Gaza: l’impact environnemental du conflit actuel sera sans commune mesure avec celui des attaques passées

Gaza: l’impact environnemental du conflit actuel sera sans commune mesure avec celui des attaques passées

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 5 novembre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


A la fin (inéluctable) des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza et avant même la résolution (beaucoup moins certaine) de la crise politique régionale, il faudra faire les comptes humains: dresser la liste des morts dans le camp israélien (au moins 1500 tués civils et forces de sécurité) et estimer les pertes dans les rangs des civils combattants et non-combattants du camp palestinien. Selon des chiffres du ministère de la Santé du Hamas palestinien, après 30 jours de guerre, plus de 10 000 Palestiniens ont trouvé la mort; d’autres sources minorent ce chiffre d’un tiers, voire des deux tiers (photos AFP).

Il faudra aussi faire les comptes environnementaux. Dans l’hypothèse où les plus de deux millions d’habitants de la bande de Gaza y restent bloqués, sans espoir de trouver refuge dans un pays voisins (l’Egypte et la Jordanie refusent toujours cette possibilité), ils devront tenter de survivre dans un environnement dévasté, en proie à une crise environnementale majeure.

Et même si des aides humanitaires massives permettent de réduire les souffrances de la population civile, il faudra du temps, alors que l’hiver approche, pour mettre en place des structures efficaces à même de soigner, nourrir et loger les habitants, pour réduire les pollutions de l’air et des sols, ainsi que les contaminations des terrains aquifères, pour évacuer des monceaux de débris et d’innombrables cadavres d’animaux etc. 

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Le défi est à relever; sinon le nombre des victimes continuera de croître dans Gaza. Les morts interviendront à cause  à cause de la contamination par les obus, roquettes, grenades, bombes non explosés, à cause de la pollution des sols, de l’atmosphère et des eaux (de surface, de profondeur ou côtières), à cause de probables des carences sanitaires et épidémies.

Crise environnementale.

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur les émissions militaires de gaz à effet de serre (dans le cadre de la guerre en Ukraine par exemple). Tant que les opérations militaires, israéliennes spécifiquement, ne sont pas finies, il sera difficile de quantifier les émissions de GES. Je renvoie vers le site The Military Emissions Gap, site qui précise que l’IDF (armée israélienne) ne communique pas sur ce sujet, même en temps de paix. Rien pour l’instant donc sur la « carbon boot print » de cette guerre entre Israël et le Hamas.

A défaut de données stabilisées pour mesurer les effets de la crise environnementale en cours, on peut toutefois se pencher sur les effets des guerre passées et sur la nature des destructions enregistrées dans l’enclave palestinienne.

Après les opérations de 2008-2009

L’Onu (le United Nations Environment Programme) a publié en septembre 2009 un rapport sur l’impact des combats de décembre 2008 et janvier 2009 dans la bande de Gaza. Il est intitulé Environmental Assessment of the Gaza Strip. Il détaille toutes les atteinte à l’environnement du fait des bombardements et des combats au sol. En voici quelques-unes.

Selon les chiffres de ce rapport, 2 692 bâtiments et 186 serres ont été détruits ou irrémédiablement endommagés. Ces destructions ont généré 600 000 tonnes de débris et de gravats où la présence d’amiante (entre autres polluants) était massive. La pollution de l’air a été intense du fait des particules de combustion en particulier et elle a été exacerbée par la toxicité des débris (béton, pierres, briques,  bois, terre et autres matériaux).

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Aux bâtiments et serres s’ajoutaient 167 kilomètres de routes qui ont été détruits, selon un autre rapport. Intitulé « Public services and roads in the Gaza Strip after the last 22 days of war in Gaza« , il pointe la difficulté d’évacuer tous les débris, le coût d’enlèvement (10$ la tonne) et la superficie nécessaire pour entreposer ces débris avant le tri et le concassage (125 000 m2 sur 5 m de haut). 

Autre problème majeur: les eaux usées qui se déversent souvent directement dans la mer (entre autres via le Wadi Gaza, rivière et dépotoir géant) et les décharges publiques à ciel ouvert. Des déversements massif de bassins de rétention ont eu lieu en 2008-2009. Ainsi à la grande station d’épuration d’Az Zaitoun, une rupture de digue liée à un bombardement a provoqué le déversement de 100 000 m3 d’eaux usées qui ont pollué 55 000 m2 de terres agricoles.

Les terres agricoles ont, elles aussi, particulièrement souffert. Selon une étude conjointe de l’UNDP et de la PAPP, 17% des surfaces agricoles ont été détruites, ainsi que 17,5% des vergers et 9,2% des pâturages, labourés par les chenilles des blindés et pollués par les résidus de carburants et de munitions.

Pour en finir avec les effets sur l’agriculture, l’Onu avait recensé la mort d’au moins 35 750 vaches, moutons et chèvres, et celle d’un million de volailles. La masse de ces carcasses, qui ont pourri en plein air et pollué les sols, était estimée entre 1000 et 1500 tonnes.

L’assaut terrestre de 2014

En 2014, les 51 jours de combats terrestres et les bombardements avaient généré 2,5 millions de tonnes de débris et de gravats, selon une étude palestinienne. Elle était titrée: « 2014 War on Gaza Strip: Participatory Environmental Impact Assessment »

Cette étude d’octobre 2015 avançait le chiffre de 15 264 structures frappées par les tirs dont 10 326 bâtiments détruits/endommagés. 

Les combats avaient provoqué l’interruption totale de la collecte des déchets. 80 000 tonnes de déchets se sont donc accumulées dans les rues, les villages, les camps de réfugiés selon l’Environmental Quality Authority-Gaza.

Autre chiffre: 250 000 arbres ont alors été détruits (oliviers, citronniers, arbres fruitiers…).

11 jours de guerre en mai 2021

Une étude plus récente porte sur les bombardements de mai 2021 (11 jours de guerre). Publiée en novembre 2022 par Airwars et Conflit and Environment Observatory, elle est titrée « Reverberating civilian and environmental harm from explosive weapons use in Gaza in 2021« . 

Elle aborde surtout les effets des bombardements sur les réseaux d’assainissement et de distribution d’eau de Gaza. 109 des 290 infrastructures liées à l’eau s’occupaient du traitement des eaux usées, selon des chiffres de l’organisme onusien Water Sanitation & Hygiene (WASH).

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WASH estimait alors qu’un million d’habitants de l’enclave avaient été directement impactés par les destructions sur ces réseaux, avec des coupures d’eau, du rationnement et, surtout, des déversements d’eaux usées dans les rues, dans les champs, dans les réservoirs d’eau et dans la Méditerranée, comme l’ont confirmé les images satellites (photo ci-dessus Gaza City Municipal Council). Au plan sanitaire, ces déversements ont fait courir de sérieux risques à la population (infections qui ne peuvent pas être traitées par des antibiotiques, risques d’épidémies etc.). 

Des retards dans les travaux de rénovation des infrastructures n’ont pas permis de réduire rapidement les effets des déversements. De fortes pluies en janvier et novembre 2022 à Gaza ont même soit augmenté la taille des zones où croupissaient des eaux polluées depuis mai 2021, soit entraîné dans la mer toutes les eaux croupies et les déchets.

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2023 et après?

La virulence des frappes israéliennes et des combats au sol font craindre qu’en 2023, les effets sur l’environnement soient décuplés.

Quelques données circulent déjà. Dont cette carte du United Nations Satellite Centre (UNOSAT) qui estime qu’entre 38 200 et 44 500 constructions de la bande de Gaza ont été affectés (endommagés/détruits) par les combats entre le 7 et le 29 octobre 2023 (pour rappel, 2 692 bâtiments touchés en 2008-2009).

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L’UNSAT estime que 22% des terres arables sont désormais endommagés par les combats. Les vues satellitaires de l’UNSAT témoignent aussi de la diminution de la densité de la végétation suite aux abattages, aux dégâts causés par les véhicules militaires, par les bombardements et par les combats au sol. La biodiversité est donc menacée. Elle l’est aussi en mer avec les rejets sauvages et ceux provoqués par les ruptures de canalisation.

Les combats actuels ont les mêmes effets que ceux des années précédentes sur les réseaux d’eau et la qualité de l’eau qui est peu ou pas traitée (en 2018, 92,6% de l’eau puisée dans le sol était impropre à la consommation humaine), sur les stations d’épuration, sur les infrastructures routières et ils dégagent les mêmes types de pollution aux particules toxiques.

Deux différences toutefois sont à noter: d’abord ces combats durent depuis près d’un mois (pour la partie aérienne et les tirs d’artillerie) et depuis le 27 octobre pour partie terrestre; ensuite, leur intensité est sans commune mesure à celle connue précédemment (même en 2014). La crise environnementale sera donc sévère et durable.

Pour la première fois, un chasseur-bombardier israélien F-35 « Adir » a détruit un missile de croisière en vol

Pour la première fois, un chasseur-bombardier israélien F-35 « Adir » a détruit un missile de croisière en vol

https://www.opex360.com/2023/11/03/pour-la-premiere-fois-un-chasseur-bombardier-israelien-f-35-adir-a-detruit-un-missile-de-croisiere-en-vol/


« Ils n’écouteront les conseils de personne, donc il faut que nous profitions de la dernière opportunité politique pour mettre fin à la guerre », a déclaré le dirigeant iranien, après s’être entretenu avec l’émir du Qatar, Tamin ben Hamad Al-Thani, le 31 octobre.

Ce jour-là, la milice yéménite « Ansar Allah » [ou houthiste], soutenue par l’Iran, a assuré qu’elle ouvriraient un autre front contre Israël, qu’elle venait d’ailleurs de viser avec une nouvelle salve de missiles et de drones. Pour rappel, la première avait été interceptée par le système AEGIS du « destroyer » américain USS Carney, alors déployé en mer Rouge, le 19 octobre.

