Armées : Lecornu veut «une vraie réserve professionnalisée» jusqu’à 100.000 hommes

Armées : Lecornu veut «une vraie réserve professionnalisée» jusqu’à 100.000 hommes

Par John Timsit – Le Figaro  Publié le 13 mars 2025

https://www.lefigaro.fr/politique/armees-lecornu-veut-une-vraie-reserve-professionnalisee-jusqu-a-100-000-hommes-20250313


Invité jeudi soir de France 2, le ministre des Armées a rejeté l’hypothèse d’un retour du service militaire obligatoire : «Combattre est incontestablement un métier.»

Préparer l’armée de demain. Face à la «multiplication des crises en même temps» qui constitue une «fragilité potentielle» pour le paysSébastien Lecornu a appelé jeudi soir sur France 2 à «renforcer considérablement notre réserve». «On a 205.000 militaires avec un objectif à 210.000. L’avenir c’est une vraie réserve professionnalisée, c’est ce que le président de la République m’a demandé. L’idée est d’arriver à 100.000», a fait valoir le ministre des Armées. Qui se projette sur les décennies à venir, bien au-delà donc de 2027, année où prend fin le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron : «Il y a quelques années, on avait un réserviste pour six militaires d’active. L’objectif, c’est d’avoir un format d’armée où on a un réserviste pour deux militaires d’active. Ça a beaucoup de valeur.»

Alors qu’un retour du service militaire obligatoire, supprimé en 1996 par Jacques Chirac, est plébiscité par une majorité de Français, Sébastien Lecornu remarque que ce sont bien souvent des «arguments sociaux qui sont avancés – la mixité, la capacité à passer son permis de conduire -» par les partisans du dispositif, moins finalement son «utilité militaire». «Aujourd’hui, combattre ou avoir des missions militaires est incontestablement un métier, a martelé le Normand. Mais si on la projette beaucoup, on a besoin de forces de réservistes sur lesquelles il va falloir accélérer».

«Une forme de guerre des étoiles»

Outre l’élargissement de la menace russe dans le contexte de la guerre en Ukraine, Sébastien Lecornu a également mis en garde jeudi soir contre une «militarisation de l’espace». «Nous sommes la génération d’êtres humains qui allons connaître ce qui pourrait être une forme de guerre des étoiles», a alerté le ministre des Armées, citant de possibles «destruction de satellites» par «aveuglement» ou par «armes à énergies dirigées ou laser». «Si nous ne nous réveillons pas sur ces enjeux, nous pouvons décrocher.»

Synthèse de l’article du Figaro sur la réserve militaire

Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a affirmé sur France 2 sa volonté de renforcer la réserve militaire française en la professionnalisant, avec un objectif de 100.000 réservistes. Cette initiative vise à faire face à la multiplication des crises et à renforcer la capacité de réaction de l’armée, qui compte actuellement environ 205.000 militaires d’active. L’objectif est de parvenir à un ratio d’un réserviste pour deux militaires d’active, contre un pour six actuellement.

Rejetant l’idée d’un retour au service militaire obligatoire, Lecornu souligne que combattre est un métier nécessitant une formation et un engagement spécifique, contrairement aux arguments sociaux souvent avancés par les partisans de cette réintroduction.

Le ministre a également alerté sur la militarisation de l’espace, évoquant une possible « guerre des étoiles » impliquant la destruction de satellites par des armes à énergie dirigée ou laser, un enjeu stratégique majeur pour la défense nationale.

Toutefois, un commentaire critique souligne que les moyens alloués à la réserve sont insuffisants, avec des réductions budgétaires impactant la durée des missions et les frais de déplacement. Il remet en question la faisabilité d’une réserve professionnalisée si les réservistes ne sont mobilisés que quelques jours par an, mettant en doute la réelle application de cette ambition.

Des contractions répétées du cercle des poètes revendicatifs par Michel Goya

Des contractions répétées du cercle des poètes revendicatifs


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des contractions répétées du cercle des poètes revendicatifs


Pour eux qui ne s’intéressent qu’à la crise du moment [la démission du général de Villiers ] ou qui ont perdu l’habitude de lire des textes un peu longs, vous pouvez aller directement à la fin. 

Je me suis engagé comme élève sous-officier en 1983. Le chef d’état-major de l’armée de Terre venait alors de démissionner pour protester contre la baisse du budget de Défense qui passait brutalement de l’équivalent d’environ 36 milliards d’euros (si, si, vous avez bien lu) à 30 (pour des chiffres voir ici). Le major général des armées avait démissionné aussi pour protester contre les intrusions permanentes du ministre dans la conduite des opérations mais ceci est une autre histoire. Étrangement, le budget remontait tout aussi rapidement l’année suivante.

Il est vrai que l’époque était très tendue en Europe. L’horloge du destin de l’université de physique de Chicago, qui mesurait l’approche vers un conflit nucléaire (minuit), marquait minuit moins sept en 1984. L’invasion de l’Europe occidentale par les forces du Pacte de Varsovie était alors presque un genre littéraire. Aussi, malgré les difficultés économiques, un effort très conséquent fut fait pour renforcer notre outil de défense. Cela fluctuait au gré des changements de pouvoir et des lois de programmation militaires (trois de 1984 à 1993) et si l’effort diminuait (de presque 3 % du PIB à 2,5 % en 1990) le volume était soutenu par l’augmentation du PIB. Le budget de la défense atteignait ainsi 39 milliards d’euros en 1990.

Si cet effort avait perduré à 2,5 % du PIB, le budget actuel (2017) serait 55 milliards d’euros. Nous aurions investi entre 100 et 200 milliards d’euros dans l’industrie française (soit bien plus que les 50 milliards du programme présidentiel, dont on n’entend d’ailleurs plus parler) dont les retombées auraient affecté toute l’économie et même in fine les recettes budgétaires (pour mémoire c’est comme cela que les États-Unis sont sortis de la crise de 1929 avec le 3e New Deal). Nous aurions modernisé depuis longtemps nos armées et serions en pointe dans de nombreux domaines. Notre armée serait la 3e du monde en puissance, ce qui garantirait un peu plus à la fois notre indépendance et la défense de nos intérêts.

Je m’égare mais dans les années 1980 on escomptait que l’effort de défense continuerait et c’est la raison pour laquelle on lançait aussi à l’époque un très ambitieux programme d’équipements qui portait d’abord sur le nucléaire (renouvellement des sous-marins lanceurs d’engins, nouveaux missiles de tous types, etc.) mais aussi sur toute une génération conventionnelle (Rafale, porte-avions nucléaire, véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), char Leclerc, missiles Eryx, hélicoptères Tigre et Caïman, etc.). Ne cherchez pas, tout notre arsenal qualifié de moderne aujourd’hui a été conçu dans cette période 1985-1995 et il était destiné au grand combat contre l’Union soviétique en Europe centrale.

L’effort était aussi louable qu’indispensable. Il était aussi très cher, chaque matériel nouveau coûtant à l’achat plusieurs fois le prix de la précédente. On ne pouvait donc remplacer les matériels précédents nombre pour nombre et on ne pouvait donc conserver aussi autant d’unités de combat. Cela tombait bien car en supprimant ces unités et en économisant sur le budget de fonctionnement, on pouvait trouver des crédits supplémentaires pour financer l’équipement. L’habitude fut donc prise dès cette époque de supprimer les humains d’abord pour pouvoir mieux acheter les équipements ensuite. L’expérience montrera que si la suppression des hommes était facile, surtout dans un univers discipliné et (heureusement par ailleurs) non syndiqué, la seconde partie s’avèrera toujours plus compliquée. Au bilan, en trois réformes (une tous les trois ans en moyenne), l’armée de Terre perdait 17 % de ses effectifs et les autres armées 4 %. Neuf bases aériennes étaient fermées, l’aviation de combat passait de 450 à 400 appareils, la Marine nationale perdait 13 bâtiments et l’armée de Terre 6 (petites) divisions.

Et puis il y eut guerre du Golfe en 1990-91 qui témoignait à la fois de la nécessité de poursuivre la recapitalisation technique des armées et de nos faibles capacités de projection à partir du moment où on persistait (depuis les maladies de l’expédition de Madagascar en 1895) à n’engager hors de France et d’Allemagne que des soldats professionnels. Il y eut surtout la fin de l’URSS, cet ennemi gigantesque, ce qui nous laissait presque désemparés.

