L’Europe coalisée contre la France : Les deux Bruxelles contre la France (1/2)

L’Europe coalisée contre la France : Les deux Bruxelles contre la France (1/2)

OPINION – Où va l’Union européenne dans le domaine de l’industrie de la défense ? Selon le groupe Vauban, la création d’un marché unique au niveau européen ouvrira la porte aux industriels américains, israéliens et sud-coréens avec la création d’une autorité centralisée européenne de l’industrie de défense. Elle permettra une « coordination améliorée pour agréger l’acquisition de systèmes américains par des groupes d’États-Membres de l’UE », selon une recommandation du rapport Draghi. C’est pour cela que la France doit quitter et l’OTAN et l’Union européenne, selon le groupe Vauban.

« L'Europe ne faisant pas le poids face à l'OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d'opération majeur pour eux quoiqu'en dise) et s'assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense » (Le groupe Vauban)
« L’Europe ne faisant pas le poids face à l’OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d’opération majeur pour eux quoiqu’en dise) et s’assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense » (Le groupe Vauban) (Crédits : Commission européenne)

 

Dans sa longue histoire, la France s’est régulièrement retrouvée seule face à une Europe coalisée contre elle : la force de son État-nation, de son génie diplomatique et militaire et de son rayonnement culturel lui a toujours permis d’y faire face. Les guerres de Louis XIV puis celles de la Révolution et de l’Empire, jusqu’aux décisions diplomatiques et militaires du général de Gaulle, en témoignent. L’Histoire se répète aujourd’hui sous d’autres formes, moins épiques mais tout aussi décisives : la résurrection de la Communauté Européenne de Défense de 1952, l’alliance germano-italienne dans le domaine terrestre (avant son prolongement ultérieur dans le domaine naval), et l’accord germano-britannique de Trinity House, prenant à revers le Traité de Lancaster House et celui d’Aix-la-Chapelle, en sont trois récentes manifestations.

Au terme de ces développements, la France n’est nulle part dans une Europe qu’elle prétend pourtant bâtir mais qu’elle n’a ni volonté ni constance pour la guider vers le sens de ses intérêts.

Bruxelles la fédérale ou la « volière des cabris »

L’âme de la première coalition anti-française est à Bruxelles. S’arrogeant des compétences qu’aucun traité ne lui reconnaît, la Commission européenne, pourtant gardienne des traités, use et abuse des mêmes procédés, dénoncés en son temps par la France lors de la politique de la chaise vide (mai – juillet 1965) : utilisant avec zèle son droit d’initiative, elle prend prétexte du marché intérieur pour réglementer le domaine de la défense, sanctuaire pourtant exclusif des États-nations.

Avec ses manières à la fois arbitraires et bureaucratiques mais toujours opaques, car avançant masquée, elle promet à ce secteur le même sort que les autres domaines dont elle s’est occupée depuis 1958 : la ruine totale au profit de la concurrence extra-européenne. L’agriculture, les transports, l’énergie, la métallurgie, l’automobile ont été sacrifiés sur l’autel de ses décisions et de ses convictions : les mêmes remèdes produisant les mêmes causes, la défense ne fera pas exception.

En ce sens, le rapport Draghi et la nomination d’un Commissaire européen à la défense accélèrent le processus, amorcé en 1952 avec la CED. La marche fédérale de von der Leyen consiste en cinq étapes claires dont la caractéristique commune est de reposer sur des principes tous aussi faux que néfastes aux systèmes de défense de chaque État-membre :

  • D’abord, proclamer l’urgence en raison de la guerre en Ukraine et de la menace russe (voire du résultat redouté des élections américaines) : ce sentiment d’urgence, déjà utilisé lors de la crise du COVID pour faire de la santé – domaine intergouvernemental – un domaine communautaire, est la pédale d’accélérateur destinée à éviter les débats et prendre de court des États toujours aussi lents à réagir.
  • Cantonner ensuite les États aux seules questions de doctrine et d’emploi des forces, en détachant soigneusement les questions d’armement de ces domaines : la Commission s’affirme ainsi compétente en matière d’industrie de défense au nom de ses prérogatives générales en matière de marché intérieur, notamment dans le domaine de l’industrie et de la technologie ; or, sans industrie d’armement, il ne saurait être question de politique de défense et encore moins de capacités militaires. Cette séparation des composantes de la défense est une négation pure de la doctrine française, qui a toujours établi que pour bien faire la guerre, il faut soi-même être capable en national de concevoir, développer, produire et entretenir ses propres matériels ; cette politique industrielle a créé deux instruments efficaces : la DGA et des champions nationaux, maîtres d’œuvre de la dissuasion ;
  • Poursuivre l’élan avec la création d’un marché unique de la défense au nom de l’efficacité ; gouverné avec les mêmes principes ultra-libéraux qui l’ont toujours guidé, ce marché unique s’ouvrira sans réciprocité à la concurrence extra-européenne (américaine, israélienne et sud-coréenne, voire turque) au nom d’accords de commerce internationaux conclus sous la seule autorité de la Commission ; ce « single market for defence », censé « accroître la capacité de production et de soutenir les achats conjoints d’équipements européens » – ne résoudra rien car les racines du mal européen ne sont pas à rechercher dans les monopoles nationaux, mais bel et bien dans d’autres raisons que la Commission se refuse évidemment de mentionner : dans le désarmement généralisé que chaque pays a délibérément voulu ; dans des investissements de lâche confort extra-européens, américain, israélien et désormais sud-coréen, acquisitions qui ruinent toute préférence européenne pour les 50 ans à venir ; dans la mauvaise méthode de coopération dans les programmes où le plus incompétent des industriels devait toujours recevoir une part égale et qui finissent toujours par des retards, des surcoûts, des sous-performances (NH90, Tigre, A400M, Eurodrone, Eurofighter, etc) et des pertes d’emplois qualifiés (Airbus Defense & space actuellement).
  • Créer en parallèle une autorité centralisée européenne de l’industrie de défense (« centralised EU Defence Industry Authority ») pour faire « une programmation et des achats d’armement en commun, i.e. c’est-à-dire pour acheter en central au profit des États-Membres » (recommandation n° 9 du rapport Draghi, cité comme référence dans la lettre de mission de Mme von der Leyen vers Andrius Kubilius). Cette autorité permettra évidemment une « coordination améliorée pour agréger l’acquisition de systèmes américains par des groupes d’États-Membres de l’UE » (recommandation n°10 du rapport Draghi) : la préférence européenne est ainsi sacrifiée par ceux qui devraient la défendre…
  • Achever enfin la « véritable Union de Défense Européenne », nouvelle expression d’une Communauté Européenne de Défense qui verra, à son apogée la création d’une armée européenne sous la direction d’un Commissaire européen à la défense, prenant lui-même ses ordres auprès du SACEUR américain à l’OTAN.

L’Europe sous les fourches caudines américaines

Ce schéma n’est ni imaginaire ni exagéré : c’est très exactement l’Europe de la Défense que dessine le rapport Draghi et que M. Kubilius s’efforcera, pas à pas, de concrétiser durant son mandat. En ruinant assurément le secteur de l’industrie d’armement en Europe, il détruira l’objectif même recherché : la défense de l’Europe par elle-même. Que nombre d’États-membres n’aient pas protesté, se conçoit : comme le disait le général De Gaulle [1], « les Allemands, les Italiens, les Belges, les Pays-Bas sont dominés par les Américains ».

Mais il est tragique de constater qu’en France, il n’y aura plus communistes et gaullistes – ou un Mendès-France – pour faire échec à cette CED nouvelle version. Les communistes ont disparu et les gaullistes, depuis Jacques Chirac, se sont ralliés à la fédéralisation de l’Europe tout maintenant la doctrine de dissuasion française, refusant de voir que l’une sacrifie délibérément l’autre. Aucun parti, y compris le RN, ne va jouer le rôle-clé qu’il aurait pu jouer sur ce dossier, à l’instar de celui joué par le gaullisme en 1954.

Cette marche à la supranationalité ne sera donc pas freinée par les États-membres sans géopolitique ni par les partis souverainistes sans courage, mais bel et bien recadrée par ceux-là même à qui elles profitent in fine : l’OTAN et les Etats-Unis, car ce que Madame von Der Leyen n’a pas voulu voir ou dire, c’est que sa CED à elle, en faisant doublon à l’OTAN, se condamne d’elle-même.

  • Les capacités ? C’est l’OTAN.
  • Les normes pour l’industrie d’armement ? C’est encore l’OTAN.
  • La structure de commandement ? C’est toujours l’OTAN.
  • La force d’intervention ? C’est évidemment l’OTAN.

L’Europe ne faisant pas le poids face à l’OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d’opération majeur pour eux quoiqu’en dise) et s’assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense. « To get the U.S in, the Soviets out and the Germans down » : cette définition cynique de l’OTAN formulée par le premier Secrétaire-Général de l’OTAN, Lord Ismay, reste toujours d’actualité.

L’Europe de la défense de Mme von der Leyen se dissoudra donc dans le pilier européen de l’OTAN, donnant ainsi raison au général De Gaulle : « Vous savez ce que ça veut dire, la supranationalité ? La domination des Américains. L’Europe supranationale, c’est l’Europe sous commandement Américain » [2].

La seule initiative qui subsistera sera la communautarisation forcée de l’industrie de défense des États-membres, annoncée dès le 8 juillet 2017 par Mme Goulard, éphémère ministre de la défense française : « Si nous voulons faire l’Europe de la défense, il va y avoir des restructurations à opérer, faire des choix de compatibilité et, à terme, des choix qui pourraient passer dans un premier temps pour aboutir à privilégier des consortiums dans lesquels les Français ne sont pas toujours leaders ». La perte de souveraineté industrielle assumée est toujours d’actualité si l’on en croit MM. Cingolani et Folgiero, respectivement PDG de Leonardo et de Fincantieri qui ont repris récemment la même antienne…tout en s’assurant que cette Europe industrielle-là se fera sous leur tutelle [3].

Au bilan, la seule « politique de la chaise vide » que la France aura faite, n’a pas été le fruit d’une décision d’un ministre de la défense français qui s’affiche gaulliste, mais de quelques industriels tricolores qui ont refusé de signer leur arrêt de mort sur l’autel de la fédéralisation de l’industrie d’armement. Deux d’entre eux sont les maîtres d’œuvre de la dissuasion : ce n’est pas un hasard tant la CED de Mme von Der Leyen est négatrice de la doctrine de dissuasion nationale qui suppose la souveraineté intégrale et non la servitude volontaire aux deux Bruxelles.

                          —————————————————————-

[1] C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte, Tome II, page 296
[2] Op.cit.
[3] Propos extrêmement clairs de M. Cingolani, Corriere della Serra, 27 octobre 2024, liant perte de souveraineté et leadership« Dans l’espace, comme dans la défense, ce qui est petit n’est pas beau et même une taille moyenne comme la nôtre ne suffit pas : les entreprises européennes doivent s’allier, sacrifiant leur souveraineté sur le petit marché intérieur pour pouvoir rivaliser ensemble sur l’immense marché mondial. Leonardo fait office de sherpa dans ce domaine et avec Rheinmetall, nous avons atteint un premier sommet historique ».

                          ————————————————————-

[*] Le groupe Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

par Giuseppe Gagliano* –  CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°657 / octobre 2024

https://cf2r.org/actualite/rapport-niinisto-plus-surs-ensemble-renforcer-la-preparation-et-letat-de-preparation-civils-et-militaires-de-leurope/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.


Le récent rapport de Sauli Niinistö, ancien président de la Finlande, commandé par Ursula von der Leyen pour évaluer la préparation de l’Union européenne face aux crises et aux conflits, dessine une vision qui pourrait représenter un tournant politique, stratégique et en matière de renseignement pour l’Union européenne.

Politiquement, la proposition de créer un service de renseignement européen démontre une reconnaissance croissante au sein de l’UE de la nécessité de construire une défense intégrée et autonome, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis des États membres et des alliés étrangers, en particulier les États-Unis. La demande d’une structure de renseignement unifiée répond au besoin de défendre le territoire européen contre des menaces internes et externes de manière plus efficace, améliorant la capacité de réponse collective. Cependant, l’idée d’une agence de renseignement centralisée se heurte aux préoccupations de certains États membres, qui pourraient craindre une perte de souveraineté concernant leurs capacités de renseignement et leur sécurité nationale.

D’un point de vue stratégique, la proposition de Niinistö arrive à un moment crucial, avec le conflit en Ukraine qui continue de menacer la stabilité de tout le continent et les activités russes qui demeurent une menace pour les États membres de l’UE. La Russie a intensifié ses opérations de renseignement et de sabotage dans les pays de l’Union, profitant de la fragmentation des réponses des différents pays. Dans ce contexte, la création d’une agence de renseignement européenne pourrait non seulement améliorer le flux d’informations entre les États membres, mais aussi renforcer la résilience contre les attaques informatiques, les sabotages d’infrastructures critiques et les opérations clandestines. La proposition d’un système « anti-sabotage » mentionnée par Niinistö, visant à protéger les infrastructures essentielles, montre comment l’UE évolue vers un concept de défense plus large, qui ne concerne pas seulement la dimension militaire mais aussi la sauvegarde des ressources et des réseaux internes. La guerre en Ukraine a clairement montré la vulnérabilité des infrastructures critiques, comme les gazoducs et les réseaux de communication sous-marins, incitant l’UE à adopter une approche proactive pour éviter d’autres perturbations et interruptions à l’avenir.

