En 2035, les quatre avions E-3F SDCA [Système de Détection et de Commandement Aéroporté], communément appelés AWACS, totaliseront près de 45 ans de service au sein du 36e Escadron de détection et de commandement aéroportés [EDCA] de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE].
Or, la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 ne prévoit pas de lancer un programme pour leur trouver des successeurs dans les années qui viennent. « Le remplacement de quatre systèmes de détection et de contrôle aéroporté [AWACS] pourrait reposer sur la capacité aérienne de surveillance et de contrôle de l’Alliance [AFSC] », précise seulement le texte.
Pour rappel, en novembre 2023, l’Otan a indiqué qu’elle remplacerait les 14 E-3A Sentry de sa Force aéroportée de détection lointaine et de contrôle [NAEW&C] par six E-7A Wedgetail, acquis auprès de l’américain Boeing, d’ici 2030.
Quoi qu’il en soit, pour le député François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis sur les crédits alloués au programme 146 « Équipement des forces – Dissuasion », le remplacement des E-3F SDCA ne doit pas attendre 2035, même si ceux-ci ont été régulièrement modernisés depuis leurs entrée en service.
« L’avion radar E-3F est une capacité stratégique pour l’armée de l’air et de l’espace, y compris pour la composante aéroportée de notre dissuasion. [Il] permet en effet de détecter, d’identifier et de classifier la situation tactique d’un théâtre d’opérations et de partager celle-ci avec les avions de chasse et le centre d’opérations », a d’abord rappelé le rapporteur.
Mais étant donné que le tableau capacitaire mis en annexe de la LPM 2024-30 n’évoque pas leur remplacement, il est logique que le projet de loi de finances pour 2025 ne prévoie pas d’autorisations d’engagement de crédits pour lancer un programme afin d’acquérir de nouveaux avions d’alerte avancée. Ce qui est une erreur pour M. Cormier-Bouligeon.
« Repousser la durée de vie de nos AWACS actuels jusqu’à 2035 ne parait pas opportun non seulement d’un point de vue opérationnel mais également financier. En effet, le coût de l’heure de vol ne manquerait pas d’exploser dans une telle hypothèse, du fait de l’augmentation des coûts de maintien en condition opérationnelle d’un aéronef en fin de vie », a-t-il fait valoir.
Aussi, a-t-il continué, il « semble donc urgent de décider du successeur de l’AWACS, dès 2025, dans le cadre du prochain ajustement annuel de la programmation militaire ».
Visiblement, le député a une idée précise de la solution qu’il conviendrait à adopter. Malgré la référence faite implicitement à l’E-7A Wedgetail par la LPM 2024-30, le meilleur choix, selon lui, serait le système GlobalEye, développé par le suédois Saab [et écarté par l’Otan au profit de l’avion de Boeing].
« Les premiers essais du système GlobalEye de Saab par l’armée de l’Air et de l’Espace semblent positifs. En outre, l’acquisition de ce système, peu onéreux en comparaison de l’E-7 Wedgetail […], constituerait un signal fort en faveur de l’Europe de la défense et consoliderait notre coopération capacitaire naissante avec la Suède [acquisition par la Suède d’Akeron MP et par la France de missiles NLAW] », a fait valoir M. Cormier-Bouligeon.
L’hypothèse d’un achat de systèmes GlobalEye pour remplacer les E-3F SDCA circule déjà depuis plusieurs mois. Elle a notamment été évoquée par Intelligence OnLine et le quotidien Les Échos, pour qui le Falcon 10X de Dassault Aviation serait pressenti pour mettre en œuvre cette capacité.
Pour rappel, la solution de Saab repose actuellement sur l’avion d’affaires Bombardier Global 6000. Ce dernier est doté de capteurs résistants au brouillage électronique, d’un radar à longue portée Erieye ER, d’un radar à antenne active SeaSpray [fourni par Leonardo] et d’une boule optronique. Les données qu’il collecte dans une rayon de 400 km sont ensuite fusionnées au sein d’un système de commandement et de contrôle [C2] multi-domaines.
En septembre 2016, la Direction générale de l’armement [DGA] fit savoir qu’elle allait commander plus de 100 000 fusils d’assaut HK416F auprès de l’armurier allemand Heckler & Koch dans le cadre du programme « Arme individuelle du futur » [AIF]. Soit de quoi couvrir les besoins des trois armées, et en particulier ceux de la Force opérationnelle terrestre [FOT]. Pour autant, cette annonce ne signait pas la fin de l’emblématique FAMAS. Du moins pas dans un avenir proche.
En décembre 2022, la DGA indiqua qu’elle avait déjà livré 69 340 HK416F aux armées, sur les 117 000 devant être reçus d’ici 2028. D’où la commande annoncée de 8 000 fusils supplémentaires dans le projet de loi de finances 2025.
Le HK416F « a été conçu comme un véritable système d’armes, compatible avec les équipements FELIN, évolutif et capable d’intégrer les nouvelles technologies à venir, en particulier dans le domaine des optiques de jour et de nuit et des aides à la visée », rappelle la DGA.
Cela étant, les livraisons de ces nouveaux fusils d’assaut se faisant progressivement, il reste encore beaucoup de FAMAS en dotation.
« En ce qui concerne le FAMAS, il en reste encore puisque, cette année, on va recevoir 8 000 HK et on va encore en commander 8 000 », a ainsi relevé le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 15 octobre.
Cela étant, les 117 000 HK416F devant être commandés seront insuffisants pour armer les réservistes opérationnels de l’armée de Terre, dont le nombre va doubler d’ici 2030, passant ainsi de 24 000 à 50 000. Pour le moment, il est prévu de leur confier des FAMAS. Mais il ne s’agit que d’une solution temporaire.
« Je pense, qu’un jour, il faudra passer sur un système d’arme unique pour ne pas avoir des réservistes avec un type d’arme et les gens de l’active avec un autre », a en effet déclaré le général Burkhard. Un telle mesure permettrait de rationaliser l’entretien des armes individuelles, celui des FAMAS étant coûteux. « On sous-traite le percuteur, qui représente 380 euros pour 3 000 coups de fusil. Avec 3 percuteurs, on peut acheter un HK-416 », avait en effet expliqué le général Bosser, alors chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], en 2016.
Pour rappel, l’ambition du ministère des Armées est de compter un réserviste opérationnel pour deux militaires d’active. Ce qui permettra à l’armée de Terre de développer une « réserve de compétences », une « réserve territoriale » et une « réserve de combat ».
Pour cela, l’actuel CEMAT, le général Pierre Schill, a dit vouloir expérimenter « l’implication beaucoup plus étroite des réservistes » dans les régiments, l’idée étant de les insérer «dans les escadrons ou les compagnies de ces unités d’active ». Aussi, il ne serait pas compréhensible que les uns soient armés de FAMAS et les autres de HK416.
Pas à pas, le 9e régiment de soutien aéromobile (9e RSAM) de Montauban progresse dans son objectif de « militarisation ». De la préparation opérationnelle au recrutement en passant par les matériels, les défis à relever ne manquent pas pour ce maillon essentiel de la chaîne de maintenance des hélicoptères de l’armée de Terre.
Les défis de la militarisation
De la Nouvelle-Calédonie au Tchad et du porte-hélicoptères amphibie Mistral à l’exercice Baltops, le 9e RSAM est sur tous les fronts depuis le 1er janvier 2024 et son intégration au sein de la 4e brigade d’aérocombat (4e BAC). Un cycle soutenu et une illustration par le terrain de la transition engagée vers un soutien opérationnel renforcé au profit de l’ensemble de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT), bascule rendue nécessaire par le retour des conflits de haute intensité.
Illustré par une présence dans le dernier défilé aérien du 14 juillet, ce rapprochement avec la 4e BAC est une réponse parmi d’autres au besoin d’autonomisation de la maintenance inscrit dans les réflexions d’une « armée de Terre de combat », explique le colonel Thibaut Ravel, chef de corps du 9e RSAM depuis l’été dernier. « Nous sommes dans une logique de montée en puissance liée à l’intégration dans la brigade, dont la manoeuvre doit pouvoir être suivie par le régiment », poursuit-il à l’occasion des 70 ans de l’ALAT.
