Un mur entre l’Égypte et Gaza

Un mur entre l’Égypte et Gaza

An Egyptian guard post along the border of Egypt and Gaza seen from the border of Rafa Gaza December 21,2009. Egypt has begun to build an underground barrier wall along its border with Gaza . The tunnel smugglers say that they will just have to dig their tunnels deeper in order to continue the underground smuggling that has become a lifeline for goods to enter the Gaza Strip as Israel continues its blockade. Rafah, GAZA STRIP-21/12/2009

par Paulin de Rosny – Revue Conflits – publié le 12 novembre 2024

https://www.revueconflits.com/un-mur-entre-legypte-et-gaza/


L’Égypte construit un mur le long de la frontière avec Gaza pour se protéger des attaques terroristes. Une décision qui éloigne Le Caire des Palestiniens et qui témoigne de l’importance des enjeux sécuritaires dans la région.

Depuis 2014, l’Égypte construit une barrière à sa frontière avec la bande de Gaza. Le mur est régulièrement intensifié par de nouvelles phases de travaux pour répondre aux préoccupations de sécurité nationale. L’objectif de cette infrastructure est de contrôler la frontière et de neutraliser les réseaux de tunnels souterrains qui connectent Gaza à l’Égypte. Ces tunnels, essentiels pour les Gazaouis en raison du blocus israélien, permettent le transport de biens de première nécessité, mais sont aussi utilisés, selon les autorités égyptiennes, pour faire passer des armes et des combattants susceptibles de déstabiliser le Sinaï.

Démolition des tunnels de contrebande

En 2014, après plusieurs attaques terroristes dans le Sinaï par des groupes armés tel Ansar Beït al-Maqdis, affilié à Daech, l’Égypte accuse certains éléments de Gaza de soutenir ces groupes via les tunnels de contrebande. En réaction, elle lance une campagne de démolition de maisons dans la ville de Rafah, de son côté de la frontière, pour créer une zone tampon. Cette zone de sécurité permet de surveiller la frontière plus efficacement et de limiter l’activité des tunnels. Des centaines de maisons sont rasées, déplaçant des familles égyptiennes pour dégager l’espace nécessaire à cette zone militaire de sécurité. En parallèle, les forces égyptiennes commencent à localiser et à détruire les tunnels de manière systématique. Ces tunnels sont soit comblés, soit dynamités, avec des équipes spécialisées qui emploient des technologies de détection avancées pour identifier ces passages souterrains.

Construction du mur

En 2020, l’Égypte entame une nouvelle phase de travaux, transformant l’infrastructure initiale en un mur de béton plus résistant, équipé de dispositifs de surveillance avancés. La barrière devient ainsi un obstacle physique plus difficile à franchir, conçu pour bloquer non seulement les passages en surface, mais aussi les tunnels souterrains. Des caméras, des radars et des capteurs de mouvement sont installés le long de la frontière pour détecter toute tentative de construction de nouveaux tunnels ou de passage clandestin. Ce renforcement marque une évolution dans la politique égyptienne, axée sur un contrôle total de la frontière pour réduire au maximum les infiltrations.

En février 2024, dans un contexte d’escalade du conflit entre Israël et Gaza, l’Égypte accélère les travaux et renforce encore la barrière, ajoutant de nouveaux segments de mur en béton armé et intensifiant la surveillance. Des images satellites révèlent des progrès significatifs dans la construction, avec un déploiement de systèmes électroniques de sécurité le long de cette frontière sensible. Cette phase de renforcement vise à contenir les risques d’un afflux de réfugiés gazaouis vers le Sinaï, territoire déjà sous pression militaire. Les autorités égyptiennes cherchent à prévenir toute forme d’exode massif et à protéger le Sinaï des retombées du conflit voisin.

Conséquences humanitaires et régionales

Les différentes phases de construction de cette barrière et la destruction des tunnels ont des conséquences graves pour les habitants de Gaza. Déjà isolés par le blocus israélien, les Gazaouis perdent un accès crucial à des ressources et des moyens de subsistance essentiels. Le mur restreint leurs possibilités de déplacement, ce qui aggrave la précarité économique et limite l’accès aux soins médicaux et aux biens de première nécessité, rendus encore plus rares et coûteux. Pour Gaza, cette barrière contribue ainsi à intensifier une crise humanitaire en ajoutant davantage d’isolement.

Pour l’Égypte, la barrière et la destruction des tunnels sont des mesures de stabilisation du Sinaï, où l’activité terroriste reste un défi majeur. Cependant, cette politique entraîne des conséquences diplomatiques : elle suscite des critiques dans le monde arabe, où elle est vue par certains comme une renonciation à la solidarité avec la Palestine. Elle pourrait aussi compliquer le rôle de l’Égypte comme médiateur dans le conflit israélo-palestinien.

Le gouvernement égyptien justifie ces mesures en invoquant des impératifs de sécurité, soulignant les menaces terroristes qui pèsent sur le Sinaï. Ce discours trouve un certain soutien auprès des alliés de l’Égypte, dont Israël, qui considère la barrière comme un prolongement de ses propres efforts de sécurisation de Gaza. En revanche, des organisations internationales, comme l’ONU et Human Rights Watch, dénoncent les conséquences humanitaires de cet isolement renforcé pour Gaza. Malgré les appels pour une ouverture de la frontière pour raisons humanitaires, l’Égypte maintient son contrôle strict et rejette toute concession, mettant en avant sa souveraineté et ses priorités de sécurité.

Un isolement stratégique à double tranchant

La barrière entre l’Égypte et Gaza est un symbole des choix sécuritaires de l’Égypte dans une région sous haute tension. Si elle permet au Caire de contrôler plus efficacement sa frontière et de réduire les menaces terroristes, elle accentue également l’isolement de Gaza, aggravant la crise humanitaire qui y sévit. L’Égypte assume ici un choix difficile, cherchant à protéger sa stabilité nationale tout en risquant d’affaiblir son image de médiateur régional et de se distancier de la cause palestinienne. À terme, ce mur pourrait exacerber les tensions dans la région, démontrant les limites d’une politique strictement sécuritaire dans un contexte où les crises humanitaires et géopolitiques sont profondément interconnectées.

L’opération Sentinelle pourrait se voir confier des missions autres que la lutte contre le terrorisme

L’opération Sentinelle pourrait se voir confier des missions autres que la lutte contre le terrorisme


Lancée en janvier 2015 après l’attentat contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo, l’assassinat de la policière Clarissa Jean-Philippe et la prise d’otages sanglante de l’Hypercacher, l’opération intérieure Sentinelle mobilise encore actuellement 10 000 militaires, dont 3 000 placés en réserve, afin de soutenir les forces de sécurité intérieure [FSI] dans le cadre du plan Vigipirate, lequel fait partie du dispositif de lutte contre le terrorisme.

Évidemment, au regard des effectifs engagés, cette opération n’est pas sans conséquence sur les activités de l’armée de Terre. Ainsi, un rapport du Sénat, publié en 2021, avait souligné que la « cible de 90 jours de préparation opérationnelle par militaire n’a plus été atteinte » depuis son lancement.

En outre, un an plus tard, la Cour des comptes, pointant son coût, avait estimé qu’il était temps d’y mettre un terme, à l’instar de ce que venait de faire la Belgique avec son opération « Vigilant Guardian ». Il « n’est plus plus pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution à la tranquillité publique par un ‘affichage de militaires dans les rues’ » et il « appartient donc aux FSI de reprendre des secteurs d’activité qui leur reviennent en priorité et pour lesquels elles sont mieux équipées qu’en 2015 dans la mesure où les moyens humains et matériels ont été significativement renforcés pour leur permettre de faire face à la menace terroriste », avait-elle jugé.

Pour justifier sa position, la Cour des comptes avait soutenu que la menace terroriste était « devenue endogène ». En outre, étant donné que, selon elle, cette menace était désormais « portée par des individus inspirés par l’État islamique mais pas nécessairement affiliés à une organisation terroriste », les militaires de la mission Sentinelle ne semblaient pas les « mieux placés » pour faire face à cette situation car ils ne disposaient « ni du renseignement intérieur, ni de pouvoirs de police, ni des armements appropriés en zone urbaine ».

Quoi qu’il en soit, la recommandation de la Cour des comptes est restée lettre morte. Et l’opération Sentinelle va visiblement durer encore longtemps… Du moins, c’est ce qu’a suggéré le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition à l’Assemblée nationale [le compte-rendu vient d’être publié, ndlr].

« Nous continuons à adapter notre posture sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle : il faut identifier ce qui fonctionne et ce que l’on peut améliorer, en coordination étroite avec le ministère de l’Intérieur. Il faut notamment réduire les effectifs déployés en permanence, qui perdent de la visibilité alors que cette visibilité était l’objectif premier », a d’abord expliqué le CEMA.

« L’ensemble des moyens alloués à l’opération Sentinelle ne représente que 10 000 hommes, qui viennent en soutien de 100 000 gendarmes et 100 000 policiers. Leur effet n’est donc pas dans le nombre, mais ailleurs : il s’agit de faire passer un message lors du déploiement, et d’accroître l’effort dans des zones très ciblées », a-t-il continué, avant d’insister sur la nécessité de maintenir, si ce n’est d’améliorer, le « dialogue civilo-militaire ».

Cependant, il n’en reste pas moins que la poursuite de l’opération Sentinelle interroge toujours. Elle « fait parfois de nos soldats des cibles vivantes pour ceux qui propagent la violence et la haine » et « les militaires ne sont pas des officiers de police judiciaire [OPJ], ce qui limite concrètement leur action, notamment en matière de contrôle des individus, même si leur présence rassure », a lancé le député Laurent Jacobelli [RN]. En outre, a-t-il poursuivi, les « 10 000 hommes et femmes engagés dans l’opération Sentinelle » n’étant « pas employés ailleurs, peut-être serait-il judicieux d’envisager de les employer à autre chose, à l’heure où nous avons toujours du mal à fidéliser les personnels ».

S’il a défendu le principe de l’opération Sentinelle malgré ses limites [« il n’est pas incongru de considérer que les Français doivent être défendus là où ils sont menacés », a-t-il dit], le général Burkhard a admis que la motivation des militaires qui y sont engagés est un « sujet de préoccupation ». D’où l’idée de les employer « pour leurs capacités spécifiques », afin de donner aux missions un « opérationnel non négligeable ».

« Par exemple, les unités de Sentinelle qui sont au contact de la population sont des petits groupes commandés par un sergent ou un caporal-chef. Ce sont des militaires qui à ce niveau de grade ont rarement l’occasion d’être placés dans de telles situations de commandement et de décision », a détaillé le CEMA. Aussi, « l’opération Sentinelle est donc assez formatrice pour les cadres de bas niveau » car elle « leur confère une autonomie de décision et une véritable responsabilité, dans une mission par ailleurs très difficile ».

Cependant, a reconnu le général Burkhard, « la situation n’est pas pour autant pleinement satisfaisante et certaines modifications sont souhaitables ». Et d’ajouter : « Il faut identifier précisément les avantages offerts par l’opération Sentinelle et ce contre quoi elle sert à lutter ».

Parmi les évolutions possibles, le CEMA a évoqué une réduction du « socle d’effectifs déployés » tout en « maintenant une présence, des contacts et une visibilité, ainsi qu’un dialogue civilo-militaire ». L’idéal serait de pouvoir « capitaliser sur la capacité à utiliser pleinement une réserve susceptible de se déployer sur tout le territoire national », a-t-il dit. Seulement, les armées n’étant pas réparties de manière équilibrée sur le territoire national, leur « déploiement sera plus difficile dans certaines zones ».

Une évolution consisterait à confier d’autres missions à la force Sentinelle.

« La réserve de Sentinelle est orientée vers la lutte antiterroriste. Or, sur le territoire national, le terrorisme n’est pas la seule menace qui pèse sur les Français, ou en tout cas qui perturbe leur quotidien – pensons à une catastrophe naturelle par exemple. Nous pourrions étendre la capacité de réaction de la réserve à d’autres champs et la rendre utilisable plus rapidement – l’objectif est de disposer de personnels prêts à quitter leur quartier en trois heures », a détaillé le général Burkhard, qui s’est gardé d’évoquer tout autre rôle précis…

Enfin, au titre du maintien de la qualité du « dialogue civilo-militaire », le CEMA a estimé qu’il faudrait éviter de « s’installer dans la routine des relèves tous les deux mois ». Ainsi, a-t-il développé, il faudrait « pouvoir déployer des effectifs sur une ou deux semaines » et « dire au préfet que dans dix jours on déploiera une section à son profit pour surveiller ce qui doit l’être ». Et cela afin de faire en sorte de « marier surveillance globale et appui, ce qui appellera naturellement à faire fonctionner le dialogue civilo-militaire », a-t-il conclu.

