Dossier géopolitique : La France d’outre-mer (FOM)

Dossier géopolitique : La France d’outre-mer (FOM)

Par Pierre Verluise – Diploweb – publié le 27 juillet 2024  

 https://www.diploweb.com/Dossier-geopolitique-La-France-d-outre-mer-FOM.html


Docteur en géopolitique de l’Université Paris IV – Sorbonne. Fondateur associé de Diploweb. Professeur en CPGE à Blomet (Paris). Chercheur associé à la FRS. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.

Le Diploweb n’a pas attendu la crise de 2023 à Mayotte ou de 2024 en Nouvelle-Calédonie pour s’intéresser collectivités territoriales d’outre-mer françaises. Ce dossier géopolitique du Diploweb conçu par Pierre Verluise rassemble des éclairages féconds à travers des liens vers des documents de référence de nombreux auteurs : articles, entretiens, cartes, vidéos. Et il y aurait encore tant à écrire sur cet « non-dit géopolitique français ».

. Damien Gautreau, Le bras de fer franco-comorien au sujet de Mayotte

Les relations entre les Comores et la France ne sont pas au beau fixe et la question de Mayotte est loin d’être réglée. Les dirigeants comoriens se servent de la situation pour maintenir leur autorité.

. Florentin Brocheton, Mayotte, les décasages : expulsions d’étrangers proches dans le monde rural

Les perceptions sociales des habitants des villages mahorais changent avec la crise profonde que traverse Mayotte. Des familles intégrées dans la vie collective des villages, intégrées dans le tissu social, perçues comme membres du village se retrouvent ainsi expulsées par les Mahorais. Des communautés rurales aux relations et rapports complexes se mettent à expulser illégalement des populations dorénavant considérées comme exogènes, étrangères, porteuses de la responsabilité des crises que traverse Mayotte. F. Brocheton nous fait découvrir un visage souvent méconnu en métropole d’un territoire de la République française. Illustré d’une carte sous deux formats JPEG et PDF.

. Gérard-François Dumont, Découvrir Mayotte, une géopolitique singulière

Mayotte est presque un « impensé » du discours public en métropole, sauf en cas de crise, mais dans ce cas la méconnaissance de la géopolitique de ce territoire du sud-ouest de l’océan Indien pénalise la compréhension de l’actualité. Le Recteur Gérard-François Dumont offre ici une ample mise en perspective avec des données actualisées. Un texte qui fera référence, accompagné d’une carte de localisation.

. Jean-Christophe Gay, Pierre Verluise, Mieux connaître la France d’outre-mer. Entretien avec Jean-Christophe Gay

Jean-Christophe Gay, vient de publier « La France d’outre-mer. Terres éparses, sociétés vivantes », Armand Colin. Ce remarquable ouvrage présente des éléments localisés et chiffrés qui mis en relation forment une clé de lecture d’ensemble des caractéristiques de ces territoires trop souvent méconnus voire méprisés en métropole. J-C Gay passe d’un territoire à l’autre avec une aisance impressionnante, autant pour pointer des traits communs que des différences. Il répond aux questions de Pierre Verluise pour le Diploweb.com.

. Pierre Verluise, Comment la France d’outre-mer vote-t-elle lors de l’élection présidentielle de 2022 ?

L’élection présidentielle française de 2022 confirme à la fois la diversité des outre-mer et l’attrait d’une majorité des collectivités d’outre-mer pour les candidats « protestataires », avec souvent la capacité de voter successivement pour l’extrême gauche puis l’extrême droite. De plus, la très faible participation des inscrits d’outre-mer à ce scrutin témoigne à tout le moins d’un malaise, voire d’une faible implication dans les enjeux électoraux nationaux. D’une certaine manière, ce scrutin illustre une fois de plus le caractère à la fois ultrapériphérique et contestataire de ces territoires. Illustré de plusieurs figures.

. Vidéo. Yan Giron. Les outre-mers français et les nouveaux risques maritimes

La France ne se résume pas l’Hexagone. Les outre-mers français sont aussi des composantes de la France… et lui offrent un immense espace maritime, avec la deuxième Zone économique exclusive du monde. Pourtant, les outre-mers et la ZEE française sont deux « vides » du discours commun au sujet de la France dans le monde. Yan Giron met donc ici en relation deux sujets méconnus mais stratégiques : les outre-mers et leur dimension maritime. Il y a ajoute sa signature : les nouveaux risques maritimes. Illustré par plusieurs cartes.

. Vidéo. Emilie Richard Les villes des outre-mers français face aux risques

L’outre-mer français est soumis à des climats difficiles. La plupart des terres ultramarines sont situées dans des zones tropicales ou équatoriales (Caraïbes, Amérique du Sud, Océan Indien, Polynésie…) ; les autres relèvent de climats froids rigoureux. En outre, du fait de sa situation géographique, la France d’outre-mer est davantage exposée que la métropole à des risques naturels, cycloniques, sismiques ou volcaniques. Les inégalités qui sous-tendent la vulnérabilité de ces territoires soulignent l’idée essentielle que le risque est un objet politique.

. Yvette Veyret, Une catastrophe inévitable : Saint-Martin (Antilles), une île à risques majeurs

Au terme d’une étude géographique rigoureuse, Y. Veyret pose les questions éludées par la couverture médiatique de la catastrophe de Saint-Martin.

. Stéphane Granger, La Guyane, collectivité française et européenne d’outre-mer entre plusieurs mondes

Toujours en quête d’une plus grande affirmation politique et identitaire et d’un développement permettant d’assurer un débouché aux dizaines de milliers de jeunes sous-employés et une meilleure insertion régionale, les Guyanais sont tiraillés entre leurs multiples appartenances et contradictions.

Cette exceptionnelle étude présente successivement l’affirmation politique et statutaire de la Guyane (I), de l’affirmation identitaire à l’insertion continentale progressive (II), les contradictions d’un territoire français en Amérique du Sud (III), et les perspectives, entre isolement, protection et ouverture (IV). Illustré de trois documents réalisés par Charlotte Bezamat-Mantes. Enrichi postérieurement à la publication d’une chronologie du mouvement social de mars-avril 2017 en Guyane, en pied de page.

. François-Michel Le Tourneau, Découvrez la vie des chercheurs d’or qui pratiquent l’orpaillage clandestin en Guyane française. Entretien avec F.-M. Le Tourneau

Cet entretien avec François-Michel Le Tourneau éclaire la vie des chercheurs d’or qui pratiquent l’orpaillage clandestin en Guyane française, en Amérique latine. L’exploitation illégale de cette ressource révèle combien un monde parallèle se joue ici des frontières et de la souveraineté françaises sur certaines parties de ce territoire situé au Nord du Brésil et à l’Est du Surinam. En Guyane française, les « garimpeiros » acteurs à l’origine du système de l’orpaillage clandestin ou qui en profitent directement ne sont pas des acteurs guyanais. Le terme « garimpeiros », sous-entend en effet un vrai système aux composantes multiples, à la fois économiques, sociales et culturelles, créé au Brésil et qui étend ses ramifications dans l’Amazonie brésilienne, en Guyane française, au Suriname, et jusqu’en Bolivie.

. Maelig Terrien, Quelle direction stratégique pour la politique française contre l’orpaillage illégal en Guyane ?

Construit sur une enquête de terrain, cet article fait un bilan critique de la politique française contre l’orpaillage clandestin en Guyane. L’auteur s’interroge sur la politique publique mise en oeuvre et ses contradictions. Avec deux cartes et un assemblage de deux photos.

. Hervé Théry, France-Brésil : un pont géopolitique

Pourquoi construire un pont aussi grandiose sur l’Oyapock alors que l’on n’attend qu’un trafic très limité, qui aurait très probablement pu être absorbé sans difficulté – à un coût infiniment moindre – en renforçant le service des bacs qui assuraient déjà la traversée ? Cela ne s’explique que dans une perspective géopolitique régionale. (3 illustrations dont 1 carte de situation)

. Population & Avenir, Schéma de la Guyane, territoire ultramarin de l’Union européenne

Un schéma pour comprendre l’organisation spatiale de la Guyane française. Sortez vos crayons et vos feutres…

. Vidéo. La France une puissance de l’Indo-Pacifique ? P. Milhiet

Les problématiques géopolitiques dans l’Indo-Pacifique français sont à la fois différenciées et imbriquées à toutes les échelles d’analyses : internationales, régionales, nationales, locales. Depuis le Brexit (2020), la France reste le dernier interlocuteur membre de l’Union européenne (UE) souverain dans la zone, une occasion unique de réaffirmer son rôle de grande puissance européenne.

La stratégie promue par l’État place de facto les collectivités françaises de l’Indo-Pacifique à la confluence de projets géopolitiques concurrents. Pourquoi ? Cette passionnante conférence l’explique clairement, à plusieurs échelles.

. Vidéo. Christian Lechervy La Nouvelle-Calédonie

Ambassadeur et Secrétaire permanent pour le Pacifique à la date de cette conférence, Christian Lechervy présente la situation géopolitique de la Nouvelle-Calédonie, de façon à la fois claire et précise. Une présentation documentée particulièrement bienvenue dans le contexte de la consultation référendaire fixée au 4 novembre 2018. L’occasion de découvrir comment s’organise déjà une souveraineté partagée.

. Paco Mihliet, Géopolitique de l’outre-mer. Quelle concurrence France / Chine en Polynésie française ?

« On ne peut être Français le lundi, et Chinois le mardi » a récemment déclaré le président de la République française à l’occasion d’un déplacement en Polynésie française. Paco Milhet présente un décalage entre la stratégie nationale et le contexte géopolitique local. Il décode les contradictions des jeux d’acteurs à plusieurs échelles.

. Aline Amodru-Dervillez, Quelles sont les chances de la France dans la bataille numérique en Océanie ?

Dans un environnement géopolitique mouvant, les collectivités françaises du Pacifique développent une stratégie pour devenir des acteurs majeurs de l’Océanie et créer un « Pacific French Tech ». Les enjeux sont considérables, et les difficultés restent présentes. Cette étude solidement documentée est à la fois un éclairage des collectivités françaises d’outre-mer en Océanie, et une présentation d’une dimension méconnue des enjeux numériques présents et à venir. Quatre cartes inédites.

. Paco Milhiet, L’Indo-Pacifique français en 2022, retour sur une année charnière

Stratégie nationale et réalités locales ne se superposent pas systématiquement dans l’Indo-Pacifique français. Si les collectivités françaises de l’Indo-Pacifique sont amenées à devenir une composante importante des relations internationales françaises, celles-ci doivent être considérés dans leurs spécificités, pas seulement pour leur intérêt géostratégique. Les organismes, institutions et think tanks français doivent en conséquence se spécialiser sur ces problématiques par un travail de formation et de sensibilisation indispensable, mais aussi en valorisant les compétences existantes notamment dans chaque collectivité d’outre-mer. Un tableau inédit par Paco Milhiet, auteur de « Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Enjeux internationaux, perspectives françaises », préface de Christian Lechervy, éditions Le Cavalier bleu.

