Jusque dans les années 2000, les régiments d’infanterie utilisaient des mortiers lourds de 120 mm RT F1 [ou Mo 120 RT], tractés par des Véhicules de l’avant blindé [VAB]. Puis, il fut décidé que ces pièces seraient mises en œuvre par les artilleurs, les fantassins des sections d’appui devant alors se contenter de mortier de 81 mm légers longs renforcés modèle F1 [Mo 81 LLR F1].
Vingt ans plus tard, dans le cadre de son nouveau plan de transformation élaboré à la faveur de la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, l’armée de Terre est finalement revenue sur cette décision, l’objectif étant de renforcer les capacités d’appui-feu des régiments d’infanterie, avec la création de 21 sections de mortiers de 120 mm. Dans le même temps, l’artillerie ne perdra pas au change puisqu’elle recevra 54 Mortiers embarqué pour l’appui au contact [MEPAC] de 120 mm montés sur des véhicules blindés multirôle [VBMR] Griffon.
La 13e Demi-brigade de Légion étrangère [DBLE] a été la première unité d’infanterie à se réapproprier des mortiers de 120 mm, tractés par des VMBR Griffon. Et cela, grâce au concours du 3e Régiment d’Artillerie de Marine [RAMa]. Depuis, la communication autour de ce sujet a été discrète…
Cela étant, le 19 novembre, la 11e Brigade Parachutiste [BP] a fait savoir que le 3e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine [RPIMa] venait de devenir le « premier à combiner l’emploi des mortiers de 120 mm » avec celui des VBMR légers Serval. « La section mortiers lourds permet ainsi à l’infanterie aéroportée de renforcer les appuis d’urgence au contact du régiment », a-t-elle commenté.
Le 3e RPIMa a donné plus de détails via le réseau social Instagram. Ainsi, a-t-il expliqué, « recrée en 2024 », sa section « mortiers lourds » est désormais en « pleine montée en puissance », grâce à sa participation à « divers exercices sur plusieurs camps nationaux ». Et d’ajouter : « Les parachutistes de la Compagnie d’Éclairage et d’Appui se sont parfaitement réappropriés cette nouvelle capacité. Une campagne de tirs aura lieu prochainement pour parachever un cycle de formation et d’entraînement dynamique ».
Pour rappel, le mortier de 120 mm tracté est mis en œuvre par six servants. D’une portée maximale de 13 000 mètres s’il utilise des munitions à propulsion additionnelle, il peut tirer jusqu’à 20 coups par minute si nécessaire [et six en cadence « normale »].
Légion étrangère : pourquoi ce célèbre chef étoilé s’est rendu dans la cuisine du régiment de Castelnaudary
Le chef étoilé Thierry Marx s’est rendu à Castelnaudary pour coacher des légionnaires lors de l’épreuve façon « Top Chef » organisée à l’issue de leur formation en restauration.
Par Maurice Calmein– Rédaction La Voix du Midi Lauragais – Publié le
Lundi 11 novembre, le 4e Régiment étranger de Castelnaudary organisait dans l’enceinte de son château des Cheminières, sur le domaine du Quartier Danjou, un repas de gala concocté par de jeunes légionnaires à l’issue de leur formation dans la branche « Restauration, hébergement et loisir ». Une centaine de légionnaires sont ainsi formés chaque année dans ce secteur d’activité pendant huit semaines. Une période qui se clôture par l’organisation d’un repas dont le menu est cuisiné par les stagiaires.
Cette année, pour le grand jour de Mémoire du 11 novembre, c’est le célèbre chef étoilé Thierry Marx qui est venu leur apporter son savoir-faire et ses conseils dans les cuisines exiguës du château des Cheminières. Un moment d’autant plus inoubliable pour les jeunes légionnaires qu’une équipe de M6 est venu le filmer.
Un concours façon « Top chef »
Deux équipes étaient en concurrence, à l’image du concept de l’émission télévisée Top chefdont Thierry Marx a été l’un des membres du jury au moment de son lancement. Ils avaient pour défi de concevoir et réaliser un menu composé de deux entrées, deux plats de résistance et deux desserts, le tout accompagné du vin de Puyloubier produit par les anciens de la Légion.
Le jury était constitué par les 28 convives, civils et militaires. Même s’il n’est pas facile de comprendre l’art de la gastronomie française, pour ces étrangers qui viennent parfois du bout du monde pour servir la France, d’abord comme combattants et ensuite comme spécialistes, les deux équipes de cuisiniers stagiaires ont eu droit aux félicitations du jury.
Les liens forts de Thierry Marx avec l’Armée de terre
Chef cuisinier étoilé et président confédéral de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), Thierry Marx est très attaché à l’armée de Terre puisqu’il a servi comme parachutiste dans l’infanterie de marine. Ce n’est pas la première fois qu’il intervient ou s’investit de la sorte auprès des militaires français. Il a notamment pris l’habitude d’élaborer le menu du dîner caritatif Vulnerati qui permet de récolter des fonds pour les blessés de l’armée de Terre.
Certains iront se perfectionner chez Thierry Marx
Le colonel Montull, chef de corps du 4e Régiment étranger, estimait les « résultats très encourageants, avec une certaine marge de progression », tandis que le chef Thierry Marx faisait part de son expertise et de quelques recommandations.
Chacun saluait le travail d’équipe et la volonté de donner le meilleur de soi-même. Notons que certains de ces jeunes légionnaires auront la chance d’effectuer un stage de perfectionnement dans les cuisines du célèbre chef.
Comme le montre la guerre en Ukraine, s’approprier rapidement les innovations les plus pertinentes afin de les décliner ensuite en capacités militaires peut s’avérer crucial pour faire la différence sur le champ de bataille. Le cas de la transformation des drones FPV [First Person View ou pilotage en immersion] en munitions téléopérées [MTO] en est un exemple, leur usage s’étant généralisé au sein des forces ukrainiennes et russes.
Peu coûteux à produire, « consommables » et faciles à piloter, ces engins peuvent être d’une efficacité redoutable, d’autant plus qu’ils sont rapides et difficiles à détecter, sauf à déployer des moyens de lutte antidrone importants, notamment en matière de guerre électronique. Et encore, certains modèles étant désormais filoguidés, de tels dispositifs n’ont pas l’efficacité escomptée pour les contrer.
La Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 prévoit un effort financier conséquent pour acquérir au moins 1 800 munitions téléopérées au profit de la force opérationnelle terrestre [FOT] avant 2030. Mais encore faudra-t-il qu’elles ne soient pas dépassées au moment de leur mise en service. Ce point a d’ailleurs été soulevé par le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale.
« L’évolution des munitions téléopérées […] est tellement rapide que la question des stocks n’est pas la seule grille d’analyse pertinente. Il importe d’avoir des industries capables de produire les munitions les plus à jour possible, tant dans leur conception physique que logicielle, en incluant notamment l’intelligence artificielle afin d’offrir des capacités pour résister au brouillage, trouver des cibles ou se repérer grâce à l’analyse des images », a en effet affirmé le CEMAT.
Et d’insister : «Le flux de production doit permettre de s’entraîner et de disposer d’un stock minimum. Il doit surtout permettre de monter en cadence de production en cas de conflit, car constituer des stocks importants préalables ferait courir le risque de posséder des munitions obsolètes. Il s’agit d’une nouvelle modalité d’acquisition des munitions et un des aspects de l’économie de guerre qui nous impose de revoir nos façons de nous entraîner et de distribuer les équipements dans nos armées ».
Cela étant, l’innovation participative peut y répondre. En effet, en s’inspirant des retours d’expérience [RETEX] de la guerre en Ukraine, un adjudant du 1er Régiment de Hussards Parachutistes [RHP] a eu l’idée d’une munition téléopérée de courte portée destinée à compléter la trame antichar de son unité, en adaptant d’anciennes grenades à fusil au drone FPV Racer.
« J’ai été impressionné par les capacités du drone FPV Racer. Je me suis dit qu’il pouvait compléter la trame antichar du régiment, avec des caractéristiques permettant de s’intercaler entre l’AT4 [lance-roquettes antichar de 84 mm] et le MMP [Missile Moyenne Portée ou Akeron MP]. Un de mes co-équipiers pratique le FPV Racer sur son temps libre. Nous en avons discuté, nous avons rédigé un cahier des charges et nous nous sommes lancés », explique ce sous-officier, dans les pages du dernier numéro de Terre Mag.
La charge militaire de cette MTO de courte portée repose sur deux anciens modèles de grenades à fusil, à savoir l’AC58 et APAV40. En tir tendu, elles peuvent respectivement perforer 35 et 20 cm d’acier.
Selon l’adjudant du 1er RHP, il s’agit de permettre à son régiment de disposer d’un moyen supplémentaire peu coûteux et pouvant être utilisé rapidement pour détruire des objectifs « durcis ». « L’idée était aussi de pouvoir adapter et modifier la trajectoire quasiment jusqu’à l’impact, sur une portée de 50 à 2 000 mètres, lors d’un vol de 30 minutes », a-t-il ajouté.
Le développement de cette MTO a bénéficié d’une aide apportée par un élève ingénieur, qui a donné des conseils sur la conception, et il a fait l’objet d’un partenariat avec le FabLab de Tarbes [laboratoire de fabrication ouvert]. Partenariat qui a permis de fabriquer plusieurs prototypes.
Le projet porté par le sous-officier est soutenu par la cellule innovation du 1er RHP ainsi que par le Battle Lab Terre et la Section technique de l’armée de Terre. Il est également appuyé par la Direction générale de l’armement [DGA], celle-ci ayant étudié la possibilité d’adapter la grenade AC58 au drone FPV. Des essais de tir « dynamiques » seront prochainement réalisés.
Le concept peut sembler relativement simple… mais encore fallait-il y penser. Ainsi, affectés au Centre air de sauts en vol [CASV], implanté sur la base aérienne [BA] 123 d’Orléans-Bricy, le lieutenant Étienne et l’adjudant-chef Thomas, ont eu l’idée d’utiliser un « treuil ascensionnel » pour mettre au point une sorte de « simulateur de vol » pour les chuteurs opérationnels – novices ou confirmés – de l’Escadre Force Commando Air [EFCA], laquelle fédère notamment les Commandos Parachutistes de l’Air [CPA] 10 et 30.
