Les Marines, un corps à part dans l’imaginaire militaire

Les Marines, un corps à part dans l’imaginaire militaire

par Lilian Tassin – Revue Conflits – publié le 8 octobre 2024


Alors que les Marines ne représentent que 10% des forces armées américaines, ils sont régulièrement associés aux soldats américains et à l’armée de Terre. Cet amalgame est le fruit d’un rapport décomplexé des Marines avec l’influence, les médias et le mythe. Analyse de la construction historique de ce corps militaire.

Le 17 octobre sort aux éditions Perrin le premier ouvrage en langue française sur le Corps des Marines, par Nicolas Aubin. Fait étonnant, quand on pense qu’on associe fréquemment le soldat américain à un Marine alors que ceux-ci ne représentent jamais plus de 10% des forces armées américaines. Mais d’où vient cet amalgame ? Sûrement du rapport décomplexé qu’entretiennent les Marines avec l’influence, les médias, et le mythique. Au-delà du simple récit militaire, l’ouvrage de Nicolas Aubin entend donc analyser les rapports entre les Marines et la culture américaine, qui expliquent largement le paradoxe initial pour nous français.

Cet article représente la première partie d’un mémoire réalisé à l’Académie Militaire de West Point, le creuset des officiers de l’US Army, par un sous-lieutenant français de Saint-Cyr en stage. Il s’agit de montrer que le Corps des Marines a fait preuve d’une capacité d’adaptation multiforme pour, premièrement, éviter son éviction des forces armées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et ensuite, progressivement, s’imposer comme l’outil privilégié de la politique étrangère américaine dans les deux premières décennies de la Guerre froide. En s’interrogeant sur le processus qui a permis ce retournement de situation, c’est tout le contexte culturel, institutionnel et politique américain de l’époque qui rejaillit. Cette étude souligne aussi le fait que l’évolution du statut du Corps des Marines est liée à l’évolution de la place que se donnent les Américains dans le monde : d’une réduction drastique de budget privant le Marine Corps d’avenir dans l’immédiat après-guerre, on aboutit vingt ans plus tard à l’hégémonie d’une unité moderne tant dans l’organisation militaire américaine que dans les missions qu’elle est capable de remplir. L’auteur a de plus pu profiter d’accès aux archives du Congrès à Washington pour analyser ce renversement de situation.

Pour finir, cette partie est centrée sur le concept de « guérilla politique » qu’a mené le Corps pour pérenniser son existence. À rebours de Platon, les protecteurs de la Cité trouvent leur salut dans la population qu’ils sont censés protéger. En profitant de l’expérience accumulée dans des conflits en Amérique centrale, les Marines parviennent à éviter la dissolution par des procédés d’influence novateurs et multiformes vis-à-vis de la société américaine. Loin de la « Grande Muette », le Corps des Marines montre alors que les forces armées ne sont pas des institutions monolithiques et donne à réfléchir sur les rapports civilo-militaires dans les démocraties occidentales.

Partie I- Éviter la disparition par la lutte : une guérilla institutionnelle ?

« The Marine Corps, then, believes that it has earned this right—to have its future decided by the legislative body which created it—nothing more. Sentiment is not a valid consideration in determining questions of national security. We have pride in ourselves and in our past, but we do not rest our case on any presumed ground of gratitude owing us from the Nation. The bended knee is not a tradition of our Corps. If the Marine as a fighting man has not made a case for himself after 170 years of service, he must go. But I think you will agree with me that he has earned the right to depart with dignity and honor, not by subjugation to the status of uselessness and servility planned for him by the War Department. »[1].

Chapitre I – La remise en cause de l’existence du Corps après la Seconde Guerre mondiale.

Une baisse rapide des effectifs à la fin de la guerre.

« Bring the Boys home »[2]. À l’annonce de la capitulation du Japon le 2 septembre 1945 sur l’USS Missouri, la ferveur populaire laisse rapidement sa place à des manifestations pacifiques réclamant la démobilisation immédiate des soldats dans le Pacifique qui ont dû se battre trois mois de plus que leurs camarades en Europe pour terminer la guerre. Le Victory Over Japan Day (abrégé V-J Day) constitue l’apogée pour le Corps des Marines. Auréolé de gloire pour sa campagne du Pacifique et soulagé de ne pas avoir eu à mettre en œuvre l’Operation Downfall qui avait pour but l’invasion du Japon au prix d’un million de victimes américaines[3], les officiers supérieurs sont chargés de mettre en œuvre le retour des Marines aux États-Unis. Le Corps définit son objectif qui est de conserver une force de réaction rapide de deux divisions et deux escadres aériennes, plan qui aurait supposé la conservation de 100 000 soldats et 8000 officiers en temps de paix[4]. D’un effectif de 485 053 hommes au V-J Day, le Marine Corps ne compte plus que 155 592 soldats une année plus tard. Le Corps des Marines est néanmoins tenu d’assurer une présence en Asie comme en Corée, en Chine, au Japon ou aux Philippines où il participe au maintien de l’ordre. 46 000 Marines des 1st et 6th Marine Division sont par exemple présents en Chine sous le commandement de MacArthur pour maintenir le statu-quo le temps de trouver un compromis entre nationalistes et communistes[5]. Cela conduit à des épisodes fâcheux où la troupe se rebelle et déclenche même une pétition demandant au Congrès leur immédiate démobilisation, conduisant le Lieutenant General Roy S. Gieger à enfermer 9 sous-officiers et à choquer l’opinion publique[6]. Il est important de rappeler le contexte opérationnel des Marines de l’époque, entre maintien de missions importantes en Chine et baisse drastique des effectifs voulue par le Congrès et les Américains, pour comprendre le climat d’incertitude qui va s’installer suite aux réformes de l’administration Truman.

La réorganisation des forces américaines : le Joint Chiefs of Staff (JCS).

En décembre 1941, le Président Roosevelt établit le Joint Chiefs of Staff pour répondre à l’absence de structure coordonnant les efforts militaires au niveau stratégique. Il compte le Chief of Staff for the President, le Chief of Staff of the Army (General Marshall), le Chief of Naval Operations (Admiral E. J. King), et, le senior Army Air Corps officer (Major General Henry H. Arnold)[7]. L’US Air Force n’existe pas encore en tant qu’unité indépendante et elle est rattachée à l’US Army tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Le 2 novembre 1942, Mac Arthur écrit un mémorandum pour le Président qui jette les bases de l’unification des services voulus à la fin de la guerre sous la régence d’un Department of War.

« Relating to the single department of war in the postwar period, single department to be headed by a civilian secretary and composed of ground, naval, and air components, with a separate supply service, each under its own civilian under secretary and military chief of staff. There would be a chief of staff to the President, who, with the other four service chiefs, would constitute a United States General Staff (joint). Each Armed Force would retain « a small general staff. »[8].

 Cette vision unificatrice proposée par Mac Arthur a pour origine une volonté de coordonner plus efficacement les efforts des différents bureaux et de les relier de manière plus directe au Président. La volonté de centralisation est aussi partagée par le sénateur Harry S. Truman. En 1942, ce dernier est Chairman of the War Investigating Committee et assiste à ce qu’il considère comme un « gaspillage bureaucratique qui le dégoûte en dilapidant l’effort de guerre sous des contraintes juridictionnelles » et marque « profondément » sa vision du haut-commandement militaire. Il déclare même que les militaires n’ont « aucune connaissance de la valeur de l’argent. »[9].

Les travaux sur l’unification débutent dès fin 1944 et deux projets émergent. D’abord, l’US Air Force sera indépendante une fois la guerre finie du fait de l’importance prise par les vecteurs aériens symbolisée par les bombardements stratégiques sur l’Allemagne nazie et nucléaires sur le Japon. Le Strategic Air Command a prouvé son utilité par des raids « psychologiques » comme l’opération Doolittle sur Tokyo et par la préparation minutieuse du débarquement de Normandie. Le deuxième point concerne les Marines. Ceux-ci n’ont pas de siège attitré au JCS de par leur sujétion à l’US Navy alors que les forces aériennes nouvellement indépendantes en ont un. Cette invisibilité expose le Corps à des manœuvres de prédation des autres services qui se disputent les prérogatives et moyens des Marines qui sont considérés comme un doublon hybride de l’US Air Force, de l’US Army, et de l’US Navy.

Face à ces acteurs peu enclins aux concessions, le General Vandegrift tente d’attirer l’attention sur le haut niveau de préparation que nécessite une opération amphibie. Commandant la 1re division de Marines lors de la bataille de Guadalcanal qui est la première offensive terrestre des États-Unis, il est titulaire de la Medal of Honor et est le premier Marine à devenir General (quatre étoiles). Il est commandant du Marine Corps à la fin de la guerre. Il rappelle qu’il ne faut pas confondre duplication des efforts et emploi parallèle des forces[10]. Vandegrift face aux autorités qui qualifient le Corps d’anachronisme souligne enfin que l’aviation est essentielle au corps par les missions d’appui rapproché qu’elle remplit[11]. Il est alors possible d’imaginer que du point de vue rationnel de l’administration Truman, pour qui l’économie du budget et le retour à la paix étaient la priorité, celle-ci fut peu concernée par le sort de l’esprit de corps des Marines.

Autrement dit, le Corps des Marines fait face à une coalition de services qui veulent, dans un souci de rationalisation, démembrer sa composante aérienne et la transférer à la toute nouvelle Air Force ou à la Navy, déléguer sa prérogative amphibie à l’Army et finalement circonscrire son activité à celle d’une infanterie prépositionnée dans le Pacifique et gardienne d’installations navales[12].

Les tentatives de prédation des autres services vis-à-vis des Marines

Les Marines sont donc très incertains quant à leur avenir durant cette période. Exploitant le fait que le Corps n’a pas voix au chapitre lors des réunions des chefs d’armées siégeant au commandement interarmées, les autres services mettent en œuvre de véritables stratégies qui soulignent la volonté réelle de le supprimer. Les sessions d’écoute au Congrès concernent directement l’avenir du Marine Corps mais ne comptent souvent pas de représentants du Corps alors que Quantico, maison-mère des Marines, se trouve à moins d’une heure de Washington. Par exemple, le comité de 1945 interroge quatre-vingts officiers, dont seulement trois officiers généraux de l’US Navy. Trois officiers généraux des Marines sont interrogés dans le Pacifique et non à Washington comme les autres[13]. Autre différence de traitement exposée par les Marines à l’époque, des détails comme le statut du Marine Corps ne peuvent être décidés que par le commandant du Joint Chief of Staffs (JCS) qui est souvent un Général de l’Army avec des vues forcément partiales[14]. L’US Navy critique aussi la toute-puissance de l’Army avec l’Admiral Halsey qui déclare lors des auditions de 1945 :

« One might just as well ask a committee composed of a Protestant, a Catholic, and a Jew to save our national souls by recommending a national church and creed. »[15].

Néanmoins, face au Président Truman qui rejoint aussi la controverse en déclarant vouloir supprimer « the own little Army that talks Navy and is known as the Marine Corps.»[16]. L’US Navy en vient à se désolidariser du Corps, théoriquement réuni au sein du même ministère, afin de se battre pour garder son aviation embarquée. Le Secretary of the Navy James Forrestal et l’Admiral Sherman, plus hauts représentants à Washington des intérêts navals, jugent par exemple que le Marine Corps peut servir de sacrifice pour contenter les autres services.

« Q: Was it your impression that in this fight the Navy would have sold the Marine Corps down the river?

General Krulak: It’s not fair to speak of the Navy. It’s more correct to speak of the people who were carrying the Navy share of the unification load. I believe that Admiral Forrest Sherman would have willingly, not because of any animosity for the Marine Corps, but because of his sagacity realizing that the Marine Corps was a very big blue chip that he could use. Admiral Burke would not, nor would Radford. »[17].

Un Marine participant aux auditions de la commission parlementaire sur l’intérêt de l’unification déclare à la suite du revirement de la Navy :

 « What Chief of Naval Operations wants to go down as an evangelist for the Marine Corps ?»[18].

Quant à l’Army, l’avis du Supreme Allied Commander Dwight D. Eisenhower est explicite sur la position adoptée à l’encontre du Marine Corps. Celui-ci déclare que le développement de la force amphibie des Marines pendant la Seconde Guerre mondiale relève d’une exception, et qu’une division claire entre opérations terrestres et navales devrait être faite. À ce titre, le rôle des Marines serait réduit à la protection d’emprises navales à l’image de nos fusiliers marins français. Une citation tirée des auditions du Sénat résume sa pensée :

« When naval forces are involved in operations requiring land forces of combined arms, the task becomes a joint land-sea, and usually air force mission. Once Marine units attain such a size as to require the combining of arms to accomplish their missions, they are assuming and duplicating the functions of the Army and we have in effect two land armies. »[19].

Finalement, Eisenhower recommande un Corps de 60 000 hommes, soit presque huit fois moins que les effectifs lors du V-J Day. Cette hostilité manifeste envers le Marine Corps est selon Gordon H. Keiser liée aux coupes de budget qui réduisent l’US Army de 1 500 000 hommes en 1946 à 1 000 000 en 1947 et 650 000 les années suivantes. Les leaders de l’US Army sont en effet les grands oubliés de l’après-guerre, car les dépenses concernent surtout le développement de nouveaux aéronefs pour l’Air Force et l’entretien de la gigantesque flotte américaine, représentant 70% du tonnage mondial au V-J Day[20].

Privé du soutien de l’US Navy, visé par l’US Army pour sa composante amphibie, par l’US Air Force pour son aviation et finalement par l’administration Truman pour son budget, le Corps ne pouvait compter que sur lui-même, c’est-à-dire son ingéniosité et son rapport particulier aux Américains, pour espérer s’en sortir.

Chapitre II- Survivre par la lutte : la guérilla politique des Marines au Congrès.

« We had a loyal bunch of Marines out there on the Hill, and they moved freely across party, committee boundaries, and everything; they were everywhere. »[21].

Les Marines protégés par le Congrès.

[22]

En 1947, le National Security Act promulgué par le Congrès fige le rôle et les missions du Marine Corps dans le marbre législatif et empêche ainsi le Président de transférer ces prérogatives à d’autres services. En 1952, le Douglas-Mansfield Act intervient de manière agressive dans les pouvoirs de Chef des Armées du Président en octroyant un siège au JCS pour les Marines, en décidant d’un effectif minimal à ne pas dépasser et d’un statut indépendant réaffirmé, faisant du Corps le seul service à bénéficier d’autant d’appui au Congrès. En 1958, par le Defense Reorganization Act, le Congrès crée une passerelle entre les chefs d’armées (Navy, Army, Air Force) et le Capitole, excluant de fait le Président. À l’époque, le Président Eisenhower parle « d’insubordination légalisée »[23].

Grâce à cette protection législative, le Corps atteint 7% des forces armées en 1960 contre 4% en 1945. Le Congrès a même tenté trois fois d’augmenter le budget des Marines sous le mandat d’Eisenhower[24]. De tous les chiffres avancés par Aaron B. O’Connell, celui concernant la croissance de la flotte de bâtiments amphibies est évocateur, car il représente à lui seul le passage d’une situation précaire à une reconnaissance de l’utilité du Marine Corps. La flotte amphibie représente 17% des bâtiments totaux de l’US Navy en 1966 contre 12% en 1950, soit 159 navires contre 70[25].

Tous ces chiffres et faits sur l’expansion de l’US Marine Corps à cette période démontrent le lien étroit qu’il existait entre les Américains qui votent pour des représentants ayant un agenda clair (la protection des Marines dans ce cas), le Congrès et les forces armées à cette période. Loin d’être omnipotent en matière de Défense, le Président doit composer avec un Congrès qui détermine lui aussi la politique étrangère et les forces armées en conséquence. Cela remet donc en cause l’idée comme quoi le citoyen n’a pas d’influence législative sur ses armées face au Président qui en ferait un domaine régalien en dehors du débat. Le Marine Corps en est le parfait exemple, car il s’est agrandi contre la volonté de l’executive grâce à ses appuis au Congrès et sa popularité parmi les Américains. Il convient maintenant d’analyser les ressorts de ce changement de situation.

Une bande de guérilleros ?

« They were no briefings, no charts, none of the formal devision-making apparatus, […] we operated much more like the CIA. »[26].

Sous l’égide d’officiers comme Heinl, ministre de la Propagande auto-proclamé de la Chowder Society, un groupe d’officiers supérieurs, majoritairement commandants et lieutenants-colonels, a défendu la cause des Marines face à des groupes hostiles à sa survie. Un rapprochement peut être fait toute proportion gardée avec des techniques de guérilla pour étudier les méthodes de cette cellule activée en 1946 pour influencer l’avenir du Corps. À l’exception de l’action violente, on retrouve ainsi tous les procédés qui ont permis à une unité beaucoup plus petite de saper un processus à son encontre. Premièrement, l’organisation était décentralisée et les opérations n’étaient pas décidées par le Commandant Vandegrift qui dédiait son temps à Washington à la défense du Corps. Robert Debs Heinl était un colonel ayant combattu à Iwo Jima et en Corée. Il déclare ainsi que Vandegrift n’avait jamais vu la Chowder Society personnellement[27], « qu’il y avait une cécité intentionnelle sur ce qu’ils faisaient » et qu’il leur est arrivé de mentir quand le Général leur a demandé de stopper leurs activités à la suite d’une réprimande de Truman qui ne supportait plus le lobby Marines[28]. S’appelant entre eux les termites, car ils étaient une cellule cherchant à battre une structure établie, bureaucratique, et beaucoup plus large depuis l’ombre[29], ils regroupent tous les procédés d’action caractéristiques d’un belligérant engagé dans une lutte asymétrique. En plus de la décentralisation, on peut citer la recherche d’alliés dans l’opinion publique, la surprise, la flexibilité et l’innovation comme éléments principaux de l’action de la Chowder Society.

Un point important est que les deux officiers les plus expérimentés de la cellule ont une forte expérience dans la contre-insurrection en ayant été engagés au Nicaragua et à Haïti durant l’entre-deux-guerres, ce qui a mené le Brigadier General Edson à écrire dans le Small Wars Manual, publié en 1940, ouvrage récapitulant les enseignements tirés par les Marines dans la Guerre des Bananes. Cette expression est utilisée pour décrire les conflits déclenchés, souvent pour motif économique, par les États-Unis en Amérique latine entre la guerre contre l’Espagne (1898) et le début de la politique de bon voisinage (1934-1935).

« The military strategy of small wars is more directly associated with the political strategy of the campaign than is the case in major operations… In small wars, either diplomacy has not been exhausted or the party that opposes the settlement of the political question cannot be reached diplomatically. Small war situations are usually a phase of, or an operation taking place concurrently with, diplomatic effort. »[30].

On voit dans cet extrait que les Marines ont bien compris que l’influence sur la population est toute aussi importante voir supérieur à l’opération armée pour obtenir la victoire. Il décrit même la manière dont les réseaux informels doivent être organisés pour communiquer avec la population et contourner l’influence des locaux[31], éléments modernes qu’on retrouve aussi chez David Galula, grand théoricien de la contre-insurrection encensé par David Patraeus, général américain qui commandait l’opération Iraqi Freedom en 2008. Les travaux de Galula, redécouverts par les Américains alors qu’ils étaient oubliés en France, définissent quatre principes de la contre-insurrection[32] qu’on peut rapprocher des techniques de la Chowder Society aux États-Unis en prenant le mode d’action du côté de l’insurgé et non du contre-insurgé : l’importance cruciale de la population qui est la pierre angulaire de toute stratégie insurrectionnelle, une minorité hostile (dans ce cas la Chowder Society) insaisissable et déterminée à gagner, un soutien de la population seulement conditionnel, car il s’entretient par des actions favorables à leurs intérêts (lobbying) et enfin des efforts non pas tous azimuts, mais dans des secteurs clés (médias, élus).

Dans ce cadre, les Marines excellaient et envisageaient la société américaine comme un champ de bataille où tous les coups étaient permit comme l’écrit Heinl : « a man fighting for his life doesn’t very much question the intellectual or moral alignments of someone who steps in and fight on his side. »[33]. Le vol des 1478 Papers, déclarations classifiées d’Eisenhower sur l’avenir des Marines constitue un bel exemple d’opération illégale en ce qu’il implique plusieurs crimes relatifs à la sécurité nationale. Ces documents étaient inaccessibles au Général Vandegrift, car ils étaient classifiés top secret, mais ils pouvaient être d’une grande aide pour montrer l’existence d’arrangements entre les différents services contre les Marines. Le Brigadier General Edson, alors officier de liaison à Washington, s’est introduit dans le bureau du Chief of Naval Operations, a subtilisé les documents pour en faire des copies et les a envoyés à Quantico[34]. Au-delà de l’épisode rocambolesque, la Chowder Society s’est félicitée de cette opération qui s’inscrit dans « l’art honorable du braquage institutionnel »[35] et qui a servi à appuyer la cause auprès de la presse et du Congrès après son envoi par Heinl au total mépris des articles 94, 95, et 1252 des U.S Naval Regulations qui interdisent tout contact informel entre le Navy Department et le Congrès.