. François Guilbert, France. Outre-Mer. La Polynésie française se dote d’une nouvelle diplomatie parlementaire

Cette étude approfondie présente comment la Polynésie française met le cap sur la francophonie régionale et institutionnelle et ouvre des coopérations parlementaires polynésiennes à la Mélanésie. L’auteur explique enfin comment la diplomatie parlementaire polynésienne s’élargit à l’ensemble Pacifique insulaire. Accompagné d’une carte.

. François Guilbert, Wallis-et-Futuna dans l’arène internationale

Le Président de la République visite Wallis-et-Futuna les 21 et 22 février 2016, un territoire de la République française qui n’est pas aussi isolé du reste du monde que peut le laisser penser un regard trop rapidement jeté sur une mappemonde et les immensités de l’Océanie. L’insertion de Wallis-et-Futuna sur la scène internationale prend comme chez ses voisins des chemins institutionnels, économiques mais aussi culturels, éducatifs, environnementaux, religieux, sanitaires ou encore sportifs. Même les plus petits territoires de la République trouvent leur place dans l’ordonnancement du monde et ses segments (sous)-régionaux, encore faut-il s’y montrer attentif. Partons à la découverte. Illustré de nombreux documents.

. François Guilbert, Le Pacifique insulaire face au COVID-19 : quelles solidarités et compétitions stratégiques ?

Voici une étude remarquablement documentée pour connaître les solidarités et compétitions stratégiques dans le Pacifique insulaire face au COVID-19. Tous les États et territoires du Pacifique ne sont pas atteints cliniquement par le COVID-19 ; Une gestion de crise mettant en première ligne les ex-puissances tutélaires ; Un coût économique élevé pour le Pacifique insulaire ; Faire face à la montée de la puissance chinoise dans le Pacifique. Illustré d’une carte et quatre tableaux.

. Charlotte Bezamat-Mantes, Pierre Verluise, Carte. Les États-Unis dans la zone Indo-Pacifique en 2021 : accords de coopération, de défense et alliances militaires

Une forte tension survient mi-septembre 2021 entre Paris et Washington DC lorsque l’annonce de la création d’un pacte de sécurité trilatéral appelé AUKUS est fatal à la vente à l’Australie de sous-marins français (Naval Group). Cette carte inédite offre une vision d’ensemble des accords de coopération, de défense et alliances militaires des États-Unis dans une zone d’importance stratégique croissante… où la France espérait bien marquer des points. Carte grand format en pied de page.

. Michel Foucher, Pierre Verluise, Pourquoi des mondes francophones ? Entretien avec Michel Foucher

A propos de francophonie, pourquoi parler de pluralité ? Comment caractériser les présences francophones en Europe, en Afrique subsaharienne, en Asie et en Amérique ? Peut-on distinguer des francophonies du Nord et du Sud ? Pourquoi la France est-elle, paradoxalement, le premier chantier de la francophonie ? Et demain, quelle place pour les francophonies dans un monde globalisé post-covid19 ?

. Olivier Kempf, Quelle puissance – relative – de la France ?
Comment caractériser la puissance française ? Quelle est la fonction de la thématique du déclin ? Comment exprimer son rêve de puissance ? Quelle stratégie ? Le général (2S) O. Kempf apporte des réponses stimulantes particulièrement bienvenues dans le contexte présent. Avec en bonus un résumé par Anna Monti, validé par O. Kempf.

La SMP Wagner reconnaît de lourdes pertes au Mali sans les détailler

La SMP Wagner reconnaît de lourdes pertes au Mali sans les détailler

La société paramilitaire russe Wagner a reconnu ce lundi avoir subi de lourdes pertes dans le nord du Mali au cours de violents combats contre des miliciens touaregs. Les mercenaires russes et l’armée malienne (FAMa) auraient subi des attaques « massives » de la part des rebelles anti-gouvernementaux et des combattants djihadistes.

La chaîne Telegram « Razgrouzka Wagnera » a publié une déclaration attribuée au groupe Wagner, qui explique que « du 22 au 27 juillet 2024, les militaires de la FAMa et les combattants du 13e groupe d’assaut de Wagner (…) ont mené de violents combats avec des militants de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et du groupe terroriste interdit en Russie +Al-Qaida au Sahel+ (JNIM) ».

Les combattants de Wagner étaient commandés par Sergueï Chevtchenko, nom de code « Proud », selon cette source. « Le premier jour, le groupe de Proud a éliminé une grande partie des islamistes et a entraîné la fuite des autres. Cependant, une tempête de sable est survenue et a permis aux radicaux de se regrouper et d’augmenter leurs effectifs jusqu’à 1.000 personnes », poursuit la déclaration. Des renforts ont ensuite été envoyés sur place sur décision du chef du détachement de Wagner qui, toujours selon ce communiqué, a repoussé ensuite le 25 juillet une attaque de l’ennemi.

Mais, les 26 et 27 juillet, « les radicaux ont augmenté le nombre d’attaques massives en utilisant des armes lourdes, des drones et des voitures piégées, ce qui a entraîné des pertes au sein de Wagner et des soldats de la FAMa.  » Le dernier message envoyé par les combattants de Wagner à Tinzaouaten a été reçu le 27 juillet et disait : « Nous ne sommes plus que trois. Nous continuons à nous battre. » La SMP russe a même précisé que le chef de son détachement, Sergueï Chevtchenko, avait été tué au combat.

Le mouvement récemment formé par les rebelles nordistes qui luttent contre le pouvoir de Bamako, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), avait affirmé dès samedi avoir tué ou capturé des mercenaires russes et des soldats maliens près de la ville de Tinzaouaten, proche de la frontière avec l’Algérie. Selon les rebelles, qui ont diffusé de nombreuses vidéos montrant les corps de leurs victimes et du matériel capturé, des dizaines de mercenaires russes et soldats maliens ont été tués ou capturés au cours de cette bataille. Les rebelles ont aussi revendiqué la destruction d’un hélicoptère d’attaque Mi-24 de l’armée de Bamako.

États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

par Michael BRENNER* – TRIBUNE LIBRE N°156 / juillet 2024 – CF2R

https://cf2r.org/tribune/etats-unis-lhegemonie-ou-lechec/


*Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

La nouveauté amène les observateurs à fouiller dans leur inventaire d’idées et de concepts pour en trouver un qui corresponde à la situation internationale que nous connaissons. Son application est censée donner un peu de sens aux nouveaux phénomènes qui apparaissent. Nombreux sont ceux qui se contentent de cela, même si leur description comporte des dénominations inappropriées ou des connotations ambiguës. Il en va ainsi de concepts tels que « populisme », « fascisme » et « hégémonie ». Tous sont en vogue ; tous sont employés à toutes les sauces si bien que ces termes ont perdu toute capacité de clarification pour expliquer les phénomènes en question.

Examinons le dernier en date : l’hégémonie. Ce terme occupe une place centrale dans le discours actuel sur la place des États-Unis dans le monde : ce qu’elle a été, sa durabilité et la manière qu’ils ont de formuler les intérêts nationaux du pays.

 

Hégémonie 

L’hégémonie est la domination sur des lieux, des élites politiques, des institutions de manière à contrôler ce qu’un État fait dans son propre intérêt. Cette domination peut varier en termes de portée, de méthodes et de degrés de contrôle. L’hégémonie américaine, dont on a beaucoup parlé après la Seconde Guerre mondiale, était géographiquement délimitée par le bloc communiste qui se trouvait en dehors de son champ d’action. Après 1991, elle a pris une dimension mondiale, l’objectif étant de consolider la primauté et la domination des États-Unis. C’est toujours le cas aujourd’hui. (Elle a été énoncée pour la première fois dans le fameux mémorandum Wolfowitz en février 1992, qui est devenu depuis lors le modèle de la politique étrangère américaine[1]). Pendant la Guerre froide, la préoccupation des États-Unis était la sécurité, leurs moyens étant principalement militaires – bien qu’étayés par un réseau dense de relations économiques favorables partiellement institutionnalisées. Au cours des trente années qui ont suivi (1992-2022), l’accent s’est progressivement déplacé vers la stratégie politico-économique à multiples facettes du néolibéralisme. Ce changement dans l’équilibre entre puissance « dure » et « semi-douce » n’a jamais éclipsé les considérations purement militaires, comme en témoignent :

  1. a) l’engagement publiquement déclaré du Pentagone en faveur d’une supériorité militaire à large spectre afin d’assurer une domination par escalade dans chaque région contre tout ennemi imaginable,
  2. b) les interventions dispersées menées au nom de la guerre mondiale contre la terreur,
  3. c) l’expansion incessante de l’OTAN.

La volonté de Washington d’utiliser la force pour imposer sa volonté, qui s’exprime aujourd’hui par une attitude agressive à l’égard de la Russie et de la Chine, n’a pas éteint la croyance idéaliste kantienne selon laquelle la propagation de la démocratie constitutionnelle, accompagnée des récompenses tangibles promises par l’indépendance économique mondiale, est la garantie la plus sûre de la stabilité internationale. Une stabilité supervisée par une Amérique bienveillante. L’accomplissement de cette téléologie présumée, cependant, a dicté l’utilisation de la puissance dure pour contrecarrer ou subjuguer ceux qui pourraient la défier.

Aujourd’hui, les élites politiques américaines se trouvent dans une position où l’objectif de l’hégémonie mondiale est devenu inaccessible – selon toute norme raisonnable, pour des raisons objectives. Pourtant, elles ne veulent pas – ou ne peuvent pas – accepter cette conclusion logique. Cette réticence est à la fois intellectuelle, idéologique et émotionnelle. La psychologie complexe d’une grande puissance en déclin qui jouissait d’un respect sans précédent au-delà de ses frontières, fondée sur la croyance en une exception innée la destinant à être le point de mire d’idées qui allaient remodeler le monde, rend l’analyse de ce comportement déconcertante. Ce que nous pouvons dire, c’est que la perspective d’un statut réduit est intolérable, même si la sécurité et le bien-être du pays ne sont pas directement menacés. La quête compulsive d’une sécurité absolue et d’une supériorité naturelle imaginaires ne permet pas aux Américains de se contenter de ce qu’ils ont accompli chez eux et à l’étranger. En effet, ce à quoi le pays aspirait et qu’il se sentait sur le point d’accomplir est en train de lui échapper. Le fossé entre les aspirations et la réalité se creuse d’année en année. C’est là que le bât blesse.

L’affaiblissement des performances est l’une des choses les plus difficiles à gérer pour l’être humain, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une nation.  Par nature, nous apprécions notre force et notre compétence ; nous redoutons le déclin et ses signes d’extinction. C’est particulièrement vrai aux États-Unis où, pour beaucoup, l’individu et la personnalité collective sont inséparables. Aucun autre pays n’essaie aussi inlassablement de vivre sa légende que les États-Unis. Pour de nombreux Américains – à l’ère de l’anxiété et de l’insécurité – le sentiment d’estime de soi et de valeur personnelle est fondé sur leur association intime avec l’appartenance à une nation vertueuse et dotée d’un pouvoir unique. Aujourd’hui, des événements se produisent qui contredisent le récit américain d’une nation au destin exceptionnel. Cela crée une dissonance cognitive et un malaise[2].

