Pourquoi le Rafale F5 sera plus attractif que le F-35 en 2030 et au delà ? Partie 2/2

Pourquoi le Rafale F5 sera plus attractif que le F-35 en 2030 et au delà ? Partie 2/2


 

Depuis près de deux décennies maintenant, les compétitions internationales entre le chasseur Rafale du français Dassault Aviation, et le F-35 de l’américain Lockheed-Martin, ont systématiquement tourné à la faveur de ce dernier, au point que l’appareil américain devient aujourd’hui un véritable standard pour les forces aériennes européennes, au grand damn des avionneurs du vieux continent.

Mais la nouvelle version du Rafale, désignée F5, qui doit entrer en service à partir de 2030, pourrait bien profondément changer le rapport de force opérationnel et commercial entre ces deux appareils pour les années et décennies à venir. Dans la première partie de cet article, nous avons étudié deux critères de cette évolution, la transformation du Rafale en Système de combat aérien avec la version F5 d’une part, et l’arrivée des drones de combat Neuron et Remote Carrier de l’autre, venant gommer les atouts du F-35A tout en exacerbant ceux du chasseur français.

Rafale Francais et F35A Americain au point dattente Aviation de chasse | Analyses Défense | Armes nucléaires

Dans cette seconde partie, nous aborderons 3 autres domaines majeurs venant infléchir ce rapport de force : les nouvelles capacités et les nouvelles munitions du Rafale F5; l’apparition du Club Rafale et l’émergence d’une nouvelle stratégie commerciale et industrielle française, et enfin l’influence de la hausse des couts de possession du F-35 sur les compétions à venir.

3- Les nouvelles capacités et de nouvelles munitions du Rafale F5

Outre les drones eux-mêmes, le Rafale F5 sera doté de nouvelles munitions et de nouvelles capacités, qui lui permettront de combler certaines faiblesses relatives vis-à-vis du F-35. C’est notamment le cas dans le domaine de la suppression des défenses anti-aériennes adverses, à laquelle il est commun de faire référence par l’acronyme SEAD qui, comme nous nous en étions plusieurs fois fait l’écho depuis 2018, représentait un manque important dans la panoplie opérationnelle du Rafale jusqu’ici.

Si la composition de cette capacité dont sera doté le Rafale F5 n’a pas encore été officiellement présentée, on peut supposer qu’elle reposera sur l’utilisation conjointe de brouilleurs radar venant s’ajouter aux systèmes d’autodéfense de l’appareil, pour lui donner la possibilité d’englober d’autres appareils dans sa bulle de protection, ainsi qu’une ou plusieurs munitions anti-radiations, conçues pour remonter le faisceau radar de l’adversaire pour venir le détruire.

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Le FMC doit remplacer le missile croisière SCALP qui équipe les Rafale de l’Armée de l’Air et de l’espace et de l’Aéronautique navale aujourd’hui

Le Rafale F5 sera également conçu pour mettre en oeuvre les nouveaux missiles franco-britanniques FMC (Futur Missile de Croisière) et FMAN (Futur Missile Anti-Navire) qui devront respectivement remplacer les missiles de croisière SCALP/Storm Shadow d’une part, et AM39 Exocet de l’autre.

Ces deux munitions de précision à longue portée en cours de conception, seront dotées de caractéristiques évoluées, comme la furtivité ou une vitesse hypersonique, pour défier les systèmes de défense anti-aériens modernes comme des systèmes de brouillage et de leurrage, et conféreront à l’appareil des capacités de frappe à longue distance très avancées dans les décennies à venir.

L’appareil se verra également doté d’un pod fusionnant les capacités des nacelles de désignation de cible Talios et de la nacelle de reconnaissance RECO NG en un unique équipement, conférant au chasseur une vision tactique air-sol, air-surface et même air-air d’une grande précision, et ainsi de multiples options opérationnelles tout en restant en mode non-émitif.

Enfin, le Rafale F5 sera conçu pour mettre en œuvre le nouveau missile de croisière hypersonique ASN4G à charge nucléaire, qui doit remplacer l’ASMPA au sein des deux escadrons de l’Armée de l’Air et de l’Espace et des flottilles de la Marine nationale formant la composante aérienne de la dissuasion française. Toutefois, cette capacité, bien que critique pour la défense française, n’aura probablement que très peu d’influence sur le marché international.

BAT 120LG Aviation de chasse | Analyses Défense | Armes nucléaires
La BAT-120LG est une bombe légère planante de précision adaptée aux théâtres de moindre intensité pour éviter les dégâts collatéraux, mais également aux engagements de haute intensité pour saturer les défenses adverses

D’autres munitions et capacités pourraient être intégrées au Rafale F5 d’ici 2030. On pense notamment à des munitions air-sol de précision légères comme la BAT-120 LG de Thales, ainsi que des munitions rôdeuses à moyenne portée, d’autant que ces armes légères trouveraient naturellement leur place à bord des drones de combat épaulant l’appareil, y compris des Remote Carrier. En outre, il bénéficiera de l’arsenal actuel du Rafale F4, à savoir les missiles air-air Meteor et MICA NG, ou encore des bombes planantes propulsées ASSM particulièrement efficaces.

Dès lors, en 2030, le Rafale F5 disposera d’une panoplie opérationnelle globale et très moderne, parfaitement à niveau voire supérieure en certains points de celle proposée par le F-35, privant ce dernier d’un des atouts clés sur lequel il battit son succès commercial.

4- La révolution du Club Rafale


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Pourquoi le Rafale F5 sera plus attractif que le F-35 en 2030 et au-delà ? Partie 1/2

Pourquoi le Rafale F5 sera plus attractif que le F-35 en 2030 et au-delà ? Partie 1/2


L’arrivée du standard Rafale F5 pour 2030, comme annoncé par le Ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans le cadre de la LPM 2024-2030,va non seulement doter le chasseur de Dassault Aviation de nouvelles capacités, elle pourrait également profondément transformer le marché des avions de combat, y compris face à un Lockheed-Martin F-35 qui semble intouchable aujourd’hui.

Après presque une décennie de vaches maigres et de doutes, entre 2005 et 2015, le Rafale s’est imposé comme un des plus importants succès de l’industrie de défense française en matière d’exportation, alors que le nouveau standard Rafale F5 arrivera en 2030.

En effet, depuis la première commande de 24 Rafale F3 par l’Égypte en février 2015, le chasseur français a aligné les succès, au Qatar et Inde dans un premier temps, puis en Grèce, en Croatie, en Indonésie et bien évidemment aux Émirats Arabes Unis, les 80 Rafale F4 commandés par Abu Dhabi pour 14 Md€ étant le plus important contrat à l’exportation jamais signé par la BITD française.

De fait, avec 284 livrés, commandés ou sous engagement pour l’exportation d’une part, et 225 chasseurs devant armer à terme les forces aériennes françaises de l’Armée de l’Air et de l’Espace et de l’aéronautique Navale, le Rafale est aujourd’hui un succès colossal pour Dassault Aviation et l’ensemble de la team Rafale, ce d’autant que d’autres contrats à l’exportation sont attendus dans les mois à venir, peut-être avec des annonces lors du prochain salon du Bourget.

Il faut dire que le Rafale ne manque pas d’arguments à faire valoir. Très équilibré, offrant une polyvalence rare, et des performances aéronautiques appréciées, l’appareil dispose également d’une électronique embarquée moderne et performante, et d’un ensemble de munitions et autres systèmes embarqués en faisant l’un des meilleurs chasseurs du moment, et ce, dans tous les domaines.

Le Rafale F5 pourrait venir mettre à mal la position hégémonique du F-35
Le F-35 s’est imposé comme le standard de fait de l’OTAN, aussi bien au sein des forces aériennes américaines qu’Européennes.

En dépit de ces atouts indiscutables, le Rafale n’est jamais parvenu à s’imposer face au F-35A de l’Américain Lockheed-Martin, que ce soit lors des compétitions européennes (Pays-Bas, Suisse, Finlande, Belgique …) ou asiatiques (Corée du Sud, Singapour).

Il faut dire que le Lightning II dispose de nombreux arguments à faire valoir au-delà du seul soutien du Pentagone et du Département d’État américain, arguments suffisamment différenciés pour justifier, au moins du point de vue du discours, d’une génération d’écart avec ses principaux concurrents européens comme le Gripen E/F suédois, le Typhoon et le Rafale français.

Et de fait, le F-35A (et parfois B) s’est systématiquement imposé partout où l’appareil était proposé, et est même au cœur d’une certaine rupture de ban de la part d’alliés des États-Unis s’étant vus refuser l’appareil, comme l’Arabie Saoudite et la Thaïlande.

Mais les choses pourraient bien changer dans les années, voire dans les mois à venir. En effet, à l’occasion des débats parlementaires autour de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, le Ministère des Armées a tracé une trajectoire pour l’avion français très ambitieuse, parfois même révolutionnaire vis-à-vis des us français ces dernières années, et susceptible de profondément faire évoluer le positionnement relatif du Rafale sur la scène internationale, en particulier face au F-35 américain.

Assemblee nationale lpm Aviation de chasse | Articles gratuits | Construction aéronautique militaire
La Loi de Programmation militaire a été votée par l’Assemblée Nationale par 408 voix contre 87

De fait, d’ici, le Rafale F5, épaulé de drones Neuron et évoluant dans un techno-système international articulé autour du « Club Rafale », aura 5 atouts à mettre en avant pour s’imposer face au chasseur de Lockheed, étudiés dans cet article en deux parties.

1- Le Rafale F5 sera-t-il premier Système de Combat aérien opérationnel sur le marché international ?

Jusqu’à l’arrivée des commandes de vol électriques, la mission principale du pilote était de piloter l’appareil, c’est-à-dire de le garder dans son domaine de vol, tout en effectuant les tâches et remplissant au mieux les missions confiées. Avec l’arrivée des commandes de vol électrique, avec le F-16 ou le Mirage 2000, le pilotage fut confié à l’appareil lui-même, le pilote (ou l’équipage) étant alors en charge de la trajectoire, du combat et de la conduite de mission au sens plus étendu.

Avec la modernisation des systèmes embarqués, de plus en plus de tâches ont été confiées à l’avion lui-même. De fait, à bord d’un Rafale F3R, le pilotage et le contrôle de la trajectoire de vol ne représentent qu’une infime partie de la charge de travail dans le cockpit.

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Le cockpit full glass du F-35 contribue à donner à l’appareil une stature futuriste très séduisante pour les décideurs occidentaux

C’est dans ce domaine que le F-35 dispose d’un des arguments contre les Rafale, Typhoon ou Gripen aujourd’hui. En effet, l’avion Lockheed-Martin prend non seulement en charge le pilotage, mais aussi une grande partie de la mission de combat, le pilote ayant pour fonction de déterminer la meilleure conduite à tenir pour mener la mission et répondre à l’environnement.

De fait, l’efficacité du F-35 dépend beaucoup moins de l’aguerrissement de l’équipage que pour les autres appareils, ce qui est censé simplifier les procédures et même les exigences de recrutement, formation et entrainement des équipages, tout en améliorant les capacités opérationnelles finales. Cet argument a notamment fait mouche en Suisse, un pays dont la Défense fait face à d’importantes difficultés pour maintenir le niveau d’entrainement de ses équipages.

