réalité.

L’Union européenne mise au pas

L’abandon précipité du nucléaire a exposé l’économie allemande aux aléas climatiques et aux incertitudes de l’intermittence des ENR. Pour réguler l’instabilité de sa production énergétique, l’Allemagne dépend de la coopération des pays voisins pour liquider sa surproduction en exportant ou pour compenser son déficit de production en important. Sa survie énergétique étant désormais en jeu, elle n’a pas hésité à mobiliser son influent réseau de lobbyistes à Bruxelles pour défendre ses intérêts et imposer son modèle énergétique[9].

Cette influence s’est traduite de trois manières[10]. En 1996, la directive 96/92/CE vise à développer les débouchés allemands en favorisant les interconnexions des réseaux électriques européens dans le cadre du marché européen de l’électricité. En 2007, l’UE s’engage dans la libéralisation du marché européen de l’énergie et la directive 2009/28/EC, pour ne citer qu’elle, est reformulée sous la pression du lobbying allemand pour maintenir des tarifs de rachat avantageux aux producteurs d’ENR[11]. Enfin, l’Allemagne a vampirisé les subventions de la Banque européenne d’investissement en excluant le nucléaire du label vert de la taxonomie (exclusion levée en 2022). En revanche, le gaz fossile – notamment russe –, essentiel à l’économie allemande pour remplacer le nucléaire, est quant à lui considéré comme une énergie de transition. En d’autres termes, n’est durable ou décarboné que ce qui assure la pérennité et l’hégémonie du modèle énergétique allemand.

Une bête à abattre : le nucléaire français

Il est clair que le lobbying allemand sur la taxinomie avait un bouc émissaire : la France et son fleuron EDF[12]. La sortie du nucléaire ayant mécaniquement augmenté les prix de l’électricité outre-Rhin, le risque pour l’Allemagne était une perte intolérable de compétitivité pour son industrie alors qu’à sa frontière se vendait de l’électricité 2,5 fois moins chère. Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, déclarait ainsi à l’Assemblée nationale : « Comment voulez-vous que ce pays qui a fondé sa richesse, son efficacité, sa crédibilité sur son industrie accepte que la France dispose d’un outil compétitif aussi puissant qu’EDF à sa porte ? Depuis trente ans, l’obsession allemande est la désintégration d’EDF ; ils ont réussi[13] ! »

Dans un premier temps, EDF avait pourtant bien reçu la nouvelle de la libéralisation du marché européen. Il était théoriquement gagnant puisqu’il proposait les meilleurs tarifs du marché. Mais l’Allemagne, sous couvert de la commission bruxelloise, a eu tôt fait de pointer du doigt la position monopolistique d’EDF sur le marché français et d’exercer une pression constante pour qu’il se plie à ses exigences[14]. La docilité d’une naïveté impensable des gouvernements français pour s’y conformer s’est traduite par l’adoption de la loi NOME en 2010 et du dispositif ARENH qui en découle. Cette loi contraignait EDF à vendre chaque année un quart de sa production nucléaire à prix coûtant (42€/MWh) à ses « concurrents » qui n’existaient pas, c’est-à-dire des intermédiaires de la filière qui ne produisaient aucune énergie. EDF était riche, il fallait qu’elle donne sa rente nucléaire. C’était absurde, et la France l’a fait par dévotion à l’idée qu’elle se fait de l’Europe. En dix ans, le cours de l’action EDF a baissé de 80 % et l’entreprise a été ruinée[15]. L’Allemagne avait obtenu gain de cause.

L’arsenal de fondations allemandes dans la guerre de l’information 

Dans cette entreprise de sabotage du nucléaire français, l’Allemagne s’appuie sur plusieurs fondations politiques au premier rang desquelles se trouvent Heinrich Böll et Rosa Luxembourg, financées par Berlin à hauteur de 500 millions d’euros par an[16].

C’est le cas de la fondation Heinrich Böll qui coordonne depuis 2016 des opérations d’influence contre le nucléaire français en finançant un large panel d’ONG-relais comme le Réseau Action Climat (qui regroupe 27 associations nationales telles Greenpeace France, WWF ou Sortir du nucléaire). En 2022, la fondation recevait 67 % de ses financements du gouvernement allemand et de l’UE et concentrait plus de 50 % de ses activités à l’étranger. En lien étroit avec le parti vert allemand, elle s’occupe essentiellement de produire et de financer du contenu et des rapports à diffuser dans la presse et les sphères politiques, octroyer des bourses pour la recherche universitaire écologique ou encore rencontrer les élites françaises et soutenir la création de partis politiques comme EELV. Or, les contenus qu’elle propose vouent systématiquement aux gémonies les déchets nucléaires, les risques nucléaires ou l’obstination de l’État français et d’EDF dans le nucléaire ; et n’hésitent pas à aller jusqu’à la désinformation en stipulant que l’énergie nucléaire est polluante et manque de fiabilité[17]. Et ne manquent jamais de vanter les mérites de l’Energiewende allemande ou de l’avenir des ENR.

La fondation Rosa Luxembourg, si elle n’a pas d’antenne en France, s’attaque aux intérêts énergétiques français à l’étranger à commencer par l’extraction d’uranium. Elle participe par exemple à la publication d’un Atlas de l’uranium[18]en 2022, financé par le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement allemand, et qui dénonce le néocolonialisme de la France au Niger et les dangers sanitaires de l’exploitation du minerai par Orano (ex-Areva). Comment ne pas y voir la main de Berlin qui cherche à miner la filière nucléaire française, imposer cette idée fausse dans les esprits de l’Hexagone que le nucléaire est néfaste pour l’environnement et soutenir sa propre industrie dans les ENR ?