La remarquable uniformité de pensée parmi les membres influents de la classe politique empêche d’affronter ce dilemme de front. Il n’y a pratiquement aucun débat sérieux sur les objectifs et les moyens de la politique étrangère – du moins, parmi ceux qui ont accès aux couloirs du pouvoir décisionnel. Tous observent la même écriture sainte et chantent le même cantique. Résultat : une pensée de groupe profondément ancrée, imperméable aux preuves contradictoires qui sont ignorées, rejetées ou déformées pour correspondre aux idées préconçues. Cela soulève une question troublante : la conduite des États-Unis sur la scène internationale doit-elle être comprise comme une détermination raisonnée à suivre la voie choisie, quelles que soient les chances d’atteindre son objectif ambitieux ? Ou bien observons-nous des actions compulsives enracinées dans des émotions et des états d’esprit profondément ancrés, réifiés dans l’hégémonie doctrinale ?

 

Pourquoi l’hégémonie ?

La préoccupation première de tout État est sa sécurité. Cela découle de la nature intrinsèque des affaires internationales. La caractéristique distinctive de cet environnement est que chaque entité détermine quand et comment elle peut utiliser la force pour atteindre ses objectifs – il n’y a pas d’autorité supérieure qui fixe et applique des règles de comportement. D’où l’omniprésence de situations de conflit potentiel auxquelles les États doivent se préparer. C’est la caractéristique des relations internationales. Ce truisme soulève toutefois des questions fondamentales. La situation dans laquelle se trouve un État n’est pas figée ; il existe une multitude de configurations stratégiques, chacune ayant ses caractéristiques propres. De même, il existe un éventail de politiques qu’un État pourrait suivre pour se protéger dans l’une ou l’autre de ces conditions.

Évidemment, ces options théoriques sont limitées par la force relative des parties concernées, les ressources nationales, les degrés de cohésion interne, les idéologies dominantes, etc. Néanmoins, il existe d’autres façons de définir ses besoins en matière de sécurité et de formuler des stratégies pour y répondre. Cela vaut même lorsque le « potentiel de réponse discrétionnaire » est limité par des conditions objectives.

La détermination de ce qui constitue une situation de sécurité satisfaisante est fonction des jugements portés par les principaux décideurs dans le contexte et l’histoire propres à leur pays. À une extrémité du continuum se trouve la recherche de la sécurité absolue – ou d’une certaine approximation de celle-ci. Même dans ce cas, il convient d’évaluer le calendrier réalisable/préférable. Une sécurité absolue à perte de vue stratégique ? Pour cette génération ? Jusqu’à ce qu’un changement envisagé dans l’équilibre des forces se produise ?

La pensée dominante aux États-Unis se situe vers ce point absolutiste du continuum. En outre, elle penche fortement vers le long terme, voire la permanence. C’est compréhensible. Pendant les quelque 130 premières années de leur existence, les États-Unis ont été protégés par la géographie contre les menaces pesant sur leur intégrité physique et politique. La seule exception était le danger planant posé dans les premières années par une Grande-Bretagne qui nourrissait l’espoir d’un châtiment et d’une restauration, comme cela s’est manifesté lors de la guerre de 1812. Au cours du siècle suivant, les Américains ne se sont engagés dans des conflits avec d’autres États qu’en raison de leurs propres ambitions d’étendre leurs territoires. (contre l’Espagne en 1819 et 1898 ; contre le Mexique en 1848). Il s’agissait de choix, en aucun cas d’une nécessité. Il en va de même pour l’entrée dans la Première Guerre mondiale. Les dirigeants de Washington étaient manifestement plus à l’aise avec le statu quo d’avant-guerre qu’avec une Europe dominée par une Allemagne triomphante. Néanmoins, l’évaluation de la menace était plus abstraite que concrète et – telle qu’elle était – ne pouvait pas être réalisée dans un avenir proche. C’est donc à juste titre qu’elle a été qualifiée de « guerre de choix » plutôt que de guerre de nécessité sécuritaire. Il était naturel, sinon prédestiné, que les États-Unis reviennent au néo-isolationnisme pendant l’entre-deux-guerres.

La confiance des Américains dans leur insularité face à des menaces tangibles pour leur sécurité a ensuite été ébranlée par trois événements : Pearl Harbor ; l’explosion d’une bombe nucléaire par l’Union soviétique ; et le 11 septembre 2001. Ce dernier événement est survenu dix ans après la disparition de la menace de l’URSS. Au cours de la décennie écoulée, les élites politiques des États-Unis se sont senties rassurées par le fait que la sécurité quasi absolue du pays pouvait être rétablie. Le défi consistait à exploiter les conditions favorables à l’échelle mondiale pour établir une hégémonie américaine bienveillante dans laquelle aucune menace ne pourrait se matérialiser. Une stratégie multiforme était nécessaire pour étendre et approfondir l’influence américaine, pour affirmer l’allégeance et la déférence des autres États, et pour se préparer à l’utilisation de la force si nécessaire pour prévenir l’émergence de tout rival militaire potentiel. Telle est la logique sous-jacente de la doctrine Wolfowitz.

À l’heure actuelle, son enracinement dans l’esprit des dirigeants du pays est illustré par notre attitude de confrontation à l’égard de la Russie, de la Chine, de l’Iran et d’une série d’États moins redoutables que Washington considère comme hostiles ou antagonistes, d’une manière ou d’une autre. Comme l’a déclaré Joe Biden le 5 juillet 2024 : « non seulement je fais campagne, mais je dirige le monde ». Cela peut sembler une hyperbole, mais nous sommes la nation essentielle du monde. Interpolation : Nous devrions diriger le monde entier – pour le bien du monde et pour le nôtre.

L’expression « notre intérêt » implique un besoin. Quelle sorte de besoin ? Il ne s’agit pas d’un besoin de sécurité manifeste puisqu’il n’existe pas de menace manifeste pour l’intégrité territoriale ou l’intégrité politique des États-Unis. Il ne s’agit pas non plus d’une menace pour nos principaux alliés ou partenaires, même si l’on s’imagine que Poutine est un autre Hitler et qu’il existe un complot diabolique de la Chine pour nous remplacer en tant que suprématie mondiale. Ce qui est menacé, c’est l’hégémonie américaine telle que la conçoit Wolfowitz. Cette hégémonie est nécessaire non pas pour des raisons de sécurité, mais plutôt pour confirmer le droit des États-Unis à l’exceptionnalisme et à la suprématie, ancrés dans la psyché et le credo nationaux.

Tel était l’état des lieux lorsque l’équipe Biden, composée de néo-conservateurs et de nationalistes purs et durs, est arrivée au pouvoir. Ils ont ressenti un sentiment d’urgence. Trump avait été trop erratique dans ses relations avec Moscou et Pékin, en dépit d’une batterie de sanctions. Pendant qu’il « tergiversait », la Chine et la Russie se sont renforcées, ce qui exigeait une réaction rapide de peur que leur progression n’échappe à tout contrôle. Ces deux nations avaient le couteau entre les dents ; elles avaient un plan. Les principaux acteurs internationaux partageaient alors une carte cognitive claire – bien qu’unidimensionnelle – de l’environnement mondial : l’objectif était gravé dans le granit et leur croyance en l’efficacité de la puissance américaine était sans réserve. Les principaux éléments étaient les suivants. La Russie devait être neutralisée en tant que grande puissance, soit en l’incitant à s’abriter sous l’aile de l’Occident afin de se protéger du vorace « péril jaune » à sa frontière, soit en l’affaiblissant gravement par une combinaison d’expansion de l’OTAN et de sanctions économiques, dans l’espoir que cela conduise au remplacement de Poutine par un dirigeant plus conciliant. Joe Biden en mars 2022 : « Cet homme doit partir« . La Chine devait être contenue par la formation d’une ceinture d’alliances dirigées par les Américains en Asie, associée à des mesures destinées à restreindre son accès aux marchés, aux technologies et aux finances de l’Occident. En outre, des mesures concrètes seraient prises pour promouvoir l’indépendance de Taïwan tout en renforçant ses défenses. Les « Bidens » s’attendaient à ce qu’une telle stratégie entraîne une stagnation de l’économie chinoise et une diminution proportionnelle de l’influence de la Chine sur la scène internationale. Quant aux autres parties hostiles, elles pourraient être traitées en mobilisant l’arsenal  de coercition militaire de l’Amérique contre elles.

Cette stratégie de grande envergure impliquait un changement fondamental non seulement dans les objectifs, mais aussi dans le calcul des risques. Pendant la Guerre froide avec l’URSS, les calculs de Washington étaient tempérés par la prudence. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Un historien de l’Antiquité caractérisait ainsi les relations entre les deux grands empires de Rome et des Parthes : « Chaque empire devait respecter les sensibilités de l’autre. Pousser trop loin risquait d’entraîner une guerre bien plus grave qu’aucune des deux parties ne souhaitait »[3]. Les dirigeants américains d’aujourd’hui, qui ne ménagent pas leurs efforts, considèrent cette attitude comme un souvenir désuet d’une époque révolue.

Ces plans de Washington à l’égard de la Russie et de la Chine ont eu en commun 1) d’être fondés sur une profonde méconnaissance des deux pays ; et 2) de surestimer grossièrement la puissance de l’Occident par rapport à ses rivaux présumés. La démonstration brutale, par la débâcle de l’Ukraine et la résistance économique de la Chine, que toutes les hypothèses de Washington étaient fausses n’a pas encore été assimilée par la communauté américaine des affaires étrangères.

La vérité évidente est que la force croissante du bloc sino-russe rend impossible la réalisation de l’objectif hégémonique. En effet, la trajectoire actuelle indique un changement inexorable des lieux de pouvoir et d’interaction internationaux vers un système mondial différent (bien que toujours interdépendant), multinodal – pour reprendre le terme approprié de Chas Freeman.

Le sentiment exalté qu’a l’Amérique d’elle-même est le principal obstacle qui l’empêche d’accepter cette réalité inconfortable. Elle a suscité l’envie de se prouver à elle-même (et au reste du monde) qu’elle reste le paladin mondial en lançant une série d’entreprises destinées à repousser ses ennemis et ses rivaux tout en revigorant les liens avec ses vassaux et ses fidèles. Cette ambition audacieuse et vouée à l’échec de s’assurer une domination mondiale n’est pas le fruit d’un jugement stratégique froid. Il s’agit plutôt de la matérialisation de fantasmes nés au plus profond de la psyché collective américaine. C’est la stratégie de la fuite en avant d’un pays souffrant d’une profonde dissonance cognitive aggravée par une crise d’identité collective.

Les États-Unis se sont enfermés dans une voie qui ne permet aucune déviation, aucune adaptation, aucune décélération.  Tout ou rien : l’hégémonie ou l’Armageddon. Cette détermination sans faille les rend aveugles aux développements qui modifient les chances de cette issue. Ces évolutions ne se produisent pas seulement dans la partie du monde où se trouvent les BRICS. La performance honteuse de l’Amérique en tant que complice des crimes odieux commis contre les Palestiniens a dissous la position des États-Unis dans le monde en tant que force morale, en tant que pays intègre et animé d’intentions décentes. C’est la fin du soft power tel qu’il existait. Bien sûr, les souhaits de Washington sont toujours considérés comme des ordres autoritaires par sa coterie de vassaux dénaturés dont le degré collectif de contrôle sur leurs propres affaires, ainsi que sur les mots, se réduit encore plus vite que celui de leur suzerain.

