La guerre d’Ukraine, révélateur de l’incompétence stratégique et du cynisme des dirigeants du système politico-médiatique européen

Situation en Ukraine le 9 octobre 2023 © Ministère des Armées

Situation en Ukraine le 9 octobre 2023 © Ministère des Armées


Billet du lundi 09 octobre 2023 rédigé par le Général Jean-Bernard Pinatel, Vice-président et membre fondateur de Geopragma.

The Economist[1]avec la lucidité et le cynisme légendaires des britanniques, prend acte de l’échec de la contre-offensive et commande à l’Union Européenne de se préparer à une guerre longue.

The Economist est un magazine d’actualité  britannique fondé en 1843 par James Wilson et détenu par la famille Agnelli avec une participation des familles Rothschild, Cadburry et Schroders. Il est considéré comme un des plus influents hebdomadaire dans le monde.

Il vient de publier, vendredi 22 septembre 2023 sous la plume de sa rédactrice en chef Zanny Minton Beddoes, un article intitulé « Time to a rethink » qui est un modèle du genre car il met fin à un an et demi de mensonges occidentaux sur une victoire rapide de l’Ukraine et appelle désormais à penser une guerre longue[2].

Le constat est amer mais lucide : « la contre-offensive ne fonctionne pas. Malgré les efforts héroïques et les violations des défenses russes près de Robotyne, l’Ukraine a libéré moins de 0,25% du territoire occupé par la Russie en juin. La ligne de front de 1000 km a à peine changé. L’armée ukrainienne pourrait encore faire une percée dans les prochaines semaines, déclenchant l’effondrement des forces russes fragiles. Mais d’après les données des trois derniers mois, ce serait une erreur de miser là-dessus ».

Tout ce que j’ai écrit et proclamé depuis 18 mois, me faisant qualifier de pro-russe, est inscrit noir sur blanc dans l’article de ce magazine britannique qui témoigne une fois de plus de l’acharnement historique de l’Angleterre à bâtir et à diriger des alliances contre la puissance dominante en Europe : Au XIXe siècle contre la France de Napoléon, au XXe contre l’Allemagne de Guillaume II et d’Hitler, aujourd’hui contre la Russie de Poutine.

The Economist suggère des réajustements pour ne pas dire une rupture totale avec ce qui est fait depuis 18 mois.

Je cite : « Le premier rajustement à faire est militaire. Les soldats ukrainiens sont épuisés ; bon nombre de leurs meilleurs soldats ont été tués. Malgré la conscription, il lui manque l’effectif nécessaire pour soutenir une contre-offensive permanente à grande échelle. Il faut trouver des moyens et changer la donne. »

Le second est économique : « L’économie ukrainienne a diminué d’un tiers et près de la moitié du budget de l’Ukraine est payée avec de l’argent occidental. Dans une étrange maladie hollandaise en temps de guerre, la devise, la hryvnia, s’est renforcée alors même que les investissements privés ont chuté. Avec environ 1 million de personnes portent les armes et des millions ayant fui le pays, les travailleurs sont rares ».

Le troisième est politique : « Pour cela, il faut un changement de mentalité en Europe, qui a engagé autant d’armes que l’Amérique et beaucoup plus d’aide financière. Pourtant, il faut aller plus loin. Si M. Trump gagne en 2024, il pourrait réduire l’aide militaire américaine. Même s’il perd, l’Europe devra finalement porter plus de fardeau. Cela signifie renforcer son industrie de la défense et réformer le processus décisionnel de l’UE afin qu’elle puisse gérer plus de membres ».

Ce qu’il y a de merveilleux avec les anglais qui ont fait le Brexit pour rejoindre le grand large et la communauté maritime des anglo-saxons, c’est qu’ils continuent sans aucune gêne à vouloir dicter sa conduite à l’Union européenne.

L’incompétence stratégique des dirigeants européens et de la majorité des médias.

« The Economist » vient de siffler la fin de cette tragique période où nos dirigeants et les journalistes ont ostracisé tous ceux qui essayaient de leur faire prendre conscience de la dure réalité de cette guerre et de l’impossible victoire ukrainienne.

En effet, le bilan de dix-huit mois de déclarations des dirigeants occidentaux et de commentaires des journalistes européens sur la guerre en Ukraine est accablant. A l’exception de quelques grands journaux américains comme le Washington post et le New-York Times, tout le système politico-médiatique occidental n’a fait que délivrer des analyses erronées sur ce conflit et son contexte international en occultant ou en minimisant les faits déterminants qui conditionnent, depuis son origine, l’issue de cette guerre[3].

Quand la Russie est entrée en guerre en février 2022 pour défendre ce que Vladimir Poutine estimait être les « intérêts essentiels » de son pays, nos dirigeants et nos médias n’ont fait que sous-estimer la Russie et surestimer nos capacités militaires et économiques à la mettre à genoux et à emporter une victoire rapide contre Moscou. Et quand les faits ont révélé leurs erreurs, le système politico-médiatique, à quelques exceptions près que j’ai déjà soulignées, a décidé sciemment ou non de désinformer les populations européennes et, plus grave encore, les courageux soldats ukrainiens qui sacrifient leurs vies par centaines de milliers pour remporter la victoire qu’on leur promet mais qui est stratégiquement impossible.

En effet, un fait stratégique déterminant a conditionné toute la stratégie d’aide américaine à l’Ukraine. Depuis 1945, cette guerre est la première menée à ses frontières par la 1ère ou 2ème puissance nucléaire du monde en proclamant qu’elle agit parce que ses intérêts essentiels sont en jeux. C’est-à-dire, comme le prévoit sa doctrine militaire, la Russie se réserve le droit, si ses intérêts essentiels étaient menacés par une force classique (la contre-offensive ukrainienne par exemple), d’utiliser ses armes nucléaires non stratégiques. Fait essentiel qu’ont balayé d’un revers de la main tous les journalistes et consultants des plateaux TV, alors qu’il a conditionné toute la stratégie d’aide militaire américaine au régime de Kiev car au Pentagone le risque d’escalade nucléaire est pris au sérieux et personne n’est prêt à risquer Washington pour Kiev ou Varsovie.  

J’ai listé tous les faits qui en apportent la preuve depuis mars 2022 dans plusieurs analyses[4]. Et qui se résume comme me l’a déclaré un général américain : « we give Ukraine enough to survive but not enough to win », prouvant que le but de guerre des stratèges du Pentagone n’est pas la victoire qu’ils savent impossible, à moins d’accepter le risque d’un holocauste nucléaire, mais de bâtir un mur de haine entre l’Ouest et l’Est du continent européen pour affaiblir à la fois la Russie et l’Union européenne afin de  pouvoir concentrer leurs forces pour contrer la montée de la puissance chinoise.

Nos états-majors ont aussi sous-estimé la capacité d’adaptation de l’armée russe à cette guerre hybride nouvelle[5]. Mais les hommes politiques de Washington et le chef d’état-major américain le général Mark Milley, à l’image de Colin Powell en 2003, n’ont fait que mentir au monde entier notamment en surestimant les pertes russes.

Il a fallu l’intervention, le 3 mai 2023, 14 mois après le début de la guerre, du général Christopher Cavoli, commandant en chef de l’OTAN (the commander of US European Command) devant la commission des forces armées de la Chambre des représentants[6] (« the House Armed Services Committee ») pour rétablir la vérité : « The Russian ground force has been degenerated somewhat by this conflict, although it is bigger today than it was at the beginning of the conflict.”  “The Air Force has lost very little, they’ve lost 80 planes. They have another 1,000 fighters and fighter bombers,” “The Navy has lost one ship.”

Rappel de la litanie des promesses de victoire des dirigeants occidentaux qui, prenant leurs désirs pour la réalité, ont envoyé à la mort des centaines de milliers de jeunes ukrainiens.

La liste des déclarations qui surestiment notre capacité à faire plier la Russie est impressionnante.

La palme en revient à Bruno Lemaire.  Dès le 28 février 2002, il se précipite sur France info pour déclarer que la France et l’Union européenne allaient « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie », dans l’objectif assumé de « provoquer l’effondrement de l’économie russe ». « Le rapport de force économique et financier est totalement en faveur de l’Union européenne, qui est en train de découvrir sa puissance économiqueNous visons Vladimir Poutine, nous visons les oligarques, mais nous visons aussi toute l’économie russe. »  Sous-estimation aussi sur l’impact des sanctions sur l’économie européenne, le ministre a reconnu que « l’Europe aura peut-être un peu plus d’inflation, parce que peut-être que les prix du gaz vont un peu augmenter ». Alors qu’une simple étude des chiffres 2021 publiées par British Petroleum montrait que l’UE ne pouvait pas se passer de gaz russe[7].

Par méconnaissance historique ou par arrogance, les dirigeants occidentaux ont mésestimé la résilience de l’économie et du peuple russe ainsi que de son soutien à Vladimir Poutine qui lui a redonné sa fierté et une relative aisance économique après les années noires de la décennie 90.  

Les déclarations des grands dirigeants occidentaux ont atteint des sommets d’irresponsabilité vis-à-vis des Ukrainiens en leur promettant la victoire, les incitant ainsi sans relâche à sacrifier leur vie pour une victoire que je savais impossible.

En Mai 2022, la belliciste Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre des représentants, avant le vote d’une rallonge budgétaire de 40 milliards de dollars (une année de PIB Ukrainien) déclarait : « Avec ce programme d’aide, l’Amérique envoie au monde entier le signal de notre détermination inébranlable à soutenir le peuple courageux d’Ukraine jusqu’à la victoire »[8] 

Le second est évidemment le premier ministre britannique Boris Johnson qui affirme le 1er juillet 2022 : « Le Royaume-Uni est avec vous et sera avec vous jusqu’à la victoire. »[9]

Le Président Macron y est allé aussi de sa déclaration guerrière en déclarant aux ukrainiens le 1er janvier 2023 : « nous vous aiderons jusqu’à la victoire [10]. »

Toutes ces déclarations sont d’un cynisme effrayant envers le peuple ukrainien et ses héroïques soldats car pas un vrai spécialiste de l’intelligence stratégique ne pouvait ignorer que la victoire de la contre-offensive ukrainienne était impossible avec le volume de forces engagée face à une armée russe retranchée, bénéficiant d’une supériorité aérienne quasi-totale, d’une puissance de feu terrestre trois fois supérieure et disposant du feu nucléaire si le hasard des combats amenait les ukrainiens contre toute logique à percer le dispositif russe et à menacer la Crimée.

Les britanniques à l’Union européenne : pas de négociations et préparez-vous pour une « guerre longue. »

Désormais, après dix-huit mois de guerre, le bilan est accablant.

Des voix s’élèvent aux Etats-Unis pour l’ouverture de négociations constatant que le temps et la logistique jouent contre l’Ukraine[11] : « Les chances d’un règlement favorable pour l’Ukraine disparaissent en raison du retard dans les armements et la mobilisation de la main-d’œuvre. Le zénith de l’aide de l’Ukraine est passé, et il ne sera pas égalé dans les mois et les années à venir. La possibilité d’une paix négociée ou même d’un cessez-le-feu à des conditions favorables à l’Ukraine deviendra plus improbable à mesure que l’avantage de la Russie sur le champ de bataille augmentera. »

Un exemple parmi beaucoup d’autres de l’incapacité logistique américaine et européenne à soutenir cette guerre est fournie par l’International Institute For Strategic Studies (IISS)[12]  : « La Russie et l’Ukraine ont parfois tiré collectivement quelque 200000 obus d’artillerie par semaine. Pourtant, la production américaine totale d’obus de 155 mm tourne actuellement à environ 20000 par mois, et n’atteindra que 90000 par mois en 2024, après un récent investissement de 2 milliards de dollars de l’armée américaine. Selon les médias, les jeux de guerre ont montré que dans un conflit de grande intensité, le Royaume-Uni épuiserait ses stocks de munitions en seulement huit jours. Les médias allemands ont suggéré en 2022 que les actions de la Bundeswehr dureraient entre quelques heures et quelques jours dans un tel conflit. ».

Evaluation confirmée par le « Center for Strategic and International Studies (CSIS) » de Washington : « Même si le Pentagone atteint son objectif déclaré de fabriquer 90000 obus par mois d’ici 2024, il ne représente encore que la moitié du niveau de production actuel de la Russie. » 

Quant à la livraison des F-16, les pilotes français qui ont volé sur ces avions américains et sur les Mig29, estiment qu’il faudra au moins deux à trois ans d’entrainement avant de pouvoir être efficaces sur le champ de bataille et rivaliser avec les Russes.

