Bipeurs piégés au Liban : comment l’armée française protège son matériel

Bipeurs piégés au Liban : comment l’armée française protège son matériel

L’attaque sans précédent contre les appareils de communication du Hezbollah a révélé la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement. Une alerte que la France doit considérer.

Par Audrey Senecal – Le Point – publié le

https://www.lepoint.fr/economie/bipeurs-pieges-au-liban-comment-l-armee-francaise-protege-son-materiel-06-10-2024-2571991_28.php


 

Improbable mais pas impossible… L’explosion téléguidée de bipeurs et de talkies-walkies au Liban a mis en lumière la vulnérabilité des équipements de communication, qui peuvent être altérés et transformés en armes de destruction. Les 17 et 18 septembre 2024, des centaines d’appareils de radiomessagerie utilisés par le Hezbollah ont explosé au même moment, tuant au moins 37 personnes et blessant près de 3 000 autres.

Selon le New York Times, les services secrets israéliens seraient parvenus à intercepter les bipeurs avant leur arrivée au Liban et à cacher de petites quantités d’explosifs et un détonateur à côté de la batterie.

La chaîne d’approvisionnement de l’armée française n’est bien entendu pas comparable à celle d’une organisation comme le Hezbollah. Pour autant, le risque de sabotage des équipements de nos militaires n’est pas à écarter, comme l’a lui-même affirmé le ministre des Armées Sébastien Lecornu, le 25 juin dernier, face aux sénateurs de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères.

« La menace de sabotage est réelle »

« Toutes les usines fabriquant des équipements de caractère militaire ou [qui sont] intéressants à la défense nationale, au sens large, sont régulièrement contrôlées. Surtout depuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine », explique le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale. Sur la chaîne de montage du canon Caesar, symbole du soutien militaire de Paris à Kiev, le ministère a demandé au fabricant KNDS de dupliquer ses outils, au cas où l’un soit pris pour cible. Entre 2022 et 2024, une cinquantaine d’entreprises françaises de défense ont subi diverses attaques, allant des cyberintrusions aux cambriolages ciblés.

« Dans le contexte international actuel, la menace de sabotage est réelle », reconnaît la direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD). Si les grandes entreprises de notre base industrielle et technologique de défense – Dassault, Thalès ou encore Safran – ont développé en interne des capacités importantes de protection, cela est moins vrai pour les plus petits sous-traitants, qui sont visés par 80 % de ces offensives. Mais un scénario à la libanaise pourrait-il avoir lieu en France ? A priori non.

Premièrement, le processus d’acquisition d’équipements des armées françaises répond à une procédure de contrôle de conformité basée sur des critères extrêmement stricts. Les forces armées n’utilisent pas de talkies-walkies, et encore moins des bipeurs. La gamme de postes radio de quatrième génération, actuellement déployée dans les armées françaises, et la gamme Contact, qui devrait la remplacer, ont été conçues et produites en France par Thalès.

Comme la plupart des autres équipements de l’armée française, ces postes radio sont soumis, lors des phases de conception, production, livraison, stockage, utilisation et démantèlement, à la réglementation sur la protection du secret de la défense nationale. « S’agissant de systèmes de communication, ils font également l’objet d’une traçabilité spécifique », précise le ministère des Armées. Ensuite, les actions de renseignement conduites par la DRSD ont permis jusqu’ici de détecter et d’entraver les projets ennemis.

Soupçons de sabotage dans une base militaire allemande

Néanmoins,le ministère des Armées se tourne de plus en plus vers des fournisseurs étrangers, selon un rapport d’information de la commission de la défense nationale et des forces armées publié en 2020. C’est le cas, en particulier, pour le marché de l’arme individuelle future : le HK 416 de la société allemande Heckler und Koch a été retenu en 2016 face au fabricant stéphanois Verney-Carron pour remplacer le célèbre FAMAS.

Mi-août, une base militaire allemande, située à proximité de l’aéroport de Cologne, a temporairement été fermée, à la suite de soupçons de sabotage sur son approvisionnement en eau. Ces derniers mois, plusieurs pays tels que la Pologne, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la République tchèque ont signalé des incidents.

Tous ces événements, ainsi que les explosions des bipeurs et talkies-walkies du Hezbollah, montrent les risques, notamment sur les chaînes d’approvisionnement. L’Europe est particulièrement concernée en raison de la multiplication des acteurs impliqués.

En mars 2024, la Commission européenne a dévoilé la première stratégie industrielle de défense et un nouveau programme pour l’industrie de la défense. Les États membres sont invités à acquérir au moins 40 % des équipements de défense de manière collaborative d’ici à 2030. Une chaîne d’approvisionnement n’est jamais plus solide que son maillon le plus faible.

Conflit israélo-palestinien : ce qui a fait dérailler le processus de paix

Conflit israélo-palestinien : ce qui a fait dérailler le processus de paix

par Revue Conflits – publié le 7 octobre 2024

https://www.revueconflits.com/conflit-israelo-palestinien-ce-qui-a-fait-derailler-le-processus-de-paix/


Comment en est-on arrivé là ? Alors que l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre et la guerre de Gaza datent tout juste de un an, et que l’absence de résolution de la question palestinienne ne menace d’embraser toute la région, l’auteur retrace l’histoire des négociations entre Israéliens et Palestiniens et les raisons de leur échec.

Marwan Sinaceur est professeur de psychologie sociale à l’ESSEC. Il a un Ph.D. de l’Université Stanford aux États-Unis. Il est spécialiste de la résolution des conflits, des émotions humaines, et de la culture arabe. Il a publié sur ces thèmes dans des revues académiques telles Nature Human Behaviour, Psychological Science, et Journal of Applied Psychology. Ancien Fellow au Stanford Center on Conflict and Negotiation et ancien professeur à l’INSEAD, il a enseigné depuis plus de trente ans en France et dans douze autres pays, notamment le Maroc, le Liban et la Turquie.

L’attaque terroriste effroyable du Hamas, avec près de 1.200 morts et 250 otages (majoritairement des civils, certains toujours en captivité), et les bombardements meurtriers indiscriminés et terribles du gouvernement israélien, avec plus de 42.300 morts, 96.000 blessés, et 2 millions de déplacés (majoritairement des civils, dont 40% d’enfants), ont remis le conflit israélo-palestinien tragiquement sur le devant de la scène.

Certains présentent le conflit comme inéluctable. Mais les horreurs d’aujourd’hui n’étaient pas inéluctables. Les occasions manquées furent nombreuses, et il s’en est fallu de paix que le processus de paix ne réussisse.

Carte histoire Israël Palestine

L’assassinat de Rabin

Les accords d’Oslo, signés en 1993, ont soulevé un immense espoir. Le principe était simple : territoires contre paix. Ils promeuvent la paix contre la restitution des Territoires Occupés par Israël depuis la guerre de 1967, sur la base des résolutions du Conseil de Sécurité. Israël et l’OLP de Yasser Arafat (fédération de mouvements indépendantistes laïcs) se reconnaissent mutuellement. L’OLP reconnaît l’État d’Israël et accepte son droit à la paix et à la sécurité. Ces accords font suite à des négociations secrètes commencées par des rencontres informelles, loin des projecteurs. Ils font aussi suite à une déclaration de Arafat en 1988 par laquelle il reconnaît le droit à l’existence d’Israël. En clair, les accords d’Oslo préconisent une solution à deux États. Ils établissent une autorité intérimaire palestinienne dans les Territoires Occupés et se donnent une période transitoire de cinq ans (soit jusqu’en 1998 !) pour aboutir à un règlement permanent.

Très vite, les choses déraillent. En novembre 1995, Yitzhak Rabin, leader des accords d’Oslo et du camp de la paix en Israël, est assassiné par un terroriste ultraorthodoxe israélien. Benyamin Netanyahou conduit alors l’opposition aux accords d’Oslo et joue un rôle direct dans l’échauffement des esprits qui précède l’assassinat: dans ses manifestations, des personnes portent des panneaux représentant Rabin en uniforme nazi ou chantent « À mort Rabin ! ». Suite à la disparation de Rabin, en mai 1996 des élections se tiennent en Israël : Netanyahou l’emporte de peu (50,5%) face à Shimon Peres qui veut alors poursuivre les accords d’Oslo et le processus de paix. En pleine période pré-électorale, en février-mars 1996, le Hamas commet une série de quatre attentats terroristes en Israël, aveugles et indiscriminés. Bilan: 58 morts israéliens. Par ailleurs, les Arabes israéliens boycottent en majorité les élections, ce qui affaiblit d’autant Peres. Il est clair que ces deux événements jouent un rôle clé dans l’accession au pouvoir de Netanyahou.

Arrivé au pouvoir, Netanyahou arrive à saboter la mise en application des accords d’Oslo en faisant traîner en longueur les négociations avec l’OLP de Arafat, devenue l’Autorité palestinienne, entre 1996 et 1999. Comme le rapporte le Washington Post, Netanhyanou lui-même s’est vanté d’avoir fait échouer les accords d’Oslo au moyen de fausses déclarations et d’ambiguïtés ; il n’hésite pas à redéfinir les termes de l’accord à son avantage (par exemple, sur la notion de « zones militaires »). Il est farouchement opposé à l’établissement d’un État palestinien (Charles Enderlin, Le rêve brisé, pp. 55-59, 2002).

À cette époque, Peres reproche à Netanyahou que sa politique risque d’affaiblir l’OLP et l’Autorité palestinienne. Il l’avertit explicitement, qu’à force, cela fait le jeu du Hamas. La stratégie de Netanyahou consiste à affaiblir l’Autorité palestinienne comme interlocuteur des négociations, afin de faire monter en puissance les extrémistes du Hamas, et en conséquence montrer qu’il n’y a pas d’interlocuteur, donc pas d’accord possible avec les Palestiniens, donc pas de raison de leur concéder un État. À travers les horreurs d’aujourd’hui, on voit combien l’avertissement de Peres dans les années 1990 fut prémonitoire.

Les négociations de Camp David

Malgré tout, l’espoir persiste des deux côtés. Et en 1999, Ehud Barak, nouveau leader du camp de la paix en Israël, est élu. Comme Rabin, Barak a le prestige d’avoir servi dans l’armée et le courage des grands leaders politiques capables de faire la paix avec l’ennemi. Comme Rabin, il a l’intention de vraiment aboutir à un accord global et durable avec les Palestiniens. Et en 2000, se tiennent à Camp David les négociations de la dernière chance, sous l’auspice de Bill Clinton. Clinton est pressé, il est à la fin de son mandat et voudrait rester dans l’histoire comme le Président américain qui a réconcilié Israéliens et Palestiniens.

Les négociations de Camp David (11-25 juillet 2000) sont mal préparées. Clinton convoque les deux parties en juillet, malgré les réticences de Arafat qui estime que les négociations ne sont pas encore mûres. Dès lors, c’est le coup de théâtre. Une offre est mise par l’équipe de Barak sur la table dès le début des négociations à Camp David. Comme le rapporte Robert Malley, conseiller de Clinton pour le Moyen-Orient, l’offre a été mise sur la table beaucoup trop tôt, à un moment où « ni les Israéliens ni les Palestiniens ne s’étaient préparés à complètement comprendre les peurs et les besoins de l’autre partie ». La discussion sur une offre est venue avant que les deux parties ne comprennent réellement les intérêts sous-jacents de l’autre, en particulier avant qu’elles n’aient pu parler des questions épineuses comme le statut de Jérusalem, la sécurité, ou le statut des réfugiés palestiniens (Aaron Miller, The much too Promised Land: America’s elusive search for Arab-Israeli peace , 2008; New York Times, 26 juillet 2001). Dans nos propres recherches, nous avons montré comment faire une offre tôt plutôt que tard est généralement peu efficace dans une négociation : faire une offre tôt réduit l’échange d’informations entre les négociateurs et crispe les choses. Une offre faite tard permet que les gens comprennent d’abord les intérêts des autres et explorent des solutions créatives, avant que de rentrer dans le marchandage. L’intention de Barak était louable, cependant : il voulait éviter l’approche graduelle d’Oslo : il voulait arriver à un accord final global et éviter de perdre un précieux capital politique en le dilapidant par des négociations intermédiaires. Mais on voit que tout est question d’équilibre et de timing dans les négociations complexes : arriver au final à un accord qui englobe tous les points, mais discuter d’offres tard plutôt que tôt.

