Une histoire des Troupes coloniales

Une histoire des Troupes coloniales

Entretien avec Julie d’Andurain

par Côme du Cluzel – Revue Conflits – publié le 5 mars 2024

https://www.revueconflits.com/une-histoire-des-troupes-coloniales-entretien-avec-julie-dandurain/


Les Troupes Coloniales, une histoire politique et militaire retrace une histoire complète et globale des Troupes coloniales, des débats autour de la création juridique de cette armée en 1900 à sa remise en cause lors de l’entre-deux-guerres, jusqu’à sa dissolution dans les années 1960. 

Entretien avec Julie d’Andurain Les Troupes Coloniales, une histoire politique et militaire, Passés Composés, 2024. Propos recueillis par Côme du Cluzel.

Vous parlez d’une armée coloniale qui naît dans le sillage d’une France qui avait besoin de s’affirmer au sein de l’équilibre des puissances à la suite de la défaite de 1870. Est-ce que pour vous, la création des troupes coloniales a finalement joué en faveur ou à l’encontre de la France ?

Avant de répondre à cette question, il me semble important de définir de quoi on parle parce que c’est un petit peu aussi l’objet du livre : définir justement ce qu’est une « armée coloniale », ce que sont les « troupes coloniales » et pourquoi il y a des confusions, qui sont encore à ce jour importantes, entre les « troupes coloniales » et « l’armée d’Afrique » et les « troupes métropolitaines ».

J’en veux pour preuve que depuis l’annonce de la publication, il parait que sur les réseaux sociaux on s’agite pour dire que la couverture ne représente pas les troupes coloniales, mais un ensemble assez hétéroclite. Or, c’est vraiment l’objet de ce livre d’éclairer ce que sont les troupes coloniales pour définir stricto sensu ce qu’est cette formation, ce qu’elle est devenue et pourquoi elle a existé. Le rôle du livre consiste à expliquer le pourquoi du comment ; il fallait passer par une explication à la fois politique et militaire de cette formation.

Pour revenir à votre question, sur la question de savoir si les Français ont eu raison de créer cette formation, il faut revenir au contexte puisqu’en histoire, tout est affaire de contexte.

Lors de la création officielle des « Troupes coloniales » en juillet 1900, il est apparu nécessaire de créer une formation militaire spécifique, réunissant deux armes, l’infanterie de marine et l’artillerie de marine, c’est-à-dire des marsouins et des bigors, pour pouvoir agir de concert avec d’autres nations dans le cadre de la projection de force qui était prévue pour aller en Chine (le Break-up of China). On a oublié ce projet de conquête de la Chine parce que finalement il ne s’est pas réalisé, mais il se situait dans le prolongement de la conquête de l’Asie et de la une conquête de l’Afrique. Dans ce contexte, les Français désiraient disposer d’une formation coloniale bien identifiée. C’est la raison pour laquelle ils ont créé officiellement et formellement ces troupes coloniales.

L’histoire des troupes coloniales est relativement courte. Est-ce que cela est le signe de leur échec ?

Stricto sensu, l’histoire des « troupes coloniales » est courte puisqu’elle s’échelonne de 1900 à 1958, date à laquelle on les renomme « troupes d’outre-mer », puis enfin « troupes de marine » en 1961. Aujourd’hui, les marsouins et les bigors de l’armée française forment toujours les troupes de marine. Ils se réclament de l’héritage des grands anciens, et ce sont ces formations que l’on envoie prioritairement sur les OPEX (opérations extérieures).

Dans mon livre, je montre que si les troupes coloniales ont eu leur raison d’être, pour les contemporains, pour la période de la conquête, c’est-à-dire 1880-1900, cela est déjà beaucoup moins évidente par la suite (1900-1920). C’est le début d’une contestation interne, au sein de l’armée française, ou les troupes coloniales se trouvent en rivalité avec les formations de « l’armée d’Afrique » qui agissent en Afrique du Nord. Leur capacité à former les tirailleurs (sénégalais, annamites, etc.) leur permet de revendiquer une identité spécifique et de se maintenir en tant que formation opérationnelle dédiée à l’outre-mer. Mais se pose aussi la question des troisièmes et quatrièmes périodes, c’est-à-dire l’entre-deux-guerres, où il y a vraiment un changement de paradigme au niveau colonial, puis de la décolonisation.

Pourquoi fait-on cette différence au début entre les troupes coloniales telles qu’elles sont et l’armée d’Afrique ? Comment est née cette distinction ? Et pourquoi ne pas avoir fondu la « Colo » dans l’armée d’Afrique ?

Un des fils rouges de ce livre consiste à expliquer pourquoi il n’y a pas une seule « armée coloniale », et pourquoi il existe plusieurs systèmes différents : armée métropolitaine, « armée d’Afrique », « troupes coloniales » au sein desquelles on trouve les tirailleurs sénégalais et annamites ; à ces formations de l’armée de terre, il faudrait d’ailleurs aussi ajouter la Marine. Tout cette complexité est l’héritage de l’Histoire.

Pour comprendre le fonctionnement de l’armée aux colonies, il faut raisonner en termes ministériels. Le premier ministère à agir dans le champ colonial a été la Marine. Puis, au moment de la conquête de l’Algérie, le ministère de la Guerre prend pied en Algérie, agissant bientôt de concert avec le ministère de l’Intérieur. Ils participent à la création d’une formation très spécifique qu’on appelle « l’Armée d’Afrique » ou 19e corps et dont la base se situe à Alger. Il s’agit en réalité d’un corps militaire venant s’ajouter aux 18 corps d’armée métropolitains et matérialisant le lien avec la métropole. Or, « l’Armée d’Afrique » est une formation métropolitaine, non spécialisée. Les hommes ne sont pas nécessairement formés pour intégrer un corps expéditionnaire, en dehors de la Légion étrangère, petite formation qui n’a pas vocation à s’élargir.

Quand la France se trouve prête à conquérir le monde, elle doit créer une formation spécifique, tournée vers la colonisation. Elle récupère alors les traditions des troupes de marines, (troupes formées par l’armée de terre, puis embarquées à bord des navires de la Marine) pour en faire des « troupes coloniales ».

On observe la progression de la formation de cette arme à travers les choix des armes à la sortie des écoles de Saint-Cyr et Polytechnique, à partir du Second Empire. Même si le processus commence sous la Restauration, on le voit s’accélérer sous le Second Empire puis, surtout sous la IIIe République au cours des années 1875-1880, moment où les Troupes coloniales deviennent une arme à part entière, bien identifiée dans les écoles. A partir de là, à Saint-Maixent et dans le recrutement par le rang, on recrute massivement pour les régiments d’infanterie et d’artillerie de marine localisés à Cherbourg, Brest, Lorient et Toulon.

On n’a pas fondu la « Colo » dans l’armée d’Afrique, car tout ceci est une longue histoire, assez compliquée, d’empilements successifs de formations qui sont rivales entre elles. C’est un véritable millefeuille de créations successives, venant se surajouter aux autres, d’où la complexité de la compréhension de ce que c’est aujourd’hui.

Cela explique pourquoi il faut attendre une vingtaine d’années avant de voir vraiment la création juridique de cette armée avec la loi de juillet 1900 ?

Les Troupes coloniales sont la seule formation née d’une loi, en 1900. Cette histoire de la loi qui met vingt ans à se former est très intéressante à observer. Il s’agit là du volet politique de la question des troupes coloniales. Il s’agit de savoir pourquoi les parlementaires français de la Troisième République ont mis autant de temps à se décider de créer cette formation.

Quand on lit les textes des contemporains, on voit très bien que leur angoisse, angoisse très récurrente dans le système républicain, c’est la crainte de créer un troisième ministère militaire, le premier étant la Marine et le deuxième celui de la Guerre. Avec la création des troupes coloniales, ils ont très peur de former un troisième ministère militaire qui serait dans les mains du ministère des Colonies, nouvellement créé en 1894.

Cette idée d’une surreprésentation du militaire dans le champ ministériel, et donc dans la société française, fait peur aux républicains qui, en même temps, oscillent entre une armée qui est devenue une arche sainte depuis 1870, que l’on veut valoriser, et en même temps cette idée qu’on crée tout autour du pays et à l’extérieur, des armées dont on ne sait pas très bien ce qu’elles font et comment elles sont dirigées, du fait de leur distance géographique.

Cette question politique est véritablement le grand débat politique de la fin du XIXe siècle ; il trouve son point d’aboutissement au moment de la conquête de la Chine, tout simplement parce que les rivalités coloniales avec l’Angleterre, avec l’Allemagne, mais aussi avec d’autres puissances, créent une nécessité. Cette nécessité faite loi, c’est celle de devoir exister au niveau international.

Aussi, il faut regarder la question des troupes coloniales dans sa internationale. Cet aspect est fondamental pour comprendre la création de cette formation.

En quoi le conflit russo-japonais du début du XXe siècle change-t-il la perspective de la France sur la colonisation en Asie ?

Cette guerre russo-japonaise de 1904-1905 constitue un élément important dans l’analyse que les militaires vont faire de ce conflit. Tout d’abord, c’est la première fois qu’il y a autant de publicistes militaires qui partent en Asie pour observer le conflit et en rendre compte ; ensuite, c’est la première fois que le monde entier prend conscience de la puissance de ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui « les Suds », ou les pays du Sud, et qu’on prend conscience du poids du Japon. Ce poids du Japon repose sur deux éléments : la puissance militaire et la puissance démographique. Ils font peur et étonnent. Après un développement initié au début de l’ère Meiji, le Japon est devenu une puissance militaire de premier niveau, capable de battre la Russie.

Par ailleurs, le Japon est un pays qui a atteint sa maturité démographique. En 1900, cela est considéré comme une force en Europe …. et un problème.. Les Français interprètent ce trop-plein démographique comme un risque d’expansion en Asie ; ils voient donc le pays comme un futur concurrent sur les colonies d’Asie. A partir de ce moment-là, militaires et les diplomates font remonter l’idée que si on veut défendre les colonies, et en particulier les colonies d’Asie, il faut créer une formation militaire coloniale de grande importance et recruter massivement des soldats indigènes.

Ce besoin de recrutement de soldats indigènes apparaît en Asie sous la plume d’officiers coloniaux que l’on appelle les “minoritophiles” ou les “tonkinphiles”, ou d’autres expressions semblables. Ces officiers sont globalement favorables aux populations indigènes et surtout ouverts à l’idée que l’armée serve d’ascenseur social pour les pays de l’Indochine, tout en étant un outil de la diplomatie française par le truchement d’une formation militaire qui serait assurée par les Français. Cette idée donne naissance à un projet qu’on appelle globalement « l’armée jaune ». Trop novateur et progressif, ce projet ne n’est retenu par Paris ; dans un deuxième temps, il est récupéré et décliné par Charles Mangin, pour l’Afrique avec ce qu’on appelle la « force noire ».

En parlant de ces forces indigènes, en quoi la Première Guerre mondiale a-t-elle permis une nouvelle vision de la Coloniale et surtout de ces troupes indigènes ?

Peu avant la Première Guerre mondiale, il existe une vraie division dans le milieu militaire entre les métropolitains (les métros) et la colonie en général. Les métropolitains ont tendance à mépriser les coloniaux parce que ce sont, disent-ils, des adeptes de la “petite guerre”. Qu’est-ce qu’on veut dire par « petite guerre » ? On sous-entend, avec mépris, qu’il s’agit d’une guerre de fusil contre des sagaies ; on sous-entend que la guerre des coloniaux est une guerre qui n’a pas grand intérêt car, ce n’est pas la Grande Guerre telle qu’elle a été enseignée dans les écoles militaires avec l’héritage de Clausewitz et de Napoléon ; enfin c’est une guerre que l’on mène, dit-on encore, avec des « bandes » et non des « soldats ». Autrement dit, les métropolitains méprisent souvent les coloniaux et leurs compétences militaires.

Au moment de l’entrée de la guerre en 1914, les coloniaux constituent donc un corps qui est mal connu et est globalement méprisé. Or, du fait des combats et de la difficulté au feu, les coloniaux apparaissent très vite, et dès la fin de 1914, comme des hommes qui connaissent les combats, qui savent très bien comment il faut faire la guerre ; dès lors, ils vont prendre beaucoup de place dans les états-majors, surtout à partir du moment où Joffre (issu des troupes de marine lui-même) commence à limoger une grande partie de ses généraux. A cette date, de nombreux officiers supérieurs reviennent des colonies pour prendre des postes importants. Un des exemples connus, est celui du général Gouraud, mais c’est également du général Marchand, du général Mangin, et de tout un tas d’officiers qui ont été formés par la Coloniale.

Pour les sous-officiers et pour les soldats, on assiste à un même processus de reconnaissance : reconnaissance pour les sous-officiers tout à fait particulière parce qu’on s’aperçoit que ce sont des gens qui sont résistants, disciplinés, contrairement à l’image qu’on se fait du colonial qui fait ce qu’il veut, et des hommes qui connaissent l’armée et qui savent tout à fait comment il faut vivre dans des conditions difficiles ; mais la vraie révélation, c’est surtout celle qui s’opère vis-à-vis des soldats et particulièrement des soldats africains, appelés génériquement les tirailleurs. Les Français comptaient beaucoup sur les soldats annamites, mais ceux-ci se révèlent à l’usage peu ou pas très résistants ; dès lors, on les emploie plus volontiers dans les usines et à l’arrière. En revanche, les soldats africains, tant vantés par Charles Mangin précédemment, trouvent une consécration dans les tranchées. A quoi le voit-on ? Cela se perçoit dans le fait qu’ils sont engagés dans des formations mixtes, c’est-à-dire avec des troupes blanches sans discrimination particulière ; contrairement à une idée reçue, ils ne sont pas employés comme de la « chair à canon ».

La Grande Guerre consacre les « troupes coloniales ». Les chefs sont désormais regardés comme d’excellents tacticiens ; les soldats gagnent une image de soldats compétents, d’hommes en qui on peut avoir confiance. Cet aspect a été très bien démontré par Anthony Guyon, dans sa synthèse sur les tirailleurs sénégalais.

Qu’appelez-vous la fusion ou la compénétration, entre la « Colo » et les troupes métropolitaines ?

La question de la fusion et de la compénétration ne doit pas être confondue avec la mixité des formations (troupes blanches/troupes noires). C’est un autre débat qui s’inscrit dans un changement de paradigme qui apparaît à l’issue de la Première Guerre mondiale. À partir de 1920, on n’a plus besoin de soldats pour faire la guerre en Europe. Le Parlement français décide de renvoyer les militaires à leur terrain, surtout les militaires coloniaux, et dans des territoires où la guerre continue (guerre du Rif ou en Syrie où éclate la révolte des Druzes en 1925).

La mixité des formations qui s’est opérée pendant la guerre montre que les divisions entre « Armée d’Afrique » et « troupes coloniales » n’ont plus vraiment de sens. Les expériences de la guerre ont amené l’idée qu’il n’existe pas une grande différence entre un tirailleur algérien (« Armée d’Afrique ») et un tirailleur sénégalais (« troupes coloniales »). Dès lors, le Parlement et un certain nombre de militaire envisagent de fusionner l’« Armée d’Afrique » et les « troupes coloniales » . La « fusion » suppose la fusion des commandements, c’est-à-dire qu’au lieu d’avoir deux chaînes de commandements, indépendantes l’une de l’autre, on se retrouve à n’en avoir plus qu’une seule. Techniquement, c’est une forme de ce que l’on appellerait aujourd’hui un « dégagement des cadres ». Or, le problème de la fusion, tel qu’il est envisagé dans les années 1920, est de savoir qui va être absorbé par l’autre. Derrière tout ça, il y a un raisonnement sur les postes, sur la possibilité de maintenir les formations des colonies à un très haut niveau. Au sein du milieu militaire, c’est l’un des grands débats de l’entre-deux-guerres.

Ce débat chemine et avance de façon assez erratique au début, mais il s’accélère alors que l’on s’approche de la Deuxième Guerre mondiale. À partir de 1937-38, le tandem Georges Mandel (ministre des Colonies) et le général Bührer (son conseiller militaire) commencent à défendre l’idée qu’il va falloir sauvegarder « l’Empire ». A cette date, on ne parle plus des « colonies », on parle bien de « l’Empire ». Cela accélère l’idée d’une nécessaire fusion des « troupes coloniales » et de « l’armée d’Afrique ». Plusieurs termes apparaissent et se juxtaposent pour évoquer cette volonté ministérielle : fusion, compénétration, etc. En réalité, il s’agit de rationnaliser le recrutement des formations coloniales en prenant le champ colonial dans sa globalité, et non plus colonies par colonies ou territoires par territoire.

Page de couverture de l’oeuvre de Julie d’Andurain, Les troupes coloniales, une histoire politique et militaire (Passés Composés, 2024)

La couverture de mon livre constitue une sorte de résumé de cette histoire de la Coloniale et des questions de « fusion » et de « compénétration ». Cette affiche a été faite par Maurice Toussaint en 1938-1939. Au premier plan, il a placé un caporal de « l’armée d’Afrique » ; à sa droite, il est accompagné un tirailleur venu de l’Afrique du Nord (marocain, algérien ou tunisien) reconnaissable par son turban ; derrière ce tirailleur, on voit les spahis et tirailleurs (sénégalais et annamites) qui renvoient à l’histoire de la « Colo ». De l’autre côté, le caporal est accompagné d’un tirailleur sénégalais (avec sa chechia rouge) et on observe sur la droite de l’image les formations des années 1930-1940 (blindés et avions) qui relèvent de la métropolitaine. L’image constitue donc un bon résumé des débats politiques et militaires juste avant la guerre.

Cela illustre les questionnements du moment : qu’est-ce qu’une formation coloniale ? Est-ce que l’on maintient la division Marine et Armée de terre ? Et au sein de l’Armée de terre, la division« armée d’Afrique », « troupes coloniales » ?Ou est-ce qu’on en fait une synthèse pour forger une véritable « armée impériale »?

À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, il y a beaucoup de remises en question de l’utilité de cette armée dont une partie provient des « troupes coloniales » ? On se demande ce qu’elle peut devenir et on ne sait pas très bien comment l’appeler : « armée coloniale » ; « armée impériale » ?

La sémantique ou l’usage de tel ou tel vocabulaire est toujours porteur de sens. Si aujourd’hui, de très nombreux historiens français utilisent le terme « d’empire » — alors même que le terme ne correspond pas toujours aux usages contemporains —, c’est parce qu’une partie d’entre eux sont inspirés ou fascinés par l’historiographie anglo-saxonne où le concept d’empire existe depuis longtemps. En soi, utiliser le mot « empire » en lieu et place de « colonies » n’est pas grave quand on maîtrise la chronologie et l’usage des discours. Mais quand le raisonnement historique est conceptualisé avec une évidente visée téléologique, cela signifie que l’on dévie et que l’on se situe dans une reconstitution idéologique de l’Histoire.