 

Une alternative est possible

Il existe une autre alternative, radicale, fondée sur la conviction qu’il est possible d’élaborer une stratégie à long terme visant à entretenir des liens cordiaux avec la Russie et la Chine et à favoriser les domaines de coopération. Cette stratégie reposerait sur la reconnaissance commune qu’un engagement mutuel en faveur du maintien de la stabilité politique et de l’élaboration de mécanismes de prévention des conflits sert au mieux leurs intérêts à long terme. Cette idée n’est pas aussi farfelue qu’on pourrait le croire à première vue.

L’idée d’un concert des grandes puissances vient à l’esprit. Toutefois, nous devrions envisager un arrangement assez différent du concert historique de l’Europe qui a vu le jour à la Conférence de Vienne au lendemain des guerres napoléoniennes (1815). D’une part, l’objectif ne serait pas de renforcer le statu quo par la double stratégie consistant à s’abstenir de tout conflit armé entre les États signataires et à réprimer les mouvements révolutionnaires susceptibles de mettre en péril les régimes en place. Les caractéristiques de ce concert étaient les suivantes : la concentration du pouvoir entre les cinq grands cogestionnaires du système, l’étouffement des réformes politiques dans toute l’Europe et le mépris des forces apparaissant en dehors de leur champ d’action.

En revanche, un concert contemporain entre les grandes puissances assumerait la responsabilité de prendre la tête de la conception d’un système mondial fondé sur les principes complémentaires d’ouverture, d’égalité souveraine et de promotion de politiques qui produisent des résultats à somme positive. Plutôt que d’être dirigées par un directoire, les affaires internationales seraient structurées par :

  1. a) des institutions internationales dont la philosophie serait modifiée, ouvertes à la prise de décision multilatérale et adoptant des mesures de déconcentration qui donneraient des pouvoirs aux organismes régionaux ;
  2. b) un modèle de consultation entre les gouvernements qui, par leur poids économique et leurs capacités militaires, devraient tout naturellement jouer un rôle informel dans le fonctionnement du système ;
  3. c) des mesures visant à régulariser la participation d’autres États.

Quid de la légitimité ? Elle doit être établie par la conduite et la performance. La chute drastique du respect pour le leadership mondial américain facilitera ce processus – comme le démontrent déjà les succès des BRICS.

Le point de départ crucial d’un tel projet est une rencontre des esprits entre Washington, Pékin et Moscou – accompagnée d’un dialogue avec New Delhi, Brasilia, etc. Il y a des raisons de croire que les conditions, objectivement parlant, sont propices à une entreprise de cet ordre depuis plusieurs années. Cependant, l’Occident ne l’a jamais reconnu et l’a encore moins sérieusement envisagé – une occasion historique perdue.

Le facteur suffisant le plus important est le tempérament des dirigeants chinois et russes. Xi et Poutine sont des dirigeants rares. Ils sont sobres, rationnels, intelligents, très bien informés, capables d’une vision large et, tout en se consacrant à la défense de leurs intérêts nationaux – avant tout le bien-être de leurs peuples -, ils ne nourrissent pas d’ambitions impériales. En outre, ils sont chefs d’État depuis longtemps. Ils disposent du capital politique nécessaire pour investir dans un projet d’une telle ampleur et d’une telle perspective. Malheureusement, Washington n’a pas eu de dirigeants au caractère et aux talents similaires.

Les réunions au sommet de Bush, Obama, Trump ou Biden se sont toujours concentrées sur des questions de détail ou sur des instructions concernant ce que leur homologue devrait faire pour se conformer à la vision américaine du monde. Dans les deux cas, il s’agit d’une perte de temps précieux par rapport à l’impératif de promouvoir une perspective mondiale commune à long terme. Pour entamer un dialogue sérieux, il serait judicieux qu’un président doté de qualités d’homme d’État s’assoie seul avec Poutine et Xi et leur pose la question suivante : « Que voulez-vous, président Poutine/président Xi ? Comment voyez-vous le monde dans 20 ans et la place de votre pays dans ce monde ? » Seraient-ils prêts à donner une réponse articulée ? Poutine, certainement. C’est exactement ce qu’il a proposé depuis 2007, à de nombreuses reprises, de vive voix ou dans ses écrits. Au lieu de cela, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir et, depuis 2014, a été traité comme un paria menaçant qu’il faut diffamer et insulter personnellement. 

Voici le point de vue de Barack Obama : Le président russe est un homme « physiquement banal« , comparé aux « patrons de quartier durs et rusés qui dirigeaient la machine de Chicago« . Ce commentaire, tiré du premier volume des mémoires publiées par Obama[4], en dit plus long sur son propre ego, à la fois gonflé et vulnérable, que sur le caractère de Poutine. En fait, c’est la machine de Chicago, ainsi que l’argent et les encouragements du réseau Pritzker[5], qui ont fait d’Obama ce qu’il est devenu. Contraste : lorsque Bismarck a rencontré Disraeli lors de la conférence de Berlin de 1878 – allant même jusqu’à l’inviter deux fois à manger chez lui, alors qu’il était juif – il n’a pas harcelé le Premier ministre britannique au sujet des restrictions commerciales imposées aux exportations allemandes de textiles et de produits métallurgiques, ni au sujet des mauvais traitements systématiques infligés par les Britanniques aux travailleurs des plantations de thé dans l’Assam. Il n’a pas non plus commenté son physique. Bismarck était un homme d’État sérieux, contrairement aux personnes à qui nous confions la sécurité et le bien-être de nos nations. 

Le résultat est que Poutine et Xi semblent perplexes quant à la manière de traiter avec leurs homologues occidentaux incapables qui ignorent les préceptes élémentaires de la diplomatie. Cela devrait également nous préoccuper – à moins, bien sûr, que nous n’ayons l’intention de mener notre « guerre » de manière linéaire, en faisant peu de cas de la réflexion des autres parties

Le vitriol que ses homologues occidentaux jettent sur Poutine avec une telle véhémence a quelque chose d’énigmatique. Cette attitude est manifestement disproportionnée par rapport à ce qu’il a fait ou dit, même si l’on déforme l’histoire sous-jacente de l’Ukraine. La condescendance d’Obama suggère une réponse. Au fond, son attitude reflète l’envie dans le sens où il a inconsciemment reconnu en Poutine quelqu’un qui lui est clairement supérieur en termes d’intelligence, de connaissance des questions contemporaines et de l’histoire, d’éloquence, de sens politique et – très certainement – d’habileté diplomatique. Essayez d’imaginer l’un de nos dirigeants imitant la performance de Poutine en organisant des séances de questions-réponses de trois heures avec la presse internationale ou avec des citoyens de tous bords, répondant directement, en détail, de manière cohérente et de bonne grâce. Biden ? Trudeau ? Scholz ? Sunak ? Starmer ? Macron ? Von der Leyen ? Kaja Kallis ? Même pas Barack Obama qui nous servirait des sermons en conserve dans un langage de haute voltige n’ayant pas grand-chose à voir avec la réalité. C’est pourquoi la classe politique occidentale évite assidûment de prêter attention aux discours et aux conférences de presse de Poutine – loin des yeux, loin du cœur. Elle préfère agir en se référant à la caricature plutôt qu’à l’homme réel.

Aujourd’hui, à l’ère de l’Ukraine, le consensus rigide de Washington est que Vladimir Poutine est la quintessence du dictateur brutal – fou de pouvoir, impitoyable et n’ayant qu’une prise ténue sur la réalité. En effet, il est devenu courant de l’assimiler à Hitler, comme l’ont fait des figures de proue de l’élite du pouvoir américain telles que Hillary Clinton et Nancy Pelosi, ainsi que des « faiseurs d’opinion » à foison. 203 titulaires du prix Nobel ont mêm prêté leur cerveau collectif et leur notoriété à une « lettre ouverte » dont la première phrase associe l’attaque de la Russie contre l’Ukraine à l’assaut d’Hitler contre la Pologne en septembre 1939. 

Malheureusement, l’argument selon lequel ceux qui prennent des décisions cruciales en matière de politique étrangère devraient se donner la peine de savoir de quoi ils parlent est largement considéré comme radical, voire subversif. En ce qui concerne Poutine, il n’y a absolument aucune excuse pour une telle ignorance à son égard. Il a présenté son point de vue sur la manière dont la Russie envisage sa place dans le monde, ses relations avec l’Occident et les règles d’un système international souhaité. Il a fait cela  de manière complète, éclairée par l’histoire et plus cohérente que n’importe quel autre dirigeant national que je connaisse. Les déclarations à l’emporte-pièce « nous sommes le numéro un et nous le serons toujours – vous feriez mieux de le croire » (Obama) ne sont pas son style. Le fait est que l’on peut être troublé par ses conclusions, mettre en doute sa sincérité, soupçonner des courants de pensée cachés ou dénoncer certaines actions. Mais cela n’a de crédibilité que si l’on s’est intéressé à l’homme en se basant sur les éléments disponibles et non sur des caricatures de dessins animés. De même, nous devrions reconnaître que l’attitude de la Russie n’est pas du spectacle et qu’il nous incombe de prendre en compte la réalité plus complexe de la gouvernance et de la politique russes.

Le président chinois Xi a échappé à la diffamation personnelle dont Poutine a fait l’objet – jusqu’à présent. Mais Washington n’a pas fait plus d’efforts pour engager avec lui une discussion sur la forme future des relations sino-américaines et sur le système mondial dont ils sont destinés à être ensemble les principaux gardiens. Xi est plus insaisissable que Poutine. Il est beaucoup moins direct, plus réservé et incarne une culture politique très différente de celle des États-Unis ou de l’Europe. Pourtant, ce n’est pas un idéologue dogmatique ni un impérialiste avide de pouvoir. Les différences culturelles peuvent trop facilement devenir une excuse pour éviter l’étude, la réflexion et l’exercice d’imagination stratégique qui s’imposent.

L’approche décrite ci-dessus vaut les efforts – et les faibles coûts – qu’elle entraine. En effet, ce sont les accords entre les trois dirigeants (et leurs collègues de haut rang) qui sont de la plus haute importance. En d’autres termes, il s’agit de s’entendre sur la manière dont ils perçoivent la forme et la structure des affaires mondiales, sur les points où leurs intérêts s’opposent ou convergent, et sur la manière de relever le double défi consistant à : 1) gérer les points de friction qui peuvent surgir ; et 2) travailler ensemble pour assurer les fonctions de « maintenance du système » dans les domaines de l’économie et de la sécurité.

À l’heure actuelle, il n’y a aucune chance que les dirigeants américains aient le courage ou la vision nécessaire pour s’engager dans cette voie. Ni Biden et son équipe, ni leurs rivaux républicains ne sont à la hauteur. En vérité, les dirigeants américains sont psychologiquement et intellectuellement incapables de réfléchir sérieusement aux conditions d’un partage du pouvoir avec la Chine, avec la Russie ou avec n’importe qui d’autre – et de développer des mécanismes pour y parvenir à différentes échéances. Washington est trop préoccupé par l’équilibre naval en Asie de l’Est pour réfléchir à des stratégies générales. Ses dirigeants sont trop complaisants à l’égard des failles profondes de nos structures économiques, et trop gaspilleurs en dissipant des billions dans des entreprises chimériques visant à exorciser un ennemi mythique pour se préparer à une entreprise diplomatique du type de celle à laquelle une Amérique égocentrique n’a jamais été confrontée auparavant.

