Recherche Internet : la guerre des Intelligences Artificielles

Recherche Internet : la guerre des Intelligences Artificielles

 

 

École de Guerre économique – publié le 3 octbore 2023

https://www.ege.fr/infoguerre/recherche-internet-la-guerre-des-intelligences-artificielles


D’ici 2 ans, il aura été créé plus de données dans le monde que depuis l’origine de l’humanité. Et ceci devrait désormais se répéter toutes les 2 prochaines années environ.

Cette croissance exponentielle de l’information, liée au développement d’Internet et du World Wide Web, ont fait naitre depuis trente ans un besoin stratégique : comment s’orienter dans un univers numérique en explosion ? Comment et où rechercher la bonne information ?

Bien que de premiers pionniers se soient positionnés très tôt sur ce créneau – Altavista, Yahoo, Lycos, etc. – c’est finalement Google qui – à l’aide d’un algorithme ‘PageRank’ révolutionnaire, d’une attention particulière portée à l’expérience utilisateur, et d’un modèle économique basé sur les enchères d’achat de mots clés – s’est imposé à partir des années 2000 comme le leader des moteurs de recherche sur Internet, s’emparant de plus de 90% du marché du « Search », contre environ 3% à son plus proche rival, Bing de Microsoft. Alors que l’on pensait cette position inexpugnable, l’annonce le 30 novembre 2022 de ChatGPT par la start-up OpenAI – puis l’annonce de l’exploitation de cette technologie par Microsoft Bing – a brutalement remis en cause cette position dominante. Cela a conduit le PDG de Google, Sundar Pichai, à mobiliser brusquement l’entreprise autour d’une alerte de type « Code Rouge », et à lancer une contre-offensive informationnelle massive. Une bataille qui s’est jouée avant tout via la communication publique et les médias sur l’échiquier économique d’un marché global du Search de plus de 270 milliards de dollars, mais dont les débordements vers les échiquiers politiques et sociétaux sont en cours. Avec en perspective un impact stratégique : le contrôle de l’accès à l’information sur Internet.

Le contexte de la recherche Internet : une domination écrasante de Google masquant des fragilités sous-jacentes

Quoiqu’il ait subi au fil des années quelques tentatives de concurrence généraliste (avec Microsoft Bing) ou locale (Baidu en Chine, Yandex en Russie, Naver en Corée, Qwant en Europe…) le leadership de Google dans le Search n’avait jamais été remis en cause depuis le début des années 2000.  Autour de principes éthiques forts (« Don’t be evil » de 2004 à 2015 puis « Do the right thing ») et d’une stratégie d’excellence technologique, Google avait réussi à se hisser en deux décennies au rang de 4e capitalisation mondiale, élargissant son offre de la recherche Internet vers les services collaboratifs (Google Workspace), les médias (YouTube), le Cloud computing (Google Cloud), la maison connectée (Nest), la santé (Verily, Calico), la voiture autonome (Waymo), etc. Une stratégie de diversification confirmée en 2015 par la transformation de Google en consortium : « Alphabet ».

Mais des fragilités sous-jacentes 

Si le chiffre d’affaires (CA) du groupe a atteint le chiffre impressionnant de 280 Milliards de dollars en 2022, les 28% de croissance du groupe par an (depuis son introduction en bourse de 2004) ont longtemps masqué des fragilités sous-jacentes. D’abord une dépendance massive de plus de 80% aux revenus publicitaires, entre Google Search, Google Workspace et Youtube. Ceci contre 9% seulement de CA sur le cloud et moins de 1% sur les autres activités (« other bets »), les deux en perte en 2022. Puis des risques constants d’attaque pour abus de position dominante, matérialisés aux USA en 2022. Et enfin une fragmentation lente mais régulière des usages de la recherche sur Internet (recherche de produits sur Amazon.com, recherches de personnes sur Facebook ou LinkedIn, etc.). Des incertitudes qui ne manquent pas de préoccuper depuis longtemps les investisseurs, qui, tout en plébiscitant Google, valorisent aujourd’hui son action à un prix/bénéfice (forward P/E) inférieur d’un tier (20) à ceux d’autres grands leaders du numérique comme Apple (29) ou Microsoft (30).

C’est dans ce contexte de doute diffus que ChatGPT va faire en novembre 2022 une percée stratégique.

Un coup de tonnerre pour l’image de Google Search : l’annonce de ChatGPT

Le 22 novembre 2022, la société OpenAI lance un agent conversationnel – « chatbot », basé sur l’intelligence artificielle générative – permettant de dialoguer avec les internautes et de répondre à leurs questions : ChatGPT. Fondée initialement en 2015 comme laboratoire de recherche à but non lucratif dédié à développer des systèmes d’Intelligence Artificielle Générale (IAG) sûrs et bénéfiques pour l’humanité,  puis renforcée en 2018 par la création d’une filiale commerciale, la société OpenAI n’avait jusque-là pas fait beaucoup parler d’elle hors des cercles spécialisés, si ce n’est à propos de l’implication brève d’Elon Musk, co-fondateur parti en 2018. Avec 1 million d’utilisateurs en 5 jours, le lancement grand public de ChatGPT – développé discrètement depuis 2018 – crée un choc mondial. Il est vrai que la promesse est impressionnante : entrainé sur Internet, avec 175 milliards de paramètres, le chatbot est capable de donner l’illusion des réponses quasi humaines et d’un accès instantané au savoir mondial. Pour les (rares) experts, la technologie sur laquelle il s’appuie n’est pas fondamentalement nouvelle, et il s’agit avant tout d’un beau coup marketing d’OpenAI. Pour le grand public, c’est la révélation. Il suffit de moins de deux mois pour que la barre des 100 millions d’utilisateurs soit franchie, et que le lancement de ChatGPT propulse définitivement l’« Intelligence Artificielle Générative » comme la révolution du 21e siècle, dédiée à avoir selon les analystes « un impact similaire à celui qu’ont eu en leur temps l’invention de la machine à vapeur, de l’électricité, et de l’Internet »

Un impact très négatif pour Google

Si l’usage possible de chatGPT est plus large que celui d’un moteur de recherche (dialogue conversationnel, traduction, résumé de textes, création de code informatique, etc.), la concurrence possible avec Google Search fait rapidement la Une. Qu’attendent effectivement les internautes d’un moteur de recherche ? Ce que propose Google : une liste de liens correspondant à des mots clés ? Ou une réponse précise ? Ces interrogations lancinantes vont rapidement créer un buzz négatif : « ChatGPT va-t-il remplacer Google ? » Est-ce comme le disent certains le « moment iPhone » de la recherche Internet ? Google est-il un « mort en sursis », tout comme les premiers leaders du téléphone mobile – Nokia et BlackBerry – ont été tués par Apple ? Beaucoup d’utilisateurs le proclament sur les réseaux sociaux : “Google is done« , “OpenAI just killed Google », etc. Les tests de comparaison entre ChatGPT et Google fleurissent et sont répercutés sur des sites de presse majeurs.

La presse se fait l’écho d’une « alerte rouge » interne chez Google

Ces interrogations ne pas qu’externes : elles sont aussi et surtout interne à Google. Trois semaines après le lancement de ChatGPT, le New York Times révèle que l’onde de choc a donné lieu à une alerte rouge chez Google. Il apparaît même rapidement que les deux fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin, qui s’étaient éloigné de la maison mère pour se consacrer aux activités émergentes d’Alphabet ont été rappelés à la rescousse et multiplient les réunions d’urgence.

L’occasion rêvée pour Microsoft de déstabiliser son rival de toujours

C’est à ce moment où Google est affaibli que son principal concurrent dans la recherche Internet, Microsoft Bing, lance une attaque frontale. Le potentiel de ChatGPT n’a pas échappé à Microsoft, qui est un investisseur majeur d’OpenAI depuis 2018. Avec Bing, Microsoft essaye depuis longtemps de concurrencer Google Search, mais sans succès notable jusque-là. Il voit avec la percée de ChatGTP l’occasion de bouleverser enfin les positions établies et va faire une succession d’offensives médiatiques auprès des utilisateurs, des annonceurs, des influenceurs, et des investisseurs.

10 millions de dollars investis dans OpenAI et une intégration à Bing

Le 23 janvier 2023 Microsoft lance l’offensive en annonçant investir 10 milliards de dollars dans OpenAI. Le 7 février, Microsoft annonce l’intégration des technologies d’OpenAI dans ses offres Edge, Microsoft 365, etc. Et elles seront aussi et surtout intégrées à Bing ! Un lancement de « Bing AI » qui sera immédiatement effectif (en préversion sur liste d’attente), avec une adaptation spécifique de la technologie d’OpenAI au Search, et la promesse de « réinventer le futur du Search ». « C’est un nouveau jour pour la recherche Internet » déclare le PDG de Microsoft, Satya Nadella. Au contraire de ChatGPT, le nouveau Bing disposera des dernières informations sur Internet (alors que Chat GPT 3.5 était bâtit sur un corpus de données Internet ne dépassant pas 2021). De plus, il citera ses sources.

 

Bing AI : vers un nouveau paradigme pour la recherche Internet ?

L’annonce de Microsoft est forte : elle prétend bouleverser le paradigme du Search. Va t’elle détrôner Google ? Elle semble avoir un retentissement sensible. Un mois plus tard, dès le 8 mars, Microsoft rapporte que la préversion de Bing AI aurait gagné un million d’utilisateurs et que Bing a atteint 100 millions d’utilisateurs actifs par jour. Signe selon Microsoft d’une nouvelle tendance de fond dans un marché de la recherche Internet assez stable jusque-là… Le 4 mai, Bing AI est enfin disponible à tous, sans liste d’attente, et devient multimédia. Suit une liste continue d’améliorations progressives au cours des mois.

La contre-attaque informationnelle de Google en 4 phases

Si Google travaille depuis longtemps sur l’intelligence artificielle, l’offensive semble le surprendre. C’est d’autant plus paradoxal que le PDG de Google, Sundar Pichai, l’a positionné dès 2016 comme une « AI-first company », dédiée à utiliser l’IA dans tous ses services, et que c’est justement Google Brain, un des deux laboratoires d’IA de Google, qui a été à l’origine des technologies de « Transformers » et de « Large Langage Model » (LLM) dont OpenAI s’est inspiré. Des expérimentations pionnière qu’il hésitait à sortir des cartons, du fait de craintes sur la qualité des résultats et de précédentes polémiques[i]. Ceci combiné à la volonté évidente d’avancer prudemment pour ne pas cannibaliser son modèle économique publicitaire. L’aversion au risque et le dilemme classique du leader ! La valorisation d’Alphabet s’érodant de mois en mois depuis le pic de mi 2021 (-40%) et la pression concurrentielle et réputationnelle s’intensifiant, Google est au pied du mur : il se doit de réagir. Il le fait en 4 phases.