Photo : EMA

La solution à deux États est un mirage

La solution à deux États est un mirage

Entretien avec Stéphane Amar

Eyal Warshavsky / SOPA Images//SOPAIMAGES_EWarshavsky240902ew020/Credit:SOPA Images/SIPA/2409031444

par Revue Conflits – publié le 6 novembre 2024

https://www.revueconflits.com/la-solution-a-deux-etats-est-un-mirage-entretien-avec-stephane-amar/


Journaliste et reporter, Stéphane Amar a consacré plusieurs ouvrages à la guerre en Palestine. Pour Conflits, il revient sur la surprise tactique du 7 octobre 2023, les succès de Tsahal et l’impasse de la paix.

Stéphane Amar est journaliste et reporter. Il a notamment publié Le Grand secret d’Israël (2019).

Propos recueillis par la rédaction.

Israël remporte des succès militaires sur tous les fronts : Gaza, Liban, Cisjordanie et même Iran avec l’élimination d’Ismaïl Haniyeh en plein Téhéran et le raid aérien réussi du 26 octobre. Comment expliquez-vous cela alors que le 7 octobre l’armée et les services de renseignement ont échoué ?

De mon point de vue, le 7 octobre ne marque pas un échec de l’armée ni même des services de renseignements, mais de l’idéologie dominante en Israël, c’est très différent. Cela a été largement documenté : les agents du renseignement et les militaires chargés de la surveillance de la bande de Gaza avaient alerté à d’innombrables reprises sur le risque d’une invasion à grande échelle. Je pense notamment au rapport « Jericho wall » qui décrivait assez précisément les intentions du Hamas ou aux multiples avertissements des observatrices de Tsahal qui décrivaient les préparatifs des miliciens palestiniens à quelques dizaines de mètres de la frontière. Lors d’une ronde, un soldat a même indiqué que le cadenas d’une porte de la barrière de sécurité avait été forcé. Son supérieur lui a simplement conseillé d’en installer un nouveau. À tous les échelons, les responsables militaires ou politiques ont été incapables de prendre la mesure de la menace. À l’exception notable d’Avigdor Lieberman qui hurlait dans le désert.

Les dirigeants israéliens estimaient que le Hamas, croulant sous les dollars du Qatar et de l’aide internationale, n’avait aucun intérêt à risquer une confrontation majeure avec Israël d’autant que les précédents affrontements de 2008, 2012 et 2014 avaient été marqués par une disproportion flagrante des pertes en vies humaines. En outre, ils estimaient le Hamas incapable de concevoir et de réaliser une opération militaire aussi audacieuse et précise : centralisation extrême de la prise de décision, destruction des caméras de surveillance à l’aide de drones, utilisation d’ULM, etc.

Sur ce plan la faillite est totale. Mais force est de constater que l’invasion du Hamas a été refoulée en moins de 24 heures. À l’aube du 8 octobre, Tsahal avait repris le contrôle de l’intégralité du territoire et neutralisé les derniers miliciens palestiniens. En ce sens, je ne considère pas que l’armée israélienne a échoué. Elle a simplement été victime des errements des élites israéliennes. Les spectaculaires succès du renseignement et des unités combattantes depuis le 7 octobre prouvent que les capacités offensives et défensives de Tsahal restent à la hauteur de leur réputation.

Quelles conséquences ces succès tactiques vont avoir sur le conflit israélo-palestinien ? En d’autres termes, quel nouvel horizon se dessine avec l’après Hamas et l’après Hezbollah ?

Ces deux campagnes soulignent l’importance du renseignement et la nécessité d’une présence militaire sur le terrain. À Gaza, Israël a pâti d’une mauvaise analyse des informations, mais aussi, sans doute, du démantèlement de son réseau d’informateurs au sein de la population gazaouie depuis le retrait de 2005. Face au Hezbollah, en revanche, la profondeur de l’infiltration s’est révélée précieuse. À cet égard, la formidable opération des bipeurs a marqué un point de rupture dans le conflit et précipité le délitement de la milice chiite.

À Gaza, on s’achemine donc très probablement vers le maintien d’une présence militaire sur le long terme, au moins dans le nord de la bande, sur l’axe central de Netzarim et sur l’axe de Philadelphie le long de la frontière égyptienne. Au sud-Liban, Israël va tenter de trouver un accord avec l’armée libanaise pour empêcher le retour et le réarmement du Hezbollah et très probablement instaurer une étroite zone tampon le long de la frontière.

Mais la principale conséquence du 7 octobre concerne un terrain dont on parle moins : la Cisjordanie. L’offensive à Gaza s’accompagne d’une intensification de la lutte contre les groupes armés, souvent liés au Hamas, en Cisjordanie. Ces actions se concentrent dans quelques bastions islamistes, dont le quartier de réfugiés de Tulkarem, situé à quelques centaines de mètres seulement de la frontière israélienne. Plusieurs spécialistes militaires estiment que ces groupes armés préparaient une invasion du territoire israélien sur le modèle du 7 octobre. Rappelons que nous sommes-là à une quinzaine de kilomètres de l’agglomération de Tel-Aviv, le poumon économique d’Israël. En Cisjordanie aussi l’occupation militaire devrait se poursuivre. Elle s’accompagne du reste d’une intensification de la colonisation qui conduira selon toute vraisemblance à une annexion au moins partielle du territoire.

Les Israéliens sont-ils prêts à soutenir une telle politique ? Quid de la solution à deux États ?

La principale raison de l’aveuglement collectif qui a conduit à la catastrophe du 7 octobre réside dans l’adhésion au dogme de la solution à deux États qui infuse dans les élites israéliennes depuis les années 1990. Cette idéologie à l’origine des accords d’Oslo soutient que la séparation entre Israéliens et Palestiniens et la reconnaissance d’une souveraineté à ces derniers conduira à la paix ou, du moins, à un certain apaisement. Elle a commandé les retraits des villes palestiniennes de Cisjordanie à partir de 1995, le retrait du sud-Liban en 2000 et le retrait de la bande de Gaza en 2005.

Dans ces trois cas, le désengagement de Tsahal a débouché sur une dramatique aggravation du conflit.

La solution à deux États suppose que le conflit repose sur un contentieux territorial et que les deux peuples pourront vivre côte à côte paisiblement lorsqu’un compromis sera trouvé. Or, ni l’OLP de Yasser Arafat, ni le Hamas n’envisagent un partage du territoire, mais plutôt une « libération de la Palestine de la rivière à la mer ». Ce slogan ne résonne pas seulement sur les campus occidentaux, il imprègne la charte du Hamas, les médias palestiniens, les manuels scolaires, les réseaux sociaux, etc. Même si toute comparaison s’avère forcément hasardeuse, côté israélien, la montée en puissance du nationalisme religieux exclut également tout compromis sur ces territoires fondateurs de l’identité hébraïque. On peut choisir d’ignorer ces dimensions, mais cela ne change rien et cela empêche de penser d’autres solutions. En attendant, Israël continuera d’exploiter sa supériorité militaire en poursuivant son implantation en Cisjordanie.

Comment imaginer que les États-Unis soutiennent Israël dans cette voie ?

Quel que soit le prochain président des États-Unis, ses leviers d’action resteront très limités. Pour Israël, l’occupation militaire de la Cisjordanie constitue, on l’a vu, un impératif sécuritaire de première importance. La colonisation de ce territoire répond, elle, à des impératifs d’aménagement du territoire, d’espace vital, si on peut utiliser ce terme quand on connaît sa résonance historique. Le pays connaît une très forte croissance démographique et les deux grands centres urbains, Tel-Aviv et Jérusalem, frôlent la saturation. Le seul foncier abordable se trouve dans les environs immédiats de ces agglomérations : en Cisjordanie. La démographie est le principal moteur de la colonisation, bien davantage que l’idéologie du grand Israël. Je ne vois aucune pression diplomatique capable d’enrayer ce processus.

Observez-vous un réel changement d’attitude des pays arabes ou un simple rapprochement opportuniste face à la menace iranienne ?

Les deux se mêlent. Il est évident que les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite voient d’un bon œil les déboires des proxys de l’Iran et de la République islamique elle-même face à Israël. Ces deux pays, qui se sont cassé les dents face aux Houthis, se réjouissent de l’affaiblissement de l’axe chiite. Cela explique leur grande modération dans la condamnation d’Israël et même, concernant les Émirats et Bahreïn, la poursuite enthousiaste des accords d’Abraham. Mais le véritable changement viendra d’une normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite. Le royaume envoie des signaux contradictoires, signe des tensions qui agitent les dirigeants saoudiens sur ce dossier. Il me paraît évident que le futur maître du pays, le prince Mohammed Ben Salman, réalisera ce rapprochement. La région prendra alors un visage très différent et, je l’espère, marchera vers une inexorable pacification.

Le Sahel après le retrait français par Bernard Lugan

par Bernard Lugan – AASSDN – publié le 3 novembre 2024

https://aassdn.org/amicale/le-sahel-apres-le-retrait-francais_par_bernard-lugan/


Après la mort de 52 des meilleurs enfants de France tombés pour défendre des Maliens et des Nigériens préférant émigrer en France plutôt que se battre pour leurs pays respectifs, que devient le Sahel depuis le retrait français des années 2022 et 2023 ? 
La région est en effet sortie de l’actualité française, d’une part parce que l’Ukraine et le Moyen-Orient attirent tous les regards ; d’autre part, en raison de la situation intérieure hexagonale. Or, à bas bruit, se poursuit l’extension des territoires contrôlés par les islamistes, par les trafiquants de drogue et par les passeurs de migrants. 

Avec des moyens dérisoires à l’échelle du gigantesque théâtre d’opérations saharo-sahélien, – plus de 8 000 000 km2 de désert et plus de 3 000 000 km2 de Sahel -, Barkhane, qui n’était que de passage, n’était évidemment pas en mesure de refermer ces plaies ethno-raciales ouvertes depuis la nuit des temps et qui sont à la base des guerres actuelles. 

Aujourd’hui, les Russes comprennent à leur tour qu’ils ne peuvent agir sur les constantes millénaires qui conditionnent les définitions politico-sociales régionales. Ils ne peuvent pas davantage résoudre les problèmes liés à la démographie, à la sous-administration et à l’inexistence d’Etats sans profondeur historique qui associent tout à fait artificiellement des Nord blancs et des Sud noirs immémorialement antagonistes. 

L’ignorance des constantes ethno-historico-politiques régionales et d’un milieu dans lequel les populations ont une tradition de violence en raison de la concurrence pour les maigres ressources en eau ou en pâturages, a fait qu’un conflit localisé à l’origine au seul nord-est du Mali, limité à une fraction touareg, et dont la solution passait par la satisfaction de revendications politiques légitimes de cette dernière, s’est transformé en un embrasement régional échappant désormais à tout contrôle. 

Un désastre qui s’explique par une erreur originelle de diagnostic. La polarisation sur le jihadisme fut en effet l’alibi servant à masquer la méconnaissance des décideurs français, doublée de leur incompréhension de la situation. Comme je n’ai cessé de le dire et de l’écrire depuis au moins deux décennies, le jihadisme saharo-sahélien est en effet, et d’abord, la surinfection de plaies ethniques séculaires et même parfois millénaires. 

Or, comme il vient d’être dit, nul n’étant en mesure de cautériser ces dernières, les malheureuses populations continueront donc à vivre dans la terreur. 

N’en déplaise aux tueurs de mémoire, nous assistons bien en réalité au retour à la longue durée régionale. Une situation qui avait été mise entre parenthèses entre les années 1890 et 1960, durant la brève parenthèse coloniale, quand la France s’est ruinée avec application pour assurer la paix aux populations, pour les soigner, pour les nourrir, pour tracer des routes, lancer des ponts, bâtir dispensaires, hôpitaux, écoles…

Bernard Lugan
Editorial du 1er novembre 2024
https://bernardlugan.blogspot.com/

ANALYSE – La Turquie face au terrorisme du PKK

Attentat terroriste contre l’industrie aérospatiale turque
Image par Hüseyin Özgün de Pixabay

ANALYSE – La Turquie face au terrorisme du PKK

Par Alain Rodier  – Le Diplomate Média – publié le 27 octobre 2024

Le 23 octobre vers 15 h 30 (heure locale), une attaque terroriste s’est déroulée contre le site industriel de la TAI (Turkish Aerospace Industries – TUSAŞ -) à Kahramankazan, ville située à une quarantaine de kilomètres de la capitale Ankara. 15.000 personnes travaillent sur ce complexe industriel. TAI est un acteur clé de l’industrie aérospatiale turque, qui conçoit, développe et fabrique divers avions civils et militaires.