Mais pour The Economist et les britanniques qui se sont retirés de l’Union européenne il ne faut pas négocier avec Poutine et se « préparer à une guerre longue ». Avec son cynisme légendaire la Grande-Bretagne demande à l’Union européenne d’en porter le principal poids sans un mot pour les ukrainiens qui continueront d’en payer le prix du sang et pour les européens qui en subiront les conséquences économiques :

« Trop de conversations sur l’Ukraine reposent sur la fin de la guerre. Il faut que cela change. Priez pour une victoire rapide, mais prévoyez une longue lutte, et une Ukraine qui peut néanmoins survivre et prospérer. » « Pour cela, il faut un changement de mentalité en Europe, qui a engagé autant d’armes que l’Amérique et beaucoup plus d’aide financière. Pourtant, il faut aller plus loin. Si M. Trump gagne en 2024, il pourrait réduire l’aide militaire américaine. Même s’il perd, l’Europe devra finalement porter plus de fardeau. Cela signifie renforcer son industrie de la défense et réformer le processus décisionnel de l’UE afin qu’elle puisse gérer plus de membres. [13]»

Sans commentaire !


[1] https://www.economist.com/leaders/2023/09/21/ukraine-faces-a-long-war-a-change-of-course-is-needed

[2] Je traiterai dans une autre analyse ce que nous recommandent de faire nos chers amis britanniques sur l’air d’ « armons-nous et partez »

[3] Cette volonté de tromper la Russie, l’Ukraine et la population de l’Union européenne n’a malheureusement pas pour origine l’agression russe de février 2022. Dès 2014 les signataires des accords de Minsk2 (qui préservaient à la fois les intérêts sécuritaires de la Russie et l’intégrité du territoire ukrainien), n’ont été signés du coté occidental que dans le but de disposer des délais nécessaires pour bâtir une armée ukrainienne capable d’écraser le Donbass et reprendre la Crimée, comme l’ont révélé deux des garants de cet accord François Hollande et Angela Merkel. Ces deux dirigeants resteront devant l’histoire comme les premiers responsables des centaines de milliers de morts de cette guerre fratricide.

[4] Quand début mars2022, Zelensky a demandé à l’OTAN d’instaurer au-dessus de l’Ukraine une zone d’exclusion aérienne, c’est à Washington qu’on lui a répondu en lui disant qu’il n’en était pas question, les Etats-Unis pour lesquels l’Ukraine n’est pas un intérêt vital ne voulaient pas prendre le risque que les pilotes des deux premières puissances nucléaires s’affrontent dans le ciel ukrainien avec les risques d’escalade que cela implique. Quand un missile S300 est tombé en Pologne, Zelenski s’est précipité pour dire que c’est un missile Russe, démenti immédiatement par le Pentagone. Quand le 23 janvier 2023, Biden a annoncé l’envoi de 31Abrams, il a précisé que c’était des armes défensives, Chars toujours pas livrés à l’Ukraine 9 mois plus tard

[5] Hybride car elle emprunte des modes d’action aux deux guerres mondiales et qu’elle intègre les nouvelles capacités modernes de la guerre (satellites, GPS, drones, cyber-attaques, etc.)

[6] https://edition.cnn.com/2023/04/26/politics/russia-forces-ukraine-war-cavoli/index.html

[7] La production mondiale de gaz en 2021 était de l’ordre de 4038 milliards de m3, les exportations mondiales de 522 milliards (environ le huitième) dont 227 milliards provenaient de la Russie (soit 44%), l’Europe en a importé en 2021 361 milliards de m3(soit 69 % des exportations mondiales). Le reste du monde hors Russie en a exporté 295 milliards de m3. Si l’UE arrivait à capter tout ce gaz hors Russie, il lui en manquerait encore 361-295= 66 milliards soit 18%. Et l’Amérique du Nord que l’on nous a dit capable de remplacer le gaz russe n’en avait exporté que 2 milliards de m3 en 2021.

[8] https://www.lemonde.fr/international/live/2022/05/11/guerre-en-ukraine-en-direct-les-etats-unis-s-appretent-a-debloquer-40-milliards-de-dollars-supplementaires-pour-l-ukraine_6125423_3210.html

[9] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/01/guerre-en-ukraine-le-soutien-de-boris-johnson-et-de-son-gouvernement-a-kiev-est-sincere-est-sans-ambiguite_6133022_3210.html

[10] https://www.bfmtv.com/politique/elysee/nous-vous-aiderons-jusqu-a-la-victoire-le-message-d-emmanuel-macron-aux-ukrainiens_AD-202212310256.html

[11] https://nationalinterest.org/feature/time-and-logistics-are-working-against-ukraine-206740

[12] https://www.iiss.org/online-analysis/survival-online/2023/06/the-guns-of-europe-defence-industrial-challenges-in-a-time-of-war/

[13] Ibid

Les enseignements militaires de la guerre de Gaza (2014) par Michel Goya

Les enseignements militaires de la guerre de Gaza (2014)

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 9 octobre 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/2021/05/les-enseignements-militaires-de-la.html


Le conflit de 2014 survient alors que le Hamas est en grande difficulté après avoir perdu l’appui de ses sponsors syrien et iranien pour avoir condamné le régime d’Assad et surtout égyptien après le départ des Frères musulmans en juillet 2013. La circulation souterraine avec l’Égypte est coupée et le blocus, un temps desserré, est à nouveau hermétique. Les revenus du Hamas dans Gaza sont divisés par deux en quelques mois. Le mouvement tente alors de renouer avec le Fatah avec qui il signe un accord en avril 2014, ce qui déplaît fortement au gouvernement israélien qui décide d’une nouvelle guerre.

Le 12 juin, le meurtre de trois adolescents israéliens, qui succède à celui de deux adolescents palestiniens un mois plus tôt, provoque l’arrestation de centaines de suspects pour la plupart membre du Hamas, qui nie toute implication. Les mouvements palestiniens les plus durs comme le Djihad islamique, ripostent par des tirs de roquettes qui provoquent eux-mêmes des raids de représailles. Le gouvernement israélien, poussé par son aile radicale, saisit l’occasion de lancer une nouvelle campagne croyant rééditer le succès de Pilier de défense en 2012. Mais cette fois le Hamas est prêt à un affrontement de longue durée dans l’espoir d’obtenir une réaction internationale et la fin du blocus. Cet affrontement commence le 8 juillet et dure jusqu’au 26 août 2014. L’opération israélienne est baptisée Bordure protectrice.

D’un point de vue tactique, cette opération se distingue avant tout des précédentes par un taux de pertes des forces terrestres israéliennes singulièrement élevé. L’armée de terre israélienne a ainsi déploré la perte de 66 soldats en 49 jours de combat contre deux lors de l’opération Pilier de défense en 2012 (7 jours) et 10 lors des 22 jours de l’opération Plomb durci en 2008-2009. Ces pertes israéliennes se rapprochent de celles subies lors de la guerre de 2006 contre le Hezbollah (119 morts pour 33 jours de combat), alors considérée comme un échec. Elles sont à comparer à celles de leurs ennemis, de l’ordre de 90 combattants palestiniens tués contre aucun Israélien en 2012, mais selon un ratio de 40 à 70 contre 1 pour Plomb durci et de 6 à 10 contre 1 pour Bordure protectrice. Tsahal perd également une dizaine de véhicules de combat en 2014 contre aucun en 2008.

Cette singularité s’explique essentiellement par les innovations opératives et tactiques des brigades al-Qassam, contrastant avec la rigidité du concept opérationnel israélien d’emploi des forces qui, lui, n’a guère évolué. Ces innovations ont permis aux forces du Hamas, à l’instar du Hezbollah et peut-être de l’État islamique, de franchir un seuil qualitatif et d’accéder au statut de « techno-guérilla » ou de « force hybride ». Cette évolution trouve son origine dans les solutions apportées par le Hamas à son incapacité à franchir la barrière de défense qui entoure le territoire de Gaza pour agir dans le territoire israélien.

L’arsenal impuissant

La première phase de la guerre ressemble aux précédentes. Grâce à l’aide de l’Iran, le Hamas a développé sa force de frappe. Sur un total de 6 000 projectiles, fabriqués sur place ou entrés en contrebande, le Hamas dispose d’environ 450 Grad, de 400 M-75 et Fajr 5 (80 km de portée) et surtout de quelques dizaines de M-302 ou R-160 susceptibles de frapper à plus de 150 km, c’est-à-dire sur la majeure partie du territoire israélien. Le Djihad islamique dispose de son côté de 3 000 roquettes, moins sophistiquées, et les autres groupes, Front populaire et démocratique de libération de la Palestine (FDLP) ou des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa de quelques centaines.

À l’imitation du Hezbollah et toujours avec l’aide de l’Iran, les Brigades al-Qassam se sont dotées également d’une petite flotte de drones Abadil 1, dont certains ont été transformés en « bombes volantes ». Hormis ces derniers moyens, l’ensemble reste cependant de faible précision et condamné à un emploi majoritairement anti-cités. Il est utilisé immédiatement, mais finalement avec encore moins d’effet que lors des campagnes précédentes. Au total, en 49 jours, 4 400 roquettes et obus de mortiers sont lancés sur Israël causant la mort de 7 civils, soit un ratio de 626 projectiles pour une victime, trois fois plus qu’en 2008-2009. L’emploi des drones explosifs par le Hamas se révèle également un échec, les deux engins lancés, le 14 et le 17 juillet, ayant été rapidement détruits, l’un par un missile anti-aérien MIM-104 Patriot et l’autre par la chasse.

Si les destructions sont très limitées, les effets indirects sont plus sensibles. L’économie et la vie courante sont perturbées par la menace des roquettes comme jamais sans doute auparavant, jusque sur l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv qui doit arrêter son activité pendant deux jours. Il n’y a cependant rien dans cette menace qui puisse paralyser le pays. Plus que jamais, l’artillerie à longue portée du Hamas est une arme de pression et un diffuseur de stress (le nombre des admissions hospitalières pour stress est très supérieur à celui des blessés) plutôt qu’une arme de destruction. Elle constitue surtout le symbole de la résistance du Hamas, et de ses alliés. D’un autre côté, bien que faisant 200 fois moins de victimes civiles que les raids aériens, elles peuvent par leur destination uniquement anti-cités être qualifiées par les Israéliens d’« armes terroristes » et justifier le « besoin de sécurité » d’Israël aux yeux du monde extérieur.

Cette inefficacité des frappes du Hamas s’explique d’abord par leur imprécision, réduisant le nombre de roquettes réellement dangereuses à environ 800 mais aussi par la combinaison des mesures de protection civile israélienne et du système d’interception Dôme de fer officiellement crédité de 88 % de coups au but. Si ce chiffre est contesté, il n’en demeure pas moins que ce système très sophistiqué a démontré là son efficacité, surtout contre les projectiles à longue portée, sinon son efficience au regard de son coût d’emploi, estimé à entre 40 000 et 90 000 dollars pour chaque interception d’un projectile.

La force de frappe anti-cités

De son côté, comme dans les opérations précédentes, Israël a utilisé sa force aérienne et son artillerie pour frapper l’ensemble de la bande de Gaza pour, comme dans les opérations précédentes, affaiblir l’instrument militaire du Hamas, en particulier ses capacités d’agression du territoire israélien. De manière moins avouée, il s’agit aussi de faire pression sur la population pour qu’elle se retourne contre le gouvernement du Hamas qui est lui-même frappé. À défaut de les détruire, il s’agit, encore une fois, de faire pression simultanément sur les trois pôles de la trinité clausewitzienne. 

Le premier objectif n’est que très modestement atteint. Le nombre total de frappes a représenté le double de celui de Plomb durci, soit environ 5 000, pour des pertes estimées de combattants palestiniens sensiblement équivalentes. Sachant que ces pertes sont aussi pour une grande part, et bien plus qu’en 2008, le fait des forces terrestres, il est incontestable que l’impact de la campagne de frappes sur les capacités militaires du Hamas a été plus faible que lors des opérations précédentes. Si quelques leaders du mouvement palestinien ont été tués comme Mohammed Abou Shmallah, Mohammed Barhoum et surtout Raed al Atar, les tirs de roquettes n’ont jamais cessé et la capacité de combat rapproché a été peu affectée.

