Deux ans après le déclenchement de la guerre et alors que la ville d’Avdiivka vient de tomber, quelles peuvent être les perspectives de la guerre en Ukraine ? Analyse d’Eugène Berg.
La guerre en Ukraine entre dans sa troisième année. Un laps de temps représentant les trois quarts de l’engagement américain dans la Seconde Guerre mondiale. D’ores et déjà le chiffre des victimes des deux bords qui approche les 600 000 dépasse d’une bonne moitié celui des pertes militaires cumulées, américaines et françaises, durant ce conflit qui a décimé 2,5 % de la population globale. Le rappel de ces chiffres ne visant qu’à montrer l’ampleur de cette guerre de haute intensité qui se déroule à deux heures et quart d’avion de Paris, et qui, hélas, n’est pas près de s’arrêter tant la volonté d’aller jusqu’au bout reste forte des deux côtés.
2023, l’année des espoirs déçus
L’année écoulée s’est caractérisée par l’échec de la contre-offensive ukrainienne, lancée le 4 juin et l’on s’interroge au sein de la société ukrainienne sur le point de savoir qui en est responsable. En janvier un tiers des Ukrainiens estimaient que le pays avait pris la mauvaise direction. Le front s’étirant sur 1200 km, apparaît gelé ce qui n’a pas empêché la Russie de gagner encore près de 300 km2, et ce en dépit d’indéniables avancées ukrainiennes (destruction de 25 % de la marine russe de la mer Noire, établissement d’une tête de pont sur la rive gauche du Dniepr, frappes sur les installations pétrolières russes, et les dépôts de munitions).
Dès novembre 2022, lorsque le chef d’état-major américain Mark A. Milley avait évoqué les pourparlers ( « les guerres ne se terminaient pas toujours sur les champs de bataille ») après l’optimisme des surprenantes victoires ukrainiennes à Kharkiv et Kherson, le mot « impasse » était déjà largement utilisé pour décrire l’état de la guerre . L’effort massif de réarmement et de formation de l’Ukraine par les partenaires de l’OTAN avait été conçu pour la préparer pour l’offensive d’été. Le but de celle-ci, trop souvent reportée, ce qui créa le dissensus Zelensky- Zaloujny, était d’opérer une percée dans le sud vers Melitopol afin de couper en deux le dispositif russe, mettre la Crimée en danger et ainsi forcer la Russie à revenir sur la table des négociations à des conditions favorables à l’Ukraine. Cette croyance d’une victoire rapide ne s’est pas concrétisée. Sur le terrain, l’état de la guerre est actuellement à peu près le même que celui-ci d’après la libération de Kherson le 11 novembre 2022. Les deux bords ont subi des pertes massives en 2023. Militaires, experts, observateurs jugent que ni un côté ni l’autre ne peut changer la situation sur le champ de bataille. Tel fut l’amer constat du populaire général Valeri Zaloujny, dans son interview du 3 novembre à The Economist.
Après avoir longtemps réfléchi, Volodymyr Zelensky a décidé de se séparer de son chef d’état-major qu’il avait nommé en juillet 2021 pour les mêmes raisons qu’il invoque aujourd’hui pour expliquer son remplacement -donner une nouvelle impulsion aux forces armées ukrainiennes durement éprouvées par la guerre. Il convenait de lui faire enfiler le chapeau dans l’échec de la contre -offensive comme il était reproché à l’emblématique général de se mêler publiquement de la question du recrutement des 500 000 soldats supplémentaires. S’ajoute à ceci une troisième raison, à savoir les brochures de Zaloujny portant sur l’art militaire, le pilotage des opérations, autant d’écrits qui, en filigrane, comportaient une critique sous-jacente de l’intervention des politiques dans la conduite de la guerre, un aspect bien connu depuis le fameux mot de Clémenceau. Nul doute que Volodymyr Zelensky demandera à Oleksandr Syrsky d’être discret dans l’énoncé de ses pensées stratégiques et de ne pas les étaler sur la place publique. Son successeur à la tête de l’armée de terre, Oleksandr Pavliouk, a été durant un an premier vice-ministre de la Défense. Un examen réaliste et lucide s’impose, ce qui sera la tâche du nouveau chef d’état-major ukrainien, réputé dur avec ses troupes, trait que certains supposent qu’il a acquis lors de son passage à l’École de commandement de Moscou en 1982. Le fait qu’il soit né dans la région de Vladimir et que ses parents et son frère Oleg y résident toujours démontre combien cette guerre est régulièrement considérée fratricide du côté russe, un aspect historico- culturel souvent ignoré en Occident. Son cas n’est d’ailleurs pas unique, bien des commandants des forces ukrainiennes sont nés ou ont été formés en URSS comme Sergueï Haev, commandant des forces interarmées, Mikhaïl Zabrodski, adjoint au chef d’état-major, Sergueï Gueïneko, chef des gardes-frontières ou encore Vladimir Artiouk, patron de la région de Soumy dans le Nord – Est de l’Ukraine. D’où l’exigence pour l’Ukraine et la Russie de se séparer pour de bon, car moins on percevra ce conflit comme un conflit entre deux peuples frères, plus il sera facile de panser les plaies comme le dit justement la politologue russe la plus connue Ekaterina Schulman, aujourd’hui en exil, dans son interview dans Politique internationale.Cet examen est d’autant plus urgent et nécessaire que l’on sait bien que l’Ukraine et ses partisans, réunis dans le groupe de Ramstein et les diverses coalitions pour l’Ukraine sont confrontés à de graves décisions en 2024 … en attendant le retour possible de Donald Trump à la Maison-Blanche qui vient de déclarer que l’aide américaine ne doit être constituée que de prêts et non de dons, une tendance qui risque de gagner du terrain.