Traduit en vocabulaire de maintenancier, cette militarisation « revient à évoluer d’une base de soutien des matériels à un régiment du matériel », nous glisse le colonel Ravel. Pour ses 500 maintenanciers du ciel, il s’agit tout d’abord de continuer à développer l’expérience opérationnelle au gré des déploiements et des exercices. Plutôt que d’assurer un soutien essentiellement à distance, le 9e RSAM est désormais un « joueur » parmi d’autres. Il est donc soumis aux mêmes contraintes de rusticité et devient, de par sa singularité, une cible de choix pour l’adversaire désirant gripper la chaîne de soutien française.
S’il participe activement à une préparation opérationnelle durcie, le 9e RSAM n’a pas vocation à suivre les hélicoptères dans leurs missions de transport ou de destruction de l’adversaire sur ses arrières. Il sera plutôt déployé selon le besoin par le groupement de soutien divisionnaire ou de théâtre vers les trains de combat des groupes aéromobiles. Il pourra continuer de miser sur son atout principal : la flotte de cinq avions à décollage court Pilatus PC-6 qu’il est le seul à opérer au sein de l’armée de Terre.
Après deux éditions absorbées par des manoeuvres de plus grande ampleur, l’exercice Baccarat revient cette année et sera un test majeur pour le régiment. Il y déploiera pour la première fois un centre opération complet, manoeuvre déjà expérimentée sous forme d’embryon en 2022 lors de l’exercice Manticore. Ce CO commandera une escadrille de maintenance et une section approvisionnement, soit 70 personnels présents à Mailly-le-Camp avec un objectif en tête : éprouver les savoir-faire et le dispositif au profit de l’autonomie des régiments d’hélicoptères de combat.
Le défi des ressources humaines ensuite, avec une population également appelée à « se militariser ». Le seul segment logistique aura vu son contingent de 20 militaires du rang quadrupler en l’espace de trois ans. Le 9e RSAM est aujourd’hui composé à 50% de personnel militaire. Demain, ils représenteront 70% de l’effectif. Ce sont autant de départs à la retraite à compenser par l’engagement de spécialistes en treillis. Un enjeu de taille dans une région où la présence de plusieurs géants de l’aéronautique ajoute un surplus de pression aux aléas de recrutement et de fidélisation auxquels sont continuellement confrontées les armées.
Des PC-6 modifiés en attendant un successeur
Se rapprocher de la première ligne implique, enfin, des efforts à court et à plus long termes sur le segment capacitaire. Ce sont des perceptions d’équipements et armements individuels, du matériel de vie en campagne mais aussi des investissements dans les outils de maintenance et les infrastructures associées. C’est aussi une attention apportée à l’avenir du vecteur signature du 9e RSAM, un PC-6 en service depuis les années 1990.
Régulièrement rénové, le PC-6 sort de plus de 10 années d’engagement opérationnel en Mauritanie puis parmi les pays du Sahel relevant de l’opération Barkhane. « Il aura permis d’apporter un appui précieux à la manoeuvre aéroterrestre », observe le colonel Ravel. Rustique, capable de décoller et d’atterrir sur des pistes sommaires, adapté au milieu abrasif sahélien, il aura facilité le transport de fret et de pièces détachées mais pas seulement. Le chef tactique et ses transmissions également, l’autorisant à commander sa manoeuvre depuis les airs en bénéficiant d’une plus grande autonomie et sans toucher au potentiel des hélicoptères.
Le PC-6 est également capable d’emporter des opérateurs spécialisés, à commencer par les spécialistes du renseignement d’origine image (ROIM) du 2e régiment de hussards ou ceux du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) du 54e régiment de transmissions. Deux exemples de synergies qui ont prématurément démontré l’intérêt de réunir le renseignement et l’aérocombat au sein du nouveau Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR). Et son éventail d’applications s’étend jusqu’au largage de petits colis à basse altitude voire à l’évacuation de blessés assis, un scénario étudié durant la crise sanitaire mais finalement écarté au profit de la médicalisation des hélicoptères Caïman.
Après une décennie dans le ciel africain, il en ressort de nombreux retours d’expérience et certaines « fragilités ». « Certes l’avion n’est plus projeté, mais il se prépare aux combats futurs », indique le colonel Ravel. Une nouvelle refonte est en cours sur trois axes. Hormis quelques évolutions sur l’avionique, les PC-6 français disposeront d’ici peu d’un poste radio PR4G et d’un kit de blindage à demeure, de quoi « mieux sécuriser l’équipage et le fret ou les passagers » et plus particulièrement lors des phases d’approche.
Ce chantier est en cours. Deux des cinq avions ont été transformés. Le reste de la flotte suivra d’ici à l’été 2025. Après 30 années de bons et loyaux services, se pose dès maintenant la question de sa succession. Le PC-6 est néanmoins destiné à prendre sa retraite. Non seulement il commence à dater malgré les refontes successives, mais l’avionneur suisse Pilatus a aussi annoncé l’arrêt de la production de pièces de rechange en 2020 tout en conservant un stock pour 10 ans.
Le potentiel des appareils français s’étalant jusqu’entre 2032 et 2035, il reste moins d’une décennie pour déboucher sur un successeur. Attendu dans la prochaine loi de programmation militaire, celui-ci ce situe au confluent de plusieurs besoins. Celui du 9e RSAM bien entendu, mais aussi celui d’une armée de Terre ayant besoin de faire sauter davantage ses parachutistes avec des moyens patrimoniaux. Combinée au souhait de l’ALAT de pouvoir transporter de plus grandes pièces, la réflexion aboutit à une expression de besoin de l’état-major de l’armée de Terre portant sur « quatre, cinq avions » d’une capacité supérieure à celle du PC-6 et disponibles sur étagère. De quoi faire sauter la 11e brigade parachutiste et certaines unités du Commandement des actions spéciales terre (CAST) tout en pérennisant et en fluidifiant la logistique de l’ALAT. Et un projet qui, à l’instar des autres efforts consentis, permettra au 9e RSAM de continuer à appliquer sa devise : dépasser l’horizon.
En mai dernier, le Government Accountability Office [GAO, l’équivalent de la Cour des comptes aux États-Unis] n’a pas eu de mots assez durs à l’égard de la marine américaine, qu’elle a rendue responsable du retard de trois ans pris dans l’exécution de son programme de frégates de nouvelle génération qui, appelé « Constellation », doit coûter la bagatelle de 22 milliards de dollars.
Pour rappel, ces futurs navires étaient censés être conçu à partir du modèle italien de la frégate multimissions [FREMM]. Seulement, les exigences de l’US Navy ont modifié considérablement la conception initiale, d’où les appréciations peu amènes du GAO à son endroit.
«Des pratiques inadéquates […] et des mesures bâclées sur lesquelles le programme de frégates continue de s’appuyer ont […] contribué à lancer prématurément la construction du premier navire avant que la conception ne soit suffisamment stable pour soutenir cette activité », a-t-il affirmé.
Pour le moment, seulement six frégates de type « Constellation » ont été commandées, l’objectif étant pour l’US Navy de remplacer ses navires de combat littoral [LCS – Littoral Combat Ship] qui ne lui ont jamais donné satisfaction, ce qui leur vaut d’être surnommés « Little Crappy Ships » [petits navires de m…].
Lancé au début des années 2000 pour un montant alors estimé à 37 milliards de dollars, le programme LCS prévoyait de doter l’US Navy de 52 navires rapides et rendus polyvalents grâce à l’ajout de « modules de missions » en fonction des tâches qui devaient leur être assignées [lutte anti-sous-marine et anti-navire, déminage, renseignement, surveillance côtière, opérations spéciales]. Et le tout avec un équipage réduit à 40 marins. Seulement, ce concept, qui reposait sur deux modèles de bateau, ne s’est finalement pas avéré le plus pertinent qui soit. Après avoir réduit sa commande à 35 exemplaires, l’US Navy a déjà désarmé plusieurs unités, dont l’USS Sioux City, qui ne comptait guère plus de cinq ans de service.