[36]

Hittle était un officier général des Marines ayant combattu pendant la Seconde Guerre mondiale et à l’époque lieutenant-colonel. Il s’occupait de l’aspect législatif dans la lutte de la Chowder Society et fut même nommé conseiller spécial de Clare Hoffman, ténor de la coalition Marines à la Chambre des Représentants. Les Marines actuels lui créditent la survie de l’aviation du Corps face à l’hostilité de l’Air Force. Il décrit ici l’action du Major Lyford Hutchens, mystérieux spécialiste dans l’action dissimulée, un des nombreux rouages de la cellule pro-Marines­, aux côtés d’officiers plus âgés comme Twining, à la personnalité « machiavélienne » selon Krulak[37].

Ces archives contenant des témoignages oraux d’officiers de la Chowder Society sont précieuses, mais peuvent aussi amener, dans la mesure où c’est le département d’Histoire de l’Université des Marines dans cette série « Distinguished Marine Interview Transcripts » qui mène les interviews, à fausser quelque peu la réalité vingt ans plus tard pour arrondir les angles avec les autres armées en ce qui concerne la rivalité inter-services.

Enfin, l’étude d’autres profils comme celui du Brigadier General Samuel R. Shaw apportent d’autres détails comme la précarité des officiers de la Chowder Society qui ne bénéficiait pas de tout l’appui financier et logistique du Corps au contraire des lobbyistes, souvent généraux, de l’Army ou de la Navy. Shaw révèle que l’essentiel des dossiers de la cellule était caché dans le coffre de sa voiture et qu’il était considéré comme une « personne suspicieuse » après une enquête du renseignement naval[38], son propre département. De plus, Heinl a demandé des fonds au Commandant des Marines en 1949 quand le National Security Act risquait d’être amendé pour créer un réseau de distribution de lettres, de la « propagande collatérale », à d’anciens Marines dans tout le pays :

« We created a basis mailing list of friends of the Marine Corps nationwide, comprising several thousand people of serious influence, grass roots people across the United States. »[39].

À la manière d’un réseau de communication insurgé, Heinl envoyait des lettres blanches reconnaissables et sans en tête de manière à tromper n’importe quel intercepteur sur l’origine du courrier[40]. L’auteur de ce mémoire a par exemple trouvé des lettres envoyées par le Chowder Marine Merritt A. Edson au Daily Pentagraph de Bloomington, Illinois le 10 mars 1952 dans un carton déclassifié en 1972 dans les archives du Congrès[41], consultées le 27/09/2023. On y trouve des indications attestant que 1200 éditeurs auraient été ciblés pour diffuser des informations au grand public critiquant les « soi-disant experts du JCS » qui étaient sur le point de supprimer un Corps dans lequel la nation investissait des milliards de dollars. Cet exemple clair de lobbying indirect montre la manière dont les Marines considéraient les médias comme une arme efficace pour s’assurer le soutien de la population à travers le pays.

Comme évoqué précédemment, la Chowder Society n’était pas une exception parmi les forces américaines à cette période. Comparer le destin malheureux de l’Organizational Research and Policy Division (OP-23), équivalent de la Chowder Society pour la Navy, avec les méthodes des Marines, permet même de souligner le degré d’expertise acquis par les camarades d’Heinl. Décrit par le Washington Post comme un « bureau secret presque entièrement dédié à gêner l’Army et l’Air Force pour empêcher l’unification »[42], celui-ci a été démantelé à l’issue de deux scandales impliquant l’US Air Force. Un document anonyme dénonçant le développement douteux du B-36 Peacemaker, premier bombardier stratégique à pouvoir transporter directement une arme atomique des États-Unis vers l’URSS, met le feu aux poudres. Sur un fond de rivalité interservices et de suprématie du nucléaire sur les forces conventionnelles, les amiraux de la Navy font fuiter ce document dans la presse comme a pu le faire Edson avec les 1478 Papers, mais la tentative de la Navy de s’opposer au JCS, épisode connu sous le nom de « Révolte des Amiraux », échoue[43]. Le Président relève immédiatement le chef de la Navy de ses fonctions et son influence est réduite au Congrès. Les raisons de l’échec de l’OP-23 sont directement imputables à son organisation trop bureaucratique. Les différentes cellules de ce bureau poursuivaient des agendas différents, ce qui a fait voler en éclats la cohésion lorsque les auteurs du document se sont fait lyncher dans la presse, perdant de fait le contrôle des relations publiques. À l’inverse et à la manière d’un judoka qui sait renverser le poids de l’adversaire à son avantage, la Chowder Society était moins nombreuse, mais décentralisée et regroupait des colonels qui n’attiraient pas l’attention quand ils se déplaçaient au Congrès. Elle bénéficiait de fait d’une cohésion plus solide.

La coalition pro-Marines au Congrès

En 1952, alors que le sénateur Paul H. Douglas était un homme politique des plus libéraux dans la chambre, il reçut le soutien inespéré de Joseph R. McCarthy, figure de proue de la paranoïa anti-communiste de la Guerre froide aux États-Unis et conservateur convaincu. La loi qu’il défendait, connue sous le nom de Douglas-Mansfield Act, était un texte très favorable aux Marines[44]. Contre toute attente, McCarthy débloqua les dernières voix nécessaires à la ratification, car tous deux étaient Marines. Leur devise latine Semper Fidelis se retrouve ici, car l’un était 1re classe entre 1920 et 1922 et démocrate alors que l’autre était Lieutenant dans le Pacifique et républicain[45]. En effet, il n’existe pas d’ex-Marines, chacun est considéré comme un membre à part entière, de l’homme en treillis à l’homme d’affaires en passant par l’élu politique. Cette particularité qui participe à l’esprit de corps est importante à saisir si l’on veut comprendre la solidarité qui existe entre eux.

On peut diviser la coalition favorable aux intérêts des Marines au Congrès en trois groupes : les vétérans devenus des élus dans l’une des deux Chambres, les élus sans expérience militaire qui sont devenus des soutiens de la cause des Marines par affinité pour le Corps et les réservistes du Corps qui ont favorisé ses intérêts dans leur activité. La formation de cette coalition hétéroclite témoigne de la stratégie politique mise en place par le Corps en plus de ses agissements plus opaques par la Chowder Society. L’auteur du mémoire a recensé dans un tableau vingt-deux profils composant cette coalition Marines et les a triés par parti d’affiliation, état représenté, type de mandat et durée, expérience militaire et grade. Ce tableau permet de comprendre le pragmatisme de la stratégie politique des Marines qui doivent leur salut à des politiques qui ont trouvé un consensus dans un pays dont la culture politique est marquée par la polarisation entre démocrates et républicains. Parmi les élus du tableau, douze sont républicains et dix démocrates, montrant ainsi que la cause transcende l’antagonisme traditionnel entre les deux partis. De plus, l’expérience militaire rassemble environ 75% de la coalition (16 élus), mais six d’entre eux ne sont pas vétérans et pourtant très actifs pour le Corps comme les representatives[46] républicains et démocrates Clare Hoffman et Carl Vinson. Des déclarations passionnées de ce dernier au Congrès montrent l’attachement de ces élus sans passé militaire à l’avenir du Corps. Si l’on prend les grades des élus ayant servi en tant que Marine, les officiers sont davantage représentés (huit officiers), mais des Privates composent aussi cette coalition (deux militaires du rang). Logiquement donc, la coalition ne comporte pas d’anciens sous-officiers, car il est rare qu’ils se reconvertissent en politique. Enfin, la cause des Marines a aussi rallié quelques élus issus d’autres services comme des profils de l’US Army, certains ayant même rejoint le Marine Corps après leur service dans l’Army (Robert R. Wilson et Delbert L. Latta, élus républicains de Californie et de l’Ohio).

Le groupe de Marines devenus élus est à replacer dans le contexte d’après-guerre aux États-Unis. En effet, fait rarissime dans l’histoire politique du pays, Le soixante-dix-neuvième Congrès et (1945-1947) et les suivants voient une avalanche de vétérans intégrer le corps électoral. Les vétérans de l’US Army (200), de l’Air Force (150) et de la Navy (100) sont les plus représentés avec des noms qui marqueront le pays comme John F. Kennedy ayant fait son service dans la Navy et élu en 1946 ou Richard Nixon élu en 1945 de la Navy aussi. En 1945, les Américains envoient cinquante-cinq élus sans expérience politique et vétérans, neuf d’entre eux étaient Marines, ce qui fait 16% de la délégation totale alors qu’ils ne représentent que 4% des hommes ayant servi durant la Seconde Guerre mondiale[47]. Cette sur-représentation était en partie liée à la popularité du Corps et à la possibilité de faire campagne en uniforme donnée par le commandement en violation complète des règlements de la Navy. Deux cas sont représentatifs de l’opportunisme des Marines pour occuper l’espace politique.

Le premier est surnommé « Silent George ». Plus jeune représentant de la Chambre à vingt-sept ans, George Sarbacher Jr. de Philadelphie est l’exemple parfait de l’instrumentalisation de l’uniforme des Marines comme arme politique. Alors que les démocrates présentaient un vétéran lambda pour les élections du cinquième district électoral de Philadelphie, les républicains ont eu l’idée de présenter le fils d’un membre du parti, qui était Marine, mais n’avait pas d’expérience politique. Sarbacher avait servi deux ans dans le Pacifique comme officier dans le génie, sa campagne politique allait démontrer comment les Marines étaient prêts à interpréter les règles pour renforcer leur position au Congrès. Bien que pouvant porter leurs uniformes dans le public et à des meetings politiques, les militaires américains ne sont pas autorisés à s’adresser aux foules comme le peut faire un candidat en campagne. Les Marines concluent donc qu’il fera campagne sans parler, avec tout l’attirail de ses décorations et avec l’hymne des Marines à chaque entrée spectaculaire sur scène alors qu’un autre membre du parti Républicain ferait ses discours. Il raconte aux reporters :

« I was afraid that if I opened my mouth, I might accidentally say something about the issues, and the opposition would be all over like a four-alarm fire for violating regulations. »[48].

Il remporte aisément les élections et vient renforcer la coalition qui protège le Corps au Congrès.

Le deuxième exemple est plus connu et plus clivant aussi. Le plus jeune membre du Sénat en 1947 est aussi un Marine. Son nom est associé à la paranoïa anti-communiste qui frappa l’Amérique durant la Guerre froide. Joseph R. McCarthy comptait faire une carrière politique avant la guerre, mais un mentor lui a conseillé : « If you want to be a policitian […] be a hero, join the Marines. »[49]. Sa biographie rapporte qu’il fut engagé en tant que lieutenant, et non 1re classe comme il le prétendait, dans le Pacifique au sein d’une escadrille. Officier de renseignement, son travail par définition le cantonnait à son bureau, il n’avait de plus jamais participé à un bootcamp de sa vie. Néanmoins, MacCarthy était convaincu qu’une expérience au combat était nécessaire pour la campagne politique qui l’attendait. Il demanda alors à se greffer à des vols peu risqués en tant que mitrailleur de queue, poste qu’il utilisa pour alimenter la légende de « Tail-Gunner Joe » au Sénat. Il se fabriqua aussi des faux en écrivant ses citations au combat lui-même et en imitant la signature de son supérieur[50], et se lia d’amitié avec l’officier en charge des relations publiques de l’unité qui le mit en scène à l’arrière d’un avion et envoya des critiques positives à son égard aux journaux du Wisconsin, l’état d’origine de McCarthy. On pourrait croire que le Marine Corps n’approuvait pas ces manières, mais à la manière de Sarbacher, il fut retransféré aux États-Unis dans l’été 1944 alors que son unité était engagée à Guam et qu’on manquait d’hommes. Il fut autorisé à faire campagne en uniforme et le Corps créa des posters à son effigie : « The Spirit of Our Fighting Men : Elect Captain Joseph R. McCarthy of the U.S Marines » pouvait-on lire comme montré ci-dessous[51]. Des photographies de lui en uniforme sont disponibles en annexe 6 et rendent compte de la volonté d’associer l’homme politique et son expérience militaire. Une fois élu, il reçut en 1952 la Distinguished Flying Cross en falsifiant son nombre de vols alors qu’il était un ténor au Sénat en faveur des Marines. Le Corps continua à lui octroyer des promotions au Sénat et il atteignit finalement le grade de lieutenant-colonel[52].

Un exemple similaire est retrouvable grâce à la biographie de George Smathers, autre figure de proue des Marines au Sénat. Il déclare :

« When I got retired, I was still a Captain. After I got elected to the Congress, all of a sudden, I get a notice that I had been promoted to Major… I went to the Senate, and I got a notice that I was now a Lieutenant Colonel […] I love the Marine Corps. I thought that it was a great outfit. But I am embarrassed by the fact that since I’ve gotten into Congress and haven’t done a damn thing, I get promoted three times I couldn’t get promoted once when the war was going on and I was really doing something. Now this is ridiculous […] they were really bad about that [53](the promotions). »[54].

Le Marine Corps a donc sciemment orchestré des promotions factices pour favoriser les hommes qui les défendaient au Congrès. Convaincus de l’aura du Corps dans la société américaine, les Marines se sont servis de leurs exploits dans le Pacifique et de l’esprit de Corps pour tisser un réseau de politiciens acquis à leur cause, démontrant ainsi une ténacité admirable face aux tentatives de marginalisation des autres services.

Concernant les élus qui n’avaient pas d’expérience dans les Marines à proprement parler, ceux-ci venaient d’origines très diverses. Certains étaient vétérans d’autres services, mais avaient choisi de défendre le Corps par conviction personnelle comme Edward B. Robertson, gallois vétéran de la Guerre des Boers ou Leverett Saltonstall qui était lieutenant dans l’US Army et dont les deux fils Marines furent tués dans le Pacifique. D’autres n’avaient aucune expérience militaire, mais étaient si passionnés dans la défense des Marines que les élus chantaient spontanément les premiers vers de l’hymne du Corps à chaque prise de parole, anecdote rapportée au sujet de Daniel J. Flood[55]. Se pose maintenant la question de la manière dont ces hommes étaient ralliés à la cause des Marines. En effet, ils n’avaient pas appris la devise Semper Fidelis au bootcamp et pourtant ils ont apporté un appui décisif au Capitole. Il faut pour ceci revenir à la Chowder Society. En utilisant intelligemment leur réseau, les Chowder Marines approchèrent le sénateur Clare Hoffman qui était une connaissance du père du lieutenant-colonel Hittle. Ce dernier lui montra les 1478 Papers écrits par l‘Army qui prévoyaient la dissolution du Corps, ce qui suffit à Hoffman pour activer ses contacts et recruter des soutiens. Le premier jour des auditions, le secrétaire à la Guerre Patterson perdit sa patience tant les questions sur le Marine Corps fusaient : « Marines, Marines ! That’s all I hear. They are not treated any differently than any of the other branches ! »[56]. Même Vandegrift, censé se tenir au-dessus des activités de la Chowder Society par sa position de Commandant participait au lobbying direct par sa relation de longue date avec le sénateur Byrd[57], originaire de Virginie comme lui et membre de la commission des affaires navales. La tradition parlementaire américaine fut donc utilisée à bon escient par les Marines qui se présentèrent en victimes d’un executive tout-puissant.

Pour conclure sur la coalition pro-Marines au Congrès, celle-ci était donc relativement peu nombreuse comparée aux autres groupes, mais soudés par un esprit de corps fort. Elle était non-partisane et les adversaires d’hier devenaient les alliés d’aujourd’hui lorsqu’ils se retrouvaient une fois par mois au « Congressional Marines Breakfast Group »[58]. Ce groupe hétéroclite par ses origines était soudé par des officiers de Chowder Society qui coordonnaient les efforts au Congrès et les opérations d’influence en dehors.

Chapitre III- les Marines et la société : l’instrumentalisation des peurs des Américains.

« In losing its Marine Corps the country would lose more than highly trained body of fighting men. It would lose a symbol of real democracy since the Marine Corps is the most democratic service in the nation. »[59].

Une place privilégiée auprès des Américains

David Galula explique que les insurgés font partie d’une minorité active qui entraîne la majorité par des opérations d’influence. Force la plus populaire de l’armée des États-Unis, les Marines ont joué de cette proximité avec les Américains pour décrédibiliser leurs adversaires et faire valoir leurs opinions sur l’unification des services. Une boutade commune de l’Army envers les Marines moque leur groupe de combat, composé de treize hommes pour les premiers et douze hommes et un journaliste pour les deuxièmes.[60] Plus qu’aucun autre service, les Marines savaient mettre en valeur leur histoire, amenant Truman à dire qu’ils avaient une machine propagandiste presque égale à celle de Staline[61].  Néanmoins, la propagande ne peut pas expliquer seulement cette place particulière des Marines auprès des Américains, car ce n’était pas à sens unique. En effet, les Américains voulaient aussi ce que les Marines avaient à apporter. Aaron B. O’Connell explique que dans un contexte post-guerre mondiale marqué par la croissance économique, l’application civile des technologies militaires, mais aussi la peur du communisme et les débuts de la société globalisée, les Marines apportaient un discours fédérateur et conservateur[62]. En mettant l’accent sur des mots comme « tradition », « histoire », « famille » et « communauté » qui décrivaient leur esprit de corps unique, les Marines tranchaient avec les autres services comme l’Air Force qui promettaient un avenir fondé sur la technologie, le nucléaire, et le règne américain en la matière[63]. Le discours des Marines, diffusé par les vétérans et les contacts de la Chowder Society, ressemblait de fait davantage à ce qu’on pouvait entendre à l’église que dans un roman de science-fiction. Le Corps tenait un discours nostalgique sur la société américaine en rappelant les grands sacrifices des Marines pour la nation et soulignait l’importance du collectif sur l’individualisation naissante. Les 1res classes, « Privates », étaient le nerf de la guerre de cette stratégie communicationnelle,[64] car ils représentaient une approche plus humaine et romantique de la guerre dont un contexte de guerre froide où on présentait des bombes atomiques et des jets supersoniques au grand public comme les assurances de la paix. Le film Sands of Iwo Jima[65] met en scène le sergent Stryker et son groupe de combat. On y voit la vie au quotidien de son unité avec toutes les difficultés auxquelles elle fait face (alcool, pertes, violence). Pour prendre un exemple récent, la série The Pacific[66] met en scène des Privates dans les dix épisodes alors que l’US Navy, l’US Air Force et l’US Army se concentrent sur les navires, avions, officiers et tactiques qui ont changé le cours de la guerre. Cette proximité avec les familles américaines forgée lors de la guerre par les témoignages et le retour des vétérans a permis aux Marines de disposer d’une base solide de citoyens américains favorables à leurs intérêts lors d’une guerre interservices qui opposait une communauté soudée à une masse bureaucratique opaque selon leurs dires[67].

La violence était néanmoins au cœur de la culture des Marines et pourtant ils étaient populaires. Le bootcamp, son drill sergeant et le combat dans le Pacifique étaient des expériences redoutées pour n’importe quel jeune Américain, mais la structure familiale du Corps était rassurante. Les Marines ont en effet eu besoin d’arrondir les angles, c’est-à-dire de cacher les traumatisés et autres scandales, à l’image de Gomer Pyle[68] dans Full Metal Jacket pour espérer pouvoir séduire la société. Toys for Tots en 1947 est un autre exemple d’opération civilo-militaire réussie par les Marines. Créée par le Major Bill Hendricks, cette association avait pour but de collecter et de redistribuer des cadeaux de Noël aux orphelins de guerre. L’association est une réussite et devient rapidement suivie par le commandement qui voit d’un excellent œil ces Marines en uniforme qui distribue cinq millions de cadeaux dans les rues des villes américaines grâce à une campagne de publicité massive de vingt-cinq millions de dollars[69]. Dans une Amérique qui assimilait le treillis à l’expérience douloureuse de la perte d’un proche, des initiatives comme Toys for Tots ont permis de populariser le Corps tout en permettant à ce dernier de nouer des contacts avec tous les organismes qui ont accueilli les Marines pendant leurs tournées. Aaron B. O’Connell cite des Marines spécialisés en relations civilo-militaires qui ressentent une nette amélioration, même dans les communautés à l’origine hostiles, de l’image du Corps après un passage de Toys for Tots[70]. Ci-dessous une photo de Marines avec la star du moment, l’actrice Marilyn Monroe, soulignant les efforts du Corps en matière communicationnelle.