Du point de vue du renseignement, le projet de Niinistö s’inspire probablement des modèles déjà utilisés par les alliés occidentaux, comme le réseau des « Five Eyes » entre les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui partagent largement le renseignement pour coordonner leur protection. Bien que l’UE dispose déjà de mécanismes de partage d’informations entre les États membres, l’établissement d’une agence de renseignement pleinement opérationnelle représenterait un changement de paradigme, en consolidant et en standardisant les processus de collecte, d’analyse et de diffusion des informations. Niinistö souligne également la nécessité de renforcer le contre-espionnage au sein des institutions européennes, notamment à Bruxelles, ville devenue un point central pour les opérations de renseignement de nombreuses puissances étrangères, en particulier russes, en raison de la présence des institutions communautaires et d’ambassades. La recommandation d’un service de renseignement européen vise donc non seulement à protéger les citoyens et les infrastructures de l’UE, mais aussi à garantir l’intégrité et la sécurité de ses propres institutions.

Les propos de Niinistö reflètent le besoin croissant de confiance et de coopération entre les États membres, essentiel pour faire face efficacement aux menaces modernes. Cependant, il existe un scepticisme quant à la possibilité de mettre en place une véritable agence de renseignement européenne, car certains États membres considèrent le partage de renseignement comme une question de souveraineté nationale. Von der Leyen a déjà reconnu que la collecte de renseignement est traditionnellement une prérogative des États nationaux, et de nombreux pays pourraient voir d’un mauvais œil une entité supranationale traitant de questions aussi sensibles. Cette réticence souligne une fois de plus les limites de l’UE à surmonter les barrières nationales dans des domaines clés de la sécurité et de la défense, et montre que, bien qu’il y ait une vision claire de renforcement de l’autonomie stratégique, la réaliser sera loin d’être simple. En définitive, le rapport de Niinistö pose les bases d’une discussion critique et nécessaire sur l’autonomie stratégique de l’UE, dans un contexte mondial où la coopération entre les États européens sera cruciale pour faire face aux défis de sécurité posés par les puissances rivales.

Le rapport de Sauli Niinistö et la proposition de créer une agence de renseignement unique au niveau européen offrent de nombreux sujets de réflexion. D’une part, les avantages de cette initiative sont évidents : une agence de renseignement centralisée permettrait à l’Union européenne de répondre de manière plus coordonnée et rapide aux menaces communes, telles que le terrorisme, le sabotage et les opérations d’espionnage. Une structure unifiée pourrait réduire la fragmentation des informations entre les différents services nationaux, garantissant un flux plus rapide et fiable de données stratégiques et opérationnelles. Cela permettrait aux États membres de prendre des décisions éclairées et fondées sur la base de renseignements complets et partagés. Une agence unique pourrait également renforcer la sécurité des institutions européennes, notamment à Bruxelles. En outre, une initiative de ce type représenterait un pas en avant vers l’autonomie stratégique de l’UE, réduisant en partie la dépendance aux informations provenant d’alliés extérieurs, notamment des États-Unis.

Cependant, les inconvénients sont tout aussi importants. Tout d’abord, il existe un problème de confiance : de nombreux États membres pourraient hésiter à partager intégralement leurs informations avec une entité supranationale, craignant des fuites de données ou la possibilité que des informations sensibles tombent entre de mauvaises mains. La tradition historique des services de renseignement nationaux, considérés comme un symbole de souveraineté et de sécurité, pourrait se heurter à l’idée de céder un pouvoir décisionnel et opérationnel à une agence centrale européenne. De plus, la création d’une agence de renseignement commune pourrait ne pas garantir pleinement l’indépendance de l’UE vis-à-vis de l’influence américaine. Au contraire, une structure de renseignement centralisée pourrait faciliter le conditionnement extérieur, car les États-Unis pourraient chercher à établir des relations privilégiées avec l’agence européenne pour garder le contrôle d’informations sensibles et orienter les choix politiques et de sécurité européens. La force de l’alliance transatlantique, consacrée par des décennies de collaboration et de liens économiques et militaires, rendrait difficile pour l’UE de se libérer complètement de l’influence de Washington, qui pourrait exercer des pressions ou accéder indirectement aux informations recueillies par l’agence européenne à travers des accords ou des partenariats bilatéraux.

En définitive, la création d’une agence de renseignement unique pourrait représenter un progrès important pour la sécurité européenne, mais générer également des complexités importantes qui ne doivent pas être sous-estimées. Pour atteindre une véritable indépendance stratégique, l’UE devrait non seulement développer une structure opérationnelle centralisée, mais aussi garantir une protection adéquate contre les interférences extérieures, en maintenant une gestion autonome et confidentielle de ses propres informations. Le succès de ce projet dépendra de la capacité de l’UE à construire une agence qui sache combiner efficacement collaboration et confidentialité, en respectant les souverainetés nationales et en résistant aux possibles conditionnements extérieurs, afin que l’Europe puisse véritablement consolider son rôle d’acteur indépendant et stratégiquement autonome sur la scène internationale.

La France aurait proposé de vendre 24 Rafale au Brésil

La France aurait proposé de vendre 24 Rafale au Brésil

https://www.opex360.com/2024/11/01/la-france-aurait-propose-de-vendre-24-rafale-au-bresil/


Depuis les années 2000, marquées par la vente de cinquante hélicoptères de manœuvre Super Cougar et celle de quatre sous-marins Scorpène, l’industrie française de l’armement est à la peine au Brésil.

Ainsi, la Force aérienne brésilienne [Força Aérea Brasileira, FAB] a préféré le JAS-39 Gripen E/F du suédois Saab au Rafale de Dassault Aviation, dans des conditions ayant donné matière à maintes controverses.

Plus récemment, le CAESAr [Camion équipé d’un système d’artillerie] de KNDS France a perdu un appel d’offres lancé par l’armée brésilienne [Exército Brasileiro] pour se procurer trente-six obusiers automoteurs, celle-ci ayant choisi l’ATMOS 2000 du groupe israélien Elbit Systems. Cependant, la procédure d’acquisition n’est pas encore finalisée en raison de considérations politiques et judiciaires.

Pour autant, la partie française ne désespère pas… Et elle entend profiter du prochain sommet du G20, qui se tiendra à Rio de Janeiro, les 18 et 19 novembre, pour pousser ses pions. Du moins, c’est ce qu’affirme le journaliste brésilien Claudio Dantas.

En effet, selon ses informations, Paris aurait proposé de vendre à Brasilia cinquante hélicoptères H145 [proposés par Airbus Helicopters], trente-six CAESAr, un cinquième Scorpène et… vingt-quatre Rafale. En outre, un transfert de technologie concernant la chaufferie du sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] souhaité par la marine brésilienne [Marinha do Brasil] dans le cadre du programme Prosub est toujours sur la table. Pour rappel, il avait été évoqué par le président Macron lors d’une visite officielle au Brésil, en mars dernier.

À cette occasion, le locataire de l’Élysée avait plaidé pour renforcer significativement la coopération entre la France et le Brésil dans le domaine militaire.

« Je veux qu’à vos côtés nous puissions continuer le formidable travail qui a été mené dans la cadre de la production des hélicoptères. Regardons aussi d’autres champs, des tourelles de combat aux satellites et à l’espace, qui doit être, là aussi, un instrument de coopération concrète. […] Nous avons là aussi à bâtir des coopérations technologiques […] pour l’intérêt de nos pays », avait en effet déclaré M. Macron, lors du lancement du Toneloro, le troisième sous-marin de type Scorpène de la Marinha do Brasil.

Et d’insister : « Et qui sait ? Au-delà de ces sous-marins, d’avoir d’autres équipements et d’avoir peut-être, pour fêter dans quelques années le sous-marin à propulsion nucléaire que vous aurez bâti […], avoir des Rafale qui passeront demain car nous aurons aussi, sur ce sujet, su bâtir une coopération nouvelle ».

Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que la Força Aérea Brasileira souhaite acquérir des avions de combat supplémentaires afin de compléter sa flotte de J-39 Gripen E/F [70 exemplaires prévus, au total]. Ces appareils remplaceraient ainsi une partie de ses F-5 Tiger II ainsi que ses chasseurs légers AMX, soit une quarantaine d’avions au total.

Cependant, d’autres pays lorgnent sur ce marché. C’est ainsi le cas de l’Inde, qui propose le HAL Tejas, en mettant dans la balance un possible achat massif d’avions de transport C-390 « Millenium » auprès du constructeur brésilien Embraer. C’est aussi celui de l’Italie, qui, à l’occasion du G20, devrait remettre une proposition portant sur la vente de trente M346 « Master », un chasseur léger développé par Leonardo. Enfin, le T-7A Red Hawk , produit par Boeing et Saab, serait également sur les rangs.

Face à l’envoi de troupes nord-coréennes, la Corée du Sud pourrait aussi se mêler à la guerre en Ukraine

Face à l’envoi de troupes nord-coréennes, la Corée du Sud pourrait aussi se mêler à la guerre en Ukraine

Le rapprochement entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un ne fait pas les affaires de Séoul qui n’aura peut-être pas d’autres choix que de réagir.

Un défilé militaire organisé lors de la 76e Journée des Forces armées sud-coréennes, le 1er octobre 2024, sur la base aérienne de Seongnam, près de Séoul. | Jung Yeon-je / AFP

Repéré sur Business Insider

Vous ne trouverez pas plus belle illustration de l’adage «les ennemis de mes ennemis sont mes amis». Le soutien croissant apporté par la Corée du Nord à la Russie dans sa guerre d’invasion de l’Ukraine, tant sur le plan matériel que sur le plan humain avec l’envoi récent de troupes, ne plaît pas du tout à son voisin du sud qui a menacé d’envoyer à son tour du matériel et des armes à Kiev pour aider le pays à se défendre. Pour l’instant, rien n’est fait. Mais si cette aide se matérialise, il pourrait s’agir d’un coup de pouce précieux pour Volodymyr Zelensky, analyse le média en ligne américain Business Insider.

La Corée du Sud a fermement condamné l’envoi de plusieurs milliers de soldats nord-coréens en Ukraine, plusieurs hauts responsables s’exprimant sur le sujet après une réunion d’urgence du Conseil de sécurité nationale, le 22 octobre. Ils ont également évoqué la possibilité de livraisons d’armes à l’Ukraine qui s’inscrirait dans le cadre de contre-mesures graduelles, n’excluant pas au passage l’envoi de troupes sur le terrain pour surveiller de près la présence nord-coréenne et son rôle dans le conflit. La déclaration n’a pas plu à la Russie, qui l’a fait savoir par la voix de Maria Zakharova, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Le 23 octobre, elle a ainsi menacé la Corée du Sud de «conséquences en matière de sécurité» si elle se décidait à intervenir, a rapporté l’agence de presse sud-coréenne Yonhap.

«Les armes sud-coréennes pourraient potentiellement faire une différence significative, à la fois sur les capacités défensives et offensives de l’Ukraine», estime Jeremy Chan, analyste au sein du cabinet de conseil Eurasia Group et interrogé par Business Insider. La Russie aurait donc raison de s’inquiéter d’une possible entrée de la Corée du Sud –alliée des États-Unis– dans la guerre en Ukraine. Le pays asiatique s’est constitué un arsenal robuste au fil des années, notamment en raison du conflit larvé avec son voisin du nord.

Systèmes de défenses antiaérienne et antimissile, mais aussi canons automoteurs K9 Thunder, chars de combat K2, lance-roquettes multiples: de quoi soulager grandement Kiev en permettant de mieux protéger les villes et les infrastructures du pays, tout en renforçant la puissance de feu sur le front. Cette aide matérielle ne serait pas exactement une première. La Corée du Sud a déjà participé de manière indirecte à l’approvisionnement de l’Ukraine en obus de calibre 155 mm, en envoyant des munitions à des alliés occidentaux qui ont servi d’intermédiaires.

Ira, ira pas?

Mais l’arrivée de troupes nord-coréennes change la donne, d’après Ellen Kim, experte des Corées pour le groupe de réflexion américain Center for Strategic and International Studies. «La Corée du Sud pourrait également contribuer à une campagne de guerre psychologique contre les soldats nord-coréens qui pourraient ne pas vouloir se battre dans la guerre», avance l’analyste. Mais le chemin vers un soutien matériel et humain de la Corée du Sud à l’Ukraine est encore long. La Constitution du pays et plusieurs lois nationales limitent grandement les exportations d’armes vers des pays en guerre. L’impopularité du président sud-coréen Yoon Suk-yeol serait un frein pour faire évoluer ces lois et les abroger, du moins tant qu’il n’y a pas de menace claire pour le pays.

La Corée du Sud ne tient pas non plus à s’aliéner totalement la Russie, malgré les services passés et futurs que le pays peut rendre à Pyongyang. «En échange des obus nord-coréens et du soutien militaire en Ukraine, le Kremlin a cherché à freiner les inspections de l’ONU concernant le programme nucléaire de la Corée du Nord et pourrait être prêt à lui fournir une technologie militaire sophistiquée», explique Business Insider. Selon Jeremy Chan, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol cherche le meilleur moyen de dissuader la Russie. «Séoul pense que la menace de fournir des armes lui donne plus d’influence sur Moscou qu’elle n’en aurait si la Corée du Sud commençait à fournir des armes directement», affirme l’analyste. Autrement dit, Yoon Suk-yeol bluffe.

Les véhicules nord-coréens livrés à la Russie vont-ils changer le cours de la guerre en Ukraine?

Les véhicules nord-coréens livrés à la Russie vont-ils changer le cours de la guerre en Ukraine?