Cette inefficacité est essentiellement le fait de l’adoption par le Hamas de procédés de furtivité et de protection terrestre plus efficaces. Plus les Israéliens dominent dans les « espaces fluides » et plus le Hamas densifie et fortifie son « espace solide » pour faire face aux raids de toutes sortes, aériens ou terrestres. Par leurs propriétés physiques et juridiques, murs et populations civiles sont de grands diviseurs de puissance de feu. Avec le temps, le Hamas, comme le Hezbollah au Sud-Liban, y a encore ajouté une infrastructure souterraine baptisée « Gaza sous Gaza » qui protège les centres de commandement du Hamas, ses stocks et une partie de ses combattants, répartis en secteurs autonomes de défense bien organisés. À la domination israélienne dans les airs répond par inversion l’emploi de la 3e dimension souterraine, déjà utilisée pour contourner le blocus et se ravitailler par le Sinaï égyptien.

Cette tactique inversée se retrouve aussi lorsqu’il s’agit de combattre à l’air libre. Aux complexes de reconnaissance-frappes israéliens sophistiqués, et donc couteux et rares, répond l’emploi de lance-roquettes peu onéreux et abondants, souvent employés de manière automatique pour que les servants ne soient pas frappés. L’armée de l’air et l’artillerie israéliennes peuvent se targuer de repérer les tirs très vite, grâce à la surveillance permanente de drones ou de ballons, et de frapper les sites d’origine en quelques minutes, voire quelques secondes, prouesse technique remarquable mais de finalement peu d’intérêt.

L’efficacité militaire des frappes israéliennes massives dépend aussi beaucoup de la surprise. Cela a été le cas en partie en 2008 et plus encore en 2012, et les principales pertes ennemies ont eu lieu les premiers jours. Ce n’est plus du tout le cas en juillet 2014 puisque les frappes avaient déjà commencé ponctuellement en juin. Lorsque la campagne commence véritablement, il n’y a plus de combattants du Hamas visibles dans les rues de Gaza.

Le deuxième objectif, faire pression sur la population dans son ensemble pour, indirectement, imposer sa volonté au « gouvernement » du Hamas, est toujours aussi moralement et opérationnellement problématique. Outre les 1 300 à 1 700 victimes civiles et les dizaines de milliers de blessés, plus de 11 000 habitations ont été détruites et presque 500 000 personnes, un tiers de la population, ont été déplacées. Les systèmes d’alimentation en eau et en électricité ont été détruits. Si le lien entre ces actions sur la population et la haine que celle-ci peut porter à Israël est évident et si la dégradation à l’étranger de la légitimité du combat d’Israël ou simplement de son image est établie, on ne voit pas très bien en revanche la corrélation entre cette action sur la population et les décisions du Hamas. Si des mouvements de colère ont pu être constatés contre le Hamas, en particulier lorsque des trêves ont été rompues par lui à la fin du conflit, il n’est pas du tout évident que le Hamas sorte politiquement affaibli de ce conflit.

Au bilan, on peut s’interroger sur la persistance, dans les deux camps, de l’emploi de frappes à distance qui touchent essentiellement la population, emploi qui s’avère à la fois moralement condamnable et d’une faible efficacité. La réponse réside probablement dans les capacités défensives de chacun des deux camps qui inhibent les attaques terrestres. Comme les premiers raids de bombardement britanniques sur l’Allemagne en 1940, largement inefficaces, lancer des roquettes ou des raids aériens apparaît comme la seule manière de montrer que l’« on fait quelque chose », avec ce piège logique que si l’un des camps frappe, l’autre se sent obligé de l’imiter puisqu’il peut le faire. Le message vis-à-vis de sa propre population l’emporte sur celui destiné à l’étranger.

Cet équilibre de l’impuissance a cependant été modifié par le développement par le Hamas de nouvelles capacités d’agression du territoire israélien par le sol. Faire face à ces innovations imposait cependant de pénétrer à l’intérieur des zones les plus densément peuplées de Gaza et de revenir à une forme de duel clausewitzien entre forces armées.

La nouvelle armée du Hamas

De 2012 à 2014, toujours grâce à l’aide de ses sponsors, le Hamas se dote de moyens de frappe directe jusqu’à des distances de plusieurs kilomètres. Des missiles antichars AT-4 Fagot (2 500 m de portée), AT-5 Spandrel (4 000 m) et surtout des modernes AT-14 Kornet (5 500 m), provenant principalement de Libye via l’Égypte de l’époque des Frères musulmans, ont été identifiés, de même que des fusils de tireurs d’élite à grande distance (Steyr. 50 de 12,7 mm). Ces armes constituent une artillerie légère à tir direct qui permet d’harceler les forces israéliennes le long de la frontière.

Le Hamas développe également des capacités de raids à l’intérieur du territoire israélien contournant la barrière défensive. Une unité de 15 hommes a été formée à l’emploi de parapentes motorisés pour passer au-dessus du mur (elle ne sera pas engagée), des équipes de plongeurs sont destinées à débarquer sur les plages, surtout une quarantaine de tunnels offensifs ont été construits dont certains approchent trois kilomètres de long. Ces tunnels offensifs sont à distinguer des galeries destinées à contourner le blocus pour s’approvisionner en Égypte et qui avaient constitué un objectif prioritaire de l’opération Plomb durci. Il s’agit au contraire d’ouvrages bétonnés, placés entre dix et trente mètres sous la surface et longs de plusieurs kilomètres. Certains sont équipés de systèmes de rails et wagonnets.

Le premier des six raids du Hamas en territoire israélien a lieu le 17 juillet. Un commando de treize combattants palestiniens, infiltré par un tunnel, attaque un kibboutz situé près de la frontière. C’est la première attaque de la sorte contre Israël, qui ne provoque pas de pertes civiles mais suscite une grande surprise et donc une forte émotion dans la population. Au bilan, les quatre raids souterrains ne parviennent pas à pénétrer dans les cités israéliennes mais ils permettent de surprendre par deux fois des unités de combat israéliennes et leur infligeant au total onze tués et douze blessés, soit déjà plus que pendant les trois semaines de l’opération Plomb durci. Les deux raids amphibies, en revanche, décelés avant d’arriver sur les plages sont détruits sans avoir obtenu le moindre effet.

À ces nouvelles armes et ces capacités de raids, la troisième innovation du Hamas et mauvaise surprise pour Tsahal réside dans la professionnalisation de son infanterie, de bien meilleure qualité que lors des combats de 2008. À la manière du Hezbollah, les 10 000 combattants permanents du Hamas, auxquels il faut ajouter autant de combattants occasionnels et de miliciens des autres mouvements, sont structurés en unités autonomes combattant chacune dans un secteur donné et organisé. Les axes de pénétration, par ailleurs généralement trop étroits pour les véhicules les plus lourds, ont été minés dès le début des hostilités selon des plans préétablis et des zones d’embuscade ont été organisées. Des emplacements de tirs (trous dans les murs) et des galeries ont été aménagés dans les habitations de façon à pouvoir combattre et se déplacer entre elles en apparaissant le moins possible à l’air libre. Le combat est alors mené en combinant l’action en essaim de groupes de combat d’infanterie et celui des tireurs d’élite/tireurs RPG ou, plus difficile dans le contexte urbain dense, de celui des missiles antichars. Dans tous les cas, la priorité est d’infliger des pertes humaines plutôt que de tenir du terrain ou de détruire des véhicules.

Le retour du duel

La nouvelle menace des raids palestiniens et la pression populaire qu’elle induit obligent le gouvernement à ordonner l’engagement des forces terrestres, sur une bande d’un kilomètre de profondeur, pour repérer et détruire les tunnels permettant aux combattants du Hamas de s’infiltrer en Israël. Dans la nuit du 17 juillet, les brigades de la division de Gaza, 401e Brigade blindée, Golani, Nahal et Parachutiste déployées le long de la frontière commencent leurs actions de destruction des sites de lancement de roquettes et surtout du réseau souterrain, en particulier à proximité de la frontière Nord et Nord-Est. La mission est donc très similaire à celle de l’opération Plomb durci.

Comme en 2008, les Israéliens forment des groupements tactiques très lourds avec une capacité de détection accrue pour déceler les entrées de tunnel, par les airs et les senseurs optiques, phoniques, sismiques et infrarouges. Les véhicules lourds Namer sont beaucoup plus présents qu’en 2008, les Merkava sont dotés du système Trophy, qui associe un radar avec antennes pour déceler l’arrivée de projectiles, un calculateur de tir et des mini-tourelles pour tirer des leurres ou des salves de chevrotines. Le système, très couteux, semble avoir prouvé son efficacité. Dans les zones ainsi ouvertes, les tunnels découverts sont soit livrés aux frappes de bombes guidées soit, plus généralement, pénétrés et détruits à l’explosif par les groupes de l’unité spéciale du génie Hevzek. Au sol et en sous-sol, le génie israélien utilise pour la première fois à cette échelle des robots de reconnaissance, comme le Foster Miller Talon-4 armé d’un fusil-mitrailleur court. Ces robots sauvent incontestablement plusieurs vies israéliennes.

Ces opérations rencontrent une forte résistance qui occasionne des pertes sensibles aux forces israéliennes. Contrairement à l’opération Plomb durci de 2008-2009 où elles s’étaient contentées de pénétrer dans les espaces les plus ouverts de la bande de Gaza dans ce qui ressemblait surtout à une démonstration de force, les unités israéliennes ont été contraintes cette fois d’agir dans les zones confinées et densément peuplées de la banlieue de Gaza ville, beaucoup plus favorables au défenseur.

Les combats y sont d’une intensité inconnue depuis la guerre de 2006. Au moins cinq sapeurs israéliens auraient été tués dans les tunnels, quatre autres en conduisant des bulldozers D-9. Le 19 juillet, une section de la brigade Golani est canalisée vers une zone d’embuscade où elle perd sept hommes dans la destruction d’un véhicule M113 par une roquette RPG-29. Six autres soldats israéliens sont tués aux alentours dans cette seule journée qui s’avère ainsi plus meurtrière pour Tsahal que les deux opérations Plomb durci et Pilier de défense réunies. Cinq hommes tombent encore le lendemain dans le quartier de Tuffah, en grande partie par l’explosion de mines. Le 22 juillet, deux commandants de compagnies de chars sont abattus par des snipers. Le 1er août, un combattant suicide sortant d’un tunnel parvient à se faire exploser au milieu d’un groupe de soldats israéliens en tuant trois. Le nombre de tués et blessés de la seule brigade Golani s’élève à plus de 150 dont son commandant, renouant avec la tradition israélienne du chef au contact. Les pertes des Palestiniens sont nettement supérieures mais certainement pas dans le rapport de 10 pour 1 revendiqué par Tsahal.

Dans ce contexte d’imbrication et alors que la population civile est souvent à proximité, la mise en œuvre des appuis est difficile. Les hélicoptères d’attaque peuvent tirer sur la presque totalité de la zone d’action des forces d’attaque mais les combattants palestiniens sont peu visibles depuis le ciel. Les appuis indirects présentent toujours le risque de frapper la population, ce qui est survenu le 20 juillet lorsque plusieurs obus tuent peut-être 70 Palestiniens et en blessent 400 autres, pour la très grande majorité des civils, ce qui provoque une forte émotion.

Le 1er août, l’annonce de la capture d’un soldat israélien près de Rafah, démentie par la suite, suscite une forte émotion en Israël et des scènes de liesse dans les rues de Gaza, témoignant de l’importance stratégique des prisonniers. Tsahal ne voulait absolument pas renouveler l’expérience du soldat Guilad Shalit capturé en juin 2006 et finalement libéré cinq ans plus tard en échange de 1 000 prisonniers palestiniens. Une opération de récupération est immédiatement lancée.