Le Rafale F5, lui, évoluera à un tout autre niveau. En effet, il sera, à l’instar du programme SCAF rassemblant l’Allemagne, l’Espagne et la France, un Système de Combat Aérien, basé sur un système de systèmes, et non un avion de combat faisant office de vecteur principal de ses moyens mis en œuvre, comme c’est encore le cas du Rafale F4.

SCAF 2 Aviation de chasse | Articles gratuits | Construction aéronautique militaire
Le programme SCAF européen devait être le premier système de combat aérien de 6ᵉ génération sur le vieux continent. Il se pourrait que le Rafale F5 lui vole ce titre.

Pour y parvenir, le Rafale F5 va être doté de drones de combat intégrés à son propre système, Neuron et Remote Carrier, chaque drone ayant un niveau d’autonomie comparable à celui du F35 aujourd’hui, et contrôlé par le Rafale lui-même, l’équipage ayant pour fonction de coordonner et optimiser l’efficacité de ce système de systèmes.

De fait, si le F-35A est, pour ainsi dire, l’archétype de ladite 5ᵉ génération d’avion de combat, le Rafale F5 sera l’un des premiers représentant de la 6ᵉ génération, qui se caractérise précisément par cette nouvelle architecture.

Et si l’US Air Force a effectivement annoncé qu’elle entendait doter 300 de ses F-35A de drones de combat, à l’instar du Rafale F5 épaulé du Neuron et des Remote Carrier, tout indique à ce jour que ces drones de type Loyal Wingam attachés au programme NGAD, ne seront pas, au moins pour un temps, proposés sur la scène internationale.

Même si le F-35 venait à se voir doter de drones de type Loyal Wingman, ses avantages relatifs liés à la 5ᵉ génération, comme la furtivité et la fusion de données, auront été gommés ou amoindris dans l’effort pour intégrer la 6ᵉ génération, alors que le Rafale, lui, pourra s’appuyer sur des exigences beaucoup plus caractéristiques de cette nouvelle génération, notamment en termes de capacité d’emport et d’autonomie.

2- Neuron, Remote Carrier : une gamme complète de drones de combat et d’appui

Car le Rafale F5 ne sera pas qu’un avion, mais en techno-système opérationnel étendu et complet, s’appuyant notamment sur deux types de drones de combat, voire trois en y intégrant le RPAS Mâle européen. Ainsi, dans un amendement présenté lors du vote de la LPM 2024-2030, le Ministère des Armées a précisé que conjointement au Rafale F5 serait développé un drone de combat dérivé du programme de démonstrateur Neuron. Il s’agira, de toute évidence, d’un effort visant à développer un drone ailier, à l’instar de ceux développés aux États-Unis dans le cadre du programme NGAD, en Australie avec le MQ-29 Ghost Bat ou en Russie avec le S-70 Okhotnik-B.

Conçu pour être particulièrement furtif tant sur le spectre électromagnétique qu’infrarouge, le Neuron représente en effet une base de travail particulièrement adaptée pour développer un drone de combat ailier capable d’accompagner et d’étendre les capacités opérationnelles du chasseur, en transportant et mettant en œuvre ses propres senseurs (radar, infrarouge, optronique…) ainsi que ses propres munitions, le démonstrateur disposant à ce titre d’une soute à munition capable d’accueillir 2 bombes de 250 kg.

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Dassault va developper un drone de combat dérivé du Neuron pour assurer la fonction d’ailier des Rafale F5

Il est probable que le drone de combat qui sera développé d’ici à 2030, sera relativement différent du démonstrateur Neuron, notamment pour pouvoir accueillir et mettre en œuvre des senseurs et armements plus étendus, mais également pour s’intégrer pleinement et efficacement au système de systèmes du Rafale F5.

On ignore à ce jour si le drone résultant sera développé pour pouvoir être mis en œuvre à bord du PAN Charles de Gaulle et de son successeur, ce qui représenterait un avantage significatif, surtout si, comme le Rafale, le drone est capable d’employer un Skijump.

Si le développement du « Neuron » interviendra dans le cadre du Rafale F5, les industriels français, notamment MBDA, sont également engagés dans le développement d’une autre famille de drones de combat, en l’occurrence les Remote Carrier du programme SCAF.

La version lourde de cette famille de drones de combat aéroportés est développée par Airbus DS. La version légère, pouvant être mise en œuvre à partir d’un chasseur et non d’un appareil lourd de type A400M, est, quant à elle, développée par MBDA France, et trouvera toute sa place au sein du Système de Combat Aérien Rafale, qui mériterait probablement de s’appeler SCAR plutôt que Rafale F5 pour en marquer le caractère disruptif.

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Les Remote Carrier du programme SCAF sont, eux aussi, supposés entrer en service en 2030, et pourraient donc très probablement s’inviter bientôt à bord du Rafale F5

Or, selon les informations distillées jusqu’à présent au sujet du pilier Remote Carrier du programme SCAF, les premiers RC devaient justement entrer en service, tant à bord et au profit des Rafale français que des Typhoon allemands et espagnols, au début des années 2030, c’est-à-dire sur la même échéance que celle annoncée par le Ministère pour le Rafale F5 et le Neuron.

En disposant simultanément d’un drone de type Loyal Wingman, très furtif et potentiellement embarqué, ainsi que de drones de combat légers de type Remote Carrier, le Rafale F5 proposera alors un environnement opérationnel et technologique entièrement renouvelé et probablement unique sur la scène internationale.

Fin de la première partie –

L’armée de Terre se fait déjà la main sur les munitions téléopérées

L’armée de Terre se fait déjà la main sur les munitions téléopérées

– Forces opérations Blog – publié le

L’armée de Terre a tiré sa première munition téléopérée cet après-midi, à l’occasion de sa 2e journée de la robotique et en présence de son chef d’état-major, le général Pierre Schill. Une munition inerte et d’origine étrangère, mais qui symbolise l’inflexion capacitaire inscrite dans la prochaine loi de programmation militaire. 

C’était sans doute le point d’orgue d’une démonstration menée de main de maître par la section exploratoire Vulcain, en pointe depuis 2021 sur les questions de robotisation de l’armée de Terre : la destruction d’un point d’appui ennemi par une munition téléopérée FireFly acquise auprès de l’entreprise israélienne Rafael. Et si l’explosion était factice pour d’évidentes questions de sécurité, la séquence n’en reste pas moins une première en France. 

Cette démonstration pionnière, c’est le fruit d’une réflexion engagée il y a plus de deux ans au sein de la Section technique de l’armée de Terre (STAT). Dès fin 2020, celle-ci cherche à progresser sur une capacité absente du portfolio français et encore très peu développée en Europe. Lancé sur fond de conflit au Haut-Karabagh, le projet aura pris du temps pour se concrétiser. 

Convaincre n’est pas toujours chose aisée et l’arrivée annoncée d’une seconde version aura encore un peu repoussé l’échéance, mais deux systèmes à trois munitions sont finalement acquis et livrés début 2022. Juste à temps pour former deux opérateurs en Israël au cours de l’été, puis de réaliser une série d’entraînements en France afin d’être à l’heure pour cette journée dédiée à la robotique. 

Le FireFly emporte une charge de 420 grammes d’explosif, l’équivalent de deux grenades défensives. C’est peu mais suffisant pour neutraliser un véhicule non protégé ou un petit groupe de combattants éventuellement retranchés dans un bâtiment. Pulvérisé, le système porteur ajoute son lot de « shrapnels ». L’opérateur conserve la main tout au long de la manœuvre. Une fois la charge armée électroniquement, le processus devient par contre irrémédiable. Faute d’objectif ou en cas d’annulation, la munition doit donc être « sacrifiée ». 

Au centre, la munition FireFly tirée aujourd’hui au camp de Beynes, dans les Yvelines. Bien que seulement endommagée par l’impact, son électronique embarquée est automatiquement « grillée » pour éviter toute récupération

L’autonomie atteint les 15 minutes, la portée 1 km en milieu ouvert et jusqu’à 500 mètres en environnement urbain. « Très facile à prendre en main et intuitif », le système est piloté à partir d’une tablette durcie embarquant aussi une quinzaine de scénarios d’exercice de simulation. 

Les essais vont se poursuivre, toujours sous la houlette du groupement innovation de la STAT. Celui-ci n’exclut pas de se rapprocher de certains régiments pour plancher conjointement sur l’emploi de cet armement. De quoi continuer à défricher le sujet, poser des jalons et emmagasiner de l’expérience en attendant la concrétisation du projet Colibri, dont les premières démonstrations sont attendues d’ici au printemps 2024. 

Le CEMAT l’a encore répété aujourd’hui en marge de la démonstration, les munitions téléopérées (MTO) entreront rapidement dans l’arsenal de l’armée de Terre, d’abord via des solutions disponibles sur étagère puis par la construction d’une filière souveraine. Environ 300 M€ seront investis dans ce but sur la période 2024-2030, notamment pour permettre l’acquisition de 2000 MTO en plusieurs versions au profit des régiments de mêlée et d’artillerie.

Colonel D. Schuster : « La robotique est une évolution et pas une révolution »

Colonel D. Schuster : « La robotique est une évolution et pas une révolution »

Officier référent robotique au sein de l’état-major de l’armée de Terre, le colonel Schuster revient sur les évolutions et ambitions dans ce domaine, sur fond d’actualité.

 

par IHEDN – publié le 4 mai 2023

https://ihedn.fr/2023/05/04/colonel-d-schuster-la-robotique-est-une-evolution-et-pas-une-revolution/


Que change pour l’instant la robotique dans « le champ de bataille » ? Et dans un futur proche ? Quelles ambitions ?

 La robotique apporte trois nouveautés importantes sur le champ de bataille. Premièrement, la substitution : la robotique peut se substituer à l’humain pour certaines tâches de la mission. Il ne s’agit pas de remplacer l’homme, mais de le décharger de certaines tâches répétitives, dangereuses ou pour lesquelles les robots sont plus performants. Cette approche est fondamentale pour trouver la meilleure synergie entre homme et systèmes automatisés. L’un des fantasmes liés à la robotisation du champ de bataille, c’est la déshumanisation ou la guerre par procuration. Ce ne sont pas les directions vers lesquelles l’armée de Terre s’engage. Deuxièmement, l’augmentation de la profondeur de délivrance des effets : les systèmes automatisés vont permettre de réaliser des effets de plus longue portée et durée. En ce sens, ils vont changer les « métriques » du champ de bataille. A l’avenir, un groupe de combat « robotisé » pourra délivrer les effets réalisés à l’heure actuelle par une section. Enfin, les phénomènes de saturations : les systèmes automatisés sont porteurs de « masse » et de « nombre » sur le champ de bataille. Ils permettent ainsi de travailler les phénomènes de saturation en utilisant éventuellement des systèmes sacrifiables. L’ambition portée par le projet Vulcain est que l’armée de Terre dispose et maîtrise des systèmes automatisés choisis pour conserver sa supériorité opérationnelle sur le champ de bataille. 