Cela étant, les missiles et les drones lancés depuis le Yémen durant le journée du 31 octobre n’ont pas atteint l’État hébreu, en particulier la ville d’Eilat, qui, selon toute vraisemblance, était visée.

« Toutes les menaces ont été interceptées en dehors du territoire de l’État d’Israël. Aucune intrusion sur le territoire israélien n’a été détectée », a en effet insisté Tsahal.

C’est ainsi que le système de défense aérienne Arrow a, pour la première fois, intercepté un missile balistique, sans doute de type Toofan [ou Ghadr-F, dérivé de l’engin iranien Shahab-3]. Mais les chasseurs-bombardiers F-35I « Adir » de la force aérienne israélienne [IAF] ont également été sollicités lors de cette séquence.

Dans son communiqué relatif à cette nouvelle attaque de la milice yéménite, Tsahal avait en effet évoqué l’implication d’avions de combat dans « l’interception de cibles aériennes ». Il aura fallu attendre quelques heures pour en savoir plus, avec la diffusion d’une vidéo montrant la destruction d’un missile de croisière probablement de type Qods-3 [ou « Hoveyzeh » selon son appellation iranienne] par un F-35I.

 

« Ces derniers jours, un missile de croisière, lancé depuis le sud-est vers l’espace aérien de l’État d’Israël, a été détecté par les systèmes de contrôle et de détection de l’IAF. Les systèmes ont suivi sa trajectoire et des avions de combat « Adir » ont réussi à l’intercepter », a expliqué l’état-major israélien, via X/Twitter, sans livrer plus de détails.

Qu’un avion de chasse intercepte un missile n’est pas nouveau : durant la Seconde Guerre Mondiale, les Spitfire de la Royal Air Force [RAF] étaient régulièrement sollicités pour dévier de leur trajectoire les V1 tirés contre le Royaume-Uni. Mais c’est la première fois qu’un F-35 détruit en vol un engin hostile avec un missile air-air [sans doute un AIM-9X Sidewinder, même si cet appareil peut aussi utiliser des AIM-120 AMRAMM, d’un portée plus longue].

Cela étant, cette capacité du F-35I n’est pas une surprise : en décembre 2019, un haut responsable de Lockheed-Martin avait expliqué que son radar AN/APG-81 AESA [à antenne active] lui donnait la possibilité d’identifier et d’intercepter des « menaces aériennes volant à basse altitude et à grande vitesse, comme les missiles de croisière ».

Des « antennes de chirurgie avancée » déployées au profit des blessés de Gaza?

Des « antennes de chirurgie avancée » déployées au profit des blessés de Gaza?

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 3 novembre 2023

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Dans l’entretien qu’il a accordé jeudi soir à France Info, le ministre des Armées a déclaré que « nous serons en mesure aussi peut-être de déployer des éléments de notre médecine militaire » (photo EMA). Et Sébastien Lecornu d’ajouter que « le service de santé des armées dispose d’antennes de chirurgie avancée, par exemple, avec une bonne expertise des blessures de guerre. C’est autant d’objets de moyens que la France met sur la table ».

Antennes de chirurgie avancée?

Le ministre parlait-il de « l’antenne de réanimation et de chirurgie de sauvetage (ARCS) »?
Déployable en trois heures, l’ARCS dispose de 48 heures d’autonomie pour son matériel de santé et offre une capacité de prise en charge de 16 blessés. Elle remplace progressivement l’ACA (Antenne chirurgicale aérotransportable, rôle 2 Otan).
Comme l’expliquait le SSA en 2022, « l’ARCS est complémentaire du poste médical opérationnel de niveau 1, mais également des soins effectués sur le terrain. Son effectif est de 12 militaires, dont trois chirurgiens pour chaque partie du corps (tête et cou, viscéral digestif, orthopédique), d’un médecin anesthésiste-réanimateur, deux infirmiers anesthésistes, deux infirmiers de bloc opératoire et quatre infirmiers de soins généraux. Un sous-officier administratif appuie également le dispositif. Déployée sous quatre tentes de 200 m² au total, dont l’ergonomie a été étudiée et l’espace optimisé afin de faciliter les déplacements, l’ARCS dispose d’une zone de triage, d’une zone de mise en condition du blessé, d’un bloc opératoire et d’une zone de réanimation ».

Ou bien parlait-il de l’EMR (élément militaire de réanimation) déployé à Mulhouse pendant la pandémie (voir mon post de 2020)?
L’EMR-SSA est une structure médicale modulaire sous tente, armée par du personnel médical des armées, et dont la capacité est de 30 lits de réanimation. L’EMA expliquait en mars 2020 que « l’EMR (élément militaire de réanimation) est constitué à partir d’éléments habituellement maintenus en réserve pour déployer des antennes médico-chirurgicales en opérations extérieures, pour des actes de soins de chirurgie de combat lourds nécessitant une configuration particulière. La mise en place de cet EMR consiste à reconfigurer la structure afin de l’adapter au besoin spécifique du COVID-19 (réanimation, ventilation). »

ESCRIM?

La France dispose de plusieurs types de structures médicales projetables. Outre celles des Armées, il existe aussi celle de la Sécurité civile: l’élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale (ESCRIM). Sa plus récente intervention a eu lieu en Libye, en septembre, et avant en Turquie, en février 2023.
Aérotransportable, cet équipement est déployé dans le cadre des missions internationales de secours d’urgence à la suite de catastrophes naturelles, technologiques ou sociales. « Autonome sur le lieu de sa projection, il développe une activité médicochirurgicale et obstétricale dans une structure de 1000 m² de tentes pour une durée de 2 à 8 semaines« , précise la Sécurité civile. Soixante quinze personnes servent dans cette structure: médecins, pharmaciens, infirmiers, auxiliaires sanitaires et logisticiens. 

Le MEAE aux manettes.

Quelle que soit la structure qui sera éventuellement déployée, c’est le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères qui est à la manoeuvre initiale puisqu’il faut négocier avec un pays d’accueil l’arrivée de ces moyens et les modalités de leurs missions. Le MEAE est en contact avec l’Egypte sur le sujet global de l’aide française à Gaza. Déjà deux avions ont acheminé de l’aide et d’autres vont suivre. Si le déploiement d’antennes médicales est décidé après un feu vert égyptien, les Armées et éventuellement l’Intérieur mobiliseront leurs moyens comme prestataires de services.

Guerre Israël-Hamas : « Le rôle de l’Iran sera crucial »

Guerre Israël-Hamas : « Le rôle de l’Iran sera crucial »

 

Thierry de MONTBRIAL -IFRI – publié le 3 novembre 2023

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/guerre-israel-hamas-role-de-liran-sera-crucial


Interviewé par Virginie Robert et Vincent Collen pour Les Échos

Fondateur de la World Policy Conference qui tient sa 16 édition à Abu Dhabi ce week-end, en partenariat avec « Les Echos », Thierry de Montbrial revient sur les crises qui secouent le système international, du conflit qui oppose Israël au Hamas à la guerre en Ukraine.

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La violence de l’attaque du Hamas le 7 octobre a stupéfié le monde et enclenché une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Est-ce le résultat d’une question israélo-palestinienne trop longtemps laissée de côté ?

Je me garderai d’établir une relation simple de cause à effet pour expliquer l’attaque barbare lancée par le Hamas le 7 octobre. Je dirais plutôt que le Hamas s’est appuyé cyniquement sur l’enterrement apparent du conflit israélo-palestinien pour déclencher une guerre dont le véritable enjeu est l’avenir du Moyen-Orient dans son ensemble.

Quant au conflit lui-même, c’est un fait que personne n’a travaillé sérieusement à la solution des deux Etats depuis une vingtaine d’années. La France pas plus que les autres Occidentaux. Les Arabes non plus. J’ajoute que sur cette question comme sur tant d’autres, les Européens ont du mal à raisonner en termes stratégiques. Nous ne nous référons qu’à des principes (démocraties contre démocratures, par exemple) et à l’idée que nous nous faisons du bien et du mal.

Il est possible que le rapprochement de l’Arabie saoudite et d’Israël ait contribué au choix du moment de l’attaque. Mais l’agression a été préparée pendant longtemps. Le plus stupéfiant, c’est l’effet de surprise. L’évolution de la politique intérieure d’Israël l’explique en partie. Ce drame nous rappelle aussi que la technologie ne peut pas tout. On le voit également en Ukraine, où l’on en est revenu à une guerre de tranchées .

Est-ce qu’Israël a mal alloué ses ressources militaires ?

Les Israéliens ont été distraits par leurs affaires intérieures, et notamment la réforme judiciaire. Ils ont aussi été sanctionnés par l’hubris, l’idée d’un Israël devenu invincible en particulier grâce à la technologie. L’allocation des forces, notamment en Cisjordanie, a également joué. Le Hamas a spéculé sur tout cela.

L’Etat hébreu veut détruire le Hamas. Faut-il craindre un embrasement régional ?

Dans la durée, la haine se nourrit du passé, du sentiment d’injustice, de questions non réglées et, naturellement, des propagandes. Je ne sais pas si l’éradication militaire du Hamas est possible, j’en doute. Le risque d’un embrasement régional est réel , mais ce n’est dans l’intérêt de personne. Cela dit, même contenue, la guerre fera des dégâts considérables.

Le rôle de l’Iran sera crucial. Depuis la révolution de 1979-1980, ce pays s’est habilement affiché devant les opinions publiques arabes comme le seul vrai défenseur de la cause palestinienne. Les Persans s’emploient à diviser les Arabes. Comme toujours. C’est ainsi qu’on doit comprendre le slogan de Téhéran, qui rejoint celui du Hamas, prônant l’éradication d’Israël. Mais je doute que l’Iran veuille prendre explicitement le risque d’une guerre avec les Etats-Unis. Dans l’immédiat, le principal danger est l’embrasement incontrôlable des opinions publiques. Y compris en Europe, particulièrement en France .