Au bilan, les Israéliens revendiquent la destruction de 34 tunnels dont la totalité des tunnels offensifs et de plusieurs zones de lancement de roquettes, réduisant, avec l’action aérienne, le nombre de tirs de moitié, ainsi que la mort de centaines de combattants du Hamas. La menace jugée principale est ainsi considérée comme éliminée et l’armée israélienne a montré sa capacité tactique à pénétrer à l’intérieur de défenses urbaines très organisées et sa résilience en acceptant les pertes inévitables de ce type de combat, surtout face à une infanterie ennemie déterminée et compétente. Ces pertes, qui, par jour d’engagement au sol, sont de l’ordre de grandeur de celles infligées par le Hezbollah en 2006 constituent les plus importantes jamais infligées par des Palestiniens, y compris l’armée de l’Organisation de libération de la Palestine occupant le Sud-Liban en 1982. À cette époque, l’armée de l’OLP avait été détruite. Cette fois, le potentiel de combat du Hamas et sa volonté ne sont pas sérieusement entamés. Après dix-huit jours d’offensive terrestre et alors que l’opinion publique est, malgré les pertes, favorable à 82 % à sa poursuite, le gouvernement israélien y renonce, reculant devant l’effort considérable nécessaire pour détruire complètement le Hamas et la perspective d’être peut-être obligé de réoccuper la zone. Le 3 août, les forces terrestres israéliennes se retirent de la bande de Gaza après l’annonce que la mission de destruction des tunnels est remplie. À la fin de la phase terrestre, les capacités offensives du Hamas sont considérées comme détruites ou neutralisées. Du 3 au 5 août, les forces terrestres israéliennes sortent de la bande de Gaza.

L’armée des ondes

Comme à chaque fois, les combats sur le terrain se doublent de combats sur tous les champs possibles de communication. Il s’agit peut-être là du champ de bataille principal pour au moins le Hamas dont l’objectif principal est d’obliger Israël à, au moins, desserrer le blocus autour de Gaza. Outre la chaîne de télévision Al-Aqsa TV, créée en 2006, et son site Internet en langue arabe, le Hamas utilise tous les réseaux sociaux, caisse de résonance nouvelle depuis 2008, pour diffuser des images des souffrances de la population et justifier son action. Ils trouvent des relais nombreux dans le monde arabe et les populations musulmanes des pays occidentaux. Une guérilla électronique est lancée contre les sites de l’administration israélienne, sans grand succès il est vrai, tant la disproportion des forces est encore grande avec Israël dans cet espace de bataille.

L’armée israélienne est désormais la plus performante au monde en matière de communication autour des combats. Son armée numérique, renforcée de milliers de jeunes réservistes, occupe et abreuve Facebook, Instagram, Flickr ou encore YouTube. Sur Twitter, elle poste des messages dans plusieurs langues. Les espaces de débats sont saturés de milliers de messages favorables, parfois générés à l’identique par des robots. Sur le fond, les messages sont toujours les mêmes à destination d’abord de la population israélienne, qu’il faut rassurer et assurer de l’issue de la guerre ; de l’opinion internationale ensuite pour qu’elle prenne parti et de l’ennemi enfin et secondairement en espérant contribuer encore à faire pression sur lui. Les combattants palestiniens ne sont jamais qualifiés autrement, et avec de bonnes raisons, que de « terroristes », une manière de les disqualifier bien sûr mais aussi de rappeler que le Hamas est sur la liste officielle des organisations terroristes, entre autres, des États-Unis et de l’Union européenne. S’il est difficile, contrairement au Hamas, de montrer des images de victimes, on insiste sur le fait que les roquettes tirées depuis Gaza visent majoritairement et sciemment des civils. Il s’agit donc là d’un acte terroriste prémédité, alors que l’armée de l’air israélienne prend soin au contraire d’avertir par sirène (avec ce paradoxe que c’est désormais l’agresseur qui alerte de l’attaque) de l’attaque imminente. Si des civils sont tués à Gaza cela relève de l’entière responsabilité du Hamas qui les utilise comme boucliers humains.

Sur le fond, cette communication bien rodée ne peut masquer longtemps la dissymétrie numérique des souffrances des populations concernées de l’ordre de 250 Palestiniens tués pour 1 Israélien. Elle peine à expliquer des bavures manifestes comme lorsque le 16 juillet quatre enfants sont tués sur une plage par deux tirs successifs. Mais à court terme, cela importe peu, les émotions des opinions publiques ne changent pas le soutien diplomatique des pays occidentaux, les États-Unis en premier lieu, qui ont tous réaffirmé le « droit d’Israël à se défendre » et ensuite seulement leur « préoccupation vis-à-vis des pertes civiles ». À long terme, la dégradation de l’image d’Israël se poursuit mais à court terme, le soutien américain reste ferme. Le contexte diplomatique est même encore plus favorable à Israël qu’en 2008 et le Hamas ne parvient pas à susciter suffisamment d’indignation pour le modifier à son avantage.

Finir une guerre

Le gouvernement israélien pouvait considérer la destruction des tunnels du Hamas comme suffisant. Il estime plutôt se trouver ainsi dans une meilleure position pour accepter la prolongation des combats puisqu’Israël ne risque plus d’agression. Les forces terrestres ont été redéployées le long de la frontière avec une démobilisation partielle des 100 000 réservistes, non pas en signe d’apaisement mais, au contraire, pour préparer un combat prolongé, le retour des réservistes facilitant aussi celui d’une vie économique plus normale.

Paradoxalement, si des signes de mécontentement contre le Hamas apparaissent dans la population palestinienne, c’est peut-être du côté israélien que le soutien de l’opinion publique s’érode le plus vite. Le 25 août, un sondage indique que seulement 38 % des Israéliens approuvent la manière dont les opérations sont menées, le principal reproche étant l’absence de résultats décisifs. De nouvelles négociations aboutissent à un cessez-le-feu définitif le 1er septembre.

À l’issue du conflit, s’il a fait preuve d’une résistance inattendue le Hamas est militairement affaibli, avec moins de possibilités de recomplètement de ses forces que durant les années précédentes, du fait de l’hostilité de l’Égypte. Il lui faudra certainement plusieurs mois, sinon des années pour retrouver de telles capacités. En attendant, au prix de la vie de 66 soldats et 7 civils (un rapport de pertes entre militaires et civils que l’on n’avait pas connu depuis 2000) et de 2,5 milliards de dollars (pour 8 milliards de dollars de destruction à Gaza), les tirs de roquettes ont cessé et le Hamas n’est pas parvenu à desserrer l’étau du blocus. Mais il n’y a cependant là rien de décisif pour Israël. Il aurait fallu pour cela nettoyer l’ensemble du territoire à l’instar de la destruction de l’OLP au Sud-Liban. Cela aurait coûté sans doute plusieurs centaines de tués à Tsahal pour ensuite choisir entre se replier, et laisser un vide qui pourrait être occupé à nouveau par une ou plusieurs organisations hostiles, et réoccuper Gaza, avec la perspective d’y faire face à une guérilla permanente. Le gouvernement israélien a privilégié le principe d’une guerre limitée destinée à réduire régulièrement (tous les deux ans en moyenne) le niveau de menace représenté par le Hamas. La difficulté est que les opérations de frappes apparaissent de plus en plus stériles et que les opérations terrestres sont aussi de plus en plus couteuses. Après le Hezbollah, et encore dans une moindre mesure, le Hamas est parvenu à franchir un seuil opératif en se dotant d’une infanterie professionnelle dotée d’armes antichars et antipersonnels performantes et maitrisant des savoir-faire tactiques complexes. Les deux adversaires sont donc largement neutralisés par leurs capacités défensives mutuelles.

À court terme, on ne voit pas ce qui pourrait permettre de surmonter ce blocage tactique. On peut donc imaginer un prochain conflit qui ressemblera plutôt à celui de 2012. À moyen terme, les possibilités de rupture de cette crise schumpetérienne (l’emploi des mêmes moyens est devenu stérile) sont plutôt du côté du Hamas qui peut espérer saturer le système défensif israélien par une quantité beaucoup plus importante de tirs « rustiques » et/ou utiliser des lance-roquettes modernes beaucoup plus précis comme les BM-30 Smerch russes. Il peut aussi espérer disposer de missiles anti-aériens portables comme le HN-6 chinois, toutes choses qui rendraient l’action du modèle militaire israélien beaucoup plus délicat. Il faudra cependant que le mouvement palestinien retrouve des alliés et des capacités de transfert de matériels à travers le blocus, ce qui n’est pas pour l’instant évident.

Israël reste donc pour l’instant dominant mais faute d’une volonté capable d’imposer une solution politique à long terme, il est sans doute condamné à renouveler sans cesse ces opérations de sécurité. Arnold Toynbee, parlant de Sparte, appelait cela la « malédiction de l’homme fort ».

Israël-Palestine : les conséquences dévastatrices de l’assaut du Hamas

Israël-Palestine : les conséquences dévastatrices de l’assaut du Hamas

OPINION. Les Israéliens pourraient décider de prendre militairement le contrôle de la bande de Gaza. Par Eyal Mayroz, University of Sydney

Les soldats israeliens regardent les restes d'un poste de police a sderot, en Israël.
Les soldats israeliens regardent les restes d’un poste de police a sderot, en Israël. (Crédits : RONEN ZVULUN)

 

Il y a presque 50 ans jour pour jour, Israël n’avait pas su anticiper le déclenchement de la guerre du Kippour de 1973, qui avait démarré par une attaque inattendue contre ses frontières par une coalition d’États arabes.

Aujourd’hui, il semble que les services de renseignement du pays aient à nouveau été victimes d’un faux sentiment de sécurité.

La conviction, largement partagée dans la société israélienne, que le Hamas ne chercherait pas à se lancer dans une confrontation militaire à grande échelle avec Tsahal pour se protéger et pour épargner de nouvelles souffrances aux habitants de Gaza a été anéantie par l’assaut surprise déclenché samedi matin, par voie aérienne, terrestre et maritime.

L’attaque a commencé par un tir de barrage de plusieurs milliers de roquettes tirées sur Israël. Sous le couvert de ces roquettes, une opération terrestre de grande envergure, soigneusement coordonnée, est partie de Gaza et a pris pour cibles plus de 20 villes israéliennes et bases militaires adjacentes à la bande de Gaza.

Les pertes israéliennes, estimées actuellement à plus de 600 morts et 2000 blessés, vont certainement augmenter dans les heures et les jours à venir.

Une mobilisation massive des réservistes de l’armée israélienne a été entamée, et des bombardements aériens ont frappé les installations et les postes de commandement du Hamas à Gaza. Plus de 370 victimes palestiniennes ont été signalées jusqu’à présent à Gaza, et 1 700 personnes ont été blessées.

Les calculs du Hamas

Comme dans le cas de la guerre du Kippour, de nombreuses analyses et enquêtes seront menées dans les semaines, les mois et les années à venir sur les échecs en matière de renseignement, d’opérations sécuritaires et de politique qui ont permis au Hamas de prendre ainsi Israël à défaut. L’assaut n’a apparemment pas été détecté par les services israéliens dans un premier temps, puis a pu se dérouler avec succès pendant des heures, les combattants du Hamas se retrouvant face à des forces israéliennes insuffisantes ou non préparées.

Comme en 1973, l’assaut a été lancé durant le sabbat et lors de la fête juive de Souccot. Les objectifs stratégiques du Hamas sont incertains à ce stade. Toutefois, la sévérité certaine des représailles israéliennes contre le mouvement – et, par conséquent, contre la population civile de Gaza – rend probable l’existence de considérations allant au-delà d’une simple vengeance contre les actions israéliennes.

L’enlèvement d’Israéliens en vue de les échanger par la suite contre des militants du Hamas emprisonnés en Israël est depuis longtemps un objectif majeur des opérations militaires du mouvement islamiste.

En 2011, un soldat israélien, Gilad Shalit, qui était détenu à Gaza depuis 2006, avait été échangé contre plus de 1 000 prisonniers palestiniens. Parmi ces prisonniers se trouvait Yahya Sinwar, l’actuel chef du Hamas à Gaza, qui avait passé 22 ans dans une prison israélienne.

Les rapports faisant état de dizaines d’Israéliens – dont de nombreux civils – capturés par le Hamas lors de l’assaut de ce week-end suggèrent qu’il pourrait s’agir là d’un motif central de l’attaque. Un nombre indéterminé d’otages détenus pendant des heures par des militants du Hamas dans deux villes du sud d’Israël ont été libérés par la suite par les forces spéciales israéliennes.

Un autre objectif du Hamas, plus large, pourrait être de saper les négociations en cours entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sur un accord visant à normaliser les relations entre le royaume et Israël.