Soutenue par la Brigade des forces spéciales Air [BFSA] et le Centre d’expertises aériennes militaires [CEAM], cette innovation a été présentée à l’occasion du « Prix de l’Audace », organisé par l’Agence de l’innovation de défense [AID] et financé par la Fondation Maréchal Leclerc de Hautecloque.
Si elle n’a pas été primée, il n’en reste pas moins que cette innovation, issue de la démarche HAPPI du CEAM, permettra d’améliorer la formation et la qualification des commandos parachutistes à moindre coût et avec davantage de flexibilité, étant donné que de telles activités sont souvent tributaires du manque de disponibilité d’avions dédiés.
Or, comme l’explique le dernier numéro d’Air Actualités, les commandos « restent parfois dans l’attente d’être qualifiés, ce qui impacte leur opérabilité et plus généralement la bonne exécution des opérations spéciales ».
Concrètement, le dispositif mis au point par les deux cadres du CASVpermet à un élève parachutiste d’effectuer une descente sous voile, plusieurs fois par jour et dans des conditions différentes [jour, nuit, avec ou sans charge, etc.]. Grâce à ce treuil couplé à un parachute ascensionnel, le stagiaire peut atteindre une altitude de 700 mètres, ce qui correspond, grosso modo, à un vol sous voile « normal » après largage. Outre un meilleur encadrement, ce système réduit le risque de blessure.
Selon le CEAM, cet équipement « permet de faire 6 chutes sous voile par jour pour une équipe de 10 chuteurs, sans mise à disposition d’un aéronefs et son équipage ».
Voici 41 ans, le 23 octobre 1983, 6 h 30 du matin : un double attentat frappe la Force multinationale de sécurité à Beyrouth. En quelques secondes, 241 marines américains et 58 parachutistes français sont tués (55 du 1er RCP et 3 du 9e RCP). Le poste Drakkar, occupé par les paras français, vient de subir la frappe la plus terrible contre l’armée française depuis les affrontements de la décolonisation.
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Bruno Racouchot était alors officier au 6e RPIMa. Il nous a aimablement autorisé à reproduire le texte d’hommage en annexe, initialement paru dans le cadre du très confidentiel « Club des chefs de section paras au feu ».
23 octobre 1983, Beyrouth, 6 h 30 du matin, Drakkar est rayé de la carte
Le 23 octobre 1983, les parachutistes français présents à Beyrouth dans le cadre de la Force Multinationale de Sécurité, étaient victimes d’un attentat. 58 d’entre eux devaient trouver la mort dans l’explosion du poste « Drakkar ». Le texte d’hommage qui suit a été publié dans le cadre du Club des chefs de section paras au feu, qui compte quelques anciens de cette mission sanglante, depuis le Général François Cann, alors à la tête de la force française, et le Général Paul Urwald, qui commandait alors le 6e RIP, jusqu’au benjamin du Club, Bruno Racouchot, officier-adjoint d’une des quatre compagnies déployées à Beyrouth-Ouest. Plus particulièrement en charge de la section de protection du PC du 6e RIP, Bruno Racouchot décrit la configuration extrêmement délicate et sanglante dans laquelle furent alors plongés les parachutistes français.
Rappel du contexte historique
En juin 1982, Israël lance l’opération « Paix en Galilée », envahit le Sud-Liban et entreprend fin juin-début juillet l’assaut de Beyrouth-Ouest où les Palestiniens sont encerclés dans une nasse, les Syriens refusant de les accueillir sur leur territoire. Un cessez-le-feu est appliqué début août. La communauté internationale, soucieuse d’éviter des affrontements sanglants, décide d’intervenir. Sous la protection des parachutistes français, soutenus par les soldats américains et italiens, les forces palestiniennes sont exfiltrées en douceur. De 500.000 à 600.000 Palestiniens restent dans les camps.
Le 23 août, Béchir Gemayel est élu Président du Liban. Le 15 septembre, il est assassiné. Israël investit Beyrouth-Ouest. Du 16 au 18 septembre ont lieu les massacres de populations civiles dans les camps de Sabra et Chatila, où des centaines de civils palestiniens sont tués. Le 21 septembre, Amine Gemayel, frère aîné de Béchir, est élu président. Le 24 septembre, pour répondre à une opinion internationale scandalisée par les tueries dont les Palestiniens ont été victimes, une Force Multinationale de Sécurité à Beyrouth est créée, intégrant des contingents français, américains, italiens et une poignée d’Anglais.
Dès lors, au Liban, la situation ne cesse de se dégrader. Massacres de populations civiles et attentats se multiplient. Les soldats de la Force Multinationale sont victimes d’innombrables attaques et de bombardements. Si les Américains sont cantonnés à l’aéroport et les Italiens en périphérie de la ville, si les Anglais se contentent de mener des missions de renseignement avec un escadron spécialisé, les Français, eux, reçoivent la mission la plus délicate, au cœur même de Beyrouth.
Tous les quatre mois, les contingents sont relevés, souvent avec des pertes sévères. En septembre 1983 a lieu la relève pour les légionnaires français installés à Beyrouth, remplacés par les parachutistes de la 11e Division parachutiste. C’est l’opération Diodon IV, qui deviendra l’engagement le plus sanglant pour l’armée française depuis les guerres coloniales. Le 3e RPIMa s’installe en secteur chrétien, dans la perspective d’une offensive face au « Chouf », pour pacifier la montagne où les Druzes s’en prennent violemment aux chrétiens. Des éléments du GAP, 1er RHP, 17e RGP, 12e RA, 35e RAP, 7e RPCS et le commando marine Montfort sont également à pied d’œuvre.
Le secteur le plus dangereux, celui de Beyrouth-Ouest, est dévolu à un régiment de marche, le 6e RIP, Régiment d’Infanterie Parachutiste, qui a pour mission principale la protection des populations civiles palestiniennes traumatisées des camps de Sabra et Chatila. Ce régiment, placé sous le commandement du colonel Urwald, a été formé spécialement pour cette opération, et est constitué de quatre compagnies de parachutistes : deux compagnies du 6e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine basé à Mont-de-Marsan, une compagnie du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes basé à Pau, une compagnie du 9e Régiment de Chasseurs Parachutistes basé à Pamiers.
Le quotidien d’un chef de section para au feu
C’est une vraie leçon de vie dont vont bénéficier les jeunes chefs de section plongés dans la fournaise de Beyrouth. Les Américains sont à l’époque encore sous le coup de la chute de Saïgon survenue à peine huit ans plus tôt. Ils sont repliés sur l’aéroport, ne sortant quasiment pas de leurs abris, usant de blindés M113 pour traverser le tarmac de l’aéroport. Sous des tirs d’artillerie incessants, en septembre 1983, nos jeunes paras ont remplacé les légionnaires. A la différence des professionnels du 3e RPIMa, d’où viennent-ils ces jeunes du 6e RIP ? Ce sont pour la plupart des appelés, d’un genre un peu particulier cependant. Volontaires TAP, volontaires outre-mer, volontaires service long, pour beaucoup d’entre eux, ils ont déjà bénéficié d’une solide formation et ont effectué des « tournantes » hors métropole.
Mentalement et physiquement préparés, ils pressentent cependant dès leur arrivée que cela va être dur, très dur même. Mais ils vont faire front et s’adapter. Avec modestie, calme, détermination. Certes, en débarquant, chacun d’entre eux éprouve l’étrange picotement qui monte le long de la colonne vertébrale. Heureusement, ils ont à leurs côtés les « anciens », à peine plus âgés qu’eux, qui ont « fait » le Tchad, la Mauritanie, le Zaïre, Djibouti, et pour certains déjà, le Liban… Tous ces noms de TOE lointains les ont fait rêver à l’instruction, quand ils n’avaient déjà qu’un souhait, se montrer à la hauteur de ceux qui les avaient précédés sous le béret rouge. Aujourd’hui, le rêve se trouve enfin confronté brutalement à la réalité.
Beyrouth est un piège monumental. On a beau avoir bourlingué, on a beau avoir entendu tirer à ses oreilles, quand on est un jeune chef de section, débarquer dans un tel univers constitue une épreuve d’ordre quasiment initiatique. On n’ose pas le dire, mais on le ressent d’emblée jusqu’au tréfonds de soi. Avec la secrète question qui taraude et que l’on n’ose pas exprimer : saurai-je me montrer digne de mon grade et de mon arme ? Ce sont d’abord les missions ordinaires, protection des postes, ravitaillement, reconnaissance, tâches d’entretien peu glorieuses mais tellement nécessaires, que l’on accomplit sereinement parce que même si le contexte est moche, on leur a appris à être beaux. Les jeunes paras mûrissent vite. Les visages se creusent, le manque de sommeil se fait vite sentir. Paradoxalement, les relations soudent les esprits et les corps. De secrètes complicités se nouent. Plus besoin de longs discours, les ordres s’exécutent machinalement, avec un professionnalisme qui prouve que, par la force des choses, le métier des armes entre dans la peau de chacun.
L’ennemi est partout et nulle part
Le jeune chef de section apprend très vite à connaître son secteur. Il a la chance d’avoir à ses côtés des hommes décidés encadrés par des sous-officiers d’élite, totalement dévoués à leur tâche. Il rôde, de jour comme de nuit, pour imprimer dans ses neurones les itinéraires, les habitudes, les changements de comportements. Rien n’est anodin. Il sait qu’il lui faut lier connaissance, observer, échanger, parler, surveiller, lire, écouter… Pas de place pour la routine. Plus que jamais, il faut faire preuve d’initiative, agir à l’improviste, sortir des postes, aérer les périmètres de sécurité, ne pas céder à la tentation mortelle de se recroqueviller dans les postes, derrière les sacs de sable et les merlons de terre. Des milliers d’yeux observent les paras français depuis les tours qui encerclent les positions. Ici, l’aspect psychologique est capital. On est en Orient. Il n’est pas permis de perdre la face. Les Français ont des moyens dérisoires en regard de leurs adversaires potentiels ou des grands frères américains, qui peuvent d’un simple appel radio, déclencher la venue de norias d’hélicoptères. En revanche, les Français savent s’immerger dans la population. Ils mangent comme le Libanais de la rue, se mélangent aux civils qui déambulent dans des marchés grouillants. Savoir se faire apprécier, c’est se faire respecter. Un sourire généreux sur une face de guerrier, c’est rassurant. Ça prouve la force plus que les armes. C’est cette stature des paras français qui fait très vite leur réputation dans la population.