L’attentat a eu lieu alors qu’un grand salon professionnel des industries de la défense et de l’aérospatiale se tenait la même semaine à Istanbul. Pour mémoire, la Turquie a une puissante industrie de défense qui exporte de nombreux armements dont les plus célèbres sont les drones fabriqués par la société Baykar qui appartient au gendre du président turc.

Un couple d’assaillants lourdement armés est arrivé dans un taxi qu’il avait dérobé en assassinant le chauffeur et en cachant sa dépouille dans le coffre, devant l’entrée des personnels à l’heure d’une relève du poste de sécurité. Ils ont tiré dans toutes les directions essayant d’atteindre tous ceux qui passaient à leur portée. Au moins un terroriste a pénétré à l’intérieur du site, armé d’un fusil d’assaut AK-74 équipé d’un système d’aide à la visée et d’une arme de poing, les deux étant dotés de modérateurs de son.

La femme qui l’accompagnait a utilisé un AKS-74U (version courte de l’AK-74) équipé d’un Aimpoint et de deux chargeurs « tête bêche ».

Cinq personnes avaient été tuées lors de l’action et 22 blessées.

Les deux terroristes seraient morts, l’un se faisant exploser avec la charge qu’il avait dans son sac à dos.

On ne savait pas immédiatement qui pouvait être derrière l’attaque mais l’hypothèse Daech était exclue car les salafistes-jihadistes n’emploient pas de femmes dans des rôles opérationnels (l’exception qui confirme la règle sont les « veuves noires » tchétchènes et les kamikazes nigérianes de Boko Haram).

Il restait des groupuscules d’extrême-gauche et le PKK qui ont mené des opérations terroristes meurtrières par le passé.

Le semi-professionnalisme de l’action a permis d’en déduire que les deux activistes avaient suivi un entrainement militaire au tir.

En 24 heures, les deux activistes ont été identifiés. Le ministre de l’intérieur Ali Yerlikaya, a d’abord nommé Ali Örek alias « Rojger ».

Ce dernier avait publié des messages sur les réseaux sociaux faisant l’éloge du terrorisme et des violences qu’il aurait commis au cours des dernières années. Dans un message datant de 2015, il pose brandissant une arme de poing sur sa tempe accompagné du message disant « il est mort ».

La femme terroriste a été identifiée comme étant Mine Sevjin Alçiçek présentée par les autorités turques comme également membre du PKK.

Ce qui est certain, c’est qu’en 2014 elle était co-présidente du parti pro-Kurdes HDP pour la province du Hakkari dans le sud-est de la Turquie. Cette région est la zone d’implantation principale du PKK sur le territoire turc en raison de la proximité de l’Irak et de l’Iran.

C’est à la même époque que Recep Tayyip Erdoğan, alors Premier-ministre, a fait arrêter près de 26.000 militants (dont les principaux dirigeants) et sympathisants du HDP pour « liens avec les terroristes du PKK ».

Le 15 octobre 2023, le HDP a changé de nom pour devenir le Parti pour l’égalité des peuples et la démocratie (Hedep) puis Parti Dem mais ses militants se sont dilués dans d’autres formations (extrême-gauche, écologistes…) craignant à tout moment la dissolution.

Cette dernière action terroriste risque de provoquer sa fin… mais pas la disparition de la cause kurde.

Enfin est venue une revendication du PKK : « l’action sacrificielle commise contre l’enceinte des TAI à Ankara vers 15H30 le mercredi 23 octobre a été menée par une équipe duBataillon des Immortels’ ». Pour le PKK, il s’est agi d’envoyer « des avertissements et des messages contre les pratiques génocidaires, les massacres et les pratiques d’isolement du gouvernement turc […] Nous savons que les armes produites par TAI ont massacré des milliers de nos civils au Kurdistan, y compris des enfants et des femmes ». Il conclue que c’est son « droit légitime » à frapper « les centres où ces armes de massacre sont produites ».

Contexte

Cet attentat a eu lieu alors que le président Recep Tayyip Erdoğan assistait au sommet des BRICS+ à Kazan en Russie. Cette organisation économique regroupe pour le moment le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran. Ces neuf pays représentent à eux seuls près de la moitié de la population mondiale mais que 26 % du produit intérieur brut mondial en valeur nominale contre 44 % pour les pays du G7. L’attaque na pas semblée suffisamment grave pour qu’il rentre immédiatement. Il faut dire qu’il défend la candidature de la Turquie à cette organisation – une première pour un pays de l’OTAN.

Le 21 octobre, il s’était aussi passé un évènement important pour Erdoğan : le décès du prédicateur musulman Fethullah Gülen âgé de 83 ans qui vivait en exil aux États-Unis depuis 1999.

Depuis près de quinze ans, il était recherché par la justice d’Erdoğan qu’il avait pourtant soutenu secrètement dans sa montée vers le pouvoir depuis les années 1980.

Gülen souffrait depuis longtemps de problèmes de santé – raison officielle de son exil aux USA en 1999 – . En réalité, à l’époque il craignait de se faire arrêter par l’armée qui avait lancé des enquêtes à son sujet. Curieusement, il n’était pas rentré en Turquie après l’arrivée au pouvoir en 2022 de l’AKP, le parti islamique d’Erdoğan.

C’est dans les années 1980 que son mouvement « Hizmet » (en turc, « services ») avait commencé à infiltrer des importants ministères : la Justice, l’Intérieur et même l’armée plaçant ses adeptes à des postes clefs.

Hizmet avait aussi d’étendre aussi son influence dans plus de 180 pays dont beaucoup en Afrique et en Asie via des écoles et des dispensaires privés très appréciés des populations locales pour leur excellence.

À l’intérieur, Hizmet a participé à la mise au pas de l’armée après les procès du « complot Ergenekon », une parodie de justice mais cette dernière et la police étaient à sa botte. La haute hiérarchie militaire – majoritairement politiquement laïque – avait été décapitée et la carrière d’officiers acquis à la cause de Gülen avait été propulsée.

Mais le danger militaire étant écarté, Gülen a commencé à être jugé comme une menace pour Erdoğan qui voulait concentrer tous les pouvoirs dans sa main (c’est lui qui a fait adopter la nouvelle Constitution qui a transformé la Turquie en régime présidentiel grâce à un amendement de 2017).

La rupture intervint en 2013 lorsqu’un scandale de corruption a éclaboussé des proches d’Erdoğan. Les juges et les policiers impliqués dans l’enquête – aux ordres de Gülen – se sont retrouvés à leur tour derrière les barreaux sur instructions du pouvoir politique en place à Ankara (Erdoğan était alors Premier ministre). Beaucoup qui avaient participé à la mise au pas de l’armée ont rejoint à leur tour les geôles turques. En retour, la plupart des officiers généraux emprisonnés ont été blanchis des accusations qui avaient été portées contre eux. Ils sont sortis de prison mais ont été mis à la retraite car ils avaient atteint les limites d’âge de leur grade. Ils ne constituaient plus un danger pour Erdoğan…

Il restait à régler le cas des officiers proches de Gülen. Le 16 juillet 2016, il y eut un coup d’État militaire aussitôt attribué par Erdoğan au Hizmet rebaptisé « organisation terroriste FETÖ ».

Cela permis de purger l’armée de ces éléments jugés « séditieux » – mais cette fois « islamistes » mais aussi d’autres administrations, la presse, et les mouvements politique pro-kurdes – qui n’avaient strictement rien à voir avec ce putsch -…

En réalité, tous les opposants au premier ministre mais aussi futur président turc (2018 puis 2023) ont été écartés.

Aujourd’hui, le président turc se retrouve sans adversaires sérieux en dehors des Kurdes.

À l’extérieur, il est au sommet de son pouvoir faisant plier les Occidentaux à sa volonté et se désignant comme le leader des croyants face à Israël.

Sa position est confortable mais risquée pour la suite d’autant qu’il n’a pas encore de dauphin désigné.

Peut-être le « fidèle parmi les fidèles » Hakan Fidan, actuel ministre des Affaires étrangères mais surtout ancien directeur des services spéciaux turcs de 2010 à 2023, le redouté MIT compétents à l’intérieur comme à l’extérieur. À son poste, il a certainement joué un rôle central dans la lutte contre le mouvement Hizmet et son chef Gülen.  Il représente vraiment l’« État profond » turc et il sait tout sur tout le monde…

Le « rêve » d’être le « Sultan » du monde musulman.

Le président Erdoğan a fait des déclarations virulentes contre Israël et l’Occident dans un discours rapporté par le Turkish Daily News le 20 octobre : en tant qu’« ennemie des oppresseurs et protectrice des opprimés », la Turquie soutient la Palestine dans sa  lutte pour la liberté et la dignité contre le réseau du génocide […] Les États-Unis, l’Europe et le Conseil de sécurité de l’ONU sont devenus de simples jouets entre les mains d’un meurtrier impitoyable connu sous le nom de Netanyahou […] 20. 000 enfants sont morts [dans la bande de Gaza]. Pas une seule personne ne s’est manifestée pour dire : c’est une honte […] Des dizaines de milliers de femmes sont mortes et les organisations de défense des droits des femmes n’ont pas prononcé un mot […] Quelques 175 journalistes sont morts et les médias internationaux ne s’en soucient pas du tout […] La responsabilité du massacre de 50.000 innocents incombe sans aucun doute aux forces d’occupation israéliennes sans foi ni loi ».

Il a ajouté que ceux « qui apportent un soutien inconditionnel au gouvernement israélien et envoient des armes et des munitions sont également ouvertement complices de ce massacre ».

Cette charge est à inscrire dans le contexte de la volonté toujours assumée d’Erdoğan de devenir « le » leader du monde musulman d’où le surnom qui lui donné par ses opposant de « Sultan ».

Il utilise la cause palestinienne depuis des années profitant du fait que les pays arabo-sunnites s’en désintéressent depuis des décennies.

Il se retrouve par contre en concurrence avec l’Iran – le vieil adversaire de la Turquie – qui, comme lui, exploite les Palestiniens à des fins politiques. Sur le fond, le régime de Téhéran n’a rien à faire des Palestiniens – qui sont sunnites – mais ils sont « intéressants » dans la guerre maintenant à « grands bruits » menée contre l’État hébreu via des proxies. Les mouvements palestiniens lui permettent de menacer Israël depuis le sud et l’est, comme le Hezbollah le fait depuis le Liban, au nord. Cela pourrait changer dans les temps à venir…

C’est un peu la même chose pour Erdoğan, à la différence près que ce n’est pas l’État hébreu qui est directement visé par ses invectives ; il s’en sert pour affirmer sa volonté d’être le « nouveau Sultan » du monde musulman.

Jusqu’à maintenant, sa manœuvre n’a pas fonctionné malgré l’appui des Frères musulmans dont il est – au minimum – très proche. En effet, les révolutions arabes de 2011 sur lesquelles il comptait pour établir son leadership ont échoué en Égypte, en Syrie et en Libye.

La guerre de Gaza lui permet de revenir en première ligne.

Toutefois, si le discours récents d’Erdoğan peut être considéré comme un « classique » que tout le monde laissait plus ou moins passer auparavant, la suite est plus qu’inquiétante. En effet, il a exprimé son « respect » pour les dirigeants et les membres de la résistance palestinienne, « qui est devenue légendaire non seulement par leurs luttes mais aussi par leurs martyrs, et pour tous les héros qui ont arrosé les terres de Gaza de leur sang béni (…). Je souhaite la miséricorde de Dieu à Yahya Sinwar, le chef du Hamas qui est tombé en martyr récemment ».

Comme tous les dirigeants de la planète, il joue sur la corde sensible des Occidentaux et leurs  valeurs « universelles », au premier rang desquelles se trouvent les Droits humains. Il est pourtant très mal placé pour donner la moindre leçon de morale. Certes, il n’a pas connu la période du génocide arménien – mais il l’a toujours nié en tant que responsable politique -, par contre sa violence à l’égard des Kurdes (après avoir pourtant tenté de négocier en 2013 via Abdullah Öcalan incarcéré sur l’île d’Imrali) est patente, que ce soit à l’égard des Kurdes turcs qui croupissent dans les geôles ou des Kurdes syriens et irakiens jugés comme des « cousins » du PKK.