Comment la démarche Vulcain structure-t-elle le développement des systèmes automatisés ?

La démarche Vulcain structure le développement des systèmes automatisés en privilégiant une approche opérationnelle et pragmatique de la robotique. Le mot d’ordre est : nous pouvons tout robotiser, mais de quoi avons-nous réellement besoin ? La France dispose d’un outil de défense très complet. Il s’agit donc de voir si les apports de la robotique remettent en cause certains de nos systèmes actuels ou viennent les compléter. La réponse est claire : à l’heure actuelle, la robotique est une évolution et pas une révolution. Néanmoins, cette évolution est majeure. Le projet Vulcain nous permet, avec la direction générale de l’armement (DGA), l’agence de l’innovation de la défense (AID), le Battle Lab Terre (BLT) et sa section exploratoire robotique d’explorer le champ des possibles. Nous identifions des pistes prometteuses qui nous permettent également d’écarter les “fausses bonnes idées“. Le projet Vulcain, c’est tester, accepter de se tromper pour pouvoir finalement mieux choisir. 

Quels enseignements opérationnels peut-on tirer de son utilisation sur les terrains « réels » les plus récents, comme les conflits au Haut Karabagh et en Ukraine ?

Le Haut Karabagh a consacré l’usage des munitions téléopérées. Ce nouveau type d’équipements permet à des pays ne disposant pas nécessairement d’un spectre capacitaire complet (notamment dans la partie aérienne) de bénéficier de certains effets jusqu’ici non accessibles (frappe dans la moyenne portée). Il faut cependant faire attention à ne pas transposer trop brutalement les enseignements d’un conflit contextualisé par les belligérants, à l’armée française. Nous souhaitons néanmoins aujourd’hui doter nos capacités de ce type d’équipements. 

Pour l’Ukraine, le constat “robotique“ est plus mitigé. Si les drones sont employés en masse, c’est principalement en tant que jumelles déportées, pour l’acquisition de renseignement de contact. Il y a peu de systèmes automatisés déployés. Cet enseignement est très important : il ne faut pas oublier que dans un conflit dit symétrique, la masse est importante. Le char de bataille, l’obus et le fantassin restent au cœur de la bataille. Il faut donc réfléchir à la synergie future entre ces acteurs de la guerre et les systèmes automatisés. 

Quelles innovations issues du Battle Lab Terre pourra-t-on voir à l’œuvre lors du challenge CoHoMa II le 10 mai ?

Le 10 mai 2023, le Battle Lab Terre et la section exploratoire robotique présenteront d’un point de vue tactique les évaluations de munitions téléopérées, de drones bombardiers et d’une plateforme terrestre de combat. Il sera également possible de découvrir les systèmes utilisés par les différentes équipes participant au challenge CoHoMa-II qui sont autant de façons de faire face au défi technique et opérationnel de cet exercice. Ces systèmes vont des robots “chiens“, au mini véhicule autonome en passant par des drones intelligents. 

L’armée de Terre va créer des commandements dédiés à la « guerre hybride » et aux « guerres de demain »

L’armée de Terre va créer des commandements dédiés à la « guerre hybride » et aux « guerres de demain »

https://www.opex360.com/2023/02/15/larmee-de-terre-va-creer-des-commandements-dedies-a-la-guerre-hybride-et-aux-guerres-de-demain/


 

Dans le même temps, le format de la Force opérationnelle terrestre [FOT] restera à 77’000 hommes tout en bénéficiant d’un renforcement significatif de l’effectif de la réserve opérationnelle de niveau 1 [RO1]. Et aucune réduction de « cible » concernant le programme SCORPION [Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation] n’est prévue. Enfin, l’accent sera mis sur l’acquisition massive de drones [dont 1’800 munitions téléopérées], la robotisation [avec 300 robots « capables d’évoluer sur le champ de bataille »], les feux dans la profondeur et la défense sol-air.

Lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes de Défense [AJD], le 13 février, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill en a dit un peu plus sur ce qui attend ses troupes. Ainsi, si aucun régiment ne sera dissous [pour le moment, du moins], les unités dites de « mêlée » [arme blindée cavalerie, infanterie] pourraient perdre quelques plumes… au profit des capacités devant faire l’objet d’investissements particuliers, comme le cyber, les transmissions, les drones et l’artillerie de longue portée… sans oublier le soutien et la logistique.

« Nous devons revenir à une cohérence globale de l’armée de Terre », a fait valoir le général Schill, comme le rapporte le quotidien Le Monde. Et d’annoncer que les détails de cette « transformation » seront dévoilés le 4 avril, à l’occasion du « Grand rapport de l’armée de Terre » [GRAT].

Cela étant, les changements annoncés ont d’ores et déjà commencé… En effet, en 2022, plusieurs régiments d’infanterie ont dissous des compagnies de combat qui avaient été créées en 2015, c’est à dire après la décision de porter l’effectif de la FOT de 66’000 à 77’000 soldats.

Et le ministère des Armées avait justifié ce retour à un format à quatre compagnies de combat dans les régiments de mêlée par la nécessité pour l’armée de Terre de s’investir dans de « nouveaux champs de conflictualité » susceptibles de « transformer les menaces liés aux conflits de haute intensité.  »

Une « partie des effectifs récemment attribués à la mêlée a été réorientée pour renforcer les états-majors de régiment et les capacités de numérisation et de simulation, densifier la maintenance aéronautique et terrestre, développer la capacité drone et affecter des moyens à la préparation opérationnelle, à la formation et à l’intégration des effets dans les champs immatériels », avait-il ainsi expliqué, dans une réponse à une question écrite posée par un député.

Quoi qu’il en soit, ces changements vont donc se traduire par une nouvelle organisation de l’armée de Terre, laquelle passera par la création de deux nouveaux commandements, placés sous l’autorité directe du CEMAT.

Ainsi, le « commandement des guerres de demain » aura la tâche de « mettre en cohérence un certain nombre de nouvelles capacités […] aujourd’hui éparpillées au sein des régiments, notamment dans le domaine des feux dans la profondeur, des drones, des munitions téléopérées et de la défense sol-air de courte portée, dont la lutte antidrone », résume Le Monde.

Quant au second, il sera dédié à la « guerre hybride », c’est à dire aux opérations menées « sous le seuil » du conflit ouvert. Il aura notamment à s’occuper des capacités liées au cyber [lutte informatique défensive, lutte informatique offensive et lutte informatique d’influence], lesquels relèvent actuellement du Commandement de la Cyberdéfense [COMCYBER].

« Il y a un réel besoin de rendre l’armée de Terre plus autonome. Elle doit avoir sous son commandement tous les domaines de lutte,
antiaérienne, cyber, informationnelle, frappes dans la profondeur… tout en demeurant interopérable avec les autres armées » car « lorsqu’on sous-traite des actions, on créé des dépendances, ce qui est risqué dans un conflit de haute intensité où on opère toujours sous contrainte des événements et de temps », fait valoir le général Pierre-Joseph Givre, le commandant du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement [CDEC].

Cette recherche d’autonomie vaudra aussi pour les sept brigades de l’armée de Terre, lesquelles devront disposer de capacités leur permettant d’agir avec un minimum d’appuis extérieurs, l’objectif étant d’accroître leur réactivité.

Derrière iMUGS, de premiers pas européens vers la robotique terrestre de demain

Derrière iMUGS, de premiers pas européens vers la robotique terrestre de demain


Le futur de la robotique terrestre européenne s’écrit en partie en région parisienne. C’est là qu’un consortium d’industriels est venu évaluer ses dernières avancées en la matière après près de deux années de réflexions conjointes sur les systèmes autonomes. Parmi les participants, les groupes français Nexter et Safran.

Un noyau français pour une robotique européenne

Le temps d’une démonstration, les blindés ont laissé place à une poignée de robots et de combattants à pied le mercredi 26 octobre sur le site de Nexter de Satory, dans les Yvelines. Ce rendez-vous était une nouvelle étape dans la poursuite du programme européen « integrated Modular Unmanned Ground System » (iMUGS) lancé en décembre 2020 et bénéficiaire d’une enveloppe de 30,6 M€ du Programme européen de développement industriel de la défense (EDIDP) de la Commission européenne. Parmi les 14 industriels d’un consortium coordonné par l’Estonien Milrem, deux Français : Nexter et Safran Electronics & Defense.

Le scénario retenu pour les trois robots employés, dont le THeMIS de Milrem ? Une mission de combat avec une phase de reconnaissance (ISR) autonome préalable suivie d’une phase d’agression menée par les seuls combattants humains. Génératrice d’effets, celle-ci a engendré d’autres actions de la part des robots, telle que l’évacuation sanitaire de soldats blessés.

La phase ISR aura permis de progresser sur la mobilité autonome en misant sur deux des nombreuses fonctions disponibles. D’une part, avec la conjonction entre la navigation par points de passage et la détection et l’évitement d’obstacles inconnus en totale autonomie. Et d’autre part, avec le suivi de personne à partir d’une colonne de deux combattants et de deux robots intercalés, chaque « paire d’yeux » assurant une partie de la reconnaissance. D’autres briques sont à l’étude, tels que le suivi de lisière en forêt, le suivi en convoi ou encore le ralliement d’amer, « c’est à dire la capacité de désigner un point éloigné dans une image et d’y asservir le cap automatiquement », nous explique Joël Morillon, directeur général délégué de Nexter Robotics

Un combattant suivi d’un robot, lui-même suivi d’un combattant, lui-même suivi d’un robot et ainsi de suite, avec pour chacun, une mission bien spécifique
(Crédits : Nexter)

Côté français, le sujet iMUGS repose sur une équipe intégrée installée chez VEDECOM, au cœur du cluster des mobilités innovantes de Satory. Ce programme clé monopolise l’équivalent de douze emplois à temps plein chez Nexter. Cette petite équipe France s’est d’emblée focalisée sur deux thématiques majeures. L’une, l’architecture système, « est une sorte de Windows appliqué à la robotique qui permet de faire fonctionner des comportements sensorimoteurs, des fonctions autonomes et d’autres capacités spécifiques ». Une brique qui met aussi l’accent sur la relation entre l’homme et le robot en terme de répartition des tâches. Entre mission spécifique et entraide mutuelle, l’enjeu est de « créer un couple dans lequel chacun va apporter le meilleur de ce qu’il sait faire afin que la performance globale soit toujours optimale ».

L’autre, ce sont les fonctions autonomes. Si, faut-il le répéter, l’humain reste maître, les armées cherchent bel et bien à « se décharger d’une partie du contrôle ». « Un robot télécommandé nécessite un militaire pour le diriger et un, voire deux autres pour le protéger ». Un format impensable au vu des contraintes qu’affrontent les armées en matière de ressources humaines. « Cette démonstration sur iMUGS visait justement à montrer un état de l’art représentatif de ces fonctions, la partie architecture systèmes étant par nature un peu ‘cachée’ ».