Ce profil si particulier des soldats français, ce sont les chefs de section et les sous-officiers qui l’impriment à leurs hommes. Quels que puissent être les risques, ils ne changeraient leur place pour rien au monde. Ils savent qu’ils vivent une aventure inouïe, où chacun va pouvoir aller à l’extrême limite de ses possibilités. Le chef de section para a beau n’avoir que vingt-cinq ou trente ans, il sait qu’il passe là une épreuve pour laquelle il s’est préparé depuis des années ou depuis toujours, celle du feu. Il devine intuitivement qu’il va peut-être lui être donné d’accéder à une autre forme de connaissance de la vie, qu’il va opérer une mue intérieure subtile que seuls « ceux qui savent » et les anciens comprendront. Il sait qu’il reviendra de Beyrouth, « pareil sauf tout »… Ceux qui ont lu Ernst Jünger savent ce qu’il entend quand il parle de « La Guerre, Notre Mère »…. Drakkar va littéralement « sublimer » cet état d’esprit.
L’épreuve
Deux jours avant Drakkar, le 21 octobre 1983, je suis désigné pour conduire, avec le capitaine Lhuilier, officier opération du 6e RIP, un entraînement commun de la Compagnie Thomas du 1er RCP avec les marines américains à l’aéroport. Il faut bien que la connaissance de la langue de Shakespeare serve à quelque chose… Lhuilier est une figure des paras-colos. Il a eu son heure de gloire avec le 3e RIMa au Tchad quelques années avant, où coincé dans une embuscade, il a fait monter sa compagnie à l’assaut des rebelles, baïonnette au canon, en chantant « La Marie »… Dans l’épreuve qui se profile à l’horizon, il va se révéler un roc inébranlable.
Marines et paras français au coude à coude à l’entraînement… Comment imaginer en voyant tous ces grands gaillards crapahuter dans la poussière et se livrer à des exercices de tir rapide, que la plupart d’entre eux reposeront bientôt dans un linceul de béton ?… Mis en alerte le samedi soir, nous dormons tout équipés sur nos lits de camp, l’arme à portée de main. On entend bien des explosions, des tirs d’artillerie sporadiques. Des rafales d’armes automatiques titillent les postes. Mais va-t-on s’inquiéter pour si peu ?
Dimanche 23 octobre 1983, 6 h 30 du matin. L’aube se lève. D’un coup, une explosion terrible, une lourde colonne de fumée qui s’élève plein sud dans le silence du dimanche matin. L’aéroport et les Américains sont mortellement touchés. Puis une minute après, encore une autre, plus proche cette fois, d’une puissance tout aussi ahurissante. On entend en direct sur la radio régimentaire que Drakkar a été rayé de la carte. Ce poste était occupé par la compagnie du 1er RCP commandée par le capitaine Thomas, dont heureusement un détachement était de garde à la Résidence des Pins, le QG français. Bilan des deux attentats : 241 marines et 58 paras français sont tués, sans compter d’innombrables soldats grièvement blessés, évacués en urgence en Europe.
Dès la première explosion, chacun a bondi à son poste. On comprend d’emblée que c’est terrible. Les ordres fusent à toute vitesse. Des équipes partent pour le lieu de l’attentat, les autres sécurisent les postes. Chacun sait ce qu’il a à faire. On est sous le choc, mais le professionnalisme l’emporte. La mécanique parachutiste, répétée inlassablement à l’entraînement, montre ses vertus en grandeur réelle. On va faire l’impossible pour sauver les camarades. Malheureusement, beaucoup sont déjà morts, déchiquetés, en lambeaux, que l’on ramasse jour après jour, nuit après nuit. On a entendu certains d’entre eux râler sous les ruines, alors que nous étions impuissants à les dégager des amas de gravats. Ils sont là, pris dans l’étreinte mortelle de l’acier et du béton, ceux pour lesquels nous sommes arrivés trop tard, ceux avec lesquels hier on riait, on plaisantait, on rivalisait. Aucun des paras qui va relever ses camarades en cette semaine d’octobre n’oubliera ces pauvres corps, « tués par personne », nobles et dignes jusque dans la mort, magnifiques soldats équipés et prêts pour le combat, parfois la main crispée sur leur Famas. Sans doute est-ce parce qu’ils ont rejoint les légions de Saint-Michel que leur souvenir semble éternel. Le mythe para en tous cas l’est. Maintenant plus que jamais. Et tous, nous communions alors dans une espèce de rêve étrange et éveillé, où la mort étonnamment proche se mêle inextricablement à la vie, en un jeu dont les règles nous échappent. Un nouveau jalon funèbre est posé après les combats des paras de la Seconde Guerre mondiale et bien sûr ceux des grands anciens d’Indochine et d’Algérie.
Le piège fatal
En signe de solidarité avec nos hommes, le Président de la République, François Mitterrand, vient rendre un hommage aux morts le 24 octobre. Les paras savent déjà qu’ils sont pris dans un traquenard monstrueux. Jour après jour, ils sont victimes de nouveaux attentats, dans un secteur totalement incontrôlable, où pullulent les milices, les mafias et les « services ». Personne ne sait réellement qui fait quoi, les informations sont sous influence, rien n’est sûr, tout est mouvant. Sans ordres ni moyens légaux, les paras sont contraints de se battre au quotidien pour assurer la survie de leurs postes et continuer à protéger les populations. Aucun renfort notable n’est envoyé de métropole, hormis une compagnie de courageux volontaires du 1er RCP venus prendre la place de leurs prédécesseurs. En dépit des nombreux morts et blessés qu’ils vont relever dans leurs rangs, les paras ne doivent compter que sur leur savoir-faire, leur calme et leur professionnalisme pour se défendre tout en évitant de répondre aux provocations, refusant parfois de tirer pour préserver les civils. À ce titre, la mission aura certes été remplie, mais nombreux sont les soldats français qui reviendront avec l’amer sentiment d’avoir perdu leurs camarades sans les avoir vengés.
Chacun sait alors que nous vivons un moment unique de notre vie, dont l’intensité et la profondeur nous bouleversent. L’aumônier, le père Lallemand, a le don de savoir parler aux soldats. Que l’on soit croyant pratiquant ou athée, agnostique ou païen, il sait trouver les mots qui apaisent et réconfortent. Paradoxalement, Drakkar ne va pas briser les paras, mais les souder. Les semaines à venir vont être infernales. Et cependant, tous font face avec une abnégation sublime. Le plus humble des parachutistes joue consciencieusement son rôle dans un chaudron où se multiplient les attentats. Bien des nôtres vont encore tomber, assassinés lâchement la plupart du temps. Mais tous accomplissent leur devoir avec fierté et discrétion. Nous recevons des mots et des cadeaux de métropole, comme ces Landais qui nous envoient du foie gras à foison pour Noël, ou encore ces enfants qui nous dédient des dessins touchants. Les paras sont soudés, et même la mort ne peut les séparer.
Dans la nuit du 25 décembre, les postes de Beyrouth-Ouest devenus indéfendables dans la configuration géopolitique de l’époque sont évacués. Fin janvier-début février, les paras exténués sont rapatriés sur la France. Le contingent de « Marsouins » qui les remplace ne restera pas longtemps. Américains et Italiens quittent le Liban fin février. En mars, le contingent français rembarque, ne laissant sur place que des observateurs.
Les enseignements à tirer
Jeune ORSA à l’époque, ayant la volonté de préparer l’EMIA, je décide cependant de quitter l’armée. Cinq années de boxe intensive et à bon niveau m’ont appris qu’un coup encaissé doit toujours être rendu, au centuple si possible. Déphasage. Je ne me sens pas l’âme d’un « soldat de la paix ». Mais les paras vont rester ma vraie famille. Depuis, j’ai fait le tour du monde, connu d’autres aventures. J’ai passé des diplômes, « fait la Sorbonne », créé une entreprise. Mais rien n’a été oublié. Mes chefs d’alors sont devenus des amis. Nous avons eu des patrons magnifiques, Cann, Urwald, Roudeillac, des commandants de compagnie qui étaient des meneurs d’hommes, de vrais pirates pour lesquels on aurait volontiers donné sa vie, des sous-officiers et des soldats avec des gueules sublimes. Tout cela, mon ami le journaliste Frédéric Pons l’a mis en relief avec brio dans son livre « Les Paras sacrifiés » publié en 1993 et réimprimé en 2007 sous le titre « Mourir pour le Liban ». Il faut dire qu’à la différence de bien d’autres, Pons sait de quoi il parle. Ancien ORSA du 8e RPIMa, il a vécu l’une des premières missions de la FINUL au sud-Liban au tout début des années 80.
En novembre 2007, j’ai été invité à prononcer une courte allocution à Coëtquidan, devant les élèves de l’EMIA qui avaient choisi pour parrain de leur promotion le Lieutenant de La Batie. J’avais connu Antoine quand il était à Henri IV, je l’avais ensuite revu lors de l’entraînement commun à l’aéroport le 21 octobre 1983… puis mort quelques jours après. Ayant quitté l’armée française comme lieutenant, j’ai donc souhaité parler à ces élèves officiers comme un vieux lieutenant à de jeunes lieutenants. Il faut savoir tirer le meilleur de toute expérience, surtout quand elle s’est révélée tragique. Bref, savoir transformer le plomb en or. Il fallait leur dire ce qu’une OPEX comme celle-là nous avait appris concrètement, nous fournissant des enseignements qui nous servent au quotidien dans la guerre économique.