Nous sommes proches d’un état qui se rapproche de ce que les psychologues appellent la « dissociation ».  Elle se caractérise par une incapacité à voir et à accepter les réalités telles qu’elles sont pour des raisons émotionnelles profondes. La tension générée pour une nation ainsi constituée lorsqu’elle est confrontée à la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est constituée par les attitudes et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes.


[1] Le credo de Wolfowitz anime presque tout le monde : les néo-cons classiques, les néo-cons machistes et les néo-impérialistes bruts. Les quelques non-croyants n’ont rien à voir avec le discours de politique étrangère de l’Amérique. Si vous préconisez un engagement avec Téhéran et un dialogue avec Poutine, vous êtes rejeté comme hérétique – comme les gnostiques, puis les Cathares, sauf que ces derniers ont au moins reconnu le Christ (l’exceptionnalisme américain) et Satan (Poutine/Khamenei) avant qu’on ne leur administre leur juste châtiment.

Ce récit historique met en évidence deux caractéristiques tout à fait remarquables du consensus actuel des élites, qui porte l’empreinte du modèle Néo-Con/Wolfowitz :

– premièrement, sa conquête presque totale de l’esprit américain a réussi malgré un record inégalé d’échecs – dans l’analyse et dans l’action : Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Iran, Yémen, Somalie, Mali, Biélorussie, Venezuela, Bolivie – le tout couronné par la catastrophe en Ukraine que nous avons chorégraphiée (erreur fatale de lecture de la Russie) ;

– deuxièmement, l’administration Biden a presque officiellement annoncé que nous étions désormais engagés dans une guerre hybride globale contre un bloc sino-russe – un rival puissant qui a vu le jour parce que nous avons fait tout ce qui était concevable pour l’encourager. Pourtant, l’élite de la politique étrangère, la classe politique et le public ont accueilli la nouvelle de ce combat titanesque sans broncher. Le pays s’est engagé sur une voie funeste dans un état d’inconscience induit par une coterie volontaire de vrais croyants inspirés par un dogme enveloppé d’ignorance et poursuivis dans une incompétence stupéfiante.

[2] Sur le plan psychologique, cette approche est compréhensible, car elle joue sur la force des États-Unis : une confiance en soi démesurée associée à une force matérielle – perpétuant ainsi les mythes nationaux d’être destiné à rester le numéro un mondial pour toujours, et d’être en position de façonner le système mondial selon les principes et les intérêts américains. Le président Obama s’est exclamé : « Laissez-moi vous dire quelque chose.  Les États-Unis d’Amérique sont la nation la plus puissante de la planète.  Un point c’est tout. Cette période est loin d’être finie [répété trois fois !]« .  Et alors ?  S’agit-il d’une révélation ? Quel est le message ? À qui s’adresse-t-il ?  Est-ce différent de quelqu’un qui crierait : Allah Akbar ! Les mots qui ne sont ni un prélude à l’action, ni une incitation à l’action, ni même une information, ne sont que du vent.  En tant que telles, elles constituent un autre moyen d’évitement – une fuite de la réalité. Elles ne trouvent pas d’oreilles attentives à Londres, Bruxelles, Berlin et Canberra. Lors des sommets de l’OTAN et du G7, on entend la récitation en chœur de la Shahada : « Il n’y a qu’un seul Dieu – l’Oncle Sam – et Wolfowitz est son prophète ». Pourtant, aucun président n’ose répéter l’exclamation d’Obama à Moscou, Pékin, New Delhi, Brasilia, Riyad, Brasilia, Jakarta ….

La tension associée à la rencontre d’une nation ainsi constituée avec la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est l’attitude et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes. Ce phénomène s’accompagne d’une appréhension croissante dans le pays que la suprématie des États-Unis dans le monde est en train de s’évanouir, de la sensation de perdre ses prouesses nationales, de voir sa maîtrise menacée. Cela génère une préférence pour la recherche de résultats clairs dans un délai relativement court, qui rassurent en confirmant la croyance optimiste en l’exceptionnalisme américain.

[3] Adrian Goldsworthy Rome and Persia : The Seven Hundred Year Rivalry, Basic Books, 2023.

[4] Une terre promise, Fayard, 2020.

[5] Famille de milliardaires américains qui joue un rôle majeur dans la vie politique des Etats-Unis depuis plusieurs générations.

L’armée israélienne prépare une «offensive décisive» contre le Hezbollah libanais

L’armée israélienne prépare une «offensive décisive» contre le Hezbollah libanais


La fumée s'élève au-dessus du Liban, au milieu des hostilités transfrontalières entre le Hezbollah et les forces israéliennes, vue depuis le nord d'Israël, le 25 juillet 2024

La fumée s’élève au-dessus du Liban, au milieu des hostilités transfrontalières entre le Hezbollah et les forces israéliennes, vue depuis le nord d’Israël, le 25 juillet 2024 Avi Ohayon / REUTERS

Après des mois d’échanges de tirs transfrontaliers entre les deux forces armées, le général israélien Ori Gordin a déclaré avoir déjà éliminé «plus de 500 terroristes au Liban» et «préparer la transition vers l’offensive».

Un commandant de l’armée israélienne a indiqué ce vendredi 26 juillet que les troupes dans le nord du pays, où Israël partage une frontière avec le Liban, se préparaient à une «offensive décisive» contre le Hezbollah, après des mois d’échanges de tirs transfrontaliers. Le mouvement islamiste libanais Hezbollah et l’armée israélienne échangent des tirs quasi quotidiennement depuis l’attaque le 7 octobre du mouvement islamiste palestinien Hamas en Israël, qui a déclenché la guerre dans la bande de Gaza.

Dans un discours prononcé lors d’un déplacement dans le Nord, le général israélien Ori Gordin, a déclaré aux soldats: «nous avons déjà éliminé plus de 500 terroristes au Liban, la grande majorité d’entre eux appartenant au Hezbollah», selon un communiqué de l’armée. Les troupes israéliennes dans le Nord sont actuellement en opération pour protéger les habitants de cette partie du pays et «préparer la transition vers l’offensive», a ajouté le général Gordin, commandant les forces israéliennes. «Quand le moment viendra et que nous passerons à l’offensive, ce sera une offensive décisive», a-t-il encore dit.

Les violences depuis le 8 octobre entre l’armée israélienne et le Hezbollah ont fait au moins 523 morts au Liban, en majorité des combattants, selon un bilan établi par l’AFP à partir de différentes sources. La plupart d’entre eux, 342 personnes, ont été confirmés comme étant des combattants du Hezbollah, mais le bilan comprend également 104 civils. Orin Gordin n’a pas mentionné de victimes civiles. Dans le nord d’Israël, au moins 18 soldats israéliens et 13 civils ont été tués, selon l’armée.

Le Hezbollah, soutenu par l’Iran, affirme que ses attaques contre Israël depuis le 8 octobre ont pour objectif de soutenir son allié du Hamas. Des dizaines de milliers d’habitants ont depuis été déplacés au Liban et en Israël en raison de cette flambée de violence transfrontalière.

Les bombardiers chinois H-6 s’aventurent en Alaska : Quelles conséquences pour les États-Unis ?

Les bombardiers chinois H-6 s’aventurent en Alaska : Quelles conséquences pour les États-Unis ?

Les Bombardiers Chinois H 6 Saventurent En Alaska Quelles Consequences Pour Les Etats Unis

Le 24 juillet, un événement sans précédent a été révélé par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Pour la première fois, les bombardiers stratégiques H-6 de l’Armée populaire de libération de la Chine, opérant en conjonction avec les forces aérospatiales russes, ont été détectés dans la zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) de l’Alaska. Cet incident marque une escalade significative dans les démonstrations de force militaire entre les grandes puissances mondiales.

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Une interception spectaculaire

La formation de quatre bombardiers chinois a été rapidement interceptée par des chasseurs F-16, F/A-18 Hornet et F-35A des forces aériennes américaines et canadiennes. Des photos et vidéos de l’événement ont circulé rapidement, notamment grâce au ministère russe de la Défense, illustrant l’importance de cet événement pour les observateurs internationaux.

L’interception a été effectuée alors que les bombardiers chinois, accompagnés d’avions russes, survolaient une zone stratégique sensible pour les États-Unis. Les avions de chasse américains et canadiens ont été dépêchés pour surveiller et escorter les avions chinois hors de l’ADIZ, démontrant la vigilance constante des forces de défense nord-américaines face aux incursions étrangères.

Les Bombardiers Chinois H 6 Saventurent En Alaska Quelles Consequences Pour Les Etats Unis 3

Une collaboration sino-russe renforcée

Bien que ce ne soit pas la première patrouille conjointe sino-russe, c’est la première fois que des H-6 chinois sont déployés dans l’ADIZ de l’Alaska, une zone habituellement fréquentée par des avions de combat russes, américains et canadiens. Cette manœuvre indique un renforcement de la coopération militaire entre la Chine et la Russie, ainsi qu’une augmentation de leur capacité de réponse combinée face à des adversaires régionaux comme les États-Unis.

Les patrouilles conjointes sino-russes ont jusqu’à présent été limitées aux zones comme la mer de Chine orientale et le Pacifique occidental, avec des formations incluant des bombardiers H-6 et Tu-95MS, escortés par des chasseurs Su-35S et Su-30SM. L’extension de ces opérations à l’ADIZ de l’Alaska reflète une volonté stratégique de démontrer la capacité des deux nations à projeter leur puissance loin de leurs bases traditionnelles.

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Les implications stratégiques

Les bombardiers H-6, notamment dans leur variante H-6K, sont capables de lancer des missiles de croisière et potentiellement des missiles hypersoniques, comme le 2PZD-21 (KD-21) ALBM. Cette capacité, combinée à l’allongement de leur rayon d’action grâce à des ravitaillements en vol ou à des bases avancées, rend ces avions particulièrement redoutables.

La variante H-6K est équipée de moteurs D-30KP-2, offrant une meilleure performance et une plus grande portée que les versions précédentes. De plus, l’intégration de systèmes électroniques modernes et d’avionique avancée permet à ces appareils de réaliser des missions complexes avec une précision accrue.

Si ces avions ont effectivement décollé de bases en Russie, cela pourrait signifier une nouvelle dimension dans l’aviation de combat stratégique de la Chine, avec une portée étendue jusqu’aux zones territoriales américaines. Cette capacité de frappe à longue distance permettrait à la Chine de projeter sa puissance jusqu’aux côtes nord-américaines, une perspective qui inquiète les stratèges militaires américains.

Le futur de l’Arctique en jeu

Les analystes militaires ont souligné que l’Arctique, en raison du changement climatique et de l’ouverture de nouvelles voies maritimes, pourrait devenir un nouveau théâtre de confrontation entre les États-Unis et la Chine. La présence de ces bombardiers dans l’ADIZ de l’Alaska est un signal clair de l’intérêt croissant de la Chine pour cette région stratégique.