Si on se tient à une stricte orthodoxie de l’histoire de la colonisation française, la notion « d’Empire » apparaît au cours des années 1930 dans le sillage d’un discours portant sur la « défense de l’Empire ». Cette irruption du mot dans les usages des contemporains n’est pas neutre. Pour des responsables politiques et militaires, comme Mandel ou Bührer notamment, il s’agit de préparer la Deuxième Guerre mondiale, de préparer les esprits à la guerre. C’est un discours de propagande. Dès lors ce discours peut devenir un objet d’étude.

Quelles sont alors les options militaires ?

Il y a d’abord celle qui est représentée par le maréchal Pétain, l’option défensive. On se sert de la doctrine et des méthodes qui ont fait leurs preuves en 1918. La deuxième option est celle de Charles de Gaulle, avec son projet d’armée mécanisée. Enfin, la troisième option, compatible avec les deux autres, repose sur l’idée qu’il existe un réservoir d’hommes en Afrique et qu’il faudra savoir le mobiliser. Or, cette notion de « réservoir d’hommes », ce n’est ni plus ni moins que la reprise de l’idée que Mangin avait développée dans son ouvrage La Force noire en 1910. Autrement dit, l’invention de la notion de la « défense de l’Empire » à la fin des années 1930, c’est une manière de réactualiser, sous d’autres formes sémantiques, les discours précédant la guerre de 1914-1918.

Comment s’opère réellement la dissolution de ces troupes coloniales à la suite de la Seconde Guerre mondiale ?

La dissolution des troupes coloniales ne va pas se faire très facilement. Créées par une loi en 1900, fortement soutenues par un pouvoir politique qui a voulu entreprendre la colonisation, ces troupes ont la particularité d’être une « arme » à part entière, dont la cohérence a de surcroît été consacrée par l’Histoire. On compare souvent les « troupes coloniales » à la « Légion étrangère », mais on oublie que la Légion est une « subdivision d’arme » (issue de l’infanterie) alors que les troupes coloniales constitue bien « une arme »…et même deux armes si on les additionnent l’une à l’autre (infanterie de marine et artillerie de marine). L’arme désigne un choix de « spécialité » que l’on choisit à la sortie de l’école (pour les officiers) ou quand on entre en régiment (sous-officier). La spécialisation correspond à un besoin bien identifié dans l’armée. Les troupes coloniales sont les troupes opérationnelles par excellence. Il n’est donc pas facile de dissoudre une arme, d’autant que celle-ci peut envisager d’évoluer.

Dès la sortie de guerre, on voit très bien que les principaux responsables des troupes coloniales ne sont pas très optimistes sur le maintien de leur formation, même dans le cadre de l’envoi des troupes en Indochine et en Algérie. C’est pourquoi, à travers toute une politique de lobbying, ils essayent de se maintenir et de justifier leur existence, notamment à travers leur revue. Créée après 1945, la revue Tropiques sert de laboratoire de discussions, de lieu d’échanges, mais surtout de moyen de communication avec le monde politique et avec le grand public pour justifier leur existence.

Cette justification passe par la reprise d’éléments du discours politique plus anciens, comme par exemple celle de la « mise en valeur des colonies », qui date des années 1930. Plus nouveau cependant, un certain nombre d’officiers pensent à l’accompagnement futur des armées nationales africaines après les indépendances. Cependant, on peut voir là une reprise des débats sur « l’armée jaune ». Enfin, certains officiers, comme le général Nemo, inventent vraiment de nouvelles façons de mettre l’armée au service du développement avec l’invention du Service militaire adapté (le SMA) en 1961 pour les Antilles et la Guyane. Le SMA se charge de préparer les jeunes Antillais à la vie active au cours de leur service militaire grâce à la mise en place d’un encadrement et d’un monitorat militaires qui garantir leur insertion professionnelle.

Il n’y a donc pas de réelle dissolution, mais un simple toilettage de la formation par changement de nom : les « troupes coloniales » disparaissent pour réapparaitre sous la forme des « troupes d’outre-mer » (1958-1961), puis réinvestissent à partir de 1961 leur nom d’origine, celui des « Troupes de marine ». Un petit peu comme le ferait une entreprise aujourd’hui, ce toilettage s’apparente à un changement de logo. On change le nom et/ou le logo, mais cela ne remet en cause l’existence de la structure originelle.

Est-ce que c’est à travers ces « troupes de marine » que perdure aujourd’hui la tradition de ces « troupes coloniales » ?

Oui, exactement. Dans un milieu où la tradition est un élément de la cohésion interne et une force, il faut pouvoir se rattacher à une histoire. L’histoire des troupes de marine est bien celle de l’histoire des troupes coloniales.

Jour-J 2024: mise en œuvre et coordination technique et logistique confiées à un prestataire extérieur pour 2,5 millions €

Jour-J 2024: mise en œuvre et coordination technique et logistique confiées à un prestataire extérieur pour 2,5 millions €

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 28 décembre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


La Mission du 80e anniversaire des débarquements, de la Libération de la France et de la Victoire a été créée par arrêté du 8 septembre 2023. Ce groupement a pour objet « la préfiguration, l’organisation et la promotion du programme commémoratif du 80ème anniversaire des débarquements, de la Libération de la France et de la Victoire » (photo Marc Ollivier).

Cette Mission Libération s’est vu confier, entre autres, l’organisation de la cérémonie internationale commémorative du 80e anniversaire du débarquement de Normandie le 6 juin 1944.

Cette cérémonie internationale sera organisée à Omaha Beach, à Saint-Laurent-sur-Mer dans le secteur américain ; elle rassemblera environ 5 000 personnes.

A noter que l’espace de la cérémonie ne pourra pas accueillir le grand public au regard de l’espace contraint. Il est à ce stade envisagé une installation d’un ou plusieurs espaces délocalisés de retransmissions à destination du grand public.

« La mise en œuvre, la coordination technique et logistique » vont être confiée à un prestataire extérieur.

Il devra :
– Assister la Mission Libération dans l’élaboration d’une mise en scène destinée à tous les publics, en particulier les téléspectateurs. L’impulsion donnée doit produire un sentiment mémoriel, aisément transmissible aux jeunes générations et susciter une émotion individuelle. Le titulaire apportera une vision artistique en lien étroit avec la Mission Libération.
– Proposer les animations qui seront le prélude à la cérémonie internationale, pendant le temps d’arrivée et d’installation des divers publics.
– Rédiger un scénario minuté de la cérémonie (par séquences).
– Affiner la scénographie en adéquation avec la mise en scène et les contraintes du site. La scénographie doit tenir compte des tribunes ainsi que des autres moyens mis en place et inversement.
– Installer les tribunes et les CTS pour le village « officiel ».
– Mettre à disposition des sanitaires mobiles pour les différents publics.
– Mettre à disposition des moyens d’accès le cas échéant pour faciliter l’accès aux personnes en situation de handicap (PSH) et fauteuils roulants.
– Disposer les installations techniques (sonorisation / éclairages / vidéo / énergie et distribution électrique) en adéquation avec la mise en scène et la scénographie.
– Disposer les installations scéniques (scènes, praticables, etc) en adéquation avec la mise en scène.

A titre purement indicatif, l’estimation pour les prestations forfaitisées serait de l’ordre de 2,5 millions € HT.

Le char jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale

Le char jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale


LE CHAR JUSQU’EN 1918

L’idée du char de combat hante les hommes depuis des milliers d’années. Pour ne pas remonter au-delà du Moyen Age, des esprits aussi originaux et divers que Michel-Ange, Voltaire, Ader, s’y sont passionnés. « Je ferai, proposait Michel-Ange à Ludovic le Maure, duc de Milan, des chariots couverts et sûrs et inattaquables, lesquels, s’ils pénétraient dans les rangs des ennemis avec leur artillerie, rompraient même la troupe la plus nombreuse de gens d’armes ; derrière eux, l’infanterie pourra s’avancer sans péril et sans aucun empêchement ».

Voltaire présenta obstinément l’idée du char de combat pendant quatorze ans. Dans sa correspondance, on ne trouve pas moins de six lettres sur la question, dont les destinataires vont du maréchal de Richelieu jusqu’à Catherine II. En vain invoquait-il un livre « qui n’a jamais menti » et où il trouvait que les Hébreux parvinrent à faire des milliers de chariots de guerre « dans un pays où il n’y avait auparavant que des ânes ». Il réussit à convaincre un ministre de la guerre, d’Argenson, qui en fit exécuter un modèle, mais non point ses généraux qui lui objectèrent ― déjà ― que le canon seul gagnait les batailles, et qui, dit-il, « ne voulurent point jouer à un jeu renouvelé des Perses ».

Richard Lovell Edgewoth (1744-1817).

L’année même où Voltaire faisait sa dernière tentative auprès de Catherine II, en 1770, un mécanicien anglais, R.-L. Edgeworth, prenait le premier brevet où la chenille est décrite de la façon la plus claire. C’est la même que devaient employer, en 1907 et 1909, le tracteur Hornsby et le tracteur Holt, copiés sur ce point essentiel par les premiers chars français et britanniques.

On ne compte plus, depuis Edgeworth, les inventeurs qui reprirent son idée et la proposèrent sans succès aux services techniques des pays les plus divers. Pour la France seule, on doit noter le rejet successif, par le Comité de l’Artillerie, d’un « fort cuirassé roulant » de M. Moeller, d’un rail « sans fin » de Clément Ader, d’un « convoi blindé sur voie ferrée mobile se déroulant devant lui à mesure qu’il avance » de M. de Bouyn, et enfin, en 1903, d’un projet de canon de 75 sur affût chenillé automoteur, œuvre du premier militaire qui apparaît dans cette affaire autrement que pour exposer aux inventeurs les raisons qui s’opposent au fonctionnement de leurs engins, le capitaine d’artillerie Levasseur.

L’affût proposé était muni de deux chenilles formées de « voussoirs » articulés. Le franchissement des tranchées avait été prévu ; le projet était étudié pour des tranchées de 1,50 m de large. L’inventeur étant cette fois un officier de l’arme, le Président du Comité technique de l’Artillerie exposa longuement toutes les raisons techniques et tactiques qui s’opposaient au remplacement du cheval par le moteur. Il ajouta cet argument qui devait toucher particulièrement, des officiers d’un corps qui avait la charge des moyens de transport de l’armée : « Les semelles des voussoirs useraient les routes. De tels dispositifs sont interdits par la loi de 1852 sur le roulage ».

Général Estienne.

La guerre vint, et l’artillerie britannique, sans se soucier de la loi, qui est en réalité le décret du 10 août 1852, introduisit en France des tracteurs américains à chenilles, qui donnaient toute satisfaction depuis sept ans, pour remorquer ses pièces lourdes à travers champs. La vue de ces engins confirma le général Estienne, alors colonel d’artillerie, dans l’idée que la réalisation de son projet de chars d’assaut était chose aisée. Le projet du général Estienne portait alors sur une voiture blindée de 7 tonnes avec un équipage de quatre hommes servant deux mitrailleuses et un canon de 37 et pouvant loger en outre une vingtaine de fantassins avec armes et bagages. Il s’exécuta finalement sous la forme de deux chars, le Schneider Mle 1916, de 13,5 tonnes, armé d’un 75 raccourci et de 2 mitrailleuses, blindé à 17 mm, servi par six hommes ; le Saint-Chamond Mle 1917, de 23 tonnes, armé d’un 75 et de 4 mitrailleuses, blindé à 17 mm, servi par neuf hommes ; on avait renoncé au transport de l’infanterie.

Chars Saint Chamond. « Ferme Mennejean, départ des chars le 23 octobre. » Photographe : Jacques RIDEL. Crédit : Ministère de la culture, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diffusion RMN. Source : Mission Centenaire 14-18.
A gauche, le chef d’escadron Bossut devant l’un des chars d’assaut Schneider de son groupe (1916 ou 1917). Crédit : ECPAD.

Simultanément, la Grande-Bretagne conduisait une étude de chars un peu plus lourds, un peu moins rapides ― ils ne faisaient que 6 km/h au lieu de 10 km/h ― plus légèrement blindés. Winston Churchill, qui dirigeait alors la marine britannique, y prit une part essentielle. L’étude aboutit aux trois chars Mark I, II et III de 1916, utilisés dans les premiers engagements, et au Mark IV, qui fut, pendant l’année 1917, l’armement presque exclusif des unités britanniques. Les caractéristiques de ces chars étaient très voisines ; le Mark IV pesait 30 tonnes, était armé de 2 canons de 57 et 4 mitrailleuses (ou 6 mitrailleuses sur les chars « femelles »), blindé à 12 mm, et servi par huit hommes.

Mark IV.

Dans ces premières réalisations, le char est essentiellement un engin de « rupture », moyen de franchissement d’une organisation fortifiée. Blindés à l’épreuve de la balle d’infanterie, les appareils sont aptes à traverser les tranchées et à ouvrir des brèches dans les réseaux.

Le char n’est encore qu’un expédient pour venir à bout de la fortification de campagne.

L’expérience des premiers combats révéla d’ailleurs que ni les chars français, ni les chars britanniques, n’avaient la puissance de rupture suffisante. On en accrut la longueur, qui fixait la capacité de franchissement, le blindage, qui devait résister aux premières armes anti-chars spécialisées, et un peu la vitesse. Telle fut l’origine des premiers chars lourds de rupture, le char français 2 C qui ne sortit qu’après la guerre, en 1921, et le char britannique Mark VIII qui apparut en 1919, succédant à plusieurs types intermédiaires de 1918. Le premier atteignait les 70 tonnes ; le deuxième, 42 tonnes. La longueur dépassait légèrement 10 m sur l’un et sur l’autre. L’épaisseur du blindage était de 30 mm sur le 2 C, et 16 mm seulement sur le Mark VIII (les premiers Mark I et II n’avaient que 10 mm). La vitesse passait à 12 km/h sur le 2 C, à 9,5 km/h sur le Mark VIII (les Mark I à IV ne faisaient que 6 km/h). L’armement restait à peu près inchangé.

Char 2C.

Simultanément, les armées française et britannique éprouvèrent le besoin de compléter ces chars lourds de rupture par d’autres dont le rôle très différent marque jusqu’en 1939 les doctrines officielles des deux armées ; ce furent, en France, le char d’accompagnement, en Grande-Bretagne, le char d’exploitation.

Le char Renault FT de 1917 répondait au désir d’un char aussi petit et maniable que possible, cantonné dans la mission d’accompagnement de l’infanterie, c’est-à-dire dans la lutte contre les armes automatiques rapprochées immédiatement en avant des premiers fantassins. C’était un engin de 6,5 tonnes, armé d’une mitrailleuse ou d’un canon de 37, blindé à 16 mm, faisant 8 km/h et servi par deux hommes.

La conception britannique était assez différente. Avec les chars Medium, types A, B et C de 1917 à 1919, l’accent était placé sur les facteurs vitesse et rayon d’action. La mission était l’exploitation, après ouverture de la brèche par les chars lourds, en liaison avec la cavalerie. Le Medium C, de 1919, était un char de 22 tonnes, armé de 3 mitrailleuses, blindé à 15 mm, faisant 12,7 km/h avec un équipage de quatre hommes. Son rayon d’action de 120 km, très élevé pour l’époque, contrastait avec celui, beaucoup plus faible, de 60 km d’un Renault FT.

Renault FT en Argonne (1917).

Les autres pays, dont les réalisations ne commencèrent d’ailleurs à apparaître qu’en 1918, n’introduisirent pas de conceptions nouvelles.

À l’exception de l’armée britannique, toutes les armées s’accordaient donc, en 1918, sur une conception très voisine de la conception française : un char lourd de rupture, un char léger d’accompagnement. L’armée britannique conservait l’idée du char lourd de rupture, et la réalisait d’ailleurs avec ses Mark IV à VIII à beaucoup plus grande échelle que l’armée française. Mais elle introduisait, pour l’exploitation de la percée, un type de char moyen à grand rayon d’action qui n’avait pas d’équivalent dans les autres armées.

1938-1939, du char d’assaut au char de combat 

Vingt années de progrès techniques et de méditations sur l’emploi des chars séparent les deux guerres mondiales. Les progrès techniques furent assez rapides, et en général fort bien accueillis. Les doctrines nouvelles furent présentées plus vite encore, mais n’eurent pas le même succès.

C’est en 1922 que se place le perfectionnement de la chenille par Vickers, qui, avec son entraînement par double barbotin, parvint à réaliser des vitesses de 26 km/h avec la même puissance par tonne, moins de 8 CV, qui ne donnait pas 10 km/h sur les Mark VIII, trois ans plus tôt. Presque aussitôt après, apparaissait la chenille à petit pas Carden-Loyd, et les multiples chars légers qui en firent l’application dès 1926, en atteignant des vitesses de 45 à 50 km/h avec 12 à 13 CV par tonne. La soudure électrique des blindages, appliquée dès 1929 sur les « cuirassés de poche » allemands, fut étendue à la même époque à la construction des chars sur les Landswerk suédois. Quant au frein de bouche qui permet le montage à bord d’un char de pièces qu’on aurait hésité à attribuer à l’artillerie de campagne, à cause de leur puissance, Treuille de Beaulieu l’avait réalisé voici trois quarts de siècle. Dès 1930, on disposait donc des moyens de mettre en œuvre les conceptions les plus modernes en matière de chars de combat.

Encore fallait-il sentir le besoin de ce nouveau matériel, et en admettre les possibilités quasi-illimitées. Mais beaucoup n’y voyaient que le plus dangereux des concurrents dont l’admission non contrôlée eût risqué de bouleverser la répartition des tâches entre les armes en place.

« Mon fils, disait Cambyse à Cyrus en l’instruisant sur les devoirs du général, ne vous contentez pas des ruses que vous avez apprises ; inventez-en de nouvelles à l’exemple des musiciens qui ne se bornent pas à chanter les airs que leur ont enseignés leurs maîtres, mais qui en composent tous les jours de nouveaux ». Cyrus suivit les conseils de son père, et, si l’on en croit Xénophon, il fut l’auteur du plus grand progrès dans la tactique des chars. Au lieu de les employer seulement à escarmoucher, comme on le faisait avant lui, il les utilisa à rompre la ligne ennemie. Le problème qui se posait en 1919 était exactement l’inverse : il fallait ajouter à la mission de rupture toutes celles auxquelles se prêtait le char, passer du char « d’assaut » au char « de combat ».