Avec le recul, ce qui demeure certain, c’est que, sans en avoir eu alors une pleine conscience, Beyrouth anticipait le destin de l’Occident. Le terrorisme est devenu une menace permanente, y compris au cœur de notre vieille Europe. Mais en ce temps-là, nous autres, modestes chefs de section, n’étions pas à même d’analyser les basculements géopolitiques en gestation. Plus modestement, Beyrouth nous a révélé la valeur des hommes. Beyrouth nous a enseigné bien des sagesses. Pour ceux qui surent le vivre avec intelligence, Beyrouth fut une épreuve initiatique au sens premier du terme, qui nous a décillé les yeux sur nous-mêmes et sur le monde. Ce que les uns et les autres avons appris dans ce volcan, aucune école de management, aucun diplôme d’université, ne nous l’aurait apporté, ni même l’argent ou les honneurs. Nous avons appris le dépassement de soi pour les autres, la valeur de la camaraderie, la puissance des relations d’homme à homme fondées sur la fidélité, la capacité à transcender sa peur, la reconnaissance mutuelle, l’estime des paras pour leur chef et l’amour fraternel du chef pour ses paras… Des mots qui semblent désuets dans l’univers qui est le nôtre, mais qui reflètent cependant un ordre supérieur de connaissance des choses de la vie. Cette richesse intérieure acquise, nous en ferons l’hommage discret à tous nos camarades tombés en OPEX le 23 octobre, lorsque, à 6 h 30 du matin, nous penserons à ceux du Drakkar. Comme nos grands anciens, montera alors de nos lèvres vers le ciel la vieille chanson : « j’avais un camarade… »
Bruno Racouchot, ancien lieutenant au 6e RPIMa
L’auteur :DEA de Relations internationales et Défense de Paris-Sorbonne, maîtrise de droit et de sciences politiques, Bruno RACOUCHOT, est aujourd’hui le directeur de la société Comes Communication, créée en 1999, spécialisée dans la mise en œuvre de stratégies et communication d’influence.
Le 27 septembre 2024, Tsahal élimine le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait été impliqué dans les attentats terroristes de Beyrouth de 1983, ainsi que son cousin et potentiel successeur en la personne de Hachem Safieddine.
Capitaine THOMAS Jacky Capitaine OSPITAL Guy Lieutenant DEJEAN DE LA BÂTIE Antoine Sous-lieutenant RIGAUD Alain Adjudant BAGNIS Antoine Adjudant MORETTO Michel Sergent DALLEAU Christian Sergent DAUBE Vincent Sergent LEBRIS Jean-Pierre Sergent LONGLE Yves Sergent OLLIVIER Gilles Caporal-chef BENSAIDANE Djamel Caporal-chef BERIOT Laurent Caporal-chef CARRARA Vincent Caporal-chef DUTHILLEUL Louis Caporal-chef GRELIER Xavier Caporal-chef LOITRON Olivier Caporal-chef MARGOT Franck Caporal-chef SERIAT Patrice Caporal-chef VIEILLE Hervé Caporal GIRARDEAU Patrice Caporal HAU Jacques Caporal JACQUET Laurent Caporal LAMOTHE Patrick Caporal LEPRETRE Dominique Caporal LEROUX Olivier Caporal MUZEAU Franck Caporal THOTEL Laurent Parachutiste de 1ère classe GASSEAU Guy Parachutiste de 1ère classe GAUTRET Rémy Parachutiste de 1ère classe JULIO François Parachutiste de 1ère classe PRADIER Gilles Parachutiste de 1ère classe TARI Patrick Parachutiste de 1ère classe THÉOPHILE Sylvestre Parachutiste BACHELERIE Yannick Parachutiste BARDINE Richard Parachutiste CALAND Franck Parachutiste CHAISE Jean-François Parachutiste CORVELLEC Jean Parachutiste DELAITRE Jean Yves Parachutiste DEPARIS Thierry Parachutiste DI-MASSO Thierry Parachutiste DURAND Hervé Parachutiste GUILLEMET Romuald Parachutiste KORDEC Jacques Parachutiste LASTELLA Victor Parachutiste LEDRU Christian Parachutiste LEVAAST Patrick Parachutiste LEVERGER Hervé Parachutiste MEYER Jean-Pierre Parachutiste PORTE Pascal Parachutiste POTENCIER Philippe Parachutiste RAOUX François Parachutiste RENAUD Raymond Parachutiste RENOU Thierry Parachutiste RIGHI Bernard Parachutiste SCHMITT Denis Parachutiste SENDRA Jean
Un article publié en 2016 par le Modern War Institute, affilié à l’académie militaire de West Point, avait été catégorique : les opérations aéroportées [OAP] massives appartiennent au passé. Pourquoi ? Parce que « l’augmentation spectaculaire de la précision des systèmes de défense aérienne a considérablement réduit la capacité de survie des avions impliqués dans ce type de mission ».
Et d’ajouter : « Les avantages tactiques limités des opérations aéroportées modernes de grande envergure sont éclipsés par leurs pertes stratégiques potentielles. L’armée devrait donc les mettre de côté et plutôt se limiter aux opérations spéciales. »
La guerre en Ukraine a pu apporter de l’eau au moulin à l’auteur de cet article. La seule manœuvre d’ampleur dite d’enveloppement vertical tentée par les troupes aéroportées russes [VDV] a pris la forme d’un assaut aéromobile contre l’aéroport de Hostomel, avec l’objectif d’établir une tête de pont près de Kiev. Or, elle s’est soldée par un échec.
« Ce type d’assaut pouvait être anticipé compte tenu d’une part de l’appétence de longue date de l’armée russe pour l’enveloppement vertical, d’autre part de la géographie du champ de bataille : l’objectif est positionné à moins de 100 km de la zone de contact », a ainsi résumé une note de la Fondation pour la recherche stratégique [FRS], publiée en mars 2022.
Depuis, les combats en Ukraine ont pris la forme d’une guerre d’usure et de position, avec un recours massif aux feux indirects [roquettes, missiles, munitions téléopérées, etc.].
Pour autant, ces dernières années, l’armée de Terre a mené plusieurs OAP au Sahel. Mais il est vrai que l’environnement n’y était pas contesté comme il l’est en Ukraine. Cependant, en 2022, la 11e Brigade Parachutiste [BP] prit par à l’exercice « Thunder Lynx », lequel consista à mener une opération aéroportée à très court préavis en Estonie. Celle-ci « illustre la capacité des forces françaises à intervenir en urgence et à soutenir un pays allié », fit alors valoir l’État-major des armées [EMA]. Et d’ajouter qu’elle avait été « exécutée comme un acte de solidarité stratégique » envers Tallinn.
Quoi qu’il en soit, comme l’a rappelé le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT] à l’issue d’une inspection de la 11e BP, cette semaine, certains « concluent de l’observation des conflits actuels que les troupes parachutistes, légères par nature, deviennent désuètes ». Or, pour lui, c’est tout le contraire.
La 11e BP, « faite d’unités cultivant agilité et capacité d’autonomie tactique, est capable d’opposer à l’hyper létalité des drones et de l’artillerie sa mobilité et sa capacité à s’adapter », a fait valoir le CEMAT. « Celles-ci sont des sources de fulgurance, de nature à dépasser le blocage tactique de la prévalence du feu que la guerre en Ukraine illustre aujourd’hui », a-t-il ajouté.
En outre, «l’esprit para», qui se caractérise par « la souplesse » et la «trempe», pour reprendre les mots du général Marcel Bigeard, illustre « parfaitement les qualités nécessaires à la mise en œuvre du commandement par l’intention », a poursuivi le CEMAT. »
« Pour être aux résultats, il convient de laisser toute leur place aux subordonnés et à leur esprit d’initiative. Alors que la transparence s’impose sur le champ de bataille et que la tendance est à la centralisation de la décision, le commandement par l’intention apparaît comme un moyen concret d’entretenir la liberté d’action nécessaire à la victoire », a-t-il expliqué.
Le général Schill n’est pas le seul à considérer que les troupes aéroportées ne sont pas « désuètes » : en témoigne l’exercice aéroporté Saber Junction, dont le coup d’envoi a été donné à Eglsee [Allemagne], sous l’égide de l’US Army, le 4 septembre. Celui-ci mobilise 4500 parachutistes venus de 11 pays membres de l’Otan.
« Les opérations de combat à grande échelle sont quelque chose que nous devons constamment pratiquer, nous devons rester au courant de tous les changements qui se produisent », a expliqué le général américain Steve Carpenter, le chef du 7th Army Training Command. « Nous devons nous adapter à ce qui se passe en Ukraine et nous entraîner […] afin que tout adversaire de l’Otan […] pense qu’il est absolument impensable de déclencher une guerre contre les États-Unis ou leurs alliés et partenaires », a-t-il conclu.
THEATRUM BELLI enrichit sa rubrique sur Les Paras avec un témoignage du général Jean-Bernard Pinatel (auteur de l’ouvrage sur L’esprit guerrier paru chez Balland l’été dernier) sur ses rencontres avec quatre illustres généraux : Sauvagnac, Massu, Bigeard, Le Borgne.
Le général Sauvagnac
Ma vocation parachutiste est aussi liée à mes rencontres à Bayonne avec le général Henri Sauvagnac. J’étais l’ami de ses fils, en particulier de Daniel, qui, après avoir été élève officier à Saint-Cyr, promotion Vercors, me rejoignit à la 3e compagnie du 1er RCP et mourut des suites d’une fracture du bassin occasionnée par un mauvais atterrissage. Soigné à l’hôpital militaire de Bordeaux, j’ai toujours été persuadé qu’il s’était laissé mourir car les paras, pour lui, c’était fini.
Les fantassins de ma promotion de Saint-Cyr (1958-1960) furent envoyés en Algérie sans faire une année d’école d’application. Elle fut remplacée par un stage pré-AFN de 3 mois qui se déroula en 2 mois au camp des garrigues près de Nîmes puis d’un mois à Philippeville, j’avais en tête de choisir le 1er REP, où deux places étaient réservées à notre promotion et que mon classement me permettait d’obtenir.
Malheureusement, lors de sa tournée des popotes de décembre 1960, le général de Gaulle avait été chahuté par les paras et les légionnaires opposés à son projet d’un référendum sur l’autodétermination en Algérie. Furieux, le chef de l’État avait mis son veto : aucun cyrard ne devait se laisser contaminé par l’esprit de contestation des paras.
Effondré, je n’avais, en outre, aucun plan B.
Je m’en ouvris au général Sauvagnac qui dirigeait le Sud-Est Constantinois et qui m’avait donné ses coordonnées. Il me conseilla sans attendre de choisir le 7e RTA si mon désir était bien d’aller au feu, précisant avec malice que le drapeau du 7e RTA était « plus décoré que celui du 1er REP ». Je montrai son télégramme à mes camarades et les 7 premiers optèrent pour le 7e RTA.
Le général Sauvagnac, élève de Saint-Cyr, de la promotion du Rif (1924-1926) fut un des pionniers du parachutisme militaire en France. Son brevet de parachutisme militaire porte le numéro 1.