Les relations diplomatiques et commerciales de la Corée du Sud avec la Russie et dans la région sont également un frein pour Yoon Suk-yeol. «Il y a une possibilité que la Corée du Sud puisse tirer sur des Russes et/ou des Nord-Coréens, ce qui internationaliserait et élargirait encore la guerre. Le pire des scénarios est que cela déclenche une guerre nucléaire dans la péninsule coréenne, qui entraînerait les États-Unis et la Chine dans un conflit armé», anticipe Sean McFate, professeur de stratégie géopolitique à l’université Georgetown (située à Washington, D.C.).

Beaucoup à perdre, donc, mais peu à gagner… pour le moment. L’alliance de plus en plus forte entre la Russie et la Corée du Nord pourrait pousser la Corée du Sud à agir, qu’elle le veuille ou non. Si le leader nord-coréen Kim Jong-un reçoit, en échange de ses services en Ukraine, des armes sophistiquées et de la technologie de pointe, la menace serait de plus en plus pressante pour la Corée du Sud. «L’implication de la Corée du Nord augmente considérablement le risque que la Corée du Sud soit obligée de s’engager dans la guerre», conclut Ellen Kim.

Ukraine: l’ordre de bataille de la brigade mécanisée Anne de Kyiv à l’entraînement en France

Ukraine: l’ordre de bataille de la brigade mécanisée Anne de Kyiv à l’entraînement en France

Les instructeurs français poursuivent la formation de leurs camarades ukrainiens de la brigade 155, baptisée « Brigade Anne de Kyiv ». Voici ci-dessus l’ordre de bataille de cette unité mécanisée, équipée de Leopard 2A4, de VAB et d’AMX-10RC. Elle regroupera 4500 hommes à terme.

On pourra lire le post que j’ai consacré à cette unité et à la reine qui lui a donné son nom. Le point sur cet effort tricolore pour préparer une brigade « bonne de guerre » d’ici à la fin de l’année.

Et la logistique?

Elle suit grâce au SCA… Comme le montrent les photos qui circulent, afin d’équiper les soldats ukrainiens, une chaîne habillement a été mise en place par le Commissariat; elle est opérée avec l’armée de Terre (14e RISLP). Treillis, équipements balistiques, sacs de couchage etc., ont ainsi été mis à disposition des stagiaires.

Pour nourrir l’ensemble de la force, le SCA a créé un ordinaire de campagne sous tente, en mesure de nourrir jusqu’à 2 000 personnes. Trois éléments lourds de cuisson (ELC 500) et des matériels de restauration collective adaptés sont mis en œuvre. Ce soutien restauration conséquent a nécessité le renfort de personnels de la spécialité Restauration-Hébergement-Loisirs (RHL) en provenance de différents organismes du SCA. Ce dernier est assisté par l’Economat des Armées à qui a été externalisée la location d’une tente de grande dimension pour abriter un foyer dédié aux militaires ukrainiens et pouvant accueillir jusqu’à 2 000 personnes.

Insigne d’arme :
Taillé de Gueules et de Sable, au scorpion d’acier posé en barre portant à la pince senestre un écusson de gueules à la croix pattée d’Argent, brochant sur la partition.

A voir:
Une vidéo sur l’arrivée des Ukrainiens dans un camp de l’est de la France, c’est ici.

Une vidéo sur la formation des JTAC, c’est ici.

Une vidéo sur la formation des tireurs de précision et de l’infanterie, c’est ici.

La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

La faiblesse de l'armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre
La faiblesse de l’armée britannique est reconnue par le ministre de la Défense du Royaume-Uni : Le pays serait incapable de soutenir une guerre

 

Alerte du ministre de la défense britannique : « Nous ne sommes pas prêts pour la guerre » !

Doit-on en rire ou en pleurer ? Le ministre britannique de la Défense, John Healey, a fait un aveu qui sonne comme un avertissement : le Royaume-Uni n’est pas prêt à mener une guerre. Cette déclaration, faite lors d’un discours relayé par The Telegraph le 24 octobre 2024, révèle des lacunes significatives dans la préparation militaire du pays.

Une armée britannique sous-équipée et mal préparée

Malgré un budget de défense supérieur à 2% du PIB, conformément aux engagements de l’OTAN, le Royaume-Uni se trouve avec des forces armées qui laissent à désirer en termes de modernité et de préparation. Selon un récent rapport parlementaire, l’armée de terre britannique, la British Army, n’a pas évolué significativement depuis l’époque de la bataille de Waterloo. De son côté, la Royal Air Force manque cruellement d’avions de combat adaptés aux conflits de haute intensité, et la Royal Navy, bien que dotée de deux porte-avions, souffre d’un manque de navires de premier rang et rencontre des difficultés de recrutement et de disponibilité pour ses sous-marins nucléaires et ses frégates.

Une déclaration sans précédent

Pour la première fois, un ministre de la Défense britannique admet publiquement que le pays n’est pas prêt à soutenir une guerre. Cette révélation est d’autant plus inquiétante qu’elle intervient dans un contexte où les menaces globales, notamment de la part de la Chine et de la Russie, sont en augmentation. John Healey insiste sur le fait que sans une capacité réelle de combattre, le Royaume-Uni ne peut pas dissuader efficacement les agressions potentielles. Le constat du ministre Healey sur l’état des finances et des forces armées britanniques est alarmant. Pris au pouvoir après les élections législatives, il a été confronté à une situation bien plus précaire que prévu, avec des implications graves pour la sécurité nationale et la capacité de défense du pays.

Incertitudes budgétaires

Alors qu’une nouvelle revue stratégique de défense est en cours, il semble peu probable que le ministère de la Défense obtienne les fonds nécessaires pour rectifier le tir. Des hauts responsables militaires ont exprimé des doutes quant à l’augmentation du budget de la défense pour l’exercice 2025, ce qui pourrait entraver les efforts de modernisation et de préparation requise.

Réactions officielles et garanties de sécurité

Malgré ces défis, un porte-parole du 10 Downing Street a réaffirmé que le gouvernement prendrait toutes les mesures nécessaires pour défendre le pays. Il a souligné que les forces armées britanniques, parmi les meilleures au monde, assurent la défense du pays en permanence et travaillent en étroite collaboration avec les alliés pour anticiper et se préparer à tout événement.

Un avenir militaire incertain

Cette situation intervient alors que le général Roland Walker, chef d’état-major de la British Army, a averti que le Royaume-Uni avait peu de temps pour se préparer à un conflit majeur potentiel, en particulier une confrontation avec la Chine. De plus, quelle que soit l’issue du conflit en Ukraine, la menace russe restera prégnante et probablement vengeresse.

Cet article explore la récente déclaration choc du ministre britannique de la Défense, révélant que le Royaume-Uni n’est pas préparé à affronter les défis militaires actuels et futurs. Cette révélation met en lumière les lacunes dans la préparation militaire du pays et soulève des questions sur sa capacité à maintenir sa sécurité et à dissuader les menaces externes dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu.

Source : Telegraph

La guerre nucléaire est-elle possible ? À propos du livre d’Annie Jacobsen « Guerre nucléaire. Un scénario

La guerre nucléaire est-elle possible ? À propos du livre d’Annie Jacobsen « Guerre nucléaire. Un scénario« 

Fondation de recherche stratégique – Octobre 2024

https://www.frstrategie.org/publications/notes/guerre-nucleaire-est-elle-possible-propos-livre-annie-jacobsen-guerre-nucleaire-un-scenario-2024


Peut-on imaginer la manière dont se déroulerait précisément une guerre nucléaire ? Voilà un sujet dont les plus âgés des lecteurs sont déjà familiers, grâce notamment aux films Le Jour d’après (1983), WarGames (1983) et Threads (1984). Toutefois, depuis la fin de la Guerre froide, la probabilité d’un conflit nucléaire à l’échelle mondiale était jugée tellement faible qu’elle ne faisait plus l’objet de débats et encore moins de scénarisations de ce type.

Depuis le début de la décennie actuelle, et surtout depuis le 24 février 2022, les armes nucléaires sont revenues à l’ordre du jour, parce que la guerre en Ukraine est un conflit « en ambiance nucléaire ». Autrement dit, si la Russie a pu se permettre d’engager une telle opération sans crainte de subir les foudres occidentales, c’est bien parce qu’elle possède l’arme nucléaire. Et, à l’inverse, c’est parce que les pays de l’OTAN – États-Unis, France, Royaume-Uni en tête – sont protégés par elle qu’ils s’autorisent à aider massivement l’Ukraine. Ensuite, bien sûr, parce que l’on craint un éventuel recours à cette arme par Vladimir Poutine.

Ce n’est donc pas un hasard si le livre de la journaliste américaine Annie Jacobsen Guerre nucléaire. Un scénario sort aujourd’hui

. Au centre de cet ouvrage, la notion de guerre nucléaire, conséquence directe de l’échec de la dissuasion, ce mécanisme psychologique censé justement l’empêcher.

L’arme nucléaire a-t-elle prévenu la guerre ?

La dissuasion nucléaire a-t-elle prévenu jusqu’ici une guerre mondiale ? Valider cette hypothèse est difficile. La dissuasion – nucléaire ou non-nucléaire – ne se « décrète » pas : seule la partie dissuadée peut dire… qu’elle l’est. Elle ne se « démontre » pas non plus : il est impossible d’attribuer avec certitude la causalité de l’absence d’un fait. Mais l’on peut trouver des indices de validité du raisonnement dissuasif. Les arguments les plus convaincants relèvent de la « preuve par l’absence »

Premièrement, il s’agit de l’absence de toute guerre ouverte entre les grandes puissances du moment depuis 1945 et, plus largement, celle de tout conflit majeur entre pays disposant de l’arme nucléaire. Car, dans l’ensemble, l’on peut dire que « les États nucléaires ne se font pas la guerre ». Le seul cas où les forces américaines et soviétiques se sont affrontées directement est la guerre de Corée de 1950-1953, mais les pilotes soviétiques volaient alors sous les couleurs de la Corée du Nord ou de la Chine. La crise sino-soviétique de l’Oussouri (1969) ne fut pas, quant à elle, une vraie guerre. On peut également montrer qu’entre deux adversaires qui se dotent de l’arme nucléaire, le risque d’une guerre à grande échelle diminue. Alors que l’Inde et le Pakistan se sont battus en 1948, en 1965 et en 1971, aucune guerre n’a plus eu lieu entre eux depuis 1999. La Chine et l’Inde ont connu un affrontement important en 1962, mais se sont limitées à des escarmouches depuis lors.

Un autre argument en faveur de l’efficacité de la dissuasion est une certaine retenue adoptée par les États non nucléaires face à un pays disposant de cette arme. Le fait est qu’aucun pays nucléaire n’a jamais été envahi, ni son territoire l’objet d’une attaque militaire majeure. La guerre du Kippour de 1973 et celle des Malouines de 1982 sont souvent proposées comme contre-exemples, mais la démonstration reste peu convaincante. En effet, en 1973, l’Égypte limita délibérément ses opérations au Sinaï occupé. Les îles Malouines, envahies par l’Argentine en 1982, étaient un territoire autonome dont rien n’indique qu’il était concerné par la dissuasion.

L’acquisition d’armes nucléaires réduit le risque d’attaque : elle inhibe la prise de risque des pays non nucléaires. Les quelques exceptions qui ont pu se produire ne sont pas de nature à invalider la règle. En 1991, Israël avait été visé par une quarantaine de tirs de missiles irakiens et, plus près de nous (2024), par quelque 300 missiles et drones iraniens. Mais le « seuil nucléaire » – le moment où un État ouvrirait le feu nucléaire – israélien est particulièrement élevé, et les États attaquants le savaient probablement (et dans le cas iranien, tout avait été fait pour qu’Israël puisse intercepter la majorité d’entre eux). Par ailleurs, aucun État non nucléaire couvert par une garantie (« parapluie ») nucléaire n’a jamais été la cible d’une attaque militaire majeure.

Certains experts et anciens responsables haut placés sont persuadés que seule la « chance » peut expliquer l’absence d’explosion nucléaire depuis 1945. L’un des arguments dans le débat nucléaire consiste ainsi à avancer que le monde est passé à plusieurs reprises à deux doigts de la catastrophe. Cette lecture pessimiste est contestable. Elle ne tient pas compte des résistances qui semblent s’être manifestées dans les circonstances précitées, en temps de crise ou en cas de fausse alerte, dans l’esprit des responsables politiques ou militaires concernés. Elle omet l’hypothèse la plus simple : les chefs d’État et de gouvernement ont toujours reculé, même si ce fut parfois presque au dernier moment, devant la terrible décision d’avoir recours à cette arme. Dire « à deux doigts » de la catastrophe néglige une dimension cruciale : dans l’escalade, la marche nucléaire serait la plus haute. On peut débattre de ce que l’on appelle la « chance », mais le fait reste que l’absence de détonation a été causée par des décisions humaines : celle de ne pas employer l’arme ; celle de ne pas considérer une fausse alerte comme une attaque ; celle d’installer des dispositifs de contrôle et de sécurité redondants.

Le fait est que la « tradition de non-emploi » s’est imposée très tôt. Dans la plupart des cas, si les armes nucléaires n’ont pas été utilisées, c’est tout simplement parce que les protagonistes se sont gardés de mettre en cause les intérêts les plus essentiels de leurs adversaires. Soit parce qu’ils ne l’ont jamais envisagé, soit parce qu’ils n’en avaient pas la capacité, soit parce que la dissuasion a fonctionné. Dans certains cas, en particulier, il s’agissait très probablement d’un bluff.