Phase 1 – Lancer une mobilisation des équipes, pilotée par le PDG d’Alphabet lui-même Sundar Pichai, et dont on laisse la presse se faire l’écho

Il faut non seulement remobiliser l’interne. Il faut le faire savoir en externe pour rassurer les investisseurs et les annonceurs. De décembre 2022 à janvier 2023, Google se prépare à la bataille. Il se doute qu’en plus de la menace d’OpenAI, il va être directement attaqué par Microsoft – investisseur d’OpenAI – sur le Search. La communication à la presse est souterraine mais ferme : la réponse de Google va venir bientôt. “Nous continuons de tester nos technologies d’IA en interne pour nous assurer qu’elles soient pleinement efficaces et sûres, et nous sommes impatients de partager bientôt ces expériences en externe” souligne mi-janvier Lily Lin, une porte-parole de Google, au New York Times qui a rapporté l’alerte rouge chez Google. En parallèle, Google gagne du temps en s’assurant que des extensions ChatGPT soient disponibles sur son navigateur Chrome. Un moyen de garder les utilisateurs chez Google.

Phase 2 : contribuer souterrainement à laisser le battage médiatique sur ChatGPT se calmer et le marché souligner ses faiblesses

Comme les analystes le soulignent dans leur classique « cycle du hype » : après le « pic des attentes exagérée » vient vite « l’abîme de la désillusion ». Il est vite clair que, si les capacités de ChatGPT ont d’abord bluffé beaucoup d’utilisateurs, une utilisation régulière vient rapidement les relativiser. Biais, erreurs (poétiquement nommées « hallucinations »), incapacité à discerner information, rumeurs et désinformation, non réplicabilité… : les résultats de ChatGPT sont parfois éblouissants mais souvent aussi immatures. Au point que le PDG d’OpenAI, Sam Altman lui-même, doit rapidement reconnaître qu’il est « prématuré de se fier à ChatGPT pour quoi que ce soit d’important ». Google en est bien conscient. C’est un défaut de tous les LLM. C’est bien pour cela qu’il n’avait jusque-là pas lancé le sien auprès du grand public. OpenAI et Microsoft, tout à leur offensive marketing, se gardaient bien de mentionner ces faiblesses. Google laisse la presse s’en saisir et les experts le souligner. Cela contribue à faire émerger progressivement un relatif consensus médiatique : les chatbots conversationnels sont encore expérimentaux. Ils ne remplaceront pas le « Search » mais le compléteront. Ils sont utiles pour répondre à certaines questions, pour peu que l’on ait conscience de leurs limites. Google Search est de son côté particulièrement efficace pour trouver à peu près tout sur Internet. Bref, le futur est à la conjonction des deux. C’est là où Google va se positionner dans les deux phases suivantes de la contre-attaque.

Phase 3 : Réaffirmer publiquement le leadership de Google en IA, et sa capacité à combiner le plus efficacement « Search » et IA générative

Dès janvier, et alors que la valorisation d’Alphabet est au plus bas depuis son pic de mi 2021 (-40%), Google est prêt pour réaffirmer son avance technologique dans le domaine de l’intelligence artificielle, via une approche médiatique tous azimuts (relations presse, blogs institutionnel…). Mi-Janvier, une série de publications sur son blog viennent rappeler à la presse et au grand public la mission de Google sur l’IA, comment il applique l’IA pour répondre aux enjeux sociétaux, la manière dont il applique l’IA dans ses produits, etc. Cette approche est également particulièrement active auprès des investisseurs, à l’occasion des conférences dédiées aux analystes financiers, comme le 2 février 2023 (Q4 earning call) où le PDG de Google Sundar Pichai focalise l’essentiel de son intervention introductive sur les réalisations de Google en IA et l’imminence d’annonces majeures à ce sujet.

Phase 4 : contre-attaquer via l’annonce portée par le CEO lui-même du propre agent conversationnel de Google : Bard

Le 6 février, c’est le PDG de Google lui-même, Sundar Pichai, qui court circuite l’annonce de Satya Nadella, PDG de Microsoft, prévue le lendemain, pour annoncer que Google lancera son propre chatbot, Bard. Celui-ci est positionné comme un « service d’IA collaboratif » plutôt que comme un moteur de recherche, et sera disponible le 21 mars, tout comme une API ouverte aux développeurs. Il rappelle par ailleurs que c’est Google qui est à l‘origine de la technologie de Transformers et de LLM sur laquelle l’IA générative est basée, et que Google travaille à intégrer ces technologies dans tous ses services, de manière fluide et sûre. Une petite pique à OpenAI, à ses hallucinations, et aux risques règlementaires… Ce sera d’ailleurs une constante de Google : insister sur son approche responsable de l’IA, un discours développé depuis 2018.

Fortement attendu, l’annonce de Bard s’avère pourtant chaotique. Dans une copie d’écran de démonstration, partagée par Google, des spécialistes relèvent une petite erreur factuelle dans une réponse de Bard relative au télescope spatial James-Webb. La sanction est immédiate : l’erreur fait le buzz, des médias comme Forbes se demandent comment Google a pu passer du « AI-first au AI-last », les investisseurs doutent, et Google perd 100 milliards de dollars de capitalisation

Mais Google a jeté les dés. Malgré ces aléas, la contre-attaque finit par porter lentement ses fruits. Le 21 mars, Bard est accessible sur liste d’attente aux USA et en UK. Les premiers retours des internautes sur Bard sont relativement positifs. D’autant plus que Google ne fait pas l’erreur de « survendre » son chatbot. Bard est présenté comme une « expérimentation », et encourage les internautes à signaler toute erreur afin de l’améliorer.

Au cours des mois suivants, il multiplie les annonces insistant sur l’intégration étroite de l’IA et du Search, afin de rendre l’expérience plus fluide et personnalisée pour les utilisateurs, et plus rentable pour les annonceurs. Le 10 mai, Bard est disponible dans 180 pays, sans liste d’attente, et la recherche Internet s’enrichit d’une « Search Generative Experience ».

Progressivement, la situation se stabilise. Bard parvient à s’affirmer dans le paysage et la capitalisation d’Alphabet, après quelques secousses, remonte. Les mois suivants verront la poursuite du renforcement des synergies entre Bard et Search, le lancement d’un nouveau modèle innovant de LLM, PaLM 2, et de multiples initiatives de Google pour assurer la sécurité de l’IA et la rendre responsable, y compris une initiative conjointe avec d’autres acteurs – dont OpenAI – le Frontier Model Forum.

L’analyse du rapport de force 9 mois après le lancement de ChatGPT 

Dix mois après le lancement de ChatGPT, sept mois après celui de Bing AI et de Bard, ou en est la situation ?

Un front stabilisé

En termes de parts de marché, le front semblé stabilisé : Google a regagné le terrain perdu. L’offensive de Microsoft n’a pas réussi à faire bouger significativement les lignes. Entre novembre 2022 et août 2023, malgré un léger frémissement pour Bing, les parts de marché sont quasiment revenues à la situation antérieure.

L’image de Google a néanmoins été fragilisée

Bien que Bard, après des débuts chaotiques, se soit installé dans le paysage, que l’image d’OpenAI ait commencé à pâlir (certains articles parlent même de risques de faillite), et que Bing n’ait pas réussi à transformer significativement l’essai, des doutes diffus sur l’avenir de Google subsistant néanmoins chez les utilisateurs, les annonceurs, les influenceurs et les investisseurs. Pour certains partenaires, l’option d’envisager une alliance avec Bing ne serait plus tabou. Le cas Samsung aurait notamment créé la panique chez Google, selon le New York Time. Le coût de la bataille, enfin, est élevé pour Google. Une recherche par LLM coûte 10 fois plus cher en infrastructure et énergie qu’une recherche classique. Microsoft, avec sa part de marché de 33% dans le cloud et ses services Office365, a plus de moyen de rentabiliser cette infrastructure que Google, numéro 3 seulement du cloud avec 9%  de part de marché, et challenger du collaboratif avec Workspace.

Le cours de bourse de Google, rétabli après les doutes, est revenu à une situation proche de son pic de mi 2021, mais reste donc à la traine derrière celui de Microsoft, dont le forward P/E est supérieur d’un tier.

Cela va augmenter la pression des investisseurs pour rendre profitable ou rationaliser les autres activités de Google (« other bets »), dont le résultat est pour l’instant négatif. Le licenciement préemptif de 12.000 employés dès mi janvier 2023 doit bien sûr aux craintes de récession partagées par la plupart des acteurs de la tech, mais prend une résonance particulière chez Google : les coûts doivent être optimisés en prévision de batailles difficiles à l’avenir.  

De nouveaux entrants en embuscade

Enfin, la bataille a revigoré les concurrents, pour lesquels la possibilité de déstabiliser Google ne parait plus si utopique. Outre Bing, les startups qui s’essayent à la concurrence comme you.com redoublent d’efforts. Sans compter les poids lourds en embuscade, comme Amazon, Meta, Apple voire x.AI (nouvelle société d’Elon Musk, créée en Juillet 2023 avec l’ambition de « comprendre la vraie nature de l’univers », en lien avec Twitter/X et Tesla) qui pourraient s’appuyer sur la puissance de l’IA pour accélérer la transformation des usages. Ceci en profitant notamment de leurs énormes audiences et de leur présence croissante dans les objets connectés (mobile, domotique, casques de réalité virtuelle ou augmentée, voiture connectée …). Des rumeurs prêtent même à Apple le projet de se positionner frontalement face à Google dans le Search, au travers de l’iPhone – qui touche près de 1,5 milliards d’utilisateurs actifs… Comme le soulignent des analystes : il ne s’agit plus seulement de rechercher des informations sur Internet. Le champ de bataille est la façon dont nous interagissons avec tous les appareils intelligents de notre quotidien. Google l’a bien compris. Avec Android, il se positionne dans le mobile et l’Internet des Objets depuis longtemps. Mais ses grands concurrents ont aussi de sérieux atouts dans leur manche.

Le « moment iPhone » ?