Les lourdes incertitudes actuelles
Alors que Volodymyr Zelensky quittait où après Berlin, il avait signé un accord de défense à long terme, on apprenait dans la nuit du 16 février la chute d’Avdiivka située à dix kilomètres au nord de Donetsk. Il s’agit de la première victoire d’importance stratégique pour la Russie depuis le printemps-été 2022, lorsque Marioupol, le corridor terrestre vers la Crimée et la majeure partie des régions de Louhansk et de Kherson ont été capturés. La prise de Bakhmut ne fut pas une victoire stratégique, car elle n’a pas ouvert d’espace pour d’autres avancées et n’a pas résolu de problèmes stratégiques. La prise d’Avdiivka, en revanche, résout au moins un problème stratégique : elle éloigne le front de Donetsk. Ainsi, après avoir lancé l’assaut sur Avdiivka en octobre 2023, les Russes ont pris la ville en quatre mois, soit beaucoup plus rapidement qu’à Bakhmout et avec moins de pertes. C’est un signe inquiétant pour l’AFU, car en utilisant la même méthode et les mêmes avantages, les Russes seront en mesure de percer les défenses de l’AFU dans d’autres endroits également. Les militaires ukrainiens parlent déjà de cette menace. La suite des événements militaires dépend de la capacité des forces armées ukrainiennes à tenir la nouvelle ligne de défense, sur laquelle Syrskyy a annoncé son retrait. Si elles y parviennent, la perte d’Avdiivka n’entraînera pas de changements fondamentaux sur l’ensemble de la ligne de front et, encore moins, un tournant dans la guerre. Mais si les Russes peuvent développer l’offensive plus loin – à l’ouest de la région de Donetsk vers Pokrovsk (avec la perspective d’un coup porté à Pavlograd), cela créera une menace pour l’ensemble du groupe de l’AFU sur le front sud. À cet égard, cette direction est plus prometteuse pour la Russie qu’une offensive de Bakhmut à Chasov Yar, où elle se heurterait à la grande agglomération urbaine de Slavyansk-Kramatorsk-Druzhkivka-Konstantinovka. Il est toutefois possible que les Russes lancent maintenant une offensive dans la troisième direction, encore plus importante sur le plan stratégique, à savoir Zaporozhye et le Dniepr, dont les préparatifs sont déjà annoncés par les militaires ukrainiens.
La perte d’Avdiivka revêt également une grande importance au plan médiatique. Elle s’est produite à la veille du deuxième anniversaire de l’invasion, un mois avant les élections présidentielles russes, sur fond de problèmes d’attribution de l’aide américaine, et immédiatement après la démission du commandant en chef Zaluzhny et son remplacement par Syrskyy, qui a été accueilli de manière ambiguë par l’opinion publique. La chute d’Avdeevka risque de rendre toutes ces questions encore plus problématiques pour les dirigeants militaires et politiques ukrainiens.