Passer de la maturité à la capacité

Derrière les démonstrations, iMUGS contribue à faire avancer une réflexion moins technologique que culturelle. Les industriels de la robotique cherchent en effet à se départir de la notion de niveau de maturité technologique, la fameuse échelle de « TRL ». « La difficulté que rencontrent les opérationnels et les industriels, c’est l’absence d’un langage commun », relève Joël Morillon. Un robot de niveaux TRL 4, 5 ou 6 est une information qui parle finalement peu au militaire, qui lui a surtout besoin de savoir ce qu’il peut en faire sur le terrain.

De même, cette notion de TRL rigide et à sens unique « sous-entend que, tant que l’on est pas dans un TRL haut, le robot est inutilisable sur le terrain. Ce qui n’est en réalité pas vrai du tout », explique Joël Morillon, rappelant que « s’il faut attendre TRL 9, les armées ne seront pas équipées avant plusieurs décennies ». De fait, les technologies actuelles confèrent aux robots des capacités certes encore limitées mais néanmoins déjà exploitables au niveau opérationnel, estime Nexter Robotics. Plutôt que de se référer à un échelon de maturité relativement abstrait et réducteur, l’idée serait donc de partir de faits établis pour caractériser un domaine de fonctionnement dans un langage exploitable par les opérationnels. « Ce qui est parlant pour le militaire, c’est de savoir ce que le robot sait faire à l’instant ‘t’, dans quelles conditions il peut l’employer, sur quel type de terrain, sous quelle météo, avec quelle autonomie, etc. ».

Exit le robot qui sait tout faire et partout, place à une démarche incrémentale dans laquelle la capacité prend le dessus sur la maturité (Crédits : Nexter)

C’est tout l’enjeu du travail de caractérisation mené actuellement par Nexter, Safran, l’état-major de l’armée de Terre (EMAT) et la Direction générale de l’armement (DGA). Ensemble, ils réfléchissent à l’opportunité de basculer de la notion de TRL à celle de « Capability Readiness Level » (CRL). Un niveau de maturité capacitaire plus souple, plus réactif et mieux adapté à l’approche robotique. Les travaux sont en cours, avec l’objectif de définir une nouvelle échelle plus proche de la réalité.

Dans cette future échelle, un CRL 1 ou « bas », signifierait par exemple que le robot ne fonctionnerait que dans un environnement opérationnel permissif et « facile ». Les contraintes d’engagement que cela sous-entend – sur terrain plat, à basse vitesse et sans brouillage, entre autres – n’empêcheraient en rien d’utiliser la capacité disponible. « Aujourd’hui, toutes ces fonctions autonomes existent et fonctionnent dans un domaine qui reste simple. L’objectif, notamment en France, c’est d’étendre pas à pas le domaine de fonctionnement, donc de monter dans les niveaux de CRL pour faire en sorte que les robots puissent travailler sur des terrains plus durs, dans des conditions plus complexes et avec plus d’indépendance ». Et d’éviter dès maintenant de tomber dans le carcan paralysant du robot « qui sait tout faire, partout et sans risque ».

Des débouchés pour demain et après-demain

Que ce soit en France ou ailleurs en Europe, les besoins en matière de robotique vont croissants et requièrent des réponses rapides. Des briques issues d’iMUGS pourraient profiter à plusieurs programmes de l’armée de Terre, par exemple dans la lutte contre les mines et les engins explosifs improvisés. Placé en tête de convoi et doté de capteurs ad-hoc, le robot récupère la mission jusqu’alors dévolue à un véhicule habité. L’appel d’offres « robot d’investigation » (ROBIN), par exemple, doit fournir une première capacité d’ouverture d’itinéraire robotisée aux régiments du génie en remplacement des véhicules Buffalo. ROBIN répondrait à l’enjeu d’une étape de l’ouverture d’itinéraire, celle de la levée de doute. La consultation est attendue de pieds fermes par les industriels du secteur. Étendue au marché européen, elle devrait être publiée pour début 2023. Entre autres réponses possibles, CNIM Systèmes Industriels propose depuis un moment son système ROCUS conçu sur une base THeMIS. Mais d’autres candidats potentiels existent, à l’exemple du robot PHOBOS conçu par SERA Ingéniérie, successeur de la mule ROBBOX et présentée en juin au salon Eurosatory.

La robotique trouvera également tout son sens dans les missions de reconnaissance NRBC. Miser sur une combinaison de plateformes autonomes et habitées permettrait d’amener un véhicule aux limites d’une zone supposée contaminée puis d’en faire débarquer des drones et robots dotés des capteurs adéquats. Ce concept, Nexter l’a déjà présenté tant en France qu’à l’export. Selon Joël Morillon, « cela aurait un intérêt pour faire la jonction entre le VAB NRBC en fin de vie et un Griffon NRBC qui n’arrivera pas avant au moins une dizaine d’années ». L’option robotique est désormais étudiée par les opérationnels. Dans le contre-IED comme le NRBC, la complexité des capteurs rend toujours nécessaire la lecture par un opérateur spécialisé. Les solutions d’autonomie sur lesquelles planche l’équipe iMUGS participeront à surmonter ce type d’obstacle.

Plus loin, Nexter capitalise sur ces travaux européens pour intégrer les robots aux futurs systèmes de combat. « Demain, le robot sera l’une des composantes de l’ensemble des entités présentes sur le champ de bataille. Identité Nexter oblige, nous faisons dès lors en sorte que les robots puissent devenir une extension des véhicules de combat. Nous parlions il y a quelques années de véhicules augmentés, une idée qui prend à présent tout son sens ». Un véhicule augmenté qui n’est qu’une étape vers la constitution de systèmes de systèmes. Exit les capteurs rassemblés et boulonnés sur un même châssis, demain le véhicule de combat devient un système dont la bulle de protection et d’observation est constituée d’un environnement déporté autonome. Demain, ces capteurs et effecteurs pourront ainsi décoller ou sortir du véhicule pour aller étendre ses champs de vision et d’action.

Malgré les remous et retards, le futur système de combat terrestre principal franco-allemand (MGCS) reste bel et bien le point focal vers lequel convergent les réflexions sur le véhicule augmenté. « Extension naturelle du véhicule actuelle », cet ensemble de « robots équipiers » trouverait une application naturelle dans cette capacité attendue à l’horizon 2040 et dont le concept actuel sur un char habité accompagné de deux chars robotisés et d’un ensemble de drones.

Crédits : Nexter

De premières avancées en attendant iMUGS 2

« Bien sûr, cela ne fonctionne pas encore dans tous les temps et dans tous les cas. Par contre, le niveau de fonctionnement atteint est suffisant pour aborder un certain nombre de missions », indique Joël Morillon. « Il reste des choses à améliorer, mais iMUGS a permis de démontrer qu’en Europe, les industriels savent travailler ensemble et disposent collectivement de l’ensemble des capacités pour fournir dès à présent des solutions opérationnelles crédibles exploitables sur le terrain. »

iMUGS 1 sera officiellement clôturé en juin 2023. Une sixième et dernière démonstration est prévue pour début décembre en Allemagne. Les six mois restants seront davantage destinés à compiler et documenter les travaux effectués. Pour le petit écosystème en place, le prochain jalon important sera iMUGS 2, cette fois financé par le Fonds européen de la Défense avec, potentiellement, des ambitions et un budget à la hausse. Le sujet pourrait faire partie de la troisième vague d’appels à projets attendue pour l’an prochain.

En préparation des prochaines étapes, une nouvelle série d’essais auront lieu fin juin 2023 en Estonie, cette fois dans le cadre élargi du projet PESCO « integrated Unmanned Ground Systems » (iUGS). La focale portera sur les robots de la gamme 0,5 à 3 tonnes, « mais d’autres systèmes peuvent être acceptés », pointe un coordinateur estonien qui insiste par ailleurs sur le fait qu’ « aucun effecteurs et capteurs supplémentaires ne sont nécessaires ». Seules comptent la fonction mule et la capacité des plateformes à se déplacer sur différents terrains et de manière autonome.

Pour le noyau constitué autour d’iMUGS, il s’agira ensuite d’ouvrir le champ et d’aller chercher les compétences là où elles se trouvent, en France et ailleurs en Europe. « L’enjeu sera d’étendre le domaine de fonctionnement, à la fois dans la mobilité autonome, dans la relation homme-machine en déchargeant le plus possible l’homme des tâches de bas niveau, dans le champ des missions proprement dites. Avec l’objectif, demain, de coupler les missions et, pourquoi pas, de combiner une mission de reconnaissance et une mission de combat. C’est sur cette base que sera proposé un iMUGS 2 », annonce Joël Morillon. Il faut en tout cas faire mûrir rapidement ces premiers résultats, la réactivité étant l’une des clefs « pour être en mesure de fournir des réponses crédibles et d’être rentable ».

Économie de guerre : Un député appelle à cesser de faire adopter aux armées des normes issues du monde civil

Économie de guerre : Un député appelle à cesser de faire adopter aux armées des normes issues du monde civil

 

http://www.opex360.com/2022/10/31/economie-de-guerre-un-depute-appelle-a-cesser-de-faire-adopter-aux-armees-des-normes-issues-du-monde-civil/


 

En effet, il ressort des auditions qu’il a menées pour les besoins de son rapport que « l’inflation normative et les contraintes entraînées par celle-ci sur le développement des programmes d’armement génèrent des coûts et des délais supplémentaires… Et cela alors que, pour la plupart, ces normes « ne sont pas nécessairement adaptées aux équipements militaires ».

Et de donner quelques exemples assez éloquents. « Est-il indispensable d’équiper le canon Caesar de la solution AdBlue, additif anti-pollution? », a ainsi demandé le député, qui s’interroge aussi sur la « certification de nature civile pour le parachutage militaire depuis un A400M » ou encore sur la qualification du drone tactique Patroller [destiné à l’armée de Terre] sous la norme dite Stanag 4671.

Sur ce dernier point, celle-ci vise à permettre aux aéronefs télépilotés d’opérer dans l’espace aérien d’autres membres de l’Otan. Ce qui n’est pas forcément inutile… En revanche, d’autres réglementations, comme l’arrêté du 24 décembre 2013, lequel impose « que tout drone de plus de deux kilogrammes soit certifié dès lors qu’il est opéré en dehors de la portée visuelle de son téléopérateur ».

Selon le M. Belhamiti, une telle exigence « conduit à devoir appliquer un processus de certification complet pour des drones dont la mission ne les conduira à survoler aucune population, telles que par exemple les drones utilisés par la marine ».

Toujours dans le même domaine, le député appelle à revoir les règles de navigabilité qui, issues du monde civil, s’imposent aux aéronefs militaires, comme le prévoit un décret publié en avril 2013 [et ayant depuis fait l’objet de six arrêtés].

« Cette réglementation est génératrice d’une grande complexité en ce qu’elle a été appliquée rétroactivement à des aéronefs qui n’étaient pas conçus initialement pour répondre à de telles exigences. Ainsi, un grand nombre de pièces d’aéronefs ne sont pas conformes aux exigences de la réglementation navigabilité », souligne M. Belhamiti.