À cette époque, au bout de quelques sauts en ouverture automatique, les premiers paras ouvraient eux même leur parachute après une chute libre de quelques secondes autant dire que les accidents de sauts furent nombreux. Huit mois après son premier saut, au cours de son 37e saut, le général Sauvagnac alors capitaine, battit le record du monde de chute libre avec une chute de 74 secondes.
De 1937 à 1940, le capitaine Sauvagnac commanda la compagnie du 601e groupe d’infanterie de l’air qui fut la première unité parachutiste française basé à Reims, et enfin, le bataillon de chasseurs parachutistes no 1 qui devient le 1er RCP le 1er mai 1943. Il en prend temporairement le commandement puis devient son chef de corps de 1945 à 1947. Lorsque la demi-brigade de marche parachutiste est créée en décembre 1946 à partir d’effectifs de la 25e DAP, le lieutenant-colonel Sauvagnac en prend le commandement pour combattre en Indochine. Volontaire pour un second séjour en Indochine, il prend le commandement de l’ensemble des troupes aéroportées (TAP). De 1956 à 1958 il commande la 25e division parachutiste. Grand officier de la Légion d’honneur, cité douze fois au feu.
Je l’ai revu plusieurs fois à Pau lorsqu’il venait visiter le 1er RCP où après le saut en chute libre traditionnel de la Saint-Michel, il demandait que les chuteurs lui soient présentés pour les féliciter et j’ai pu ainsi à ces occasions discuter plusieurs fois avec lui.
Le Général Massu
Le Général Massu, était gouverneur de la Région Militaire dont le PC était à Metz lorsque j’étais sous-lieutenant, chef de la 1re section de la 3e compagnie du 1er RCP, basé depuis son retour d’Algérie en juin 1961à Montigny-lès-Metz.
Nommé en septembre 1961 gouverneur de Metz, le général Massu, établit la « coupe de cheveux para » pour toute la région militaire . Il instaura notamment une tradition dominicale pour la garnison de Metz : chaque dimanche soir, un sous-lieutenant du 1er RCP, à tour de rôle, dirigeait une patrouille en ville dont le rôle essentiel était de se poster devant la gare de Metz avec un 6 X 6, accompagné d’un sous-officier, de deux paras et d’un coiffeur. Sa mission consistait à vérifier que les permissionnaires revenaient avec la coupe règlementaire et dans le cas contraire, les faire monter dans le 6 X 6 où le coiffeur leur infligeait une coupe Iroquois à l’envers, c’est-à-dire leur passait la tondeuse au milieu du crâne, les laissant repartir avec deux touffes de cheveux séparées par une grande trace blanche ce qui les obligeait à se raser complétement la tête afin d’éviter le ridicule.
En général notre tableau de chasse était composé essentiellement d’aviateurs de la base de Frescaty et de biffins non-paras. Un soir, à ma grande surprise, je vis débarquer un grand para élancé dont la chevelure blonde débordait du béret minuscule et non réglementaire. Horrifié, je ne lui laissai pas le temps de s’expliquer et lui ordonnais de se taire si bien qu’il ne put prononcer un seul mot ; mon sous-officier l’entraîna dans le 6 X 6 et lui fit subir le même sort, assorti de remontrances puisque sa désinvolture faisait honte aux paras.
Le lendemain matin, je fus convoqué par l’officier adjoint du régiment, le capitaine Soutiras, que j’avais connu en Algérie. Il me reçut chaleureusement et m’apprit d’un ton presque amusé :
— Pinatel, vous en avez fait de belles hier soir !
— Comment mon capitaine ?
— Vous avez tondu le majordome de Madame Massu qui rentrait spécialement de permission pour un grand dîner chez le gouverneur ; il a dû se raser complètement le crâne et Madame Massu l’a très mal pris et vous a fait mettre huit jours d’arrêts simples par le commandant la place de Metz.
Je proteste en disant que cette coupe de cheveux est applicable à tous sans exception. Désolé, Soutiras me répond qu’il ne peut rien pour moi :
— Le seul qui peut vous accorder le sursis est le Général Massu, puisque le commandant de la place est son subordonné direct. Je ne vous recommande cependant pas de le lui demander, car Massu, qui n’a jamais tremblé devant l’ennemi, a la réputation de ne jamais désavouer son épouse.
Indigné par cette sanction imméritée, je persiste.
Le capitaine me tend alors la feuille de punition afin que j’inscrive moi-même « Je demande le sursis car j’estime cette punition imméritée ». Le capitaine Soutiras me regarde avec un air contrit qui veut dire : toi mon vieux tu ne sais pas ce qui t’attend, mais il se contente de confirmer qu’il transmettra. La nouvelle fait le tour du régiment et au mess les paris sont ouverts entre ceux qui pensent que je ferai « mes huit jours » et ceux qui pensent que le Général Massu « rajoutera de la sauce ». Pendant trois semaines, je n’entends plus parler de la punition et quand je finis par penser qu’elle est passée aux oubliettes, je reçois l’ordre de me présenter en tenue n°1 au PC du gouverneur[1] à 11 heures le lendemain.
Le capitaine Soutiras me précise qu’un aspirant m’attendrait non pas par la grande porte du square Giraud mais à une petite porte, située quelques dizaines de mètres plus loin sur l’avenue Ney. Je n’en mène pas large toute la journée et mes camarades accroissent mon inquiétude par leurs commentaires du genre : « Je n’aimerais pas être à ta place ». Le soir venu, je fais une reconnaissance des lieux pour être sûr d’être à l’heure au rendez-vous. Le lendemain, je me présente donc dix minutes avant l’heure en grande tenue, un aspirant m’attend, me salue et tourne les talons en me disant simplement : « mon lieutenant suivez-moi » et me fait monter par un escalier de service au premier étage où se situe le bureau du général Massu. Il me fait entrer :
— Voici le sous-lieutenant Pinatel, mon général !
Et sort en fermant la porte. Je fais un salut impeccable et reste au garde à vous paralysé par l’émotion de me trouver devant ce grand chef para. A ma grande surprise le général Massu se lève de son bureau vient vers moi la main tendue et me dit :
— Je suis heureux de rencontrer celui qui a réussi à faire couper les cheveux au majordome de mon épouse, je m’y étais essayé mais je n’avais jamais réussi.
Son regard se fixe sur mes deux citations dont celle à l’ordre de l’armée et tend le bras vers un confortable fauteuil, et s’assoit en face de moi :
— Je vois que vous avez fait une belle campagne d’Algérie, racontez-moi où et comment vous avez obtenu cette palme.
Je lui fais un compte rendu succinct tant je suis impressionné. Il me pose des questions sur le régiment, comment se passe l’entraînement de ma section puis se lève, va à son bureau prends la punition et y appose son sursis. Puis il sonne l’aspirant, me serre à nouveau la main sans rien dire et recommande à l’aspirant :
— Ramenez le lieutenant Pinatel par le même chemin.
Nous saluons, demi-tour réglementaire et nous sortons par le même chemin. Intrigué mais soulagé, je questionne l’aspirant sur les motifs de cette discrétion. Il me répond avec un large sourire :
— Mon lieutenant, si nous étions passés par la grande porte, nous aurions dû défiler devant le bureau de Madame Massu qui est contigu à celui du général et elle conserve toujours sa porte ouverte.
Je comprends que le général Massu ne voulait pas provoquer son épouse[2] ni qu’elle apprenne qu’il m’avait accordé le sursis, approuvant ainsi la tonte de son majordome. Une fois encore cette histoire fit le tour du régiment et me conféra une notoriété auprès des sous-officiers anciens qui me saluèrent désormais avec plus de rigueur.
Une fois par mois avec ma section, j’allais au champ de tir qui était dans une forêt proche du fort Drian, deux fois, je revis le général Massu qui venait à cheval et sans en descendre se renseignait sur l’entraînement de mes hommes. J’étais très fier que ce grand chef se fasse remettre le planning d’instruction de ma section et s’arrangeait pour venir me voir.
Lorsque nous avons quitté la Lorraine pour Pau en décembre 1962, je ne revis plus le général Massu mais j’eus la chance de servir sous les ordres d’autres officiers parachutistes prestigieux, les commandants Guegen et Trapp, le général Bigeard, et d’avoir été le « largueur » attitré du général Le Borgne qui commanda la 25° brigade aéroportée de Pau de 1969 à 1971.
Le général Bigeard
J’ai connu Marcel Bigeard lorsque j’étais lieutenant au 1er RCP.
Il était l’officier le plus décoré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Titulaire de 27 citations dont 19 à l’ordre de l’armée, Bigeard reste encore aujourd’hui une légende chez les parachutistes. J’eus la chance de le rencontrer puis qu’il me suive tout au long de ma carrière militaire et civile, lors de rencontres ou via une correspondance épistolaire que j’entretins avec lui jusqu’en 2007, trois ans avant sa mort.
Le dernier souvenir que je vais partager ici c’est la lettre qu’il m’adressa en 2007 à la suite d’une sollicitation de son appui afin d’organiser un saut de réconciliation sur Dien Bien Phu. Le projet avorta à cause d’une opposition stupide du ministère des Affaires étrangères : « On ne se réconcilie pas avec un régime communiste ». Ce document est un reportage de Paris Match sur la photocopie duquel il m’avait apporté son soutien. Les mots sont de sa main.
A la fin de la guerre d’Algérie, il fut admis sur titres à l’Ecole de guerre où il ne fit qu’une année destinée à le reconvertir au combat sous menace nucléaire. En 1964, il prit le commandement de la 25e brigade parachutiste à laquelle appartenait le 1er RCP. Ma première rencontre avec lui eu lieu au cours d’un exercice de cadres qu’il avait organisé au PC du régiment autour d’une grande caisse à sable où était représentée une zone entre Meuse et Moselle et où les deux brigades de la division étaient déployées pour stopper la progression des armées soviétiques sous menace d’utilisation de l’arme nucléaire tactique.
Nous étions au début du déploiement de la force nucléaire française qui à l’époque était appelée « force de frappe ». En effet, les Forces aériennes stratégiques venaient d’être créées le 14 janvier 1964. En février, le premier Mirage IV et le premier avion ravitailleur C-135F arrivèrent dans les forces. En octobre, la première prise d’alerte par un Mirage IV, armé de la bombe AN-11, et un avion ravitailleur C-135F eu lieu sur base aérienne de Mont-de-Marsan (40) dont je fus chargé d’ailleurs de tester les défenses. Le trio arme nucléaire (AN-11), avion vecteur (Mirage IV) et avion de projection (ravitailleur) était alors opérationnel.