[71]

Après avoir expliqué que les idées associées aux Marines étaient fédératrices et parfaitement adaptées à une Amérique troublée au sortir de la guerre, il faut montrer comment les Marines relayaient leurs messages dans la société. Au-delà de la Chowder Society, les Marines ont révolutionné les relations civilo-militaires en ayant une stratégique médiatique de masse. En 1945, le Brigadier General Robert L. Denig, l’officier en charge des relations publiques du Corps, a eu l’idée de doter le Corps de ses propres reporters, à la manière du service d’informations et de relations publiques des armées (SIRPA) pour l’armée française, créé en 1969. Les Denig’s Demons étaient nés d’une idée brillante d’un officier qui voulait promouvoir son unité. Son chef de cabinet, le First Sergeant Walter J. Shipman partit en direction pour Washington avec pour mission de recruter des journalistes professionnels.

« I prepared for this mission by putting on my blues, my decorations, […] and then went to the city editors for permission to talk to their personnel, and got it in each case. »[72].

Le sergent ne fait pas ici exception, car il raconte dans ses mémoires qu’il rentre en relation avec les journalistes en étant en uniforme et en arborant fièrement ses décorations. Treize journalistes rejoignirent les Marines la première année, dont le futur prix Pulitzer Jim G. Lucas pour son œuvre au Viêt-Nam[73] et d’autres issu de quotidiens prestigieux comme le Washington Post[74]. Le directeur du Washington Times-Herald fit même part de ses inquiétudes face à l’ingérence de militaires dans le milieu journalistique à Roosevelt qui transmit à son tour au Commandant des Marines. Le sergent Shipman quitta finalement Washington pour recruter dans d’autres grandes villes américaines.

À l’image de la Chowder Society qui était une coalition hétéroclite d’officiers ayant pour but d’influencer le Congrès, les Denig’s Demons étaient des journalistes, artistes, animateurs radio, réalisateurs, photographes ou auteurs. La nébuleuse des Marines s’étoffait encore grâce à ces professionnels qui amenaient avec eux leurs contacts, permettant à Denig d’avoir des entrées partout aux États-Unis dans le monde médiatique au moment de la naissance de la société de consommation. Dans le milieu du cinéma notamment, le film Sands of Iwo Jima sorti en 1950 fait figure d’exemple en la matière. Bien que le scénario ne soit pas révolutionnaire, c’est par la communication et le public recherché que les Marines ont su se distinguer. Mettant en scène les Marines qui ont hissé le drapeau sur le mont Suribachi, tout le pathos de la scène était destiné aux enfants en quête de figures héroïques[75]. Le Corps organisait des concours de dessins ou d’essais patriotiques pour les plus vieux, mettait du matériel japonais et américain devant le cinéma pour impressionner les jeunes et faisait gagner des places gratuites aux meilleurs jeunes. Le manuel d’exploitation du film indiquait aux Marines que les professeurs, parents d’élèves, écoliers et lycéens étaient les cibles du film. Cette énième stratégie d’influence montre l’adaptation rapide des Marines aux nouveaux médias, à l’image de leur communication actuelle sur les réseaux sociaux.

Les Marines, un parangon de démocratie ?

Les Marines par leur esprit de corps et leurs traditions pensaient et pensent toujours être une incarnation guerrière de l’esprit américain. Alexis de Tocqueville décrit l’Amérique comme la première démocratie moderne, phénomène produit par l’égalisation des chances née de l’abolition des privilèges. Néanmoins, la pente logique est l’individualisme « sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis »[76] et « moyen de changer sa fortune ou de l’accroître », car plus aucune inégalité de naissance n’existe. De plus, l’individu se désintéresse au fur et à mesure de la chose publique pour poursuivre son bonheur personnel : « ce n’est donc jamais qu’avec effort que ces hommes s’arrachent à leurs affaires particulières pour s’occuper des affaires communes ; leur pente naturelle est d’en abandonner le soin au seul représentant visible et permanent des intérêts collectifs, qui est l’État. »[77]. Tocqueville caractérise l’État comme un monstre bureaucratique : « L’État est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. »[78].

Nous avons vu précédemment que les Marines par leur esprit de corps entendaient incarner solidarité et la virilité des Américains en promettant des expériences hors du commun. Le Corps, dans sa lutte contre les organes bureaucratiques que pouvaient être l’Army et l’establishment incarne cette résistance du citoyen contre son infantilisation. En effet, contre la reproduction sociale et les élites, Carl Vinson, l’un des ténors de la coalition pro-Marines au Congrès,  déclare qu’être diplômé des grandes écoles militaires comme Annapolis ou West Point n’est pas un prérequis pour atteindre des postes de commandement, faisant du Corps le plus démocratique de tous[79]. Il affirme même :

« In this connection it is well to note that in all of the discussions which have taken place since the end of the war concerning discrimination against reserve personnel and similar undemocratic practices, the Marine Corps is never included. The Marine Corps Reserve is fiercely loyal to its regular establishment, a manifestation of pure democracy. »[80].

Ce rapport particulier aux pratiques démocratiques se retrouve aussi dans le discours que tient le général Vandegrift au Congrès ou celui-ci rappelle :

« Standing in direct opposition to this theory is the Navy’s belief that those same complexities in modern war indicate a need for broader participation and closer attention by the civilian elements of government, all coordinated by an authority with roots in the Congress rather than in the Pentagon. »[81].

 Le mot « Congrès » apparaît plus de onze fois dans le discours de Vandegrift et souligne les liens intrinsèques avec la démocratie parlementaire que les Marines ont cherché à faire valoir dans une période où les relations civilo-militaires étaient en redéfinition.

Le Joint Chiefs of Staff est à l’origine un concept semblable à l’Oberkommando der Werhmacht allemand pendant la Seconde Guerre mondiale, au contraire de la conception anglo-saxonne où un secrétaire à la Défense commande et dirige l’institution militaire. Ce parallèle est devenu une critique fréquemment employée par les Marines qui jouaient sur les peurs des Américains en qualifiant de « prussianism »[82] cette volonté de créer un commandement unique aux États-Unis. Écrit par un Marine du nom de Sulzberger ayant servi dans le Pacifique, en Corée, journaliste au New York Times et au Milwaukee Journal, un article trouvé dans les Edson Papers aux archives du Congrès charge contre le concept du JCS en le comparant au système allemand, danger pour la sécurité nationale. L’auteur, membre des Denig’s Demons, affirme que ce type de commandement unifié aboutit au syndrome de la tour d’ivoire[83] où les décisions militaires sont décorrélées de la réalité. Il donne pour exemple des opérations comme Seelöwe où l’OKW (sans intervention forcée d’Hitler comme pour Barbarossa) avait conçu un plan chimérique d’invasion de l’Angleterre alors que la seule doctrine amphibie qui existait dans l’armée allemande concernait les franchissements de fleuves. Ensuite, Sulzberger analyse le syndrome de la tour d’ivoire à travers les Soviétiques, qui selon lui auraient pu prendre les Allemands à revers en se servant de la mer Noire pour débarquer sur les flancs des Allemands en Ukraine. Au-delà des analyses stratégiques d’un Marine sur le front de l’Est, il insiste sur le manque d’unités amphibies comme « a deficiency common to land-locked, land-minded concept of war so often manifasted by supreme national staffs. »[84]. Laisser un seul homme au sommet encouragerait les décisions statiques comme la ligne Maginot, en accordant trop d’importance à une seule arme, un seul service et en tuant le débat et donc la réflexion stratégique. En contrepartie, les États-Unis étaient le seul belligérant à disposer d’un vrai corps amphibie au début de la guerre grâce à des Marines tournés vers l’innovation pour légitimer leur utilité au Congrès.

En polarisant leur position dès qu’ils étaient en difficulté, les Marines se sont alliés avec des sympathisants socialistes, des conservateurs, des libéraux et des anti-militaristes pour qui le revers de la Seconde Guerre mondiale c’est-à-dire l’accroissement du pouvoir du Président, de l’executive et l’armée étaient dangereux pour les États-Unis. En effet, les États-Unis se sont construits dans la peur du pouvoir fédéral et la présidence impériale de Roosevelt a vu ses pouvoirs s’accroître dans des secteurs importants comme le budget, l’armée, la justice[85]. Aaron L. Friedberg, expert en relations internationales appartenant à l’école réaliste, assistant du vice-Président Dick Cheney entre de 2003 à 2005, soutient que c’est bien l’esprit américain qui a permis de remporter la Guerre froide et non l’État renforcé qui aurait pu se consolider à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les citoyens américains, galvanisés face à la lutte contre un monde que tout opposait, auraient justement été à la source de la victoire par les initiatives économiques et politiques, car l’État ne les bridait pas[86]. Les Marines se sont donc pleinement inscrits dans ces débats en jouant sur les peurs des Américains afin de sauvegarder le peuple.

Un exemple concret de mesure des Marines pour faire valoir leur proximité avec l’esprit américain est le Train of Freedom. Initiative promue par des patrons et élites patriotes, un « train de la liberté » devait traverser les États-Unis pour faire revivre l’esprit démocratique et ses valeurs, essentielles pour gagner la guerre froide. Vingt-neuf Marines étaient chargées de la protection du train et de faire visiter les expositions qu’il contenait au grand public. Le choix des Marines était lié d’une manière à son fils qui servit durant la guerre dans le Corps. En deux ans, le train traversa quarante-huit états et 322 villes, permettant à trois millions et demi de personnes de le visiter[87]. La mise en scène était lumineuse : Des Marines protégeaient les documents les plus précieux des États-Unis comme la Magna Carta ou la déclaration d’Indépendance, les idées fondatrices des États-Unis en quelque sorte.

Le Devil Pups Citizenship Project constitue un autre exemple d’inventivité des Marines au sujet de leurs relations avec le monde civil, faisant d’eux des précurseurs en la matière. Afin d’endiguer le problème de la délinquance juvénile qui explosait dans les années 1950, le Corps s’est proposé par ce programme en référence à leur nom Devil Dogs d’amener ses valeurs aux jeunes Américains dès quatorze ans. Cette initiative visait à proposer une réponse originale là où étaient dans l’impasse des dizaines de programmes du Congrès, du gouvernement ou privées. Le programme est toujours actif de nos jours et forme plusieurs milliers de jeunes adolescents chaque année entre treize et dix-sept ans[88]. On peut s’interroger ici sur la cohérence du discours du Corps, car cette quasi-militarisation de la jeunesse (les instructeurs confondaient souvent le bootcamp et la période de dix jours que les jeunes passaient à la caserne) ressemblait étrangement à ce que les Marines récusaient en accusant le JCS de recopier le modèle nazi.

Quoi qu’il en soit, on constate une faille dans la stratégie des Marines pour survivre. Ils luttaient contre le militarisme qu’impliquait une réforme du JCS et contre l’influence de l’armée sur la politique, mais en luttant pour leur survie, ils sont devenus le service le plus actif politiquement parlant. Ils ont aussi annoncé lutter contre la perte de contrôle du monde civil sur les militaires, mais ils se sont battus bec et ongles contre les tentatives de dissolution du Corps, qu’elles viennent du Président ou des autres services. Quant à leur affiliation à l’esprit démocratique, la comparaison faite entre le JCS comme étant la première marche vers le despotisme et le nazisme n’est-elle une reductio ad hitlerum pour reprendre l’expression de Leo Strauss qui sert davantage à décrédibiliser qu’à décrire la réalité ? Diverses initiatives mises en place par la Chowder Society, les Denig’s Demons ou de simples Marines témoignent d’un esprit de corps fort et d’un rapport décomplexé face à l’influence qui, conjugué à cette habilité à concevoir réseaux d’influence et stratagèmes, permit au Corps de survivre. Cette lutte a permis au Corps d’atteindre une influence politique démesurée pour sa taille et son budget qui en retour l’ont pérennisé et développé encore davantage.


[1] « Le Corps des Marines estime donc qu’il a gagné le droit de voir son avenir décidé par l’organe législatif qui l’a créé, rien de plus. Le sentiment n’est pas une considération valable pour déterminer les questions de sécurité nationale. Nous sommes fiers de nous-mêmes et de notre passé, mais nous ne nous appuyons pas sur un quelconque motif présumé de gratitude de la part de la nation. Le genou à terre n’est pas une tradition de notre corps. Si le Marine, en tant qu’homme de combat, n’a pas réussi à s’imposer après 170 ans de service, il doit disparaître. Mais je pense que vous conviendrez avec moi qu’il a gagné le droit de partir dans la dignité et l’honneur, et non en se soumettant au statut d’inutilité et de servilité prévu pour lui par le ministère de la guerre », traduit par l’auteur, Général Alexander A. Vandegrift, Commandant du Corps des Marines, auditionné par la Commission sénatoriale des affaires navales, 6 mai 1946.

[2] « Ramenez les garçons à la maison », avant d’être une chanson de Freday Payne et un slogan antimilitariste pendant la Guerre du Viêt-Nam, ces mots étaient déjà utilisés par les familles américaines qui exigeaient un retour rapide et sans concessions de leurs maris et fils dans le Pacifique.

[3] FRANK R. B., Downfall: the end of the Imperial Japanese Empire. New York: Penguin Books, 2001, pp. 16-23.

[4] MILLET A. R., Semper Fidelis: The History of the United States Marine Corps, New York: Free Press, 1991 p. 447.

[5] Ibid., p. 450.

[6] VANDEGRIFT Alexander, Once a Marine, (New York: Norton 1964), New York Times, January 11, 1946, pp. 295- 296.

[7] KEISER Gordon W., The U.S. Marine Corps and Defense Unification 1944-47: The Politics of Survival, p. 5.

[8] « En ce qui concerne le ministère unique de la guerre dans la période d’après-guerre, il sera dirigé par un secrétaire civil et composé d’éléments terrestres, navals et aériens, avec un service d’approvisionnement séparé, chacun étant dirigé par son propre sous-secrétaire civil et son propre chef d’état-major militaire. Il aurait un chef d’état-major du Président qui, avec les quatre autres chefs de service, constituerait un état-major général des États-Unis (interarmées). Chaque force armée conserverait un petit état-major général. », traduit par l’auteur, U.S.  Department of the Army, Chief of Staff, Memorandum (relating to a single department of war in the postwar period), presented for consideration of the Joint Chiefs of Staff, JCS 560, 2 November 1943.

[9] TRUMAN Harry S., Memoirs by Harry S Truman, 2 vols. (Garden City, Doubleday and Company, 1955-56), p. 181.

[10] 1944 House Select Committee Hearings, p. 177. Cette source est une transcription des débats au Congrès qui ont commencé avant la fin de la guerre et qui portaient sur la réforme du commandement une fois la paix revenue. Les différents chefs d’armées ont été interrogés par la commission parlementaire en charge d’étudier la réforme.

[11] Ibid., p. 178-84.

[12] MILLET A. R., op. cit., p. 457.

[13] 1945 Senate Military Affairs Committee Hearings, pp. 436-438.

[14] VANDEGRIFT Alexander, op. cit, (New York: Norton 1964), p. 316.

[15] « On pourrait tout aussi bien demander à un comité composé d’un protestant, d’un catholique et d’un juif de sauver nos âmes nationales en recommandant une église et un credo nationaux », traduit par l’auteur, Fleet Admiral HALSEY William F., US Navy Senate Hearings, 1945.

[16] KEISER Gordon W., op. cit., p. 41.

[17] « Q : Aviez-vous l’impression que, dans ce combat, la Marine aurait jeté le Corps des Marines à la mer ?

Général Krulak : Il n’est pas juste de parler de la Marine. Il est plus juste de parler des personnes qui portaient la part de la Marine dans la charge de l’unification. Je pense que l’amiral Forrest Sherman l’aurait fait volontiers, non pas en raison d’une quelconque animosité à l’égard du Corps des Marines, mais parce qu’il avait réalisé avec sagacité que le Corps des Marines constituait une très grosse valeur sûre qu’il pouvait utiliser. L’amiral Burke ne l’aurait pas fait, pas plus que Radford. », traduit par l’auteur, Lieutenant General KRULAK Victor H., Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, p. 120.

[18] « Quel Chef des Opérations Navales voudrait se sacrifier pour le Marine Corps ? », traduit par l’auteur, KEISER Gordon W., op. cit., p. 46.

[19] « Lorsque les forces navales sont impliquées dans des opérations nécessitant des forces terrestres combinées, la tâche devient une mission conjointe terre-mer, et généralement une mission de l’armée de l’air. Lorsque les unités de marines atteignent une taille telle qu’elles doivent combiner leurs armes pour accomplir leurs missions, elles assument et dupliquent les fonctions de l’armée de terre et nous avons en fait deux armées terrestres », traduit par l’auteur, US, Congress, House, Committee on Expenditures in the Executive Departments, USMC. Rept. 961 (National Security Act of 1947), 80th Cong., 1st sess., 1947, House Miscellaneous Reports 5: pp. 13-14.

[20] BURBACH David T., Weighing the U.S. Navy Defense & Security Analysis, Volume 17, Issue 3 December 2001, pp. 259 – 265.

[21] « Nous avions un groupe de Marines loyaux sur la colline (du Capitole), et ils se déplaçaient librement à travers les frontières des partis, des comités et de tout le reste ; ils étaient partout », traduit par l’auteur, Colonel HEINL Robert Jr. « Minister of Propaganda », Chowder Society cité dans O’CONNELL Aaron B., op. cit., p.  98.

[22] Extrait du National Security Act de 1947 avec la section 206 statuant sur la structure du Marine Corps.

[23] « Text of President’s Statement on Defense. », New York Times, May 29, 1958, p. 8.

[24] O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 100.

[25] « US Ship Force Levels, 1886- Present. », https://USMC.history.navy.mil/research/histories/ship-histories/us-ship-force-levels.html

[26] « Il n’y avait pas de briefings, pas de tableaux, pas d’appareil décisionnel formel, […] nous fonctionnions beaucoup plus comme la CIA », traduit par l’auteur, Colonel HEINL Roberts Debs Jr., USMC, Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, p. 379.

[27] Ibid.

[28] MILLIS Walter, The Forrestal Diaries, Viking Press, New York, 1951, p. 295.

[29] HOFFMAN Jon T., Once a Legend: Red Mike Edson of the Marine Raiders. Novato, California : Presidio Press, 2001, p.  63.

[30] « La stratégie militaire des petites guerres est plus directement associée à la stratégie politique de la campagne que dans les opérations majeures… Dans les petites guerres, soit la diplomatie n’a pas été épuisée, soit la partie qui s’oppose au règlement de la question politique ne peut être atteinte par la voie diplomatique. Les situations de petite guerre sont généralement une phase de l’effort diplomatique ou une opération se déroulant en même temps que celui-ci. », traduit par l’auteur, Small Wars Manual, 1-11, USMC, 1940.

[31] Small Wars Manual, 1-24, 1-26, USMC, 1940.

[32] GALULA David, PATRAEUS David, Contre-insurrection : Théorie et pratique. Paris : Economica, 2008.

[33] « Un homme qui se bat pour sa vie ne remet pas vraiment en question l’alignement intellectuel ou moral de quelqu’un qui intervient et se bat à ses côtés », traduit par l’auteur, HEINL Robert Debs Jr., Soldiers of the Sea: The United States Marine Corps, 1775-1962, Nautical & Aviation Pub Co of Amer, 1991.

[34] O’CONNELL Aaron B., op. cit., p.121.

[35] Ibid.

[36] Brigadier General HITTLE James D., USMC, Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, pp. 496-497.

[37] Lieutenant General KRULAK Victor, USMC, Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, p. 110.

[38] Brigadier General SHAW Samuel R., USMC, Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, p. 242.

[39] « Nous avons créé une liste de diffusion de référence des amis du corps des Marines dans tout le pays, comprenant plusieurs milliers de personnes ayant une influence communautaire importante dans tous les États-Unis », traduit par l’auteur, Colonel HEINL Robert D. Jr, op. cit., p. 430.

[40]  Ibid.

[41] Voir les annexes concernant les Edson Papers à la fin du mémoire, notamment l’annexe 8 pour la lettre.

[42] PEARSON Drew, « Admirals running Handout Mill », Washington Post, October 19, 1949.

[43] BARLOW J. G., Revolt of the Admirals: The Fight for Naval Aviation, 1945-1950, United States Govt Printing Office, 1995, p. 277.

[44] Le texte définit une structure permanente à trois divisions et trois escadres aériennes en plus de réaffirmer la vocation amphibie du Corps et son emploi dans les situations d’urgence.

[45] Anecdote rapportée dans O’CONNELL Aaron B., op. cit.,  p. 98.

[46] Representative est le nom donné aux élus de la Chambre des Représentants américaine, la chambre basse du Congrès.

[47] Member Profiles: CQ Congress. Collection  https://library.cqpress.com/congress/memberanalysis.php#BrowseByCharacteristics, site consulté le 20/09/2023.

[48] « Je craignais que si j’ouvrais la bouche, je puisse accidentellement dire quelque chose sur les questions en jeu, et que l’opposition s’en prenne à moi et passe au bûché pour avoir enfreint les règlements », traduit par l’auteur, O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 108.