Conclusion

Devant les ingérences allemandes contre l’indépendance énergétique française, un constat s’impose : les conflits d’intérêts et les antagonismes entre pays n’ont pas miraculeusement disparu en Europe après 1945. N’en déplaise à un certain pacifisme idéaliste, la géopolitique reste le terrain des rapports de force entre les États, même dans l’Union européenne. « Les États n’ont pas d’amis », disait le général de Gaulle. Pourtant, l’Élysée ne cesse de brandir la bannière de « l’amitié franco-allemande » tandis que la page Wikipédia de cette expression n’existe pas en allemand, mais seulement en français, en esperanto et en suédois…

Louis du BREIL

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[1] Énergies renouvelables.

[2] Du rapport de 1980 publié par l’Okö Institut, un institut de recherche sur l’environnement, qui s’intitule « Energie-Wende : Growth and Prosperity Without Oil and Uranium ».

[3] C’est dans ce contexte que le chancelier Helmut Kohl impose la loi de tarif de rachat de 1991 qui impose aux entreprises de distribution d’acheter de l’électricité issue des énergies renouvelables à un tarif supérieur aux prix de marché.

[4] Coalition entre les socio-démocrates du SPD et les verts de Die Grünen.

[5] Loi Erneuerbare Energien Gesetz (EEG), promulguée en avril 2000.

[6] Loi sur l’énergie atomique, entrée en vigueur en 2002.

[7] Frédéric Lemaître, « La conversion d’Angela Merkel en faveur d’une sortie du nucléaire », Le Monde, 1er avril 2011.

[8] Jens Thurau, « Germany shuts down its last nuclear power stations », Deutsche Welle, 14 avril 2023.

[9] Inga Margrete Ydersbond, « Multi-level lobbying in the EU: The case of the Renewables Directive and the German energy industry», Fridtjof Nansen Institute, octobre 2012.

[10] Rapport de l’EGE de mai 2021, « J’attaque ! Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie ? »

[11] Margot de Kerpoisson, « Blitzkrieg énergétique : l’Allemagne en campagne contre le nucléaire français », Conflits, 1er mai 2022.

[12] Voir le rapport de l’EGE daté de juin 2023, « Ingérence des fondations politiques allemandes & Sabotage de la filière nucléaire française ».

[13] Commission d’enquête du 13 décembre 2022.

[14] Tribune collective, Énergie : « Pour retrouver une électricité bon marché, il faut se défaire des exigences de Bruxelles », Le Figaro, 5 juin 2023.

[15] Charles Gave, « AREVA, ALSTOM, EDF, nous avons la meilleure fonction publique au monde », Institut des libertés, 30 janvier 2022.

[16] Rapport de l’EGE, « Rapport d’alerte – Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française », 22 juin 2023.

[17] https://www.greenpeace.fr/nucleaire-la-fable-de-la-fiabilite/

[18] https://rosaluxna.org/wp-content/uploads/2022/01/Uranatlas2022_franzosisch.pdf

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Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique ?

Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique ?

Par AB PICTORIS, Clément Alberni – Diploweb – publié le 23 octobre 2024

https://www.diploweb.com/Carte-commentee-Les-terres-rares-nouvel-enjeu-de-puissance-et-terrain-d-affrontement-strategique.html


AB Pictoris est une entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Passionnée de cartographie et de géopolitique, elle a obtenu un Master en Géopolitique (parcours cyber, IFG, Paris VIII) et en Géostratégie (Sciences Po Aix) après une licence de Géographie et Aménagement du Territoire (Paris I).
Clément Alberni est diplômé d’un Master en Histoire et Relations internationales, de l’Université Catholique de Lille. Après un stage au Ministère des Armées, il occupe chez AB Pictoris un poste d’analyste-cartographe dans le cadre d’un stage se déroulant d’août à octobre 2024.

La République populaire de Chine est le leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis mettent en oeuvre une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’Union européenne tente une stratégie de réduction de la dépendance mais se trouve face à ses propres limites. Autrement dit, les terres rares en disent long sur les dynamiques de puissance aujourd’hui.

Carte disponible sous deux formats : JPG et PDF haute qualité d’impression.

« Le Moyen-Orient a son pétrole, la Chine a ses terres rares », cette phrase prononcée en 1992 par Deng Xiaoping, alors dirigeant de la République populaire de Chine, illustre l’importance stratégique de ces métaux, même s’ils sont encore trop méconnus aujourd’hui.

Les terres rares, utilisées dans de nombreux objets électroniques et numériques (téléphones portables, disques durs, écrans, vélos ou voitures électriques, turbines d’éoliennes, robots), sont devenues incontournables. Sur le marché des terres rares, la Chine occupe aujourd’hui une position dominante et place, notamment l’Europe et la France, dans un rapport de dépendance marqué. Revenons sur les enjeux géopolitiques et les perspectives à moyen-long terme autour de ces matériaux dont l’importance ne cesse de croître depuis plusieurs décennies.

 
Carte. Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique
La République populaire de Chine, leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis, une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’Union européenne, une stratégie de réduction de la dépendance face à ses propres limites. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression
Alberni/AB Pictoris

Une définition des terres rares

Rémy Sabathié, géo-politologue et auteur de l’ouvrage La France et les Terres rares [1] le décrit comme “Un groupe restreint de 17 éléments de la classification périodique de Mendeleïev (94 éléments), soit environ 18% des éléments connus.“

Il s’agit plus précisément de 15 lanthanides – lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium,erbium, thulium, ytterbium, lutécium – auxquels il faut ajouter le scandium et l’yttrium qui ne sont pas à proprement parler des terres rares mais qui leur sont assimilés.