Au final, les négociations de Camp David échouent. Sans doute y avait-il trop d’empressement, trop de tension de part et d’autre. Trop de pression publique également, et surtout trop peu de temps. Les deux équipes de Barak et Arafat repartent de Camp David bredouilles. Mais l’échec est loin d’être rédhibitoire. C’est le jeu normal de négociations complexes que les choses prennent de temps. Et les négociations doivent être faites en secret, loin des projecteurs.

Mais c’est là que les choses déraillent. Barak est dépité. Il laisse se créer une version fâcheuse des négociations de Camp David, à savoir qu’il aurait fait une offre extrêmement généreuse que Arafat aurait refusée. Bref, il rejette l’entière responsabilité de l’échec des négociations sur Arafat. Il s’avère que cette version est fausse, comme le souligne Malley, qui a observé de près les négociations pour la partie américaine (et, faut-il le souligner, pour lui éviter toute accusation d’antisémitisme, se trouve être juif). La description précise des négociations par Malley se trouve dans son article Fictions about the Failure at Camp David (New York Times, 8 juillet 2001). En réalité, les deux parties étaient prêtes à des compromis et voulaient résoudre le conflit, mais il n’y a pas eu assez de temps, pas assez d’exploration des intérêts, pas assez de discussions autour des questions épineuses, trop de pression publique. La discussion des offres est venue trop tôt dans la négociation et a empêché l’exploration de solutions créatives (Aaron Miller, The much too Promised Land: America’s elusive search for Arab-Israeli peace , 2008). La déception pour les deux camps est d’autant plus grande que les espoirs étaient élevés.

Les conséquences de Camp David

C’est là que le désastre commence. La version de Barak se diffuse dans l’opinion publique. Il répète à l’envi et les médias répètent à l’envi qu’il n’y a pas de partenaire palestinien pour la paix. Le camp de la paix s’effondre en Israël. Ce n’est qu’une année après que les commentateurs israéliens et américains rétablissent la vérité complexe des négociations de Camp David, et qu’une version plus équilibrée de l’histoire émerge dans les médias israéliens et américains. Mais c’est trop tard : le mal est fait.

Mais c’est là qu’Arafat tient une égale part de responsabilité. Peu de temps après, fin septembre 2000, la seconde intifada éclate, et ce sont de nouveau des morts. Arafat n’a sans doute pas fomenté volontairement la seconde intifada, mais il laisse faire. C’est, là aussi, une erreur tragique. Ce qui met le feu aux poudres de la seconde intifada est la visite d’Ariel Sharon, alors chef de l’opposition en Israël, sur l’esplanade des Mosquées et le mont du Temple, le 28 septembre 2000. Cette visite de Sharon sur l’un des lieux sacrés pour le judaïsme et l’islam est, clairement, une provocation. Mais les Palestiniens tombent dans la provocation, dans le piège tendu. Ils réagissent par des manifestations qui dégénèrent vite en cycle de répression et de violence. En 15 jours, on compte plus de 110 morts arabes et 10 morts juifs. C’est le coup de trop dans le processus de paix. Le camp de la paix en Israël ne se remettra jamais de cette seconde intifada. Arafat pensait peut-être qu’il n’y avait pas de différence entre Barak et Sharon, là aussi c’est une grave erreur. Avec la seconde intifada, les Palestiniens affaiblissent leur interlocuteur pour la paix et renforcent les factions hostiles à la paix en Israël.

Peu de gens savent, cependant, que les négociations entre les équipes de Barak et d’Arafat ont continué… et ont été finalement couronnées de succès. Les négociations entre Israéliens et Palestiniens ont, en effet, abouti en janvier 2001. C’est l’accord de Taba, dans lequel les Israéliens et les Palestiniens ont concilié quasiment, ou sont proches quasiment de concilier, de manière exhaustive, leurs positions (Charles Enderlin, Le rêve brisé, pp. 343-351, 2002 ; Aaron Miller, The much too Promised Land: America’s elusive search for Arab-Israeli peace , 2008). Le communiqué israélo-palestinien officiel énonce « que des progrès substantiels ont été accomplis sur chacune des questions qui ont été discutées », et surtout « qu’il sera possible de résoudre les différences restantes et atteindre un accord de paix permanent entre les deux parties ». Les négociations sont interrompues du fait des élections israéliennes qui approchent en février 2001. Dans ces élections, Barak est défait : l’idée qu’il n’y a plus de partenaire pour la paix et la seconde intifada précipitent Sharon au pouvoir.

Quand Sharon arrive au pouvoir, il continue la politique de Netanyahou. Le processus de paix devient un processus élusif, sans volonté d’arriver à un accord final. Dans les années 2000, on parle de processus de paix en oubliant que le seul intérêt d’un processus est qu’il aboutisse à un résultat. Sharon érige un mur qui permet l’annexion effective de la moitié des colonies de Cisjordanie, soit autant de territoire palestinien annexé de fait par Israël (10% du territoire de Cisjordanie, 85% des colons). En 2005, il se désengage unilatéralement de Gaza, en évacuant les colonies de Gaza, mais sans négociation avec l’Autorité palestinienne. Deux ans après, le Hamas prend le pouvoir dans la bande de Gaza, et la bande de Gaza est ostracisée, sous le joug d’un blocus permanent des gouvernements israéliens qui se succèdent. L’échec du processus de paix comme la corruption de Arafat et de l’Autorité palestinienne jouent un rôle déterminant dans la montée du Hamas. Contrairement à Arafat et l’Autorité palestinienne, le Hamas s’oppose à l’existence d’un État juif et aux accords d’Oslo. Cela sied à Nétanyahou qui, lorsqu’il revient au pouvoir à la fin des années 2000, continue sa politique de 1996-1999 et privilégie le Hamas au détriment de l’Autorité palestinienne. Il le dit très clairement: « le Hamas, c’est bon pour nous ». Faire monter les fanatiques permet une fois encore de clamer qu’il n’y a pas d’interlocuteur pour la paix. Le processus de paix est mort et enterré.

Les imperfections des accords d’Oslo

Plusieurs imperfections dans les accords d’Oslo peuvent également expliquer l’échec du processus de la paix, qui facilitent la tâche de Netanyahou en 1996-1999 et rendent la tâche d’autant plus ardue pour Barak et Arafat en juillet 2000. Tout d’abord, les accords d’Oslo ne sont qu’un accord intérimaire. Les discussions difficiles, notamment sur le statut de Jérusalem et le statut des réfugiés palestiniens, sont reléguées à des négociations futures. La logique des négociateurs israéliens et palestiniens était louable et de bon sens: l’idée était de créer d’abord la confiance, en montrant qu’un accord même partiel était possible, et de laisser pour plus tard les questions les plus épineuses. Le problème est que ces questions épineuses ne sont pas du tout intégrées dans l’accord, alors qu’elles auraient pu être discutées à la fin des négociations, mais avant la signature de l’accord. En effet, le momentum le plus grand pour faire ou obtenir des concessions, c’est juste avant la signature de l’accord. Il est plus difficile de négocier sur les questions épineuses une fois qu’il ne reste plus qu’à négocier les questions épineuses. En négociation, un principe essentiel est le donnant-donnant (ou échange de concessions réciproques), ce qui est facilité par le fait de considérer toutes les questions de manière simultanée, et non séquentielle.

Mais les accords d’Oslo ont créé aussi des complications sur le terrain. Ils créent trois zones administratives en Cisjordanie: une zone où l’Autorité palestinienne a toute l’autorité (18%), une zone où l’Autorité palestinienne n’a que l’autorité civile (22%), une zone où Israël garde le contrôle entier (60%). Une conséquence non voulue est que cela complique les déplacements pour les Palestiniens au quotidien pour passer d’une zone à une autre, avec la multiplication des check-points et des frustrations en résultant. Les accords d’Oslo ne débouchent pas nécessairement sur un mieux-être immédiat pour la population.

Surtout, la colonisation et les implantations israéliennes en Cisjordanie n’ont jamais été freinées par les accords d’Oslo. Comme le note Charles Enderlin, on passe de 106.000 colons en 1992 à 151.000 en juin 1996 (Le rêve brisé, p. 56, 2002). Il y en a plus de 450.000 aujourd’hui en Cisjordanie, selon le décompte du Jerusalem Post, ainsi que 220.000 à Jérusalem-Est selon l’organisation israélienne Shalom Akhshav. Aujourd’hui, la Cisjordanie est un gruyère où il est impossible d’avoir une contiguïté territoriale entre les différents morceaux palestiniens. Les Palestiniens en Cisjordanie sont l’objet de multiples violences de la part des colons israéliens, comme l’arrachage des oliviers, le captage des ressources en eau, l’expulsion de maisons, etc., comme le relatent les organisations israéliennes telles B’Tselem (179 morts palestiniens en Cisjordanie avant les attaques du 7 octobre sur l’année 2023 selon CNN). De fait, la colonisation a rendu non viable un État palestinien. Pour les Palestiniens, les accords d’Oslo n’ont donc pas abouti à une réalité tangible.

À une conférence au Stanford Center on Conflict and Negotiation à laquelle l’auteur a assisté en 2004, le philosophe israélien Avishai Margalit déclarait qu’il y a deux choses différentes : la paix et la justice. La justice, disait-il, est éminemment subjective, car la perception de ce qui est justice pour les Israéliens ne correspond pas à la perception de ce qui est justice pour les Palestiniens (et réciproquement). Si on veut la justice, on n’aura pas la paix. Si on veut la paix, il faut vouloir ne pas avoir justice. Il faut espérer qu’un jour, Israéliens et Palestiniens retrouveront un chemin de la paix. Il s’en est fallu de peu, à plusieurs reprises, qu’ils n’y réussissent.

Actes attribués au Hezbollah au Liban et au nord et au centre d’Israël.

Le quadrilatère de la guerre moderne par Michel Goya

Le quadrilatère de la guerre moderne

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 4 octobre 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Pour son malheur, le quadrilatère Beyrouth-Damas-Deraa-Haïfa, correspondant à la superficie du département de la Gironde, a été l’un des plus importants laboratoires opérationnels de ces cinquante dernières années.

Feux du ciel et phalanges

Il y eut d’abord les combats sur le Golan en octobre 1973, et la résistance acharnée et victorieuse de quelques brigades blindées israéliennes face à une armée syrienne équipée et organisée à la manière soviétique. Cela apparaissait, pour tous les observateurs occidentaux — et sans doute aussi soviétiques — comme un modèle réduit de ce qui se passerait en Europe occidentale, et plus particulièrement en République fédérale allemande, en cas d’attaque du Pacte de Varsovie. On était même allé jusqu’au point où l’emploi de l’arme nucléaire avait pu être envisagé et signalé à l’ennemi. Cela a considérablement stimulé toutes les réflexions qui ont abouti notamment à la doctrine américaine AirLand Battle (ALB), dont la première version a été publiée en 1982, au moment même où Israël lançait l’opération Paix en Galilée au Liban.

