France-Philippines : renforcer la coopération maritime

France-Philippines : renforcer la coopération maritime

par Céline PAJON et Jose Renan SUAREZ – IFRI – publié le 7 janvier 2025

Une coopération maritime renforcée entre la France et les Philippines, deux nations de l’Indo-Pacifique, pourrait s’appuyer sur leurs intérêts communs, leurs besoins et leur expertise en matière de sécurité et de gouvernance maritimes, tout en ouvrant la voie à un rapprochement stratégique.

Vue aérienne de plage avec des bateaux de pêche. Elnido, Philippines, 2018.
Vue aérienne de plage avec des bateaux de pêche. Elnido, Philippines, 2018. © Shutterstock.com

La France et les Philippines sont deux nations maritimes de l’Indo-Pacifique, ou « nations bleues ». La France possède la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) du monde, dont 90 % se trouvent dans l’Indo-Pacifique, tandis que les Philippines, un archipel stratégiquement situé au barycentre de cette vaste région, comptent 36 000 kilomètres (km) de côtes, ce qui les place au sixième rang mondial en termes de ZEE. Les Philippines possèdent la troisième plus vaste superficie de récifs coralliens au monde, tandis que la France se classe au quatrième rang. Enfin, acteurs majeurs du secteur de la pêche, les deux pays partagent des enjeux communs liés à la gestion durable des ressources marines et au renforcement de la sécurité maritime.

Les auteurs de ce Briefing proposent des pistes pour renforcer la coopération maritime entre la France et les Philippines, qui s’appuierait sur leurs valeurs communes, telles que la défense de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), l’engagement en faveur de la liberté de navigation et le soutien à un ordre international multilatéral fondé sur des règles. Ce Briefing présente les enjeux stratégiques justifiant cette coopération et en identifie les domaines opérationnels les plus porteurs. Cette initiative est particulièrement opportune, alors que la France s’apprête à accueillir la troisième Conférence des Nations unies sur les océans à Nice en juin 2025.

L’axe stratégique Russie-Corée du Nord : une évaluation

L’axe stratégique Russie-Corée du Nord : une évaluation

Publication générique pour un programme/observatoire n°00/2025
par Valérie Niquet – Fondation pour la recherche stratégique – publié le 7  janvier 2025

Le 23 octobre 2024, lors du premier sommet des ministres de la Défense des pays du G7, le Secrétaire d’État à la Défense, Lloyd Austin, a confirmé que la Corée du Nord se préparait à envoyer plusieurs milliers de soldats en Russie

. D’après le ministère sud-coréen de la Défense, 3 000 soldats nord-coréens seraient déjà présents sur le territoire russe

. Cet envoi de troupes représente une étape supplémentaire dans la coopération militaire entre Moscou et Pyongyang, laquelle a été officialisée par la signature d’un partenariat stratégique au cours de la visite de Vladimir Poutine en Corée du Nord en juin 2024. Ce tournant dans les relations bilatérales s’accompagne d’une intensification des tirs de missiles par la Corée du Nord à l’approche des élections présidentielles aux États-Unis. En particulier, le 30 octobre 2024, la Corée du Nord a procédé à l’essai d’un missile intercontinental, le premier depuis décembre 2023

. Ce missile à carburant solide, qui a parcouru une distance de 7 000 kilomètres – supérieure à celle des tirs précédents –, pourrait indiquer un renforcement de la coopération technologique avec la Russie, impliquant un progrès significatif en matière de motorisation

Un partenariat stratégique en action…

Depuis 2022, la Corée du Nord a fourni une aide matérielle importante à la Russie, lui permettant dans un premier temps de combler les manques de l’industrie russe de défense. Pyongyang aurait fourni près de trois millions d’obus et plusieurs dizaines de missiles balistiques à la Russie transportés depuis le port de Rason en Corée du Nord

. La France, comme le Japon, a dénoncé l’utilisation de ces missiles contre l’Ukraine aux côtés de 47 autres pays. Au mois de juin 2024, Vladimir Poutine s’est rendu en Corée du Nord où un partenariat stratégique comportant une clause d’assistance mutuelle a été signé

. Le traité prévoit que « en cas de guerre résultant d’une invasion armée, les deux parties offriront une assistance mutuelle militaire ou d’autre type »

. Ce cadre pourrait justifier l’envoi de forces coréennes d’appoint dans la région de Koursk ou dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie. 

La coopération pourrait également s’étendre au domaine spatial. Le directeur de l’agence spatiale russe faisait partie de la délégation accompagnant Vladimir Poutine en Corée et Pyongyang pourrait être intéressé par le développement d’un système de surveillance spatial sous l’égide de la Russie.

… répondant à divers objectifs

Une aide économique cruciale

Plusieurs ministres en charge de l’économie faisaient partie de la délégation russe en visite à Pyongyang en juin 2024. Pour la Corée du Nord, le soutien à la Russie revêt un intérêt économique crucial, surtout pour un pays toujours soumis aux sanctions internationales. Cette assistance comprendrait l’approvisionnement en énergie, notamment en charbon – essentiel à l’approche de l’hiver –, en pétrole, indispensable au bon fonctionnement des forces armées, ainsi qu’en produits alimentaires, qui continuent de manquer. La Russie aurait également accepté de transférer à la Corée du Nord 9 millions de dollars en devises, sur un total de 30 millions de dollars gelés dans les banques russes

. Ces éléments – énergie, nourriture et devises étrangères – sont vitaux pour la survie du régime nord-coréen.

Un soutien militaire renforcé

Un soutien militaire accru à la Corée du Nord constitue également un volet important des échanges entre Moscou et Pyongyang. Cette coopération permet à la Corée du Nord de tester ses capacités militaires en situation de guerre, en particulier dans le domaine balistique, et d’améliorer les performances de ses missiles, qui semblent encore limités en termes de précision. En apportant un soutien militaire à la Corée du Nord, la Russie renforce sa capacité à mener et potentiellement remporter un conflit dans l’éventualité d’une offensive contre la Corée du Sud. La participation de soldats et d’officiers nord-coréens aux combats en Ukraine offre également au régime l’opportunité d’évaluer les compétences opérationnelles de ses troupes, qui n’ont plus combattu depuis la fin de la guerre de Corée en 1953.

Les informations restent cependant divergentes concernant le degré d’intégration des troupes et officiers nord-coréens et leur niveau d’autonomie opérationnelle. D’après certaines sources nord-coréennes, six officiers auraient été tués dans une zone sous contrôle russe, à l’est de l’Ukraine.

Pour le Japon et ses partenaires, une question essentielle réside dans l’ampleur et la nature de l’aide que la Russie pourrait fournir à la Corée du Nord sur le développement de son programme balistique et nucléaire, ce qui pourrait l’accélérer et renforcer sa crédibilité. Contrairement à la Russie, la Corée du Nord n’a jamais effectué d’essai nucléaire atmosphérique, et Moscou pourrait transmettre à Pyongyang des informations précieuses à ce sujet. Cette assistance pourrait également concerner les capacités de ciblage des missiles, voire la production d’armes nucléaires tactiques et de torpilles dotées d’une charge nucléaire.

La position de la Russie sur la question nucléaire nord-coréenne a en effet connu une évolution significative. Après avoir longtemps soutenu, au Conseil de sécurité, les résolutions visant à sanctionner la Corée du Nord, Moscou a opposé, en mars 2024, son veto au renouvellement du mandat du groupe d’experts chargé de surveiller l’application des sanctions prévues par la résolution 1718. En juin 2024, lors de sa visite à Pyongyang, Vladimir Poutine a également plaidé en faveur d’une révision du régime de sanctions imposé par le Conseil de sécurité, y compris celles visant la Corée du Nord.

L’impact diplomatique de l’engagement nord-coréen aux côtés de la Russie

L’implication de la Corée du Nord aux côtés de la Russie dans le conflit en Ukraine consolide sa position diplomatique sur la scène internationale. Le rapprochement entre Moscou et Pyongyang accroît également la marge de manœuvre et le potentiel de pression de la Corée du Nord vis-à-vis de la Russie, du Japon, ainsi que de la Chine. Pyongyang cherche ainsi à retrouver une position stratégique comparable à celle qu’elle occupait avant la chute de l’URSS, lorsque le conflit sino-soviétique permettait un jeu triangulaire plus favorable aux intérêts nord-coréens.

Ainsi, le déplacement de Vladimir Poutine à Pyongyang, ainsi que sa visite au Vietnam, n’ont probablement pas satisfait Pékin, qui privilégie des relations massivement asymétriques, où la République populaire de Chine occupe une position dominante. Il est par ailleurs douteux que la Russie ou la Corée du Nord aient informé le Parti communiste chinois de l’envoi de troupes nord-coréennes en Russie. Bien que la Chine entretienne un « partenariat sans limites » avec la Russie et soit liée à la Corée du Nord par un traité militaire, les intérêts de ces trois acteurs divergent, notamment en ce qui concerne la péninsule coréenne. Si la RPC n’est pas prête à abandonner son allié nord-coréen, qui constitue un État-tampon face à la Corée du Sud et à la présence américaine, Pékin est défavorable à tout ce qui pourrait encourager les dirigeants nord-coréens à l’escalade dans la péninsule. Confrontée à des difficultés économiques croissantes, et à l’élection d’un président américain imprévisible, la RPC recherche avant tout l’absence de tensions non maîtrisées dans son environnement immédiat.