Ces terres rares (qui seront appelés REE ou ETR) sont des métaux, issus de minéraux, et donc extraits des sous-sols. Pour autant, une de leurs principales caractéristiques est leur faible concentration dans la terre. Ainsi, pour ne récupérer qu’une toute petite quantité de terres rares, il est nécessaire d’en traiter de très gros volumes. De plus, l’obtention d’un produit pur est un processus long, coûteux en énergie et très polluant. Les applications industrielles des terres rares nécessitent des niveaux de pureté très élevés, jusqu’à 99,9% [2]. Les effets de l’activité minière des terres rares sur l’environnement (spécialement les argiles latéritiques d’ion-adsorption) portent principalement sur une destruction sévère de la végétation ainsi qu’une dégradation importante des sols et de la qualité des eaux [3].

Toujours selon Rémy Sabathié, les terres rares se regroupent en deux sous-catégories, les terres rares légères, et les terres rares lourdes, qui sont considérées comme beaucoup plus rares car « présentes dans les couches géologiques dans des concentrations encore plus faibles que les terres rares légères ».

Aujourd’hui, près de 90% des réserves connues de terres rares sont réparties entre quatre pays. En effet, selon les données de Statista en 2022, la Chine dispose d’environ 44 000 tonnes d’oxydes de terres rares, soit environ 37% des réserves totales, le Vietnam dispose d’environ 22 000 tonnes (environ 20%), tandis que le Brésil et la Russie disposent de 21 000 tonnes (environ 15%) chacun.

Analysons les enjeux autour des terres rares sous le prisme de la domination chinoise, et des stratégies adoptées en retour par les États-Unis et l’Union européenne.

La position dominante de la Chine sur le marché des terres rares

Dans sa note, “La Chine et les terres rares : son rôle critique dans la nouvelle économie”, le chercheur John Seaman affirme que “la domination de la Chine dans la production de terres rares illustre la compétition qui se joue autour des ressources minérales dans un monde toujours plus axé sur le numérique et le bas-carbone”. En effet, ce dernier ajoute qu’au cours des deux dernières décennies, la Chine a été à l’origine de 80 à 95 % de la production mondiale de terres rares [4].

Bien que les États-Unis aient été les premiers producteurs mondiaux de terres rares au début des années 1980, la majorité de la production mondiale a basculé en Chine à partir du milieu des années 1990.

Cette évolution favorable s’explique d’abord par différentes décisions du gouvernement chinois comme la modernisation économique marquée par une exploitation intense des ressources naturelles, la réglementation de l’industrie sur les acteurs du marché intérieur et la limitation des conditions d’accès à l’exploitation par des étrangers. En parallèle, la relative libéralisation du commerce et de l’investissement a encouragé les entreprises chinoises dans l’acquisition d’un savoir-faire technologique étranger dans le secteur des terres rares. Cette avance technologique a conduit la Chine à une domination progressive des chaînes de valeurs [5] permettant l’utilisation de certains types de terres rares. C’est le cas des éléments Nfdeb, utilisés dans des domaines tels que l’automobile et l’aéronautique.

Cette domination s’accentue encore à mesure que d’autres producteurs, notamment aux États-Unis, ferment leurs mines en raison de la concurrence chinoise et des préoccupations environnementales montantes. Dans les années 2000, la Chine continue d’améliorer sa position dominante sur le marché, atteignant près de 95 % de la production mondiale [6] de terres rares. Elle développe également des capacités de traitement sophistiquées, ce qui lui permet de contrôler non seulement l’extraction, mais aussi le raffinement des terres rares, une étape cruciale dans la chaîne de valeur.

Dès l’année 2005, la mise en place de quotas d’exportation et la restriction de ventes de terres rares par la Chine, officiellement pour des raisons environnementales, mais également pour favoriser les industries locales utilisant ces matériaux et ainsi conserver sa domination sur le marché, alertent quant à la capacité de nuisance chinoise.

Au cours de l’année 2010, un incident diplomatique sino-japonais provoque un embargo chinois [7] sur les terres rares et marque un tournant dans la prise de conscience mondiale concernant la dépendance envers l’État chinois. La capacité de la Chine à influencer ce marché pousse de nombreux pays à repenser leurs stratégies d’approvisionnement pour se prémunir contre l’éventuelle utilisation des terres rares comme un outil de pression politique ou économique. Ainsi, de nouveaux projets miniers sont relancés ou initiés (Australie, aux États-Unis et au Canada) pour réduire la dépendance à l’égard de Pékin. En parallèle, les recherches sur le recyclage des terres rares et le développement de matériaux de substitution s’intensifient.

Dans un contexte de tensions économiques exacerbées, les États-Unis réagissent et mettent en place une stratégie qui vise à développer leur capacité à maîtriser les différents éléments de la chaîne de valeurs sur certaines terres rares, tout en cherchant des solutions alternatives d’approvisionnement, dans le but de réduire leur niveau de dépendance vis à vis de la Chine.

Les États-Unis, une stratégie d’autonomisation et de diversification des approvisionnements

A la veille de la transition énergétique, du tournant vers des technologies plus respectueuses de l’environnement et du développement du numérique, les minerais et les métaux occupent une place de plus en plus centrale dans le développement économique. Dans ce contexte, la sécurisation des approvisionnements et l’organisation de chaînes de valeurs durables est indispensable.

Les États-Unis, principaux concurrents de la Chine, ont emboîté le pas du Japon (précurseur de la mise en place de politiques publiques pour gérer cette dépendance) en adoptant une stratégie à deux dimensions [8]. La première, visant à relancer l’industrie américaine, la seconde visant à établir une coopération internationale spécifique et pouvant parfois s’imbriquer avec d’autres alliances préexistantes comme le Quad [9], regroupant les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie.