Par ailleurs, comme le souligne avec angoisse une note interne de Google ayant fuité sur Internet, « nous n’avons plus de protection face à la concurrence », l’IA bouleverse non seulement les cartes du Search, mais elle est désormais à la portée d’acteurs de toutes tailles, et remet en cause toutes les positions acquises, y compris d’ailleurs aussi celle d’OpenAI. Il y a une course à la puissance, que seuls les géants peuvent s’offrir du fait du coût des infrastructures de calcul (processeurs Nvidia, etc.). Mais il y a aussi une course à l’innovation agile. Compte tenu des progrès exponentiels de l’IA, et en s’appuyant sur le cloud et les LLM en open source, des startups peuvent désormais faire pour 100 dollars et en quelques semaines, ce à quoi des acteurs établis comme Google ou OpenAI devaient auparavant consacrer des mois et 10 millions de dollars. Ces remarques angoissées font un écho troublant à celles du célèbre mémo de 2011 de l’ancien PDG de Nokia à propos de l’iPhone, mais aussi et surtout à propos d’Android et des concurrents chinois. Le « moment iPhone » est peut-être bien là. Et il dépasse largement le cadre de la concurrence entre Google Search et Bing…

Google génère le doute

Si la première manche de cette guerre informationnelle n’a pas bouleversé les positions concurrentielles faciales, elle donc a créé le germe du doute sur Google chez le grand public, les annonceurs, les partenaires, les influenceurs et les investisseurs. Elle relance la pression des concurrents pour bouleverser la position établie de Google dans le Search, et plus largement dans l’IA.

Cette bataille est d’autant plus cruciale pour Google qu’elle est existentielle : via le Search, elle impacte potentiellement plus de 50% de son chiffre d’affaires [ii].

Inversement, les risques sont proportionnellement bien plus faibles pour les concurrents, notamment Microsoft, pour lequel l’IA est un moteur stratégique qui va souvenir fortement tout le reste de ses activités – Office365, services cloud, etc. – et pour lequel la recherche Internet est avec Bing une activité accessoire[iii].

Dans cette bataille, Microsoft apparait clairement gagnant dans la première manche.

Cette guerre illustre l’asymétrie des risques entre leader et challenger. Innovateur majeur, « disrupteur » de ses prédécesseurs dans les années 2000, Google se trouve aujourd’hui dans une position défensive, sur une technologie d’IA (les LLM) qu’il a pourtant créée et dont il aurait dû être le premier bénéficiaire. Elle illustre aussi l’avantage de l’offensive. En jouant défensif à chaque étape (continuité de l’expérience utilisateur, IA responsable, sécurité…), Google a peiné à convaincre pleinement. Il a surtout été aidé par l’inertie des usages. Beaucoup d’utilisateurs ont néanmoins entraperçu de nouveaux horizons. Même si OpenAI et Bing n’ont pas encore massivement convaincu, ils ont effrité les défenses de Google. De nouveaux chocs – peut-être d’acteurs tiers – pourraient les ébranler plus massivement

Quel sera l’avenir  de cette confrontation ?

Il est encore difficile à prévoir. La technologie de LLM est encore jeune. Les usages sont encore émergents. Les nouveaux acteurs prolifèrent. En outre, la bataille va très vite s’étendre de l’échiquier économique aux échiquiers sociétaux et politiques. Les débats sur la propriété intellectuelles, comme les exigences en termes de conformité et de responsabilité se multiplient. Les risques sociétaux de l’IA sur l’emploi, et plus largement, l’humanité, inquiètent. Le 22 mars 2023, 1000 scientifiques dont Elon Musk signaient une lettre ouverte alertant sur ces multiples dangers et appelant à une pause. En Europe et aux USA, les politiques s’apprêtent à légiférer. En Chine, ils le font déjà.  

Google sera au cœur de ces batailles. Son principal concurrent, Microsoft, a su se réinventer face à des crises existentielles similaires (Internet dans les années 90, l’open source dans les années 2000, le cloud dans les années 2010). Google aura-t-il cette capacité, alors qu’il n’avait pas rencontré de rival sérieux sur son cœur de métier depuis des décennies ? Pour Google plus que pour tout autre acteur et compte tenu de sa mission affichée d’ « organiser les informations à l’échelle mondiale pour les rendre accessibles et utiles à tous », cette guerre sera totalement informationnelle. Comme le souligne Sundar Pichai le 5 septembre 2023, à l’aube des 25 ans de Google : qu’à fait Google jusque-là sinon d’aider le monde à trouver des réponses à ses questions du quotidien ? Pour les 25 prochaines années, d’ici 2048, l’enjeu sera de répondre aux questions de l’avenir et de chercher de nouvelles frontières. Google a des atouts dans cette bataille. Mais, tout en restant prudent, il devra désormais être offensif. 

Jean-Christophe Spilmont (MSIE42 de l’EGE)

Notes

[i] En 2017, c’est Google qui a publié le premier article « Attention is All You Need », sur la technologie « Transformer », à l’origine de l’AI générative, puis qui a créé le premier « Large langage Model » (LLM), BERT. Les recherches de Google en matière d’innovation et d’IA ont néanmoins été marquées à plusieurs reprises par des polémiques, notamment mi 2022 sur son modèle LaMDA, qu’un ingénieur de Google avait clamé auprès de la presse être conscient, allant jusqu’à chercher des conseils juridiques pour « protéger » LaMDA de Google! Une polémique qui s’était soldée par le renvoi de l’ingénieur, et avait incité la direction de Google à ne pas lancer publiquement le chatbot. 5 mois après, OpenAI, sans s’embarrasser de telles précaution, lançait ChatGPT… Le dilemme classique de l’innovateur : un challenger comme OpenAI – ou Microsoft Bing – peut prendre plus de risques qu’un leader établi comme Google Search. Au pied du mur, c’est en s’appuyant sur le modèle LaMDA que Google lancera finalement Bard début 2023

[ii] Le revenu du « search » est comptabilisé dans « Google Search & others » et qui a représenté plus de 162 milliards de Dollars de revenus en 2022, sur un chiffre d’affaires global de 282 milliards.   

[iii] Le revenu du search est estimé chez Microsoft à moins de 12 milliards de Dollars en 2022, sur un chiffre d’affaires global de 198 milliards de dollars

 

Caesar, EFA et robots de déminage: victoire commerciale française en Ukraine mais la guerre n’est pas gagnée

Caesar, EFA et robots de déminage: victoire commerciale française en Ukraine mais la guerre n’est pas gagnée

 

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 30 septembre 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


La visite à Kiev de Sébastien Lecornu et d’une délégation d’industriels de la Défense français, jeudi, s’est soldée par la signature de plusieurs contrats et accords. A Kiev, le ministre français venu défendre des partenariats avec des industriels ukrainiens, a rencontré le ministre Oleksandr Kamychine, chargé des industries stratégiques (photo ci-dessus. Les photos de ce post sont de moi), et Rustem Umerov, le nouveau ministre de la Défense. 

Sa visite a précédé l’ouverture par le président Zelensky du premier forum international consacré à l’industrie de la défense, qui veut attirer des fabricants étrangers capables de produire des armes en Ukraine et de lui « construire un arsenal » face à la Russie. « Nous sommes intéressés par la localisation de la production des équipements nécessaires à notre défense et des systèmes de défense avancés utilisés par nos soldats », a résumé Zelensky dans son discours d’introduction, diffusé ce samedi.

Voici la liste  des accords et contrats signés vendredi (c’est moi qui souligne):
Coopération DGA / DPA
La direction générale pour l’armement (DGA) et son homologue ukrainienne, la Defense Procurement Agency (DPA) ont signé un accord pour favoriser la coopération en matière d’armement entre les deux pays.

Coopération industrielle
Le GICAT a signé deux accords, avec les Ministère de la Défense et Ministères de l’Industrie Stratégique ukrainiens sur le développement de la coopération en matière d’industrie de défense entre la France et l’Ukraine.

Artillerie
Fourniture de 6 systèmes d’artillerie supplémentaires. Au-delà des canons Caesar déjà fournis, que ce soit au titre des cessions par l’armée françaises (18) ou au titre des acquisitions par le ministère ukrainien directement auprès de KNDS (12), KNDS va fournir 6 canons Caesar supplémentaires.
MCO (maintien en conditions opérationnelles) des systèmes Caesar fournis. Le MCO des systèmes CAESAR est d’ores et déjà assuré par KNDS via un flux de pièces de rechanges. Par ailleurs, KNDS a signé un accord avec une société ukrainienne pour assurer le MCO des Caesar dans la durée sur le territoire ukrainien, comprenant la production de pièces localement. Cet accord prend également en compte le MCO des AMX 10 cédés par l’Armée de Terre.

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Véhicules terrestres
Intégration d’armements : La société KNDS a signé un accord avec une société industrielle ukrainienne pour l’intégration en Ukraine d’armements sur les véhicules des Forces Armées Ukrainiennes.
MCO des véhicules fournis : ARQUUS, fabriquant de VAB (Véhicules de l’avant blindé), s’est engagé, au travers d’un accord signé avec une société ukrainienne, à soutenir les véhicules cédés par les Armées françaises – notamment à travers de la production locale de pièces – et à étudier la mise en place d’un partenariat avec des entreprises ukrainiennes afin de produire des VAB neufs dans le pays.
Fabrication additive : La société Vistory a signé un accord avec une société ukrainienne pour des solutions de fabrication additive de pièces de rechange. Ce sujet est très prometteur pour autonomiser les Ukrainiens, y compris potentiellement pour déployer des solutions mobiles de fabrication de pièces de rechange sur le théâtre d’opérations.
Fourniture d’engins amphibie : La société CEFA va fournir 8 engins amphibie qui permettent le franchissement de cours d’eau.

Drones
Drones Delair : Au-delà du premier contrat de drones, et dont les premiers exemplaires sont en cours de livraison auprès des Ukrainiens, la société Delair a signé un nouveau contrat avec le MOD ukrainien pour la fourniture de drones supplémentaires, ainsi qu’un accord portant sur la maintenance des drones livrés et ouvrant la voie à une production locale.
Partenariats industriels : les sociétés Thales d’une part et Turgis & Gaillard d’autre part ont chacune signé un accord avec des sociétés ukrainiennes pour co-développer des drones, avec comme perspective une fabrication locale de drones.

Déminage
L’entreprise CEFA a signé un contrat pour la fourniture de 8 premiers robots SDZ de déminage. C’est un moins qu’espéré (10 unités) mais le résultat témoigne de la confiance des Ukrainiens dans ce matériel. 

Quelques remarques personnelles:

Ces bons résultats et ses bonnes perspectives sont dus aux efforts conjoints des équipementiers français, du ministère des Armées et du GICAT qui a organisé du 18 au 20 septembre, à Kiev, un premier séminaire de coopération industrielle franco-ukrainien. 

En termes de fournitures, on notera les drones Delair (type non spécifié), les 6 Caesar supplémentaires mais surtout les 8 robots de déminage SDZ de l’entreprise CEFA (deux livrables à l’armée de Terre française pourraient être déviés vers l’Ukraine). En matière de déminage, la France s’avère malgré tout en retrait d’autres pays dont les entreprises spécialisées ont capté une partie du marché il y a déjà plusieurs mois (je reviendrai sur ce sujet dans un prochain post).