[49] « Si vous voulez être un politicien […] soyez un héros, rejoignez les Marines », traduit par l’auteur, REEVES Thomas C., The Life and Times of Joe McCarthy : A Biography, Lanham, Madison Books, 1997, pp. 45-61.

[50] Ibid., p. 52.

[51] « La hargne de nos combattants : votez pour le capitaine Joseph R. McCarthy des U.S. Marines » Ibid.

[52] Ibid., p. 60.

[53]« Interview with George Smathers… – UF Digital Collections » https://ufdc.ufl.edu/UF00005592/00001/images/5

[54] « Lorsque j’ai pris ma retraite, j’étais encore capitaine. Après avoir été élu au Congrès, j’ai soudain reçu un avis m’informant que j’avais été promu Major… Je suis allé au Sénat, et j’ai reçu un avis m’informant que j’étais désormais lieutenant-colonel […] J’aime le corps des Marines. Je pensais que c’était une grande organisation. Mais je suis gêné par le fait que depuis que je suis entré au Congrès et que je n’ai rien fait, j’ai été promu trois fois alors que je n’ai pas pu l’être une seule fois lorsque la guerre était en cours et que je faisais vraiment quelque chose. Maintenant, c’est ridicule […] ils étaient vraiment mauvais à ce sujet (les promotions). », traduit par l’auteur, dans O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 109.

[55] KOTERBA Ed, « Flood Flags Marines », Washington Bulletin, Philadelphia, April 15, 1959, p. 23.

[56] « Marines, Marines ! C’est tout ce que j’entends. Ils ne sont pas traités différemment des autres branches. », traduit par l’auteur,  MILLET Allan R, op. cit., pp. 462-464.

[57] KEISER Gordon W., op. cit., p. 125.

[58] O’CONNELL Aaron B. op. cit., p. 106.

[59] « En perdant son Corps de Marines, le pays perdrait plus qu’un corps de combattants hautement

entraînés. Il perdrait un symbole de vraie démocratie, puisque le corps des Marines est le service le plus démocratique de la nation », traduit par l’auteur, Presentation for Representative Vinson, the Cost of the Nation, Edson Papers, boîte 12.

[60] Captain PIERCE Philip N. « The Marine Corps Fourth Estate », Marine Corps Gazette 30, Septembre

1946, p. 51.

[61] MITCHELL Franklin D., op.cit., p. 567.

[62]  O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 8

[63] BUILDER Carl H., The Masks of War American military styles in Strategy and Analysis, John Hopkins University Press, 1989, pp. 17-45.

[64]  O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 9.

[65] Le film est considéré comme l’une des premières réalisations du lobby pro-Marines à Hollywood. Sorti en 1949, il est un succès au box-office et est nominé aux Academy Awards.

[66] Cette série sortie en 2010 se centre sur les témoignages des Marines Eugene Sledge et Robert Leckie dans leurs mémoires. La série a remporté de nombreuses récompenses et a été largement diffusée.

[67] O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 97.

[68] L’engagé Baleine dans Full Metal Jacket de Stanley Kubrick sorti en 1978 se suicide au bootcamp sous la pression et marque des millions de téléspectateurs de la violence que des millions d’Américains ont dû supporter lors de leur incorporation.

[69] O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 90.

[70] Ibid.

[71] Toys for Tots Foundation, Marilyn takes in the Toys for Tots charity, 1953.

[72] « Je me suis préparé à cette mission en mettant ma tenue, mes décorations, […] puis je suis allé voir les rédacteurs en chef des villes pour obtenir l’autorisation de parler à leur personnel, et je l’ai obtenue dans tous les cas. », traduit par l’auteur, FRANK B. M., Denig’s Demons and how They Grew: The Story of Marine Corps Combat Correspondents, Photographers and Artists. Marine Corps Combat Correspondents and Photographers Association, 1967, pp. 1-5.

[74] Ibid.

[75] BODNAR John, Saving Private Ryan and Postwar memory in America, American Historical Review 106, 2001, p. 815.

[76]  TOCQUEVILLE Alexis, De la démocratie en Amérique (II), Gallimard, 1961, p. 143.

[77] Ibid, p. 402.

[78] Ibid, p. 434.

[79] Presentation for Representative Vinson, the Cost of the Nation, Edson Papers, boîte 13, annexe 13.

[80] « À cet égard, il est bon de noter que dans toutes les discussions qui ont eu lieu depuis la fin de la guerre concernant la discrimination à l’égard du personnel de réserve et d’autres pratiques antidémocratiques similaires, le Corps des Marines n’est jamais inclus. La Réserve du Corps des Marines est farouchement loyale à son établissement régulier, une manifestation de démocratie pure. », traduit par l’auteur, Ibid.

[81] « En opposition directe avec cette théorie, la marine est convaincue que ces mêmes complexités de la guerre moderne indiquent la nécessité d’une participation plus large et d’une attention plus étroite de la part des éléments civils du gouvernement, le tout coordonné par une autorité ayant ses racines au Congrès plutôt qu’au Pentagone. », traduit par l’auteur, VANDEGRIFT, op.cit.

[82] SULZBERGER Arthur O., Concept for Catastrophe, United Naval Military Institute, avril 1953, p. 1

[83] Ibid, p. 4.

[84] « Une déficience commune à la conception de la guerre basée sur l’enclavement et l’esprit terrain, si souvent manifestée par les états-majors nationaux suprêmes. », traduit par l’auteur, Ibid, p. 5.

[85] SCHLESINGER Arthur M., op.cit.

[86] FRIEDBERG A. L., In the Shadow of the Garrison State: America’s Anti-Statism and Its Cold War Grand Strategy, Princeton University Press, 2011.

[87] O’CONNELL Aaron B., op.cit., p. 204.

[88] Ibid, p. 206.

Découvrir l’Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine. Entretien avec F. X. Nérard

Découvrir l’Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine. Entretien avec F. X. Nérard

par François-Xavier Nerard, Pierre Verluise – Diploweb – publié le 15 septembre 2024

https://www.diploweb.com/Decouvrir-l-Atlas-historique-de-la-Russie-D-Ivan-III-a-Vladimir-Poutine-Entretien-avec-F-X-Nerard.html 


François-Xavier Nérard, maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, est spécialiste d’histoire sociale de l’Union soviétique. Depuis juin 2024, Directeur du MRIAE – Magistère/Masters Relations Internationales et Action à l’Étranger de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. François-Xavier Nérard co-signe avec Marie-Pierre Rey, « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine ». Cartographe : Cyrille Suss. Coll. Atlas Mémoires, éd. Autrement, 2024.
Marie-Pierre Rey, est co-auteure de cet atlas, ancienne élève de l’ENS, professeure d’histoire russe et soviétique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directrice du Centre de recherches en histoire des Slaves.
Cyrille Suss, cartographe indépendant, a réalisé les plus de 90 cartes et infographies de l’« Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine », éd. Autrement, 2024.

Depuis le XVe siècle jusqu’à aujourd’hui, quelles sont les grandes ruptures et les continuités qu’il faut avoir l’esprit pour mieux comprendre la Russie ? Les programmes de l’enseignement secondaire sont-ils à la hauteur des besoins pour permettre à un bachelier de saisir les singularités du pays le plus étendu du monde ? Aujourd’hui, comment caractériser les relations entre la Russie et les quatorze autres ex-Républiques socialistes soviétiques ? Vu de Moscou, que signifient les expressions : « étranger proche » et « monde russe » ? Depuis l’accession au pouvoir de V. Poutine (2000), quid de la promesse de la restauration d’un État centralisé ? Quelles réformes économiques et sociales ? Quelle politique extérieure ? François-Xavier Nérard apporte des réponses claires et précises aux questions de Pierre Verluise pour Diploweb.com.

François-Xavier Nérard est co-auteur, avec Marie-Pierre Rey, de l’« Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine », cartographe Cyrille Suss, édition Autrement. Cet entretien est illustré par une carte extraite de l’atlas : Russie. Un interventionisme tous azimuts. Disponible en deux formats JPG et PDF pour impression haute qualité.

Pierre Verluise (P. V.) : Votre « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine » (éd. Autrement) embrasse à la fois la profondeur historique et l’étendue spatiale de Russie, du XVe siècle à aujourd’hui. Au terme de cet exercice, quels sont les traits — éventuellement contradictoires ou en tension — qui caractérisent la construction de l’empire russe ? Comment les cartes réalisées par Cyrille Suss aident-elles à le comprendre ?

François-Xavier Nérard (F.-X. N.) : La construction de l’espace impérial russe se fait par continuité géographique. À la différence des grands empires européens qui conquièrent des territoires outre-mer, loin de la métropole, les Russes soumettent des terres immédiatement contiguës à celles qu’ils dominent déjà. Cela a permis pendant longtemps à la Russie de s’exclure de toute histoire coloniale en refusant l’idée même d’avoir possédé des « colonies ». Et ce, alors qu’on retrouve pourtant dans l’expansion russe bien des traits de l’expansion européenne : violence, racisme, modernisation proclamée…

Cette continuité géographique, donc cet empire d’un seul tenant, se double d’une hétérogénéité ethnique et culturelle dès la conquête des khanats de Kazan et d’Astrakhan au milieu du XVIe siècle. En 1897, les Russes ethniques ne représentent que 44 % des 123 millions d’habitants de l’Empire. La mosaïque des peuples, des religions et des cultures est extrêmement complexe. Si la religion orthodoxe domine, on trouve au sein de l’Empire aussi bien des protestants, des juifs, des catholiques, des musulmans que des peuples qui pratiquent le chamanisme. La réponse politique à cette diversité a changé au fil des régimes et du temps. Le modèle impérial insistait sur le lien personnel entre tous les sujets, quelles que soient leurs particularités, et l’Empereur, mais au cours du XIXe siècle se développe aussi un récit national qui tend à penser l’empire comme spécifiquement russe. Les Soviétiques tentent eux aussi de concilier l’unité du pays et la diversité de ses peuples et de ses cultures, alternant périodes d’autonomies culturelles et périodes de russification plus marquées. Il faut d’ailleurs attendre 1977 pour que la Constitution du pays parle explicitement de peuple soviétique.

Parmi tant d’autres thèmes possibles, j’insisterai enfin sur la difficile maîtrise du territoire conquis. Se déplacer dans cet espace russe a longtemps été chose complexe. Les routes, que le marquis A. de Custine [1] décrit au XIX e s. avec beaucoup d’effroi, ont longtemps été négligées et le sont encore dans bien des endroits de la Russie contemporaine. Les fleuves ont certes permis des déplacements, mais il faut surtout attendre le chemin de fer, qui se développe réellement à compter du dernier tiers du XIXe siècle, pour que l’empire dispose d’un moyen de transport efficace. Le train permet de façon d’abord imparfaite des déplacements facilités dans cet espace immense. Les zones couvertes restent pour autant limitées tant les conditions physiques et climatiques rendent l’accès à de nombreux espaces difficiles. L’avion, grâce à un réseau d’aéroports relativement dense, a permis à la fin de la période soviétique de compléter cet arsenal.

P. V. : Venons-en à une période plus proche et parfois délicate à dater, localiser et conceptualiser pour les personnes nées post-Guerre froide. Comment s’est constitué le « bloc socialiste » et quelles étaient les relations entre les « satellites » et l’URSS ? Au sein même de l’URSS, comment s’organisaient les relations entre la Fédération de Russie et les quatorze autres Républiques socialistes soviétiques ?

F.-X. N. : Le « bloc » socialiste se met progressivement en place entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la fin des années 1940. L’autonomie politique des territoires libérés par l’Armée rouge est d’abord limitée par la présence même des troupes soviétiques. Ce contrôle se fait de plus en plus strict au fur et à mesure que les relations entre les anciens alliés se détériorent. Les communistes, souvent dirigés par des responsables réfugiés à Moscou pendant la guerre, jouent un rôle de plus en plus central dans les gouvernements. À partir de 1947, marquée par la conférence de Sklarszka Poreba, la mise au pas est nette. Le coup de Prague, en février 1948, à l’occasion duquel les communistes confisquent la totalité du pouvoir en Tchécoslovaquie en est le meilleur exemple.

Le bloc socialiste se structure à compter de 1949 grâce à plusieurs outils.

Le bloc se structure alors grâce à plusieurs outils : un contrôle politique strict, fondé sur la répression et l’organisation de grands procès qui rappellent ceux des années 1930 à Moscou ; de multiples traités bilatéraux d’assistance et d’amitié ainsi que la mise en place du Conseil d’assistance économique mutuelle, le CAEM en 1949 (l’ensemble sera complété, plus tard en 1955, par le Pacte de Varsovie) ; la présence enfin dans chacun des pays du bloc de conseillers soviétiques qui assurent contrôle politique et contribuent à la « soviétisation ».

On peut considérer que ce « bloc » socialiste est ainsi structuré en 1949. Pour autant, il ne faut pas en faire un tout homogène, ni dans l’espace ni dans le temps. La déstalinisation entraîne des évolutions nettes, mais hétérogènes, qui s’accompagnent parfois de violences. La Hongrie de Janos Kadar a ainsi peu à voir avec la RDA ou la Pologne. La Roumanie de N. Ceausescu qui refuse de participer à la répression du Printemps de Prague promeut une voie spécifique qui en fait un pays à part puisque, seul parmi les pays du bloc, il rejoint la Banque mondiale et le Fonds monétaire international en 1972. Les évolutions possibles restent néanmoins étroitement contrôlées par Moscou comme en témoignent les moments répressifs majeurs de 1953 à Berlin-Est, de 1956 à Budapest, de 1968 à Prague ou de 1981 en Pologne (sans intervention soviétique dans ce cas précis).

En URSS, le centre du pouvoir est à Moscou ce qui ne signifie pas que ce pouvoir est nécessairement « russe », même s’il est souvent perçu comme tel. Les évolutions au cours du XXe siècle sont marquées. Une période qui va de la fin de la guerre civile au début des années 1930 promeut « l’indigénisation » (korennizatsia) de la direction des Républiques, on assiste alors à ce que l’historien états-unien Terry Martin appelle une floraison nationale. Le pouvoir moscovite est lui-même ethniquement très divers, sans se limiter au seul Staline. Mais la « russification » du pouvoir commence dès la famine ukrainienne et se renforce avec la marche vers la guerre, à partir de la Grande terreur. L’histoire soviétique en vient à rimer avec l’histoire russe. Dans les faits, c’est donc Moscou qui décide. Mais l’autonomie locale ne doit jamais être négligée du fait des dysfonctionnements du système et de l’impossibilité de tout contrôler. Ce n’est d’ailleurs pas la Fédération de Russie en tant que telle qui joue un rôle central. La russification de l’échelon soviétique mériterait une étude approfondie. Elle passe par des acteurs situés aussi bien à Moscou que localement, par la langue (le russe est la lingua franca imposée en URSS), par la diffusion d’une culture unifiée marquée par les productions du centre moscovite. Mais le système soviétique ne peut se réduire à un système russe, comme on pourrait avoir tendance à le penser rétrospectivement.

P. V. : Aujourd’hui, comment caractériser les relations entre la Russie et les quatorze autres ex-Républiques socialistes soviétiques ? Vu de Moscou, que signifient les expressions : « étranger proche » et « monde russe » ?

F.-X. N. : Moscou a depuis la fin de l’URSS voulu maintenir une influence sur les ex-pays soviétiques. La création de la Communauté des états indépendants (CEI) le 8 décembre 1991 visait d’ailleurs à maintenir un lien entre les anciens états soviétiques. La crise politique, économique et sociale des années 1990 a peut-être fait un peu passer cette ambition au second plan, mais le retour de la puissance à l’ère poutinienne marque le renouveau de cette préoccupation symbolisée par le concept « d’étranger proche ».

Celui-ci est utilisé à la suite de la chute de l’URSS par Andrei Kozyrev, qui était alors ministre des Affaires étrangères de Boris Eltsine. Progressivement, le mot en vient à désigner une sorte de pré carré russe, dans le cadre d’une sorte de doctrine Monroe russifiée, une zone dans laquelle seule Moscou aurait son mot à dire. Toute ingérence extérieure, réelle ou supposée, étant interprétée comme une menace. C’est le cas notamment au moment des deux révolutions ukrainiennes en 2004 et en 2013-2014. Cette conception de l’étranger proche débouche même sur des interventions armées comme en Géorgie en 2008.

Le concept de monde russe est activement soutenu par le Patriarcat de Moscou. L’Eglise orthodoxe russe vient donner une pseudo-légitimité et un appui à une politique étrangère désormais belliqueuse et agressive.

Au-delà de cet étranger proche, les penseurs du Kremlin développent l’idée de « monde russe » qui vise l’ensemble de la diaspora russe, estimée à plus de 20 millions de personnes, que Moscou cherche à mobiliser comme relais d’influence. Différentes structures sont alors mises en place pour atteindre ce but, comme, en 2007, la fondation « Russkij mir » ou « Rossotroudnitchestvo » qui développe ici ou là des « maisons russes de la science et de la culture. » Cette stratégie de Soft Power, assez classique, se fonde d’abord sur la langue et la culture russes et de plus en plus sur la religion orthodoxe, car le concept de monde russe est activement soutenu par le Patriarcat de Moscou. Elle vient donner une pseudo-légitimité et un appui à une politique étrangère désormais belliqueuse et agressive.

P. V. : Votre « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine » (éd. Autrement) s’achève sur la Russie actuelle que nous pourrions appeler « poutinienne ». Quid de la promesse de la restauration d’un État centralisé ? Quelles réformes économiques et sociales ? Quelle politique extérieure ?

F.-X. N. : L’ambition de V. Poutine, depuis son accession au pouvoir, est de renouer avec la puissance. Son modèle a probablement été celui, plus ou moins mythifié, de l’URSS brejnevienne de la fin des années 1960 et du début des années 1970 quand le pays était une puissance mondiale, présent sur la plupart des continents, bénéficiant des contacts économiques, politiques et culturels renouvelés avec le monde dans le cadre de la détente. Et, sur le plan intérieur, jouissant d’une stabilité relative après des décennies de bouleversements et de crises, avant les difficultés de la fin des années 1970.

Les années 1990, celle de la crise économique, sociale et politique, servent, elles, de repoussoir. V. Poutine a donc cherché à restaurer une autorité qui manquait, à son sens, via une centralisation accrue et la construction d’une « verticale du pouvoir » visant à limiter au maximum l’autonomie régionale. Cette « centralisation » est aussi, et même plutôt, une concentration du pouvoir. Toute source alternative de pouvoir ou de contre-pouvoir a progressivement disparu. La mise au pas des gouverneurs, sortes de barons régionaux, s’est accompagnée de l’assujettissement des riches acteurs économiques, les oligarques, qui ont dû renoncer, de gré ou de force, à jouer tout rôle politique alors que c’était pourtant leur objectif revendiqué à l’époque de la présidence de Boris Eltsine. Les médias enfin sont étroitement contrôlés avec la disparition de la diversité médiatique, à l’image de la chaîne NTV rachetée par Gazprom en 2001.

Sur le plan économique et social, les premières années du pouvoir de V. Poutine, et cela explique en large partie sa popularité durable, correspondent à un mieux-être économique, largement favorisé par la hausse des prix des hydrocarbures qui a permis d’assurer d’importants revenus, en partie redistribués, à l’État. L’inflation maîtrisée, une croissance économique de 5 à 6 % jusqu’à 2014, ont assuré à la population russe de meilleures conditions de vie : le pays s’est transformé, le souvenir de la pauvreté endémique s’est éloigné.

Carte. Russie. Un interventionnisme tous azimuts, situation au printemps 2023
Source : François-Xavier Nérard, Marie-Pierre Rey, de l’« Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine », cartographe Cyrille Suss, 3e éd. édition Autrement, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’éditeur. Voir cette carte au format PDF haute qualité d’impression
Autrement

La politique extérieure, elle aussi, a alors renoué avec cette ambition de puissance. La Russie aspire à redevenir un acteur majeur des relations internationales. Mais peu à peu, le pouvoir russe interprète l’élargissement de l’OTAN comme une menace à ses intérêts, les révolutions dites de couleur en Géorgie ou en Ukraine sont perçues comme des ingérences insupportables et entraînent la crispation d’un pays qui critique de plus en plus un « Occident » présenté comme un danger et un contre-modèle en termes politiques et sociaux. La crise de 2014 en Ukraine et l’annexion, au mépris du droit international, de la Crimée marquent une nouvelle étape. La Russie intervient désormais hors de ses frontières, notamment en Syrie ou au Mali, au moyen de groupes de mercenaires comme Wagner.

P. V. : Depuis le XVe siècle jusqu’à aujourd’hui, quelles sont les grandes ruptures et les continuités qu’il faut avoir l’esprit pour mieux comprendre la Russie ?

