Attaque dans la Pendjari : comment le Bénin résistera à la poussée djihadiste 

Attaque dans la Pendjari : comment le Bénin résistera à la poussée djihadiste

par Pierre d’Herbès – Revue Conflits – publié le 11 janvier 2025

https://www.revueconflits.com/attaque-dans-la-pendjari-comment-le-benin-resistera-a-la-poussee-djihadiste/


Coup de tonnerre dans le Sahel, dans la zone trifrontalière (Burkina Faso, Niger, Bénin), après l’attaque, mercredi 8 janvier, d’un site militaire béninois par des djihadistes. La violence du combat accrédite la persistance de la pression djihadiste importée depuis le Burkina-Faso et le Niger. Si pour de nombreuses raisons, il n’y a pas de risque de déstabilisation du pays, la menace est prise très au sérieux par Porto-Novo.

Difficile de ne pas voir dans cette attaque la conséquence directe de la dégradation sécuritaire totale dans les pays de l’AES (Mali, Niger, Burkina-Faso). Les groupes armés, terroristes ou non, y circulent désormais librement ou presque, au nez et à la barbe des forces de défenses locales et des mercenaires russes. Dorénavant confinés dans les grandes métropoles — par ailleurs de moins en moins sûres – les juntes nigériennes, burkinabés et maliennes font subir l’indigence de leur politique à leurs voisins, dont les pays du golfe de Guinée.

La confrontation entre les Djihadistes et les Forces armées Béninoises (FAB) se situe en effet au cœur du parc de la Pendjari, dans la région trifrontalière avec… le Niger et le Burkina-Faso. Comme toutes les agressions contre le Bénin depuis 2021, les attaques des groupes armés djihadistes sont importés. Ces derniers ne sont pas parvenus à s’ancrer dans les populations locales. À ce stade, pour ces groupes armés, la région joue surtout un rôle de base arrière ou de zone de transit pour leurs trafics (or, armes, stupéfiants, etc). Pour autant, les autorités locales sont bien conscientes du caractère métastatique de leur présence ; d’où une riposte musclée via le redéploiement des FAB dans le nord du territoire et le lancement de l’opération anti-terroriste Mirador.

Réarmement général

Face à la multiplication des attaques depuis 2021, le gouvernement béninois a considérablement renforcé sa stratégie de défense, initiée dès 2017-2018 par une politique de réarmement ambitieuse. Cette montée en puissance s’inscrit dans une réponse globale à la menace djihadiste, devenue pressante dans les zones frontalières avec le Burkina Faso et le Niger. Ainsi, les effectifs des Forces armées béninoises (FAB) ont augmenté de manière significative, passant de 7 500 hommes en 2022 à 12 300 en 2024[1], tandis que le budget de défense a bondi de 60 milliards à 90 milliards de FCFA (environ 130 millions d’euros) sur la même période, avec une projection de hausse supplémentaire de 18 % pour 2025.

Cette montée en puissance s’accompagne d’achats de matériels tels que des véhicules blindés, des drones, des hélicoptères, la modernisation des capacités de renseignement aérien, etc. De nombreux opérateurs français, comme Delair pour les drones, participent à cet effort. En 2023, la France a également fourni au Bénin 26 véhicules blindés de transport de troupe VAB, des protections balistiques et d’autres équipements essentiels. Des contributions similaires de la Chine et des États-Unis permettent de diversifier et d’enrichir les capacités opérationnelles des FAB.

Enfin, le renforcement des capacités des FAB s’accompagne de partenariats internationaux. Des formations assurées par des instructeurs français et américains, ainsi que par des sociétés privées comme Amentum, visent à professionnaliser les nouvelles recrues et à optimiser l’utilisation des matériels sophistiqués récemment acquis. De plus, un contingent rwandais est attendu pour appuyer la Garde nationale, une unité d’élite anti-terroriste récemment créée​. La consolidation de l’appui de la France est appréciée, à tel point que Paris est désormais considéré comme un “partenaire stratégique”.

Mirador veille

L’opération Mirador, lancée en 2021, représente la réponse opérative du Bénin à la menace. Destinée à sécuriser les zones sensibles du nord du pays, elle déploie environ 3 000 soldats dans des zones clefs telles que le parc de la Pendjari et ses environs. Les FAB y ont fortifié des positions stratégiques comme Porga et Koualou, depuis lesquelles elles patrouillent et interceptent et neutralisent les infiltrations djihadistes. Objectif : maintenir une pression sur les groupes armés afin d’empêcher leur implantation durable sur le territoire. Comme le soulignait au Monde le colonel Raoufou Assouma, commandant du groupe tactique interarmées du fuseau ouest : « (…) notre mission n’est pas d’attendre que la menace arrive, il faut aller la débusquer et la neutraliser là où elle se trouve ».

En parallèle, depuis leur arrivée en 2020, les Rangers d’African Parks Network (APN) jouent un rôle déterminant dans la gestion des parcs de la Pendjari et du W. Bien que leur mission première soit la préservation de la biodiversité, les Rangers sont désormais en première ligne face aux incursions terroristes. Armés et formés à intervenir dans des environnements difficiles, ils effectuent des patrouilles de jour comme de nuit et utilisent des moyens technologiques avancés pour surveiller les zones sensibles. Lorsqu’une menace est identifiée, les informations sont immédiatement transmises aux FAB, ce qui permet des interventions rapides et ciblées​.

Tenir la distance

L’attaque du 8 janvier montre que la détermination des GAT n’a pas diminuée. Dans cette optique, le dispositif béninois garde toute sa pertinence et se renforce tous les ans. Le partenariat stratégique avec la France, pour la formation et la modernisation des FAB va donc s’avérer d’autant plus crucial dans la durée.

Quid des risques de contamination “interne” par les GAT ? Les tensions ethno-sociales sont en effet un terreau qu’ils exploitent systématiquement dans tout le Sahel. En 2022, le porte-parole du gouvernement déclarait :“Le Bénin n’a pas attendu le phénomène djihadiste pour moderniser les pratiques agropastorales, même si ce phénomène nous conforte à poursuivre nos efforts”. Le gouvernement a depuis intégré les volets socio-économiques et des relations inter-communautaires à leur stratégie. Le processus sera nécessairement long, mais de facto, on n’observe toujours pas de recrutement des GAT à l’intérieur des frontières du Bénin.

La riposte va s’ancrer dans la durée puisque le chaos régional et l’effondrement en cours des pays de l’AES profite directement aux groupes armés et favorise mécaniquement leur poussée vers le golfe de Guinée. En face, le Bénin est armé pour y riposter.

[1] IISS, Military Balance 2024

Un rapport met en garde contre un possible conflit entre Israël et la Turquie

Un rapport met en garde contre un possible conflit entre Israël et la Turquie

https://www.opex360.com/2025/01/07/un-rapport-met-en-garde-contre-un-possible-conflit-entre-israel-et-la-turquie/


Le 6 janvier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a mis en garde contre toute partition de la Syrie, où Ahmad el-Chareh [alias Abou Mohammed al-Joulani], le chef de l’organisation Hayat Tahrir al-Cham [HTS, ex-Front al-Nosra, autrefois lié à al-Qaïda], a pris le pouvoir avec l’appui de groupes armés pro-turcs réunis au sein de l’Armée nationale syrienne.

« Nous ne pouvons permettre sous aucun prétexte que la Syrie soit divisée et si nous constatons le moindre risque nous prendrons rapidement les mesures nécessaires. […] Nous en avons les moyens », a en effet déclaré M. Erdogan.

A priori, cet avertissement concerne les Forces démocratiques syriennes [FDS], constituées essentiellement de combattant kurdes qu’Ankara accuse d’être en relation avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], considéré comme étant une formation terroriste. Et, au-delà, aux États-Unis, qui les soutiennent.

« Il n’y a pas de place pour la terreur et ceux qui soutiennent le terrorisme seront enterrés avec leurs armes », a précisé le président turc. « Si le risque se précise, nous pouvons intervenir soudainement, en une nuit », a-t-il ajouté, reprenant ainsi l’une de ses formules usuelles. « Nous en avons la capacité », a-t-il insisté.

Cette déclaration a été faite alors que des affrontements entre les combattants kurdes syriens et les groupes armés affiliés à Ankara venaient de faire une centaine de tués dans les environs de la ville de Manbij.

Cela étant, la mise en garde de M. Erdogan pourrait aussi s’adresser à Israël qui, à la suite de la chute du régime de Bachar el-Assad, a lancé une incursion armée dans la partie syrienne du plateau du Golan. Or, pour le moment, les intentions israéliennes demeurent floues.

Il s’agit d’une « mesure limitée et temporaire prise pour des raisons de sécurité », avait assuré Gideo Saar, le ministre des Affaires étrangères de l’État hébreu. Sauf que, de son côté, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou a promis que le « Golan ferait parti de l’État d’Israël pour l’éternité ».

Quoi qu’il en soit, cette incursion ne va pas améliorer les relations entre Israël et la Turquie, celles-ci étant à couteaux tirés depuis que M. Erdogan a menacé d’intervenir contre Tsahal, en juillet dernier.

« Nous devons être très forts pour qu’Israël ne puisse pas faire ces choses ridicules à la Palestine. Tout comme nous sommes entrés au Karabakh, tout comme nous sommes entrés en Libye, nous pourrions faire la même chose. Il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas le faire… Nous devons être forts pour pouvoir prendre ces mesures », avait-il affirmé, lors d’une réunion de l’AKP, le parti dont il est issu. En clair, il suggérait l’envoi de mercenaires, recrutés parmi les groupes rebelles syriens alignés sur les intérêts turcs.

Visiblement, les propos de M. Erdogan ont été pris au sérieux par la commission Nagel, laquelle réunit douze experts des questions militaires et sécuritaires [dont l’ex-général Jacob Nagel, qui lui a donné son nom]. Sa mission est de conseiller le gouvernement israélien en formulant des recommandations sur les orientations en matière de défense.

Ainsi, dans le dernier rapport sur le budget de la défense et la stratégie de sécurité qu’elle a remis le 6 janvier, et selon le résumé qu’en a fait le Jerusalem Post, la commission Nagel estime qu’Israël doit se préparer à une « confrontation directe avec la Turquie ».

« L’ambition de la Turquie de restaurer l’influence qu’elle avait à l’époque ottomane pourrait conduire à des tensions accrues avec Israël, ce qui pourrait dégénérer en conflit », estime la commission Nagel. En outre, le fait qu’il y ait des factions syriennes alignées sur Ankara est de nature à « créer une menace nouvelle et puissante pour la sécurité d’Israël ». Une menace qui pourrait même être encore « plus dangereuse » que celle incarnée par l’Iran.

Aussi, la commission Nagel recommande d’augmenter le budget de la défense de 15 milliards de shekels [3,98 milliards d’euros] par an au cours des cinq prochaines années afin de s’assurer que les forces israéliennes « soient équipées pour faire face aux défis posés par la Turquie et à d’autres menaces régionales ».

Gulmurod Khalimov et Shamsud-din Jabbar : de l’armée au djihad

Gulmurod Khalimov et Shamsud-din Jabbar : de l’armée au djihad

par David GAÜZERE* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°670 / janvier 2025

https://cf2r.org/actualite/gulmurod-khalimov-et-shamsud-din-jabbar-de-larmee-au-djihad/

*Docteur en géographie, président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

Personne n’a vu venir Khalimov ; Jabbar, non plus.

Une fois de plus, par simple hostilité chronique et aveugle, faute d’une coopération insuffisante en matière militaire et de renseignement, les mondes russophone et occidental n’ont pu empêcher le départ de hauts-gradés de leur armée nationale vers l’Organisation État islamique (OEI).