Ce que je retiens de cet exercice c’est la gouaille et le charisme de Bigeard qui nous expliqua que lors d’un exercice d’état-major à l’Ecole de guerre, les deux commandants de la 20e et de la 25e brigades, lui et le général commandant la 20e brigade, avaient reçu comme mission de déployer leurs unités entre Meuse et Moselle pour stopper une percée des chars soviétiques. Mimant sur la caisse à sable la manœuvre, il nous expliqua en des mots peu châtiés que son camarade n’avait rien compris à la menace nucléaire et n’avait pas dispersé assez ses unités. Lorsque les instructeurs jouant le rôle des soviétiques avaient lancé un engin nucléaire sur chaque brigade, la 20e avait à eu 30 % de pertes et avait été déclarée hors de combat tandis que la sienne, la 25e qu’il avait dispersé par sections et avec l’ordre de s’enterrer n’avait été sanctionné par les arbitres de l’exercice que par 1 % de pertes et était totalement apte au combat. « Enseignement sous menace nucléaire on se disperse et on s’enterre jusqu’à ce que l’ennemi s’imbrique dans notre dispositif ». On sentait qu’il nous envoyait aussi un message subliminal : « j’étais le meilleur contre les chleus, les Viets et les Fells, alors contre les Soviétiques ce sera pareil ; si on doit aller en guerre avec moi vous risquerez moins qu’avec les autres ». Nous étions tous ressortis de ce premier contact tous gonflés à bloc.
Ma deuxième rencontre fut du même type que celle avec Massu. J’étais à cette époque lieutenant adjoint de Noir et à ce titre j’assistais à la réunion hebdomadaire chez le colonel quand le capitaine Vasseur était absent, ce qui était souvent le cas, car ayant un enfant gravement malade qui finalement décéda, il restait souvent chez lui pour soutenir son épouse et s’occuper de ses trois autres gamins.
A cette réunion, le colonel en particulier ses adjoints le patron du BOI[3], le commandant Gueguen, le commandant des services techniques, et son homologue des services administratifs nous informaient et recueillaient notre avis. C’était encore une période marquée par le putsch d’avril 61 et le haut commandement se méfiait des parachutistes. Tout en mettant à la tête des brigades des officiers incontestables comme Bigeard, restés fidèles à De Gaulle, ils donnaient les régiments à des officiers qui avaient peu ou pas servi dans les paras. C’était le cas du colonel. Ils affectaient sous leurs ordres des commandants chevronnés comme Gueguen ou Trapp qui n’avaient pas participé au putsch d’avril 1961. En revanche, l’échelon inférieur, celui des commandants de compagnie, était pourvu par des « osmosés » qui n’avaient ni l’esprit ni la condition physique suffisante. Les paras ressemblaient à cette époque à un mille-feuille : une tranche de dur, une tranche de mou.
N’ayant pas fait le putsch car je me trouvais à cette date-là à l’hôpital Bégin pour soigner ma blessure de guerre, je me considérais avec mes camarades lieutenants en charge de maintenir l’esprit para. Chuteur, instructeur commando, spécialiste survie, j’avais plus de titres de guerre que les capitaines et même que le colonel qui n’avait rien d’un chef para.
Aussi j’étais rarement d’accord avec ce que le colonel voulait faire. Malheureusement, à la différence de tous ceux qui comme le commandant Gueguen pouvaient s’adresser à lui en privé, ma seule chance de faire entendre mon point de vue était la réunion des commandants de compagnie Je ne m’en privais pas et exprimais souvent mon désaccord avec la mesure envisagée, même si mes suggestions étaient rarement prises en compte. Un jour le colonel nous exposa un projet de l’état-major qui s’inquiétait du fait que beaucoup des « osmosés » ne réussissaient pas les tests paras, certains même manœuvraient en permanence pour ne pas sauter avec leur compagnie quand il y avait du vent ou la nuit et faisaient tout pour faire leurs 6 sauts d’entretien dont 1 saut de nuit par an dans des conditions optimales[5], et ainsi être considérés comme aptes et toucher la solde à l’air[4]. Ces tests consistaient à faire 8 kms en une heure avec arme, casque et un sac de 15 kg ainsi que d’autres épreuves comme les tractions, les abdominaux, le lancer de grenade.
Le colonel nous commenta un projet de note émanant de la direction des ressources humaines de l’état-major de l’armée de terre qui envisageait de moduler la difficulté des tests en fonction l’âge pour trouver des officiers à muter dans les paras. Toujours l’osmose. Il exposa donc cette idée qui reçut l’appui de tous les capitaines présents, Trapp et Gueguen qui s’étaient prononcés contre mais en privé, ne pipaient mot. Pour ma part j’étais révolté. L’esprit para exige que le chef commande par une seule phrase : « Faites comme moi », ce qui suppose évidemment qu’il passe les mêmes tests que ses soldats. Je décidai donc de rien dire et d’en parler ultérieurement au commandant Gueguen et je baissai la tête mimant d’être plongé dans une profonde réflexion. Quand mon tour vint de m’exprimer, je fis signe que je n’avais rien à dire en passant l’index en travers de mes lèvres. Le colonel fut surpris et sans le vouloir me provoqua.
— Je suis étonné Pinatel pour une fois vous n’avez rien à dire.
— Non mon colonel, je pense.
— Pinatel faites-nous part de vos réflexions.
— Non mon colonel, je ne peux pas, ce serait irrespectueux.
Moment de silence total dans la salle. Toutes les têtes se tournèrent vers le commandant Trapp qui plissait les yeux jusqu’à les faire presque disparaître, Gueguen prenant un air détaché. Voyant que personne ne venait à son secours le colonel commanda :
— Pinatel, je vous ordonne de parler.
— Et bien mon colonel puisque vous m’y obligez, je ne peux pas accepter que l’on instaure des tests inversement proportionnels à l’âge alors que plus on vieillit, plus la solde à l’air est élevée[4]. Moins d’efforts mais plus de solde ! Mais ce qui me réconforte et c’est la raison pour laquelle que je gardais le silence, c’est que vous serez à la retraite avant moi.
— Pinatel vous me visez personnellement, vous êtes un impertinent, vous passerez à la fin de la réunion dans mon bureau.
Je me rendis au bureau du colonel qui m’annonça qu’il me mettait huit jours d’arrêts pour manque de respect envers un supérieur. Du tact au tact je lui répondis :
— Mon colonel, je demande le sursis.
Trois jours après, je me retrouvai dans le bureau du général Bigeard en grande tenue, mes deux citations et ma décoration des blessés bien en vue. Bigeard ne m’en fit pas la remarque mais, visiblement, il avait sur son bureau mon dossier militaire qu’il avait consulté. Il alla droit au but :
— Alors Pinatel qu’avez-vous dit à votre colonel.
Je racontai la scène et terminai par ma défense.
— C’est parce qu’il m’a mis au garde-à-vous et m’a ordonné de parler que je lui ai dit ce que je pensais.
Bigeard partit d’un large sourire :
— Oui, cette histoire de tests modulables est une belle connerie et la formule que vous avez employée c’est celle que je cherchais : moins d’efforts mais plus de solde. Je vous donne le sursis, mais n’exagérez pas à l’avenir.
— Bien mon général.
Je le saluais et fis demi-tour.
Quelques temps après, j’apprenais que le Général Bigeard m’avait choisi pour former les sous-officiers de la division au camp de Gers et le commandant Trapp me rajouta le Peloton d’élèves gradés du Régiment. Je me trouvais à 25 ans commandant de compagnie d’instruction avec des moyens considérables. Tous les futurs sous-officiers de la division parachutiste allaient passer entre mes mains ainsi que les futurs caporaux du régiment. Quelle magnifique preuve de confiance ! Bigeard me donna l’ordre de faire une sélection sévère et de ne donner le CAP 2 qu’à un candidat sur deux. Les deux mois d’instruction se terminaient par un raid survie de 5 jours qui conduisait les meilleurs du camp de Gers au sommet du Vignemale via le col d’Ilhéou, le lac de Gaube et le refuge de Bayssellance.
J’eus plusieurs fois l’occasion de revoir le général Bigeard lorsqu’il fut nommé secrétaire d’État à la suite de la crise du service militaire puis en tant que député et membre de la Commission de la Défense nationale. Il me convoqua plusieurs fois pour avoir mon avis. Je n’ai malheureusement gardé que notre dernière correspondance, explicite de l’affection qu’il me portait. Un beau projet avorté par la bêtise d’un directeur de cabinet qui me mentit effrontément et qui me refusa une audience avec son Ministre.
Le général Le Borgne, l’esprit corsaire
Guy Le Borgne est né à Rennes le 6 janvier 1920. Fils d’un avocat et attiré depuis son adolescence par la carrière des armes, il intègre Saint Cyr en 1939 avec la promotion Amitié franco-britannique. En mai 1940, la première année est écourtée et les élèves-officiers après seulement un an d’école sont promus sous-lieutenants et envoyés en Afrique du Nord d’où ils reviennent, une fois l’armistice signé, en zone non occupée à Aix pour reprendre leurs études. À la sortie de l’école il choisit l’infanterie coloniale et sert successivement au Mali, au Sénégal et au Maroc d’où il rejoint les parachutistes de la France Libre en formation en Angleterre, au centre de Peterborough. Une fois breveté, il suit la formation commando. Puis il acquiert la spécialité « Jedburgh » pour être parachuté en France occupée afin d’y encadrer les maquis, les organiser et surtout les instruire. Il choisit un nom de guerre pour éviter d’éventuelles représailles sur sa famille en France : ce sera Le Zachmeur, un pseudonyme qui signifie LeGrand Chef en breton. Le 16 juillet, il est parachuté près de Quimperlé dans le sud Finistère. Avec le maquis qu’il commande, il libère Pont-Aven, Quimperlé et Quimper. Affecté au 2e régiment de chasseurs parachutistes, il conduit en décembre 1944 et janvier 1945 de délicates patrouilles de renseignement en jeep armées sur le front des Ardennes belges, dans la région de Bastogne. Ramené en Angleterre, il est parachuté en Hollande avec la Brigade SAS (Spécial Air Service) sur Amherst, à soixante kilomètres sur les arrières de l’ennemi, pour une opération de diversion qui doit servir d’appât aux Allemands. L’opération se termine mal. Il est capturé, mais réussit à s’évader en rapportant au commandement des renseignements de la plus haute importance.