F.-X. N. : C’est une question qui nous a semblé essentielle quand nous avons réfléchi avec Marie-Pierre Rey à cet atlas et son architecture. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas choisi un plan strictement chronologique. Nous consacrons une première partie de l’ouvrage précisément à cette question de la longue durée qui permet de prendre un véritable recul.

Bien des continuités se situent dans la logique de la construction de l’espace que nous avons abordée au début de cet entretien.

De manière caractéristique, la quête d’un immense espace est accompagnée d’un sentiment de fragilité.

L’un des traits fondamentaux est celui du sentiment de fragilité, ressenti ou proclamé par les dirigeants russes et que l’on retrouve dans la longue durée. Il s’explique en partie par l’espace russe, fruit de l’expansion commencée sur la base de la principauté de Moscou au XVe siècle. Après le XIXe siècle qui voit une poussée majeure vers le Sud notamment avec la très difficile conquête du Caucase et celle de l’Asie centrale qui pour être plus simple n’en est pas moins violente, le territoire des empereurs Romanov mesure près de 22 millions de km2.

Ce vaste territoire, qui à son apogée, va de la Pologne au Pacifique, de l’Océan glacial arctique aux confins de l’Afghanistan, n’est que mal protégé sur ses marges par des barrières naturelles. Ce qui a facilité les conquêtes est alors perçu comme une source de faiblesse, qui à son tour justifie de nouvelles conquêtes pour se « protéger », assurer des glacis protecteurs comme c’est le cas après la Seconde Guerre mondiale. Les invasions répétées, de Napoléon à Hitler, en passant par les interventions étrangères pendant la guerre civile, donnent d’ailleurs du grain à moudre aux dirigeants du pays.

La rupture la plus évidente et qui mérite réflexion est celle de 1917. Si la tendance historiographique de ces dernières années vise à replacer 1917 dans le continuum de la guerre de huit ans (1914-1922), il serait bien entendu erroné de faire abstraction de cette année qui a vu la fin de la monarchie et la mise en place d’un régime inédit fondé sur des aspirations politiques et sociales d’un genre nouveau. Pour autant, si l’on réfléchit sur le long terme, cette période soviétique close depuis plus de trente ans désormais apparaît à sa façon comme une sorte de parenthèse.

La centralisation du pouvoir, qui n’est pas incompatible avec l’existence de poches d’autonomie, ou de richesses culturelles locales, reste également un trait majeur du pouvoir en Russie. Elle s’accompagne, chez les dirigeants, de la perception d’une maîtrise difficile du territoire, d’un doute permanent sur la fiabilité des dirigeants locaux, particulièrement nette chez Staline, et donc du risque d’insubordination qui, à son tour, justifie une violence politique récurrente.

Depuis quelques temps, la protestation de masse semble avoir disparu de la grammaire politique russe.

La place du peuple, de son consentement au pouvoir et de ses révoltes me semble enfin un thème transversal, crucial, que nous avons abordé dans plusieurs cartes de l’atlas. La forme particulière du pouvoir autocratique qui supposait que le lien était direct entre le souverain et Dieu rendait toute forme de révolte complexe en rendant impossible le questionnement de la légitimité d’un monarque, émanation divine. Certains historiens, comme Claudio Ingerflom, l’ont bien montré. Il reste, au long de l’histoire russe, de nombreuses révoltes populaires souvent menées par des autonommés, des imposteurs comme Pougatchev qui prétendent être le véritable tsar. À la période soviétique, une fois la guerre civile achevée, les révoltes sont relativement rares, mais méritent toute notre attention : on peut penser à la quasi-guerre civile des paysans qui s’opposent à la collectivisation, aux révoltes sporadiques dans les camps du Goulag, aux manifestations, certes rares et réprimées dans le sang, comme à Novotcherkassk en 1962. Dès lors, peut-on dire que le peuple a été un acteur majeur de l’histoire russe ? Ce fut bien le cas en 1905 ou en février 1917. Mais depuis ? Les immenses manifestations contre le rôle dirigeant du parti organisées à Moscou en février 1990 semblent lointaines. On en trouve un écho affaibli lors des protestations contre les fraudes sur la place Bolotnaya en 2011. Mais la protestation de masse semble avoir disparu de la grammaire politique russe, y compris depuis le début de la guerre contre l’Ukraine.

P. V. : Enfin, que pensez-vous de la place de la Russie dans l’enseignement secondaire général en France ? Avez-vous l’impression que les programmes et les enseignements sont à la hauteur du challenge intellectuel que ce pays représente pour qui veut le comprendre dans le temps et dans l’espace ?

F.-X. N. : La place des mondes étrangers dans l’enseignement secondaire est toujours difficile à appréhender dans un volume horaire contraint, c’est certain. J’imagine que bien des collègues spécialistes d’autres zones pourraient porter des critiques identiques. Pour autant, il faut bien constater que la Russie, son histoire et sa géographie ne sont que très imparfaitement abordées dans l’enseignement secondaire général français. On peut le regretter. La clé d’entrée principale reste celle du « totalitarisme » et de la guerre froide (en classe de troisième et de terminale). Au-delà même des critiques que l’on peut adresser à un concept qui ne me semble guère pertinent, les éléments qui permettent de comprendre le XXe siècle soviétique sont difficilement accessibles aux élèves. [2] L’évolution du régime après Staline n’est pas, ou peu, enseignée. On évoque en classe de Terminale l’effondrement du bloc soviétique, mais comment l’appréhender sans comprendre la déstalinisation ou le brejnevisme ? Comment dans ces conditions comprendre le régime poutinien, sans en faire, comme on l’entend trop souvent, une sorte d’écho du stalinisme ?

La Révolution de 1917 n’est ainsi plus étudiée en tant que telle, alors que c’est pourtant un moment essentiel du XXe siècle qu’il est nécessaire de comprendre autant dans son surgissement que pour ses conséquences.

Au-delà même de ce que nous appelons, tout en interrogeant le concept, la « parenthèse soviétique », les élèves ne peuvent pas appréhender une Russie qui ne surgirait pas en octobre 1917 et il faut le regretter. La construction de l’Empire, sa difficile compréhension des limites, ses hésitations permanentes entre l’attirance pour le modèle occidental, ce que Marie-Pierre Rey a appelé la « tentation de l’Occident » et son rejet radical mériteraient une étude plus précise.

Des éclairages, partiels, ne suffisent pas, à appréhender la Russie dans sa complexité.

La Russie n’est pour autant pas absente des programmes. Elle est bien une option des programmes de géographie en seconde (Développement et inégalités en Russie), en terminale (La Russie, un pays dans la mondialisation). Les élèves qui suivent la spécialité HGGSP en classe de Première travaillent sur la Russie après 1991 et sur les services de renseignements pendant la guerre froide. Mais ces éclairages, partiels, ne suffisent pas, à mon sens, à appréhender la Russie dans sa complexité.

Tout ceci a des conséquences. Notre société, à tous les niveaux, a du mal à penser la Russie en dehors de bien des stéréotypes. Or, connaître ce pays s’avère crucial en temps de crises, qui plus est dans les moments tragiques que nous connaissons.

Copyright Septembre 2024-Nérard-Verluise/Diploweb.com


Plus

. François-Xavier Nérard, Marie-Pierre Rey, « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine ». Cartographe : Cyrille Suss. Coll. Atlas Mémoires, éd. Autrement, 3e éd. 2024, 95 p.

4e de couverture

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. La Russie impériale, puissance en expansion depuis le XVᵉ siècle, est fragilisée par une modernisation tardive et la guerre ; elle est mise à terre par la Révolution de février 1917.

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[1] NDLR : Astolphe de Custine « La Russie en 1839 » éd. Amyot, 1843 ou 1846 selon les sources. « La Russie en 1839 » a été rédigé par Custine entre 1840 et 1842.

[2] NDLR : Cette insuffisance de l’enseignement secondaire français au sujet de l’histoire et de la géographie de la Russie facilite le travail de manipulation et désinformation par la Russie elle-même auprès de larges pans des opinions. Des faits historiques comme le caractère colonial de l’empire russe puis de l’URSS et de la Russie post-soviétique ne sont pas intégrés par un bachelier. Ce qui permet à la Russie de se faire encore passer comme un soutien aux forces anti-colonialistes, par exemple en Afrique.

Ce vendredi soir, le colonel Alain David racontera le destin du commandant Vigan-Braquet à Bagnols-sur-Cèze

Ce vendredi soir, le colonel Alain David racontera le destin du commandant Vigan-Braquet à Bagnols-sur-Cèze

Dans le cadre des commémorations des 80 ans du départ depuis Bagnols du commando Vigan-Braquet, l’Académie de Lascours invite le colonel passionné d’histoire contemporaine à évoquer la vie exceptionnelle de ce commandant. 

Le colonel Alain David inaugure la saison de l’Académie de Lascours, ce vendredi 13 septembre, à 18 h, à la salle multiculturelle (entrée libre), avec une conférence sur le  « Commandant Vigan-Braquet, le courage de choisir et de résister, 1942-1945″. Officier supérieur de l’Armée de terre (il fut notamment le premier officier affecté à la Légion du 6e Régiment de L’Ardoise, en 1984), le colonel David est passionné d’histoire et organise colloques, expositions, conférences. Il a été chef de corps du Centre national des archives individuelles militaires de Pau, commandant de la Base de défense de Nîmes…

« Un chef charismatique sans être flamboyant ni prétentieux« 

Le colonel David s’est longuement plongé dans les écrits de Vigan-Braquet. « Il sort de Saint-Cyr en 1920, promotion Victoire, raconte-t-il.Il n’a pas connu la Grande Guerre. Il arrive dans une armée française en cours de reconstruction. La moitié masculine de la France a été éradiquée, les survivants sont amputés, blessés… »
Georges Vigan-Braquet mettra sur pied l’organisation de résistance armée du Gard en 1943. C’est l’histoire de ce meneur d’hommes qui, « d’un côté entraîne les hommes au combat en sachant créer un collectif protecteur efficient au plan militaire, et qui de l’autre cumule tous les renseignements tactiques possibles pour épargner au maximum leurs vies, un type de chef rarissime, charismatique sans être flamboyant ni prétentieux », que le colonel partagera avec clarté et passion. Comme l’est l’exposition sur le commando qu’il a en partie conçue (à la cave Mallet jusqu’au 21 septembre).

Mystère résolu : les scientifiques confirment ce que cache l’intérieur de la Lune

Mystère résolu : les scientifiques confirment ce que cache l’intérieur de la Lune

Les profondeurs de la Lune ne sont plus un mystère. Des chercheurs viennent de confirmer la composition du cœur lunaire, révélant des similitudes inattendues avec notre propre planète. Ces découvertes apportent un éclairage nouveau sur l’histoire et l’évolution du Système solaire.

Par Laurène Meghe – armees.com –  Publié le 7 septembre 2024

Mystere Resolu Les Scientifiques Confirment Ce Que Cache Linterieur De La Lune
Mystère résolu : les scientifiques confirment ce que cache l’intérieur de la Lune – © Armees.com

 

La Lune, cet astre familier qui éclaire nos nuits, cache encore bien des secrets sous sa surface grise et criblée de cratères. Mais une nouvelle étude vient de lever le voile sur l’un de ses mystères les plus profonds : la composition de son cœur. Grâce à des données récentes et des techniques de modélisation avancées, des scientifiques ont confirmé que le cœur de la Lune ressemble étonnamment à celui de la Terre, avec un noyau solide entouré d’une couche fluide.

En bref :

  • Noyau lunaire : Le cœur de la Lune est constitué d’un noyau interne solide d’environ 258 kilomètres de rayon et d’un noyau externe fluide, similaire à celui de la Terre.
  • Densité du noyau : Le noyau interne présente une densité proche de celle du fer, renforçant les hypothèses sur la composition métallique de la Lune.
  • Méthodes de recherche : Les scientifiques ont utilisé des données sismiques des missions Apollo et des expériences de télémétrie laser pour modéliser la structure interne de la Lune.
  • Impact sur le champ magnétique : La composition du noyau explique en partie la disparition du champ magnétique lunaire il y a 3,2 milliards d’années.
  • Implications pour le Système solaire : Ces résultats aident à comprendre les processus de formation et d’évolution de la Lune et des autres corps célestes du Système solaire.

Mystere Resolu Les Scientifiques Confirment Ce Que Cache Linterieur De La Lune 2

Un cœur solide, presque aussi dense que le fer

Les chercheurs, menés par Arthur Briaud du Centre national de la recherche scientifique en France, ont découvert que le noyau interne de la Lune est une boule solide d’environ 258 kilomètres de rayon, soit environ 15 % du rayon total de la Lune. Sa densité, proche de celle du fer (environ 7 822 kilogrammes par mètre cube), confirme les hypothèses formulées par les études antérieures, notamment celles menées par la NASA en 2011. Cette nouvelle découverte met fin à un long débat sur la nature du noyau lunaire et ouvre de nouvelles perspectives sur l’histoire et l’évolution de notre satellite.

Une structure interne complexe révélée par des ondes sismiques

Pour percer les mystères de l’intérieur de la Lune, les scientifiques se sont appuyés sur des données sismiques recueillies par les missions Apollo, ainsi que sur des expériences de télémétrie laser lunaire. En analysant la manière dont les ondes sismiques traversent les différentes couches de la Lune, ils ont pu modéliser sa structure interne avec une précision inédite. Le résultat ? Un modèle montrant un noyau interne solide entouré d’une couche externe fluide, similaire à celui de la Terre, mais avec une dynamique unique qui pourrait expliquer l’évolution du champ magnétique lunaire disparu il y a environ 3,2 milliards d’années.

Des implications pour comprendre l’histoire du Système solaire

Cette découverte ne se limite pas à la Lune. Elle apporte également des éléments cruciaux pour comprendre l’évolution du Système solaire. Le noyau solide et le phénomène de « retournement du manteau », où les matériaux plus denses se déplacent vers le centre tandis que les matériaux plus légers remontent, pourraient avoir joué un rôle clé dans l’histoire des bombardements météoritiques intenses durant le premier milliard d’années du Système solaire. Cela pourrait également expliquer la présence de certains éléments dans les régions volcaniques de la Lune.

Un avenir prometteur pour l’exploration lunaire

Avec la confirmation de la structure interne de la Lune, l’exploration lunaire entre dans une nouvelle ère. Des missions à venir, telles que celles planifiées par la NASA avec Artemis II ou par des entreprises privées, pourraient fournir des données encore plus détaillées sur le cœur de notre satellite. De nouveaux séismomètres et instruments de mesure permettront de vérifier ces découvertes sur place, renforçant ainsi notre compréhension de la Lune et, par extension, de la Terre et de ses propres origines.

En attendant, le mystère du cœur de la Lune, autrefois réservé aux spéculations, est désormais une histoire solidement ancrée dans la réalité scientifique.

Source : https://www.nature.com/articles/s41586-023-05935-7


Laurène Meghe

Rédactrice spécialisée en économie et défense armées. Je couvre également les domaines des enjeux industriels et politique, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

Grand entretien avec Éric Denécé : Renseignement et espionnage pendant la Seconde Guerre mondiale

Grand entretien avec Éric Denécé : Renseignement et espionnage pendant la Seconde Guerre mondiale

Grand entretien avec Éric Denécé : Renseignement et espionnage pendant la Seconde Guerre mondiale


Renseignement et espionnage

Couverture du nouvel ouvrage de Eric Denécé. Photomontage Le Diplomate

Éric Denécé est un ancien analyste du renseignement français, docteur en Science Politique, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) et auteur de nombreux ouvrages sur les questions de sécurité. Dans cet entretien exclusif pour Le Diplomate, il évoque le dernier ouvrage collectif qu’il a dirigé, Renseignement et espionnage pendant la Seconde Guerre mondiale, préfacé par le préfet Bernard Squarcini, ancien Directeur de la DST et de la DCRI.

Ce cinquième tome de l’histoire mondiale du renseignement réunit quarante-trois contributions rédigées par trente-deux auteurs de six nationalités (Allemagne, Belgique, France, Italie, Russie, Suisse), tous anciens des services de renseignement ou historiens spécialistes du sujet. Il évoque tous les protagonistes ayant participé à cette implacable guerre de l’ombre : Français, Allemands, Britanniques, Américains, et Soviétiques… mais aussi Italiens, Belges, Suisses, Espagnols, Turcs et Chinois. Le vaste tour d’horizon qu’il propose permet d’avoir à la fois une idée générale de l’intense guerre secrète que se livrèrent les belligérants entre 1939 et 1945 et d’en éclairer certains aspects, originaux ou méconnus.

Propos recueillis par Angélique Bouchard

Le Diplomate : Pouvez-vous expliquer l’importance du renseignement et de l’espionnage dans le déroulement de la Seconde Guerre mondiale, et comment ces activités ont influencé l’issue du conflit ?

            Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le renseignement connaît un développement sans précédent, et ses progrès sont encore plus marqués qu’entre 1914 et 1918 et il entre véritablement dans son ère moderne. Ses méthodes se diversifient pour s’adapter au défi d’une guerre totale se déroulant sur tous les continents et les océans, et les services s’étoffent afin de tirer parti des innovations techniques, notamment dans le domaine des interceptions et du déchiffrement. Le renseignement d’origine électromagnétique (SIGINT) connaît en effet un extraordinaire développement au cours du conflit, tant en termes humains que matériels, qui lui confère un rôle de premier plan, lequel ne fera que se renforcer au cours des décennies suivantes. Ainsi de 1939 à 1945, une extraordinaire guerre secrète s’étend au monde entier, de l’Europe à l’Afrique du Nord, du Proche-Orient et à l’Asie orientale.

Pendant le conflit, les services de renseignement remplissent quatre fonctions, que tous les belligérants exploitent, avec des succès divers :

– connaître les intentions de l’ennemi, ses capacités, ses problèmes, son armement, son ordre de bataille et ses plans d’opération ;

– neutraliser les services de renseignement adverses et leurs agents ;

– tromper l’adversaire et fausser son jugement en lui transmettant de fausses informations ;

– soutenir la résistance dans les territoires occupés par l’ennemi afin de désorganiser ses communications, sa production industrielle et d’immobiliser ses forces.

            Ainsi, les opérations secrètes vont jouer un rôle essentiel dans cette guerre, comme jamais elles ne l’avaient fait dans les conflits précédents.

LD : Votre livre met en lumière divers réseaux de renseignement pendant la guerre. Quels ont été les réseaux ou figures d’espionnage les plus influents selon vous, et quelles ont été leurs contributions spécifiques ?

            En effet, l’ouvrage s’est attaché à décrire tous les belligérants de cette guerre secrète : Français, Alliés (Belges, Britanniques, Américains), Soviétiques, puissances de l’Axe (Allemands et Italiens), mais aussi neutres (Espagnols, Suisses) et services asiatiques (Turcs, Chinois), même si leur implication dans le conflit a été marginale

            Trois de ces acteurs ont joué à mon sens un rôle majeur sur le théâtre européen et ont significativement contribué à la victoire contre l’Allemagne : les Français, les Britanniques, et les Soviétiques. Les services français, quoique divisés entre les loyalistes d’Alger, les gaullistes de Londres et les réseaux travaillant directement pour l’Intelligence Service britannique ont été les principaux pourvoyeurs de renseignements ayant permis le succès du débarquement de Normandie. Les Britanniques ont été particulièrement actifs et efficaces dans toute l’Europe et sur le théâtre d’opération de la Méditerranée. Ils sont surtout parvenus à casser le système de chiffrage de la machine allemande Enigma. Les Soviétiques enfin, dont le rôle est plus méconnu en Occident, sont parvenus à infiltrer l’Allemagne nazie dès avant la guerre, puis à étendre leurs réseaux de renseignement dans toute l’Europe, grâce aux nombreux sympathisants communistes d’alors.

            Les Allemands et les Japonais ont aussi été très performants, notamment afin de préparer leurs offensives – en Europe de l’Ouest et en Russie pour Berlin, contre les possessions françaises et britanniques d’Asie du Sud-Est pour Tokyo – mais ils ont été rapidement dépassés par les services alliés et soviétiques au fur et à mesure du déroulement du conflit.

            Quant aux Américains, le second conflit mondial marque leur début dans le domaine de la guerre secrète. Ils sont alors totalement novices, mais vont apprendre très vite au contact des services britanniques.

LD : Après les grands noms et les grandes figures, si vous deviez retenir une ou deux opérations d’espionnage les plus marquantes de ce conflit selon vous, quelles seraient-elles ?

            En premier lieu, je dirai le déchiffrement d’Enigma, qui a été l’opération la plus importante de toute la guerre secrète. Le mérite en est attribué aux Anglais… mais ils n’auraient jamais pu y parvenir sans l’aide des Français et des Polonais qui leur ont transmis toutes leurs connaissances en la matière.