Déclenchée le 6 juin, Paix en Galilée illustre alors parfaitement ce que les Américains envisagent de faire à bien plus grande échelle. Le 9 juin 1982, en combinant surveillance par drones, détection électronique, coordination aéroportée, brouillage et armes antiradars, l’armée israélienne détecte, aveugle, paralyse et détruit la défense aérienne syrienne, tant au sol qu’en vol. Les Israéliens acquièrent ainsi la suprématie aérienne dans la région pour les cinquante années à venir. En outre, grâce à une artillerie renouvelée, capable de frappes plus précises et en profondeur, Tsahal dispose d’une force de frappe écrasante et précise, qu’elle met également au service de six divisions blindées, transformées en lourdes phalanges interarmes écrasantes.

L’objectif premier de l’opération est de détruire la menace représentée par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), solidement implantée dans le Sud-Liban et qui attaque régulièrement le nord d’Israël à coups de roquettes ou d’infiltrations de commandos. L’OLP, qui a commis l’erreur de vouloir s’organiser en une division mécanisée classique, est balayée en quelques jours, et ce qui reste de l’organisation est contraint de se replier à Beyrouth. Il en est de même pour les deux divisions blindées syriennes présentes alors au Liban. Bien que l’on soit loin de la fulgurance de la guerre des Six Jours, à la fin du mois de juin, il apparaît clairement qu’aucune armée de la région n’est plus capable de s’opposer à l’équivalent israélien de l’AirLand Battle en essayant de le combattre de la même manière. C’est toujours le cas aujourd’hui.

Tunnels, commandos et missiles

On réfléchit donc dès cette époque à une autre manière de faire. En analysant tous les combats contre Israël depuis plus de vingt ans, ainsi que ceux en cours entre l’Irak et l’Iran, on comprend d’abord qu’il n’y a guère d’autre solution pour s’opposer aux frappes aériennes que de se retrancher profondément dans le sol ou le sous-sol, ainsi que dans les villes. Les Syriens mettent en place un système fortifié le long de l’axe menant du Golan vers Damas. Le corps de bataille blindé syrien y est largement intégré et complété par l’équivalent de trois divisions de commandos. Tout le monde a en effet observé que, grâce à sa faible signature et ses capacités d’infiltration, l’infanterie légère a été la plus efficace contre les Israéliens. Dotés d’armes antichars modernes, ces fantassins légers peuvent former ce qu’on appelle alors en Europe une « technoguérilla », capable de harceler les forces les plus puissantes, conformément par exemple au concept de « non-bataille » du commandant Brossolet.

Cet ensemble est censé constituer un bouclier derrière lequel il sera possible d’user une armée israélienne, ou éventuellement occidentale, jugée puissante mais peu endurante et très sensible aux pertes humaines. On ne gagne pas cependant les guerres en se contentant de se défendre, il faut aussi donner des coups. Avec un ciel totalement dominé par l’ennemi, il est désormais inconcevable de lancer de grandes attaques blindées comme en octobre 1973, sous peine d’être détecté et anéanti immédiatement. On peut en revanche utiliser offensivement les commandos par le biais d’infiltrations.

Comme il est également impossible de lancer des raids aériens, on découvre les vertus des missiles balistiques fabriqués en masse par l’Union soviétique, tels que les FROG-7 à courte portée et surtout la famille des Scud. Conçu dans les années 1950 en s’inspirant du V2 allemand, le Scud (SS-1 Scud en code OTAN) est la kalachnikov des missiles, produit en masse et décliné en quatre versions soviétiques et de multiples versions locales. Les missiles balistiques présentent alors l’immense avantage d’être trop rapides pour être interceptés. Leur précision est très faible, mais ils permettent de frapper les villes avec une charge conventionnelle de presque une tonne d’explosifs, ou une charge chimique, voire nucléaire. Trois Scud avaient ainsi été tirés par les Égyptiens sur les ports israéliens en 1973, et des centaines ont été échangés entre l’Iran et l’Irak pendant plusieurs années. À condition d’en disposer en nombre suffisant pour effectuer des salves de plusieurs dizaines à la fois, cette force de frappe peut constituer une dissuasion du « faible au fort ». À défaut, elle permet de causer des pertes civiles intolérables tout en affirmant la détermination à poursuivre le combat simplement par la répétition des tirs. La Syrie, l’Irak et l’Iran se sont ainsi dotés d’un arsenal de missiles à longue portée, constamment perfectionné grâce aux nouvelles technologies de l’information, et ce malgré la fin de l’URSS.

Le développement militaire du Hezbollah

Le Liban des années 1980 est également le théâtre d’innovations de la part des organisations armées. Fondé en 1982 avec l’aide de la République islamique d’Iran et de la Syrie, le Hezbollah commence par mener une lutte clandestine particulièrement redoutable en utilisant des camions remplis de tonnes d’explosifs, conduits par des kamikazes. Chacun de ces engins devient l’équivalent d’une salve au ras du sol de plusieurs missiles de croisière. Le Hezbollah mène ainsi onze attaques de ce type, ciblant d’abord à plusieurs reprises les forces israéliennes, puis l’ambassade américaine à Beyrouth, ainsi que les contingents américains et français de la Force multinationale de sécurité de Beyrouth (FMSB). Les effets sont terribles, tant sur le plan tactique — avec un total de plus de 500 combattants ennemis tués — que stratégique, avec notamment le retrait honteux de la FMSB. Cela prouve qu’un groupe d’hommes déterminés peut faire plier certaines des armées les plus puissantes au monde. La leçon est vite retenue, et la tactique des attaques-suicides est adoptée par les organisations djihadistes. Le Hezbollah pratique également toute la gamme des actions clandestines, comme le détournement d’avions ou la prise d’otages occidentaux, utilisés pour négocier des échanges de prisonniers avec Israël.

Alors que l’armée israélienne se concentre, depuis 1985, sur la gestion d’une zone tampon au sud du Liban, le Hezbollah développe une force de guérilla plus classique à partir de ses bases dans la plaine de la Bekaa. Le combat est mené de manière très décentralisée par des groupes infiltrés, suffisamment autonomes. Ces groupes, de mieux en mieux entraînés et équipés, disposent de missiles antiaériens SAM-7 et antichars AT-3 et AT-4, atteignant ainsi le statut de « techno-guérilla ». De 5 combattants du Hezbollah tués pour 1 soldat israélien en 1990, le ratio tombe à 1,5 pour 1 en 1993.

Le Hezbollah est aussi le premier mouvement à utiliser massivement les engins explosifs improvisés, plus connus sous l’acronyme anglais IED, comme arme de harcèlement. Avec le temps, ces engins artisanaux deviennent de plus en plus sophistiqués et finissent par être responsables de la majorité des pertes israéliennes dans le Sud-Liban, y compris la mort du général Gerstein en février 1999. Ces IED réduisent la capacité de manœuvre des forces de Tsahal, qui se retrouvent de plus en plus retranchées et isolées.

Le Hezbollah se dote également d’un arsenal de roquettes à courte portée, qu’il utilise contre les bases israéliennes, mais aussi contre le nord d’Israël, reprenant ainsi les méthodes de harcèlement de l’OLP. On assiste alors à des embrasements ponctuels de quelques jours, comme en juillet 1993 ou en mars 1996, où des frappes aériennes et d’artillerie israéliennes répondent à des salves de centaines de roquettes et inversement.

De guerre lasse, Israël évacue le Sud-Liban en 2000, privilégiant désormais la protection offerte par une barrière de sécurité à la frontière et les actions à distance. Le Hezbollah occupe définitivement le terrain abandonné, consolide sa position de para-État libanais et se transforme à nouveau militairement, adoptant à son tour le modèle des « tunnels, commandos et missiles », toujours avec l’aide de l’Iran et de la Syrie. Le Hezbollah devient ainsi l’une des premières organisations armées, sinon la première, à se doter d’un arsenal de missiles balistiques.

La confrontation de 2006

La confrontation entre les deux grands modèles d’armée, initialement attendue en Syrie, intervient finalement au Liban en juillet 2006, à la suite d’une infiltration réussie d’un commando du Hezbollah, qui tend une embuscade sur le sol israélien. Alors que l’attention était concentrée sur Gaza, le gouvernement israélien saisit cette occasion pour tenter, selon sa nouvelle doctrine, non pas de détruire le Hezbollah, mais de l’écraser suffisamment par des raids aériens et terrestres pour le rendre inopérant pendant des années. L’arsenal de missiles balistiques du Hezbollah n’a donc pas dissuadé Israël.

Il est vrai que, bien que les missiles balistiques se soient beaucoup améliorés depuis l’époque soviétique, la défense antimissile israélienne a progressé encore plus rapidement, notamment après l’impuissance démontrée lors des 40 Scuds irakiens tombés sur le pays en 1990. En 2006, l’armée israélienne est capable d’intercepter des missiles balistiques, bien que cela soit plus difficile lorsque les tirs proviennent d’un avant-poste libanais, plutôt que du « troisième cercle » de menace, réduit alors à l’Iran. Cela rend l’action préventive d’autant plus tentante.

L’opération israélienne de 2006 débute donc par une campagne aérienne visant à neutraliser cet arsenal de missiles. Malgré cela, le Hezbollah parvient à lancer une centaine de roquettes chaque jour sur le nord d’Israël, et le complexe renseignements-frappes israélien n’est pas suffisamment précis pour éliminer cette menace. Un engagement terrestre devient donc inévitable.

Le problème est que le modèle AirLand Battle exige une grande maîtrise pour coordonner efficacement toute sa machinerie. Or, bien que Tsahal dispose encore des moyens, elle n’a plus les compétences nécessaires à ce moment-là. Comme mentionné précédemment, Tsahal est une armée à faible mémoire opérationnelle, et celle-ci est alors presque entièrement consacrée au maintien de l’ordre et à la lutte contre les organisations clandestines palestiniennes. Le dernier grand engagement, l’opération Rempart dans les villes de Cisjordanie en 2002, est déjà loin pour une armée de conscrits et de réservistes dont les moyens et l’entraînement ont également été réduits pour des raisons budgétaires.

Pour faire des économies, l’armée israélienne a adopté un système de soutien logistique similaire à celui des bases de défense en France à partir de 2008, un système qui se révèle totalement inadapté aux opérations à grande échelle.

En résumé, entre une prudence excessive pour éviter les pertes, une mauvaise coordination des forces et un chaos logistique, la guerre révèle que Tsahal n’est plus capable d’appliquer correctement le modèle ALB, et elle se heurte au modèle défensif du Hezbollah, qui fonctionne, lui, parfaitement. Au bout de 33 jours, les forces israéliennes atteignent les abords du fleuve Litani, mais elles continuent de subir des coups humiliants de l’infanterie du Hezbollah, tandis que les roquettes pleuvent toujours quotidiennement sur Israël. Avec la protection des blindés et l’énorme supériorité de feu israélienne, le ratio de pertes devrait être d’un soldat israélien pour au moins dix ennemis, mais il n’est que de 1 pour 4.

Une sortie diplomatique est finalement trouvée, en feignant de croire que la résolution 1701, prévoyant le désarmement du Hezbollah au Sud-Liban, sera mise en œuvre par les Forces armées libanaises.

ALB vs TCM

Fondamentalement, les modèles de forces n’ont pas changé depuis cette époque, ils se sont simplement perfectionnés. Malgré la réduction de ses moyens, l’armée de Terre israélienne a beaucoup travaillé pour retrouver des capacités de haute intensité, qu’elle a testées en 2008, 2014, et surtout en 2023-2024 à Gaza, face à une organisation comme le Hamas, qui s’était lui aussi efforcé d’adopter le modèle TCM (Tunnels, Commandos, Missiles). La diminution du volume des forces israéliennes a conduit à procéder par séquences, plutôt que par une action unique, ce qui a ralenti les opérations. Cependant, au prix de terribles souffrances civiles, le rapport de pertes a finalement atteint un soldat israélien pour 40 combattants ennemis.