On s’empressa alors et très vite (et partout) de toucher les « dividendes de la paix », c’est-à-dire de ponctionner le plus possible le budget de la défense. Celui-ci dégringola de 39 milliards en 1990 à 30 milliards en 2002. Vous noterez au passage que ni les attentats de 1986 ni même ceux de 1995 à Paris n’ont jamais alors influé la politique de Défense de l’époque. 

Élément essentiel à retenir pour la suite, malgré cette chute des budgets on persista à maintenir les grands programmes de la génération 1985-1995. Ces programmes n’étaient pas forcément adaptés au nouveau contexte stratégique mais personne n’eut ni la volonté, ni l’imagination de proposer autre chose (ou au moins de l’imposer). Le slogan de l’époque était « qui peut le plus (la guerre conventionnelle brève et massive) peut le moins (tout le reste) », ce qui restait à démontrer et ne le fut d’ailleurs pas complètement.

On décida ensuite en 1996 assez logiquement de suspendre le service national et de professionnaliser entièrement les armées. On rappellera pour les débats en cours aujourd’hui que cette décision n’avait alors suscité guère de réticences et que le « service militaire » est mort (ou tombé en léthargie) sans avoir été beaucoup défendu. Toutes les vertus dont on semble le parer actuellement n’étaient donc pas si évidentes à l’époque mais nous y reviendrons une autre fois.

Cette décision mettait évidemment à bas les conclusions du Livre blanc de 1994 et rendait caduque la LPM 1994-2000. A la place on définit un « modèle d’armée 2015 ». Les soldats professionnels coûtant évidemment plus chers que les appelés et le surcoût des opérations extérieures (opex) dépassant le milliard d’euros depuis 1990, on considéra qu’à budget décroissant le volume des forces ne pouvait vraiment pas être le même. La nouvelle coupe fut sévère. L’armée de Terre perdait 40 % de ses effectifs (pour atteindre le chiffre de 136 000), la Marine nationale et l’armée de l’Air environ 30 %. Cela suscita évidemment des réorganisations profondes et surtout de nouvelles suppressions de bases (7 pour l’armée de l’air) ou de régiments (44 pour l’armée de terre qui n’en conserverait plus que 85). Bien sûr, comme à chaque fois, cela provoquait mutations et blocages d’avancement de cadres devenus trop nombreux pour une armée qui fondait. Cela signifiait surtout un nouveau « plan social » de 15 000 postes à supprimer parmi le personnel d’active. Pourquoi se priver ? Ce sont les plans sociaux les plus faciles à réaliser en France. On sacrifiait par ailleurs définitivement toute idée de remontée en puissance en réduisant massivement les réserves.

Bien évidemment, cette réduction de format et de budget entraînait aussi celle des équipements, les anciens dont on se débarrassait mais aussi les nouveaux dont on réduisait les commandes. Cela a eu pour effet immédiat de faire augmenter leur prix unitaires (soit au bout du compte environ + 20 millions d’euros pour un Rafale, + 30 millions pour un hélicoptère Tigre, + 180 millions pour une frégate multi-missions (Fremm), + 1 million pour chaque véhicule blindé de combat d’infanterie, etc.), ce qui incitait à, budget constant, à réduire encore les commandes ou à les reporter une nouvelle fois. Certains programmes finiront par coûter finalement plus cher que prévu initialement pour moins d’exemplaires livrés. L’armée de Terre perdait la moitié de ses chars et de ses hélicoptères et la marine encore 20 bâtiments sur 101, l’armée de l’air ne devait plus disposer à terme que de 300 avions de combat au lieu de 400 en 1995 et passer de 80 avions de transport tactique à 50.

Ce fut dur à vivre mais au moins le slogan d’« une armée plus ramassée, modernisée et entièrement projetable » signifiait peut-être quelque chose à l’époque. Le projet était mobilisateur et mettait fin au syndrome des deux armées, celle qui « avait tout » (les vieilles unités professionnelles de la Force d’action rapide) et celle qui montait la garde à l’Est. On envisageait alors pour 2015 de pouvoir déployer 60 000 soldats n’importe où (spoil : depuis 2013 le contrat est de 15 000, histoire de décrire le déclin de capacités en une phrase).  

Sans dévoiler de secret vous avez bien compris que ce modèle qui devrait être en place depuis deux ans était visiblement encore trop pour certains, non pas selon une grande vision à long terme d’affaiblissement de la France mais plutôt selon une série de petits plans mesquins d’économies à court terme. Le modèle d’armée 2015 ne fut jamais financé. Il manquait ainsi à force de gels, rabotages, reports, suppressions sèches, plus de 13 milliards à la LPM 1997-2002. Celle de 2003-2008 fut, en apparence, plus respectée par le gouvernement de l’époque.  En réalité les surcoûts opex (vous savez ces choses systématiquement sous-évaluées au départ et qu’il faut quand même financer à la fin) et les surcoûts des programmes (voir plus haut) ont fait qu’il manquait encore 11 milliards pour les équipements. 

On conserva donc bien au-delà de ce qui était prévu des matériels anciens et, oh surprise, cela a coûté très cher puisque les chaînes de fabrication n’existaient plus depuis longtemps. Dans le même temps, on s’apercevait que le « coût de possession » (ou d’emploi) des matériels nouveaux était bien plus important que celui de ceux qu’il remplaçait surtout lorsqu’ils étaient employés dans des théâtres d’opérations lointains beaucoup plus « abrasifs » que le centre de l’Europe pour lequel ils avaient été conçus. Cette période peu glorieuse fut ainsi marquée à la fois par l’effondrement de la disponibilité technique des matériels et l’envolée des coûts de maintenance.

En 2008, on revint à l’idée géniale de financer les programmes en sacrifiant d’abord ceux qui les utilisent. La conjonction de la Revue générale des politiques publiques (RGPP) et du nouveau Livre blanc (rappelez-vous : 1ère partie : « Le monde est plus dangereux » ; 2e partie : « Il faut donc réduire les moyens ») aboutit à la volonté de supprimer à nouveau 54 000 postes. Exit donc le modèle 2015 et bienvenue à l’horizon 2020, forcément plus ramassé, plus moderne, plus performant, etc.. C’était donc reparti pour un tour : l’armée de Terre perdait 20 régiments de plus, l’armée de le l’air 30% de ses effectifs et supprimait à nouveau 11 bases et la marine perdait 11 % de ses effectifs, deux bases aéronavales et 10 bâtiments. Ces nouvelles réductions et le mot d’ordre de faire payer le « back office » (oui, la terminologie et les méthodes de management du moment étaient très en vogue, on parlait alors de « réserves de productivité » pour parler du nombre de soldats) ont incité nos gestionnaires internes à imaginer des concepts nouveaux comme les bases de défense (BDD) ou à rationaliser le paiement des soldes, avec le succès que l’on sait. Non seulement on exerçait une nouvelle pression sur les hommes et les femmes (qui, en plein engagement en Afghanistan et ailleurs, n’avaient par ailleurs pas que ça à faire) avec ce plan social massif et unique en France, mais en plus on y ajoutait le désordre administratif. Bien entendu tout cela s’accompagnait à nouveau d’une réduction équivalente d’équipements. Il n’était plus question que de 250 chars Leclerc (puis 200, alors que le programme initial en prévoyait 1 600), de 80 hélicoptères de combat au lieu de 200, de 240 avions de combat au lieu de 300. Nos capacités de transport aérien ou de ravitaillement en vol poursuivaient leur déclin, etc. Le contrat opérationnel majeur parlait alors de 30 000 hommes à déployer.

Cela fut encore plus dur à vivre qu’au moment de la professionnalisation qui, au moins, avait un objectif autre que le simple fait d’économiser de l’argent public et n’avait pas introduit les BDD. Et bien vous savez quoi : malgré une embellie réelle sur un an (mais surtout due au grand plan de relance), cela n’a pas marché. Les 4 % de LPM économisés par les suppressions d’effectifs ont d’autant moins permis de sauver les meubles que la crise financière faisait exploser la dette publique. Le budget de la défense redevenait la « dinde rôtie » dès lors qu’il fallait faire des économies à court terme, même si elles s’accompagnent de dépenses supplémentaires à long terme. Après la saignée, la bosse de 40 à 50 milliards d’euros nécessaires pour payer la génération d’équipements 1985-1995, restait finalement la même qu’avant (et c’est d’ailleurs sensiblement toujours la même aujourd’hui). La désorganisation et l’affaiblissement des armées, sans même parler des coûts humains, n’avaient donc servi à rien. On s’est même retrouvé dans une situation pire qu’avant.