            Ensuite, les Britanniques ont excellé dans les opérations d’intoxication et de tromperie des services allemands. Leurs deux plus belles réussites sont les opérations Mincemeat, qui a permis de protéger le débarquement de Sicile (juillet 1943), et surtout Fortitude, qui a contribué au succès de celui de Normandie.

            Enfin, j’évoquerai deux très belles opérations soviétiques : l’infiltration de Richard Sorge auprès de l’ambassade allemande à Tokyo, qui prévint Moscou de l’attaque allemande (même si les renseignements essentiels qu’il fournit ne furent pas pris en compte par Staline) et l’opération Monastery lancée par Moscou qui de 1941 à 1944 alimenta la Wehrmacht en fausses informations. Cette opération fut un tel succès que jusqu’à la fin de la guerre, l’état-major allemand n’avait aucune idée qu’il planifiait ses opérations sur le front de l’Est avec « l’aide » active des services soviétiques.

LD : Quel rôle ont joué les Français et leurs services pendant le conflit ?

Malgré la déroute de juin 1940, la France a conservé de solides compétences en matière de renseignement grâce à sa connaissance des services allemands acquise depuis le milieu des années 1930. Après l’armistice de juin 1940, le pays est coupé en deux : la zone Nord est occupée par les Allemands ; la zone Sud, dite « libre », dépend du gouvernement de Vichy. Les membres du 2e Bureau décident de continuer leur lutte clandestine contre les services allemands et italiens qui pullulent en Zone libre. Ainsi, la Section de centralisation des renseignements (SCR, contre-espionnage), sous les ordres du capitaine Paillole, se camoufle sous l’appellation de « Société de Travaux Ruraux », à Marseille. Des postes sont maintenus à Alger, Tunis et Rabat, et des liens sont établis avec les services britanniques et américains.

En Grande-Bretagne, se met également en place un Bureau central de renseignement et d’action (BCRA), organe de la France Libre. Créé à Londres en juillet 1940 par le général de Gaulle, il est dirigé par le colonel Passy. Il fournit des renseignements sur l’ennemi au Gouvernement provisoire de la République française – exilé d’abord en Angleterre, puis à Alger (1943) – et collabore avec les Alliés. Il soutient la Résistance en France, afin d’organiser les forces qui, le moment venu, participeront à la bataille pour la Libération.

            Les officiers du BCRA sont des néophytes des opérations clandestines. Mais rapidement, grâce à leur détermination et à leurs réseaux, ils recueillent des informations de grande valeur, très appréciées des services alliés. Passy mobilise dans cette action des milliers d’observateurs animés d’un ardent patriotisme. La France dispose en effet de très nombreux de citoyens prêts à apporter leur concours à la lutte contre l’occupant. Ainsi, comme le reconnaissent les Britanniques, les services français de Londres ou d’Alger ont transmis aux Alliés 80% des renseignements ayant permis la préparation du débarquement du 6 juin 1944

LD : Comment les méthodes et technologies de renseignement utilisées pendant la Seconde Guerre mondiale ont-elles évolué et influencé les pratiques modernes de renseignement ?

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les moyens techniques d’interception – le SIGINT et surtout le COMINT[1] – ont été la principale source de renseignement sur les adversaires. La supériorité des services alliés dans la guerre secrète provient en premier lieu de leurs capacités d’interception des transmissions adverses et de leurs équipes de cryptanalystes. Pendant presque toute la durée des hostilités, Britanniques et Américains déchiffrent et lisent les communications allemandes et japonaises.

Pour protéger leurs messages, les Allemands disposent pourtant de la machine Enigma. Son déchiffrement est une extraordinaire aventure. En 1932, des mathématiciens polonais réussissent à comprendre le principe de son encodage. Ils parviennent à reproduire l’une de ces machines, qui est envoyée en France lors de l’invasion de leur pays. Parallèlement, le service de renseignement (SR) français a obtenu d’un de ses agents, l’Allemand Hans Thilo Schmidt, des informations sur la conception et le fonctionnement de la machine. Après l’offensive allemande en France, l’ensemble des données est transmis aux cryptographes britanniques du Goverment Code and Cipher School (GC&CS), qui vont en faire bon usage.

Les interceptions jouent un grand rôle dans la bataille d’Angleterre en permettant d’anticiper les raids de la Luftwaffe. De même, le décryptement des messages entre le quartier-général de la marine allemande et ses sous-marins raccourcit de plusieurs mois la bataille de l’Atlantique. Lors de la préparation du débarquement de Normandie, en 1944, l’écoute permanente des communications allemandes permet de suivre les mouvements de Wehrmacht et de connaître à chaque instant les plans et les réactions ennemis. Cela rend également possible l’intoxication durable des services du Reich.

            Sur le front du Pacifique, les services américains ont également réussi à décrypter les messages codés de Tokyo grâce à la machine Purple. Il leur a été possible de « casser » rapidement le cryptage de la nouvelle génération d’appareils de chiffrement japonais. Ces opérations d’écoute ultra-secrètes reçoivent le nom de Magic et durent toute la guerre. Elles se révèlent particulièrement fructueuses et sont à l’origine de la victoire de Midway, tournant décisif de la guerre du Pacifique. Elles permettent également aux Alliés de lire les dépêches de l’ambassadeur du Japon en Allemagne, qui rapporte à Tokyo toutes les informations que lui confie Hitler quant à ses plans en Europe.

            Les Alliés ne sont pas les seuls à exceller en matière d’interception. La Kriegsmarine, la Luftwaffe et la Wehrmacht possèdent également leurs propres moyens d’écoute et de déchiffrement. Mais ces organisations se complètent autant qu’elles se concurrencent, surveillant souvent les mêmes cibles, ce qui nuit à l’efficacité globale du dispositif. Par ailleurs, afin de lutter contre les émissions clandestines des réseaux d’agents renseignant les Alliés, l’Abwehr et le SD disposent chacun de groupes spécialisés dans les interceptions radioélectriques, combinant l’emploi de stations fixes et d’unités mobiles. Berlin dispose également du Forschungsamt, un service d’interception performant.

En 1940, les effectifs des services SIGINT allemands sont supérieurs à ceux des Britanniques (30 000 Allemands travaillent dans le renseignement électromagnétique au début de la guerre), mais la situation va rapidement s’inverser. Les moyens du IIIe Reich sont surpassés par ceux de ses adversaires. Au cours du conflit, les services SIGINT britanniques et américains voient leurs effectifs augmenter de 3000%, pour atteindre 35 000 opérateurs, parmi lesquels, des cryptanalystes et des mathématiciens bien meilleurs que ceux de Berlin et des moyens et capacités de calculs beaucoup plus puissants que ceux dont dispose l’Allemagne. Alors qu’elle avait un niveau très honorable à la fin des années 1930, la France, en raison de sa défaite en 1940, est totalement absente de la révolution qui se produit au cours du conflit en matière de SIGINT. Pendant que Britanniques, Américains et à un moindre degré Soviétiques progressent et accumulent de l’expérience, elle stagne en ce domaine et devra repartir presque de zéro à la fin de la guerre.

LD : En tant que directeur du CF2R, comment voyez-vous l’évolution des recherches et études historiques sur le renseignement, et quel impact cela a-t-il sur la compréhension des conflits contemporains ?

Les études sur le renseignement sont une discipline récente. Elles sont apparues dans les années 1980 aux Etats-Unis, dans les années 1990 en Grande Bretagne et au début des années 2000 en France. Mais force est de constater que de nombreux travaux de qualité se sont multipliés depuis ces dates. L’étude historique du renseignement est essentielle, car elle permet de révéler la « face cachée » de l’histoire, ce qui permet d’éclaire d’un jour nouveau nombre d’événements historiques et de mieux comprendre les politiques conduites par les États et leur jeu multidimensionnel dans les relations internationales. Cela est tout aussi valable pour la Seconde Guerre mondiale que pour les périodes précédentes… en remontant jusqu’à l’Antiquité ! Mais le problème demeure celui des sources : quand elles ne sont pas encore protégées par le secret, elles sont souvent rares. C’est en cela que le métier d’historien du renseignement est passionnant : il faut savoir lire entre les lignes de l’histoire officielle pour y déceler les traces d’opérations de renseignement…

RENSEIGNEMENT ET ESPIONNAGE PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE,

Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), sous la direction d’Éric Denécé, Préface de Bernard Squarcini, Ellipses, Paris, 2024, 792 pages, 39 €.

https://www.editions-ellipses.fr/accueil/15340-28531-renseignement-et-espionnage-pendant-la-seconde-guerre-mondiale-9782340089792.html#description-scroll-tricks


[1] Interception des communications. Le SIGINT se divise entre COMINT et ELINT (guerre électronique et interception des signaux radar).

Lénine dans la ligne de mire de Poutine

 

Lénine dans la ligne de mire de Poutine

par Alexandre Sumpf*, Université de Strasbourg – Revue Conflits – publié le 15 août 2024


Quel rapport à l’histoire, et notamment à Lénine, entretient Vladimir Poutine ? 100 ans après la mort du dictateur communiste, que reste-t-il de sa légende dans la Russie d’aujourd’hui ?

Vladimir Ilitch Oulianov, mieux connu sous le pseudonyme Lénine, pris vers 1900-1901, est décédé le 21 janvier 1924, à l’âge de 54 ans. Cent ans après sa disparition, son nom continue de susciter la controverse : père du totalitarisme soviétique et impitoyable dictateur pour les uns, il demeure pour les autres un penseur de premier plan et l’architecte d’un État, l’Union soviétique, qui a incarné durant la majeure partie du XXe siècle un contre-modèle face à l’Occident capitaliste. La polémique n’épargne pas la Russie, où le rapport au fondateur de l’URSS demeure pour le moins contrasté aussi bien dans la population qu’au sommet de l’État, Vladimir Poutine reprochant notamment à son lointain prédécesseur d’avoir « créé l’Ukraine ». Dans une riche biographie qui vient de paraître aux éditions Flammarion, l’historien Alexandre Sumpf (Université de Strasbourg) revient sur la vie tumultueuse de l’un des hommes les plus controversés de l’histoire récente. Nous vous en présentons ici quelques passages.


Beaucoup a été écrit par Lénine, sur Lénine, contre Lénine – et nombre de biographes se sont évertués à percer le mystère du personnage, à dévoiler les ressorts de sa psychologie, à se risquer dans le domaine de l’intime pour donner chair à cet homme qui, de l’avis même de ses adversaires, ne vivait que pour la révolution.

En France, le dernier opus en date, mijoté de longues années durant par l’un des plus virulents auteurs antisoviétiques (Stéphane Courtois), insiste sur la violence et le comportement pathologique du leader bolchevik. Il n’y a peut-être que Richard Pipes qui soit allé plus loin dans la haine de Lénine, faisant feu de tout bois pour affirmer qu’il était, en un sens, pire que Staline qui au moins n’était pas un intellectuel et surtout n’avait rien d’un révolutionnaire.

À l’opposé, si on ne trouve plus aujourd’hui d’idolâtres aveugles du Guide de la Révolution, il bénéficie toujours à gauche d’une fascinante mansuétude, due autant à sa stature de héros révolutionnaire vainqueur, et à la campagne de propagande permanente dont il a fait l’objet.

Chercher un juste milieu serait vain et il vaut mieux tenir compte dans l’analyse de l’amplitude des passions que Lénine a déchaînées de son vivant et depuis son décès.

Cet élargissement de la focale temporelle s’enrichira d’une attention plus fine à la société qui a vu naître ce phénomène mondial : écrire la vie de Lénine, c’est aussi raconter la Russie de la fin du tsarisme et des débuts de la période communiste, comprendre ce qu’est la province russe, la Sibérie, le Paris ou le Londres des exilés politiques, les prisons russes ou polonaises.

Nadejda Kroupskaïa et Lénine en 1922.
Maria Oulianova/Wikipedia

Enfin, il y a un avant et un après novembre 1917 : pas tant sur le plan de la conquête et de l’exercice du pouvoir – Lénine a toujours été un chef, en tout cas depuis l’exécution de son frère aîné en 1887 – que sur celui de son mode de vie. Après le transfert de la capitale à Moscou en mars 1918, pour la première fois depuis 1893, il ne déménage plus sans cesse, ne passe plus d’une ville et d’une cache à une autre, n’est plus poursuivi si ce n’est par les solliciteurs. Il n’est plus séparé de ses principaux collaborateurs et de sa famille. Il vit, enfin, une vie presque normale.

Y aurait-il encore des sources qui ont échappé à la traque menée par les historiens russes et occidentaux ? Sans doute pas, mais on peut et même on doit interroger la très ample documentation à la lumière d’approches renouvelées ces vingt dernières années : l’histoire sociale du politique, l’histoire de la propagande, l’histoire des émotions, l’histoire connectée, l’étude des sorties de guerre.

Mieux comprendre qui était Lénine et ce qu’il a continué à être quand il dirigeait la Russie rouge implique d’accorder une attention particulière aux interactions sociales et intellectuelles entre Lénine et ses lieutenants, à son errance et sa marginalité au sein du mouvement ouvrier européen qui sont à l’origine de sa violence politique, et à son engagement corporel dans l’acte d’écriture.

Il convient aussi de réévaluer le rôle attribué au cinéma dans le système de propagande soviétique, qui diffusait moins un propos abscons qu’une image-preuve, et de comparer les cultes de Lénine et Staline à l’écran – notamment en questionnant le cliché de l’ascétisme et de la simplicité léniniens. Il importe enfin de relire la fin de vie de Lénine (1922-1923) au prisme des émotions d’un homme souvent seul, isolé, qui a fini invalide […].

Dernière photo connue de Lénine, prise en 1923 par son infirmier Vladimir Roukavitchnikov. Les photos de Lénine en fauteuil roulant restèrent secrètes jusqu’à la glasnost et l’effondrement de l’URSS.
Wikimedia

Ce livre offre le récit des 365 jours où l’exilé marginal Oulianov s’est transformé en Lénine, dictateur inébranlable ; il narre l’histoire d’un éternel révolté russe qui a fini par ébranler l’Europe et le monde ; et il décrypte la légende vivante d’Ilitch, le Guide d’une révolution mythifiée avant d’être momifiée.

[…]

Depuis qu’il a été appelé au pouvoir par le clan Eltsine, Vladimir Poutine a toujours pris soin de distinguer les (mauvais) bolcheviks, révolutionnaires démolisseurs, des (bons) communistes, continuateurs de la puissance grand-russe et bâtisseurs d’un État fort.

Le Russe Lénine, trop internationaliste pour être honnête, peut-être même agent allemand, a comploté sa dilution en inventant la confédération soviétique – alors que le Géorgien Staline, héritier des grands tsars et authentique patriote, a tout fait pour que le « grand frère » russe réaffirme sa domination. […]

C’est l’impensé de la reconstruction poutinienne de l’histoire nationale. Le pouvoir russe refuse d’accepter que les mouvements d’indépendance aient pu correspondre à un désir profond sinon de toute la population, du moins d’une avant-garde suffisamment active pour entraîner les peuples vers l’autodétermination.

Or, comme dirait l’autoproclamé historien, « c’est un fait historique » : l’État ukrainien est né le 10/23 juin 1917 lorsque la Rada centrale a publié son premier universal en langue ukrainienne, puis que cette assemblée élue a déclaré l’indépendance de la nation le 7/20 novembre 1917, a envoyé des émissaires à Brest-Litovsk en février 1918 avec leur propre agenda, puis a obtenu une délégation lors de la Conférence de la Paix de Paris en avril 1919 – contrairement à la Russie.

Lénine avait compris qu’on ne pouvait bloquer le processus d’indépendance et, conscient de l’erreur commise avec la Finlande en décembre 1917, il a décidé de le piloter en Ukraine au profit de la Russie soviétique. Loin d’avoir créé ex nihilo une Ukraine non russe, il a enterré pour des décennies l’État ukrainien défait par les armes. Poutine aurait dû le remercier et se référer à la politique d’unification par les armes d’un nouvel empire après la chute de celui des Romanov.

Alors, pourquoi tant de haine ? Lénine prône certes des valeurs internationalistes, mais le pire pour Poutine est l’interprétation des rapports sociaux en termes de classes – et non de peuples – antagonistes. Lénine permet de voir clair dans le jeu de Poutine. L’actuel maître du Kremlin masque son véritable intérêt – l’enrichissement et le pouvoir d’un clan – derrière un discours patriotique qu’on jugeait vide de contenu jusqu’à sa mise en application le 24 février 2022.

Alexeï Navalny, qui n’a rien d’un léniniste, ne dit pas autre chose. Plus encore que l’opposant emprisonné que Poutine refuse de nommer, Vladimir Ilitch Oulianov suscite une aversion totale : c’est un homme qui pense et fait la révolution, qui donne des leçons de tactique et de stratégie politique à quiconque projette de renverser un pouvoir en place. Jusqu’en cette fin d’hiver 2022, le pouvoir russe pratiquait une forme de guerre hybride contre Lénine, plus insidieuse et efficace qu’un bannissement retentissant. Ainsi, le choix du 22 avril 2020, 150e anniversaire de sa naissance, pour le vote de confirmation des modifications de la Constitution ne peut relever du hasard. Le jour où certains auraient pu célébrer l’ancien dirigeant et où il aurait à nouveau brillé sous le feu des projecteurs médiatiques, il fallait trouver un puissant contre-feu : quoi de mieux que le changement de jalons revenant pour certains aspects (place de la religion, définition de la famille) à l’époque impériale ?

Cet extrait est issu de « Lénine », d’Alexandre Sumpf, qui vient de paraître aux éditions Flammarion.

 

 

De longue date, l’ensemble des médias à la botte du Kremlin caricature Lénine et la révolution, réduite au rang de conspiration de personnes ayant vécu une bonne partie de leur vie à l’étranger, pratiquant l’adultère et la concussion. Non, chers concitoyens, Lénine n’avait rien d’un génie, d’un philosophe du politique, d’un tacticien hors pair. C’était tout bonnement un traître russophobe, un bourreau athée et un syphilitique adultère. Homme du passé honni des nouveaux « temps des troubles » entre 1917 et 1921, il est aussi l’homme du passif coupable de la haine vouée à la Russie.

Comme l’a écrit Boris Souvarine dans le Figaro littéraire du 21 janvier 1939, à propos d’une restauration antérieure : « Les milliers de décrets que Lénine a signés, autant en emporte le vent. Les millions de volumes que Lénine n’aurait pas publiés, nul ne les prend au sérieux. Lénine est mort et embaumé, le léninisme est mort et enterré, les léninistes sont morts entr’assassinés et déshonorés. Un nouveau tsarisme s’installe à demeure, infiniment pire que l’ancien, lequel n’était pas totalitaire. Si Lénine, de son mausolée asiatique, pouvait contempler ce tableau qu’il n’a pas prévu, à coup sûr il ne serait pas fier. »

*Alexandre Sumpf, Maître de conférences en Histoire contemporaine, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Général Jean-Bernard Pinatel : mes rencontres avec des généraux qui ont participé à la légende des paras

Général Jean-Bernard Pinatel : mes rencontres avec des généraux qui ont participé à la légende des paras


THEATRUM BELLI enrichit sa rubrique sur Les Paras avec un témoignage du général Jean-Bernard Pinatel (auteur de l’ouvrage sur L’esprit guerrier paru chez Balland l’été dernier) sur ses rencontres avec quatre illustres généraux : Sauvagnac, Massu, Bigeard, Le Borgne.

Le général Sauvagnac

Henri Sauvagnac (1902-1982).

Ma vocation parachutiste est aussi liée à mes rencontres à Bayonne avec le général Henri Sauvagnac. J’étais l’ami de ses fils, en particulier de Daniel, qui, après avoir été élève officier à Saint-Cyr, promotion Vercors, me rejoignit à la 3e compagnie du 1er RCP et mourut des suites d’une fracture du bassin occasionnée par un mauvais atterrissage. Soigné à l’hôpital militaire de Bordeaux, j’ai toujours été persuadé qu’il s’était laissé mourir car les paras, pour lui, c’était fini.

Les fantassins de ma promotion de Saint-Cyr (1958-1960) furent envoyés en Algérie sans faire une année d’école d’application. Elle fut remplacée par un stage pré-AFN de 3 mois qui se déroula en 2 mois au camp des garrigues près de Nîmes puis d’un mois à Philippeville, j’avais en tête de choisir le 1er REP, où deux places étaient réservées à notre promotion et que mon classement me permettait d’obtenir.

Malheureusement, lors de sa tournée des popotes de décembre 1960, le général de Gaulle avait été chahuté par les paras et les légionnaires opposés à son projet d’un référendum sur l’autodétermination en Algérie. Furieux, le chef de l’État avait mis son veto : aucun cyrard ne devait se laisser contaminé par l’esprit de contestation des paras.

Effondré, je n’avais, en outre, aucun plan B.

