À l’image, la frégate multi-missions Normandie dans un fjord proche de la ville de Bergen (Norvège) durant l’exercice de lutte anti-sous-marine TG 20.1. Proche de Bergen (Norvège) le 12 février 2020.
Le 3 mars, en Norvège, l’Otan a donné le coup d’envoi de l’exercice Nordic Response qui, avec 20’000 militaires, 100 aéronefs et une cinquantaine de navires, doit permettre de valider ses nouveaux plans de défense face à la Russie dans le Grand Nord. Il vise à démonter que l’Alliance « a clairement la capacité, la volonté et la force de défendre son territoire et son flanc nord », explique en effet l’état-major des forces norvégiennes.
Étant donné la proximité de la Norvège avec le passage dit « GIUK » [Groenland, Royaume-Uni, Islande], crucial pour les lignes d’approvisionnement entre l’Amérique du Nord et l’Europe, les sous-marins russes sont très actifs dans cette région. Aussi, la lutte anti-sous-marine est l’un des volets de Nordic Response.
Dans le cadre de cet exercice, la Marine nationale a déployé un avion de patrouille maritime Atlantique 2, la frégate multimissions [FREMM] Normandie, le sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] « Améthyste » et le chasseur de mines de type tripartite [CMT] Andromède. À noter qu’une section de fusiliers marins du bataillon Destroyat a pris place à bord du navire d’assaut amphibie américain USS Guston Hall.
Si l’on ne connaît pas les modalités exactes de Nordic Response, l’Associated Press a toutefois rapporté qu’un sous-marin allemand de type 212 s’est vu donner le rôle « d’attaquant ». Visiblement, il s’en est très bien acquitté puisqu’il est parvenu à « torpiller » fictivement le porte-avions italien ITS Giuseppe Garibaldi. En revanche, il n’a pas réussi à surprendre la FREMM Normandie, commandée par le capitaine de frégate [CF] Thomas Vuong.
Par souci de réalisme, l’équipage de la frégate française n’avait pas été prévenu de l’attaque que le sous-marin allemand s’apprêtait à lancer. Or, celui-ci, malgré sa discrétion [le Type 212 passe pour être très silencieux…] n’a pas échappé à sa vigilance. « Nous avons repéré son périscope […] puis il a plongé à nouveau », a confié le CF Vuong.
L’hélicoptère embarqué NH-90 Caïman a alors immédiatement décollé afin de localiser précisément le sous-marin de la Deutsche Marine avec son sonar actif basse fréquence FLASH SONICS [Folding Light Acoustic System for Helicopters].
De son côté, la FREMM a également utilisé ses capacités de détection, lesquelles reposent sur un sonar de coque ainsi que sur le système CAPTAS 4, constitué d’un sonar remorqué à immersion variable [VDS] et à très basse fréquence de type UMS-4249 et d’une antenne linéaire munie d’hydrophones.
La combinaison de telles capacités a donc permis de déterminer avec précision la position du sous-marin allemand et… de l’attaquer [fictivement] avec des torpilles MU-90, lancées par la FREMM Normandie.
« La frégate et son hélicoptère ont localisé le sous-marin avec suffisamment de précision pour être sûrs qu’il n’aurait pas survécu si de véritables torpilles avaient été tirées », rapporte l’Associated Press.
Selon le CF Vuong, les sous-mariniers allemands ont une meilleure connaissance des « fjords profonds et étroits » de la Norvège que les marins français. « C’est leur terrain de jeu. Donc ils connaissent les cachettes », a-t-il ajouté.
La lutte anti-sous-marine est sans doute le domaine le plus compliqué du combat naval dans la mesure où elle suppose d’avoir la connaissance la plus fine possible du milieu marin. Celui-ci varie selon plusieurs facteurs, comme la température, la salinité ou encore la topographie du fond des océans, ceux-ci étant constitué de plusieurs couches de masses d’eau dont certaines peuvent être des « cuvettes de non-détection » pour un sous-marin. « Les fjords constituent un environnement particulier, avec un profil de température différent de celui que l’on connaît dans l’Atlantique », a d’ailleurs souligné le « pacha » de la FREMM Normandie.
Depuis que, en août dernier, la Direction générale de l’armement [DGA] a indiqué qu’elle venait de le remettre à la Marine nationale, le « Duguay-Trouin », second sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] de type Barracuda, s’est fait discret. Et pour cause.
En effet, après une brève escale à la base navale de Rota [Espagne], il a rejoint son port d’attache, à Toulon, pour une première « interruption pour entretien », l’objectif étant d’en faire un bâtiment pleinement opérationnel après des essais en mer menés tambour battant durant le premier semestre 2023.
Pour autant, l’admission au service actif du « Duguay-Trouin » devra encore attendre un peu, celle-ci ne devant être prononcée qu’à l’issue de son déploiement de longue durée [DLD], lequel vise, durant plusieurs mois, à vérifier l’ensemble de ses capacités militaires et à l’éprouver dans des conditions différentes [eaux chaudes, eaux froides, etc.].
Bien que rechignant à communiquer sur les mouvements de ses sous-marins nucléaires [et même sur ceux de ses navires engagés en opération], la Marine nationale a tout de même annoncé que le Duguay-Trouin se trouvait actuellement à Fort-de-France [Martinique], justement dans le cadre de son DLD. Il doit y rester jusqu’au 9 mars.
« Il est le deuxième SNA de type Suffren : le Duguay-Trouin est arrivé aujourd’hui [3 mars] à Fort-de-France, première étape de son déploiement pour vérification de ses capacités militaires », a en effet annoncé la Marine nationale, via X [anciennement Twitter].
La présence de ce sous-marin à Fort-de-France exige des mesures strictes de sécurité. La chaîne de télévision locale, ViàATV, précise en effet que « le mouillage de navires, la pêche, la baignade, la plongée sous-marine sont interdits dans un périmètre de 300 mètres autour » du SNA et que la « circulation des camions de transport de gaz sont interdits à proximité » du bâtiment.