L’Arctique est riche en ressources naturelles, notamment en hydrocarbures, et l’ouverture de nouvelles routes maritimes pourrait réduire considérablement les temps de transport entre l’Asie et l’Europe. Cette nouvelle dynamique géopolitique pousse les grandes puissances à renforcer leur présence militaire et économique dans la région, accentuant les risques de tensions.

L’incident du 24 juillet dans l’ADIZ de l’Alaska est un rappel puissant de la dynamique géopolitique en évolution rapide et de l’importance stratégique croissante de l’Arctique. Alors que la compétition pour la suprématie mondiale s’intensifie, des démonstrations de force comme celle-ci deviendront probablement plus fréquentes, redéfinissant les alliances et les rivalités mondiales.

Cet événement historique souligne la nécessité pour les observateurs internationaux de rester vigilants face aux manœuvres militaires et aux développements stratégiques dans cette région clé du globe. La vigilance et la préparation resteront essentielles pour les forces armées nord-américaines afin de répondre efficacement à ces nouvelles menaces et de protéger les intérêts stratégiques des États-Unis et de leurs alliés.


*Rédactrice spécialisée dans la défense, les armées, et l’industrie aéronautique et spatiale. Expertise en aviation civile et militaire, je couvre également les domaines de la défense, des drones, et des enjeux industriels, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

La France et Djibouti ont trouvé un accord pour rénover et renforcer leur coopération de défense

La France et Djibouti ont trouvé un accord pour rénover et renforcer leur coopération de défense


Occupant une position stratégique aux abords du détroit de Bab el-Mandeb [mer Rouge], Djibouti intéresse plusieurs pays, dont les États-Unis, la Chine, le Japon ou encore l’Italie. Pays qui ont été autorisés à y implanter des emprises militaires. Mais, depuis son indépendance, en 1977, ce petit État de la corne de l’Afrique cultive des relations étroites avec la France pour assurer sa défense.

En 2011, le traité de coopération militaire entre Djibouti et Paris [TCMD] fut reconduit, la France ayant ainsi renouvelé, selon les termes du président Sarkozy, son « soutien ferme et indéfectible à la République de Djibouti ».

Pour autant, les Forces françaises stationnées à Djibouti [FFDj] n’échappèrent pas aux coupes budgétaires, leur format ayant été réduit… Au point que, en 2014, un rapport remis par les députés Gwendal Rouillard et Yves Fromion s’inquiéta pour leur avenir, des plans visant à réduire leur effectif à seulement 950 hommes ayant circulé à l’époque. Et cela alors que le traité reconduit trois ans plus tôt allait entrer en vigueur pour une période de dix ans.

Finalement, après que l’État-major des armées [EMA] fit valoir qu’il fallait garder « au moins » 1350 militaires à Djibouti pour permettre aux FFDj d’honorer leurs contrats opérationnels et de rester « crédibles », le plan évoqué par les deux parlementaires ne fut pas appliqué.

En 2017, lors d’une audition parlementaire, le général François Lecointre, alors fraîchement nommé chef d’état-major des armées [CEMA], fut très clair. « Je n’ai pas l’intention de lâcher un pouce de terrain à Djibouti. La zone, où nous sommes implantés, est extrêmement sensible et je ne pense pas que nous devrons nous en désengager dans les décennies qui viennent », avait-il affirmé.

Le TCMD devant arriver à échéance le 30 avril 2024, le président Macron et son homologue djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, lancèrent des discussions non seulement pour le reconduire mais aussi pour le renforcer. Il était alors question de signer un nouvel accord dans le courant de l’année 2023.

Seulement, les négociations auront été plus compliquées que prévu. A priori, celles-ci ont buté sur des considérations financières, le gouvernement djiboutien ayant réclamé une hausse importante du loyer payé par la France pour ses emprises militaires dans le pays. Loyer d’une trentaine de millions d’euros par an, dont Paris a commencé à s’acquitter en 2003, soit après l’arrivée des forces américaines au Camp Lemonnier…

La partie française a-t-elle cédé devant les exigences djiboutiennes ? En tout cas, comme l’avait souligné l’ex-député Jean-Charles Larsonneur, dans un avis budgétaire rendu en octobre 2023, le « positionnement des FFDj est stratégique, » car « il offre aux armées un avantage opérationnel conséquent avec une capacité de projection vers différentes zones [détroit de Bab-el-Mandeb, mer Rouge, océan Indien]. Et d’insister : « La France est ainsi le seul pays de l’Union européenne à posséder de telles capacités militaires dans cette zone dont toute l’Europe dépend pour son approvisionnement [flux économiques, énergétiques, numériques, métaux rares].

Quoi qu’il en soit, un accord a fini par être trouvé. Les président Macron et Guelleh « sont convenus de l’aboutissement des discussions autour de la réforme ambitieuse du traité de coopération en matière de défense [TCMD] qui unit la France et Djibouti », a fait savoir l’Élysée, le 24 juillet.

« La version rénovée du TCMD reflète l’excellence de la relation qui prévaut entre nos deux pays ainsi que la convergence de nos intérêts stratégiques », a ajouté la présidence française qui n’a cependant pas évoqué la signature d’un accord à ce stade.

Pour rappel, la France assure la protection de l’espace aérien de Djibouti, avec notamment 4 Mirage 2000-5 mis à la disposition de l’Escadron de chasse 3/11 Corse. Ces appareils sont régulièrement relevés afin de ménager leur potentiel… Aussi, la question de leur remplacement par un « plot » Rafale pourrait bientôt se poser si le projet de M. Macron de céder des Mirage 2000-5 à l’Ukraine se concrétise.

Reste que l’arrivée de Rafale à Djibouti n’est qu’une question de temps. De même que le renouvellement capacitaire des FFDj, ces dernières devant être progressivement dotées d’hélicoptères NH-90 Caïman TTH [à partir de 2025, ndlr], de véhicules blindés multirôles [VBMR] Griffon, d’engins blindés de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar et d’engins de débarquement amphibie standard [EDAS]. Et cela nécessitera de réaliser des travaux d’infrastructure pour les accueillir.

Note : Les FFDj englobent le 5e Régiment interarmes d’outre-mer [5e RIAOM], un détachement de l’Aviation légère de l’armée de Terre [DETALAT] , la base aérienne 188 « colonel Massart », une base navale et le Centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement au désert de Djibouti [CECAD].

Japon. Les exercices entre forces armées japonaises et françaises se développent

Japon. Les exercices entre forces armées japonaises et françaises se développent

La mission française Pégase 2024 a fait escale au Japon ce week-end. De nouveaux exercices entre les forces armées japonaises et françaises sont à prévoir dans le but de « protéger les intérêts des Français qui vivent dans cette région ».

L’armée de l’air française arrive sur la base de Hyakuri au Japon.
L’armée de l’air française arrive sur la base de Hyakuri au Japon. | JOHANN FLEURI

 Si les intérêts du Japon sont menacés, ceux de la France le sont aussi , indique le Général de brigade aérienne Guillaume Thomas et commandant de la mission Pégase 2024. Cette mission diplomatique qui cherche à appuyer la stratégie de défense de la France en Indopacifique a fait escale sur la base de la Force aérienne d’autodéfense japonaise de Hyakuri, dans la préfecture d’Ibaraki au Nord-Est de Tokyo. L’armée de l’Air et de l’Espace (AEE) était au Japon vendredi et samedi dernier avant de repartir vers l’Australie.

C’est la seconde année consécutive que l’AEE vient au Japon. Cette fois, l’effectif est plus important (220 personnes) et l’AEE est arrivée avec deux Rafale (A400M, A330MRTT).  D’autres exercices sont à prévoir dans le but de protéger les intérêts des Français qui vivent dans cette région, notamment en Nouvelle-Calédonie, a précisé le Général de division aérienne Philippe Adam. Il s’agit d’améliorer nos capacités à agir ensemble. 

Cet exercice intervient deux mois après la rencontre d’Emmanuel Macron et du Premier ministre japonais Fumio Kishida ; à Paris ; durant laquelle ont démarré les négociations d’un accord qui ouvrirait la voie à davantage d’exercices et d’entraînements entre les forces armées des deux pays. La France est le quatrième pays avec lequel le Japon cherche à conclure l’un de ces accords.  Nous espérons accueillir prochainement des avions japonais en France , s’enthousiasme le Général Thomas.

Tokyo booste son arsenal

Le gouvernement japonais continue de booster son arsenal militaire. À Okinawa, une nouvelle base de forces d’autodéfense a ouvert en mars 2023 sur la petite île d’Ishigaki, malgré la protestation locale. En mai, le Japon a annoncé une nouvelle hausse de 20 % de son budget Défense pour l’année fiscale 2024 soit un total d’1, 6 % de son PIB avec la volonté de passer à 2 % d’ici quelques années.

Jeudi dernier, Fumio Kishida a rappelé, lors du discours d’ouverture du Palm10 qu’il copréside, que,  dans l’environnement de plus en plus complexe qui entoure la région, le Japon élèverait ses relations avec les pays insulaires du Pacifique à un nouveau niveau  et qu’ils devraient  avancer ensemble  vers l’avenir, soulignant le soutien ferme de l’archipel à la  stratégie 2050  du Forum des îles des Pacifiques.

L’archipel japonais qui vient de signer un accord de défense avec les Philippines, met également la dernière main à son projet d’exportation de missiles Patriot produits dans le pays vers les États-Unis : il s’agira de la première exportation japonaise d’équipements de défense depuis l’assouplissement des restrictions sur les exportations d’armes.

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Nouvelle-Calédonie : la tentation du développement séparé

Nouvelle-Calédonie : la tentation du développement séparé

Debris and burned cars used for blockades and now cleared from the roads, awaiting treatment.
NOUMEA, NEW CALEDONIA – 07/06/2024//JOBNICOLAS_job.0089/Credit:Nicolas Job/SIPA/2406101456

par Eric Descheemaeker – Revue Conflits – pubié le 16 juillet 2024

https://www.revueconflits.com/nouvelle-caledonie-la-tentation-developpement-separe/


Dans son allocution du 14 juillet, Sonia Backès, présidente de l’Assemblée de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, a évoqué l’autonomisation des provinces et un nouveau contrat social. Une intervention qui a fait réagir dans l’archipel et à Paris tant cela pose la question de l’unité de l’île et de ses habitants.

L’heure est grave en Nouvelle-Calédonie. Les « événements » ayant commencé le 13 mai 2024 ont certes largement perdu en intensité, et les caméras de télévision sont retournées en métropole. Pourtant, comme souvent, c’est après que les choses les plus sérieuses commencent : les événements les plus spectaculaires sont rarement les plus significatifs. Pour les observateurs de la situation locale, ce qui est en train de se passer est en réalité beaucoup plus grave que les blocus, les pillages et même les morts (une dizaine) depuis deux mois. Il est possible – en tout cas c’est une hypothèse à prendre avec le plus grand sérieux – que le rideau de l’Accord de Nouméa, déjà bien abîmé il est vrai, se soit déchiré sur l’île : autrement dit, que la conscience se soit faite que le « vivre-ensemble » entre indépendantistes et non-indépendantistes était en réalité une vue de l’esprit.