Était-ce possible ? La question fut résolue affirmativement par le colonel Fuller, au concours de 1919 du Journal of the Royal United Service Institution. La thèse était présentée sous une forme absolue, et devançait les plus audacieuses réalisations de cette guerre.

« La machine est la seule combinaison harmonieuse de l’armement, de la protection et de la vitesse. L’infanterie est un anachronisme ; le char, armé de mitrailleuses, détruit les mitrailleuses ; le char peut remplacer l’infanterie. Les chars rapides remplaceront avantageusement la cavalerie. L’artillerie doit abandonner la traction animale pour la traction mécanique à travers champs ; les canons deviendront ainsi des chars puissamment armés. »

Sous la pression de l’opinion publique alertée par les discussions autour de la thèse de Fuller, et simultanément très intéressée par les remarquables progrès qu’étaient les chars Vickers rapides, et le char monoplace, devenu depuis biplace, inventé en 1925 par Martel et Carden, l’armée britannique dut se résigner à faire des essais en grand. C’est en ce sens que sont parfaitement exactes les affirmations de Liddell Hart : « L’armée britannique, après 1918, a été la première à se servir de chars rapides, la première à se servir de chars indépendamment de l’infanterie ; elle a formé la première unité complètement motorisée et a publié le premier manuel de guerre mécanisée. »

Au lendemain de 1918, l’opinion militaire française était plus mal préparée encore à accepter les transformations profondes qu’exigeait l’avènement de la guerre mécanique. Voici en quelques termes l’Instruction provisoire sur l’emploi des chars de combat du 23 mai 1920 mettait en garde contre les idées nouvelles : « Les chars ne peuvent conquérir ni occuper à eux seuls le terrain. Ils ne sont qu’une aide puissante mise à la disposition de l’infanterie. L’affectation des chars à l’infanterie ne modifie en rien les procédés de combat de cette arme (Art. 2). »

Ni les opérations du Levant, ni celles beaucoup plus importantes qui furent nécessaires pour achever la pacification du Maroc, notamment en 1925 et 1926 contre Abd-el-Krim, n’utilisèrent le char comme on aurait pu et dû le faire. « Le char léger de combat actuellement en usage dans la métropole convient peu au service dans les colonies et sur les théâtres d’opérations extérieurs », affirmait le Manuel à l’usage des troupes employées outre-mer (Titre 1, p. 47). Lors du déclenchement des premières opérations d’Abd-el-Krim, un seul bataillon de chars se trouvait en Afrique du Nord : il tenait garnison à Bizerte. Au gros de l’expédition, 150 000 hommes furent engagés ; un seul régiment de chars à 6 compagnies, chacune de 9 chars Renault FT, les accompagnait. On ne peut accuser cette fois, comme en 1940, le manque de matériel : l’armée française disposait de plus de 2 700 chars FT.

Fuller.

La thèse soutenue par le colonel Fuller n’eut absolument aucun succès en France. Voici le jugement que portait sur elle en 1927, dans la Revue d’Infanterie, un officier général qui devait ensuite, avec un livre intitulé « Sommes-nous prêts ? », jeter l’un de ces nombreux cris d’alarme qui ne remplacent point

une doctrine militaire saine : « Une conception pèche par la base qui érige le matériel, la machine, au premier rang, et relègue les forces morales au magasin des accessoires. Toute l’histoire se dresse devant une telle affirmation ; sourd est quiconque reste insensible à la véhémence de sa protestation. Si l’on inculque à l’homme la notion que la machine est autant faite pour le mettre à l’abri des coups que pour lui procurer le moyen d’en porter à son adversaire, il en ‘arrivera vite, par une pente fatale, à considérer la machine avant tout du point de vue de sa protection personnelle : condition peu favorable à la victoire ».

On sait aujourd’hui qu’il vaut mieux offrir au combattant cette « protection personnelle » qu’est un blindage de chars, si l’on veut simplement éviter la catastrophe. Mais on comprend qu’en 1934, lorsque le colonel de Gaulle présenta sa thèse, le climat n’était pas favorable à son adoption.

Char moyen SOMUA S35 de 28 tonnes, l’un des meilleurs matériels de 1939. Crédit : DR.

La généralité des applications du char y était affirmée avec la même vigueur qu’y avait mise Fuller : « Secourable amie de toujours, la machine à présent régit notre destin. Tenus à l’abri des gaz dans leur blockhaus hermétique, en mesure de se cacher sous des nuages artificiels, liés par ondes avec l’arrière, les voisins, les avions, voilà ces aristocrates du combat affranchis des servitudes qui écrasent les gens à pied. Non qu’ils échappent au péril, mais oui, certes, à l’infirmité des soldats à découvert sous les obus et les balles. Le char devient l’élément capital de la manœuvre ».

Ce qui fait l’intérêt de la doctrine du général de Gaulle, c’est d’abord d’avoir complété ces affirmations par une composition de divisions blindées que nous n’avons pas à examiner dans ce chapitre et qui a été presque exactement celle des Panzerdivisionen, et ensuite d’avoir exposé les principes de leur emploi. La nécessité du char moyen et lourd qui fut le principal facteur du succès allemand contre les formations blindées françaises et britanniques, principalement années de chars légers aux canons de puissance insignifiante, y était affirmée ; il était prévu, par’ division, un seul bataillon de chars légers, pour un régiment de chars moyens et un régiment de chars lourds. La manœuvre, « consistant essentiellement à contourner ce qui tire pour l’attaquer dans son dos », était celle que les Panzerdivisionen appliquèrent pendant la campagne de France chaque fois qu’ils rencontrèrent une résistance frontale d’éléments blindés ou non. Le combat à distance des divisions blindées aux prises « sous forme de groupes de chars luttant sur une grande profondeur », était la tactique qui surprenait encore, en 1941 et 1942, les chars britanniques en Libye. Il n’est pas jusqu’à l’emploi à la destruction des fortins bétonnés qui n’ait été annoncé dès 1934, par le moyen « d’une brigade de chars très lourds, capables de s’attaquer aux fortifications permanentes », en réserve générale ; ce n’est pas autrement que les Klim-Vorochilov et les Mark VI enlevaient, par tir d’embrasure, les lignes de fortins sur le front Est.

À l’époque où le général Fuller exposait sa doctrine, elle pouvait passer pour une anticipation ; il manquait certainement aux moyens de propulsion du char quelques-uns des perfectionnements qu’on leur apporta dans les années qui suivirent. Mais à l’époque où le général de Gaulle présentait la sienne, ses affirmations avaient la chance de s’appuyer sur une technique qui avait fait ses preuves. Ce n’était point un « jeu de l’esprit », ou une « mauvaise action », comme le déclaraient certains grands chefs militaires de la France, « pays de la mesure ». L’arme que supposait cette doctrine « existait virtuellement » affirmait encore le général de Gaulle dans son mémorandum de 1940. « La technique et l’industrie se trouvent, dès à présent, en mesure de construire des chars qui, employés par masse, comme il se doit, seraient capables de surmonter nos défenses actives et passives. Ce n’est pour ces engins qu’affaire de blindage, d’armement, de capacité de franchissement ». Mais il faut, pour l’admettre, être persuadé « qu’il n’y a plus, dans la guerre moderne, d’entreprise active que par le moyen et à la mesure de la force mécanique.

LES FACTEURS DE PUISSANCE DU CHAR 

L’étude de l’armement a été faite dans le chapitre III, en traitant de l’artillerie ; il reste à examiner la protection et la vitesse.

La protection

Dans sa mission de rupture d’une organisation fortifiée, le char de 1916 avait simplement à franchir les réseaux qui arrêtaient le fantassin, et à se protéger des balles de mitrailleuse qui le tuaient. L’année britannique estima à 10 mm le blindage convenable, valeur trouvée un peu faible à l’expérience et portée à 12 mm sur les Mark IV dès 1917 ; l’épaisseur fut d’ailleurs relevée à 15 et 16 mm sur les chars Mark V à VIII de 1919 ; à I4 et 15 mm sur les chars Medium. L’armée française voulut une sécurité plus grande, avec une épaisseur de 17 mm sur les chars Schneider et Saint-Chamond, ramenée à 16 mm sur les Renault FT. Les armées étrangères adoptèrent des épaisseurs du même ordre pour leurs chars légers, 12,7 mm sur les chars américains, 16 mm sur les chars italiens, 11,4 mm sur les chars allemands.

Mais cette protection contre la seule mitrailleuse était insuffisante contre les autres armes qui prirent rapidement le char comme objectif. On ne pouvait songer à l’époque à le mettre à l’abri de l’artillerie légère de campagne, qui était cependant son plus redoutable adversaire. Mais on pouvait le protéger efficacement contre les armes anti-chars spéciales qui apparurent d’abord sous la forme d’un fusil allemand de 13 mm, puis sous celle d’un canon automatique de 20 mm, à la fois anti-chars et anti-aérien, qui aurait dû entrer en service fin 1918 dans l’armée allemande et qui est l’ancêtre du canon d’infanterie Œrlikon, de même calibre et de même mission.

C’est dans cette intention que l’armée allemande porta à 30 mm le blindage de ses premiers chars de rupture, les A7V 1917, puis à 45 mm celui des chars A7VU 1918. Cette augmentation fut ratifiée en France avec les 30 mm de blindage du 2 C 1921, en Amérique avec les 25,4 mm des chars T1, T1E1, et T1E2 de 1921 à 1925. La Grande-Bretagne, avec ses Vickers des modèles 1922 à 1927, s’en tint aux blindages minces de 15 mm ; elle n’atteignit les 25,4 mm que sur les chars moyens Vickers-Armstrong de 1929. Le développement de cette tendance à se protéger contre des armes anti-chars spécialisées de plus en plus puissantes devait conduire aux protections de 40 à 60 mm des chars de 1939.

Char allemand A7V. Crédit : DR.

Mais, dès 1926, une évolution exactement opposée se dessinait avec l’apparition des premiers Carden-Loyd dont le poids, de moins de 1 500 kg, ne pouvait évidemment s’accommoder que d’une protection extra-légère. On s’aperçut alors qu’il n’était pas indispensable qu’un blindage résistât au tir normal à faible distance d’une mitrailleuse pour être utile. Les Carden-Loyd, avec leurs 9 mm de blindage trouvèrent de nombreux imitateurs. Tels furent, en 2 à 4 tonnes, les Tankettes T 27 soviétiques de 1931, avec 10 mm ; les chars polonais TK-3-1932, avec 8 mm ; les chars italiens Fiat-Carden-Loyd, avec 9 mm ; les chars suisses Vickers-Carden-Loyd, avec 9 mm et enfin toute la série des chars amphibies, où l’allègement de la protection est la condition même de l’existence du type. Mais cette formule de blindage minimum se développait simultanément sous forme d’un char léger de poids moins strictement mesuré et qui rejoignait, à la vitesse près, la formule du Renault FT. Tels étaient le Fiat-Ansaldo 1933, le char russe T-26 de 1933, les chars Vickers-Armstrong type A-1930 et B-1931, en service en Pologne, en Turquie, en Bolivie, au Siam, dont les plus lourds atteignaient les 8 tonnes, et qui portaient tous un blindage de 13 mm. C’est la formule qui devait aboutir au char léger de 1939.

À les juger en gros, les enseignements de la guerre sont aussi simples en matière de protection qu’en matière d’armement. Les 100 mm de blindage avant d’un char allemand Mark VI, les 105 mm d’un char soviétique KV-1, avec protection de flancs et de toit en rapport et les protections plus épaisses encore des chars Staline, sont un facteur du succès de ces chars au moins aussi important que leur armement. De telles protections sont pratiquement à l’épreuve non seulement de la plupart des canons anti-chars spécialisés, mais encore de nombreux matériels d’artillerie légère de campagne. Elles transforment entièrement les conditions de la lutte entre éléments mécanisés et non mécanisés.

KV-1 soviétique.

Mais il faut bien observer que nous ne disposons pas ici, pour étayer nos conclusions condamnant la protection légère, de cette contre-épreuve qu’était, pour l’armement, le succès de l’artillerie légère de campagne ou du tank-destroyer. On peut concevoir un tank-destroyer de 8 tonnes, blindé contre la balle et les éclats, porteur d’un canon long de 75, plus rapide que la moyenne des chars, et qui l’emporte sur le char moyen d’une vingtaine de tonnes armé d’un 47 mm ; on ne peut pas concevoir un char léger à protection épaisse, si sacrifiés qu’en soient l’armement et la vitesse. Le succès du char blindé à 100 mm c’est donc simplement la supériorité du char lourd sur le char léger, quand le succès du Mark IV allemand de 1940 contre les chars moyens français, c’était, pour le même poids d’une vingtaine de tonnes, la démonstration de la supériorité du char le mieux armé sur le char le mieux protégé. Cet aspect de la question enlève à la conclusion de la supériorité des protections épaisses sa valeur de principe de base pour l’établissement d’un programme. Le char se paye au poids. Même dans les pays les moins soucieux de la dépense, le chiffre de production est à peu près en raison inverse du tonnage unitaire. D’après les informations soviétiques, il y avait 1 600 Mark VI dans le matériel des 15 divisions blindées que la Wehrmacht a lancées contre Koursk. Le même effort industriel appliqué au Mark IV, lui aurait permis de lancer environ 3 200 chars de plus, soit à peu près 10 divisions blindées supplémentaires. Avant de conclure à la marche inexorable vers le char de plus en plus lourd, il faut tenir compte de ce facteur.

La valeur des protections légères, qui n’est autre que, retourné, le principe de la nécessité des armes puissantes, apparaît régulièrement au cours de l’histoire militaire et explique bien des surprises. De nos jours, sa méconnaissance tient avant tout à l’étude soi-disant expérimentale des périodes de paix, où l’on croit pouvoir se prononcer sur la valeur d’une protection par un simple essai de perforation. C’est un fait vérifié bien des fois que l’appréciation de la résistance par l’essai élémentaire est toujours trop pessimiste, et qu’elle conduit à faire refuser ou abandonner des protections d’intérêt certain.

La cuirasse individuelle est condamnée aujourd’hui, et il est fort probable que si l’on soumettait celles dont on peut charger un homme à l’expérience du champ de tir devant une mitrailleuse, le résultat ne serait guère encourageant. Mais il ne l’était pas davantage depuis un siècle et même deux. Or, une expérience répétée a montré que pendant cette même période la cuirasse protégeait fort bien le cavalier qui la portait. Dans son ouvrage sur La cavalerie française en 1870, le colonel Bonie présente en ces termes la charge de Reichshoffen : « Semblable au bruit de la grêle qui frappe « les vitres, on entendait le son des balles sur les armures, mais aucune ne fut traversée et l’on voyait les cuirassiers démontés chercher un refuge dans les bois. La cuirasse, disait-on, n’était bonne depuis les inventions modernes qu’à orner le musée d’un antiquaire ; le contraire s’est produit ». La faveur générale du casque depuis 1915 n’est-elle pas un fait de même nature, à une époque où jamais les armes offensives n’ont été si puissantes ?

Lorsque Dupuy de Lôme proposa pour la première fois d’arrêter les projectiles de marine avec une dizaine de centimètres de fer, on n’eut pas de peine à lui démontrer son erreur par un essai de tir, et à retarder ainsi de plus de dix ans l’avènement du cuirassé. Après 1918, l’insuffisance de protection des croiseurs issus des accords de limitation des armements navals était unanimement admise, Pouvait-on supposer qu’au Rio de la Plata les coques de trois croiseurs britanniques de ce type résisteraient fort bien non seulement aux calibres de 152 et 203 mm qu’ils portaient, mais encore au 280 mm d’un cuirassé de poche allemand ?

L’histoire bien courte de la protection des avions conduit à la même conclusion. Un des chefs de l’aviation française essaya vainement, quelques années avant la guerre, de faire adopter une protection du pilote dont il avait personnellement vérifié l’efficacité en 1918. On n’eut pas de peine à lui démontrer qu’elle n’était pas à l’épreuve du plus petit des calibres d’avion ou de DCA. Si, passant outre à cette conclusion pessimiste, on montait une tôle de 8 mm sur le dossier d’un siège de chasseur, on avait la surprise de le voir revenir avec quelques centaines de traces de balles dans son appareil.

La règle qui permet de condamner l’emploi des armes à faible puissance eu égard au tonnage du char n’autorise aucune conclusion semblable quant à la protection. Le char de 20 tonnes armé d’un 47 est injustifiable, parce qu’avec 500 kg de plus on aurait un char de même vitesse armé d’un 75. Mais, si l’on veut doubler les épaisseurs de protection, il faudra sensiblement doubler le poids. La règle impose au moins une protection faible, un casque pour l’homme, une tôle légère sur un siège de pilote ; elle ne peut rien enseigner dès que la protection absorbe une part importante du poids total.

Comment conclure ? Simplement qu’il y a place pour des chars à protection très différente, dont les poids varieront à peu près comme les épaisseurs de blindage, dont les moins armés auront de toute façon une arme puissante, mais dont les plus armés pourront porter des canons qu’on n’a pas encore songé à monter sur char. Dans la répartition généralement admise avant 1939, chars légers, chars moyens, chars lourds, et qui se poursuit encore avec le relèvement du poids maximum consenti pour cette dernière catégorie, il y avait une double erreur. D’abord on avait certainement fixé trop bas, beaucoup trop bas, la puissance de l’arme qu’on devait monter à bord d’un char pour combattre le char similaire. Mais surtout on se trompait complètement en croyant qu’il y avait pour chaque poids un compromis qui était celui du char optimum, où un dosage convenable d’armement, de protection et de vitesse vous garantissait en moyenne le meilleur rendement.

À l’époque où les caractéristiques des navires de guerre n’étaient pas encore réglementées par des accords internationaux, et où chaque marine pouvait choisir à son gré celles qu’elle estimait lui donner le bâtiment le plus convenable, ces deux mêmes erreurs ont été commises. On fixait trop bas la puissance de l’artillerie par rapport à l’épaisseur des blindages, et on complétait cette erreur de fait par une erreur de principe en s’imaginant que quelque règle pouvait donner d’une manière un peu précise les valeurs respectives de l’armement et de la protection. C’était alors le principe dit « de la protection correspondante » qui régenta longtemps les constructions de navires de guerre et qui voulait qu’un navire fût protégé contre son propre calibre, en sous-entendant que ce serait également celui du navire similaire qu’il aurait à combattre. Cette doctrine a justifié quelques-unes des pires horreurs qui aient enrichi la construction navale, entre autres les croiseurs cuirassés de 15 000 tonnes porteurs d’un calibre d’environ 200 mm ; il suffisait de monter sur des navires de même protection des canons de puissance double pour les déclasser aussitôt, ce que fit le croiseur de bataille.