À 25 ans, le lieutenant Le Borgne est chevalier de la Légion d’Honneur, titulaire de 4 citations, médaillé de la Résistance, titulaire de la Military Cross et de la croix de guerre néerlandaise. Il rejoint l’Indochine, en 1950, et participe à la création du 8e Bataillon de Parachutistes Coloniaux dont il prend le commandement comme capitaine où il accumule les faits d’armes qui lui valent cinq nouvelles citations. Il est promu officier de la Légion d’Honneur en 1953. Chef de bataillon en 1954, Directeur des études aéroportées à la Direction des études et de la fabrication et des armements, il est admis à l’École de Guerre (1957-58). Il prend le commandement du 3e régiment parachutiste d’infanterie de marine (1960-62). Il dégage la base de Bizerte à la tête de son régiment et refusera de participer au putsch d’Alger en 1961.
Le Général Le Borgne[7], Breton avait l’esprit d’un corsaire. À Bizerte, il avait saisi un yacht de 17 mètres appartenant à un Egyptien et s’était débrouillé pour le faire remorquer jusqu’en France. Ce yacht magnifique était ancré à Saint-Jean de Luz. Je portais au général Le Borgne une vénération particulière car il incarnait pour moi « l’esprit corsaire » que m’ont légué probablement mes ancêtres de la branche Silhouette dont certains, corsaires du Roi, finirent leur vie sous les pontons anglais.
Il est promu commandeur de la Légion d’Honneur en 1962 et prend le commandement de l’Ecole des troupes aéroportées à Pau qu’il va moderniser et embellir.
C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois.
Promu général de brigade en 1970, il prend le commandement de la 25e brigade aéroportée à Pau (1970-72) dont le 1er RCP fait partie. Le général était un passionné de ski. Je ne sais pas comment il apprit que je sautais dans le civil et que j’étais très doué en précision d’atterrissage. Il demanda au colonel Brénac qui commandait le 1er RCP de me permettre d’être son largueur pour un saut sur le glacier du Vignemale et une autre fois sur celui de Saint Lary.
Cette nouvelle mission m’excite au plus haut point. Pourtant je suis impressionné, non pas de larguer le général Le Borgne, mais de le rencontrer tout court. Je vais donc me présenter à lui au Hameau où se trouve le PC de la brigade à moins de deux kilomètres du camp d’Idron.
— Pinatel, je vous ai fait venir car on me dit que vous avez été vice-champion de France de précision d’atterrissage et un largueur confirmé. Etes-vous capable de me larguer au bon endroit y compris sur le Vignemale ?
— Oui mon général, c’est possible mais il faut avoir des conditions de vent très calmes et le seul qui peut nous le garantir à l’avance c’est un guide de haute-montagne de Cauteret, Monsieur Bouary. Ses prévisions sont très fiables, un ou deux jours à l’avance. De mémoire de montagnard, il ne s’est jamais trompé.
— Très bien, je vais demander à mon état-major de le contacter et je vous ferai signe la veille au soir. Au fait vous savez skier en hors-piste ?
— Oui mon général.
— Très bien vous sauterez donc avec nous. Nous serons trois.
Sauter d’un Nord-Atlas sur un terrain situé à 3 000 mètres d’altitude demande une grande précision, car de part et d’autre de ces deux glaciers se trouvent des à-pics de près de 1 000 mètres. Et un parachutiste qui manquerait ces glaciers ayant moins de 200 mètres de large aurait une bonne chance d’y laisser sa vie. Mais cette mission ne m’inquiétait pas, tellement j’étais sûr de ma compétence en matière de largage.
La veille je rencontre le pilote et le copilote qui vont nous larguer, tout aussi mobilisés que moi pour réussir cette mission. Je mets au point avec eux la procédure suivante : l’avion se présente dans l’axe du glacier en tenant compte de la direction du vent et le pilote me met le vert dès qu’il est axé, me laissant décider du moment du saut. Couché à plat ventre contre le plancher de l’avion, la tête dépassant la porte, fouettée par le vent glacé, je guide l’avion à vue et avec le pouce de ma main, je fais signe un peu à droite un peu à gauche, au co-pilote qui se tient à l’entrée du cockpit et qui retransmet mes corrections au pilote. Arrivé au début du glacier, je lance une flamme de couleur orange en tissus lestée et pas encore un siki[8] pour évaluer si l’axe choisi par le pilote est le bon et s’il a bien évalué la direction du vent et sa force. En fonction de l’endroit où la flamme touche le sol, je demande au pilote de repasser 100 m plus à droite ou plus à gauche. Au cours de ce deuxième passage je largue les skis qui font office de siki et cela me permet de faire une deuxième correction et c’est au troisième passage que le saut a lieu. Toujours couché sur le sol de la carlingue j’évalue la verticale et vérifie la direction puis je me relève, m’écarte de la porte et je donne le go et je saute en dernier derrière le général le Borgne et l’officier de son état-major qui l’accompagne. Le vent très froid me saisit et le parachute ouvert, la descente dure moins d’une minute avec une vue magnifique sur toute la chaîne des Pyrénées ; à l’atterrissage je m’enfonce de 40 cm dans la neige et je sue à grosse goutte enfonçant jusqu’aux genoux pour parcourir les 300 mètres qui me séparent de l’hélicoptère Alouette 3 qui est posée en limite de la zone de saut et qui vient récupérer les parachutes. A l’époque dans les Pyrénées il n’y avait pas de grands remonte-pentes et cette descente de 2500 m à ski dans une neige immaculée via le col de Bayssellance et le lac de Gaube jusqu’à Cauteret ou Gavarnie fut un moment d’une exceptionnelle intensité. Cela se termina par un déjeuner sur le capot de la voiture du général. Au moment de me déposer, le général me dit :
— À bientôt mon capitaine, nous allons refaire cette sortie sur le glacier de Saint Lary !
L’ensemble de mes cadres m’attendaient passablement inquiets. Je téléphonai immédiatement au colonel Rouquette pour lui rendre compte : Mission accomplie, on remet ça sur le glacier de Saint-Lary ».
Tout au long de ma carrière, j’ai entretenu avec eux une relation quasi filiale leur envoyant mes vœux chaque année et je ne manquais pas de les tenir au courant de ma carrière et de les appeler au secours chaque fois que le haut commandement qui voyait en moi un futur chef des armées voulait me faire commander d’autres unités que les paras. Alors que par trois fois je m’apprêtais à démissionner car ma carrière importait peu à côté du plaisir et de la fierté de servir avec ses soldats d’élite à qui, si on leur donne l’exemple, on peut tout demander, ils surent trouver les mots et me donner l’espoir pour que je continue la carrière des armes. Ce rapport que j’entretenais avec ces grands chefs m’apparaissait tellement normal que je n’en tirai aucune gloire vis à vis de mes camarades, j’étais seulement fier de ressentir qu’ils me faisaient confiance et qu’ils me considéraient comme un des leurs.
Général Jean-Bernard Pinatel
NOTES :
Le palais du Gouverneur, appelé autrefois General-Kommando, a été édifié au début du XXe siècle pour servir de pied-à-terre à l’empereur Guillaume II.
Suzanne Massu, née Torrès, était infirmière en chef de l’escouade des « Rochambelles » de la 2e DB. Il fait la connaissance durant l’épopée de la 2e DB du général Leclerc et l’avait épousée.
Bureau opérations Instruction.
C’est-à-dire en juin où la nuit était décrétée à 22 h 00 et où jusqu’à 22 h 30 on voyait encore très bien.
En revanche dès que le temps était beau et sans vent, ils se pressaient sur la zone de saut et faisaient leur saut de nuit en juin quand il faisait encore jour mais plus tard que le coucher du soleil, où commençait la nuit administrative.
Tests inversement proportionnels.
En novembre 1976, il devient gouverneur militaire de Lyon et commandant de la Ve Région Militaire comme général de corps d’armée. Grand officier de la Légion d’Honneur en 1978, le général Le Borgne prit sa retraite en 1980.Il est élevé à la Dignité de Grand Croix de la Légion d’Honneur en 2004 et totalise 13 citations.
Le siki est un mannequin que l’on largue avant les sauts d’entraînement pour calculer la dérive liée au vent.
André Zirnheld est un parachutiste français libre, membre du Special Air Service pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est célèbre pour avoir été le premier officier parachutiste français tué au combat et comme auteur de la Prière du para, écrite en 1938. Il est compagnon de la Libération.
André Louis Arthur Zirnheld est né à Paris le dans une famille catholique d’origine alsacienne. Durant sa jeunesse, il était scout à la 26e troupe Scout de France de Paris, puis routier et sera chef Louvetier. Il fut élève au Pensionnat catholique diocésain de Passy. Il est licencié et diplômé d’études supérieures de philosophie, et nommé en 1937 professeur de philosophie au lycée Carnot de Tunis. En , il est affecté comme professeur au Collège de la Mission laïque française à Tartus, en Tunisie.
Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, André Zirnheld est affecté dans une batterie de DCA au Liban. Zirnheld est volontaire pour aller combattre en métropole mais l’armistice du est signé avant. Zirnheld rejoint alors la France libre en passant en Palestine britannique. Il est condamné pour désertion par un tribunal militaire français, qui confisque tous ses biens.
Zirnheld est affecté comme soldat au 1er bataillon d’infanterie de marine, avec lequel il participe, comme sergent-chef, au premier combat d’une unité FFL à Sidi-Barani le , contre l’armée italienne. En , en raison de ses diplômes, Zirnheld est retiré du front et nommé directeur-adjoint du service d’information et de propagande au Caire. Bien qu’il s’intéresse beaucoup à son travail, Zirnheld demande rapidement à être envoyé au front. Il s’inscrit au stage d’élève-officier à l’École des aspirants de Brazzaville en , d’où il sort cinquième fin 1941.
Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, André Zirnheld est affecté dans une batterie de DCA au Liban. Zirnheld est volontaire pour aller combattre en métropole mais l’armistice du est signé avant. Zirnheld rejoint alors la France libre en passant en Palestine britannique. Il est condamné pour désertion par un tribunal militaire français, qui confisque tous ses biens.