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Cette même entreprise va aussi livrer 8 EFA (engins de franchissement de l’avant. Photo ci-dessus prise lors d’Orion 4); ces systèmes d’occasion issus de l’ex-parc du génie pourront être livrés très rapidement. 

De quelques évolutions de l’armée de Terre dite de combat…

De quelques évolutions de l’armée de Terre dite de combat…

Mars attaque – publié le 12 septembre 2023

Quelques points (évidemment non exhaustifs) transparaissent peu à peu sur des évolutions capacitaires significatives à venir de l’armée de Terre de demain (dite « de combat« ), pour densifier la bulle aéroterrestre (en termes de létalité, de transparence, et de protection).


Par exemple, à terme, il est recherché 3 gammes différentes de munitions télé opérées (MTO / MUNTOP) :

  • MUNTOP – AD (appui direct) pour la zone 0-30 km, soit celle de la brigade interarmes (BIA), dans la zone du radar Murin, du Griffon VOA d’observation, du Griffon MEPAC de mortier embarqué, du drone SMDR… ;
  • MUNTOP – AE (action d’ensemble) dans la zone 0-80 km, soit celle de la division (dans la zone des tirs de Caesar, ou de la roquette LRU, qu’elle soit non souveraine, aujourd’hui, ou demain potentiellement souverraine…) ;
  • Puis, à terme, MUNTOP – FLP (feux longue portée), dans la zone des 0-150 km.

Cela s’ajoutera à de nouvelles capacités acquisition/feux :

  • Radars Cobra ou équivalents pour passer de 40 km à 100 km en acquisition ;
  • Un SDT pleinement opérationnel, dans les 0-150 km ;
  • Des drones MALE/MAME dédiés aux feux dans les 0-150 km ;
  • Le retour des Détachements d’appui dans la profondeur (DAP)…

En parallèle, il est poursuivi l’ambition de faire de l’armée de Terre le 1er opérateur de systèmes automatisés en Europe (un peu comme l’ALAT est depuis quelques temps déjà le 1er opérateur d’Europe en nombre d’hélicoptères détenus) :

  • Dès 2025, il devrait y avoir un peu moins de de 900 systèmes militarisés (un système + plusieurs drones) et plus ou moins 600 drones civils, plus les MTO FS (environ 100 exemplaires) ;
  • Vers 2026, le SDT (armé ?) et le drone MAME FT (cf. ci-dessus), plus l’automatisation des nano et micro drones et intégration dans la bulle Scorpion de l’ensemble, avec en parallèle la mise en œuvre de MTO souveraines de courte portée en développement rapide actuellement (pour une commande de l’ordre de 1.000 exemplaires – projet Colibri) ;
  • Vers 2028, des MTO souveraines de moyenne portée en développement rapide (projet Larinae), de l’ordre de plus de 250 exemplaires ;
  • Pour au final en 2030 : 2 type de MTO souveraines à plus de 1.250 exemplaires + environ 1.100 systèmes militaires + de l’ordre de 800 drones civils.

A noter que ces chiffres ne sont pas forcément des volumes de commandes, mais plutôt des parcs détenus à l’instant t (grâce à une petite agilité contractuelle (enfin possible…) pour pouvoir recompléter rapidement et facilement les stocks au fil du temps, malgré les pertes, leur utilisation, etc.).

En parallèle toujours, la feuille de route robotique progressera, avec des plateformes polyvalentes terrestres de combat pour 2030, après des premiers prototypes en 2027, plus les MTO en phase de généralisation progressive pour 2026, plus l’école des drones pleinement opérationnelle (qui passera à terme du Commandement du renseignement COMRENS à la brigade d’Artillerie BART).

Pour les capacités émergentes et/ou critiques (drones armés, défense sol-air – DSA, feux dans la profondeur, cyber, influence et champs immatériels), un phasage sera mené… parce que ce n’est pas si simpliste de faire de la remontée en puissance et du capacitaire… Avec en plus un rééquilibrage des fonctions opérationnelles au profit des capacités C2, intégration des effets, appui et soutien, une remontée des stocks de munitions et de rechanges, et l’accompagnement à la montée en compétences et masse d’une BITD MCO terrestre.

  • D’ici 2025, comblement progressif des ruptures de capacité prioritaires en artillerie moyenne portée et drone tactique ;
  • D’ici 2027, efforts sur les soutiens tactiques et opératifs (notamment sur les flottes tactiques et logistiques) et comblement des faiblesses en artillerie moyenne portée, drone tactique, contre-minage, transport d’engins blindés… ;
  • D’ici 2030, montée en puissance des flottes logistiques, efforts sur la décontamination de l’avant et d’ensemble, le ravitaillement carburant et transport médian, la défense sol-air d’accompagnement…
Pour les effets dans les champs immatériels, un « bataillon de leurrage » devrait prochainement voir le jour (à Lyon), rattaché au CIAE (Centre interarmées des actions sur l’environnement), en plus de l’École de l’influence qui y sera opérationnelle et de la 1ère Unité multi-capacités (UMC) pour opérer en LID (lutte informatique défensive), LIO (lutte information offensive) et L2I (lutte informatique d’influence).

Enfin, un effort sera mené sur la consolidation et la modernisation des forces de souveraineté, notamment dans les capacités de protection, de prévention et d’influence, via des stocks prépositionnés, un renforcement de capacités notamment C2/renseignement/influence/cyber/réserves/formation des partenaires…, les capacités d’accueil de renforts… Cela ira notamment de paire avec la régionalisation géographique des divisions et la sectorisation des brigades (changeants à intervalles réguliers), pour une meilleure connaissance des zones d’opérations potentielles.

Une vision encore partielle, non exhaustive, et non définitive, à compléter.

Abrams M1E3, Leopard 2AX : l’EMBT français peut-il s’inviter dans le reboot en cours des chars occidentaux ?

Abrams M1E3, Leopard 2AX : l’EMBT français peut-il s’inviter dans le reboot en cours des chars occidentaux ?


IMG 0268 e1655214195496 Chars de combat MBT | Allemagne | Analyses Défense

Abrams M1E3, Leopard 2AX : l’EMBT français peut-il s’inviter dans le reboot en cours des chars occidentaux ?


Plutôt que de développer un nouveau char de combat, l’US Army a annoncé, il y a quelques semaines, se tourner vers une évolution radicale de son M1 Abrams, pour donner naissance au M1E3 Abrams d’ici à la fin de la décennie.

À l’instar de l’Allemagne et de son Leopard 2AX, il s’agit pour les États-Unis de répondre au mieux, face aux contraintes de temps et de technologies, aux enseignements de la guerre en Ukraine, et notamment à l’arrivée massive des drones à tous les échelons du combat.

Cette approche, qui s’oppose aux objectifs d’un programme MGCS menacé de toutes parts, se veut pragmatique pour répondre aux enjeux opérationnels, mais aussi commerciaux, qui se présentent aujourd’hui.

Dans ce contexte, la France, sur la base d’une évolution radicale du char Leclerc basée sur la tourelle EMBT, doit-elle, elle aussi, s’inviter dans cette course contre-la-montre qui s’est engagée des deux cotés de l’Atlantique ?

La transformation robotique du champ de bataille est en marche

S’il est un enseignement crucial à retenir des 19 mois de guerre en Ukraine, c’est incontestablement le rôle désormais central que les technologies robotisées, plus particulièrement les drones, ont pris sur le champ de bataille.

Leopard 2A4 ukraine
La guerre en Ukraine a montré toute l’utilité des chars de combat, un temps destinés au musée selon certain.

Ceux-ci interviennent dans la presque totalité des espaces de conflictualité, qu’il s’agisse de frapper les unités sur la ligne de front, de diriger le tir de l’artillerie à longue et très longue portée, de mener des raids aériens ou navals contre les bases arrière de l’adversaire, et même pour mener des campagnes de terreur contre les populations civiles.

L’arrivée de ces drones et autres munitions rôdeuses, influence à présent la réflexion opérationnelle des stratèges militaires, au point de modeler, avec d’autres facteurs souvent connexes, la conception même des nouveaux équipements militaires.

C’est ainsi que les Loyal Wingmen et autres Remote Carrier sont aujourd’hui au cœur de la conception des avions de combat de nouvelle génération comme les NGAD aux Etats-Unis, le GCAP britannique (Italie/Japon), et le SCAF européen.

Ils influencent aussi la conception des nouveaux navires militaires, qu’il s’agisse des unités de surface combattantes comme les destroyers et frégates, les grands navires aéronavals et d’assaut, les bâtiments de guerre des mines et même les sous-marins.

C’est aussi le cas dans le domaine des armements terrestres, qu’il s’agisse de l’artillerie, des blindés de combat et de soutien, et désormais du seigneur du champ de bataille, le char de combat.

T14 Armata
Le T14 Armata russe fut le premier char à intégrer pleinement la révolution robotique. Toutefois, les difficultés qu’il rencontre depuis presque 10 ans maintenant pour sa mise au point, laisse penser que celui-ci était trop ambitieux pour les technologies du moment maitrisées par l’industrie russe.

En effet, les programmes de chars de combat de nouvelle génération, ou devons-nous dire plutôt de génération intermédiaire, comme le K2 Black Panther, le T14 Armata, le Leopard 2A8 ou le récemment annoncé, Abrams M1E3, sont conçus autour de cette révolution robotique.

Ils intègrent ainsi des drones de reconnaissance pour une perception étendue de leur environnement, des systèmes antidrone et APS pour engager et détruire les drones de reconnaissance et les munitions rôdeuses,

La robotique entre aussi dans l’habitacle, pour remplacer le poste de chargeur par un système automatisé, même au sein des armées attachées à l’équipage à quatre traditionnels jusqu’ici.

Cette influence dépasse même ce cadre direct, en imposant, par exemple, des chars plus légers et plus mobiles, avec une empreinte logistique plus faible, de sorte à préserver les flux logistiques des frappes indirectes menées, là encore, avec l’aide ou par des drones.

Avions, hélicoptères, chars : leur rôle va évoluer dans les années à venir

Au-delà de ces aspects déjà appliqués au combat aujourd’hui, notamment en Ukraine, il apparait surtout que la révolution robotique des armées en cours, va considérablement influencer le rôle même des piliers de l’action militaire.

F-35 et drones de combat loyal wingman
Les avions de combat vont rapidement évoluer du rôle de vecteur effecteur à celui de coordinateur des drones de combat, qui eux assureront le transport et la livraison des munitions.

Ainsi, les avions de chasse, mais aussi, les frégates, destroyers et sous-marins, les hélicoptères et les chars, voient leur rôle opérationnel évolué d’une mission de type vecteur/effecteur, c’est-à-dire de transport et de mise en œuvre des munitions et des systèmes d’armes, à celui de coordinateur de drones jouant précisément ce rôle de vecteur/effecteur.