Alors que l’opération Flèche du Nord est désormais lancée contre le Hezbollah, Tsahal est au sommet de ses capacités, avec une vingtaine de brigades de manœuvre actives ou de réserve, aguerries et maîtrisant parfaitement la combinaison des forces ainsi qu’une puissance de feu inégalée, à condition de continuer à être soutenue par les États-Unis. Le Hezbollah, de son côté, est plus puissant qu’en 2006 et aguerri par les combats d’infanterie en Syrie, bien qu’il ait combattu principalement contre d’autres organisations armées, et non contre une armée régulière. Sa structure, très décentralisée, pourrait cependant être affaiblie par les ravages causés dans son commandement, affectant ainsi ses capacités.

À ce stade, il est difficile de dire quel modèle, entre ALB ou TCM, finira par l’emporter au Liban, même si la détermination nouvelle israélienne semble faire pencher la balance de leur côté. On peut prédire cependant à coup sûr des dégâts et des pertes considérables pour tout le monde.

Après la mort de Nasrallah, quelle stratégie régionale pour l’Iran ?

Après la mort de Nasrallah, quelle stratégie régionale pour l’Iran ?

par Héloïse Fayet – IFRI – publié le 30 septembre 2024

Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, a été tué dans une frappe israélienne à Beyrouth le 27 septembre. La milice et son dirigeant étaient considérés comme le fer de lance de l’Axe de la Résistance, cette coalition de groupes miliciens majoritairement chiites qui sont au coeur de la stratégie régionale de l’Iran.

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Rencontre entre l’ayatollah Khamenei et Hassan Nasrallah en 2019
Rencontre entre l’ayatollah Khamenei et Hassan Nasrallah en 2019

Après l’attaque sur le consulat iranien à Damas le 1er avril et la mort d’Ismail Haniyeh, chef politique du Hamas, dans une opération attribuée à Israël au centre de Téhéran fin juillet, il s’agit donc d’un nouveau coup dur pour l’Iran, qui ne parvient plus à protéger ses atouts à l’étranger et maintenir une dissuasion crédible vis-à-vis de l’État hébreu. Comment le régime peut-il réagir à cette nouvelle donne, entre restauration d’un équilibre et prévention de l’escalade ?

Une vulnérabilité grandissante

« Nous appelons les musulmans à soutenir […] le fier Hezbollah par tous les moyens dont ils disposent. » C’est par ces termes plutôt modérés que le Guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, a réagi à la mort du commandant du Hezbollah, qui ne « restera pas impunie ». Si le texte contient les références habituelles à l’« entité sioniste » à l’origine de tous les maux du Moyen-Orient, le vocabulaire est bien moins martial et décisif que pour venger les précédents assassinats de dignitaires iraniens ou des groupes proches de Téhéran dans les derniers mois.

L’attaque du 1er avril sur le consulat iranien à Damas avait ainsi fait l’objet d’une riposte à la fois verbale et cinétique, en affirmant que tous les intérêts iraniens ciblés à l’étranger (même en dehors du territoire de l’Iran) feraient désormais l’objet de représailles directes contre Israël. Cette promesse s’est incarnée par une salve de près de 300 drones, missiles de croisière et missiles balistiques tirés depuis l’Iran vers l’État hébreu dans la nuit du 13 au 14 avril. Si les intentions profondes de cette attaque, entre réelle volonté de nuire et simple démonstration de force entourée de précautions, font encore débat aujourd’hui, elle a été présentée comme une victoire à Téhéran, fausses images d’explosion à l’appui, permettant de préserver l’image de la République islamique auprès de ses affiliés. La réponse israélienne sous forme de frappe ciblée près des installations nucléaires de Natanz le 19 avril a quant à elle été largement minimisée par le régime.

Si l’Iran pensait avoir alors « restauré la dissuasion » vis-à-vis d’Israël, la mort d’Ismail Haniyeh au cœur de la capitale le 31 juillet a porté un premier coup à cette crédibilité. Malgré un ton martial mettant en garde l’État hébreu contre une « riposte imminente », le gouvernement iranien, divisé entre un Massoud Pezeshkian relativement modéré, conseillé par des réformateurs tels que l’ancien ministre des Affaires étrangères Javad Zarif, et les conservateurs plus extrêmes menés par les Gardiens de la Révolution, s’est retrouvé dans l’incapacité de « venger » cet affront à la réputation de l’Iran. En effet, il aurait été inutile, voire contre-productif, de réitérer l’attaque sur le même mode opératoire qu’en avril, sauf à augmenter le nombre de projectiles afin de saturer les défenses israéliennes – ce qui aurait d’autant réduit les stocks iraniens – et réduire le préavis d’alerte, sans garantie de succès. De plus, contrairement à la nécessité de venger la mort de Qassem Soleimani en janvier 2020, le besoin de réagir à la mort d’Ismail Haniyeh est moins pressant : en tant que chef politique d’un groupe sunnite, allié de l’Iran par opportunisme, son rôle dans la stratégie régionale du régime était moindre.

La réaction iranienne est encore plus modérée lors de la mort de Fouad Shukr, commandant de la branche militaire du Hezbollah, lors d’une frappe israélienne au Liban le 30 juillet, puis au fur et à mesure des frappes de « décapitation » de la milice en août et en septembre, qui culmine par l’opération des « bipeurs » le 19 septembre et enfin la mort de Nasrallah le 27. Cette prudence est compréhensible : en effet, le régime n’avait pas ouvertement soutenu l’engagement du Hezbollah dans la guerre vis-à-vis d’Israël le 8 octobre 2023, au lendemain des massacres commis par le Hamas et dans lesquelles la milice chiite libanaise n’avait aucune responsabilité. Téhéran avait à plusieurs reprises démenti toute connaissance de l’attaque et il est possible que le régime ait tenté de décourager Nasrallah de s’engager, considérant que les risques d’une riposte israélienne et donc d’une mise en danger de cette stratégie de glacis de protection du territoire iranien au travers de ses milices étaient trop élevés. Force est de constater que les actions israéliennes ont donné raison à cette frange plus prudente du gouvernement iranien, laissant présager une absence de réaction à la mort de Nasrallah.

Vers une recomposition de l’Axe de la Résistance ?

Si le Hezbollah est désormais privé de commandement opérationnel et sérieusement décrédibilisé dans la région, il n’est cependant pas totalement mis hors d’état de nuire. Les caches d’armes, notamment de systèmes capables de frapper le territoire israélien dans la profondeur, demeurent nombreuses dans le Sud-Liban, tout comme la capacité du groupe à se camoufler au sein de la population. Une opération israélienne au sol, dont l’ampleur reste à déterminer, est probablement nécessaire pour réduire encore les capacités de nuisance de la milice et donc permettre à moyen terme le retour des Israéliens déplacés dans le nord du pays, un nouvel objectif de guerre déclaré par Netanyahou le 19 septembre dernier.

Reste que le groupe qui offrait un débouché à l’Iran sur la Méditerranée, une plateforme pour ses trafics et un moyen de pression continu sur Israël n’est probablement plus en mesure d’assurer un rôle de coordinateur et de représentant de l’Axe. Plusieurs groupes peuvent désormais prétendre au poste.

Les Houthis, bien qu’historiquement moins proches de Téhéran et promouvant leurs intérêts propres au Yémen, apparaissent aujourd’hui comme le principal facteur de nuisance contre les intérêts occidentaux dans la région. Leurs capacités n’ont quasiment pas été affectées par les frappes anglaises et américaines conduites depuis décembre 2023 et ils sont toujours en mesure de frapper directement l’État hébreu, exerçant ainsi la vengeance au nom de l’Axe, bien que leur puissance de feu soit inférieure à celle du Hezbollah. L’armée israélienne a bien compris leur potentiel destructeur et a ainsi conduit des frappes contre le port d’Hodeïda et d’autres installations militaires houthies le 29 septembre. Cependant, du fait d’un éloignement géographique et idéologique du reste des groupes composant l’Axe de la Résistance, il est peu probable qu’ils exercent un rôle majeur dans cette alliance à moyen terme.

À l’inverse, les milices irakiennes proches de l’Iran se sont montrées relativement modérées depuis le 7 octobre. Les quelques tentatives d’attaques par drone en direction d’Israël ont toutes été interceptées, avec un soutien principalement verbal de la cause palestinienne et de l’Axe de la Résistance. Les milices étaient en effet concentrées sur leur objectif local : le départ des forces occidentales présentes dans le cadre de la coalition contre Daech. Avec un sens remarquable du timing, un accord a été annoncé le soir même de la mort de Nasrallah, prévoyant le départ partiel des troupes américaines dès 2025. Les réjouissances locales que l’on aurait pu attendre ont été quelque peu gâchées par l’attaque israélienne sur Beyrouth, et de nombreuses manifestations violentes ont éclaté dans Bagdad au cours du week-end, dont certaines à proximité de la « Zone verte » abritant les ambassades. Bien que cet accord puisse évidemment être renégocié en fonction des besoins opérationnels américains ces prochains mois, cela donne une nouvelle respectabilité aux milices irakiennes, qui pourraient s’en servir comme levier pour gagner une place plus importante au sein de l’Axe de la Résistance.

La voie du nucléaire ?

Les deux composantes de la « dissuasion conventionnelle » iranienne – son arsenal de missiles balistiques, de croisière et de drones, et ses relais régionaux – se retrouvent donc affaiblies dans la configuration actuelle. Bien qu’il conserve de nombreux leviers relevant de la « guerre hybride », le régime pourrait donc être tenté de se tourner vers l’arme ultime : la bombe nucléaire. La prolifération iranienne semble en effet hors de contrôle depuis la sortie par les États-Unis de l’accord de Vienne en 2018 : les rapports trimestriels de l’Agence internationale de l’énergie atomique font état de quantités croissantes d’uranium enrichi – et donc d’un temps réduit pour fabriquer un engin explosif –, bien qu’aucun signe d’arsenalisation du programme ne soit visible. La parole iranienne est également plus ouverte qu’avant sur ces perspectives, rappelant que des attaques israéliennes contre des installations du programme de Téhéran pourraient pousser le régime à franchir le seuil.

Cependant, la voie de l’acquisition d’une arme fonctionnelle reste aujourd’hui peu probable pour l’Iran. En effet, bien que ses réseaux aient été attaqués, et le territoire iranien frappé par Israël, les intérêts vitaux du pays ne sont pas menacés. Or, face à un État nucléaire, lui-même soutenu par la plus grande puissance atomique du monde, une arme nucléaire à vocation offensive serait inutile, voire dangereuse. De plus, ni la communauté occidentale ni les soutiens régionaux de l’Iran ne pourraient accepter une crise de prolifération dans une région déjà extrêmement tendue. Soucieux de poursuivre des efforts de désescalade, le président Pezeshkian a au contraire affirmé vouloir reprendre le dialogue et les négociations sur le désarmement en marge de sa venue à l’Assemblée générale annuelle des Nations unies. Même privé d’une stratégie régionale durable, l’Iran se satisfait donc pour le moment de son statut d’État du seuil nucléaire pour maintenir la dissuasion, se sachant capable de le franchir en quelques semaines sur une décision politique. Mais jusqu’à quand ?

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Après la mort de Nasrallah, quelle stratégie régionale pour l’Iran ?

Hassan Nasrallah : la chute de l’ennemi numéro 1 d’Israël

Hassan Nasrallah : la chute de l’ennemi numéro 1 d’Israël

Hassan Nasrallah
Hassan Nasrallah, même liquidé par Israël, son héritage islamo-mafieux est considérable, il va du terrorisme émancipé de Beyrouth à Caracas, où le mouvement terroriste est devenu le principal cartel de la drogue, mais ça c’est une autre histoire… Photo LeLab Picto – Le Diplomate

 

Par Alexandre Aoun

Adulé par les uns, honnis par les autres, le défunt secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah ne laisse pas indifférent. Retour sur sa jeunesse, son activisme au sein du parti chiite et son implication pour faire de son organisation une puissance régionale. Amputé de son leader charismatique, quel est l’avenir du mouvement libanais ? Analyse.

