Un premier régiment de l’armée de Terre doté du Serval

Un premier régiment de l’armée de Terre doté du Serval

– Forces opérations Blog – publié le

Après plusieurs semaines de formation à Mourmelon, instructeurs et primo-pilotes du 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (3e RPIMa) sont rentrés à Carcassonne avec douze Serval dans leurs bagages. Vingt autres exemplaires suivront d’ici la fin de la semaine. 

Le 3e RPIMa en pointe

L’arrivée du Serval au quartier Laperrine, c’est l’aboutissement d’un processus lancé en février 2018 avec la notification d’un marché au groupement momentané d’entreprises formé par Nexter et Texelis. Les deux partenaires ont à ce jour livré 85 véhicules au Centre de formation et de perception unique de Mourmelon. « Le franchissement de tous ces jalons marque le bon avancement des travaux conduits par les industriels, mais c’est aussi une preuve que le Serval est au rendez-vous des performances attendues », soulignait hier la Direction générale de l’armement lors du point presse ministériel hebdomadaire.

« Ce n’est que le début, puisque l’expertise qu’on va apporter, nous, le 3e RPIMa, c’est bien l’expertise sur l’emploi de l’engin, sa capacité de combat, sa capacité de manœuvre, sa capacité de projection pour être les éclaireurs de la 11e BP et, à venir, de la 27e BIM pour l’appropriation du Serval », déclarait pour l’occasion le chef de corps du 3e RPIMa, le colonel Benoît Cussac.

« Ces véhicules sont les matériels majeurs qui illustrent la montée en puissance du programme SCORPION. Le Serval est bien plus qu’un véhicule, c’est un système de combat. Au-delà du transport sous blindage, de sa mobilité, de sa puissance, c’est tout l’environnement qu’il emporte qui va être une plus-value au combat », poursuit le colonel Cussac. 

Autre remplaçant du VAB avec le Griffon, ce véhicule de classe 15-17 tonnes est destiné à équiper en priorité les unités de l’échelon national d’urgence. Il leur garantit l’entrée dans la « bulle SCORPION » via le système d’information du combat SCORPION, embarque huit combattants FELIN en plus de l’équipage et peut être projeté par A400M. « Il est à noter que l’on peut embarquer deux véhicules Serval dans la soute de l’A400M », indique la DGA. 

Nouvelles versions, nouveau calendrier ?

Le Serval sera à terme décliné en quatre versions principales et 29 sous-versions couvrant « un éventail extrêmement large de fonctions opérationnelles ». Pour l’heure, seule la version principale « véhicule de patrouille blindée » est pleinement développée, qualifiée et livrée. Deux autres versions sont en cours de développement : les Serval « surveillance, acquisition d’objectifs, renseignement, reconnaissance » (SA2R), « noeud de communication tactique » (NCT) et « guerre électronique ». Selon le calendrier présenté par la DGA, la première devrait aboutir courant 2024, la seconde en 2026.

« Serval est également l’engin choisi par l’armée de Terre pour combler son parc hétéroclite qui équipe actuellement ses appuis et soutiens spécialisés. Il équipera donc aussi dans un second temps les nœuds de communication tactique, l’artillerie sol-air et la lutte anti-drones », soulignait le commandant Tristan, officier de programme Serval au sein de la Section technique de l’armée de Terre (STAT). Le rôle du Serval dans le renforcement de la défense sol-air était pressenti de longue date, il semble maintenant confirmé. 

Dans les rangs industriels, le sujet a été anticipé. Propositions à la clef, essentiellement durant le dernier Eurosatory. Nexter y dévoilait deux Serval : l’un équipé d’une tourelle ATLAS RC et ses deux missiles Mistral, l’autre du tourelleau téléopéré ARX-30 « maison ». Si la seconde est une proposition, la première relève bien de spécifications soumises par l’armée de Terre.

Pour l’heure, 364 Serval sur les 978 attendus dans le cadre de SCORPION ont été commandés et seront livrés d’ici à septembre 2025. Mais pas un mot sur la suite. Seul indice : un achèvement des livraisons désormais annoncé à horizon 2035, et non plus en 2030 comme auparavant. Signe d’un étalement inscrit dans la loi de programmation militaire à venir ? Un calendrier de livraison lié à cette future LPM 2024-2030 est en tout cas en cours d’écriture, explique l’armée de Terre. Réponse dans quelques semaines pour le détail. 

Crédits image : armée de Terre/3e RPIMa


Vidéo de présentation du Serval : https://www.youtube.com/watch?v=5m1GebRxbNk

Le futur Véhicule blindé d’aide à l’engagement de l’armée de Terre sera-t-il confirmé par la LPM 2024-30?

Le futur Véhicule blindé d’aide à l’engagement de l’armée de Terre sera-t-il confirmé par la LPM 2024-30?

https://www.opex360.com/2023/03/26/le-futur-vehicule-blinde-daide-a-lengagement-de-larmee-de-terre-sera-t-il-confirme-par-la-lpm-2024-30/


 

En effet, selon La Tribune, la cheffe du gouvernement, Elisabeth Borne plaiderait pour des hausses de 3 milliards d’euros par an jusqu’en 2027, ce qui porterait le montant du budget des armées à 55,9 milliards à cette échéance, alors que l’annuité moyenne de la future LPM devrait s’élever à 59 milliards d’euros [recettes extra-budgétaires comprises]. En clair, le gros de l’effort serait à faire après la prochaine élection présidentielle.

D’où les bruits de coursive au sujet de certains projets d’armement, qui pourraient être moins ambitieux que prévu [comme l’hélicoptère d’attaque Tigre Mk3] ou étalés dans le temps [il en serait question au sujet du programme SCORPION].

« Je suis étonné de voir qu’il y a parfois plus d’émotions quand les budgets augmentent que lorsqu’ils diminuaient jadis… J’appelle au sérieux. Ce qui compte est d’avoir une armée efficace où chaque euro soit correctement dépensé. Cette future LPM avec ses 413 milliards d’euros sur sept ans sera tenue, comme nous avons tenu la précédente depuis 2017, à l’euro près, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps. Mais il faut aussi qu’elle soit soutenable budgétairement, et donc crédible militairement », a toutefois fait valoir Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, dans les pages du quotidien Les Échos [édition du 24 mars, ndlr].

Quoi qu’il en soit, certaines rumeurs sont récurrentes. Et le sénateur [LR] Cédric Perrin s’en est fait l’écho lors de l’audition d’Emmanuel Levacher, le Pdg d’Arquus, cette semaine.

« La LPM actuelle marque une remontée en puissance jusqu’ici respectée. Il serait peu compréhensible d’allonger les délais pour un certain nombre de matériels particulièrement performants, mais nous entendons des échos peu rassurants quant au segment terrestre. Si les programmes tels que SCORPION, ou le remplacement des camions, devaient être réduits, il faudrait compenser en prolongeant le matériel existant, et donc amputer […] le programme 146 ‘Équipement des forces’ au profit du programme 178 ‘Préparation et emploi des forces’, pour permettre à l’armée de Terre de conserver ses capacités et à l’industrie de maintenir son activité », a en effet affirmé le parlementaire.

A priori, M. Levacher s’attend aussi à un éventuel étalement du programme SCORPION, et donc à un report des livraisons de blindés Griffon, Serval et Jaguar. En tout cas, il a laissé entendre qu’il envisageait un tel scénario en évoquant le programme CAMO [Capacité Motorisée], mené dans le cadre d’une coopération entre la France et la Belgique.