L’escale d’un SNA en Martinique est rare : la dernière avait été effectuée par la Perle, en mars 2011.
Si ce DLD se passe mieux que celui du Suffren [une fuite au niveau d’une turbine avait été découverte], alors le Duguay-Trouin ne devrait pas tarder à être admis au service actif. La Marine nationale disposera de deux premières « bêtes de guerre », pour reprendre l’expression utilisée par l’amiral Nicolas Vaujour, son chef d’état-major [CEMM], lors d’une audition parlementaire.
« Le Suffren est une ‘bête de guerre’, dont nous sommes très satisfaits. Le retour d’expérience des Rubis [la classe précédente, ndlr] a permis de réaliser un très bon bateau pour diverses raisons. Il est particulièrement adapté à la lutte contre les sous-marins et il embarque un certain nombre de technologies. Il est notamment équipé d’une barre en X, qui le rend plus manœuvrable. Le MdCN [missile de croisière navale] ajoute une capacité militaire redoutable : il permet au sous-marin de s’approcher d’une côte sans être vu et de porter la frappe souhaitée », s’était enthousiasmé l’amiral Vaujour.
Le Suffren « embarque également un petit sous-marin [le PSM3G, ndlr] permettant de larguer des commandos en mission sans qu’ils ne puissent être détectés. Il s’agit là d’une rupture conceptuelle par rapport à la classe Rubis », avait ajouté le CEMM. Et de conclure : « Peu de nations sont capables de fabriquer un tel objet technologique, objectivement ».
Bretagne : un sous-marin nucléaire à Brest pour 30 mois de maintenance
Le Vigilant est en service depuis novembre 2004.Anton Petrus
Un sous-marin nucléaire va faire l’objet d’une longue maintenance de 30 mois pour assurer sa longévité et prévenir les risques de panne. L’entretien va avoir lieu dans la base navale de Brest.
Le sous-marin nucléaire, baptisé Le Vigilant, a rejoint la base navale de Brest pour un programme d’entretien de 30 mois, rapporte France 3. Le ministère des Armées et Naval Group ont annoncé vendredi que ce chantier viserait à «renouveler le potentiel opérationnel» du sous-marin«pour les dix prochaines années». Il s’agit de l’un des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins français. Cette large opération de maintenance va mobiliser près de 1 000 personnes au plus fort de l’activité. Au total, 4 millions d’heures de travail sont nécessaires.
Cet entretien du Vigilant permet d’effectuer des travaux «de maintenance préventive et corrective» qui concernent «l’énergie» et «la propulsion», mais aussi la sécurité des plongées et le confort de vie à bord. L’appareil va faire l’objet de nombreuses vérifications afin d’assurer son bon fonctionnement et sa longévité.
Assurer la dissuasion nucléaire
Pour les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins français, il s’agit d’un passage obligé. Tous les dix ans, les appareils doivent faire l’objet d’une longue maintenance. Le ministère des Armées et Naval Group évoquent également la nécessité de «conserver durablement la crédibilité technologique nécessaire à la posture de dissuasion nucléaire française».
Les quatre engins dont dispose l’armée française sont basés à l’île Longue, près de Brest, et mesurent près de 138 mètres avec 16 missiles à bord. Le Vigilant, Le Triomphant, Le Téméraire et Le Terrible ont été mis en service entre 1997 et 2010.
Présenté officiellement en mars 2023, le programme SSN-AUKUS, qui vise à équiper la Marine australienne de huit sous-marins nucléaires d’attaque, et à developper une nouvelle classe de SNA conjointement entre la Grande-Bretagne et l’Australie, a fait l’objet de plusieurs interrogations depuis son lancement. Mais, l’analyse publiée par le site australien strategicanalysis.org, pourrait bien poser une question incontournable et pourtant sans réponse satisfaisante, concernant sa soutenabilité industrielle.
Mais, un article publié récemment sur le site Strategic Analysis Australia, pourrait être, quant à lui, plus difficile à ignorer. En effet, l’analyse faite par Michael Shoebridge, montre qu’en l’état des annonces, et des réalités industrielles présentes et à venir, il se pourrait bien que ce programme aboutisse, à terme, à une impasse industrielle, venant affaiblir la posture défensive australienne, à un moment où celle-ci sera le plus nécessaire.
L’article australien construit son analyse sur trois rapports dernièrement publiés ces dernières semaines, deux sont américains, le dernier est britannique.
Le rapport du CBO américain sur la soutenabilité du plan d’équipement de l’US Navy
Le premier de ces rapports a été publié par le Congress Budget Office, ou CBO, un organe indépendant dépendant du Congrès, en charge de l’évaluation des requêtes budgétaires transmises au Parlement américain. Rappelons qu’outre-atlantique, c’est le Congrès, et non l’exécutif, qui a le dernier mot en matière de budget de défense, mais aussi de financement des programmes d’armement réclamés par le Pentagone et l’exécutif.
Le plan d’équipement de l’US Navy, transmis au Congrès dans le cadre de la loi de financement des armées de 2024, repose sur trois options, mais aucune d’elle n’est finançable sans une hausse importante de ses crédits d’équipements.
Ce rapport porte sur l’évaluation du plan, ou plutôt des plans, puisqu’il y en a 3, d’équipements fournis par l’US Navy, dans le cadre de la loi de finance du Pentagone de 2024. Sans entrer dans les détails, celui-ci insiste sur le fait que les trois plans d’équipements produits par l’US Navy, nécessiteraient une hausse considérable du budget d’acquisition de nouveaux navires, sur la base du budget actuellement disponible et planifié, sans qu’aucune solution pour garantir le financement de cette hausse, n’ait été présentée.
Le rapport du CRS américain, sur les possibilités d’évolution de la fabrication de sous-marins nucléaires pour l’US Navy
Le second rapport américain, plus précis sur le sujet des sous-marins nucléaires et de la problématique SSN-AUKUS, a été rédigé par le Congress Research Service, ou CRS, à nouveau un organisme indépendant du Congrès américain, chargé de fournir des conseils sur la législature examinée, en l’occurrence, la loi de financement des armées US pour 2024.