On décida donc d’en remettre une couche en 2013. La nouvelle LPM 2014-2019 prévoyait de supprimer 23 500 postes de plus (soit un total de 78 000 depuis 2008). C’était reparti pour de nouvelles dissolutions de régiments et de bases. Au nouvel horizon 2025, la force opérationnelle terrestre perdait 22 000 hommes et l’armée de terre passait sous la barre des 100 000, l’aviation de combat passait de 240 à 185 avions et ainsi de suite. Le contrat opérationnel majeur n’était plus que de 15 000 soldats et 40 avions à déployer (avec le groupe aéronaval), sans se demander combien la France seule pouvait gagner de guerres avec des forces aussi réduites.

Cela ne paraissait pourtant pas encore suffisant à Bercy qui lançait sa guérilla habituelle pour raboter encore quelques centaines de millions chaque année. L’opposition politique (à l’époque le ministre menaçait de démissionner, accompagné de tous les chefs d’état-major) était alors suffisamment forte pour résister à cette guérilla mais le nouveau déclin était acté. Pour schématiser, le budget de la défense est depuis 1980 d’environ 34 milliards d’euros constants, plus ou moins 10 %. A la fin des années 1980, on avait brièvement percé le plafond. Avec la LPM 2014-2019, on était certain d’en crever le plancher et revenir en plein XXIe siècle aux ressources des années 1970.

Et puis il y eut les frères Kouachi et Amédy Coulibaly, trois salopards qui eurent plus d’influence sur la politique de Défense que tous les citoyens honnêtes qui faisaient remarquer depuis des années que nos armées craquaient de tous les côtés. Presque magiquement (car on ne voit pas très bien entre le lien entre leurs crimes et la politique de Défense), la LPM fut légèrement modifiée. Premier résultat heureux, la politique suicidaire de suppression d’effectifs fut freinée (mais non compensée, il y aura quand même 7 000 postes de moins en 2019 qu’en 2014) et 3,8 milliards d’euros supplémentaires furent affectés à la LPM, dont notez-le bien pour la suite, + 1 en 2018 (budget total de 32,77 milliards) et encore +1,5 en 2019 (34,02 milliards), hors pensions et hors OPEX et surtout au-delà du quinquennat en cours.

Si la crise perdurait, on avait au moins le sentiment d’une accalmie et les programmes des différents candidats à la présidentielle incitaient presque à de l’espoir. On avait, semblait-il dans les discours, enfin compris qu’il était urgent d’arrêter la politique à la petite semaine qui permettait de présenter tout de suite des lois de finance un petit moins déficitaires au prix de lois futures qui le seraient plus. On avait enfin réalisé surtout qu’il était vital pour les armées de financer enfin le programme de modernisation lancé il y a 30 ans et d’arrêter cette spirale d’effondrement. On avait remarqué que même s’il était toujours possible de lancer des opérations (une section d’infanterie et/ou un avion de combat suffisent après tout pour annoncer pompeusement une « opération »), il était difficile d’y obtenir des résultats stratégiques (rappelez vous l’envoi de 1 650 soldats pour sécuriser toute la Centrafrique ou la fierté de réaliser 5 % des frappes de la coalition en Irak et en Syrie).

Tout cela était donc une illusion puisque le premier budget présenté n’annonçait pas une recapitalisation d’urgence (celle-ci fut surtout réservée à Areva), autre en tout cas que celle déjà prévue avec la modification de la LPM (et dont le gouvernement actuel n’hésite pas une seconde à s’attribuer la paternité) mais au contraire une facture de 900 millions d’euros dont 850 du reliquat impayé (et par ailleurs totalement prévisible) du surcoût des opérations extérieures.

Ce ne serait que provisoire assurait on et dès l’année prochaine les choses iraient mieux avec 1,6 milliard d’euros supplémentaires dont 650 millions d’euros pour les opex. On notera que ce budget opex apparaît désormais comme adossé à celui des armées alors qu’il faisait l’objet jusque-là d’un collectif interministériel. A la limite pourquoi pas, à partir du moment où il n’est pas mensonger, ce qui est manifestement le cas. Sur ces 650 millions d’euros, 200 seront consacrés à la « protection des forces » et là on ne voit pas très bien en quoi cela regarde spécifiquement les opérations (c’est la raison pour laquelle par exemple on achète des équipements blindés et non en carton). On voit très bien en revanche qu’annoncer un budget opex réel de 450 millions, comme cette année, c’est se condamner au même psychodrame que maintenant puisqu’il faudra trouver encore à la fin les 300 à 800 millions, peut-être plus, qui manqueront nécessairement (et on ne parle pas du surcoût si peu utile par ailleurs de l’opération Sentinelle). On tapera donc encore en cours d’année sur l’entrainement et pour la Xfois on reportera des commandes, forcément urgentes, d’équipement (ce que les fournisseurs apprécient aussi beaucoup).

Au bilan, et en admettant que des décisions « courageuses » (qui sont en fait surtout des décisions de facilité) n’aient pas encore à être prises, le 1,6 milliard d’euros supplémentaire risque fort de fondre. En réalité, jusqu’à présent les augmentations fièrement annoncées correspondent sensiblement à ce qui était prévu par le gouvernement précédent. On est loin en tout cas, de 2,25 milliards supplémentaires prévus d’ici à 2025 pour réaliser le programme présidentiel, augmentation qui elle-même ne serait pas forcément suffisante tant la crise est grande. On rappellera au passage que les coûts relatifs au simple arsenal nucléaire, à moins d’y renoncer complètement ou en partie, impliqueront à eux seuls environ 2 milliards d’euros par an en plus à partir de 2021 ou 2022. Le moins que l’on puisse dire est que l’on est mal parti pour sortir de la crise.

On peut donc concevoir au final que ce sentiment de « dindonisation » permanente puisse un petit peu exaspérer, surtout quand on y ajoute le mépris pour le premier des militaires, dont on rappellera au passage qu’il n’enfreint en rien le devoir de réserve en expliquant une situation que par ailleurs tout le monde peut constater ouvertement. Il n’y a dans le fond guère de surprise, la politique du gouvernement se fondant pour l’instant intégralement dans celle des précédents, mais sans doute quand même un peu de déception tant est grand le décalage entre les promesses ou la posture et la médiocrité de la réalité.

Démissions dans la Gendarmerie : la mise au point, chiffres à l’appui de la Direction générale

Démissions dans la Gendarmerie : la mise au point, chiffres à l’appui de la Direction générale


Drone de la Gendarmerie (Photo d’illustration GendInfo.fr)

Groupe Facebook, articles en série dans la presse, questions de parlementaires au gouvernement : le sujet des départs et démissions dans la Gendarmerie, 15000 en 2022 selon la Cour des comptes qui tient ces chiffres de la Gendarmerie elle-même, fait couler beaucoup d’encre.

La Gendarmerie a décidé de communiquer sur ce sujet. Dans un article publié dans GendInfo, l’Arme fait un point, chiffres à l’appui, sur ces départs et démissions.

Il n’y a pas d’hémorragie” affirme la Direction de la Gendarmerie pour laquelle “ces départs restent en effet conformes aux prévisions de l’institution, au regard notamment du mécanisme permettant aux sous-officiers et aux officiers de faire valoir leurs droits à la retraite avec jouissance immédiate de leur pension après respectivement 17 et 27 ans de carrière, mais aussi au regard des évolutions sociétales que la Gendarmerie intègre dans sa stratégie de recrutement” assure la DGGN.

Le détail des 15 000 départs

Dans cet article, la Gendarmerie explique le chiffre de 15 000 départs évoqué par la Cour des comptes. Celui-ci englobe l’ensemble des flux, y compris les changements de corps détaille la Gendarmerie. “Il inclut donc les départs de Gendarmes adjoints volontaires (GAV), admis dans une école de sous-officiers, mais aussi de sous-officiers intégrant l’un des corps d’officiers” poursuit la DGGN qui précise que “plus de la moitié des sous-officiers recrutés au cours des trois dernières années étant d’anciens GAV, on comprend mieux l’ordre de grandeur de ces flux internes”.

Ce chiffre se décompose en 3700 changements de corps, 2 950 flux sortants temporaires et 8 350 départs définitifs de la Gendarmerie (mobilité des personnels civils et fins de contrat GAV inclus). Les 15 000 intègrent également les départs temporaires telles les affectations au sein des gendarmeries spécialisées relevant du ministère des armées ou encore les détachements en “mobilité extérieure” au sein d’autres administrations ou organisations nationales et internationales.