Les bénéfices stratégiques pour la Chine

Dans le même temps, la Chine pourrait voir d’un bon œil la prolongation du conflit en Ukraine, que la participation accrue des forces nord-coréennes pourrait favoriser si celles-ci devenaient plus nombreuses. Cette guerre accentue la pression sur l’Europe et contribue à diviser les alliés, surtout avec le retour au pouvoir de Donald Trump. Elle pourrait également détourner l’attention des Européens de la question de Taïwan et de la stabilité dans le détroit, bien que le Japon insiste régulièrement sur l’existence d’un lien direct, en raison de cette coopération renforcée avec Moscou, entre la guerre en Ukraine et un risque potentiel de conflit en Asie. 

Un autre avantage de la continuation de la guerre en Ukraine pour Pékin réside dans l’affaiblissement de la Russie à mesure que le conflit se prolonge, rendant ainsi le partenariat sino-russe sans limites toujours plus asymétrique en faveur de la Chine.

Les limites de la coopération russo-nord-coréenne

Plusieurs facteurs pourraient toutefois peser sur la poursuite de l’engagement de la Corée du Nord aux côtés de la Russie. L’envoi de troupes, dont la supposée qualité d’élite reste à prouver, pourrait au contraire révéler des faiblesses dans la préparation au combat des forces nord-coréennes. Si cet engagement implique une réelle participation aux combats, il offrirait à la Corée du Sud l’occasion d’analyser et de mieux comprendre les modes d’action des forces nord-coréennes, notamment le rôle des commissaires politiques et des officiers, surtout si ces troupes bénéficient d’une autonomie opérationnelle — ce qui reste incertain.

Par ailleurs, la Corée du Sud pourrait saisir cette occasion pour mener des opérations de guerre psychologique à l’encontre des soldats nord-coréens, dont la plupart n’ont aucune expérience du combat. Leur motivation pourrait être sujette à caution, et l’épreuve du feu pourrait engendrer un choc psychologique, favorisant ainsi des défections.

Des risques accrus pour la stabilité stratégique régionale

Si l’entrée de troupes nord-coréennes ne signe sans doute pas une internationalisation massive de la guerre en Ukraine, cette escalade peut avoir des conséquences sur la stabilité stratégique en Asie, dont le maintien constitue une préoccupation commune pour le Japon et la France. 

Forte de sa nouvelle expérience du combat, la Corée du Nord pourrait se montrer plus agressive, multipliant les provocations contre la Corée du Sud, au risque d’un dérapage

La question de la prolifération des armes de destructions massive est également posée. Selon des sources sud-coréennes, la Corée du nord aurait achevé les préparatifs pour procéder à un nouvel essai nucléaire, qui pourrait toutefois attendre l’« intronisation » du nouveau président américain Donald Trump et une évaluation de l’évolution des relations entre Pyongyang et Washington sous la nouvelle administration, la Corée du Nord n’étant en tout état de cause pas prête à abandonner sa capacité nucléaire acquise

Une inquiétude immédiate pour le Japon

Le renforcement des capacités nord-coréennes et la menace potentielle d’un conflit dans la péninsule réveille au Japon la crainte d’un conflit sur deux fronts, l’autre front étant le détroit de Taïwan, auquel l’alliance nippo-américaine devrait faire face. Face à cette possibilité de deux théâtres d’opérations intégrés en Asie, la réponse pour Tokyo ne peut être que le renforcement de cette alliance, ainsi que celui de ses propres capacités de défense, avec notamment l’acquisition de capacités de frappe à longue portée censées avoir un effet dissuasif. Au lendemain de l’élection de Donald Trump, le Premier ministre japonais Ishiba a immédiatement réaffirmé le caractère central de l’alliance nippo-américaine, pierre angulaire de la sécurité en Asie. A l’occasion du sommet de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) qui s’est tenu à Lima au mois de novembre 2024, le Premier ministre Ishiba, le Président Yoon et le président Biden ont réaffirmé l’importance stratégique, dans la durée, de la coopération trilatérale entre le Japon, la Corée du sud et les États-Unis. Les trois alliés ont rappelé que les enjeux de sécurité européens et asiatiques, avec l’envoi de troupes nord-coréennes en Russie, étaient de plus en plus indissociables. 

Toutefois, en Asie comme en Europe, sur la péninsule coréenne comme en Ukraine, la principale interrogation porte – pour le moment sans réponse – sur les choix qu’effectuera la nouvelle administration Trump en matière de défense et de sécurité. La Corée du Nord, contrairement aux attentes, pourrait se satisfaire de l’élection d’un président qui avait accepté de rencontrer le leader nord-coréen, même si la rencontre n’avait débouché sur aucune avancée en matière de prolifération nucléaire

Par ailleurs, en soutenant éventuellement un accord  sur l’Ukraine prenant en compte les exigences de Moscou, les États-Unis pourraient offrir de nouvelles marges de manœuvre à la Russie, qui serait alors moins dépendante de la Chine et – dans une moindre mesure – du « Sud global ». On peut alors s’interroger sur un éventuel retour à une relation moins tendue avec le Japon, également préoccupé par la montée en puissance de la Chine et par la volonté de gérer au mieux la question des territoires du nord (Kouriles).

Un rapport met en garde contre un possible conflit entre Israël et la Turquie

Un rapport met en garde contre un possible conflit entre Israël et la Turquie

https://www.opex360.com/2025/01/07/un-rapport-met-en-garde-contre-un-possible-conflit-entre-israel-et-la-turquie/


Le 6 janvier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a mis en garde contre toute partition de la Syrie, où Ahmad el-Chareh [alias Abou Mohammed al-Joulani], le chef de l’organisation Hayat Tahrir al-Cham [HTS, ex-Front al-Nosra, autrefois lié à al-Qaïda], a pris le pouvoir avec l’appui de groupes armés pro-turcs réunis au sein de l’Armée nationale syrienne.

« Nous ne pouvons permettre sous aucun prétexte que la Syrie soit divisée et si nous constatons le moindre risque nous prendrons rapidement les mesures nécessaires. […] Nous en avons les moyens », a en effet déclaré M. Erdogan.

A priori, cet avertissement concerne les Forces démocratiques syriennes [FDS], constituées essentiellement de combattant kurdes qu’Ankara accuse d’être en relation avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], considéré comme étant une formation terroriste. Et, au-delà, aux États-Unis, qui les soutiennent.

« Il n’y a pas de place pour la terreur et ceux qui soutiennent le terrorisme seront enterrés avec leurs armes », a précisé le président turc. « Si le risque se précise, nous pouvons intervenir soudainement, en une nuit », a-t-il ajouté, reprenant ainsi l’une de ses formules usuelles. « Nous en avons la capacité », a-t-il insisté.

Cette déclaration a été faite alors que des affrontements entre les combattants kurdes syriens et les groupes armés affiliés à Ankara venaient de faire une centaine de tués dans les environs de la ville de Manbij.

Cela étant, la mise en garde de M. Erdogan pourrait aussi s’adresser à Israël qui, à la suite de la chute du régime de Bachar el-Assad, a lancé une incursion armée dans la partie syrienne du plateau du Golan. Or, pour le moment, les intentions israéliennes demeurent floues.

Il s’agit d’une « mesure limitée et temporaire prise pour des raisons de sécurité », avait assuré Gideo Saar, le ministre des Affaires étrangères de l’État hébreu. Sauf que, de son côté, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou a promis que le « Golan ferait parti de l’État d’Israël pour l’éternité ».

Quoi qu’il en soit, cette incursion ne va pas améliorer les relations entre Israël et la Turquie, celles-ci étant à couteaux tirés depuis que M. Erdogan a menacé d’intervenir contre Tsahal, en juillet dernier.

« Nous devons être très forts pour qu’Israël ne puisse pas faire ces choses ridicules à la Palestine. Tout comme nous sommes entrés au Karabakh, tout comme nous sommes entrés en Libye, nous pourrions faire la même chose. Il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas le faire… Nous devons être forts pour pouvoir prendre ces mesures », avait-il affirmé, lors d’une réunion de l’AKP, le parti dont il est issu. En clair, il suggérait l’envoi de mercenaires, recrutés parmi les groupes rebelles syriens alignés sur les intérêts turcs.

Visiblement, les propos de M. Erdogan ont été pris au sérieux par la commission Nagel, laquelle réunit douze experts des questions militaires et sécuritaires [dont l’ex-général Jacob Nagel, qui lui a donné son nom]. Sa mission est de conseiller le gouvernement israélien en formulant des recommandations sur les orientations en matière de défense.

Ainsi, dans le dernier rapport sur le budget de la défense et la stratégie de sécurité qu’elle a remis le 6 janvier, et selon le résumé qu’en a fait le Jerusalem Post, la commission Nagel estime qu’Israël doit se préparer à une « confrontation directe avec la Turquie ».

« L’ambition de la Turquie de restaurer l’influence qu’elle avait à l’époque ottomane pourrait conduire à des tensions accrues avec Israël, ce qui pourrait dégénérer en conflit », estime la commission Nagel. En outre, le fait qu’il y ait des factions syriennes alignées sur Ankara est de nature à « créer une menace nouvelle et puissante pour la sécurité d’Israël ». Une menace qui pourrait même être encore « plus dangereuse » que celle incarnée par l’Iran.