Dit autrement, là où aujourd’hui un avion de combat comme le Rafale transporte lui-même ses bombes et ses missiles, ou un char comme le Leclerc emploie son canon de 120 mm, les équipements qui devront les remplacer s’appuieront avant tout sur les munitions et capacités de leurs drones, pour frapper l’adversaire.

En effet, les systèmes d’armes sont désormais à ce point efficaces et précis, et les moyens de communication performants et réactifs, qu’exposer un avion de combat de 100 m€ ou un char lourd de 20 m€, ainsi que leurs précieux et rares équipages, ne peut se faire que parcimonieusement, avec un temps d’exposition le plus réduit possible.

Quelle influence sur les nouveaux chars de combat ?

Si la révolution drone et robotique s’était déjà invitée depuis plusieurs années dans la conception des systèmes de combat aériens de nouvelle génération, et dans la guerre navale, son intégration aux véhicules blindés, et notamment aux chars de combat, était en revanche plus timide (en dehors des systèmes de chargement automatique en Russie, France ou encore Corée du Sud).

M1A2 Abrams
Au fil des années et des évolutions, le M1 Abrams américain a connu de nombreuses évolutions, ayant chacune laissé des marques sur son toit, et sur la balance.

Toutefois, il semble que les nouveaux programmes en cours de développement, comme le toujours mystérieux Leopard 2AX en Allemagne, et surtout le M1E3 Abrams récemment dévoilé par l’US Army, semblent précisément tournés vers celle-ci.

Ainsi, à l’occasion de la Defense Warfighter Conference, le général de brigade Geoffrey Norman, directeur de la Next-Generation Combat Vehicle Cross Functional Team de l’US Army, a donné des précisions sur le nouveau char à l’étude, dont l’existence fut dévoilée il y a tout juste une semaine.

Comme anticipé, le nouveau char sera conçu sur la base des avancées développées dans le cadre de la version SEPv4 du M1A2 Abrams, finalement annulée au profit du nouveau programme.

Il intégrera de fait de nouveaux équipements de vetronique, comme un système infrarouge de nouvelle génération 3GEN FLIR, un détecteur de menace laser, un système de gestion thermique et d’autres nouvelles capacités.

En revanche, celui-ci sera entièrement repensé pour absorber les enseignements de la guerre en Ukraine, et intégrer la révolution robotique en cours. Il disposera de cette manière d’un système de protection actif passif, soft et hard-kill intégré nativement, et non ajouté comme c’est le cas du Trophy sur le M1A2 SEPv3.

AbramsX de GDLS
Le démonstrateur AbramsX de GDLS a été présenté au salon AUSA de 2022. Il préfigure probablement le M1E3, qui en reprend les principales caractéristiques.

Son équipage sera, lui, ramené à trois membres, avec la suppression du poste de chargeur, et l’intégration d’un système de chargement automatique du canon principal.

Surtout, le char sera considérablement allégé, de sorte à en réduire l’empreinte logistique et doté d’une propulsion hybride, tant pour réduire sa consommation que pour en améliorer au besoin la furtivité.

Si la masse au combat du M1E3 n’est pas encore révélée, le General Norman a toutefois précisé qu’il s’agissait notamment de lui permettre d’employer certaines infrastructures de transport civiles, comme les ponts, aujourd’hui interdits au M1A2 et à ses 73 tonnes.

Abrams M1E3, Leopard 2AX : Pourquoi l’option du reboot générationnel a beaucoup d’intérêt ?

Il est toutefois intéressant de remarquer qu’à l’instar du Leopard 2AX allemand, l’US Army privilégie dans ce programme une évolution de l’Abrams, même si celle-ci est radicale, au développement d’un nouveau char, comme envisagé par le désormais moribond MGCS franco-allemand. Ce choix s’explique par plusieurs facteurs concomitants.

La pression du calendrier géopolitique et commercial

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L’ONU veut réguler l’intelligence artificielle militaire mais se heurte au principe de réalité concurrentielle

L’ONU veut réguler l’intelligence artificielle militaire mais se heurte au principe de réalité concurrentielle

 

par Thierry Berthier – revue Conflits – publié le 13 août 2023

https://www.revueconflits.com/lonu-veut-reguler-lintelligence-artificielle-militaire-mais-se-heurte-au-principe-de-realite-concurrentielle/


L’ONU a exprimé son désir de bannir l’usage de l’IA dans les armes de guerre autonomes à l’horizon 2026 et de réguler l’IA militaire à l’échelle mondiale. Antonio Guterres s’est dit favorable à la création d’un conseil spécifique à l’IA, ayant pour objectif d’aider à réguler, gérer l’usage de l’IA militaire et règlementer ses dérives potentielles.

La première réunion du conseil de sécurité de l’ONU dédiée à l’Intelligence Artificielle (IA) a eu lieu le 18 juillet 2023. Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres a souligné les progrès spectaculaires de l’intelligence artificielle et de ses applications potentielles au bénéfice du développement commun, du recul de la pauvreté, de l’éducation, de l’industrie, de l’agriculture et de la résolution des grands problèmes environnementaux.

Il a également exprimé son désir de bannir l’usage de l’IA dans les armes de guerre autonomes à l’horizon 2026 et de réguler l’IA militaire à l’échelle mondiale. Selon lui, « l’utilisation malveillante de systèmes d’IA à des fins terroristes criminelles ou étatiques pourrait entrainer un nombre effroyable de morts et de destructions, des traumatismes généralisés et des dommages psychologiques profonds à une échelle inimaginable ». Ce constat posé, Antonio Guterres s’est dit favorable à la création d’un conseil spécifique à l’IA, ayant pour objectif d’aider à réguler, gérer l’usage de l’IA militaire et règlementer ses dérives potentielles.

La réunion dirigée par Antonio Guterres a donné lieu aux premières recommandations exprimées par certains membres de l’ONU montrant une volonté forte de régulation et d’interdiction future des systèmes armés autonomes.

Il faut tout d’abord saluer l’initiative du Conseil de Sécurité et l’organisation de cette réunion inaugurale car les révolutions IA-robotique vont transformer en profondeur l’ensemble des activités humaines. Il est donc important que les grandes puissances et les puissances secondaires puissent échanger librement au sein de l’ONU, et débattre sur les enjeux et les défis de l’IA.

Le volet militaire de l’IA nous fait a priori passer du « côté obscur de la Force ». La réunion dirigée par Antonio Guterres a donné lieu aux premières recommandations exprimées par certains membres de l’ONU montrant une volonté forte de régulation et d’interdiction future des systèmes armés autonomes. Les trois premières puissances militaires (USA, Chine et Russie) ont indiqué, l’une après l’autre, qu’elles se réservaient le droit de développer des systèmes d’armes intégrant de l’IA tout en précisant que ces systèmes devaient rester sous le contrôle humain. Derrière ces premières déclarations, Il faut comprendre qu’aucune de ces trois puissances dominantes n’a l’intention de signer un texte limitant l’usage de l’IA militaire ni de freiner ses investissements massifs (en dizaines de milliards de dollars) réalisés au titre de la recherche et du développement.

1 – Les quatre principes de réalité systémique de l’IA

Concrètement, la déclaration du Secrétaire Général de l’ONU sur l’IA militaire se heurte à quatre grands principes de réalité systémique associés à la diffusion et à l’usage du progrès technologique au bénéfice des activités humaines, civiles et militaires :

Principe n°1 : Le principe du sens unique temporel ou de non-retour en arrière face à une avancée technologique majeure, accessible, impactante et à fort pouvoir libérateur.

Principe n°2 : Le principe de diffusion maximale d’une technologie duale (ayant des applications à la fois civiles et militaires) ;

Principe n°3 : Le principe d’appropriation maximale des technologies efficaces dans un contexte de compétition mondiale et de concurrences géopolitiques.

Principe n°4 : Le principe d’emploi maximal de technologies apportant un avantage tactique ou stratégique sur un adversaire en contexte de guerre ou de guerre froide.

2 – L’intelligence artificielle comme moteur de la haute intensité du combat

Les applications militaires de l’intelligence artificielle s’inscrivent dans toute la largeur du spectre opérationnel et renforcent les dynamiques de haute intensité au combat

  • Renseignement : collecte, traitement et analyse automatique des données, images satellitaires, imagerie drones, analyse de documents, traduction automatique, localisation, contextualisation à partir d’images, veille documentaire.
  • Logistique : préparation de missions, OPEX, aide au dimensionnement du dispositif, préparation du soutien, optimisation des approvisionnements (carburants, vivres, eau, munitions).
  • Simulation : simulation de déploiement, wargame, test d’hypothèses et de capacités, simulation de déploiement d’unités robotisées, entrainement des troupes au combat, entrainement sur de nouveaux systèmes d’armes.
  • Conduite des opérations, IA C2 : Aide à la décision pour les centres de commandement et contrôle (IA C2), reporting, tests et validation d’hypothèses de manœuvres, tests d’impact et d’attrition au regard de l’intensité du combat
  • Systèmes robotisés armés : Augmentation du niveau d’autonomie des systèmes, escadrilles et essaims de drones aéroterrestres, marins, sous-marins. Systèmes et boucliers anti-missiles autonomes, systèmes radars intelligents, Lutte Anti-Drones par essaims de drones anti-drones, Niveaux d’autonomie L0,L1,…L5
  • Cybersécurité et cyberdéfense : Emploi de l’IA pour sécuriser les applications, systèmes d’information et systèmes d’armes, SIEM UEBA (User and Entity Behavior Analytics (UEBA) and Security Information and Event Management (SIEM)), détection et remédiation automatique des attaques, maitrise du risque cyber. Opérations cyber offensives soutenues par l’IA.
  • PsyOps, opérations cognitives, ingérence et contre-ingérence : détection et remédiation des opérations d’influence, de fracturation des opinions, d’atteinte à l’image, de campagnes de FakeNews produites à partir des réseaux sociaux (fermes de bots), production d’ADFI (Architectures de Données Fictives Immersives) utilisées pour tromper ou influencer une cible.