La dissuasion nucléaire a donc sans doute été une clé, et peut-être « la » clé, de la paix entre les grandes puissances depuis 1945. Ce mécanisme semble également expliquer l’absence d’attaques militaires de grande ampleur contre les pays protégés. Sans armes nucléaires, Washington aurait hésité à garantir la sécurité en Europe, et serait peut-être revenu à l’isolationnisme, et sans la protection des États-Unis, la tentation pour Moscou de s’emparer de territoires en Europe occidentale aurait été plus forte.

Un « nouvel âge nucléaire », vraiment ?

Mais si tel est bien le cas, peut-on affirmer que la dissuasion continuera bien à jouer ce rôle à l’avenir ?

L’ordre nucléaire repose sur un cadre de limitation du nombre d’États détenteurs et de limitation des armements. Or celui-ci s’érode. Bien des pays parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), faisant valoir leur frustration quant au non-respect, selon eux, des engagements de désarmement pris par les puissances nucléaires, ont souscrit au « Traité sur l’interdiction des armes nucléaires » entré en vigueur en 2021. Quant à l’instrument destiné à prévenir une nucléarisation de l’Iran, le Joint Comprehensive Plan of Action (2015), il est désormais caduc. Les instruments de limitation des armements disparaissent les uns après les autres : Moscou a suspendu son application du traité New START et révoqué sa ratification du Traité sur l’interdiction complète des essais ; quant aux États-Unis, ils se sont retirés du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), tirant argument des violations de ce Traité par la Russie. Pourtant, la retenue semble encore l’emporter. Aucun État ne s’est retiré du TNP, à l’exception de la Corée du Nord en 2003, dans des conditions juridiques discutables. La même Corée du Nord est la seule à procéder à des essais depuis 1996. Enfin, il n’est guère approprié de parler de « nouvelle course aux armements ». Tous les États continuent de moderniser leurs arsenaux, et, en Asie, les acteurs nucléaires ne sont pas encore parvenus à ce qu’ils estiment être un niveau de « suffisance ». Mais on est très loin de retrouver les dynamiques de la Guerre froide en termes de rythme de production d’armes. Rappelons qu’au pic de celle-ci, Washington et Moscou disposaient ensemble de plus de 70 000 armes nucléaires.

La dissuasion nucléaire pourrait-elle devenir obsolète car concurrencée par des moyens militaires alternatifs, offensifs (moyens hypersoniques précis…) ou défensifs (défenses antimissiles) ? En dépit de la rapidité des développements technologiques contemporains, rien ne prouve qu’un autre instrument militaire puisse se substituer à l’arme nucléaire, qui reste singulière non seulement par ses effets, mais aussi par « l’aura de terreur » qui l’entoure, du fait notamment des ravages de la radioactivité. Parce qu’elle met en jeu les composants les plus élémentaires de la matière, aucune autre technologie, à l’horizon prévisible, n’offre la même combinaison de destruction instantanée à grande échelle, aussi redoutable et prévisible. L’efficacité de la dissuasion repose justement sur ce pronostic très précis des horreurs qu’apporterait un échange nucléaire.

D’autres évolutions modifient le cadre de la dissuasion, mais pas au point de rendre ses conditions d’exercice fondamentalement différentes. Les puissances nucléaires développent des moyens hypersoniques, qui réduiront le temps de vol et la prévisibilité des missiles nucléaires. Encore convient-il de rappeler que les têtes de missiles balistiques vont déjà à une vitesse hypersonique… Certains analystes avertissent que la précision et la rapidité des missiles futurs pourraient rendre les frappes désarmantes plus facilement réalisables que par le passé. Toutefois, ce scénario reste hypothétique. La Chine et la Russie pourraient être tentées, en dépit de l’interdiction qui existe à ce sujet, de placer des armes nucléaires dans l’espace pour garantir la survie de leur arsenal et pour pouvoir « surprendre l’adversaire », mais cet effort serait sans doute surdimensionné car coûteux pour un résultat incertain. Les nouvelles technologies – capteurs, intelligence artificielle – pourraient-elles permettre de détecter les sous-marins, dont la discrétion garantit actuellement l’existence de « capacités de frappe en second », un fondement de la stabilité stratégique ? C’est peu probable. Quant à la crainte de voir les moyens de commandement nucléaire neutralisés par des attaques cybernétiques, elle est sujette à caution : leurs réseaux, outre qu’ils sont particulièrement bien protégés, sont généralement inaccessibles de l’extérieur.

Un autre risque est celui de la « banalisation » de l’arme nucléaire. En 2005, dans son discours d’acceptation du prix Nobel d’économie, Thomas Schelling s’étonnait de ce que les armes nucléaires n’aient pas été utilisées depuis 1945. Son pessimisme, hérité de la Guerre froide, nous paraît inapproprié. La tradition de « non-utilisation » semble solide. Elle s’est même universalisée. Aujourd’hui, la dissuasion est la fonction militaire unique des armes nucléaires : plus aucun État ne considère ces armes comme des moyens de « bataille » ou d’« emploi ». Tous les pays réputés disposer de l’arme nucléaire affirment avoir une stratégie de dissuasion. En dépit de leurs rodomontades, ni Vladimir Poutine, ni Kim Jong-un, ni Donald Trump n’ont jamais semblé être sur le point d’appuyer sur le bouton.

La guerre en Ukraine n’a pas invalidé les postulats de la dissuasion. Il est probable que la possession d’une capacité nucléaire ait rendu la Russie plus confiante dans l’engagement délibéré d’une opération militaire majeure aux frontières des pays de l’OTAN. De même peut-on dire qu’elle a contribué à la retenue des pays alliés dans leur assistance à l’armée ukrainienne. L’image des affrontements indirects de la Guerre froide, de la Corée à l’Afghanistan, n’est pas hors de propos. On voit, certes, avec l’invasion russe une illustration spectaculaire de ce que l’on avait appelé, au début des années 1990, la « sanctuarisation agressive » : un État s’abrite derrière son parapluie nucléaire pour agresser un pays non protégé par cette arme. On avait vu ce concept à l’œuvre en Asie avec les actions de la Chine (1969), du Pakistan (1999) et de la Corée du Nord (2010), mais aussi en Europe avec celles de… la Russie depuis 2008. Toutefois, contrairement à ce qu’une lecture hâtive des déclarations russes a parfois pu faire croire, Moscou ne s’est pas montrée particulièrement menaçante au cours de la guerre en Ukraine, les déclarations des rares responsables russes autorisés à s’exprimer étant presque toujours parfaitement en phase avec la doctrine russe déclarée, qui fait état d’un seuil nucléaire assez élevé. La configuration et la posture des forces sont restées cohérentes avec cette doctrine, de même que les exercices conduits depuis plus de deux ans. La décision spectaculaire, le 27 février 2022, de placer toutes les forces stratégiques russes dans un « régime spécial de combat » n’avait pas débouché sur une élévation du niveau d’alerte des forces nucléaires : il s’agissait essentiellement, semble-t-il, d’une mesure de précaution.

Bien entendu, un excès d’optimisme dans le domaine nucléaire serait tout aussi inconsidéré que le catastrophisme dont font preuve de nombreux commentateurs. Les conditions d’exercice de la dissuasion nucléaire évoluent. Le nombre d’acteurs dotés de l’arme nucléaire est plus élevé (neuf) qu’à la fin de la Guerre froide (six). Cette multipolarité nucléaire grandissante pourrait rendre la dissuasion plus problématique. Si la dissuasion à deux est souvent considérée comme une partie d’échecs, la dissuasion à plusieurs pourrait être une partie de poker dans le meilleur des cas, une partie de roulette russe dans le pire. Cela est d’autant plus vrai que les arsenaux nucléaires en Asie se renforcent rapidement, sans pour autant être mûrs au point de pouvoir garantir une certaine stabilité stratégique. Et, surtout, que plusieurs des acteurs nucléaires – la Russie, la Chine, le Pakistan, la Corée du Nord – semblent particulièrement enclins à la prise de risque stratégique : or quand bien même ils resteraient prudents dans le domaine nucléaire, leurs initiatives pourraient déboucher sur des crises difficilement contrôlables. Aussi serait-il irresponsable, par exemple, de négliger l’éventualité d’un emploi délibéré par le Kremlin, notamment si le régime vacillait. Même s’il n’est pas totalement certain qu’il suffirait au président russe de donner l’ordre d’ouverture du feu nucléaire – il est le seul habilité à le faire, comme ses homologues français ou américain – pour que cet ordre soit effectivement mis en œuvre jusqu’au bout de la chaîne de commandement : des officiers subalternes chargés de son exécution pourraient peut-être refuser d’agir. L’émergence de la Chine comme puissance nucléaire majeure pose des questions nouvelles et, pour les Occidentaux, l’équilibre stratégique pourrait bientôt ressembler à un « problème à trois corps ». Enfin, la montée en puissance des défenses antimissiles pourrait rendre plus complexe le calcul offense/défense.

Mais tout cela ne crée pas nécessairement les conditions d’un « nouvel âge nucléaire ». Au fond, les éléments et les codes de la dissuasion nucléaire restent inchangés. Seul un effondrement du TNP à la suite d’un retrait de l’Iran est susceptible d’altérer fondamentalement le cadre de la dissuasion à court et moyen termes. Quant à un « troisième emploi » de cette arme, après Hiroshima et Nagasaki, il ferait connaître au monde un véritable saut dans l’inconnu.

Un roman plutôt qu’un essai

C’est, justement, l’objet de Guerre nucléaire. Un scénario. Salué par la critique aux États-Unis, l’ouvrage d’Annie Jacobsen est unique en son genre. Il relève à la fois de la fiction et du documentaire, avec de nombreuses références techniques et historiques présentées sous la forme d’encadrés ou d’inserts. La prose est sèche et nerveuse, les personnages peu détaillés : l’aspect fictionnel du livre n’est là qu’en support de la description, en 400 pages, des 72 minutes qui séparent, dans son scénario, la paix de la destruction totale.

Tout commence par un tir de deux missiles nord-coréens sur les États-Unis. L’attaque est ce que l’on appelle dans le domaine militaire un « coup de tonnerre dans un ciel bleu », sans qu’aucune crise ou événement l’ait laissé prévoir. Kim Jong-un, ou son successeur, serait-il susceptible de commettre un tel acte ? Cela supposerait qu’il soit suicidaire. Rien dans le comportement des dirigeants nord-coréens, depuis la fondation de la République démocratique et populaire de Corée, ne laisse entendre que ce soit le cas. On dit souvent que la dissuasion ne peut pas fonctionner face à un « fou ». C’est sans doute vrai, mais les dirigeants concernés ne sont jamais « fous » : ils ont leur propre rationalité. Tout l’enjeu consiste à la comprendre.

Il n’empêche : on peut se demander quelle logique voudrait que la Corée du nord ne tire que deux missiles alors qu’elle sait très bien qu’il y aurait une probabilité non négligeable qu’au moins l’un des deux soit intercepté et que la riposte américaine serait terrible.

Ces questionnements n’invalident pas les hypothèses de l’auteure, à condition de ne pas voir Guerre nucléaire comme une projection réaliste. Dans le scénario que propose Annie Jacobsen, le monde est confronté à une série de décisions fatales prises par les dirigeants de puissances nucléaires – le but de la journaliste américaine étant de montrer un véritable « scénario catastrophe », menant à la pire des issues possibles.

L’enchaînement des faits est le suivant. Les défenses antimissiles balistiques américaines, pourtant conçues justement pour intercepter une poignée de missiles nord-coréens, ne font preuve d’aucune efficacité. Et voyant arriver les missiles en direction du territoire continental américain, le président des Etats-Unis prend deux décisions surprenantes.

La première est de riposter immédiatement, sans attendre la certitude que ce sont bien des missiles nucléaires, que c’est bien l’Amérique qui va être frappée, et que les armes exploseront comme prévu. C’est ce que l’on appelle le « lancement sur alerte » (launch on warning). Or si cette option est techniquement ouverte au président américain – au nom de la maximisation de sa liberté d’action –, la culture stratégique américaine contemporaine suggère au contraire très fortement qu’un président américain attendrait d’être certain que les explosions ont eu lieu pour réagir.

La deuxième décision surprenante est que parmi les trois types de moyens de riposte dont le président dispose – missiles sol-sol, aviation, missiles mer-sol –, il privilégie les premiers dans le but de réduire au maximum la capacité de la Corée du Nord à lancer de nouveaux missiles. Or la trajectoire balistique de ces missiles lancés depuis le nord et l’ouest du territoire américain ne peut pas être contrôlée : pour atteindre la Corée du nord, ils doivent, géographie oblige, survoler le territoire… russe. Et le président américain qu’imagine Annie Jacobsen n’y va pas de main morte : il lance pas moins de cinquante de ces missiles, auxquels s’ajoutent huit missiles multi-têtes depuis les sous-marins américains dans le Pacifique.

C’est la clé du scénario infernal proposé par Annie Jacobsen. Bien évidemment, l’administration américaine, président en tête, veut immédiatement prévenir Moscou, afin de couper court à tout malentendu. Or Moscou… ne répond pas. Et, pire, va réagir exactement comme Washington l’a fait, mettant le feu à la planète. Car ses moyens d’alerte avancée détectent, à tort, plusieurs centaines de missiles dirigés vers la Russie. Enfin, dans ce scénario, la Chine n’intervient pas (les autres puissances nucléaires non plus). Or il n’est pas absurde de supposer que, dans la réalité, elle ne resterait pas inerte face à la perspective d’une guerre nucléaire à sa porte.