Aussi, la commission Nagel recommande d’augmenter le budget de la défense de 15 milliards de shekels [3,98 milliards d’euros] par an au cours des cinq prochaines années afin de s’assurer que les forces israéliennes « soient équipées pour faire face aux défis posés par la Turquie et à d’autres menaces régionales ».

Gulmurod Khalimov et Shamsud-din Jabbar : de l’armée au djihad

Gulmurod Khalimov et Shamsud-din Jabbar : de l’armée au djihad

par David GAÜZERE* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°670 / janvier 2025

https://cf2r.org/actualite/gulmurod-khalimov-et-shamsud-din-jabbar-de-larmee-au-djihad/

*Docteur en géographie, président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

Personne n’a vu venir Khalimov ; Jabbar, non plus.

Une fois de plus, par simple hostilité chronique et aveugle, faute d’une coopération insuffisante en matière militaire et de renseignement, les mondes russophone et occidental n’ont pu empêcher le départ de hauts-gradés de leur armée nationale vers l’Organisation État islamique (OEI).

L’attentat terroriste du 1er janvier 2025 à La Nouvelle-Orléans[1], commis par Shamsud-Din Jabbar, un ancien sergent-chef de l’armée américaine, auparavant distingué pour sa bravoure dans le combat contre le terrorisme islamiste en Afghanistan, rappelle dix ans plus tard la défection du colonel tadjik Gulmurod Khalimov, ancien commandant des OMON[2] du Tadjikistan, auparavant lui aussi passé un bref instant en stage dans l’armée américaine, dans le cadre de la lutte anti-terroriste, puis par la société militaire privée (SMP) américaine Blackwater.

Khalimov et Jabbar se connaissaient-ils ? Nous ne pourrons jamais obtenir de réponse à cette question. Pourtant, issus de parties différentes du monde, Khalimov et Djabbar présentaient, outre l’adhésion à la cause djihadiste, de nombreuses similitudes dans leur parcours professionnel et leur processus de radicalisation.

Il serait désormais temps que les États visés par le terrorisme oublient un instant leurs divergences pour analyser les causes, les processus et les effets communs ayant conduit des militaires entrainés à passer au service du djihad (dont les deux protagonistes cités sont l’image éclatante), apportant leur expérience à la cause islamiste et menaçant nos sociétés. Une coopération militaire internationale sur cette question est un enjeu vital pour la préservation de l’ensemble de nos sociétés contre les actions terroristes, qu’il s’agisse d’actes individuels ou collectifs.

 

Gulmurod Khalimov

Gulmurod Khalimov est né dans la région de Varzob au centre du Tadjikistan en 1975. Pendant la guerre civile dans son pays, il a combattu aux côtés du Front populaire du Tadjikistan (forces armées du président Emomali Rakhmon) et a servi dans la garde présidentielle.

A partir de 1997, il rejoint la police anti-émeute du ministère de l’Intérieur en tant que soldat ordinaire. Il reçoit de nombreuses récompenses d’État, devient tireur d’élite, grimpe tous les échelons, est diplômé de l’Académie supérieure du ministère de l’Intérieur du Tadjikistan et atteint le grade de colonel. En 2003, il effectue un stage militaire en Russie, puis participe à des opérations contre des groupes d’opposition armés dans la vallée de Racht en 2009 et à Khorog en 2012.

En tant qu’officier des OMON, entre 2003 et 2014, Khalimov a participé à cinq cours de formation antiterroriste au Tadjikistan et aux États-Unis, organisés par le département d’État dans le cadre d’un programme d’aide à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité diplomatique. Cette information a été rapportée par Khalimov lui-même dans une vidéo diffusée par l’OEI et confirmée par le département d’État américain.

Le 23 avril 2015, il a cessé de se présenter au travail. En mai 2015, une vidéo de Furat, la chaîne TV de l’OEI en Syrie, est apparue sur les réseaux sociaux avec un message en russe de Khalimov, qui déclarait s’être rangé du côté de l’OEI. Il a accusé les autorités tadjikes de dénigrer et d’opprimer les musulmans. Il a également appelé les travailleurs migrants en Russie à ne pas être « les esclaves des infidèles », mais à devenir « les esclaves d’Allah », à rejoindre le djihad et l’OEI. Khalimov a ensuite promis de retourner au Tadjikistan et d’y établir la charia. En juin 2015, une photo de Khalimov blessé, sur un lit, plâtré et avec un bandage sur la tête, est diffusée sur Internet.

Le Bureau du procureur général du Tadjikistan a ouvert une procédure pénale contre Khalimov en vertu de trois articles du Code pénal : trahison envers l’État (article 305), participation à une communauté criminelle (partie 2 de l’article 187) et participation illégale à des conflits armés dans d’autres États. (partie 2 de l’article 401). Les autorités de Douchanbé ont qualifié Khalimov de « traître qui a trahi sa patrie, ses enfants et son père », de malade mental après son départ pour l’OEI. Le communiqué du Bureau du procureur a déclaré qu’il avait trahi le serment de l’officier, « exploitait l’argent des clients dans une performance vidéo » et qu’il justifiait les crimes des terroristes se cachant derrière l’islam. Khalimov a nié être fou. À la demande de son frère, Saïdmurod Khalimov (fonctionnaire du ministère de la Justice avec rang de lieutenant-colonel) lui proposant de revenir et de comparaître devant la justice, Khalimov a répondu que si son frère s’opposait à lui et devenait un « infidèle », il lui couperait la tête.

Dans une vidéo diffusée par l’OEI, Khalimov a traité les Américains de « porcs », les accusant de détruire l’islam et déclarant qu’il s’était rendu trois fois aux États-Unis et avait vu des Américains entraîner leurs soldats « à tuer des musulmans ». Le département d’État américain s’est dit préoccupé par le fait que les compétences acquises par l’ancien officier des OMON pourraient être utilisées contre les États-Unis eux-mêmes[3].

En 2015, Khalimov a été sanctionné par le département d’État américain et en 2016 par le Conseil de sécurité de l’ONU. En août 2016, le département d’État américain a offert une récompense pouvant aller jusqu’à trois millions de dollars pour toute information permettant de le localiser.

En septembre 2016, Khalimov est devenu le chef militaire de l’OEI et « ministre » de la Guerre, en remplacement du Tchétchène Omar al-Chichani, précédemment tué.

Le 8 septembre 2017, le ministère russe de la Défense a annoncé que Khalimov était mort lors d’un raid des forces aériennes russes dans la région de Deïr ez-Zor dans l’est de la Syrie.

 

Shamsud-Din Jabbar

Le terroriste de La Nouvelle-Orléans, Shamsud-Din Jabbar (ou Shamud-Din Bahar Jabbar) est né le 26 octobre 1982, à Houston au Texas dans une famille afro-américaine, pratiquante baptiste assidue. Son père s’est ensuite converti à l’islam, changeant son nom de famille de Young en Jabbar et donnant également à certains de ses enfants des prénoms arabes. Pourtant, les membres de la famille ont continué à mener une vie essentiellement laïque et ceux restés chrétiens, dont sa mère, ont continué à fréquenter une église baptiste locale.

Shamsud-Din Jabbar a vécu une grande partie de son enfance à Beaumont dans l’est du Texas. Il a ensuite servi dans l’armée américaine entre 2007 et 2015 (puis dans la réserve jusqu’en 2020), où il était spécialiste des ressources humaines et des technologies de l’information. Il a été déployé en Afghanistan en 2009, où il a atteint le grade de sergent-chef, avant d’être libéré de sa mission avec les honneurs un an plus tard[4]. Il a ensuite fréquenté l’Université d’État de Géorgie de 2015 à 2017, avant de devenir en 2020 agent immobilier.

D’après les contacts en Afghanistan de l’expert russe Andreï Serenko, Jabbar aurait cependant effectué, après 2020, un ou plusieurs voyages « discrets » pour « suivre une formation dans deux camps de l’OEI-K, dans la province de Nangarhar, dans l’est de l’Afghanistan ». Là, il aurait fréquenté les centres de formation de l’OEI-K dans les districts d’Atchin et de Shinwar, « où seraient créés des groupes spéciaux pour former des terroristes censé mener ensuite des attaques terroristes ciblées sur le territoire des États-Unis ». Il ne serait pas le seul citoyen américain à y être passé, puisque « les formations dans le cadre de ce programme s’effectuent généralement en groupes de trois, cinq ou sept personnes. Les membres de chacun de ces groupes ne connaissent que leurs associés ; ils ne croisent pas les membres d’autres groupes. Cela permet de garantir un haut niveau de secret : l’échec d’un groupe n’affectera en rien les autres »[5].

Le drapeau djihadiste de l’OEI trouvé à l’arrière de son pick-up, monté à l’envers, montre que Jabbar ne connaissait toutefois pas l’arabe et que le processus de radicalisation, certes très avancé, était donc toujours en cours.