3 – Les grands défis de l’IA militaire

La robotisation du champ de bataille, la préservation du sang du soldat humain, la réduction temporelle des toutes les étapes de la boucle OODA [O – Observe (observer), O – Orient (orienter), D – Decide (décider), A – Act (agir)], et la recherche de haute intensité au combat sont des objectifs prioritaires pour toutes les armées du monde. Chacun de ces objectifs s’appuie sur les progrès des sciences et technologies, en particulier sur ceux de l’intelligence artificielle qui apporte l’autonomie, la précision et la vitesse de réaction dans les systèmes. Si les défis de l’IA militaire sont multiples, deux d’entre eux apparaissent désormais comme prioritaires en retour d’expérience notamment de la guerre russo-ukrainienne :

Défi n°1 – l’IA-C2 (Command & Control) : l’IA intégrée au sein du système de commandement permet de prendre en compte l’ensemble des données qui remontent du terrain, du renseignement, des capteurs déployés, des unités à engager ou déjà engagées. L’apport de l’IA réside dans sa capacité à tester des hypothèses de manœuvre, à en mesurer les effets sur l’ennemi et sur ses forces, à évaluer le risque associé à une action militaire. La simulation numérique intégrant de l’apprentissage automatique et de l’apprentissage par renforcement donne la possibilité de jouer une séquence opérationnelle, de modifier ses paramètres, de rejouer la séance et de converger vers une solution optimale pour le chef militaire qui en tient compte dans son arbitrage.

Défi n°2 – l’IA embarquée dans les escadrilles et essaims de robots aéroterrestres : La guerre russo-ukrainienne est une guerre des drones aériens vecteurs d’une très forte attrition sur les chars et blindés des deux belligérants. Les premières escadrilles de munitions téléopérées navales ont été déployées par l’armée ukrainienne contre les navires russes. Des drones kamikazes sont régulièrement utilisés dans la profondeur par les deux armées. Ainsi, la question de la lutte anti-drones (LAD) devient prioritaire tout en restant techniquement complexe. L’avantage restant à l’attaquant, le défi de la LAD repose avant tout sur les capacités de détection, de suivi et de neutralisation des vecteurs ennemis. L’intelligence artificielle apporte des solutions très prometteuses pour contrer l’attaque d’un essaim aérien constitué de plus de 100 drones. La méthode de LAD consiste à mettre en œuvre un essaim de drones aérien « anti-essaim » composé lui aussi de plus de 100 drones « racers » qui vont chacun suivre un vecteur ennemi et le détruire par choc cinétique ou par détonation via une charge embarquée. L’action globale de l’essaim anti-essaim ne peut être dirigée que par l’intelligence artificielle.

Ces deux défis, qui reposent pleinement sur les progrès de l’IA, font l’objet d’investissements en R&D très conséquents (plusieurs dizaines de Milliards de dollars) en Chine et aux États-Unis. La course à la haute intensité et aux missiles hypersoniques repose elle aussi sur les apports de l’IA militaire. On comprend facilement que ni la Chine ni les Etats-Unis n’accepteront de limiter ou de renoncer à la course à « l’IArmement » si déterminant dans la recherche de puissance et d’ascendant sur l’ennemi. Le Secrétaire Général de l’ONU mesure parfaitement l’importance des enjeux géopolitiques qui accompagnent le développement de la robotique militaire. Il aura par contre toutes les difficultés à obtenir un moratoire ou un encadrement sur ce type d’armes.

Pourquoi le Rafale F5 sera plus attractif que le F-35 en 2030 et au delà ? Partie 2/2

Pourquoi le Rafale F5 sera plus attractif que le F-35 en 2030 et au delà ? Partie 2/2


 

Depuis près de deux décennies maintenant, les compétitions internationales entre le chasseur Rafale du français Dassault Aviation, et le F-35 de l’américain Lockheed-Martin, ont systématiquement tourné à la faveur de ce dernier, au point que l’appareil américain devient aujourd’hui un véritable standard pour les forces aériennes européennes, au grand damn des avionneurs du vieux continent.

Mais la nouvelle version du Rafale, désignée F5, qui doit entrer en service à partir de 2030, pourrait bien profondément changer le rapport de force opérationnel et commercial entre ces deux appareils pour les années et décennies à venir. Dans la première partie de cet article, nous avons étudié deux critères de cette évolution, la transformation du Rafale en Système de combat aérien avec la version F5 d’une part, et l’arrivée des drones de combat Neuron et Remote Carrier de l’autre, venant gommer les atouts du F-35A tout en exacerbant ceux du chasseur français.

Rafale Francais et F35A Americain au point dattente Aviation de chasse | Analyses Défense | Armes nucléaires

Dans cette seconde partie, nous aborderons 3 autres domaines majeurs venant infléchir ce rapport de force : les nouvelles capacités et les nouvelles munitions du Rafale F5; l’apparition du Club Rafale et l’émergence d’une nouvelle stratégie commerciale et industrielle française, et enfin l’influence de la hausse des couts de possession du F-35 sur les compétions à venir.

3- Les nouvelles capacités et de nouvelles munitions du Rafale F5

Outre les drones eux-mêmes, le Rafale F5 sera doté de nouvelles munitions et de nouvelles capacités, qui lui permettront de combler certaines faiblesses relatives vis-à-vis du F-35. C’est notamment le cas dans le domaine de la suppression des défenses anti-aériennes adverses, à laquelle il est commun de faire référence par l’acronyme SEAD qui, comme nous nous en étions plusieurs fois fait l’écho depuis 2018, représentait un manque important dans la panoplie opérationnelle du Rafale jusqu’ici.

Si la composition de cette capacité dont sera doté le Rafale F5 n’a pas encore été officiellement présentée, on peut supposer qu’elle reposera sur l’utilisation conjointe de brouilleurs radar venant s’ajouter aux systèmes d’autodéfense de l’appareil, pour lui donner la possibilité d’englober d’autres appareils dans sa bulle de protection, ainsi qu’une ou plusieurs munitions anti-radiations, conçues pour remonter le faisceau radar de l’adversaire pour venir le détruire.

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Le FMC doit remplacer le missile croisière SCALP qui équipe les Rafale de l’Armée de l’Air et de l’espace et de l’Aéronautique navale aujourd’hui

Le Rafale F5 sera également conçu pour mettre en oeuvre les nouveaux missiles franco-britanniques FMC (Futur Missile de Croisière) et FMAN (Futur Missile Anti-Navire) qui devront respectivement remplacer les missiles de croisière SCALP/Storm Shadow d’une part, et AM39 Exocet de l’autre.

Ces deux munitions de précision à longue portée en cours de conception, seront dotées de caractéristiques évoluées, comme la furtivité ou une vitesse hypersonique, pour défier les systèmes de défense anti-aériens modernes comme des systèmes de brouillage et de leurrage, et conféreront à l’appareil des capacités de frappe à longue distance très avancées dans les décennies à venir.

L’appareil se verra également doté d’un pod fusionnant les capacités des nacelles de désignation de cible Talios et de la nacelle de reconnaissance RECO NG en un unique équipement, conférant au chasseur une vision tactique air-sol, air-surface et même air-air d’une grande précision, et ainsi de multiples options opérationnelles tout en restant en mode non-émitif.

Enfin, le Rafale F5 sera conçu pour mettre en œuvre le nouveau missile de croisière hypersonique ASN4G à charge nucléaire, qui doit remplacer l’ASMPA au sein des deux escadrons de l’Armée de l’Air et de l’Espace et des flottilles de la Marine nationale formant la composante aérienne de la dissuasion française. Toutefois, cette capacité, bien que critique pour la défense française, n’aura probablement que très peu d’influence sur le marché international.

BAT 120LG Aviation de chasse | Analyses Défense | Armes nucléaires
La BAT-120LG est une bombe légère planante de précision adaptée aux théâtres de moindre intensité pour éviter les dégâts collatéraux, mais également aux engagements de haute intensité pour saturer les défenses adverses

D’autres munitions et capacités pourraient être intégrées au Rafale F5 d’ici 2030. On pense notamment à des munitions air-sol de précision légères comme la BAT-120 LG de Thales, ainsi que des munitions rôdeuses à moyenne portée, d’autant que ces armes légères trouveraient naturellement leur place à bord des drones de combat épaulant l’appareil, y compris des Remote Carrier. En outre, il bénéficiera de l’arsenal actuel du Rafale F4, à savoir les missiles air-air Meteor et MICA NG, ou encore des bombes planantes propulsées ASSM particulièrement efficaces.

Dès lors, en 2030, le Rafale F5 disposera d’une panoplie opérationnelle globale et très moderne, parfaitement à niveau voire supérieure en certains points de celle proposée par le F-35, privant ce dernier d’un des atouts clés sur lequel il battit son succès commercial.

4- La révolution du Club Rafale


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Pourquoi le Rafale F5 sera plus attractif que le F-35 en 2030 et au-delà ? Partie 1/2

Pourquoi le Rafale F5 sera plus attractif que le F-35 en 2030 et au-delà ? Partie 1/2


L’arrivée du standard Rafale F5 pour 2030, comme annoncé par le Ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans le cadre de la LPM 2024-2030,va non seulement doter le chasseur de Dassault Aviation de nouvelles capacités, elle pourrait également profondément transformer le marché des avions de combat, y compris face à un Lockheed-Martin F-35 qui semble intouchable aujourd’hui.

Après presque une décennie de vaches maigres et de doutes, entre 2005 et 2015, le Rafale s’est imposé comme un des plus importants succès de l’industrie de défense française en matière d’exportation, alors que le nouveau standard Rafale F5 arrivera en 2030.

En effet, depuis la première commande de 24 Rafale F3 par l’Égypte en février 2015, le chasseur français a aligné les succès, au Qatar et Inde dans un premier temps, puis en Grèce, en Croatie, en Indonésie et bien évidemment aux Émirats Arabes Unis, les 80 Rafale F4 commandés par Abu Dhabi pour 14 Md€ étant le plus important contrat à l’exportation jamais signé par la BITD française.

De fait, avec 284 livrés, commandés ou sous engagement pour l’exportation d’une part, et 225 chasseurs devant armer à terme les forces aériennes françaises de l’Armée de l’Air et de l’Espace et de l’aéronautique Navale, le Rafale est aujourd’hui un succès colossal pour Dassault Aviation et l’ensemble de la team Rafale, ce d’autant que d’autres contrats à l’exportation sont attendus dans les mois à venir, peut-être avec des annonces lors du prochain salon du Bourget.

Il faut dire que le Rafale ne manque pas d’arguments à faire valoir. Très équilibré, offrant une polyvalence rare, et des performances aéronautiques appréciées, l’appareil dispose également d’une électronique embarquée moderne et performante, et d’un ensemble de munitions et autres systèmes embarqués en faisant l’un des meilleurs chasseurs du moment, et ce, dans tous les domaines.

Le Rafale F5 pourrait venir mettre à mal la position hégémonique du F-35
Le F-35 s’est imposé comme le standard de fait de l’OTAN, aussi bien au sein des forces aériennes américaines qu’Européennes.

En dépit de ces atouts indiscutables, le Rafale n’est jamais parvenu à s’imposer face au F-35A de l’Américain Lockheed-Martin, que ce soit lors des compétitions européennes (Pays-Bas, Suisse, Finlande, Belgique …) ou asiatiques (Corée du Sud, Singapour).