L’attentat terroriste du 1er janvier 2025 à La Nouvelle-Orléans[1], commis par Shamsud-Din Jabbar, un ancien sergent-chef de l’armée américaine, auparavant distingué pour sa bravoure dans le combat contre le terrorisme islamiste en Afghanistan, rappelle dix ans plus tard la défection du colonel tadjik Gulmurod Khalimov, ancien commandant des OMON[2] du Tadjikistan, auparavant lui aussi passé un bref instant en stage dans l’armée américaine, dans le cadre de la lutte anti-terroriste, puis par la société militaire privée (SMP) américaine Blackwater.

Khalimov et Jabbar se connaissaient-ils ? Nous ne pourrons jamais obtenir de réponse à cette question. Pourtant, issus de parties différentes du monde, Khalimov et Djabbar présentaient, outre l’adhésion à la cause djihadiste, de nombreuses similitudes dans leur parcours professionnel et leur processus de radicalisation.

Il serait désormais temps que les États visés par le terrorisme oublient un instant leurs divergences pour analyser les causes, les processus et les effets communs ayant conduit des militaires entrainés à passer au service du djihad (dont les deux protagonistes cités sont l’image éclatante), apportant leur expérience à la cause islamiste et menaçant nos sociétés. Une coopération militaire internationale sur cette question est un enjeu vital pour la préservation de l’ensemble de nos sociétés contre les actions terroristes, qu’il s’agisse d’actes individuels ou collectifs.

 

Gulmurod Khalimov

Gulmurod Khalimov est né dans la région de Varzob au centre du Tadjikistan en 1975. Pendant la guerre civile dans son pays, il a combattu aux côtés du Front populaire du Tadjikistan (forces armées du président Emomali Rakhmon) et a servi dans la garde présidentielle.

A partir de 1997, il rejoint la police anti-émeute du ministère de l’Intérieur en tant que soldat ordinaire. Il reçoit de nombreuses récompenses d’État, devient tireur d’élite, grimpe tous les échelons, est diplômé de l’Académie supérieure du ministère de l’Intérieur du Tadjikistan et atteint le grade de colonel. En 2003, il effectue un stage militaire en Russie, puis participe à des opérations contre des groupes d’opposition armés dans la vallée de Racht en 2009 et à Khorog en 2012.

En tant qu’officier des OMON, entre 2003 et 2014, Khalimov a participé à cinq cours de formation antiterroriste au Tadjikistan et aux États-Unis, organisés par le département d’État dans le cadre d’un programme d’aide à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité diplomatique. Cette information a été rapportée par Khalimov lui-même dans une vidéo diffusée par l’OEI et confirmée par le département d’État américain.

Le 23 avril 2015, il a cessé de se présenter au travail. En mai 2015, une vidéo de Furat, la chaîne TV de l’OEI en Syrie, est apparue sur les réseaux sociaux avec un message en russe de Khalimov, qui déclarait s’être rangé du côté de l’OEI. Il a accusé les autorités tadjikes de dénigrer et d’opprimer les musulmans. Il a également appelé les travailleurs migrants en Russie à ne pas être « les esclaves des infidèles », mais à devenir « les esclaves d’Allah », à rejoindre le djihad et l’OEI. Khalimov a ensuite promis de retourner au Tadjikistan et d’y établir la charia. En juin 2015, une photo de Khalimov blessé, sur un lit, plâtré et avec un bandage sur la tête, est diffusée sur Internet.

Le Bureau du procureur général du Tadjikistan a ouvert une procédure pénale contre Khalimov en vertu de trois articles du Code pénal : trahison envers l’État (article 305), participation à une communauté criminelle (partie 2 de l’article 187) et participation illégale à des conflits armés dans d’autres États. (partie 2 de l’article 401). Les autorités de Douchanbé ont qualifié Khalimov de « traître qui a trahi sa patrie, ses enfants et son père », de malade mental après son départ pour l’OEI. Le communiqué du Bureau du procureur a déclaré qu’il avait trahi le serment de l’officier, « exploitait l’argent des clients dans une performance vidéo » et qu’il justifiait les crimes des terroristes se cachant derrière l’islam. Khalimov a nié être fou. À la demande de son frère, Saïdmurod Khalimov (fonctionnaire du ministère de la Justice avec rang de lieutenant-colonel) lui proposant de revenir et de comparaître devant la justice, Khalimov a répondu que si son frère s’opposait à lui et devenait un « infidèle », il lui couperait la tête.

Dans une vidéo diffusée par l’OEI, Khalimov a traité les Américains de « porcs », les accusant de détruire l’islam et déclarant qu’il s’était rendu trois fois aux États-Unis et avait vu des Américains entraîner leurs soldats « à tuer des musulmans ». Le département d’État américain s’est dit préoccupé par le fait que les compétences acquises par l’ancien officier des OMON pourraient être utilisées contre les États-Unis eux-mêmes[3].

En 2015, Khalimov a été sanctionné par le département d’État américain et en 2016 par le Conseil de sécurité de l’ONU. En août 2016, le département d’État américain a offert une récompense pouvant aller jusqu’à trois millions de dollars pour toute information permettant de le localiser.

En septembre 2016, Khalimov est devenu le chef militaire de l’OEI et « ministre » de la Guerre, en remplacement du Tchétchène Omar al-Chichani, précédemment tué.

Le 8 septembre 2017, le ministère russe de la Défense a annoncé que Khalimov était mort lors d’un raid des forces aériennes russes dans la région de Deïr ez-Zor dans l’est de la Syrie.

 

Shamsud-Din Jabbar

Le terroriste de La Nouvelle-Orléans, Shamsud-Din Jabbar (ou Shamud-Din Bahar Jabbar) est né le 26 octobre 1982, à Houston au Texas dans une famille afro-américaine, pratiquante baptiste assidue. Son père s’est ensuite converti à l’islam, changeant son nom de famille de Young en Jabbar et donnant également à certains de ses enfants des prénoms arabes. Pourtant, les membres de la famille ont continué à mener une vie essentiellement laïque et ceux restés chrétiens, dont sa mère, ont continué à fréquenter une église baptiste locale.

Shamsud-Din Jabbar a vécu une grande partie de son enfance à Beaumont dans l’est du Texas. Il a ensuite servi dans l’armée américaine entre 2007 et 2015 (puis dans la réserve jusqu’en 2020), où il était spécialiste des ressources humaines et des technologies de l’information. Il a été déployé en Afghanistan en 2009, où il a atteint le grade de sergent-chef, avant d’être libéré de sa mission avec les honneurs un an plus tard[4]. Il a ensuite fréquenté l’Université d’État de Géorgie de 2015 à 2017, avant de devenir en 2020 agent immobilier.

D’après les contacts en Afghanistan de l’expert russe Andreï Serenko, Jabbar aurait cependant effectué, après 2020, un ou plusieurs voyages « discrets » pour « suivre une formation dans deux camps de l’OEI-K, dans la province de Nangarhar, dans l’est de l’Afghanistan ». Là, il aurait fréquenté les centres de formation de l’OEI-K dans les districts d’Atchin et de Shinwar, « où seraient créés des groupes spéciaux pour former des terroristes censé mener ensuite des attaques terroristes ciblées sur le territoire des États-Unis ». Il ne serait pas le seul citoyen américain à y être passé, puisque « les formations dans le cadre de ce programme s’effectuent généralement en groupes de trois, cinq ou sept personnes. Les membres de chacun de ces groupes ne connaissent que leurs associés ; ils ne croisent pas les membres d’autres groupes. Cela permet de garantir un haut niveau de secret : l’échec d’un groupe n’affectera en rien les autres »[5].

Le drapeau djihadiste de l’OEI trouvé à l’arrière de son pick-up, monté à l’envers, montre que Jabbar ne connaissait toutefois pas l’arabe et que le processus de radicalisation, certes très avancé, était donc toujours en cours.

 

Les enseignements pour la communauté internationale

La comparaison de ces deux profils, différents de par leur origine et leur pedigree professionnel, est cependant intéressante à établir pour l’étude de deux points précis :

L’analyse de leur radicalisation rapide. Elle s’est produite en quelques mois et est similaire au processus de radicalisation de nombreux autres combattants djihadistes, y compris d’anciens militaires. Elle pose les mêmes questions partout dans le monde. Cette radicalisation est-elle initialement intervenue par Internet ou par des passages sur les terrains du djihad ? Pourquoi ces signaux n’ont pas été découverts par les armées nationales ? Comment détecter le plus en amont possible tout phénomène de takiia (dissimulation) dans les armées nationales ? Comment prémunir tout phénomène d’entrisme islamiste et protéger tout secteur sensible dans les armées sans tomber dans la discrimination religieuse vis-à-vis de l’islam ?

Le transfert des techniques et des secrets militaires des armées aux organisations djihadistes. En effet, contrairement à Al-Qaïda et à la plupart des filiales de l’OEI, continuant d’agir selon un schéma d’actions classiques reposant sur la guérilla, le rapt et la rançon, la garde prétorienne du « calife » Omar al-Baghdadi, constituée de combattants russophones, puis l’OEI-Khorasan (OEI-K), ont apporté une technicité opérationnelle et logistique avancée au djihadisme international, grâce à leur expérience acquise au sein de l’Armée rouge,

Ce transfert de compétence s’est d’abord fait au profit des mouvements djihadistes locaux, qui sont devenus après 2014 les filiales de l’OEI-K : en 1997, Djuma Namangani, ex-parachutiste ouzbek des troupes spéciales rejoint le Mouvement islamiste d’Ouzbékistan (MIO) ; il sera suivi en 2006, par l’ancien ministre tadjik des Situations d’urgence, le lieutenant-général Mirzo Ziioiev en 2006,

Puis, à partir de 2015, Khalimov rejoint l’OEIK ; en 2016, c’est au tour de l’Ouzbek kirghizstanais Soukhrob Baltabaev, alias Abou Rofik, fondateur de la SMP djihadiste Malhama Tactical. Ils seront imités par de hauts cadres locaux (provenant du Haut-Badakhchan tadjik) des OMON et du Commando Alpha du ministère de l’Intérieur du Tadjikistan…, tous passés du jour au lendemain avec armes, bagages, hommes et expérience militaire au service du djihad.

En raison de leurs compétences reconnues par l’OEI, ces combattants russophones se sont vu confier des postes et des missions spécifiques, notamment, à partir de 2014, la direction de l’armée de l’air de l’OEI en Syrie, après la prise de quatre appareils (Sukhoï et Mig) sur la base aérienne d’al-Tabka, près de Deïr Ez-Zor. Les combattants tadjiks ont par ailleurs créé, deux ans plus tard, Malhama Tactical, la première SMP offrant ses services – contre rémunération – de logistique, de formation et d’entraînement aux unités combattantes de l’OEI, puis aujourd’hui de l’OEI-K.

Les combattants tadjiks, réputés pour leur bravoure au combat, étaient alors directement rattachés à l’OEI-Central et non pas à l’OEI-K, qui existait pourtant déjà, assurant la garde prétorienne d’Al-Baghdadi[6]. La nomination de Khalimov comme « ministre » de la Guerre de l’OEI en 2016 a parachevé la domination des Tadjiks sur les structures militaires de l’organisation terroriste en Syrie. La chute de l’OEI à Baghuz, en Syrie, en mars 2019, a ensuite amené les combattants tadjiks les plus aguerris à s’installer au nord de l’Afghanistan et à agir depuis pour le compte exclusif de l’OEI-K et de ses filiales (Mouvement islamiste d’Ouzbékistan, Ansarullah, Djund al-Khalifat[7]…).

Quelques années plus tard, fin 2024, des unités combattantes du Parti islamiste du Turkestan (PIT) et d’Al-Tawhid wal-Djihad (plus communément appelé Djannat Ochiklari) restées près d’Idlib en Syrie, ont été les fers de lance de la prise de la ville d’Alep, puis de la chute du régime de Bachar al-Assad[8].