Ce rapport juge comme bien trop ambitieux et optimiste, le plan de l’US Navy qui vise à augmenter de 150 % la production de sous-marins nucléaires d’ici à 2028, comme évoqué, il y a quelques jours, sur notre site. Selon le CRS, l’US Navy a largement sous-évalué les difficultés auxquelles elle sera exposée pour atteindre un tel objectif, qui suppose de passer de la construction de 1,4 sous-marin de la classe Virginia chaque année, à 2 Virginia et un nouveau sous-marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Columbia, d’ici à cinq ans.
Pour pouvoir vendre les trois SNA classe Virginia à l’Australie dans le cadre du programme SSN-AUKUS, les chantiers navals américains vont devoir augmenter leurs cadences de production de plus de 150 %
S’il sera très difficile d’atteindre cet objectif nécessaire pour exécuter le plan de modernisation de l’US Navy face aux Marines chinoise et russe, la production d’un SNA supplémentaire tous les trois ans, exigée par le Congrès pour autoriser la vente de 3 Virginia à la Marine australienne, dans le cadre du programme SSN-AUKUS, semble quant à elle, pratiquement inaccessible.
Le rapport du NAO sur le financement du plan d’acquisition décennal des armées britanniques
Le troisième rapport, venant parfaire ce tableau déjà bien obscurci, émane pour sa part du National Audit Office britannique, ou NAO, et porte sur l’analyse du plan d’acquisition décennal du ministère de la Défense, équivalent de la LPM française, sur la période 2024-2033. À l’instar du rapport américain du CBO, celui du NAO britannique pointe l’inadéquation entre les couts constatés et les budgets planifiés, en particulier concernant deux programmes, celui des sous-marins nucléaires et celui des frégates.
Ainsi, le cout du programme de conception de sous-marins nucléaires, a augmenté de 62 % ces dernières années sur la période concernée, soit une hausse totale de 38 Md£, alors que le programme de frégates Type 26, qui concerne aussi la Royal Australian Navy, a augmenté pour sa part de 41 % et 16 Md£. Ces hausses sont la conséquence de l’inflation récente, mais aussi des évolutions des besoins exprimés par la Marine britannique pour ses futurs navires.
Il va manquer plusieurs dizaines de milliards de Livres Sterling à la Royal Navy pour pouvoir financer ses programmes de sous-marins nucléaires et de frégates d’ici à 2033.
Or, comme dans le cas des plans de l’US Navy, aucun dispositif ou plan susceptible de financer ces surcouts, n’a été présenté à ce jour, laissant donc aux dirigeants des années à venir, la responsabilité de libérer les budgets nécessaires pour y parvenir. Sans être totalement hors de propos, une telle réponse serait, pour ainsi dire, inespérée pour la Royal Navy, surtout que d’autres programmes, tout aussi critiques, comme l’avion de combat Tempest au sein du programme GCAP, vont, eux aussi, réclamer des crédits importants.
De fait, l’hypothèse la plus probable, concernant la conception et la fabrication des SSN-AUKUS qui devront remplacer les Astute de la Royal Navy à partir de 2040, consisterait à un étalement du programme, pour en accroitre la soutenabilité budgétaire. Et c’est bien là que tout le problème réside pour la Royal Australian Navy.
Le rapport bénéfices risques du programme SSN-AUKUS potentiellement très défavorable
En effet, l’action cumulée de ces trois rapports, fait apparaitre un risque que les États-Unis ne soient pas en mesure de livrer les 3 SNA classe Virginia promis à Canberra pour entamer sa transition et faire l’intérim pour remplacer les sous-marins Collins, alors même que l’arrivée des SSN-AUKUS, prévue pour 2040, pourrait être reportée de plusieurs années par Londres, afin de satisfaire aux exigences budgétaires.
En d’autres termes, il se pourrait bien qu’à partir de 2030, la Marine australienne se retrouve sans sous-marin pour protéger ses cotes et sa flotte, sauf à prolonger, une nouvelle fois, des Collins usés jusqu’à l’os et ne représentant plus un adversaire de taille face aux nouveaux sous-marins et navires de lutte ASM chinois, ou à faire l’acquisition, dans l’urgence, d’une solution intérimaire, venant à nouveau alourdir la note déjà considérable pour Canberra de ce programme.
Les risques auxquels le programme SSN-AUKUS expose la Royal Australian Navy, intervient alors que la menace navale chinoise croît très rapidement.
Surtout, cette faiblesse en devenir, interviendrait précisément lorsque les tensions entre la Chine et les États-Unis seront à leur paroxysme, au-delà de 2027, alors que la Marine chinoise disposera de nouvelles capacités faisant, le plus souvent, jeu égal avec les meilleures technologies occidentales du moment.
Bien évidemment, il existe un scénario dans lequel tout pourrait se passer comme prévu, si l’US Navy obtient l’ensemble des financements réclamés de la part de l’exécutif et du congrès américain pour les 20 années à venir, si les chantiers navals américains parviennent effectivement à multiplier par 4 leurs effectifs en seulement sept ans, pour répondre aux ambitions de production, et si Londres venait à apporter son effort de Défense au-delà de 3% de son PIB.
Tout cela, naturellement, si et seulement si, le triptyque USA-UK-Australie évolue avec une parfaite cohésion et une grande stabilité politique et économique pendant, là encore, les 20 années à venir, et même les 30. Reconnaissons que cela fait beaucoup de « si », et que les chances d’y parvenir semblent, aujourd’hui, particulièrement faibles.
Conclusion
La question posée par l’analyse de Michael Shoebridge, est donc de déterminer si le rapport bénéfices risques du programme SSN-AUKUS, demeure suffisant pour justifier sa poursuite, ou s’il est préférable, au contraire, d’y renoncer, tout au moins dans sa forme actuelle, pour prendre une posture plus conservatoire, mais aussi beaucoup plus sûre au regard du développement en cours de la menace.
Pas certain qu’il y ait un responsable politique australien, américain ou britannique, pour poser objectivement la question, face aux enjeux politiques considérables qui entourent ce programme.