En fin d’après-midi le 27 septembre peu après 18h30, les F-35 israéliens pilonnent un quartier de la banlieue sud de Beyrouth, véritable fief du Hezbollah. Selon les dires de Tsahal, «le quartier général souterrain» du mouvement chiite libanais, «situé sous un immeuble résidentiel» a été visé, tout en affirmant que le secrétaire général du parti Hassan Nasrallah a été éliminé. Pendant plusieurs heures, la rue libanaise et tout le Moyen-Orient attendaient impatiemment le communiqué officiel du parti. Il est arrivé en fin de matinée le 28 septembre précisant que « son Éminence, le Sayyed, le chef de la Résistance, le serviteur vertueux, a rejoint la demeure de son Seigneur ». Le texte précise également que le mouvement chiite promet « plein de sacrifices et de martyrs, de poursuivre son djihad en affrontant l’ennemi sioniste ».

Aux quatre coins du Moyen-Orient, cette annonce fait office d’un séisme politique. A Idlib, dans le dernier bastion djihadiste syrien, dans certains quartiers chrétiens libanais et en Israël, la nouvelle donne lieu à des scènes de liesses. Les chiites d’Irak, d’Iran, du Liban ainsi que plusieurs villes syriennes sont sous le choc, entre tristesse et désespoir.  

L’éveil politique

Hassan Nasrallah est né le 31 août 1960 dans le quartier de la Quarantaine, non loin du port de Beyrouth. À l’époque, des masures de bois et de tôle abritaient là un extraordinaire melting-pot de la misère. Les chiites pauvres venus du Liban-Sud se mêlaient aux réfugiés palestiniens, à des Kurdes et à des Arméniens, qui se partageaient ce bidonville aux portes de la capitale. Dès son plus jeune âge, Hassan Nasrallah s’est imprégné des petites histoires de « ces peuples sans terre » que sont les Palestiniens, les Kurdes et les Arméniens. Son père Abdel Karim s’est installé à Beyrouth, comme de nombreux chiites de l’époque, pour trouver un travail dans la capitale.

Très vite, son adolescence est marquée par le début de la guerre civile libanaise qui débute en 1975. L’enfance et l’adolescence du Sayyed sont rythmées par ce conflit, dont une partie de la communauté chiite considère qu’il ne la concerne pas. Le futur leader du Hezbollah se prend d’admiration pour Moussa Sadr, l’imam chiite qui prônait la fin de l’injustice sociale et économique pour les déshérités. Sa famille s’installe à Sin el-Fil, quartier chrétien de Beyrouth avant d’être chassé par les milices chrétiennes en 1975. Le clan Nasrallah rejoint finalement le village d’origine de son père d’al-Bazouryié.

Mais le jeune Nasrallah a d’autres projets en tête. Il rejoint Najaf, la ville sainte du chiisme arabe en Irak, pour y poursuivre des études de théologie. Il a 16 ans à peine quand il rencontre, là-bas, le grand imam Mohammed Baker al-Hakim, fondateur du parti al-Daawa, qui lui donne comme tuteur un étudiant libanais, Abbas Moussaoui, prédécesseur de Hassan Nasrallah à la tête du Hezbollah.

En raison de la situation politique en Irak et de la répression des milieux religieux chiites par Saddam Hussein, il retourne au Liban en 1978 en rejoignant les rangs du nouveau parti chiite de l’époque Amal. Lors de son retour, le sud du pays du Cèdre est en proie aux opérations de l’armée israélienne qui intervient jusqu’au fleuve Litani, à 40 kilomètres de la frontière. Hassan Nasrallah décide donc de rejoindre la plaine de Békaa ou il va gravir les échelons au sein du mouvement politique. Toutefois, il fait partie d’un courant de plus en plus sensible aux idées défendues par l’ayatollah Khomeiny qui vient de renverser le shah d’Iran.

Propulsé à la tête du Hezbollah

L’invasion israélienne de 1982 marque un tournant dans la vie de la communauté et de l’homme. Alors que Nabih Berry, chef du parti depuis 1980, choisit de participer au comité de salut national aux côtés de Bachir Gemayel, une branche de l’appareil partisan menée par Hussein al-Moussaoui fait sécession pour fonder avec le soutien de la République islamique d’Iran ce qui deviendra deux ans plus tard le « Hezbollah ». La même année, il intègre la première cohorte de jeunes chiites formés au camp de Janta, dans la Békaa, sous supervision des pasdarans iraniens. Téhéran avait envoyé de nombreux conseillers militaires, avec l’aval de la Syrie, à la frontière syro-libanaise.

Les années au sein du mouvement avant sa prise de fonction en tant que secrétaire général du parti sont mal documentées. En 1987, à 27 ans, Hassan Nasrallah est nommé président du conseil exécutif au sein de la plus haute autorité de l’organisation – le Conseil consultatif (Choura). L’homme se consacre pleinement à l’action politique et à la théologie et ne se consacre aucunement aux actions militaires du mouvement.

L’assassinat du deuxième secrétaire général du parti, Abbas el-Moussaoui, par un raid israélien en février 1992 le propulse du jour au lendemain au sommet de l’appareil politique. Les cadres du Hezbollah, qui ne veulent pas donner à l’ennemi l’impression d’une victoire, précipitent l’élection d’un successeur. Certains ne sont pas convaincus par ce jeune d’à peine 31 ans, compagnon de route de longue date du chef défunt, qui semble être le favori à Téhéran. Mais le temps presse : Hassan Nasrallah est élu secrétaire général. Il le restera, créant au fil des ans une stature de leader rarement égalée dans la région. Le 24 février 1992, une semaine après l’assassinat du précédent leader du parti, il affirme face à la foule que son mouvement est prêt à « venger » la mort de l’ancien dirigeant. Il appelle « le peuple et les partis politiques libanais, notamment chrétiens, à se joindre à la résistance ». 

La même année, il intègre le parti dans l’échiquier politique libanais avec l’élection de plusieurs députés et normalise peu à peu ses relations avec l’ancien frère-ennemi Amal avec lequel ils ont eu de nombreux contentieux sur la question palestinienne. D’un point de vue opérationnel, l’aile militaire se professionnalise et délaisse le mode opératoire terroriste du début des années 1980. Compte tenu du harcèlement constant des troupes israéliennes et de l’Armée du Liban Sud, le Hezbollah obtient le retrait des forces de Tsahal en mai 2000.

2006, le paroxysme de sa gloire

Outre cette victoire militaire historique, le parti obtient ses premiers ministres en 2005. L’assassinat de Rafik Hariri le 14 février 2005 et le retrait des forces syriennes du pays mettent le mouvement en difficulté sur le plan interne. Toutefois, Hassan Nasrallah confirme sa volonté de libaniser et de nationaliser son mouvement. Le mouvement cherche à sortir de son tropisme pan-chiite en scellant une alliance qui fera date avec le Courant patriotique libre du général Michel Aoun le 6 février 2006. L’accord est signé entre les deux hommes à l’église de Mar Mikhaël dans la banlieue sud de Beyrouth. La consécration pour le parti intervient lors de la guerre dite de 33 jours en juillet 2006 contre les forces israéliennes. Embourbées dans le sud du pays du Cèdre, les forces israéliennes n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs militaires.

Hassan Nasrallah est même comparé à Gamal Abdel Nasser au lendemain de la nationalisation du canal de Suez en 1956. Des portraits du secrétaire général du Hezbollah étaient présents dans toutes les villes du Moyen-Orient. Des manifestations sont organisées du Maroc au Golfe, aussi bien par des leaders nationalistes, socialistes que par les islamistes des frères musulmans. A Tripoli, des milliers de libyens descendent dans les rues pour exprimer leur soutien et inciter le mouvement chiite à attaquer Tel-Aviv. Une étude du Centre Ibn Khaldoun, réalisée au lendemain du conflit, place Hassan Nasrallah comme personnalité préférée des Egyptiens. En 2006, le Hezbollah était au paroxysme de sa gloire.

Sur la scène libanaise, le Hezbollah passe d’un parti minoritaire à un mouvement omnipotent dans les affaires étatiques. Le coup de force de 2008 face au clan sunnite est un premier indicateur du changement de paradigme du parti au Liban. En 2011, le dirigeant apparaît dans la liste du magazine Times des 100 personnalités les plus influentes au monde. À partir de 2011 et jusqu’à aujourd’hui, les bouleversements régionaux induits par les soulèvements des printemps arabes modifient l’ordre des priorités pour Téhéran et pour le leader du Hezbollah. Les combattants du parti interviennent en Syrie dès les premières années pour aider les troupes de Bachar el-Assad. Sanctuariser le régime de Damas permettait d’assurer la fonctionnalité du corridor terrestre allant de Téhéran à la Méditerranée, en passant par l’Irak et la Syrie.

Un pion lâché par Téhéran ?

La popularité de Hassan Nasrallah est en baisse dans le monde sunnite du fait de son implication sur le territoire syrien, accusé d’avoir commis plusieurs crimes de guerre. Il jouit néanmoins d’une profonde admiration auprès des Chrétiens syriens dont les villages ont été libérées des mains des djihadistes par le Hezbollah. La ville emblématique de Maaloula, ou l’on parle encore l’araméen, a été reprise grâce aux combattants chiites libanais. Sous son impulsion, le Hezbollah a également défendu le territoire libanais contre les incursions djihadistes entre 2015 et 2017.

En interne, les corps de « martyrs » qui reviennent du front syrien par centaines, voire plus, embarrassent le mouvement. Les critiques sont émises sur l’abandon de l’ADN du parti, répondant maintenant aux ordres de Téhéran pour satisfaire son agenda géopolitique régional. En effet, le Hezbollah des années 2010 tisse des liens aux quatre coins du Moyen-Orient, de l’Irak au Yémen, agissant sous la tutelle des Gardiens de la révolution.

La crise politique de 2019, l’explosion du port de Beyrouth en 2020 et l’assassinat de Lokman Slim viennent ternir encore un peu plus l’image du Hezbollah sur la scène libanaise. Faisant parti de l’establishment libanais, rien est fait sans l’aval du mouvement, bloquant ou imposant les réformes au gré de son agenda.

Prenant fait et cause pour le Hamas pour diviser les troupes israéliennes, le Hezbollah a été pris à son propre jeu. Alors que le parti guerroyait, l’armée israélienne préparait sa riposte depuis sa défaite de 2006. En l’espace d’une semaine elle a montré qu’elle avait des dizaines de coups d’avance sur son ennemi. Elle semble tout connaître du parti chiite : ses planques, ses cadres, ses commandants, ses dépôts de missiles, ses moyens de communication.

Alors que beaucoup d’experts et de journalistes le croyaient en Iran ou à l’étranger, Hassan Nasrallah était bel et bien dans un souterrain de la banlieue sud de Beyrouth. Son parrain iranien l’a-t-il abandonné sur l’autel de la realpolitik pour assurer son programme nucléaire et la levée des sanctions ? Est-ce que son parti, qu’il a réussi à modeler à son image, survivra à son élimination ? Une chose est sûre, le mouvement va connaître une période délicate de transition pour remodeler sa hiérarchie politique et militaire. Plusieurs noms circulent déjà pour le remplacer à l’instar de Naïm Qassem, le numéro 2 du parti, Mohammed Yazbek, qui dirige le conseil religieux de l’organisation et enfin Hashem Safieddin, chargé des affaires politiques et économique et cousin de Hassan Nasrallah.

Hassan Nasrallah par le biais de ses discours enflammés aura marqué des générations de partisans qui seront ou non reprendre le flambeau. En décapitant l’exécutif du Hezbollah et en éliminant son ennemi numéro 1, Israël a porté un coup fatal mais a peut-être ouvert la porte au retour d’une forme de djihadisme erratique.