1 571 radiations des cadres en 2024 dont 545 dénonciations de contrat en écoles d’officiers et de sous-officiers.

Après déduction du nombre annuel de départs en retraite après 17 et 27 ans de service, le nombre total de radiations des cadres avant d’avoir acquis les droits à une retraite à jouissance immédiate (tous corps confondus, hors population de volontaires) s’est élevé à 1 571 en 2024, dont 545 dénonciations de contrat en écoles d’officiers et de sous-officiers.

Après deux années de hausse consécutive, en 2022 et 2023, le nombre de départs anticipés s’est toutefois stabilisé au cours de l’exercice 2024 annonce la DGGN.

La Gendarmerie estime encore “qu’elle est loin de connaître la “grande démission” évoquée et “qu’elle dispose toujours d’une réelle attractivité”. Ainsi, elle indique “recevoir des centaines de demandes de gendarmes souhaitant dépasser la limite d’âge ou se réengager après une expérience externe ou une retraite anticipée, comme le permet désormais la dernière LPM (loi de programmation militaire ndlr)”.

Toutes ces demandes n’ont d’ailleurs pas pu recevoir un retour favorable de la part de la DRH, afin justement de laisser la place aux jeunes recrues” ajoute d’ailleurs l’institution.

Enfin l’Arme précise “qu’avec 12 000 postes pourvus en 2024, la gendarmerie n’a jamais autant recruté, sans pour autant le faire au détriment de ses standards de sélection”.

L’article de GendInfo.

Direction le cercle polaire pour la mission Jeanne d’Arc 2025

Direction le cercle polaire pour la mission Jeanne d’Arc 2025

Les officiers-élèves ont appareillé de Toulon pour la mission Jeanne d’Arc 2025 ce 24 février. Cette année, direction le cercle polaire pour la marine de demain.

par Samuel Azemard – le Var informations – publié le

https://mesinfos.fr/83000-toulon/direction-le-cercle-polaire-pour-la-mission-jeanne-d-arc-2025-217076.html

© S. Azemard - Le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Mistral a une vitesse maximale de 19 nœuds.

© S. Azemard – Le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Mistral a une vitesse maximale de 19 nœuds.


Ce 24 février, 151 officiers-élèves (OE) de l’école navale à Lanvéoc-Poulmic ont appareillé de Toulon pour la mission Jeanne d’Arc 2025. Thomas est l’un d’eux. Ce “bordache”, surnom usuel des élèves de l’école navale rendant hommage au “Borda”, navire qui l’accueillait historiquement, ne cache pas son enthousiasme à l’idée de participer à ce déploiement.

« J’ai hâte », débute-t-il ! « Ça fait longtemps que nous attendons ça. On a vu nos pairs faire la mission Jeanne d’Arc l’an passé, c’est une grande chance que ce soit notre tour », poursuit-il.

Former et déployer

La mission Jeanne d’Arc c’est un déploiement annuel opérationnel d’une durée de cinq mois, où près de 800 militaires, comprenant 640 marins, dont 151 OE, ainsi que 150 soldats de l’armée de Terre du groupement tactique embarqué (GTE), prennent le large. Une tradition vieille de 161 ans.

Le but de cette mission est double : former la marine de demain et déployer l’ensemble des fonctions stratégiques de la Marine nationale, à savoir : « connaissance – anticipation », « prévention », « influence » et, si la situation l’exige, « intervention ».

Le groupe Jeanne d’Arc 2025 est composé de :

  • Porte-hélicoptères amphibie (PHA) Mistral
  • Frégate type La Fayette (FLF) Surcouf
  • Groupement tactique embarqué (GTE) de l’armée de Terre

Une mission décisive pour les officiers-élèves

Malheureusement la pluie était elle aussi au rendez-vous pour ce départ. Mais elle n’a pas gâché l’euphorie ambiante. Les troupes ont trouvé une solution de repli : la cérémonie s’est déroulée au sein du PHA, dans un hangar suffisamment grand pour accueillir les marins, les autorités militaires ainsi que celles politiques locales et nationales. 

La cérémonie était en effet présidée par la ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants de France, Patricia Mirallès, en présence du vice-amiral d’escadre Éric Janicot, directeur du personnel militaire de la Marine.

C’est ici que nous retrouvons Thomas, avec son uniforme tiré à quatre épingles. Après son bac S, il s’est tourné vers les classes préparatoires au lycée naval de Brest. C’est à ce moment-là qu’il découvre l’école navale et décide de tenter son concours d’entrée. « J’ai eu la chance et l’honneur d’être pris et la mission Jeanne d’Arc est la finalité », conclut-il.

©S. Azemard – Thomas fait partie des 151 officiers-élèves présents pour cette JDA 2025.

Son enthousiasme a laissé place à la concentration face au poids des traditions et à l’enjeu de cette mission. Thomas sait qu’elle sera décisive pour sa carrière. « Je suis pré-orienté par l’école navale en filière opération énergie. Mais je souhaite toujours présenter la filière de pilote d’hélicoptère », souligne-t-il. En effet, les officiers-élèves sont soumis à un suivi et une évaluation continue tout au long de leur “Jeanne”. Le but : à la mi-mission, ils se verront attribuer une spécialité.

Qui pourrait être mobilisé si une guerre éclatait sur le territoire français ?

Qui pourrait être mobilisé si une guerre éclatait sur le territoire français ?

Emmanuel Macron a rappelé jeudi le danger que représenterait, pour le reste de l’Europe, une victoire russe en Ukraine. Que se passerait-il si la guerre venait à s’étendre ? On fait le point.

Le président de la République a longuement échangé avec des internautes sur les réseaux sociaux, ce jeudi 20 février 2025.

Il a notamment évoqué «la menace que représente la Russie pour l’Europe et pour la France », indiquant qu’elle allait « nous imposer des choix très forts pour nous-mêmes, pour notre défense et notre sécurité ». Il a également donné des détails sur les arguments qu’il comptait présenter à Donald Trump, le mettant en garde contre toute « faiblesse » face à Vladimir Poutine.

« Si tu laisses l’Ukraine prise » par la Russie, elle sera « inarrêtable pour les Européens », puisqu’elle « récupérerait » l’armée ukrainienne « qui est une des plus grandes d’Europe, avec tous nos équipements, y compris les équipements américains ». Dans ce scénario du pire, en cas d’invasion de la Russie sur le territoire hexagonal, que se passerait-il alors ? Qui serait mobilisé ? On vous explique.

La mobilisation générale quasi impossible

Avec la fin du service militaire, la France possède ce qu’on appelle une armée de métier. On compte environ 200 000 militaires d’active dans l’armée française. Ce sont eux qui seraient envoyés en priorité sur le front. Environ 40 000 volontaires âgés de 17 à 35 ans constituent également ce que l’on appelle la réserve de sécurité nationale.

Dans ses vœux aux armées, en janvier, Emmanuel Macron avait à ce sujet évoqué un projet, encore flou, pour « mobiliser » davantage de jeunes volontaires « en renfort des armées » en cas de besoin. « Aujourd’hui, nous nous contentons d’un recensement, d’une journée défense et citoyenneté », « c’est trop peu », avait-il dit, demandant au gouvernement et à l’état-major des propositions d’ici au mois de mai pour « mieux détecter », « former » et « être capable de mobiliser » des volontaires « le jour venu ».

La France vise ainsi 210 000 militaires d’active et 80 000 réservistes à l’horizon 2030.

La mobilisation générale serait utilisée en dernier recours mais elle n’a quasiment aucune chance d’aboutir en raison de capacités logistiques insuffisantes. La dernière date de 1939, dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale. 4,5 millions de Français avaient alors été appelés sous les drapeaux

L’armée française de demain : spécialisation ou conscription ?

L’armée française de demain : spécialisation ou conscription ?

par Martin Anne – Revue Conflits – publié le 1er février 2025

https://www.revueconflits.com/larmee-francaise-de-demain-specialisation-ou-conscription/


Alors que les conflits récents rappellent l’importance des stratégies classiques de terrain, l’armée française entame une mutation profonde pour répondre aux défis de la guerre moderne. Entre la numérisation des systèmes, la montée en puissance des spécialistes et la nécessité de s’intégrer dans des alliances multinationales, les forces terrestres réinventent leur organisation tout en restant attachées à des tactiques éprouvées. Ce paradoxe reflète une constante : si les technologies évoluent, la nature de la guerre, elle, demeure.