Enfin, le récit suppose que la « chaîne de commandement » fonctionne parfaitement. Si la décision d’emploi incombe généralement au décideur suprême, démocrate ou dictateur, elle doit être mise en œuvre par des hommes et des femmes. Or on a pu voir un débat à ce sujet sous l’administration Trump, les plus hauts responsables militaires américains affirmant qu’ils s’opposeraient à tout ordre présidentiel « illégal ». Alors que dans le livre d’Annie Jacobsen, ces mêmes responsables sont volontiers présentés comme des va-t-en-guerre…

Au vu de la radicalité des événements décrits et de leur enchaînement discutable, Guerre nucléaire. Un scénario est bien davantage un roman, une projection extrême, qu’un essai visant à coller à la réalité de l’instant présent. Mais en privilégiant la consultation d’experts favorables au désarmement, et parfois décrédibilisés, l’auteur s’expose au reproche de militantisme

. Le livre d’Annie Jacobsen pose ainsi problème tant sur le plan technique que politique, et le récit sur lequel il est basé confine à l’absurde. 

Toutefois, sa valeur réside davantage dans ses descriptions techniques que dans le scénario lui-même. Le lecteur est ainsi invité à se plonger dans un exposé ultra-détaillé aussi terrifiant que techniquement plausible de ces 72 minutes. Personne d’autre n’avait, jusqu’à présent, couché sur le papier dans un ouvrage destiné au grand public le déroulement précis de la catastrophe absolue que représenterait une guerre nucléaire totale. À quelques mois du quatre-vingtième anniversaire d’Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945), Annie Jacobsen nous rappelle l’horreur que serait un emploi massif des armes nucléaires par les grandes puissances. Paradoxalement, c’est ce tableau qui peut conforter la logique de dissuasion nucléaire : c’est parce que ces armes font peur aux dirigeants qu’elles les contraignent à une certaine retenue dans la guerre.

Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique ?

Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique ?

Par AB PICTORIS, Clément Alberni – Diploweb – publié le 23 octobre 2024

https://www.diploweb.com/Carte-commentee-Les-terres-rares-nouvel-enjeu-de-puissance-et-terrain-d-affrontement-strategique.html


AB Pictoris est une entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Passionnée de cartographie et de géopolitique, elle a obtenu un Master en Géopolitique (parcours cyber, IFG, Paris VIII) et en Géostratégie (Sciences Po Aix) après une licence de Géographie et Aménagement du Territoire (Paris I).
Clément Alberni est diplômé d’un Master en Histoire et Relations internationales, de l’Université Catholique de Lille. Après un stage au Ministère des Armées, il occupe chez AB Pictoris un poste d’analyste-cartographe dans le cadre d’un stage se déroulant d’août à octobre 2024.

La République populaire de Chine est le leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis mettent en oeuvre une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’Union européenne tente une stratégie de réduction de la dépendance mais se trouve face à ses propres limites. Autrement dit, les terres rares en disent long sur les dynamiques de puissance aujourd’hui.

Carte disponible sous deux formats : JPG et PDF haute qualité d’impression.

« Le Moyen-Orient a son pétrole, la Chine a ses terres rares », cette phrase prononcée en 1992 par Deng Xiaoping, alors dirigeant de la République populaire de Chine, illustre l’importance stratégique de ces métaux, même s’ils sont encore trop méconnus aujourd’hui.

Les terres rares, utilisées dans de nombreux objets électroniques et numériques (téléphones portables, disques durs, écrans, vélos ou voitures électriques, turbines d’éoliennes, robots), sont devenues incontournables. Sur le marché des terres rares, la Chine occupe aujourd’hui une position dominante et place, notamment l’Europe et la France, dans un rapport de dépendance marqué. Revenons sur les enjeux géopolitiques et les perspectives à moyen-long terme autour de ces matériaux dont l’importance ne cesse de croître depuis plusieurs décennies.

 
Carte. Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique
La République populaire de Chine, leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis, une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’Union européenne, une stratégie de réduction de la dépendance face à ses propres limites. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris. Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression
Alberni/AB Pictoris

Une définition des terres rares

Rémy Sabathié, géo-politologue et auteur de l’ouvrage La France et les Terres rares [1] le décrit comme “Un groupe restreint de 17 éléments de la classification périodique de Mendeleïev (94 éléments), soit environ 18% des éléments connus.“

Il s’agit plus précisément de 15 lanthanides – lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium,erbium, thulium, ytterbium, lutécium – auxquels il faut ajouter le scandium et l’yttrium qui ne sont pas à proprement parler des terres rares mais qui leur sont assimilés.

Ces terres rares (qui seront appelés REE ou ETR) sont des métaux, issus de minéraux, et donc extraits des sous-sols. Pour autant, une de leurs principales caractéristiques est leur faible concentration dans la terre. Ainsi, pour ne récupérer qu’une toute petite quantité de terres rares, il est nécessaire d’en traiter de très gros volumes. De plus, l’obtention d’un produit pur est un processus long, coûteux en énergie et très polluant. Les applications industrielles des terres rares nécessitent des niveaux de pureté très élevés, jusqu’à 99,9% [2]. Les effets de l’activité minière des terres rares sur l’environnement (spécialement les argiles latéritiques d’ion-adsorption) portent principalement sur une destruction sévère de la végétation ainsi qu’une dégradation importante des sols et de la qualité des eaux [3].

Toujours selon Rémy Sabathié, les terres rares se regroupent en deux sous-catégories, les terres rares légères, et les terres rares lourdes, qui sont considérées comme beaucoup plus rares car « présentes dans les couches géologiques dans des concentrations encore plus faibles que les terres rares légères ».

Aujourd’hui, près de 90% des réserves connues de terres rares sont réparties entre quatre pays. En effet, selon les données de Statista en 2022, la Chine dispose d’environ 44 000 tonnes d’oxydes de terres rares, soit environ 37% des réserves totales, le Vietnam dispose d’environ 22 000 tonnes (environ 20%), tandis que le Brésil et la Russie disposent de 21 000 tonnes (environ 15%) chacun.

Analysons les enjeux autour des terres rares sous le prisme de la domination chinoise, et des stratégies adoptées en retour par les États-Unis et l’Union européenne.

La position dominante de la Chine sur le marché des terres rares

Dans sa note, “La Chine et les terres rares : son rôle critique dans la nouvelle économie”, le chercheur John Seaman affirme que “la domination de la Chine dans la production de terres rares illustre la compétition qui se joue autour des ressources minérales dans un monde toujours plus axé sur le numérique et le bas-carbone”. En effet, ce dernier ajoute qu’au cours des deux dernières décennies, la Chine a été à l’origine de 80 à 95 % de la production mondiale de terres rares [4].

Bien que les États-Unis aient été les premiers producteurs mondiaux de terres rares au début des années 1980, la majorité de la production mondiale a basculé en Chine à partir du milieu des années 1990.

Cette évolution favorable s’explique d’abord par différentes décisions du gouvernement chinois comme la modernisation économique marquée par une exploitation intense des ressources naturelles, la réglementation de l’industrie sur les acteurs du marché intérieur et la limitation des conditions d’accès à l’exploitation par des étrangers. En parallèle, la relative libéralisation du commerce et de l’investissement a encouragé les entreprises chinoises dans l’acquisition d’un savoir-faire technologique étranger dans le secteur des terres rares. Cette avance technologique a conduit la Chine à une domination progressive des chaînes de valeurs [5] permettant l’utilisation de certains types de terres rares. C’est le cas des éléments Nfdeb, utilisés dans des domaines tels que l’automobile et l’aéronautique.

Cette domination s’accentue encore à mesure que d’autres producteurs, notamment aux États-Unis, ferment leurs mines en raison de la concurrence chinoise et des préoccupations environnementales montantes. Dans les années 2000, la Chine continue d’améliorer sa position dominante sur le marché, atteignant près de 95 % de la production mondiale [6] de terres rares. Elle développe également des capacités de traitement sophistiquées, ce qui lui permet de contrôler non seulement l’extraction, mais aussi le raffinement des terres rares, une étape cruciale dans la chaîne de valeur.

Dès l’année 2005, la mise en place de quotas d’exportation et la restriction de ventes de terres rares par la Chine, officiellement pour des raisons environnementales, mais également pour favoriser les industries locales utilisant ces matériaux et ainsi conserver sa domination sur le marché, alertent quant à la capacité de nuisance chinoise.

Au cours de l’année 2010, un incident diplomatique sino-japonais provoque un embargo chinois [7] sur les terres rares et marque un tournant dans la prise de conscience mondiale concernant la dépendance envers l’État chinois. La capacité de la Chine à influencer ce marché pousse de nombreux pays à repenser leurs stratégies d’approvisionnement pour se prémunir contre l’éventuelle utilisation des terres rares comme un outil de pression politique ou économique. Ainsi, de nouveaux projets miniers sont relancés ou initiés (Australie, aux États-Unis et au Canada) pour réduire la dépendance à l’égard de Pékin. En parallèle, les recherches sur le recyclage des terres rares et le développement de matériaux de substitution s’intensifient.

Dans un contexte de tensions économiques exacerbées, les États-Unis réagissent et mettent en place une stratégie qui vise à développer leur capacité à maîtriser les différents éléments de la chaîne de valeurs sur certaines terres rares, tout en cherchant des solutions alternatives d’approvisionnement, dans le but de réduire leur niveau de dépendance vis à vis de la Chine.

Les États-Unis, une stratégie d’autonomisation et de diversification des approvisionnements

A la veille de la transition énergétique, du tournant vers des technologies plus respectueuses de l’environnement et du développement du numérique, les minerais et les métaux occupent une place de plus en plus centrale dans le développement économique. Dans ce contexte, la sécurisation des approvisionnements et l’organisation de chaînes de valeurs durables est indispensable.

Les États-Unis, principaux concurrents de la Chine, ont emboîté le pas du Japon (précurseur de la mise en place de politiques publiques pour gérer cette dépendance) en adoptant une stratégie à deux dimensions [8]. La première, visant à relancer l’industrie américaine, la seconde visant à établir une coopération internationale spécifique et pouvant parfois s’imbriquer avec d’autres alliances préexistantes comme le Quad [9], regroupant les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie.

Les terres rares en disent long sur les dynamiques de puissance aujourd’hui

Le volet portant sur la relance de l’industrie a été initié durant le mandat de Donald Trump. En décembre 2017, ce dernier signe l’Executive Order 13817 [10] visant à établir un inventaire complet des minerais critiques pour apporter une réponse rapide et adaptée sur l’approvisionnement, le traitement et le recyclage de ces métaux. L’étude a permis de dégager les (24) buts à atteindre, des recommandations (61) et 6 domaines d’action [11]. Le nouvel Executive Order publié le 30 septembre 2020 en est une traduction législative concrète. Ce dernier demande « l’utilisation de tous les pouvoirs (des ministères concernés) afin d’accélérer la délivrance de permis et l’achèvement des projets permettant l’expansion et la protection de la chaîne d’approvisionnement minière domestique ».

Sur le plan de la coopération extérieure, les États-Unis développent leurs relations bilatérales avec l’Australie, le Canada et le Brésil pour diversifier leurs sources d’approvisionnement. En parallèle, ils continuent de structurer leur relations avec le Groenland, l’une des rares régions du monde abritant des ressources encore inexploitées et regorgeant de métaux rares [12]. Les enjeux sont considérables dans cette région autonome qui cherche à obtenir son indépendance, et qui voit déjà de nombreux pays comme la Russie, la Chine et les États-Unis se positionner.

L’administration Biden poursuit les politiques engagées en mettant l’accent sur des leviers comme le développement des technologies alternatives aux terres rares et l’amélioration de l’efficacité des procédés de production, ainsi que la promotion du recyclage des terres rares à partir de produits électroniques usagés et autres matériaux. Il est certain que la relance de l’industrie américaine prendra des années avant de produire des effets significatifs. D’ici là il s’agit de réduire la dépendance vis-à-vis des sources primaires tout en diminuant l’impact environnemental de l’extraction minière.

L’Union européenne, une stratégie de réduction de la dépendance face à ses propres limites

Dès le début du XXIe siècle, les instances décisionnelles de l’Union européenne (UE) ont manifesté un intérêt croissant pour les terres rares, en réaction à une transformation significative de la chaîne d’approvisionnement mondiale qui s’est produite au cours des années 1990, et leur nouvelle dépendance à la République populaire de Chine. Ainsi en 2023, le site français Vie Publique affirme que “Sur toute la chaîne de valeur des terres rares, la France et l’Europe sont dans un rapport de dépendance marqué par rapport à la Chine. La situation peut même être qualifiée d’instable et de dangereuse face aux possibilités de restriction de la Chine sur ses exportations à base de terres rares, en raison de la hausse prévue de la consommation chinoise. [13]

Depuis la prise de conscience de ce retard important, l’Union européenne élabore une stratégie visant à réduire sa dépendance et à sécuriser ses approvisionnements en ces matériaux indispensables pour les technologies vertes et numériques. Elle lance en 2020, à l’initiative de la commission européenne, une première phase à travers le “Plan d’action sur les matières premières critiques” qui répond à quatre objectifs :

. développer des chaînes de valeur résilientes pour les écosystèmes industriels de l’UE ;

. réduire la dépendance vis-à-vis les matières premières critiques primaires grâce à l’utilisation circulaire des ressources, des produits durables et de l’innovation ;

. renforcer l’approvisionnement domestique de matières premières dans l’UE ;

. diversifier l’approvisionnement auprès des pays tiers et éliminer les distorsions du commerce international, en respectant pleinement les obligations internationales de l’UE.

Pour se donner les moyens d’y parvenir, elle se fixe 10 engagements concrets à moyen-long terme (cf article source [14]). Parmi ces objectifs, le plan prévoit la création d’une alliance européenne des matières premières. Créée en 2020, l’alliance européenne pour les matières premières fédère les industriels du secteur et identifie des projets d’extraction et de recyclage de terres rares en Europe.