Comment les communications du Hezbollah ont été affaiblies

Comment les communications du Hezbollah ont été affaiblies

par Alain RODIER – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°652 / septembre 2024

https://cf2r.org/actualite/comment-les-communications-du-hezbollah-ont-ete-affaiblies/


Les 17 et 18 septembre, les services israéliens ont déclenché des attaques non-conventionnelles massives contre les télécommunications du Hezbollah libanais. De ce fait, cette organisation paramilitaire se retrouve très diminuée et dans l’impossibilité – pour l’instant – de conduire des actions d’ensemble cohérentes depuis le Sud-Liban contre l’État hébreu.

C’est un coup très rude porté au Hezbollah dont la chaîne de commandement se retrouve sans possibilité de communiquer rapidement, devant utiliser les vieux systèmes comme le téléphone filaire et les messagers. De plus, à la suite des nombreuses neutralisations de responsables du Hezbollah par les Israéliens depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, le secrétaire général du mouvement chiite libanais, Hassan Nasrallah, avait demandé en février de cette année aux membres de son organisation de remplacer leurs smartphones (qui permettaient aux Israéliens de localiser leurs utilisateurs) par des bipeurs jugés plus sûrs.

Al-Qaida et Daech avaient été confrontés dans le passé aux mêmes problèmes mais la différence réside dans le fait que le Hezbollah fonctionne comme une armée qui a un besoin vital de communications rapides et sûres. Pour un mouvement terroriste clandestin, le temps compte beaucoup moins.

Les services israéliens se sont attaqués aux bipeurs, aux talkies-walkies et même à des radios qui avaient été préalablement piégés. Un certain nombre de ces matériels ont explosé provoquant une véritable panique. Les activistes se sont en plus empressés de se débarrasser de leurs appareils – tous genres confondus – craignant d’être atteints à leur tour.

Les bipeurs

Le 17 septembre 2024, vers 15 h 30, heure locale, au moins un millier de bipeurs (« pagers » en anglais) utilisés par des membres du Hezbollah libanais ont explosé en l’espace d’une demi-heure à travers le Liban et la Syrie.

Des informations disent que les bipeurs ont vibré et montré un message d’erreur sur l’écran. Ils n’auraient explosé que lorsque l’utilisateur a appuyé sur un bouton pour éliminer l’erreur augmentant la probabilité que l’opérateur soit vraiment son propriétaire.

Au moins douze personnes ont été tuées et plus de 2 750 ont été blessées dont certaines gravement. Certaines sources parlent de plus de 600 personnes qui auraient perdu la vue – au moins temporairement. Des civils ont également été atteints.

Mojtaba Amani l’ambassadeur d’Iran au Liban, a été grièvement touché à la tête et aurait perdu un œil après l’explosion du bipeur qu’il portait. Plusieurs membres du personnel de l’ambassade d’Iran ont également été blessés.

Les explosions ont retenti dans de nombreux fiefs du Hezbollah à Beyrouth, dans la vallée de la Bekaa et au Sud-Liban, mais aussi en Syrie où des activistes sont déployés depuis des années en soutien du régime de Bachar el-Assad.

Les hôpitaux ont été submergés de patients dont beaucoup souffrent de blessures au visage, aux mains et au ventre. En réponse, le ministère libanais de la Santé a conseillé aux personnes ayant des bipeurs de s’en débarrasser et a donné pour instruction aux hôpitaux de rester en « alerte élevée ». De son côté, Téhéran a rapatrié nombre de blessés en Iran.

Les bipeurs, bien que relevant d’une technologie ancienne (début des années 2000), sont intéressants sur le plan technique. Le Gold Apollo AR-924 choisi par le Hezbollah pour équiper ses cadres a une autonomie bien supérieure à celle des téléphones portables. Alimenté par de petites piles, il peut fonctionner pendant des semaines sans être rechargé. Cette caractéristique est précieuse dans les zones de conflit ou lors d’opérations prolongées où les ressources sont limitées et où l’accès à l’électricité est rare. Sur le plan sécuritaire, leur fonctionnement repose sur des ondes radio à basses fréquences ce qui les rend moins détectables par les moyens d’interception modernes.

Le Hezbollah aurait acquis quelques 5 000 AR-924 de la société taïwanaise Gold Apollo qui ont été importés au Liban depuis 2022. Les dirigeants de cette firme ont déclaré que ce modèle était assemblé en Hongrie par une société nommée BAC Consulting KFT qui avait obtenu la licence de la marque. Chose étrange, cette société « de conseil » hongroise déclare ne pas assembler de bipeurs et son siège n’est qu’une modeste boîte aux lettres…

Pour le moment, aucune unité de production d’AR-924 n’a été découverte… Les premières investigations laissent entendre que les services israéliens se sont servis de sociétés écran (dont la BAC Consulting KFT) pour développer et importer les bipeurs habilement modifiés.

Même la manière dont ces 5 000 bipeurs sont arrivés au Liban n’est pas connue sauf que cela a eu lieu en plusieurs livraisons. Il n’est pas certain que tous les bipeurs étaient piégés – les premiers livrés en 2022 ont dû être inspectés de près par les services de sécurité du Hezbollah. Ce qui est vérifié, c’est qu’ils étaient la propriété du Hezbollah qui les a distribués à ses cadres – particulièrement intermédiaires – et à des alliés.

L’explosif aurait été installé à côté de la batterie de chaque appareil et un commutateur intégré pour les faire exploser à distance. Les Gold Apollo AR-924 étant des dispositifs programmables, il est techniquement possible de les reprogrammer pour répondre à un signal particulier.

Les talkies-walkies

Le lendemain, une nouvelle vague d’explosions a eu lieu impliquant des centaines de talkies-walkies ICOM V82 qui ont fait a fait au moins neuf morts et plus de 300 blessés dans la banlieue sud de Beyrouth ainsi que dans le sud et l’est du Liban. Des postes radio classiques auraient aussi explosé. Les talkies-walkies ICOM V82 parvenaient au Hezbollah via le Power Group – qui représente la société japonaise de télécommunications ICOM au Liban – et Faza Gostrar, qui prétendait être « le représentant officiel de l’ICOM en Iran ».

Le message adressé aux activistes Hezbollah est clair : « nous pouvons vous frapper n’importe où, n’importe quand, au jour et au moment de notre choix et nous pouvons le faire en appuyant sur un bouton ». Il est peu probable que cela va effrayer les activistes dont l’objectif final est de « connaître le martyre ». Mais cela peut décourager une partie de leurs soutiens tout en créant une véritable psychose sécuritaire.

Les questions sont nombreuses

– Comment les bipeurs ont pu être piégés. Le plus probable est que cela se soit passé au moment de la fabrication mais qui les a vraiment assemblés et où ?

– Pourquoi le Hezbollah pourtant très sourcilleux sur sa sécurité n’a pas détecté le piégeage à la réception des appareils ?

– Même questions pour les talkies-walkies (eux fabriqués au Japon).

– Comment les services israéliens (très vraisemblablement le Mossad chargé des opérations secrètes extérieures) ont procédé pour monter cette méga-opération qui fera école dans l’Histoire de l’espionnage ?

La suite

Dès le début de la guerre à Gaza en octobre 2023, le Hezbollah a ouvert un front à la frontière sud du Liban avec Israël pour soutenir le Hamas. Après des affrontements continus mais sporadiques qui ont entraîné le déplacement de dizaines de milliers d’habitants, cette opération non-conventionnelle lancée par Israël marque un changement de stratégie.

Sans l’évoquer, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a estimé que le « centre de gravité » de la guerre se déplaçait « vers le nord ». Il a précisé : « nous menons nos tâches simultanément » au nord et au sud, et « notre tâche est claire : assurer le retour des habitants du nord sains et saufs chez eux ». Ses propos ont été confirmés par le Premier ministre, Benjamin Netanyahu et le chef d’état-major israélien, le général Herzi Halevi, dans des déclarations séparées. De son côté, le chef de la diplomatie libanaise, Abdallah Bou Habib, a estimé que l’attaque de mardi pourrait être le présage d’une guerre plus large au Moyen-Orient…

Sur le terrain, les bombardements israéliens se sont multipliés au Sud-Liban ciblant des dépôts d’armes et de munitions ainsi que des aires de lancement de missiles et de drones. D’importantes manœuvres terrestre de Tsahal devraient débuter dans le nord d’Israël. C’est une méthode pour dissimuler un déploiement de forces destinées à lancer une offensive mais Israël a des mauvais souvenir de ses interventions précédentes.

À n’en pas douter, le Proche-Orient arrive à un moment clé dont personne ne connaît la suite…

Coup d’éclats par Michel Goya

Coup d’éclats

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 18 septembre 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Un de mes tout premiers souvenirs d’images de guerre à la télévision décrivait un raid héliporté israélien sur Ras Gharib, une base au centre du canal de Suez où les Égyptiens venaient d’installer un grand radar d’alerte P12 fourni par les Soviétiques. Dans la nuit du 26 au 27 septembre 1969, un commando porté par trois hélicoptères lourds Super Frelon s’est posé à proximité, s’est emparé de la position par un assaut, puis a démonté le radar en deux parties accrochées à deux hélicoptères lourds CH-65 Sea Stallion. Le radar a ensuite été ramené en Israël et scrupuleusement étudié avec les Américains. Deux semaines plus tôt, les Israéliens avaient réalisé une opération amphibie à travers le canal pour mener un autre raid, terrestre cette fois, sur le sol africain de l’Égypte, avec une unité blindée équipée à l’égyptienne. Encore avant, et jusqu’au mois de juillet 1970, les Israéliens ont ainsi multiplié les opérations spectaculaires, réussissant même une embuscade contre l’aviation soviétique.

J’étais, comme tout le monde, impressionné par l’imagination et l’audace de cette armée, et c’était bien, outre les effets matériels bien réels contre l’armée égyptienne, un des buts de cette campagne de coups d’éclat. L’extraordinaire sert parfois à cacher l’ordinaire. En pleine Guerre d’usure, ces coups d’éclat étaient en effet un moyen de compenser psychologiquement une difficulté réelle à obtenir des résultats décisifs contre l’Égypte. Ils offraient au public israélien des victoires médiatisables dans un conflit qui n’était qu’une multitude de petits coups : frappes d’artillerie et petites attaques d’un côté, frappes aériennes de l’autre, donnant l’impression que la balance penchait du côté d’Israël. Élément important : tous ces coups d’éclat, spectaculaires mais non décisifs, ont précédé et accompagné une vaste campagne aérienne sur le Nil, censée imposer sa volonté à Nasser, mais qui a finalement échoué.

La guerre d’usure en cours entre Israël et le Hezbollah depuis le 8 octobre 2023 présente de nombreuses analogies avec la guerre d’usure de 1969-1970, la frontière libanaise remplaçant le canal de Suez, avec un niveau de violence pour l’instant encore très inférieur. D’un côté, le Hezbollah utilise ses roquettes à courte portée et ses missiles antichars comme artillerie – 7 560 projectiles lancés à ce jour – afin de harceler les positions de l’armée israélienne et de menacer la vie des habitants du nord d’Israël pour les obliger à fuir. Comme les autres groupes armés de la « ceinture de feu » autour d’Israël, le Hezbollah fait acte de solidarité avec le Hamas et répond aux attaques israéliennes qui, elles-mêmes, répondent aux attaques du Hezbollah, mais l’organisation, tout comme l’Iran d’ailleurs, ne veut clairement pas franchir de sa propre initiative le seuil de la guerre ouverte et à grande échelle.