Vivre-ensemble il n’y aura pas ; au mieux un côte à côte dont on pourrait s’efforcer qu’il ne devienne pas un face-à-face.

Des tensions toujours aussi vives

En parallèle pourrait se dérouler un événement politique aussi majeur qu’invisible : le départ progressif des Calédoniens d’origine européenne, à commencer par ceux, extrêmement nombreux, dont les racines sur l’île sont récentes (les « z’oreilles », par opposition aux Caldoches, de bien plus vieille souche, qui ont souvent des ascendances mêlées et dont le rapport à la France est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine en métropole). Un tel exode donnerait aux indépendantistes ce que les trois référendums leur avaient dénié : une majorité, à moyen terme, dans les urnes.

C’est à cette aune qu’il faut comprendre le récent et important discours de Sonia Backès, présidente de la province Sud – la province la plus riche, structurellement anti-indépendantistes, et où les Européens d’origine dominent – à l’occasion de la fête nationale. Avec la liberté de ton pour laquelle elle est connue, mais en ayant nous semble-t-il franchi un cap depuis le début des événements à la fois dans la forme et le fond de ses propos, la chef de file des anti-indépendantistes a pris acte de cette cassure entre deux camps antagonistes (deux « sensibilités politiques » et à vrai dire deux « civilisations »), ainsi que de ce possible exode, suggérant de la manière la plus claire que l’esprit de Nouméa était mort. Il n’y a pas de « destin commun » possible, quoiqu’ait pu en penser la gauche romantique d’alors (MM. Jospin et Christnacht). Tout au plus pourrait-il y avoir une cohabitation pacifique sur une même terre, une forme de développement séparé qui est celui que les Accords de Matignon-Oudinot (1988, dix ans avant celui de Nouméa) avaient tenté de matérialiser, à la suite du compromis historique entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Un « développement séparé » ?

Le mot de « développement séparé » est employé par nous, non par elle. Le but est de mettre aussi directement que possible les pieds dans le plat : car développement séparé, bien sûr, est la traduction française habituelle de l’afrikaans « apartheid » ; et c’est bien de cela dont elle sera accusée. Mais il ne faut jamais céder au terrorisme des mots. Si la cohabitation joyeuse et « créolisée » des individus et des peuples est impossible, alors il nous faut renoncer au romantisme. Or, le moins que l’on puisse dire est que la situation insurrectionnelle de l’île et, surtout, les déploiements de haine à l’égard de l’autre des deux côtés tendraient à suggérer que ce que soit le cas. Les êtres humains, les collectivités politiques et les peuples sont infiniment plus complexes que la doxa pseudo-humaniste qui a dominé depuis plus d’un demi-siècle ne le suggère.

La question soulevée par Mme Backès est infiniment sérieuse et ne saurait être rejetée par simple moralisme.

À ceux qui voudraient la neutraliser à l’aide de références historiques infâmantes, on ne pourrait que demander ce qu’ils proposent en retour. Un Accord de Nouméa-II signé sur les ruines fumantes de Nouméa (la ville) et de Nouméa-I (l’accord) ? Revenir à la case départ d’un processus qui a démontrablement échoué ? Une question sérieuse doit faire l’objet d’une réponse sérieuse, et celle-ci l’est infiniment. L’heure est grave.

Les problèmes de Nouméa sont aussi ceux de Paris

Il ne s’agit pas en ces quelques lignes de proposer une solution : ce ne serait pas non plus sérieux. On se contentera de remarquer que les questions qui se posent là-bas sont très exactement les mêmes qui se posent déjà en métropole, et vont se poser avec une acuité de plus en plus grande dans les années et décennies à venir : comment faire tenir ensemble une société constituée de personnes pour qui les affiliations ethniques et religieuses (« ethnoculturelles » dans un sens large) sont diverses, divergentes, voire potentiellement hostiles ; mais qui comptent pour les personnes en question peut-être d’autant plus que la doxa républicaine leur répète incessamment qu’elles ne devraient pas (puisque nous sommes tous égaux sans distinction &c., &c.) ? Cette question est peut-être la plus importante à se poser à nous, d’abord à Nouméa puis à Paris. Le jacobinisme ayant montré l’étendue de son échec, on pourrait attendre de ses partisans une certaine retenue, et qu’ils laissent une chance à des visions beaucoup plus communautaires (« communautariennes », puisque le mot « communautaristes » semble être devenu un gros mot, sans qu’on ait bien compris pourquoi). Dans une certaine mesure, d’ailleurs, la Nouvelle-Calédonie s’était engagée sur cette voie, mais sans doute de manière très maladroite et inadaptée : il n’est pas certain, pour le dire simplement, que ce dont les Kanaks aient besoin soit d’un droit distinct des contrats ou de la responsabilité civile, comme la République le leur a concédé. Nous avons, quoi qu’il en soit, besoin d’une réflexion profonde sur ce qu’on pourrait appeler la France post-jacobine : cette réflexion commence à Nouméa, mais ne s’y arrêtera certainement pas.

En revanche, il y a un aspect du discours de Mme Backès auquel il convient de marquer une opposition claire : c’est celle de la provincialisation de l’île. Derrière le terme technique d’« autonomisation des provinces » se cache une réalité relativement simple : couper très largement entre elles – politiquement, financièrement, économiquement, socialement, et donc inéluctablement culturellement et humainement – les trois provinces de l’archipel : la province Sud, riche et européenne ; la province Nord, pauvre et kanake ; et les îles Loyauté (celles où eurent lieu en 1988 la prise d’otages d’Ouvéa), également pauvres et autochtones.

Le danger des ingérences étrangères

La tentation d’une telle proposition, nous la comprenons intimement. La province Sud, aux mains des Européens, est fonctionnelle. Elle paye pour les deux autres qui, aux mains des Kanaks, sont dysfonctionnelles et, non contentes d’être financées par « Nouméa la Blanche » et d’être considérablement surreprésentées au Congrès de Nouvelle-Calédonie, mordent constamment la main qui les nourrit, accusée d’être colonialiste. Pour comprendre l’étendue du problème, il suffit d’emprunter l’une des routes qui coupent l’île dans le sens de la largeur, du Sud vers le Nord.

Au moment où on change de province, au milieu des montagnes, la route à l’occidentale de la province Sud devient une voie digne du tiers-monde au Nord.

La tentation, après des décennies d’efforts, d’envoyer ces gens se faire voir est à la fois humaine et compréhensible.

Elle n’en demeure pas moins profondément erronée. Les raisons n’en sont pas difficiles à percevoir, même si elles sont plus faciles à admettre quand on n’est pas directement confronté, sur place, aux « événements » qui s’y déroulent (et dont on ne voit pas d’issue facile, au-delà d’un apaisement bien superficiel quand la fatigue gagnera les combattants).

Un vrai enjeu politique

La raison la plus évidente est d’ordre politique. La province Nord et les îles Loyauté – entités administratives au demeurant parfaitement artificielles, notamment la ligne de partage entre le nord et le sud de la Grande-Terre) – font tout autant partie de la France que la province Sud. On n’abandonne pas des territoires, pas plus là-bas qu’à Mayotte ou en Seine-Saint-Denis, parce qu’ils sont principalement source d’ennuis (ce qu’en un sens ils sont, mais pas que évidemment). C’est une question de principe à laquelle aucune statistique ne pourrait être opposée.

La seconde raison est d’ordre géopolitique. Certes, personne ne parle à ce stade d’indépendance des deux provinces majoritairement autochtones, mais il est parfaitement évident que plus on les coupera du Sud, de Nouméa, de la France, des richesses, de l’administration, etc., plus on les abandonnera à elles-mêmes (c’est l’objectif à peine déguisé) ; et plus on les abandonnera à elles-mêmes, plus on les livrera à des puissances étrangères qui ne nous veulent aucun bien. Comment croire que la Chine, qui lorgne déjà sans se cacher sur notre joyau d’outre-mer ; mais tout aussi bien l’Azerbaïdjan, dont on sait désormais le rôle qu’il joue dans la déstabilisation de la région, peut-être au profit de la Russie ; ou d’ailleurs l’Australie, dont la jalousie demeure tenace même si elle s’exprime moins ouvertement que par le passé, ne s’engouffreraient pas immédiatement dans la brèche ? Le déficit de la province Nord sera réglé par Pékin, qui en retour hypothéquera ses immenses ressources (minières, halieutiques, etc.) : le scénario est tellement bien rôdé dans la région qu’on se sent gêné de devoir même le rappeler. Inutile de dire que les biens hypothéqués ne sont jamais revus.

Non seulement une Nouvelle-Calédonie réduite, de facto, à sa province Sud, ne serait plus la Nouvelle-Calédonie, et n’aurait plus pour la France qu’une fraction de son intérêt géostratégique existant, mais on voit mal comment elle demeurerait viable à plus long terme. Vu la difficulté qu’a la République à maîtriser ce territoire aujourd’hui, on ne place guère d’espoir dans ses chances une fois que d’autres seront sur place.

Une territorialisation sans logique

La troisième raison est qu’il n’y a pas de logique intrinsèque à cette territorialisation. Mme Backès parle de laisser les deux « sensibilités politiques », et derrière elles les deux « civilisations », faire l’expérience de leur développement (séparément, donc). Certes, la province Sud est largement européenne et anti-indépendantiste, là où la province Nord et les îles Loyauté sont essentiellement autochtones et indépendantistes. Mais, d’une part, laisser la province Sud faire la démonstration de son évidente supériorité ne réglera rien à long terme ; surtout, l’équivalence implicitement dressée entre provinces et considérations ethno-politiques est extrêmement simpliste. Il y a un quart des habitants de la province Nord qui ne sont pas recensés comme Kanaks (ce qui statistiquement correspond à la proportion de non-indépendantistes) : il est moralement inacceptable de les abandonner à des gouvernants incompétents, au motif que ce serait là le modèle de développement qu’ils auraient choisi. Quant au Sud, les Européens n’y sont qu’en très relative majorité ; les personnes recensées comme kanakes forment un gros quart de la population, et celles venues de partout ailleurs – les éternelles oubliées, originaires de Wallis-et-Futuna, des autres îles du Pacifique, de Java, du Japon, d’Indochine, de Kabylie, des Antilles même – un gros tiers.

La province Sud n’est pas la Nouvelle-Calédonie européenne : c’est, pour le dire brutalement, la Nouvelle-Calédonie beaucoup plus fonctionnelle parce que les Kanaks n’y ont pas le pouvoir.

Ce n’est pas du tout la même chose. Ce qu’il faudrait espérer, ce n’est pas une sécession de ceux qui se portent encore relativement bien ; c’est de trouver le moyen d’étendre ce modèle de développement au reste de l’archipel. Cela impliquerait sans doute de revenir sur beaucoup des idées romantiques de l’Accord de Nouméa, qui pensait que beaucoup d’amour et de générosité financière à sens unique pouvait être la solution à tout, et notamment sur la surreprésentation (dans une mesure proprement scandaleuse) des provinces majoritairement kanakes et indépendantistes, et une péréquation parfaitement déresponsabilisante à leur égard. Pour le dire là encore très brutalement, l’erreur a été de « donner » les deux petites provinces de l’archipel aux Kanaks, dans l’espoir de satisfaire leur désir de pouvoir. C’est là-dessus qu’il faudrait revenir.