L’armée française a hésité longtemps entre un modèle reposant sur la conscription, et un autre bâti sur la professionnalisation. Lorsque de Gaulle publia Vers l’armée de métier (1934), l’état-major et les politiques ont encore en tête la défaite de 1870, quand l’armée était professionnelle, et la victoire de 1918, où la demande d’immenses réserves d’hommes avait imposé la conscription. De l’apparition de la bombe nucléaire naquit la création d’une de force d’action rapide professionnelle au sein de l’armée de conscription jusqu’à la fin de la guerre froide. C’est avec Jacques Chirac et l’abolition du service militaire que la professionnalisation est devenue le modèle de l’armée française. Devant les besoins techniques de la guerre moderne, la multiplication des réservistes ne pourra pas changer ce modèle.

Martin Anne

Une armée de terre en transformation

La modification profonde de l’organisation de l’armée de terre, qui bascule du modèle « au contact » à « l’armée de terre de combat », vise à répondre aux transformations induites par la multiplication des outils numériques. Cette réforme repose sur trois grands axes : une logique d’employabilité des unités, une décentralisation du commandement et une présence accrue de spécialistes au sein des forces terrestres. L’objectif est de répondre aux défis posés par la numérisation, qui exige des profils plus techniques.

La numérisation a refondu les systèmes informatiques et de communication des unités de combat. Désormais, chaque unité est équipée de serveurs informatiques intégrés à leur système de communication radio. Ces systèmes permettent d’obtenir des informations telles que la position GPS, la quantité de munitions tirées et de transmettre des ordres numériques. Le concept de combat collaboratif, développé par Thales, renforcera encore ces capacités en automatisant la transmission de données tactiques grâce à l’intelligence artificielle. Les opérateurs chargés de gérer ces systèmes devront posséder des compétences avancées en informatique pour paramétrer et exploiter ces technologies complexes.

Le renseignement tactique a également gagné en importance. Autrefois concentrés dans deux régiments spécialisés, les moyens de renseignement en images (drones) et en électronique (interception d’émissions électromagnétiques) étaient déployés sur les théâtres d’opérations pour appuyer les groupements tactiques. Désormais, les régiments d’infanterie intégreront des capacités de guerre électronique, tandis que l’utilisation de drones sera généralisée à l’ensemble des armes. Les régiments spécialisés subsistent néanmoins, pour répondre aux besoins en renseignement opératif et stratégique. Cette évolution, réalisée à effectif constant, entraîne une substitution progressive des combattants d’infanterie traditionnels par des spécialistes du renseignement. La mise en œuvre de ces équipements complexes nécessitera également des soldats mieux formés techniquement.

Cependant, l’augmentation des outils de renseignement et de communication entraîne une multiplication des réseaux, et donc des failles potentielles en matière de sécurité. Si le chiffrement des communications est une pratique ancienne, illustrée par des exemples tels que la machine Enigma ou les Windtalkers navajos, les réseaux numériques modernes exigent des solutions de protection toujours plus avancées. La cyberguerre est devenue un enjeu clé, impliquant des actions visant à couper les réseaux de communication ennemis et à accéder à leurs données sensibles. Pour y faire face, l’armée de terre a créé un bataillon cyber, regroupant des unités spécialisées. Cette évolution s’inscrit dans un contexte où les effectifs globaux restent constants, ce qui accroît mécaniquement la proportion de spécialistes dans les rangs.

Ainsi, le nombre de spécialistes augmentera fortement dans l’armée de terre pour relever ces défis technologiques. Intuitivement, on pourrait en conclure que les clés de la victoire résident désormais dans des opérations ciblées, comme la prise de contrôle des réseaux informatiques ennemis, plutôt que dans la conquête traditionnelle de territoires. Pourtant, les conflits récents en Ukraine et au Proche-Orient démontrent que la conquête physique reste un élément central des affrontements.

Des fondamentaux qui demeurent

Dans le conflit ukrainien, le contrôle du terrain demeure un objectif politique central. Vladimir Poutine, en 2014, déclarait que « la Crimée et Sébastopol sont rentrés au port », affirmant ainsi ses visées territoriales. Reflétant l’assertion de Clausewitz selon laquelle « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », la conquête du terrain constitue l’objectif militaire principal de ce conflit. Celle-ci s’appuie sur le déploiement de troupes au sol, suivant des tactiques classiques.

Par exemple, l’offensive ukrainienne vers Koursk a été menée par des brigades mécanisées dont l’organisation reste comparable à celle de la Deuxième Guerre mondiale. Les chars de bataille y jouent toujours un rôle central, en perçant le front ennemi pour permettre à l’infanterie de progresser. Les appuis en génie et artillerie conservent leur fonction traditionnelle : préparer le terrain en vue de sa prise. Ainsi, un général ukrainien pourrait aujourd’hui, à l’instar du maréchal de Lattre de Tassigny, déclarer au sujet de l’une de ses brigades mécanisées : « C’était mon élément de décision. » La rupture du front, obtenue par une concentration de moyens blindés dans une zone favorable, reste une méthode privilégiée pour remporter la victoire.

Dans cette organisation conventionnelle, les technologies dites « de rupture » sont intégrées au sein des brigades, mais leur utilisation demeure confiée à des unités spécialisées. Ces technologies participent au nouveau combat interarmes sans pour autant remplacer les équipements traditionnels. Par exemple, le drone ne remplace pas le char, comme le char avait autrefois remplacé le cheval. La guerre moderne ne peut donc être menée exclusivement derrière un écran : elle reste un affrontement terrestre, où la quantité d’hommes engagés demeure un facteur clé pour obtenir l’avantage. Une armée négligeant ce rapport de force risquerait rapidement d’être surpassée. En Europe, les armées prises individuellement ne disposent pas des effectifs suffisants pour répondre à ces exigences, à l’exception notable de l’armée américaine, qui combine haute technologie et armée de masse.

La réserve : une alternative à l’armée permanente

Les guerres au Proche-Orient et en Ukraine, bien que différentes — asymétrique pour l’une, symétrique pour l’autre —, ont toutes deux nécessité la mobilisation de réservistes. Tsahal, l’Ukraine et la Russie peuvent compter sur des centaines de milliers de réservistes ayant récemment effectué leur service militaire. Ces derniers possèdent les qualifications nécessaires pour utiliser du matériel moderne, permettant d’augmenter rapidement et efficacement les effectifs des armées régulières.

En comparaison, les forces opérationnelles terrestres françaises comptent 77 000 soldats, et l’armée de terre 120 000, avec 25 000 réservistes. Ces chiffres soulignent les limites du modèle d’une armée réduite. Pour y remédier, la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) prévoit une augmentation significative de la réserve opérationnelle, visant le recrutement d’un réserviste pour deux soldats d’active. L’objectif est d’atteindre 100 000 réservistes d’ici 2030.

Cependant, ce modèle présente des faiblesses. Les réservistes français, formés comme généralistes, ne reçoivent pas de formation spécialisée. Par exemple, un réserviste d’un régiment de cavalerie peut remplacer un collègue d’un régiment de transmissions, mais aucun des deux n’atteint le niveau de compétence de son homologue d’active. Contrairement à Tsahal, où les réservistes peuvent être mobilisés pour opérer des chars Merkava, les réservistes français ne sont pas qualifiés pour utiliser les Leclerc. Ce déficit de spécialisation, combiné à la complexité croissante des équipements, allongerait le délai de mobilisation des unités de réserve en cas de conflit.

La doctrine actuelle exclut l’emploi des réservistes dans des missions de combat face à une armée moderne. Leur rôle se limiterait à des missions sur le territoire national, tandis que l’active serait déployée en opération. Ainsi, en cas de guerre, l’armée conventionnelle française ne pourrait compter que sur ses effectifs permanents.

Face à ces défis, la France mise sur son intégration dans des alliances multinationales, seule solution pour compenser le manque d’effectifs. Dans son modèle actuel et futur, l’armée française doit accepter sa dépendance envers ses alliés pour garantir une capacité d’intervention suffisante en cas de conflit.