C’est, plus ou moins consciemment, quelque principe de « protection correspondante » qu’on a suivi dans le choix des blindages de chars, même les plus modernes. Aussi peut-on prédire un succès certain à qui aura le courage de s’en écarter, et qui opposera, par exemple aux Tigre ou aux Staline des chars « moyens » de 20 tonnes, en nombre trois fois supérieur, armés d’une pièce de 105 de 50 calibres, ou des chars de 5 tonnes porteurs d’un 75.

La vitesse

Aux débuts du char, la vitesse a vraiment été la performance sacrifiée. Ces premiers chars français, pour leurs 13 à 23 tonnes, portaient des moteurs de 70 à 90 CV ; les premiers chars britanniques, pour leurs 30 tonnes, des moteurs de 105 CV. C’étaient là des puissances qu’on réclame aujourd’hui pour des autos de 1 200 kg. On ne pouvait donc en attendre qu’une vitesse insignifiante. Les chars français ne dépassaient pas 10 km/h : les chars britanniques 6 km/h.

On hésite à attribuer à l’Allemagne le mérite de la création du premier char rapide. Son A7V, de 1917, avait bien reçu, pour ses 35 tonnes, un moteur relativement puissant de 300 CV qui lui imprimait une vitesse de 16 km/h. Mais l’armée allemande n’en comprit pas l’intérêt et réduisit cette vitesse sur les modèles suivants ; l’A7VU de 1918, ne faisait plus que 12 km/h, le K-1918, 8 km/h. On pourrait croire que l’affectation au char de nouvelles missions, accompagnement ou exploitation, comportant des matériels beaucoup plus légers, aurait modifié cette situation. Cependant, ni les chars d’accompagnement tels que le Renault FT 1917 avec ses 35 CV et ses 8 km/h, le Ford 1918 avec ses 12,5 km/h, les allemands Leichte Kampfwagen LK I et LK II avec leurs 13,7 km/h, ni les chars d’exploitation Medium A à C, avec leurs 13 km/h, n’indiquaient une tendance vers le char rapide.

En réalité, aucune armée ne saisissait alors l’intérêt de la vitesse, et, l’eût-on compris, la mécanique des chars de 1914-1918 se prêtait mal à sa réalisation. Si, quelques années plus tard, on obtenait avec la même puissance par tonne des vitesses trois fois plus élevées qu’en 1918, c’est que la puissance des premiers chars était employée principalement à vaincre les frottements internes. Élever la vitesse eût surtout servi à accélérer la destruction de la mécanique par le moteur.

Le premier progrès technique devait venir de Vickers avec son entraînement de chenille par double barbotin et son guidage amélioré. On obtenait ainsi, sur les Vickers I, I A, II et II A de 1922 à 1927 une vitesse de 25 km/h avec la même puissance par tonne qui donnait 8 à 10 km/h sur les premiers chars, et 12 à 13 km/h sur les chars légers de 1918.

Le deuxième progrès technique vint en 1926 avec l’emploi de la chenille Carden-Loyd à petit pas, de rendement propulsif encore supérieur. Simultanément, l’allégement extrême des premiers chars auxquels on l’appliqua obligeait à relever la puissance par tonne, donc la vitesse, si on ne voulait pas établir un moteur d’auto de puissance réduite spécialement pour char. C’est ainsi qu’en montant un moteur Ford Modèle T, utilisé à 22 CV seulement, sur leurs premiers engins de moins de 2 tonnes, les constructeurs en tiraient une vitesse de 45 km/h. Cette vitesse, et même celles de 50 à 60 km/h, furent dès lors admises sur les chars dérivés du Carden-Loyd, avec une puissance qui ne dépassait pas 15 CV par tonne.

Ce sont ces vitesses qui ont été acceptées jusqu’en 1939 par toutes les années, à quelques très rares exceptions dont l’année française était la principale.

L’uniformité approchée de vitesse des chars qui se sont rencontrés au cours de la guerre ne pouvait prêter à beaucoup de démonstrations de la supériorité du char rapide sur le char lent. Cependant, l’intérêt d’une vitesse du même ordre que l’adversaire est certain ; le char lent est nettement handicapé ; le tank-destroyer rapide utilise fort bien sa vitesse pour sa sécurité et sa manœuvre.

Les raisons alléguées pour démontrer l’inutilité de la vitesse, que l’on continuait à présenter en France à la veille de la guerre, n’ont pas été confirmées à l’expérience. La vitesse de combat, affirmait-on, ne peut atteindre 10 km/h, car, à cette vitesse, on ne peut ni fouiller le terrain, ni effectuer un tir ajusté. La vitesse en terrain varié, sans souci de combattre, dépassait rarement 15 km/h en terrain moyennement accidenté, soutenait-on également. Dès lors, pourquoi traîner des moteurs capables de donner au char une vitesse de 50 à 60 km/ho dont il n’aurait pas à se servir au combat ?

Même si ce raisonnement avait été exact en niant l’utilité de sa vitesse, il ne justifiait pas sa conclusion pratique qu’où en tirait, l’inutilité de la puissance. Abaisser la puissance au niveau simplement suffisant pour donner largement les 10 à 15 km/h qu’on estimait seuls nécessaires, c’était sacrifier en même temps deux autres performances qui ont leur intérêt, l’accélération et la vitesse en côte. Beaucoup de conducteurs d’autos n’ont jamais poussé leur voiture à la vitesse maximum qu’elle peut donner sur route droite, non encombrée et horizontale. Mais ils n’en apprécient pas moins la puissance d’un moteur qui leur permet des reprises convenables au sortir d’un encombrement et d’un virage, ou de monter allègrement les côtes. L’équipage du char qui sort d’une haie pour pénétrer en terrain découvert voudrait bien atteindre rapidement la vitesse maximum qu’autorise l’état du terrain ; celui qui doit emprunter une pente à 45 degrés voudrait bien ne pas se traîner à la vitesse que lui permet un moteur calculé en vue du seul déplacement en terrain horizontal.

Dira-t-on que de tels terrains sont rares ? L’adversaire aura le soin de les choisir, soit pour y placer ses armes anti-chars, soit pour y engager ses chars. C’est par le même raisonnement qu’on défendait en 1914 le canon à tir tendu : combien y avait-il, dans les campagnes de France moyennement accidentées, de zones où I’ obusier fût vraiment indispensable pour atteindre l’adversaire défilé ? On oubliait que c’est précisément celles-ci qu’il choisissait pour s’abriter. Ce n’est pas autrement que la légion vint à bout de la phalange qui lui était supérieure en plaine ; elle l’attira en terrain accidenté.

Mais l’inutilité de la vitesse, même en terrain horizontal sans couvert ni obstacle, n’est nullement démontrée. Une telle affirmation supposait que le char n’avait d’autre rôle que le travail en liaison avec l’infanterie, sur un terrain étroitement compartimenté. Limiter sa vitesse à celle qui convenait à cette mission, c’était le désavantager gravement dans son action indépendante lointaine, où la vitesse était un facteur essentiel du succès de sa manœuvre. La guerre aura montré que le « terrain moyen » d’un camp d’instruction n’est pas celui où la moyenne des chars ont eu l’occasion de s’employer. Bien des Panzerdivisionen ont fait la campagne de France, de la Meuse aux Pyrénées, sans avoir à sortir de la route, d’où leur menace suffisait à faire rétrograder l’adversaire répandu dans la campagne. Pour le char comme pour l’homme à pied, le vieil adage militaire reste vrai : « Le chemin le plus court d’un point à un autre est la route nationale », qui permet au char le maximum de vitesse compatible avec le bon ordre de ses colonnes.

Ce qu’il y avait de plus grave dans le sacrifice que l’on faisait de la vitesse, c’est qu’il était parfaitement inutile. À poids donné, la supériorité en armement ou en protection du char lent sur le char rapide était insignifiante. Le même principe qui nous a servi à condamner le char d’armement faible très généralement accepté en 1939, condamne pareillement le char de faible vitesse beaucoup plus rarement admis.

Si l’on fait exception pour quelques tentatives du constructeur américain Christie vers 1930, où la puissance était portée jusqu’à 100 et 150 CV par tonne, la fraction du poids total affectée à la propulsion du char a toujours été insignifiante. Le poids du barbotin d’entrainement, des galets, de la chenille, ne doit pas entrer dans ce compte ; les échantillons de ces organes sont choisis pour des considération de protection et peuvent transmettre ou recevoir des puissances très supérieures à celles qu’on leur applique. Les seuls éléments qui doivent figurer à l’article vitesse du devis des poids sont le moteur et la boîte de vitesses.

Dépasser les 3 kg par cheval pour ces organes n’ajoute aucun supplément d’endurance notable ; les 15 CV par tonne qui impriment au char une vitesse de 55 à 60 km/h représentent dans ces conditions moins de 5 % du poids total. Quel avantage pouvait-on attendre ‘d’une réduction de moitié de la vitesse ou de la puissance ?

L’erreur des défenseurs du type de char lent a été la même que celle des constructeurs des derniers cuirassés lents, le Nelson et le Rodney. Dans leur opposition à la vitesse qu’ils rendaient responsable des pertes de navires britanniques au Jutland, les auteurs du programme l’avaient réduite au point qu’elle n’absorbait qu’une part insignifiante du déplacement. On ne s’était même pas aperçu que la fraction du déplacement qu’on avait négligé d’employer ― le Nelson et le Rodney n’atteignent pas les 35 000 tonnes autorisées à Washington ― aurait permis, sans aucun changement aux dimensions du navire, à son armement et à sa protection, d’atteindre la vitesse de 29 à 30 nœuds qui est celle des plus lents parmi les navires de ligne récents. L’erreur aurait pu coûter cher en juillet 1940 à la marine britannique, si la présence des trois derniers navires de ligne conçus par Fisher, le Hood, le Renown et le Repulse n’avait détourné la marine allemande et la marine italienne qui possédait à elle seule six cuirassés de 28 et 33 nœuds, d’une intervention en force contre les lignes de communications britanniques.

CHARS LÉGERS, MOYENS ET LOURDS 

On peut classer les chars suivant leurs missions. C’est ainsi qu’on le faisait à leurs débuts, sans prêter trop d’attention au tonnage. Le poids des chars de rupture s’échelonnait des 13,5 tonnes du Schneider 1916 aux 70 tonnes des 2 C 1921, en passant par les 23 tonnes des Saint-Chamond, les 30 tonnes des Mark IV, les 42 tonnes des Mark VIII. Les chars d’accompagnement couvraient une zone moins étendue, qui allait cependant des 3,5 tonnes des Ford 1918 aux 10,2 tonnes des LK II allemands de la même année.

Mais le classement par la mission a un grave défaut : les différentes armées réclament en effet pour la même mission des matériels qui ne se ressemblent en rien et affectent le même matériel aux missions les plus variées. Là où les armées américaine et soviétique employaient avant I939 des « chars de cavalerie » dont l’armée française n’avait pas l’équivalent, celle-ci donnait à ses divisions de cavalerie des « chars moyens », qu’accompagnait toute une gamme d’AMD, AMR et AMC, automitrailleuses de découverte, de reconnaissance et de combat, à roues ou chenillées, distinctions dont nous ne croyons pas que l’expérience faite en Belgique ait confirmé l’utilité.

Le classement en chars légers, moyens ou lourds, qu’on préférait en 1939, a au moins pour lui de reposer sur une caractéristique qui ne prête pas à discussion et qui est le poids. De graves difficultés n’en subsistent pas moins. Dans les périodes de paix où les conceptions en matière de chars ont une certaine stabilité, on peut toujours convenir d’une limite d’une douzaine de tonnes pour les chars légers et d’une vingtaine pour les chars moyens. Mais la course au tonnage, rapide en temps de guerre, enlève leur intérêt à ces limites ; la plupart des chars sont devenus lourds dès 1943, et c’est dans cette catégorie que quelques distinctions seraient utiles.

Le classement suivant le poids néglige les différences importantes qui tiennent à l’armement. Lorsque les accords navals établissent des catégories séparées par les limites de déplacement de 600, 3 000, 10 000 et 35 000 tonnes, ils les complètent par des exigences de calibres qui ont pour effet de maintenir le parallélisme entre la croissance du déplacement et celle de l’armement. Ces accords n’appellent pas navire de ligne un bâtiment de plus de 10 000 tonnes et qui porte un canon d’un calibre supérieur à 203 mm ; ils font rentrer dans cette catégorie tout bâtiment de plus de 10 000 tonnes, ou porteur d’un calibre supérieur à 203 mm. On évite ainsi que les marines se laissent aller à rechercher la puissance de l’artillerie en dehors du tonnage global de navires de chaque classe qu’on leur accorde, et l’on obtient pratiquement l’uniformité désirée.

Faute de limitations de cette nature, il y avait en 1939 des chars allemands Mark IV armés de 75 mm, auxquels il était difficile de refuser le nom de chars lourds, et qui étaient cependant plus légers que certains chars moyens armés de 47 mm. Depuis, le Mark III allemand, plus léger encore, a remplacé son 37 mm par un 75 mm ; restait-il char moyen ? On peut même aller plus loin et il n’y aurait aucune difficulté à monter sur des chars légers de moins de 12 tonnes des matériels d’artillerie lourde, des obusiers de 150 à 155 mm par exemple ; malgré leur artillerie lourde, ces matériels resteront-ils chars légers ?

En réalité, le seul des facteurs de puissance du char dont les progrès soient en rapport étroit avec le tonnage est la protection ; vitesse et armement en sont à peu près indépendants. Sur mer, la vitesse est directement liée au déplacement, aussi bien pour les navires ordinaires que pour les glisseurs ; la puissance par tonne est d’autant plus faible, à vitesse donnée que le déplacement est plus élevé ; c’est pour cette raison, par exemple, que le navire de ligne de 35 000 tonnes et, mieux encore, celui de 45 000 tonnes, peuvent atteindre économiquement des vitesses de 32 à 34 nœuds qui absorbent, sur le croiseur de 10 000 tonnes, une fraction importante du poids total. Sur le char, au contraire, la vitesse maximum permise ne dépend qu’indirectement du déplacement, par l’intermédiaire des dimensions. Le grand char peut traverser un mauvais terrain à une vitesse que ne pourrait soutenir le petit char. C’est le genre de supériorité de la grosse voiture vis-à-vis de la petite, sur mauvaise route. Mais le facteur essentiel reste le nombre de kilos que doit traîner chaque cheval du moteur. À même puissance par tonne, donc en consacrant à peu près même fraction de leur poids total à la propulsion, des chars de tonnage très différent ont sensiblement même vitesse.

Le char permet évidemment le montage d’une arme d’autant plus puissante qu’il est plus lourd. Mais, pour que cet avantage du tonnage apparaisse, il faudrait qu’on utilise les possibilités des tonnages actuels. Or on est encore très loin des puissances d’armes qu’on pourrait monter sur les chars si on affectait à leur armement une fraction notable de leur poids total. Le tonnage n’a donc pas encore sur l’armement l’influence qu’il pourrait avoir.

La véritable supériorité que procure le tonnage porte sur la protection. Le char ne pouvait échapper à la loi qui régit depuis près d’un siècle l’évolution du navire de ligne, et qui commence à régir celle de l’avion, depuis trois ans que le blindage est apparu en combat aérien. Pour le char, comme pour le navire et pour l’avion, l’affectation d’une fraction donnée du tonnage à la protection permet l’emploi de blindages d’autant plus épais que le tonnage est plus élevé, car les surfaces à recouvrir croissent moins vite que les volumes et les poids. Dans le cas du char, la comparaison n’a même pas à porter sur des engins semblables, dont la carapace doit recouvrir des moteurs de puissance et d’encombrement proportionnels au tonnage, une réserve de combustible également proportionnelle au tonnage. Car une part importante du volume protégé est celle qu’exige l’équipage, et on a compris sur le char, plus vite que sur l’avion et surtout que sur le navire, qu’il n’était pas nécessaire de faire croître l’équipage en proportion du tonnage. Les chars lourds de 60 tonnes d’aujourd’hui ne réclament même pas le personnel de six hommes d’un Schneider 1916 de 13 tonnes.

La course récente au tonnage du char était donc suffisamment justifiée du point de vue protection. Elle l’était d’autant plus que les protections déjà réalisées jusqu’en 1943 avaient à maintes reprises mis en échec les armes anti-chars spécialisées et même certaines artilleries légères de campagne. On est actuellement, une fois de plus, avec les canons anti-chars spécialisés ou les artilleries légères, à la limite inférieure de la puissance réclamée par les blindages de chars lourds. Un nouveau bond reste tentant, qui déclasserait deux matériels de cette espèce.

Mais deux gros changements sont survenus, l’auto-propulsion, spécialement celle des bombes d’avions, et la charge creuse, qui permettent la perforation des blindages avec des armes de poids très inférieur à celui du canon de même puissance. La course au tonnage n’est plus l’aboutissement naturel de la double course au calibre du projectile et à l’épaisseur des blindages. Le char minuscule peut avoir demain raison du monstre.

Camille ROUGERON (1947)

Kettenkrad allemand récupéré par des soldats américains.

Du FLN au HAMAS : Une même stratégie

Du FLN au HAMAS : Une même stratégie

par Claude Ascensi (*) – Esprit Surcouf – publié le 15 décembre 2023
Général de corps d’armée (2s)

https://espritsurcouf.fr/humeurs_du-fln-au-hamas_claude-ascensi/


Le 7 octobre, la France confrontée aux horreurs perpétrées par le Hamas, a rapidement condamné les actes. Cependant, une étrange évolution s’est produite, déplaçant l’indignation vers Israël au prétexte d’une riposte disproportionnée. Claude Ascenci explique cette stratégie utilisée par le Hamas, qui partage des similitudes avec le FLN.

Le 7 octobre, la France a découvert avec horreur les abominations dont le Hamas était capable. Réserve faite des banlieues islamisées et de la mouvance islamo-gauchiste, la condamnation a été unanime. Pourtant, au fil des jours, l’indignation s’est estompée et les critiques se sont reportées sur Israël au prétexte d’une riposte disproportionnée. Étrange démarche qui renvoie dos à dos victimes et agresseurs. Pour les plus anciens d’entre nous, ce processus est bien connu : c’est celui dont a bénéficié le FLN en Algérie et dont nous payons encore le prix sur les plans politique, diplomatique et historique.