Les terres rares en disent long sur les dynamiques de puissance aujourd’hui

Le volet portant sur la relance de l’industrie a été initié durant le mandat de Donald Trump. En décembre 2017, ce dernier signe l’Executive Order 13817 [10] visant à établir un inventaire complet des minerais critiques pour apporter une réponse rapide et adaptée sur l’approvisionnement, le traitement et le recyclage de ces métaux. L’étude a permis de dégager les (24) buts à atteindre, des recommandations (61) et 6 domaines d’action [11]. Le nouvel Executive Order publié le 30 septembre 2020 en est une traduction législative concrète. Ce dernier demande « l’utilisation de tous les pouvoirs (des ministères concernés) afin d’accélérer la délivrance de permis et l’achèvement des projets permettant l’expansion et la protection de la chaîne d’approvisionnement minière domestique ».

Sur le plan de la coopération extérieure, les États-Unis développent leurs relations bilatérales avec l’Australie, le Canada et le Brésil pour diversifier leurs sources d’approvisionnement. En parallèle, ils continuent de structurer leur relations avec le Groenland, l’une des rares régions du monde abritant des ressources encore inexploitées et regorgeant de métaux rares [12]. Les enjeux sont considérables dans cette région autonome qui cherche à obtenir son indépendance, et qui voit déjà de nombreux pays comme la Russie, la Chine et les États-Unis se positionner.

L’administration Biden poursuit les politiques engagées en mettant l’accent sur des leviers comme le développement des technologies alternatives aux terres rares et l’amélioration de l’efficacité des procédés de production, ainsi que la promotion du recyclage des terres rares à partir de produits électroniques usagés et autres matériaux. Il est certain que la relance de l’industrie américaine prendra des années avant de produire des effets significatifs. D’ici là il s’agit de réduire la dépendance vis-à-vis des sources primaires tout en diminuant l’impact environnemental de l’extraction minière.

L’Union européenne, une stratégie de réduction de la dépendance face à ses propres limites

Dès le début du XXIe siècle, les instances décisionnelles de l’Union européenne (UE) ont manifesté un intérêt croissant pour les terres rares, en réaction à une transformation significative de la chaîne d’approvisionnement mondiale qui s’est produite au cours des années 1990, et leur nouvelle dépendance à la République populaire de Chine. Ainsi en 2023, le site français Vie Publique affirme que “Sur toute la chaîne de valeur des terres rares, la France et l’Europe sont dans un rapport de dépendance marqué par rapport à la Chine. La situation peut même être qualifiée d’instable et de dangereuse face aux possibilités de restriction de la Chine sur ses exportations à base de terres rares, en raison de la hausse prévue de la consommation chinoise. [13]

Depuis la prise de conscience de ce retard important, l’Union européenne élabore une stratégie visant à réduire sa dépendance et à sécuriser ses approvisionnements en ces matériaux indispensables pour les technologies vertes et numériques. Elle lance en 2020, à l’initiative de la commission européenne, une première phase à travers le “Plan d’action sur les matières premières critiques” qui répond à quatre objectifs :

. développer des chaînes de valeur résilientes pour les écosystèmes industriels de l’UE ;

. réduire la dépendance vis-à-vis les matières premières critiques primaires grâce à l’utilisation circulaire des ressources, des produits durables et de l’innovation ;

. renforcer l’approvisionnement domestique de matières premières dans l’UE ;

. diversifier l’approvisionnement auprès des pays tiers et éliminer les distorsions du commerce international, en respectant pleinement les obligations internationales de l’UE.

Pour se donner les moyens d’y parvenir, elle se fixe 10 engagements concrets à moyen-long terme (cf article source [14]). Parmi ces objectifs, le plan prévoit la création d’une alliance européenne des matières premières. Créée en 2020, l’alliance européenne pour les matières premières fédère les industriels du secteur et identifie des projets d’extraction et de recyclage de terres rares en Europe.

Dans la continuité de ce plan d’action, le Conseil européen, institution qui réunit les chefs d’État ou chefs de gouvernement des vingt-sept États membres de l’Union européenne (précision importante pour souligner le poids politique de cette décision), adopte le Critical Raw Material Act [15], une réglementation qui matérialise la stratégie de l’Union sur ces matières essentielles au fonctionnement et à l’intégrité d’un large éventail d’écosystèmes industriels. Une stratégie qui, pour rappel, repose sur trois piliers : accroître et diversifier l’approvisionnement de l’UE en matières premières critiques, renforcer la circularité y compris le recyclage, soutenir la recherche et l’innovation en matière d’utilisation efficace des ressources et de mise au point de substituts.

Le texte rappelle cependant que si l’UE ne sera jamais autosuffisante, elle vise à diversifier son approvisionnement [16].

Malgré les efforts de l’Union européenne, plusieurs défis internes freinent la mise en œuvre d’une stratégie cohérente et efficace. Le principal défi est celui de l’hétérogénéité entre ses États membres qui ont des priorités industrielles et économiques divergentes, ce qui complique la coordination des efforts au niveau européen. Certains pays, comme l’Allemagne, sont fortement engagés dans le développement de technologies vertes et sont particulièrement intéressés par l’accès sécurisé aux terres rares pour alimenter leur industrie des énergies renouvelables. D’autres, en revanche, comme les pays d’Europe de l’Est, sont plus préoccupés par les implications économiques et sociales de l’exploitation minière, et sont moins disposés à accepter des projets d’envergure. Ces divergences se manifestent également dans la manière dont les États membres abordent les partenariats internationaux.

Enfin, l’impact environnemental et les déchets générés à différentes étapes (extraction, raffinage) de la chaîne de valeur des terres rares sont un problème majeur. L’Union accélère sa transition vers une industrie verte et durable, et doit parvenir à trouver un équilibre entre le respect des normes environnementales, les revendications sanitaires de ses citoyens, et la nécessité de s’autonomiser avec la mise en place de nouveaux projets d’exploitation minière sur son sol.