Plus généralement, les choix technologiques hasardeux auront coûté très cher à la marine américaine. Le cas de la classe de « destroyers » Zumwalt est emblématique. Ayant la signature radar d’un bateau pêche malgré ses 15’480 tonnes de déplacement pour 185,6 mètres de longueur et 24,4 mètres de large, ce navire peut produire suffisamment d’énergie pour alimenter 78’000 foyers en électricité. D’ailleurs il était pressenti pour mettre en œuvre une canon électromagnétique [depuis mis en veilleuse]. L’US Navy espérait en compter 24… Elle en disposera finalement, au mieux de seulement trois, les coûts ayant atteint le niveau « stratosphérique » de 2,4 milliards de dollars par unité en 2016.
Outre ces impasses technologiques, l’US Navy est aussi aux prises avec les difficultés de l’industrie navale américaine [pénurie de main d’œuvre, problèmes d’approvisionnement, capacités de production insuffisantes, etc.]. Difficultés qui freinent les livraisons de nouveaux navires – comme les sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de la classe Virginia – mais aussi le Maintien en condition opérationnelle [MCO] des unités déjà en service.
Ainsi, dernièrement, le porte-avions USS George Washington est resté immobilisé pendant six ans tandis que l’arrêt technique majeur [ATM] de l’USS John C. Stennis devrait se prolonger jusqu’en 2026 [soit pendant un an de plus] alors qu’il a commencé en 2021. Le navire d’assaut amphibie USS Boxer a passé plus de temps en réparations qu’en mer… Et une autre unités du même type, l’USS Iwo Jima, a récemment dû revenir prématurément à sa base en raison d’une grave avarie dont la nature n’a pas été précisée.
Enfin, un autre problème auquel est confrontée l’US Navy est la pénurie de marins. Au début de cette année, il lui en manquait 22’000 [sur environ 348’000].
Dans le même temps, l’activité opérationnelle ne faiblit pas. Que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe et en Indopacifique, les crises s’accumulent et le droit international est de plus en plus souvent remise en cause. Et, pour les États-Unis, une « grande explication » avec la Chine pourrait avoir lieu en 2027, date à laquelle certains observateurs estiment que cette dernière pourrait tenter de mettre la main sur Taïwan. D’ailleurs, elle s’y prépare activement, en développant significativement ses capacités navales… au point, sans doute, de surclasser l’US Navy [c’est déjà le cas, en termes de tonnage…].
Quoi qu’il soit, la cheffe des opérations navales [CNO, l’équivalent de chef d’état-major de la Marine nationale], Mme l’amiral Lisa Franchetti, a repris cette évaluation à son compte. « Le président de la République populaire de Chine [RPC] a demandé à ses forces d’être prêtes à la guerre d’ici 2027. Nous serons encore mieux préparés », a-t-elle en effet lancé, dans le nouveau plan stratégique de l’US Navy.
C’est donc les yeux rivés sur le développement rapide, tant en quantité qu’en qualité, des capacités navales chinoises que l’amiral Franchetti entend remettre sur pied l’US Navy, en se focalisant sur plusieurs domaines clés.
« Le défi est de taille. La flotte chinoise est la plus importante du monde en termes de taille et elle se modernise rapidement. Le plus grand constructeur naval du monde, CSSC, est à la disposition de la marine de l’Armée populaire de libération [APL] » tandis que la base industrielle et technologique de défense chinoise « est sur le pied de guerre », a fait valoir Mme l’amiral Franchetti. Et de souligner que l’APL s’est attachée à intégrer ses différentes composantes [marine, force aérienne, missiles, cyberespace, espace] dans un « écosystème de combat conjoint spécialement conçu pour vaincre » celui des États-Unis.
Faute de pouvoir disposer des moyens budgétaires nécessaires, Mme l’amiral Franchetti estime que l’US Navy doit se concentrer sur les domaines où elle peut obtenir des gains « dans les délais les plus brefs possibles, avec les ressources dont elle dispose ». D’autant plus qu’elle n’a plus le temps pour accroître le nombre de ses navires « traditionnels ».
Parmi ces domaines, le MCO est essentiel. Ainsi, le plan stratégique de l’US Navy insiste sur la réduction des délais de maintenance à « tous les niveaux », l’objectif étant de pouvoir compter sur 80 % de navires de surface, de sous-marins et d’avions disponibles et prêts au combat d’ici 2027. Et ce n’est qu’un « minimum ». Une meilleur disponibilité permettra en outre d’atteindre un autre objectif : celui d’accroître significativement la préparation opérationnelle.
Un autre domaine où l’US Navy devra progresser est celui de la robotisation, en tirant parti des retours d’expérience [RETEX] de la guerre en Ukraine [en mer Noire] et des engagements contre les rebelles houthis en mer Rouge. L’objectif est ainsi de disposer de « systèmes robotisés et autonomes », dotés de « capacités matures » et pouvant être intégrés aux groupes aéronavals. Au passage, c’est aussi un moyen de gagner de la masse, ce qui est primordial s’il s’agit de mener un combat d’attrition.
Enfin, il s’agira également de remédier aux problèmes d’effectifs dans les trois ans à venir. Ce qui ne sera pas une mince affaire, déjà que, l’an passé, l’US Navy n’a pas tenu ses objectifs en matière de recrutement, même après avoir réduit ses exigences. Aussi, son plan stratégique prévoit surtout des mesures visant à fidéliser ses marins, en améliorant leurs conditions de vie et de service.
En 2018, la disponibilité de certaines flottes d’aéronefs étant encore très insuffisante au regard des contraintes et de l’activité opérationnelle, le ministère des Armées prit le taureau par les cornes en lançant une vaste réforme du Maintien en condition opérationnelle Aéronautique [MCO Aéro], sur la base des recommandations faites par l’ingénieur général hors classe de l’armement Christian Chabbert.
L’une des mesures prises consista à remplacer la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense [SIMMAD] par la Direction de la Maintenance aéronautiques [DMAé]. Placé sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées [CEMA], cet organisme est désormais chargé d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies en matière de MCO Aéro, afin d’accroître la disponibilité des aéronefs à un coût maîtrisé.
Pour cela, la DMAé a entrepris de simplifier le MCO en confiant tous les marchés relatifs à la maintenance d’un flotte d’aéronefs à un prestataire unique tout en lui assignant des objectifs de disponibilité, dans le cadre de contrats dits « verticalisés ».
Cette réforme a-t-elle produit les effets escomptés ? Les chiffres relatifs à la disponibilité technique des aéronefs étant désormais confidentiels, comme, d’ailleurs, les indicateurs sur l’activité des forces que l’on pouvait trouver dans les « bleus budgétaires » [c’est-à-dire les projets annuels de performance], il est compliqué de se faire une idée.
À moins de se contenter de quelques ordres de grandeur concernant certaines flottes. Ainsi, l’an passé, le général Stéphane Mille, alors chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE] avait confié, lors d’une audition parlementaire, que la disponibilité de l’aviation de chasse [Rafale et Mirage 2000] avait « globalement » augmenté de 3 % en 2023 tandis que celle des autres flottes [avions de transport, hélicoptères et drones] accusait une « légère baisse ».
Dans un référé publié ce 10 septembre, et bien que n’étant pas autorisée à rendre publics les taux de disponibilité des aéronefs, la Cour des comptes a donné un aperçu des résultats obtenus par le ministère des Armées en matière de MCO Aéro entre 2018 et 2023.