Fabrice Wolf
Ancien pilote de l’aéronautique navale française, Fabrice est l’éditeur et le principal auteur du site Meta-defense.fr. Ses domaines de prédilection sont l’aéronautique militaire, l’économie de défense, la guerre aéronavale et sous-marine, et les Akita inu.
Alors que la production de sous-marins nucléaires américaine n’atteint, aujourd’hui, que 1,3 nouveau sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Virginia chaque année, elle devra, d’ici à 2028, produire 2 SSN classe Virginia et un SSBN classe Columbia par an, et même 2,3 Virginia à partir de 2030, pour absorber les livraisons à l’Australie.
L’industrie navale militaire américaine va devoir, dans les 5 ans à venir, multiplier par 2,5 leur production de sous-marins nucléaires, ce qui engendrera une transformation aussi radicale qu’après l’attaque de Pearl Harbor, pour cette fois relever le défi chinois.
Sommaire
Longtemps victime d’un biais technologiste lié à la perception d’une baisse des tensions navales dans le monde, l’US Navy est désormais engagée dans un très important effort de modernisation de sa flotte, pour relever le défi posé par la Marine chinoise et l’industrie navale de l’empire du milieu.
En effet, si l’US Navy demeure aujourd’hui la plus imposante force navale par son tonnage et la puissance de ses navires, la Marine de Pékin croit et se modernise, en nombre comme en tonnage et en capacités opérationnelles, bien plus rapidement que la Marine américaine ne parvient à se moderniser.
SeaWolf, Zumwalt, LCS : ces programmes qui ont sabordé la modernisation de l’US Navy pendant 25 ans
Il faut dire qu’entre les échecs des programmes SSN Sea Wolf, DDG Zumwalt et LCS Independance et Freedom, elle a connu des pertes de potentiel importantes avec, par exemple, le retrait des frégates anti-sous-marines de la classe O.H Perry non compensé par des LCS manquant de performances, et des pertes de volume.
Le programme Zumwalt aura couté plus de 21 Md$ à l’US Navy, pour seulement 3 destroyers, qui doivent encore subir une refonte longue et onéreuse pour remplacer leurs canons de 155 mm par des silos accueillant des missiles hypersoniques LRHW.
D’autre part, ces programmes se sont avérés des d’immenses puits sans fonds budgétaires, ayant chacun couté plus de 20 Md$, soit l’équivalent de 5 sous-marins de la classe Virginia, de 7 destroyers Arleigh Burke, de 15 frégates classe Constellation, et même de presque deux porte-avions de la classe Ford, alors qu’ils n’ont produit que trois sous-marins, trois destroyers et une trentaine de LCS presque inutiles.
De fait, aujourd’hui, l’US Navy doit simultanément absorber les conséquences de ces échecs, renouveler sa flotte, et l’augmenter, pour tenir la ligne face à une Marine chinoise qui accueille chaque année une dizaine de destroyers et frégates, ainsi qu’un à deux grands navires amphibies ou aéronavals, et deux à trois nouveaux sous-marins, il est vrai encore majoritairement à propulsion conventionnelle.
Si, ces dernières années, le Pentagone a obtenu de l’exécutif et du Congrès les crédits nécessaires à cet effort qui n’aura probablement rien à envier à celui entrepris dans les années 80 avec le plan Lehman, du nom du Secrétaire à la Navy de Ronald Reagan, John Lehman qui, en 1982, lança une initiative pour amener l’US Navy à 600 navires pour répondre à la modernisation de la flotte soviétique engagée par l’Amiral Gorshkov dans les années 70.
La production de sous-marins nucléaires pour l’US Navy doit augmenter de 150 % en 5 ans
Pour répondre à ce défi, le Pentagone entend considérablement accroitre la production industrielle navale militaire américaine, en passant de la livraison d’un destroyer classe Arleigh Burke et 2 LCS par an, à celle de plus de deux destroyers Burke et une frégate classe Constellation, des navires autrement plus performants et mieux armés que les LCS dont la production va prochainement cesser.
L’effort le plus important portera, quant à lui, sur le domaine de la production des sous-marins nucléaires américains. En effet, aujourd’hui, l’US Navy reçoit, en moyenne, 1,3 nouveau sous-marin nucléaire d’attaque SSN classe Virginia chaque année, une production pas même suffisante pour remplacer le retrait des SSN classe Los Angeles encore en service.
La production de sous-marins nucléaires d’attaque SSN classe Virginia va passer de 1,3 navire par an aujourd’hui, à 2,3 navires chaque année en 2030, pour remplacer les SSN classe Los Angeles de l’US Navy et amener sa flotte à plus de 60 SSN, ainsi que pour remplacer les 3 navires transférés à l’Australie dans le cadre du programme AUKUS.
2,3 SSN classe Virginia et un SSBN classe Columbia par an
L’objectif de production, annoncé par le Secrétariat à la Navy à l’occasion d’un témoignage écrit pour le Congrès, est d’atteindre, d’ici à 2028, un format désigné « 1+2 », soit 1 nouveau sous-marin nucléaire lanceur d’engin classe Columbia, pour remplacer les 12 SSBN classe Ohio en fin de vie, ainsi que deux sous-marins nucléaires d’attaque SSN classe Virginia, pour remplacer les SSN classe Los Angeles, et étendre la flotte de l’US Navy au-delà de 60 SSN d’ici à 2035, contre 44 aujourd’hui.
À cet objectif déjà ambitieux, le vice-amiral Bill Houston, qui commande la flotte sous-marine américaine, a ajouté la production de 0,33 SSN classe Virginia supplémentaires par an, pour absorber et remplacer les deux navires de cette classe qui seront prélevés sur l’inventaire de l’US Navy en 2032 et 2035 pour être transférés à la Marine australienne dans le cadre du programme AUKUS, ainsi que le troisième SSN classe Virginia, qui sera construit neuf et livré directement à Canberra en 2038, au standard Block VII.