Comment peut évoluer, vu les circonstances, le rapprochement de l’ Arabie saoudite avec l’Iran ?

L’objectif de l’Arabie saoudite est de se moderniser et, à terme, d’occuper une place majeure dans l’équilibre du Moyen-Orient. L’Iran aussi, bien sûr. Il y a de la marge pour une certaine entente entre les deux.

Est-ce que la France et l’Union européenne peuvent jouer un rôle ?

L’Union européenne n’a pas de politique étrangère au sens fort , car elle n’est pas un Etat et ne dispose pas en tant que telle des leviers de la force, que ce soit sur le plan économique ou militaire. Elle n’a pas de vision claire de son identité et donc de ses intérêts à défendre. Il n’y a pas véritablement d’exécutif européen.

Une politique étrangère se compose d’actions cohérentes poursuivies dans la durée, avec de vrais moyens, et repose sur une vision véritablement géopolitique, jamais uniquement sur des principes abstraits comme la démocratie et les droits de l’Homme. L’Union européenne peut cependant contribuer aux actions humanitaires, distribuer de l’argent (à quelles conditions ?), sanctionner, parler aux belligérants, plaider pour un règlement politique.

Aux antipodes des Européens, malgré les courants idéologiques qui les traversent, les Américains possèdent un sens aigu de leur identité et de leurs intérêts. Ils restent des champions dans le maniement du bâton et de la carotte. Démocrates ou républicains, ils pratiquent toujours un discours moralisateur, mais sans jamais perdre le sens du concret. Quand il le faut, ils n’hésitent pas à se retourner brusquement.

Vous êtes l’un de ceux qui pensent qu’on ne résoudra le conflit ukrainien que par la diplomatie. C’est une position que beaucoup réfutent car ils ne veulent pas récompenser l’agression russe en Ukraine…

Nombreux sont ceux, dans les capitales occidentales, qui réfléchissent à l’issue de cette guerre sans en parler ouvertement. L’histoire du monde est remplie de situations inacceptables, mais que l’on finit par accepter, souvent à contrecoeur. La guerre change tout, au cours du temps.

Est-ce qu’on se dirige vers une négociation rapide sur le conflit ukrainien ? Non, parce que ni les Ukrainiens, ni les Russes, ni les Américains n’y sont encore prêts. Beaucoup dépendra des élections présidentielles américaines. Les Républicains commencent à trouver que les Etats-Unis en font trop . Mais rien n’est écrit d’avance.

Les demandes du président ukrainien Zelensky ne sont donc pas réalistes selon vous ?

L’objectif affiché de Volodymyr Zelensky est de bouter les Russes en dehors des frontières de 1991. Est-ce atteignable avant que les alliés ne se lassent ? Telle est la question. La Russie s’est installée dans la perspective d’une guerre longue. Ceux qui ont parié sur son effondrement se sont trompés. De plus, elle n’est pas isolée. Dans le « Sud global », la balance penche plutôt en sa faveur. L’Ukraine, elle, souffre terriblement sur le plan humain et, pour les armements et l’économie, dépend entièrement de l’aide occidentale.

Comment expliquer ce soutien plus ou moins explicite de ce « Sud global » à Moscou ?

Le rejet du monde occidental dans les pays du Sud s’exprime de plus en plus ouvertement. Ces pays refusent nos leçons de morale. Ils entendent devenir véritablement « indépendants » au sens gaullien du terme. Cependant, leurs positions sont diverses. L’Inde, en particulier, joue très habilement sur le concept de multi-alignement, qui est une reformulation de sa politique de non-alignement pendant la guerre froide.

Quelle position peut défendre l’Union européenne dans ce contexte ?

Pour la guerre d’Ukraine, l’Union européenne s’en est remise au leadership américain. Les Etats-Unis se présentent, de plus en plus explicitement, comme leader d’une alliance des démocraties contre les autocraties ou démocratures. Nous ne devons pas tomber dans ce piège en opposant le bloc occidental élargi (au Japon, à la Corée du Sud, etc.) à tous les autres pays du monde.

Que doit faire la France alors ?

Nous n’avons pas les moyens de faire face à tous les risques qui pèsent potentiellement sur nous, même si l’on pouvait doubler ou tripler les budgets de défense et de sécurité. Nous sommes en risque sur notre flanc est, à cause de la guerre d’Ukraine, et de façon diffuse mais profonde sur notre flanc sud, qui est l’arc arabo-musulman.

De mon point de vue, il y a une division du travail naturelle au sein de l’Alliance atlantique. Pour la France, c’est le flanc sud qui devrait nous préoccuper en priorité. Le risque d’une invasion de la France par la Russie n’a pas grand sens, mais, comme tout se tient, ce pays a choisi de s’en prendre à nos intérêts notamment en Afrique. Il faut reconstruire notre stratégie vis-à-vis des pays du Sud et d’abord en Afrique et au Moyen-Orient.

C’est ce que dit Emmanuel Macron lui-même…

Une grande stratégie ne se construit pas en un jour. Avec l’Afrique par exemple, tout est à rebâtir. C’est un travail de très longue haleine qui exigera des efforts d’investissement considérables dans toutes les dimensions.
 

Interview par Virginie Robert et Vincent Collen

> Lire l’interview sur le site des Échos

Guerre en Ukraine : Le commandant en chef ukrainien admet l’échec de la contre-offensive

Guerre en Ukraine : Le commandant en chef ukrainien admet l’échec de la contre-offensive

 

https://www.opex360.com/2023/11/02/guerre-en-ukraine-le-commandant-en-chef-ukrainien-admet-lechec-de-la-contre-offensive/


C’est en effet ce qu’a admis le général Valeri Zaloujny, le commandant en chef des forces ukrainiennes, dans les pages de l’hebdomadaire britannique The Economist, ce 2 novembre. « Il n’y aura probablement pas de percée profonde et belle », a-t-il dit, avant de préciser que ses troupes n’avaient gagné que 17 kilomètres depuis le début de cette contre-offensive, pour laquelle l’Ukraine avait reçu des dizaines de chars occidentaux, dont des Leopard 1, des Leopard 2, des Challenger 2 et des AMX-10RC [qui ne sont pas considérés comme des chars au sens strict, ndlr].

Il faut dire que les forces russes, après leurs revers de l’automne 2022, ont eu le temps de se préparer, en mettant en place un solide rideau défensif et en renforçant leurs moyens de guerre électronique le long de la ligne de front.

Cela étant, le général Zaloujny a confessé avoir commis des erreurs. D’abord en pensant que les pertes infligées aux forces russes [dont on ne connaît pas l’ampleur de façon indépendante] allaient avoir des conséquences sur la suite des opérations. « Dans n’importe quel pays, de telles pertes auraient mis fin à la guerre », dit-il.

Ensuite, le commandant en chef ukrainien a reconnu s’être trompé en estimant que les difficultés de la contre-offensive étaient dues à des problèmes de personnes. « Au début, j’ai pensé qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas avec nos commandants, alors j’en ai changé certains. Puis, j’ai pensé que nos soldats n’étaient peut-être pas adaptés à leur mission, alors j’ai transféré des soldats dans certaines brigades », a-t-il expliqué. Or, cela n’a rien changé…

La planification a sans doute été déficiente. « Selon les manuels de l’Otan et les calculs que nous avions faits, quatre mois auraient dû être suffisants pour que nous puissions atteindre la Crimée, y combattre et en revenir », raconte le général Zaloujny. Mais c’était sans compter sur l’efficacité des lignes défensives établies par les forces russes, qui ont aussi fait preuve d’une certaine capacité d’adaptation.

« Nous voyons tout ce que fait l’ennemi et il voit tout ce que nous faisons », résume l’officier ukrainien. Aussi estime-t-il que la situation est arrivée à une impasse.

« Tout comme lors de la Première Guerre mondiale, nous avons atteint un niveau technologique qui nous met dans une impasse », affirme en effet le général Zaloujny. Et, pour en sortir, il « faudrait un saut technologique massif », ce qui passe par un effort important en matière d’innovation, que ce soit pour la guerre électronique, les drones, la robotique, l’artillerie, etc.

« Il est important de comprendre que cette guerre ne peut être gagnée avec les armes de la génération passée et des méthodes dépassées. […] Elles entraîneront inévitablement des retards et, par conséquent, une défaite », explique le commandant en chef ukrainien, qui veut éviter de mener une guerre de « tranchées » que ses troupes ne pourraient pas soutenir indéfiniment, faute de pouvoir relever leurs combattants. « Tôt ou tard, nous nous rendrons compte que nous n’avons tout simplement pas assez de monde pour nous battre », souligne-t-il.

L’évaluation du général Zaloujny rejoint celle faite par la Direction du renseignement militaire [DRM] en juillet dernier… Via son « patron », le général Jacques Langlade de Montgros, elle avait estimé que la guerre en Ukraine pourrait s’éterniser en raison de l’absence de « game changer », c’est à dire d’armes [conventionnelles] pouvant inverser le cours des combats.

Par ailleurs, et alors que le soutien à l’Ukraine pourrait perdre de la vigueur en raison de l’évolution de la situation politique chez certaines de ses partenaires, la Russie a noué des accords avec l’Iran et la Corée du Nord pour refaire ses stocks de munitions. Selon l’agence Bloomberg, elle aurait ainsi récemment reçu 1 million d’obus de facture nord-coréenne…

Gaza : combien de morts ? par Michel Goya

Gaza : combien de morts ?