Il faut dire que le Lightning II dispose de nombreux arguments à faire valoir au-delà du seul soutien du Pentagone et du Département d’État américain, arguments suffisamment différenciés pour justifier, au moins du point de vue du discours, d’une génération d’écart avec ses principaux concurrents européens comme le Gripen E/F suédois, le Typhoon et le Rafale français.

Et de fait, le F-35A (et parfois B) s’est systématiquement imposé partout où l’appareil était proposé, et est même au cœur d’une certaine rupture de ban de la part d’alliés des États-Unis s’étant vus refuser l’appareil, comme l’Arabie Saoudite et la Thaïlande.

Mais les choses pourraient bien changer dans les années, voire dans les mois à venir. En effet, à l’occasion des débats parlementaires autour de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, le Ministère des Armées a tracé une trajectoire pour l’avion français très ambitieuse, parfois même révolutionnaire vis-à-vis des us français ces dernières années, et susceptible de profondément faire évoluer le positionnement relatif du Rafale sur la scène internationale, en particulier face au F-35 américain.

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La Loi de Programmation militaire a été votée par l’Assemblée Nationale par 408 voix contre 87

De fait, d’ici, le Rafale F5, épaulé de drones Neuron et évoluant dans un techno-système international articulé autour du « Club Rafale », aura 5 atouts à mettre en avant pour s’imposer face au chasseur de Lockheed, étudiés dans cet article en deux parties.

1- Le Rafale F5 sera-t-il premier Système de Combat aérien opérationnel sur le marché international ?

Jusqu’à l’arrivée des commandes de vol électriques, la mission principale du pilote était de piloter l’appareil, c’est-à-dire de le garder dans son domaine de vol, tout en effectuant les tâches et remplissant au mieux les missions confiées. Avec l’arrivée des commandes de vol électrique, avec le F-16 ou le Mirage 2000, le pilotage fut confié à l’appareil lui-même, le pilote (ou l’équipage) étant alors en charge de la trajectoire, du combat et de la conduite de mission au sens plus étendu.

Avec la modernisation des systèmes embarqués, de plus en plus de tâches ont été confiées à l’avion lui-même. De fait, à bord d’un Rafale F3R, le pilotage et le contrôle de la trajectoire de vol ne représentent qu’une infime partie de la charge de travail dans le cockpit.

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Le cockpit full glass du F-35 contribue à donner à l’appareil une stature futuriste très séduisante pour les décideurs occidentaux

C’est dans ce domaine que le F-35 dispose d’un des arguments contre les Rafale, Typhoon ou Gripen aujourd’hui. En effet, l’avion Lockheed-Martin prend non seulement en charge le pilotage, mais aussi une grande partie de la mission de combat, le pilote ayant pour fonction de déterminer la meilleure conduite à tenir pour mener la mission et répondre à l’environnement.

De fait, l’efficacité du F-35 dépend beaucoup moins de l’aguerrissement de l’équipage que pour les autres appareils, ce qui est censé simplifier les procédures et même les exigences de recrutement, formation et entrainement des équipages, tout en améliorant les capacités opérationnelles finales. Cet argument a notamment fait mouche en Suisse, un pays dont la Défense fait face à d’importantes difficultés pour maintenir le niveau d’entrainement de ses équipages.

Le Rafale F5, lui, évoluera à un tout autre niveau. En effet, il sera, à l’instar du programme SCAF rassemblant l’Allemagne, l’Espagne et la France, un Système de Combat Aérien, basé sur un système de systèmes, et non un avion de combat faisant office de vecteur principal de ses moyens mis en œuvre, comme c’est encore le cas du Rafale F4.

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Le programme SCAF européen devait être le premier système de combat aérien de 6ᵉ génération sur le vieux continent. Il se pourrait que le Rafale F5 lui vole ce titre.

Pour y parvenir, le Rafale F5 va être doté de drones de combat intégrés à son propre système, Neuron et Remote Carrier, chaque drone ayant un niveau d’autonomie comparable à celui du F35 aujourd’hui, et contrôlé par le Rafale lui-même, l’équipage ayant pour fonction de coordonner et optimiser l’efficacité de ce système de systèmes.

De fait, si le F-35A est, pour ainsi dire, l’archétype de ladite 5ᵉ génération d’avion de combat, le Rafale F5 sera l’un des premiers représentant de la 6ᵉ génération, qui se caractérise précisément par cette nouvelle architecture.

Et si l’US Air Force a effectivement annoncé qu’elle entendait doter 300 de ses F-35A de drones de combat, à l’instar du Rafale F5 épaulé du Neuron et des Remote Carrier, tout indique à ce jour que ces drones de type Loyal Wingam attachés au programme NGAD, ne seront pas, au moins pour un temps, proposés sur la scène internationale.

Même si le F-35 venait à se voir doter de drones de type Loyal Wingman, ses avantages relatifs liés à la 5ᵉ génération, comme la furtivité et la fusion de données, auront été gommés ou amoindris dans l’effort pour intégrer la 6ᵉ génération, alors que le Rafale, lui, pourra s’appuyer sur des exigences beaucoup plus caractéristiques de cette nouvelle génération, notamment en termes de capacité d’emport et d’autonomie.

2- Neuron, Remote Carrier : une gamme complète de drones de combat et d’appui

Car le Rafale F5 ne sera pas qu’un avion, mais en techno-système opérationnel étendu et complet, s’appuyant notamment sur deux types de drones de combat, voire trois en y intégrant le RPAS Mâle européen. Ainsi, dans un amendement présenté lors du vote de la LPM 2024-2030, le Ministère des Armées a précisé que conjointement au Rafale F5 serait développé un drone de combat dérivé du programme de démonstrateur Neuron. Il s’agira, de toute évidence, d’un effort visant à développer un drone ailier, à l’instar de ceux développés aux États-Unis dans le cadre du programme NGAD, en Australie avec le MQ-29 Ghost Bat ou en Russie avec le S-70 Okhotnik-B.

Conçu pour être particulièrement furtif tant sur le spectre électromagnétique qu’infrarouge, le Neuron représente en effet une base de travail particulièrement adaptée pour développer un drone de combat ailier capable d’accompagner et d’étendre les capacités opérationnelles du chasseur, en transportant et mettant en œuvre ses propres senseurs (radar, infrarouge, optronique…) ainsi que ses propres munitions, le démonstrateur disposant à ce titre d’une soute à munition capable d’accueillir 2 bombes de 250 kg.

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Dassault va developper un drone de combat dérivé du Neuron pour assurer la fonction d’ailier des Rafale F5

Il est probable que le drone de combat qui sera développé d’ici à 2030, sera relativement différent du démonstrateur Neuron, notamment pour pouvoir accueillir et mettre en œuvre des senseurs et armements plus étendus, mais également pour s’intégrer pleinement et efficacement au système de systèmes du Rafale F5.

On ignore à ce jour si le drone résultant sera développé pour pouvoir être mis en œuvre à bord du PAN Charles de Gaulle et de son successeur, ce qui représenterait un avantage significatif, surtout si, comme le Rafale, le drone est capable d’employer un Skijump.

Si le développement du « Neuron » interviendra dans le cadre du Rafale F5, les industriels français, notamment MBDA, sont également engagés dans le développement d’une autre famille de drones de combat, en l’occurrence les Remote Carrier du programme SCAF.

La version lourde de cette famille de drones de combat aéroportés est développée par Airbus DS. La version légère, pouvant être mise en œuvre à partir d’un chasseur et non d’un appareil lourd de type A400M, est, quant à elle, développée par MBDA France, et trouvera toute sa place au sein du Système de Combat Aérien Rafale, qui mériterait probablement de s’appeler SCAR plutôt que Rafale F5 pour en marquer le caractère disruptif.

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Les Remote Carrier du programme SCAF sont, eux aussi, supposés entrer en service en 2030, et pourraient donc très probablement s’inviter bientôt à bord du Rafale F5

Or, selon les informations distillées jusqu’à présent au sujet du pilier Remote Carrier du programme SCAF, les premiers RC devaient justement entrer en service, tant à bord et au profit des Rafale français que des Typhoon allemands et espagnols, au début des années 2030, c’est-à-dire sur la même échéance que celle annoncée par le Ministère pour le Rafale F5 et le Neuron.

En disposant simultanément d’un drone de type Loyal Wingman, très furtif et potentiellement embarqué, ainsi que de drones de combat légers de type Remote Carrier, le Rafale F5 proposera alors un environnement opérationnel et technologique entièrement renouvelé et probablement unique sur la scène internationale.

Fin de la première partie –

L’armée de Terre se fait déjà la main sur les munitions téléopérées

L’armée de Terre se fait déjà la main sur les munitions téléopérées

– Forces opérations Blog – publié le

L’armée de Terre a tiré sa première munition téléopérée cet après-midi, à l’occasion de sa 2e journée de la robotique et en présence de son chef d’état-major, le général Pierre Schill. Une munition inerte et d’origine étrangère, mais qui symbolise l’inflexion capacitaire inscrite dans la prochaine loi de programmation militaire. 

C’était sans doute le point d’orgue d’une démonstration menée de main de maître par la section exploratoire Vulcain, en pointe depuis 2021 sur les questions de robotisation de l’armée de Terre : la destruction d’un point d’appui ennemi par une munition téléopérée FireFly acquise auprès de l’entreprise israélienne Rafael. Et si l’explosion était factice pour d’évidentes questions de sécurité, la séquence n’en reste pas moins une première en France. 

Cette démonstration pionnière, c’est le fruit d’une réflexion engagée il y a plus de deux ans au sein de la Section technique de l’armée de Terre (STAT). Dès fin 2020, celle-ci cherche à progresser sur une capacité absente du portfolio français et encore très peu développée en Europe. Lancé sur fond de conflit au Haut-Karabagh, le projet aura pris du temps pour se concrétiser. 

Convaincre n’est pas toujours chose aisée et l’arrivée annoncée d’une seconde version aura encore un peu repoussé l’échéance, mais deux systèmes à trois munitions sont finalement acquis et livrés début 2022. Juste à temps pour former deux opérateurs en Israël au cours de l’été, puis de réaliser une série d’entraînements en France afin d’être à l’heure pour cette journée dédiée à la robotique. 

Le FireFly emporte une charge de 420 grammes d’explosif, l’équivalent de deux grenades défensives. C’est peu mais suffisant pour neutraliser un véhicule non protégé ou un petit groupe de combattants éventuellement retranchés dans un bâtiment. Pulvérisé, le système porteur ajoute son lot de « shrapnels ». L’opérateur conserve la main tout au long de la manœuvre. Une fois la charge armée électroniquement, le processus devient par contre irrémédiable. Faute d’objectif ou en cas d’annulation, la munition doit donc être « sacrifiée ». 