Plus inquiétant encore est le démantèlement partiel du SORM[9], dû à la privatisation de certaines de ses fonctions au Tadjikistan et au Kirghizstan. Il n’est en effet pas exclu que parmi les nouveaux sous-traitants chargés de ces missions, il y ait des hommes à la religiosité prononcée, qui pourraient communiquer à l’avenir des renseignements importants collectés par ces deux États – voire par d’autres – à l’OEI-K.

Si Shamsuddin Jabbar n’a probablement jamais rencontré Gulmurod Khalimov, il est certain que le colonel tadjik devenu djihadiste a représenté pour lui un exemple à imiter. Depuis la défaite de l’État islamique en Syrie en 2019, l’ancienne filiale Khorasan de l’OEI a hérité des attributs de son ancienne maison-mère – selon la volonté et le testament d’al-Baghdadi – et a déplacé vers le nord de l’Afghanistan le siège central de l’organisation en charge de rétablir le « califat mondial ».

Jabbar aurait-il rencontré durant ses formations afghanes d’anciens hauts-gradés militaires tadjiks (voire ouzbeks) passés au service de l’OEI-K et de ses filiales ? Aurait-il échangé avec eux sur les dernières innovations tactiques et technologiques des armées dela région ?

Toujours est-il que l’étude comparée des parcours de Khalimov et de Jabbar nous apprend qu’il est aujourd’hui malheureusement évident que les djihadistes, tirent parti depuis longtemps des dissensions entre les pays occidentaux et ceux se trouvant dans les sphères d’influences russe et chinoise. Leur incapacité à coopérer efficacement et à aplanir leurs divergences diplomatiques pour combattre la pieuvre djihadiste permettent aux partisans du djihad de garder une longueur d’avance sur les États.

Les similitudes entre les cas de Khalimov et de Jabbar posent enfin la question de la fuite de savoir-faire sensibles des armées nationales. Après avoir acquis des connaissances et des savoirs, les terroristes les utiliseront contre elles, tant pour améliorer les performances des forces djihadistes que pour contrer celles des États grâce à la connaissance de leur organisation, de leurs tactiques et de leurs méthodes. Face à la radicalisation islamiste qui se développe dans tous les pays, le devoir de chaque État est de trouver urgemment des solutions pour s’en prémunir et de développer une coopération multilatérale et dépassant les clivages nationaux et diplomatiques traditionnels.


[1] 14 personnes sont tuées et près de 36 blessées avant que le criminel ne soit abattu par la police.

[2] Police anti-émeute et antiterroriste.

[3] Le 30 août 2016, le sous-secrétaire d’État adjoint américain, Kurt Rice, a souligné que Gulmurod Khalimov représentait réellement un danger pour les États-Unis et le Tadjikistan. « Au cours des formations, il s’est familiarisé avec les méthodes de lutte contre le terrorisme et peut mettre en pratique les compétences acquises, mais contre nous », a-t-il déclaré aux journalistes tadjiks lors d’une conférence téléphonique depuis Washington (https://rus.ozodi.org/a/27954849.html).

[4] Il a reçu plusieurs décorations, dont la Global War on Terrorism Service Medal, récompensant les soldats ayant participé la « guerre contre le terrorisme » après les attentats du 11 septembre 2001.

[5] https://t.me/anserenko/7679. Les allégations de Serenko ont été confirmées par l’agence d’information ouzbèke Vesti.Uz(https://vesti.uz/diversanta-protiv-ssha-podgotovili-v-afganistane).

[6] Giustozzi Antonio, The Islamic State in Khorasan, Éd. Hurst, Londres, 2018, p. 143.

[7] La France, lourdement affectée par les attentats terroristes islamistes par le passé, n’est bien sûr pas épargnée par la menace du « djihadisme technicisé ». C’est justement le Djund al-Khalifat, organisation djihadiste kazakhstanaise, devenue depuis 2015 une filiale de l’OEI-K, qui avait « formé » en 2011-2012 Mohamed Merah, exactement de la même manière que celle décrite par Serenko pour la « formation » de Jabbar par l’OEI-K treize ans plus tard. Fin 2024, lors de la prise d’Alep, on a appris que des combattants du groupe d’Omar Diaby (Omsen), dont un djihadiste français opérant en Syrie au sein d’Al-Qaïda depuis 2012, s’étaient illustrés dans la prise de la ville aux côtés du PIT, dont ils ont su utiliser les techniques.

[8] Composé de djihadistes ouïghours, le PIT est passé en novembre 2024 sous la tutelle d’Ansarullah, la filiale tadjike de l’OEI-K ; la Djannat Ochiklari est formée de combattants ouzbeks kirghizstanais de la ville d’Och (Kirghizstan), restée fidèle à Al-Qaïda.

[9] Le « Système dédié aux activités d’enquêtes opérationnelles » (SAEO), plus connu sous son acronyme russe SORM, est le plus important des systèmes de surveillance de haute technologie. Il comprend de nombreux moyens techniques utilisés pour surveiller le trafic entrant et sortant et effectuer des recherches opérationnelles sur les réseaux radiophoniques, télégraphiques, téléphoniques et Internet. Ce système permet notamment de garder une trace des informations transmises et d’écouter les conversations téléphoniques. Certaines parties du SORM ont été privatisées et réparties entre onze agences privées, le plus souvent des opérateurs téléphoniques. Au Tadjikistan, les sites web gouvernementaux, très mal sécurisés, sont souvent la cible d’attaques (en janvier 2016, le site officiel du ministère de l’Éducation et des Sciences avait été piraté et la page de titre remplacée par les symboles et l’hymne du groupe djihadiste baloutche Djundullah).

La nouvelle formule « islamiste 2.0 » du « jihadisme institutionnalisé »

La nouvelle formule « islamiste 2.0 » du « jihadisme institutionnalisé »

ihadisme politique
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Alexandre Del Valle – Le Diplomate Média – publié le 18 décembre 2024

https://lediplomate.media/2024/12/la-nouvelle-formule-islamiste-2-0-du-jihadisme-institutionnalise/alexandre/monde/mena/moyen-orient/terrorisme-moyen-orient/


D’après des spécialistes du jihadisme, comme le germano-égyptien Asiem el Difraoui ou l’américain, Aaron Y. Zelin, la victoire de Joulani et du Hay’at Tahrir al Cham contre le régime Bachar el-Assad a signé la victoire du « jihadisme politique » comme stratégie de conquête. Ce phénomème nouveau, que nous avions qualifié dans nos écrits d’« institutionnalisation du jihadisme », est un véritable tournant dans l’histoire de l’islamisme international. La Syrie est en effet, plus efficacement encore que les Talibans, le premier terrain d’essai de cette catégorie hybride, qui va probablement être un casse-tête sécuritaire pour de nombreux pays et pour tous ceux qui sont engagés dans la lutte contre l’islamisme radical et qui croyaient naïvement que l’islam politique comme celui des Frères musulmans ou de la Turquie d’Erdogan représentaient peut-être LA solution alternative au jihadisme, incapable de conquérir le pouvoir et d’administrer un Etat.

Le « Sham » du HTS, dont la Syrie est le noyau-dur, va redevenir un pôle d’attraction du jihadisme et du panislamisme européen et proche-oriental, même si son leader a dit renoncer au jihad global et a rompu avec Al-Qaïda. La conquête de la Syrie n’est que l’une des étapes d’un projet jihadiste régional. Le terme de « Hay’at Tahrir Sham » désigne en effet la « libération de la Syrie élargie au sens de tout le Proche-Orient (Jordanie, Liban, Palestine Israël, Syrie, etc) … D’ailleurs, si Al-Joulani est apparu avec le drapeau syrien de la Révolution, jadis prohibé par les Jihadistes de DAECH, il a également parlé depuis la mosquée des Omeyades de Damas, devant un autre drapeau, blanc, qui symbolise la couleur de l’islam, que Joulani ne renie aucunement puisqu’il a dédié sa victoire à la Oumma Islamique (Oumma al -islamiyya) et non pas la Syrie…

En fait, le HTS a mis en œuvre une stratégie d’adaptation proche de celle, dite « par étapes », des Frères musulmans, adeptes d’un salafisme réformiste, (Salafiyya islahiyya) apparemment plus moderne, mais qui poursuit le même objectif final du Tamkine planétaire ou Califat universel. Le génie du pragmatique Joulani est que sa formule politique va permettre de réunir dans une même expérience victorieuse tous les degrés de l’islamisme radical, un processus initié par les Talibans depuis le départ des Etats-Unis d’Afghanistan, mais que Joulani a plus de capacité à faire triompher puisque deux de ses parrains directs, la Turquie membre de l’Otan et le Qatar qui abrite une base américaine, sont structurellement liés à l’Occident et peuvent contribuer au processus de transition politique et d’institutionnalisation de l’islamisme jihadiste, deux options de l’islamisme qui ont longtemps été impossibles et qui se sont violemment combattues. Cela ne veut pas dire qu’Al-Qaïda, le Hamas, les Frères musulmans, le Milli Görüs turc, le Jamaà islami pakistanais et l’Etat islamique, mouvances aux milles divergences, vont fusionner ou même arrêter de se combattre ou d’être tantôt alliés tantôt rivaux ou ennemis, mais l’expérience du « jihadisme politique », synthèse de l’islam politique à la Frères musulmans et du jihadisme à la Al-Qaïda, va attirer des partisans issus de toutes les nuances de l’islamisme sunnite, des plus institutionnelles aux plus jihadistes et révolutionnaires.

Revenons à la chute d’Assad qui a permis de consacrer l’institutionnalisation du Jihad de Joulani

Pour revenir à la chute d’Assad, la priorité actuelle de Abou Mohamad al-Joulani, de son vrai nom Ahmed al-Charaà, est l’instauration d’un nouveau régime capable à terme d’instaurer son hégémonie sur tout le territoire syrien, donc capable de fédérer dans un futur Etat les rebelles islamistes fréristes et pro-turcs, les salafistes jihadistes qui l’ont suivi dans sa démarche, les anciens rebelles de 2011 sunnites et pas forcément islamistes mais conservateurs, et les minorités ethniques kurdes, turkmènes, arméniennes, assyro-chaldéennes, chrétiennes, chiites, alaouites et druzes y compris. Or force est de constater qu’avec 30 à 40 000 hommes, soit moins que l’Armée Nationale Syrienne – avant les ralliements récents, puisque l’ANS dispose de 50 000 soldats et mercenaires, ses troupes réellement fidèles issues comme lui d’Al-Qaïda/Al-Nosra et autres salafistes ralliés depuis 2017 (et le changement de nom en HTS) sont limitées. Les Kurdes insoumis ne vont pas plier facilement face à l’ANS pro-turc et au HTS pro-Qatari qui veulent soumettre au nouveau pouvoir islamiste le Kurdistan/Rojava autonome et ses Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dont le noyau-dur sot les YPG kurdes proches du PKK turco-kurde. Les Druzes sont eux aussi armés, bien que n’ayant pas de forces miliciennes officielles, et ils sont encore épargnés car ils sont assez difficiles à soumettre dans leurs montagnes du sud-Ouest du pays frontalier d’Israël et du plateau du Golan occupé par Tsahal et habité par des frères Druzes avec qui ils sont en contact et solidaires en cas d’attaque islamiste.  Une partie des chefs druzes a d’ailleurs appelé à être rattachés à Israël, où les Druzes sont les seuls arabes ayant des hautes positions dans l’armée et totalement fidèles à Israël. Quant aux anciens militaires du régime, bien qu’amnistiés, ils ne sont pas encore considérés assez fiables pour qu’une grande armée nationale postrévolutionnaire et post-Assad soit opérationnelle rapidement contre les forces séparatistes. Pour ce qui est du Djebel Ansariyya, la montagne alaouite, bien qu’officiellement désarmée et ayant été abandonnée par les troupes d’élites alaouites du Général pro-russe Souheil Hassan (« Le Tigre ») et de la division de Maher Al-Assad, partis vers l’Irak, il pourrait devenir rebelle et se réarmer rapidement dans ses fiefs et donc créer lui aussi des difficultés si les persécutions et vengeances massives arrivaient, d’où l’actuelle prudence de Joulani. Mais combien de temps le leader du HTS pourra-t-il contenir ses troupes salafistes-jihadistes assoiffées de vengeance et de sang, habitués à couper des têtes et les empêcher d’agir conformément à la doctrine du Jihad qu’ils n’ont jamais reniée ?