Un échec de ces pourparlers serait une aubaine pour l’Iran, l’un des principaux soutiens du Hamas, et pour ses alliés. Téhéran a déclaré qu’il soutenait les attaques du Hamas contre Israël, mais on ne sait pas encore si l’Iran ou le Hezbollah (le groupe libanais chiite qui entretient un partenariat croissant avec le Hamas) ouvriront d’autres fronts dans les jours à venir, même si ce dernier a déjà tiré des obus contre le territoire israélien le 8 octobre.

Toute escalade du conflit en provenance de l’Iran ou du Liban serait très problématique pour Israël. Il en irait de même si la guerre contre le Hamas venait à exacerber les tensions déjà très sensibles et les affrontements violents entre Israël et les groupes militants palestiniens en Cisjordanie.

Et maintenant ?

Baptisée « Glaives de fer », l’offensive de représailles d’Israël contre le Hamas à Gaza risque de durer longtemps.

Outre la nécessité de restaurer la confiance de la société israélienne dans son armée et de ressusciter la dissuasion militaire d’Israël face au Hamas et à d’autres ennemis, le gouvernement du premier ministre Benyamin Nétanyahou devra probablement faire face à d’autres défis qu’il lui sera compliqué de relever : le sort des dizaines d’otages israéliens ; les risques que courront les forces israéliennes en cas d’incursion terrestre, à Gaza ; et les menaces d’escalade sur d’autres fronts, notamment au Liban, en Cisjordanie et dans les villes mixtes juives et palestiniennes à l’intérieur d’Israël.

En outre, le soutien international pourrait rapidement s’éroder en cas d’opération majeure à Gaza, à mesure que le nombre de victimes palestiniennes, déjà élevé, s’accroîtra.

Les violences actuelles viennent à peine de commencer, mais elles pourraient devenir les plus sanglantes depuis des décennies, peut-être même depuis la guerre entre Israël et les Palestiniens au Liban dans les années 1980.

Comme nous l’avons indiqué, les Israéliens considéreront sans aucun doute qu’il est essentiel de restaurer leur pleine capacité de dissuasion militaire face au Hamas – ce qui, aux yeux de beaucoup, pourrait nécessiter une prise de contrôle militaire de la bande de Gaza. Cela aurait des conséquences encore plus dévastatrices pour la population civile de Gaza.

Aux yeux de nombreux Palestiniens, les événements de ce week-end ont offert aux Israéliens un petit aperçu de ce qu’a été leur propre vie pendant des décennies d’occupation. Toutefois, les premières célébrations se transformeront probablement bientôt en colère et en frustration, car le nombre de victimes civiles palestiniennes continuera d’augmenter. La violence engendre la violence.

À court et à moyen terme, le traumatisme causé par l’attaque surprise du Hamas ne manquera pas d’avoir des conséquences considérables sur la politique intérieure d’Israël.

Dans ses mémoires de 2022, Bibi : Mon Histoire, Benyamin Nétanyahou a évoqué sa décision, lors de l’opération israélienne « Pilier de défense » menée contre le Hamas en 2012, de ne pas lancer un assaut terrestre israélien à Gaza.

Une telle attaque, explique-t-il dans le livre, aurait pu causer plusieurs centaines de victimes parmi les forces de défense israéliennes et plusieurs milliers de victimes parmi les Palestiniens, ce à quoi il s’opposait catégoriquement. Il a autorisé des incursions terrestres à deux autres occasions (opérations « Plomb durci » en 2008 et « Bordure protectrice » en 2014). Mais la prudence l’a emporté dans d’autres cas, parfois du fait des fortes pressions dont il a pu faire l’objet.

Au vu de la combinaison du traumatisme national de ce week-end et de la composition du gouvernement de Nétanyahou, considéré comme le plus à droite de l’histoire du pays, il semble très peu probable qu’il fasse preuve de la même retenue dans les jours à venir.

______

Par Eyal Mayroz, Senior Lecturer in Peace and Conflict Studies, University of Sydney

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Comment faire l’histoire immédiate de la guerre russe en Ukraine ? Entretien avec Michel Goya

Comment faire l’histoire immédiate de la guerre russe en Ukraine ? Entretien avec M. Goya

Par Gabrielle Gros, Michel Goya – publié le 8 octobre 2023 

https://www.diploweb.com/Comment-faire-l-histoire-immediate-de-la-guerre-russe-en-Ukraine-Entretien-avec-M-Goya.html


Michel Goya est un militaire et historien français. Colonel à la retraite des troupes de marine, consultant LCI sur la guerre Ukraine. Il analyse au jour le jour le conflit en Ukraine. Spécialisé dans l’innovation militaire qu’il a enseigné à Sciences Po et à l’École Pratique des Hautes Études, il est très visible dans les médias. Auteur de nombreux ouvrages dont « Sous le feu – la mort comme hypothèse de travail » et « Le temps des guépards : la guerre mondiale de la France », publiés chez Tallandier en 2014 et 2022. Son nouvel ouvrage, « L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine » publié chez Perrin en 2023 a été un travail de longue haleine réalisé avec Jean Lopez, directeur de la rédaction de Guerres & Histoire et du Mook De la guerre.
Gabrielle Gros est étudiante en Master d’Histoire Relations Internationales Sécurité Défense à l’Institut Catholique de Lille.

Sur la guerre en Ukraine, quelles sont les trois principales idées fausses qui traînent à tort dans le débat public ? Quels outils pour minimiser les erreurs stratégiques et leurs impacts ? Comment la guerre en Ukraine a-t-elle changé l’Union européenne ? Quelle possible nouvelle tournure du conflit à l’approche des élections américaines ? Voici quelques-unes des questions posées par G. Gros à M. Goya à l’occasion de la publication de son nouvel ouvrage co-signé avec J. Lopez « L’ours et le renard » (Perrin, 2023) pour le Diploweb.com.

Gabrielle Gros (G. G. ) : Sur la guerre en Ukraine, selon vous quelles sont les trois principales idées fausses qui traînent à tort dans le débat public ?

Michel Goya (M. G. ) : La première idée fausse est que la guerre de positions est un retour aux méthodes de la Première Guerre mondiale. Je fais moi-même souvent cette comparaison parce qu’elle parle justement au public, mais elle est fausse. Il y a guerre de positions dès que la guerre de mouvement ne permet pas d’obtenir de décision stratégique et que les deux adversaires ont encore des moyens de continuer le combat. Le meilleur moyen de faire face à la puissance de feu des armes à tir direct modernes consister à se protéger, dans le milieu urbain mais aussi dans les fortifications de campagne. Cela a été le cas sur tous les fronts de la Seconde Guerre mondiale à partir de 1941, mais aussi pendant la guerre de Corée (1950-1953) ou encore la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 1980.

La deuxième idée fausse est qu’il s’agit d’une guerre de nouveau type à cause de l’omniprésence des drones ou du numérique. En fait, l’art de la guerre industrielle après une révolution de 1850 à 1950 n’a guère évolué dans sa forme, malgré l’apparition de moyens techniques nouveaux. Les structures et les méthodes n’ont guère changées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si le général Patton, le célèbre commandant de la 3e armée américaine en Europe en 1945, était ramené du passé pour commander les forces ukrainiennes, il s’adapterait très vite à la situation, beaucoup plus en tout cas que si on le ramenait 78 ans en arrière, en 1867. L’immense majorité des équipements majeurs qui sont utilisés en Ukraine ont été conçus entre 1960 et 1990. Cette guerre n’est donc pas une révolution militaire.

 
Michel Goya
Michel Goya co-signe avec Jean Lopez L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine, éd. Perrin

La troisième idée fausse est que l’armée russe est la mieux équipée du monde ou du moins du conflit. Classée parmi les plus grandes puissances militaires mondiales notamment en raison de son budget, de ses effectifs et de son arsenal nucléaire, l’armée russe s’est en réalité révélée mal préparée au cours de cette guerre. Une grande partie de son équipement hérité de l’âge d’or militaire soviétique est obsolète et une faiblesse structurelle de l’armée en partie liée à la qualité de son encadrement pose problème. Sur le papier, la Russie dispose d’une supériorité en nombre dans les espaces vides – mer, air, espace et cyber – comme solides mais, concrètement, la qualité tactique des pièces d’artilleries ukrainiennes par exemple lui donne l’avantage sur l’artillerie russe bien que cette dernière possède davantage de pièces. De plus l’aide militaire, notamment américaine, est venue renforcer le niveau de compétitivité de l’armée ukrainienne et de facto baisser celui de la Russie.

G.G. : Le but de ce nouvel ouvrage, « L’ours et le renard » (Perrin, 2023) que vous avez développé avec Jean Lopez est de « mettre de l’ordre dans la masse d’information relative aux combats », plus globalement face à la multiplication des sources ouvertes. Quels outils aujourd’hui, demain, pour éviter ou du moins minimiser l’impact des erreurs stratégiques et de renseignement ?

M.G.  : Il faut du travail et de la rigueur dans l’application de méthodes assez proches dans le domaine du renseignement comme celui de la recherche. Les sources ouvertes permettent de disposer d’une masse considérable d’informations, qu’il est déjà en soi difficile de collecter en particulier dans un contexte de guerre. Il faut ensuite évaluer, très classiquement, la valeur de la source, souvent en fonction de la valeur des renseignements précédents, et de la vraisemblance des informations, si possible en recoupant avec d’autres sources. C’est là qu’intervient vraiment l’expertise militaire, en permettant de mieux et plus rapidement distinguer l’utile et le vraisemblable de ce qui ne l’est pas, voire relève de la pure propagande. On a, je crois, suffisamment d’informations pour avoir une image un peu juste des opérations militaires. Il faut également garder à l’esprit les biais de réflexion de ceux dont on parle, leurs ambitions stratégiques, ce qu’ils sont prêts à sacrifier, etc. Quant aux prévisions, elles sont évidemment extrêmement difficiles puisqu’on se trouve dans un domaine dialectique et donc très complexe. Ce qui fait l’expert par rapport au néophyte et plus encore par rapport au militant, c’est d’avoir une majorité de prévisions justes. Dans le cas de l’Ukraine il est par exemple difficile d’évaluer les pertes car il s’agit d’une information stratégique pour l’adversaire que les armées et les gouvernements évitent donc de dévoiler voire tentent de calomnier.

G.G. : Au vu de votre expérience dans ce domaine, quel est votre message essentiel sur l’innovation militaire concernant ce conflit ?

M.G.  : Nous ne sommes plus dans la Seconde Guerre mondiale, où on pouvait concevoir un équipement majeur – un nouveau char ou un nouvel avion de chasse par exemple – en un ou deux ans. Désormais les matériels majeurs sont les mêmes d’un bout à l’autre d’un conflit même de plusieurs années et l’évolution technique s’effectue plutôt par des petits objets à conception rapide, logiciels et machines volantes pour l’essentiel, et des adaptations des gros.

Dans ce cadre-là les Ukrainiens bénéficient d’une plus grande intégration de la société dans leur armée que les Russes, notamment par l’arrivée sous les armes de civils mobilisés disposant de compétences techniques et d’un autre regard sur les choses que les militaires de carrière, surtout ceux formés à l’école soviétique. Ils sont une grande source d’innovations techniques mais aussi de méthodes ou de structures. L’évolution qualitative de l’artillerie ukrainienne, avec des pièces d’artillerie très diverses et toutes plus ou moins anciennes mais beaucoup plus rapides, précises et efficaces dans les gestions des feux qu’au début de la guerre est le parfait exemple de cette capacité d’innovation par le bas associée à l’effet d’apprentissage. C’est une progression rendue également possible par un taux de pertes faible par rapport à d’autres armes, comme l’infanterie qui a beaucoup plus de mal à évoluer.

Reste ensuite à diffuser les idées nouvelles horizontalement par les réseaux d’amis ou le voisinage opérationnel, ce qui n’était pas forcément le cas dans les armées de style soviétique, et verticalement par le biais de structures dédiées à charge de standardiser les meilleures pratiques. Dans tous ces champs, les Ukrainiens sont supérieurs aux Russes, qui innovent et progressent, mais plus lentement.

La guerre a fait évoluer les pays européens, en déniaisant certains sur le retour des politiques de puissance agressives de grandes puissances et la menace russe en particulier.

G.G. : Vous parlez notamment de l’instrumentalisation de l’ordre international qui a lieu – dans les deux camps – mais aussi de l’évolution concrète qu’a eu cette guerre sur les collaborations politico-militaires, d’après vous comment cette guerre russe en Ukraine a-t-elle changée l’Union européenne ?