Les problèmes soulevés par Mme Backès et les loyalistes sont donc aussi réels que profonds. Ils méritent qu’on s’y intéresse en vérité, loin des slogans permettant de se donner bonne conscience à peu de frais, que nous voyons partir en fumée devant nos yeux.

La manière de faire coexister des populations ethnoculturellement diverses, voire dans certains cas hostiles, est la question fondamentale qui va se poser à la France, et se pose déjà avec une acuité particulière en Nouvelle-Calédonie. Mais la réduire à une dimension territoriale n’est pas juste ; elle est même dangereuse.

Elle est d’ailleurs une manière de contourner la question qui est plus importante et plus difficile, celle de la cohabitation de ces groupes sur un même territoire. C’est à celle-ci qu’il convient de réfléchir. La chose est complexe et délicate, mais elle est désormais urgente : il en va de la survie, à moyen terme, tant de la Nouvelle-Calédonie que de la France tout entière.


À propos de l’auteur
Eric Descheemaeker est professeur à l’Université de Melbourne

La Chine défie l’Alliance Atlantique en Biélorussie

La Chine défie l’Alliance Atlantique en Biélorussie

par Franck Alexandre –  RFI Lignes de défense – Publié le


Lundi dernier, la Chine et la Biélorussie ont débuté des exercices militaires conjoints. Ces manœuvres se déroulent à quelques kilomètres de la frontière avec l’Europe. Des exercices militaires atypiques et que l’Otan interprète comme une menace. Jeudi, dans son communiqué final, l’Alliance réunie à Washington s’est inquiétée du soutien apporté par Pékin à Minsk et son allié russe en guerre contre l’Ukraine.

Maréchal Dong Jun, ministre chinois de la Défense nationale à Singapour le 31 mai 2024.
Maréchal Dong Jun, ministre chinois de la Défense nationale à Singapour le 31 mai 2024. © Wikimedia Commons.org

C’est le cadeau de la Chine pour les 75 ans de l’Alliance Atlantique. « Un déploiement militaire aux marches de l’Europe, pour répondre aux nouveaux défis mondiaux », indique le ministère chinois de la Défense. Officiellement, il ne s’agit que d’un exercice antiterroriste. Mais l’Otan, réuni à Washington, a immédiatement envoyé un avertissement à Pékin. Et la réaction chinoise ne s’est pas fait attendre, pointe le correspond de RFI à Pékin, Stéphane Lagarde : « Oui, officiellement, ces manœuvres antiterroristes sont des exercices de routine qui n’ont rien à voir avec le sommet de Washington ». Le porte-parole de la diplomatie chinoise a été interrogé sur ce sujet. Voici ce qu’il a répondu aux journalistes : « ces échanges entrent dans le cadre de la coopération militaire normale entre la Chine et la Biélorussie. Il ne vise aucun pays en particulier ».

« Mais tout le monde note évidemment la concordance de calendrier. Et on note aussi que ces opérations, baptisées ‘l’assaut du faucon’, durent quand même 11 jours. Donc c’est long. Elles ont été accompagnées, côté biélorusse, d’une large propagande avec photo du débarquement des troupes chinoises au sol, accueillies chaleureusement selon Pékin. On parle de plus d’une centaine d’hommes côté chinois, c’est essentiellement symbolique. Mais Pékin n’a pas donné de détails en revanche concernant les matériels et les unités de l’armée populaire de libération impliquées dans ces exercices, alors qu’habituellement, les journaux nationalistes ici aiment quand la Chine bombent le torse et n’hésitent pas à le raconter.  Reste que ces exercices se déroulent près de la ville de Brest, en Biélorussie, nous sommes là, à 40 km de la frontière polonaise. Cette formation conjointe vise à renforcer les capacités de coordination des troupes participantes, a aussi indiqué le ministère chinois de la Défense dans un communiqué ».

Pékin évoque une ingérence de l’Otan

Sauf que ces manœuvres inédites, et c’est ce qui irrite l’Otan, ont tout d’un entrainement à la guerre de haute intensité : avec des opérations de nuit, des franchissements de cours d’eau et des simulations de combat en zone urbaine. Pékin démontre ainsi, sa capacité à projeter des forces sur des théâtres extérieurs et à proximité de l’Ukraine. L’Otan accuse Pékin de jouer un rôle déterminant dans ce conflit au travers d’un soutien sans limite apporté à l’industrie de guerre russe. C’est une ingérence occidentale, rétorque la diplomatie chinoise, nous dit Stéphane Lagarde : « Oui, la diplomatie chinoise a aussitôt ressorti une rhétorique maintes fois utilisée dans ce bras de fer avec l’OTAN. Elle parle de mentalité digne de la guerre froide, d’ennemis imaginaires, de tensions provoquées par l’OTAN qui risque de mener à la confrontation. Des mots, là aussi accompagnés d’exercices conjoints. Pékin et Moscou ont annoncé vendredi le début de manœuvres navales et aériennes dans le sud de la Chine. Ça va durer un mois. Pékin tire également à boulets rouges, via ces médias et l’armée des internautes, sur ce qui est qualifié ici d’ingérence de l’OTAN de l’Asie avec le rapprochement Japon / Corée du Sud / Washington qui ne plaît pas du tout, mais alors pas du tout à la Chine ».

Et la Chine, multiplie les signalements stratégiques et défie les alliances, y compris à l’Ouest, comme pour démontrer que du Pacifique à l’Atlantique, ses intérêts et ses frontières n’ont aujourd’hui plus de limites

Intérêt commercial, nécessité stratégique… Pourquoi l’Europe a besoin d’Ariane 6

Intérêt commercial, nécessité stratégique… Pourquoi l’Europe a besoin d’Ariane 6

                                                                        Fusée spatiale EADS Ariane, Le Bourget – France
                                                                            Credits: Alexandra Lande/Shutterstock

par Paul Wohrer, cité par Manon Minaca – IFRI- dans 20 Minutes

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/interet-commercial-necessite-strategique-leurope-besoin-dariane-6


L’Europe sur orbite : le nouveau lanceur européen, qui doit décoller pour la première fois ce mardi soir, doit permettre à l’Europe de retrouver un accès indépendant à l’espace, une capacité aux enjeux multiples.

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«Nous sommes en train de marquer une page importante de l’histoire de l’accès à l’espace. » C’est par ces mots que Carine Leveau, directrice du transport spatial au Cnes, résumait, en conférence de presse le 25 juin, les semaines précédant le lancement d’Ariane 6, prévu ce mardi. Un vol historique très attendu après dix ans de travail, mais aussi et surtout au regard des enjeux commerciaux et stratégiques de cette nouvelle fusée pour l’Agence spatiale européenne (ESA).

Sur le plan commercial, Ariane 6 prend la relève de sa sœur Ariane 5, qui a volé pour la dernière fois il y a un an, en juillet 2023. En service depuis son premier vol opérationnel en 1997, la dernière fusée européenne « était arrivée au bout de ses capacités », « avec une chaîne de production qui vieillissait beaucoup », explique Pier Domenico Resta, responsable de l’ingénierie du système de lancement d’Ariane 6 à l’ESA. Le lanceur, avec ses « contraintes », « n’aurait pas [non plus] satisfait les besoins de constellations [de satellites] qui se développent aujourd’hui ».

[…]

Retrouver un accès indépendant à l’espace

Mais, surtout, Ariane 6 permet à l’Europe de disposer d’un accès indépendant à l’espace, car celle-ci « restait sans lanceur de la classe d’Ariane 5 » depuis son dernier vol. Mais aussi et surtout depuis la fin brutale du partenariat avec la Russie, qui assurait certains lancements européens depuis la Guyane française avec sa fusée Soyouz, après l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
 

Une situation de dépendance qui a laissé l’Europe, « pendant une petite année, sans capacité de lancer des satellites, notamment certains satellites militaires ou institutionnels », et qui a « vraiment freiné le programme spatial européen », appuie Paul Wohrer, chercheur à l’Institut français des relations internationales spécialiste de la géopolitique et des stratégies des puissances spatiales.

Et, « quand on n’a plus de porte d’entrée dans l’espace », poursuit le chercheur, les risques sont grands : « On risque de se soumettre soit aux conditions [d’utilisation des satellites] d’une autre puissance, soit éventuellement à ses prix. » Être capable de fabriquer des fusées, de les lancer et de décider du calendrier « en toute souveraineté » est donc « fondamental pour l’Europe aujourd’hui ».

 

L’espace toujours plus stratégique
 

D’autant que les capacités spatiales sont stratégiques, car « absolument essentielles pour garantir le bon fonctionnement de la société et de la vie civile », complète Paul Wohrer. C’est notamment le cas de la constellation de satellites Galileo, le « GPS européen », en cours de déploiement : « On peut utiliser le GPS américain, mais c’est une infrastructure militaire par nature, gérée par les militaires américains, et dont l’Europe n’a jamais eu envie de dépendre », précise le chercheur.

 

« Comment définir ça autrement qu’un intérêt stratégique ? » confirme Pier Domenico Resta. Il en va de même pour le programme d’observation de la Terre de la Commission européenne, Copernicus, utilisé entre autres dans l’agriculture, la gestion des forêts ou des catastrophes naturelles ou l’urbanisme, ainsi que pour la météorologie, « indispensable à de très nombreuses activités », expose Paul Wohrer.

Entretenir le prestige

Plus stratégique encore, disposer d’un accès indépendant à l’espace est primordial pour ce qu’on pourrait appeler le « service public de la sécurité et de la défense », développe le chercheur, « puisque les activités militaires et de sécurité utilisent énormément les informations fournies par les satellites ». Sans oublier que tout ce qui peut être utilisé pour des fonctions civiles peut généralement l’être pour des fonctions militaires : « On peut observer la Terre pour suivre le climat, mais on peut aussi observer ses adversaires. On peut guider sa voiture pour éviter les embouteillages, mais on peut aussi guider des missiles, des bombes intelligentes vers leur cible. En ce qui concerne la communication par satellites, c’est typiquement la télévision, même si c’est un modèle économique en déclin, mais ça marche aussi pour faire ce qu’on appelle du « commande et contrôle » des troupes au sol. »

Enfin, dans une logique de coopération, une fusée comme Ariane 6 et les capacités de lancement qui lui sont associées « favorisent les rapprochements avec les alliés, évoque Paul Wohrer. Ça nous permet, notamment dans le cadre du programme [de retour sur la Lune] Artemis, de fournir des capacités qui sont importantes, et donc d’avoir une coopération continue avec les Américains de très haut niveau ».

Écartant toute idée de concurrence avec les États-Unis, notamment avec SpaceX, Pier Domenico Resta confirme : « Rivaliser avec des acteurs non-européens est très utile pour l’ESA, pour pouvoir proposer des projets de coopération avec d’autres agences comme la Jaxa [l’agence spatiale japonaise]. »

De quoi favoriser, selon Paul Wohrer, « le prestige » de l’Europe, et « montrer que son modèle fonctionne ». Rien que ça… Ariane 6 a le poids du Vieux Continent sur les boosters.

> Voir l’article sur le site de 20 Minutes