Joulani va-t-il vraiment réussir à devenir Charaà et troquer si facilement son nom de guerre jihadiste ?

De ce fait, ce n’est qu’une fois le pouvoir du HTS déployé partout, ce qui nécessitera la difficile soumission de l’ANS pro-turque, en plus de la soumission des zones rebelles kurdes, que Joulani pourra montrer progressivement son vrai visage : la pleine application de la Charià en Syrie, après une première annonce d’une version soft visant à rassurer minorités et l’Occident. Faire progressivement du « Cham » un pays attrayant tant pour des salafistes radicalisés du monde entier frustrés de ne pas avoir pu faire le Hijra (émigration ») à l’époque de gloire du « Dawla » (l’Etat, sous-entendu islamique, EI), que pour des millions de sunnites syriens revanchards qui vont goûter à la formule islamiste après tant de décennies de répression de la part des « apostats » alaouites et de leur Etat sécularisé baathiste et nationaliste.  Joulani va finalement rétablir plus efficacement que DAECH, un Etat islamique qui sera parrainé ou reconnu rapidement par des puissances liées à l’Occident, Turquie, Qatar, Koweït, Arabie saoudite. Toute une génération d’islamistes va idéaliser le succès de Joulani, qui a réussi en en finir avec les alaouites-baathistes d’Assad, « ennemis de l’islam », presque sans tirer un coup de feu, en récupérant les efforts des rebelles et des Syriens lassés de la corruption et du régime totalitaire syrien. Il va donc y avoir un appel d’air vers la Syrie, surtout la poche d’Idlib, le foyer de jihadistes français, d’Omar Diaby/Omsen. Car la zone d’Idlib va rester bien plus islamiste-jihadiste que les autres places syriennes étant donné que les jihadistes vaincus en 2016-2017 se sont réfugiés dans l’incubateur d’Idlib et y ont vécu selon la Charià salafiste et sous protection indirecte turque depuis des années.

L’excitation malsaine de la mouvance jihadiste extérieur et le pouvoir d’attraction du Sham

Pour le procureur national antiterroriste, Olivier Cristen, qui a évoqué une surveillance accrue de la “djihadosphère”, cette victoire très médiatisée de HTS – bien qu’en réalité l’ANS et les brigades de rebelles du Sud ont aussi joué un rôle important – a créé une sorte “d’excitation malsaine” des pro-jihadistes français pour qui le Cham est un quasi-lieu de pèlerinage califal. Rappelons qu’au sein du HTS et des groupes autonomes qui ont dû lui prêter allégeance, d’autres groupuscules jihadistes et islamistes étrangers demeurent attachés au jihad global, comme les légions ouïghoures, qui soutiennent leur peuple en Chine. Avec des groupes de jihadistes d’Asie centrale, du Caucase, maghrébins ou francophones, ils représentent encore quelques milliers de personnes qui vont être utilisés, comme lors de la conquête d’Alep fin novembre, comme kamikazes pour enfoncer des lignes adverses lors d’offensives, notamment contre les Kurdes, les Druzes ou les Alaouites en cas de résistance. On sait par ailleurs que certains terroristes de France, dont l’assassin de Samuel Paty, Abdoullah Anzorov, fils de réfugiés Tchétchènes, était en contact avec des jihadistes d’Idlib, comme cela a été confirmé le 4 novembre et le 10 décembre derniers lors des procès des tueurs de l’enseignant. L’influence même du HTS sur Anzorov a été attestée devant les juges par l’un de ses complices repentis, Ismael Gamaev, qui a révélé qu’il « participait activement »  à un groupe Snapchat crypté, avec des membres cette organisation, lesquels auraient lancé un appel à tuer les caricaturistes de Mahomet, et auprès de qui il aurait confirmé l’accomplissement de ce « jihad punitif ».

Quid des 300 djihadistes français disparus des radars ?

Sur 1500 volontaires français venus faire le Jihad et leur Hijra (« émigration » islamique imitant celle de Mahomet à Médine en 622, sorte d’Alyah jihadiste), on sait que beaucoup sont morts, mais d’autres ont survécu. Ainsi, Omar Diaby alias Omsen a été donné pour mort plusieurs années durant avant finalement de réapparaître dans un documentaire. Ensuite, lorsque les islamistes du HTS ont libéré les prisonniers des geôles du régime de Bachar al-Assad, deux djihadistes Français y ont été identifiés parmi les prisonniers, mais les experts sont certains qu’ils sont très probablement plus nombreux. 300 jihadistes français sont dans la nature, disparus, et susceptibles de réapparaître, tandis que la poche d’Idlib en abriterait au moins 120. Enfin, il y a toujours la possibilité d’une résurgence de l’État islamique, actuellement très affaibli, divisé en petites cellules éparses, mais à qui le chaos ambiant pourrait également profiter. Certes, la priorité d’Al-Joulani, semble axée sur l’instauration d’un nouveau régime en Syrie, ce qui nécessite des concessions verbales et juridico-politiques de transition. Les mêmes consignes ont été données par l’ancien homme d’économie et de culture Al-Bachir, récemment nommé Premier Ministre de la Syrie de Joulani, mais ce fidèle du chef de HTS ne manie-t-il pas lui aussi la taqiya, le mensonge pieux, comme son chef ? L’avenir le dira. Toujours-est-il qu’il va y avoir un appel d’air vers la Syrie, car indépendamment même  de la pseudo modération de Bachir et Joulani, qui est motivée par l’urgence de lever les sanctions économiques occidentales et la Loi Caesar américaine qui pénalise toute reconstruction, pour de nombreux jihadistes, le pouvoir de fascination du Sham est intacte et le HTS est celui qui a fait tomber l’apostat Bachar. Pour les islamistes salafistes français, le Sham demeure avec l’Afghanistan libérée des Américains, le seul « véritable Dawla islamiyya » (Etat islamique), au monde, fruit d’un « jihad béni », où la Charià salafiste va être appliquée et l’est déjà dans la région du HTS au nord. Si cette Charià devient officielle dans tout le pays, les bons musulmans salafistes n’ayant pas le droit de vivre parmi les « Mécréants » pourront venir y accomplir leur Hijra, leur « émigration » sainte, vers cet Etat islamique paré qui plus est de l’auréole et du prestige du jihad vainqueur face aux laïques, mécréants et apostats baathistes et alaouites. A cet effet, le charisme de recruteurs propagandistes comme d’Omar Diaby, en liberté et ayant prêté allégeance au HTS, va attirer des jeunes radicalisés de France et d’Europe qui ont été frustrés de ne pas avoir pu rejoindre le jihad syrien contre Bachar et qui vont « enfin » réaliser leur rêve dans le cadre d’une « excitation malsaine” évoquée par le procureur national antiterroriste, Olivier Cristen

À lire aussi : Le Sommet d’Astana : Opération de la dernière chance pour la Syrie 


 

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Le miroir aux Alaouites – Une brève histoire militaire de la guerre en Syrie

Le miroir aux Alaouites – Une brève histoire militaire de la guerre en Syrie

par Michel Goya – La voie de l’épée – publié le 14 décembre 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Si l’on faisait défiler la carte de la guerre civile en Syrie depuis le 15 mars 2011, semaine après semaine, on verrait 681 images montrant des taches de couleur changeantes, puis un fort ralentissement à partir de la 400e, pour finalement ne pratiquement plus bouger jusqu’à la 682e. À ce moment précis, en une seule image, la couleur du camp assadiste serait remplacée par celle de la rébellion arabe sunnite.

Les effondrements rapides sont assez courants dans l’histoire des guerres, mais un effondrement aussi soudain survenant après des années de conflit lent ou même figé est très surprenant. Comme pour toutes les surprises stratégiques, cela mérite qu’on s’y intéresse en revenant loin en arrière.

Le problème des trois camps et Assad sauvé une première fois

Rappelons tout d’abord que le conflit syrien n’est pas un problème stratégique classique à deux camps, où l’action réciproque se fait à somme nulle et où une partie finit par imposer sa volonté à l’autre pour aboutir à une paix plus favorable. Le conflit syrien est un cas assez exceptionnel de conflit mosaïque, où plusieurs camps s’affrontent simultanément avec des configurations changeantes d’alliances et de rapports de force, d’autant plus complexes que plusieurs acteurs extérieurs sont intervenus. C’est une des raisons principales de la longue durée de ce conflit : la possible défaite définitive d’un des camps suscite des réactions étrangères mais aussi internes, finissant souvent par le sauver.

La guerre en Syrie a commencé par l’opposition de deux camps : le camp loyaliste au régime, s’appuyant surtout sur la minorité alaouite et la majorité de la bourgeoisie de toute origine, et disposant de la majorité des organes de force — que l’on appellera l’AAS (Armée arabe syrienne) pour simplifier —, contre ce que l’on va appeler par commodité la rébellion arabe sunnite (RAS), en réalité une multitude de groupes armés plus ou moins bien équipés. Les deux camps sont imbriqués géographiquement : l’AAS contrôle fermement la zone côtière alaouite, tandis que la RAS domine l’est du pays, à l’exception de quelques poches comme Deir-er-Zor. Mais les choses les plus importantes se passent sur l’axe de l’autoroute M5 ou à proximité, avec son chapelet de grandes villes — Alep, Idlib, Hama, Homs, Damas, Deraa — que se disputent loyalistes et rebelles. C’est sur cette bande nord-sud de 500 km de long sur 100 de large que se situeront la très grande majorité des combats de la guerre.

Un troisième camp se forme très rapidement avec le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde, qui, contrairement à la RAS, est un mouvement unifié. Le PYD prend le contrôle des provinces frontalières de la Turquie jusqu’à l’Irak. Affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie, il se tient à l’écart des combats entre loyalistes et Arabes sunnites.

La RAS, initialement très disparate, finit par former des fédérations de groupes comme l’Armée syrienne libre (ASL), plutôt nationaliste baasiste, le Front islamique pour la libération de la Syrie (FILS), à dominante Frères musulmans, ou le Front islamique syrien (FIS), salafiste. Ces formations reçoivent une aide importante des monarchies du Golfe et de la Turquie selon leur obédience salafiste ou frériste, et plus timidement des pays occidentaux qui tâtonnent. Le printemps 2012 voit également la création du « Front pour la victoire » (Jabhat al-Nosra, JAN), sous la direction d’Abou Mohammed al-Joulani, venu des rangs de l’État islamique en Irak (alors branche d’Al-Qaïda), rejoint par des djihadistes syriens souvent libérés par le régime l’année précédente. Tous ces ensembles sont rivaux dans l’allocation des ressources, mais coopèrent contre le régime.

Ce combat imbriqué entre forces hétérogènes n’est pas fait de grandes manœuvres, mais d’une multitude de petits combats qui, au tournant de l’année 2013, donnent de plus en plus l’avantage à la rébellion arabe sunnite. L’Euphrate, les provinces d’Idlib et de Deraa (avec la participation des Druzes) passent presque entièrement sous le contrôle des rebelles, qui prennent également de plus en plus le dessus dans les villes du centre. Le régime est sauvé une première fois par l’intervention de l’Iran, via le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique-Force Qods, qui regroupe les gangs chabiha, les milices d’autodéfense locales et importées au sein des Forces de défense nationale, et surtout engage le Hezbollah et les Pasdarans de la division Sabin dans une contre-offensive.