Au total, donc, la production annuelle de sous-marins nucléaires par les chantiers navals américains, doit passer de 1,3 SSN aujourd’hui, à 2,3 SSN et un SSBN d’ici à 2028, une hausse considérable de 150 % en 5 années seulement.
Le défi est d’autant plus important, qu’un SSBN de la classe Columbia, ses 171 m et 21 000 tonnes en plongée, est beaucoup plus imposant et complexe à construire qu’un SSN classe Virginia, long de 140 m et déplaçant 10 200 tonnes en plongée.
Des effectifs industriels multipliés par 5 en seulement 5 ans
De fait, le Secrétariat à la Navy estime qu’il sera nécessaire, pour relever ce défi très ambitieux, de multiplier non par 2,5, mais par 5, les effectifs industriels dédiés à la construction de ces navires, pour atteindre ces objectifs, par ailleurs indispensables pour soutenir la compétition avec Pékin.
Outre la production de sous-marins, les chantiers navals militaires américains vont aussi devoir accroitre leur production en matière de navire de surface, avec les destroyers Arleigh Burke, les frégates Constellation et les futurs DD(x).
Ce besoin en matière de ressources humaines, ainsi que la construction des infrastructures nécessaires avec un possible 3ᵉ grand chantier naval à l’étude, sont aujourd’hui les principaux sujets de préoccupation de l’US Navy et de son Secrétaire, alors que les chantiers navals Huntington Ingalls Industries de Newport, et General Dynamics de Groton, peinent déjà à remplir les équipes à charge pourtant réduite.
Sur des délais aussi court, et pour un volume de progression aussi important, il est, en effet, illusoire de ne s’appuyer que sur des recrutements traditionnels, d’autant que l’industrie navale américaine est aujourd’hui presque exclusivement militaire, et qu’il n’existe donc aucun réservoir civil mobilisable, comme c’était encore le cas au début des années 80.
Il va donc, aux industriels américains, simultanément falloir recruter, ainsi que former et encadrer ce flux de nouveaux personnels, pour répondre à l’augmentation de la production de sous-marins, ainsi que de navires de surface, et se montrer particulièrement attractif, alors que le chômage aux Etats-Unis demeure sous la barre des 4 %.
L’échec n’étant pas envisageable considérant les enjeux sécuritaires qui en dépendent, la construction navale militaire américaine s’apprête à une transformation profonde, proche de celle qu’elle a connue en 1942, pour faire face à la Marine nippone.
Une fois le point d’équilibre atteint, que l’on peut estimer de 2040 à 2045, Washington disposera alors d’une flotte sans équivalent de 80 à 90 sous-marins nucléaires, et d’une centaine de grands navires de surface océaniques, mais aussi, et surtout, d’un potentiel industriel capable, une nouvelle fois, d’alimenter rapidement ses alliés.
Le retour prévisible de l’industrie navale militaire américaine sur le marché mondial
Il faudra donc, aux industriels navals européens, mais aussi japonais ou sud-coréens, se préparer à encaisser le choc du retour d’une industrie navale américaine sur le marché mondial, après l’avoir presque quitté dans les années 90 avec la fin de la production des frégates O.H Perry.
Les frégates anti-sous-marines américaines de la classe O.H Perry ont été exportées vers 10 Marines mondiales pour 42 exemplaires, bien davantage que n’importe lequel des modèles européens.
Lorsque l’on voit à quel point les États-Unis sont parvenus à imposer leur F-35 aujourd’hui, leurs F-16, F-18 avant cela, dans toute la sphère occidentale, on peut se faire une idée des effets qu’un retour américain sur le marché militaire naval mondial, pourront induire lorsque cela se produira.
L’action cumulée de l’arrivée de la Corée du Sud, du Japon et de la Turquie à court termes, le retour de la Chine et la montée en puissance chinoise dans les années à venir, et le spectre du grand retour des États-Unis sur le marché au-delà de 2035, il sera indispensable, aux groupes navals européens, de finement planifier leur propre activité, pour ne pas être emporté par les lames de fonds que se rapprochent rapidement.
Article du 8 novembre en version intégrale jusqu’au 9 décembre 2023
Fabrice Wolf:
Ancien pilote de l’aéronautique navale française, Fabrice est l’éditeur et le principal auteur du site Meta-defense.fr. Ses domaines de prédilection sont l’aéronautique militaire, l’économie de défense, la guerre aéronavale et sous-marine, et les Akita inu.
Le gouvernement britannique a annoncé dimanche avoir conclu des contrats d’un montant de quatre milliards de livres (4,6 milliards d’euros), avec plusieurs groupes dont BAE Systems, pour financer une nouvelle phase du projet de sous-marins d’attaque (SNA) de nouvelle génération SSN-AUKUS.
Le projet AUKUS est porté par la triade USA, Royaume-Uni et Australie après la dénonciation du contrat signé avec Naval Group pour la fourniture de sous-marins d’attaque conventionnels.
Ces contrats, qui impliquent également les groupes britanniques Rolls-Royce et Babcock, s’inscrivent dans le cadre de l’alliance militaire AUKUS conclue entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni pour contrecarrer les ambitions chinoises dans la région Asie-Pacifique.
Les premiers exemplaires de ce sous-marin doivent être livrés à la fin de la décennie 2030.
Des missiles Trident 2 rénovés pour la Royal Navy
Outre l’avancement du programme AUKUS portant sur les futurs SNA, la modernisation des missiles qui équipent les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la Royal Navy va de l’avant.
En effet, le Pentagone a annoncé le 29 septembre avoir attribué plusieurs contrats portant sur l’armement des SNLE britanniques.
Un marché a été attribué à l’entreprise américaine Lockheed Martin. D’un montant de 1,2 milliard de dollars, il concerne la production et l’installation des missiles Trident II (version D5) qui équipe les marines américaines et britanniques.
Un autre marché d’une valeur de 2,18 milliards de dollars au Charles Stark Draper Laboratory, de Cambridge, dans le Massachusetts pour la modernisation du système de guidage (passant du Mark 6 au Mark 7) qui équipe les missiles Trident II.