Une armée numérisée aux tactiques traditionnelles

L’armée française reste attachée à son modèle « d’armée complète », qui vise à maintenir un éventail complet de capacités militaires. Ce modèle est adapté aux effectifs qui lui sont alloués, mais il permettrait également de transmettre, conserver et développer ses savoir-faire si une augmentation rapide des effectifs devenait nécessaire. En revanche, un manque d’adaptation risquerait de conduire à ce que l’on appelle le syndrome de la « guerre de retard », où une armée nombreuse et expérimentée, mais utilisant des technologies et des méthodes dépassées, se verrait surpassée par une force plus jeune et agile, équipée des dernières avancées technologiques.

Bien que les nouvelles technologies aient modifié certains aspects de la micro-tactique et contribué à dissiper le « brouillard de la guerre » en offrant une meilleure visibilité des situations, elles n’ont pas transformé la nature même du conflit. Le champ de bataille en 2024 reste marqué par la présence de chenilles de chars, de tranchées et de troupes massées aux frontières. Ainsi, malgré l’introduction massive de composants électroniques dans les équipements militaires, les éléments fondamentaux de la guerre demeurent inchangés.

Armées : Emmanuel Macron veut 80 000 réservistes en 2030

Armées : Emmanuel Macron veut 80 000 réservistes en 2030

Lors de ses vœux aux armées, Emmanuel Macron a insisté sur sa volonté de faire monter les effectifs de l’armée de réserve à 80 000 unités d’ici 2030.

par Cédric Bonnefoy – armees.com – Publié le
armees-emmanuel-macron-reservistes-2030
Armées : Emmanuel Macron veut 80 000 réservistes en 2030 | Armees.com

Lors de ses traditionnels vœux aux armées, Emmanuel Macron a fait plusieurs propositions pour attirer la jeunesse vers les métiers des armées. Mais aussi pour améliorer la détection de jeunes prêts à rejoindre les unités. Son objectif : arriver à 80 000 réservistes en 2030.

Emmanuel Macron veut booster les effectifs des armées

Dans un discours prononcé à Cesson-Sévigné, lors de ses traditionnels vœux aux forces armées françaises, Emmanuel Macron dévoile une vision ambitieuse pour renforcer les effectifs de l’armée française. Le chef de l’État exprime son intention d’atteindre un objectif de 80 000 réservistes d’ici 2030. Selon lui, il s’agit d’une étape clé pour répondre aux nouvelles menaces pesant sur la sécurité nationale. Ce projet s’inscrit dans une volonté de « mieux détecter » et « mobiliser » les jeunes volontaires afin d’assurer une défense renforcée face à des périls croissants.

Pour le président, l’engagement des jeunes Français constitue une réponse stratégique face à l’ »accumulation des menaces« , notamment la guerre en Ukraine, qui a « accéléré les périls » géopolitiques. Aujourd’hui, le dispositif d’engagement citoyen se limite essentiellement au recensement national et à la Journée Défense et Citoyenneté (JDC). Emmanuel Macron estime que ce cadre est insuffisant. Afin de pallier cette lacune, le président propose une rénovation de la JDC, qui redeviendrait « un moment de temps retrouvé avec les armées« . Parmi les 800 000 jeunes participant annuellement à cette journée, certains pourraient se porter volontaires pour intégrer une réserve opérationnelle.

Cette réserve serait structurée pour permettre aux volontaires d’apprendre aux côtés des militaires actifs, tout en étant formés à intervenir « en renfort des armées en métropole ou ailleurs« . Cette approche offre non seulement une opportunité unique d’acquérir des compétences militaires, mais elle s’inscrit aussi dans une logique d’engagement fort pour la jeunesse. Surtout depuis que le Sénat vient d’acter quasiment la fin du service national universel.

Un cadre rénové pour la mobilisation

En parallèle, Emmanuel Macron sollicite l’état-major des armées et le gouvernement pour élaborer des propositions concrètes d’ici mai 2025. Ces initiatives incluront des stratégies pour mieux repérer les jeunes intéressés par un engagement militaire et les intégrer efficacement dans les forces armées. L’objectif à terme est de renforcer l’interconnexion entre les militaires d’active, dont les effectifs devraient atteindre 210 000, et les réservistes.

Ce projet s’inscrit dans une logique de défense nationale réactive face à des défis multiples. Emmanuel Macron a rappelé que les nouvelles stratégies militaires doivent tenir compte d’un contexte marqué par une intensification des tensions internationales. « Nous devons être capables de mobiliser notre jeunesse le jour venu, pour garantir la sécurité en métropole ou ailleurs« , a martelé le président.

L’ Ukraine et la GRH de guerre par Michel Goya

L’ Ukraine et la GRH de guerre

par Michel Goya – La Voix de l’épée – publié le  15 janvier 2025

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Les nations anticipent rarement avoir à mener des guerres longues et s’obligent donc, le plus souvent, à improviser la manière de gérer les hommes qui la font. La réussite de cette gestion des ressources humaines « de guerre » conditionne ensuite largement celle des forces armées sur le front. Une des infortunes de l’Ukraine est qu’elle n’a pas réussi à dépasser les dysfonctionnements de son État pour instaurer une GRH de guerre aussi efficace qu’elle aurait dû et pu être. Il est désormais bien tard, mais tout n’est pas perdu pour autant, à condition de prendre des mesures fortes.

Maintenir le capital humain dans le chaos

Le but premier de la GRH de guerre est de maintenir le capital humain des grandes unités sur le front. Il ne s’agit pas simplement de remplacer « homme pour homme » toutes les pertes, mais uniquement celles qui sont définitives : tués, prisonniers, disparus et blessés graves. Pour le reste, plus de la moitié des absents des unités sont des blessés légers, qui sont normalement destinés à revenir dans les rangs, en permissions ou en formation si la situation le permet, ou enfin des déserteurs de plus ou moins longue durée. Les unités sur le front, comme les brigades ukrainiennes, sont donc déjà systématiquement en sous-effectif par rapport à leur structure réglementaire, censée représenter l’organisation tactique optimale. On peut imaginer, comme dans certaines armées du passé, faire appel à un pool d’ « intérimaires » pour combler, au moins temporairement, ces trous. Cependant, outre que c’est un exercice très délicat sous le feu, les unités ukrainiennes n’ont pas le luxe de ce surplus.

Une fois que l’on a une idée des besoins humains, il faut ensuite s’efforcer d’envoyer les bons individus au bon endroit, et donc associer des compétences à des postes, avec cette difficulté supplémentaire que les postes peuvent aussi changer au cours d’une guerre longue. De nouvelles spécialités peuvent émerger, comme l’emploi des drones, qui nécessitent de plus en plus de personnel. D’autres peuvent au contraire décliner, car devenues moins utiles ou simplement parce qu’à effectifs constants ou croissants faiblement, on ne peut satisfaire tout le monde. On assiste donc le plus souvent à une bataille des spécialités pour obtenir la meilleure part possible d’une ressource humaine presque toujours insuffisante à toutes les satisfaire en volume et en qualité.

Il s’agit de mettre en place ensuite une structure de recrutement et de formation à l’arrière capable de satisfaire ces besoins humains changeants et cette structure elle-même a besoin de ressources matérielles, des camps et des équipements d’instruction, et surtout humaines, des cadres en particulier. Cette structure arrière entre donc elle-même dans l’équation complexe de l’allocation des ressources humaines en compétition avec toutes les autres. Elle s’efforce ensuite de « produire » des soldats au cours de formations plus ou moins longues, avec cette contradiction permanente entre l’urgence et la qualité, et dans le cas ukrainien avec la menace permanente de frappes aériennes dès qu’une concentration d’hommes peut être repérée par l’ennemi. Par principe ces formations arrière se trouvent presque toujours en décalage avec les évolutions très rapides sur le front et nécessitent des formations complémentaires assurées par les grandes unités réceptrices. On s’efforce alors de transformer des bleus en individus capables d’assurer un nouveau métier dans les dangers du front. L’affaire est donc extrêmement complexe et d’autant plus délicate que l’on traite là non seulement de métiers et de compétences mais aussi de la vie et de la mort. Elle nécessite donc un réseau particulier permettant d’ajuster le moins mal possible la demande du front et l’offre de l’arrière. La forme idéale que doit prendre ce réseau est bien connue depuis la Première Guerre mondiale et disons-le tout de suite, l’armée ukrainienne en est très éloignée.