Zirnheld est affecté comme soldat au 1er bataillon d’infanterie de marine, avec lequel il participe, comme sergent-chef, au premier combat d’une unité FFL à Sidi-Barani le , contre l’armée italienne. En , en raison de ses diplômes, Zirnheld est retiré du front et nommé directeur-adjoint du service d’information et de propagande au Caire. Bien qu’il s’intéresse beaucoup à son travail, Zirnheld demande rapidement à être envoyé au front. Il s’inscrit au stage d’élève-officier à l’École des aspirants de Brazzaville en , d’où il sort cinquième fin 1941.
De retour au Proche-Orient en février 1942, Zirnheld se porte volontaire pour une unité commando parachutiste repassée récemment sous l’autorité de l’armée de l’air avec l’appellation de 1re compagnie de chasseurs parachutistes — 1re CCP et intégrée comme french squadron au Special Air Service. Il est sous les ordres du capitaine Georges Bergé puis, après la capture de celui-ci, sous les ordres du capitaine Augustin Jordan.
Lors de sa première mission, Zirnheld commande une équipe de quatre hommes qui effectue un raid sur l’aérodrome Berka-3 le , détruisant six avions ennemis au sol. Il reçoit alors, comme tout SAS après sa première mission, l’insigne des ailes opérationnelles SAS ou « ailes égyptiennes ». Ses missions suivantes seront le sabotage d’une voie de chemin de fer, puis une attaque de véhicules et ramener des prisonniers de la Luftwaffe. Il est ensuite proposé pour la Croix de guerre et la Military Cross.
La quatrième mission de Zirnheld est un raid sur la grande base aérienne allemande de Sidi-Haneish, près de Marsa Matruh, en Égypte. Ce raid est effectué dans la nuit du 26 au par 18 jeeps armées conduites par des SAS britanniques et français. En quelques minutes, les jeeps, en formation de V inversé, parcourent la longueur de la piste en mitraillant les avions garés. Trente-sept bombardiers et avions de transport sont détruits, pour la perte de deux SAS britanniques tués sur l’aérodrome.
Pendant le retour, la jeep de Zirnheld a une crevaison. Une des autres jeeps, à bord de laquelle se trouve l’aspirant François Martin, vient à son secours, pendant que le reste de la formation continue sa route. Les deux jeeps réparent, reprennent la route, puis les pneus crèvent une seconde fois. Lorsque le soleil se lève, les jeeps s’arrêtent et tentent de se camoufler. Trois heures après, une formation de quatre bombardiers allemands Junkers Ju 87 « Stuka » les repère et les mitraille.
À leur second passage, Zirnheld est touché, d’abord à l’épaule, puis à l’abdomen. Le groupe repart en jeep, avant de se cacher dans un oued, Zirnheld souffrant trop pour supporter davantage le transport. Il meurt vers 13 heures. Martin le fait enterrer sur place avec les honneurs militaires ; une croix sommaire formée de deux planches à caisse est érigée sur sa tombe avec cette inscription : « aspirant André Zirnheld, mort pour la France le ».
Un peu avant sa mort, il dit à François Martin : « Je vais vous quitter. Tout est en ordre en moi. », et lui demande de s’occuper des papiers et livres dans son barda. C’est Martin qui aurait découvert le carnet de Zirnheld dans lequel celui-ci a écrit en 1938 une Prière qui, dans les années 1960, sera considérée comme« La prière du para ».
Zirnheld sera cité à l’ordre de la Libération, avec comme commentaire : « Excellent chef, calme et audacieux ». Une attitude qui convient parfaitement à la devise des SAS, Who dares wins (Qui ose gagne).
En 2022, soit cinq ans après avoir notifié un contrat de développement à l’entreprise UNAC, la Direction générale de l’armement fit savoir qu’elle avait qualifié le RIDER [Rapide Intervention Droppable Equipment for Raiders], un fardier doté d’une « forte capacité de franchissement », armé de deux mitrailleuses de 7,62 mm et pouvant transporter une charge de 400 kg avec sa remorque.
Rustique et aérolargable [ou héliportable], le RIDER a été mis au point pour permettre aux parachutistes et aux commandos des forces spéciales de se déplacer rapidement après avoir largués [ou déposes] à une distance de sécurité par rapport à leur zone d’intervention. Un tel véhicule peut en outre être utilisé pour d’autres tâches, comme le tractage d’un mortier de 120 mm, la reconnaissance ou encore l’évacuation de blessés.
Mais un fardier « robotisé » pourrait-il être utile aux troupes aéroportées ? En tout cas, UNAC le pense. En effet, à l’occasion du salon de l’armement aéroterrestre EuroSatory 2024, le constructeur a dévoilé un RIDER doté de « fonctionnalités d’autonomie avancés ».
« Grâce à la synergie des systèmes incorporés au RIDER et à sa capacité propre allant jusqu’à 800 kg de charge utile, incluant rations, eau, carburant et munitions. Nous faisons du RIDER un UGV [Unmanned Ground Vehicle – Véhicule terrestre sans pilote] capable de décupler l’appui sur le terrain», a expliqué UNAC.
Ce RIDER robotisé est équipé d’une caméra multifonction moyenne portée MINEO qui, fournie par Safran Electronics & Defense, est associée au tourelleau téléopéré Hornet Lite d’Arquus, muni d’une mitrailleuse de 7,62 ou de 5,56 mm. « Ce système dispose désormais d’une puissance de feu remarquable tout en allégeant la charge de la section », fait valoir UNAC.
Reste à voir si cette nouvelle version du RIDER peut répondre à un besoin des troupes aéroportées… alors que le fardier acquis par l’armée de Terre est dépourvu de puces électroniques. L’idée est que l’entretien de ce véhicule puisse être assuré par les combattants eux-mêmes. Cependant, il pourrait sans doute trouver sa place au sein des régiments d’infanterie. « Il s’agit d’une proposition de concept d’emploi d’un fardier d’appui feu et logistique au profit d’une section de combat, afin de débuter les discussions sur le sujet avec les utilisateurs finaux », a ainsi noté me blog Mars Attaque.
Par ailleurs, les sapeurs du 17e Régiment du Génie Parachutiste [RGP] pourraient être intéressés par le Fardier Mk2 [photo ci-dessous], présenté par Soframe [groupe Lohr] lors d’EuroSatory 2024. Selon les [minces] explications fournies par l’industriel, il s’agit d’un véhicule 4×4 modulaire et téléopéré conçu pour effectuer des opérations de déminage en « zone dangereuse ».
Les deux premiers prototypes sont sortis des ateliers il y a six ans… Le Fardier est depuis devenu une réalité et les premiers éléments d’une série de 300 véhicules équiperont bientôt l’armée Française. Le Fardier est un véhicule tout terrain, de petit gabarit, taillé pour les troupes parachutistes et les Forces spéciales. Il sera visible cette semaine à Eurosatory, le plus grand salon européen d’armement terrestre.
Soixante chevaux, une vitesse de pointe de 60 km/h, sans électronique, robuste et hyper compact : voilà le Fardier ! Une mini-jeep, bien carrée, équipée d’un arceau pouvant servir de support à deux mitrailleuses, un véhicule passe partout, très rustique assure l’adjudant-chef Thierry et ce n’est pas tout, sourit le pilote, le Fardier c’est un peu comme une 2 CV, on fait l’entretien soi-même : « On peut faire avec les accessoires qui sont inclus dans le lot de bord, tout l’entretien niveau utilisateur. À l’arrière, on peut déployer les montants, ça forme un plateau qui permet de charger environ 200 kilos de fret ».
C’est une mule ce Fardier, un petit 4X4 increvable pour soulager les fantassins et qui peut aussi servir de tracteur pour un gros mortier, souligne le lieutenant-colonel Hervé de Barbeyrac de la section technique de l’armée de terre, la STAT, « C’est un véhicule très léger, très compact. L’objectif, c’était qu’il puisse être posé sur une palette pour l’aérolargage. D’où ces dimensions très réduites. On parle d’un ‘système Fardier’ puisqu’il a son attelage pour augmenter la capacité d’emport. Avec une remorque et puis le deuxième type d’attelage, c’est bien sûr le mortier de 120 mm. Le Fardier est extrêmement rustique, il y a très peu d’électronique. L’objectif, c’est que les opérations même de maintenance puissent être faites par l’utilisateur, puisqu’il faut rappeler le besoin, c’est pour des troupes aéroportées, pour des forces spéciales qui vont intervenir dans la profondeur, qui sont censés être autonomes et donc qui ont peu de moyens à disposition pour effectuer les réparations, la maintenance, etc ».
UNAC, une PME dans le monde de l’armement terrestre
Autre particularité du Fardier, ce véhicule n’est pas issu des ateliers d’un grand industriel de la défense. Il a été conçu par un petit fabricant d’engins de chantier : UNAC. Une entreprise familiale qui a retenu l’attention de La Direction générale de l’Armement. La DGA souhaite désormais faire travailler des PME qui, jusque-là, ne répondaient jamais aux programmes de défense. C’est un changement de philosophie, explique Luc Guillemot, de la DGA: « Le programme a été fait initialement pour justement ne pas exclure les petites entreprises. Parce que souvent, on a des gros groupes qui sont plus à même de rentrer dans les contrats du ministère des Armées. Là, on a fait en sorte de cadrer les choses pour que les petites PME puissent répondre. Et innover en fait. Et c’est le cas d’UNAC effectivement, puisque déjà l’innovation est dans la compacité du véhicule. Innovation également lors de la phase de développement, que ce soit en proposant des solutions techniques de façon très rapide, en fabriquant des pièces en une heure pour nous montrer ce que ça donnait sur le véhicule. Donc, ça a été très appréciable. Cela a permis d’augmenter l’efficacité des travaux. Il y a beaucoup de petites sociétés innovantes en France, il faut essayer de les valoriser. C’est le cas avec l’UNAC : il faut que ce petit véhicule se fasse connaître et cette société également, en espérant que cette entreprise familiale reproduise ce type de travaux».
UNAC, à la recherche d’autres clients que l’armée française, aura son stand cette semaine à Eurosatory, le plus grand salon européen de l’armement terrestre et il se murmure déjà que l’Ukraine se dit intéressée par le Fardier.