La raison de l’attaque du PKK

Mais la raison de l’attaque est peut-être autre. En effet, le président du MHP (parti du mouvement nationaliste) Devlet Bahçeli, principal allié de l’AKP au pouvoir, avait invité Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999, à s’exprimer devant le Parlement pour annoncer la dissolution de son parti et son renoncement au terrorisme.

Dans la foulée, le 23 octobre, le neveu du leader kurde, Ömer Öcalan, député du principal parti pro-Kurdes (ex-HDP) a pu le rencontrer dans sa prison d’Imrali. « Notre dernière rencontre en face-à-face avec Abdullah Öcalan avait eu lieu le 3 mars 2020 » a rappelé son neveu sur X.  Entre-temps Abdullah Öcalan, 75 ans, à l’isolement, n’avait eu droit qu’à un bref échange téléphonique avec lui en mars 2021.

Cette démarche a certainement déplu en haut lieu au sein du PKK. Le 24 octobre, le président du Parlement Numan Kurtulmus a estimé à propos de cet attentat qu’il « ne peut s’agir d’une coïncidence ».

Selon la DGA, les actes malveillants contre les entreprises françaises de l’armement se multiplient

Selon la DGA, les actes malveillants contre les entreprises françaises de l’armement se multiplient

https://www.opex360.com/2024/10/25/selon-la-dga-les-actes-malveillants-contre-les-entreprises-francaises-de-larmement-se-multiplient/


La sécurité informatique des entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] française est un vaste chantier, qui plus est sans fin étant donné que les « cyber-assaillants » ont souvent un temps d’avance sur les dispositifs de protection éventuellement mis en place par leurs cibles.

Pour rappel, la BITD compte environ 4000 entreprises, dont 1600 sont considérées comme critiques. Elles peuvent bénéficier d’un soutien de la part de la Direction générale de l’armement, via le Plan en faveur des ETI, PME et start-ups [PEPS, ex-plan Action PME], qui, relevant de la nouvelle Direction de l’industrie de défense [DID], comporte un axe de résilience « cyber ». Au besoin, elle peuvent la solliciter pour mener des audits sur leur sécurité informatique. Seulement, est-ce suffisant, quand seulement 56 « diagnostics cyber » ont été effectués en 2023 ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les attaques informatiques contre la BITD ont augmenté « assez significativement », a ainsi confié Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement [DGA], lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 23 octobre.

Il arrive que certaines de ces attaques aient une motivation criminelle, notamment quand elles sont menées à des fins d’extorsion avec des rançongiciels.

Mais elles peuvent aussi [et surtout] être liées aux « intérêts de nos compétiteurs dans des domaines particuliers, comme par exemple le spatial et le naval », a expliqué M. Chiva. « On voit de plus en plus d’attaques structurées de services étrangers, dirigées plutôt vers des PME et des TPE, qui sont moins bien familiarisées aux moyens de lutte », a-t-il ajouté.

« Il y a des attaques pour neutraliser, il y a des attaques pour voler. Le plus inquiétant, c’est quand on ne sait pas », par exemple « quand vous découvrez qu’on vous dérobe vos données et que vous ne savez pas depuis combien de temps ça dure », a poursuivi M. Chiva. Et puis il y a aussi « toutes les attaques qu’on n’a pas encore découvertes », a-t-il complété.

Pour parer ces attaques informatiques, la DGA mise sur le dialogue et l’incitation à adopter de bonnes pratiques et non sur la coercition.

« Je ne sais pas s’il faut être plus coercitif ou pas. D’abord, il faut avoir les moyens de l’être. Je pense que c’est un dialogue que nous avons aujourd’hui avec l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information] qui nous permettra de répondre à un certain nombre de ces nécessités », a estimé M. Chiva. D’où l’importance de l’accompagnement des PME/TPE mis en place par la DGA.

« Plutôt que de les contraindre [les entreprises, ndlr], on a choisi de créer un référentiel d’exigence minimale cyber. Dans ce domaine là, les entreprises ont peur d’être confrontées à trop de normes, à trop d’obligations. Donc, on leur dit : ‘si vous voulez travailler pour la défense, voilà le niveau minimum de cyberprotection que l’on attend de vous’ », a expliqué le DGA. Ce référentiel est en outre utilisé par les maîtres d’œuvre industriels dans leurs relations avec leurs sous-traitants.

La même approche a été adoptée pour les risques d’atteintes « physiques ». En juin, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait fait état de 150 incidents constatés entre 2021 et 2023. « C’est quelque chose qui est très ‘Guerre froide’, mais qui n’a jamais disparu et qui reprend une force particulière depuis deux ans », avait-il dit, au Sénat.

Ce qu’a confirmé M. Chiva devant les députés. « On voit se multiplier un certain nombre d’évènements, d’incendies, de dégradations et autres qui pourraient être le fruit du hasard, sauf à regarder de près ce qui se passe. Il y a une usine qui construis[ai]t un des missiles utilisés en Ukraine qui a brûlé en Allemagne et je ne pense pas que ce soit à cause d’un mégot tombé dans une corbeille à papier », a-t-il dit.

Faut-il établir un parallèle avec l’explosion survenue à la poudrerie de Bergerac, en août 2022 ? Deux ans après, l’instruction est toujours en cours et, selon France Bleu Périgord, un « nettoyage insuffisant des installations avant maintenance » et « des mesures de prévention insuffisantes » en auraient été la cause…

Quoi qu’il en soit, comme pour la sécurité informatique, la DGA a élaboré un « référentiel d’exigences minimales de protection physique », encore appelé, par M. Chiva, « référentiel de sûreté fondamentale ». Il est « pris en compte par un certain nombre de maîtres d’œuvre industriels pour évaluer leurs sous-traitants les plus critiques », a-t-il conclu.

Beyrouth, 23 octobre 1983 : Souvenons-nous des paras du Drakkar

Beyrouth, 23 octobre 1983 : Souvenons-nous des paras du Drakkar



Voici 41 ans, le 23 octobre 1983, 6 h 30 du matin : un double attentat frappe la Force multinationale de sécurité à Beyrouth. En quelques secondes, 241 marines américains et 58 parachutistes français sont tués (55 du 1er RCP et 3 du 9e RCP). Le poste Drakkar, occupé par les paras français, vient de subir la frappe la plus terrible contre l’armée française depuis les affrontements de la décolonisation. 

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Bruno Racouchot était alors officier au 6e RPIMa. Il nous a aimablement autorisé à reproduire le texte d’hommage en annexe, initialement paru dans le cadre du très confidentiel « Club des chefs de section paras au feu ». 

23 octobre 1983, Beyrouth, 6 h 30 du matin, Drakkar est rayé de la carte 

Le 23 octobre 1983, les parachutistes français présents à Beyrouth dans le cadre de la Force Multinationale de Sécurité, étaient victimes d’un attentat. 58 d’entre eux devaient trouver la mort dans l’explosion du poste « Drakkar ». Le texte d’hommage qui suit a été publié dans le cadre du Club des chefs de section paras au feu, qui compte quelques anciens de cette mission sanglante, depuis le Général François Cann, alors à la tête de la force française, et le Général Paul Urwald, qui commandait alors le 6e RIP, jusqu’au benjamin du Club, Bruno Racouchot, officier-adjoint d’une des quatre compagnies déployées à Beyrouth-Ouest. Plus particulièrement en charge de la section de protection du PC du 6e RIP, Bruno Racouchot décrit la configuration extrêmement délicate et sanglante dans laquelle furent alors plongés les parachutistes français.

Rappel du contexte historique 

En juin 1982, Israël lance l’opération « Paix en Galilée », envahit le Sud-Liban et entreprend fin juin-début juillet l’assaut de Beyrouth-Ouest où les Palestiniens sont encerclés dans une nasse, les Syriens refusant de les accueillir sur leur territoire. Un cessez-le-feu est appliqué début août. La communauté internationale, soucieuse d’éviter des affrontements sanglants, décide d’intervenir. Sous la protection des parachutistes français, soutenus par les soldats américains et italiens, les forces palestiniennes sont exfiltrées en douceur. De 500.000 à 600.000 Palestiniens restent dans les camps.

Le 23 août, Béchir Gemayel est élu Président du Liban. Le 15 septembre, il est assassiné. Israël investit Beyrouth-Ouest. Du 16 au 18 septembre ont lieu les massacres de populations civiles dans les camps de Sabra et Chatila, où des centaines de civils palestiniens sont tués. Le 21 septembre, Amine Gemayel, frère aîné de Béchir, est élu président. Le 24 septembre, pour répondre à une opinion internationale scandalisée par les tueries dont les Palestiniens ont été victimes, une Force Multinationale de Sécurité à Beyrouth est créée, intégrant des contingents français, américains, italiens et une poignée d’Anglais.

Dès lors, au Liban, la situation ne cesse de se dégrader. Massacres de populations civiles et attentats se multiplient. Les soldats de la Force Multinationale sont victimes d’innombrables attaques et de bombardements. Si les Américains sont cantonnés à l’aéroport et les Italiens en périphérie de la ville, si les Anglais se contentent de mener des missions de renseignement avec un escadron spécialisé, les Français, eux, reçoivent la mission la plus délicate, au cœur même de Beyrouth.

Tous les quatre mois, les contingents sont relevés, souvent avec des pertes sévères. En septembre 1983 a lieu la relève pour les légionnaires français installés à Beyrouth, remplacés par les parachutistes de la 11e Division parachutiste. C’est l’opération Diodon IV, qui deviendra l’engagement le plus sanglant pour l’armée française depuis les guerres coloniales. Le 3e RPIMa s’installe en secteur chrétien, dans la perspective d’une offensive face au « Chouf », pour pacifier la montagne où les Druzes s’en prennent violemment aux chrétiens. Des éléments du GAP, 1er RHP, 17e RGP, 12e RA, 35e RAP, 7e RPCS et le commando marine Montfort sont également à pied d’œuvre.

Le secteur le plus dangereux, celui de Beyrouth-Ouest, est dévolu à un régiment de marche, le 6e RIP, Régiment d’Infanterie Parachutiste, qui a pour mission principale la protection des populations civiles palestiniennes traumatisées des camps de Sabra et Chatila. Ce régiment, placé sous le commandement du colonel Urwald, a été formé spécialement pour cette opération, et est constitué de quatre compagnies de parachutistes : deux compagnies du 6e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine basé à Mont-de-Marsan, une compagnie du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes basé à Pau, une compagnie du 9e Régiment de Chasseurs Parachutistes basé à Pamiers.

Le quotidien d’un chef de section para au feu

C’est une vraie leçon de vie dont vont bénéficier les jeunes chefs de section plongés dans la fournaise de Beyrouth. Les Américains sont à l’époque encore sous le coup de la chute de Saïgon survenue à peine huit ans plus tôt. Ils sont repliés sur l’aéroport, ne sortant quasiment pas de leurs abris, usant de blindés M113 pour traverser le tarmac de l’aéroport. Sous des tirs d’artillerie incessants, en septembre 1983, nos jeunes paras ont remplacé les légionnaires. A la différence des professionnels du 3e RPIMa, d’où viennent-ils ces jeunes du 6e RIP ? Ce sont pour la plupart des appelés, d’un genre un peu particulier cependant. Volontaires TAP, volontaires outre-mer, volontaires service long, pour beaucoup d’entre eux, ils ont déjà bénéficié d’une solide formation et ont effectué des « tournantes » hors métropole.

Mentalement et physiquement préparés, ils pressentent cependant dès leur arrivée que cela va être dur, très dur même. Mais ils vont faire front et s’adapter. Avec modestie, calme, détermination. Certes, en débarquant, chacun d’entre eux éprouve l’étrange picotement qui monte le long de la colonne vertébrale. Heureusement, ils ont à leurs côtés les « anciens », à peine plus âgés qu’eux, qui ont « fait » le Tchad, la Mauritanie, le Zaïre, Djibouti, et pour certains déjà, le Liban… Tous ces noms de TOE lointains les ont fait rêver à l’instruction, quand ils n’avaient déjà qu’un souhait, se montrer à la hauteur de ceux qui les avaient précédés sous le béret rouge. Aujourd’hui, le rêve se trouve enfin confronté brutalement à la réalité.