 

Les enseignements pour la communauté internationale

La comparaison de ces deux profils, différents de par leur origine et leur pedigree professionnel, est cependant intéressante à établir pour l’étude de deux points précis :

L’analyse de leur radicalisation rapide. Elle s’est produite en quelques mois et est similaire au processus de radicalisation de nombreux autres combattants djihadistes, y compris d’anciens militaires. Elle pose les mêmes questions partout dans le monde. Cette radicalisation est-elle initialement intervenue par Internet ou par des passages sur les terrains du djihad ? Pourquoi ces signaux n’ont pas été découverts par les armées nationales ? Comment détecter le plus en amont possible tout phénomène de takiia (dissimulation) dans les armées nationales ? Comment prémunir tout phénomène d’entrisme islamiste et protéger tout secteur sensible dans les armées sans tomber dans la discrimination religieuse vis-à-vis de l’islam ?

Le transfert des techniques et des secrets militaires des armées aux organisations djihadistes. En effet, contrairement à Al-Qaïda et à la plupart des filiales de l’OEI, continuant d’agir selon un schéma d’actions classiques reposant sur la guérilla, le rapt et la rançon, la garde prétorienne du « calife » Omar al-Baghdadi, constituée de combattants russophones, puis l’OEI-Khorasan (OEI-K), ont apporté une technicité opérationnelle et logistique avancée au djihadisme international, grâce à leur expérience acquise au sein de l’Armée rouge,

Ce transfert de compétence s’est d’abord fait au profit des mouvements djihadistes locaux, qui sont devenus après 2014 les filiales de l’OEI-K : en 1997, Djuma Namangani, ex-parachutiste ouzbek des troupes spéciales rejoint le Mouvement islamiste d’Ouzbékistan (MIO) ; il sera suivi en 2006, par l’ancien ministre tadjik des Situations d’urgence, le lieutenant-général Mirzo Ziioiev en 2006,

Puis, à partir de 2015, Khalimov rejoint l’OEIK ; en 2016, c’est au tour de l’Ouzbek kirghizstanais Soukhrob Baltabaev, alias Abou Rofik, fondateur de la SMP djihadiste Malhama Tactical. Ils seront imités par de hauts cadres locaux (provenant du Haut-Badakhchan tadjik) des OMON et du Commando Alpha du ministère de l’Intérieur du Tadjikistan…, tous passés du jour au lendemain avec armes, bagages, hommes et expérience militaire au service du djihad.

En raison de leurs compétences reconnues par l’OEI, ces combattants russophones se sont vu confier des postes et des missions spécifiques, notamment, à partir de 2014, la direction de l’armée de l’air de l’OEI en Syrie, après la prise de quatre appareils (Sukhoï et Mig) sur la base aérienne d’al-Tabka, près de Deïr Ez-Zor. Les combattants tadjiks ont par ailleurs créé, deux ans plus tard, Malhama Tactical, la première SMP offrant ses services – contre rémunération – de logistique, de formation et d’entraînement aux unités combattantes de l’OEI, puis aujourd’hui de l’OEI-K.

Les combattants tadjiks, réputés pour leur bravoure au combat, étaient alors directement rattachés à l’OEI-Central et non pas à l’OEI-K, qui existait pourtant déjà, assurant la garde prétorienne d’Al-Baghdadi[6]. La nomination de Khalimov comme « ministre » de la Guerre de l’OEI en 2016 a parachevé la domination des Tadjiks sur les structures militaires de l’organisation terroriste en Syrie. La chute de l’OEI à Baghuz, en Syrie, en mars 2019, a ensuite amené les combattants tadjiks les plus aguerris à s’installer au nord de l’Afghanistan et à agir depuis pour le compte exclusif de l’OEI-K et de ses filiales (Mouvement islamiste d’Ouzbékistan, Ansarullah, Djund al-Khalifat[7]…).

Quelques années plus tard, fin 2024, des unités combattantes du Parti islamiste du Turkestan (PIT) et d’Al-Tawhid wal-Djihad (plus communément appelé Djannat Ochiklari) restées près d’Idlib en Syrie, ont été les fers de lance de la prise de la ville d’Alep, puis de la chute du régime de Bachar al-Assad[8].

Plus inquiétant encore est le démantèlement partiel du SORM[9], dû à la privatisation de certaines de ses fonctions au Tadjikistan et au Kirghizstan. Il n’est en effet pas exclu que parmi les nouveaux sous-traitants chargés de ces missions, il y ait des hommes à la religiosité prononcée, qui pourraient communiquer à l’avenir des renseignements importants collectés par ces deux États – voire par d’autres – à l’OEI-K.

Si Shamsuddin Jabbar n’a probablement jamais rencontré Gulmurod Khalimov, il est certain que le colonel tadjik devenu djihadiste a représenté pour lui un exemple à imiter. Depuis la défaite de l’État islamique en Syrie en 2019, l’ancienne filiale Khorasan de l’OEI a hérité des attributs de son ancienne maison-mère – selon la volonté et le testament d’al-Baghdadi – et a déplacé vers le nord de l’Afghanistan le siège central de l’organisation en charge de rétablir le « califat mondial ».

Jabbar aurait-il rencontré durant ses formations afghanes d’anciens hauts-gradés militaires tadjiks (voire ouzbeks) passés au service de l’OEI-K et de ses filiales ? Aurait-il échangé avec eux sur les dernières innovations tactiques et technologiques des armées dela région ?

Toujours est-il que l’étude comparée des parcours de Khalimov et de Jabbar nous apprend qu’il est aujourd’hui malheureusement évident que les djihadistes, tirent parti depuis longtemps des dissensions entre les pays occidentaux et ceux se trouvant dans les sphères d’influences russe et chinoise. Leur incapacité à coopérer efficacement et à aplanir leurs divergences diplomatiques pour combattre la pieuvre djihadiste permettent aux partisans du djihad de garder une longueur d’avance sur les États.

Les similitudes entre les cas de Khalimov et de Jabbar posent enfin la question de la fuite de savoir-faire sensibles des armées nationales. Après avoir acquis des connaissances et des savoirs, les terroristes les utiliseront contre elles, tant pour améliorer les performances des forces djihadistes que pour contrer celles des États grâce à la connaissance de leur organisation, de leurs tactiques et de leurs méthodes. Face à la radicalisation islamiste qui se développe dans tous les pays, le devoir de chaque État est de trouver urgemment des solutions pour s’en prémunir et de développer une coopération multilatérale et dépassant les clivages nationaux et diplomatiques traditionnels.


[1] 14 personnes sont tuées et près de 36 blessées avant que le criminel ne soit abattu par la police.

[2] Police anti-émeute et antiterroriste.

[3] Le 30 août 2016, le sous-secrétaire d’État adjoint américain, Kurt Rice, a souligné que Gulmurod Khalimov représentait réellement un danger pour les États-Unis et le Tadjikistan. « Au cours des formations, il s’est familiarisé avec les méthodes de lutte contre le terrorisme et peut mettre en pratique les compétences acquises, mais contre nous », a-t-il déclaré aux journalistes tadjiks lors d’une conférence téléphonique depuis Washington (https://rus.ozodi.org/a/27954849.html).

[4] Il a reçu plusieurs décorations, dont la Global War on Terrorism Service Medal, récompensant les soldats ayant participé la « guerre contre le terrorisme » après les attentats du 11 septembre 2001.

[5] https://t.me/anserenko/7679. Les allégations de Serenko ont été confirmées par l’agence d’information ouzbèke Vesti.Uz(https://vesti.uz/diversanta-protiv-ssha-podgotovili-v-afganistane).

[6] Giustozzi Antonio, The Islamic State in Khorasan, Éd. Hurst, Londres, 2018, p. 143.

[7] La France, lourdement affectée par les attentats terroristes islamistes par le passé, n’est bien sûr pas épargnée par la menace du « djihadisme technicisé ». C’est justement le Djund al-Khalifat, organisation djihadiste kazakhstanaise, devenue depuis 2015 une filiale de l’OEI-K, qui avait « formé » en 2011-2012 Mohamed Merah, exactement de la même manière que celle décrite par Serenko pour la « formation » de Jabbar par l’OEI-K treize ans plus tard. Fin 2024, lors de la prise d’Alep, on a appris que des combattants du groupe d’Omar Diaby (Omsen), dont un djihadiste français opérant en Syrie au sein d’Al-Qaïda depuis 2012, s’étaient illustrés dans la prise de la ville aux côtés du PIT, dont ils ont su utiliser les techniques.

[8] Composé de djihadistes ouïghours, le PIT est passé en novembre 2024 sous la tutelle d’Ansarullah, la filiale tadjike de l’OEI-K ; la Djannat Ochiklari est formée de combattants ouzbeks kirghizstanais de la ville d’Och (Kirghizstan), restée fidèle à Al-Qaïda.

[9] Le « Système dédié aux activités d’enquêtes opérationnelles » (SAEO), plus connu sous son acronyme russe SORM, est le plus important des systèmes de surveillance de haute technologie. Il comprend de nombreux moyens techniques utilisés pour surveiller le trafic entrant et sortant et effectuer des recherches opérationnelles sur les réseaux radiophoniques, télégraphiques, téléphoniques et Internet. Ce système permet notamment de garder une trace des informations transmises et d’écouter les conversations téléphoniques. Certaines parties du SORM ont été privatisées et réparties entre onze agences privées, le plus souvent des opérateurs téléphoniques. Au Tadjikistan, les sites web gouvernementaux, très mal sécurisés, sont souvent la cible d’attaques (en janvier 2016, le site officiel du ministère de l’Éducation et des Sciences avait été piraté et la page de titre remplacée par les symboles et l’hymne du groupe djihadiste baloutche Djundullah).