Pour surmonter ces obstacles, l’UE devra non seulement renforcer la coordination entre ses États membres, mais aussi développer des solutions innovantes pour minimiser l’impact environnemental de l’exploitation minière. La mise en place de standards environnementaux européens doit permettre d’harmoniser les pratiques minières à travers l’Union, tout en respectant les attentes des citoyens en matière de durabilité. La capacité de réponse à ces problématiques apparaît d’autant plus importante que l’UE prévoit une explosion de la demande en matières premières critiques d’ici 2030 et 2050, pour certains comme l’aluminium, le cuivre, le nickel elle devrait être multiplié par 10 [17]. Du côté des métaux rares, un rapport de l’association européenne des métaux [18] prévoit des augmentations de la demande vertigineuse : + 3 500 % pour le lithium, + 2 600 % pour le dysprosium , + 330 % pour le cobalt.

Ainsi, la Chine est aujourd’hui en position de forte domination sur le marché, une position dont l’utilisation comme arme diplomatique est à relativiser. Cependant, les efforts investis par les États-Unis et l’Union européenne, qui tendent à réduire leur dépendance et à combler ce retard, témoignent de l’importance à venir des terres rares. Ces nouvelles stratégies, dont les effets mettront plusieurs années à se produire, sont indispensables, dans un contexte d’augmentation exponentiel de la demande globale des précieux métaux. Cet enjeu aujourd’hui majeur sera demain un enjeu hautement stratégique pour les États.

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Carte. Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique
La République populaire de Chine, leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis, une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’Union européenne, une stratégie de réduction de la dépendance face à ses propres limites. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.Document ajouté le 21 octobre 2024
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La Chine est leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis mettent en oeuvre une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’UE affiche une stratégie de réduction de la dépendance mais se trouve face à ses propres limites.


[1] Sabathié, R. (2016). La France et les Terres rares. Les Éditions du Net.

[2] CNRS. (2010, 6 août). Les terres rares : Quels impacts ? ÉcoInfo. https://ecoinfo.cnrs.fr/2010/08/06/les-terres-rares-quels-impacts/

[3] Wong, M. H., Wong, J. W. C., & Baker, A. J. M. (2014). Impacts of rare earth mining on the environment and the effects of ecological measures on soil. In Remediation and management of degraded lands (chap. 10).

[4] Vasselier, A. (2021). Chine et terres rares : Un rôle critique dans la nouvelle économie. Ifri. https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/chine-terres-rares-role-critique-nouvelle-economie

[5] La chaîne de valeur est l’ensemble des étapes déterminant la capacité d’un domaine d’activité stratégique (DAS), d’une entreprise ou d’une organisation à obtenir un avantage concurrentiel.

[6] Humphries, M. (2010). Rare earth elements : The global supply chain. Congressional Research Service.

[7] Le Monde. (2010, 23 septembre). Tension Pékin-Tokyo : La Chine suspend ses exportations de terres rares vers le Japon. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/09/23/tension-pekin-tokyo-la-chine-suspend-ses-exportations-de-terres-rares-vers-le-japon_1414929_3216.html

[8] Laplane, M. (2021). Stratégie et souveraineté minérale américaine (p.3). Ifri. https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/laplane_strategie_souverainete_minerale_americaine_2021.pdf

[9] Géoconfluences. (2021). Quadrilateral pour la sécurité (Quad) : Dialogue quadrilatéral. Géoconfluences. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/quad-dialogue-quadrilateral-pour-la-securite

[10] Executive Office of the President. (2017, 26 décembre). A federal strategy to ensure secure and reliable supplies of critical minerals. Federal Register. https://www.federalregister.gov/documents/2017/12/26/2017-27700/a-federal-strategy-to-ensure-secure-and-reliable-supplies-of-critical-minerals

[11] 1. Faire progresser la R&D et le déploiement de solutions tout au long des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques 2. Renforcer les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques des États-Unis et le tissu industriel de la défense 3. Améliorer les règles du commerce international ainsi que la coopération toutes deux liées aux minerais critiques 4. Améliorer la connaissance autour des ressources minérales critiques nationales 5. Améliorer l’accès aux ressources minérales sur les terres fédérales et réduire les délais de délivrance des permis fédéraux 6. Augmenter la main-d’œuvre américaine dans l’industrie des minerais critiques.

[12] Le Monde. (2022, 28 juillet). Le Groenland, nouvel eldorado des terres rares. Le Monde. https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/07/28/le-groenland-nouvel-eldorado-des-terres-rares_6136429_3234.html

[13] Vie publique. (2022, 9 février). Terres rares : Quels enjeux pour la France et l’Europe ? Vie Publique. https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/289457-terres-rares-quels-enjeux-pour-la-france-et-leurope#terres-rares-les-enjeux-du-futur

[14] Comité économique et social européen. (2023). Résilience des matières premières critiques : La voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité. https://www.eesc.europa.eu/fr/our-work/opinions-information-reports/opinions/resilience-des-matieres-premieres-critiques-la-voie-suivre-pour-un-renforcement-de-la-securite-et-de-la-durabilite

[15] Conseil de l’Union européenne. (2024). Critical raw materials. https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/critical-raw-materials/

[16] Actuellement, pour certaines matières premières critiques, l’UE dépend uniquement d’un seul pays : la Chine fournit 100 % de l’approvisionnement de l’UE en terres rares lourdes, la Turquie fournit 98 % de l’approvisionnement de l’UE en bore, l’Afrique du Sud fournit 71 % des besoins de l’UE en platine

[17] Conseil de l’Union européenne. (2024). Critical raw materials. (Paragraphe 5. L’avenir de la demande) (https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/critical-raw-materials/

[18] Eurometaux. (2022). Policymaker summary report. https://eurometaux.eu/media/20ad5yza/2022-policymaker-summary-report-final.pdf

L’OTAN et l’Europe dans la stratégie américaine

L’OTAN et l’Europe dans la stratégie américaine

Giuseppe GAGLIANO* – TRIBUNE LIBRE N°160 / octobre 2024 – CF2R

https://cf2r.org/tribune/lotan-et-leurope-dans-la-strategie-americaine/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.