Le troisième marché (un avenant en fait à un marché antérieur d’une valeur de 242,4 millions de dollars) a été attribué L3 Harris Technologies Inc. d’Anaheim, en Californie. Il concerne des tests sur les instruments de vols des missiles.
Le Trident II (D5) est un missile balistique mer-sol stratégique armé d’ogives nucléaires. Il est lancé à partir d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Quatorze sous-marins américains de la classe Ohio et les quatre sous-marins britanniques de la classe Vanguard en sont équipés. La version D5 est supposée rester en service jusqu’en 2042.
Le 27 septembre, un tir d’essai d’un Trident II D5 non armé a eu lieu dans le Pacifique, au large de la Californie, selon Lockheed Martin.
Encore récemment, la Marine nationale ne communiquait que très rarement au sujet des missions confiées à ses sous-marins nucléaires d’attaque [SNA], sauf quand il s’agissait de faire passer un message. Mais depuis peu, elle semble s’affranchir de plus en plus de cette pratique…
Ainsi, en est-il avec le SNA Suffren, récemment admis au service actif. Ces derniers mois, on a pu suivre son déploiement en Méditerranée, au sein du groupe aéronaval formé autour du porte-avions Charles de Gaulle, ainsi que, plus récemment, son périple dans l’océan Indien, avec une escale médiatisée aux Émirats arabes unis et sa participation, au côté de la frégate multimissions [FREMM] Languedoc, à plusieurs manoeuvres navales, dont l’exercice Varuna 23.2, organisé par la marine indienne. En prime, des photographies le montrant avec son hangar de pont amovible [qui permet au Commando Hubert d’utiliser ses Propulseurs sous-marin de 3e génération – PSM3G, ndlr] ont été publiées.
Mais, le 26 septembre, ce n’est pas le Suffren qui a fait l’objet d’une communication de la part de la Marine nationale [ou, plus précisément, de l’État-major des armées]… mais l’un des trois derniers SNA de la classe Rubis encore en service au sein de la Force océanique stratégique [FOST].
« Les déploiements réguliers des bâtiments de la Marine nationale dans le grand Nord revêtent un caractère stratégique du fait des enjeux géopolitiques et environnementaux de cette zone. Ils garantissent à la France une capacité d’intervention et d’appréciation autonome de la situation », a en effet expliqué l’EMA, dans un commentaire accompagnant plusieurs photographies d’un SNA et d’un Bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain [BSAM].
« Déployés en eaux glaciales, BSAM et SNA témoignent par leur endurance et leurs performances, de la capacité de la Marine nationale à se déployer sur toutes les mers du monde », a enchéri la Marine nationale, sans plus de précision.
Étant donné que l’on peut voir le pavillon norvégien au niveau du kiosque du SNA, il est facile d’en déduire que les deux navires français ont fait une escale en Norvège, plus précisément à Tromsø [nord de la Norvège]. Ce qu’a confirmé la presse locale, selon laquelle la présence d’un sous-marin nucléaire français dans cette base navale est « inédite ».
« Le sous-marin nucléaire français a accosté la semaine dernière dans le port de Grøtsund, juste au nord de la ville de Tromsø. C’est la première fois qu’un sous-marin français visite ce port », a en effet avancé le journal indépendant novégien High North News, qui a identifié le BSAM comme étant la « Garonne ». Or, jusqu’à présent, et dans le cadre de l’Otan, les SNA américains et, dans une moindre mesure, britanniques, étaient les seuls à régulièrement faire escale dans cette partie de la Norvège.
Si le nom du SNA envoyé à Tromsø n’a pas été précisé, les photographies publiées par l’État-major des armées suggèrent qu’il s’agit de l’Améthyste. Du moins, c’est ce qu’indique le numéro de coque [ou « pennant number »] S605, que l’on devine sur l’une d’entre elles. D’ailleurs, ce détail peut intriguer étant donné que la Marine nationale a récemment décidé d’effacer les marques de ses navires afin de compliquer leur identification.
À noter que la présence du SNA français dans les eaux norvégiennes coïncide avec celle du porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth, dans le cadre de l’opération Firedrake. D’ailleurs, pour High North News, il n’est pas impossible que le SNA et le BSAM Garonne fassent partie, « du côté français », des « unités participantes » à ce déploiement du navire de la Royal Navy, laquelle semble avoir quelques soucis de disponibilité avec ses sous-marins d’attaque.
Quoi qu’il en soit, durant la Guerre Froide, le Grand Nord était stratégiquement important pour les deux blocs qui se faisaient face. Et c’est sans doute encore plus le cas actuellement… dans la mesure où la compétition stratégique a été relancée, tandis que les dérèglements climatiques ouvrent de nouvelles perspectives économiques qui ne laissent pas indifférents les États de la région… et même ceux qui en sont éloignés géographiquement, comme la Chine.
En tout cas, résume le Centre d’études stratégiques de la Marine, «le Grand Nord est toujours d’une importance capitale pour la dissuasion nucléaire de la Russie et des États-Unis. Les patrouilles des forces sous-marines y sont nombreuses, ce qui génère une compétition sur l’accès aux fonds marins, notamment pour la dilution des sous-marins. »
La Marine indienne a entrepris, depuis une vingtaine d’années, un vaste effort pour se moderniser et étendre son format. Plusieurs programmes emblématiques ont ainsi été lancés durant cette période, comme P75 pour 6 sous-marins conventionnels de la classe Kalvari dérivés du Scorpène de Naval Group, le porte-avions de 45.000 tonnes INS Vikrant ou encore les destroyers du projet 15A de la classe Kolkata.
Si les efforts et les budgets ont été incontestablement croissants, l’Indian Navy souffre toutefois de deux handicaps importants. Le premier est lié à la difficulté dans le pays pour faire avancer rapidement des programmes majeurs, mobilisant d’importants crédits.