L’intervention iranienne en Syrie suscite également celle d’Israël, qui n’hésite plus désormais à frapper sur le territoire syrien, en particulier près du Golan. En revanche, le refus américain de s’engager fin août 2013, après l’emploi d’armes chimiques sur le quartier rebelle de la Ghouta, discrédite les pays occidentaux auprès de la rébellion, qui recule et se reconfigure sous l’égide de nouvelles fédérations plus radicales.

Le problème à quatre camps et Assad sauvé une deuxième fois

La période voit également l’apparition en Syrie de l’État islamique. En sommeil depuis ses défaites de 2007, l’État islamique en Irak renaît soudainement à l’occasion du mouvement de révolte sunnite en Irak, durement réprimé et dont il se nourrit. Fin 2013, l’État islamique en Irak, devenu un temps aussi « au Levant », rompt avec JAN et avec Al-Qaïda. Le nouvel État islamique devient alors l’ennemi de tout le monde, mais il obtient des succès rapides, s’emparant de presque tout l’Euphrate syrien et irakien, approchant Alep d’un côté et tenant Falloujah de l’autre, ainsi que le désert syrien et Mossoul en Irak. Le régime de Damas, mais également la Turquie, ne sont pas mécontents de voir ce nouvel acteur affronter la rébellion arabe sunnite à l’arrière puis les Kurdes.

Ces victoires fulgurantes de l’EI et la création du califat ont au moins pour effet de faire réagir les États-Unis, qui organisent en 2014 une coalition pour lutter contre lui en Irak et en Syrie. Les États-Unis réussissent à former les Forces démocratiques syriennes (FDS), associant l’armée kurde (PYG) avec certains groupes arabes et assyriens, et installent la base d’al-Tanf au point de jonction des frontières de la Syrie, de la Jordanie et de l’Irak. La coalition américaine, avec une participation française, appuie les FDS et l’armée irakienne dans la lente reconquête des villes tenues par l’EI. En Irak, elle se retrouve alliée de fait avec la Force Qods, qui chapeaute les Unités de mobilisation populaires (Hachd al-Chaabi) chiites irakiennes. Les deux capitales de l’EI, Raqqa et Mossoul, sont reprises en 2017, et le califat est définitivement détruit fin 2018.

Pendant ce temps, l’association d’al-Nosra et d’Ahrar al-Sham, les deux mouvements rebelles syriens les plus puissants, ainsi que plusieurs autres factions au sein de l’Armée de la conquête (Jaish al-Fatah), change la donne au nord du front M5 avec l’aide de la Turquie et de l’Arabie Saoudite. L’AAS subit une défaite humiliante dans sa tentative de dégager Alep, tandis que la contre-attaque de l’Armée de la conquête permet aux rebelles de s’emparer de la province et de la ville d’Idlib et de menacer le port de Lattaquié. Très affaiblie, l’AAS est repoussée de Palmyre par l’EI, qui s’approche d’Homs. L’anticipation est une nouvelle fois à la défaite, et l’AAS commence à se désagréger tandis que le régime se déchire à Damas.

Cette fois, c’est la Russie qui sauve Assad en déployant, en septembre 2015, une puissante force anti-aérienne afin de protéger le régime de toute velléité américaine de campagne aérienne, et surtout une très puissante escadre de 70 aéronefs, chasseurs-bombardiers et hélicoptères d’attaque pour l’essentiel, sur la base de Hmeimim, ainsi que l’appui de l’escadre navale installée à Tartous et l’intervention de bombardiers depuis la Russie. La Russie déploie aussi quelques forces terrestres en soutien et appui à ses opérations, dont la société Wagner. Elle prend également un rôle très important dans la conduite des opérations, allant jusqu’à prendre directement le commandement des groupes du 5e corps d’armée de l’AAS. Forte de ce soudain soutien, l’AAS renforcée se dégage et entreprend le long siège d’Alep. Le siège est également l’occasion de la première intervention directe de la Turquie, qui s’empare, avec l’Armée nationale syrienne (ANS), dont Ahrar al-Sham, de la zone kurde au nord d’Alep entre le deuxième semestre 2016 et le printemps 2017, avant de s’attaquer à la province kurde d’Afrin au début de 2018.

La prise d’Alep en décembre 2016 est un point de bascule. L’anticipation générale se modifie, cette fois en faveur du régime, dont on ne voit plus comment il pourrait être vaincu avec le soutien russe. L’effort militaire se porte sur l’est du pays dans une course de vitesse avec les FDS et les Américains, tandis qu’un accord entre la coalition pro-Assad et la Turquie aboutit en mai 2017 à la formation de « zones de désescalade » — Idlib, Rastane entre Homs et Hama, Ghouta orientale (près de Damas) et Deraa — où l’on estime au moins possible de faire cesser les combats. Les rebelles sont désormais incapables de mener des opérations offensives autonomes d’une grande ampleur.

En 2018, après un violent combat entre Wagner et les forces américaines, les limites se figent à l’est du pays entre les FDS et l’AAS. Elles se figent également au nord-est, fin octobre 2019, après l’annonce d’un retrait partiel américain, suivi immédiatement d’une nouvelle offensive turque anti-kurde dans la zone de Tell Abyad à Ras al-Aïn. La moitié ou presque du Rojava, cette longue bande de 50 km de large occupée par les Kurdes le long de la frontière turco-syrienne, est entre les mains des Turcs et de leurs mercenaires arabes. Des forces américaines restent dès lors dans l’est du pays et sur la base d’al-Tanf pour continuer la lutte contre ce qui reste de l’EI et peser sur la route de l’« axe de la résistance » de Téhéran à Beyrouth via la Syrie. L’année est aussi marquée par une campagne de frappes israéliennes au printemps 2018 contre les Gardiens de la Révolution ou lors de l’attaque américano-franco-britannique en avril, après un nouvel emploi d’armes chimiques par l’AAS.

Au grand dam de leurs alliés, les Russes laissent faire. Ces interventions étrangères n’empêchent pas l’AAS, avec le Hezbollah en fer de lance et l’appui de l’armée russe, de s’emparer des « zones de désescalade » : la Ghouta en avril 2018, Rastane en mai et Deraa en juin, où le Front du Sud reste néanmoins présent en échange de la remise de ses armes lourdes sous l’égide russe (et non iranienne, à la demande d’Israël) et de l’acceptation de l’administration de Damas.

Reste la poche d’Idlib. Celle-ci, qui a accueilli beaucoup de réfugiés et de combattants rebelles arabes sunnites en échange des redditions des villes, est beaucoup plus résistante que les autres, d’autant plus qu’elle est limitrophe de la Turquie. Au deuxième semestre 2018, il y a au moins 50 000 combattants rebelles dans la poche : Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ex-JAN, ex-Fatah al-Cham, et le Front national de libération, pro-turc, forment les organisations les plus puissantes.

L’offensive de l’AAS, lancée en septembre 2018, s’achève en mai 2019 sans résultat. L’AAS reprend l’offensive plus violemment en décembre 2019, provoquant la fuite d’un million de réfugiés en Turquie et, en retour, une intervention de l’armée turque, qui s’accroche avec les forces russes et inflige, début mars 2020, une sévère défaite à l’AAS. Le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie signent un accord qui gèle la situation dans la région.

De la drôle de paix à la guerre éclair

Commence alors une « drôle de paix », où les positions ne bougent plus entre les différents camps, mais sont régulièrement frappées par des attaques aériennes d’avions ou de drones turcs contre les positions kurdes ou entre HTC depuis Idlib (dont l’attaque de l’Académie militaire d’Homs en octobre 2023) avec la réponse de l’AAS. La vraie bataille est alors celle de l’administration, et là, HTC s’impose clairement à Idlib. Sous la direction pragmatique d’al-Joulani, HTC parvient à prendre le contrôle du territoire, à imposer son autorité aux autres groupes, et à gérer, avec les ONG et les conseils locaux, l’administration d’une population qui a pu atteindre quatre millions sur l’équivalent d’un département français, notamment face aux crises du COVID-19 et du tremblement de terre de février 2023.

À l’inverse de la violence d’Al-Qaïda en Irak/EII envers les « déviants » musulmans et les minorités, qui avait provoqué un rejet général, y compris de l’opinion arabe sunnite, al-Joulani renouvelle une forme de statut de dhimmis aux Druzes et aux chrétiens, en les autorisant à pratiquer leur culte sous conditions (un statut bien supérieur à celui des chrétiens en Arabie saoudite, par exemple). Contrairement à Al-Qaïda, avec qui il a rompu en 2016, ou à l’EI, Mohammed al-Joulani ne prône plus le jihad international, jugé contre-productif. Par analogie au communisme soviétique, on pourrait parler de « salafisme dans un seul pays », en attendant la suite. Toujours est-il que cela réussit à Idlib, et que le contraste avec la gestion misérable, corrompue, inefficace et sous l’égide de la peur de l’administration du régime d’Assad est frappant. L’économie syrienne s’enfonce, hormis celle du captagon, et jamais le décalage entre la misère du peuple et le luxe des élites n’a été aussi grand.

Outre cet avantage comparatif incontestable lorsqu’il s’agit de conquérir les cœurs et les esprits, la « zone libérée » d’Idlib, là encore par comparaison avec les guérillas marxistes, est aussi le point de départ d’une montée en puissance militaire. Là où l’AAS, corrompue, tombe graduellement en déliquescence, HTC et les groupes alliés montent en puissance, s’entraînent et préparent une future offensive.

L’invasion russe en Ukraine, en février 2022, est le premier domino dont la chute va, des années plus tard, provoquer celle d’Assad, en absorbant progressivement toutes les forces russes présentes en Syrie, réduites à une dizaine d’appareils en 2024 et à des capacités d’intervention limitées. L’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël est le deuxième domino agissant depuis un autre axe. Dès le 7 octobre, l’Iran apporte son soutien au Hamas, et le Hezbollah commence à lancer des roquettes sur le nord d’Israël dès le lendemain. Ce soutien reste timide, car l’Iran ne veut pas d’une guerre à grande échelle contre Israël ou les États-Unis, mais il est suffisant pour donner un prétexte à Israël pour frapper sans retenue en Syrie.

Depuis le 8 octobre, l’artillerie ou surtout l’aviation israélienne frappe presque quotidiennement en Syrie contre les infrastructures ou les personnalités de la Force Qods, dont le chef au Levant est tué, ou contre tout ce qui appartient ou peut aider le Hezbollah. Avec l’offensive israélienne à partir de septembre 2024, le Hezbollah subit des coups très violents, perdant ses chefs, plus de 4 000 de ses combattants et une grande partie de son infrastructure. L’organisation n’est plus en mesure d’aider l’AAS, alors que l’Iran ne veut plus non plus le faire, sous peine de subir des dégâts irrémédiables.

En novembre 2024, le roi Assad est nu, mais il ne le perçoit visiblement pas, tout à son intransigeance, malgré les signes de bonne volonté de la Ligue arabe et de la Turquie. Excédé, Erdogan, qui sait forcément ce qui se prépare à Idlib et pourrait sans doute l’empêcher, ferme les yeux, et al-Joulani saisit l’opportunité de ce clignement très bref.

Si on savait le régime stratégiquement très faible, il fallait attendre le révélateur des combats pour connaître le niveau tactique réel des unités. Le nombre ne compte pas vraiment dans les points de contact : on ne s’y trouve que très rarement au-delà du 1 contre 2, et finalement le matériel compte assez peu. Ce qui importe vraiment – la valeur de la structure de commandement, la motivation et la compétence – est souvent peu tangible, d’où la nécessité d’un combat réel pour l’évaluer. À cet égard, l’attaque de la coalition menée par HTC vers Alep ne laisse aucun doute sur l’écart désormais immense entre les unités légères rebelles et les bataillons de l’AAS, un écart qui n’a jamais été aussi grand depuis le début de la guerre.