M.G.  : La guerre en Ukraine a évidemment fait évoluer l’Union européenne dans un champ militaire où elle traditionnellement mal à l’aise. Personne n’aurait jamais imaginé avant-guerre que l’on verrait l’UE, en tant qu’organisation, fournir des armes à un pays en guerre. Mais la guerre a surtout fait évoluer les pays européens, en déniaisant certains sur le retour des politiques de puissance agressives de grandes puissances et la menace russe en particulier. Ce choc psychologique à l’échelon politique en décalage avec les prises de conscience beaucoup plus anciennes des militaires, et ce réflexe sécuritaire bénéficie cependant beaucoup plus à l’Alliance atlantique qu’à l’Union européenne, dont pourtant l’article 42.7 [1] du traité de Lisbonne est plus contraignant pour les membres de l’UE en cas de conflit que le fameux article 5 de l’OTAN. En cas de problème majeur, on fait plus confiance à l’OTAN et donc aux États-Unis qu’à l’UE. Il est vrai que si les États européens avaient fait le même effort de défense que les États-Unis, on n’aurait aucunement besoin de faire appel à ces derniers. Bref, cette guerre est surtout l’occasion de montrer combien l’Union européenne est nue, et volontairement nue, en matière de défense. Nonobstant le front d’opposition à la Russie se révèle davantage occidental que mondial et l’Union européenne par ruissellement apparaît plus soudée, du moins idéologiquement.

G.G. : La guerre n’avait pas disparu pour les Européens, pour autant elle n’était plus visible. Quelles réflexions voyez-vous ou espérez-vous voir émerger dans le débat stratégique à court et à long terme alors que la guerre redevient visible en Europe géographique ?

M.G.  : J’ai effectivement le souvenir des guerres d’ex-Yougoslavie dans les années 1990, dans lesquelles j’ai été, comme beaucoup de militaires, plongé à plusieurs reprises. Et la France a mené également de nombreuses guerres contre des États et des organisations armées depuis soixante ans, mais à très petite échelle. Là, on se trouve devant un conflit interétatique à grande échelle et qui relève quasiment de la guerre totale, du moins pour l’Ukraine qui lutte pour sa survie en tant qu’État indépendant.

Ce n’était pas totalement impossible de le prévoir. Les forces armées françaises se sont préoccupées de leur capacité de mener des opérations dites de haute intensité, c’est-à-dire à la fois très importantes en volume et en violence, dès 2014 et le spectacle des combats dans le Donbass, avec en particulier les interventions russes d’août 2014 et février 2015. Mais, outre que l’on continuait à réduire les crédits de Défense malgré le spectacle de la guerre en Ukraine, on se concentrait surtout sur la guerre contre les organisations djihadistes [2]. Comme souvent, c’est bien plus la vision des choses que toutes les réflexions qu’il y a pu avoir précédemment qui font avancer d’un coup. Dans l’immédiat, le spectacle de la guerre en Ukraine est surtout un révélateur des faiblesses et lacunes que nous avons accumulées avec le temps. Nous avons par exemple tellement réduit nos forces terrestres que l’armée de Terre française de 1990 se débrouillerait mieux que celle de 2023 en cas de conflit majeur. En fait, deux visions s’opposent : celle qui demande à ce qu’on se prépare vraiment à un conflit de haute intensité en Europe géographique, soit comme acteur, soit comme soutien, à la manière de ce que l’on faisait pendant la Guerre froide et celle qui considère qu’un tel scénario est très improbable et que nos intérêts à défendre militairement sont hors d’Europe.

Tout le processus de formation proposé aux Ukrainiens, mais aussi à nos propres troupes, doit être alimenté par le retour d’expérience du front ukrainien.

G.G. : L’Occident a beaucoup investi dans la formation du personnel militaire ukrainien ainsi que dans l’organisation de son armée, en lien avec la métaphore de l’ours et du renard qui inspire le titre de votre livre, quelles conséquences si l’Ukraine continue de renforcer son poids stratégique ?

M.G.  : L’armée ukrainienne est désormais l’armée européenne la plus puissante et la plus expérimentée. Il y a bien plus de soldats ayant connu le feu dans cette armée que dans tous les pays de l’Union européenne réunis. Je suis donc toujours étonné de voir par exemple, des unités ukrainiennes formées par des instructeurs allemands, dont la première consigne en opération extérieure est d’éviter à tout prix le combat. J’ai l’impression qu’en fait il devrait s’agir de formation mutuelle, les armées occidentales faisant profiter de leurs infrastructures de formation à l’abri des combats et de leurs savoir-faire maîtrisés, par exemple dans les techniques d’état-major, mais en coopération avec des cadres ukrainiens venant du front apportant leur expérience aux recrues comme aux Occidentaux. Pour le dire autrement tout le processus de formation proposé aux Ukrainiens, mais aussi à nos propres troupes, doit être alimenté par le retour d’expérience du front ukrainien.

A un niveau stratégique, et avec l’effort de défense réalisé par certains pays comme la Pologne, il est clair que le centre de gravité militaire européen est en train de basculer de l’Europe atlantique à l’Europe de l’Est. Il reste à savoir pour la France si on veut se connecter à cet effort est-européen, comme par exemple l’Allemagne envisageant de déployer 4 000 soldats en Lituanie ou si on préfère d’autres horizons.

G.G. : Votre constat est que la Russie mise sur la lassitude d’un Occident largement soutenu par les États-Unis. Alors que la guerre dure et que les élections américaines se rapprochent, est-il plausible que le conflit prenne une tout autre tournure ?

M.G.  : Un dessin très connu du caricaturiste Jean-Louis Forain montre un poilu de la Grande Guerre se demandant si l’« arrière » allait tenir sous la pression de la guerre. Il est intéressant d’ailleurs de noter que ce dessin date de janvier 1915, c’est-à-dire encore au tout début de l’épreuve.

 
Jean-Louis Forain, « Pourvu qu’ils tiennent », caricature, « L’Opinion », 9 janvier 1915
Source : L’Opinion, 9 janvier 1915.

Pour vaincre, il faut faire craquer l’armée ennemie et si cela s’avère difficile, on attaque aussi son arrière, sa société et son État, en espérant que l’effondrement viendra d’abord de ce côté-là. Cette pression arrière s’exerce des deux côtés dans cette guerre russo-ukrainienne avec cette particularité que l’arrière ukrainien est double : il y a certes la société ukrainienne, dont on ne voit pas bien pour l’instant ce qui pourrait la faire craquer, mais il y a aussi les pays occidentaux dont l’aide est essentielle à l’Ukraine. Que cette aide, et singulièrement celle des États-Unis, se tarisse et tout l’effort de guerre ukrainien se trouvera très compromis, comme lors des précédents du Sud-Vietnam en 1975 et même de l’Afghanistan en 2021. Pour les Russes l’opinion publique occidentale est donc un centre de gravité clausewitzien qu’il faut « travailler » par toutes les formes possibles d’influence, de la menace d’un hiver rigoureux jusqu’au messages pacifistes. Mais pour l’instant, et c’est peut-être une surprise pour Moscou, le soutien des opinions publiques résiste bien. Tous les esprits se tournent évidemment vers la prochaine élection présidentielle américaine (novembre 2024), avec en particulier l’hypothèse que Donald Trump revienne à la Maison-Blanche. On craint que Trump mette fin à l’aide américaine à l’Ukraine, mais en fait on n’en sait rien. On a pour l’instant le choix entre l’aide américaine assurée pour plusieurs années et une aide sûre jusqu’à une bonne partie de 2025 avec l’inertie institutionnelle américaine et une grande incertitude ensuite. Mais il n’est pas certain que l’arrière russe, très différent, soit beaucoup plus solide. Il est simplement plus opaque.

G.G. : Il est bien sûr impossible de prévoir l’issue du conflit. Néanmoins d’ici six mois quels sont les points d’attention à suivre ?

M.G.  : Il faut voir comment les deux camps s’organisent pour une guerre de plusieurs années. On se trouve peut-être dans un moment « 1917 » ou en situation de crise schumpetérienne, si on préfère une métaphore économique. Les moyens engagés ne permettent plus d’obtenir d’effets stratégiques importants, il faut donc en avoir beaucoup plus pour espérer gagner la guerre mais surtout innover. Il y a deux batailles à mener, celle de l’industrie afin de disposer de beaucoup plus de puissance de feu, le seul moyen de casser des lignes fortifiées, et celle des méthodes de combat, le tout dans un contexte économique difficile, surtout pour les Ukrainiens, et un contexte politique tendu. En résumé, on assistera peut-être à une accalmie des opérations de conquête terrestre, assez stériles de part et d’autre, mais aussi à une augmentation en proportion des opérations de raids et de frappes qui permettent de donner des coups et d’offrir de petites victoires lorsqu’elles réussissent. Pendant ce temps on travaillera beaucoup en arrière, pour pouvoir relancer des opérations offensives plus efficaces au printemps 2024. Ce sont les seules qui peuvent être décisives, et elles le seront peut-être à ce moment-là.

Copyright Octobre 2024-Goya-Gros/Diploweb.com


Plus

Michel Goya et Jean Lopez, «  L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine », Perrin, 2023.

Depuis février 2022, chacun d’entre nous est bombardé d’informations sur la guerre en Ukraine. Des informations hachées, parcellaires, souvent contradictoires, dans lesquelles on ne sait comment démêler le vrai du faux. Depuis son début, Michel Goya et Jean Lopez se concentrent sur ce conflit, le premier en tant que chroniqueur militaire pour une chaîne d’information continue, le second comme spécialiste de l’histoire militaire russe et soviétique. Tous deux ont décidé d’entamer un dialogue de plusieurs mois, en échangeant informations et analyses. L’ours et le renard est le résultat de ce long et passionnant échange au jour le jour. Précédés d’une indispensable introduction sur l’histoire longue de la relation russo-ukrainienne, cinq chapitres nous font pénétrer au cœur des combats, relevant les surprises (et elles n’ont pas manqué !), les forces les faiblesses, les bévues, les révélations et les nouveautés apportées par ce conflit qui a déjà fait plus de 350 000 victimes et mis le monde, et singulièrement l’Europe, sens dessus dessous. C’est littéralement les clés d’une Histoire qui se fait sous nos yeux que livrent Michel Goya et Jean Lopez, forts de leurs expériences complémentaires. Cet ouvrage est indispensable non seulement aux amateurs d’histoire militaire mais à tout citoyen désireux de comprendre l’énorme embrasement qui se produit à l’est et dont chacun craint que des flammèches viennent jusqu’à nous.

Roquettes, infiltrations, otages : ce que l’on sait de l’opération «déluge d’Al Aqsa» du Hamas contre Israël

Roquettes, infiltrations, otages : ce que l’on sait de l’opération «déluge d’Al Aqsa» du Hamas contre Israël

Frappes sur Israël et Gaza (7 octobre 2023)

 

LE POINT SUR LA SITUATION – Des milliers de roquettes ont été tirées sur Israël, tandis que des dizaines d’otages israéliens auraient été amenés dans la bande de Gaza.

Correspondant à Jérusalem

Samedi matin, Israël s’est réveillé en état de sidération, au son des sirènes et des détonations du Dôme de Fer. Le Hamas venait de déclencher une vaste opération sur son sol, impliquant des troupes appuyées par les tirs de milliers de roquettes. Le dernier bilan fait état d’au moins 250 morts et plus de 1000 blessés du côté des Israéliens, et de 232 morts côté palestinien.

Dans la soirée, la situation restait confuse. Dans un briefing à la presse internationale, le lieutenant-colonel Richard Hecht, porte-parole de l’armée israélienne, a confirmé que «des centaines» d’infiltrés se trouvaient encore en territoire israélien à la nuit tombée, et que des combats étaient toujours en cours en «22 endroits». Selon lui, ces combats ont notamment lieu dans les camps militaires de Zekim et de Rahim, à proximité du passage d’Erez, ainsi que dans plusieurs Kiboutz et des villes israéliennes proches de la bande de Gaza : Kfar Aza, Beri, Nahal Oz, Magen et Sderot.