Ainsi, si elle dit avoir « observé à l’occasion de son contrôle une amélioration de la performance du MCO aéronautique, qui se traduit par une meilleure disponibilité de plusieurs flottes stratégiques d’aéronefs depuis 2018 », la Cour des comptes estime cependant que ces progrès, « réalisés au prix d’un accroissement significatif des moyens budgétaires » [4,7 milliards d’euros en 2022, ndlr], sont « insuffisants au regard des besoins opérationnels » étant donné que les volumes d’heures de vol et les indicateurs de performances des documents budgétaires » demeurent encore, « chaque année, en deçà des objectifs fixés par les armées ».
L’enquête menée par la Cour des comptes ne remet pas en cause les contrats verticalisés. En revanche, elle souligne qu’il existe des « marges de progrès importantes en matière de productivité et de compétitivité » au sein du Service industriel de l’aéronautique [SIAé].
Rattaché à l’armée de l’Air & de l’Espace, le SIAé est le « garant de l’autonomie de la France sur le MCO Aéronautique », en apportant une « logique de performance industrielle grâce à des méthodes innovantes », explique le ministère des Armées.
Certes, les Cour des comptes reconnaît que le SIAé a engagé des actions afin d’améliorer sa performance… Pour autant, poursuit-elle, « ses ateliers restent souvent engorgés par les flottes d’aéronefs les plus problématiques ». Et d’ajouter : « La production stagne depuis 2018 malgré l’augmentation des effectifs » tandis qu’il « n’existe pas d’indicateur fiable permettant de mesurer [sa] productivité. En outre, « peu de synergies ont été développées entre ses cinq ateliers [*], dont les pratiques restent hétérogènes ».
Selon le ministère des Armées, le SIAé emploie 5000 personnes [dont 83 % de personnels civils] et recrute plus de 400 opérateurs, techniciens et ingénieures tous les ans.
Parmi les mesures qu’elle préconise, la Cour des comptes soutient que la « transformation » du SIAé doit se poursuivre en prenant modèle sur « la réorganisation et les évolutions managériales menées à bien dans les centres d’essais de la DGA », lesquels « sont notamment parvenus à mutualiser leurs fonctions support et augmenter leurs heures productives ».
Par ailleurs, la Cour des comptes a également évoqué les difficultés du projet BRASIDAS. Confié en 2018 par la Direction générale de l’armement [DGA] à Sopra Steria, il doit permettre de réunir toutes les informations sur les activités de maintenance sur les différentes flottes d’aéronefs au sein d’un seul système d’informations [il en existait alors plus de 80]. Un audit de ce projet est d’ailleurs actuellement mené par le Contrôle général des armées.
« La Cour a constaté que la réalisation de la première étape de BRASIDAS accusait déjà un retard de deux ans par rapport au calendrier initial et se heurtait à des difficultés importantes, notamment liées à la reprise des données de certaines flottes et à la maturité du principal composant technique de la solution », lit-on dans le référé. Aussi recommande-t-elle de tirer toutes les conséquences sur la conduite de ce projet une fois que l’audit dont il fait l’objet sera terminé.
Quoi qu’on en dise, les armées occidentales n’ont pas connu, depuis la guerre de Corée, de réels engagements de haute intensité dans la durée. À ce titre, la guerre du Golfe de 1991, souvent mise en avant pour justifier des arbitrages faits par les occidentaux en matière d’armées, d’équipements et de doctrines, a été trop courte, et trop spécifique, pour en tirer de réelles conclusions.
Dans ce contexte, la guerre en Ukraine, depuis février 2022, est l’occasion, pour ces mêmes armées occidentales, pour confronter leurs équipements, ainsi que, d’une certaine manière, leurs doctrines, à la réalité. Ce fut l’occasion de revenir sur certaines certitudes, notamment concernant l’efficacité relative supposée des équipements occidentaux sur les matériels, plus rustiques, russes.
Cette guerre a également montré le rôle déterminant de l’artillerie dans ce type de conflit. Dans ce domaine, les nouveaux systèmes européens, dotés d’un tube de 52 calibres et de systèmes de visée plus évolués, ont montré leur grande efficacité, face aux matériels russes, mais aussi, américains ou britanniques, moins performants.
Le canon Caesar porté sur camion, de conception française, brille particulièrement dans ce conflit. Un temps jugé trop léger et insuffisamment protégé, face à l’Archer suédois, ou moins mobile sur terrain difficile, que le Pzh2000 allemand, celui-ci a montré, à plusieurs reprises, toute l’efficacité de son concept.
Toutefois, si les ukrainiens ont parfois envoyé des messages contradictoires au sujet de ce système, une récente interview en ligne, sur Telegram, d’artilleurs russes, montre qu’il est, aujourd’hui, le système le plus redouté, et celui qui leur a fait le plus de mal.
Sommaire
Des messages parfois contradictoires concernant le canon Caesar venant d’Ukraine
Aujourd’hui, les armées ukrainiennes alignent une cinquantaine de Caesar, dont 19 en version 8×8 fournis par le Danemark, et 32 en version 6×6 par la France. Celles-ci doivent recevoir, sur 2024, 78 nouveaux Caesar 6×6, financés conjointement par Paris, Copenhague et Kyiv.
Cependant, les messages concernant l’efficacité du Caesar au combat, venant des armées ukrainiennes, ont occasionnellement été contradictoires. Il y a quelques mois, un artilleur ukrainien avait ainsi expliqué à des journalistes français, que le canon tracté M777 américain était plus efficace, car pouvant plus facilement se dissimuler, et de cette façon résister aux attaques de drones, et car trop complexe à employer et à maintenir.
Les faits, cela dit, ne lui donnaient pas raison, notamment par la comparaison des pertes entre les deux systèmes. Et ces déclarations avaient d’ailleurs amené le ministère de la Défense ukrainien, à publier un communiqué pour contredire le colonel Yan Iatsychen, commandant de la 56ᵉ brigade d’infanterie motorisée, et exprimer sa pleine satisfaction du CAESAR.
Il y a quelques jours, Alexandre Zavitnevych, Président de la commission de la sécurité nationale, de la défense et du renseignement du Parlement ukrainien, la Rada, avait fait l’éloge du Caesar, en particulier aux mains des artilleurs de la 55ᵉ brigade d’artillerie, alors en charge de protéger le théâtre de Zaporojjie.
Il a toutefois précisé qu’ils rencontraient des difficultés concernant le maintien en condition opérationnelle (MCO), une difficulté sur laquelle KNDS-France et les autorités ukrainiennes, travaillent activement. Dans le même temps, il a indiqué que la mobilité du canon français était mise à mal lors des périodes de fortes pluies, au printemps et à l’automne.
Le témoignage d’un artilleur russe sur l’évolution de l’artillerie ukrainienne
À ces sujets, l’interview d’artilleurs russes, menée par des compatriotes milbloggers, apporte une vision complémentaire, et très éclairante, sur la perception concernant l’efficacité de l’artillerie ukrainienne, mais aussi celle du Caesar français.
La première partie de l’interview traite de l’évolution de la doctrine employée par l’artillerie ukrainienne comme russe, au début du conflit, et son évolution au fil du temps. Ainsi, il apparait, comme on pouvait s’y attendre, que l’une comme l’autre appliquaient des doctrines soviétiques au début du conflit, concentrant de puissantes forces d’artillerie menant un feu massif et très soutenu, à chaque utilisation.
On comprend, à ce titre, qu’un officier ukrainien ait eu du mal à faire sienne la doctrine d’emploi du Caesar, conçu pour être très mobile et employé en petite unité, voir de manière individuelle, et puisse privilégier le M777, beaucoup plus conforme, dans l’esprit, à l’utilisation faite de l’artillerie héritée de la doctrine soviétique. « Plusieurs centaines de coups pouvaient être tirés sur une même cible, pour mettre un ou deux coups au but« , précise ainsi l’artilleur russe à ce sujet.
Au fil du temps, les tirs de contrebatterie, d’une part, les frappes de drones et le manque de munitions, de l’autre, ont amené les ukrainiens à évoluer vers des unités beaucoup plus compactes, plus mobiles, et tirant beaucoup moins d’obus par frappe, d’un rapport « un à cent« , selon le témoignage russe, avec toute la subjectivité que cela implique.