Palestinian News and Information Agency (Wafa)

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 02-11-2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Un peu de statistiques macabres aujourd’hui. Le ministère de la santé palestinien de Gaza, contrôlé par le Hamas, annonçait 471 morts et presque autant de blessés lors de la frappe accidentelle sur l’hôpital al-Ahli le 17 octobre dernier. Le simple examen de la photo du lieu de l’explosion et la comparaison avec celles d’explosions ayant fait autant de victimes, à Bagdad ou à Mogadiscio par exemple, montrait pourtant que ce chiffre n’était absolument pas crédible. Pour faire autant de victimes, il aurait fallu au moins un projectile aérien d’une tonne tombant au milieu d’une foule dense ou comme c’était le cas dans les exemples cités et bien d’autres, avec des camions bourrés de plusieurs tonnes d’explosif. Un tel mensonge induit forcément le déclassement de cette source du niveau C-D (assez -pas toujours fiable) au regard des conflits passés à E (peu sûre) pour celui-ci. Aussi quand ce même ministère de la santé annonce 8 300 Palestiniens, dont 3 400 enfants, tués par les Israéliens convient-il d’être extrêmement méfiant et le fait que ce ministère contrôlé par le Hamas soit cité par l’UNICEF sans aucune vérification n’en fait pas un « diseur de vérité ».

L’immense majorité des pertes civiles palestiniennes est le fait de la campagne de frappes aériennes lancée par les Israéliens depuis le 7 octobre, le reste venant de l’artillerie, ou plus marginalement des frappes de drones ou d’hélicoptères, voire désormais des forces terrestres. Or, il se trouve malheureusement qu’à la suite des nombreuses campagnes aériennes passées, et notamment au-dessus de Gaza, il est possible de faire des estimations des dégâts de celle qui est en cours.

On précise qu’on ne prend ici en compte que les campagnes n’utilisant que des munitions guidées et sans intention de toucher délibérément la population, ce qui restreint de fait l’analyse aux campagnes occidentales et israéliennes depuis 1999. Rappelons qu’une frappe, ou strike, est une attaque contre une cible précise et qu’elle peut impliquer l’emploi de plusieurs projectiles.

Reprenons juste ici les quatre dernières grandes campagnes sur Gaza, en tenant compte des différentes sources (l’ONG israélienne B’Tselem, AirWars, ONU, Centre palestinien pour les droits de l’homme et même le ministère de la santé palestinien).

2008 : 2 500 strikes. Entre 895 et 1417 morts de civils palestiniens.

2012 : 1 500 strikes – 68 à 105 morts. L’Office (UN) for the Coordination of the Humanitarian Affairs (OCHA) parle seul de 1400 civils. 

2014 : 5 000 – 1 300 à 1 700 morts.

2021 : 1 500 strikes – 151-191 morts.

Dans les guerres de 2012 et 2021, où Israël n’emploie que la force aérienne, il faut donc environ 10 strikes pour tuer un civil. Ces deux guerres sont par ailleurs courtes, une dizaine de jours, ce qui signifie que les frappes s’effectuent surtout sur des cibles bien identifiées avec un plan de tir bien préparé (certitude sur l’identité de la cible, autorisation de tir, avertissement à la population). Avec le temps, lorsque le plan de ciblage est épuisé, les strikes s’effectuent de plus en plus sur des cibles d’opportunité, ce qui laisse moins de temps à la préparation et plus de place aux erreurs. Au passage, les résultats sur l’ennemi sont également moins efficaces surtout si les Israéliens n’ont pas eu l’initiative des opérations et le bénéfice de la surprise. Avec le temps, la proportion de frappes pouvant tuer des civils peut diminuer jusqu’à 5, voire moins, comme dans les derniers temps de la bataille de Mossoul où les troupes irakiennes n’avançaient plus que derrière un tapis de bombes.

Les deux autres guerres – 2008 et 2014 – ont été plus longues, moins « efficaces » dans les frappes aériennes, et les Israéliens y ont fait également beaucoup appel à l’artillerie, notamment pour appuyer les opérations terrestres. On dispose de moins de données pour déterminer les pertes civiles provoquées par l’artillerie. Si on prend l’exemple du siège de Sarajevo, plus de 300 000 obus ont tué au moins 3 000 civils en quatre ans et les snipers au moins 2 000 autres. On a donc un ratio de 100 obus (par ailleurs tirés avec grande précision à cette époque) pour tuer un habitant. J’ignore combien de dizaines de milliers d’obus israéliens ont été lancés durant les différentes campagnes, mais ils ont certainement contribué à tuer des centaines de civils en plus des frappes aériennes.

Qu’en est-il donc de la guerre actuelle ? Dans les campagnes précédentes, les Israéliens ont difficilement pu tenir une cadence de plus de 150 frappes aériennes par jour. En considérant le caractère exceptionnel de la période, on peut, par une grande libéralité, aller jusqu’à 300 par jour, soit désormais un total de plus de 7 000 strikes. En appliquant les pires barèmes (5 pour 1), cela donne 1 400 morts de civils. Tsahal ayant annoncé avoir touché 12 000 cibles, ce qui est impossible uniquement par des frappes aériennes, on peut donc considérer que la grande majorité des autres ont été traitées par l’artillerie et une petite minorité par hélicoptères ou drones. On ajoutera que ces frappes supplémentaires ont presqu’entièrement été effectuées dans la zone nord de la bande de Gaza, en partie évacuée. Elles ont probablement fait plusieurs centaines de morts, soit un total d’environ 2 000 civils et environ 1 500 combattants si on respecte les ratios des opérations précédentes. 

En résumé, sauf à imaginer qu’Israël a décidé de viser directement la population, on ne voit comment du moins à partir de l’analyse des conflits précédents, on pourrait arriver à ce chiffre de 8 300 il y a quelques jours (et plus de 9 000 aujourd’hui). Si par ailleurs Israël avait décidé, à la manière du Hamas, d’attaquer directement la population, avec 7 000 frappes aériennes le chiffre serait sans doute beaucoup plus important que 8 300. 

Pour autant, même si chiffre de 2 000 morts civils minore largement celui du ministère de la santé contrôlé par le Hamas – et il faudra peut-être que les institutions et les médias prennent en compte que cet organisme ment tout en instrumentalisant la souffrance – c’est 2 000 de trop. Ce chiffre en soi est déjà énorme. Il est bien au delà de la campagne de frappes en Serbie en 1999, de celle des Américains en Afghanistan fin 2001 ou bien encore de celle d’Israël au Liban en 2006. La coalition anti-Daesh ne reconnaît par ailleurs que 1 400 morts civils pour 33 000 frappes en six ans, avec il est vrai des chiffres d’AirWars nettement plus élevés.

Pour ma part, je pense que ces grandes campagnes de frappes et l’emploi massif de la puissance de feu sont surtout un moyen d’éviter les pertes de ses soldats, mais en reportant le risque sur les civils. C’est comme bombarder pendant des semaines un immeuble où seraient réfugiés des terroristes pour éviter de prendre le risque de s’y engager. Dans un cas comme cela, même si ces terroristes ont commis des atrocités et même si vous savez que les habitants ne vous aiment pas, vous envoyez le GIGN pour éliminer les malfaisants. Gaza est comme cet immeuble. Pour éliminer autant que possible le Hamas, tout en respectant mieux le droit international, de faire moins souffrir la population et donc de recruter pour l’ennemi ou de soulever l’indignation internationale, il faut privilégier à tout prix l’emploi des forces de combat rapproché – l’infanterie en premier lieu – plutôt que la puissance de feu massive à distance qui, au passage n’a pour l’instant au mieux détruit que 10 à 20 % du potentiel ennemi.  

Pour savoir comment il faudrait faire, il suffit de se demander ce que ferait Tsahal si la population de Gaza n’était pas palestinienne mais israélienne et contrôlée par une organisation étrangère de 20 000 terroristes. Il faut quand même rappeler qu’en droit international, toute population est sous la responsabilité d’un État. La population de Gaza, juridiquement toujours un territoire occupé, est donc également toujours sous la responsabilité d’Israël via l’administration de l’Autorité palestinienne (qui n’est pas un État). Le minimum minimorum aurait voulu qu’Israël aide cette dernière à conserver le contrôle de Gaza en 2007 face au Hamas. Cela n’a pas été le cas, car l’occasion était trop belle d’empoisonner la cause palestinienne, mais c’est un autre sujet.

Carte. La crise au Proche-Orient vue des enjeux maritimes

Carte. La crise au Proche-Orient vue des enjeux maritimes

Par Institut FMES, Pascal Orcier – Diploweb – publié le le 2 novembre 2023

https://www.diploweb.com/Carte-La-crise-au-Proche-Orient-vue-des-enjeux-maritimes.html


L’institut FMES vient de publier une étude, « La Territorialisation des espaces maritimes » qui présente cette carte p. 95. Cette étude a été conduite tout au long de l’année 2022, et publiée en octobre 2023, sous la direction de Jean-François Pelliard, capitaine de vaisseau de réserve et chercheur à l’institut FMES.
Cartographie par Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.

Les 9 et 10 novembre 2023, la Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques (FMES) organise à Toulon, en partenariat avec la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), les deuxièmes rencontres stratégiques de la Méditerranée, les RSMed. Nul doute que l’actualité du Levant y sera abordée lors de certaines des tables rondes proposées aux participants ou par les grands témoins et chefs d’état-major d’armées présents. Pour la FMES, think tank expert des questions géopolitiques et maritimes, ce conflit n’est pas seulement un affrontement aéroterrestre. Un embrasement de la région aurait des conséquences majeures sur le trafic et la sécurité maritimes.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, Diploweb.com est heureux de vous faire connaitre cette carte commentée extraite de l’étude de la FMES, « La Territorialisation des espaces maritimes« , p. 95. Cette étude a été conduite tout au long de l’année 2022, et publiée en octobre 2023, sous la direction de Jean-François Pelliard, capitaine de vaisseau de réserve et chercheur à l’institut FMES.
Avec un commentaire inédit rédigé le 2 novembre 2023 dans la perspective des deuxièmes rencontres stratégiques de la Méditerranée, les RSMed.
Carte grand format en pied de page.