Ainsi, s’agissant des seuls Mirage 2000, 215’000 pièces – neuves – seraient devenus inutilisables depuis que cette réglementation est entrée en vigueur. « Cette immobilisation des stocks conduit à multiplier les prélèvements des pièces compatibles avec la réglementation navigabilité sur d’autres aéronefs, ce qui affecte au final la disponibilité globale des avions », note le député.

Aussi, avance-t-il, cet exemple est « symptomatique des contraintes que nous nous sommes auto-imposées, et ce pour une faible valeur ajoutée » étant donné qu’il y a « fort à parier que le Mirage 2000 volerait dans des conditions de sécurité appropriées avec ses 215 000 pièces non reconnues par la nouvelle réglementation ».

Selon M. Belhamiti, si de telles normes pouvaient se justifier quand il s’agissait de « profiter des dividendes de la paix », elles constituent désormais un « véritable frein pour la mise en place d’une économie de guerre ». Et d’insister sur le fait que ces « contraintes auto-imposées » et souvent non justifiées, génèrent « non seulement des délais supplémentaires – plus d’une année pour la certification de certains drones par exemple –, mais constitue également un facteur de coûts non négligeable ».

Aussi plaide-t-il pour une réforme qui donnerait plus d’autonome aux « autorités d’emploi », en particulier en matière de navigabilité aérienne, les forces armées étant les mieux placées pour « décider si un aéronef est apte au vol, nonobstant le fait que certains éléments conformes dudit aéronef ne soient pas strictement conformes aux exigences de la réglementation ».

Plus généralement, le député estime nécessaire de « modifier notre culture du risque », en « passant du ‘zéro risque’ à une approche fondée sur une maîtrise raisonnée du risque ». En clair, il faudrait « réinterroger les contraintes imposées lors de la qualification du matériel à l’aune des conditions d’emploi dudit matériel », précise-t-il, soulignant que les travaux sur l’économie de guerre sont une « véritable opportunité pour changer de paradigme » et « mettre fin à cette inflation normative ».

Cela étant, le problème soulevé par le parlementaire n’est pas nouveau… Et il avait même été évoqué, en des termes plus généraux, par la Revue stratégique actualisée [en janvier 2021, ndlr], celle-ci ayant souligné que les armées étaient de « façon croissante assujetties à des normes de droit qui ignorent parfois la singularité du métier militaire ».

Drones armés : des recommandations pour faire émerger une solution française

Drones armés : des recommandations pour faire émerger une solution française


« À la bourre ». Trois mots suffisent pour résumer la position de la France dans le développement des drones armés. Pour rattraper le retard, des acteurs industriels et étatiques ont planché durant six mois sur une liste de recommandations, sous l’égide du Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres  (GICAT).

La France à la traîne

La surprise fut de taille lorsque, en 2008 au cours d’une mission sur les drones, une délégation française découvrit qu’Israël maîtrisait la totalité du spectre disponible depuis près d’une décennie. Quatorze ans plus tard, les États-Unis, la Turquie, la Chine ou encore la Pologne sont venus gonfler le peloton de tête. La France, elle, est toujours à la traîne malgré quelques alertes, notamment en provenance des rangs parlementaires.

L’industrie française n’est aujourd’hui pas en mesure de répondre aux besoins opérationnels des armées qui, pourtant, disposent de capacités « bien en deçà de ce qu’elles devraient être ». Et ce retard a désormais pour conséquence d’obliger le ministère des Armées à envisager une solution américaine pour équiper les forces spéciales françaises.

Face à ce constat, le GICAT a initié une réflexion globale avec l’appui du Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (CreC Saint-Cyr), « matrice de transfert entre les besoins capacitaires et l’aspect industriel ». De décembre 2021 à juillet 2022, des industriels de toutes tailles, membres ou non du GICAT, ont été invités à échanger deux fois par mois avec les représentants du ministère des Armées et du ministère de l’Intérieur.

Les objectifs de ce groupe de réflexion sur les « DRones Aériens à charges OpératioNnelles actives », (GR DRAGON) ? Contribuer à l’émergence de solutions souveraines, mettre à niveau l’ensemble des acteurs quelle que soit leur carrure et dialoguer avec les utilisateurs potentiels. Le tout, en se focalisant sur les drones de moins de 150 kg dont la charge utile génère des effets sur les personnels, véhicules et infrastructures.

Soutenir l’émergence d’une filière

Plusieurs recommandations ont émergé au terme de six mois de réflexions et ont été présentées début juillet lors d’une séance de restitution. Qu’importe l’objet, les acteurs s’accordent tous pour dire qu’il faut désormais « aller vite, très vite », le retard étant aggravé par l’évolution rapide des technologies, l’intérêt croissant engendré par les conflits au Haut-Karabagh et en Ukraine et la densification de l’offre étrangère.

Une première tentative de rattrapage émergeait dernièrement à l’initiative de l’Agence de l’innovation de défense (AID). Ce sont les appels à projets Colibri et Larinae, émis avec l’objectif de déboucher sur des démonstrateurs en 9 à 12 mois pour le premier, en 12 à 18 mois pour le second. Là aussi, il est question aboutir rapidement. Au point d’avoir dû décliner quelques demandes de report de délai. L’effort à consentir dépasse le seul périmètre de Larinae et Colibri. Pour être plus plus agile, plus rapide et créer de nouveaux matériels « non pas en cinq ou six ans mais en quelques mois », il faut donner de la liberté, de l’espace et de l’oxygène aux entreprises, estime le GR DRAGON.

Les règles de certification et de qualification, par exemple, sont « trop contraignantes et pas assez agiles au regards des bonds technologiques prévisibles ». « Le drame de ce début de siècle, c’est le principe de précaution », pointait un intervenant. Ces règles doivent devenir incrémentales et agiles. Le GR DRAGON recommande à ce titre d’établir au plus vite des groupes de travail entre l’État et l’industrie pour plancher sur les règles d’emploi et sur la problématique des zones d’essais et d’entraînement.

La démarche s’accompagne aussi d’un effort de sensibilisation. Systèmes d’armes « de rupture », ces drones « kamikazes », « tueurs » et autres munitions rôdeuses jouissent, premièrement, d’une image peu reluisante aux yeux du grand public. Le déploiement de ces matériels ne pourra se faire que s’ils sont « socialement acceptés » grâce à l’usage du bon vocabulaire et à une intransigeance vis-à-vis des questions éthiques.

Une équation économique à trouver

Bien qu’elle dispose des talents nécessaires, l’industrie doit encore se structurer autour de quelques grands champions. Sans visibilité ni stratégie nationale, il reste par ailleurs difficile pour les industriels de se positionner à long terme sur un sujet exigeant des investissements majeurs en R&D. « Il est indispensable que l’État donne de la visibilité aux acteurs industriels en leur garantissant son aide financière sur la durée tout en hiérarchisant ses besoins prioritaires en termes de souveraineté », souligne le GICAT. L’amorce reposerait sur un plan d’urgence d’au moins 150 M€ sur trois ans. L’effort permettrait de dépasser le stade du démonstrateur pour expérimenter des CONOPS et offrir in fine une capacité initiale susceptible de répondre à un besoin urgent. L’intervalle serait également mis à profit pour structurer un écosystème national.

L’équation est conditionnée par le niveau élevé de R&D qu’exigent ces développements. Il ne s’agit pas seulement de combler l’écart avec la concurrence, mais aussi de plancher sur des briques naissantes ou à venir, comme le vol en essaim, la résilience des communications ou le rôle de l’intelligence artificielle. Et ne pas limiter la réflexion aux seuls conflits récents. « Ce que l’on voit en Ukraine n’est pas nécessairement ce que l’on verra dans cinq ans », pointait un intervenant.

Pour maintenir la dynamique dans la durée, l’État français devrait y consacrer plusieurs centaines de millions d’euros en moyenne par an à compter de la fin de la décennie, estime le GICAT. Si elle évolue avec un temps de retard, la lutte anti-drones se généralise et se durcit en parallèle. Désormais, aucun drone n’est indétectable, et encore moins indestructible. L’attrition est donc une donnée intrinsèque à leur emploi. Réponse parmi d’autres, la massification entraîne une réflexion sur l’équilibre à trouver entre les coûts d’acquisition et le degré de technicité. Autres paramètres clés, la normalisation et une logique de modularité doivent être privilégiées afin de réaliser des économies d’échelle.

Cette équation économique inclut aussi dès l’origine la question de l’export. À l’instar des autres filières, celle-ci ne peut se développer en ne misant que sur le marché intérieur. La clientèle étrangère s’avère cruciale en termes économiques, conformément au souhait de la BITD d’exporter 50% de sa production. Les principes d’exportation doivent néanmoins être anticipés afin de ne pas subir le veto d’un éventuel fournisseur étranger ou, pire, de devoir brider l’emploi par les opérationnels.

Armée de Terre – A propos de la prochaine sortie du bois sur le sujet robotique

Armée de Terre – A propos de la prochaine sortie du bois sur le sujet robotique

 