Ce revers poussera encore davantage l’Ukraine à adopter une stratégie « défense active » afin de donner à son armée le temps nécessaire pour se reconstituer, se rééquiper, se recycler et se préparer à reprendre les opérations offensives à grande échelle en 2025 pour délivrer les territoires occupés par les Russes. C’est ici qu’intervient la controversée loi de mobilisation actuellement en phase de finalisation à la Rada visant à abaisser l’âge de la conscription de 27 à 25 ans, et surtout d’appeler 500 000 soldats de plus sous les drapeaux. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de réservoir d’hommes, lequel se retreint de plus en plus, mais aussi une question de financement. Le coût de la formation, de l’entretien, de l’équipement d’une telle masse de combattants est évalué à 8,5 milliards de dollars, ce à quoi s’ajoutent 10,5 milliards pour l’acquisition des armes les plus modernes à mettre à leur disposition. Un total de 19 milliards de dollars représentant 22,5 % du budget national et 41 % de celui de la défense.
La vraie question est de savoir si cette phase défensive et de consolidation des troupes, comme l’arrivée massive de nouvelles armes, et matériels occidentaux seront de nature à renverser la balance des forces. Après un an de défense active, sans préjuger de l’état des opinions publiques chez les uns et les autres, il faudrait que l’Ukraine reprenne ses opérations offensives à grande échelle en 2025 dans le but de libérer la totalité des territoires occupés qui, rappelons-le, constituent quelque 17,5 % de son territoire soit près de 103 000 km2, une superficie double de celle de la Slovaquie, pour obliger Poutine à négocier la fin de la guerre. La Russie, contrairement aux divers soutiens de l’Ukraine, est entrée en économie de guerre en augmentant de 70 % son budget de la défense, qui atteint 7,5 % de son PIB. Elle a pu recruter, pour le moment, en dépit de l’exil d’un million des siens, la mobilisation ou l’enrôlement d’un autre demi-million de soldats, 400 000 travailleurs de plus dans son industrie de défense forte désormais de 3,5 millions d’employés travaillant par roulement de 12 heures toute l’année 24 heures sur 24. Même si l’UE parvenait à livrer le million, voire le million et demi d’obus à l’Ukraine comme s’y est engagé le commissaire européen à l’Industrie, Thierry Breton, ces montants resteraient encore bien inférieurs à la production russe de près de 2,5 millions par an, et aux envois nord-coréens d’au moins un million. Rheinmetall prévoit de construire dans tous ses sites européens 700 000 obus en 2025 contre 400 000 à 500 000 aujourd’hui alors que sa fabrication n’était que de 70 000 avant la guerre en Ukraine.
Voilà pourquoi les appels à une aide plus massive, plus rapide et mieux calibrée en faveur de l’Ukraine se multiplient, comme vient de le plaider Olaf Scholz à Washington les 8 et 9 février. En 2025 les dépenses militaires allemandes devraient atteindre 2,1% du PIB soit 72 milliards d’euros et l’Allemagne envisage de rétablir le service militaire. Cet effort exceptionnel sera- t-il poursuivit et fera -t -il des émules ?
Après sa performance désastreuse durant la première phase de la guerre, l’armée russe, comme en 1940-1941, a adapté et intégré de nouvelles technologies et contre-mesures pour priver l’Ukraine d’un champ de bataille majeur. Il est probable qu’elle procédera, afin de préparer le probable » assaut final » du printemps à une autre, mobilisation après la réélection de Poutine en mars. Il n’est de force que d’hommes, disait Jean Bodin, le fondateur de la science politique. Un avantage démographique de trois contre un sur l’Ukraine, auquel s’ajoutent bien des combattants extérieurs, africains, syriens, centre – asiatiques ; etc.
L’Ukraine dépendant plus que jamais de ses alliés et partenaires qui, outre leur aide militaire, humanitaire et l’accueil de ses 7 à 8 millions de réfugiés, lui octroient une aide budgétaire de 1,5 milliard d’euros par mois. Si l’UE a eu du mal, à finaliser son programme d’aide de 50 milliards d’euros sur cinq ans, la demande de budget supplémentaire de 61 milliards de dollars américains est devenue l’otage de la campagne électorale américaine qui bat son plein. Mais même si ce paquet était approuvé – il est certain qu’un autre plan d’aide à l’Ukraine devrait être requis pour le prochain exercice financier 2025, avec tous les aléas prévisibles au Proche-Orient ou en mer de Chine. Force est d’admettre que les Occidentaux sont captifs de la théorie des « coûts irrécupérables ( sunk – cost fallacy), connue en économie. C’est une tendance à s’obstiner dans une action dont les coûts dépassent les bénéfices, mais dans laquelle on a déjà investi des sommes importantes. Tout dépend évidemment de l’évaluation de la sécurité et de la liberté, toutes informations difficiles à quantifier et variables. Mais on est déjà passé du « autant que cela durera » au « aussi longtemps que l’on pourra ».