« Le programme CaMo est un excellent montage. […] C’est un exemple de coopération européenne qui fonctionne. […] La production ne sera pas décalée par rapport aux plans initiaux. Les premières productions de Griffon démarreront en 2024 et se réaliseront en 2025. Nous commençons, comme prévu, à intercaler les productions CaMo dans les productions Scorpion pour la France. Si le programme Scorpion France est étalé, cela laisserait de la place pour CaMo », a en effet affirmé le Pdg d’Arquus.

En outre, relancé par M. Perrin, il a précisé que « l’élongation du programme Scorpion entraînera un surcoût, du fait de la baisse de volume ». Et d’expliquer : « La production serait amenée à être étalée sur des durées longues, au-delà de 2030 : cela soulève des difficultés de gestion des lignes et de stockage des composants. Quant au surcoût du MCO, plus les matériels sont anciens, plus l’obsolescence augmente : rien n’est impossible, mais cela a un prix. Ainsi, les camions GBC 180 ont plus de quarante ans. S’ils sont prolongés encore 10-15 ans, alors qu’ils ne sont plus fabriqués, la hausse des coûts de réparation est inévitable ».

Très souvent, l’étalement d’un programme d’armement dans le temps conduit à une réduction des commandes, justement afin de compenser la hausse de prix ainsi générée.

Quoi qu’il en soit, M. Levacher s’est interrogé sur d’autres projets liés au programme SCORPION, comme le VBAE [Véhicule blindé d’aide à l’engagement], dont le contrat de pré-conception aurait dû être notifié à l’automne 2022, ou encore comme l’engin du génie de combat.

« Ces programmes seront-ils maintenus dans la future LPM, dans des délais nous permettant d’envisager rapidement des activités de développement et de production? », a-t-il en effet demandé. « C’est la source de certaines inquiétudes, dans un contexte géopolitique où on peut comprendre que certains autres secteurs soient remontés en haut des priorités », a-t-il ensuite commenté.

Appelé à remplacer le Véhicule blindé léger [VBL], le VBAE, qui bénéfie de financements européens pour le développement de briques technologiques, fait l’objet d’une attention particulière chez Arquus, qui, en vue de ce programme, a mis au point le démonstrateur technologique Scarabee, dévoilé en 2018. Nativement hybride et bardé de capteurs, cet engin est un concentré d’innovations qui, pour le moment, n’a pas trouvé preneur. « Nous y travaillons », a assuré M. Levacher.

« Est-ce qu’un jour il [le Scarabee] sera adopté tel quel par la France? Je ne crois pas. En revanche, c’est clairement une base sur laquelle on peut s’appuyer et tester un certain nombre d’idées, de technologies et de concepts que l’on reprendra en partie pour le VBAE. Mais le VBAE sera très certainement différent de Scarabee », a expliqué le Pdg d’Arquus.

En attendant, lors du salon de l’armement IDEX 2023 de Dubaï, en février, l’industriel a surtout mis l’accent sur une nouvelle version du… VBL, doté d’un tourelleau téléopéré Hornet, lui-même muni de missiles antichars AKERON MP…

La crise s’invite dans les réflexions sur la réserve opérationnelle

La crise s’invite dans les réflexions sur la réserve opérationnelle

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Priorité parmi d’autres de la prochaine loi de programmation militaire, l’objectif de doublement de la réserve opérationnelle devra néanmoins compiler avec un contexte économique dégradé, explique le ministère des Armées en réponse à une question parlementaire. 

L’économie française plie mais ne rompt pas. Si la Banque de France table maintenant sur une croissance de 0,6% en 2023, la production industrielle s’est rétractée en début d’année. La volatilité financière et bancaire, ensuite, vient s’ajouter à des tensions socio-économiques dont l’impact reste difficile à déterminer. Quelques exemples d’indicateurs défavorables qui pourraient peser sur l’ambition ministérielle de disposer de « 100 000 réservistes pour une armée d’active de 200 000 hommes ». 

« Face à la dégradation de la situation économique à laquelle la France est confrontée depuis plusieurs mois, il convient de veiller à ce que l’effort de défense soit pleinement compatible avec l’activité des entreprises, notamment celles qui emploient des réservistes militaires », indique le ministère des Armées dans une réponse écrite à la députée PLR Karine Lebon.

En principe, entreprises et pouvoirs publics sont dans l’obligation de libérer leurs salariés-réservistes entre cinq et huit jours par an selon les cas. Voire, jusqu’à 30 jours si l’employeur l’autorise. « La réalité est toutefois plus nuancée », indiquait le ministère des Armées à l’automne dernier. Certaines entreprises renâclent à rendre disponibles les bras et cerveaux dont elles ont besoin pour maintenir leur activité. Parvenir à dédoubler le volume de réservistes sera donc un véritable défi au vu du contexte économique. Et l’équation est d’autant plus complexe pour une filière défense a qui il est désormais demandé de produire plus et plus vite. 

Un groupe de travail a été mis en place en novembre dernier « afin que tous les points de vue puissent être pris en compte et que le ministère des Armées dispose d’une vision exhaustive ». Six réunions se sont tenues jusqu’en février, auxquelles ont notamment participé « des parlementaires et des représentants du patronat et des organisations syndicales ». 

Plusieurs pistes ont été étudiées non seulement pour inciter et fidéliser le réserviste, mais aussi pour « récompenser » les employeurs facilitant l’accès à la réserve pour leurs salariés. Les conclusions et propositions qui en sont ressorties sont désormais « en cours d’analyse » en vue de « de déterminer celles qui seront retenues dans la future loi de programmation militaire ». Une LPM 2024-2030 qui sera soumise d’ici peu à l’aval gouvernemental puis présentée à la représentation nationale.

Crédits image : Garde nationale

L’armée de Terre va créer des commandements dédiés à la « guerre hybride » et aux « guerres de demain »

L’armée de Terre va créer des commandements dédiés à la « guerre hybride » et aux « guerres de demain »

https://www.opex360.com/2023/02/15/larmee-de-terre-va-creer-des-commandements-dedies-a-la-guerre-hybride-et-aux-guerres-de-demain/


 

Dans le même temps, le format de la Force opérationnelle terrestre [FOT] restera à 77’000 hommes tout en bénéficiant d’un renforcement significatif de l’effectif de la réserve opérationnelle de niveau 1 [RO1]. Et aucune réduction de « cible » concernant le programme SCORPION [Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation] n’est prévue. Enfin, l’accent sera mis sur l’acquisition massive de drones [dont 1’800 munitions téléopérées], la robotisation [avec 300 robots « capables d’évoluer sur le champ de bataille »], les feux dans la profondeur et la défense sol-air.

Lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes de Défense [AJD], le 13 février, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill en a dit un peu plus sur ce qui attend ses troupes. Ainsi, si aucun régiment ne sera dissous [pour le moment, du moins], les unités dites de « mêlée » [arme blindée cavalerie, infanterie] pourraient perdre quelques plumes… au profit des capacités devant faire l’objet d’investissements particuliers, comme le cyber, les transmissions, les drones et l’artillerie de longue portée… sans oublier le soutien et la logistique.

« Nous devons revenir à une cohérence globale de l’armée de Terre », a fait valoir le général Schill, comme le rapporte le quotidien Le Monde. Et d’annoncer que les détails de cette « transformation » seront dévoilés le 4 avril, à l’occasion du « Grand rapport de l’armée de Terre » [GRAT].