Dans la continuité de ce plan d’action, le Conseil européen, institution qui réunit les chefs d’État ou chefs de gouvernement des vingt-sept États membres de l’Union européenne (précision importante pour souligner le poids politique de cette décision), adopte le Critical Raw Material Act [15], une réglementation qui matérialise la stratégie de l’Union sur ces matières essentielles au fonctionnement et à l’intégrité d’un large éventail d’écosystèmes industriels. Une stratégie qui, pour rappel, repose sur trois piliers : accroître et diversifier l’approvisionnement de l’UE en matières premières critiques, renforcer la circularité y compris le recyclage, soutenir la recherche et l’innovation en matière d’utilisation efficace des ressources et de mise au point de substituts.

Le texte rappelle cependant que si l’UE ne sera jamais autosuffisante, elle vise à diversifier son approvisionnement [16].

Malgré les efforts de l’Union européenne, plusieurs défis internes freinent la mise en œuvre d’une stratégie cohérente et efficace. Le principal défi est celui de l’hétérogénéité entre ses États membres qui ont des priorités industrielles et économiques divergentes, ce qui complique la coordination des efforts au niveau européen. Certains pays, comme l’Allemagne, sont fortement engagés dans le développement de technologies vertes et sont particulièrement intéressés par l’accès sécurisé aux terres rares pour alimenter leur industrie des énergies renouvelables. D’autres, en revanche, comme les pays d’Europe de l’Est, sont plus préoccupés par les implications économiques et sociales de l’exploitation minière, et sont moins disposés à accepter des projets d’envergure. Ces divergences se manifestent également dans la manière dont les États membres abordent les partenariats internationaux.

Enfin, l’impact environnemental et les déchets générés à différentes étapes (extraction, raffinage) de la chaîne de valeur des terres rares sont un problème majeur. L’Union accélère sa transition vers une industrie verte et durable, et doit parvenir à trouver un équilibre entre le respect des normes environnementales, les revendications sanitaires de ses citoyens, et la nécessité de s’autonomiser avec la mise en place de nouveaux projets d’exploitation minière sur son sol.

Pour surmonter ces obstacles, l’UE devra non seulement renforcer la coordination entre ses États membres, mais aussi développer des solutions innovantes pour minimiser l’impact environnemental de l’exploitation minière. La mise en place de standards environnementaux européens doit permettre d’harmoniser les pratiques minières à travers l’Union, tout en respectant les attentes des citoyens en matière de durabilité. La capacité de réponse à ces problématiques apparaît d’autant plus importante que l’UE prévoit une explosion de la demande en matières premières critiques d’ici 2030 et 2050, pour certains comme l’aluminium, le cuivre, le nickel elle devrait être multiplié par 10 [17]. Du côté des métaux rares, un rapport de l’association européenne des métaux [18] prévoit des augmentations de la demande vertigineuse : + 3 500 % pour le lithium, + 2 600 % pour le dysprosium , + 330 % pour le cobalt.

Ainsi, la Chine est aujourd’hui en position de forte domination sur le marché, une position dont l’utilisation comme arme diplomatique est à relativiser. Cependant, les efforts investis par les États-Unis et l’Union européenne, qui tendent à réduire leur dépendance et à combler ce retard, témoignent de l’importance à venir des terres rares. Ces nouvelles stratégies, dont les effets mettront plusieurs années à se produire, sont indispensables, dans un contexte d’augmentation exponentiel de la demande globale des précieux métaux. Cet enjeu aujourd’hui majeur sera demain un enjeu hautement stratégique pour les États.

Voir la carte au format PDF haute qualité d’impression

Copyright 2024-Alberni-Ab Pictoris

Titre du document :
Carte. Les terres rares, nouvel enjeu de puissance et terrain d’affrontement stratégique
La République populaire de Chine, leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis, une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’Union européenne, une stratégie de réduction de la dépendance face à ses propres limites. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.Document ajouté le 21 octobre 2024
Document JPEG ; 380565 ko
Taille : 1200 x 837 px

La Chine est leader historique de la production de terres rares. Les Etats-Unis mettent en oeuvre une volonté de reprendre le contrôle stratégique par l’autonomisation. L’UE affiche une stratégie de réduction de la dépendance mais se trouve face à ses propres limites.


[1] Sabathié, R. (2016). La France et les Terres rares. Les Éditions du Net.

[2] CNRS. (2010, 6 août). Les terres rares : Quels impacts ? ÉcoInfo. https://ecoinfo.cnrs.fr/2010/08/06/les-terres-rares-quels-impacts/

[3] Wong, M. H., Wong, J. W. C., & Baker, A. J. M. (2014). Impacts of rare earth mining on the environment and the effects of ecological measures on soil. In Remediation and management of degraded lands (chap. 10).

[4] Vasselier, A. (2021). Chine et terres rares : Un rôle critique dans la nouvelle économie. Ifri. https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/chine-terres-rares-role-critique-nouvelle-economie

[5] La chaîne de valeur est l’ensemble des étapes déterminant la capacité d’un domaine d’activité stratégique (DAS), d’une entreprise ou d’une organisation à obtenir un avantage concurrentiel.

[6] Humphries, M. (2010). Rare earth elements : The global supply chain. Congressional Research Service.

[7] Le Monde. (2010, 23 septembre). Tension Pékin-Tokyo : La Chine suspend ses exportations de terres rares vers le Japon. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/09/23/tension-pekin-tokyo-la-chine-suspend-ses-exportations-de-terres-rares-vers-le-japon_1414929_3216.html

[8] Laplane, M. (2021). Stratégie et souveraineté minérale américaine (p.3). Ifri. https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/laplane_strategie_souverainete_minerale_americaine_2021.pdf

[9] Géoconfluences. (2021). Quadrilateral pour la sécurité (Quad) : Dialogue quadrilatéral. Géoconfluences. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/quad-dialogue-quadrilateral-pour-la-securite

[10] Executive Office of the President. (2017, 26 décembre). A federal strategy to ensure secure and reliable supplies of critical minerals. Federal Register. https://www.federalregister.gov/documents/2017/12/26/2017-27700/a-federal-strategy-to-ensure-secure-and-reliable-supplies-of-critical-minerals

[11] 1. Faire progresser la R&D et le déploiement de solutions tout au long des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques 2. Renforcer les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques des États-Unis et le tissu industriel de la défense 3. Améliorer les règles du commerce international ainsi que la coopération toutes deux liées aux minerais critiques 4. Améliorer la connaissance autour des ressources minérales critiques nationales 5. Améliorer l’accès aux ressources minérales sur les terres fédérales et réduire les délais de délivrance des permis fédéraux 6. Augmenter la main-d’œuvre américaine dans l’industrie des minerais critiques.

[12] Le Monde. (2022, 28 juillet). Le Groenland, nouvel eldorado des terres rares. Le Monde. https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/07/28/le-groenland-nouvel-eldorado-des-terres-rares_6136429_3234.html

[13] Vie publique. (2022, 9 février). Terres rares : Quels enjeux pour la France et l’Europe ? Vie Publique. https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/289457-terres-rares-quels-enjeux-pour-la-france-et-leurope#terres-rares-les-enjeux-du-futur

[14] Comité économique et social européen. (2023). Résilience des matières premières critiques : La voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité. https://www.eesc.europa.eu/fr/our-work/opinions-information-reports/opinions/resilience-des-matieres-premieres-critiques-la-voie-suivre-pour-un-renforcement-de-la-securite-et-de-la-durabilite

[15] Conseil de l’Union européenne. (2024). Critical raw materials. https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/critical-raw-materials/

[16] Actuellement, pour certaines matières premières critiques, l’UE dépend uniquement d’un seul pays : la Chine fournit 100 % de l’approvisionnement de l’UE en terres rares lourdes, la Turquie fournit 98 % de l’approvisionnement de l’UE en bore, l’Afrique du Sud fournit 71 % des besoins de l’UE en platine

[17] Conseil de l’Union européenne. (2024). Critical raw materials. (Paragraphe 5. L’avenir de la demande) (https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/critical-raw-materials/

[18] Eurometaux. (2022). Policymaker summary report. https://eurometaux.eu/media/20ad5yza/2022-policymaker-summary-report-final.pdf

Un exemple oublié de projection de puissance de l’armée française

Un exemple oublié de projection de puissance de l’armée française

par Paul-Alexandre Vix (SIE28 de l’EGE) – Ecole de Guerre économique – publié le 22 octobre 2024

https://www.ege.fr/infoguerre/un-exemple-oublie-de-projection-de-puissance-de-larmee-francaise


Le contexte actuel, induit par la guerre russo-ukrainienne, est propice aux questionnements en ce qui concerne les capacités d’approvisionnement et de projection de puissance de l’armée française. En effet, les deux ans de conflits aux frontières de l’Europe ont mis à jour les manquements des États européen en termes de souveraineté, au premier rang desquelles, la France. De cette situation, deux éléments émergent : l’absence de contrôle sur notre environnement sécuritaire régional d’une part et les soubresauts de notre appareil de défense d’autre part. Ceux-ci soulignent un raté stratégique en ce qui concerne la politique étrangère française et la projection de nos intérêts géopolitiques au niveau continental. De cela découle un rapport de force défavorable à la France, tant vis-à-vis de ses alliés traditionnels que de ses ennemies et rivaux, sur les plans économiques, diplomatiques et militaires. 

Cette situation apparaît comme l’écho d’un épisode marquant de l’histoire géostratégique française survenu au lendemain de la défaite de 1871.

Si tout le monde a connaissance des membres de la Triple-Entente, peu connaissent les circonstances et la manière dont s’est construite l’alliance franco-russe qui fut le ciment de la Triple-Entente. Loin d’aller de soi, elle fut l’enchainement d’un grand nombre de manœuvres en sous-main de la France cherchant à pousser toujours plus la Russie vers une confrontation avec l’Allemagne, ceci afin de laver l’affront de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Avant d’entreprendre une analyse sur la manière dont la France a su avec brio s’emparer de l’industrie militaire russe et forcer la main des autorités Tsaristes concernant une guerre avec l’Allemagne, il convient de revenir sur quelques éléments de contexte afin d’éclaircir ces zones d’ombres.

 

Comment la France a poussé la Russie à s’opposer à l’Allemagne entre 1893 et 1914

La stratégie d’influence diplomatico-économique de la France germe au lendemain de la défaite du Second Empire face à la Prusse. Vaincue et humiliée, la France se retrouve isolée politiquement à travers l’alliance des empires : Allemagne, Austro-Hongrie et Russie. Une stratégie allemande qui réussit tant que Bismarck est au pouvoir, le chancelier allemand est parfaitement conscient que la France ne peut en rester là. Toutefois, il ne peut concilier les intérêts divergents russes et austro-hongrois [1]. Très vite, les deux empires s’affrontent sur des questions territoriales. La première fissure dans le plan de Bismarck apparaît en 1878 alors même que l’Empire Ottoman vient d’être vaincu et qu’il se voit imposer par la Russie le traité de San Stefano à la suite de l’occupation de sa capitale par les forces russes. Ce traité prévoit d’amputer l’Empire Ottoman d’une grande partie de son territoire européen au profit de la création d’une grande principauté de Bulgarie et d’un agrandissement de la principauté de Serbie, du Monténégro et de Roumanie.

Devant la menace que représentent ces modifications territoriales, l’Autriche s’inquiète de voir de potentiels États alliés à la Russie sur sa frontière méridionale. Quant à la Grande-Bretagne elle ne souhaite pas que la Russie parvienne à avoir un accès à la Méditerranée comme elle l’avait souhaité en 1856 lors de la Guerre de Crimée. Le traité de San Stefano est alors réaménagé au profit de l’Autriche-Hongrie et de la Grande-Bretagne, une fissure se crée entre la Russie et l’Autriche-Hongrie, amenant à la fin de l’accord de 1873 qui unissait l’Allemagne, la Russie et l’Autriche-Hongrie. Une deuxième fissure se crée en 1885 lors de la Crise balkanique qui ruine toutes les ambitions russes et permet à l’Autriche de mettre un prétendant des plus favorables à son autorité sur le trône de Bulgarie. Malgré un traité de réassurance germano-russe en 1887 exprimant une neutralité des deux pays en cas d’attaque française ou autrichienne, le retrait en 1890 de Bismarck et l’absence d’une signature du traité de réassurance de l’entente des trois empereurs permet à la Russie de se retrouver libre de toute contrainte diplomatique [2]. 

En cette année 1890, la France entre en jeu et s’apprête à poser les bases d’une coopération qui change le destin de tout l’empire russe. D’autant que l’influence française s’apprête à bouleverser les projets stratégiques de la Russie, qui consistent jusque-là à atteindre la Méditerranée et la sécurisation des territoires d’Orient. Lors de ce qui apparaît comme des manœuvres de l’armée russe, le Général Raoul De Boisdeffre, alors chef d’État-Major général des armées françaises, entend de la part des généraux russes à la tête des manœuvres que la Russie est ouverte à la négociation d’une convention militaire franco-russe [3]. Si la France tient le début d’une occasion de se venger de l’Allemagne, la Russie n’est pas pressée de s’engager de manière concrète. Entre juillet et août 1891 Alexandre Ribot, alors ministre des Affaires étrangères français, et son homologue russe, Nicolas de Giers, signent un traité de coopération franco-russe, néanmoins dépourvue de convention militaire de nature terrestre ou navale [4].