Les obstacles qui freinent la progression de la Marine indienne
De nombreux obstacles, qu’ils soient politiques ou industriels, viennent, en effet, souvent retarder, voire faire dérailler, des programmes de défense pourtant critiques. C’est ainsi que le programme P-75i, censé permettre la construction de six nouveaux sous-marins à propulsion anaérobie, n’a toujours pas sélectionné son prestataire principal, alors qu’il a été lancé il y a quatre ans.
Le second des handicaps n’est autre que la croissance fulgurante, et pour le coup maitrisé, de la flotte chinoise, bien plus rapidement qu’elle ne peut, elle-même, progresser. Cela crée un évident effet de loupe sur ses propres difficultés, et tend à accroitre les tensions politiques qui entourent ces enjeux de sécurité.
Lancement de l’INS Kalvari, premier sous-marin de la classe éponyme construit par les chantiers navals Mazagon en coopération avec Naval Group.
En effet, bien que fréquemment présentée comme alignée sur la Chine au sein des BRICS, New Delhi est surtout directement menacée par la montée en puissance de l’Armée Populaire de Libération, que ce soit sur les haut-plateaux Himalayens, lieux de tensions récurrentes entre les deux pays, qu’au sujet du soutien militaire intensif de Pékin à Islamabad, l’ennemie juré de l’Inde depuis sa création.
Le défi des marines chinoises et pakistanaises
La Marine indienne, elle, se voit directement menacé par une Marine chinoise dont le format évolue aussi rapidement que sa modernisation, et qui par ailleurs fait activement profiter son allié pakistanais de ses propres avancées.
C’est ainsi que, ces dernières années, la Marine Pakistanaise a commandé, outre les quatre corvettes de la classe Barbur dérivées des Ada Turques, huit sous-marins AIP Type 039A formant la classe Hangor, ainsi que quatre frégates anti-sous-marines Type 054 AP formant la classe Tughril.
De fait, les navires de combat formant aujourd’hui la Marine indienne, sont bien insuffisants pour répondre aux enjeux sécuritaires dans le golfe du Bengale face à la Chine et en Mer d’Oman face au Pakistan.
La Marine chinoise est passée en deux décennies d’une flotte de défense côtière à la rivale directe de l’US Navy sur les océans de la planète.
C’est ainsi que le format actuel de 127 navires, doit être porté d’ici à 2030 à 160 navires, soit une augmentation du 25 % planifiée pour les sept années à venir, et d’atteindre 175 unités navales, voire 200, en 2035.
68 navires militaires en commande à ce jour
Pour y parvenir, les chantiers navals indiens peuvent aujourd’hui s’appuyer sur un carnet de commande particulièrement bien rempli, avec 68 unités navales officiellement en commande à ce jour.
Il va du destroyer de 7.400 tonnes de la classe Visakhapatnam (2 unités livrées, 2 en construction) aux corvettes anti-sous-marines du programme Anti–Submarine Warfare Shallow Water Craft (ASW-SWC) de 700 tonnes (16 unités), en passant par les 7 frégates furtives de 6.500 tonnes de la classe Nilgiri, et les 5 grands navires de soutien de 44.000 tonnes pour l’heure désignés sous le nom de classe HSL.
Pour autant, la plupart de ces navires ne permettront que de remplacer les unités déjà en service et ayant atteint leurs limites, comme les destroyers de la classe Raiput ou les 7 corvettes lance-missiles de la classe Veer, entrés en service dans les années 80.
Construction du premier destroyer de la classe Visakhapatnam – 2 navires ont déjà été livrés, deux autres le seront dans les années à venir.
Il est donc aujourd’hui indispensable, pour l’Indian Navy, de lancer rapidement certains programmes critiques, comme le programme de sous-marins AIP P75i, mais aussi les programmes de destroyers, frégates, corvettes et OPV devant prendre la suite des classes actuellement commandées.
Sous-marins classe Kalvari et porte-avions classe Vikrant supplémentaires
La Marine indienne privilégie la construction d’un second porte-avions de la classe Vikrant de 45.000 tonnes, à celle d’un nouveau porte-avions de 65.000 tonnes équipés de catapultes.
Quoi qu’il en soit, si la Marine Indienne veut effectivement relever le défi chinois, et sa flotte de plus de 360 navires aujourd’hui, de plus de 500 en 2035, elle devra trouver les moyens de lever toutes les difficultés, notamment politique et industrielle, qui entravent considérablement son développement.
On notera, à ce titre, que ces mêmes difficultés touchent aussi les forces aériennes et terrestres indiennes, l’ensemble des armées étant engagées dans une course contre-la-montre pour ne pas se laisser distancer face à Pékin et Islamabad qui, eux, avancent à marche forcée.
Si la Marine nationale est généralement très discrète sur les mouvements de ses quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] autour de la base navale de l’Île-Longue [Finistère], la Royal Navy semble avoir des règles plus souples en matière de sécurité opérationnelle [SECOPS], alors que la dissuasion britannique repose exclusivement sur une composante océanique depuis 1998.
Ainsi, le 11 septembre, l’un des quatre SNLE de type Vanguard mis en œuvre par la Royal Navy a pu être photographié quasiment sous toutes ses coutures au moment de son retour à la base navale de Faslane [encore appelée HMNS Clyde], en Écosse. Diffusés sur les réseaux sociaux, notamment X/Twitter, ces clichés sont susceptibles de livrer quelques indices sur la patrouille que vient d’effectuer ce sous-marin.
D’abord, on voit que sa coque est entièrement recouverte d’une teinte brunâtre, due à une accumulation d’organismes marins [balanes, algues, bactéries, etc.]. Si un tel phénomène, appelé « bio-encrassement » [ou biofouling], se manifeste dès qu’une surface est immergée dans l’eau de mer, l’état du bateau suggère que sa mission a été plus longue qu’à l’accoutumé.
Ainsi, le site spécialisé britannique Navy Lookout estime que ce sous-marin a passé au moins six mois en mer… alors que, en moyenne, une patrouille de SNLE dure généralement entre trois et quatre mois.