Menaces sur l’industrie d’armement française

Présentation : Le Groupe “Vauban”, est composé d’experts des questions de Défense soucieux de préserver la souveraineté nationale notamment dans le domaine stratégique de l’industrie d’armement.
Les deux articles ci-dessous, parus fin 2024 dans La Tribune, ont pour objet d’alerter et de sensibiliser les Français sur les conséquences des opérations  de recomposition envisagées et en cours des alliances dans l’industrie d’armement européenne.
Selon les conclusions de l’analyse très argumentée réalisée par le Groupe “Vauban”, la situation de l’industrie de défense française, atout majeur de la souveraineté de notre pays en sortirait très affaiblie.

***

L’Europe coalisée contre la France
Les deux Bruxelles contre la France
(1/2)

Où va l’Union européenne dans le domaine de l’industrie de la défense ? Selon le groupe Vauban, la création d’un marché unique au niveau européen ouvrira la porte aux industriels américains, israéliens et sud-coréens avec la création d’une autorité centralisée européenne de l’industrie de défense. Elle permettra une « coordination améliorée pour agréger l’acquisition de systèmes américains par des groupes d’États-Membres de l’UE », selon une recommandation du rapport Draghi. C’est pour cela que la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a souligné le rôle de l’Otan qui est, selon elle, « la colonne vertébrale » de la défense commune.

Dans sa longue histoire, la France s’est régulièrement retrouvée seule face à une Europe coalisée contre elle : la force de son État-nation, de son génie diplomatique et militaire et de son rayonnement culturel lui a toujours permis d’y faire face. Les guerres de Louis XIV puis celles de la Révolution et de l’Empire, jusqu’aux décisions diplomatiques et militaires du général de Gaulle, en témoignent. L’Histoire se répète aujourd’hui sous d’autres formes, moins épiques mais tout aussi décisives : la résurrection de la Communauté Européenne de Défense de 1952, l’alliance germano-italienne dans le domaine terrestre (avant son prolongement ultérieur dans le domaine naval), et l’accord germano-britannique de Trinity House, prenant à revers le Traité de Lancaster House et celui d’Aix-la-Chapelle, en sont trois récentes manifestations.

Au terme de ces développements, la France n’est nulle part dans une Europe qu’elle prétend pourtant bâtir mais qu’elle n’a ni volonté ni constance pour la guider vers le sens de ses intérêts.

Bruxelles la fédérale ou la « volière des cabris »

L’âme de la première coalition anti-française est à Bruxelles. S’arrogeant des compétences qu’aucun traité ne lui reconnaît, la Commission européenne, pourtant gardienne des traités, use et abuse des mêmes procédés, dénoncés en son temps par la France lors de la politique de la chaise vide (mai – juillet 1965) : utilisant avec zèle son droit d’initiative, elle prend prétexte du marché intérieur pour réglementer le domaine de la Défense, sanctuaire pourtant exclusif des États-nations.

Avec ses manières à la fois arbitraires et bureaucratiques mais toujours opaques, car avançant masquée, elle promet à ce secteur le même sort que les autres domaines dont elle s’est occupée depuis 1958 : la ruine totale au profit de la concurrence extra-européenne. L’agriculture, les transports, l’énergie, la métallurgie, l’automobile ont été sacrifiés sur l’autel de ses décisions et de ses convictions : les mêmes remèdes produisant les mêmes causes, la Défense ne fera pas exception.

En ce sens, le rapport Draghi et la nomination d’un Commissaire européen à la défense accélèrent le processus, amorcé en 1952 avec la CED. La marche fédérale de von der Leyen consiste en cinq étapes claires dont la caractéristique commune est de reposer sur des principes tous aussi faux que néfastes aux systèmes de défense de chaque État-membre :

L’Europe sous les fourches caudines américaines

Ce schéma n’est ni imaginaire ni exagéré : c’est très exactement l’Europe de la Défense que dessine le rapport Draghi et que M. Kubilius s’efforcera, pas à pas, de concrétiser durant son mandat. En ruinant assurément le secteur de l’industrie d’armement en Europe, il détruira l’objectif même recherché : la défense de l’Europe par elle-même. Que nombre d’États-membres n’aient pas protesté, se conçoit : comme le disait le général De Gaulle [1], « les Allemands, les Italiens, les Belges, les Pays-Bas sont dominés par les Américains ».

Mais il est tragique de constater qu’en France, il n’y aura plus communistes et gaullistes – ou un Mendès-France – pour faire échec à cette CED nouvelle version. Les communistes ont disparu et les gaullistes, depuis Jacques Chirac, se sont ralliés à la fédéralisation de l’Europe tout en maintenant la doctrine de dissuasion française, refusant de voir que l’une sacrifie délibérément l’autre. Aucun parti, y compris le RN, ne va jouer le rôle-clé qu’il aurait pu jouer sur ce dossier, à l’instar de celui joué par le gaullisme en 1954.

Cette marche à la supranationalité ne sera donc pas freinée par les États-membres sans géopolitique ni par les partis souverainistes sans courage, mais bel et bien recadrée par ceux-là même à qui elles profitent in fine : l’OTAN et les Etats-Unis, car ce que Madame von Der Leyen n’a pas voulu voir ou dire, c’est que sa CED à elle, en faisant doublon à l’OTAN, se condamne d’elle-même.

L’Europe ne faisant pas le poids face à l’OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d’opération majeur pour eux quoiqu’en dise) et s’assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense. « To get the U.S in, the Soviets out and the Germans down » : cette définition cynique de l’OTAN formulée par le premier Secrétaire-Général de l’OTAN, Lord Ismay, reste toujours d’actualité.

L’Europe de la défense de Mme von der Leyen se dissoudra donc dans le pilier européen de l’OTAN, donnant ainsi raison au général De Gaulle : « Vous savez ce que ça veut dire, la supranationalité ? La domination des Américains. L’Europe supranationale, c’est l’Europe sous commandement Américain » [2].

La seule initiative qui subsistera sera la communautarisation forcée de l’industrie de défense des États-membres, annoncée dès le 8 juillet 2017 par Mme Goulard, éphémère ministre de la Défense française : « Si nous voulons faire l’Europe de la défense, il va y avoir des restructurations à opérer, faire des choix de compatibilité et, à terme, des choix qui pourraient passer dans un premier temps pour aboutir à privilégier des consortiums dans lesquels les Français ne sont pas toujours leaders ». La perte de souveraineté industrielle assumée est toujours d’actualité si l’on en croit MM. Cingolani et Folgiero, respectivement PDG de Leonardo et de Fincantieri qui ont repris récemment la même antienne…tout en s’assurant que cette Europe industrielle-là se fera sous leur tutelle [3].

Au bilan, la seule « politique de la chaise vide » que la France aura faite, n’a pas été le fruit d’une décision d’un ministre de la Défense français qui s’affiche gaulliste, mais de quelques industriels tricolores qui ont refusé de signer leur arrêt de mort sur l’autel de la fédéralisation de l’industrie d’armement. Deux d’entre eux sont les maîtres d’œuvre de la dissuasion : ce n’est pas un hasard tant la CED de Mme von Der Leyen est négatrice de la doctrine de dissuasion nationale qui suppose la souveraineté intégrale et non la servitude volontaire aux deux Bruxelles.

[1] C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte, Tome II, page 296
[2] Op.cit.
[3] Propos extrêmement clairs de M. Cingolani, Corriere della Serra, 27 octobre 2024, liant perte de souveraineté et leadership« Dans l’espace, comme dans la défense, ce qui est petit n’est pas beau et même une taille moyenne comme la nôtre ne suffit pas : les entreprises européennes doivent s’allier, sacrifiant leur souveraineté sur le petit marché intérieur pour pouvoir rivaliser ensemble sur l’immense marché mondial. Leonardo fait office de sherpa dans ce domaine et avec Rheinmetall, nous avons atteint un premier sommet historique ».

***

L’Europe coalisée contre la France
L’Allemagne, l’âme des coalitions de revers
(2/2)

Après avoir exploré les pièges de la résurrection de la Communauté européenne de défense de 1952, le groupe Vauban décrypte la stratégie de marginalisation de la France par l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne avec l’alliance entre Berlin et Rome dans le domaine terrestre et l’accord de Trinity House avec Londres.

L’âme de la deuxième coalition est, sans surprise, à Berlin même. Poursuivant sa politique de champions nationaux (Diehl dans les missiles ; OHB dans le spatial ; Rheinmetall plus que KMW, dans les blindés ; Hensoldt dans l’électronique de défense ; TKMS dans le naval ; Renk et MTU dans la propulsion) et de récupération des compétences qui lui font encore défaut (propulsion spatiale, satellites d’observation et aéronautique de combat et missiles), l’Allemagne a compris depuis les années 90 qu’elle obtiendrait beaucoup plus d’une France récalcitrante en faisant des alliances de revers que par la négociation directe.