CERTAINS des terroristes du Hamas se sont infiltrés en Israël le 7 octobre 2023 à partir de la mer. La modeste marine israélienne pour sa part, habituellement chargée de la surveillance des plateformes gazières off shore, participe aux bombardements et au blocus de Gaza. Cependant, ces opérations à partir de la mer, bien réelles, restent mineures en comparaison des opérations aériennes israéliennes et désormais terrestres. La dimension navale du conflit réside ailleurs, dans les risques d’extension et dans la prévention de ces risques. Alors que leurs bases militaires dans la région subissent déjà des attaques quotidiennes de la part de milices opérant à partir d’Irak et de la Syrie, les États-Unis ne s’y trompent pas en dépêchant deux groupes aéronavals dans la zone. L’USS Gerald R. Ford déjà présent en Méditerranée orientale, à proximité d’Israël, est rejoint par le Dwight D. Eisenhower qui, venu de Norfolk, pourrait rallier la mer d’Arabie et le golfe d’Oman.

 
Carte des détroits du Moyen-Orient
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Cette carte est extraite de l’étude de la FMES, « La Territorialisation des espaces maritimes », p. 95. Cette étude a été conduite tout au long de l’année 2022, et publiée en octobre 2023, sous la direction de Jean-François Pelliard, capitaine de vaisseau de réserve et chercheur à l’institut FMES.
Orcier/FMES

 

Si cette présence significative vise à protéger si nécessaire Israël et les bases américaines du Moyen-Orient, elle est d’abord un avertissement envers l’Iran et ses proxys : envers le Hezbollah bien sûr, menace directe pour Israël, mais aussi envers d’éventuelles intentions de perturber la navigation. Car alors que les récents événements réveillent un sentiment anti-occidental, l’Iran pourrait en profiter pour multiplier des actions dont il est coutumier aux abords des détroits d’Ormuz et de Bab-el-Mandeb (voir la carte). Forte de quantités d’embarcations solidement armées, la marine des gardiens de la révolution est capable d’un harcèlement sélectif à l’entrée du Golfe, plus difficile à combattre en ces lieux qu’une flotte de haute mer. Les rebelles Houtis soutenus par la force Al-Qods iranienne ont une capacité de nuisance similaire à la sortie de la mer Rouge. L’interception en Mer Rouge par une frégate américaine de missiles et de drones Houthis à destination d’Israël est l’illustration de cette problématique.

Bloquer ces deux détroits – Ormuz et Bab-el-Mandeb – ou simplement y faire régner une forte insécurité mettrait en péril une partie des approvisionnements stratégiques de l’Europe, sauf à envisager un coûteux contournement de l’Afrique. Pour la France, le lien avec ses Outre-mer de la zone Indo-Pacifique serait largement perturbé. Pendant ce temps, le porte-avions Charles de Gaulle, qui sort d’une période d’entretien, n’est pas immédiatement opérationnel et ce sont les groupes aéronavals américains qui exercent un fort pouvoir dissuasif au Moyen-Orient.

Copyright pour le texte Novembre 2023-Institut FMES/Diploweb.com

Elon Musk, l’Ukraine et Taïwan : les GAFAM sont-ils encore des entreprises comme les autres ?

Elon Musk, l’Ukraine et Taïwan : les GAFAM sont-ils encore des entreprises comme les autres ?

par Cyrille Dalmont – Revue Conflits – publié le 3 novembre 2023

https://www.revueconflits.com/elon-musk-lukraine-et-taiwan-les-gafam-sont-ils-encore-des-entreprises-comme-les-autres/


Elon Musk s’immisce dans les relations internationales. Après avoir reconnu être intervenu en Ukraine pour empêcher l’attaque de la flotte russe en Crimée, le voici qui défend l’intégration de Taïwan par la Chine. Simple souhait de protéger ses affaires ou réelle volonté de peser dans la diplomatie mondiale ?

Après l’Ukraine, où il assume d’avoir empêché l’armée ukrainienne d’attaquer la flotte russe en Crimée en limitant le faisceau de ses satellites Starlink et revendique des « actions diplomatiques » en faveur d’un plan de paix entre Kiev et Moscou (comprenant la tenue de nouveaux référendums sous supervision de l’ONU, l’abandon de la Crimée à la Russie et un « statut neutre » pour l’Ukraine), c’est sur la question de l’île de Taïwan que les ambitions diplomatiques d’Elon Musk se sont tournées. En qualifiant Taïwan de « partie intégrante » de la Chine, il a provoqué un tollé diplomatique. Jeff Liu, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Taïwan déclarant à la presse qu’Elon Musk « flatte aveuglément la Chine et si [ses| commentaires sont influencés par ses intérêts commerciaux », ils ne méritent pas d’être pris en considération.

Ces initiatives et ces échanges, qui peuvent sembler irréels entre un milliardaire de la big tech et les chancelleries, ont de quoi surprendre et appellent une réflexion approfondie. La géopolitique et les relations internationales traditionnelles, même si elles ont connu d’importantes évolutions au cours du vingtième siècle avec l’apparition d’organisations internationales en particulier, vivent leurs dernières heures. De nouveaux acteurs, privés et singuliers, apparaissent.

Un détour par l’histoire

Un rapide détour par l’histoire peut nous aider à comprendre. On pourrait dire que les géants du numérique ont en quelque sorte repris à leur compte le modèle des Zaibatsu japonais démantelés dans les années 1950, leur proximité avec l’armée étant considérée comme dangereuse par les États-Unis : conglomérats formés d’une multitude d’entreprises dans des activités très diverses mais permettant de contrôler l’ensemble de la chaîne économique d’un secteur, liées entre elles par des participations croisées (concentration), des opérations communes et des habitudes de concertation (ententes) tout en entretenant des liens étroits avec l’écosystème militaire (aides d’État). Avec les géants de la tech, ce modèle ne serait plus national mais mondial.

Une autre analogie historique est possible avec les différentes compagnies des Indes fondées par plusieurs États européens aux seizième et dix-septième siècles. Il s’agissait d’entreprises privées se comportant comme des quasi-États. Pour mémoire, l’East India Company britannique, créée en 1600 et dissoute en 1874, fut la première entreprise privée à acquérir des fonctions militaires et administratives, classiquement monopoles d’État. Le chercheur spécialiste de l’Inde, Roland Lardinois, parle d’une « puissante compagnie privée de marchands organisée sur un mode quasi-étatique ».

Chiffres d’affaires gigantesques et ambassadeurs

Ces analogies sont-elles valides pour les GAFAM ? Ces entreprises sont-elles en train de devenir des États, des quasi-États, des organisations internationales ou autre chose encore ? Dans un premier temps, il ne semble pas inutile de souligner que la capitalisation des GAFAM (2 700 milliards de dollars pour Apple, 2 496 milliards pour Microsoft, 1 728 milliards Alphabet (Google), 1 494 milliards pour Amazon et 784 milliards pour Méta) est individuellement supérieure au PIB annuel de plus de 170 pays dans le monde. Et l’on retrouve quasiment le même résultat si l’on compare leur chiffre d’affaires annuel au budget de ces 170 pays. Ensuite, si l’on observe le nombre d’utilisateurs de ces réseaux, Facebook fait aujourd’hui figure de « plus grand territoire numérique du monde », avec trois milliards d’utilisateurs mensuels revendiqués. Bien sûr, la comparaison entre les utilisateurs d’un réseau social et les citoyens d’un pays est assez spécieuse. Allons plus loin dans l’analogie.

Les dirigeants de ces entreprises considérables sont désormais davantage reçus comme des chefs d’États à travers le monde que comme des dirigeants d’entreprises. Et si le Danemark fut le premier pays à disposer d’un « ambassadeur au numérique » auprès des GAFAM en 2017, la France lui emboita le pas quelques mois après en nommant David Martinon au poste d’« ambassadeur pour le numérique ». La Commission européenne a également suivi le mouvement en ouvrant en septembre 2022 une « ambassade de la tech » à San Francisco et en nommant Gerard de Graaf comme ambassadeur pour assurer la promotion de la politique européenne dans le numérique.

Ce sont là des signes qui ne trompent pas. Si les États envoient des ambassadeurs auprès des GAFAM, c’est qu’ils ne les considèrent plus comme de simples entreprises. Par parallélisme des formes, les GAFAM envoient leurs ambassadeurs auprès des États en la personne de lobbystes VIP et de haut niveau, ancien ministres ou parlementaires de poids.

Cours suprêmes et cryptomonnaies

Les géants du numérique assurent leur « sécurité » intérieure et le maintien de l’ordre public sur leurs réseaux, rendent la « justice » et l’exécute par des demandes d’informations, de justificatifs d’identités, des préconisations, des suspensions ou des fermetures de comptes. Au travers du règlement DSA, la Commission européenne entend d’ailleurs encore augmenter ces pouvoirs de police en imposant aux plateformes numériques des obligations de censure au motif de mieux lutter contre les incitations à la haine, à la violence, au harcèlement, la pédopornographie, apologie du terrorisme. Facebook et Instagram se sont même dotés d’une « cour suprême » qui décidera en dernier ressort si un message, une photo, une opinion, un compte ou une page a lieu d’exister ou non. Les réseaux sociaux réglementent également les transactions commerciales qui ont lieu sur leur plateforme (les leurs et celles des entreprises tierces qui les utilisent) et envisagent de pouvoir battre monnaie dans un futur proche, même si pour le moment il ne s’agit que de cryptomonnaies.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, seuls les États étaient considérés comme sujets de droit international. Mais comme les vieilles nations avaient failli avec deux conflits mondiaux particulièrement meurtriers, certains, intellectuels et responsables politiques, considérèrent qu’il fallait les soumettre à un nouvel idéal commun plus large que celui propre à leur population et à leur territoire : un idéal universel. Pour atteindre cet idéal, de nouveaux modèles apparurent visant à diluer, diminuer, déléguer la souveraineté des États dans le cadre d’organisations internationales à vocation mondiale (SDN, ONU, OMS, UNESCO, OIT, AIEA) mais également régionale, comme l’Union européenne qui en est l’exemple le plus abouti et le plus intégré. Ces organisations sont considérées comme sujets secondaires ou dérivés du droit international procédant de la volonté des États qui ont décidé de les créer et possèdent le plus souvent une personnalité juridique.