Par ailleurs, et outre l’encrassement de sa coque, on constate que le sous-marin de la Royal Navy a perdu un nombre assez important de tuiles anéchoïques, lequelles permettent d’absorber les ondes d’un sonar et d’atténuer les sons émis à bord. Et les espaces manquants laissent entrevoir de la rouille.
Évidemment, un revêtement anéchoïque dégradé et une coque encrassée ne peuvent qu’altérer la furtivité d’un sous-marin…
Cela étant, l’état de ce SNLE donne des indications sur sa zone de patrouille. Via X/Twitter, un ancien officier de la Royal Navy a affirmé que le sous-marin avait navigué dans des « eaux chaudes » et « peu profondes » [sans doute près d’un littoral] à « très basse vitesse ».
Quoi qu’il en soit, depuis au moins 2022, la marine britannique a allongé la durée de patrouille de ses SNLE. C’est en effet ce qu’avait révélé la plateforme de journalisme d’investigation The Ferret, en décembre dernier.
En 2022, « les observations effectuées à la base […] de Faslane suggèrent que deux sous-marins armés de missiles Trident ont chacun patrouillé pendant 157 jours, l’un de janvier à juin et l’autre de mai à novembre », avait-elle en effet avancé.
S’il est possible de relever l’équipage d’un sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] engagé pour une mission de longue durée, cela semble plus « hasardeux » pour un SNLE, dont rien ne doit trahir la position.
Ancien commandant d’un SNLE de la Royal Navy, le capitaine de vaisseau Rob Forsyth avait confié à The Ferret que des patrouilles aussi longues n’étaient pas sans conséquences sur le moral des sous-mariniers… et qu’elles pouvaient même constituer une « menace directe pour la sécurité nucléaire » à cause d’une « routine immuable » conduisant à une « baisse inévitable des normes ».
Ces dernieres années, et étant donné qu’elle doit maintenir un SNLE en permanence en mer afin de garantir la crédibilité de la dissuasion britannique, la Royal Navy n’a guère eu d’autre choix d’augmenter la durée des patrouilles… puisqu’elle n’a pu récupérer le HMS Vanguard qu’en juillet 2022, au bout d’une Indisponibilité périodique pour entretien et réparation [IPER] de… sept ans.
Pour un rappel, affichant une masse de 15’700 tonnes en plongée, pour une longueur 149,9 mètres et un maître-bau de 12,8 mètres, les SNLE de la classe Vanguard disposent chacun de 16 missiles balistiques stratégiques Trident D5.
La Marine nationale est généralement très discrète sur les déploiements de ses sous-marins nucléaires d’attaque [SNA]. Et quand elle communique à leur sujet, c’est qu’elle a un message à faire passer.
Ce fut par exemple le cas en 2018, avec l’escale de l’Améthyste [classe Rubis] à la base navale américaine de Norfolk, l’objectif étant alors d’afficher ses solides « liens d’amitié » avec l’US Navy. D’ailleurs, l’amiral commandant les forces sous-marines et la force océanique stratégique [ALFOST] avait même fait le déplacement pour accueillir son homologue américain à bord.
En 2020, la Marine nationale et l’État-major des armées [EMA] firent grand cas de la mission « Marianne », laquelle avait mené le SNA Émeraude et le Bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain [BSAM] Seine dans la région Indo-Pacifique. Le sous-marin se rendit en Australie et à Guam, avant de patrouiller en mer de Chine méridionale [revendiquée par Pékin] ainsi que dans le détroit de la Sonde [entre Java et Sumatra]. Là, le message était clair : au-delà la démonstration opérationnelle, il s’agissait de marquer l’intérêt de la France pour la région Indo-Pacifique.
Cela étant, ce 25 août, l’État-major des armées a fait savoir, via X/Twitter, que le Suffren, le nouveau SNA de type Barracuda, venait d’accoster… aux Émirats arabes unis.
« Dans le cadre de son déploiement en Indopacifique, le SNA Suffren a accosté ce matin aux Émirats arabes unis. Cette escale témoigne du partenariat privilégié entre la France et les Émirats tout en démontrant l’autonomie stratégique et la crédibilité française dans la zone », a-t-il expliqué.
L’amiral commandant de la zone maritime de l’océan Indien [ALINDIEN], dont relèvent les forces françaises aux Émirats arabes unis [FFEAU], a donné plus de détails sur les raisons de cette escale, via un court communiqué.
« La base navale d’Abou Dhabi, où le Suffren est arrivé le 25 août 2023, constitue un point d’appui stratégique dans le nord-ouest de l’océan Indien. Grâce à un partenariat solidement ancré entre la France et les Émirats arabes unis, les forces françaises sont en mesure d’y accueillir et d’y soutenir tous les types de bâtiments de la Marine nationale déployés dans la zone afin de contribuer efficacement à la stabilité régionale, en réaffirmant le ferme attachement français à l’ordre international fondé sur le droit et la liberté d »accès aux espaces communs », a fait valoir ALINDIEN.
Cette escale à Abou Dhabi – qui peut être vue comme un « signalement stratégique » – implique que le Suffren a navigué dans le détroit d’Ormuz, où les États-Unis accusent l’Iran de menacer le trafic maritime. D’où, leur récente décision de renforcer leur posture militaire dans la région, avec notamment le déploiement des navires d’assaut amphibie USS Bataan et USS Carter Hall.
Par ailleurs, pour la France, l’océan Indien est une zone « d’intérêt stratégique », en raison des territoires sur lesquels elle exerce sa souveraineté et de l’importance de cette région pour le commerce maritime mondial, à l’heure où elle tend à devenir un espace contesté, avec une présence navale chinoise de plus en plus affirmée.
À noter que le Suffren avait été repéré dans le canal de Suez le 29 juillet dernier, avec son hangar de pont amovible [Dry Dock Shelter, ou DDS], qui permet de mettre en œuvre un Propulseur sous-marin de 3e génération [PSM3G] utilisé par le commando Hubert. La capacité du sous-marin à utiliser un tel dispositif n’a pas encore été qualifiée par la Direction générale de l’armement [DGA]. Sans doute le sera-t-elle à l’issue de cette mission.