Dans ces deux conflits, l’arme principale des insurgés est la terreur. Elle vise un triple but : obtenir la soumission des populations, creuser le fossé entre les communautés et provoquer des représailles aussi féroces que possible. Les horreurs commises par le Hamas sont trop proches pour qu’il soit nécessaire de les rappeler. En revanche qui se souvient encore des massacres commis par les nationalistes algériens à Sétif, Guelma, Djidelli, El-Halia, Melouza, Oran, etc. La liste serait trop longue à détailler mais tout au long de ces huit années de guerre, l’horreur a succédé à l’horreur avec sa litanie de femmes violées et éventrées, d’enfants égorgés et de prisonniers torturés à mort.

Une riposte difficile à mesurer

Hier comme aujourd’hui, pareilles exactions ne peuvent rester impunies. Elles sont inévitablement suivies d’une riposte dont le dosage est facile à mesurer pour les donneurs de leçons en chambre, mais qui l’est beaucoup moins pour les décideurs et encore moins pour ceux qui, sur le terrain, sont confrontés à l’horreur de la situation. Un bon massacre bien sanglant permet d’ouvrir la porte à ce qu’on qualifiera ensuite de « représailles féroces », de « riposte disproportionnée » ou de « vengeance aveugle ». La « bataille d’Alger » constitue le parfait exemple du bénéfice à attendre de cette stratégie. Tout le monde a entendu parler des moyens mis en œuvre par les parachutistes pour éradiquer le terrorisme, mais personne ne sait qu’on comptait en moyenne 300 attentats par mois à Alger au printemps 1957 ! La victoire militaire s’est effacée devant le scandale politique et ne reste dans les mémoires que le souvenir d’une répression « aveugle et disproportionnée ». On l’a vu à Sétif, à Sakiet-Sidi-Youssef et en bien d’autres lieux. On le voit déjà à Gaza.

Les médias, relais de la propagande

L’orchestration médiatique des événements permet en outre de transmettre à la postérité des chiffres totalement falsifiés. Il en fut ainsi à Sétif où les rapports officiels parlent de 600 morts du côté des rebelles. Les historiens, avec les précautions d’usage, estiment ce chiffre à 3 000 morts au maximum. Le gouvernement algérien, lui, n’hésite pas à avancer celui de 45 000 porté même à 60 000 par Ferhat Abbas ! Ces chiffres délirants sont hélas bien souvent repris par des journalistes, des « chercheurs » … et des politiques de tout bord ! De même, le souvenir qui risque de rester de la « bataille de Gaza » est celui des bombardements israéliens et du nombre de victimes calculé par le Hamas tandis que la tragédie du 7 octobre serait occultée, ignorée, voire niée.

La stratégie du Hamas est bien la même que celle du FLN. Comme elle, elle s’appuie sur la terreur exercée aussi bien sur sa propre population que sur celle de l’adversaire. Comme elle, elle repose sur un pouvoir sans partage acquis par la force en éliminant toute opposition interne : le MNA de Messali Hadj en Algérie, le Fatah de Mahmoud Abbas à Gaza. Comme elle, elle bénéficie d’appuis solides à l’étranger : Egypte, Tunisie, Maroc pour le FLN, Qatar, Iran, Syrie pour le Hamas.

Bien évidemment, l’environnement international a profondément changé, les objectifs des protagonistes ne sont pas les mêmes, les moyens d’information ont considérablement évolué mais la démarche reste identique : se présenter en victime, remporter la bataille de l’opinion publique et faire passer à la postérité le narratif mis au point, ici par le FLN, là par le Hamas.

Espérons qu’au contraire de la France, Israël aura la volonté et la capacité de transmettre à l’Histoire une version des faits plus conforme à la réalité vécue sur le terrain !


Source photo bandeau : Hosny Salah via Pixabay

(*) Claude ASCENSI est général de corps d’armée (2S). Il a commandé le 94° Régiment d’infanterie à Sissonne, dirigé le Bureau études stratégiques et militaires générales (BESMG) de l’Etat-major des armées, et a été directeur de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD). Nommé contrôleur général des armées en mission extraordinaire en 2000, il a servi comme chargé de mission réserves auprès du ministre de la défense jusqu’en septembre 2007.

Un mauvais procès intenté à l’École Supérieure de Guerre – Sa responsabilité dans la défaite de 1940

Un mauvais procès intenté à l’École Supérieure de Guerre – Sa responsabilité dans la défaite de 1940


 

Depuis la Libération, le procès intenté à l’École Supérieure de Guerre de sa responsabilité dans la défaite de 1940, est récurrent. Il ressort périodiquement, avec, souvent, des arrières pensées pas toujours très saines et peu avouées, comme celle de démontrer que cette institution pécherait par son passéisme, c’est-à-dire qu’elle préparerait ses stagiaires à la guerre d’hier. Cette accusation est lourde, grave, et même infâmante, car non seulement, elle porte atteinte au renom de l’École de Guerre, mais en plus, elle fournit des arguments irréfutables à ceux qui souhaitent sa disparition. Cette accusation doit donc être soit étayée, soit contestée.

La question qui se pose revient donc d’une part, à déterminer comment la doctrine d’emploi des forces terrestres était conçue avant-guerre et quels organismes en avaient la charge, et d’autre part, à mettre en perspective la formation militaire supérieure reçue par les chefs vaincus de 1940 avec celle dont les vainqueurs de la Libération ont pu disposer. Une telle démarche évite ainsi de tomber dans l’ornière du « deux poids deux mesures ».

En fait, cette accusation ne saurait être reçue comme telle, dans la mesure où elle s’apparente beaucoup plus à un procès d’intention qu’à un jugement de réalité : dans un souci d’équité, estimer que la responsabilité de l’École de Guerre serait engagée dans la défaite de 1940 est indissociable de celle visant à vouloir considérer que la même responsabilité existe dans les victoires de la Libération. La démarche consistant à argumenter de tout et de son contraire est absurde.

Il convient donc, initialement d’identifier la source de cette accusation particulièrement sévère, puis, une fois le problème posé du côté de l’accusation, analyser la manière dont la doctrine d’emploi des forces terrestres (incarnée par les Instructions sur l’emploi des Grandes Unités, ou IGU) était conçue dans l’entre-deux–guerres, avant de se pencher sur la formation militaire supérieure que les vainqueurs de 1944-45 ont reçue, et même la mesure dans laquelle ils ont directement été impliqués dans cette formation, c’est-à-dire, leur passage à la direction des études de l’ESG avant-guerre.

Indiscutablement, l’accusation d’incompétence de l’École de Guerre, responsable de la défaite de 1940 a été forgée et instruite par Marc Bloch, dans son ouvrage L’étrange défaite, rédigé à chaud après le drame, ouvrage qui connait un regain d’intérêt depuis quelques années. Il y a donc lieu d’examiner la personnalité même de Bloch, ainsi que la teneur de ses arguments.

D’emblée, il est important d’affirmer que la personnalité de Marc Bloch n’est aucunement en cause, et ce, d’autant plus qu’il a connu une fin absolument dramatique, ayant été assassiné en 1944, par les Allemands pour cause d’appartenance à la communauté juive de France. Par ailleurs, il s’agit d’un grand intellectuel de l’entre-deux-guerres ; historien de renom, il a été l’initiateur du mouvement de l’École des Annales, qui privilégie une méthode de recherche historique privilégiant une approche sur le long terme, plutôt que factuelle sur le court terme.

Ceci écrit, l’objectivité oblige à écrire que, sur le plan militaire, s’il a été officier de réserve qui peut s’enorgueillir d’une belle guerre qu’il a achevée en 1918 avec le grade de capitaine, il a été touché par la vague pacifiste qui a sévi dans l’entre-deux-guerres, comme un grand nombre d’intellectuels, que ce soit Alain, Dorgelès ou Giono. Pour cette mouvance, qui a fourni les gros bataillons du briandisme, la frontière entre pacifisme et antimilitarisme était assez ténue.

Pour ce qui est de la nature des reproches portés par Pierre Bloch à l’encontre de l’École de Guerre, ils peuvent en fait se réduire à un constat : l’armée française de 1940, engoncée dans le formalisme de sa bureaucratie du temps de paix, n’a pas été en mesure de s’en extraire pour planifier et conduire la campagne de 1940. Cette bureaucratie a conduit à une dilution des responsabilités perdues au sein d’un « mille feuilles » hiérarchique, ce qui produit des délais pour la transmission des ordres, lesquels sont diffusés trop tard, sur la base d’une évaluation de situation déjà dépassée. Selon Marc Bloch, la cause première de cette situation de blocage résiderait dans le formalisme de la formation dispensée par l’École de Guerre, d’où son idée de condamner définitivement cette école.

Cette analyse de Marc Bloch, un peu sommaire, appelle plusieurs réflexions. La première est que, se situant à son niveau d’officier traitant dans un bureau d’état-major, Marc Bloch élève peu le débat. Il demeure au niveau des modalités d’exécution, et non pas à celui des principes qui sous-tendent toute conception en matière opérationnelle. Or, un jugement complet porté sur la campagne et les causes profondes de son échec aurait mérité qu’il élevât sa réflexion à ce niveau. Par ailleurs, et ici, on quitte le domaine du rationnel, comme indiqué plus haut, le pacifisme absolu de Marc Bloch s’accompagnait durant toute l’entre-deux-guerres d’un non moins puissant sentiment antimilitarisme. Cela l’a conduit à refuser systématiquement toute période de réserve et, a fortiori, toute formation supérieure d’état-major (il a refusé de suivre un cursus de formation d’ORSEM[1]). Il n’est pas interdit de penser que le jugement négatif porté par Marc Bloch sur l’essence même de l’École de Guerre, plus que sur son fonctionnement, plongeait ses racines dans ce profond sentiment d’antimilitarisme, partagé à l’époque par une grande partie de l’élite intellectuelle du pays.

Ceci étant posé quant au contexte de l’accusation, il convient de poursuivre la réflexion plus avant que la simple forme de l’enseignement militaire supérieur de l’entre-deux-guerres, pour se poser la question de savoir comment se forgeait la doctrine d’emploi des forces, à l’époque considérée, et quelle place l’Ecole de guerre y tenait… ou non.

Indiscutablement, avant 1914, par le biais du comité d’état-major, l’École Supérieure de Guerre se trouvait impliquée au premier chef dans les affaires doctrinales militaires. Ce comité d’état-major, auquel le général Joffre prêtait une grande considération (il l’a souvent réuni entre 1911 et 1914), réunissait les grandes élites militaires : les membres du Conseil supérieur de la Guerre, les généraux commandant les corps d’armée de couverture, les chefs d’état-major des généraux disposant d’une lettre de commandement pour une armée, les chefs de bureau de l’état-major de l’armée et les chefs de cours de l’École de Guerre. Sa très grande force, et toute sa légitimité d’ailleurs, venaient de ce mélange de cultures militaires différentes entre le commandement proprement dit, l’administration centrale, les forces et l’enseignement militaire supérieur. Si ce comité n’avait une existence qu’informelle, il représentait néanmoins l’incarnation réelle du haut-commandement, quel que puisse être le grade de ses membres (de général de division exerçant un commandant supérieur[2] à colonel). Tout le monde se connaissait et était connu de tout le monde (cas de Pétain, alors colonel avant-guerre, ce qui devait expliquer son ascension fulgurante jusqu’au commandement d’une armée en juin 1915, soit le passage de de colonel à commandant d’armée en moins d’une année). Au sein de ce comité, l’influence de l’École de Guerre était fort réelle. En termes de doctrine, c’est ce comité qui était en charge de la rédaction des instructions sur l’emploi des grandes unités.

Or, en 1920, parvenu au commandement de l’Armée, le maréchal Pétain a dissous ce comité, dont il ne connaissait que trop l’influence réelle, pour centraliser la conception de la doctrine d’emploi des grandes unités au niveau du seul Conseil Supérieur de la Guerre., soit l’instance de commandement la plus élevée dont il assurait la vice-présidence (le président formel étant le ministre). Pétain verrouillait. Et si, en 1921, c’est le général Debeney qui a présidé la commission de rédaction de l’IGU 1921, ce n’est pas en tant que commandant de l’ESG qu’il a été désigné, mais comme membre du CSG dont la pensée était la plus proche de celle de Pétain[3]. Et ce ne fut pas Buat, alors chef d’état-major de l’armée, donc parfaitement légitime pour présider cette commission, que choisit Pétain pour cette tâche, mais bien Debeney. Buat, en effet, était toujours demeuré assez proche de « l’écurie » Foch. C’est le même Debeney, devenu chef d’état-major de l’armée, qui tenait la plume lors de l’élaboration de la loi de 1927 portant sur la fortification des frontières, en clair, la Ligne Maginot[4]. Et, enfin, en 1936, lorsque le général Gamelin lance les travaux d’une nouvelle Instruction générale d’emploi des grandes unités, l’IGU 36, il en confie la rédaction au général Georges. Dans ces trois occasions, qui ont réellement dimensionné la doctrine française de l’entre-deux-guerres, l’Ecole de Guerre n’a strictement tenu aucun rôle.

En revanche, son enseignement ne pouvait, bien évidemment, ne pas être en contradiction avec la doctrine en vigueur. C’est ainsi que quarante ans après, le général Beaufre, certainement l’officier le plus brillant de sa génération, juge ainsi son passage à l’École militaire[5] entre 1927 et 1929 : « La guerre de 1914 –1918, codifiée par Pétain et Debeney avait conduit à tout placer sous le signe de barèmes, d’effectifs, de munitions, de tonnes, de délais, de pertes, le tout ramené au kilomètre courant. C’était technique et commode, voire rassurant, mais foncièrement faux ; on le vit bien en 1940…Les moindres réflexions sur les fronts de Russie, de Salonique et de Palestine en eût montré l’inanité. Mais c’étaient là des fronts secondaires, sans intérêt pour l’armée française ».

Quelques années auparavant, en 1924, alors qu’il y était lui-même stagiaire, un certain capitaine de Gaulle n’y a guère supporté non plus le dogmatisme ambiant[6]. Ce dogmatisme n’a pas empêché le général Héring, commandant de l’ESG en 1930, de faire appel au colonel Doumenc, pour prononcer une conférence qui a fait date sur les perspectives ouvertes par le char, employé en masse. C’est le CSG qui a mis en garde Doumenc contre le risque qu’il prenait pour sa carrière en s’engageant sur des chemins de traverse en termes de doctrine.

Il existe un dernier élément d’appréciation quant à la responsabilité éventuelle de l’École de Guerre dans la défaite. En effet, depuis le commandant en chef, Gamelin, jusqu’au moins ancien des commandants d’armées, ainsi que la majorité des commandants de corps d’armée, c’est-à-dire le niveau de commandement de conception de la manœuvre, tous ces généraux ont été formés à l’École de Guerre avant 1914. Mettre en cause la formation de ces chefs de rang élevé revient donc à remettre en cause l’Ecole de Guerre d’avant 1914. Cette démarche n’a jamais effleuré personne, bien au contraire, et c’est heureux !

En revanche, quand on examine attentivement l’encadrement des grandes unités qui ont libéré la France en 1944 – 1945, force est de reconnaître que l’on y croise moult anciens stagiaires de l’École de Guerre. Le tableau ci-dessous en fournit la preuve, s’il en était besoin.

GRANDES UNITÉS TITULAIRES BREVETÉS ESG TITULAIRES NON BREVETÉS
CEFI Juin
1re Armée De Lattre
1er C.A. Béthouart
2e C.A. Goislard de Monsabert
1re D.F.L. Brosset Garbay
2e D.I.M. Dody, Carpentier, de Linarès
3e D.I.A. Guillaume
4e D.M.M. Sevez, de Hesdin
9e D.I.C. Magnan, Molière, Valluy
1re D.I. Caillies
10e D.I. Billotte
14e D.I. Salan
1re D.B. Touzet du Vigier Sudre
2e D.B. Leclerc
5e D.B. Schlesser de Vernejoul
D.A. des Alpes Doyen
F.F.O. (Atlantique) de Larminat, Bognis-Desbordes, d’Anselme, Chomel
TOTAL 23 4

 

La comparaison entre les commandants de grandes unités brevetés et non brevetés se passe de commentaires, 23 contre 4. Ce qui veut dire qu’en dépit de ses défauts — conjoncturels — relevés sans concession par Beaufre, l’École de Guerre a bien maintenu son renom et a rempli sa mission dans l’entre-deux-guerres, à savoir former des chefs vainqueurs.

Ce constat est encore renforcé lorsqu’on établit la liste des anciens professeurs de l’ESG, c’est-à-dire ceux en charge de responsabilités directes de formation, qui ont tenu de hautes fonctions de commandement durant la campagne de 1944 – 1945.

En premier lieu, Giraud, qui, s’il a fait preuve d’une parfaite inaptitude politique reconnue par tout le monde, n’en a pas moins reconstitué l’outil militaire français en 1943 : il a été chef du cours Infanterie entre 1927 et 1930.

Juin, brillant commandant du CEFI, s’il en fut, a été par deux fois, adjoint à la chaire de tactique générale et au cours d’état-major : avant de commander son régiment, en 1934-1935 et à l’issue de son temps de commandement, dans l’attente de rejoindre la session du CHEM dont il sera auditeur en 1937-1938.

Revers, qui prit le commandement de l’ORA après l’arrestation et la déportation de Verneau et qui succéda à de Lattre dans les fonctions de chef d’état-major de l’armée en 1947, succéda à Juin en 1935 dans les fonctions d’adjoint au titulaire de la chaire de tactique générale.

Monsabert, bouillant commandant de la 3e DIA en Italie et en Provence, avant de commander avec brio le 2e C.A. jusqu’à la fin de la campagne d’Allemagne, fut adjoint au cours d’infanterie de 1929 à 1932.

Au niveau des divisionnaires, Caillies et Dody étaient également des anciens professeurs de l’ESG, Caillies à la chaire de tactique générale et Dody au cours Infanterie[7].

Même chez les cavaliers, qui ont commandé les groupements blindés (les combat command) au sein des divisions blindées, on trouve un ancien professeur de l’ESG, Caldairou qui y a servi à deux occasions : de 1929 à 1933 comme adjoint au directeur des Etudes et de 1935 à 1937, à la chaire de tactique générale.

Il est donc peu cohérent, même si Marc Bloch ne pouvait pas connaître la suite de 1940, d’instruire à charge le procès d’une institution qui aurait été responsable du désastre de 1940, alors que la victoire qui lui a succédé cinq ans plus tard a été acquise par des chefs qui avaient été, pratiquement tous, formés au moule de la même école. En fait, le désastre de 1940, qui a entraîné la chute de tout un système, militaire, politique et social, a été le révélateur d’un mal beaucoup plus profond qu’un supposé défaut de formation de l’élite militaire française. Ce que Marc Bloch a d’ailleurs perçu, puisque la troisième partie de son ouvrage décortique cet aspect- global de la déroute de 1940.