 

France et Russie : Nouer des liens pour mieux bâtir une convention propre aux intérêts français

La situation se débloque entre le mois de juillet et le 17 août 1892, après de nombreuses discussions entre le Général Raoul Le Mouton de Boisdeffre et le Général Nicolas Obroutchev chef d’état-major général des Armées de la Russie donnant lieu à une convention militaire secrète franco-russe [5]. À cet instant, la France qui désire récupérer les territoires perdus en 1871 et sa place sur la scène internationale, comprend qu’il serait de bon augure de mettre en place une stratégie qui implique la Russie afin d’inverser le rapport de force qui oppose la France aux Empires Centraux. La stratégie de la France concernant la Russie s’énumère en plusieurs points : mise en place d’une chaine de dépendance militaro-industriel, encerclement cognitif des élites russes pour diriger les buts de guerre contre l’Allemagne, mise en place d’une politique de soumission par la dette. La France chercher à utiliser la Russie tel un bouclier qui encaisserait le choc de l’armée allemande en cas de conflit, tandis que la Russie voit en la France une source non négligeable d’approvisionnement en matériel militaire et des investissements financiers pour rattraper le retard accumulé en termes de développement national. Pour se faire, elle a déjà pu compter sur de multiples emprunts sur les marchés boursiers français dès 1862 [6]. Le 10 décembre 1888, elle emprunte 500 millions de francs avec un intérêt de 4% auprès de la France [7]. Cette dépendance économique de la Russie envers la France, s’avère très utile dans les années 1900 car elle pose les bases de la soumission par la dette que la France veut imposer à la Russie.

Officiellement la Duplice signée le 7 octobre 1879 spécifie qu’en cas d’attaque de la France, l’Allemagne et l’Autriche garantissent une neutralité réciproque en cas d’agression française. Pour la convention militaire franco-russe, l’intérêt de la France prend le dessus sur les intérêts russes. En effet, quel que soit le cas de figure impliquant l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie ou l’Italie, la finalité étant une attaque de la France et de la Russie à l’encontre de l’Allemagne [8]. Un tour de force qui démontre la supériorité de la France dans le rapport de force qui la lie à la Russie et qui marque également la première étape de la stratégie d’influence française. De plus, la France s’assure auprès de la Russie qu’au moindre signal d’alerte en provenance d’un des membres de la Triplice, les armées françaises et russes ont pour consigne commune de se mettre en marche vers leurs frontières [9]. La France renforce encore son influence sur la Russie en l’obligeant selon la troisième clause de la convention militaire à déployer 700 000 à 800 000 hommes contre l’Allemagne alors même que la Russie n’a aucun intérêt à combattre cette dernière [10]. Gardant à l’esprit que, pour la Russie, sacrifier un grand nombre de ses soldats dans des combats contre l’Allemagne n’a aucun intérêt, la France n’hésite pas à faire inscrire en cinquième clause dans la convention militaire l’idée qu’aucune paix séparée ne peut être signée [11]. La France veut s’assurer de pouvoir utiliser son bouclier russe jusqu’à la fin du conflit et pour se faire prend des garanties plutôt que de faire confiance à son partenaire de l’Est. Cependant, afin de mieux faire accepter à la Russie l’idée de lier son destin à celui de la France, la convention militaire franco-russe est présentée comme une réponse à une situation donnée pendant une période limitée [12]. La dernière clause précise que toutes les clauses précédentes doivent être tenues secrètes malgré l’annonce officielle de l’alliance franco-russe le 27 décembre 1893. Cela constitue une manière de tester la fiabilité de l’allié russe et de voir si ce dernier est capable de ne pas divulguer d’informations stratégiques.

 

L’alliance franco-russe : un projet international de puissance, y compris maritime 

Afin de montrer à la face du monde qu’un rapprochement franco-russe a lieu, on multiplie les démonstrations. La première est celle de la visite de la flotte française à Cronstadt en 1892 commandée par l’amiral Gervais alors chef d’état-major général de la marine. Il se rend à proximité de St-Pétersbourg et est reçu par le Tsar Alexandre III en personne afin d’exprimer les liens qui unissent désormais Français et Russes. En réponse à cette visite française, la Russie envoie une flotte russe de la Baltique à Toulon en 1893 commandée par l’Amiral Avellan qui est suivie en 1896 d’une visite du couple impérial à Paris. Le Tsar Nicolas II et la Tsarine Alexandra posent la première pierre du pont Alexandre III le 7 octobre en l’honneur de l’amitié franco-russe. Sa construction s’étend de 1897 à 1900 concomitamment à celle du Pont de la Trinité à St-Pétersbourg qui est terminé en 1903 et dont la première pierre est posée par Félix Faure alors président de la République française. De plus, afin de faire passer le message à la Triplice, Français et Russes organisent d’importantes manœuvres dans l’Est de la France auxquelles des officiers étrangers sont autorisés à assister notamment austro-hongrois, allemands et italiens [13].

Les cérémonies d’apparat étant terminées, Mikhaïl Miraviov, alors ministre des Affaires Étrangères du Tsar Nicolas II, propose au Pape Léon XIII une conférence internationale pour la paix. Si la raison officielle est de mettre un terme aux « armements incessants et de rechercher les moyens de prévenir des calamités qui menacent le monde entier », le contenu quant à lui est mûrement pensé pour être favorable à la France et à la Russie. Elle se déroule le 18 mai 1899 à la Cour permanente d’arbitrage de la Haye qui doit réguler les conflits à venir. Concrètement la Russie réussit le tour de force d’affaiblir l’Allemagne et la prive de nombreuses technologies militaires sous le prétexte qu’elles sont trop meurtrières pour être utilisées au combat. Une action largement soutenue par la majorité des pays participants à cette convention mais qui laisse à penser aux yeux de tous que désormais l’Allemagne est l’ennemi principal de la Russie [14].

La convention militaire franco-russe prévoit des rencontres annuelles entre 1905 et 1913 calées sur les dates des contingences propres à la vie militaire. Elles ont pour objectif d’harmoniser les objectifs militaires des deux pays et d’établir une stratégie commune. Un des éléments du rapport de force qui lie la France et la Russie dans ces conférences, est l’utilisation de la langue française. Bien qu’elle soit la langue diplomatique et internationale utilisée, elle demeure comme unique langue utilisée lors des conférences franco-russe. Grâce à ces conférences, la France parvient à impliquer la Russie dans une convention navale commune visant à établir une stratégie concrète en prévision d’une guerre maritime avec l’Allemagne [15].

 

La France infiltre la Russie pour mieux la contrôler et l’orienter vers les intérêts français

L’influence exercée par la France sur la Russie a permis de rééquilibrer en partie le rapport de force continental. L’alliance des empires centraux est à présent contrebalancée par l’entente franco-russe, entente qui a déjà permis d’affaiblir en partie le processus d’armement allemand. La guerre Russo-japonaise permet toutefois à la France de pousser davantage sa stratégie russe et de mettre en place un rapport de force favorable, caractérisé par des éléments tangibles de contrainte, vis-à-vis de la Russie et ce au service de ses buts de guerre contre l’Allemagne. La France s’étant illustré par sa combattivité lors de la Guerre de Crimée de 1853-1856 face aux Russes. Ces derniers à la suite du traumatisme de la guerre russo-japonaise décident de se rapprocher encore davantage de l’armée française afin de combler les lacunes de l’armée russe, tout en profitant de l’expérience du combat de la France. Pour la France, une telle situation est tout à son avantage. Elle a l’occasion unique d’imposer sa vision et ses concepts à l’armée russe en se cachant derrière le prétexte de vouloir aider un allié dans le besoin. Pourtant les Français n’oublient pas que le 23 juillet 1905 à Bjorkö en Finlande, la Russie a signé une alliance défensive avec l’Allemagne [16]. Bien qu’elle ait renoncée à cette alliance, l’action de Nicolas II n’a pas échappé à la vigilance française.

Afin qu’une telle surprise ne se reproduise plus, l’État-Major français fait pression lors des conférences annuelles avec l’État-Major russe pour organiser une structure interalliée qui permet d’uniformiser la pensée et les connaissances stratégiques des officiers. Une telle organisation voit le jour en 1908 et instaure un échange de stagiaires entre les deux pays. Officiellement le projet prévoit un stage de 6 mois au sein de l’armée alliée (officiers subalternes), consistant à découvrir la vie des troupes, à assister à des cours d’instructions sur l’art militaire et sur les conceptions tactiques. Officieusement, les choses ne sont pas ce qu’elles semblent êtres, les officiers stagiaires français réalisent en réalité un véritable travail d’encerclement cognitif et de renseignement. Les informations recueillies portent sur des descriptions concernant l’état d’esprit des Russes à l’égard de la France mais également sur des personnalités jugées utiles aux intérêts français [17].

D’autre part les stages débutent le 1er avril, or c’est à ce moment que commencent la plupart des manœuvres de l’armée russe qui durent jusqu’en septembre. Cela permet aux éléments français de recueillir les informations stratégiques liées aux besoins d’approvisionnement et d’armement de l’armée russe. De plus, la présence de militaires français lors des manœuvres russes permet de distiller les conceptions tactiques de l’armée française auprès des officiers du Tsar. Pour se faire, ils n’hésitaient pas à réaliser une intense campagne d’influence vantant l’art militaire français et l’intérêt de n’utiliser que lui, pour mieux se coordonner. De cette manière, la France parvient à imposer ses conceptions militaires à la Russie sous couvert d’une harmonisation des normes et des valeurs, elle impose en réalité une mise sous tutelle à l’armée russe.

 

Construction de l’influence à travers le pouvoir industriel et économique

Une fois cet encerclement cognitif réalisé, la suite logique est d’acheter le matériel français dont les stagiaires ont tant vanté les mérites. Ils ont créé la demande, il ne manque plus que l’offre, après tout, les forces russes savent déjà que la France dispose d’une capacité à produire en masse de l’armement de qualité. La première commande en armement date du 23 décembre 1891 à propos de l’achat de 500 000 fusils Mosin-Nagant [18]. Si la production d’armes a été particulièrement lente dans les années qui ont suivi, elle connait une véritable explosion en 1909. Entre 1909 et 1910 la Russie acquiert massivement des pièces d’artillerie auprès de l’entreprise française Schneider. Par la suite elle achète des milliers de mitrailleuses à la maison française Hotchkiss [19]. Conformément aux observations des stagiaires français sur les défenses côtières de la Russie, les autorités russes achètent des tourelles à éclipses types 75 pour leurs places fortes pour la somme de 2,5 millions de francs (1 000 000 millions de roubles) auprès de la Compagnie des Forges de Châtillon, de Commentry et Neuve-Maison et de la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt. Grâce aux diverses commandes passées, le secteur de l’armement en Russie est très largement dominé par les entreprises Schneider et la Compagnie du Creusot qui ont une emprise économique ayant un poids considérable dans le rapport de force entre l’Empire Russe et la France.

Cependant si les Français disposent d’un savoir-faire inégalé en termes de fabrication, les Russes disposent de la meilleure utilisation tactique [20]. C’est pourquoi dès 1912, la France scrute avec attention les évolutions technologiques navales de la marine russe. Elle en profite tant pour améliorer sa propre marine que pour inciter la Russie à dépenser toujours davantage d’argent dans la formation d’une marine capable de rivaliser avec la puissante marine allemande. Une véritable campagne d’influence initiée dans un premier temps par les ministres de la Guerre et des Affaires Étrangères français puis dans un second temps par les entreprises françaises d’armement. Une incitation qui permet au budget d’investissement russe de passé de 223 millions de francs à 692 millions de francs entre 1907 et 1913 concernant la marine militaire [21].

 

L’incitation à s’équiper « français »

De plus, en 1913 la Russie souhaite également développer le nombre d’automobiles qu’elle possède. Pour se faire, elle fait un appel d’offre à toutes les entreprises d’Europe, la France vigilante rappelle que les entreprises allemandes sont exclues dans la mesure où ces achats visent à constituer un stock militaire ayant vocation à faire la guerre contre le Reich allemand [22]. Le Général Joffre insiste lourdement afin que les entreprises françaises soient favorisées dans le choix des appels d’offre.

C’est ce soutien de l’appareil militaire qui a permis aux fournisseurs français de devenir l’unique choix de l’armée russe en termes d’achats. En effet, l’État-Major général français n’hésite pas à rappeler que les entreprises françaises disposent de succursales en Russie et qu’il est donc plus facile de sécuriser la production de matériel, si elle est directement produite en Russie. D’autant que l’influence des grands industriels français soutenus par l’État permet d’obtenir l’appui de la haute aristocratie russe dont le Grand-Duc Serge, qui se trouvait être le Grand-Maître de l’Artillerie russe. Il estime que le Creusot est « la première maison du monde du point de vue de l’artillerie » [23].

 

La préservation des secrets industriels

Un soutien, ô combien inestimable car l’État français n’hésite pas à intervenir en faveur de la préservation des secrets industriels nationaux. En effet, dans l’objectif d’éviter le risque de rétro engineering, les Français restent particulièrement vigilants quant à l’espionnage industriel ou à d’éventuels vols de technologies. La Russie devenant un partenaire trop gourmand, souhaitant sans doute en profiter pour rééquilibrer le rapport de force qu’elle partage avec la France. L’État français n’hésite pas à rappeler que les entreprises françaises sont les seules détentrices de ce savoir-faire et qu’à ce titre, elles sont les plus compétentes à gérer la production d’armement. De ce fait, la France conserve un rapport de force favorable vis-à-vis de la Russie tout en développant conjointement son emprise économique et cognitive sur les cercles dirigeants et militaires russes. [24].