Au cours des dernières décennies, l’OTAN s’est révélée être un instrument fondamental dans la stratégie géopolitique des États-Unis pour maintenir le contrôle sur le Rimland européen et sur les industries militaires du continent. La théorie géopolitique, développée par des figures telles que Halford Mackinder et Nicholas Spykman, identifie dans le contrôle des régions côtières européennes et asiatiques une clé pour empêcher l’émergence de rivaux potentiels capables de défier l’hégémonie mondiale des États-Unis. Selon cette vision, l’Europe, avec son potentiel économique et industriel, représente une zone d’intérêt stratégique qui doit rester sous contrôle afin d’éviter qu’elle ne devienne une puissance indépendante ou pire, qu’elle collabore étroitement avec la Russie, créant un axe qui affaiblirait la domination américaine.

L’OTAN, née dans le contexte de la Guerre froide, avait pour mission principale de contenir l’expansion soviétique et de protéger l’Europe occidentale des menaces du bloc communiste. Cependant, avec la fin de la Guerre froide et la dissolution de l’Union soviétique, l’alliance a maintenu sa centralité en tant qu’instrument de contrôle géopolitique, en particulier vis-à-vis de la Russie et de ses aspirations à redevenir un acteur majeur sur la scène internationale. Plus qu’une simple alliance défensive entre égaux, l’OTAN a fini par représenter une forme d’influence directe des États-Unis sur les politiques de sécurité et de défense européennes.

Entretenir la dépendance militaire et énergétique de l’Europe

L’un des aspects centraux de ce contrôle est le monopole que les États-Unis exercent sur l’industrie militaire européenne. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec le Plan Marshall, les États-Unis ont fourni une aide militaire et économique massive à l’Europe, s’assurant ainsi une position privilégiée dans la fourniture d’armes et de technologies aux pays européens. Cela s’est traduit par une dépendance qui, avec le temps, est devenue systématique : les armées européennes, au lieu de développer leur propre industrie de défense autonome et compétitive, ont souvent choisi d’acheter des armes américaines.

Un exemple emblématique de ce processus est le « Pacte du Siècle » de 1975, lorsque plusieurs pays européens, dont la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège, ont été poussés à acheter le chasseur américain F-16, bien que des alternatives européennes telles que le Mirage F-1 français ou le Saab Viggen suédois, tous deux mieux adaptés aux besoins des forces aériennes européennes, étaient disponibles. Ce scénario s’est répété à de nombreuses reprises, comme dans le cas de l’achat des F-35 par la Belgique en 2018, où le gouvernement de Bruxelles a choisi le chasseur américain malgré sa réputation peu fiable et difficile à moderniser, rejetant des options européennes comme le Rafale français ou le Typhoon d’Eurofighter.

Ce phénomène ne se limite pas seulement à l’achat de systèmes d’armes, mais s’étend au contrôle des principales industries militaires européennes. Grâce à des acquisitions et des fusions, des groupes financiers américains ont absorbé bon nombre des entreprises européennes opérant dans le secteur de la défense. L’un des cas les plus significatifs est l’acquisition de la division aéronautique Fiat Avio par des investisseurs américains, une opération qui a permis aux États-Unis de mettre la main sur des technologies stratégiques utilisées dans des projets tels que l’Eurofighter et l’Airbus A400M, ainsi que dans le programme spatial européen Ariane.

La pénétration américaine dans l’industrie militaire européenne ne s’est pas arrêtée là. Des entreprises allemandes comme MTU Aero Engines, qui produit des composants pour l’Eurofighter, ont été acquises par des groupes américains, tout comme la suédoise Bofors et l’espagnole Santa Bárbara Blindados, productrice des chars Leopard 2-E. Cette stratégie a conduit à une dépendance accrue de l’Europe vis-à-vis de la technologie militaire américaine, rendant difficile pour les pays européens de développer une industrie de défense compétitive et autonome.

L’objectif principal de cette stratégie est évident : empêcher l’Europe de développer une capacité de défense indépendante et empêcher toute collaboration étroite entre l’Europe et la Russie, une éventualité que Washington considère comme une menace pour son hégémonie mondiale. La rupture des relations entre l’Europe et la Russie a toujours été une priorité stratégique pour les États-Unis et le conflit en Ukraine n’est que le dernier exemple de cette politique. Le sabotage des gazoducs en mer Baltique, qui a interrompu les approvisionnements énergétiques russes vers l’Europe, et l’isolement de régions stratégiques telles que le Donbass et la mer Noire, démontrent clairement l’intention de Washington d’empêcher une coopération économique et stratégique entre l’Allemagne et la Russie.

Sur le plan énergétique, l’Europe se trouve aujourd’hui dans une position vulnérable, avec ses approvisionnements en gaz fortement compromis. Le conflit israélo-palestinien a encore compliqué la situation, empêchant l’exploitation de gisements de gaz en Méditerranée orientale, ce qui pourrait avoir des répercussions durables sur la sécurité énergétique européenne. Cet isolement énergétique, combiné au contrôle américain des industries militaires, laisse l’Europe dans une position de dépendance qu’elle aura du mal à surmonter sans un changement radical de stratégie politique et industrielle.