Déclenchement de l’opération «Epée de feu»

À 10h34, heure locale, l’armée israélienne a annoncé le déclenchement de l’opération «Épée de feu», précisant que «des dizaines d’avions de chasse étaient en train de frapper plusieurs cibles de l’organisation terroriste du Hamas dans la bande de Gaza.» Les frappes se poursuivaient dans la soirée, notamment sur des cibles de haute valeur, abritant potentiellement de hauts responsables du Hamas. Filmées depuis Gaza, des vidéos montrent de lourds nuages de fumée s’élever au-dessus des immeubles.

Le lieutenant-colonel Hecht indiquait dans la matinée que l’armée était en état de «préparation à la guerre». Il a confirmé que le ministre de la Défense Yoav Gallant, lequel parle plus simplement de «guerre», avait approuvé la mobilisation des réservistes. «C’est une matinée sévère et difficile. Nous sommes conscients de la gravité de la situation, a-t-il reconnu. Nous allons réagir avec le timing qui nous semble approprié.» Il a précisé que l’armée «gardait un œil sur la frontière nord, avec le Liban, et sur la Judée et la Samarie (la Cisjordanie occupée, NDLR).» Deux régions où la situation est particulièrement tendue en ce moment.

Les images de l'incursion armée du Hamas en Israël

Une trentaine d’Israéliens pris en otage

Mais c’est le Hamas qui, prenant totalement son ennemi par surprise, a déclenché les hostilités. Samedi matin, à l’aube, le mouvement islamiste a lancé l’opération «inondation d’Al Aqsa». Alors que plus de 3000 roquettes étaient tirées depuis la bande de Gaza, des miliciens ont ouvert des brèches dans la barrière de sécurité qui entoure la bande de Gaza. Après quoi, à moto ou en pick-up, ils sont entrés en Israël. Certains sont même passés par la mer. Aucun chiffre officiel n’a été révélé, mais 163 Israéliens auraient été pris en otage, dont des femmes et des enfants, selon i24News. Des vidéos montrent d’incroyables images de miliciens du Hamas pénétrant à l’aube dans un Kibboutz endormi, d’autres, de véhicules blindés israéliens ramenés dans la bande de Gaza ; d’autres encore, des guerriers du Hamas circulant à pick-up dans la ville de Sderot et tirant au fusil-mitrailleur sur une voiture de la police israélienne. On peut aussi voir des corps de soldats israéliens, visiblement surpris dans leur base et abattus en plein sommeil. Sur une photo, on voit le cadavre d’un homme en caleçon, qui n’a apparemment eu que le temps d’enfiler son gilet pare-balles et de mettre son casque sur la tête, avant de tomber. Si ces images sont avérées, elles confirmeront que l’effet de surprise a été total pour l’armée israélienne et les services de renseignement.

Pour quelle raison le Hamas a-t-il décidé de frapper maintenant ? Est-ce un hasard du calendrier ? Cette attaque a été déclenchée au lendemain du cinquantième anniversaire de la guerre de Yom Kippour. En 1973, Israël avait été totalement pris par surprise et les Israéliens en gardent un souvenir traumatisant. La situation était pourtant relativement calme dans la bande de Gaza depuis une semaine. Après une quinzaine de jours de tensions et de heurts à la frontière, il semblait que le Hamas avait décidé de calmer le jeu. Toujours est-il que le choix du jour de l’attaque, un matin de Shabbat, à la fin de la longue semaine de fête de Soukkot, ne doit sans doute rien au hasard.

Dès l’annonce de l’attaque, les habitants de la bande de Gaza se sont préparés à la réponse de l’armée israélienne. «Nous avons tous peur, explique un Gazaoui. Personne ne s’y attendait. Tout le monde est allé acheter de la nourriture, des médicaments, et maintenant on reste chez nous. Si l’Égypte ouvre le passage de Kerem Shalom, je partirai me réfugier avec ma femme et mes enfants.»

Israël, Gaza : le nombre des victimes de la guerre ne cesse d’augmenter

Israël, Gaza : le nombre des victimes de la guerre ne cesse d’augmenter

 

Israël et la bande de Gaza sont de nouveau « en guerre » samedi 7 octobre après le déclenchement d’une offensive militaire surprise du Hamas. En début d’après-midi, le bilan des morts de part et d’autre dépasse plusieurs dizaines et les blessés se comptent par centaines. Le Hamas revendique aussi des « otages ».

 

La Croix (avec AFP) – publié

https://www.la-croix.com/international/Israel-Gaza-nombre-victimes-guerre-cesse-daugmenter-2023-10-07-1201285918


Israël et la bande de Gaza sont de nouveau en guerre samedi après le déclenchement d’une offensive militaire surprise du Hamas, qui a tiré des milliers de roquettes, infiltré des combattants en territoire israélien et dit avoir capturé des Israéliens. «Nous sommes en guerre, il ne s’agit pas d’une simple opération ou d’un cycle de violence, mais bien d’une guerre», a déclaré le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, dans un message vidéo.

En début d’après-midi, le bilan des morts de part et d’autre dépasse plusieurs dizaines et les blessés se comptent par centaines. Dans la ville israélienne de Sdérot, un journaliste de l’AFP a vu les corps d’au moins huit civils gisant dans des rues.

Appel aux dons de sang

40 personnes au moins ont été tuées côté israélien, selon le Magen David Adom, équivalent israélien de la Croix-Rouge, qui a lancé un appel aux dons de sang, le ministère de la santé faisant état de «779 blessés» hospitalisés.

En réplique à cette attaque, l’armée israélienne a déclenché à son tour dans la matinée des opérations armées à Gaza sous le nom de « Sabre d’acier ». «Des dizaines d’avions de chasse sont actuellement en train de frapper des cibles de l’organisation terroriste Hamas dans la bande de Gaza», a indiqué l’armée dans un communiqué. «Nos forces combattent désormais sur le terrain» et la mobilisation de milliers de réservistes a été approuvée, a déclaré le lieutenant-colonel Richard Hecht, porte-parole de l’armée israélienne.

Dans la bande de Gaza, au moins 9 personnes ont été tuées, selon des journalistes de l’AFP ayant vu leur corps à l’hôpital ou lors de funérailles. Le ministère de la santé du Hamas affirmait, lui, recenser déjà à Gaza « 198 morts et 1.610 personnes souffrant de divers types de blessures » en milieu d’après-midi.

Interrogés par des médias israéliens, des habitants de zones proches de la bande de Gaza demandent une protection renforcée de l’armée. Le journal israélien Times of Israel relaie le témoignage d’une femme enceinte, vivant dans le kibboutz Soufa (à quelques kilomètres de la bande de Gaza): «Envoyez de l’aide s’il-vous-plait». Times of Israël la cite en précisant qu’elle parle depuis un abri sécurisé où elle se trouve avec ses proches dont un enfant : «Ils tirent sur notre maison, ils essaient d’enfoncer la porte de la pièce sécurisée».

Prises d’otages civils

Par ailleurs, la branche armée du Hamas revendique avoir «capturé plusieurs soldats ennemis». Elle a diffusé une vidéo montrant au moins trois hommes en tenue civile manifestement apeurés, détenus par une escouade de personnes armées aux visages floutés. Les Brigades al-Qods, la branche militaire du Jihad islamique palestinien, déclarent elles aussi détenir « nombreux soldats » israéliens.

L’armée israélienne n’a pas communiqué sur ces déclarations. Sur les réseaux sociaux, des vidéos qui n’ont pu être authentifiées montrent d’autres personnes détenues par des hommes armés, et les dépouilles de civils ou d’individus en uniformes militaires.

Dès le matin, des centaines de civils ont fui leurs maisons dans le nord-est de la bande de Gaza pour s’éloigner de la frontière avec Israël, et certains ont trouvé refuge dans des écoles de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), selon un correspondant de l’AFP.

Cette énième flambée de violence éclate au dernier jour des fêtes juives de Souccot en Israël, alors que le pays vit au ralenti et que de nombreux pèlerins et touristes ont afflué en cette période de vacances scolaires.

Elle survient aussi cinquante ans et un jour après le début de la guerre israélo-arabe de 1973 qui avait entraîné la mort de 2 600 Israéliens et au moins 9 500 morts et disparus côté arabe en trois semaines de combat.

50 ans après la guerre du Kippour, le Hamas défie Israël sur son sol

50 ans après la guerre du Kippour, le Hamas défie Israël sur son sol

merkavaPA (1).jpg

 

par Philippe Chapleau – Ligne de défense – publié le 7 octobre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2023/10/07/50%C2%A0ans-apres-la-guerre-du-kippour-le-hamas-defie-israel-sur-24158.html


50 ans après le déclenchement de la guerre du Kippour (6-25 octobre 1973), le Hamas a défié Israël sur son propre sol.

Son attaque surprise lancée samedi (jour de shabbat) à l’aube contre les agglomérations du sud de l’État hébreu n’est pas sans rappeler, militairement, celle du 6 octobre 1973 par sa soudaineté, sa violence mais aussi par son issue fatale aux assaillants (Syriens et Egyptiens avaient été écrasés en quelques jours).

Elle soulève des questions déjà posées après la contre-offensive décisive (l’opération Gazelle) et la victoire israéliennes d’il y a 50 ans.

Tsahal et les services de renseignement israéliens n’ont-ils rien vu venir ? C’est visiblement le cas puisque les forces israéliennes ont été bousculées à l’aube par des assaillants moins bien armés mais décidés. Outre le dogme de l’invincibilité de l’armée, c’est aussi celui de l’infaillibilité des services de renseignement qui en a pris un coup. L’incapacité des services spécialisés israéliens à anticiper l’attaque et l’inefficacité de la technologie de pointe mise en œuvre pour scruter les mouvements terrestres, aériens, souterrains et navals du Hamas sont patentes. Même la collecte des signaux faibles semble avoir échoué. Pour sa part, le Hamas affirme avoir réussi à brouiller les systèmes israéliens de surveillance et de communication

Combien de tués ? Certes on sera loin des plus de 3 000 tués israéliens de la guerre du Kippour, mais les pertes tant civiles que militaires sont déjà lourdes. Une partie des unités déployées par Tsahal le long de la frontière ont été massacrées, leurs cantonnements pris d’assaut, leurs blindés neutralisés dont certains « à l’ukrainienne » (lors de lâchers d’obus de mortier par drone). 100 morts israéliens et près de 300 tués palestiniens, selon les premiers décomptes. Le bilan ne pourra malheureusement que s’alourdir, en particulier dans les rangs palestiniens puisque la riposte d’Israël s’annonce sans pitié. 

Politiquement, quel sera la portée de cette attaque? La société israélienne, déjà sous pression et divisée, risque d’abord de sombrer dans le doute et d’être victime d’une réelle déstabilisation, comme en 1973. Mais l’effet final pourrait être inverse, la forçant à une union d’une part derrière ses chefs militaires et politiques et d’autre part face au Hamas et à ceux qui le soutiennent, de l’Autorité palestinienne au régime de Téhéran.

Tigré, une guerre cachée

Tigré, une guerre cachée

par  Théodore Rayane (*) – Esprit Surcouf – publié le 6 octobre 2023
Étudiant en relations internationales

https://espritsurcouf.fr/humeurs_tigre-une-guerre-cachee_theodore-rayane/


Nous avons classé cet article dans la rubrique « Humeurs ». Non pas parce que l’auteur y déverse sa grogne. Mais parce qu’on y sent l’indignation qu’il éprouve
– et que nous partageons – face tout autant à ce conflit meurtrier qu’au quasi silence qui l’a recouvert. Il est vrai que la presse a très peu parlé de cette guerre civile, et il est vrai que peu de Français sauraient l’expliquer.

L’histoire de l’Éthiopie est très ancienne, ce qui lui vaut d’avoir sans doute le titre du plus ancien « Etat » d’Afrique. Officiellement connue sous le nom de République fédérale démocratique d’Ethiopie, pays de la Corne d’Afrique de 1,1 million de kilomètres carrés, l’Ethiopie est le deuxième pays le plus peuplé du continent africain, abritant une population de 120 millions d’habitants. Elle est connue pour ses grands plateaux, qui ont vu le premier noyau identitaire du pays se former avec le mélange ethno-culturel des populations du royaume de Saba et celles des plateaux éthiopiens.