Cela étant, les changements annoncés ont d’ores et déjà commencé… En effet, en 2022, plusieurs régiments d’infanterie ont dissous des compagnies de combat qui avaient été créées en 2015, c’est à dire après la décision de porter l’effectif de la FOT de 66’000 à 77’000 soldats.

Et le ministère des Armées avait justifié ce retour à un format à quatre compagnies de combat dans les régiments de mêlée par la nécessité pour l’armée de Terre de s’investir dans de « nouveaux champs de conflictualité » susceptibles de « transformer les menaces liés aux conflits de haute intensité.  »

Une « partie des effectifs récemment attribués à la mêlée a été réorientée pour renforcer les états-majors de régiment et les capacités de numérisation et de simulation, densifier la maintenance aéronautique et terrestre, développer la capacité drone et affecter des moyens à la préparation opérationnelle, à la formation et à l’intégration des effets dans les champs immatériels », avait-il ainsi expliqué, dans une réponse à une question écrite posée par un député.

Quoi qu’il en soit, ces changements vont donc se traduire par une nouvelle organisation de l’armée de Terre, laquelle passera par la création de deux nouveaux commandements, placés sous l’autorité directe du CEMAT.

Ainsi, le « commandement des guerres de demain » aura la tâche de « mettre en cohérence un certain nombre de nouvelles capacités […] aujourd’hui éparpillées au sein des régiments, notamment dans le domaine des feux dans la profondeur, des drones, des munitions téléopérées et de la défense sol-air de courte portée, dont la lutte antidrone », résume Le Monde.

Quant au second, il sera dédié à la « guerre hybride », c’est à dire aux opérations menées « sous le seuil » du conflit ouvert. Il aura notamment à s’occuper des capacités liées au cyber [lutte informatique défensive, lutte informatique offensive et lutte informatique d’influence], lesquels relèvent actuellement du Commandement de la Cyberdéfense [COMCYBER].

« Il y a un réel besoin de rendre l’armée de Terre plus autonome. Elle doit avoir sous son commandement tous les domaines de lutte,
antiaérienne, cyber, informationnelle, frappes dans la profondeur… tout en demeurant interopérable avec les autres armées » car « lorsqu’on sous-traite des actions, on créé des dépendances, ce qui est risqué dans un conflit de haute intensité où on opère toujours sous contrainte des événements et de temps », fait valoir le général Pierre-Joseph Givre, le commandant du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement [CDEC].

Cette recherche d’autonomie vaudra aussi pour les sept brigades de l’armée de Terre, lesquelles devront disposer de capacités leur permettant d’agir avec un minimum d’appuis extérieurs, l’objectif étant d’accroître leur réactivité.

LPM 2024-30 : La Marine nationale ne devrait pas obtenir davantage de frégates dites de « premier rang »

LPM 2024-30 : La Marine nationale ne devrait pas obtenir davantage de frégates dites de « premier rang »

https://www.opex360.com/2023/02/09/lpm-2024-30-la-marine-nationale-ne-devrait-pas-obtenir-davantage-de-fregates-dites-de-premier-rang/


                      Tir ASTER 30 le 27 janvier 2021, à bord de la FREMM Normandie.

 

Plus récemment, le Centre d’études stratégiques de la Marine [CESM] a publié un rapport détaillant ce « réarmement », qui ne concerne pas seulement le nombre de navires de premier rang qu’une force navale est capable d’aligner… mais aussi les évolutions technologiques et l’investissement dans de nouveaux espaces de conflits [cyber, fonds marins, espace].

« En devenant un lieu de contestation et de compétition, la mer redevient une zone de confrontation et potentiellement d’affrontement. La mise en place de stratégies assumées de remise en cause du droit, de politique du fait accompli ou de provocations calculées augmente le risque d’incidents et de confrontations aux conséquences imprévisibles. Le combat naval de haute intensité redevient une hypothèse possible, voire probable », est-il expliqué dans ce document.

Et d’ajouter : « L’acquisition de moyens d’action navale nombreux, puissants et coûteux contient en elle-même la volonté sous-jacente des États de s’en servir le jour où ils jugeront, selon leurs critères propres, que leurs intérêts sont en cause. Cependant, l’affrontement, s’il devient possible, n’est pas inéluctable, détenir des moyens navals puissants est aussi un moyen de faire prévaloir ses intérêts sans atteindre le combat direct ».

Évidemment, cette tendance n’est pas sans conséquence sur le contrat opérationnel de la Marine nationale… qui ne dispose [théoriquement] que de quinze frégates dites de premier rang… Et encore, en « trichant » un peu puisque les frégates de type La Fayette modernisées sont comptées. Les précédents CEMM ne manquèrent pas de dénoncer [à mots couverts] cette situation… Situation dont les effets se font sentir aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine et les tensions avec la Russie. « Avec la pression croissante exercée par les Russes en Atlantique, le besoin de frégates augmente, ce qui diminue notre capacité à réaliser d’autres missions ailleurs », a ainsi récemment confié l’amiral Vandier.

Cela étant, les parlementaires sont conscients de l’insuffisance du format de la Marine, laquelle est dénoncée à longueur de rapports. Comme encore en octobre dernier, avec celui du député Yannick Chenevard [Renaissance, majorité].

« Il n’est clairement pas adapté à la menace actuelle et encore moins future, tout en exposant la Marine, dans l’accomplissement de ses missions, à une suractivité qui épuise marins et matériels. […] Dans ces conditions, le retour au format d’avant le livre blanc de 2013 – dix-huit frégates de premier rang – apparaît comme le strict minimum » et « au-delà des frégates, l’une des questions majeures à trancher dans les prochaines années sera celle d’un deuxième porte-avions identique au PA-NG », a plaidé ce dernier.

La Loi de programmation militaire 2024-30, qui sera dotée de 413 milliards d’euros, remédiera-t-elle à cette situation? Rien n’est moins sûr… Lors de ses vœux aux Armées, le 20 janvier, le président Macron a seulement parlé d’augmenter « la puissance et la protection » des frégates et confirmé le développement du porte-avions de nouvelle génération [PANG].

A priori, et alors que les derniers arbitrages de cette future LPM sont encore en cours, la messe est dite. En tout cas, c’est ce que suggère la réponse faite par Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, alors qu’il était interrogé sur le nombre de frégates dont disposera la Marine dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Valeurs Actuelles.

« On ne peut plus en 2023 ne regarder que la seule gamme des frégates. Il faut repartir des nouvelles technologies comme des missions et elles sont très différents pour notre Marine nationale, passant de la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire à la lutte contre les trafics en tout genre, sans oublier les différentes capacités de projection », a dit M. Lecornu.

À titre de comparaison, selon les projections du CESM, la Marina Militare disposera de 17 navires de premier rang à l’horizon 2030, soit deux de moins que la Royal Navy. A contrario, la Marine nationale comptera plus de navires dits de second rang – comme par exemple les dix patrouilleurs océaniques, qui remplaceront les avisos de la classe « ‘Estienne d’Orves » – par rapport à son homologue italienne [24 contre 14]

« Le président de la République aura l’occasion bientôt de développer en détail la feuille de route pour notre outre-Mer, ce qui est une particularité française là aussi », a par ailleurs ajouté. Sur ce point, il est question de remplacer les actuelles frégates de surveillance, faiblement armées, par des navires issus du programme « European Patrol Corvette » [EPC].