La meilleure manière de gérer ce désordre obligatoire est de disposer d’état-major intermédiaires entre les unités engagées directement sur le front et l’état-major général ou le ministère à l’arrière, et qui servent de relais et de transformateurs. Ces états-majors, de division ou de corps d’armée dans le cas ukrainien, doivent gérer simultanément les opérations des brigades qu’elles commandent et en même temps s’efforcer d’assurer leurs besoins dans tous les domaines. Ces états-majors permanents connaissent les unités qu’ils commandent, d’autant plus que les officiers qui les arment en sont issus ou y sont affectés. Ils connaissent donc leurs besoins et sont capables de les traduire à l’arrière, dans leur province d’affectation, en recrutements et formations les plus adaptés possibles, car c’est aussi leur intérêt à l’avant d’avoir des brigades efficaces. Rien de tel en Ukraine, où la plupart des brigades sont commandées par des états-majors ad hoc, dont les officiers, tournants pour quelques mois, ne connaissent rien des unités qu’ils commandent et sont surtout là pour éviter les problèmes. Le soutien, et notamment la GRH, leur échappe complètement, étant géré par l’administration centrale et les provinces. Circonstance très aggravante : dans ce système encore très soviétique, où l’aveu d’une erreur, d’une faiblesse ou d’un échec est synonyme de sanction, l’information remontant la hiérarchie est très souvent fausse, ce qui est source à la fois de nombreux problèmes opérationnels et d’un accroissement du désordre dans la gestion. La confiance n’excluant pas le contrôle, l’armée française de la Première Guerre mondiale doublait le processus normal de comptes rendus du bas en haut par un service de contrôle du haut en bas assuré par des inspecteurs généraux ou de spécialités et des officiers de liaison du Grand Quartier Général. Ce n’est pas le cas en Ukraine.

Au bout du compte, on demande aux provinces ukrainiennes de remplir des quotas de recrutement mais elles ne sont pas directement concernées par le résultat final de leur recrutement. Le problème premier consiste donc à réaliser ces chiffres avec des volontaires et des conscrits. Les premiers sont évidemment beaucoup plus rares qu’en 2022 et, au-delà d’un patriotisme toujours évident, sont largement motivés par la possibilité de choisir leur affectation, qui se trouve rarement en première ligne dans l’infanterie. Le choix des seconds ressemble beaucoup à la conscription par tirage au sort du XIXe siècle, où on ne retient finalement que les « mauvais numéros », ceux qui ne peuvent pas payer. On envoie ensuite ces mauvais numéros dans les centres de formation de base plus ou moins actifs cette population de pauvres et de « vieux », puisqu’il s’agit aussi des conscrits en moyenne les plus âgés de l’histoire. Les plus qualifiés sont plutôt envoyés dans les armes les plus techniques, tandis que les moins qualifiés apprennent qu’ils vont rejoindre l’infanterie, là où l’on meurt ou où l’on se fait mutiler en masse. Comme la surveillance et la coercition sont assez faibles en Ukraine, on comprend qu’il puisse y avoir une certaine évaporation avant d’arriver dans les bataillons d’infanterie, qui restent ainsi toujours aussi désespérément usées et en sous-effectif et c’est bien le problème majeur.

La crise de l’infanterie ukrainienne

Le triple problème de l’infanterie ukrainienne, comme beaucoup d’autres infanteries dans l’histoire, est qu’elle est à la fois indispensable, négligée et mortelle. Indispensable, car ce sont les fantassins qui assurent la principale charge de la conquête, du contrôle et de la tenue du terrain. Négligée, car les fantassins sont souvent considérés comme les ouvriers non qualifiés du combat — grave erreur — et sont les derniers servis dans les programmes d’équipement ou les affectations de recrues. Mortelle enfin, car l’infanterie subit environ 70 % des pertes en Ukraine (comme dans pratiquement toutes les guerres modernes), ce qui rend l’apprentissage sur le terrain difficile et l’ensemble de la tâche peu attractif. Les unités d’infanterie ont ainsi beaucoup plus de mal à monter en gamme que les autres, car pour capitaliser sur l’expérience, il est préférable de survivre.

En résumé, l’armée sur le front demande surtout des fantassins il en manque peut-être 80 000 en Ukraine – alors que l’arrière a beaucoup de mal à lui en envoyer. Les besoins sont tels que les brigades d’infanterie – c’est-à-dire majoritairement composées de fantassins – doivent de plus en plus faire appel à des artilleurs, logisticiens ou autres non-fantassins pour combler les trous dans les compagnies d’infanterie. C’est une triple catastrophe. Cela affaiblit d’autant les indispensables unités d’appui et de soutien autour des bataillons d’infanterie, cela réduit la confiance des volontaires dans le système puisqu’ils peuvent être finalement affectés à des unités où ils ne veulent pas aller. Surtout, cela produit plus de pertes et de désertions que de bons fantassins.

Engagés sans compétences – et le combat d’infanterie en exige beaucoup – et sans confiance réciproque avec des camarades de combat qu’ils ne connaissent pas, les bleus envoyés directement sur le front meurent ou s’effondrent en moyenne quatre fois plus que les anciens placés dans les mêmes conditions. On avait compris cela dès le début de la Première Guerre mondiale, où les divisions d’infanterie françaises avaient mis en place des bataillons de dépôt à l’arrière pour apprendre progressivement le front aux nouveaux. Les Ukrainiens ont mis du temps à retrouver ces principes, ce qui témoigne encore du problème du retour d’expérience et de la circulation de l’information. Ils n’en ont pas encore forcément tiré toutes les conclusions. De leur propre initiative, plusieurs brigades ukrainiennes ont créé leur propre bataillon de formation, mais il faudrait que cela puisse se passer un peu plus en arrière, au niveau des divisions ou des corps d’armée permanents, qui comme on l’a vu n’existe pas à quelques exceptions près comme celui des marines.

L’Ukraine a par ailleurs fait le choix de former 14 brigades d’infanterie nouvelles plutôt que de renforcer les anciennes. Cela peut s’expliquer par la nécessité de disposer d’une réserve stratégique permettant de faire face aux problèmes urgents, de saisir éventuellement des opportunités offensives ou simplement de permettre aux brigades de se reposer et se reconstituer à l’arrière. Il s’agit aussi de constituer des produits d’appel à l’aide matérielle occidentale. C’est probablement une erreur. Le combat est avant tout une affaire de qualité humaine. Même si, sur le papier, les choses peuvent apparaître semblables, une brigade d’infanterie expérimentée l’emportera toujours sur une brigade constituée à partir de rien, avec, comme pour la brigade de Kiev, seulement 150 hommes sur les 2 400 déployés en France avec plus d’un an d’expérience militaire (et encore, pas d’expérience du combat). Quitte à créer de nouvelles brigades, autant les former à partir d’anciennes qui seront doublées et dont on tirera les cadres parmi les anciens.

Une bureaucratie qui doit se transformer en méritocratie

Sans grande surprise, on s’aperçoit historiquement qu’une armée encadrée par des gens qui ont fait leurs preuves au feu est plus efficace qu’une armée encadrée uniquement par des gens qui ont réussi un concours à vingt ans et ont ensuite monté mécaniquement la hiérarchie. Trois des plus belles armées de la France, sous le 1er Empire, en 1918 ou à la Libération, sont des armées qui ont fait exploser le carcan administratif pour faire place à des hommes souvent jeunes et toujours courageux, énergiques et excellents tacticiens. Cela ne s’est pas fait sans douleur, mais cela s’est avéré indispensable et très efficace.

L’armée ukrainienne comme l’armée russe ont commencé la guerre avec des cadres supérieurs issus du monde post-soviétique, avec son mélange de rigidité à l’ancienne et de clientélisme nouveau, la pire combinaison possible. Il a manqué ensuite à l’Ukraine un Joffre remplaçant 40 % des généraux en exercice en 1914 par des officiers ayant réussi l’épreuve initiale du feu. Il est vrai que Joffre, contrairement à Zaloujny ou Syrsky, avait une vue à peu près claire de ce qui se passait sur le front. Aussi l’Ukraine compte-t-elle toujours dans ses rangs des commandants de brigades ou de bataillons incompétents mais qui parviennent à le cacher. Il faut là encore imaginer les ravages opérationnels et psychologiques d’une telle situation à l’intérieur même des brigades mal commandées ou dans celles d’à côté, qui découvrent par exemple que leur voisine a soudainement décroché de sa position sur le front, parfois parce que les hommes en ont marre de leur chef imbécile et se sont repliés d’eux-mêmes. Une bonne partie des quelques succès russes d’importance est le résultat de tels problèmes de mensonges et de mauvaise coordination par des états-majors qui ont une connaissance très imparfaite de ce qui se passe réellement.