Je m’en ouvris au général Sauvagnac qui dirigeait le Sud-Est Constantinois et qui m’avait donné ses coordonnées.  Il me conseilla sans attendre de choisir le 7e RTA si mon désir était bien d’aller au feu, précisant avec malice que le drapeau du 7e RTA était « plus décoré que celui du 1er REP ». Je montrai son télégramme à mes camarades et les 7 premiers optèrent pour le 7e RTA.

Le général Sauvagnac, élève de Saint-Cyr, de la promotion du Rif (1924-1926) fut un des pionniers du parachutisme militaire en France. Son brevet de parachutisme militaire porte le numéro 1.

À cette époque, au bout de quelques sauts en ouverture automatique, les premiers paras ouvraient eux même leur parachute après une chute libre de quelques secondes autant dire que les accidents de sauts furent nombreux. Huit mois après son premier saut, au cours de son 37e saut, le général Sauvagnac alors capitaine, battit le record du monde de chute libre avec une chute de 74 secondes.

De 1937 à 1940, le capitaine Sauvagnac commanda la compagnie du 601e groupe d’infanterie de l’air qui fut la première unité parachutiste française basé à Reims, et enfin, le bataillon de chasseurs parachutistes no 1 qui devient le 1er RCP le 1er mai 1943. Il en prend temporairement le commandement puis devient son chef de corps de 1945 à 1947. Lorsque la demi-brigade de marche parachutiste est créée en décembre 1946 à partir d’effectifs de la 25e DAP, le lieutenant-colonel Sauvagnac en prend le commandement pour combattre en Indochine. Volontaire pour un second séjour en Indochine, il prend le commandement de l’ensemble des troupes aéroportées (TAP). De 1956 à 1958 il commande la 25e division parachutiste. Grand officier de la Légion d’honneur, cité douze fois au feu.

Je l’ai revu plusieurs fois à Pau lorsqu’il venait visiter le 1er RCP où après le saut en chute libre traditionnel de la Saint-Michel, il demandait que les chuteurs lui soient présentés pour les féliciter et j’ai pu ainsi à ces occasions discuter plusieurs fois avec lui.

Le Général Massu

Jacques Massu (1908-2002).

Le Général Massu, était gouverneur de la Région Militaire dont le PC était à Metz lorsque j’étais sous-lieutenant, chef de la 1re section de la 3e compagnie du 1er RCP, basé depuis son retour d’Algérie en juin 1961à Montigny-lès-Metz.

Nommé en septembre 1961 gouverneur de Metz, le général Massu, établit la « coupe de cheveux para » pour toute la région militaire . Il instaura notamment une tradition dominicale pour la garnison de Metz : chaque dimanche soir, un sous-lieutenant du 1er RCP, à tour de rôle, dirigeait une patrouille en ville dont le rôle essentiel était de se poster devant la gare de Metz avec un 6 X 6, accompagné d’un sous-officier, de deux paras et d’un coiffeur. Sa mission consistait à vérifier que les permissionnaires revenaient avec la coupe règlementaire et dans le cas contraire, les faire monter dans le 6 X 6 où le coiffeur leur infligeait une coupe Iroquois à l’envers, c’est-à-dire leur passait la tondeuse au milieu du crâne, les laissant repartir avec deux touffes de cheveux séparées par une grande trace blanche ce qui les obligeait à se raser complétement la tête afin d’éviter le ridicule.

En général notre tableau de chasse était composé essentiellement d’aviateurs de la base de Frescaty et de biffins non-paras. Un soir, à ma grande surprise, je vis débarquer un grand para élancé dont la chevelure blonde débordait du béret minuscule et non réglementaire. Horrifié, je ne lui laissai pas le temps de s’expliquer et lui ordonnais de se taire si bien qu’il ne put prononcer un seul mot ; mon sous-officier l’entraîna dans le 6 X 6 et lui fit subir le même sort, assorti de remontrances puisque sa désinvolture faisait honte aux paras.

Le lendemain matin, je fus convoqué par l’officier adjoint du régiment, le capitaine Soutiras, que j’avais connu en Algérie. Il me reçut chaleureusement et m’apprit d’un ton presque amusé :

— Pinatel, vous en avez fait de belles hier soir !

— Comment mon capitaine ?

— Vous avez tondu le majordome de Madame Massu qui rentrait spécialement de permission pour un grand dîner chez le gouverneur ; il a dû se raser complètement le crâne et Madame Massu l’a très mal pris et vous a fait mettre huit jours d’arrêts simples par le commandant la place de Metz.

 Je proteste en disant que cette coupe de cheveux est applicable à tous sans exception. Désolé, Soutiras me répond qu’il ne peut rien pour moi : 

— Le seul qui peut vous accorder le sursis est le Général Massu, puisque le commandant de la place est son subordonné direct. Je ne vous recommande cependant pas de le lui demander, car Massu, qui n’a jamais tremblé devant l’ennemi, a la réputation de ne jamais désavouer son épouse.

Indigné par cette sanction imméritée, je persiste.

Le capitaine me tend alors la feuille de punition afin que j’inscrive moi-même « Je demande le sursis car j’estime cette punition imméritée ». Le capitaine Soutiras me regarde avec un air contrit qui veut dire : toi mon vieux tu ne sais pas ce qui t’attend, mais il se contente de confirmer qu’il transmettra. La nouvelle fait le tour du régiment et au mess les paris sont ouverts entre ceux qui pensent que je ferai « mes huit jours » et ceux qui pensent que le Général Massu « rajoutera de la sauce ». Pendant trois semaines, je n’entends plus parler de la punition et quand je finis par penser qu’elle est passée aux oubliettes, je reçois l’ordre de me présenter en tenue n°1 au PC du gouverneur[1] à 11 heures le lendemain.

Le capitaine Soutiras me précise qu’un aspirant m’attendrait non pas par la grande porte du square Giraud mais à une petite porte, située quelques dizaines de mètres plus loin sur l’avenue Ney. Je n’en mène pas large toute la journée et mes camarades accroissent mon inquiétude par leurs commentaires du genre : « Je n’aimerais pas être à ta place ». Le soir venu, je fais une reconnaissance des lieux pour être sûr d’être à l’heure au rendez-vous. Le lendemain, je me présente donc dix minutes avant l’heure en grande tenue, un aspirant m’attend, me salue et tourne les talons en me disant simplement : « mon lieutenant suivez-moi » et me fait monter par un escalier de service au premier étage où se situe le bureau du général Massu. Il me fait entrer :

— Voici le sous-lieutenant Pinatel, mon général !

Et sort en fermant la porte. Je fais un salut impeccable et reste au garde à vous paralysé par l’émotion de me trouver devant ce grand chef para. A ma grande surprise le général Massu se lève de son bureau vient vers moi la main tendue et me dit : 

— Je suis heureux de rencontrer celui qui a réussi à faire couper les cheveux au majordome de mon épouse, je m’y étais essayé mais je n’avais jamais réussi. 

Son regard se fixe sur mes deux citations dont celle à l’ordre de l’armée et tend le bras vers un confortable fauteuil, et s’assoit en face de moi :

— Je vois que vous avez fait une belle campagne d’Algérie, racontez-moi où et comment vous avez obtenu cette palme.

Je lui fais un compte rendu succinct tant je suis impressionné. Il me pose des questions sur le régiment, comment se passe l’entraînement de ma section puis se lève, va à son bureau prends la punition et y appose son sursis. Puis il sonne l’aspirant, me serre à nouveau la main sans rien dire et recommande à l’aspirant : 

— Ramenez le lieutenant Pinatel par le même chemin.

Nous saluons, demi-tour réglementaire et nous sortons par le même chemin. Intrigué mais soulagé, je questionne l’aspirant sur les motifs de cette discrétion. Il me répond avec un large sourire :

— Mon lieutenant, si nous étions passés par la grande porte, nous aurions dû défiler devant le bureau de Madame Massu qui est contigu à celui du général et elle conserve toujours sa porte ouverte.

Je comprends que le général Massu ne voulait pas provoquer son épouse[2] ni qu’elle apprenne qu’il m’avait accordé le sursis, approuvant ainsi la tonte de son majordome. Une fois encore cette histoire fit le tour du régiment et me conféra une notoriété auprès des sous-officiers anciens qui me saluèrent désormais avec plus de rigueur.

Une fois par mois avec ma section, j’allais au champ de tir qui était dans une forêt proche du fort Drian, deux fois, je revis le général Massu qui venait à cheval et sans en descendre se renseignait sur l’entraînement de mes hommes. J’étais très fier que ce grand chef se fasse remettre le planning d’instruction de ma section et s’arrangeait pour venir me voir.

Lorsque nous avons quitté la Lorraine pour Pau en décembre 1962, je ne revis plus le général Massu mais j’eus la chance de servir sous les ordres d’autres officiers parachutistes prestigieux, les commandants Guegen et Trapp, le général Bigeard, et d’avoir été le « largueur » attitré du général Le Borgne qui commanda la 25° brigade aéroportée de Pau de 1969 à 1971.

 

Le général Bigeard

Marcel Bigeard (1916-2010).

J’ai connu Marcel Bigeard lorsque j’étais lieutenant au 1er RCP.

Il était l’officier le plus décoré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Titulaire de 27 citations dont 19 à l’ordre de l’armée, Bigeard reste encore aujourd’hui une légende chez les parachutistes. J’eus la chance de le rencontrer puis qu’il me suive tout au long de ma carrière militaire et civile, lors de rencontres ou via une correspondance épistolaire que j’entretins avec lui jusqu’en 2007, trois ans avant sa mort.

Le dernier souvenir que je vais partager ici c’est la lettre qu’il m’adressa en 2007 à la suite d’une sollicitation de son appui afin d’organiser un saut de réconciliation sur Dien Bien Phu. Le projet avorta à cause d’une opposition stupide du ministère des Affaires étrangères : « On ne se réconcilie pas avec un régime communiste ». Ce document est un reportage de Paris Match sur la photocopie duquel il m’avait apporté son soutien. Les mots sont de sa main.

A la fin de la guerre d’Algérie, il fut admis sur titres à l’Ecole de guerre où il ne fit qu’une année destinée à le reconvertir au combat sous menace nucléaire. En 1964, il prit le commandement de la 25e brigade parachutiste à laquelle appartenait le 1er RCP. Ma première rencontre avec lui eu lieu au cours d’un exercice de cadres qu’il avait organisé au PC du régiment autour d’une grande caisse à sable où était représentée une zone entre Meuse et Moselle et où les deux brigades de la division étaient déployées pour stopper la progression des armées soviétiques sous menace d’utilisation de l’arme nucléaire tactique.

Nous étions au début du déploiement de la force nucléaire française qui à l’époque était appelée « force de frappe ». En effet, les Forces aériennes stratégiques venaient d’être créées le 14 janvier 1964. En février, le premier Mirage IV et le premier avion ravitailleur C-135F arrivèrent dans les forces. En octobre, la première prise d’alerte par un Mirage IV, armé de la bombe AN-11, et un avion ravitailleur C-135F eu lieu sur base aérienne de Mont-de-Marsan (40) dont je fus chargé d’ailleurs de tester les défenses. Le trio arme nucléaire (AN-11), avion vecteur (Mirage IV) et avion de projection (ravitailleur) était alors opérationnel.

Ce que je retiens de cet exercice c’est la gouaille et le charisme de Bigeard qui nous expliqua que lors d’un exercice d’état-major à l’Ecole de guerre, les deux commandants de la 20e et de la 25e brigades, lui et le général commandant la 20e brigade, avaient reçu comme mission de déployer leurs unités entre Meuse et Moselle pour stopper une percée des chars soviétiques. Mimant sur la caisse à sable la manœuvre, il nous expliqua en des mots peu châtiés que son camarade n’avait rien compris à la menace nucléaire et n’avait pas dispersé assez ses unités. Lorsque les instructeurs jouant le rôle des soviétiques avaient lancé un engin nucléaire sur chaque brigade, la 20e avait à eu 30 % de pertes et avait été déclarée hors de combat tandis que la sienne, la 25e qu’il avait dispersé par sections et avec l’ordre de s’enterrer n’avait été sanctionné par les arbitres de l’exercice que par 1 % de pertes et était totalement apte au combat. « Enseignement sous menace nucléaire on se disperse et on s’enterre jusqu’à ce que l’ennemi s’imbrique dans notre dispositif ». On sentait qu’il nous envoyait aussi un message subliminal : « j’étais le meilleur contre les chleus, les Viets et les Fells, alors contre les Soviétiques ce sera pareil ; si on doit aller en guerre avec moi vous risquerez moins qu’avec les autres ». Nous étions tous ressortis de ce premier contact tous gonflés à bloc.

Ma deuxième rencontre fut du même type que celle avec Massu. J’étais à cette époque lieutenant adjoint de Noir et à ce titre j’assistais à la réunion hebdomadaire chez le colonel quand le capitaine Vasseur était absent, ce qui était souvent le cas, car ayant un enfant gravement malade qui finalement décéda, il restait souvent chez lui pour soutenir son épouse et s’occuper de ses trois autres gamins.

A cette réunion, le colonel en particulier ses adjoints le patron du BOI[3], le commandant Gueguen, le commandant des services techniques, et son homologue des services administratifs nous informaient et recueillaient notre avis. C’était encore une période marquée par le putsch d’avril 61 et le haut commandement se méfiait des parachutistes. Tout en mettant à la tête des brigades des officiers incontestables comme Bigeard, restés fidèles à De Gaulle, ils donnaient les régiments à des officiers qui avaient peu ou pas servi dans les paras. C’était le cas du colonel. Ils affectaient sous leurs ordres des commandants chevronnés comme Gueguen ou Trapp qui n’avaient pas participé au putsch d’avril 1961. En revanche, l’échelon inférieur, celui des commandants de compagnie, était pourvu par des « osmosés » qui n’avaient ni l’esprit ni la condition physique suffisante. Les paras ressemblaient à cette époque à un mille-feuille : une tranche de dur, une tranche de mou.

N’ayant pas fait le putsch car je me trouvais à cette date-là à l’hôpital Bégin pour soigner ma blessure de guerre, je me considérais avec mes camarades lieutenants en charge de maintenir l’esprit para. Chuteur, instructeur commando, spécialiste survie, j’avais plus de titres de guerre que les capitaines et même que le colonel qui n’avait rien d’un chef para.

Aussi j’étais rarement d’accord avec ce que le colonel voulait faire. Malheureusement, à la différence de tous ceux qui comme le commandant Gueguen pouvaient s’adresser à lui en privé, ma seule chance de faire entendre mon point de vue était la réunion des commandants de compagnie Je ne m’en privais pas et exprimais souvent mon désaccord avec la mesure envisagée, même si mes suggestions étaient rarement prises en compte. Un jour le colonel nous exposa un projet de l’état-major qui s’inquiétait du fait que beaucoup des « osmosés » ne réussissaient pas les tests paras, certains même manœuvraient en permanence pour ne pas sauter avec leur compagnie quand il y avait du vent ou la nuit et faisaient tout pour faire leurs 6 sauts d’entretien dont 1 saut de nuit par an dans des conditions optimales[5], et ainsi être considérés comme aptes et toucher la solde à l’air[4]. Ces tests consistaient à faire 8 kms en une heure avec arme, casque et un sac de 15 kg ainsi que d’autres épreuves comme les tractions, les abdominaux, le lancer de grenade.

Le colonel nous commenta un projet de note émanant de la direction des ressources humaines de l’état-major de l’armée de terre qui envisageait de moduler la difficulté des tests en fonction l’âge pour trouver des officiers à muter dans les paras. Toujours l’osmose. Il exposa donc cette idée qui reçut l’appui de tous les capitaines présents, Trapp et Gueguen qui s’étaient prononcés contre mais en privé, ne pipaient mot. Pour ma part j’étais révolté. L’esprit para exige que le chef commande par une seule phrase : « Faites comme moi », ce qui suppose évidemment qu’il passe les mêmes tests que ses soldats. Je décidai donc de rien dire et d’en parler ultérieurement au commandant Gueguen et je baissai la tête mimant d’être plongé dans une profonde réflexion. Quand mon tour vint de m’exprimer, je fis signe que je n’avais rien à dire en passant l’index en travers de mes lèvres. Le colonel fut surpris et sans le vouloir me provoqua.

— Je suis étonné Pinatel pour une fois vous n’avez rien à dire.

— Non mon colonel, je pense.

— Pinatel faites-nous part de vos réflexions.

— Non mon colonel, je ne peux pas, ce serait irrespectueux.

Moment de silence total dans la salle. Toutes les têtes se tournèrent vers le commandant Trapp qui plissait les yeux jusqu’à les faire presque disparaître, Gueguen prenant un air détaché. Voyant que personne ne venait à son secours le colonel commanda :

— Pinatel, je vous ordonne de parler.  

— Et bien mon colonel puisque vous m’y obligez, je ne peux pas accepter que l’on instaure des tests inversement proportionnels à l’âge alors que plus on vieillit, plus la solde à l’air est élevée[4]. Moins d’efforts mais plus de solde ! Mais ce qui me réconforte et c’est la raison pour laquelle que je gardais le silence, c’est que vous serez à la retraite avant moi.

— Pinatel vous me visez personnellement, vous êtes un impertinent, vous passerez à la fin de la réunion dans mon bureau.

Je me rendis au bureau du colonel qui m’annonça qu’il me mettait huit jours d’arrêts pour manque de respect envers un supérieur. Du tact au tact je lui répondis :

— Mon colonel, je demande le sursis

Trois jours après, je me retrouvai dans le bureau du général Bigeard en grande tenue, mes deux citations et ma décoration des blessés bien en vue. Bigeard ne m’en fit pas la remarque mais, visiblement, il avait sur son bureau mon dossier militaire qu’il avait consulté. Il alla droit au but :

— Alors Pinatel qu’avez-vous dit à votre colonel.

Je racontai la scène et terminai par ma défense.

— C’est parce qu’il m’a mis au garde-à-vous et m’a ordonné de parler que je lui ai dit ce que je pensais.

Bigeard partit d’un large sourire : 

— Oui, cette histoire de tests modulables est une belle connerie et la formule que vous avez employée c’est celle que je cherchais : moins d’efforts mais plus de solde. Je vous donne le sursis, mais n’exagérez pas à l’avenir.

— Bien mon général.

Je le saluais et fis demi-tour.

Quelques temps après, j’apprenais que le Général Bigeard m’avait choisi pour former les sous-officiers de la division au camp de Gers et le commandant Trapp me rajouta le Peloton d’élèves gradés du Régiment. Je me trouvais à 25 ans commandant de compagnie d’instruction avec des moyens considérables. Tous les futurs sous-officiers de la division parachutiste allaient passer entre mes mains ainsi que les futurs caporaux du régiment. Quelle magnifique preuve de confiance ! Bigeard me donna l’ordre de faire une sélection sévère et de ne donner le CAP 2 qu’à un candidat sur deux. Les deux mois d’instruction se terminaient par un raid survie de 5 jours qui conduisait les meilleurs du camp de Gers au sommet du Vignemale via le col d’Ilhéou, le lac de Gaube et le refuge de Bayssellance.

J’eus plusieurs fois l’occasion de revoir le général Bigeard lorsqu’il fut nommé secrétaire d’État à la suite de la crise du service militaire puis en tant que député et membre de la Commission de la Défense nationale. Il me convoqua plusieurs fois pour avoir mon avis. Je n’ai malheureusement gardé que notre dernière correspondance, explicite de l’affection qu’il me portait. Un beau projet avorté par la bêtise d’un directeur de cabinet qui me mentit effrontément et qui me refusa une audience avec son Ministre.

 

Le général Le Borgne, l’esprit corsaire

Guy Le Borgne (1920-2007).

Guy Le Borgne est né à Rennes le 6 janvier 1920. Fils d’un avocat et attiré depuis son adolescence par la carrière des armes, il intègre Saint Cyr en 1939 avec la promotion Amitié franco-britannique. En mai 1940, la première année est écourtée et les élèves-officiers après seulement un an d’école sont promus sous-lieutenants et envoyés en Afrique du Nord d’où ils reviennent, une fois l’armistice signé, en zone non occupée à Aix pour reprendre leurs études. À la sortie de l’école il choisit l’infanterie coloniale et sert successivement au Mali, au Sénégal et au Maroc d’où il rejoint les parachutistes de la France Libre en formation en Angleterre, au centre de Peterborough. Une fois breveté, il suit la formation commando. Puis il acquiert la spécialité « Jedburgh » pour être parachuté en France occupée afin d’y encadrer les maquis, les organiser et surtout les instruire. Il choisit un nom de guerre pour éviter d’éventuelles représailles sur sa famille en France : ce sera Le Zachmeur, un pseudonyme qui signifie Le Grand Chef en breton. Le 16 juillet, il est parachuté près de Quimperlé dans le sud Finistère. Avec le maquis qu’il commande, il libère Pont-Aven, Quimperlé et Quimper. Affecté au 2e régiment de chasseurs parachutistes, il conduit en décembre 1944 et janvier 1945 de délicates patrouilles de renseignement en jeep armées sur le front des Ardennes belges, dans la région de Bastogne. Ramené en Angleterre, il est parachuté en Hollande avec la Brigade SAS (Spécial Air Service) sur Amherst, à soixante kilomètres sur les arrières de l’ennemi, pour une opération de diversion qui doit servir d’appât aux Allemands. L’opération se termine mal. Il est capturé, mais réussit à s’évader en rapportant au commandement des renseignements de la plus haute importance.