Enfin, M. Lecornu a de nouveau assuré que la « France aura un groupe aéronaval à propulsion nucléaire à l’horizon 2040 » car « c’est l’un des outils de notre capacité militaire mais aussi de notre diplomatie ».

« Le nucléaire ne doit pas être notre ligne Maginot » : les leçons du Sénat sur la guerre en Ukraine

« Le nucléaire ne doit pas être notre ligne Maginot » : les leçons du Sénat sur la guerre en Ukraine


Dans un rapport publié ce matin, les sénateurs Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini appellent à tirer les conclusions de la guerre en Ukraine dans la prochaine loi de programmation militaire. Les priorités: l’artillerie, les drones, la défense sol-air, l’aviation de combat et les stocks de munitions.

 

Militaires ukrainiens manipulant un canon Caesar, dans la région du Donbass

Militaires ukrainiens manipulant un canon Caesar, dans la région du Donbass, en Ukraine. 

A. Messinis/AFP

Bientôt un an après le début de l’invasion de l’Ukraine, quels enseignements tirer du conflit pour les armées françaises? Alors que les derniers ajustements et arbitrages de la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 sont en cours, la commission de la défense du Sénat s’est livré à l’exercice délicat du Retex (retour d’expérience), cher aux militaires. Le résultat: un rapport d’une cinquantaine de pages, signé par Cédric Perrin (LR, Territoire de Belfort) et Jean-Marc Todeschini (PS, Moselle), et adopté mercredi 8 février en commission de la défense, qui appelle à un « changement de logiciel » des armées françaises.

Quels enseignements tire le document du conflit ukrainien? Il appelle en préambule à garder la tête froide. « La France n’est pas l’Ukraine, ni dans son environnement géostratégique, ni dans les moyens dont elle dispose, écrivent les deux sénateurs. Cette guerre ne doit pas devenir l’alpha et l’oméga de la réflexion stratégique. La guerre qu’il nous faut préparer, c’est la prochaine, qui ne ressemblera probablement à aucune des précédentes. » 

Une dissuasion pas suffisante

La France est un Etat doté de l’arme nucléaire, membre de l’UE et de l’Otan, ce qui le rend difficilement comparable à l’Ukraine, qui n’a pas ces trois garanties. Cela dit, elle ne pourra pas faire l’économie d’une remise en question profonde de son outil militaire. D’abord parce que la guerre en Ukraine, « symétrique, interétatique et de haute intensité, avec une forte attrition » rappelle la nécessité « de disposer de volumes d’équipements et de munitions suffisants ». Ensuite parce que l’hypothèse d’un engagement majeur est crédible. Les auteurs listent trois scénarios plausibles: « la possibilité d’un conflit ouvert entre l’Otan et la Russie »; un engagement majeur dans la zone méditerranéenne; ou un conflit ouvert en Outre-mer.

Face à ces menaces, la dissuasion n’apparaît pas comme une garantie suffisante, indiquent les sénateurs. « Bien que fondamentale, la dissuasion nucléaire ne fournit pas de solution à tous les cas de figure, écrivent-ils. Elle ne doit pas être notre nouvelle ligne Maginot. Ces défis nécessitent une montée en puissance conventionnelle. Coûteux dans leur gestion, les stocks d’équipements militaires ont été sacrifiés depuis la fin de la guerre froide. C’est toute cette logique de gestion en flux tendus et de juste suffisance qui doit être revue. »

Le problème, estiment les rapporteurs, c’est que la LPM en préparation, malgré un investissement prévu de 413 milliards d’euros, risque de ne pas être à la hauteur de l’enjeu. La Revue nationale stratégique (RNS) présentée en novembre, trop générale, « manque d’ambition », disent-ils. « Il manque un cadrage global de nos ambitions opérationnelles et capacitaires, sur la base de différents scénarios d’engagement des armées à l’horizon de la fin de la décennie. » Soit, en gros, ce que détaillaient les différents Livres blancs sur la défense (2008, 2013…), documents plus volumineux et plus complets que la RNS.

Une « économie de guerre » qui ne décolle pas

Autre limite identifiée par les rapporteurs: le passage à une « économie de guerre », poussé par Emmanuel Macron, n’est pas vraiment au rendez-vous. L’expression « est excessive au regard des objectifs poursuivis et, surtout, des résultats obtenus à ce jour », estiment-ils. Certes, l’Etat met la pression sur les industriels pour qu’ils produisent plus vite et moins cher. Mais la puissance publique doit accélérer, assurent les rapporteurs, en prenant des engagements de commandes de long terme. « Sans engagements fermes de l’État, sans contrats-cadres pluriannuels, les industriels continuent à dépendre de l’exportation et ne bénéficient pas de la visibilité nécessaire pour se préparer le cas échéant à monter en puissance », estiment Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini.

La grande leçon de l’Ukraine, c’est ce que les spécialistes, rejoints par les rapporteurs du Sénat, appellent « le retour de la masse »: la nécessité de redonner du volume à des armées réduites à la portion congrue par les dividendes de la paix. Les formats d’armées attendus pour 2030 (200 chars, 225 avions de combat, dont 185 pour l’armée de l’air) apparaissent trop modestes. « Un plancher de 185 appareils est probablement trop bas, estimait le major général de l’armée de l’air et de l’espace, le général Frédéric Parisot, en juillet 2022 devant les députés de la commission de la défense. Sans doute faudrait-il tendre vers un plancher de 225 avions afin de pouvoir remplir sereinement nos missions. »

Idem pour les matériels navals et terrestres. « Dans l’hypothèse – purement théorique – où la France serait confrontée à un conflit du même type (que l’Ukraine, ndlr), on peut dire approximativement que l’ensemble des chars français auraient été perdus à la fin du mois de mars, l’ensemble des VBCI (véhicules blindés de combat d’infanterie) au début du mois d’avril, l’ensemble de l’artillerie (Caesar + canons AUF1 + lances roquettes unitaires) avant la fin avril et l’ensemble des 1.600 Griffon (blindés de transport) en août« , écrivent les rapporteurs, s’appuyant sur les travaux de Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité du think-tank de l’Ifri (Institut français des relations internationales).

Remuscler la défense sol-air

Les urgences à traiter dans la LPM sont multiples, estime encore le rapport. D’abord, les feux dans la profondeur: nouveaux lance-roquettes unitaires (LRU), canons Caesar supplémentaires. Ensuite, les drones et munitions téléopérées (drones kamikazes). Le document appelle aussi à muscler les défenses sol-air et moyens de lutte anti-drones: « L’armée de l’air dispose aujourd’hui de de 18 systèmes de défense sol-air (8 SAMP/T et 10 Crotale), ce qui est très peu« , souligne les sénateurs. Un investissement important devrait également être consacré aux moyens de suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD), largement dégarnis en France depuis la retraite, à la fin des années 90, des missiles antiradars Martel.

Le retour de la masse passe aussi par une politique volontariste de reconstitution de stocks de munitions, estime le rapport du Sénat. Ce dernier appelle à « combiner les anciens et nouveaux équipements, plutôt que d’éliminer systématiquement les anciennes capacités au profit des nouvelles ». Un travail sur les normes est aussi nécessaire pour vérifier qu’elles « sont en adéquation avec la réalité du cycle de vie des munitions et, le cas échéant, des contraintes de la haute intensité ». En clair, certaines munitions, dont la date d’expiration est théoriquement dépassée, peuvent très bien être encore tout à fait fonctionnelles.