En ce sens, l’actualité récente est la réédition des années 1997 à 2000, années où Berlin a proposé à Londres des fusions de grande ampleur : Siemens avec BNFL, bourse de Francfort avec celle de Londres, DASA avec British Aerospace. A chaque fois, il s’agissait moins de forger des alliances de revers que de faire pression sur la France. Trop faible pour voir clair dans ses intérêts et le jeu de ses concurrents, trop altruiste pour voir toute la naïveté et la portée de ses actes, la France de Lionel Jospin a offert la parité à l’Allemagne dans le domaine de l’aéronautique, elle qui n’en demandait au mieux que le tiers (qu’elle pesait au demeurant très justement…).

L’Allemagne, l’âme des coalitions de revers

Avec ses alliances en Italie (dans le domaine des blindés) et au Royaume-Uni (sur l’ensemble des segments), Berlin tend à Paris de nouveau le même piège : « cédez sur le MGCS et le SCAF, ou nous actionnons l’alliance de revers ». L’Europe de l’industrie d’armement qui se prépare, n’est en réalité qu’une coalition contre les thèses françaises dans la Défense et son indispensable corolaire, l’armement. Nulle surprise dans ce constat : dominant ses concurrents militaires et industriels grâce à l’héritage gaullien, possédant le sceptre nucléaire qui lui ménage une place à part dans le concert des grandes nations, influente par son siège au Conseil de sécurité aux Nations-Unies et ses exportations d’armement, la France est le pays à ramener dans le rang des médiocres aigris et jaloux et de la petite bourgeoisie de la défense européenne.

Rien de nouveau sous le soleil européen puisque, si l’on en croit Alain Peyrefitte, le général De Gaulle faisait déjà cette analyse : « Pour la dominer aussi, on s’acharne à vouloir la faire entrer dans un machin supranational aux ordres de Washington. De Gaulle ne veut pas de ça. Alors, on n’est pas content, et on le dit à longueur de journée, on met la France en quarantaine. » (13 mai 1964).

La menace Rheinmetall

Marginalisée depuis la création de KANT puis de KNDS, méprisée voire sacrifiée en France même par le gouvernement de François Hollande en 2015 avec la complicité des députés UMP, l’industrie terrestre nationale ne vit que par des îlots (canons, tourelles, obus), ayant abandonné les chars (sans que la DGA ne réagisse en 2009 lors de la suppression de la chaîne Leclerc par Luc Vigneron), les véhicules blindés chenillés (choix très contestable du tout-roues), l’artillerie à longue portée et saturante ; écrasée par la férule de Frank Haun, désormais noyé dans KNDS France sans trop oser se défendre lui-même, Nexter est menacé de disparition par la double alliance KMW/Rheinmetall au sein du MGCS et Rheinmetall/Leonardo dans l’ensemble des segments.

Aveuglé par le couple franco-allemand, Paris n’a pas accordé assez d’attention à la montée en puissance de Rheinmetall, vrai champion du terrestre allemand, qui, par commandes et acquisitions, se retrouve enraciné en plein milieu du jeu allemand (comme future actionnaire de TKMS et bras armé de la politique ukrainienne de Berlin), et de la scène européenne qu’il a conquise pas à pas : en Hongrie d’abord, puis au Royaume-Uni, en Lituanie, en Roumanie, en Ukraine, en Croatie et désormais en Italie, sans oublier d’établir la relation transatlantique (avec Lockheed Martin sur le F-35, avec Textron sur la compétition Lynx et en achetant le constructeur Loc Performance Products). La toile tissée par Rheinmetall en Europe est une véritable coalition contre les positions françaises.

Un partage de l’Europe sans la France

Le même coup de faux se prépare avec l’accord germano-britannique de Trinity House qui, même s’il ne réalisera pas toute ses prétentions faute de compétences et de moyens, érige un axe concurrent durable et redoutable dans des domaines clés pour la France : le nucléaire, les systèmes de missile à longue portée, les drones d’accompagnement des avions de combat de future génération, la robotique terrestre, la patrouille maritime.

Fidèles serviteurs de l’OTAN et de Washington, animés d’un désir de mettre la France en position d’infériorité militaire et industrielle, les coalisés se sont partagés l’Europe : à l’Allemagne, la défense du flanc Nord de l’OTAN ; à l’Italie, la défense du flanc Sud joignant théâtre de la Méditerranée orientale à l’Asie-Pacifique ; au Royaume-Uni, la Turquie, la Pologne et les pays baltes en liaison avec l’Allemagne. Les contrats industriels suivent les diplomates, avec une moisson gigantesque de chars de combat Leopard, de véhicules blindés Boxer, de l’artillerie RCH-155, de véhicules blindés de combat d’infanterie Lynx et de chars Panther et de systèmes sol-air (22 pays membres de l’initiative allemande ESSI).

La France nulle part dans l’Europe qu’elle prétend bâtir

Au bilan, la France est nulle part dans cette Europe qu’elle prétend pourtant bâtir ; elle n’a pas eu le courage politique de s’opposer aux dérives illégales de la Commission européenne en pratiquant la politique de la chaise vide ; son gouvernement est un mélange instable de fédéralisme affirmé, d’atlantisme assumé et de gaullisme à éclipses : comment pourrait-il mener une autre politique que celle « du chien crevé au fil de l’eau » (De Gaulle) consistant à se couler avec facilité et confort dans le mainstream institutionnel otanien au nom de l’Ukraine ? Comme lors de la IVe République, ses partis politiques sont occupés à la tambouille politicienne et ne pensent plus le monde selon les intérêts nationaux mais selon les intérêts de l’OTAN, de l’Ukraine et d’Israël.

Alors que la France s’épuise en débats stériles politiciens dans un régime devenu instable (les deux vont de pair), ses positions stratégiques en Europe se dégradent :

Le pire est que ces développements ont été portés par la classe politique elle-même qui les a encouragés à coup de proposition de « dialogue sur la dissuasion », « d’autonomie stratégique européenne » ou de programmes en coopération mal négociés, en mettant de côté les aspects gênants comme les divergences de doctrine, de niveau technologique et d’analyses sur les exportations.

Le pire est également que ces développements se profilent au moment même où la France, faute de limiter son gouvernement aux seuls domaines régaliens et de créer la richesse au lieu de la taxer et de la décourager, n’a plus les moyens de sa défense : comment celle-ci pourrait-elle en effet continuer de résister à la dérive des finances publiques, à la sous-estimation systématique de tous ses besoins (des capacités négligées aux infrastructures délaissées en passant par les surcoûts conjoncturels prévisibles mais ignorés) et à la mauvaise gestion de ses finances propres (comme en témoigne le montant faramineux des reports de charges) ?

Si la LPM est officiellement maintenue en apparence, ses fondements financiers, déjà minés dès sa conception par un sous-financement général, apparaissent pour ce qu’ils sont : insuffisants à porter le réarmement national de manière durable et soutenu. Faudra-t-il comme Louis XIV vendre l’argenterie royale ? Faudra-t-il vendre des biens nationaux comme la Révolution le fit dans son incurie ? Ou lui faudra-t-il écraser d’impôts les Français comme le Premier Empire s’y est résigné pour éviter l’emprunt ?

Une révision drastique de ses alliances

La rupture avec les deux Bruxelles est la double condition de la renaissance nationale. Face à l’Europe coalisée contre son système de défense, la France n’aura pas d’autre choix qu’un sursaut passant par une révision fondamentale du rôle de l’État, c’est-à-dire la réduction drastique de ses interventions sociales et économiques ruineuses et inefficaces, et d’une révision complète de son cadre d’alliances, afin que celles-ci la fortifient au lieu de l’atrophier.

La guerre froide n’a pas empêché ni la politique de la chaise vide ni le retrait du commandement intégré de l’OTAN, c’est-à-dire de quitter les deux Bruxelles au profit d’une politique du grand large, et pourtant le général de Gaulle qui a pris ces deux décisions majeures, n’était ni irresponsable ni irréfléchi. Les fruits de la grande politique qu’il a voulue, sont connus : un rayonnement considérable de sa diplomatie et de ses exportations d’armement.


Groupe Vauban*
Article paru dans « La Tribune »
04 et 05/11/2024

[*] Le groupe Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.

Scandale Starlink : une antenne clandestine découverte sur un navire de guerre américain

Scandale Starlink : une antenne clandestine découverte sur un navire de guerre américain

par Nicolas Egon – armees.com – Publié le

Scandale Starlink : une antenne clandestine découverte sur un navire de guerre américain
Scandale Starlink : une antenne clandestine découverte sur un navire de guerre américain | Armees.com

Le 1er janvier 2025, une information surprenante a émergé : une antenne Starlink a été découverte sur un navire de guerre américain en opération dans le Pacifique. Ce scandale, qui mêle technologies civiles et enjeux militaires, suscite une controverse majeure.

Un réseau Wi-Fi suspect qui mène à une découverte inédite

L’affaire a débuté avec la détection d’un réseau Wi-Fi au nom atypique, « STINKY », par des techniciens de la Marine. Ce réseau, qui semblait déplacé dans un environnement aussi strictement contrôlé, a rapidement éveillé les soupçons. Une enquête approfondie a révélé la présence d’une antenne Starlink installée de manière non autorisée sur le bâtiment militaire.