Au centre, la munition FireFly tirée aujourd’hui au camp de Beynes, dans les Yvelines. Bien que seulement endommagée par l’impact, son électronique embarquée est automatiquement « grillée » pour éviter toute récupération

L’autonomie atteint les 15 minutes, la portée 1 km en milieu ouvert et jusqu’à 500 mètres en environnement urbain. « Très facile à prendre en main et intuitif », le système est piloté à partir d’une tablette durcie embarquant aussi une quinzaine de scénarios d’exercice de simulation. 

Les essais vont se poursuivre, toujours sous la houlette du groupement innovation de la STAT. Celui-ci n’exclut pas de se rapprocher de certains régiments pour plancher conjointement sur l’emploi de cet armement. De quoi continuer à défricher le sujet, poser des jalons et emmagasiner de l’expérience en attendant la concrétisation du projet Colibri, dont les premières démonstrations sont attendues d’ici au printemps 2024. 

Le CEMAT l’a encore répété aujourd’hui en marge de la démonstration, les munitions téléopérées (MTO) entreront rapidement dans l’arsenal de l’armée de Terre, d’abord via des solutions disponibles sur étagère puis par la construction d’une filière souveraine. Environ 300 M€ seront investis dans ce but sur la période 2024-2030, notamment pour permettre l’acquisition de 2000 MTO en plusieurs versions au profit des régiments de mêlée et d’artillerie.

Colonel D. Schuster : « La robotique est une évolution et pas une révolution »

Colonel D. Schuster : « La robotique est une évolution et pas une révolution »

Officier référent robotique au sein de l’état-major de l’armée de Terre, le colonel Schuster revient sur les évolutions et ambitions dans ce domaine, sur fond d’actualité.

 

par IHEDN – publié le 4 mai 2023

https://ihedn.fr/2023/05/04/colonel-d-schuster-la-robotique-est-une-evolution-et-pas-une-revolution/


Que change pour l’instant la robotique dans « le champ de bataille » ? Et dans un futur proche ? Quelles ambitions ?

 La robotique apporte trois nouveautés importantes sur le champ de bataille. Premièrement, la substitution : la robotique peut se substituer à l’humain pour certaines tâches de la mission. Il ne s’agit pas de remplacer l’homme, mais de le décharger de certaines tâches répétitives, dangereuses ou pour lesquelles les robots sont plus performants. Cette approche est fondamentale pour trouver la meilleure synergie entre homme et systèmes automatisés. L’un des fantasmes liés à la robotisation du champ de bataille, c’est la déshumanisation ou la guerre par procuration. Ce ne sont pas les directions vers lesquelles l’armée de Terre s’engage. Deuxièmement, l’augmentation de la profondeur de délivrance des effets : les systèmes automatisés vont permettre de réaliser des effets de plus longue portée et durée. En ce sens, ils vont changer les « métriques » du champ de bataille. A l’avenir, un groupe de combat « robotisé » pourra délivrer les effets réalisés à l’heure actuelle par une section. Enfin, les phénomènes de saturations : les systèmes automatisés sont porteurs de « masse » et de « nombre » sur le champ de bataille. Ils permettent ainsi de travailler les phénomènes de saturation en utilisant éventuellement des systèmes sacrifiables. L’ambition portée par le projet Vulcain est que l’armée de Terre dispose et maîtrise des systèmes automatisés choisis pour conserver sa supériorité opérationnelle sur le champ de bataille. 

Comment la démarche Vulcain structure-t-elle le développement des systèmes automatisés ?

La démarche Vulcain structure le développement des systèmes automatisés en privilégiant une approche opérationnelle et pragmatique de la robotique. Le mot d’ordre est : nous pouvons tout robotiser, mais de quoi avons-nous réellement besoin ? La France dispose d’un outil de défense très complet. Il s’agit donc de voir si les apports de la robotique remettent en cause certains de nos systèmes actuels ou viennent les compléter. La réponse est claire : à l’heure actuelle, la robotique est une évolution et pas une révolution. Néanmoins, cette évolution est majeure. Le projet Vulcain nous permet, avec la direction générale de l’armement (DGA), l’agence de l’innovation de la défense (AID), le Battle Lab Terre (BLT) et sa section exploratoire robotique d’explorer le champ des possibles. Nous identifions des pistes prometteuses qui nous permettent également d’écarter les “fausses bonnes idées“. Le projet Vulcain, c’est tester, accepter de se tromper pour pouvoir finalement mieux choisir. 

Quels enseignements opérationnels peut-on tirer de son utilisation sur les terrains « réels » les plus récents, comme les conflits au Haut Karabagh et en Ukraine ?

Le Haut Karabagh a consacré l’usage des munitions téléopérées. Ce nouveau type d’équipements permet à des pays ne disposant pas nécessairement d’un spectre capacitaire complet (notamment dans la partie aérienne) de bénéficier de certains effets jusqu’ici non accessibles (frappe dans la moyenne portée). Il faut cependant faire attention à ne pas transposer trop brutalement les enseignements d’un conflit contextualisé par les belligérants, à l’armée française. Nous souhaitons néanmoins aujourd’hui doter nos capacités de ce type d’équipements. 

Pour l’Ukraine, le constat “robotique“ est plus mitigé. Si les drones sont employés en masse, c’est principalement en tant que jumelles déportées, pour l’acquisition de renseignement de contact. Il y a peu de systèmes automatisés déployés. Cet enseignement est très important : il ne faut pas oublier que dans un conflit dit symétrique, la masse est importante. Le char de bataille, l’obus et le fantassin restent au cœur de la bataille. Il faut donc réfléchir à la synergie future entre ces acteurs de la guerre et les systèmes automatisés. 

Quelles innovations issues du Battle Lab Terre pourra-t-on voir à l’œuvre lors du challenge CoHoMa II le 10 mai ?

Le 10 mai 2023, le Battle Lab Terre et la section exploratoire robotique présenteront d’un point de vue tactique les évaluations de munitions téléopérées, de drones bombardiers et d’une plateforme terrestre de combat. Il sera également possible de découvrir les systèmes utilisés par les différentes équipes participant au challenge CoHoMa-II qui sont autant de façons de faire face au défi technique et opérationnel de cet exercice. Ces systèmes vont des robots “chiens“, au mini véhicule autonome en passant par des drones intelligents. 

L’armée de Terre va créer des commandements dédiés à la « guerre hybride » et aux « guerres de demain »

L’armée de Terre va créer des commandements dédiés à la « guerre hybride » et aux « guerres de demain »

https://www.opex360.com/2023/02/15/larmee-de-terre-va-creer-des-commandements-dedies-a-la-guerre-hybride-et-aux-guerres-de-demain/


 

Dans le même temps, le format de la Force opérationnelle terrestre [FOT] restera à 77’000 hommes tout en bénéficiant d’un renforcement significatif de l’effectif de la réserve opérationnelle de niveau 1 [RO1]. Et aucune réduction de « cible » concernant le programme SCORPION [Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation] n’est prévue. Enfin, l’accent sera mis sur l’acquisition massive de drones [dont 1’800 munitions téléopérées], la robotisation [avec 300 robots « capables d’évoluer sur le champ de bataille »], les feux dans la profondeur et la défense sol-air.

Lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes de Défense [AJD], le 13 février, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill en a dit un peu plus sur ce qui attend ses troupes. Ainsi, si aucun régiment ne sera dissous [pour le moment, du moins], les unités dites de « mêlée » [arme blindée cavalerie, infanterie] pourraient perdre quelques plumes… au profit des capacités devant faire l’objet d’investissements particuliers, comme le cyber, les transmissions, les drones et l’artillerie de longue portée… sans oublier le soutien et la logistique.

« Nous devons revenir à une cohérence globale de l’armée de Terre », a fait valoir le général Schill, comme le rapporte le quotidien Le Monde. Et d’annoncer que les détails de cette « transformation » seront dévoilés le 4 avril, à l’occasion du « Grand rapport de l’armée de Terre » [GRAT].

Cela étant, les changements annoncés ont d’ores et déjà commencé… En effet, en 2022, plusieurs régiments d’infanterie ont dissous des compagnies de combat qui avaient été créées en 2015, c’est à dire après la décision de porter l’effectif de la FOT de 66’000 à 77’000 soldats.

Et le ministère des Armées avait justifié ce retour à un format à quatre compagnies de combat dans les régiments de mêlée par la nécessité pour l’armée de Terre de s’investir dans de « nouveaux champs de conflictualité » susceptibles de « transformer les menaces liés aux conflits de haute intensité.  »

Une « partie des effectifs récemment attribués à la mêlée a été réorientée pour renforcer les états-majors de régiment et les capacités de numérisation et de simulation, densifier la maintenance aéronautique et terrestre, développer la capacité drone et affecter des moyens à la préparation opérationnelle, à la formation et à l’intégration des effets dans les champs immatériels », avait-il ainsi expliqué, dans une réponse à une question écrite posée par un député.

Quoi qu’il en soit, ces changements vont donc se traduire par une nouvelle organisation de l’armée de Terre, laquelle passera par la création de deux nouveaux commandements, placés sous l’autorité directe du CEMAT.

Ainsi, le « commandement des guerres de demain » aura la tâche de « mettre en cohérence un certain nombre de nouvelles capacités […] aujourd’hui éparpillées au sein des régiments, notamment dans le domaine des feux dans la profondeur, des drones, des munitions téléopérées et de la défense sol-air de courte portée, dont la lutte antidrone », résume Le Monde.

Quant au second, il sera dédié à la « guerre hybride », c’est à dire aux opérations menées « sous le seuil » du conflit ouvert. Il aura notamment à s’occuper des capacités liées au cyber [lutte informatique défensive, lutte informatique offensive et lutte informatique d’influence], lesquels relèvent actuellement du Commandement de la Cyberdéfense [COMCYBER].

« Il y a un réel besoin de rendre l’armée de Terre plus autonome. Elle doit avoir sous son commandement tous les domaines de lutte,
antiaérienne, cyber, informationnelle, frappes dans la profondeur… tout en demeurant interopérable avec les autres armées » car « lorsqu’on sous-traite des actions, on créé des dépendances, ce qui est risqué dans un conflit de haute intensité où on opère toujours sous contrainte des événements et de temps », fait valoir le général Pierre-Joseph Givre, le commandant du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement [CDEC].

Cette recherche d’autonomie vaudra aussi pour les sept brigades de l’armée de Terre, lesquelles devront disposer de capacités leur permettant d’agir avec un minimum d’appuis extérieurs, l’objectif étant d’accroître leur réactivité.