Elon Musk devant les médias après le Forum Al Insight. (c) Graeme Sloan/Sipa USA

Des organisations internationales atypiques

Si nous en revenons à notre analogie, il nous semble que les grandes plateformes numériques peuvent de plus en plus s’apparenter à des organisations internationales atypiques telle que l’Union européenne. Même si elle ne lève pas l’impôt et ne possède aucun territoire, l’Union européenne n’en demeure pas moins capable d’attribuer une forme de nationalité et un certain nombre de droits aux citoyens européens, indépendamment et en plus de leur nationalité d’origine. Or aujourd’hui, Elon Musk (Tesla), Marc Zuckerberg (Meta), Satya Nadella (Microsoft), Andy Jassy (Amazon), ou Sundar Pichai (Google) n’hésitent pas à financer des actions de lobbying considérables (plus de 100 millions d’euros rien que pour l’UE), à d’engager des bras de fer avec des gouvernements (Russie, Chine, Inde, etc.) et des actions de « guerre économique » de grande ampleur, et participent activement à la diplomatie mondiale. Ajoutons que leur influence sur la vie concrète de milliards d’individus à travers le monde croît à vitesse grand V quand celle des États-nations et de leurs cadres traditionnels paraît de moins en moins adaptée à nos société liquides et hyperconnectées.

Ce phénomène nouveau est fondamentalement la conséquence de la faiblesse d’États-nations englués dans leurs propres contradictions depuis l’avènement de la mondialisation et le triomphe des théories du « village globale ». Elon Musk est certes un milliardaire fantasque mais qui a pleinement mesuré la puissance que la faiblesse des États a permis aux géants technologiques d’acquérir.

Et peut-être est-il déjà trop tard pour les États pour se réveiller. Joe Biden a certes lancé en janvier dernier un appel au Congrès américain à « demander des comptes » aux géants de la tech et à légiférer pour renforcer le contrôle du gouvernement. On qualifie certes d’historique le procès qui vient de s’ouvrir contre Google pour abus de position dominante sur le marché des moteurs de recherche. Mais imagine-t-on un seul instant les États-Unis se lancer dans un démantèlement des géants numériques alors qu’ils sont engagés dans une guerre technologique intense qui est l’un des fronts majeurs de la guerre pour l’hégémonie mondiale qui les oppose à la Chine ? Ce serait un suicide.

Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? par David Colon

Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? D. Colon

Par Arthur Robin, David Colon, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, – dipoweb.com – publié le le 29 octobre 2023 

https://www.diploweb.com/Video-Comment-les-Etats-mettent-ils-en-oeuvre-la-guerre-de-l-information-D-Colon.html


David Colon, professeur à Sciences Po Paris, auteur de « La Guerre de l’information. Les États à la conquête de nos esprits », éd. Tallandier, 2023. David Colon est chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Il y enseigne l’histoire de la communication, des médias et de la propagande. Membre du Groupement de recherche « Internet, IA et société » du CNRS. Il a précédemment publié « Propagande » (éd. Belin 2019, rééd. Flammarion, Champs histoire 2021) distingué par les prix Akropolis et Jacques Ellul. Il a aussi récemment publié « Les Maitres de la manipulation », éd. Texto, 2023.
Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, diplômée d’un M2 de Sciences Po. Co-organisation de la conférence Pierre Verluise, fondateur du Diploweb et l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I. Images et son : Arthur Robin. Montage : Arthur Robin et Pierre Verluise.

Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre.

 

Cette vidéo peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir sur youtube/Diploweb

 

Synthèse par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb.com, relue et validée par David Colon

Bien qu’on ne la perçoive pas toujours, la guerre de l’information structure les relations internationales depuis les années 1990. En effet, l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux tels que CNN permet désormais aux États d’interférer plus directement. À partir d’un panorama depuis les années 1990 à aujourd’hui, David Colon s’intéresse aux États-Unis, à la Russie et à la Chine comme acteurs de la guerre de l’information. Voici la vidéo et la synthèse d’une conférence organisée par Diploweb.com et l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I, le 12 octobre 2023, en partenariat avec le Centre géopolitique.

Les États-Unis en quête de domination informationnelle mondiale

D. Colon identifie la guerre du Golfe (2 août 1990 – 28 février 1991) comme point de départ de la guerre de l’information. Les États-Unis y manifestent leur puissance militaire, économique mais utilisent également le recours à l’information comme arme. À travers la doctrine de la « guerre en réseaux » (Network-Centric Warfare), ils veulent dominer le champ de l’information. Cette guerre du Golfe est un tournant, précisément car elle est perçue comme telle par la Chine et la Russie.

Par la suite, les États-Unis cherchent à étendre leur domination informationnelle (Information Domination) via les « autoroutes de l’information », l’affirmation de leur soft power et la création de géants du numérique (Google en 1998 notamment). À cette période, comme le souligne le discours du président B. Clinton devant les étudiants de l’Université de Pékin (1998), les États-Unis pensent que l’extension de leur système informationnel au monde entier conduira les derniers régimes autoritaires à disparaître.

D. Colon relate également à quel point le film Les experts/Sneakers (1992), visionné par McConnell, directeur de la National Security Agency (NSA), a produit des effets directs sur la politique de défense américaine. Ce film accélère la prise de conscience du basculement dans une nouvelle ère, celle de l’information électronique. Il met en exergue la nécessité de faire évoluer les outils et les méthodes de la NSA, pour favoriser la pénétration des réseaux ennemis. En ce sens, dès 1992, l’agence fédérale américaine chargée de la collecte des données électromagnétiques (SIGINT) redéfinit ses missions pour se lancer à grande échelle dans des opérations de cyberguerre.

Ensuite, la manipulation massive de l’opinion mondiale pour légitimer l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Irak en 2003 apparaît comme un deuxième point de rupture. En effet, le recours à la manipulation de l’information mondiale, doublé d’une entorse au droit international n’est pas sans conséquence sur l’attitude des régimes autoritaires.

Enfin, l’utilisation du virus Stuxnet par les autorités américaines en 2009-2010 [opération conjointe avec les Israéliens mettant hors d’usage des centrifugeuses de l’usine iranienne d’enrichissement de Natanz] constitue un troisième point de rupture. Pensé comme un moyen de détourner les opérations iraniennes, ce virus, utilisé par la suite par des hackers iraniens, constitue le point de départ d’une cyberguerre mondiale.

David Colon, professeur à Sciences Po Paris, auteur de « La Guerre de l’information. Les États à la conquête de nos esprits », éd. Tallandier, 2023. Photo : David Atlan

La riposte russe

Si D. Colon utilise le terme de « riposte », il rappelle que l’action des services de renseignement russes s’inscrit dans la durée. Ainsi, la génération formée à l’art de la désinformation dans les années 1980 est actuellement au pouvoir, au premier rang duquel Vladimir Poutine qui fut agent de liaison du KGB auprès de la Stasi (police politique de la RDA) de 1985 à 1990. Pour les services de renseignement russes, la désinformation ne se définit pas comme l’obtention d’un résultat immédiat mais comme un lent travail de décomposition de la société adverse.

La spécificité russe en la matière tient au fait que ses trois services de renseignement et de sécurité réalisent des activités à l’étranger. Ainsi, le FSB (Service fédéral de sécurité) est chargé de la sécurité intérieure mais mène également des activités cyber offensives. D. Colon souligne que l’articulation faite en Russie entre activités de renseignement intérieur et extérieur est inenvisageable aux États-Unis entre le FBI et la NSA. De son côté, le SVR (Service russe des renseignements extérieurs) s’est lancé depuis les années 1990 dans des activités de renseignement sur Internet. Enfin, le GRU (Service de renseignement militaire), créé en 1918, fusionne des capacités de guerre psychologique acquises durant la Guerre froide avec des outils numériques.

La force des services de renseignement russes tient également dans leur appropriation du mode de pensée occidental. Selon les principes définis par N. Wiener, les Russes envisagent un usage militaire de l’information pour protéger leur sphère informationnelle de l’ennemi. Ils mènent également une guerre de subversion pour conquérir les esprits et semer le chaos partout où ils le peuvent. Leur efficacité tient donc à une conception défensive et offensive du conflit informationnel, tel que défini notamment par I. Panarin et S. Rastorguev.

Parmi les coups d’éclat des services de renseignement russes, la cyberattaque menée en 2007 en Estonie à l’encontre de sites web d’organisations gouvernementales fait date. D. Colon relève que ces opérations cyber sont systématiquement accompagnées d’opérations médiatiques, souvent plus fortes après l’attaque qu’avant. Par exemple, après l’élection de Trump en 2016, les Russes organisent des manifestations en faveur et à l’encontre de D. Trump. L’objectif n’était pas seulement de le faire élire mais également d’affaiblir toute confiance des citoyens américains dans la démocratie.

L’avènement du numérique et des médias sociaux est perçu comme un tournant par les services de renseignement russes. Ils y voient l’expression d’une guerre en réseaux. À cet égard, la mise en évidence de méthodes de prédiction de la personnalité à partir de la récupération de données Facebook par des chercheurs (M. Kosinski, D. Stillwell) n’a pas échappé aux services de renseignement russe. Le travail d’Alexandr Kogan, chercheur en psychométrie recruté par la société Cambridge Analytica, a tout particulièrement intéressé le GRU. Ces modèles prédictifs permettent également de cibler des individus fragiles, de les appâter avec des contenus relevant de la théorie du complot, comme l’illustre le succès de la mouvance QAnon aux États-Unis mais aussi en Europe.