Mars attaque – publié le 8 septembre 2022
Le responsable du sujet robotique au sein du bureau Plans (en charge de l’avenir à moyen-long terme, pour résumé) de l’état-major de l’armée de Terre (EMAT) est récemment revenu sur la construction et l’intégration progressives d’une capacité robotique au sein des forces terrestres françaises.
La grande étape à venir étant la formalisation et la présentation d’ici la fin de l’année des besoins de l’armée de Terre pour de tels équipements. Etape de « sortie du bois » sur le besoin opérationnel, le fondement de toute action, après une intense phase de maturation et d’exploration, en lien notamment avec le Battle Lab Terre, et d’expérimentation, notamment avec la section exploratoire robotique (SOR) Vulcain.
Un besoin opérationnel qui ne remet pas en cause fondamentalement les grandes réflexions actuelles quant à l’avenir des forces terrestres, mais permet à la fois d’apporter un plus sur certains facteurs de supériorité opérationnels (FSO), notamment l’endurance et la masse, ouvre de nouvelles perspectives à travailler, notamment en termes de coopération, et son lot de défis (notamment pour la compréhension).
Le tout en intégrant la responsabilité éthique, avec non pas des SALA (qui ne seront pas développés pour les armées françaises), mais des SALIA (systèmes d’armes létaux intégrant de l’autonomie), comme présentés notamment dans l’avis émis par le comité d’éthique de la défense en avril 2021. CE qui conduit au fait que le commandement conservera l’appréciation de situation permettant la poursuite de mission, sera responsable de l’emploi des robots, et supervisera les fonctions critiques. Des grands principes qui demandent concrètement de s’assurer, avec les industriels, que cela est réalisable techniquement, dans les situations rencontrées en opérations.
Au final, le projet Vulcain, sur les aspects de robotique, permet d’espérer intervenir sur 2 axes forts : augmenter la profondeur tactique des effets (en distance de frappe, en capacités de renseignement, etc.), et augmente les possibilités de saturation sur l’adversaire (physique, électronique, cognitive…). Encore faut-il alors passer chacune des capacités selon le double prisme du : Qu’est-ce que je veux en faire ? L’analyse fonctionnelle. Et combien cela va me coûter ? L’analyse de la valeur. Une équipe robotisée de désignation des feux dans la profondeur peut avoir un sens tactiquement, mais peut perdre tout avantage dès lors que les contraintes et les coûts s’envolent. A quels couts permets-t-elle d’entrer dans la bulle adverse, de se prendre des coups et d’y rester ? Notamment parce que, pour le moment, une capacité robotisée coute globalement, via son empreinte RH, plus chère qu’une capacité non robotisée. D’où le besoin de laisser maturer la partie automatisation jusqu’en 2030, pour espérer faire de réelles économies, en atteignant de réelles plus-value. La charge cognitive consentie doit être acceptable, soit une notion d’efficacité forte : « si je mobilise 3 personnels sur la gestion du robot, il faut que cela apporte beaucoup ». Heureusement, « il existe des systèmes à haute VA qui sont atteignables avec une autonomie réduite ».
Ainsi, selon l’armée de Terre, dans le domaine, les forces terrestres sont à un carrefour dans le choix des effets à atteindre, et les décisions qui sont en train d’être prises conditionneront l’architecture générale qui sera retenue et sur laquelle les besoins seront travaillés conjointement avec la Direction Générale de l’Armement (DGA). Notamment quant au choix de l’architecture générale entre : unités entièrement robotisées, unités mixtes, robotique comme outil de l’arrière, robotique tactique, opérative ou stratégique, etc.
C’est dans ce cadre que le projet Vulcain est lancé, projet qui a vocation à nourrir l’expression du besoin robotique de l’armée de Terre (sans être un programme d’armement en tant que tel), pour permettre de mettre en œuvre une capacité de robotique tactique à l’horizon 2040. Pour la préparation de l’avenir, il doit orienter les travaux de préparation de l’avenir et tout particulièrement les aspects robotique du projet Titan, visant la modernisation de la composante « lourde » des forces terrestres, ainsi que la cohérence et la connectivité interarmées (et non plus uniquement interarmes). Pour sa part, le programme MGCS intègrera une robotique qui lui est propre (des ailiers autonomes, et une capacité d’agression), qui est réfléchit pour la cohérence dans l’approche Vulcain, mais qui est bien pour le coup une opération d’armement en tant que tel.
Le 1er palier s’intéressera à ce qui marche (« la technologie étant plus mure pour ce qui vole par rapport à ce qui roule« ), pas cher et en qui les forces peuvent avoir entièrement confiance. La logique choisie, à priori, sera de ne pas prendre une fonction opérationnelle robotique, mais bien de raisonner robotique dans les fonctions opérationnelles existantes. En partant, à ce jour, d’un drone Niveau 0 (ou presque) de l’autonomie, puis demain, une autonomisation plus importante. Classiquement, la réflexion est faite en termes d’effets à obtenir, et ne présuppose pas du modèle de drone.
A ce jour, il n’a pas été encore comparé à grande échelle, par l’armée de Terre des unités totalement non dotées de robots et des unités mixtes ou à forte densité de robots. Néanmoins, en Janvier 2022, un 1er exercice de simulation a été mené (via les capacités de simulation notamment de la DGA) avec des unités hybrides (dotées notamment de munitions télé opérées et pouvant réaliser une défense statiques robotisée) ; il est indiqué que « de ce qui a été vu, il a été identifié de forts intérêts opérationnels, avec de bons résultats obtenus, du moins en simulation ».
Mais l’armée de Terre n’a pas encore clairement exprimé ses besoins en robotique. Jusqu’à présent, il a été vu du positif et également du négatif (cf. ici). Le vrai défi étant celui de la technologie appliquée à la réalité du terrain : l’acheminement en zone opérationnelle et la logistique afférente (MCO + énergie), l’IHM, la connectivité et l’intégration tactique, la chaine feu sécurisée, le changement de milieu, de posture et de mode d’action (passer d’un robot intégré à un convoi en rase campagne à un robot participant à du combat débarqué en pleine ville) , la prise en compte de l’environnement, la mobilité en milieu déstructuré, etc.
Un tel environnement se définissant comme :
  • « Visibilité dégradée par des épisodes de fortes pluies, tempête de sable, etc. ;
  • Difficulté de localisation : signal GNSS de faible qualité, voire absent, ou intentionnellement brouillé ;
  • Chemins non viabilisés ;
  • Obstacles divers par leur nature et leurs caractéristiques ;
  • Choix des trajectoires contraint par la mission, la présence de dispositifs visant à empêcher la progression voire la présence de forces hostiles ;
  • Evolution dans des zones dont les infrastructures ont été endommagées voire détruites et perturbent l’élaboration et le suivi d’une trajectoire ».
Ainsi, comme explicité, « il a fallu évacuer le fantasme, identifier le souhaitable et travailler l’accessible », et placer un double curseur :
  • Quant au degré d’autonomie entre un système entièrement télé opéré (techniquement simple, car aujourd’hui la télé opération, même à grande vitesse, est techniquement accessible, avec des interfaces homme-machine à ce jour d’un bon niveau, mais qui donnent une charge cognitive élevée, avec effet tunnel liée) et un système totalement autonome (techniquement complexe mais qui donne une charge cognitive plus faible). Un domaine où il ne faut pas se laisser arrêter par une autonomie relative, car en soit ajustable, et où la valeur opérationnelle du robot est intrinsèquement liée à la synergie homme machine du système ;
  • Quant au niveau d’intégration entre un système qui remonte toutes les données captées avec un traitement de données centralisé (qui sature les réseaux mais ne nécessite pas d’IA embarqué) et un système qui remonte les données choisies et qui les traite en décentralisé (pour une frugalité numérique, mais un besoin fort en IA embarqué), tout en étant encore en mesure de garantir la supervision humaine des fonctions critiques (les fonctions non critiques pouvant elles avoir une autonomie plus forte, donc être moins intégrées, avec alors une connectivité choisie). Ainsi, des robots se débrouillent à ce jour « pas trop mal même en étant brouillés ».
Le dernier point étant la confiance, dans l’exécution et la supervision des fonctions critiques. Mais aussi « un socle de confiance technique et tactique » qui conditionne l’acceptation opérationnelle et humaine de tels systèmes. Le socle de crédibilité étant celui de la mobilité semi autonome dans le milieu, la performance et la régularité dans l’exécution de la tâche, le côté « combat compatible » (rusticité, MCO, logistique….), l’entraînement en situation réelle, et la sécurité (fonctionnement, cyber, etc.). Ces 4 points étant présentés comme « non négociables », car le but n’est pas de faire une démonstration technologique, mais bien de remplir une mission, de les intégrer dans une unité. D’où l’urgence d’atteindre un 1er socle de crédibilité. L’envoi de 4 plateformes terrestres robotisées à Gao en 2021, « avec des modules d’autonomie très légers », a été utile pour savoir comment on projette des robots et ce que cela implique. Par contre, ils sont restés à l’intérieur de la plateforme opérationnelle désert de Gao, car les militaires qui les ont reçu n’avaient pas été assez entraînés avec (ndlr : le retard dans les livraisons a obligé à changer en cours de route l’unité qui les utilisera, celle s’étant entraînée avec en France étant déployée sur le mandat précédent à l’unité finalement utilisatrice), et la confiance n’était pas suffisante pour que le chef tactique prenne le risque de les emmener sur le terrain, en patrouille.
Pour atteindre ce socle, une démarche progressive a été choisie, avec des objectifs et une déclinaison annuelle. Entre une phase initiale jusqu’en 2024 (et une primo capacité en via une plateforme polyvalente aérienne évolutive PPAE), une phase de montée en puissance (notamment avec une plateforme polyvalente terrestre évolutive PPTE), puis le changement d’échelle en 2030. Après l’unité expérimentatrice mise en place pour les réflexions « tactique robotique », les grandes étapes attendues sont :
  • Des unités pilotes (encore à identifier) en 2025 dans chaque fonction opérationnelle, soit peu de temps après le 3ème incrément Scorpion (un élément important, rapport au sujet connectivité et transmissions via SICS et autres) ;
  • L’arrivée de la robotique transverse en 2030, et des unités opérationnelles en 2030 ;
  • Une robotique intégrée à d’autres programmes à partir de 2034-2035 (que cela soit MGCS, système anti-aérien du futur – SAAF, autant de programmes d’armement au sein du grand volet Titan).
Avec également une progression entre systèmes autonomes juxtaposées, intégrés et équipiers : des robots juxtaposés dès aujourd’hui, notamment pour reconnaissance et renseignement, demain sureté, agression et logistique, plus tard en mobilité et contre-mobilité ; puis des robots intégrées (en transmissions, reconnaissance, renseignement, etc. ; et enfin des robots équipiers post 2030.
Et des marches à passer, comme le concept d’emploi des systèmes automatisés publié en juin 2022, les études prospectives en ciblerie robotisée attendues pour octobre, l’expression du besoin des unités pilotes pour le 1er décembre 2022, les phases exploratoires comme le Probot avec 12,7 pour un poste de tir mobile jusqu’à la fin de l’année, de nouveaux drones aériens comme le Tundra d’Hexadrone (intéressant pour sa modularité), etc. Le défi Cohoma est également présenté comme particulièrement riche d’enseignements, et beaucoup est attendu de l’appel à projets Colibri et Larinae qui représenté un premier incrément dans une capacité robotisée d’agression via des systèmes bas coût de neutralisation.
Pour conclure, il est présenté un cap donné, une méthode assumée des « petits pas », et des avancées qui doivent être crédibles et démontrer de pertinence en analyse fonctionnelle comme en analyse de la valeur. En contournant, si nécessaire, les limitations techniques actuelles.

La guerre des semi-conducteurs sino-américaine : la messe est-elle dite ?

La guerre des semi-conducteurs sino-américaine : la messe est-elle dite ?

 

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 17 août 2022

https://www.revueconflits.com/la-guerre-des-semi-conducteurs-sino-americaine-la-messe-est-elle-dite/


Les semi-conducteurs sont essentiels au fonctionnement de l’économie moderne. La plupart d’entre eux sont fabriqués à Taïwan, ce qui renforce l’intérêt stratégique de l’île. Dans le combat que se mènent Chine et États-Unis, les entreprises des semi-conducteurs jouent un rôle de premier plan.

Les semi-conducteurs (chipsets) [1]  sont le pétrole de l’ère moderne. Nous les trouvons partout depuis les smartphones et les ordinateurs aux véhicules électriques et les machines à laver en passant par les équipements des réseaux télécom. Toutes les grandes puissances industrielles font aujourd’hui de la maîtrise des chips une priorité stratégique. Il est question d’indépendance technologique, de sécurité d’approvisionnement, de résilience industrielle, et de souveraineté nationale.

Les Etats-Unis sont le leader incontesté pour la conception et le contrôle des outils de fabrication. En revanche, la fabrication est concentrée sur l’Asie du Sud Est, notamment en Corée du sud, à Taiwan et depuis quelques années en Chine qui inquiète grandement les Américains.

Il n’est nullement exagéré de dire que la compétition en la matière entre les États-Unis et la Chine constitue l’un des points de tension les plus importants.

