
Loin d’être une simple mesure commerciale, l’augmentation des droits de douane américains contre l’Europe s’inscrit dans une logique plus vaste et plus inquiétante : celle de la guerre économique.
ÉCONOMIE – La guerre économique des États-Unis contre l’Europe : Une attaque stratégique
Depuis plusieurs décennies, les États-Unis ont perfectionné l’art de la coercition économique, utilisant le commerce, la finance et la technologie comme des armes pour défendre leurs intérêts stratégiques et affaiblir leurs concurrents. L’Europe, longtemps persuadée que l’ouverture des marchés garantissait la prospérité et la stabilité, se retrouve aujourd’hui prise dans un engrenage dont elle n’a pas mesuré la dangerosité.
L’analyse de Christian Harbulot, l’un des plus grands théoriciens de la guerre économique, permet de mieux comprendre la nature du conflit en cours. Contrairement à une vision naïve du commerce international, qui le présente comme un jeu d’échange mutuellement bénéfique, Harbulot démontre que l’économie est avant tout un terrain de confrontation où les rapports de force se jouent avec autant de brutalité que dans les conflits militaires. Si les armes conventionnelles restent silencieuses, la pression exercée sur les secteurs industriels stratégiques, la domination des infrastructures technologiques et la manipulation des règles du commerce international remplacent les batailles d’antan. Dans cette logique, les droits de douane ne sont pas de simples mesures de protection économique : ils sont des instruments de domination et d’affaiblissement ciblé.
La stratégie américaine, sous couvert de protectionnisme, poursuit un objectif clair : réduire la compétitivité des industries européennes pour forcer l’UE à dépendre davantage du marché américain. Ce mécanisme est d’autant plus insidieux qu’il s’accompagne d’un narratif habilement construit, celui d’une Amérique qui cherche à rétablir l’équilibre face à des pratiques commerciales supposément injustes. Pourtant, la réalité est bien différente. Derrière cette rhétorique, Washington impose des barrières à des secteurs où l’Europe excelle – de l’automobile aux technologies vertes, en passant par l’acier et l’aluminium – tout en attirant les industries européennes grâce à des subventions massives et des incitations fiscales. L’Inflation Reduction Act, conçu pour soutenir les entreprises américaines, fonctionne aussi comme un piège qui pousse les entreprises européennes à délocaliser outre-Atlantique, sous peine de perdre en compétitivité.
Mais ce qui frappe le plus, c’est la réaction – ou plutôt l’absence de réaction – de l’Europe. Face à cette offensive économique d’une ampleur inédite, Bruxelles se contente d’exprimer son mécontentement, oscillant entre indignation et vaines menaces de représailles. L’Union européenne, paralysée par ses divisions internes et sa culture du compromis, semble incapable de comprendre qu’elle est engagée dans une bataille dont elle n’a pas choisi les règles. Trop longtemps, elle a cru que la coopération transatlantique était fondée sur des intérêts partagés et une loyauté réciproque. Or, la réalité est toute autre : dans le monde impitoyable de la guerre économique, il n’y a ni amis ni partenaires durables, seulement des rapports de force à gérer.
L’Europe se retrouve donc dans une position critique. Si elle continue de subir sans réagir, elle risque de voir son industrie décliner, ses emplois disparaître et son influence économique s’éroder. Une désindustrialisation progressive, dictée par les règles américaines, la transformerait en simple marché de consommation, dépendant des importations étrangères pour ses biens de haute technologie et ses infrastructures énergétiques. Les États-Unis, maîtres du jeu, imposeraient leur modèle, obligeant les entreprises européennes à s’aligner sur leurs normes et leurs exigences.
Une autre issue serait celle d’une réaction tardive et désordonnée, où l’Europe tenterait, sous la pression des événements, de colmater les brèches en instaurant quelques mesures de protection économique, sans réelle stratégie d’ensemble. Mais ce sursaut ne suffirait pas. La guerre économique exige une vision de long terme, une capacité d’anticipation et une volonté politique qui, jusqu’à présent, ont cruellement manqué.
Pourtant, il existe encore une alternative, celle d’une prise de conscience radicale. Si l’Europe veut conserver son rang, elle doit cesser de jouer un rôle passif et adopter une posture offensive. Cela implique de renforcer ses outils de défense commerciale, de protéger ses industries stratégiques et de cesser de croire que les règles du libre-échange seront respectées par tous. Il s’agit aussi d’investir massivement dans les secteurs clés du futur – intelligence artificielle, semi-conducteurs, énergies renouvelables – et d’empêcher le pillage de ses technologies par des puissances rivales.
Mais plus encore, l’Europe doit comprendre que la guerre économique n’est pas un phénomène temporaire ou une aberration du système, mais bien une dynamique permanente des relations internationales. Le monde ne fonctionne pas sur des principes d’équité, mais sur des logiques de puissance. Tant que cette évidence ne sera pas intégrée dans la pensée stratégique européenne, l’UE continuera à subir les décisions prises ailleurs, incapable de défendre ses propres intérêts.
L’Europe a encore le choix. Mais le temps presse. Loin des discours de façade et des illusions de partenariat, elle doit accepter la réalité : dans le grand affrontement économique du XXIe siècle, seuls les blocs capables de défendre leur souveraineté industrielle et commerciale pourront prétendre à un avenir de puissance. Les autres, eux, seront condamnés à l’effacement progressif.

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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