Les premières investigations indiquent que des membres d’équipage auraient, de manière indépendante, installé cette antenne pour bénéficier d’un accès Internet haut débit, souvent absent ou restreint à bord des navires militaires. Une telle initiative soulève des questions de sécurité critique.

Starlink : une technologie en plein essor, mais controversée

Lancée par SpaceX, l’entreprise d’Elon Musk, Starlink est un réseau satellitaire destiné à fournir un accès Internet dans des régions reculées ou mal desservies. Si cette technologie a démontré son utilité dans des zones de crise, elle devient une source de préoccupation lorsqu’elle s’invite dans des environnements stratégiques.

Voici quelques caractéristiques techniques et implications de cette technologie :

Caractéristiques Implications
Réseau global de satellites LEO Couverture mondiale, y compris dans des zones isolées.
Haut débit (jusqu’à 200 Mbps) Permet des communications rapides et continues.
Installation simplifiée Risque d’utilisation clandestine dans des contextes sensibles.
Cryptage des données limité Vulnérabilité potentielle face à des cyberattaques.

Une atteinte à la sécurité nationale

L’installation non autorisée de cette antenne met en lumière des failles graves dans les protocoles de sécurité. Les implications sont nombreuses :

  • Risques de cyberespionnage : Les signaux émis par Starlink pourraient potentiellement être interceptés par des puissances étrangères, compromettant des communications sensibles.
  • Violation des règlements militaires : L’usage d’équipements non validés par la hiérarchie constitue une entorse grave aux règles de discipline.
  • Dépendance technologique : Cette affaire souligne la dépendance croissante aux technologies civiles, même dans des contextes militaires.

Un expert en cybersécurité, interrogé sur cette affaire, a déclaré : « L’usage de technologies commerciales non contrôlées dans des environnements militaires expose les forces armées à des vulnérabilités imprévisibles. »

Pourquoi cette affaire est-elle si préoccupante ?

L’introduction clandestine d’une antenne Starlink met également en lumière les défis croissants liés à l’intégration de technologies commerciales dans le domaine militaire. Cela soulève une série de questions :

  • Comment un tel dispositif a-t-il pu être installé sans être immédiatement détecté ?
  • Quels autres équipements non autorisés pourraient être présents à bord ?
  • L’armée américaine doit-elle renforcer ses audits internes pour éviter de tels incidents ?

Répercussions potentielles

Le scandale Starlink dans le Pacifique pourrait avoir des répercussions importantes :

  • Renforcement des protocoles : Des mesures strictes seront probablement mises en place pour surveiller l’usage des technologies civiles sur les navires.
  • Impact sur les relations internationales : Si des informations sensibles ont été compromises, cela pourrait affecter les alliances militaires.
  • Débat public : Cette affaire alimentera certainement le débat sur la sécurité et la régulation des nouvelles technologies.

Les commandants russes de la guerre en Ukraine : purges, remaniements et mécontentements

Les commandants russes de la guerre en Ukraine : purges, remaniements et mécontentements

Notes

Image de couverture de la publication
Les commandants russes de la guerre en Ukraine, Pavel Baev

Les remaniements du haut commandement militaire russe au cours de la guerre en Ukraine ont eu lieu de manière inégale, aussi bien dans le temps que dans les structures des forces armées. Les motifs et le calendrier des décisions prises par Vladimir Poutine concernant les cadres de l’armée défient souvent toute logique.

 

Image principale
Vladimir Poutine avec son ministre de la Défense Sergeï Choïgou et son général de l’armée Oleg Salioukov, Moscou, Russie, 9 mai 2019
Vladimir Poutine avec son ministre de la Défense Sergeï Choïgou et son général de l’armée Oleg Salioukov, Moscou, Russie, 9 mai 2019© Free Wind 2014/Shutterstock.com

Par ailleurs, les rares déclarations officielles ne nous en apprennent pas plus que les informations habituellement filtrées venant du gouvernement. Poutine valorise généralement davantage la loyauté à la compétence, ce qui rend ainsi la structure de commandement incapable de faire face aux changements soudains de l’environnement de combat. Le récent remaniement en profondeur et les purges au sein du ministère de la Défense ont entraîné une grave désorganisation bureaucratique de cette structure, dont le rôle est pourtant crucial pour poursuivre l’effort de guerre. L’absence de changements au sein de l’état-major général empêche l’armée de tirer les leçons des expériences passées et sape l’autorité du haut commandement. L’angoisse et la colère des généraux sur la ligne de front, dues à l’incompétence du haut commandement, constituent une source majeure de risque politique. Si le président russe ne peut ignorer ce problème, il est dans le même temps incapable d’y répondre correctement.

 

Pavel K. Baev est chercheur associé au Centre Russie/Eurasie de l’Ifri, chercheur et professeur à l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO), et chercheur associé à la Brookings Institution. Après avoir obtenu un master en géographie politique à l’Université d’État de Moscou (1979), il a travaillé dans un institut de recherche du ministère de la Défense de l’URSS, a obtenu un doctorat en relations internationales à l’Institut des études américaines et canadiennes de l’Académie des sciences de l’URSS (1988), puis a travaillé pour l’Institut de l’Europe à Moscou. Il a rejoint le PRIO en octobre 1992. Il écrit une chronique hebdomadaire pour l’Eurasia Daily Monitor de la Jamestown Foundation.


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Les commandants russes de la guerre en Ukraine : purges, remaniements et mécontentements

L’armée russe est en train de prendre Kurakhove : quelles conséquences sur le front ukrainien ?

Après plus de deux mois de combats urbains, la ville de Kurakhove, dans l’oblast de Donetsk, est sur le point de tomber. La perte d’un quatrième bastion du Donbass en un an ouvre la voie à une poussée russe en direction de l’oblast de Dnipropetrovsk et pourrait conduire à une pression accrue autour de Pokrovsk.

Il aura fallu environ deux mois, depuis la fin du mois d’octobre jusqu’à la fin du mois de décembre, pour que l’armée russe prenne le contrôle de la quasi-totalité de la ville de Kourakhove, dans l’oblast de Donetsk. Seuls les bâtiments industriels, à l’ouest, font encore l’objet de combats aujourd’hui.

  • Kourakhove, qui comptait 18 000 habitants avant la guerre, fait partie des quatre villes moyennes de l’Est du pays capturées par l’armée russe en 2024, aux côtés d’Avdiivka, Selydove et Vuhledar.
  • La chute de la ville ne faisait plus de doutes depuis quelques semaines, alors que les troupes russes progressaient au nord, à l’est et au sud de la ville, menaçant d’encerclement les positions ukrainiennes.
  • Les assaillants russes ont tenté d’éviter autant que possible de se lancer dans des combats urbains lors d’affrontements frontaux qui s’accompagnent souvent d’importantes pertes.

La chute à venir de Kurakhove devrait laisser le champ libre à l’armée russe pour avancer en direction du sud-ouest de Pokrovsk et pour pousser en direction de l’oblast de Dnipropetrovsk, qui concentre d’importantes industries (notamment l’usine de production de missiles et fusées de Pavlohrad et l’usine Pivdenmash de Dnipro, qui produit les missiles de croisière Neptune) 1. Les troupes russes se situent pour le moment à environ 100 kilomètres du centre de l’oblast.

Le risque le plus imminent pour le front ukrainien est Pokrovsk, à 30 kilomètres au nord.

  • Les forces russes tentent depuis plusieurs mois d’encercler la ville par le sud et le nord-est, sans toutefois parvenir à réaliser des percées significatives.
  • Ce manque de réussite pourrait conduire le commandement russe à tenter de réaliser des percées « opportunistes » en direction de l’oblast de Dnipropetrovsk.
  • Pokrovsk constitue, avec Velyka Novossilka, le principal objectif militaire russe en Ukraine suite à la chute de Kurakhove. Le Kremlin poursuit par ailleurs son objectif de capture de la totalité de l’oblast de Donetsk avant d’entamer des négociations de cessez-le-feu avec Kiev.

L’Institute for the Study of War estime que Moscou a capturé 4 168 km2 de territoire au cours de l’année 2024 pour un total de plus de 420 000 pertes — soit environ 102 morts ou blessés par kilomètre carré saisi 2. Le rythme de la progression russe s’est cependant accéléré au second semestre : 56,5 % des gains de l’année ont été recensés au cours de la période septembre-novembre.


Sources
  1. « NYT увидела угрозу « промышленному сердцу » Украины из-за потери Курахово », РБК, 1er janvier 2025.
  2. Angelica Evans, Nicole Wolkov, Kateryna Stepanenko, Nate Trotter, William Runkel et Fredrick W. Kagan, Russian Offensive Campaign Assessment, December 31, 2024, Institute for the Study of War.