Stopper l’opération Sentinelle

Le rapport appelle enfin à relever le niveau de préparation opérationnelle des armées, notoirement insuffisant. Avec une proposition inspirée de celle de la Cour des comptes: arrêter l’opération Sentinelle, qui engage encore environ 10% des 77.000 militaires la force opérationnelle terrestre (FOT).

Les forces françaises auront-elles bientôt la capacité d’aveugler les satellites adverses avec des lasers?

Les forces françaises auront-elles bientôt la capacité d’aveugler les satellites adverses avec des lasers?

 

https://www.opex360.com/2023/02/06/les-forces-francaises-auront-elles-bientot-la-capacite-daveugler-les-satellites-adverses-avec-des-lasers/


 

« Les lasers peuvent également être une arme de guerre spatiale opérée depuis les bateaux : ils peuvent ainsi aveugler des satellites d’observation pour assurer la dissimulation de forces navales en situation de conflit », avait-il en effet développé lors d’une audition parlementaire.

Une telle capacité pourrait effectivement avoir un intérêt pour une opération aéronavale ou amphibie, ce qui éviterait, par exemple, de calculer l’heure des raids ou d’un débarquement en fonction des fauchées des satellites, ce qui complique évidemment la tâche.

Visiblement, la Direction générale de l’armement [DGA] y travaille, comme l’a indiqué Emmanuel Chiva, son patron, à l’occasion d’une audition au Sénat [le compte-rendu vient d’être rendu public].

« Nous avons […] prévu ce que nous pouvons appeler de grands démonstrateurs signaux, consistant en des capacités au sol d’illumination laser de satellites adverses. », a en effet confié le Délégué général pour l’armement [DGA]. « Je pense que nous n’en sommes pas très loin », a-t-il précisé.

Cela étant, la DGA ne part pas d’une feuille blanche en la matière, notamment grâce aux travaux de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales [ONERA] qui, dans les années 1990, mena des « essais grandeur nature de neutralisation de satellites en fin contractuelle de vie opérationnelle », ce qui lui permit de recueillir des données, en particulier sur les niveaux d’énergie nécessaires.

« Nous travaillons sur une technologie dite d’optique adaptative. L’effet recherché n’est pas de détruire l’objet, mais de l’empêcher d’effectuer sa mission. En concentrant l’énergie sur la cible, on pourrait endommager les panneaux solaires d’un satellite ennemi, ou pénétrer par ses fenêtres optiques et l’éblouir », avait par ailleurs expliqué un responsable de l’ONERA dans les pages de l’hebdomadaire Challenges, en 2019.

Par ailleurs, et compte-tenu du risque d’interception des communications par satellite, la DGA conduit également le projet Keraunos, dont l’objectif est d’expérimenter une liaison de communication optique, à base de laser haut débit, entre un nano-satellite en orbite basse et une station sol sur Terre.

« Les liaisons laser sont, par définition, difficiles à intercepter et parce qu’avec ce type de technologie, la station au sol pourra être mobile et embarquée dans un véhicule. Cela nous donne des capacités considérables, résilientes à un certain nombre d’actions que pourraient tenter nos compétiteurs », a expliqué M. Chiva, en évoquant ce projet sans le nommer.

Reste à voir l’effort qui sera consenti en faveur des capacités spatiales dans le cadre de la prochaine Loi de programmation militaire. Celle qui est encore en cours avait prévu un investissement de 4 milliards d’euros, afin de renouveler une partie des capacités des forces françaises.

« L’enjeu de la prochaine LPM sera de confirmer cet effort dans la durée et de garantir une cohérence dans les différents programmes, puisque beaucoup ont un lien avec le domaine du spatial », a seulement dit M. Chiva… Mais au moment de son audition par les sénateurs, tous les grands arbitrages n’avaient pas encore été rendus.

Plan Famille 2 : Le commandement local sera plus impliqué dans le soutien aux familles des militaires

Plan Famille 2 : Le commandement local sera plus impliqué dans le soutien aux familles des militaires


 

Concilier le métier de militaire avec une vie familiale épanouie n’est pas toujours évident, notamment en raison des absence du foyer, parfois longues mais souvent fréquentes, dues au rythme des missions et aux impératifs de formation ou de préparation opérationnelle. En outre, les mutations perturbent la scolarité des enfants ainsi que la carrière professionnelle du conjoint… Et, par ailleurs, il n’est pas toujours évident de trouver un logement dans la nouvelle ville de garnison, à cause des tensions sur le marché de l’immobilier. Le « célibat géographique » peut être une solution… Mais il n’en reste pas moins qu’il induit d’autres contraintes.

D’où la hausse des divorces chez les militaires, qui avait été constatée en 2017. Et cela joue évidemment sur le moral… ainsi que sur la fidélisation… Et donc sur les « ressources humaines » des Armées. Pour y remédier, l’ex-ministre des Armées, Florence Parly, avait fait du « Plan Famille » l’un de ses chevaux de bataille. Doté d’environ 300 millions d’euros pour la période 2018-22, il prévoyait l’application de douze mesures visant à faciliter les déménagements, à changer les pratiques en matière de mutations, à simplifier les démarches adminstratives, etc..

« Le bilan […] des trois premières années de mise en application du plan étant très positif, il gagnerait [cependant] à mieux être connu aussi bien des familles que des militaires eux-mêmes. Si l’ensemble des mesures du dispositif est plébiscité par la communauté de défense, ce bilan positif ne doit pas occulter le fait que des difficultés quotidiennes majeures demeurent pour les militaires et les familles – difficultés concernant en particulier le logement, la scolarisation des enfants, l’emploi des conjoints et l’accessibilité aux soins », avaient estimé les députées Séverine Gipson et Isabelle Santiago, dans un rapport remis en novembre 2021.

Alors que la prochaine Loi de programmation militaire [LPM] sera dotée de 413 milliards d’euros, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, entend accentuer l’effort fait pour améliorer la condition militaire… avec une enveloppe de 750 millions d’euros pour financer les mesures du Plan Famille n°2 [.pdf]. Celui a été présenté au Conseil supérieur de la fonction militaire [CSFM], réuni en session plénière le mercredi 1er février.

Ainsi, ce nouvelle mouture du Plan Famille se décline selon trois axes : « simplifier et renforcer l’accompagnement des mobilités des militaires », « mieux prendre en compte les contraintes opérationnelles et les absences au travers de l’action sociale » et « améliorer la vie quotidienne des familles dans les territoires ». Et il comprend près de vingt mesures, qui vont de l’accompagnement vers l’emploi pour les conjoints à la garde d’enfants, en passant par la pérennisation de réductions tarifaires pour le transport ferroviaire [un dispositif menacé par l’ouverture à la concurrence, ndlr].

« Ce nouveau plan Famille se concentre entièrement sur les militaires et leur famille. Il vise à limiter les impacts des engagements opérationnels et des mutations fréquentes sur la vie personnelle, familiale et professionnelle. [Il] illustre un changement de culture pour engager les collectivités dans l’accueil et l’accompagnement des familles ainsi que pour mieux connecter les armées aux territoires », résume le ministère des Armées.

Mais l’approche pour mettre en œuvre ce plan va changer. En effet, désormais, le commandement local aura plus de latitude pour « mener des actions en faveur des familles ».