Avec la conquête très rapide d’Alep le 30 novembre 2024, tout le monde anticipe soudain la victoire possible des rebelles, et c’est là que l’effet d’avalanche commence. Le Front Sud, dominé par l’ASL, se réactive et se lance à l’assaut de Deraa puis de Damas. Ceux qui veulent participer à la victoire viennent grossir les rangs des deux coalitions, nord et sud. Au niveau tactique, à quoi bon combattre dans l’AAS quand on sait que l’on va forcément perdre ? Autant utiliser le numéro de téléphone de ralliement largué par les drones rebelles en avant de leur attaque.

Ne sachant pas encore qu’Assad a déjà prévu de les abandonner lâchement, les unités les plus fidèles, recrutées surtout parmi les Alaouites comme la 4e division blindée de Maher al-Assad, tentent de résister un peu du côté de Hama, mais elles sont rapidement dépassées. La route vers Damas est ouverte. La capitale est prise dans la nuit du 7 au 8 décembre. Le camp loyaliste dans son ensemble a disparu en même temps que son leader.

La rébellion arabe sunnite unie – au moins HTC, l’ASL et tous les groupes affiliés – l’a donc emporté et contrôle désormais tout l’axe M5 et les provinces de la côte, avec une inconnue sur le sort des bases russes. Qu’en sera-t-il maintenant de l’attaque préventive israélienne, détruisant autant que possible tous les instruments de frappe en profondeur de l’AAS et la défense anti-aérienne, mais occupant aussi une zone tampon au-delà du Golan annexé ? Qu’en sera-t-il des zones frontalières occupées cette fois par les Turcs avec l’ANS ? Qu’en sera-t-il surtout de tout le territoire occupé par les FDS ? Les groupes arabes sunnites vont-ils rester subordonnés aux Turcs ou aux Kurdes ou rallier le nouveau pouvoir à Damas ? Le danger est surtout grand pour les Kurdes qui, s’ils perdent la protection américaine – et cela est parfaitement possible avec la nouvelle administration Trump –, seront immédiatement attaqués par les Turcs et peut-être par les Arabes sunnites.

Beaucoup d’inconnues donc, en dehors même de la forme politique que prendra la Syrie centrale. Il est probable, au regard des premiers signaux donnés, que la coalition au pouvoir à Damas veuille passer d’abord par une nouvelle « drôle de paix », afin de consolider sa conquête et d’établir un État « salafiste à visage humain », avant de reprendre le combat au moins pour réunifier le pays.

Réorganiser la mission Sentinelle

Réorganiser la mission Sentinelle

Soldats en armes de l’Armée de terre en mission de surveillance dans le quartier des affaires de Paris La Défense dans le cadre de l’Opération sentinelle. Au fond, l’Arc de Triomphe.//MASTAR_MASTAR1220002/Credit:M.ASTAR/SIPA/1707151231

 

par Martin Anne – Revue Conflits – publié le 9 décembre 2024

https://www.revueconflits.com/reorganiser-la-mission-sentinelle/


Le 4 novembre 2015 Jean Yves le Drian alors ministre de la Défense s’adresse à des soldats de la toute jeune opération Sentinelle et déclare « Notre engagement s’inscrit dans la durée, aussi longtemps que cette situation l’exigera ». Neuf ans plus tard, le CEMA devant la représentation nationale rajoute « Nous continuons à adapter notre posture sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle. »

Cette opération qui implique 10 000 hommes (sur le terrain ou en alerte) est la plus consommatrice en soldats des 30 dernières années. Elle formate et rythme le quotidien des unités et rares sont les soldats qui n’y ont jamais participé. Pourtant, en 2022, la cour des comptes dans sa recommandation n°2 du document S-2022-1439 Opération Sentinelle conseille de « transférer la mission sentinelle aux forces de sécurité intérieures (FSI) ». Cette recommandation s’appuie sur deux observations la première étant que les résultats obtenus par cette opération sont difficilement quantifiables, la seconde que les soldats n’atteignent plus leurs 90 jours de préparation opérationnelle depuis 2015.

Néanmoins, le climat géopolitique actuel et les attentats encore réguliers en Europe rendent difficilement justifiable devant l’opinion publique l’arrêt de cette opération et aucune déclaration publique de responsable politique ne va dans le sens de la recommandation de la cour des comptes. Ainsi, l’opération devrait se poursuivre.

L’armée française en opération extérieure chez elle

Les unités de Sentinelle sont issues d’une génération de force, comme le modèle « au contact » (datant de 2015) le permettait. Ce sont donc des unités de circonstance qui partent dans des zones éloignées de leurs casernes. Ces unités de combat terrestre issues de l’ensemble des spécialités de l’armée de terre sont constituées pour deux mois sans provenir nécessairement de la même grande unité (brigade ou division). Cette méthode avait déjà permis la constitution d’unités lors de l’opération Serval en 2013.

Les patrouilles sur place sont coordonnées par un état-major tactique constitué par l’ensemble des cellules permettant le commandement d’unités en opération extérieure. Le chef de la compagnie déployée est sous les ordres d’un chef de circonstance, à l’image de ce qui se pratiquait lors de l’opération Barkhane.  Ainsi, la structure hiérarchique est identique à celle utilisée habituellement en opérations.

Le régime de quartier libre est aussi assez strict, un soldat ne peut pas s’absenter plus de trois jours et uniquement pour des raisons impérieuses. Il est fréquemment autorisé par le commandement sur place de faire venir sa famille 24 heures, mais cela reste soumis à une autorisation. Il est donc habituel que les soldats passent 2 mois loin de leurs proches sans possibilité de s’absenter. La vie de famille des militaires de Sentinelle en est fortement impactée comme celle de leurs camarades en mission à l’étranger.

Le départ en mission Sentinelle s’apparente de fait par la durée et l’organisation à une projection sur un théâtre d’opération extérieure. Ainsi, les sacrifices personnels consentis sont semblables. Ces absences régulières, longues et pour réaliser une mission monotone rendent difficile la fidélisation des soldats.

Ainsi, les résultats obtenus dans la lutte antiterroriste sont difficilement quantifiables et les conséquences négatives en termes d’entraînement et de fidélisation sont observable facilement. Pour ces trois raisons, une réorganisation de cette mission est nécessaire.

La régionalisation de Sentinelle

Le format actuel de projection provoque des absences longues du foyer et rend difficile la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Il est néanmoins nécessaire pour des raisons opérationnelles, cette présence prolongée permettant de maitriser l’environnement. Les centres villes, les gares et les cibles potentielles sont tous différents, il faut plusieurs semaines de présence pour s’approprier le terrain et ses contraintes.

Cette méconnaissance du terrain est toutefois provoquée par l’absence de zone attitrée à une unité. En effet, les régions de déploiement sont désignées en fonction de la disponibilité des unités. Les zones changent donc régulièrement et les soldats patrouillent rarement au même endroit de mission en mission.

De 2013 à 2023, les opérations extérieures ont suivi la même logique. L’ensemble des unités de l’armée de terre étaient susceptible de servir sur l’ensemble des théâtres. Désormais, les missions à l’étranger sont réparties en fonction du type de brigade et chacune d’entre elle est envoyée sur son type de théâtre.

L’opération Sentinelle pourrait suivre le même chemin. En effet, cette opération compte actuellement six zones de déploiement avec un effectif variable en fonction de l’importance de la région. L’Île de France contient ainsi un effectif bien plus important que les autres : plus de la moitié des militaires sont prévus pour cette région. Cette régionalisation confierait à chaque brigade une zone déterminée qui deviendrait son théâtre d’opération intérieure.

Cette organisation possèderait plusieurs avantages, tout d’abord la répétition des missions au même endroit permettrait une réelle connaissance de la zone à protéger tout en permettant de se l’approprier sur plusieurs missions. Ensuite le lien avec les FSI serait renforcé. En effet, la répétition des échanges et des patrouilles au long des mandats améliorerait la connaissance mutuelle et fluidifierait les interactions. On obtiendrait ainsi une plus grande efficacité opérationnelle.

De plus, cela renforcerait l’intégration des soldats au sein de la population locale. Les échanges réguliers avec les commerçants locaux, les associations sportives et les écoles provoqueraient la création d’histoires personnelles. Les échanges seraient prolongés sur plusieurs mandats et seraient réalisés par les mêmes personnes. Le lien armée-nation en sortirait renforcé.

La plus-value de réaliser des mandats de deux mois s’en retrouverait ainsi réduite. On raccourcirait alors de plus de moitié la durée des mandats, mais ils devront revenir plus régulièrement. L’impact sur la vie des familles serait alors semblable à celui d’une formation ou d’un exercice. La monotonie de la mission en deviendrait aussi plus supportable.

En adoptant cette organisation, l’armée de terre poursuivrait ses missions de « protection, dissuasion et réassurance » de la population française tout en limitant les conséquences négatives sur la fidélisation.

Un attrait supplémentaire pour la réserve opérationnelle

La transformation actuelle de l’armée de terre a pour objectif de doubler l’effectif de la réserve opérationnelle. De plus, des unités territoriales de réserves sont en création avec la constitution de bataillons de réserves. Ceux-ci seront rattachés à une zone géographique. Si l’idée de régionalisation exprimée ci-dessus était mise en application, les bataillons de réserve, à l’image des brigades, devraient être affectés à une zone Sentinelle de manière permanente. En effet, la mission Sentinelle emploie de nombreux réservistes et l’attrait opérationnel de la réserve s’incarne au travers de cette mission. De plus, les réservistes s’engagent généralement dans les régiments proches de chez eux. Si la zone Sentinelle correspondait à la zone d’implantation des différentes brigades, alors les réservistes participeraient à la protection de leur région. La perspective de participer à la protection de l’école de son enfance ou au clocher de son village aurait sans doute un effet positif sur l’attractivité de la réserve en rendant plus concrète la mission.

Des objectifs de missions

Si ces perspectives apporteraient des améliorations dans le domaine de la fidélisation et de l’attractivité, la monotonie de cette mission resterait forte. Les événements demandant à la force Sentinelle d’intervenir en mettant en œuvre ses savoir-faire militaires demeurent heureusement rares. Une certaine lassitude se fait ainsi sentir au sein de la troupe en fin de déploiement.

Pourtant l’armée française patrouille dans certaines régions de France avec des missions différentes ou supplémentaire à « protéger, dissuader, rassurer ». En Guyane, la mission Harpie utilise des patrouilles de l’armée de terre pour lutter contre les orpailleurs et combattre les trafics d’or et la pollution des sols.

De plus, une partie de la frontière avec l’Italie est également surveillée en coordination avec les forces de sécurité par l’armée de terre pour lutter contre l’immigration clandestine. Cette mission dans les Alpes est l’embryon de la force frontière appelée à se généraliser selon les déclarations du ministère de l’Intérieur.

Ces deux missions reposent sur l’interaction entre les FSI et les forces armées. En effet, un officier de police judiciaire (OPJ) est présent lors des patrouilles évoquées ci-dessus. Le groupe de combat terrestre (patrouille Sentinelle) intégrant un OPJ serait une unité mobile et bien équipée. Elle permettra d’effectuer plus de surveillances et de contrôles dans les zones difficiles.

Un récent sondage indique que 70% des Français sont favorables à la participation de l’armée à la lutte contre le narcotrafic. L’armée de terre a déjà démontré son utilité dans la lutte contre différents trafics, notamment dans les zones difficiles d’accès où la rusticité du soldat se révèle être un atout. Si des objectifs de cet ordre étaient fixés aux patrouilles de Sentinelle, il est certain que la monotonie de cette mission s’en trouverait diminuée.