Beyrouth est un piège monumental. On a beau avoir bourlingué, on a beau avoir entendu tirer à ses oreilles, quand on est un jeune chef de section, débarquer dans un tel univers constitue une épreuve d’ordre quasiment initiatique. On n’ose pas le dire, mais on le ressent d’emblée jusqu’au tréfonds de soi. Avec la secrète question qui taraude et que l’on n’ose pas exprimer : saurai-je me montrer digne de mon grade et de mon arme ? Ce sont d’abord les missions ordinaires, protection des postes, ravitaillement, reconnaissance, tâches d’entretien peu glorieuses mais tellement nécessaires, que l’on accomplit sereinement parce que même si le contexte est moche, on leur a appris à être beaux. Les jeunes paras mûrissent vite. Les visages se creusent, le manque de sommeil se fait vite sentir. Paradoxalement, les relations soudent les esprits et les corps. De secrètes complicités se nouent. Plus besoin de longs discours, les ordres s’exécutent machinalement, avec un professionnalisme qui prouve que, par la force des choses, le métier des armes entre dans la peau de chacun.

L’ennemi est partout et nulle part

Le jeune chef de section apprend très vite à connaître son secteur. Il a la chance d’avoir à ses côtés des hommes décidés encadrés par des sous-officiers d’élite, totalement dévoués à leur tâche. Il rôde, de jour comme de nuit, pour imprimer dans ses neurones les itinéraires, les habitudes, les changements de comportements. Rien n’est anodin. Il sait qu’il lui faut lier connaissance, observer, échanger, parler, surveiller, lire, écouter… Pas de place pour la routine. Plus que jamais, il faut faire preuve d’initiative, agir à l’improviste, sortir des postes, aérer les périmètres de sécurité, ne pas céder à la tentation mortelle de se recroqueviller dans les postes, derrière les sacs de sable et les merlons de terre. Des milliers d’yeux observent les paras français depuis les tours qui encerclent les positions. Ici, l’aspect psychologique est capital. On est en Orient. Il n’est pas permis de perdre la face. Les Français ont des moyens dérisoires en regard de leurs adversaires potentiels ou des grands frères américains, qui peuvent d’un simple appel radio, déclencher la venue de norias d’hélicoptères. En revanche, les Français savent s’immerger dans la population. Ils mangent comme le Libanais de la rue, se mélangent aux civils qui déambulent dans des marchés grouillants. Savoir se faire apprécier, c’est se faire respecter. Un sourire généreux sur une face de guerrier, c’est rassurant. Ça prouve la force plus que les armes. C’est cette stature des paras français qui fait très vite leur réputation dans la population.

Ce profil si particulier des soldats français, ce sont les chefs de section et les sous-officiers qui l’impriment à leurs hommes. Quels que puissent être les risques, ils ne changeraient leur place pour rien au monde. Ils savent qu’ils vivent une aventure inouïe, où chacun va pouvoir aller à l’extrême limite de ses possibilités. Le chef de section para a beau n’avoir que vingt-cinq ou trente ans, il sait qu’il passe là une épreuve pour laquelle il s’est préparé depuis des années ou depuis toujours, celle du feu. Il devine intuitivement qu’il va peut-être lui être donné d’accéder à une autre forme de connaissance de la vie, qu’il va opérer une mue intérieure subtile que seuls « ceux qui savent » et les anciens comprendront. Il sait qu’il reviendra de Beyrouth, « pareil sauf tout »… Ceux qui ont lu Ernst Jünger savent ce qu’il entend quand il parle de « La Guerre, Notre Mère »…. Drakkar va littéralement « sublimer » cet état d’esprit.

L’épreuve

Deux jours avant Drakkar, le 21 octobre 1983, je suis désigné pour conduire, avec le capitaine Lhuilier, officier opération du 6e RIP, un entraînement commun de la Compagnie Thomas du 1er RCP avec les marines américains à l’aéroport. Il faut bien que la connaissance de la langue de Shakespeare serve à quelque chose… Lhuilier est une figure des paras-colos. Il a eu son heure de gloire avec le 3e RIMa au Tchad quelques années avant, où coincé dans une embuscade, il a fait monter sa compagnie à l’assaut des rebelles, baïonnette au canon, en chantant « La Marie »… Dans l’épreuve qui se profile à l’horizon, il va se révéler un roc inébranlable.

Marines et paras français au coude à coude à l’entraînement… Comment imaginer en voyant tous ces grands gaillards crapahuter dans la poussière et se livrer à des exercices de tir rapide, que la plupart d’entre eux reposeront bientôt dans un linceul de béton ?… Mis en alerte le samedi soir, nous dormons tout équipés sur nos lits de camp, l’arme à portée de main. On entend bien des explosions, des tirs d’artillerie sporadiques. Des rafales d’armes automatiques titillent les postes. Mais va-t-on s’inquiéter pour si peu ?

Dimanche 23 octobre 1983, 6 h 30 du matin. L’aube se lève. D’un coup, une explosion terrible, une lourde colonne de fumée qui s’élève plein sud dans le silence du dimanche matin. L’aéroport et les Américains sont mortellement touchés. Puis une minute après, encore une autre, plus proche cette fois, d’une puissance tout aussi ahurissante. On entend en direct sur la radio régimentaire que Drakkar a été rayé de la carte. Ce poste était occupé par la compagnie du 1er RCP commandée par le capitaine Thomas, dont heureusement un détachement était de garde à la Résidence des Pins, le QG français. Bilan des deux attentats : 241 marines et 58 paras français sont tués, sans compter d’innombrables soldats grièvement blessés, évacués en urgence en Europe.

Dès la première explosion, chacun a bondi à son poste. On comprend d’emblée que c’est terrible. Les ordres fusent à toute vitesse. Des équipes partent pour le lieu de l’attentat, les autres sécurisent les postes. Chacun sait ce qu’il a à faire. On est sous le choc, mais le professionnalisme l’emporte. La mécanique parachutiste, répétée inlassablement à l’entraînement, montre ses vertus en grandeur réelle. On va faire l’impossible pour sauver les camarades. Malheureusement, beaucoup sont déjà morts, déchiquetés, en lambeaux, que l’on ramasse jour après jour, nuit après nuit. On a entendu certains d’entre eux râler sous les ruines, alors que nous étions impuissants à les dégager des amas de gravats. Ils sont là, pris dans l’étreinte mortelle de l’acier et du béton, ceux pour lesquels nous sommes arrivés trop tard, ceux avec lesquels hier on riait, on plaisantait, on rivalisait. Aucun des paras qui va relever ses camarades en cette semaine d’octobre n’oubliera ces pauvres corps, « tués par personne », nobles et dignes jusque dans la mort, magnifiques soldats équipés et prêts pour le combat, parfois la main crispée sur leur Famas. Sans doute est-ce parce qu’ils ont rejoint les légions de Saint-Michel que leur souvenir semble éternel. Le mythe para en tous cas l’est. Maintenant plus que jamais. Et tous, nous communions alors dans une espèce de rêve étrange et éveillé, où la mort étonnamment proche se mêle inextricablement à la vie, en un jeu dont les règles nous échappent. Un nouveau jalon funèbre est posé après les combats des paras de la Seconde Guerre mondiale et bien sûr ceux des grands anciens d’Indochine et d’Algérie.

Le piège fatal

En signe de solidarité avec nos hommes, le Président de la République, François Mitterrand, vient rendre un hommage aux morts le 24 octobre. Les paras savent déjà qu’ils sont pris dans un traquenard monstrueux. Jour après jour, ils sont victimes de nouveaux attentats, dans un secteur totalement incontrôlable, où pullulent les milices, les mafias et les « services ». Personne ne sait réellement qui fait quoi, les informations sont sous influence, rien n’est sûr, tout est mouvant. Sans ordres ni moyens légaux, les paras sont contraints de se battre au quotidien pour assurer la survie de leurs postes et continuer à protéger les populations. Aucun renfort notable n’est envoyé de métropole, hormis une compagnie de courageux volontaires du 1er RCP venus prendre la place de leurs prédécesseurs. En dépit des nombreux morts et blessés qu’ils vont relever dans leurs rangs, les paras ne doivent compter que sur leur savoir-faire, leur calme et leur professionnalisme pour se défendre tout en évitant de répondre aux provocations, refusant parfois de tirer pour préserver les civils. À ce titre, la mission aura certes été remplie, mais nombreux sont les soldats français qui reviendront avec l’amer sentiment d’avoir perdu leurs camarades sans les avoir vengés.

Chacun sait alors que nous vivons un moment unique de notre vie, dont l’intensité et la profondeur nous bouleversent. L’aumônier, le père Lallemand, a le don de savoir parler aux soldats. Que l’on soit croyant pratiquant ou athée, agnostique ou païen, il sait trouver les mots qui apaisent et réconfortent. Paradoxalement, Drakkar ne va pas briser les paras, mais les souder. Les semaines à venir vont être infernales. Et cependant, tous font face avec une abnégation sublime. Le plus humble des parachutistes joue consciencieusement son rôle dans un chaudron où se multiplient les attentats. Bien des nôtres vont encore tomber, assassinés lâchement la plupart du temps. Mais tous accomplissent leur devoir avec fierté et discrétion. Nous recevons des mots et des cadeaux de métropole, comme ces Landais qui nous envoient du foie gras à foison pour Noël, ou encore ces enfants qui nous dédient des dessins touchants. Les paras sont soudés, et même la mort ne peut les séparer.

Dans la nuit du 25 décembre, les postes de Beyrouth-Ouest devenus indéfendables dans la configuration géopolitique de l’époque sont évacués. Fin janvier-début février, les paras  exténués sont rapatriés sur la France. Le contingent de « Marsouins » qui les remplace ne restera pas longtemps. Américains et Italiens quittent le Liban fin février. En mars, le contingent français rembarque, ne laissant sur place que des observateurs.

Les enseignements à tirer

Jeune ORSA à l’époque, ayant la volonté de préparer l’EMIA, je décide cependant de quitter l’armée. Cinq années de boxe intensive et à bon niveau m’ont appris qu’un coup encaissé doit toujours être rendu, au centuple si possible. Déphasage. Je ne me sens pas l’âme d’un « soldat de la paix ». Mais les paras vont rester ma vraie famille. Depuis, j’ai fait le tour du monde, connu d’autres aventures. J’ai passé des diplômes, « fait la Sorbonne », créé une entreprise. Mais rien n’a été oublié. Mes chefs d’alors sont devenus des amis. Nous avons eu des patrons magnifiques, Cann, Urwald, Roudeillac, des commandants de compagnie qui étaient des meneurs d’hommes, de vrais pirates pour lesquels on aurait volontiers donné sa vie, des sous-officiers et des soldats avec des gueules sublimes. Tout cela, mon ami le journaliste Frédéric Pons l’a mis en relief avec brio dans son livre « Les Paras sacrifiés » publié en 1993 et réimprimé en 2007 sous le titre « Mourir pour le Liban ». Il faut dire qu’à la différence de bien d’autres, Pons sait de quoi il parle. Ancien ORSA du 8e RPIMa, il a vécu l’une des premières missions de la FINUL au sud-Liban au tout début des années 80.

En novembre 2007,  j’ai été invité à prononcer une courte allocution à Coëtquidan, devant les élèves de l’EMIA qui avaient choisi pour parrain de leur promotion le Lieutenant de La Batie. J’avais connu Antoine quand il était à Henri IV, je l’avais ensuite revu lors de l’entraînement commun à l’aéroport le 21 octobre 1983… puis mort quelques jours après. Ayant quitté l’armée française comme lieutenant, j’ai donc souhaité parler à ces élèves officiers comme un vieux lieutenant à de jeunes lieutenants. Il faut savoir tirer le meilleur de toute expérience, surtout quand elle s’est révélée tragique. Bref, savoir transformer le plomb en or. Il fallait leur dire ce qu’une OPEX comme celle-là nous avait appris concrètement, nous fournissant des enseignements qui nous servent au quotidien dans la guerre économique.