Réellement commencée en 2018 à l’initiative des USA et avec Huawei pris pour cible, la guerre des semi-conducteurs (chipsets) sino-américaine entre dans une nouvelle phase. Les deux côtés ont mis en place des stratégies différentes. Il est encore trop tôt pour dire qui sortira de cette guerre en vainqueur.

La stratégie américaine

La stratégie américaine peut être résumée en trois points : 1/ embargo ; 2/ politique industrielle ; 3/ alliance.

Embargo

Dès le départ, les USA ont concentré leurs efforts sur les sanctions visant la vente des chipsets de haute gamme  (7 nm et en deçà) [2] ainsi que celle des machines de lithographie capables d’en fabriquer.

Privé des chipsets de 14 nm à 7 nm, l’entreprise Huawei a pratiquement disparu du marché des smartphone haut de gamme. La production des équipements 5G a également été impactée.

Au-delà de Huawei, l’Administration Biden multiplie les mouvements d’attaque successifs à l’adresse de l’industrie du semi-conducteur chinoise.

Le Hollandais ASML[3] a été interdit de vendre aux Chinois les EUV (Extreme UltraViolet) les machines de lithographie les plus sophistiques. Ces machines sont indispensables pour fabriquer les chipsets les plus avancés dans le monde.

Les USA aimeraient aussi appliquer la même mesure concernant les machines DUV (Deep UltraViolet) en constatant le rôle de plus en plus important joué par ces dernières en Chine dans la fabrication des chips moyenne gamme.

Une interdiction supplémentaire est à l’ordre du jour. Il s’agit de l’EDA (Electronic Design Automation).[4]

Ainsi, les USA veulent resserrer leurs mains autour du cou de la Chine ou tout long de la chaîne de valeur des chipsets : conception, fabrication et packaging.

Politique industrielle

Le 28 juillet a vu naître, après moulte retard, Chips & Science Act[5] avec un budget de 280 milliards de dollars dont 52 milliards pour subventionner les entreprises y compris les Sud-coréens et taiwanais qui accepteraient d’établir ses usines sur le sol américain, à condition que ces dernières arrêtent leur investissement en Chine dans les 10 ans à venir. 170 milliards seront dépensés pour les RD technologiques.

On dirait que c’est une copie de « Made in China 2025 ». Avec cette politique industrielle d’aide, la libre concurrence capitalistique laisse ici la place au capitalisme d’Etat dans ce domaine. L’Oncle Sam a vu la nécessité de s’adapter.

Alliance

Conscients que tout seul, il est très difficile voire impossible pour les USA de chasser la Chine du supply chain des semiconducteurs, les Américains sont en train d’organiser activement l’alliance Chip 4 avec la subvention de 52 milliards de dollars autorisés par Chips & Science Act. Leur but est de reconstruire le supply chain des chips sur le sol américain notamment en termes de fabrication, sécurisant sa position comme leader incontesté dans le supply chain des semiconducteurs mondiaux.

Les invités sont les suivants :

  • USA : Applied materials, Micron, Intel, Brodcom, Qualcom
  • Corée du sud : Sumsung, SK Hynix
  • Japon : Toshiba, TEL, Renesas
  • Taiwan : TSMC, MediaTek, ASE Group

Les premières réunions de travail sont prévues pour fin août. On pourrait très rapidement avoir des signes.

Avec ces mesures très visibles, la stratégie américaine est-elle sûre de réussir ? La chose n’est pas aussi simple. La Chine n’a pas l’habitude de se laisser faire.

L’Empire du milieu contre-attaque

Face aux attaques féroces des Américains, la Chine s’est organisée rapidement en mobilisant de gigantesques ressources technologiques et financières, publiques et privées. Elle vise à devenir à pas forcé un pays autonome en la matière.

Un investissement gigantesque

Les semi-conducteurs sont le 4e produit les plus vendus dans le monde avec une valeur de 400 milliards de dollars en 2020. La Chine a prévu de dépenser 1 400 milliards de dollars entre 2020 et 2025 pour les technologies avancées, y compris pour les semi-conducteurs[6]. Les investissements dans les équipements de production des chipsets ont augmenté de 44 % en 2021 dans le monde à un record historique de 102,6 milliards de dollars. La Chine affiche un pourcentage encore plus impressionnant de 58 %, gardant la place de champion pour la deuxième année consécutive pour cette catégorie de dépenses, devant la Corée du Sud et Taïwan.[7]

L’aide de L’État sans complexe

L’État chinois aide sans complexe les entreprises qui ont des liens avec le Gouvernement. Par exemple, une étude de l’OCDE montre que 4 entreprises de semi-conducteur de cette nature ont reçu un prêt de 4,85 milliards de dollars à un prix inférieur à celui du marché entre 2014-2018. Ces aides constituent un avantage de coût significatif. Une étude de Boston Consulting Group estime dans une étude datée de 2020 que le coût de la construction et de l’opération pour une usine en Chine est 37 % inférieur à celui aux USA.[8]

Une stratégie à deux volets

Une stratégie à deux volets a été constatée.

Le premier volet « Frontal » consiste à lutter frontalement avec les USA en essayant de rattraper aussi vite que possible le retard considérable dans la fabrication des chips de haut de gamme. C’est une route semée d’embûches et de longue haleine. Les experts estiment qu’il faudrait au moins 10 ans pour voir les résultats. C’est un front qui nécessite beaucoup de patience. L’acteur principal est SMIC (Semi-conducteur Manufacturing International Corporation). Les efforts ne sont pas limités et seulement concentrés dans cette direction.

Le deuxième volet dit de « contournement » [9]vise, en attendant patiemment les progrès lents sur les hauts de gamme et lorsque cela reste possible, l’utilisation massive des technologies mures (telle que la machine de lithographie DUV – Deep UltraViolet) pour fabriquer les chips de basse et moyenne gamme (14 nm, 29 nm, 32 nm et au-delà) afin de satisfaire rapidement les besoins énormes et toujours croissants nationaux et internationaux. Ces chips peuvent être utilisés pour les véhicules électriques, les lignes de production numérisées, les machines électroménagers, IoT, etc. 90 % de chips demandés relèvent de cette catégorie.[10]Les haut gammes (10%) attirent beaucoup plus d’attention en raison de leur profit élevé. Leur utilisation est relativement limitée : ordinateurs, smartphone, 5G, armes militaires sophistiques.

L’objectif de ce volet est d’augmenter très rapidement des parts de marché en interne et externe en profitant de la faiblesse de défense américaine et du besoin de production locale en Chine. Le taux de production en Chine est de 30% dont 20% par les filiales des entreprises étrangères. La Chine a plus de 7 000 usines liées aux chipsets. Cela augmente constamment. C’est une carte majeure pour mettre en œuvre la stratégie d’inondation du marché. Les concurrents de la Chine se retireraient du marché au bout d’un moment en raison de coût élevés et du bas prix. Lorsque cela se produirait, c’est-à-dire que les 14 nm et 28 nm seraient produit massivement voire exclusivement en Chine, les USA et le reste du monde deviendraient à leur tour dépendant de ce nouvel acteur.

Cette stratégie d’inondation peut-elle marcher ? Nous avons encore en mémoire la réussite de cette stratégie pour les display panel, la batterie, les panneaux solaires et, bientôt, les véhicules électriques (EV).

Où se trouve la Chine actuellement ?

Faisons un tour d’horizon, en commençant d’abord par le deuxième front.

Croissance de production

La stratégie dite de l’inondation porte ses fruits : l’année dernière la Chine a produit plus de 359 milliards de chips. C’est une croissance de 33,3 %[11]

La production chinoise de puces électroniques par les entreprises nationales et les usines étrangères implantées dans le pays a connu une croissance deux fois supérieure à celle de 2020, selon le gouvernement chinois. La Chine a produit 359,4 milliards de semi-conducteurs en 2021, soit 33 % de plus qu’en 2020, selon les chiffres publiés lundi [17 janvier] par le Bureau national des statistiques. Une accélération significative puisqu’en 2020 le pays avait produit 261,3 milliards d’unités, soit 16,2 % de plus que l’année précédente [12].

La Semiconductor Industry Association nous informe que parmi les 39 nouvelles usines de production construites en 2021, 10 sont en Chine contre 10 à Taiwan, 5 en Corée du sud, 5 au Japon, 4 en Europe et 4 aux US. Selon SEMI, entre 2022 – 2024, on verra sortir de terre 58 nouvelles usines de fabrication dont 31 seraient Chinois.

Bloomberg a publié une étude d’IC Insights qui montre que parmi les 20 sociétés qui croissent les plus vites 19 sont chinoises.

Ventes et part de marché

Selon la Semiconductor Industry Association, les ventes des chips chinois sont en hausse impressionnante.

Il y a 5 ans, ses ventes étaient encore au niveau de 13 milliards de dollars, à peu près 3,8 % des ventes globales. En 2020, la Chine a fait grand bond en avant avec un taux de croissance annuelle de 30,6 % (39,8 milliards de dollars), capturant 9% de part de marché mondial en dépassant Taiwan et se rapprochant de Japon et UE, chacun a 10%

Si la Chine maintient un taux de croissance annuelle de 30% pour les 3 ans à venir, elle générerait en 2024 un revenu de 116 milliards de dollars, capturant ainsi 17,4% de part de marché mondial. Cela la place juste derrière US et le Japon.[13]

En plus de ces chiffres, examinons aussi quelques faits marquants.

L’import des chips vers la Chine a réduit de 28,3 milliards de pièces. Ce changement est principalement dû à l’adaptation des chips produits localement par les entreprises chinoises. Auparavant, ces dernières n’aimaient pas ces produits locaux en raison de qualité et de prix élevés comparés aux produits importés.

Récemment, les Sud-Coréens ont eu une surprise de taille. Depuis 30 ans, la Corée du sud a enregistré pour la première fois un déficit commercial par rapport à la Chine. L’export vers son grand voisin était de 13,4 milliards de dollars en mai et l’import 14,6 dont 16,5 % sont des chips pour une valeur de 2,4 milliards de dollars et avec une croissance de 40,9 %  par rapport à l’année dernière pour la même période. Compte tenu qu’habituellement, c’est toujours la Corée du sud qui exporte plus de chips vers la Chine, cet inversement de la tendance a bien secoué la Corée et le milieu des chips. Cela montre la vitesse de la Chine dans l’exécution de sa stratégie d’inondation.[14]

Progrès technologique

Sur le front de chips de haute gamme, la mobilisation nationale des ressources technologiques commence à être payante également.

On a été surprise par la nouvelle suivante : le fondeur chinois de puces SMIC est parvenu à passer à la technologie de gravure de 7 nm, en utilisant la machine de lithographie DUV au lieu d’EUV non disponible chez SMIC pour cause d’embargo américain.[15] On ne pensait pas que cela pouvait venir si vite. Cela a été révélée par le site d’American semi-conductor TechInsights. Selon eux, SMIC produit depuis l’année dernière des chips de cette dimension. Techsignt les a trouvés au sein de la machine de cryptocurrency-mining ASIC fabriquée par SMIC.[16] Bien qu’il ne soit pas complètement sûr que ces chips comportent la mémoire bitcell typique comme demandé dans la définition de la technologie 7 nm, cela démontre la logique de 7 nm, reflétant un progrès significatif dans le rattrapage du retard, permettant de réduire l’écart de deux générations et de préparer la mass production.