À 25 ans, le lieutenant Le Borgne est chevalier de la Légion d’Honneur, titulaire de 4 citations, médaillé de la Résistance, titulaire de la Military Cross et de la croix de guerre néerlandaise. Il rejoint l’Indochine, en 1950, et participe à la création du 8e Bataillon de Parachutistes Coloniaux dont il prend le commandement comme capitaine où il accumule les faits d’armes qui lui valent cinq nouvelles citations. Il est promu officier de la Légion d’Honneur en 1953. Chef de bataillon en 1954, Directeur des études aéroportées à la Direction des études et de la fabrication et des armements, il est admis à l’École de Guerre (1957-58). Il prend le commandement du 3e régiment parachutiste d’infanterie de marine (1960-62). Il dégage la base de Bizerte à la tête de son régiment et refusera de participer au putsch d’Alger en 1961.

Le Général Le Borgne[7], Breton avait l’esprit d’un corsaire. À Bizerte, il avait saisi un yacht de 17 mètres appartenant à un Egyptien et s’était débrouillé pour le faire remorquer jusqu’en France. Ce yacht magnifique était ancré à Saint-Jean de Luz. Je portais au général Le Borgne une vénération particulière car il incarnait pour moi « l’esprit corsaire » que m’ont légué probablement mes ancêtres de la branche Silhouette dont certains, corsaires du Roi, finirent leur vie sous les pontons anglais.

Il est promu commandeur de la Légion d’Honneur en 1962 et prend le commandement de l’Ecole des troupes aéroportées à Pau qu’il va moderniser et embellir.

C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois.

Promu général de brigade en 1970, il prend le commandement de la 25e brigade aéroportée à Pau (1970-72) dont le 1er RCP fait partie. Le général était un passionné de ski. Je ne sais pas comment il apprit que je sautais dans le civil et que j’étais très doué en précision d’atterrissage. Il demanda au colonel Brénac  qui commandait le 1er RCP de me permettre d’être son largueur pour un saut sur le glacier du Vignemale et une autre fois sur celui de Saint Lary.

Cette nouvelle mission m’excite au plus haut point. Pourtant je suis impressionné, non pas de larguer le général Le Borgne, mais de le rencontrer tout court. Je vais donc me présenter à lui au Hameau où se trouve le PC de la brigade à moins de deux kilomètres du camp d’Idron.

— Pinatel, je vous ai fait venir car on me dit que vous avez été vice-champion de France de précision d’atterrissage et un largueur confirmé. Etes-vous capable de me larguer au bon endroit y compris sur le Vignemale ?

— Oui mon général, c’est possible mais il faut avoir des conditions de vent très calmes et le seul qui peut nous le garantir à l’avance c’est un guide de haute-montagne de Cauteret, Monsieur Bouary. Ses prévisions sont très fiables, un ou deux jours à l’avance. De mémoire de montagnard, il ne s’est jamais trompé.

— Très bien, je vais demander à mon état-major de le contacter et je vous ferai signe la veille au soir. Au fait vous savez skier en hors-piste ?

— Oui mon général.

— Très bien vous sauterez donc avec nous. Nous serons trois.

Sauter d’un Nord-Atlas sur un terrain situé à 3 000 mètres d’altitude demande une grande précision, car de part et d’autre de ces deux glaciers se trouvent des à-pics de près de 1 000 mètres. Et un parachutiste qui manquerait ces glaciers ayant moins de 200 mètres de large aurait une bonne chance d’y laisser sa vie. Mais cette mission ne m’inquiétait pas, tellement j’étais sûr de ma compétence en matière de largage.

La veille je rencontre le pilote et le copilote qui vont nous larguer, tout aussi mobilisés que moi pour réussir cette mission. Je mets au point avec eux la procédure suivante : l’avion se présente dans l’axe du glacier en tenant compte de la direction du vent et le pilote me met le vert dès qu’il est axé, me laissant décider du moment du saut. Couché à plat ventre contre le plancher de l’avion, la tête dépassant la porte, fouettée par le vent glacé, je guide l’avion à vue et avec le pouce de ma main, je fais signe un peu à droite un peu à gauche, au co-pilote qui se tient à l’entrée du cockpit et qui retransmet mes corrections au pilote. Arrivé au début du glacier, je lance une flamme de couleur orange en tissus lestée et pas encore un siki[8] pour évaluer si l’axe choisi par le pilote est le bon et s’il a bien évalué la direction du vent et sa force. En fonction de l’endroit où la flamme touche le sol, je demande au pilote de repasser 100 m plus à droite ou plus à gauche. Au cours de ce deuxième passage je largue les skis qui font office de siki et cela me permet de faire une deuxième correction et c’est au troisième passage que le saut a lieu. Toujours couché sur le sol de la carlingue j’évalue la verticale et vérifie la direction puis je me relève, m’écarte de la porte et je donne le go et je saute en dernier derrière le général le Borgne et l’officier de son état-major qui l’accompagne. Le vent très froid me saisit et le parachute ouvert, la descente dure moins d’une minute avec une vue magnifique sur toute la chaîne des Pyrénées ; à l’atterrissage je m’enfonce de 40 cm dans la neige et je sue à grosse goutte enfonçant jusqu’aux genoux pour parcourir les 300 mètres qui me séparent de l’hélicoptère Alouette 3 qui est posée en limite de la zone de saut et qui vient récupérer les parachutes. A l’époque dans les Pyrénées il n’y avait pas de grands remonte-pentes et cette descente de 2500 m à ski dans une neige immaculée via le col de Bayssellance et le lac de Gaube jusqu’à Cauteret ou Gavarnie fut un moment d’une exceptionnelle intensité. Cela se termina par un déjeuner sur le capot de la voiture du général. Au moment de me déposer, le général me dit :  

— À bientôt mon capitaine, nous allons refaire cette sortie sur le glacier de Saint Lary !

L’ensemble de mes cadres m’attendaient passablement inquiets. Je téléphonai immédiatement au colonel Rouquette pour lui rendre compte : Mission accomplie, on remet ça sur le glacier de Saint-Lary ».

Tout au long de ma carrière, j’ai entretenu avec eux une relation quasi filiale leur envoyant mes vœux chaque année et je ne manquais pas de les tenir au courant de ma carrière et de les appeler au secours chaque fois que le haut commandement qui voyait en moi un futur chef des armées voulait me faire commander d’autres unités que les paras. Alors que par trois fois je m’apprêtais à démissionner car ma carrière importait peu à côté du plaisir et de la fierté de servir avec ses soldats d’élite à qui, si on leur donne l’exemple, on peut tout demander, ils surent trouver les mots et me donner l’espoir pour que je continue la carrière des armes. Ce rapport que j’entretenais avec ces grands chefs m’apparaissait tellement normal que je n’en tirai aucune gloire vis à vis de mes camarades, j’étais seulement fier de ressentir qu’ils me faisaient confiance et qu’ils me considéraient comme un des leurs.

Général Jean-Bernard Pinatel

 


NOTES :

  1. Le palais du Gouverneur, appelé autrefois General-Kommando, a été édifié au début du XXe siècle pour servir de pied-à-terre à l’empereur Guillaume II.
  2. Suzanne Massu, née Torrès, était infirmière en chef de l’escouade des « Rochambelles » de la 2e DB. Il fait la connaissance durant l’épopée de la 2e DB du général Leclerc et l’avait épousée.
  3. Bureau opérations Instruction.
  4. C’est-à-dire en juin où la nuit était décrétée à 22 h 00 et où jusqu’à 22 h 30 on voyait encore très bien.
  5. En revanche dès que le temps était beau et sans vent, ils se pressaient sur la zone de saut et faisaient leur saut de nuit en juin quand il faisait encore jour mais plus tard que le coucher du soleil, où commençait la nuit administrative.
  6. Tests inversement proportionnels.
  7. En novembre 1976, il devient gouverneur militaire de Lyon et commandant de la Ve Région Militaire comme général de corps d’armée. Grand officier de la Légion d’Honneur en 1978, le général Le Borgne prit sa retraite en 1980.Il est élevé à la Dignité de Grand Croix de la Légion d’Honneur en 2004 et totalise 13 citations.
  8. Le siki est un mannequin que l’on largue avant les sauts d’entraînement pour calculer la dérive liée au vent.

Ballon-Saint-Mars. 80 officiers de réserve sur les pas de la 2e DB

Ballon-Saint-Mars. 80 officiers de réserve sur les pas de la 2e DB

Le lieutenant-colonel Christophe Gué explique aux 80 officiers de réserve stagiaires, la situation des troupes armées, 80 ans plus tôt.

Le lieutenant-colonel Christophe Gué explique aux 80 officiers de réserve stagiaires, la situation des troupes armées, 80 ans plus tôt. | LE MAINE LIBRE

Ils étaient près de 80 officiers de réserve à se présenter samedi 3 août, derrière la mairie de Ballon-Saint-Mars, face au magnifique panorama où, 80 ans plus tôt, la 2e Division Blindée et les alliés ont repoussé l’ennemi.

Le lieutenant-colonel Christophe Gué, officier historien et tacticien a conduit les activités tout au long de la journée. Ces derniers suivent le cours supérieur des officiers de réserve spécialistes d’État-major, dispensé par l’École supérieure des Orsem (officiers de réserve spécialistes d’État-major).

Une école de prestige

Cette école délivre un enseignement militaire de haut niveau à des officiers de réserve de l’Armée de terre, dans le but de fournir aux forces armées des personnels aptes à occuper des responsabilités en état-major, en France comme à l’étranger. Cet enseignement bénéficie d’aménagements afin de permettre aux stagiaires réservistes de concilier l’engagement militaire avec les obligations civiles.

L’objectif de cette opération

Cette étude historique sur le terrain n’était pas une simple évocation des combats menés dans la zone d’action qui a vu progresser la 2e DB, mais il s’agissait d’une opération d’envergure ayant un objectif précis.

 Tout en permettant aux participants de découvrir certaines pages méconnues de l’histoire militaire française, cette étude historique de terrain a pour objectif de contribuer à leur formation d’officiers d’État-major. Il ne s’agit pas de leur fournir des recettes prêtes à l’emploi, mais de les entraîner au raisonnement tactique. Les officiers vont devoir résoudre les problèmes qui se sont posés en août 1944, sur les lieux mêmes des combats qui ont fait rage dans la région de Ballon et d’Alençon, et dans la forêt d’Écouves  explique le lieutenant-colonel Christophe Gué.

Une mise en situation comme en 1944

L’officier supérieur lance l’exercice en présentant les forces en présence, au début d’août 44. Les participants ont une connaissance du cadre géographique et de l’emplacement des troupes. Il présente la situation et les missions des unités françaises mais aussi alliées, sans oublier, celles des Allemands. Les officiers de réserve se sont transportés vers Dangeul, Mézières-sur-Ponthouin, sur les traces de la 2e DB vers de Rouessé-Fontaine, puis terminer la journée au château de Courtilloles, près de Champfleur.

27 juillet 1942 : mort à 29 ans des suites de ses blessures de l’officier SAS André Zirnheld, auteur de la « Prière du para ».

27 juillet 1942 : mort à 29 ans des suites de ses blessures de l’officier SAS André Zirnheld, auteur de la « Prière du para ».


André Zirnheld est un parachutiste français libre, membre du Special Air Service pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est célèbre pour avoir été le premier officier parachutiste français tué au combat et comme auteur de la Prière du para, écrite en 1938. Il est compagnon de la Libération. 

André Louis Arthur Zirnheld est né à Paris le  dans une famille catholique d’origine alsacienne. Durant sa jeunesse, il était scout à la 26e troupe Scout de France de Paris, puis routier et sera chef Louvetier. Il fut élève au Pensionnat catholique diocésain de Passy. Il est licencié et diplômé d’études supérieures de philosophie, et nommé en 1937 professeur de philosophie au lycée Carnot de Tunis. En , il est affecté comme professeur au Collège de la Mission laïque française à Tartus, en Tunisie.

Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, André Zirnheld est affecté dans une batterie de DCA au Liban. Zirnheld est volontaire pour aller combattre en métropole mais l’armistice du  est signé avant. Zirnheld rejoint alors la France libre en passant en Palestine britannique. Il est condamné pour désertion par un tribunal militaire français, qui confisque tous ses biens.

Zirnheld est affecté comme soldat au 1er bataillon d’infanterie de marine, avec lequel il participe, comme sergent-chef, au premier combat d’une unité FFL à Sidi-Barani le , contre l’armée italienne. En , en raison de ses diplômes, Zirnheld est retiré du front et nommé directeur-adjoint du service d’information et de propagande au Caire. Bien qu’il s’intéresse beaucoup à son travail, Zirnheld demande rapidement à être envoyé au front. Il s’inscrit au stage d’élève-officier à l’École des aspirants de Brazzaville en , d’où il sort cinquième fin 1941.

Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, André Zirnheld est affecté dans une batterie de DCA au Liban. Zirnheld est volontaire pour aller combattre en métropole mais l’armistice du  est signé avant. Zirnheld rejoint alors la France libre en passant en Palestine britannique. Il est condamné pour désertion par un tribunal militaire français, qui confisque tous ses biens.

Zirnheld est affecté comme soldat au 1er bataillon d’infanterie de marine, avec lequel il participe, comme sergent-chef, au premier combat d’une unité FFL à Sidi-Barani le , contre l’armée italienne. En , en raison de ses diplômes, Zirnheld est retiré du front et nommé directeur-adjoint du service d’information et de propagande au Caire. Bien qu’il s’intéresse beaucoup à son travail, Zirnheld demande rapidement à être envoyé au front. Il s’inscrit au stage d’élève-officier à l’École des aspirants de Brazzaville en , d’où il sort cinquième fin 1941.

Georges Bergé (1909-1997).

De retour au Proche-Orient en février 1942, Zirnheld se porte volontaire pour une unité commando parachutiste repassée récemment sous l’autorité de l’armée de l’air avec l’appellation de 1re compagnie de chasseurs parachutistes — 1re CCP et intégrée comme french squadron au Special Air Service. Il est sous les ordres du capitaine Georges Bergé puis, après la capture de celui-ci, sous les ordres du capitaine Augustin Jordan.

Lors de sa première mission, Zirnheld commande une équipe de quatre hommes qui effectue un raid sur l’aérodrome Berka-3 le , détruisant six avions ennemis au sol. Il reçoit alors, comme tout SAS après sa première mission, l’insigne des ailes opérationnelles SAS ou « ailes égyptiennes ». Ses missions suivantes seront le sabotage d’une voie de chemin de fer, puis une attaque de véhicules et ramener des prisonniers de la Luftwaffe. Il est ensuite proposé pour la Croix de guerre et la Military Cross.

La quatrième mission de Zirnheld est un raid sur la grande base aérienne allemande de Sidi-Haneish, près de Marsa Matruh, en Égypte. Ce raid est effectué dans la nuit du 26 au  par 18 jeeps armées conduites par des SAS britanniques et français. En quelques minutes, les jeeps, en formation de V inversé, parcourent la longueur de la piste en mitraillant les avions garés. Trente-sept bombardiers et avions de transport sont détruits, pour la perte de deux SAS britanniques tués sur l’aérodrome.

Pendant le retour, la jeep de Zirnheld a une crevaison. Une des autres jeeps, à bord de laquelle se trouve l’aspirant François Martin, vient à son secours, pendant que le reste de la formation continue sa route. Les deux jeeps réparent, reprennent la route, puis les pneus crèvent une seconde fois. Lorsque le soleil se lève, les jeeps s’arrêtent et tentent de se camoufler. Trois heures après, une formation de quatre bombardiers allemands Junkers Ju 87 « Stuka » les repère et les mitraille.

À leur second passage, Zirnheld est touché, d’abord à l’épaule, puis à l’abdomen. Le groupe repart en jeep, avant de se cacher dans un oued, Zirnheld souffrant trop pour supporter davantage le transport. Il meurt vers 13 heures. Martin le fait enterrer sur place avec les honneurs militaires ; une croix sommaire formée de deux planches à caisse est érigée sur sa tombe avec cette inscription : « aspirant André Zirnheld, mort pour la France le  ».

Un peu avant sa mort, il dit à François Martin : « Je vais vous quitter. Tout est en ordre en moi. », et lui demande de s’occuper des papiers et livres dans son barda. C’est Martin qui aurait découvert le carnet de Zirnheld dans lequel celui-ci a écrit en 1938 une Prière qui, dans les années 1960, sera considérée comme « La prière du para ».

Zirnheld sera cité à l’ordre de la Libération, avec comme commentaire : « Excellent chef, calme et audacieux ». Une attitude qui convient parfaitement à la devise des SAS, Who dares wins (Qui ose gagne).

Ile de Ré : « c’est unique de retrouver une armée enfouie dans les marais, quatre siècles plus tard »

Ile de Ré : « c’est unique de retrouver une armée enfouie dans les marais, quatre siècles plus tard« 

par François Petitdemange – France Bleu – publié le 5 juin 2024

https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-de-la-redaction-de-france-bleu-la-rochelle-7h45/ile-de-re-c-est-unique-de-retrouver-une-armee-enfouie-dans-les-marais-quatre-siecles-plus-tard-9843611


L’association Ile de Ré Patrimoine a découvert le lieu de la bataille du pont du Feneau, qui a eu une influence considérable – mais méconnue – sur l’histoire de France et du Royaume-Uni au 17e siècle. Son président est à réécouter en intégralité en cliquant ci-dessus.

 "La défaite des Anglais en l'île de Ré par l'armée française le 8 novembre 1627", peinture de Laurent de la Hyre, conservée au musée de l'Armée à Paris
« La défaite des Anglais en l’île de Ré par l’armée française le 8 novembre 1627 », peinture de Laurent de la Hyre, conservée au musée de l’Armée à Paris – Laurent de la Hyre – Musée de l’Armée

C’est une bataille sanglante qui a changé la France et le Royaume-Uni il y a 400 cents ans. Et elle a eu lieu sur l’île de Ré. Le lieu de la bataille du pont du Feneau vient d’être découvert. À l’époque, en novembre 1627, les troupes anglaises du duc de Buckingham ont été lourdement défaites par l’armée du Roi de France, faisant plus de 3.000 morts. Et cet évènement a consolidé la monarchie chez nous, et renforcé le Parlement outre-Manche – avant-même le siège de La Rochelle qui achèvera la chute des protestants en France.

L’association Ile de Ré Patrimoine affirme aujourd’hui avoir localisé le site de cette bataille du pont du Feneau, dans les marais entre La Couarde et Loix, grâce aux archives, aux descriptions de l’époque et aux images aériennes d’aujourd’hui. Et son président, le journaliste Indelacio Alvarez, invité de 7h45 de France Bleu La Rochelle, va maintenant lancer des fouilles archéologiques sur ce site qui n’a jamais été visité par les historiens. « C’est quelque chose d’unique en Europe, de retrouver un site datant des guerres de religions, quatre siècles plus tard, totalement intact. C’est aussi unique de retrouver potentiellement une armée enfouie dans les marais, c’est-à-dire dans l’état où ces soldats ont été tués, c’est-à-dire avec des armes, avec des cuirasses, sans doute des casques, des épées, leurs chevaux… tout ce qu’on peut trouver et qu’on ne trouve pas habituellement sur un champ de bataille ».

« L’idée, c’est de commencer des prospections en 2025, des sondages. Là, on va avoir une idée plus précise de ce qui peut être localisé à droite et à gauche du chemin, dans une zone d’à peu près vingt mètres de chaque côté. Et puis il y a le chenal, où énormément de corps ont pu tomber ou ont pu être simplement jetés, pour ensuite être traînés vers la mer », jusqu’à la fameuse fosse aux Anglais, la baie de Loix. « Mais on pense, quand même, que des centaines et des centaines de soldats sont restés dans ces marais. Et si on a suffisamment de sondages encourageants, eh bien on pourra commencer les fouilles archéologiques pendant trois ans ».

 Fier d'Ars, Ile de Ré, arc mémoriel des guerres de religions
Fier d’Ars, Ile de Ré, arc mémoriel des guerres de religions – Association Ile de Ré Patrimoine

L’association « Ile de Ré Patrimoine » donne rendez-vous ce jeudi 6 juin, dans la salle des fêtes d’Ars-en-Ré, pour une présentation complète de son projet. Il est même prévu de se rendre sur place. Le rendez-vous est à 14h30.