Le mot de la fin. Il est quand même assez mal venu d’instruire le procès d’une École qui a formé comme stagiaire au sein de la dernière promotion avant le déclenchement de la guerre, le capitaine de Hautecloque, futur maréchal Leclerc.


NOTES

  1. Officier de réserve du service d’état-major.
  2. À l’époque, les rangs et appellations de corps d’armée et d’armée n’existait pas. Les titulaires de ces fonctions étaient identifiables au fait qu’en grande tenue, ils arboraient des plumes blanches sur leur bicorne.
  3. Debeney a toujours été un « fidèle » de Pétain dont il est resté très proche. Il fut son adjoint au cours d’Infanterie à l’École de guerre avant-guerre, et son major général au GQG en 1917, lorsque Pétain a succédé à Nivelle. C’est Debeney qui a succédé à Buat à la mort de celui-ci en 1923, dans les fonctions de chef d’état-major de l’armée, Pétain étant vice-président du CSG et Inspecteur-général. Debeney était l’incarnation même de « l’écurie » Pétain. Cette proximité ne s’est jamais démentie et a perduré jusqu’après 1940. Fidèle d’entre les fidèles sous le régime de Vichy, Debeney est tombé sous les balles du maquis en novembre 1943.
  4. La Ligne Maginot s’est appelée ainsi car les crédits nécessaires à son édification ont été votés lorsque André Maginot était ministre de la Guerre. Il n’avait en rien trempé dans sa conception. Si on veut être puriste, cette ligne aurait dû s’appeler « Painlevé » (du nom du ministre qui l’a approuvée) – Debeney (du nom du chef d’état-major qui l’a conçue et organisée). Maginot, qui connaissait les aléas des débats budgétaires a fait voter une loi qui gelait les crédits nécessaires à l’édification de cette Ligne, sur cinq ans. Toutes choses étant égales par ailleurs, il est possible de faire l’analogie avec les lois de programmation actuelles.
  5. Général Beaufre, Mémoires 1920 – 1940 – 1945, Paris, Plon, 1965, p. 56.
  6. Ses notes s’en sont ressenties, puisqu’elles portaient la mention « À l’attitude d’un roi en exil ». In Lacouture, De Gaulle, Paris, Seuil, 1984, Tome 1, p. 121.
  7. Dody appliquait un principe de commandement bien connu, « voir loin mais commander court ». En Italie, chargé de la percée sur le Majo, lors de l’offensive du Garigliano, comme commandant de la 2e division marocaine, ses trois colonels commandant les régiments de tirailleurs étaient de ses anciens stagiaires. Il s’est fait communiquer, préalablement au débouché du 13 mai 1944, leurs ordres initiaux respectifs, qu’il a corrigés de sa main !

Colonel (ER) Claude FRANC

Colonel (ER) Claude FRANC

Saint-cyrien de la promotion maréchal de Turenne (1973-1975) et breveté de la 102e promotion de l’École Supérieure de Guerre, le colonel Franc a publié une dizaine d’ouvrages depuis 2012 portant sur les analyses stratégiques des conflits modernes, ainsi que nombre d’articles dans différents médias. Il est référent « Histoire » du Cercle Maréchal Foch (l’ancien « G2S », association des officiers généraux en 2e section de l’armée de Terre) et membre du comité de rédaction de la Revue Défense Nationale (RDN). Il a rejoint la rédaction de THEATRUM BELLI en février 2023. Il est âgé de 70 ans.

L’Armée de l’Air et de l’Espace prépare ses 90 ans avec un nouveau logo

L’Armée de l’Air et de l’Espace prépare ses 90 ans avec un nouveau logo

par Gaétan Powis – Air & Cosmos – publié le 08 décembre 2023

https://air-cosmos.com/article/l-armee-de-l-air-et-de-l-espace-prepare-ses-90-ans-avec-un-nouveau-logo-68080


Un grand concours a été organisé au sein de l’Armée de l’Air et de l’Espace avec comme objectif la création d’un nouveau logo pour les 90 ans de l’AAE. Sur 70 logos, le projet du caporal-chef Matthieu a été sélectionné, alliant histoire et modernité.


De l’Aéronautique militaire à l’AAE

Durant la Première guerre mondiale, l’Aéronautique militaire prend son essor : l’avion est désormais un moyen indispensable sur le champ de bataille moderne. Il permet de reconnaitre les positions ennemies, de les bombarder mais également empêcher les avions ennemis d’effectuer ces missions sur les lignes amies. Cependant, à cette époque, l’Aéronautique militaire fait partie, comme c’est le cas dans de nombreuses forces armées, de l’Armée de terre française. Il faudra attendre le 2 juillet 1934 pour voir la création officielle et définitive d’une nouvelle arme indépendante au sein des Forces armées françaises : l’Armée de l’Air. Son appellation sera légèrement modifiée le 11 septembre 2020, avec l’ajout important du caractère spatial : l’Armée de l’Air et de l’Espace.

Un nouveau logo

Pour fêter les 90 ans de sa création, l’AAE prépare l’année 2024 en grande pompe. Pour cette occasion, elle a organisé un grand concours au sein de son personnel : créer un logo pour les 90 ans. Au total, ce sont près de 70 aviateurs qui ont soumis leur projet. Le choix final s’est porté sur le projet du caporal-chef Matthieu, mécanicien opérateur avionique sur la base aérienne 133 de Nancy-Ochey. Ce dernier expliquait alors :

« J’ai voulu mettre deux machines aux antipodes : un Rafale moderne d’un côté et un biplan de l’autre. Le bleu et le rouge représentent les couleurs du drapeau français et j’ai ajouté les étoiles pour l’espace. Je voulais quelque chose de sobre représentant à la fois la France et l’AAE.« 

Le logo des 90 ans de l'AAE, conçu par le caporal-chef Matthieu.
Le logo des 90 ans de l’AAE, conçu par le caporal-chef Matthieu. © Armée de l’Air et de l’Espace
Félicitations au caporal-chef Matthieu pour le nouveau logo de l'AAE.
Félicitations au caporal-chef Matthieu pour le nouveau logo de l’AAE. © Armée de l’Air et de l’Espace

Les cultures française et américaine en terme de grandes unités de 1936 à nos jours

Les cultures française et américaine en terme de grandes unités de 1936 à nos jours


 

En 1935, sous l’impulsion vigoureuse donnée par le général Weygand, cinq ans plus tôt, l’armée française mettait sur pied la 1re Division Légère Mécanique (D.L.M.) qui était en fait la première division blindée existant en Europe. On le sait peu !

Depuis cette date, plusieurs types de divisions ont été conçus, en national, la D.M.R. et les divisions « Lagarde » tandis que, à d’autre périodes, sous l’influence des États-Unis, et de l’OTAN, d’autres types de divisions ont vu le jour, au sein de l’armée de Terre, la division 59 puis la division 67, et enfin la « division de classe OTAN » actuelle. La question est donc posée : existe-t-il une culture militaire française en termes de définition de grandes unités et, dans quelle mesure diffère-t-elle de la culture américaine et otanienne en la matière ?

La réponse est absolument affirmative, il existe bien une culture militaire française à cet égard, culture fondée sur la souplesse à la fois de l’organisation du commandement et de la manœuvre. Cette culture s’oppose fondamentalement à la culture militaire américaine, fondée uniquement sur la masse des moyens.

Les caractéristiques des deux systèmes français et américains.

Quels sont les trois critères principaux respectifs des cultures militaires française et américaine en la matière ?

Tout d’abord, pour le cas français, la stricte adaptation des niveaux de commandement tactique à ceux de la manœuvre : En dessous du niveau tactico-stratégique ou tactico-opératif, constitué par l’Armée, il n’existe que trois niveaux — corps d’armée, division et régiment/groupement — correspondant aux trois niveaux de conception, conduite et exécution de la manœuvre interarmes. Dans le système français, depuis 1916, l’échelon de la brigade n’existe pas. La division constituant l’échelon de conduite de la manœuvre, les appuis qui lui sont alloués sont réduits aux seuls appuis directs, l’essentiel de ceux-ci étant regroupés au niveau du corps d’armée où ils constituent des « éléments organiques ».

Considérant que l’on ne manœuvre bien qu’avec quatre pions, le système français privilégiera toujours la quaternisation en termes d’organisation divisionnaire et régimentaire. Cette quaternisation permet également un mixage optimal des moyens (blindés et mécanisés) au sein des groupements.

Enfin, le système français s’efforce de toujours faire coïncider l’organisation organique sur le besoin opérationnel, ce qui permet de disposer d’une grande cohérence en terme de préparation opérationnelle (entraînement autrefois). Cette corrélation organique —opérationnel n’est aucunement exclusive de la possibilité de mixage des unités (par échanges entre régiments), pour former des groupements temporaires, mieux adaptés à la mission et au terrain. Ce principe n’a été respecté que jusqu’à l’adoption des principes de « modularité » et de « réservoir de forces » fondements de la « Refondation » de 1998.

Le système américain, pérennisé après 1942 lors du réarmement des États-Unis, prend l’exact contrepied de la position française. Il s’agit de divisions lourdes, d’ailleurs le terme de « heavy division » est passé dans le langage courant. Il existe un échelon de commandement de plus que dans le système français, la brigade, ou en 1942 combat command pour les divisions blindées et regimental combat team pour les divisions d’infanterie. Ce système de division lourde a perduré à l’issue de la guerre et s’est installé comme la norme dans l’OTAN. Il a fait dire au critique militaire Liddell Hart, que les divisions alliées correspondaient à un énorme serpent qui se mouvait plus qu’il ne manœuvrait, et dont seuls la tête et le dard piquaient. Dans cette organisation, la structure divisionnaire est ternaire, ainsi que celle de la brigade. Quant aux appuis, ils existent sous une forme redondante, aux deux niveaux de la division et du corps d’armée.

Durant la Guerre froide, il existait également en Centre Europe, une différence majeure entre les deux systèmes, concernant la mise en œuvre[1] du feu nucléaire « tactique ». Du côté des États-Unis, c’était la division qui en était chargée, alors que dans le système français (le PLUTON n’est apparu qu’en 1975), il s’agissait du corps d’armée. C’est également une des raisons qui ont conduit les Américains à constituer un système divisionnaire « lourd ». Et, c’est donc tout naturellement que, dans le système français, les régiments PLUTON ont rejoint les EOCA, en étant intégrés à l’Artillerie de CA.

De la DLM à la DMR.

La D.L.M., imparfaite avec ses deux régiments de chars, son régiment de découverte et son régiment de Dragons portés (en fait une infanterie portée à trois bataillons), répondait aux canons d’organisation français. Il est d’ailleurs significatif que le regroupement de deux d’entre elles, en un « corps de cavalerie » en 1939-1940, a constitué le seul corps d’armée blindé dont n’ait jamais disposé l’armée française. Cette simple remarque est de nature à fortement nuancer le regard généralement porté sur le concept blindé français de 1940. Qui plus est, il était prévu, qu’en opérations, le régiment de dragons portés éclatât et fût réparti au sein des régiments de chars et du régiment de découverte pour former groupements. À ce double titre, la D.L.M. était la première division moderne française. Elle a disparu dans la tourmente de 1940.

Son concept a été repris en 1954 avec la 7e D.M.R. (Division Mécanique Rapide). À cette époque, le maréchal Juin commandait le théâtre Centre-Europe de l’OTAN (AFCENT). Il était fortement conscient que les divisions lourdes de « classe OTAN » étaient tout à fait impropres à conduire le combat « tournoyant » qui était attendu d’elles : en effet, en ambiance nucléaire (c’est-à-dire sous menace d’emploi), il s’agissait, dans des délais les plus brefs possibles, de passer d’un dispositif ouvert et réparti sur le théâtre, pour éviter de constituer un « pion nucléaire » justiciable d’une frappe soviétique, en un dispositif concentré et puissant pour frapper a contrario les « pions nucléaires » dévoilés par le dispositif adverse. Comme Juin était simultanément, la plus haute personnalité militaire française (même s’il avait perdu les attributions de CEMDN, grosso modo CEMA en 1953), il a chargé les inspecteurs de l’infanterie et de l’arme blindée cavalerie[2] de concevoir deux types de division. Ce seront la 7e D.M.R. et la 2e D.I.M. (division d’infanterie mécanisée). La D.M.R., particulièrement légère et toute en souplesse, était articulée autour de quatre « régiments interarmes » constitués de deux compagnies sur half-tracks et de deux escadrons des AMX 13 et une batterie de 105 automoteurs. Un régiment de reconnaissance sur E.B.R. (engin blindé de reconnaissance) est conservé aux ordres, au niveau de la division[3]. Les échelons de la brigade et du bataillon avaient disparu. Tous les canons de l’école française étaient réunis. Quant à la 2e D.I.M., elle est organisée en cinq régiments d’infanterie à 4 compagnies sur half-tracks ou Bren carrier et un escadron Shaffee[4]. Dans ce cas également, les échelons de la brigade et des bataillons ont disparu. Ces deux divisions ont rapidement perdu leurs spécificités puisqu’elles ont été engagées en Algérie où leurs régiments ont été alignés sur l’organisation des unités de quadrillage (la 7e D.M.R. ayant fait un détour par Suez).

Les divisions 59 et 67.

Avant le désengagement d’Algérie, l’armée française avait conçu un nouveau type de Grande Unité, la division 59, sur des critères otaniens (La France était toujours membre des instances de commandement intégrées). À ce titre, les États Unis mettaient à disposition de la France un armement nucléaire « tactique », le lanceur Honest John, dont la mise en œuvre serait effectuée selon le principe de la « double clé », au niveau de la division. Il ne pouvait donc s’agir que d’une division « lourde », à base de trois brigades, et disposant d’éléments organiques variés et puissants.

En réalité, cette division constituait un compromis boiteux entre le tactiquement souhaitable et le budgétairement possible. Les brigades et les régiments étaient articulées autour d’une structure ternaire, et, au moins pour les brigades motorisées, mixaient des régiments de pied absolument différents (régiments motorisés à deux bataillons curieusement rebaptisés E.M.T., et mécanisés ou de chars à 3 compagnies ou escadrons). En outre, le matériel était trop disparate, puisque des camionnettes tactiques y côtoyaient des engins blindés à chenille (VTT/AMX et AMX 13). Cette disparité conduisait à mettre sur pied une multitude de groupements et sous-groupements, sans cesse réarticulés en fonction du milieu et de l’ennemi, ce qui conduisait à un rythme de manœuvre beaucoup trop séquencé.

Des études furent lancées dès le désengagement d’Algérie (Études DAVOUT et MASSENA) pour corriger ces défauts. Elles aboutirent à la constitution de la Division 67, laquelle, conçue alors que la France était toujours membre des structures intégrées de l’OTAN, était encore une division lourde, mais aux structures plus cohérentes que sa devancière. Néanmoins, des impératifs budgétaires ont conduit à maintenir temporairement (mais le temporaire a souvent tendance à durer) au sein de chacune des cinq divisions ainsi constituées deux brigades mécanisées et une brigade motorisée. Enfin, les divisions, comme les brigades ont été bâties sur une structure ternaire (toujours pour des motifs d’économie).

Il convient de noter que la division d’intervention (la 11e division) était construite selon les mêmes errements ; une structure ternaire de brigade avec deux brigades parachutistes et une brigade légère (la 9e brigade).

Les « divisions Lagarde ».

Dans son œuvre magistrale de réorganisation, le général Lagarde a voulu revenir, aussi bien pour le corps de bataille que pour les forces d’intervention, aux canons de la culture militaire française : à partir des 5 divisions « lourdes » et de la division d’intervention, soit 18 brigades, ternaires il a mis sur pied 15 divisions quaternaires, soit 8 divisions blindées[5], 5 divisions d’infanterie[6], et 2 divisions d’intervention[7]. Le corps de bataille était réparti en 3 corps d’armée, dotés d’éléments organiques puissants, et constituant à leur échelon la cohérence tactico-logistique, grâce à la création de 3 brigades logistiques. (les divisions disposaient quant à elles, d’un « volant logistique » sous la forme d’une base divisionnaire déployée à partir d’un régiment de commandement et de soutien). Cette réforme complète et profonde des forces était marquée d’une rare cohérence. Toutes les divisions et tous les régiments de mêlée étaient bâtis sur une structure quaternaire. Pour trouver la ressource indispensable à une telle réforme en profondeur, le général Lagarde a dissous tous les régiments de D.O.T. (en fait, des bataillons à trois compagnies en sous-effectifs, noyaux actifs des véritables régiments de D.O.T.) en en conservant quelques-uns pour les divisions d’infanterie. Seul le 41e RI, en sureffectif à la 9e DIMa a conservé une mission de D.O.T., de protection des installations terrestres de la F.O.S.T. en Bretagne.

Pour conserver la D.O.T., chaque régiment métropolitain d’active dérivait un régiment de réserve. Ceux-ci étaient employés à deux niveaux hiérarchiques : au niveau de la D.M.T. pour les missions statiques de protection de points sensibles d’importance, soit regroupés au sein de brigades de zone, au niveau de la Région militaire — Zone de défense pour des mission de défense de surface, en action d’ensemble.

Cette réforme a été conduite en trois ans, selon un principe de complète décentralisation : en 1976, le général Lagarde en a énoncé les principes et défini les structures à réaliser. Ensuite, chaque année, de 1977 à 1979, chaque commandant de corps d’armée concerné a conduit lui-même la réorganisation de ses moyens et le fusionnement du commandement opérationnel (CA – Divisions) au commandement territorial (Région – Division militaire territoriale[8]). C’est ainsi que, le 1er juillet 1979, ce qui avait été annoncé et planifié le 1er juillet 1976 était réalisé. Chaque année, la mise sur pied à l’été du corps d’armée concerné était suivie à l’automne, d’un exercice en terrain libre sur une profondeur de 300 kilomètres, et mettant en jeu de l’ordre de 800 blindés dont 400 chars et 180 hélicoptères.

Enfin, en liaison avec la mission militaire française présente à Brunssum à AFCENT, la 1re Armée a conduit un long et profond travail de planification pour adapter l’engagement des nouveaux corps d’armée aux différentes hypothèses d’engagement alliées[9], ce qui a abouti à la diffusion d’un Plan Général d’opérations (P.G.O.) à l’intention des CA. Il est à noter que la différence de structures et de taille entre les grandes unités alliées et françaises n’a jamais nui à leur interopérabilité.