Les recherches relatives aux machines lithographiques se poursuivent sans relâche par exemple chez SMEE (Shanghai Micro Electronics Equipment).

La messe est-elle dite ?

Nous constatons les effets très visibles de la stratégie américaine d’embargo qui a tendance à s’élargir.

L’interdiction des ventes des chips de haute gamme et celles des machines lithographiques permettant d’en fabriquer (EUV) ont produit de résultats spectaculaires. Huawei est l’un des victimes : ses smartphones de haute gamme ont disparu du marché mondial.

Les USA ont négligé le front des technologies mures. Constatant les succès de la stratégie de contournement, les USA sont en train de forcer ASML à ne plus vendre à la Chine, en plus des machines EUV, ses modules DUV. Compte tenu que la Chine est le client le plus important, le Hollandais entre dans une résistance vis-à-vis des Américains. ASML est conscient que s’il quitte le marché chinois, il ne reviendra plus jamais car la Chine va se lancer dans une campagne de rattrapage national, d’abord pour satisfaire les besoins domestiques ensuite pour exporter rapidement et massivement vers les marchés internationaux avec des avantages tarifaires évidents. Les chiffres du premier trimestre montrent que la croissance des ventes vers la Chine, son plus gros client, est passé de 22% à 34%. On comprend qu’ASML ne veut pas commettre un suicide.

Parmi les participants désignés, les entreprises américaines aimeraient disposer du plus gros morceau, le choix est considéré déjà fait par les Américains pour le Japon.

L’Alliance Chip 4 se prépare sous l’énorme pression des USA. Le Japon est déjà à bord, les USA ont fait le choix pour lui. Samsung traine encore le pied. Contraint et forcé, le taiwanais TSMC en fera sûrement partie. L’alignement reste difficile car les conditions pour recevoir la subvention est draconiennes : l’arrêt de l’investissement en Chine dans les 10 ans à venir. Sans parler l’augmentation des coûts significatifs inévitables. Cela présage de la perte de compétitivité des futurs produits.

La mise en œuvre serait longue et semée d’embûches. TSMC commence à goûter ce plan de poisson plein d’arêtes. Les coûts de construction est 6 fois plus chers aux USA, les ressources humaines 30% plus chers. Le fondateur et ex CEO de TMSC, M. Zhang Zhongmou, a dit très clairement l’année dernière que le projet n’était pas réaliste.[17]

Il lui est très difficile de recruter les ingénieurs et les techniciens américains assez disciplinés et résilients. Habitués au confort, les Américains n’acceptent pas les conditions de travail ardues dans la production des chips. TSMC est en train de recruter et former le personnel nécessaire à Taiwan pour les envoyer dans ses usines d’Arizona.

Ils sont placés devant un dilemme : suivre les USA dans un projet « politique » qui manque de rationalité économique ou être punis par l’Oncle Sam.

En tant qu’une nouvelle mesure, les USA envisagent également l’interdiction de la vente des software destinés à la conception des chips (EDA : electronic design automation). [18] C’est un coup très dur pour les Chinois.

Une autre faiblesse stratégique est la lenteur avec laquelle ils préparent et adoptent les lois des innovations. Incapable de se mettre d’accord, ils étaient obligés de sortir les chips pour en faire un Chips & Science Act. Ils ont ainsi perdu deux ans.

Il est prévisible que les USA vont tout faire pour attendre son objectif. Ont-ils les moyens d’y arriver est une autre paire de manche.

Côté Chine, nous avons vu que la stratégie d’inondation porte ses fruits. Ils sont en train d’ouvrir une brèche sur le front des hautes gammes avec les 7 nm.

La Chine a ses défis aussi. Les montants d’investissement, le degré de mobilisation ne sont pas le synonyme de réussite. La maîtrise technologique nécessite beaucoup de temps et d’expérience. Par ailleurs, il faudrait être très vigilant vis-à-vis des opportunistes et des profiteurs de tous sortes qui viennent, sous le prétexte d’innovation et du patriotisme, non pas pour contribuer à la cause mais pour mettre plein leur poche. La désorganisation et l’inefficacité dans l’investissement font partie du souci.

D’ici 5 à 10 ans, la Chine réaliserait-t-elle son objectif d’autosuffisance concernant les semi-conducteurs à l’instar du développement de la station spatiale ?

Il était une fois ISS

Commencé en 1978, International Space Station était censé être un programme de coopération internationale. L’Agence Européenne, la Russie, l’Allemagne, le Brésil etc. étaient complètement ouverts pour accepter la Chine qui souhaitait ardemment en faisait partie.[19] Mais sans compter sur l’hostilité résolue et systématique des Américains en évoquant les raisons de sécurités de crainte que les technologies pourraient être utilisées à des fins militaires.

Cette attitude a été officialisée dans la loi dite Wolf Amendment[20] passée en 2011 au Congrès US, selon laquelle, il est interdit à NASA d’utiliser de façon directe ou bilatéralement les fonds du Gouvernement US dans les coopérations avec le Gouvernement chinois et les organismes en relation avec ce dernier sauf l’autorisation du FBI et le Congrès. Bien entendu, cette autorisation n’est jamais venue. C’est la même musique que nous avons entendu dans le conflit des chipsets.

La Chine était obligée de compter sur elle-même pour démarrer et réaliser avec succès son programme de station spatiale habitée TIANGONG (Palais Céleste). L’assemblage des 11 parties de la station est en cours et progresse comme prévu. Au-delà du 2024, la seule station opérationnelle dans le ciel sera la sienne. En parallèle, les programmes Lune et Mars s’exécutent également nominalement.

La Chine a réussi son pari malgré et, en partie, grâce à l’interdiction des Américains.

On voit bien que la Chine est capable de se mobiliser en comptant sur ses propres ressources pour se développer malgré la pression extérieure. Les sanctions l’aident à prendre ses décisions et à les exécuter méthodiquement.

Cela pourrait-il être le cas concernant l’autosuffisance de l’industrie des semi-conducteurs ? Compte tenu de ce que nous avons vu, nous serions tentés d’y répondre par l’affirmatif mais c’est encore trop tôt pour se prononcer car la route est encore longue et semée d’embuches. Les Américains ont encore quelques tours dans leur manche. Ils ne vont pas lâcher de si tôt.

L’Europe : le plan pour redevenir leader mondial des semi-conducteurs

N’oublions pas l’Europe, bien qu’elle produise aujourd’hui moins de 10 % des puces électroniques dans le monde, contre 40 % il y a 30 ans.[21] Elle reste un acteur significatif et est en train de faire des efforts pour revenir.

Dans la liste des actions prioritaires d’ici 5 ans pour l’Europe, le renforcement de l’industrie des chips devrait occuper une place centrale. L’attention et les moyens ne sont pas à mettre sur la relocalisation (découplage) des produits mûrs et banalisés mais sur la préparation et matérialisation des capacités technologiques et industrielles futures dont celles liés aux semi-conducteurs. Pour ce faire, la dimension adéquate est celle de l’Europe.

C’est dans cet état d’esprit que la Commission Européenne a présenté le Chips Act (Plan semi-conducteur) à 43 milliards d’euro. L’Europe a des remarquables capacités technologiques en la matière mais l’important est de produire. «Il est donc impératif d’investir dans nos capacités de production à la fois dans les très grandes usines (baptisées « Mega Fabs ») mais aussi sur l’ensemble de la chaine de valeur. » [22] Ceci afin d’atteindre 20% de production mondiale d’ici 2030. C’est un mouvement important de la part de l’Europe en tant qu’une entité collective à l’instar du Plan Covid.

Les efforts au niveau des pays membres sont en cours également, par exemple, STMicro et GlobalFoundries se sont mis d’accord pour construire une usine de 5,7 milliards d’euros à Grenoble. Un soutien financier important de l’État français est attendu. [23]

Notes

[1] Un chipset ou un jeu de puces est un jeu de composants électroniques inclus dans un circuit intégré préprogrammé, permettant de gérer les flux de données numériques entre le ou les processeur(s), la mémoire et les périphériques. On en trouve dans des appareils électroniques de type micro-ordinateur, console de jeux vidéo, téléphone mobile, appareil photographique numérique, etc (https://fr.wikipedia.org/wiki/Chipset).

[2] nm : nanomètre

[3] ASML est l’un des leaders mondiaux de la fabrication de machines de photolithographie pour l’industrie des semi-conducteurs. ASML est créé en 1984 et basée à Veldhoven aux Pays-Bas. (https://fr.wikipedia.org/wiki/ASML)

[4] Max A. Cherney, Protocol Entreprise, August 2, 2022

[5] New Chips Act Could Become a $280 Billion Boondoggle, Bloomberg, August 1st, 2022

[6] Michael Sinclair, China’s attempts of self-sufficiency in the semiconductor supply line, Source: Transport Intelligence, February 10, 2022

[7] Ridha Loukil, L’UsineNouvelle, 13 Avril 2022

[8] Michael Sinclair, China’s attempts of self-sufficiency in the semiconductor supply line, Source: Transport Intelligence, February 10, 2022

[9] 孙子兵法/军事篇:以迂为直 (Shunzi, “L’Art de la guerre” : contourner au lieu d’attaquer de front)

[10] 半导体工艺与设备(Semiconducteurs : techlonolgies et Equipements), 2021 11 04

[11] PARK SEONG-HUN [lee.hojeong@joongang.co.kr, China turns the table on Korea with low-end chips, Korea JoongAng Daily

[12] Source : South China Morning Post (Hong Kong), cité dans Courrier international, publié le 21 janvier 2022 à 06h34

[13] China’s Share of Global Chip Sales Now Surpasses Taiwan’s, Closing in on Europe’s and Japan’s, Jan 10, 2022, Semiconductor Industry Association

[14] PARK SEONG-HUN [lee.hojeong@joongang.co.kr, China turns the table on Korea with low-end chips, Korea JoongAng Daily

[15] Ridha Loukil, La Chine réalise un incroyable bond en avant dans la production de puces,  L’UsineNouvelle,  le 27 Juillet 2022

[16] Dylan Martin China seems to have figured out how to make 7nm chips despite US sanctions, Register, Fri 22 July 2022.

[17] SMM News, Zhang Zhongmou complained about the US semiconductor subsidy policy: 50 billion US dollars is not enough to build a complete local supply chain, Oct 28, 2021, Source: Financial Union

[18] Max A. Cherney, Protocol Entreprise, August 2, 2022

[19] https://en.wikipedia.org/wiki/Politics_of_the_International_Space_Station#cite_note-justice1-52

[20] https://en.wikipedia.org/wiki/Wolf_Amendment

[21] Maxence Fabrion (@max_fabrion), Entre l’UE, les États-Unis et la Chine, la guerre des semi-conducteurs a éclaté, Les Numériques, publié le 07/03/22 à 15h00

[22] Commission Européenne, EU Chips Act : le plan de l’Europe pour redevenir leader mondial des semi-conducteurs

[23] Ouest-France avec l’AFP, le 11/07/2022.