La vente du réseau TIM : un chaos stratégique pour l’Italie

La vente du réseau TIM : un chaos stratégique pour l’Italie

par Giuseppe GAGLIANO – CF2R – Note d’actualité N°667 / décembre 2024

https://cf2r.org/actualite/la-vente-du-reseau-tim-un-chaos-strategique-pour-litalie/


Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

Le 1er juillet 2024, TIM a finalisé la vente de son infrastructure réseau au géant américain KKR, qui l’a intégrée dans la société FiberCop. Un mois plus tard, TIM, privée de son réseau, a demandé à FiberCop de lui louer environ 600 000 lignes en fibre optique dans les « zones noires », c’est-à-dire dans les zones à forte densité de clientèle. FiberCop, n’ayant pas ces lignes, s’est tournée vers Open Fiber, le concurrent créé en 2015 par le gouvernement Renzi pour concurrencer TIM sur le marché de la fibre optique. Open Fiber, dans un paradoxe typiquement italien, a proposé ces lignes directement à TIM à un prix réduit. Cependant, TIM est contractuellement obligée de passer par FiberCop pour ce type de service. FiberCop, ayant 90 jours pour répondre à la demande, a déclaré avoir trouvé une solution : louer les lignes d’un autre opérateur, qui les a lui-même obtenues en location auprès d’Open Fiber. Chaque étape ajoute une surcharge de coûts, qui pourrait finalement être supportée par les utilisateurs. Fait notable, l’État italien est actionnaire minoritaire de TIM et de FiberCop et contrôle Open Fiber via la Caisse des Dépôts et Consignations (CDP).

Le gouvernement, dirigé par la Première ministre Giorgia Meloni et le ministre de l’Économie Giancarlo Giorgetti, a approuvé la vente à KKR dans l’espoir de redresser les dettes de TIM et de renforcer les relations avec les États-Unis. L’opération, orchestrée au Palazzo Chigi par le chef de cabinet Gaetano Caputi et Vittorio Grilli de JPMorgan Italie, montre déjà des faiblesses. Actuellement, les relations entre KKR et le gouvernement sont tendues, principalement en raison des attentes élevées de rentabilité du fonds américain, qui a investi environ 4 milliards d’euros pour acquérir 37% de la nouvelle société réseau (le Trésor italien détient 16%). KKR vise une revente rapide de l’actif.

Lors de la cession, TIM et FiberCop ont signé un Master Service Agreement – un contrat de 15 ans reconductible une fois – qui régit les services offerts par TIM, désormais sans réseau. Selon les prévisions, TIM paiera 2 milliards d’euros par an pour l’accès au réseau jusqu’en 2029 ; en 2030, le chiffre passera à 2,1 milliards pour atteindre 2,5 milliards d’euros en 2039. Ce schéma garantit à FiberCop, et donc à KKR, des profits annuels croissants, allant de 2 milliards en 2027 à 2,7 milliards en 2039. TIM est obligée d’acheter les services de FiberCop s’ils sont disponibles et doit résilier les contrats avec d’autres opérateurs si FiberCop propose des services similaires.

L’Autorité italienne de la concurrence a lancé une enquête sur le Master Service Agreement pour une possible violation de la concurrence. Certaines clauses du contrat, telles que sa durée de 30 ans et l’exclusivité et les mécanismes de remise, pourraient nuire aux concurrents. Des correctifs éventuels pourraient réduire la rentabilité de FiberCop.

Open Fiber, pour sa part, a récemment bénéficié d’une augmentation de capital de ses actionnaires, dont le fonds australien Macquarie (qui en détient 40%). La fusion avec FiberCop pour créer un « réseau unique » semble être une solution logique pour éviter les conflits dans le secteur et protéger les investissements de la CDP, qui a déjà dépensé 1,5 milliard d’euros. Cependant, KKR n’est pas favorable à cette fusion, car elle entraînerait des dépenses supplémentaires, telles qu’un Earn-Out de 2,5 milliards d’euros à verser à TIM en cas de fusion avant 2027. De plus, la détermination des parts sociales après la fusion dépendrait de la valorisation des deux sociétés, et KKR pourrait avoir intérêt à dévaloriser Open Fiber, ce qui aurait des répercussions négatives pour la CDP et aggraverait les tensions avec le gouvernement italien.

Dans ce contexte, FiberCop a choisi de payer l’intermédiation d’un autre opérateur pour garantir les services demandés par TIM, risquant d’opérer à perte ou de transférer les coûts supplémentaires à TIM elle-même. Open Fiber, de son côté, a proposé des conditions avantageuses pour attirer TIM, illustrant la concurrence intense dans le secteur. Au final, il est probable que les coûts supplémentaires résultant de cette chaîne d’intermédiation complexe soient supportés par les utilisateurs finaux.

Le cas de TIM et la vente du réseau à KKR ne sont pas une exception isolée, mais plutôt un élément d’un cadre plus large où les fonds souverains et les fonds de Private Equity jouent un rôle de plus en plus central dans la transformation de l’économie mondiale. Ces outils financiers se sont transformés, passant de simples véhicules d’investissement à des instruments de contrôle stratégique, capables d’influencer des secteurs économiques entiers et les choix de politique industrielle de nombreux pays.

Les fonds souverains, en particulier, se sont imposés comme des acteurs clés, gérant d’immenses ressources issues des excédents commerciaux des nations exportatrices d’énergie ou de produits industriels. Les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Norvège et la Chine sont parmi les États qui ont utilisé leurs fonds souverains pour acquérir des participations dans des entreprises stratégiques de secteurs tels que l’énergie, les infrastructures, la technologie et les télécommunications. Ces investissements ne sont pas seulement une question de profit, mais reflètent souvent des objectifs géopolitiques et de Soft Power.

De manière similaire, les fonds de Private Equity tels que KKR, Blackstone et Carlyle, bien que formellement privés, agissent souvent en synergie avec les intérêts des gouvernements de leur pays d’origine. Leur force réside dans leur capacité à mobiliser rapidement des capitaux et à acquérir des actifs stratégiques dans des domaines clés, allant des transports à l’énergie, jusqu’aux télécommunications, comme le montre le cas de TIM. Cependant, ces fonds privilégient généralement une rentabilité à court terme, souvent au détriment des investissements à long terme nécessaires pour la croissance et la stabilité des actifs acquis.

Ce qui émerge, c’est un mécanisme global de contrôle économique. La propriété d’infrastructures critiques comme les réseaux de télécommunications, les ports, les centrales énergétiques et les réseaux de distribution, concentrée entre des mains étrangères, prive les gouvernements nationaux des outils fondamentaux pour planifier et protéger leur développement. Dans de nombreux cas, l’accès aux capitaux étrangers devient une nécessité pour des entreprises lourdement endettées, mais le prix à payer est élevé : la perte de souveraineté économique et décisionnelle.

L’Italie, comme de nombreuses autres nations européennes, doit réfléchir à l’avenir de ce modèle. Continuer à céder des actifs stratégiques au nom d’une logique à court terme risque de compromettre non seulement l’économie, mais aussi la capacité à relever les défis mondiaux avec des outils adaptés et une autonomie décisionnelle.

Les conditions d’une future politique sahélienne

Les conditions d’une future politique sahélienne

Soldats français de l’opération Barkhane en patrouille avec des soldats maliens imbamogoye(Mali) avril 2016 Pascal Guyot/AFP
Editorial de Bernard Lugan publié en janvier 2025

Au Sahel où le retrait français a laissé le champ libre aux GAT (Groupes armés terroristes), la situation est désormais hors contrôle. Face aux massacres de civils les armées locales sont totalement dépassées quand elles ne sont pas complices. Quant aux mercenaires russes, ce n’est pas en multipliant les crimes de guerre qu’ils pourront faire croire aux populations qu’ils sont animés de la « parcelle d’amour » qui était si chère à Lyautey et aux grands coloniaux français…
Il faut bien voir que la catastrophe actuelle résulte de deux principales erreurs de diagnostic faites par les décideurs parisiens : 
1) Avoir cautionné la cuistrerie de ceux de leurs « experts » officiels qui qualifiaient systématiquement de jihadiste tout bandit armé ou même tout porteur d’arme
Alors que nous étions face à un « cocktail » de revendications ethniques, sociales et politiques opportunément habillées du voile religieux, et que le trafic était devenu le poumon économique de populations subissant les effets d’une désertification accélérée par la démographie. D’où la jonction entre trafic et islamisme, le premier se faisant dans la bulle sécurisée par le second.
2) Avoir ignoré les constantes ethno-historico-politiques régionales. 
Un tel refus obstiné de prendre en compte les réalités ethniques s’explique à la fois par l’idéologie et par l’ignorance. Avec pour conséquence que des solutions aussi hors sol que simplistes ont été plaquées sur la complexe, mouvante et subtile alchimie humaine sahélienne. 
En effet, dans ces immensités où le jihadisme surinfecte de vieilles plaies ethno-historiques, présenter comme solution un processus électoral est une farce tragique car il n’aboutit qu’à un sondage ethnique grandeur nature. Quant au discours convenu prônant la nécessité de combler le « déficit de développement » ou encore la « bonne gouvernance », il relève du charlatanisme politique… 
En 2025, si, après avoir été honteusement « éjectée » du Sahel à la suite de l’accumulation des erreurs commises par Emmanuel Macron, la France décidait d’y revenir, ses dirigeants devraient alors bien réfléchir. Ils ne devraient en effet plus voir la question régionale à travers le prisme des idéologies européo-centrées, des automatismes contemporains et des « singularités » LGBT. 
Tout au contraire, il s’agirait pour eux de replacer les évènement dans leur contexte historique régional à travers cette longue durée qui, seule, permet de comprendre qu’ils sont liés à un passé toujours prégnant et qui conditionne largement les choix des uns et des autres. 
Pour le comprendre, on se reportera à mon livre Histoire du Sahel des origines à nos jours.