En définitive, le contrôle que les États-Unis exercent sur l’Europe à travers l’OTAN n’est pas seulement une question de sécurité, mais représente un obstacle structurel au développement d’une Europe autonome et compétitive. La survie de l’OTAN et son influence croissante, notamment après la fin de la Guerre froide, montrent que l’Europe est considérée par Washington non pas comme un allié égal, mais comme une région à contrôler et à gérer pour éviter qu’elle ne devienne un rival mondial. La dépendance militaire, énergétique et industrielle de l’Europe vis-à-vis des États-Unis est le résultat de décennies de politiques visant à maintenir le continent fragmenté et faible, incapable de développer sa propre vision stratégique autonome.

La volonté de l’OTAN de renforcer ses capacités confrontée à de multiples difficultés

L’analyse stratégico-militaire et économique des plans de renforcement de l’OTAN, tels qu’ils ont été récemment révélés, permet de mettre en lumière une série de complexités et de contradictions qui reflètent les difficultés structurelles des alliances militaires dans le contexte d’une crise internationale en constante évolution. La proposition d’augmenter le nombre de brigades de l’OTAN de 82 à 131 d’ici 2030, comme mentionné dans le document confidentiel cité par Die Welt[1], est clairement une réponse à l’escalade des tensions entre l’Occident et la Russie, notamment après l’invasion de l’Ukraine. Un tel renforcement se justifie aux yeux de l’alliance par la perception d’un risque croissant d’affrontement direct avec Moscou, alimenté par l’implication croissante de l’OTAN dans le soutien logistique et militaire à Kiev. Cependant, ce plan se heurte à un certain nombre de difficultés économiques, sociales et politiques, qui pourraient rendre sa mise en œuvre difficile.

D’un point de vue géopolitique, l’idée d’un renforcement des capacités militaires de l’OTAN découle de la nécessité de répondre à la menace d’une éventuelle attaque russe contre l’Europe, bien que le Kremlin continue de nier avoir une telle intention, la qualifiant de propagande occidentale visant à justifier des dépenses militaires supplémentaires. Cette politique de l’Alliance reflète la polarisation croissante entre la Russie et l’Occident, alimentée par la guerre en Ukraine et la rhétorique agressive qui domine le discours international. La décision de l’OTAN d’augmenter le nombre de brigades et de commandements militaires, ainsi que de renforcer la défense aérienne et le nombre d’hélicoptères[2], s’inscrit dans une logique de préparation à un conflit de longue durée, qui pourrait toutefois ne pas être perçu comme imminent par les opinions publiques des États membres. En effet, bien que les gouvernements occidentaux soient engagés à renforcer leurs capacités défensives, le soutien populaire à ces mesures reste incertain, notamment dans un contexte de difficultés économiques, de récession et de crise énergétique.

L’aspect économique est en effet crucial. L’Europe traverse une période de désindustrialisation et d’augmentation des coûts énergétiques, ce qui rend difficile le financement d’un vaste programme de réarmement. Le plan de renforcement de l’OTAN nécessiterait des investissements bien au-delà des 2% du PIB, un seuil que beaucoup de pays peinent déjà à atteindre. Seuls 23 des 32 membres de l’OTAN respectent actuellement cette exigence et parmi les principaux contrevenants figurent des nations comme l’Italie, l’Espagne et la Belgique. Cela met en évidence une disparité claire entre les pays les plus riches et ceux plus petits ou économiquement fragiles, qui pourraient ne pas être en mesure de supporter le poids financier requis. En outre, le plan implique que les grandes nations, telles que l’Italie, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, devraient constituer au moins trois ou quatre nouvelles brigades chacune, ce qui nécessite des ressources supplémentaires et pourrait ne pas être bien accueilli par les opinions publiques nationales, de plus en plus sceptiques quant aux dépenses militaires.

Le plan de l’OTAN pourrait par ailleurs s’avérer irréalisable en raison de facteurs internes aux armées occidentales. L’un des défis les plus importants concerne la pénurie de personnel militaire, un problème qui affecte presque toutes les forces armées de l’Occident. Ces dernières années, il y a eu un déclin des vocations militaires dans tous les principaux pays de l’OTAN, avec un exode de personnel qualifié et une diminution des recrutements. Cette tendance est particulièrement grave dans des pays comme le Royaume-Uni, où le nombre de soldats en service est à son plus bas niveau historique, et aux États-Unis, qui n’atteignent plus leurs objectifs de recrutement depuis des années. Les marines occidentales connaissent également de graves difficultés, avec de nombreux navires laissés à quai par manque d’équipages. Dans ce contexte, augmenter le nombre de brigades et renforcer les capacités militaires semble être un objectif difficile à atteindre, voire utopique. L’OTAN pourrait ainsi se trouver confrontée à un dilemme : comment concilier l’ambition de renforcer ses défenses avec la réalité d’une pénurie de ressources humaines et financières ?

Un autre aspect à prendre en compte est la capacité des nations de l’OTAN à soutenir un long programme de réarmement dans un contexte d’incertitude économique et politique. Le soutien militaire à l’Ukraine, de plus en plus critiqué par les opinions publiques européennes, combiné aux difficultés économiques internes, pourrait réduire le consensus politique en faveur de telles mesures. Dans de nombreux pays européens, les citoyens demandent « du beurre » plutôt que « des canons », c’est-à-dire une plus grande attention aux politiques économiques et sociales plutôt qu’à des programmes de défense coûteux. Cette dynamique pourrait affaiblir la détermination des gouvernements à s’engager dans le renforcement des forces armées, en particulier si le risque d’une invasion russe est perçu comme lointain ou exagéré.

En conclusion, bien que le plan de renforcement de l’OTAN soit une réponse logique aux tensions croissantes avec la Russie, il risque de rester davantage un vœu pieux qu’une réalité concrète. La combinaison de difficultés économiques, de pénurie de personnel militaire et d’un consensus politique incertain rend ce projet difficile à réaliser, voire impossible. L’OTAN devra donc faire face à des défis importants dans les années à venir, en cherchant à équilibrer les besoins en matière de sécurité avec les ressources limitées dont disposent ses membres.