L’action chinoise

Suite à la guerre d’Irak (2003), perçue comme une guerre totale, la Chine élabore une nouvelle stratégie en 2003 : « la doctrine des trois guerres », composée de la « guerre de l’opinion publique », « la guerre psychologique » et « la guerre du droit ». Ce faisant, la Chine se dote de capacités cyber lui permettant d’opérer des cyberattaques massives, profite des failles législatives américaines (si le rachat d’entreprises de la Silicon Valley est interdit, la Chine exploite la possibilité d’y prendre des participations) et joue la carte de l’influence.

Le réseau social TikTok, en ce qu’il affecte toutes les couches du cyberespace, constitue un exemple significatif de l’influence chinoise. En effet, la plateforme, qui réunit 1,7 milliard d’utilisateurs, a des incidences infrastructurelles et peut perturber le système d’information à sa source. Ainsi, en Norvège, l’un des plus grands fabricants de munition d’Europe n’a pas pu augmenter sa production en raison de la présence à proximité d’un centre de données saturé de vidéos TikTok qui accaparent la consommation d’électricité. Le réseau social interfère également sur la couche cognitive, et peut être utilisé comme un outil de subversion. En effet, l’utilisateur voit son attention captée et ne choisit pas les contenus qu’il regarde. Cette plateforme montre également les dangers de l’Intelligence Artificielle (IA) lorsqu’elle est intégrée à des opérations de grande échelle. La société NewsGuard a ainsi identifié qu’un réseau de 17 comptes TikTok utilisant un logiciel de synthèse vocale pouvait générer 5000 vidéos conspirationnistes visionnées 336 millions de fois et en mesure de recevoir 14,5 millions de mentions « j’aime » en 8 semaines.

En outre, D. Colon analyse la combinaison des intérêts chinois et russes sur le plan informationnel. Ainsi, en 2015, les deux pays ont signé un accord de cybersécurité, prenant la forme d’un pacte de non-agression dans le cyberespace. Leurs actions vont au-delà puisque la Chine et la Russie font également converger leurs opérations d’information et de désinformation.

Enfin, D. Colon met l’accent sur l’ampleur de la menace chinoise. Ainsi, les services de renseignement britanniques ont indiqué dans un rapport de 2023 que la Chine possède « presque certainement » le plus grand appareil de renseignement au monde, avec des dizaines de milliers d’agents. Un rapport de 2023 du GEC, cellule consacrée à la lutte contre la désinformation au sein du Département d’Etat américain, souligne la recrudescence de la désinformation chinoise, ce à quoi la Chine a répondu que les États-Unis sont « un empire de mensonges » ayant « inventé la militarisation de l’espace mondial de l’information ».

Que faire face aux défis informationnels ?

D. Colon insiste sur la nécessité de « renforcer notre système immunitaire face aux virus médiatiques ». Selon lui, une plus grande transparence doit être encouragée, notamment en imposant une déclaration de leurs activités à ceux qui mènent des activités d’influence. La création d’un Observatoire international sur l’information et la démocratie en 2022 est également à souligner dans cette perspective. Face aux menaces posées par Twitter, TikTok et l’IA générative, D. Colon propose de créer un réseau social européen de service public.

Il alerte également sur le besoin de « renforcer nos anticorps ». En effet, il constate que le nombre de personnels français en charge de la veille informationnelle est inférieur à 100 personnes. Il note l’urgence du renforcement des effectifs de la Sous-direction de la veille et de la stratégie (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) et de VIGINUM (service de l’Etat chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères, rattaché au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale). Enfin, le soutien au journalisme de qualité, à la manière du projet de certification de médias lancé par RSF, lui apparaît également central.

NB : La synthèse a été relue et validée par D. Colon.
Copyright pour la synthèse Octobre 2023-Reynier/Diploweb.com

Une paix – juste – est-elle encore possible au Moyen-Orient ?

Une paix – juste – est-elle encore possible au Moyen-Orient ?

 

par Emmanuel Dupuy (Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) – Revue Conflits – publié le 30 octobre 2023

https://www.revueconflits.com/une-paix-juste-est-elle-encore-possible-au-moyen-orient/


L’attaque brutale menée par le Hamas et le Djihad islamique le 7 octobre dernier en territoire israélien n’en finit pas de diviser les 194 États composant l’ONU, notamment quant à la juste réponse à apporter aux massacres et atrocités commises par les deux organisations terroristes.

Le récent vote aux Nations unies de la résolution appelant à un cessez-le-feu « humanitaire » immédiat, le 17 octobre dernier, soit dix jours après les effroyables massacres dont ont été victimes près de 1 400 ressortissants israéliens et étrangers, ont fait voler en éclat, une fois de plus le frêle concept de « communauté internationale ».

Un vote qui divise

120 États ont voté pour, 14 contre, 45 se sont abstenus. La division est encore plus criante et inquiétante au niveau de l’UE, où sept pays (dont la France et l’Espagne, qui préside pourtant le Conseil de l’UE, jusqu’au 31 décembre prochain) ont voté en faveur de la résolution proposée par la Jordanie, tandis que quatre votaient contre (Hongrie, Autriche, Croatie et la République tchèque) rejoignant ainsi la position américaine et que 16 autres s’abstenaient (dont l’Allemagne et l’Italie) à l’instar, du reste, de l’Inde, du Japon et du Canada…

À cet égard, comme les 44 vétos américains brandis par les États-Unis (sur les 83 utilisés par Washington au sein du Conseil de Sécurité depuis 1946) en attestent, quand il s’agit de défendre l’État d’Israël, les polarités diplomatiques l’emportent sur la solidarité euro-atlantique et enterrent l’idée même d’une politique étrangère et de sécurité commune aux 27 États de l’UE.

Désormais, à la sidération qui prit de court les forces armées de Tsahal, ses services de renseignement, la société israélienne et l’opinion publique mondiale, ce sont avant tout les graves conséquences induites par l’attaque des terroristes palestiniens sur le plan de la stabilité régionale qui sont devenus les principaux sujets de mobilisation inquiète planétaire.

Comme en mai 1948, juin 1967 et  octobre 1973, les préoccupations des pays arabes voisins, tout comme la légitimité palestinienne à un État, sont venues réveiller une certaine forme d’unité, notamment dans les « rues arabes »,  alors même que certains de ses mêmes États étaient engagés dans un processus de normalisation avec Tel-Aviv, à l’instar de l’Égypte, depuis les accords de Camp David, en 1978 ;  la Jordanie, depuis les accords de Wadi Araba, en 1994 ; et, par le biais des Accords d’Abraham, depuis l’automne 2020, le Maroc, le Soudan, les Émirats arabes unis et Bahreïn.

Failles de sécurité

Sur le plan opérationnel, les failles sécuritaires sont accablantes quant à la prise à défaut de l’inviolabilité des frontières d’Israël. Celles-ci, supposément sanctuarisées par le truchement de son système de défense sol-air « Iron Dome Air Defence Missile System » – prétendument infaillible depuis sa mise en service en 2011 – n’a pu détruire la totalité des quelque 5 000 roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Avec un taux de réussite – déjà exceptionnel – de 90% d’interception, quelque 400-500 roquettes ont pu ravager les principales localités du sud d’Israël, à l’aune, sinistre, du nom de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » lancée par le Hamas et le Djihad islamiste.

Par ailleurs, près de 2 500 terroristes du Hamas, notamment ses brigades Izz al-Din-al-Qassam et du Djihad islamique ont pu réduire à néant, en quelques heures, le mur protecteur érigé par Israël et provoquer la mort de 1 400 Israéliens, dont près de 300 militaires et 35 binationaux franco-israéliens, et ce à la stupeur générale mondiale.

Le sort tragique des 222 otages – dont vraisemblablement 9 sont franco-israéliens – encore retenus par l’organisation terroriste palestinienne dans la bande de Gaza est aussi un sujet de vive préoccupation, mobilisant acteurs régionaux (Égypte, Qatar, Turquie, Arabie Saoudite, Irak, EAU) et internationaux (USA, France, Allemagne, Italie, Canada, Vatican, Chine) dans des approches et objectifs radicalement différents.

Cette réalité vient d’ailleurs confirmer le profond fossé que la question israélo-palestinienne n’a cessé de mettre en exergue depuis la création de l’État d’Israël en mai 1948 et la première des centaines de vaines résolutions onusiennes ; à l’instar de la résolution 181 de 1947 ou encore, la résolution 242 de 1967, actant le plan de partage de la Palestine en deux États.

La question des civils

Sans oublier, bien sûr, les trop nombreuses victimes civiles et terroristes, à la suite des bombardements de Tsahal sur une bande de Gaza, prenant au piège 2,3 millions de Gazaouis, ayant provoqué le décès de plus de 6 500 Palestiniens et occasionné plus de 13 000 blessés (selon les chiffres « officiels » quoique interrogeables du ministère de la santé palestinien), en dépit de l’appel insistant à l’ouverture de corridors humanitaires et le déplacement des Palestiniens vers le sud de l’enclave. Sur ce dernier point, force est de constater néanmoins que c’est bel et bien le Hamas qui empêche les habitants de Gaza de fuir les zones qu’Israël a prévenu de frapper, voire d’envahir, dans le cadre de son opération « Épées de fer » dont la dimension terrestre a débuté, visant à « éradiquer » le mouvement islamiste.

Ainsi, la teneur des frappes aériennes israéliennes sur une bande de Gaza de 365 km2 mais qui, avec une population de 2,1 millions, est une des plus fortes densités démographiques au monde (13 000 habitants/km2) interroge, aussi, les règles mêmes du droit international des conflits armés et du droit international humanitaire, dans sa déclinaison des quatre conventions de Genève d’août 1949 et ses protocoles additionnels de 1977, notamment dans la dimension de la protection des populations civiles dans le cadre de conflits armés.