À cet effet, et contrairement à l’armée égyptienne en 1969, le Hezbollah n’a pas engagé son infanterie légère ni ses commandos à l’assaut de la frontière, ni utilisé son arsenal de frappes à longue portée. Il ne veut pas non plus provoquer trop de pertes civiles afin de ne pas donner un prétexte à une offensive israélienne. On est sans doute passé près après la frappe sur le village druze de Majdal Shams le 27 juillet dernier, qui a provoqué la mort de 12 enfants, un résultat que le Hezbollah ne souhaitait pas, et une riposte israélienne douloureuse pour le Hezbollah, avec un ciblage précis au cœur de Beyrouth et la mort de Fouad Chokr, un très haut responsable de l’organisation. Le lendemain, 31 juillet, c’était au tour d’Ismaël Haniyeh, numéro 1 du Hamas, d’être tué, un coup d’éclat encore plus spectaculaire puisqu’il s’est déroulé au cœur de Téhéran. Depuis, l’Iran et le Hezbollah ne cessent d’agiter le spectre de la vengeance, mais ne font rien d’important.

De son côté, comme en 1969, Israël utilise sa force aérienne pour mener des actions de « contre-batterie » et frapper les cibles d’opportunité qui se présentent. Jusqu’à hier, cette « guerre sous la guerre » a provoqué la mort de 50 Israéliens, en grande majorité des soldats, et le départ de 68 500 civils du nord d’Israël (chiffres de l’Institute for National Security Studies, Israël), tandis que 450 membres du Hezbollah et leurs alliés ont été tués, ainsi que 137 civils, et 113 000 Libanais ont été chassés de chez eux.

Hier, les Israéliens, unité 8-200 du renseignement militaire ou, plus probablement, le Mossad, ont prolongé la campagne de coups d’éclat initiée à Téhéran avec une opération inédite : le sabotage simultané de peut-être 4 000 bipeurs, Apollo AR-924 pour être précis, importés de Taïwan afin de constituer le réseau de communications des cadres du Hezbollah. On ignore encore comment les Israéliens, qui n’ont pas revendiqué l’attaque, ont procédé dans ce scénario digne d’un thriller ou d’un film d’espionnage. Les deux hypothèses évoquées donnent le vertige. D’un côté, on pense à un logiciel malveillant (malware) ayant provoqué, après un signal à distance, la surchauffe simultanée de tous les appareils et l’explosion de leur batterie au lithium. Cela signifierait, au bout du compte, que tous les objets électroniques fonctionnant avec ce type de batterie, c’est-à-dire à peu près tous, sont vulnérables à une intrusion. De l’autre, on imagine la manipulation de toute la cargaison destinée au Hezbollah, avec l’introduction d’un petit patch d’explosif stable, et donc non pas le PETN (tétranitrate de pentaérythritol) évoqué par Sky News Arabia, et un flamware provoquant son explosion à partir d’un code. En soi, ce n’est pas très compliqué, et il y a déjà de nombreux exemples de téléphones piégés de la sorte, mais pas à l’échelle de plusieurs milliers d’objets. Il est probable que les Israéliens ont eu le contrôle de toute la cargaison de bipeurs et autres à un moment donné de la chaîne d’approvisionnement, peut-être même dès l’origine via le contrôle d’une entreprise hongroise. 

Dans tous les cas, la sophistication de l’attaque est assez bluffante, mais ce qui est important, c’est qu’elle ait réussi, puisque plusieurs milliers de cadres du Hezbollah et ceux qui étaient à proximité de l’explosion ont été blessés, parfois très gravement par les éclats, et même tués pour certains d’entre eux, onze au total dont deux enfants.

Première conséquence : les services de renseignement et clandestins redorent leur blason par une opération magistrale qui fait oublier leur échec indéniable du 7 octobre 2023, une attaque horrible dans ses effets, mais parfaitement organisée par le Hamas. Admiratifs, on tend aussi à oublier toutes les facettes sombres de l’opération Épées de fer, tout comme les raids commandos sur le canal de Suez faisaient oublier que la guerre ne se passait pas très bien.

Seconde conséquence, très concrète cette fois : une partie de la structure de commandement du Hezbollah se trouve paralysée, matériellement avec la disparition de son réseau paradoxalement censé être protégé par sa rusticité, mais surtout humainement. L’organisation se retrouve donc provisoirement en situation de vulnérabilité. On peut donc déjà se demander s’il s’agit d’un coup israélien isolé, profitant d’une opportunité, ou s’il s’agit d’une salve de neutralisation préalable au « changement radical à la frontière nord » annoncé par Benjamin Netanyahu il y a quelques jours.

Dans l’immédiat, tout en pansant ses plaies, le Hezbollah va très certainement lancer une enquête interne de sécurité pour comprendre ce qui a pu se passer et y remédier, ce qui pourrait se traduire par la recherche de traîtres et une purge, doublant ainsi les effets de l’attaque. Surtout, Hassan Nasrallah se retrouve une nouvelle fois devant un triple choix compliqué : céder aux exigences israéliennes en arrêtant toute attaque et même en retirant ses troupes du sud du Litani ; franchir le seuil de la guerre ouverte en lançant son arsenal à longue portée et en attaquant la frontière avec son infanterie ; ou continuer la petite guerre. L’humiliation du premier choix et la folie du second poussent forcément, depuis le début, Hassan Nasrallah à préférer prendre des coups sans trop broncher, mais sans rien céder.

Le gouvernement israélien considère de son côté avoir pratiquement terminé l’opération à Gaza, puisque le Hamas a été détruit tactiquement et que le territoire est désormais verrouillé et cloisonné par deux corridors. Les 98e et 36e divisions sont prêtes à être engagées au nord, ainsi que la totalité des forces aériennes et navales. Tout est prêt pour attaquer au Liban.

Lui aussi est confronté à un choix difficile : soit tout arrêter pour proposer un retour à la situation de paix méfiante d’avant le 7 octobre 2023, soit franchir le seuil de la guerre ouverte pour détruire autant que possible la menace du Hezbollah, soit continuer comme cela. La différence avec le Hezbollah est que tout pousse plutôt à choisir la première ou la dernière solution, mais pas à continuer ainsi. Bien que l’engagement à Gaza n’ait suscité aucune contestation, sinon sur la manière dont il a été conduit, une nouvelle guerre est jugée par beaucoup comme une aventure dangereuse, tandis que la libération des otages de Gaza devrait être la nouvelle priorité. D’un autre côté, la pression des émigrants du nord est très forte pour mettre fin à cette situation, et Benjamin Netanyahu a visiblement envie de continuer à jouer la carte de la tempête sous prétexte qu’il est capitaine à bord. Il bénéficiera de l’appui d’une bonne partie du complexe politico-militaire qui considère qu’il faut saisir l’occasion pour en finir avec la capacité offensive du Hezbollah après avoir détruit celle du Hamas. 

Le brillant de l’« opération Bipeurs » masque peut-être un embarras israélien et le souhait de faire sortir le Hezbollah de la ligne du milieu afin soit de clamer victoire, soit de proclamer une nouvelle guerre défensive. Constatant que les spectaculaires coups d’éclat de 1969 n’avaient finalement rien changé à l’attitude égyptienne et refusant évidemment de céder, les Israéliens s’étaient alors lancés dans une campagne de bombardement du Caire. Quelques mois plus tard, ils affrontaient les Soviétiques.

Israël a réussi à cacher des explosifs dans les bipeurs du Hezbollah, selon le «New York Times»

Israël a réussi à cacher des explosifs dans les bipeurs du Hezbollah, selon le «New York Times»

Les bipeurs qui ont explosé mardi 17 septembre au Liban ont été piégés en amont par l’État hébreu qui a réussi à les intercepter avant leur livraison au mouvement chiite libanais, affirme le quotidien américain en s’appuyant sur plusieurs sources. L’attaque sans précédent a fait neuf morts et près de 2 800 blessés.

Les services israéliens ont réussi à insérer quelques dizaines de grammes de matériel explosif avec un déclencheur à côté de la batterie des bipeurs qui ont explosé, selon le «New York Times».
Les services israéliens ont réussi à insérer quelques dizaines de grammes de matériel explosif avec un déclencheur à côté de la batterie des bipeurs qui ont explosé, selon le «New York Times». © Mohamed Azakir / Reuters

Des responsables américains et de plusieurs autres nationalités affirment au New York Times qu’Israël est parvenu à cacher des petits explosifs dans des bipeurs achetés par le Hezbollah à Taïwan et les a déclenchés à distance mardi 17 septembre, tuant 9 personnes et faisant près de 2 800 blessés. Ces sources, qui s’expriment sous le couvert de l’anonymat, ont donné au quotidien américain des détails sur cette opération sans précédent, attribuée par le mouvement islamiste libanais à Israël.

Les petits appareils, du fabricant Gold Apollo à Taïwan, ont été interceptés par les services israéliens avant leur arrivée au Liban, selon ces responsables dont les nationalités ne sont pas détaillées. Quelques dizaines de grammes de matériel explosif ont été insérés à côté de la batterie avec un déclencheur, précise le quotidien.

Réagissant à ces informations, l’entreprise taïwanaise Gold Apollo a démenti mercredi avoir fabriqué les bipeurs. « Ce ne sont pas nos produits (…) Ce ne sont pas nos produits du début à la fin », a affirmé le directeur de l’entreprise, Hsu Chin-kuang, à des journalistes à Taipei. Gold Apollo a assuré que les bipeurs portant sa marque ont été produits et vendus par son partenaire hongrois BAC. « En vertu d’un accord de coopération, nous autorisons BAC à utiliser notre marque pour la vente de produits dans certaines régions, mais la conception et la fabrication des produits sont de l’unique responsabilité de BAC », a indiqué l’entreprise dans un communiqué Gold Apollo, démentant les informations du New York Times selon lesquelles le groupe taïwanais avait lui-même fabriqué les bipeurs.

Des appareils « piratés à la source »

À 15h30 mardi au Liban, un message apparaissant comme venant de la direction du Hezbollah a fait biper l’appareil pendant plusieurs secondes avant de déclencher l’explosif, selon le quotidien américain, citant toujours plusieurs sources anonymes. Plus de 3 000 exemplaires, essentiellement du modèle AP924, ont été commandés par le Hezbollah à l’entreprise Gold Apollo de Taïwan, affirment ces sources. Les informations du quotidien américain vont dans le sens de la théorie, avancée mardi par plusieurs experts, selon laquelle les services israéliens seraient parvenus à infiltrer la chaîne logistique du Hezbollah pour planifier cette attaque.

Une source proche du mouvement avait indiqué plus tôt à l’AFP que « les bipeurs qui ont explosé concernent une cargaison de 1 000 appareils récemment importée par le Hezbollah », qui semblaient selon lui avoir été « piratés à la source ».

ANALYSE – Nouvelle tentative d’assassinat de Donald Trump


Tentative d'assassinat contre Donald Trump
Donald “John Wick” Trump attire-t-il l les balles ? Photomontage de l’affiche du film John Wick 2. (c) 87Eleven Productions/TIK Films

Par Alain Rodier – Directeur de recherche au Cf2R

Note d’actualité N°651 du Cf2R – Septembre 2024

ANALYSE – Nouvelle tentative d’assassinat de Donald Trump

Dimanche, alors que Donald Trump effectuait un parcours de golf à West Palm Beach, des coups de feu ont retenti. Un agent du service secret chargé de sa protection qui se trouvait un trou en avance sur le parcours a repéré un suspect situé à moins de 400 mètres au niveau de la clôture grillagée du terrain. Distinguant une arme, il a ouvert le feu à plusieurs reprises dans sa direction.

L’homme s’est enfui abandonnant sur place un fusil d’assaut de type AK-47 et, accrochés à la clôture, deux sacs à dos remplis de morceaux de carrelage et une caméra Go-Pro. Il est vraisemblable que les sacs devaient protéger le sniper des tirs adverses et la caméra filmer la scène. Pour un bon tireur, la version civile de l’AK-47 équipée d’une lunette est efficace pour un tir de précision allant jusqu’à 450 mètres.