[1] https://www.agenzianova.com/fr/news/Le-monde-de-l%27OTAN-est-prêt-à-demander-aux-États-membres-une-augmentation-des-troupes-et-des-armes-pour-se-protéger-de-Moscou/

[2] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_227685.htm

Guerre en Ukraine : Gazprom, aide française… Le point sur la nuit

Guerre en Ukraine : Gazprom, aide française… Le point sur la nuit

Le gouvernement hongrois a annoncé négocier avec Gazprom pour des livraisons de gaz russe en 2025. L’aide française à l’Ukraine devrait dépasser les deux milliards d’euros en 2024. Retour sur les événements qui ont marqué la nuit du lundi 14 au mardi 15 octobre 2024.

Le gouvernement hongrois et le géant énergétique public russe Gazprom sont en négociations pour conclure un contrat prévoyant des livraisons supplémentaires de gaz à la Hongrie en 2025.
Le gouvernement hongrois et le géant énergétique public russe Gazprom sont en négociations pour conclure un contrat prévoyant des livraisons supplémentaires de gaz à la Hongrie en 2025. | FILIP SINGER / EPA-EFE

Selon le ministre français des Armées Sébastien Lecornu, l’aide militaire française à l’Ukraine dépassera deux milliards d’euros en 2024, mais n’ira pas jusqu’aux trois milliards évoqués en début d’année.

Des centaines d’organisations ont reçu des alertes à la bombe lundi, forçant certains bâtiments publics à évacuer. Ces menaces interviennent vraisemblablement à la suite d’une enquête journalistique du média Radio Free Europe sur l’emploi de jeunes Ukrainiens par les services de renseignement russes pour incendier les voitures de membres de l’armée.

La Hongrie discute avec Gazprom pour des livraisons de gaz en 2025

Le gouvernement hongrois et le géant énergétique public russe Gazprom sont en négociations pour conclure un contrat prévoyant des livraisons supplémentaires de gaz à la Hongrie en 2025, a déclaré le ministre hongrois des Affaires étrangères Peter Szijjarto, cité mardi par l’agence de presse russe RIA.

Gazprom a annoncé la semaine dernière avoir signé un mémorandum d’entente avec Budapest en vue d’une possible augmentation des ventes de gaz russe. Le groupe n’a pas donné de détails.

Le chef de la diplomatie hongroise a par ailleurs fait savoir que Budapest mettrait son veto à toute sanction de l’Union européenne contre Moscou si les exemptions permettant à la Hongrie de se procurer du gaz russe sont révoquées. « Habituellement les sanctions sont examinées tous les six mois. Et tant que les sanctions (visant la Russie) sont en place, ces exemptions doivent rester applicables, parce qu’autrement nous mettrons notre veto aux sanctions », a-t-il dit.

Plus de 2 milliards d’euros d’aide française à l’Ukraine en 2024

L’aide militaire française à l’Ukraine dépassera deux milliards d’euros en 2024, notamment grâce à l’utilisation d’intérêts d’avoirs russes gelés, mais n’atteindra pas le maximum de trois milliards envisagé dans un accord de sécurité conclu avec Kiev, a affirmé lundi le ministre des Armées Sébastien Lecornu.

« Il était arrêté politiquement au début de l’année 2024 que cette aide pouvait aller jusqu’à trois milliards d’euros. Dans les faits, nous serons au-dessus de deux milliards d’euros, mais pas à trois milliards d’euros », a annoncé le ministre devant les députés de la commission de la Défense.

La France avait garanti son soutien à l’Ukraine dans un accord bilatéral de sécurité conclu le 16 février entre Paris et Kiev. L’aide militaire française a atteint 1,7 milliard d’euros en 2022 et 2,1 milliards en 2023, selon Paris.

Des organisations ukrainiennes menacées après une enquête journalistique

Des centaines d’écoles, d’entreprises, d’ambassades ou encore de médias ukrainiens ont reçu des alertes à la bombe par mail lundi, entraînant l’évacuation de bâtiments publics. Ces menaces semblent liées à une enquête menée par le média Radio Free Europe, montrant comment les services de renseignement russes ont recruté des jeunes Ukrainiens, dont des mineurs, pour incendier les véhicules de membres de l’armée et de dirigeants de centres de conscription.

« J’ai placé plusieurs engins explosifs dans votre bâtiment, et il va bientôt exploser », disait le message reçu par le média ukrainien The Kyiv Independent, également visé par ces menaces.

Radio Free Europe rapporte que des officiers de la police nationale ukrainienne ont inspecté leurs locaux, sans trouver trace d’engin explosif. Les messages de menaces comportaient les noms des trois journalistes auteurs de l’enquête, Iryna Sysak, Valeria Yegoshyna et Yulia Khymerik. « Nous ne nous laisserons pas intimider et nous soutiendrons nos journalistes qui continueront à informer le public ukrainien sans crainte ni faveur », a réagi Stephen Capus, président de Radio Free Europe.

Missiles balistiques à la Russie : des sanctions « injustifiées » selon l’Iran

L’Union européenne a annoncé lundi avoir décidé de prendre des sanctions contre l’Iran, accusé de livrer des missiles balistiques à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Le Royaume-Uni a annoncé de son côté des sanctions contre plusieurs dirigeants de l’armée iranienne après l’attaque de missiles lancée par l’Iran contre Israël le 1er octobre.

Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Esmail Baghaei, a rejeté mardi ces sanctions, les qualifiant d’« injustifiées et contraires au droit international ».

« Il a également souligné le droit inaliénable de l’Iran à la défense et à la coopération militaire avec d’autres pays, y compris la Russie », a rapporté l’agence de presse officielle iranienne Irna.