Conclusion

L’opération Sentinelle opère sur le territoire français depuis bientôt dix ans, cette mission s’est inscrite dans le quotidien des habitants et les hommes en armes passent comme des ombres aux abords des gares et des terrasses des cafés. Les moyens financiers conséquents engagés (plus de 3 milliards d’euros selon la Cour des comptes) doivent contribuer à renforcer l’armée de terre sans diminuer sa capacité d’entraînement ni son taux de renouvellement de contrat. Si ces moyens sont loin d’être gaspillés et que les hommes de Sentinelle ont déjà permis d’éviter le pire, une réorganisation de son dispositif qui correspondait à l’urgence de 2015 devrait être engagée.

Syrie: qui est Abou Mohammed al-Joulani, le chef des rebelles islamistes qui ont pris le contrôle de Damas?

Syrie: qui est Abou Mohammed al-Joulani, le chef des rebelles islamistes qui ont pris le contrôle de Damas?

Le chef islamiste de Hayat Tahrir al-Sham, à la tête de la coalition des rebelles islamistes qui a chassé Bachar el-Assad du pouvoir en moins de quinze jours, a longtemps frayé avec al-Qaïda. Depuis, il a rompu ses liens avec le groupe terroriste et montre un visage plus modéré en promettant une transition en douceur à la Syrie. Une mue surprenante qui interroge sur ses motivations réelles.

Le chef du groupe islamiste syrien Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a dirigé une offensive rebelle éclair arrachant Damas au contrôle du gouvernement, Abu Mohammed al-Joulani, arrive à l'intérieur de la mosquée des Omeyyades, emblématique de la capitale syrienne, pour s'adresser à la foule qui s'y est rassemblée, le 8 décembre 2024.
Le chef du groupe islamiste syrien Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a dirigé une offensive rebelle éclair arrachant Damas au contrôle du gouvernement, Abu Mohammed al-Joulani, arrive à l’intérieur de la mosquée des Omeyyades, emblématique de la capitale syrienne, pour s’adresser à la foule qui s’y est rassemblée, le 8 décembre 2024. AFP – AREF TAMMAWI

Grand, bien charpenté, la barbe bien taillée…  Abou Mohammed al-Joulani montre un visage bien différent de celui qu’il avait lorsqu’il était le leader d’une branche d’al-Qaïda. Le leader du Hayat Tahrir al-Sham (HTS) fait tout pour se montrer désormais sous un jour bien plus modéré. Il a délaissé sa tenue traditionnelle pour un costume ou le treillis militaire, et depuis l’offensive qui a mené à la chute de Bachar el-Assad, il demande à ce qu’on l’appelle par son patronyme civil, Ahmed Hussein al-Charaa, et non plus par son nom de guerre. 

En douze jours, le chef du HTS à la tête de la coalition des rebelles a mené à bien son offensive éclair contre le régime Assad et il souhaite désormais faire oublier son passé de jihadiste affilié à al-Qaïda pour se poser en alternative politique crédible en Syrie. Face à la caméra de CNN le 6 décembre, Abou Mohamed al-Joulani affirmait que « le but de la révolution, c’est de renverser ce régime. Nous avons le droit d’utiliser tous les moyens nécessaires pour l’atteindre. »

Rassurer les minorités

Dès la prise d’Alep le 27 novembre, il a voulu rassurer la population en affirmant que les différentes confessions et toutes les minorités seraient respectées. « Personne n’a le droit d’effacer un quelconque groupe. Les différentes communautés ont coexisté dans cette région durant des centaines d’années et personne n’a le droit de les éliminer. Il doit y avoir un cadre légal qui protège et qui assure les droits de chacun. Pas un système qui serve une seule communauté, comme ce qu’a fait le régime d’Assad », avait-il alors déclaré.

Âgé de 40 ans, le leader islamiste a passé les premières années de sa vie en Arabie saoudite où son père était ingénieur pétrolier avant de rentrer en Syrie. Ahmed al-Charaa, le nom sous lequel il souhaite désormais se faire appeler, a alors grandi à Mazzé, un quartier cossu de Damas, dans une famille aisée. Et il a commencé des études de médecine.

D’après le site Middle East Eye, c’est après les attentats du 11-Septembre que « les premiers signes de jihadisme commencèrent à apparaître dans la vie de Joulani, lequel commença à assister à des sermons et des tables rondes secrètes dans les banlieues marginalisées de Damas ». Dans une interview donnée à PBS Frontline, en 2021, lui estime avoir commencé à se radicaliser lors de la deuxième Intifada en 2000. « J’avais 17 ou 18 ans à l’époque et j’ai commencé à réfléchir à la manière dont je pouvais remplir mes devoirs, en défendant un peuple opprimé par les occupants et les envahisseurs », expliquait-il.

Un vétéran du jihad islamique

Dans la foulée de l’invasion américaine de l’Irak en 2003, il part combattre dans ce pays voisin de la Syrie, où il rejoint le groupe al-Qaïda en Irak d’Abou Moussab al-Zarqawi avant d’être emprisonné durant cinq ans. Après le début de la révolte contre Bachar el-Assad en 2011, il rejoint son pays natal pour y fonder le Front al-Nosra, qui deviendra HTS. 

En 2013, il refuse d’être adoubé par Abou Bakr al-Baghdadi, futur chef de l’État islamique, et lui préfère l’émir d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. C’est finalement en 2016 que le Front al-Nosra rompt ses liens avec l’organisation terroriste, une décision qui visait selon al-Joulani à « faire taire les prétextes avancés par la communauté internationale » pour viser le groupe, classé « terroriste » par Washington. En 2017, celui-ci est alors rebaptisé Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Abou Mohammed al-Jolani en 2016 lorsque le Front al-Nosra était encore affilié à al-Qaïda.
Abou Mohammed al-Jolani en 2016 lorsque le Front al-Nosra était encore affilié à al-Qaïda. AP

Al-Joulani, dont la tête a été tout de même mise à prix par les États-Unis 10 millions de dollars, affirme depuis avoir évolué et vouloir bâtir une nouvelle Syrie, qui permettrait à tous les réfugiés syriens de rentrer chez eux. Si cet éloignement de l’idéologie d’al-Qaïda semble pour l’instant bien réel, est-il pour autant vraiment sincère ? « Abou Mohamed al-Joulani renie complètement le jihad global. Il estime, comme d’autres au sein de ce groupe, que c’était une erreur et que beaucoup d’hommes sont morts à cause de ça et que c’était un projet qui ne pouvait pas en tout cas réussir et qui était insensé », explique Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste du Moyen-Orient qui a rencontré le leader islamiste en 2023 à Idleb.

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« Al-Joulani tire sa force de son expérience dans le Nord »

Depuis la prise d’Alep, le HTS a multiplié les communiqués pour rassurer les communautés druzes, chrétiennes et alaouites. Dans les zones que le groupe contrôlait avant la chute de Bachar el-Assad, des services publics ont été créés, un réseau téléphonique mobile a même été mis en place à Idleb puis étendu à Alep. « Il s’agit d’islamistes, mais ils sont par exemple moins rigoristes que les talibans. Les femmes vont à l’école, les femmes vont à l’université, les gens fument dans la rue, on entend de la musique dans des échoppes… Donc, c’est rigoriste et conservateur, mais ce n’est pas du tout le jihad d’al-Qaïda ou de l’État islamique. Ce n’est pas du tout le conservatisme à l’extrême des talibans, c’est autre chose », analyse Wassim Nasr. 

Suite à la fuite de Bachar al-Assad, le chef du HTS reste d’ailleurs relativement en retrait sur le plan politique. Il a demandé à ses combattants de ne pas s’approcher des institutions qui restent, dit-il, sous le contrôle du Premier ministre qui s’est, lui, dit prêt à coopérer avec tout « nouveau leadership » choisi par le peuple. « La réussite d’une transition réside justement dans son approche inclusive. Al-Joulani tire sa force de son expérience dans le Nord, dans la mesure où il a plutôt nommé un gouvernement civil composé de technocrates et d’administrateurs pour gérer le quotidien dans les territoires contrôlés par le HTS. C’est un élément positif et il pourrait reproduire ce schéma en laissant certains ministres, ou même l’actuel chef du gouvernement, gérer les affaires pour cette phase de transition », estime Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen et chargé de cours à l’Université de Genève.

Un calcul politique ? 

Il n’en reste pas moins que sous couvert d’une certaine tolérance, al-Joulani a gouverné la région d’Idleb d’une main de fer depuis 2017. Pour beaucoup d’observateurs, cette volonté d’apparaître comme un islamiste modéré reste d’abord un calcul politique pour celui qui se rêve un destin d’homme d’État. « C’est toute la stratégie d’al-Joulani depuis plusieurs années de se montrer extrêmement tolérant, extrêmement modéré, notamment vis-à-vis des médias. Mais il ne faut pas être dupe », prévient Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et auteur de plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient.

« C’est quelqu’un qui, quand il avait 20 ans, est parti se battre en Irak aux côtés d’al-Qaïda. Il a été dans la prison d’Abou Ghraib. Il a connu les plus grands cadres d’al-Qaïda. Il a divorcé d’al-Qaïda en 2016 pour des raisons tactiques, mais il a conservé évidemment son idéologie. Il a imposé un totalitarisme islamique sur Idleb, éliminant physiquement des milliers d’opposants, que ce soit des laïques ou des islamistes modérés comme le groupe al-Cham. Donc, il ne faut pas avoir beaucoup d’illusions sur ce qui pourrait se produire dans les mois qui suivront son éventuelle prise de pouvoir », conclut l’universitaire.

La nomination de Kash Patel inquiète le FBI : Quel avenir pour l’agence ?

La nomination de Kash Patel inquiète le FBI : Quel avenir pour l’agence ?

Nomination Kash Patel FBI
Réalisation LeLab Diplo

La nomination de Kash Patel inquiète le FBI : Quel avenir pour l’agence ?

Par Angélique Bouchard – Le Diplomate média – publié le 9 décebre 2024

https://lediplomate.media/2024/12/la-nomination-de-kash-patel-inquiete-le-fbi-quel-avenir-pour-lagence/angelique-bouchard/monde/elections-americaines-2024/


La nomination de Kash Patel par le président élu, Donald Trump, au poste de directeur du FBI a suscité de vives réactions le soir du samedi 30 novembre. L’actuel directeur du FBI, Christopher Wray, qui occupe le poste depuis 2017, sera donc licencié. Les médias américains ont qualifié Patel de « choix extrêmement controversé ».

Le talk-show « Morning Joe » de MSNBC, le qualifie de « personnification de la colère MAGA contre le ministère de la justice et le FBI ».

Les conservateurs, eux, ont appelé Patel à « nettoyer le FBI », agence corrompue et inefficace selon eux.

Patel, « un combattant MAGA » et un fervent « Défenseur de la Vérité » :

Patel, 44 ans, est un avocat expérimenté en matière de sécurité nationale, de renseignement et de lutte contre le terrorisme.  Au cours de la première administration Trump, il a été le directeur principal de la lutte contre le terrorisme au Conseil de sécurité nationale, puis chef de cabinet du secrétaire à la Défense par intérim, Christopher Miller, de 2020 à 2021.

L’avocat a commencé sa carrière en tant que défenseur public dans le comté de Miami-Dade en Floride, après avoir fréquenté l’Université Pace à New-York et avoir obtenu un certificat en droit international à la Faculté de droit de l’University College de Londres.

En 2014, Patel est devenu procureur fédéral à la Division de la sécurité nationale du ministère de la Justice et a joué un rôle prépondérant dans la poursuite des membres d’Al-Qaïda et de l’EI et d’autres groupuscules terroristes.

Avant de rejoindre la première administration Trump, Patel a été conseiller à la sécurité nationale et conseiller principal à la House Permanent Select Committee on Intelligence (HPSCI), où il rendait compte au président du comité, le Représentant Devin Nunes, républicain de Californie. Dans ce rôle, il a contribué à superviser l’enquête de la Chambre sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016.