Le numéro d’immatriculation du véhicule noir de marque Nissan du fuyard ayant été relevé par un civil, il a été arrêté sur l’I-95, à 70 kilomètres du golf, par la police locale.

Le suspect serait Ryan Wesley Routh, un homme de 58 ans originaire d’Hawaii très concerné par la guerre en Ukraine. Sur les réseaux sociaux où il ne semble plus actif depuis plusieurs semaines, Routh plaide pour un soutien militaire à l’Ukraine et se dit même prêt à aller se « battre » et « mourir » pour Kiev.

Dans une interview accordée à Newsweek Romania en juin 2022, il était présenté comme un « recruteur » pour la « légion internationale » qui se bat aux côtés de l’armée de l’armée ukrainienne.

Sur son compte X, rendu inaccessible dans la nuit de dimanche à lundi, il a également partagé le lien du site internet de la « légion étrangère de Taïwan » dont il semble être le responsable. Il invite toute personne souhaitant se battre pour l’île à le rejoindre. Dans un autre post sur X en 2020, il indiquait avoir voté pour Donald Trump en 2016 mais il avait ensuite déclaré : « Nous avons tous été très déçus et il semble que vous êtes de pire en pire. Êtes-vous retardé ? Je serai content quand vous ne serez plus là ».

Ryan Wesley Routh vivait ces dernières années à Hawaï. En 2012, il s’était inscrit sur les listes électorales de Caroline du Nord. Dans cet État de l’est des Etats-Unis où les citoyens peuvent rendre publique leur affiliation politique, Ryan Wesley Routh avait décidé de ne pas choisir entre la mention « républicain » ou « démocrate ». Mais lors des primaires de 2020, il aurait fait plusieurs petits dons (entre 1 et 25 dollars) à plusieurs candidats du Parti démocrate.

Entre 2001 et 2010, il s’est fait connaitre de la police de Caroline du Nord principalement pour des infractions au code de la route et pour la possession de biens volés. En 2002, il a également été arrêté pour « possession d’armes de destruction massive » car il détenait une mitrailleuse.

Le Président Joe Biden et la vice-Présidente Kamala Harris ont été informés de l’incident. « Ils sont soulagés de savoir qu’il est en sécurité. Ils seront tenus régulièrement au courant jour par leur équipe », a déclaré la Maison Blanche.

Dans une déclaration, Biden a déclaré : « Je suis soulagé que l’ancien Président ne soit pas blessé. Il y a une enquête active sur cet incident car les forces de l’ordre recueillent davantage de détails sur ce qui s’est passé. Comme je l’ai dit à maintes reprises, il n’y a pas de place pour la violence politique ou pour une quelconque violence dans notre pays, et j’ai demandé à mon équipe de continuer à veiller à ce que les services secrets disposent de toutes les ressources, de toutes les capacités et de toutes les mesures de protection nécessaires pour assurer la sécurité continue de l’ancien président ».

La vice-présidente a quant à elle publié sur X : « J’ai été informée des informations faisant état de tirs par balles près de l’ancien président Trump et de ses biens en Floride, et je suis heureuse qu’il soit en sécurité. La violence n’a pas sa place en Amérique. »

Rappelons que Trump avait miraculeusement survécu à une tentative d’assassinat en juillet dernier lors d’un rassemblement à Butler. Un participant à la manifestation avait été tué ainsi que le tireur. La directrice du Secret Service, Kimberly Cheatle, avait dû démissionner pour les « failles » dans la sécurité.

Comment les pompiers se préparent aux risques biologiques atypiques

Comment les pompiers se préparent aux risques biologiques atypiques

par Morgan Meyer, Mines Paris – PSLRevue Conflits – publié le 12 septembre 2024


Un colis contenant une poudre suspecte, une personne soupçonnée d’avoir la maladie d’Ebola, un attentat biologique… Les sapeurs-pompiers doivent être préparés à de tels risques biologiques atypiques.

Mais contrairement aux risques biologiques courants, comme la grippe saisonnière (qui peut être dangereuse, mais pour laquelle des vaccins et des traitements existent), les risques biologiques atypiques sont rares. Comment, alors, se préparer à de tels risques – qu’ils soient naturels, volontaires ou accidentels ?

Se former aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques

Se préparer et s’entraîner pour faire face à un acte de bioterrorisme ou à un cas d’Ebola ne va pas de soi. Au niveau gouvernemental, le plan Biotox, qui fait partie du plan Vigipirate, définit les actions à mener dans le cas d’une suspicion ou d’un acte de bioterrorisme (mesures sanitaires, prévention, surveillance, alerte, etc.).

Pour se préparer concrètement au risque biologique, les pompiers peuvent se former aux risques « NRBC » (les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques). Toutefois, le risque biologique est actuellement défini comme une sous-catégorie du risque chimique dans ces formations. « Le risque biologique […] ne fait pas l’objet de formations dédiées » explique un groupe de pompiers dans un article récent.

Dans cette publication, les pompiers estiment que malgré leurs formations, il y a toujours un « manque de connaissances […] corrélé à la difficulté de perception du risque et à l’absence de doctrines ». Ceci rend difficile l’identification d’un risque biologique.

Un projet franco-allemand incluant scientifiques et pompiers

Comment peut-on détecter la présence d’un virus ou d’une bactérie ? Comment décontaminer des surfaces potentiellement contaminées par ces derniers ? Comment rendre opérationnels sur le terrain les gestes et procédures à suivre pour faire face au risque biologique ?

Ces questions sont au cœur d’un vaste projet franco-allemand intitulé Mesures de décontamination visant à restaurer les installations et l’environnement après une libération naturelle ou volontaire de microorganismes pathogènes. Le projet ne rassemble pas seulement des scientifiques de différentes disciplines, comme des biologistes et des sociologues, mais aussi, et surtout, il intègre les primo-intervenants : les sapeurs-pompiers.

Le scénario d’un cas d’Ebola en juillet 2024, durant les JO…

Pour se préparer aux risques biologiques, les pompiers peuvent mobiliser un allié utile : les scénarios. Dans le cadre du projet mentionné, j’ai pu suivre la genèse d’un tel scénario et pu l’observer en action. Le script du scénario est le suivant :

On est à l’été 2024, les Jeux olympiques ont lieu et il y a un pic d’Ebola dans certains pays. Comme le risque d’attentats est important et que les feux de forêts sont plus fréquents en été, les pompiers français sont épaulés par leurs collègues allemands.

Le 31 juillet 2024, l’aéroport de Marseille alerte les pompiers, car le passager d’un vol Paris-Marseille présente des symptômes sévères de fièvre hémorragique. On suppose qu’il a contracté la maladie d’Ebola. S’en suit toute une chaîne d’opérations faisant intervenir les sapeurs-pompiers français et allemands : prise en charge et évacuation de la victime dans un sarcophage, sécurisation de la zone d’intervention, détection de l’agent biologique, décontamination de différentes surfaces…

Un pompier recouvert d’une combinaison nettoie un camion en l’aspergeant d’une substance blanche.
La décontamination d’une ambulance.
Maria Viola Zinna

Un exercice sur le terrain, bien loin des imaginaires des films

Entre le scénario version papier et le scénario grandeur nature qui s’est déroulé sous mes yeux, l’écart fut important. Le scénario a dû être adapté aux réalités du Centre de formation des sapeurs-pompiers des Bouches-du-Rhône, situé à Velaux, où l’exercice final s’est déroulé le 1er mars 2024.

Pas d’aéroport, pas d’avions, pas d’hôpital en vue. Au lieu de cela, une version recomposée et réduite de cette réalité, avec une ambulance, une victime jouée par un sapeur-pompier, des tentes et différents équipements. Au lieu du virus d’Ebola, des chercheurs de l’Institut Pasteur ont déposé un virus inoffensif pour l’humain.

On est loin de la scénarisation du risque biologique dans la culture populaire (comme dans les films L’armée des 12 singes ou 28 Jours plus tard ou le jeu vidéo Resident Evil). Dans le scénario élaboré par les pompiers, il n’y a pas de héros, pas de société entière à sauver, pas de personnes malveillantes qui relâchent des microorganismes.


Exercice simulant un risque biologique (cas d’Ebola), 1ermars 2024, Centre de formation des sapeurs-pompiers des Bouches-du-Rhône.


Transformer l’urgence en une « caractéristique normale de la vie »

Mises à part ces adaptations, les pompiers ont toutefois « joué le jeu ». Ils et elles ont réalisé le zonage pour sécuriser un certain périmètre, ont enfilé leurs combinaisons de protection et ont fait des prélèvements (voir la vidéo ci-dessus). Pour décontaminer, ils ont testé une nouvelle mousse de décontamination développée par le CEA avec un partenaire industriel.

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L’exercice a permis de normaliser et d’anticiper le risque biologique car, de façon générale, ce type d’exercices transforme l’urgence comme intervalle et « champ d’action distinct » en une « caractéristique normale de la vie […] qu’il faut anticiper et à laquelle il faut se préparer ».

Ce faisant, l’exercice présente l’avantage de combiner deux types de savoirs : les savoirs théoriques, transmis lors de formations et via des textes comme le Guide national de référence risques chimiques et biologiques, et les savoirs tacites qu’il faut apprendre « sur le tas », comme la maîtrise d’équipements techniques ainsi que le fait de savoir mettre et enlever une combinaison.

Du réel et du fictif

Trois choses m’ont surpris pendant mes observations. Premièrement, l’exercice était à la fois réel et fictif. Réel, car il s’agissait de vrais pompiers manipulant et testant de vrais équipements, tout en prenant l’exercice très au sérieux.

Mais l’exercice était aussi fictif, car le virus présent était inoffensif et l’aéroport de Marseille réduit à un élément discursif. L’exercice présentait une version réduite et simplifiée du scénario – une « version de l’urgence », pour reprendre les termes de deux géographes.

Tous les éléments étaient préconfigurés et disciplinés, sauf un : le vent. Ce dernier a partiellement détruit une tente et a rendu le zonage difficile. « S’il y a du vent, comme aujourd’hui, il peut être difficile d’installer le zonage. Mais le vent c’est le chef, il faut donc s’adapter », expliquait la capitaine Diane Borselli au public. Même lors d’un exercice dans un centre de formation, l’imprévisible et la nature peuvent faire irruption.

Trois pompiers sont en combinaison de protection. L’un des trois est en train d’aider un autre à enlever sa combinaison.
Le déshabillage en « peau de lapin ».
Maria Viola Zinna

Quand la rapidité des gestes d’intervention côtoie la lenteur du déshabillage

Deuxièmement, les gestes des pompiers étaient maîtrisés et rapides. L’organisation était quasiment militaire. Tous les gestes étaient rapides, sauf les gestes pour enlever les combinaisons de protection.

Comparé aux autres gestes, on avait l’impression d’assister à une scène au ralenti. La raison de cette « lenteur » ? Afin d’enlever une combinaison potentiellement contaminée, il faut l’enlever en « peau de lapin », c’est-à-dire en déroulant délicatement la combinaison de l’intérieur vers l’extérieur.

Dernière surprise, dans mes observations, très peu d’éléments se rapportent à la culture du risque, l’identité sociale et la psychologie des pompiers.

En effet, les préoccupations traditionnellement mises en avant dans les travaux en sciences humaines et sociales sur les pompiers n’étaient que peu perceptibles durant l’exercice. Car pour se préparer aux risques biologiques atypiques, les pompiers se posent une question, elle aussi, atypique : Comment construire une fiction réaliste et comment s’équiper et s’entraîner pour y faire face ?


Le programme « Mesures de décontamination visant à restaurer les installations et l’environnement après une libération naturelle ou volontaire de microorganismes pathogènes – DEFERM » est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

Morgan Meyer, Directeur de recherche CNRS, sociologue, Mines Paris – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.