Le Caesar est un cauchemar pour les artilleurs russes
La seconde partie de l’interview porte, elle, sur les capacités les plus redoutées par les artilleurs russes. Et le constat est sans appel, il s’agit du Caesar français. Celui-ci n’évolue pas, selon lui, « dans le même siècle que les équipements en service au sein des armées russes« .
« La portée de ces systèmes atteint 40 km avec des obus conventionnels, surpassant de loin les systèmes soviétiques que nous avons, qui plafonnent à 32 km avec des obus à portée additionnée« . « La configuration sur roues de ces залупы » (je vous laisse le choix de la traduction ;-)) « leur permet de rapidement quitter une position, même une fois déployés ».
« Il ne faut que 60 secondes pour le déployer, et 40 secondes pour s’échapper. Le système de visée est automatique, ce qui lui confère une précision extraordinaire« , ajoute-t-il.
De fait, les armées russes ont fait de la destruction des Caesar, une véritable priorité, n’hésitant pas à employer des drones Lancet, et même des roquettes et missiles balistiques à courte portée (OTRK), pour y parvenir.
Et d’ajouter que le Caesar est aujourd’hui un système rare, employé avec parcimonie par les armées ukrainiennes, pour les tirs de contrebatterie, avec une grande efficacité. « Ces obusiers français ont pris un nombre énorme de vies d’artilleurs russes« , conclut-il.
Le concept du Caesar, associant efficacité et masse, s’impose en haute intensité
Bien évidemment, un témoignage ne fait pas une situation. Il convient donc de se montrer prudent, quant à la surinterprétation des conséquences de cette interview, d’autant que, pour des raisons évidentes, celle-ci est volontairement obscure sur de nombreux aspects.
Toutefois, elle tend à accréditer le concept ayant entouré la conception du Caesar lui-même, dans les années 90. Pour rappel, celui-ci n’avait pas vocation, initialement, à remplacer l’artillerie sous casemate chenillée, comme l’AuF1 GCT, sur châssis AMX-30. Le Caesar visait à remplacer les canons tractés TR-F1, plus économiques, plus mobiles, et plus facilement déployables.
Pour autant, celui-ci n’a pas été conçu, comme avancé parfois par le passé, pour une utilisation sur théâtre de moindre intensité. Il visait, effectivement, à remplacer par la mobilité, la précision et l’allonge, la survivabilité liée au blindage, concernant les canons automoteurs, tout en conservant une efficacité opérationnelle identique, y compris en haute intensité.
Le fait est, aujourd’hui, l’Armée de terre va basculer l’ensemble de son artillerie lourde, sur Caesar Mk2, y compris en remplaçant ses derniers AuF1 par ce système. Et plusieurs armées, y compris en Europe, ont fait un choix similaire. En effet, au-delà de ses qualités techniques et opérationnelles, le Caesar offre un atout clé, sensible particulièrement en Ukraine : il est économique, et relativement « facile » à produire.
Ainsi, pour le prix d’un Archer 2 suédois, il est possible d’acquérir 2,5 à 3 Caesar, alors que pour un RCH155, ou un PZH2000, ce sont 3,5 à 4 Caesar qui prennent la ligne. Certes, le Caesar Mk2 n’aura pas l’automatisation de l’Archer 2, ni la capacité de faire feu en mouvement du RCH155, mais avec le même investissement, il permet d’atteindre une masse critique efficace sur le champ de bataille, que ces autres systèmes peinent à atteindre.
On comprend, dans ces conditions, que le Caesar tende à devenir le système d’artillerie de nouvelle génération central des armées ukrainiennes, étant certainement le seul à pouvoir afficher de telles performances, tout en étant produit à 72 unités par an en 2024, 144 unités en 2025, selon l’industriel.
KNDS-France anticipe de nouvelles commandes à venir du Caesar et l’arrivée des concurrents
On comprend également que KNDS-France, ex-Nexter, soit confiant quant à l’avenir commercial de son système, et la raison pour laquelle le français a annoncé une hausse de la production mensuelle pour atteindre 12 unités par mois, d’ici à 2025. Pour rappel, elle n’était que de trois canons par mois en 2022, encore moins auparavant.
En effet, au-delà des commandes ukrainiennes, françaises, belges, tchèques ou encore estoniennes, la démonstration de la validité du concept du Caesar, plus que de ses capacités elles-mêmes, qui étaient déjà connues, a le potentiel d’engendrer, dans les mois et années à venir, de nouvelles commandes, mettant KNDS-France au centre de l’artillerie occidentale.
Reste que ce succès va, aussi, aiguiser les appétits des autres industriels. Jusqu’à présent, les grands industriels européens, s’ils avaient compris l’intérêt de la configuration roues-canon, n’avaient pas adhéré au concept Caesar, donnant naissance à l’Archer suédois, au Zuzana 2 slovaque, ou au RCH155 allemand. Beaucoup plus lourds, et considérablement plus onéreux, ces systèmes n’évoluent donc pas dans la même catégorie que le Caesar.
Maintenant que le concept même est validé, la situation est différente, et des offres basées sur les mêmes paradigmes, émergeront bientôt. C’est déjà le cas du PCL-181 chinois, très proche, dans l’esprit et dans l’aspect, du Caesar français, mais aussi de l’Atmos israélien, probablement le plus sérieux concurrent, aujourd’hui, du système de KNDS-France.
Ainsi, comme les succès des Mirage III israéliens, amenèrent les américains à concevoir le F-16, l’avion le plus vendu de sa génération, il va falloir, à l’industriel français, s’emparer du plus de marchés possibles, avant que les offres concurrentielles ne débarquent vraiment. L’augmentation des cadences de production montre que KNDS-France a parfaitement saisie la temporalité des enjeux qui se présentent aujourd’hui.
Article du 22 avril en version intégrale jusqu’au 27 aout 2024
En 2006, l’armée de Terre mit en place une « Politique d’emploi et de gestion des parcs » [PEGP] afin d’optimiser l’utilisation de ses véhicules tout en rationalisant leur Maintien en condition opérationnelle [MCO] afin de trouver des marges de manœuvre budgétaires. Ce modèle était organisé selon quatre « pôles », à savoir « Entraînement », « Alerte », « Service permanent » et « Gestion », ce dernier concernant l’ensemble des matériels nécessitant des réparations ou devant subir un entretien programmé.
Puis, dans le cadre du plan stratégique « Au contact » élaboré par le général Jean-Pierre Bosser, alors chef d’état-major de l’armée de Terre, il fut décidé de procéder autrement avec la « politique de gestion des parcs au contact » [PAC], l’idée étant d’augmenter la dotation des régiments afin de faciliter leur préparation opérationnelle.
Désormais, il existe deux « familles » de parcs : le Parc en exploitation opérationnelle [PEO] et le Parc en immobilisation technique [PIT]. Connaître de la taille du second par rapport au premier permettrait d’avoir une idée de la disponibilité technique [DT] des matériels de l’armée de Terre, et partant, de son activité.
Or, cette donnée n’est plus publique et ne figure même plus dans les documents budgétaires publiés par le ministère de l’Économie et des Finances, comme les rapports annuels de performances ou encore les projets annuels de performances. Aussi, il est désormais impossible de vérifier si les mesures prises pour améliorer le MCO ont produit des effets.
Ayant passé quatre années à la tête de la Structure Intégrée du Maintien en condition opérationnelle des Matériels Terrestres [SIMMT], chargée de l’entretien de l’ensemble des véhicules du ministère des Armées, le général Christian Jouslin de Noray vient de donner quelques indications, à l’heure où il doit passer le relais au général Richard Ohnet.