Mais, il ne faut pas se voiler la face, il existait une ombre au tableau, l’équipement des forces. Si les unités de l’ABC avaient connu un plan d’équipement de ses régiments en AMX 30 extrêmement rapide, la totalité de ses régiments avait été équipée en moins de quatre ans (1967–1971), il n’en allait pas de même pour les autres programmes. L’AMX 10 P, l’AMX 10 RC, le VAB, les Canons de 155 AUF 1 et TR F 1 allaient demander quasiment une décennie pour équiper les forces, qui, jusqu’à cette échéance devaient continuer à servir des matériels anciens, des VTT AMX, des EBR, des canons automouvants, et, comme les régiments motorisés avaient été créés ex nihilo, dans l’attente du VAB, certains (la 14e DI) allaient être équipés de Dodge 6×6 comme matériels de substitution durant de longues années.

En outre, les cibles de ces nouveaux matériels majeurs avaient été définies en deçà des besoins correspondant aux effectifs alloués. Une réduction d’effectifs était donc inévitable à moyen terme.

Celle-ci intervint en 1983, de façon parallèle avec la création de la FAR. Les deux divisions nouvellement créées, la 6e DLB et la 4e DAM, l’ont été à partir des 6e et 4e DB, dissoutes. Les autres divisions ont été un peu renforcées par l’ajout d’un second régiment d’artillerie et d’un régiment motorisé. Ces mesures ont conduit à la dissolution de deux divisions d’infanterie et leur transformation en « divisions École », à partir des formations dédiées implantées en leur sein. Ces modifications n’ont pas altéré la logique d’organisation des différentes divisions, qui est demeurée conforme aux principes nationaux.

La refondation de 1998. La disparition des divisions permanentes.

En revanche, la « refondation » de 1998 constitua une remise en cause complète et profonde de la logique d’organisation des forces terrestres. Tous les principes d’organisation des grandes unités, liés à la culture militaire nationale ont disparu.

La cohérence entre l’organique et l’opérationnel a complètement disparu, la logique relevant alors de celle de la « modularité » des forces, l’organique étant réduit un simple « réservoir de forces ».

S’agissant des niveaux de commandement, ils ont été réduits, pour ce qui concerne les niveaux permanents, à deux, la brigade et le régiment/groupement. La division permanente a disparu, pour la première fois depuis 1788. Elle a été remplacée à la demande, par quatre EMF (états-majors sans moyens dédiés[10]) qui, regroupés par deux, pouvaient alors constituer un PC de division. Il s’agissait alors, à l’occasion des grands exercices, de mettre sur pied une division « de classe OTAN », soit le retour à une division lourde.

Quant au niveau du corps d’armée, il a été fusionné avec le « Commandement de la Force d’action terrestre » (CFAT) avant d’être rétabli en 2007 sous la forme d’un PC de CA, certifié aux normes OTAN. Avec le rétablissement des divisions permanentes en 2015, l’armée de Terre a donc renoué avec un système de commandement complet, à quatre niveaux depuis le corps d’armée jusqu’au groupement/régiment.

Enfin, la cohérence tactico-logistique était fortement obérée par le fait que la brigade, pion de manœuvre, ne constituait-il pas un échelon logistique.

« And so what ? »

Sous l’influence de l’OTAN dont elle a rejoint les structures de commandement intégrées, la France a donc renoué avec un alignement de ses structures de commandement sur celles de l’Alliance, en tournant ostensiblement le dos à sa culture militaire propre ; ceci, au nom du respect d’une indispensable interopérabilité avec nos Alliés. La question se pose donc de savoir si cette interopérabilité est réellement incompatible avec d’autres structures que celles ayant cours aux États-Unis. Il semblerait que la réponse soit négative, puisqu’à l’époque où la France disposait d’un corps de bataille dont les divisions avaient été bâties sur des critères nationaux, les divisions Lagarde, l’interopérabilité des trois corps d’armée français avec les corps alliés dont les divisions avaient une toute autre dimension, n’a posé aucun souci.

La question est donc posée : à l’heure où l’armée de Terre va connaître la transformation actuellement en cours, ne faut-il pas réfléchir à la structure de nos grandes unités, et s’extraire d’une stricte logique de ressources pour les constituer, pour, a contrario, imaginer quel pourrait être leur emploi et, partant, définir leurs structures. Autrement dit, raisonner de manière cohérente : partir de la finalité pour définir les modalités, et non l’inverse.


NOTES :

  1. Uniquement la mise en œuvre, en aucun cas la décision d’emploi, du niveau politique.
  2. Les généraux de Linarès et de La Villéon.
  3. 4 régiments interarmes : 2e Dragons, régiment Colonial de Chasseurs de Chars (RCCC), 1er RBIC (Régiment Blindé d’Infanterie Coloniale) et 21e R.I.C (Régiment d’Infanterie Coloniale). Rgt de Reconnaissance : 3e R.C.A. (Régiment de Chasseurs d’Afrique).
  4. 26e R.I., 60e R.I., 151e R.I., 152e R.I., 153e R.I. et le 31e Dragons.
  5. Les 1re DB (Trèves), 2e DB (Versailles), 3e DB (Fribourg), 4e DB (Nancy), 5e DB (Landau), 6e DB (Strasbourg), 7e DB (Besançon) 10e DB (Châlons sur Marne).
  6. 8e DI (Amiens), 12e DI (Rouen), 14e DI (Lyon), 15e DI (Limoges) et 27e DIA (Grenoble).
  7. 9e DIMa (Saint Malo) et 11e DP (Toulouse).
  8. 1977 : 6e RM- 1er CA à Metz. . 1978 : CCFFA – 2e CA à Baden Oos. 1979 : 1re RM – 3e CA).à Paris et Saint Germain les Loges.
  9. Depuis la signature des accords Valentin – Ferber, en 1972, la 1re Armée était la seule réserve de théâtre d’AFCENT, et se trouvait engagée comme telle, même si la France ne faisait plus partie des instances de commandement intégrées de l’OTAN.
  10. Participant à tous les grands exercices nationaux et alliés, ces EMF ont néanmoins emmagasiné une solide culture opérationnelle.

Colonel (ER) Claude FRANC

Colonel (ER) Claude FRANC

Saint-cyrien de la promotion maréchal de Turenne (1973-1975) et breveté de la 102e promotion de l’École Supérieure de Guerre, le colonel Franc a publié une dizaine d’ouvrages depuis 2012 portant sur les analyses stratégiques des conflits modernes, ainsi que nombre d’articles dans différents médias. Il est référent « Histoire » du Cercle Maréchal Foch (l’ancien « G2S », association des officiers généraux en 2e section de l’armée de Terre) et membre du comité de rédaction de la Revue Défense Nationale (RDN). Il a rejoint la rédaction de THEATRUM BELLI en février 2023. Il est âgé de 70 ans.

Monument préféré des Français : trois choses à savoir sur le château-fort de Sedan, vainqueur de l’édition 2023

Monument préféré des Français : trois choses à savoir sur le château-fort de Sedan, vainqueur de l’édition 2023

Écrit par Matti Faye et Loukas Brillaud – France 3 – Publié le

Le château-fort de Sedan, dans les Ardennes, a remporté le trophée 2023 de l’émission « le monument préféré des Français ce mercredi 13 septembre sur France 3. Il était en compétition face à 13 autres sites patrimoniaux du pays.

Victoire de Sedan ! Stéphane Bern, l’animateur de l’émission « Le monument préféré des Français » a annoncé la victoire du château-fort de Sedan (Ardennes) vers 23h15, ce 13 septembre, au terme de la présentation des 13 autres monuments en lice. Le monument est élu préféré des Français en 2023. « Ça va remonter le moral des Sedanais », écrit Christine, une fan sur la page Facebook du château, en écho à la rétrogradation douloureuse du club de football local, le CSSA, désormais en Régional 3. Côté patrimoine désormais, Sedan joue dans la cour des grands, même si les touristes comme les habitants le savaient déjà. « Les félicitationt sont nombreuses, comme les témoignages de fierté. 

Le directeur château, Melaine du Merle, a accueilli Stéphane Bern pour recevoir son trophée. « C’est une grande fierté, on espère avoir une aura nationale voire internationale ». Le maire (PS) de Sedan Didier Herbillon est présent sur place pour cette séquence enregistrée en secret. Un secret qui avait été bien gardé. Contacté la veile par France 3 qui connaissait le verdict, le château n’avait rien soufflé. « C’est du plaisir et de l’émotion, elle tombe bien cette victoire, à quelques mois des 600 ans de ce château ». Et à deux jours des journées européennes du patrimoine des 16 et 17 septembre. « Il correspond à l’identité des Sedanais ». Une plaque a été remise au maire de la ville. Elle sera désormais posée à l’entrée de l’édifice. 

Le château-fort de Sedan succède à la Gare transatlantique de Cherbourg et au sous-marin Le Redoutable, situés en Normandie au sein de la Cité de la mer.

Le géant des Ardennes a été présenté par Stéphane Bern. « Un château de conte de fées, un panorama de l’architecture militaire ». Son histoire est racontée par le directeur du château. Situé à un emplacement stratégique en France à la frontière belge, cet édifice fait figure de forteresse. Avec des fortifications hors normes, et une surface de 35 000 mètres carré. 

22h55 : Reste encore deux monuments en lice avant de connaître le monument préféré des Français de l’édition 2023. Dont le château fort de Sedan. En attendant le résultat, le château fait sa promo sur les réseaux sociaux. « Le banquet est prêt en cas de victoire ! », poste l’équipe du monument ardennais. 

Quatorze monuments, un pour chaque région de France métropolitaine et un pour l’outre-mer s’affrontaient. Pour le Grand Est, c’est le château-fort de Sedan qui a été choisi. Voici trois choses à savoir sur le monument des Ardennes, désormais préféré des Français en 2023. Pour en apprendre davantage, n’hésitez pas à lui rendre une petite visite !

Plus grand château-fort d’Europe

Evrard de La Marck, seigneur de Sedan, décidé la construction du château en 1424. Au fil des siècles et de l’évolution de l’armement, l’édifice est renforcé, ses murs sont épaissis. Le château, dans sa forme actuelle, totalise 35 000 mètres carrés de surface sur sept niveaux. Il a des murs de plus de 7 m de large. Le plus épais avoisine les 27 mètres de large. 

Cela en fait le « plus grand château-fort d’Europe ». C’est en tout cas ce qu’affirme la direction du site. On n’a pas tout mesuré, mais en bons défenseurs de notre région, on leur fait confiance ! Le lieu est classé monument historique depuis 1965.

 

 

Le drapeau blanc y a été hissé par Napoléon III 

Le 19 juillet 1870, Napoléon III, alors Empereur des Français, déclare la guerre à la Confédération d’Allemagne du Nord. Après un mois de guerre et quelques défaites qui provoquent l’évacuation de l’Alsace et de la Lorraine, la France dispose de moins de la moitié de sa première armée, et se replie progressivement vers Sedan. 

La bataille décisive (dite Bataille de Sedan) commence le 1ᵉʳ septembre 1870 et les Français se révèlent complètement impuissants face à l’armée prussienne. Dans le but d’éviter des morts inutiles, Napoléon III fait hisser le drapeau blanc sur le château-fort de Sedan le lendemain, synonyme de capitulation. 

Suite à cette défaite, il devient le quatrième souverain français capturé sur un champ de bataille de l’histoire. Il est ensuite déchu dès que la nouvelle parvient à Paris, Marseille et Lyon, et la République est proclamée le 4 septembre 1870.

Il a failli être rasé

Le château-fort est cédé par l’armée française à la ville de Sedan en 1962, pour un franc symbolique. En 1967, l’ordre du jour du conseil municipal de la ville mentionne la création d’un centre commercial à la place du château-fort. Une seule voix aurait suffi à l’époque à rejeter le projet, comme le racontait Grégory Duchatel sur France Bleu en 2021.

Le château-fort de Sedan avait déjà participé au concours du Monument préféré des Français en 2014, mais ne s’était pas hissé jusqu’en finale. Il a pris sa revanche cette fois-ci avec un succès mérité. 

Hercule empoisonné – 4. Le gendarme embarrassé (1995-2011) par Michel Goya

Hercule empoisonné – 4. Le gendarme embarrassé (1995-2011)

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 4 septembre 2023

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Après les contrecoups d’État, les évacuations de ressortissants la contre-insurrection, les interventions « coup de poing », une campagne aérienne, l’appui indirect, les opérations humanitaires, on passe en 1995 à de nouvelles formules militaires qui s’efforcent d’être plus efficaces que dans les années précédentes tout en étant moins intrusives et sans ennemi, déclaré ou non. On essaie en fait de transférer sur le continent africain les nouvelles méthodes en œuvre dans les Balkans. La France devient à ce moment-là véritablement le « gendarme de l’Afrique », un surnom dont elle a horreur, mais qui signifie qu’on s’efforce de gérer les crises et de maintenir la stabilité et non de faire la guerre puisqu’on ne désigne pas d’ennemi politique.

Les années 1990 voient un certain nombre d’États africains s’affaiblir d’un coup sous le triple effet du départ des sponsors étrangers, de l’imposition d’un désendettement public massif par les institutions financières internationales et du multipartisme forcé. En attendant des effets positifs à long terme, ces politiques ont d’abord pour effet d’aggraver une crise profonde des administrations et des services publics, tandis que les nombreux partis politiques qui se forment sans aucune pratique de la vie démocratique commencent souvent par se constituer des milices armées. Les élections deviennent souvent des batailles électorales au sens premier. Beaucoup de ces États, aux armées affaiblies, se voient assaillis et contestés par des dizaines, voire des centaines, de groupes armés irréguliers, seigneurs de guerre, bandes criminelles, forces d’autodéfense, etc. parfois soutenus par les États voisins rivaux. On voit ainsi du golfe de Guinée à la Somalie en passant par l’Afrique centrale, se former des « complexes conflictuels » régionaux englobant pendant des années plusieurs États et des organisations armées irrégulières dans une mosaïque compliquée de rivalités violentes. On est loin du monde apaisé libéral-démocratique décrit par les thuriféraires de mondialisation.

L’Afrique subsaharienne devient le lieu principal et presque unique après l’échec en ex-Yougoslavie des opérations de maintien de la paix des Nations-Unies, en conjonction avec la tentative de mettre en place une structure africaine de résolution des conflits sous l’égide de l’Organisation de l’unité africaine, Union africaine (UA) en 2002. À côté des missions de paix onusiennes, les « MI », on voit donc se former aussi des forces régionales, les « FO », qui tentent également gérer les complexes de conflits, avec moins de moyens et pas plus de bonheur. La France reste le seul acteur militaire extérieur en Afrique subsaharienne tout en y étant également le plus puissant. Sa position est forcément délicate au sein de cette instabilité générale. Les opérations d’évacuation de ressortissants se multiplient, au Zaïre, au Togo, au Congo-Brazzaville, en Guinée, au Libéria, etc., mais le pire est de se retrouver au milieu du désordre sans trop savoir quoi faire.

Après le Rwanda et le Zaïre, devenu Congo en 1997, l’instabilité frappe la République centrafricaine où la France est présente militairement depuis 1980.  À partir d’avril 1996, les mutineries se succèdent à Bangui. La France lance l’opération Almandin afin de protéger ou évacuer les ressortissants, la présidence et différents points sensibles.  Almandin connaît plusieurs phases d’accrochages avec les mutins, de mouvements de foule et de répits, avec notamment l’assassinat de deux militaires français, jusqu’à ce que le président Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin se mettent d’accord pour désengager les forces françaises d’un environnement aussi instable.  Au printemps 1998, les forces françaises laissent la place à la première d’une longue liste de mission interafricaines qui ne contrôlent en réalité pas grand-chose.

Quelques semaines avant le départ de la dernière unité française, le conseil de Défense du 3 mars 1998, a décidé que selon le slogan « ni ingérence, in indifférence » les forces françaises ne seraient désormais plus engagées que dans le cadre d’opérations sous mandat et drapeau européen, les missions EUFOR, ou en deuxième échelon de forces africaines régionales, que l’on appuie avec le programme de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) français d’abord puis européen. Il n’est plus question de guerre, avec engagement direct ou indirect de forces auprès d’armées au combat, mais, dans l’esprit de l’époque, de « ramener la violence vers le bas ».

Cela réussit parfois. En juin 2003, à la suite d’une résolution du CSNU, l’Union européenne reçoit le mandat de stabiliser la province d’Ituri dans l’est du Congo, en attendant le renforcement de la Mission des Nations-Unies au Congo (MONUC). C’est une première pour l’UE en Afrique qui s’appuie sur la France pour réaliser la mission.  À partir de la base d’Entebbe en Ouganda, l’opération Artémis déploie donc un GTIA et un groupement de Forces spéciales (GFS) français sur l’aéroport à Bunia, soit un millier d’hommes dans une ville de 300 000 habitants. Il y a de nombreux petits accrochages, mais la présence dissuasive française suffit presque sans combat à faire cesser les violences et à protéger la population jusqu’à de nouveaux bataillons de la MONUC mi-août. L’opération Artémis est un succès indéniable et elle devient même une référence. L’Union européenne est donc capable de mener des opérations de stabilisation en Afrique et il est possible de rétablir l’ordre sans faire la guerre. On oublie cependant qu’il s’agit surtout d’une opération militaire française, avec 70 % des effectifs totaux, et que le contingent projeté a été suffisant en volume et surtout en capacité de dissuasion pour établir la sécurité, dans une région de seulement 300 000 habitants.

Les missions européennes qui suivent, baptisées EUFOR (European Union Force), sont moins impressionnantes. Lourdes, longues à monter et coûteuses pour un effet limité, au mieux une présence dissuasive, comme lors des élections au Congo en 2006 ou au Tchad en 2008. Cette dernière opération, baptisé EUFOR Tchad/RCA, est assez typique. Les exactions ont débuté au Darfour soudanais en 2003, la décision européenne d’agir est prise en octobre 2007, l’opération est décidée Conseil de l’Europe en janvier 2008 et la force n’est opérationnelle qu’en mars 2008, le temps de réunir 3 700 soldats de 26 pays différents et de laisser passer les combats de février au Tchad entre le président Idriss Déby et ses opposants. L’EUFOR est constituée de trois bataillons multinationaux et d’un bataillon d’hélicoptères, dont un détachement privé russe. EUFOR effectue beaucoup de patrouilles, mais ne combat pas, même si un homme des Forces spéciales françaises est tué au cours d’une infiltration au Soudan. Pour 800 millions d’euros, elle assure de loin la protection des camps de réfugiés, qu’en réalité personne ne menace plus, au Tchad et en République centrafricaine avant d’être remplacée au bout d’un an par une mission des Nations-Unies tout aussi peu utile.