Avec le recul, ce qui demeure certain, c’est que, sans en avoir eu alors une pleine conscience, Beyrouth anticipait le destin de l’Occident. Le terrorisme est devenu une menace permanente, y compris au cœur de notre vieille Europe. Mais en ce temps-là, nous autres, modestes chefs de section, n’étions pas à même d’analyser les basculements géopolitiques en gestation. Plus modestement, Beyrouth nous a révélé la valeur des hommes. Beyrouth nous a enseigné bien des sagesses. Pour ceux qui surent le vivre avec intelligence, Beyrouth fut une épreuve initiatique au sens premier du terme, qui nous a décillé les yeux sur nous-mêmes et sur le monde. Ce que les uns et les autres avons appris dans ce volcan, aucune école de management, aucun diplôme d’université, ne nous l’aurait apporté, ni même l’argent ou les honneurs. Nous avons appris le dépassement de soi pour les autres, la valeur de la camaraderie, la puissance des relations d’homme à homme fondées sur la fidélité, la capacité à transcender sa peur, la reconnaissance mutuelle, l’estime des paras pour leur chef et l’amour fraternel du chef pour ses paras… Des mots qui semblent désuets dans  l’univers qui est le nôtre, mais qui reflètent cependant un ordre supérieur de connaissance des choses de la vie. Cette richesse intérieure acquise, nous en ferons l’hommage discret à tous nos camarades tombés en OPEX le 23 octobre, lorsque, à 6 h 30 du matin, nous penserons à ceux du Drakkar. Comme nos grands anciens, montera alors de nos lèvres vers le ciel la vieille chanson : « j’avais un camarade… »

Bruno Racouchot, ancien lieutenant au 6e RPIMa

L’auteur : DEA de Relations internationales et Défense de Paris-Sorbonne, maîtrise de droit et de sciences politiques, Bruno RACOUCHOT, est aujourd’hui le directeur de la société Comes Communication, créée en 1999, spécialisée dans la mise en œuvre de stratégies et communication d’influence.


Le 27 septembre 2024, Tsahal élimine le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait été impliqué dans les attentats terroristes de Beyrouth de 1983, ainsi que son cousin et potentiel successeur en la personne de Hachem Safieddine.


IN MEMORIAM Drakkar

Capitaine THOMAS Jacky
Capitaine OSPITAL Guy
Lieutenant DEJEAN DE LA BÂTIE Antoine
Sous-lieutenant RIGAUD Alain
Adjudant BAGNIS Antoine
Adjudant MORETTO Michel
Sergent DALLEAU Christian
Sergent DAUBE Vincent
Sergent LEBRIS Jean-Pierre
Sergent LONGLE Yves
Sergent OLLIVIER Gilles
Caporal-chef BENSAIDANE Djamel
Caporal-chef BERIOT Laurent
Caporal-chef CARRARA Vincent
Caporal-chef DUTHILLEUL Louis
Caporal-chef GRELIER Xavier
Caporal-chef LOITRON Olivier
Caporal-chef MARGOT Franck
Caporal-chef SERIAT Patrice
Caporal-chef VIEILLE Hervé
Caporal GIRARDEAU Patrice
Caporal HAU Jacques
Caporal JACQUET Laurent
Caporal LAMOTHE Patrick
Caporal LEPRETRE Dominique
Caporal LEROUX Olivier
Caporal MUZEAU Franck
Caporal THOTEL Laurent
Parachutiste de 1ère classe GASSEAU Guy
Parachutiste de 1ère classe GAUTRET Rémy
Parachutiste de 1ère classe JULIO François
Parachutiste de 1ère classe PRADIER Gilles
Parachutiste de 1ère classe TARI Patrick
Parachutiste de 1ère classe THÉOPHILE Sylvestre
Parachutiste BACHELERIE Yannick
Parachutiste BARDINE Richard
Parachutiste CALAND Franck
Parachutiste CHAISE Jean-François
Parachutiste CORVELLEC Jean
Parachutiste DELAITRE Jean Yves
Parachutiste DEPARIS Thierry
Parachutiste DI-MASSO Thierry
Parachutiste DURAND Hervé
Parachutiste GUILLEMET Romuald
Parachutiste KORDEC Jacques
Parachutiste LASTELLA Victor
Parachutiste LEDRU Christian
Parachutiste LEVAAST Patrick
Parachutiste LEVERGER Hervé
Parachutiste MEYER Jean-Pierre
Parachutiste PORTE Pascal
Parachutiste POTENCIER Philippe
Parachutiste RAOUX François
Parachutiste RENAUD Raymond
Parachutiste RENOU Thierry
Parachutiste RIGHI Bernard
Parachutiste SCHMITT Denis
Parachutiste SENDRA Jean

Lire aussi : Déroute à Beyrouth, de Michel GOYA

Crédit : DR.
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La guerre nucléaire est-elle possible ? À propos du livre d’Annie Jacobsen « Guerre nucléaire. Un scénario

La guerre nucléaire est-elle possible ? À propos du livre d’Annie Jacobsen « Guerre nucléaire. Un scénario« 

Fondation de recherche stratégique – Octobre 2024

https://www.frstrategie.org/publications/notes/guerre-nucleaire-est-elle-possible-propos-livre-annie-jacobsen-guerre-nucleaire-un-scenario-2024


Peut-on imaginer la manière dont se déroulerait précisément une guerre nucléaire ? Voilà un sujet dont les plus âgés des lecteurs sont déjà familiers, grâce notamment aux films Le Jour d’après (1983), WarGames (1983) et Threads (1984). Toutefois, depuis la fin de la Guerre froide, la probabilité d’un conflit nucléaire à l’échelle mondiale était jugée tellement faible qu’elle ne faisait plus l’objet de débats et encore moins de scénarisations de ce type.

Depuis le début de la décennie actuelle, et surtout depuis le 24 février 2022, les armes nucléaires sont revenues à l’ordre du jour, parce que la guerre en Ukraine est un conflit « en ambiance nucléaire ». Autrement dit, si la Russie a pu se permettre d’engager une telle opération sans crainte de subir les foudres occidentales, c’est bien parce qu’elle possède l’arme nucléaire. Et, à l’inverse, c’est parce que les pays de l’OTAN – États-Unis, France, Royaume-Uni en tête – sont protégés par elle qu’ils s’autorisent à aider massivement l’Ukraine. Ensuite, bien sûr, parce que l’on craint un éventuel recours à cette arme par Vladimir Poutine.

Ce n’est donc pas un hasard si le livre de la journaliste américaine Annie Jacobsen Guerre nucléaire. Un scénario sort aujourd’hui

. Au centre de cet ouvrage, la notion de guerre nucléaire, conséquence directe de l’échec de la dissuasion, ce mécanisme psychologique censé justement l’empêcher.

L’arme nucléaire a-t-elle prévenu la guerre ?

La dissuasion nucléaire a-t-elle prévenu jusqu’ici une guerre mondiale ? Valider cette hypothèse est difficile. La dissuasion – nucléaire ou non-nucléaire – ne se « décrète » pas : seule la partie dissuadée peut dire… qu’elle l’est. Elle ne se « démontre » pas non plus : il est impossible d’attribuer avec certitude la causalité de l’absence d’un fait. Mais l’on peut trouver des indices de validité du raisonnement dissuasif. Les arguments les plus convaincants relèvent de la « preuve par l’absence »

Premièrement, il s’agit de l’absence de toute guerre ouverte entre les grandes puissances du moment depuis 1945 et, plus largement, celle de tout conflit majeur entre pays disposant de l’arme nucléaire. Car, dans l’ensemble, l’on peut dire que « les États nucléaires ne se font pas la guerre ». Le seul cas où les forces américaines et soviétiques se sont affrontées directement est la guerre de Corée de 1950-1953, mais les pilotes soviétiques volaient alors sous les couleurs de la Corée du Nord ou de la Chine. La crise sino-soviétique de l’Oussouri (1969) ne fut pas, quant à elle, une vraie guerre. On peut également montrer qu’entre deux adversaires qui se dotent de l’arme nucléaire, le risque d’une guerre à grande échelle diminue. Alors que l’Inde et le Pakistan se sont battus en 1948, en 1965 et en 1971, aucune guerre n’a plus eu lieu entre eux depuis 1999. La Chine et l’Inde ont connu un affrontement important en 1962, mais se sont limitées à des escarmouches depuis lors.

Un autre argument en faveur de l’efficacité de la dissuasion est une certaine retenue adoptée par les États non nucléaires face à un pays disposant de cette arme. Le fait est qu’aucun pays nucléaire n’a jamais été envahi, ni son territoire l’objet d’une attaque militaire majeure. La guerre du Kippour de 1973 et celle des Malouines de 1982 sont souvent proposées comme contre-exemples, mais la démonstration reste peu convaincante. En effet, en 1973, l’Égypte limita délibérément ses opérations au Sinaï occupé. Les îles Malouines, envahies par l’Argentine en 1982, étaient un territoire autonome dont rien n’indique qu’il était concerné par la dissuasion.

L’acquisition d’armes nucléaires réduit le risque d’attaque : elle inhibe la prise de risque des pays non nucléaires. Les quelques exceptions qui ont pu se produire ne sont pas de nature à invalider la règle. En 1991, Israël avait été visé par une quarantaine de tirs de missiles irakiens et, plus près de nous (2024), par quelque 300 missiles et drones iraniens. Mais le « seuil nucléaire » – le moment où un État ouvrirait le feu nucléaire – israélien est particulièrement élevé, et les États attaquants le savaient probablement (et dans le cas iranien, tout avait été fait pour qu’Israël puisse intercepter la majorité d’entre eux). Par ailleurs, aucun État non nucléaire couvert par une garantie (« parapluie ») nucléaire n’a jamais été la cible d’une attaque militaire majeure.

Certains experts et anciens responsables haut placés sont persuadés que seule la « chance » peut expliquer l’absence d’explosion nucléaire depuis 1945. L’un des arguments dans le débat nucléaire consiste ainsi à avancer que le monde est passé à plusieurs reprises à deux doigts de la catastrophe. Cette lecture pessimiste est contestable. Elle ne tient pas compte des résistances qui semblent s’être manifestées dans les circonstances précitées, en temps de crise ou en cas de fausse alerte, dans l’esprit des responsables politiques ou militaires concernés. Elle omet l’hypothèse la plus simple : les chefs d’État et de gouvernement ont toujours reculé, même si ce fut parfois presque au dernier moment, devant la terrible décision d’avoir recours à cette arme. Dire « à deux doigts » de la catastrophe néglige une dimension cruciale : dans l’escalade, la marche nucléaire serait la plus haute. On peut débattre de ce que l’on appelle la « chance », mais le fait reste que l’absence de détonation a été causée par des décisions humaines : celle de ne pas employer l’arme ; celle de ne pas considérer une fausse alerte comme une attaque ; celle d’installer des dispositifs de contrôle et de sécurité redondants.

Le fait est que la « tradition de non-emploi » s’est imposée très tôt. Dans la plupart des cas, si les armes nucléaires n’ont pas été utilisées, c’est tout simplement parce que les protagonistes se sont gardés de mettre en cause les intérêts les plus essentiels de leurs adversaires. Soit parce qu’ils ne l’ont jamais envisagé, soit parce qu’ils n’en avaient pas la capacité, soit parce que la dissuasion a fonctionné. Dans certains cas, en particulier, il s’agissait très probablement d’un bluff.

La dissuasion nucléaire a donc sans doute été une clé, et peut-être « la » clé, de la paix entre les grandes puissances depuis 1945. Ce mécanisme semble également expliquer l’absence d’attaques militaires de grande ampleur contre les pays protégés. Sans armes nucléaires, Washington aurait hésité à garantir la sécurité en Europe, et serait peut-être revenu à l’isolationnisme, et sans la protection des États-Unis, la tentation pour Moscou de s’emparer de territoires en Europe occidentale aurait été plus forte.

Un « nouvel âge nucléaire », vraiment ?

Mais si tel est bien le cas, peut-on affirmer que la dissuasion continuera bien à jouer ce rôle à l’avenir ?

L’ordre nucléaire repose sur un cadre de limitation du nombre d’États détenteurs et de limitation des armements. Or celui-ci s’érode. Bien des pays parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), faisant valoir leur frustration quant au non-respect, selon eux, des engagements de désarmement pris par les puissances nucléaires, ont souscrit au « Traité sur l’interdiction des armes nucléaires » entré en vigueur en 2021. Quant à l’instrument destiné à prévenir une nucléarisation de l’Iran, le Joint Comprehensive Plan of Action (2015), il est désormais caduc. Les instruments de limitation des armements disparaissent les uns après les autres : Moscou a suspendu son application du traité New START et révoqué sa ratification du Traité sur l’interdiction complète des essais ; quant aux États-Unis, ils se sont retirés du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), tirant argument des violations de ce Traité par la Russie. Pourtant, la retenue semble encore l’emporter. Aucun État ne s’est retiré du TNP, à l’exception de la Corée du Nord en 2003, dans des conditions juridiques discutables. La même Corée du Nord est la seule à procéder à des essais depuis 1996. Enfin, il n’est guère approprié de parler de « nouvelle course aux armements ». Tous les États continuent de moderniser leurs arsenaux, et, en Asie, les acteurs nucléaires ne sont pas encore parvenus à ce qu’ils estiment être un niveau de « suffisance ». Mais on est très loin de retrouver les dynamiques de la Guerre froide en termes de rythme de production d’armes. Rappelons qu’au pic de celle-ci, Washington et Moscou disposaient ensemble de plus de 70 000 armes nucléaires.