Ce qui est logique : durant la crise du covid [et le confinement], c’est à cet échelon que des des dispositifs d’entraide avaient été mis en place au profit des familles… Pour cela, explique le ministère, le « commandement local disposera de davantage de moyens » et « ira au contact des élus locaux pour favoriser la pleine intégration des familles des militaires mutés au sein de leur nouvelle garnison d’affectation ».

« En donnant des moyens d’action aux unités et en mobilisant les collectivités locales et les services de l’État dans les territoires au bénéfice des familles, le plan Famille 2 permettra à chaque base, à chaque régiment, à chaque formation d’apporter les réponses les plus adaptées, au plus près des besoins du terrain », résume-t-il.

Photo : armée de l’Air & de l’Espace

Pour une nouvelle Force d’action rapide

Pour une nouvelle Force d’action rapide

par Michel Goya – La Voie de l’épé – publié le 27 janvier 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Après vingt-cinq ans de crise et malgré le hiatus de 2017-2018 les forces armées françaises ont repris des couleurs après avoir été à deux doigts de l’effondrement. Il faut quand même rappeler que nos dirigeants avaient sérieusement envisagé en 2013 de ramener le budget annuel de la Défense à environ 31 milliards d’euros jusqu’en 2019 et moins encore si affinités avec Bercy. Les attentats terroristes de 2015 ont finalement inversé la tendance et en 2019 le budget était en réalité de 35,9 milliards, pour atteindre 44 milliards en 2023.

Cet effort louable se poursuit puisque 413 milliards d’euros sont annoncés dans la nouvelle Loi de programmation militaire 2024-2030, soit 50 milliards de plus de ce que souhaitait Bercy. On rappellera que les LPM respectées sont l’exception, mais comme celle qui se termine en est déjà une, faisons confiance pour la suivante. Faisons aussi confiance à l’inflation, désormais plus élevée, pour ronger au moins 20 % de la somme mais cela reste quand même un effort important. Est-ce le plus important depuis les années 1960 et la création de la force nucléaire, comme on l’entend parfois ? Nullement. Si on faisait le même effort qu’à la fin des années 1980 en termes de % de PIB, cette LPM 2024-2030 représenterait plus de 480 milliards d’euros.

Est-ce une LPM de « transformation » comme cela est annoncé ? Pas vraiment non plus puisqu’elle est assez largement dans la continuité de la précédente, comme si la guerre en Ukraine n’avait pas lieu. Cela peut se comprendre, on ne sort pas de 25 ans de crise en quelques années et on se trouve toujours dans la réparation des dégâts, et puis les programmes d’équipements sont des grands paquebots budgétaires que l’on a toujours du mal à lancer, à dévier une fois lancés et encore plus à stopper lorsqu’ils s’avèrent mauvais.

Il faut bien comprendre dans quelle situation on se trouvait en 2015 après 25 ans de crise. Faisons simple. La force de frappe nucléaire a été réduite (4 SNLE au lieu de 6, moins de 300 têtes nucléaires au lieu de 600), mais les sous-marins et missiles sont modernes et l’ensemble remplit toujours parfaitement sa mission. Il faudra juste y consacrer une part croissante du budget pour, en particulier, financer le remplacement des SNLE.

Au total, en 25 ans la Marine nationale s’est contractée de 40 % de ses effectifs, a perdu un peu de tonnage avec un seul porte-avions au lieu de deux, six sous-marins nucléaires d’attaque au lieu de 12, a conservé sensiblement le même nombre de frégates de premier rang (15) et trois porte-hélicoptères d’attaque au lieu de quatre grands navires amphibies. Le déficit le plus important réside plutôt dans les navires de second rang. Cette réduction de volume a été compensée par des moyens plus modernes qui autorisent au bout du compte une puissance de feu (une « projection de puissance » en termes plus technocratiques) plus importante. La Marine nationale peut toujours assurer toutes ses missions mais a perdu une certaine capacité de présence.

L’Armée de l’Air et de l’Espace a perdu la moitié de ses effectifs et la moitié de ses avions de combat. L’excellence et la polyvalence de l’avion Rafale a compensé en grande partie cette perte de volume mais si les Rafale peuvent faire beaucoup de choses et même à longue distance, ils ne peuvent être partout. La capacité de renseignement aérien s’est accrue. Celle de transport et de ravitaillement en vol s’est amoindrie jusqu’à devenir critique (lire : on est obligé de faire appel aux Américains lorsque cela dépasse un certain seuil). Les choses s’améliorent mais restent insuffisantes.

Le véritable effondrement a touché l’armée de Terre. Plus exactement, on a détruit son corps de bataille. Revenons encore en arrière. Lorsqu’on décide de disposer d’une force de frappe nucléaire au début des années 1960, on admet aussi très vite que c’est insuffisant en soi pour assurer réellement une dissuasion complète. Le nucléaire, c’est très bien pour dissuader du nucléaire. Si le « bloc totalitaire ambitieux de dominer et brandissant un terrible armement » décrit par le général de Gaulle lance des missiles thermonucléaires sur nos villes, nous faisons la même chose sur les siennes. Et c’est parce que nous avons toujours la possibilité de riposter – et cela quelles que soient les tentatives de l’ennemi de détruire notre force nucléaire – que cette attaque n’aura pas lieu.

Mais si l’ennemi ne dispose pas d’armes de destruction massive susceptibles de nous frapper, que faisons-nous ? Nous utilisons nos armes nucléaires en premier ? Si cet ennemi menace nos intérêts vitaux – par une invasion par exemple – et qu’il n’est pas doté de l’arme nucléaire, cela se justifie pleinement. S’il ne menace pas nos intérêts vitaux et qui plus est si la guerre se déroule hors du territoire français, c’est plus compliqué voire impossible tant la réprobation internationale, et peut-être même intérieure, serait forte. Des pays « dotés » ont ainsi subi des échecs parfois lourds face à des pays non dotés sans oser utiliser l’arme nucléaire. Les États unis en 1950 en Corée ou plus gravement au Vietnam, la Chine contre le Vietnam en 1979.

Si les enjeux vitaux sont menacés par une puissance nucléaire, frapper en premier en étant certain d’une riposte de même nature est également très délicat. Valéry Giscard d’Estaing admettra dans ses mémoires qu’il aurait encore préféré une France occupée par les Soviétiques, dans l’espoir que cela soit provisoire comme en 1940-1944, plutôt que détruite par des échanges nucléaires.

C’est essentiellement pour éviter autant que possible d’être placé devant le dilemme de l’emploi en premier ou du renoncement que l’on a formé aussi à côté de la force nucléaire un corps de bataille constitué de la 1ère armée française et de la Force aérienne tactique. En 1984, on regroupera également toutes les grandes unités terrestres sur le territoire métropolitain n’appartenant pas à la 1ère armée dans la Force d’action rapide (FAR). La FAR, formée de divisions légères est alors destinée à venir renforcer très vite le corps de bataille en Allemagne en cas d’attaque du Pacte de Varsovie. En 1989, la 1ère Armée et la FAR regroupent ensemble 82 régiments de mêlée (infanterie/cavalerie) ou d’hélicoptères d’attaque, prêts à entrer en action en quelques jours au complet à nos frontières. En arrière, la Défense opérationnelle du territoire dispose en plus de 55 régiments de mêlée, pour l’immense majorité composé de réservistes. C’est un ensemble cohérent et solide, même si financement du nucléaire oblige, il n’est pas aussi costaud que celui de la République fédérale allemande. Il a un gros défaut : puisqu’on refuse d’engager les soldats appelés et les réservistes dans des opérations extérieures, on est obligé de puiser dans les seuls régiments professionnels pour assurer ces missions. On forme parfois des unités de volontaires service long (VSL), en clair des appelés qui acceptent de servir quelques mois au-delà de la durée légale de service, pour les compléter dans les missions « autres que la guerre », mais tout cela ne représente pas un volume important. Jusqu’au 1990, on ne déploie jamais plus de 3 000 hommes dans une opération de guerre ou de confrontation à l’extérieur.