Entre-temps, la République de Côte d’Ivoire (RCI) n’a pas été épargnée par les turbulences. Le leader historique Félix Houphouët-Boigny meurt en 1993 et la dispute pour la succession au pouvoir sur fond de crise économique vire en quelques années à la guerre civile. Henri Konan Bédié, successeur immédiat d’Houphouët-Boigny n’hésite pas à introduire le concept d’ « ivoirité » dans la loi afin d’exclure de la citoyenneté par ce biais plusieurs rivaux à la future élection présidentielle, tout en rejetant de la vie politique un quart de la population, particulièrement celle à majorité musulmane du nord du pays. Henri Bédié gagne ainsi sans concurrence l’élection présidentielle de 1995, avant d’être renversé quatre ans plus tard par le coup d’État du général Guéï qui organise de nouvelles élections. En octobre 2000, ces élections portent Laurent Gbagbo au pouvoir, ce qui suscite la confrontation armée avec le général Guéï, jusqu’à la victoire définitive de Gbagbo. Une nouvelle tentative de coup d’État le 19 décembre 2002 à Abidjan et dans les principales villes de Côte d’Ivoire donne le départ d’une guerre civile. Le coup d’État échoue, mais les rebelles prennent le contrôle de la moitié nord du pays, dont ils sont pour la plupart issus.

Au contraire du Rwanda, la France a de nombreux ressortissants en Côte d’Ivoire, alors plus de 16 000 dont les 600 sociétés génèrent 30 % du PIB ivoirien. Elle ne peut se désintéresser du sort de cet allié qui est apparu longtemps comme un modèle de stabilité. L’opération Licorne est déclenchée dès le 22 septembre avec le bataillon basé à Abidjan renforcé d’une unité venue du Gabon. On ne veut plus appuyer le gouvernement en place et son armée face à une rébellion mais on ne va pas non plus être accusé d’inaction à côté de massacres, éternel dilemme entre l’accusation d’intrusion et celle de non-assistance. On choisit donc d’abord de mener une opération humanitaire armée afin de protéger et d’évacuer les ressortissants français et autres étrangers menacés dans le nord du pays.

Pour le gouvernement ivoirien, la rébellion est soutenue par l’étranger et il n’est pas question de négocier avec elle, mais seulement de l’écraser. Il préférerait que la France la soutienne dans ce sens et il invoque pour cela l’accord de défense d’août 1961. Non seulement la France refuse, mais, en accord avec les organisations internationales, elle appuie l’idée d’une négociation, et donc de concessions à la rébellion. L’opération d’évacuation de ressortissants devient alors une opération d’interposition, un genre que l’on croyait disparu. A la fin de l’année 2002, 2 500 soldats français sont dispersés sur une « ligne de non franchissement » (puis « ligne de cessez-le-feu » et enfin « zone de confiance ») de 600 km qui partage le pays en deux. L’idée est alors de garantir pour un temps limité, le cessez-le-feu instauré le 17 octobre 2002, en attendant le relai d’une force régionale, la Mission de la Communauté économique en Côte d’Ivoire (MICECI) ou « Ecoforce », formée par la CEDEAO.

Comme cela était prévisible, cela ne se passe pas comme prévu. Le premier petit contingent interafricain de 1 200 hommes n’arrive qu’en mars 2003. Avant cela, fin novembre 2002, deux groupes armés, le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la justice et la paix (MJP) se sont ajoutés à la rébellion du nord pour attaquer dans l’ouest du pays à partir de bases au Libéria. Les forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) sont incapables de les refouler. En janvier 2003, devant l’absence d’évolution, la France impose un sommet international à Linas-Marcoussis. Cet aveu d’échec de la concertation africaine sonne comme un rappel à l’ordre de l’ancienne puissance coloniale. Il en ressort un accord que Laurent Gbagbo n’a aucune intention de mettre en œuvre. Les FANCI sont renforcées avec l’achat de nouveaux équipements et l’engagement de mercenaires. De leur côté, les rebelles du nord forment le Mouvement patriotique de la Côte d’Ivoire (MPCI) qui s’associe au MPIGO et au MJP pour former les « Forces nouvelles ». La situation est gelée.

En février 2004, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) relève et englobe l’Ecoforce. Les GTIA français ne sont pas intégrés dans l’ONUCI et restent placés en second échelon sous commandement national. Les choses n’évoluent guère pour autant, il y a toujours à l’époque plus de 4 000 soldats français formant trois GTIA placés entre les différentes factions qui les accusent forcément de protéger l’autre camp. Un quatrième GTIA est en réserve opérationnelle en mer, associé à l’opération Corymbe de présence navale dans le golfe de Guinée.

Il y a régulièrement des accrochages entre factions, mais aussi contre ces Français qui gênent tout le monde. En janvier et février 2004, le MJP et le MPIGO tentent des attaques contre les forces françaises au sud-ouest du pays et se font refouler. Le 25 août 2003, une patrouille fluviale française est prise à partie au centre du pays sur la presqu’île de Sakassou et perd deux soldats tués. Les 7 et 8 juin 2004, une compagnie française repousse une attaque rebelle à Gohitafla au centre du pays et lui inflige une vingtaine de morts au prix de huit blessés.  Le 6 novembre 2004, un avion d’attaque Sukhoi Su-25 de l’armée de l’Air ivoirienne bombarde un cantonnement français à Bouaké tuant neuf militaires français ainsi qu’un ressortissant américain et en blessant 31. C’est l’occasion d’une mini-guerre avec l’État ivoirien. Sur ordre du président Chirac, les six avions et hélicoptères de combat ivoiriens sont détruits au sol sur les bases de Yamoussoukro et d’Abidjan. Le gouvernement ivoirien utilise de son côté la désinformation et le mouvement des Jeunes patriotes pour s’en prendre aux ressortissants français. Le GTIA Centre est engagé d’urgence à Abidjan franchissant par combat les barrages des FANCI sur 800 km et se retrouvant par la suite pendant plusieurs jours face aux Jeunes patriotes dans la capitale, ce qui provoque plusieurs morts. Plus de 8 000 ressortissants sont évacués dans des conditions très difficiles.

La situation se calme avec le temps et le dispositif de Licorne est progressivement allégé passant de plus de 5 200 hommes au début de 2005 à 1 800 en 2009, alors que dans le même temps Laurent Gbagbo prétexte l’existence du conflit pour retarder l’élection présidentielle jusqu’en 2010. Cette élection est l’occasion d’une nouvelle crise en décembre 2010, lorsque Laurent Gbagbo en conteste les résultats et refuse de quitter le pouvoir. Les combats éclatent entre ses partisans et les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) regroupant les anciennes forces rebelles (Forces du nord) et les forces ralliées au nouveau président, Alassane Ouattara. En avril 2011, la force Licorne procède à l’évacuation de 5000 ressortissants, mais surtout grand tournant, on décide à nouveau de faire la guerre, en appuyant les FRCI jusqu’à l’arrestation de Laurent Gbagbo. On parvient ainsi enfin à un résultat décisif et à la paix, presque neuf ans après le début de l’interposition et 27 soldats français tombés.

Bien entendu lorsqu’il est mis fin officiellement à l’opération Licorne en janvier 2015, tout le monde se félicite de son succès, mais tout le monde pense aussi parmi les responsables militaires qu’il n’est plus question de recommencer. Plus personne ne proposera de « refaire Licorne », par exemple au Sahel.

Si la France est le « gendarme de l’Afrique », c’est un gendarme qui a beaucoup de mal à trouver sa place. Son architecture militaire, accords et bases, n’était pas directement liée à la guerre froide et lui a survécu, malgré les réductions régulières de format. La France est toujours la première puissance militaire de l’Afrique francophone au sud du Sahara. Mais c’est une puissance embarrassée. Par habitude, structure et effectifs insuffisants, les forces françaises en Afrique restent des forces d’intervention, de « coups de poing » ponctuels, forme d’engagement dans lequel elles sont encore très efficaces, mais que dès lors que l’on sort de ce schéma, pour une guerre de contre-insurrection ou pour une mission de stabilisation complexe, il faut être très méfiant. 

Hercule empoisonné – 3. Humanitaires et impuissants (1992-1994) par Michel Goya

Hercule empoisonné – 3. Humanitaires et impuissants (1992-1994)

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 3 septambre 2023

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Durant tout le temps de l’opération Noroit au Rwanda, le monde a considérablement changé. Plus d’Union soviétique, plus de guerre froide, et même plus de guerre tout court dans le « nouvel ordre mondial » décrit par le président H. W. Bush en septembre 1990. Il n’y a plus que de la police internationale sous l’égide d’un Conseil de sécurité des Nations-Unies (CSNU) qui n’est plus bloqué par les vétos. De fait, il n’y a plus d’interventions militaires que contre les « Etats voyous », comme on vient de le faire en 1991 contre l’Irak, ou pour gérer les crises à l’intérieur des États.

À ce moment-là d’« État voyou » en Afrique, la Libye de Kadhafi rentrant rapidement dans le rang avant de subir la foudre, mais beaucoup de crises internes, provoquées entre autres par la fin de l’aide des sponsors étrangers, la politique de démocratisation forcée associée à des fins toujours délicates de longs règnes mais aussi la politique imposée de désendettement public. La plupart des États africains s’affaiblissent et certains s’effondrent dans de très violentes guerres civiles.

Au début des années 1990, la première réponse à cette situation est l’opération humanitaire armée. C’est la grande époque du « soldat de la paix », venant à la fois aider les populations du monde en souffrance et geler les problèmes internes jusqu’à une paix négociée. La première de ces grandes opérations de paix en Afrique intervient en Somalie effondrée et chaotique. Le CSNU décide d’y lancer en avril 1992 une opération des Nations unies en Somalie (ONUSOM) afin de protéger l’aide humanitaire et de « faciliter la fin de la guerre » entre les factions. Armée seulement de bonnes intentions et sans effectifs, l’opération ne sert évidemment à rien. Elle est relancée en décembre 1992 par les États-Unis qui demande la formation d’une Force d’intervention unifiée (UNITAF) sous la direction des Nations-Unies mais avec un commandement opérationnel autonome des dix-huit États y participant avec l’autorisation d’employer « tous les moyens nécessaires », c’est-à-dire combattre.

La force principale de l’UNITAF est constituée par les 25 000 soldats américains de Restore Hope. La France, qui croit indispensable de participer aux affaires du monde, fournit la « brigade type » des grandes opérations extérieures : en l’occurrence 2 400 hommes venant de France, de Djibouti ou de l’Océan indien pour prendre en charge avec trois bataillons et un détachement d’hélicoptères la zone de Baïdoa au nord-est de Mogadiscio et la frontière avec l’Éthiopie. Avec cette opération, baptisée Oryx, on intervient pour la première fois en Afrique hors d’une ancienne colonie et d’une manière nouvelle puisqu’il s’agit de rétablir la sécurité dans une zone et d’y protéger l’action humanitaire. Le sort des populations s’améliore incontestablement et les Français s’acquittent particulièrement bien de cette mission, qui plaît alors énormément puisqu’ « on fait le bien » sans prendre trop de risques (il n’y a qu’un seul blessé français).

Le problème est que cela ne résout en rien le problème politique de la lutte entre les principales factions, en particulier celle opposant président par intérim Ali Mahdi Mohamed et le général Mohamed Farah Aïdid, principal seigneur de la guerre du Sud somalien.

Le 26 mars 1993, une nouvelle opération, ONUSOM II, est créée en remplacement d’UNITAF afin de poursuive la protection de l’aide humanitaire, mais aussi désormais de désarmer les factions. Mais c’est à ce moment-là que les États-Unis réduisent leur effort et se placent en réserve des bataillons de Casques bleus.

La France est toujours présente avec Oryx II, soit 1 100 hommes avec un GTIA, et plusieurs bataillons multinationaux sous son commandement (Maroc, Nigéria, Botswana) dans le sud-ouest du pays de l’Éthiopie jusqu’à Kenya. Les choses les plus importantes se passent cependant à Mogadiscio où en juin 1993 la situation dégénère en guerre ouverte entre l’ONUSUM II et le général Aïdid. La France y engage pendant dix jours un sous-groupement interarmes de 200 hommes, avec cinquante véhicules dont onze blindés et quatre hélicoptères. Cet engagement est l’occasion le 17 juin 1993 du combat le plus violent mené par des forces françaises depuis 1979. Le sous-groupement français reçoit pour mission de dégager un bataillon marocain encerclé par la foule et les miliciens d’Aïdid. Après une journée de combats, les Français qui déplorent trois blessés ont dégagé le bataillon marocain et éliminé une cinquantaine de miliciens d’Aïdid. C’est un succès dont les Français n’entendront jamais parler. C’est aussi pratiquement le seul de l’ONUSOM II alors que les accrochages se multiplient. Les Américains, qui mènent en parallèle leur propre guerre contre Aïdid perdent 18 soldats tués dans les combats du 3 et 4 octobre 1993. Le président Clinton décide alors unilatéralement du retrait américain. Sans l’appui des Américains, l’opération l’ONUSOM II s’effondre et connaît la même fin piteuse que la Force multinationale de sécurité de Beyrouth dix ans plus tôt. Les dernières forces françaises se replient de Somalie en décembre 1993.

Cette fin peu glorieuse calme les ardeurs. Lorsque se déclenchent en octobre 1993 les affrontements interethniques au Burundi après l’assassinat du président Ndadaye, la communauté internationale ne réagit pas malgré l’ampleur des massacres qui font entre 80 000 et 200 000 morts selon les estimations. Elle ne le fait non plus lorsque les massacres d’encore plus grande ampleur se déclenchent au Rwanda dès la mort cette fois du président Habyarimana et du nouveau président burundais, Cyprien Ntaryamira, le 6 avril 1994, dans un avion abattu par deux missiles antiaériens SA-16 au-dessus de Kigali. Le lendemain deux sous-officiers français en assistance technique et une épouse sont assassinés à Kigali. Les Hutus radicaux s’emparent du pouvoir et organisent l’assassinat des modérés ainsi que le massacre systématique et déjà préparé de la population tutsie. Le Front patriotique rwandais (FPR) lance de son côté une nouvelle offensive qui s’avère cependant beaucoup plus lente que les précédentes malgré l’absence des Français.

Ce chaos soudain désempare la communauté internationale qui vient donc à peine de sortir du fiasco somalien et se trouve empêtrée dans celui d’ex-Yougoslavie. Échaudés par l’expérience somalienne, les États-Unis, pourtant très informés des projets de massacres via l’Ouganda et le FPR, ne veulent plus bouger et ont même tendance à freiner les décisions du CSNU. À Kigali, la force des Nations-Unies, la MINUAR, en place depuis octobre 1993, est encore plus inefficace que l’ONUSOM à Mogadiscio. Elle est même incapable de protéger la Première ministre Agathe Uwilingiyimana, massacrée par la Garde présidentielle le 7 avril en même temps que dix Casques bleus belges. Le gouvernement belge ordonne le repli de son contingent à Kigali, ce qui finit de vider la MINUAR de sa force.

La France, alors en cohabitation politique, est partagée sur l’attitude à suivre. Mitterrand veut intervenir pour aider ses anciens alliés, alors que le Premier ministre Balladur est réticent. Les tergiversations retardent la décision et surtout aboutissent à une solution de compromis. Balladur accepte une intervention mais sous forme d’opération humanitaire armée, avec un mandat des Nations-Unies et sous commandement national. Il faut attendre le 22 juin 1994 pour que la résolution 929 du CSNU autorise la France à intervenir de « manière impartiale et neutre » afin d’aider autant que possible la population, mais sans réaliser d’interposition. L’opération Turquoise voit donc l’engagement de 2 500 soldats français accompagnés de 500 soldats venus de sept pays africains. Le mandat interdit tout contact des troupes françaises avec le FPR qui est en train de conquérir le sud et l’ouest du pays. Cela impose donc de réduire l’action à la zone sud-ouest du pays qui est transformée en « zone humanitaire sûre » (ZHS) où la population et les organisations humanitaires sont protégées alors que les bandes armées qui s’y trouvent ou qui y entrent sont désarmées.

C’est une mission impossible. Malgré tous les gages, il était naïf d’imaginer que l’on pourrait passer pour neutre dans un pays où quelques mois plus tôt, les soldats français étaient à côté des FAR contre le FPR. Il y a des contacts et donc des accrochages violents avec le FPR qui nous considère toujours logiquement comme un ennemi. Il est également impossible pour les Français de désarmer tous ceux qui fuient à travers la ZHS, ni même de pouvoir contrôler toute cette zone avec aussi peu de forces. Les Français n’ont par ailleurs aucun mandat pour arrêter qui que ce soit. Une grande partie des génocidaires mais aussi tous ceux qui pourraient craindre des représailles, soit plusieurs centaines de milliers de personnes, se réfugient au Congo, le plus souvent en passant par la ville frontière de Goma, à la frontière nord-ouest du Rwanda et donc hors de la ZHS protégée par Turquoise. Certains hauts responsables du pouvoir et du génocide se réfugient en France.

L’opération Turquoise se termine fin août 1994. Avec ses moyens réduits, elle a contribué à sauver la vie de 15 000 personnes et enrayé une épidémie de choléra. C’est une contribution énorme en soi, même si elle est faible au regard de l’ampleur des massacres passés, mais aussi à venir lorsque l’armée du FPR, devenue Armée patriotique rwandaise, envahit le Congo voisin en 1998 et s’y prend de manière épouvantable aux camps de réfugiés. Pour autant si l’opération Turquoise est une réussite humanitaire, c’est un désastre politique puisqu’elle nous a placés immanquablement en position de cibles non pas physiques, mais médiatiques.

Comment ne pouvait-on imaginer en effet que le FPR n’allait pas profiter de la situation pour accuser — non sans raison — l’Élysée de vouloir sauver ses anciens amis devenus génocidaires ? Par quel aveuglement, a-t-on cru que notre acharnement à soutenir le pouvoir en place au Rwanda, quel qu’il soit et quoi qu’il fasse, n’allait pas avoir des conséquences sur l’image de la France ? Par quelle naïveté n’a-t-on pas vu qu’en intervenant, même de bonne foi et avec les meilleures intentions avec Turquoise, que l’on serait forcément accusés de protéger les génocidaires en fuite, dont certains en France parmi les principaux responsables ?

Associé au fiasco parallèle en Bosnie, l’expérience des grandes opérations humanitaires armées, si séduisantes moralement mais si peu efficaces en réalité, se termine pour la France. Alors qu’il y avait 10 000 soldats français portant simultanément un casque bleu en 1992, la France refuse d’engager à nouveau de bataillon sous-direction onusienne, hormis l’éternelle Force intérimaire des Nations-Unies au Liban. Mais cela ne résout pas le problème de la France en Afrique : comment continuer à être présent militairement et agir éventuellement mais sans apparaître intrusif et colonial ? Comment, pour paraphraser Péguy, avoir les mains pures tout en ayant encore des mains ?

À suivre.