Les chances de succès de l’Ukraine dépendent donc de nombreux paramètres : opérations offensives à grande échelle, accroissement de l’aide occidentale, l’état des opinions publiques et last but not least, de la résilience de la société ukrainienne de plus en plus meurtrie avec ses 50 000 invalides, épuisée, détruite, mais dont la vaillance force le respect et suscite l’admiration.
Vers une autre approche de la part de l’Ukraine et de ses partenaires.
Les ambitions de Vladimir Poutine demeurent inchangées, Il l’a proclamé une nouvelle fois dans son long entretien avec Tucker Carlsson, destiné tant à sa propre campagne qu’à celle de Donald Trump qu’il ne peut qu’appeler de ses vœux les plus chers : c’est la reddition pure et simple de l’Ukraine. Du côté ukrainien, la récente stratégie exige, pour temps présent, la poursuite de la construction d’installations défensives, de défenses aériennes et de contre-mesures pour préserver troupes et ukrainiens, villes, villages et zones critiques, Infrastructure, reconstitution et reconversion, unités de protection active ; et acquérir des capacités de frappe de précision à longue portée, en attendant l’arrivée en nombre suffisant des F – 16 et des missiles de type Taurus ou équivalent. D’ores et déjà s’impose la nécessité de nouvelles technologies, et d’un changement continu de moyens et de méthodes de la guerre. La logistique représente un des grands défis des forces ukrainiennes qui doivent gérer un parc de matériel si hétérogène. Elles comptent beaucoup sur l’emploi de drones plus sophistiqués, dotés de l’Intelligence artificielle dont la construction de 1 à 1,5 million d’unités est prévue., et pour lesquels une nouvelle unité au sein de l’armée a été constituée, baptisée « Unmanned Systems Forces ».
Mais il lui faudra bien se préparer à une interminable guerre longue et coûteuse au moment où maints pays européens proclament qu’il convient de s’apprêter de leur côté à un possible affrontement avec la Russie, ce qui supposera de procéder à des choix cornéliens en matière de conception, de fabrication et de répartition de tout le spectre des armes les plus sophistiquées. Déjà les difficultés de recrutement au sein de l’armée de l’air française ont eu un impact sur la formation des pilotes ukrainiens, un phénomène qui se multipliera. Lors de sa récente visite à Kiev, Rishi Sunak a annoncé un nouvel accord de sécurité entre le Royaume-Uni et l’Ukraine. Emmanuel Macron a reporté son voyage prévu à Kiev à la mi-février au cours duquel il devait également en signer un et se rendre à Odessa pour y lancer un fonds d’assistance à la reconstruction civile de 200 millions d’euros. L’OTAN qui n’a toujours pas ouvert sa porte à l’Ukraine célébrera son soixante-quinzième anniversaire lors de son sommet, en juillet à Washington. Sera – t-elle désireuse et capable de changer fondamentalement la donne diplomatique et la situation sur le terrain ? À ce stade rien n’est moins sûr.
La situation sur le terrain semble renforcer les positions des forces ukrainiennes et occidentales qui préconisent une fin rapide de la guerre le long de la ligne de front actuelle (le « scénario coréen ») en faisant valoir que « plus nous nous battons longtemps, plus nous perdons de personnes et de territoires, et plus les conditions pour mettre fin à la guerre seront mauvaises ». Les autorités ukrainiennes et les principaux pays occidentaux sont actuellement opposés à cette option, et il est peu probable que la seule perte d’Avdiivka les fasse changer d’avis. Mais si la situation sur le front continuait à se détériorer pour l’AFU, le concept à Kiev et à l’Ouest pourrait changer. Dans ce cas, la question de savoir si Poutine acceptera de mettre fin à la guerre, et si oui, à quelles conditions, restera ouverte, quelque soit l’issue des élections présidentielles américaines.