Piqûre de rappel

Dans son histoire plus contemporaine, l’Éthiopie a focalisé l’attention lorsqu’elle a connu une effroyable crise humanitaire en 1984-1985, entrainant la mort de 1,2 million d’habitants. Deux famines ont décimé la population à quelques semaines d’intervalles, ce qui a provoqué l’émoi international et l’engagement de plusieurs États pour porter du secours, la France, la Grande-Bretagne et le Canada notamment.

Après ce douloureux chapitre, l’Éthiopie s’est distinguée par son important dynamisme économique. Avec une croissance de 9,6% par an entre 2010 et 2020, ce pays d’Afrique de l’Est a réussi en quelques années à changer son économie principalement agricole en une « puissance manufacturière ».

Par ailleurs, la Banque Asiatique d’Investissement dans les Infrastructures (BAII), proposée et soutenue par la Chine lors de son lancement en janvier 2016, a joué un rôle significatif dans ce pays d’Afrique de l’Est. Elle a financé des projets de connectivité régionale avec la construction du chemin de fer électrique reliant la capitale éthiopienne à Djibouti, voie de transit importante pour le commerce. Elle a aussi accordé des financements pour la construction d’infrastructures dans le secteur hydroélectrique. Le grand barrage de la Renaissance en est l’exemple. Il s’étendra sur une zone de près de 1874 kilomètres carrés et aura une capacité de stockage de 74 milliards de mètres cubes d’eau. Encore en construction, il sera le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique avant l’horizon 2030.

Abiy Ahmed, 1er ministre de la République fédérale
démocratique d’Ethiopie ; photo DR

Depuis 2018, l’Ethiopie est dirigée par Abiy Ahmed. Ce dernier a été lauréat du prix Nobel de la paix 2019, pour ses actions visant à résoudre le conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Il incarne un renouveau dans la classe politique car, entre 1991 et 2018, les Tigréens (résidents du nord de l’Éthiopie, de religion orthodoxe) ont dominé la vie politique éthiopienne. Toutefois, après avoir été bienfaiteur, il a été pointé du doigt par la communauté internationale, en raison d’une guerre peu médiatisée, voire oubliée, qui a éclaté au Tigré (au nord du pays) et qui s’est déroulée de novembre 2020 à novembre 2022.

A l’instar de l’ex-Yougoslavie composée de plusieurs populations, l’Éthiopie regroupe 80 groupes ethniques distincts aux dialectes variés. Mais la langue n’est pas la seule différence : un tiers des Éthiopiens est musulman et quasiment la moitié est chrétienne orthodoxe. Pour concilier les identités culturelles et les conserver, l’Ethiopie est régie depuis 1995 en plusieurs région-Etats, c’est une République fédérale. Toutefois, l’arrivée d’Abiy Ahmed au pouvoir a fait chanceler le « rêve du fédéralisme ethno-linguistique éthiopien », car l’homme a une vision unitaire du pays. En 2020, il accuse les gouverneurs de la région du Tigré d’avoir commandité quelques mois plus tôt l’attaque de bases militaires. Il annule les élections régionales de 2020, provoquant le mécontentement des Tigréens. Ces derniers organisent leur propre mode de scrutin, attisant encore plus les tensions pré-existantes.

Le 3 novembre 2020, les affrontements commencent, les frictions ethniques ne vont que s’intensifier, la guerre va durer deux ans.

Manque de médiatisation et catastrophe humanitaire

Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a « dressé un tableau très sombre » du conflit éthiopien, mais la presse internationale n’a pas suivi. Il est vrai que l’opinion publique internationale est peu informée des problématiques africaines : seulement 6 à 9% du volume total du contenu des médias occidentaux concerne l’Afrique.

Les différents groupes armés et le contexte de tension continuel ont fait obstacle au travail journalistique. Les quelques vidéos auxquelles a eu accès la communauté internationale avaient pour auteurs des organisations politiques de l’un ou l’autre camp, et étaient donc gorgées de propagande. Toute vérification d’informations était par ailleurs prohibée par les autorités locales. À cela s’ajoute que durant le conflit, le Tigré a été largement privé d’électricité et de télécommunications. Il était très difficile pour la presse internationale d’accéder sur place. Selon le Comité de Protection des Journalistes (CPJ), entre novembre 2020 et août 2022, 63 journalistes ont été arrêtés. Le CPJ dénonce également les longues détentions injustifiées de journalistes n’ayant aucune inculpation.  

Ce manque de médiatisation a caché une colossale tragédie humanitaire. Pour montrer sa force, le gouvernement d’Abiy Ahmed a coupé la possibilité aux Tigréens d’avoir accès à des médicaments, à de la nourriture et à du carburant. Le pays a compté 22 millions de personnes nécessitant une aide humanitaire urgente. Le médiateur de l’Union Africaine, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, a fait état de 600 000 morts depuis le début du conflit.

La torture et les viols ont été des armes exploitées sans mesure, tout comme les exactions. En janvier 2021, à Mahabere Dego, la 25ème division de l’armée gouvernementale éthiopienne a massacré 75 personnes au bord d’une falaise, alors qu’elles ne représentaient aucun danger.  Les combats ont été d’une extrême violence, tout comme les répercussions sur les civils. Lorsque le FPLT (Front Populaire pour la Libération du Tigré) a attaqué en décembre 2021 la frontière Afar, ce furent des combats à l’arme lourde qui provoquèrent l’exode de plus de 400 000 civils Afars. On estime que deux millions d’éthiopiens sont aujourd’hui déplacés, la majorité ayant fui vers le Soudan voisin. Le gouvernement éthiopien utilisait des drones de combat, l’un d’eux a frappé un camp de réfugiés dans le nord-ouest du Tigré. L’International Crisis Group (ICG) et Amnesty International (AI) décrivent le conflit en Éthiopie comme « l’un des plus meurtriers au monde ».

Et maintenant

Le 2 novembre 2022, à Prétoria, en Afrique du Sud, un accord de cessation des hostilités a été signé entre le gouvernement fédéral d’Éthiopie et les autorités rebelles du Tigré. Il mettait un terme à deux ans d’un conflit meurtrier. Cet accord stipule une « cessation des hostilités » tant directes qu’indirectes, incluant les guerres par procuration, et un « désarmement méthodique ».

L’accord de cessation des hostilités est signé par Redwan Hussein, représentant le gouvernement éthiopien, et Getachew Reda, au nom du FPLT. Photo DR

:
Il devait mener à des négociations aboutissant à un accord de paix. Mais la paix n’est toujours pas signée, même si le Parlement éthiopien, le 22 mars 2023, a retiré le FPLT de la liste des entités terroristes. L’accord entérinait implicitement la capitulation du Front Populaire de Libération du Tigré. Son seul levier politique était sa force armée, il en est désormais dépourvu. Aussi la région est-elle assujettie aux velléités territoriales et politiques d’Abiy Ahmed (1er ministre éthiopien), d’Issayas Afewerki (président de l’Erythrée) et de l’élite Amhara (groupe ethnique situé dans le centre-nord du pays).

Les Tigréens se sentent lésés. Les tensions restent vives. Human Rights Watch, organisation internationale non gouvernementale, a indiqué que les autorités locales et les forces Amhara continuent à procéder à des expulsions de civils dans le nord de l’Ethiopie. Les colonels Demeke Zewdu et Belay Ayalew sont les principaux responsables de la détention arbitraire, de la torture et des expulsions forcées des Tigréens. Le nettoyage ethnique ne s’interrompt pas. S’ajoute à cela des détentions massives, dans conditions très précaires occasionnant beaucoup de morts du côté des Tigréens. Par ailleurs, le gouvernement éthiopien n’a pas montré grand intérêt à juger les responsables de massacres, ce qui amène les civils à se faire justice par leurs propres moyens, n’arrangeant pas le processus vers la paix.

La catastrophe humanitaire que connaît le pays a poussé l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) à livrer, en août dernier, plus de 17 tonnes de fournitures médicales d’urgence à destination de 70 000 bénéficiaires dans les structures hospitalières et de santé de 9 zones de la région. L’OMS et la Société de la Croix-Rouge éthiopienne ont également fourni à la région d’Ahmara des kits de traumatologie et de chirurgie d’urgence.

Des massacres sans commune mesure et des violences sexuelles en quantité titanesque se sont produits durant la guerre du Tigré, montrant l’absence totale d’une once d’humanité, a relevé le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken. Un Etat fracturé, des populations hétérogènes complètement chamboulées, après deux décennies où la croissance économique éthiopienne était fulgurante, la guerre a cassé la dynamique de développement du pays et a ravivé les haines.

(*) Théodore Rayane, étudiant à l’ILERI (Institut Libre des Études en Relations Internationales), membre de l’association « ILERI Défense », est passionné par la géopolitique, et les cultures et histoires des peuples.

Défaite !

Défaite !

par Michael BRENNER -CF2R – publié en septembre 2023

https://cf2r.org/tribune/defaite/

Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

 

 

De premiers points d’appui en Ukraine pour la filière défense française

De premiers points d’appui en Ukraine pour la filière défense française

– Forces opérations Blog – publié le

Mission accomplie pour la vingtaine d’entreprises de défense française conduite cette semaine à Kyiv par le GICAT. Accompagnée du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, cette délégation y a jeté les bases d’une coopération de long terme avec la filière industrielle ukrainienne. Autant de partenariats bilatéraux officialisés en marge d’un premier Forum international des entreprises de défense et dont l’objectif commun sera d’ancrer l’appui aux force ukrainiennes dans la durée.

« Il n’y a pas de défense sans industrie de défense », rappelait le secrétaire général de l’OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg, lors d’un forum qui aura attiré plus de 160 entreprises de 26 nationalités différentes dans la capitale ukrainienne. L’enjeu partagé par tous ? Participer à l’émergence d’une base industrielle et technologique de défense robuste, innovante et dimensionnée pour appuyer une armée engagée dans un conflit appeler à durer. 

En amorçant cette démarche, la France souhaite miser autant, voire davantage, sur les acquisitions et le partage des savoir-faire que sur les dons de matériels. « Nous allons passer d’une logique de cessions à partir de nos stocks, à celle de partenariats industriels », affirmait le ministre des Armées. « Nous avons une grande industrie de défense, qui peut aider les Ukrainiens à être endurants pour assurer des livraisons dans la durée. Ce n’est pas une question de profits, mais bien d’assurer une aide directe et durable », complétait-il lors d’un entretien accordé au Parisien

Si elle implique de rivaliser avec des mastodontes mieux implantés comme les États-Unis et l’Allemagne, l’initiative se concluait par une première salve de succès. « Près de 16 accords ont été signés entre les industriels français et les industriels ukrainiens », annonçait hier le ministère des Armées. 

Nexter décrochait ainsi une commande pour six CAESAR supplémentaires, en plus des 18 donnés par les armées françaises et des 12 acquis auparavant par l’Ukraine. La maison-mère, KNDS, a quant à elle signé un accord pour l’intégration en territoire ukrainien d’armements sur les véhicules des forces armées. Déjà mobilisé pour la fourniture de 150 drones, le toulousain Delair remportait un nouveau contrat pour la livraison d’exemplaires supplémentaires.

D’autres partenariats relèvent du soutien d’équipements en service et de perspectives de productions locales. Ainsi, si Nexter et de Delair assureront la maintenance des CAESAR, AMX-10 RC et drones en service au travers de sociétés ukrainiennes, Arquus fera de même pour les VAB cédés par la France via la production par un partenaire local de pièces de rechange. Le groupe français et son nouvel associé se sont également engagés à étudier la perspective d’une production de VAB neufs en Ukraine. 

Spécialiste de l’impression 3D, Vistory s’est rapproché d’une société ukrainienne pour déployer des ateliers mobiles de fabrication de pièces de rechange sur le théâtre d’opérations, contribuant par là à accélérer et à rapprocher du front certaines opérations de maintenance. Enfin, Thales et Turgis & Gaillard ont chacun signé un accord avec un acteur ukrainien « pour co-développer des drones, avec comme perspective de les fabriquer localement ».

Cette approche au cas par cas s’entoure par ailleurs de deux accords ratifiés par la Direction générale de l’armement (DGA) et le GICAT, tous deux visant à renforcer la coopération franco-ukrainienne en matière d’armement. Pour perdurer, elle devra également trouver une base financière solide. « Il y aura, pour accompagner cela, des fonds français, européens et des fonds souverains ukrainiens », indiquait Sébastien Lecornu à ce titre dans Le Parisien.

Crédits image : Forces armées ukrainiennes