La dissuasion nucléaire pourrait-elle devenir obsolète car concurrencée par des moyens militaires alternatifs, offensifs (moyens hypersoniques précis…) ou défensifs (défenses antimissiles) ? En dépit de la rapidité des développements technologiques contemporains, rien ne prouve qu’un autre instrument militaire puisse se substituer à l’arme nucléaire, qui reste singulière non seulement par ses effets, mais aussi par « l’aura de terreur » qui l’entoure, du fait notamment des ravages de la radioactivité. Parce qu’elle met en jeu les composants les plus élémentaires de la matière, aucune autre technologie, à l’horizon prévisible, n’offre la même combinaison de destruction instantanée à grande échelle, aussi redoutable et prévisible. L’efficacité de la dissuasion repose justement sur ce pronostic très précis des horreurs qu’apporterait un échange nucléaire.

D’autres évolutions modifient le cadre de la dissuasion, mais pas au point de rendre ses conditions d’exercice fondamentalement différentes. Les puissances nucléaires développent des moyens hypersoniques, qui réduiront le temps de vol et la prévisibilité des missiles nucléaires. Encore convient-il de rappeler que les têtes de missiles balistiques vont déjà à une vitesse hypersonique… Certains analystes avertissent que la précision et la rapidité des missiles futurs pourraient rendre les frappes désarmantes plus facilement réalisables que par le passé. Toutefois, ce scénario reste hypothétique. La Chine et la Russie pourraient être tentées, en dépit de l’interdiction qui existe à ce sujet, de placer des armes nucléaires dans l’espace pour garantir la survie de leur arsenal et pour pouvoir « surprendre l’adversaire », mais cet effort serait sans doute surdimensionné car coûteux pour un résultat incertain. Les nouvelles technologies – capteurs, intelligence artificielle – pourraient-elles permettre de détecter les sous-marins, dont la discrétion garantit actuellement l’existence de « capacités de frappe en second », un fondement de la stabilité stratégique ? C’est peu probable. Quant à la crainte de voir les moyens de commandement nucléaire neutralisés par des attaques cybernétiques, elle est sujette à caution : leurs réseaux, outre qu’ils sont particulièrement bien protégés, sont généralement inaccessibles de l’extérieur.

Un autre risque est celui de la « banalisation » de l’arme nucléaire. En 2005, dans son discours d’acceptation du prix Nobel d’économie, Thomas Schelling s’étonnait de ce que les armes nucléaires n’aient pas été utilisées depuis 1945. Son pessimisme, hérité de la Guerre froide, nous paraît inapproprié. La tradition de « non-utilisation » semble solide. Elle s’est même universalisée. Aujourd’hui, la dissuasion est la fonction militaire unique des armes nucléaires : plus aucun État ne considère ces armes comme des moyens de « bataille » ou d’« emploi ». Tous les pays réputés disposer de l’arme nucléaire affirment avoir une stratégie de dissuasion. En dépit de leurs rodomontades, ni Vladimir Poutine, ni Kim Jong-un, ni Donald Trump n’ont jamais semblé être sur le point d’appuyer sur le bouton.

La guerre en Ukraine n’a pas invalidé les postulats de la dissuasion. Il est probable que la possession d’une capacité nucléaire ait rendu la Russie plus confiante dans l’engagement délibéré d’une opération militaire majeure aux frontières des pays de l’OTAN. De même peut-on dire qu’elle a contribué à la retenue des pays alliés dans leur assistance à l’armée ukrainienne. L’image des affrontements indirects de la Guerre froide, de la Corée à l’Afghanistan, n’est pas hors de propos. On voit, certes, avec l’invasion russe une illustration spectaculaire de ce que l’on avait appelé, au début des années 1990, la « sanctuarisation agressive » : un État s’abrite derrière son parapluie nucléaire pour agresser un pays non protégé par cette arme. On avait vu ce concept à l’œuvre en Asie avec les actions de la Chine (1969), du Pakistan (1999) et de la Corée du Nord (2010), mais aussi en Europe avec celles de… la Russie depuis 2008. Toutefois, contrairement à ce qu’une lecture hâtive des déclarations russes a parfois pu faire croire, Moscou ne s’est pas montrée particulièrement menaçante au cours de la guerre en Ukraine, les déclarations des rares responsables russes autorisés à s’exprimer étant presque toujours parfaitement en phase avec la doctrine russe déclarée, qui fait état d’un seuil nucléaire assez élevé. La configuration et la posture des forces sont restées cohérentes avec cette doctrine, de même que les exercices conduits depuis plus de deux ans. La décision spectaculaire, le 27 février 2022, de placer toutes les forces stratégiques russes dans un « régime spécial de combat » n’avait pas débouché sur une élévation du niveau d’alerte des forces nucléaires : il s’agissait essentiellement, semble-t-il, d’une mesure de précaution.

Bien entendu, un excès d’optimisme dans le domaine nucléaire serait tout aussi inconsidéré que le catastrophisme dont font preuve de nombreux commentateurs. Les conditions d’exercice de la dissuasion nucléaire évoluent. Le nombre d’acteurs dotés de l’arme nucléaire est plus élevé (neuf) qu’à la fin de la Guerre froide (six). Cette multipolarité nucléaire grandissante pourrait rendre la dissuasion plus problématique. Si la dissuasion à deux est souvent considérée comme une partie d’échecs, la dissuasion à plusieurs pourrait être une partie de poker dans le meilleur des cas, une partie de roulette russe dans le pire. Cela est d’autant plus vrai que les arsenaux nucléaires en Asie se renforcent rapidement, sans pour autant être mûrs au point de pouvoir garantir une certaine stabilité stratégique. Et, surtout, que plusieurs des acteurs nucléaires – la Russie, la Chine, le Pakistan, la Corée du Nord – semblent particulièrement enclins à la prise de risque stratégique : or quand bien même ils resteraient prudents dans le domaine nucléaire, leurs initiatives pourraient déboucher sur des crises difficilement contrôlables. Aussi serait-il irresponsable, par exemple, de négliger l’éventualité d’un emploi délibéré par le Kremlin, notamment si le régime vacillait. Même s’il n’est pas totalement certain qu’il suffirait au président russe de donner l’ordre d’ouverture du feu nucléaire – il est le seul habilité à le faire, comme ses homologues français ou américain – pour que cet ordre soit effectivement mis en œuvre jusqu’au bout de la chaîne de commandement : des officiers subalternes chargés de son exécution pourraient peut-être refuser d’agir. L’émergence de la Chine comme puissance nucléaire majeure pose des questions nouvelles et, pour les Occidentaux, l’équilibre stratégique pourrait bientôt ressembler à un « problème à trois corps ». Enfin, la montée en puissance des défenses antimissiles pourrait rendre plus complexe le calcul offense/défense.

Mais tout cela ne crée pas nécessairement les conditions d’un « nouvel âge nucléaire ». Au fond, les éléments et les codes de la dissuasion nucléaire restent inchangés. Seul un effondrement du TNP à la suite d’un retrait de l’Iran est susceptible d’altérer fondamentalement le cadre de la dissuasion à court et moyen termes. Quant à un « troisième emploi » de cette arme, après Hiroshima et Nagasaki, il ferait connaître au monde un véritable saut dans l’inconnu.

Un roman plutôt qu’un essai

C’est, justement, l’objet de Guerre nucléaire. Un scénario. Salué par la critique aux États-Unis, l’ouvrage d’Annie Jacobsen est unique en son genre. Il relève à la fois de la fiction et du documentaire, avec de nombreuses références techniques et historiques présentées sous la forme d’encadrés ou d’inserts. La prose est sèche et nerveuse, les personnages peu détaillés : l’aspect fictionnel du livre n’est là qu’en support de la description, en 400 pages, des 72 minutes qui séparent, dans son scénario, la paix de la destruction totale.

Tout commence par un tir de deux missiles nord-coréens sur les États-Unis. L’attaque est ce que l’on appelle dans le domaine militaire un « coup de tonnerre dans un ciel bleu », sans qu’aucune crise ou événement l’ait laissé prévoir. Kim Jong-un, ou son successeur, serait-il susceptible de commettre un tel acte ? Cela supposerait qu’il soit suicidaire. Rien dans le comportement des dirigeants nord-coréens, depuis la fondation de la République démocratique et populaire de Corée, ne laisse entendre que ce soit le cas. On dit souvent que la dissuasion ne peut pas fonctionner face à un « fou ». C’est sans doute vrai, mais les dirigeants concernés ne sont jamais « fous » : ils ont leur propre rationalité. Tout l’enjeu consiste à la comprendre.

Il n’empêche : on peut se demander quelle logique voudrait que la Corée du nord ne tire que deux missiles alors qu’elle sait très bien qu’il y aurait une probabilité non négligeable qu’au moins l’un des deux soit intercepté et que la riposte américaine serait terrible.

Ces questionnements n’invalident pas les hypothèses de l’auteure, à condition de ne pas voir Guerre nucléaire comme une projection réaliste. Dans le scénario que propose Annie Jacobsen, le monde est confronté à une série de décisions fatales prises par les dirigeants de puissances nucléaires – le but de la journaliste américaine étant de montrer un véritable « scénario catastrophe », menant à la pire des issues possibles.

L’enchaînement des faits est le suivant. Les défenses antimissiles balistiques américaines, pourtant conçues justement pour intercepter une poignée de missiles nord-coréens, ne font preuve d’aucune efficacité. Et voyant arriver les missiles en direction du territoire continental américain, le président des Etats-Unis prend deux décisions surprenantes.

La première est de riposter immédiatement, sans attendre la certitude que ce sont bien des missiles nucléaires, que c’est bien l’Amérique qui va être frappée, et que les armes exploseront comme prévu. C’est ce que l’on appelle le « lancement sur alerte » (launch on warning). Or si cette option est techniquement ouverte au président américain – au nom de la maximisation de sa liberté d’action –, la culture stratégique américaine contemporaine suggère au contraire très fortement qu’un président américain attendrait d’être certain que les explosions ont eu lieu pour réagir.

La deuxième décision surprenante est que parmi les trois types de moyens de riposte dont le président dispose – missiles sol-sol, aviation, missiles mer-sol –, il privilégie les premiers dans le but de réduire au maximum la capacité de la Corée du Nord à lancer de nouveaux missiles. Or la trajectoire balistique de ces missiles lancés depuis le nord et l’ouest du territoire américain ne peut pas être contrôlée : pour atteindre la Corée du nord, ils doivent, géographie oblige, survoler le territoire… russe. Et le président américain qu’imagine Annie Jacobsen n’y va pas de main morte : il lance pas moins de cinquante de ces missiles, auxquels s’ajoutent huit missiles multi-têtes depuis les sous-marins américains dans le Pacifique.

C’est la clé du scénario infernal proposé par Annie Jacobsen. Bien évidemment, l’administration américaine, président en tête, veut immédiatement prévenir Moscou, afin de couper court à tout malentendu. Or Moscou… ne répond pas. Et, pire, va réagir exactement comme Washington l’a fait, mettant le feu à la planète. Car ses moyens d’alerte avancée détectent, à tort, plusieurs centaines de missiles dirigés vers la Russie. Enfin, dans ce scénario, la Chine n’intervient pas (les autres puissances nucléaires non plus). Or il n’est pas absurde de supposer que, dans la réalité, elle ne resterait pas inerte face à la perspective d’une guerre nucléaire à sa porte.