Ces tragiques événements viennent confirmer, en outre, la fragilité du système multinational onusien et mettre en exergue un hiatus aggravant entre les pays, reconnaissant la légitimité d’Israël d’exciper de l’article 51 – autorisant la légitime défense d’un État face à une attaque contre son intégrité territoriale – de la Charte de San Francisco, créant les Nations Unies, en juin 1945. Par ailleurs, les autres États qui, en défendant, le droit des Palestiniens à la création d’un État internationalement reconnu et, en appelant à une forme de « désescalade », n’en joue pas moins – le plus souvent à leur corps défendant –  le jeu pervers du Hamas, qui use et abuse de cette légitime cause pour mener à bien son objectif de destruction de l’État d’Israël, depuis sa création en 1987 – nonobstant le retrait, quelque peu factice, depuis 2017, de l’article demandant spécifiquement la destruction d’Israël.

Il convient aussi de rappeler que cet objectif nihiliste va à contrario du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui en avait définitivement abandonné l’objectif, en avril 1996, en abrogeant sa charte fondatrice, datant de 1964.

Certes, l’instabilité politique chronique, née des réformes judiciaires et constitutionnelles impopulaires, induite par le 6e gouvernement de Benyamin Netanyahou, depuis décembre 2022 – principalement sous la coupe des partis juifs nationalistes orthodoxes – semblerait fournir une première explication aisée. Il convient de rappeler que ces derniers étaient plus prompts à défendre les colonisations illégales de Cisjordanie que soucieux de réengager le dialogue avec l’Autorité palestinienne et son chef, Mahmoud Abbas, même si ce dernier pâtit négativement de l’impossibilité à organiser une élection depuis 2006, à Ramallah.

Ce n’est, cependant, pas la seule raison explicative du grave fiasco sécuritaire et du drame que vivent les familles israéliennes endeuillées, même si indéniablement la responsabilité politique du Premier ministre israélien est ouvertement posée. Il en est de même pour celle de son ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, multi-inculpé, que même le président de la République, Isaac Herzog qualifiait « d’inquiétude » pour Israël. Il en va aussi avec le ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui a déclaré vouloir « éradiquer » le Hamas et le Djihad islamique et qui semble se placer dans les pas de son mentor en politique et au sein de Tsahal, Ariel Sharon.

Pour rappel, une grande majorité des Israéliens souhaitent que Benyamin Netanyahou démissionne et reconnaisse la légitimité du Cabinet de guerre mis en place le 11 octobre dernier, dans la grave période de crise que traverse Israël, associant le principal opposant de l’actuel Premier ministre, l’ancien ministre de la Défense, Benny Gantz. La perspective d’un gouvernement d’union nationale, réunissant les anciens Premiers ministres, Naftali Bennett et Yaïr Lapid, recueille aussi l’adhésion d’une large frange de l’opinion publique israélienne.

Par ailleurs, la pusillanimité des États européens – au premier titre desquels la France – qui s’étaient pourtant démenés en faveur de la « solution à deux États », de la Déclaration du Sommet de Venise en 1980, reconnaissant le « droit du peuple palestinien à l’autodétermination » ; la Conférence de Madrid, en 1991 ; les Accords d’Oslo en 1993, jusqu’au Plan de paix proposé par Riyad en 2002, n’en apparais que plus criante.

Une paix lointaine

La réunion du « Sommet de la paix » convoquée par l’Égypte, réunissant les États de la Ligue arabe, du Conseil de Coopération des États arabes du Golfe (CCG) de l’Union européenne, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, n’aura ainsi, logiquement, débouché que sur un narratif récurrent appelant à la solution – presque devenue mécanique – à deux États, un vague appel à la désescalade, ainsi que l’ouverture de corridors humanitaires que viennent, fort heureusement confirmer l’entrée à Gaza, par le terminal égyptien de Karm Abou Salem – Kerem Shalom et de Rafah de 28 camions d’aide humanitaire.

L’on en viendrait presque à se demander si ce « mantra » ou figure de style diplomatique des deux États, pourtant répétée inlassablement depuis 1947, le plus souvent dans le vide, au profit de deux populations devenues de plus en rétives à cohabiter dans un même État ou dans deux États séparés, même reconnus internationalement, reste encore possible ?

Le piège irrémédiablement tendu par la coalition hétéroclite des ennemis d’Israël se referme.

Qu’il s’agisse des mouvements terroristes réputés proches de l’idéologie radicale des Frères musulmans, tels que le Hamas et le Djihad islamique ; Daesh, et sa déclinaison égyptienne du mouvement Ansar Beït al-Maqdess, pour qui la libération de Jérusalem – Al Qods est consubstantielle de sa création ; ou encore, les « proxies » chiites, tels que le Hezbollah libanais, les milices Hachd al-Chaabi irakienne, les Houthis zaïdites yéménites, répondant ainsi aux injonctions de l’Iran, qui menace ainsi logiquement Tel-Aviv d’une réponse si Tsahal entrait dans Gaza.

Le Hamas, le Djihad islamique et ses promoteurs – parrains qu’ils soient à Ankara, Téhéran et Doha, ont d’emblée obtenus ce qu’ils cherchaient : démontrer la faillibilité du dispositif sécuritaire d’Israël d’une part et remettre en cause par ailleurs les acquis du processus de normalisation avec Israël.

Les Accords d’Abraham du 15 septembre et 20 décembre 2020 ne devraient ainsi pas voir aboutir le rêve d’un dialogue approfondi entre l’Arabie Saoudite et Israël, du moins dans les prochains mois, comme le confirme la fin de non-recevoir à cet effet, du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane.

Pire, l’initiative de sécurité et paix proposée par la Chine, qui avait vu Téhéran et Riyad reprendre à nos dépens et à notre surprise stratégique, leur dialogue diplomatique en mars dernier, risque de confirmer la « dé-occidentalisation » d’une éventuelle solution de stabilité régionale.

Le Président américain Joe Biden, en se déplaçant à Tel-Aviv et Jérusalem la semaine dernière, et en tenant de faire voter, au plus vite, dans un contexte politique tendu à la Chambre des Représentants, une aide exceptionnelle de 105 milliards de dollars (dont 14 milliards de dollars pour Israël, qui viendront s’ajouter aux 38 milliards de dollars d’aide militaire engagée par Barack Obama depuis 2017 jusque 2028, soit 3,8 milliards de dollars annuels) en a bien saisi le risque potentiel quoique bien réel.

Pour rappel, les États-Unis auraient le plus à perdre en cas de conflit régional, fragilisant le fragile statu quo militaire et diplomatique actuel, eu égard aux quelque 260 milliards de dollars octroyés par Washington à Tel-Aviv depuis 1948, dont 124 milliards de dollars, rien que sur le plan militaire !

Le risque d’un conflit régional est ainsi dans tous les esprits

Le Charles-de-Gaulle va ainsi rejoindre en Méditerranée orientale les deux porte-avions américains (USS Eisenhower et USS Ford) et ainsi « prévenir » le risque d’une escalade dont Téhéran et les groupes armés qu’il contrôle au Liban, Syrie, Irak et Yémen détiennent indiscutablement la clé. Téhéran est ainsi pointé d’un doigt accusateur, tant par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou que le président américain Joe Biden. Ce dernier se veut de plus en déterminé à démontrer la responsabilité iranienne derrière les attaques menées très récemment et de plus fréquemment par les milices chiites irakiennes Kataeb Hezbollah contre les bases américaines dans le nord-est de la Syrie et le nord-ouest de l’Irak.

Dans ce contexte hautement crisogène, la tournée d’Emmanuel Macron, effectuée entre Tel-Aviv, Ramallah et Le Caire n’aura, hélas, permis de retrouver les accents gaulliens de 1967, quand la France imposait sa voix au Conseil de sécurité pour la reconnaissance des deux États autour de la résolution 242. Emmanuel Macron n’aura ainsi pu retrouver, non plus, la verve chiraquienne de 1996, quand le Président de la République rappelait, avec force et vigueur, le rôle protecteur de la France sur les lieux saints dans la ville de Jérusalem.

Pire, notre Président de la République, en proposant une singulière coalition anti-Hamas, liée ou copiée sur la coalition mondiale contre l’État islamique (The Global Coalition Against Daesh, regroupant 86 États et organisations intergouvernementales et institutions) n’aura guère plus convaincu nos alliés arabes (Jordanie, Égypte, Liban, EAU, Arabie Saoudite) a contrario de l’épique prise de parole de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, le 14 février 2003, au Conseil de Sécurité des Nations Unies, quand la politique arabe de la France faisait les riches heures de notre diplomatie de prévention et de résolution des conflits. Il est vrai que l’accusation formulée par le roi de Jordanie, Abdallah II et son épouse Rania, quant aux « doubles standards » qui motiveraient le regard biaisé de « l’Occident » vis-à-vis de la question palestinienne, n’était pas formulée ni ressentie avec autant de prégnance, à Amman, à Beyrouth, à Rabat ou au Caire, il y a vingt ans.

Sans remonter jusqu’à Michel Jobert, qui comme ministre des Affaires étrangères de Georges Pompidou, dans les années 1970, portait haut une approche d’équilibre unanimement saluée par les capitales arabes comme par l’État d’Israël, force est hélas de constater que la politique arabe de la France ne fait plus écho, aujourd’hui, avec les doléances des principales capitales arabes et levantines. Pourtant, c’est dès 1974 que Valéry Giscard d’Estaing reconnaît l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), contribuant ainsi, le premier, à lui garantir son statut de membre observateur au sein de l’ONU.

Faut-il y ainsi voir dans l’incapacité française à imposer un cessez-le-feu, tout en reconnaissant le droit légitime d’Israël de se défendre ; en se réjouissant, malgré tout, des timides avancées sur le plan humanitaire que le déplacement présidentiel aura néanmoins permis d’obtenir, un assourdissant effet collatéral de l’effacement diplomatique occidental ?