 

L’aéronautique russe : le savoir-faire français à son plein potentiel

Sous couvert de partager une technologie en pleine effervescence, la France et plus largement les entreprises françaises exportent le savoir-faire et l’expérience française en Russie afin de préparer la Russie à affronter l’Allemagne dans les airs. Dès 1913 dans le cadre des stages interalliés, les officiers russes sont formés dans les écoles d’aviation française notamment au sein du 2ème groupe d’aéronautique de Reims [25]. Encore une fois cette formation sur des appareils français n’est que la conséquence logique des ventes d’avions de combat par les entreprises françaises auprès de l’État-Major russe. Néanmoins, les tentatives russes de créer des moteurs ou des avions avec de meilleures performances que ceux des Français, poussent ces derniers à rivaliser d’ingéniosité pour conserver leur position dominante sur le marché de l’armement en Russie [26]. L’idée étant que la France doit conserver la chaîne de dépendance qu’elle a su imposée à la Russie. 

 

Le domaine ferroviaire : orienter les déplacements des troupes russes vers l’Allemagne

Pour la France, il est essentiel que la Russie puisse envoyer de manière massive et rapide des troupes sur le front Est, afin de combattre l’Allemagne. Si elle n’a pas à bataillé pour construire de nouvelles voies de chemin de fer, elle doit en revanche rivaliser d’ingéniosité pour accroître considérablement la capacité de transport de l’armée russe. Un problème qui en cache un autre, dans la mesure où le système ferroviaire russe est si obsolète qu’effectuer des travaux implique un coût très élevé. La Russie ne disposant pas des moyens financiers suffisants pour s’en charger, elle est contrainte de se financer auprès de la France, ce qui l’amène à faire des choix concernant la création ou la rénovation des voies de chemins de fer, renforçant par-là l’emprise financière française et son influence dans la mise en place des nouveaux chemins de fer. Cet apport financier est utilisé afin de favoriser des lignes ferroviaires allant vers les ports mais également celles en direction de l’Extrême-Orient afin de prévenir une éventuelle attaque japonaise [27]. Comprenant que l’État-Major russe tente de se soustraire à l’influence française, la France propose à des acteurs privés de s’occuper des lignes ferroviaires jugées non stratégiques (blé, Extrême-Orient) et de se concentrer sur les lignes stratégiques au niveau étatique [28]. La Russie refusant cette alternative, l’État français décide de conditionner des prêts bancaires à la réalisation des voies de chemin de fer qui sont conformes aux intérêts français [29]. Ce conditionnement financier s’accompagne d’un intense encerclement cognitif visant à rappeler que l’ennemi prioritaire est l’Allemagne et qu’à ce titre, il faut concentrer toutes les forces et ressources disponibles contre elle [30]. Ne pouvant se passer de ce soutien financier salvateur la Russie n’a d’autres choix que de céder devant la pression de la France. Dès lors, la Russie renforce alors l’inégalité dans le rapport de force qu’elle a avec la France, la confortant dans une situation de dépendance encore plus forte qu’avant. La Russie ne pouvant plus se défaire de l’emprise économique et financière de la France sur sa politique industrielle d’armement et de développement des infrastructures du territoire de l’empire russe. Elle se retrouve prisonnière d’un encerclement cognitif, économique, financier et logistique imposé par l’armée française et par les industriels français, l’empêchant de concevoir une alternative à la proposition française. 

 

La transformation des buts de guerre russes

Le vainqueur de ce rapport de force est indéniablement la France en atteste les premières batailles de la Première Guerre mondiale de 1914, la Russie entre en guerre contre l’Allemagne et s’engage corps et âmes dans cette lutte. La stratégie de la France a fonctionné puisque l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie perdent près de 1,8 millions d’hommes en combattant sur le front russe. Un sacrifice élevé permettant à l’armée française de ne pas subir de plein fouet, la machine de guerre allemande en occupant une partie significative de l’armée sur le front de l’Est. L’identification des principaux acteurs de décision combinée à différentes manœuvres d’encerclement cognitif ont conduit à une mise sous dépendance de l’armée russe par l’armée française et les industriels français. L’harmonisation des normes et des conceptions militaires a quant à elle permis de concentrer l’attention des élites russes en direction d’une guerre avec l’Allemagne aux côtés des Français au lieu d’une guerre centrée uniquement sur l’Autriche-Hongrie conformément aux intérêts russes, transformant totalement les buts de guerre russes au profit de la France. De plus, la stratégie française en Russie est une victoire dans deux rapports de force. Tout d’abord, elle sort victorieuse d’une guerre contre l’Allemagne alors que dix ans auparavant elle était isolée diplomatiquement et humiliée. Elle a pu aligner la Russie sur ses intérêts sans devoir respecter les intérêts russes, d’autant que ses industries ont pleinement profités des emprunts financiers russes pour vendre massivement leur matériel de guerre. Quant à la Russie, le rapport de force avec la France amena à un changement brutal de ses objectifs stratégiques, accompagné d’un endettement phénoménal suivi d’une guerre contre l’Allemagne qui favorise la révolution et la perte de territoire. La stratégie française fut si efficace, que la Russie n’est pas parvenue à contrebalancer le rapport de force avec la France et cela eu des conséquences extrêmement négatives.

 

Paul-Alexandre Vix (SIE28 de l’EGE)


Notes : 

[1] : Mougel, François-Charles, et Séverine Pacteau. « Chapitre IV. L’hégémonie européenne (1870-1890) », François-Charles Mougel éd., Histoire des relations internationales. Presses Universitaires de France, 2021, p. 33.

[2] : Ibid. p. 35.

[3] : Archive SHD, GR 7 N 1484 : Missions militaires françaises et attachés militaires (1890-1899) ; correspondance, minutes, notes, mémoires, rapports sur la Russie (capitaine Matton 1890).

[4] : Ibid.

[5] : Ibid.

[6] : Alfred Neymarck, Les dettes publiques européennes, Paris, Guillaumin, 1887, p. 75.

[7] : Archive SHD, GR 7 N 1484 : Missions militaires françaises et attachés militaires (1890-1899) ; correspondance, minutes, notes, mémoires, rapports sur la Russie (capitaine Matton 1890).

[8] : Ibid.

[9] : Archive SHD, GR 7 N 1484 : Missions militaires françaises et attachés militaires (1890-1899) ; correspondance, minutes, notes, mémoires, rapports sur la Russie (capitaine Matton, 1892).

[10] : Ibid.

[11] : Ibid.

[12] : Ibid.

[13] : Armée et marine : revue hebdomadaire illustrée des armées de terre du 20 octobre 1901, P. 742.

[14] : Convention (II) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. La Haye, 29 juillet 1899.

[15] : Archive SHD, GR/7/N/1484 : Missions militaires françaises et attachés militaires (1890-1899) ; correspondance, minutes, notes, mémoires, rapports sur la Russie (capitaine Matton, 1892),

[16] : Milza, P. (2014). Chapitre 6. Naissance de la Triple Entente. Dans :  P. Milza, Les relations internationales de 1871 à 1914, Paris: Armand Colin, p. 153.

[17] : Archive SHD, GR 7 N 1485 : Note de l’État-Major des Armées, 2ème bureau concernant les stages, mars 1911.

[18] : Manfred A. Z, « Quelle fut la cause de l’Alliance franco-russe ? », Cahiers du monde russe et soviétique, op. cit., p. 153.

[19] : Archive SHD, GR 7 N 1539 : Note E.M.A 2ème bureau Artillerie (confidentiel), Paris 7 octobre 1909.

[20] : Archive SHD, GR 7 N 1478 : St-Pétersbourg, 4 juin 1913, rapport de l’attaché militaire adjoint, le Capitaine Wehrlin à l’E.M.A 2ème bureau.

[21] : Archive S.H.M, SS EA 162 : Rapport de l’attaché naval, le lieutenant de Vaisseau Gallaud, St-Pétersbourg, 31 décembre 1913.

[22] : Archive SHD, GR 7 N 1539 : Rapport de l’attaché militaire adjoint, le Commandant Wehrlin, St-Pétersbourg, 9 avril 1914.

[23] : Archive S.H.M, BB7 120 : Rapport de l’attaché naval, le Lieutenant de Vaisseau Gallaud à E.M.A Ière section, St-Pétersbourg, 6 novembre 1912.

[24] : Archive SHD, GR 7 N 1486, Paris, 20 mai 1913, lettre du ministre des Affaires étrangères à M. le ministre de la Guerre.

[25] : Archive S.H.D, GR 7 N 1487 : Paris, 21 mai 1913, 4ème Direction Génie Section Aéronautique, note pour l’E.M.A, 2ème bureau.

[26] : Archive S.H.M, BB7 122 : Renseignements confidentiels fournis à l’attaché naval à St-Pétersbourg, E.M.G Ière section.

[27] : Archive SHD, GR 7 N 1540 : E.M.A 2ème bureau, Plan d’études de voies ferrées nouvelles en Russie (1911).

[28] : Archive S.H.D, GR 7 N 1478 : Lettre du Capitaine Wehrlin à E.M.A 2ème bureau, St-Pétersbourg 26 octobre 1913.

[29] : Ibid.

[30] : Archive S.H.D, GR 7 N 1540 : Juillet 1913, E.M.A 2ème bureau section russe, note sur l’utilisation des chemins de fer russes pour la concentration.

 

Sources  

Ouvrages : 

  • Alfred Neymarck, Les dettes publiques européennes, Paris, Guillaumin, 1887, p. 307
  • Manfred A. Z, « Quelle fut la cause de l’Alliance franco-russe ? », Cahiers du monde russe et soviétique, op. cit., p. 153.
  • Milza, P. Les relations internationales de 1871 à 1914, Paris : Armand Colin, 2014, p. 175.
  • Mougel, François-Charles, et Séverine Pacteau, Histoire des relations internationales. Presses Universitaires de France, 2021, p. 127.

Revue de presse militaire : 

  • Armée et marine : revue hebdomadaire illustrée des armées de terre du 20 octobre 1901, p. 742.

Convention de la Croix Rouge : 

  • Convention (II) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. La Haye, 29 juillet 1899.

Archives du Service Historique de la Défense au Château de Vincennes : 

  • Archive SHD, GR 7 N 1478 : St-Pétersbourg, 4 juin 1913, rapport de l’attaché militaire adjoint.
  • Archive SHD, GR 7 N 1484 : Missions militaires françaises et attachés militaires (1890-1899) ; correspondance, minutes, notes, mémoires, rapports sur la Russie.
  • Archive SHD, GR 7 N 1485 : Note de l’État-Major des Armées, 2ème bureau concernant les stages.
  • Archive SHD, GR 7 N 1486 : lettre du ministre des Affaires étrangères à M. le ministre de la Guerre.
  • Archive S.H.D, GR 7 N 1487 : 4ème Direction Génie Section Aéronautique.
  • Archive SHD, GR 7 N 1539 : Note E.M.A 2ème bureau Artillerie.
  • Archive SHD, GR 7 N 1540 : E.M.A 2ème bureau.

 

Archives du Service Historique de la Marine (rattaché maintenant au SHD) : 

  • Archive S.H.M, BB7 120 : Rapport de l’attaché naval.
  • Archive S.H.M, BB7 122 : E.M.G Ière section.
  • Archive S.H.M, SS EA 162 : Rapport de l’attaché naval.

La Suède et le Royaume-Uni a bord de l’initiative européenne sur les frappes longue portée

La Suède et le Royaume-Uni a bord de l’initiative européenne sur les frappes longue portée

par – Forces opérations Blog – publié le

Deux pays ont formalisé leur entrée dans l’ « European Long Range Strike Approach » (ELSA), initiative lancée en juillet dernier par la France pour progresser conjointement sur le développement de la frappe longue portée de demain. 

La famille d’ELSA s’agrandit. La Suède et le Royaume-Uni, deux pays dont l’adhésion était pressentie, ont rejoint le quatuor initial formé par la France, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne à l’occasion d’une réunion des ministres de la Défense de l’OTAN organisée cette semaine à Bruxelles. 

Ensemble, les six acolytes plancheront sur un nouveau missile de croisière terrestre doté d’une portée de 1000 à 2000 km. Il s’agira de « jouer un rôle clé dans la défense de l’Europe d’ici les années 2030 », pointe un partenaire britannique pour qui il est également question de « travailler plus étroitement avec ses alliés européens dans des domaines clés de la sécurité ». 

« La guerre en Ukraine a montré que des capacités de frappe en profondeur à longue portée sont nécessaires non seulement à des fins de dissuasion, mais aussi pour empêcher un ennemi de lancer des attaques suffisamment hors de portée pour que nous ne puissions l’arrêter », commentait le ministre de la Défense suédois Pål Jonson en marge de la signature d’une lettre d’intention. Reste à éclaircir le cas de l’Espagne, septième partenaire potentiel mentionné en amont de la signature intervenue mi-juillet.

« La question se pose : devons-nous, nous aussi, posséder ce type d’arme ? Nous voyons bien que ce type d’arme prend tout son sens si c’est un pilier européen de la Défense qui est capable de le développer et ensuite de le posséder », notait à ce sujet le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, en audition parlementaire.

Chaque pays dispose de son lot d’acteurs industriels susceptibles d’amener les briques nécessaires. Le champion européen MBDA, par exemple, a déjà progressé sur la question en dévoilant au salon Eurosatory un « Land Cruise Missile », application terrestre du missile de croisière naval (MdCN).

Côté français, ELSA se veut complémentaire d’un programme national de frappe longue portée terrestre (FLP-T), effort de remplacement du lance-roquettes unitaire pour lequel la livraison d’un démonstrateur est espérée d’ici 18 mois. La notification d’une étude auprès d’industriels français, attendue en 2024, doit encore se matérialiser afin d’avancer sur la piste d’une solution souveraine. 

Crédits image : MBDA