Enfin, le récit suppose que la « chaîne de commandement » fonctionne parfaitement. Si la décision d’emploi incombe généralement au décideur suprême, démocrate ou dictateur, elle doit être mise en œuvre par des hommes et des femmes. Or on a pu voir un débat à ce sujet sous l’administration Trump, les plus hauts responsables militaires américains affirmant qu’ils s’opposeraient à tout ordre présidentiel « illégal ». Alors que dans le livre d’Annie Jacobsen, ces mêmes responsables sont volontiers présentés comme des va-t-en-guerre…

Au vu de la radicalité des événements décrits et de leur enchaînement discutable, Guerre nucléaire. Un scénario est bien davantage un roman, une projection extrême, qu’un essai visant à coller à la réalité de l’instant présent. Mais en privilégiant la consultation d’experts favorables au désarmement, et parfois décrédibilisés, l’auteur s’expose au reproche de militantisme

. Le livre d’Annie Jacobsen pose ainsi problème tant sur le plan technique que politique, et le récit sur lequel il est basé confine à l’absurde. 

Toutefois, sa valeur réside davantage dans ses descriptions techniques que dans le scénario lui-même. Le lecteur est ainsi invité à se plonger dans un exposé ultra-détaillé aussi terrifiant que techniquement plausible de ces 72 minutes. Personne d’autre n’avait, jusqu’à présent, couché sur le papier dans un ouvrage destiné au grand public le déroulement précis de la catastrophe absolue que représenterait une guerre nucléaire totale. À quelques mois du quatre-vingtième anniversaire d’Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945), Annie Jacobsen nous rappelle l’horreur que serait un emploi massif des armes nucléaires par les grandes puissances. Paradoxalement, c’est ce tableau qui peut conforter la logique de dissuasion nucléaire : c’est parce que ces armes font peur aux dirigeants qu’elles les contraignent à une certaine retenue dans la guerre.

Les mers : lieux de tous les conflits, durant les guerres comme en temps de paix

Les mers : lieux de tous les conflits, durant les guerres comme en temps de paix

Par La rédaction d’Armées.comPublié le 21 octobre 2024

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Les mers : lieux de tous les conflits, durant les guerres comme en temps de paix – © Armees.com

La maîtrise des océans est depuis toujours un enjeu majeur pour les puissances mondiales. Mais aujourd’hui, dans un contexte de tensions géopolitiques au plus haut en Europe et au Moyen-Orient, le contrôle des routes maritimes revêt une importance stratégique capitale pour la sécurité internationale, le commerce mondial et la projection de puissance militaire.

L’US Navy demeure la force navale prédominante sur la scène internationale. Avec environ 300 navires de combat, dont onze porte-avions nucléaires de classe Nimitz et Gerald R. Ford, et une aviation navale forte de près de 4 000 aéronefs militaires opérationnels, elle assure une présence constante sur l’ensemble des océans. Une capacité de projection de puissance qui permet aux États-Unis de protéger leurs intérêts stratégiques et de garantir la liberté de navigation, essentielle au commerce international. Toutefois, la montée en puissance de la marine chinoise, qui modernise rapidement sa flotte et étend sa zone d’influence, remet en question l’équilibre des forces navales mondiales.

L’impact économique des conflits sur le transport maritime

Si la marine et la sécurité des mers sont si stratégiques, c’est que le transport maritime est le pilier de l’économie mondiale. Il représente environ 80 % du commerce international en valeur et 90 % en volume. Les navires transportent des marchandises variées, des conteneurs aux vracs liquides comme les hydrocarbures (39 % du total) et les vracs solides tels que les minerais, le charbon et les céréales (21 % du trafic total). Sans compter, évidemment, le transport de produits finis dont une grande partie de ce qui est acheté sur Internet.

De fait, les détroits stratégiques, comme Bab el-Mandeb et Ormuz, sont des points de passage essentiels pour le commerce mondial et la distribution des ressources énergétiques. Le détroit de Bab el-Mandeb, situé entre le Yémen et Djibouti, voit transiter entre 12 % et 15 % du trafic maritime mondial. Les rebelles Houthis du Yémen, soutenus par l’Iran, ont menacé d’attaquer les navires à destination d’Israël empruntant ce détroit, en représailles aux actions israéliennes dans la bande de Gaza. Ces menaces ont déjà conduit à des attaques contre des navires commerciaux, provoquant une réorientation des routes maritimes.

Face à ces risques, les compagnies maritimes ont choisi de contourner l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, allongeant les trajets de plusieurs milliers de kilomètres, ce qui engendre une augmentation significative des coûts opérationnels et des délais de livraison. Les primes d’assurance maritime ont également flambé. Les armateurs doivent en effet souscrire plusieurs types d’assurances pour leurs navires :

L’assurance corps de navire : couvre les dommages matériels subis par le navire.

L’assurance de la cargaison : protège les marchandises transportées contre les pertes ou les dommages.

L’assurance protection et indemnisation (P&I) : couvre la responsabilité civile pour les dommages causés à des tiers, y compris les dommages environnementaux.

Dans les zones à haut risque, les primes pour ces assurances ont été multipliées par cinq à dix. Selon des sources spécialisées, les taux d’assurance pour les navires traversant la mer Rouge ont atteint des niveaux sans précédent. Par exemple, une prime de guerre, qui s’ajoute aux assurances traditionnelles dans les zones de conflit, peut représenter jusqu’à 0,4 % de la valeur du navire par voyage, contre 0,02 % en temps normal. Pour un navire valant 100 millions de dollars, une telle différence signifie une prime passant de 20 000 à 400 000 dollars par voyage.

Défis pour les forces navales face aux menaces asymétriques

Le détroit d’Ormuz est une autre zone stratégique sensible. Situé entre l’Iran et Oman, il est le passage obligé pour environ 20 % de la demande mondiale de pétrole et un tiers du gaz naturel liquéfié. Une escalade du conflit impliquant l’Iran pourrait conduire à la fermeture de ce détroit, ce qui aurait des conséquences désastreuses sur les marchés énergétiques mondiaux. Les oléoducs terrestres existants ne peuvent pas compenser le flux interrompu, et l’absence de voies alternatives suffisantes accentue la vulnérabilité de cette route maritime.

La capacité des forces navales occidentales à sécuriser ces détroits est mise à l’épreuve. Malgré sa puissance, l’US Navy a rencontré des difficultés pour contrer les menaces asymétriques posées par les Houthis. Ces derniers utilisent des tactiques non conventionnelles, comme des embarcations rapides chargées d’explosifs, des missiles anti-navires et des drones maritimes, rendant la défense complexe. L’Iran, de son côté, possède des capacités militaires loin d’être négligeables, avec une stratégie de déni d’accès/déni de zone (A2/AD) dans le Golfe Persique. Son arsenal comprend des missiles balistiques, des mines navales, des sous-marins de poche et des navires rapides équipés de missiles, ce qui constitue une menace crédible pour la navigation commerciale et militaire.

La question du transport du pétrole russe pour contourner les sanctions

En Europe de l’Est, le conflit entre l’Ukraine et la Russie a également des répercussions sur la sécurité maritime. L’Union européenne, le G7 et l’Australie ont imposé un embargo sur le pétrole russe transporté par voie maritime, assorti d’un plafonnement du prix à 60 dollars le baril. Pour contourner ces sanctions, la Russie a constitué une « flotte fantôme » composée de plus de 200 navires opérant sous des pavillons de complaisance ou sans identification claire. Ces navires transportent environ 1,7 million de barils de pétrole par jour vers des pays n’appliquant pas les sanctions, tels que la Chine et l’Inde.

Cette flotte clandestine représente un risque majeur pour la sécurité maritime et l’environnement. En effet, ces navires sont souvent âgés et moins bien entretenus que d’autres. C’est notamment le cas quand ils ne sont pas couverts par de grands assureurs. En cas d’accident, il n’y aurait alors aucune garantie que les dommages environnementaux, comme les marées noires, soient indemnisés. De plus, l’absence de suivi et de transparence rend difficile la prévention des incidents et, en cas de besoin, la coordination des secours.

Une situation qui pourrait bien se dégrader : l’Union européenne, dans un futur paquet de sanctions, pourrait renforcer les sanctions qui touchent les assurances de la flotte clandestine, notamment en s’attaquant aux grands assureurs russes. De quoi, potentiellement, réduire encore un peu le niveau déjà bas d’assurance pour ces navires, ce qui aurait pour conséquence d’augmenter les risques d’accidents

Vers une stratégie de défense maritime coordonnée

Les compagnies d’assurance occidentales sont confrontées à des défis importants. Certaines, malgré les sanctions, continuent d’assurer des navires transportant du pétrole russe au-delà du prix plafonné, enfreignant les réglementations en vigueur. Cette situation crée une distorsion du marché et affaiblit l’efficacité des sanctions économiques. Les assureurs qui respectent les sanctions voient leurs parts de marché diminuer face à une concurrence moins scrupuleuse, ce qui peut les inciter à revoir leurs positions.

Les forces navales doivent adapter leurs stratégies et leurs capacités opérationnelles. La lutte contre les menaces asymétriques nécessite le développement de nouveaux moyens, tels que des systèmes de surveillance avancés, des drones de surface et sous-marins, ainsi que des équipements de guerre électronique. La coopération internationale est également essentielle. Des opérations conjointes, comme l’opération « Sentinelle » dans le Golfe Persique, permettent de mutualiser les ressources et d’améliorer la coordination entre les différentes marines impliquées.

L’Union européenne et la France, en particulier, ont un rôle à jouer. Elles doivent renforcer leur présence navale dans les zones stratégiques, investir dans la modernisation de leurs flottes et développer des partenariats avec les pays riverains pour assurer la sécurité des routes maritimes. Une approche diplomatique proactive est également nécessaire pour désamorcer les tensions et promouvoir des solutions pacifiques aux conflits.

Vers un changement de posture pour la présence militaire française en Irak ? 

Vers un changement de posture pour la présence militaire française en Irak ? 

– Force opérations Blog – publié le

Une décennie après sa création, la coalition internationale formée pour combattre Daech en Irak et en Syrie touche à sa fin. Rien n’est pour l’instant arrêté mais la décision pourrait rebattre quelques cartes pour l’opération Chammal, volet français d’une opération multinationale lancée il y a 10 ans. 

L’État islamique « est vaincu, mais n’est pas éliminé et demeure une menace pour la région et au-delà » déclarait le Pentagone le 27 septembre dans un communiqué annonçant la fin de l’opération Inherent Resolve (OIR). Il appartient désormais à chacun des quelque 30 pays de la coalition de poursuivre son soutien aux forces irakiennes et de maintenir la pression sur Daech en s’appuyant sur les partenariats de sécurité bilatéraux, à l’instar du traité stratégique signé en janvier 2023 par Paris et Bagdad.

Approuvé par l’ensemble des partenaires, ce plan de transition sera conduit en deux phases. Déjà engagé, le retrait des forces coalisées de certaines bases irakiennes s’achèvera le 1er septembre 2025. Les opérations militaires menées en Syrie seront quant à elles clôturées le 1er septembre 2026, délai nécessaire pour prévenir toute résurgence du groupe terroriste. 

Chammal mobilise actuellement 600 militaires français. Environ 300 d’entre eux relèvent de l’armée de Terre et sont actifs sur le territoire irakien. La moitié contribue à l’appréciation sécuritaire régionale par des actions d’appui et de conseil. Une centaine d’autres constituent la Task Force Lamassu, cette unité chargée de former cinq bataillons du désert au sein de l’armée irakienne. Enfin, une trentaine de militaires de l’armée de Terre sont insérés en état-major dans le cadre de la NATO Mission Iraq (NMI), autre mission de conseil et de formation établie en 2018 à la demande du pouvoir irakien. 

Et pour la suite ? « Les discussions sont en cours, rien n’est totalement arrêté », expliquait-on vendredi dernier du côté de l’armée de Terre. Exit néanmoins le confort fourni par le « parapluie OIR » et ses infrastructures, son soutien quotidien et sa protection, notamment anti-aérienne et anti-drones. Une fois OIR clôturée, il faudra revoir la posture et « répartir toutes ces tâches entre les différents détachements qui resteraient », indiquait le commandant des opérations et de la force terrestre, le général de corps d’armée Bernard Toujouse.

Si OIR disparaît progressivement, la présence française se maintiendra au moins jusqu’à l’horizon 2026. En matière de planification, ce qui a été fixé en bilatéral dans le domaine terrestre se poursuivra comme prévu. L’année 2025 verra d’ailleurs les militaires français prendre le commandement de la mission NMI, « investissement complémentaire de la France et de l’armée de Terre en particulier » à la clef. Quant à la TF Lamassu, deux bataillons du désert sont déjà à pied d’œuvre. La formation d’un troisième est en cours depuis mi-juillet. Les deux derniers suivront d’ici au printemps 2025. 

Crédits image : EMA COM