« La maintenance terrestre répond aujourd’hui avec brio aux attentes des armées, directions et services. Pourtant les vents contraires ne l’ont pas épargnée. Elle a notamment dû affronter la crise sanitaire, la dégradation des flux mondiaux d’approvisionnement, le retrait du Sahel et la guerre en Ukraine », a d’abord tenu à rappeler le général Jouslin de Noray, dans un message diffusé le 1er août.
Malgré ces difficultés, les « résultats obtenus sont éloquents », a-t-il continué. Au point que, selon lui, la « disponibilité technique permet à nos forces de s’entraîner et de s’engager en opérations, à bon niveau et à coût maîtrisé », avec notamment un « parc hors ligne » qui a été « divisé par deux ». Faut-il comprendre que les véhicules passent désormais moins de temps en réparation que par le passé ?
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce résultat. Ainsi, pour la seule armée de Terre, la mise en service progressive des véhicules issus du programme SCORPION [blindés multirôles Griffon et Serval, engin blindé de reconnaissance et de combat Jaguar] ainsi que le remplacement du véhicule léger tout-terrain P4 par l’ACMAT VT4 en font partie. La fin des opérations au Sahel, très éprouvantes pour les matériels, également.
Mais à ces éléments conjoncturels s’ajoutent des considérations structurelles. Ainsi, le général Jouslin de Noray a mis en avant la « transformation numérique » de la SIMMT, avec l’entrée en service et la « modularisation » du système d’information « SIMAT », décrit comme étant un « véritable système d’armes du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres [MCO-T] ». Utilisé par les trois armées, il permet de connaître, en temps réel, l’état du parc, la disponibilité technique des matériels et de suivre l’évolution des réparations de ceux qui sont immobilisés.
« Nous disposons d’un des seuls systèmes d’information de l’État interfacé avec les systèmes d’information logistique de l’industrie privée. SIMAT finances a été développé de manière exemplaire, en moins d’un an. Des robots assistants administratifs nous appuient désormais et nous soulagent de nombreuses tâches chronophages », a souligné le général Jouslin de Noray.
« La numérisation des ateliers est aujourd’hui une réalité », s’est-il en outre félicité, en citant les apports de l’intelligence artificielle [avec, par exemple, le projet RORA – Reconnaissance d’Objet Rapide par intelligence] ainsi que ceux de la maintenance prédictive. « L’impression 3D [polymère et métallique], après avoir été résolument apprivoisée, tant dans ses aspects technologiques qu’organisationnels, passe actuellement à l’échelle », a-t-il relevé.
Par ailleurs, la SIMMT a également revu ses stratégies en matière de soutien, afin de « répondre au nouveau contrat opérationnel de nos armées», ce qui s’est traduit par la notification de « marchés novateurs et audacieux », censés engendrer « des gains de disponibilité et d’économies», a précisé son désormais ancien directeur central. Un effort a aussi été fait en matière de simplification des procédures et « l’ingénierie de la chaîne approvisionnement » a pris « un nouvel essor pour enclencher la constitution des stocks nécessaires», a-t-il conclu.
L’Armée de l’Air américaine et le géant industrielle Boeing ont dévoilé une nouvelle lacune dans l’avion-citerne KC-46, un composant majeur de la capacité de ravitaillement aérien aux États-Unis.
Cette déficience, qui s’ajoute à une série croissante de problèmes de conception à haut risque, affecte le système de pompe à carburant de l’appareil et provoque par la suite des dommages aux conduits du système d’air.
Cette défaillance a été classée comme une déficience de Catégorie 1, ce qui implique un degré de risque élevé et impose des restrictions opérationnelles à l’aéronef ou à l’opérateur. Le problème a été découvert au début du printemps lorsque Boeing a observé les dommages résultant des vibrations de la pompe à carburant du KC-46 sur les conduits d’air de son système de saignée.
Boeing, chargée de la construction de l’avion-citerne, a pris des mesures immédiates pour réparer les conduits d’air endommagés. L’entreprise teste actuellement une solution temporaire à ce problème, selon Kevin Stamey, le directeur du programme de l’Armée de l’Air pour les aéronefs de mobilité et d’entraînement. En fonction des résultats de ce test, une rectification de conception plus permanente sera probablement mise en œuvre, pouvant entraîner une diminution de la gravité du problème, comme il a été rapporté lors d’une récente conférence de presse à l’occasion de l’événement Life Cycle Industry Day de l’Armée de l’Air à Dayton, Ohio.
Stamey a également indiqué que « La solution est conçue pour minimiser les dommages causés par les vibrations. » À ce jour, sept déficiences de Catégorie 1 ont été enregistrées, dont trois sont sur le point d’être résolues. Parmi celles-ci figure le système de vision à distance (RVS) du ravitailleur, un système de caméra spécialement conçu pour assister les opérateurs du ravitailleur dans le ravitaillement des avions récepteurs. La version redessinée par Boeing, baptisée RVS 2.0, qui résout les problèmes d’imagerie de son prédécesseur, est prévue pour une mise en service en 2026.
Un autre problème de conception significatif concerne l’actionneur à bras du ravitailleur, essentiel pour ravitailler en toute sécurité l’avion A-10. L’entreprise a achevé la fabrication d’un prototype pour le matériel requis et a commencé à le tester en laboratoire en mai dernier.
Boeing a indubitablement payé un lourd prix pour ces défauts de conception – pas moins de 7 milliards de dollars en frais liés aux problèmes de conception et de production du KC-46. Mais l’entreprise reste optimiste. Comme le fait justement remarquer Stamey : « [Boeing] se penche en avant lorsqu’ils ont une échappée de qualité. Ils ont ajouté des inspecteurs sur la ligne et ils y sont très sensibles. »
Cette saga reflète une étape importante dans la vie d’un actif majeur de la défense qui promet de jouer un rôle crucial dans la préservation de la supériorité aérienne des États-Unis dans les décennies à venir. Elle souligne les complexités inhérentes à la construction et à la gestion de la technologie militaire moderne, ainsi que l’engagement de Boeing à corriger les insuffisances pour garantir la fiabilité et la faisabilité de l’avion-citerne KC-46.
Paolo Garoscio
Journaliste chez EconomieMatin. Ex-Chef de Projet chez TEMA (Groupe ATC), Ex-Clubic. Diplômé de Philosophie logique et de sciences du langage (Master LoPhiSC de l’Université Paris IV Sorbonne) et de LLCE Italien.
En février, l’US Army a brutalement mis fin au programme FARA [Future Attack Reconnaissance Aircraft] qui, lancé officiellement en 2018, devait se concrétiser par le développement d’un nouvel hélicoptère de reconnaissance et d’attaque. Cette décision a été motivée par les retours d’expérience [RETEX] de la guerre en Ukraine.
« Nous apprenons du champ de bataille, notamment en Ukraine, que la reconnaissance aérienne a fondamentalement changé. Les capteurs et les armes montés sur divers drones sont plus omniprésents et moins coûteux que jamais. […] En examinant le programme FARA à la lumière des nouveaux développements technologiques, de l’évolution du champ de bataille et des projections budgétaires actuelles, il a été estimé que les capacités accrues qu’il offrait pourraient être obtenues de manière plus abordable et plus efficace en s’appuyant sur une combinaison » de différents moyens, comme les drones et les moyens spatiaux », fit alors valoir l’US Army.
Faut-il pour autant en conclure que la guerre en Ukraine a sonné le glas pour l’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque ? En tout cas, le ministère allemand de la Défense a décidé d’accélérer le remplacement des Tigre de la Bundeswehr par des appareils d’attaque plus légers, en l’occurrence 62 H145M, dont certains auront des capacités de lutte antichar.
Seulement, cette décision a eu des répercussions en France et en Espagne, deux pays avec lesquels l’Allemagne était censée établir une coopération pour le développement du standard 3 du Tigre. Celui-ci était ambitieux puisqu’il prévoyait d’intégrer à cet hélicoptère le système de visée Strix NG, de nouveaux systèmes de navigation, la suite avionique FlytX, un dispositif d’autoprotection dérivé du CATS-150, des terminaux Micro TMA pour le guidage des missiles air-sol et de drones, le casque à viseur intégré TopOwl Digital Display, etc.