Tout semble cependant aller pour le mieux jusqu’à ce que survienne l’imprévu, ce changement complet des règles du jeu international qui intervient fatalement toutes les quinze à trente ans depuis deux cent ans. À l’extrême fin des années 1980, la présence soviétique que l’on pensait immuable en Europe orientale disparaît devant la volonté des peuples et l’Union soviétique elle-même se décompose rapidement. La guerre froide se termine. Le Conseil de sécurité peut à nouveau prendre des décisions, comme par exemple condamner l’invasion du Koweit par l’Irak en août 1990. Les États-Unis peuvent désormais prendre la tête d’une grande coalition et déplacer en Arabie saoudite le corps de bataille qui était déployé en Allemagne face au Pacte de Varsovie, plus de nombreux autres renforts. Les Britanniques qui ont également une armée professionnelle font de même et déploient plus de 50 000 hommes. Pour nous, c’est plus compliqué. La participation à la coalition paraît obligatoire, mais malgré le précédent de la confrontation avec la Libye et même de l’Iran dans les années 1980 ou encore le spectacle de la guerre des Malouines en 1982 nous avons abandonné l’idée d’avoir à mener une guerre de haute-intensité contre un État hors d’Europe. Comme François Mitterrand s’oppose absolument à envoyer des appelés (un interdit qui date la fin du XIXe siècle rappelons-le) et comme personne n’a songé à pouvoir faire monter en puissance notre corps professionnel avec une forte réserve opérationnelle d’hommes et d’équipements, on réussit à regrouper péniblement 16 000 hommes pour constituer la division Daguet associée à une petite force aérienne de 42 avions de combat. Petit aparté : tout le monde est alors persuadé que l’affrontement contre l’armée irakienne, inconcevable quelques mois plus tôt, sera meurtrier pour nos soldats et on s’attend à des centaines de morts. La chose est pourtant acceptée par l’opinion publique, ce qui paraissait tout aussi inconcevable.  

Au bout du compte, nos soldats au sol et en l’air font le travail mais relégués à une mission secondaire avec des moyens très inférieurs à ceux de nos alliés, l’expérience est un peu humiliante. Qu’à cela ne tienne, après Mitterrand qui refusait tout changement, Jacques Chirac conclut que pour redonner une capacité de haute intensité lointaine, il faut professionnaliser complètement les forces et les regrouper dans une nouvelle FAR. On envisage de pouvoir déployer en 2015 plus de 60 000 hommes et un peu plus d’une centaine d’avions de combat n’importe où dans les trois cercles stratégiques, France, Europe, Monde.

Et c’est là qu’interviennent les « dividendes de la paix ». Si on avait simplement maintenu l’effort de Défense de 1989, une époque pas forcément florissante par ailleurs, on aurait pu réaliser ce « plan 2015 ». On peut imaginer rétrospectivement ce que l’on aurait pu faire, les morts que l’on aurait évités, les résultats supérieurs que l’on aurait obtenus et quel aurait été le poids de la France, jusqu’à aujourd’hui l’aide à l’Ukraine, si on avait eu cette nouvelle force d’action rapide. On ne l’a pas eu. On a préféré faire des économies.

Ces économies, on l’a vu, ont surtout porté sur l’armée de Terre qui a perdu presque 70 % de ses effectifs et à peu près autant de tous ses équipements majeurs, en conservant des échantillons : une petite artillerie sol-sol, une toute petite artillerie sol-air, une petite force de chars de bataille, etc. A titre de comparaison, on représente entre 10 et 20 % de la capacité de déploiement de l’armée ukrainienne au début de 2022 alors que le budget de cette armée ukrainienne représentait 10 % du notre. Si au moins, on avait prévu une remontée en puissance avec des régiments de réserve, des équipements en stock avec du rétrofit, mais même pas. C’est même ce que l’on a supprimé en premier, au nom du juste suffisant en flux tendus et de la même réticence à engager des réservistes en opérations qu’auparavant des appelés.

Au bout de ce processus de fonte, la capacité de projection de forces diminuait de moitié à chaque livre blanc de la Défense, 30 000 en 2008, 15 000 en 2013 avec 45 avions de combat, dont ceux de l’aéronavale. Autrement-dit on est revenu à la situation de Daguet, après s’être lamenté à l’époque sur la position secondaire de nos forces et la dépendance aux Américains (qui eux ont continué à faire un effort sérieux de Défense). Tout ça pour ça. Le pire est qu’à l’époque, derrière Daguet il y avait le reste de la FAR et tout le corps de bataille. Désormais, il n’y a plus qu’un équivalent Daguet. Au lieu des 82 régiments d’active et des 55 régiments de réserve de 1990, on est maintenant sûr d’équiper complètement six structures équivalentes, peut-être le double en s’arrachant les cheveux comme on l’avait fait pour Daguet, en cherchant surtout cette fois les équipements réellement disponibles derrière les chiffres de dotation, car oui, non seulement on a moins d’équipements qu’à l’époque mais leur disponibilité réelle est également très inférieure : trop vieux pour certains, trop sophistiqués pour d’autres et de toute façon pas assez de sous-systèmes pour les équiper tous en même temps, sans même parler de les alimenter en munitions sur une durée supérieure à quelques semaines.

Soyons clairs, il n’y a pas eu beaucoup de réflexions approfondies derrière cette destruction transformée en « transformation ». On considère rapidement dans les années 1990 qu’il n’y a plus de menace sur nos intérêts vitaux hors la menace nucléaire, et qu’on ne saura donc plus jamais placés devant le dilemme du « tout au rien ».

C’est évidemment une insulte à l’histoire. Petit florilège d’avant-guerres mondiales : en 1899, le jeune Winston Churchill écrit qu’il ne connaîtra jamais de gloire militaire, car il n’y aura plus de guerre en Europe. En 1910, Norman Angell publie La Grande Illusion, un essai dans lequel il explique que toute grande guerre est impossible entre États modernes aux économies interdépendantes. C’est alors une opinion communément admise. En 1925, les accords de Locarno normalisent les relations entre la l’Allemagne et ses vainqueurs de 1918. Trois ans plus tard, toutes les nations du monde signent le pacte Briand-Kellog qui met la guerre hors la loi. En 1933, Norman Angell publie une nouvelle version de La Grande Illusion où il réaffirme la folie que représenterait une nouvelle guerre mondiale. Il obtient même le Prix Nobel de la paix pour cela. Cette année-là, alors qu’Adolf Hitler arrive au pouvoir, la France réduit son budget militaire. En août 1939, le capitaine Beaufre publie un article sur le thème de la « paix-guerre », on ne parle pas encore de « guerre hybride » ou de « confrontation » mais c’est la même chose et c’est plutôt bien vu. Il conclut en revanche qu’il n’y aura plus de guerre en Europe. Les horizons visibles sont toujours victimes d’obsolescence programmée. L’« Extremistan » dont parle Nassim Nicolas Taleb revient toujours, là et à un moment où on ne l’attend pas, y compris éventuellement près de chez nous. Cela peut donner des choses inattendues positives comme la fin de l’URSS et du Pacte de Varsovie ou dangereuses comme le basculement d’une démocratie dans une dictature nationaliste.