En résumé, il est probable que le principal gisement de ressources pour les Ukrainiens ne soit pas forcément l’aide occidentale, mais bien la gestion de leurs hommes et de leurs femmes sous l’uniforme. Quand on voit le courage de l’immense majorité des soldats ukrainiens et l’ingéniosité de certaines unités, on se plaît à imaginer ce que donnerait la même armée avec une structure de commandement bien organisée et transparente, mais aussi des décideurs politiques courageux capables de prendre des mesures impopulaires dans l’opinion et douloureuses dans l’administration. Le chantier est déjà engagé, mais l’inertie et les résistances sont telles que les progrès sont très lents alors que les hommes tombent et que les Russes pressent sur le front.

Ajoutons pour conclure qu’il serait bon aussi que les forces armées françaises et la nation dans son ensemble se posent quelques questions sur ce qui se passerait si nous étions placés devant la même situation.

La 155e brigade mécanisée ukrainienne a égaré ses soldats entre la France et le front

La 155e brigade mécanisée ukrainienne a égaré ses soldats entre la France et le front

Un canon Caesar de la 155e brigade en action (photo E. CHAZE)

La saga de la brigade mécanisée ukrainienne « Anne de Kiev » (155e brigade) n’est pas aussi glamour qu’escomptée. Baptisée du nom de l’épouse du roi de France Henri Ier, cette brigade en partie équipée et formée en France par l’armée française s’est donné pour devise le mot d’ordre de la bataille de Verdun : « Ils ne passeront pas ».

Or, selon Yurii Butusov, rédacteur en chef du média ukrainien Censor.net, il y a loin de la coupe aux lèvres. En effet 1 700 de ses 4 500 soldats auraient déserté. Sa dotation en drones, en munitions, en moyens de guerre électronique serait largement insuffisante. Ses pertes, dès son déploiement près de la ville de Pokrovsk (sud du Donbass) que les Russes menacent depuis des mois, ont été conséquentes.

« Des personnes, de l’argent et du temps ont été consacrés à la formation de cette unité. Mais elle ne peut en fait pas être utilisée en raison de sa faible efficacité au combat »résume Butusov qui blâme le président Zelensky, son ministre de la Défense Oumerov et le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Syrsky. Dans un article du 1er janvier, le journaliste dénonce un fiasco notoire qui a poussé, en décembre, le Bureau du procureur national ukrainien à ouvrir une procédure pénale concernant les circonstances de la formation de la 155e brigade mécanisée dont l’état-major, trois bataillons d’infanterie et leurs appuis (génie, artillerie, défense sol-air et reconnaissance) ont été formés en France, soit environ 2 000 hommes, à 90 % des conscrits sans expérience du combat. Le reste de l’unité a été formé en Pologne et en Ukraine.

Des soldats reconnaissants

Sur le front du Donbass, les soldats du bataillon d’artillerie de la brigade, équipés de canon Caesar, se confondent en remerciements envers la France.

Le chef du bataillon d’artillerie, dit « Apôtre » (photo Emmanuelle Chaze)

Le commandant du bataillon, nom de code «Apôtre», s’agace même des accusations de Butusov : « Mon boulot, ce n’est pas de commenter les décisions des politiques, de me plaindre de ce qu’on a ici ou pas. Mon boulot, c’est de faire un bon travail avec mes hommes. En attendant tout de l’armée et en se plaignant: du genre «Ils ne nous ont pas donné de téléphone satellitaire Starlink» etc…, ça ne marche pas! Moi j’ai eu mon Starlink grâce à des bénévoles. L’État ne peut pas tout, l’Etat saigne: les gens doivent comprendre ça! ».

Kiev prend des mesures

Les révélations de Butusov ont fait réagir jusqu’au sommet de l’État. Face aux révélations, décision a été prise par le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, le général Sirskiy, d’approvisionner immédiatement la 155e brigade en drones supplémentaires, afin de pallier tout déficit en systèmes cruciaux.

Lundi, il a aussi dépêché le tout nouveau commandant de l’armée de Terre Mykhailo Drapatyi près de la ligne de front, à la rencontre de la 155e et d’un groupe de journalistes français dont la correspondante d’Ouest-France, Emmanuelle Chaze.

Mykhailo Drapaty lors du point presse de lundi avec des journalistes français (Photo by Genya SAVILOV / AFP)

Malgré sa bonhomie, le major général Drapatyi a concédé, lundi, des problèmes structurels au sein de l’armée ukrainienne : « Il y a des problèmes de personnel, de préparation et de composition des unités. Nous les analysons, nous en tirons des conclusions. Et ce qui ressort de la négativité nous sert d’expérience. Soyons francs, il n’y a pas d’autre exemple actuellement de brigade bâtie de zéro, et dont on attend de bons résultats à chaque étape, sans qu’elle rencontre certains problèmes. Ces problèmes, ils sont en passe d’être résolus. »

Le commandant de l’armée de Terre ne nie pas non plus des désertions  (une cinquantaine en France selon une source militaire française, le reste en Ukraine selon Butusov). Mais il refuse de commenter leur nombre, tout en distinguant entre les abandons de postes à l’arrière ou à l’entraînement et la désertion qui voit l’abandon par un soldat de ses camarades sur une position de combat. « Il existe plusieurs formes d’abandon dans les unités militaires, mais il y a aussi des raisons à cela, dont la peur, et un manque d’expérience pratique dans la conduite des hostilités. C’est à cela que nous devons travailler, et je suis certain que ce qui a été dit sur la brigade sera bientôt réfuté. »

Le chef d’état-major de l’armée de Terre insiste sur la considération qui doit être portée aux militaires du rang

Le chef d’état-major de l’armée de Terre insiste sur la considération qui doit être portée aux militaires du rang


Dans un rapport publié en 2012, le Haut comité d’évaluation de la condition militaire [HCECM] avait souligné que le manque de considération à leur égard faisait partie des motifs d’insatisfaction exprimés par les militaires du rang. Ces derniers avaient aussi fait part de leur incertitude face à leur avenir professionnel, les restructurations du ministère des Armées n’étant pas encore achevées à l’époque.

Douze ans plus tard, la question de la considération portée aux militaires du rang, est toujours d’actualité. C’est en effet ce qu’il ressort des rapports sur le moral dans les régiments et c’est ce qu’a pu mesure le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, à l’occasion des Journées des Présidents des Engagés Volontaires de l’armée de Terre [JPEVAT], qui viennent de se tenir aux Écoles militaires de Bourges [EMB].

« Les JPEVAT offrent un espace d’échange privilégié entre les présidents des engagés volontaires et les grands commandeurs au sujet des problématiques propres aux unités […]. Ces échanges permettent d’examiner les réformes en cours, de partager les bonnes pratiques et de diffuser efficacement les nouvelles orientations. Ces rencontres renforcent non seulement l’efficacité des unités mais aussi leur cohésion face aux défis actuels », explique l’armée de Terre.

Or, poursuit-elle, ces JPEVAT ont permis de « rendre compte de l’importance portée à la considération dans le commandement militaire », cette valeur arrivant « en tête des attentes des soldats ».

Porter de la considération à quelqu’un, c’est lui témoigner de l’estime et lui accorder les égards qu’il mérite. Ce qui est donc déterminant pour les militaires du rang.

Via le réseau social LinkedIn, le général Schill a également souligné l’importance de ces JPEVAT, qui constituent « un moment privilégié, indispensable à la construction d’une relation de confiance entre chef et subordonnés », à l’heure où les « soldats de l’armée de Terre ont placé la considération en tête des valeurs les plus importantes dans les rapports sur le moral des unités ».

D’où la réflexion du CEMAT. « Éléments constitutifs d’une relation de commandement apaisée et efficace, la confiance et la considération sont les prérequis à l’éclosion de la fraternité d’armes », a-t-il d’abord rappelé.

Et d’ajouter, à l’adresse des cadres :  » Si les chefs sont chargés de commander, s’ils doivent être obéis parce que la discipline est la condition essentielle du succès au combat, ils ont également le devoir d’être à l’écoute et de considérer chaque membre de leur unité comme indispensable à la réussite collective ».

« Connaître son subordonné et valoriser ses compétences renforce la motivation et conforte la loyauté », a-t-il insisté. Et cela ne peut que renforcer la cohésion d’une unité… et donc la rendre plus forte dans l’adversité et les situations les plus difficiles… Lesquelles, a-t-il conclu, sont « celles que vit un soldat au combat, qui est notre raison d’être et notre finalité ».