Côté français, il était aussi question de permettre aux Tigre de l’Aviation légère de l’armée de Terre [ALAT] d’emporter des missiles Akeron LP [ex-missile haut de trame].
En mars 2022, les contrats relatifs au standard 3 du Tigre furent notifiés aux industriels concernés, via l’Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement [OCCAr], sans attendre l’Allemagne. Sauf que l’ambition de départ fut réduite puisqu’il n’était plus question que de moderniser 42 Tigre sur les 67 en dotation au sein de l’ALAT.
Puis, l’année suivante, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, expliqua devant les parlementaires qu’il fallait « réinterroger le modèle » des évolutions du Tigre, à la lumière des enseignements tirés des combats en Ukraine. Finalement, la Loi de programmation miliaire [LPM] 2024-30 rendit son verdict : le standard 3 allait être abandonné au profit d’une modernisation à mi-vie beaucoup plus modeste.
Étant donné que le tableau capacitaire de la LPM indique que l’ALAT disposera de 67 Tigre en 2030 [de même qu’en 2035], on pouvait penser que tous ces hélicoptères seraient concernés par cette rénovation à mi-vie, désormais désignée Mk2+ [ou RMV Tigre]. Or, à l’occasion du salon de l’armement aéroterrestre EuroSatory 2024, l’armée de Terre a précisé que seulement 42 appareils allaient être modernisés. Que deviendront les 25 autres ?
« Le programme de rénovation mi-vie de l’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque Tigre […] est destiné à prolonger le service opérationnel du Tigre au-delà de 2050 tout en l’adaptant à la réalité du champ de bataille futur. Il est mené en coopération avec l’Espagne et prévoit la rénovation de 42 hélicoptères Tigre de l’ALAT », est-il en effet avancé dans un dossier de presse diffusé par l’armée de Terre.
Toujours conduit par l’intermédiaire de l’OCCAr, ce programme est mené en coopération avec l’Espagne, avec la participation d’Airbus Helicopters, Thales et Safran Electronics & Defense.
Parmi les évolutions prévues, l’armée de Terre cite la refonte de l’avionique, avec notamment l’ajout du SICS ALAT [Système d’information du combat Scorpion], l’intégration du poste radio CONTACT, la possibilité d’utiliser le système de géolocalisation par satellite européen Galileo [en plus du GPS américain] et la « capacité de coopération drones-hélicoptères [MUM-T] ».
Dans un entretien accordé à Air & Cosmos, le 13 juin, le commandant de l’ALAT, le général Pierre Meyer, a expliqué que la « rénovation mi-vie telle qu’envisagée à ce stade doit permettre des améliorations en portée de détection, de missile, de débattement du canon ». Et d’ajouter : « Le Tigre devrait comporter aussi une part d’évolutivité, afin d’intégrer plus rapidement et sans des chantiers importants des innovations qu’on voit poindre, en matière de connectivité, de spectre des munitions, et pour permettre la coopération drone-hélicoptère tellement importante ».
Avec une aide matérielle intermittente, graduelle et dosée, l’interdiction d’employer les armes fournies sur le sol de l’ennemi agresseur et la peur d’engager le moindre humain sur le sol de l’allié,le soutien occidental à l’Ukraine depuis 2022 est peut-être le plus prudent, sinon le plus pusillanime, de l’histoire des soutiens à des pays en guerre. Il faut sans doute revenir à l’attitude des démocraties face à la guerre civile à en Espagne de 1936 à 1939 pour trouver pire. A l’époque, lorsqu’il faut choisir entre le soutien à la République espagnole ou aux rebelles franquistes, les démocraties préfèrent proposer un « pacte de non-intervention » qui interdit toute aide matérielle aux belligérants par peur d’une extension du conflit à l’Europe. L’Allemagne et l’Italie bafouent allègrement ce pacte et vendent ou fournissent très vite des équipements aux nationalistes dont ils sont proches idéologiquement, sans que cela suscite la moindre rétorsion par peur de « provoquer ». Les Alliés de la République espagnole finissent quand même assez rapidement par lui fournir à leur tour du matériel, ouvertement et en échange de l’or espagnol par l’Union soviétique, beaucoup plus discrètement dans le cadre de la « non-intervention relâchée » par la France qui fait notamment transiter son aide via la Lituanie ou le Mexique qui n’ont pas signé le Pacte.
Le cas des hommes est plus délicat. Dans une situation de « confrontation froide » où aucun des deux camps opposés ne veut franchir le seuil de la guerre, il est toujours délicat de s’engager militairement sur le même terrain que son adversaire. Il y a donc une prime au premier qui s’engage puisqu’il empêche l’autre de le faire. Allemagne et Italie envoient très tôt dans la guerre des unités de combat, respectivement la Légion Condor et le Corps de troupes volontaires, qui pèsent évidemment très lourd dans les combats. Cette contradiction on ne peut plus flagrante du Pacte de non-intervention est masquée par le label du « volontariat ». Ces unités constituées ne sont donc pas officiellement des instruments étatiques mais des organisations non gouvernementales combattantes. Personne n’est dupe, évidemment, mais cela sert d’excuse pour ne rien faire. Il est vrai aussi qu’il y a également des volontaires individuels qui viennent aussi combattre par conviction dans les rangs nationalistes. C’est l’Union soviétique qui riposte, avec deux innovations. La première est formée par les unités fusionnées. L’URSS envoie 2 000 techniciens et servants d’armes qui viennent s’intégrer aux Espagnols dans des unités mixtes aériennes ou terrestres. La plus importante est la 1ère brigade blindée qui comprend 60 % de Soviétiques. La seconde est l’emploi du réseau partis communistes pour constituer des brigades internationales à partir de combattants volontaires, 35 000 dont plus de 9000 Français. Bien entendu, tous ces engagements humains variés induisent des risques et donc des pertes, 300 Allemands et plus de 1 000 Français tombent ainsi dans le conflit, mais cela ne suscite pas d’émotion particulière dans l’opinion publique. Cet engagement matériel et humain de part et d’autre n’a finalement provoqué aucune extension du conflit par engrenage et escalade tout simplement parce que personne ne le souhaitait. Quelques mois après la fin de la guerre d’Espagne, l’Allemagne et l’Union soviétique qui venaient de s’y affronter deviennent même alliés.
Les démocraties occidentales sont beaucoup plus audacieuses fin 1939 pour aider la Finlande agressée par l’Union soviétique, qui vient d’envahir une partie de la Pologne alliée et soutient massivement économiquement l’ennemi allemand. Cette fois le soutien matériel franco-britannique, et même italien, est franc et massif. La France propose par exemple de fournir 200 avions. On renoue avec les unités de volontaires, qui viennent de partout mais principalement de Suède. La nouveauté est que la France et le Royaume-Uni envisagent d’engager des unités régulières en Laponie face à l’Union soviétique et même de bombarder Bakou. On ne sait pas trop ce qui serait passé si ces projets fumeux avaient été mis en œuvre. Ils n’auraient pas fait grand mal de toute façon à l’URSS et peut-être en serait-on resté au stade des accrochages, ces petits franchissements du seuil de la guerre que l’on peut ignorer et oublier si on en reste là. La défaite de la Finlande en mars 1940 coupe court à toutes ces ambitions.
À ce moment-là, ce sont les démocraties occidentales qui sont agressées et les États-Unis s’en inquiètent. Malgré une opinion publique plutôt neutraliste, le président Roosevelt obtient de pouvoir aider matériellement, avec des aménagements de paiements, certaines nations afin de soutenir les intérêts stratégiques américains. Un an après la fourniture de 50 destroyers à la Royal Navy en échange de la possibilité d’installer de bases, les États-Unis mettent en œuvre la loi Prêt-bail à partir de mars 1941. On aide massivement les pays jugés alliés et on voit plus tard la manière de la payer. Personne ne dit à ce moment-là que les États-Unis sont « cobelligérants » aux côtés du Royaume-Uni puis de l’Union soviétique, et cette aide n’est pas la cause de l’entrée de l’entrée en guerre des États-Unis quelques mois plus tard. On rappellera juste l’importance de ce soutien, de l’ordre de 540 milliards de dollars actuels pour le Royaume-Uni, de presque 200 milliards pour l’URSS ou 56 milliards à la France, soit de l’ordre de 5 % du PIB annuel américain de l’époque, juste pour l’aide.