En réalité, même si c’est la « fin de l’histoire » et même si les intérêts vitaux ne sont pas en jeu, on peut être amené à mener une guerre contre un autre État ou une organisation armée de la puissance d’un État. En fait c’est ce qu’on a fait une fois tous les quatre ans de 1990 à 2011 en affrontant successivement l’Irak, la République bosno-serbe, la Serbie, l’État taliban et la Libye. Avec un autre président que Jacques Chirac on y aurait même ajouté l’Irak une deuxième fois. On peut ajouter aussi et cette fois à coup sûr la guerre contre Daech qui même s’il n’était pas un État en droit en présentait toutes les caractéristiques lorsque l’organisation s’est territorialisée et a formé une solide petite armée.

Donc oui, la guerre contre des armées puissantes est toujours possible puisqu’en réalité on n’a jamais cessé de la faire. Pour autant, on n’a jamais cessé aussi pendant tout ce temps de réduire nos forces. Pour justifier ce paradoxe, on a sorti la carte magique « projection de puissance », accompagné peut-être de quelques petits raids de Forces spéciales pour faire moderne. En se contentant de lancer à distance des projectiles sur des gens, on peut obtenir la victoire sans grand risque à une époque de suprématie aérienne occidentale et sans utilité d’employer des forces terrestres.

Le premier problème est que pour avoir un effet stratégique sur un ennemi comme tout ceux de la liste évoquée plus haut, il a fallu non seulement des frappes précises mais aussi beaucoup de frappes. Or, ce n’est pas avec les 45 avions de combat déployables, en comptant l’aéronavale, et une capacité de frappes aériennes de 10 à 15 projectiles par jour sur une durée de six mois, comme au Kosovo en 1999 et en Libye en 2011, que nous allons seuls faire plier un État ou même un proto-Etat. Les thuriféraires de la projection de puissance oublient que dans ce cadre, ce sont les Etats-Unis qui ont seuls la masse critique pour faire quelque chose de très important en la matière. Dans les combats cités plus haut, nous n’avons été que des seconds, peut-être brillants mais surtout lointains. Que l’on doive augmenter notre capacité d’action dans le ciel est une évidence, mais dans tous les cas ce ne sera jamais suffisant. 

On oubliait enfin aussi que le ciel seul, même massif, obtient rarement d’effets décisifs sans des combattants au sol, qui prennent des villes, plantent des drapeaux, percent des dispositifs ennemis, occupent le terrain. Dans la guerre contre l’Irak en 1990-1991, le mois de campagne aérienne a fait des ravages dans l’armée irakienne mais ce n’est pas ça qui l’a chassé du Koweït. Mais au moins à l’époque, on a eu le courage d’engager une division. Par la suite, nous n’avons plus eu ce courage, et à une échelle bien moindre, qu’en Afghanistan puis au Mali contre des organisations armés. Pour les gros ennemis, on a laissé faire les locaux, armée bosno-croate, UCK, Alliance du nord, rebelles libyens, armée irakienne, Kurdes, à la fortune de leurs capacités militaires très aléatoires, ce qui avait souvent pour effet de prolonger les guerres. Pour le reste, les forces terrestres ont fait des missions sans ennemis – interpositions, opérations humanitaires armées – ou du « service après-guerre » – stabilisation – sans forcément beaucoup de réussites mais quand même des morts.

Tout cela est à la fois lâche et contre-productif. L’État islamique a cessé d’être une base d’attaques terroristes de grande ampleur et au loin, comme par exemple en France, quand il a cessé d’être un territoire. On aurait engagé les quelques brigades que nous avons encore en Irak et en Syrie contre Daech avant 2015 on aurait peut-être évité les attentats de novembre, et si on les avait engagés après cela aurait au moins servi à les venger et empêcher qu’il y en ait d’autres.

Un pays voisin aurait envoyé un commando en France pour tuer 131 personnes dans une grande ville, on aurait – on peut espérer en tout cas – envoyé notre FAR et notre corps de bataille à l’attaque, à condition qu’il y en ait eu encore. On ne l’a pas fait contre l’État islamique. Michel Debré disait qu’on n’est pas crédible dans notre capacité à défendre nos intérêts vitaux en utilisant l’arme nucléaire si on ne l’est pas dans la défense de nos intérêts secondaires. Être crédible, c’est être fort, or nous ne sommes ni l’un, ni l’autre, si on ne peut rien faire d’important sans les Américains et si on n’a pas des divisions à jeter sur l’ennemi sur très court préavis et sans faiblir. L’opération Serval au Mali était remarquable en tout point, de la volonté politique à la mise en œuvre tactique des forces aéroterrestres. Le problème est qu’on le veuille ou non, on n’aura pas éternellement à n’affronter que des petites organisations armées regroupant au total 3 000 combattants légers. Il faut donc au moins dans un premier temps reconstituer complètement nos brigades existantes avec tous leurs équipements, reformer des régiments de commandement et de soutien, remettre le soutien dans les régiments, créer des montagnes de fer de munitions et de toutes les choses nécessaires pour combattre à grande échelle. Il faut reformer au plus vite des corps de réserve, qui pourront éventuellement être engagés en opérations. Pour faire du vite, fort et loin, il faut aussi repenser nos équipements de transport, des hélicoptères lourds au avions de transport stratégique, un énorme chantier négligé. 

Et puis, il y a la révolution à faire dans nos équipements. Sans doute serait-il plus souple et plus économique que chaque armée s’occupe des équipements qui lui sont propres, avec un budget d’investissement spécifique, en laissant à la DGA la gestion de programmes communs. Il faut faire exploser les normes et contraintes, les soldats réguliers meurent autant que ceux du Commandement des opérations spéciales qui bénéficient de dérogations. On n’est pas obligé d’attendre neuf ans, entre la décision et l’achat sur étagère, pour remplacer un fusil d’assaut. Il faut sortir de l’artisanat de luxe pour retrouver un centre de gravité coût-efficacité, c’est-à-dire sophistication-masse, plus rationnel que l’achat de missiles antichars 17 fois plus chers que ceux qu’ils remplacent. Sur notre incapacité à produire des drones armés qui ne soient pas aussi chers et complexes que des avions de chasse. On n’a visiblement fait aucun retour d’expérience de la guerre en Ukraine pour cette LPM, sinon on aurait découvert que c’est le rétrofit qui a permis aux deux adversaires de combattre à cette échelle et à cette durée. Peut-être qu’un jour à apprendra aussi à en faire. Il parait qu’on se penche enfin sérieusement sur toutes ces questions, c’est la meilleure nouvelle du moment.

En résumé, une armée n’est pas qu’une accumulation de programmes d’équipements, mais un ensemble de forces destinées à faire face aux scénarios d’emploi les plus probables et/ou les plus graves pour la France. Le plus probable, c’est la confrontation sous le seuil de la guerre ouverte et nous n’y sommes pas préparés correctement, oubliant les leçons du passé et ne constituant même pas les stocks et réserves pour remonter en puissance très vite ou aider militairement à grande échelle un pays allié. Le plus grave, c’est la guerre à haute intensité contre un État, et là nous sommes encore moins prêts.