La béquille du Temps fait plus de besogne que la massue de fer d’Hercule
Aussi convient -il de s’interroger, tout en prodiguant une aide précieuse à l’Ukraine, sur la nécessité d’esquisser un plan de sortie de guerre avant qu’il ne soit trop tard ou qu’elle n’ait produit que de nouvelles dévastations massives sans résultats décisifs. Aucun des adversaires, aucun des camps en présence n’est disposé à perdre la face ou faire le premier pas. Mais tous deux ressortiront durement éprouvés par la guerre. Si l’on met le plus souvent l’accent sur les immenses destructions qu’a subies l’Ukraine, il convient de garder à l’esprit que la Russie sortira meurtrie par la guerre. Outre sa démographie affaiblie, et son économie quoique l’on dise impactée c’est son orientation de plus en plus affirmée vers l’Asie qui laissera des traces durables. En tournant le dos à l’Europe vers laquelle l’avait orientée Pierre le Grand, elle renonce à ses racines culturelles et se rapproche de plus en plus de régimes dictatoriaux, Iran, Chine, qui vient d’annoncer son « soutien » à la Russie et Corée du Nord en formant avec eux un « Nouvel empire mongol » anti Occidental dont le dessein est de prendre le contrôle de l’Eurasie en en expulsant présence américaine et influence européenne.
L’auteur de ces lignes avait écrit un article en décembre 2021 ( paru dans Conflits le 8 mars 2022) avant que ne débute le cycle de négociation des 11 – 13 janvier 2022 visant à stopper la boule de feu de la guerre. Il s’agissait en vue d’éviter le recours aux armes, tout en poursuivant les contacts nécessaires d’abord afin de geler le statut de la Crimée, comme de mettre sous cloche la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN tout en octroyant une réelle autonomie au Donbass. Des décisions bien difficiles à prendre par Kiev, allant à l’encontre de tous ces objectifs. En échange, l’Ukraine bénéficierait d’un processus qui accélérerait son entrée dans l’UE -lui permettant de doubler son PIB en quinze ans, et serait dotée d’un solide protocole de sécurité garantie par les signataires du mémorandum de Budapest, plus quelques autres comme la France, l’Allemagne, ou la Pologne). Il s’agissait en somme d’enrober le problème ukrainien dans une discussion plus vaste portant sur l’architecture de la sécurité européenne qui n’a pas été effectivement entamée faute de temps et de volonté. Ces intentions bien généreuses ont éclaté avec les premiers boulets de la guerre. Les circonstances ont changé, mais il paraît légitime, avec le recul du temps et l’examen des réalités, de se demander s’il ne conviendrait pas de reprendre la tâche. En dehors du statut de l’Ukraine, une série de graves questions devront être également réglées, du jugement des criminels de guerre au paiement de réparations et du retrait de la Russie des territoires occupés. Une ébauche de compromis qui avait déjà été esquissé lors des pourparlers d’Istanbul de mars 2022, espoir qui a été vite douché par la découverte des massacres perpétrés à Boutcha et à Irpin, Zelensky ayant perdu toute confiance à l’égard de Poutine, ainsi que semble – t-il du fait de la pression de Boris Johnson pour que l’Ukraine poursuive la guerre à tout prix, un épisode entouré de flou. À défaut d’accord et faute d’une décision radicale sur le champ de bataille, nous nous retrouverions devant la perspective d’un conflit gelé à la coréenne, susceptible de persister des décennies, au point d’hypothéquer toute éventualité d’instaurer un système de sécurité européenne équilibré et durable.
Lorsque les hommes de guerre déposent leur glaive, parole est conférée aux diplomates. À eux, s’ils apparaissent légitimes, de saisir le moment le plus opportun pour intervenir, de se montrer habiles, d’exploiter le « secret, qui évite la bataille d’ego, les affrontements directs sur la place publique et qui, par sa souplesse, en se donnant parfois le temps, permet de tester bien de solutions originales. Aux diplomates d’être patients et déterminés, car « la béquille du Temps fait plus de besogne que la massue de fer d’Hercule » écrivait Baltasar Gracian dans L’Homme de cour, conseil de prudence toujours utile a l’heure des tweets ? C’est peut-être qu’ici que le général Zaloujny, qui en s’affichant cordialement avec le président et son successeur s’est conduit en homme d’État, s’il se mettait en réserve de la République, pourrait peut-être jouer un rôle historique en procédant à des révisions déchirantes que lui seul pourrait imposer à son peuple. On a déjà vu maintes fois le guerrier se muer en négociateur et même en chef d’État, de de Gaulle à Eisenhower. Car la diplomatie reste un art des comportements humains – de ceux qui doivent être savamment calculés. Les États exécutent des figures, poursuivent des desseins, envisagent des constructions qui s’enchaînent les unes aux autres et dont la fréquence produit un certain équilibre. Un ordre est créé. Certes il est condamné à n’être qu’éphémère. À nous de le rendre plus viable et durable.