Avant l’entrée en guerre en décembre 1941 l’aide américaine est d’abord matérielle, mais on assiste à une initiative originale. Claire Lee Chennault, ancien officier de l’US Army Air Force devenu conseiller militaire de Tchang Kaï-chek en pleine guerre contre le Japon, obtient de faire bénéficier la Chine d’une centaine d’avions de combat américain mais aussi de pouvoir recruter une centaine de pilotes et de 200 techniciens américains rémunérés par une société militaire privée (la CAMCO). On les baptisera les « Tigres volants ». La SMP est un moyen pratique « d’agir sans agir officiellement ».
La guerre froide, cette confrontation à l’échelle du monde, est l’occasion de nombreuses aides à des pays en guerre y compris contre des rivaux directs « dotées » de l’arme nucléaire. Dans les faits, cela ne change pas grand-chose aux pratiques sinon que les nouveaux rivaux sont encore plus réticents que les anciens. L’Union soviétique aide ainsi successivement la Corée du Nord et la Chine pendant la guerre de Corée puis la République du Nord-Vietnam, contre les États-Unis, directement engagés, et leurs alliés. Elle aide aussi plus tard l’Égypte et la Syrie face à Israël, la Somalie face à l’Éthiopie puis l’inverse, l’Irak face à l’Iran ou encore l’Angola face à l’Afrique du Sud. La méthode soviétique est toujours la même. L’aide matérielle est rapide, massive et complète (même si les Chinois se plaignent d’avoir été insuffisamment soutenu en Corée) et d’une valeur de plusieurs milliards d’euros par an. Cette aide matérielle s’accompagne toujours d’une aide humaine si les troupes américaines ne sont pas là avec l’envoi de milliers de conseillers, techniciens, servants d’armes complexes.
L’URSS n’exclut pas l’engagement d’unités de combat, en mode masqué, mixte et fondu dans des forces locales si on veut rester discret comme les pilotes soviétiques engagés au combat contre les Américains en Corée ou au Vietnam. Elles peuvent aussi être engagées plus ouvertement mais en mission d’interdiction, c’est-à-dire sans chercher le combat. En 1970 en effet, en pleine guerre entre l’Égypte et Israël, les Soviétiques engagent une division complète de défense aérienne, au sol et en l’air, sur le Nil puis sur le canal de Suez. Cela conduit à des accrochages entre Soviétiques et Israéliens sans pour autant déboucher sur une guerre ouverte que personne ne veut. Le 24 octobre 1973, alors que la guerre du Kippour se termine, l’Union soviétique, qui, comme les États-Unis, a soutenu matériellement ses alliés, menace d’envoyer à nouveau des troupes en interdiction afin de protéger Le Caire et Damas. Les États-Unis augmentent leur niveau d’alerte de leurs forces, notamment nucléaires. Finalement, comme tout le monde l’anticipait, personne n’intervient et les choses s’arrêtent là. S’il y a véritablement besoin de renforcer massivement au combat les armées locales, les Soviétiques font plutôt appel à des alliés du monde communiste, comme la Chine en Corée (avec la plus grande armée de « volontaires » de l’histoire) face à la Corée du Sud et les Nations-Unies ou Cuba en Angola face à l’Afrique du Sud. Notons enfin, innovation de la Seconde Guerre mondiale, l’importance des services secrets et des forces spéciales pour appuyer et compléter ces actions, voire s’y substituer lorsqu’elles sont inavouables.
Les pays occidentaux, de fait les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, pratiquent sensiblement les mêmes méthodes et respectent les mêmes principes. L’aide matérielle est normalement sans restriction surtout si elle est financée, comme en Irak dans les années 1980 (où Soviétiques et Occidentaux se retrouvent dans le même camp) avec quasiment toujours les techniciens nécessaires et une structure de formation. On applique ensuite le principe du « premier arrivé interdit le concurrent » et quand les Soviétiques sont là, on n’y est pas ou le plus discrètement possible. Quand les Soviétiques ne sont pas là en revanche on peut se lâcher. La France envoie, à son échelle, des soldats fantômes, des conseillers-instructeurs, des forces d’appui ou même des unités en interdiction, comme en 1983 au Tchad face à la Libye où, malgré les accrochages, on reste au stade de la confrontation avec la Libye sans franchir le seuil de la guerre. L’engagement humain américain en zone de guerre interétatique est plus binaire du fait des contraintes sur l’engagement militaire. Il est soit non officiel, avec emploi de soldats fantômes ou de SMP, éventuellement de conseillers (Vietnam avant 1965), soit direct et généralement massif comme en Corée en 1950 ou au Sud-Vietnam à partir de 1965. Comme pour les Soviétiques cette prudence n’exclut pas les pertes, inhérentes à toute opération militaire. Elle n’empêche pas non plus les accrochages, comme les combats aériens entre Soviétiques et Américains où les frappes aériennes de part et d’autre au Tchad entre les forces françaises et libyennes.
Il faut retenir de tout cela que quand deux nations qui ne veulent pas entrer en guerre – et le fait d’être deux puissances nucléaires est une bonne raison pour cela – n’entreront pas en guerre, même si l’une aide une nation contre laquelle l’autre se bat directement. Le fait que cette aide dans son volet matériel soit graduelle ou massivement n’a jamais rien changé à l’affaire, donc autant qu’elle soit massive, car c’est évidemment plus efficace. Que des armes livrées servent à frapper le sol de son adversaire n’a jamais eu non plus la moindre incidence. L’engagement humain est plus délicat. Il est souvent indispensable pour rendre l’aide matérielle beaucoup plus efficace et le risque d’escalade avec l’adversaire est faible. La vraie difficulté à ce stade est constituée par les pertes humaines, toujours limitées mais inévitables par accidents ou par les tirs de l’adversaire qui ne manqueront pas de survenir. Si le soutien de l’opinion publique à cette politique d’aide est fragile, cela peut inciter à un changement de perception où l’action juste et nécessaire devient trop coûteuse et finalement pas indispensable. C’est cependant assez rare au moins à court terme.
Le vrai risque d’escalade entre deux rivaux survient avec les rencontres de combattants. Un premier procédé pour en diminuer les conséquences politiques est de diluer ses combattants dans les unités locales sous forme de « volontaires », ce qu’ils peuvent d’ailleurs parfaitement et tout à fait légalement être. Le second procédé consiste à « privatiser » les unités dont on sait qu’elles vont entrer en contact avec l’adversaire, sous forme de compagnies de « Tigres volants » (aux manches d’avions F-16 pourquoi pas ?) ou de brigades politiques. L’État peut dès lors nier toute responsabilité directe. Cela n’abuse personne mais donne le prétexte à l’adversaire de ne pas escalader contre son gré. Le troisième procédé, plus risqué, consiste à engager de vraies unités de combat régulières mais en mission d’interdiction loin de la ligne de contact. Les exemples (rares) cités, en Égypte ou au Tchad, ont plutôt réussi mais au prix de l’acceptation d’accrochages et donc de l’approche du seuil de la guerre, mais encore une fois si les deux adversaires ne veulent pas franchir ce seuil, celui-ci n’est pas franchi. Il n’est pas dit que cela soit toujours le cas mais il en été toujours été ainsi entre puissances nucléaires.
En résumé, si on revient sur la copie des alliés de l’Ukraine au regard de l’histoire, on pourrait inscrire un « trop timide, peut largement mieux faire sans prendre beaucoup de risques ».