Kash Patel a surtout mis en lumière les agissements de l’agence, notamment la surveillance exercée par le FBI sur la campagne et le premier mandat du président Trump. Il a été également « membre de l’équipe de transition » de Donald Trump, conseillant l’administration sur les potentielles nominations au cabinet.

Trump a annoncé la nomination de Patel sur son réseau Truth Social :

« Kash est un brillant avocat, enquêteur et combattant de l’America First, qui a passé sa carrière à dénoncer la corruption, à défendre la justice et à protéger le peuple américain (…). Il a joué un rôle essentiel dans la découverte du canular « Russie, Russie, Russie », en se faisant le défenseur de la vérité, de la responsabilité et de la Constitution ».

En revanche, cette nomination a attisé la colère des premiers détracteurs de Trump et des libéraux, à l’instar de l’ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, qui a appelé le Sénat à rejeter la nomination de Kash Patel, comparant cette décision au règne de terreur de Jospeh Staline. Dans une déclaration à NBC News, dans l’émission « Meet the Press », Bolton a déclaré :

« Trump a nommé Kash Patel pour être son Lavrentiy Beria. Heureusement, le FBI n’est pas le NKVD (Commissariat du peuple aux affaires intérieures) … Le Sénat devrait rejeter cette nomination à 100% des voix ». (Source : John Bolton compares Kash Patel to Stalin’s right-hand man after Trump’s FBI nomination, par Andrea Margolis, Fox News, 1er décembre 2024).

La déclaration de Bolton fait référence directe à Lavrentiy Beria, qui était le chef de la police secrète soviétique sous Staline. Beria est une figure historique, tristement connue, pour avoir organisé et mis en œuvre une surveillance, répression et purges ethniques à grande échelle sous le régime stalinien.

De son côté, Andrew McCabe, qui a été brièvement le directeur par interim du FBI, sous Trump en 2017, avant d’être renvoyé pour avoir « prétendument divulgué des informations aux médias et manque de loyauté », a qualifié la nomination de Patel de : « plan visant à perturber, à démanteler, à distraire le FBI » :

« C’est une terrible nouvelle pour les hommes et les femmes du FBI et pour la Nation, qui dépend d’un FBI très performant, professionnel et indépendant. Le fait que Kash Patel soit totalement incompétent pour ce poste n’est même pas un sujet à débattre » a déclaré McCabe sur CNN. (Source : Kash Patel’s nomination sparks enthusiasm, anxiety ; future of the FBI appears uncertain, par Andrea Margolis, Fox News, 30 novembre 2024).

Fervent partisan de la doctrine « MAGA », Kash Patel est un critique féroce de la corruption des élites gouvernementales et de l’État profond. Sa critique systématique du Bureau, dans le passé, a fait fureur.

En 2023, Patel a publié un livre intitulé « Government Gangsters : The Deep State, the Thruth and the battle for Our Democracy », qui a pointé les rouages mis en place « par les principaux acteurs et leurs tactiques au sein de la bureaucratie gouvernementale permanente ».

Dans une interview accordée en septembre dernier au Shawn Ryan Show, Patel a mentionné l’empreinte du FBI, qu’il a qualifiée « d’énorme » :

« Je fermerais le bâtiment Hoover du FBI dès le premier jour et je le rouvrirais le lendemain en tant que musée de l’État profond ». (Lien :  https://x.com/ShawnRyan762/status/1863026829101027684)

Quelles sont les mesures concrètes à adopter pour rétablir la confiance dans le FBI ? 

Le poste de directeur du FBI nécessite l’aval du Sénat. Dans un post publié samedi soir sur X, Mik Davis, allié de Trump, a qualifié Patel « d’incontestablement qualifié » pour le poste :

« J’ai été le conseiller principal du président de la commission judiciaire du Sénat, Chuck Grassley, chargé des nominations- le poste chargé de la confirmation du directeur du FBI. Kash Patel sera confirmé par le Sénat. Il apportera des réformes indispensables à un FBI corrompu et défaillant » (Source : Trump nominates Kash Patel to serve as FBI director : Advocate for truth, par Andrea Margolis, Peter Pinedo, Fox News, le 30 novembre 2024).

La déclaration de Trump indique que Patel travaillera avec Pam Bondi, la candidate au poste de procureur général, pour réformer le FBI :

« Ce FBI mettra fin à l’épidémie croissante de criminalité aux États-Unis, démantèlera les gangs criminels de migrants et mettra fin au fléau du trafic d’êtres humains et de drogue à travers la frontière. Kash travaillera sous la direction de notre procureure générale Pam Bondi, pour ramener la fidélité, le courage et l’intégrité du FBI ».

En effet, la nomination de Patel laisse entrevoir des changements majeurs que l’agence devrait probablement subir au cours du second mandat de Donald Trump.

Le FBI est devenu pour beaucoup d’Américains une arme politique et sociale, dévoyé de sa mission première qui est la lutte contre le crime et la sécurité du peuple américain. La crise de légitimité et la défiance grandissante à l’égard de l’agence nécessitent une révision totale de la culture du Bureau.

Cette révision de la « Culture Maison » passe aussi par une révision de la politique RH.

Nicole Parker, une ancienne agente spéciale du FBI a mentionné en 2023, dans une interview à The Hill les raisons pour lesquelles elle avait qui quitté son poste au mois de novembre de cette même année, du fait de la politisation et des dérives grandissantes qui règnent à l’agence.

Lors de son passage au FBI, elle a déclaré avoir participé à des enquêtes telles que la fusillade de 2018 au lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland, en Floride, ou des enquêtes financières portant sur « des combines à la Ponzi de plusieurs millions de dollars », des agressions sexuelles et autres affaires d’extorsions.

Selon Parker, les « priorités et les principes directeurs » du FBI ont changé pendant qu’elle y travaillait : « les problèmes de politisation se succèdent » au sein du FBI.

Elle cite à ce titre l’exemple d’agents portant des gilets du FBI qui se sont agenouillés avec des manifestants de Black Lives Matter à Washington, D.C., en juin 2020 :

« Bien que les agents aient droit au premier amendement, ils ne sont pas libres d’exprimer publiquement tout soutien politique potentiel lorsqu’ils sont en service et qu’ils portent l’équipement officiel du FBI », a-t-elle fait valoir. Mme Parker a déclaré qu’il était « consternant » que les agents n’aient pas été réprimandés pour cela.

Elle a également affirmé que le FBI avait abaissé les critères de recrutement. Le bureau « Diversité et Inclusion », l’ODI (Office of Diversity and Inclusion), doit être réévalué en raison de son instumentalisation politique.

Le FBI doit relever ses normes de recrutements et réévaluer à la hausse les critères de sélection des candidats, en se basant uniquement sur « la méritocratie » et non la couleur de peau ou le genre.

De même, le siège du FBI doit être considérablement réduit et les agents de « la Centrale » doivent être davantage sur le « terrain » pour lutter efficacement contre le crime.

Selon Mme Parker, ces changements structurels ont « démotivé les agents », qui ont désormais tendance à « garder la tête basse », ce qui, selon elle, est l’une des principales raisons de sa démission. (Source : https://thehill.com/homenews/house/3851797-who-is-former-fbi-agent-nicole-parker-testifying-in-first-house-weaponization-hearing/).

Ce témoignage fait écho aux propos de Kash Patel, qui promet de rétablir l’intégrité du FBI s’il est confirmé sans ses fonctions. Dans son livre Patel appelle à une refonte très claire de l’agence :

« Les choses vont mal. Le FBI a gravement abusé de son pouvoir, menaçant non seulement l’État de droit mais aussi les fondements mêmes de l’autonomie gouvernementale, socle de notre démocratie. Ce n’est pas la fin de l’histoire. Le changement est possible au FBI et il est désespérément nécessaire. Le fait est que nous avons besoin d’une agence fédérale qui enquête sur les crimes fédéraux et cette agence sera toujours exposée au risque de voir ses pouvoirs abusés ».

Kash Patel plaide pour un licenciement des « acteurs corrompus », une « surveillance agressive » du Congrès sur l’agence, une refonte complète des procureurs spéciaux et le déménagement du FBI hors de Washington D.C.

« Le plus important est de faire sortir le FBI de Washington. Il n’y a aucune raison pour que l’agence nationale chargée de l’application de la loi soit centralisée dans le marigot. Conserver le FBI dans son gigantesque bâtiment, au siège de Washington ne fait que favoriser une culture de l’Entre- Soi institutionnel et inciter les hauts dirigeants du FBI à perdre de vue leur mission première pour se lancer dans des jeux politiques, s’attirer les faveurs de politiciens et cultiver leurs relations avec la presse pour faire avancer leur carrière ».


Nomination Kash Patel FBI
Angélique Bouchard

Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.

Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

par Pierre-Emmanuel THomann* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°664 / décembre 2024

*Docteur en géopolitique

Une alliance de terroristes islamistes dont le noyau est le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en provenance d’Idlib, refuge pour les anciens djihadistes de Daesh[1], ont lancé une offensive en Syrie et conquis la ville d’Alep. Derrière ces djihadistes, il y a les intérêts géopolitiques des puissances : avant tout Ankara (soutien à HTS), mais aussi Tel-Aviv[2] et Washington[3] qui utilisent des proxys islamistes depuis 2011 pour provoquer un changement de régime en Syrie.

Derrière cette nouvelle offensive djihadiste, les rivalités géopolitiques entre puissances aboutissent à des objectifs variés. Pour Washington, le bénéfice de cette opération vise avant tout à ouvrir un nouveau front contre la Russie, pour tenter de ralentir la défaite inéluctable en Ukraine, mais aussi au Proche-Orient contre l’Iran. L’objectif est également d’accroître la conflictualité avec la Russie et ses alliés, pour torpiller l’objectif annoncé par Donald Trump de résoudre les conflits en cours.

Washington est responsable de l’affaiblissement de la Syrie par sa politique de sanctions, avec son occupation – avec les Kurdes – d’une partie du territoire au nord-est du pays et sa base militaire d’Al Tanf, au sud. Les États-Unis ont aussi pour objectif d’orienter l’expansionnisme turc vers les zones d’intérêt de la Russie en Syrie, au Caucase et en Asie centrale. La Turquie occupe une large bande de territoire syrien le long de sa frontière avec Damas, et cherche à élargir sa zone de contrôle contre les Kurdes. Tel-Aviv, soutenu par Washington, bombarde la Syrie depuis des années pour affaiblir la partie du pays loyale à Bachar el Assad, mais aussi le Hezbollah, d’où ses bombardements récents au Liban. L’objectif de Tel Aviv est d’affaiblir l’axe chiite Iran/Syrie/Liban. 

En toile de fond des crises multiples en Ukraine, en Géorgie (tentative de coup d’État en cours), à Gaza (épuration ethnique par Israël), au Liban (offensive de Tsahal), et maintenant en Syrie, c’est la lutte pour nouvel ordre géopolitique mondial qui s’exprime, tournant la page de l’ancien ordre spatial unipolaire américain.

La multiplication des conflits au Proche-Orient, dans le Caucase, en Ukraine et dans les Balkans, malgré leurs spécificités régionales, font partie d’un même théâtre mondial et sont situés dans les zones de confrontation géopolitique entre grandes puissances. Les États-Unis, dans le cadre de leur stratégie d’encerclement de la Russie, cherchent à provoquer la surextension de Moscou, doctrine explicitement préconisée par la Rand Corporation[4] afin que la Russie soit obligée de faire face à différentes menaces sur différents théâtres.

Tout conflit, ancien ou récent, est désormais aspiré dans cette lutte pour le contrôle des espaces géopolitiques entre les États-Unis, la Russie, la Chine et les puissances secondaires.  Au-delà des conflits autour des territoires et des populations, l’enjeu est la nouvelle architecture du système international : la Russie, l’Iran et la Chine, les autres États membres des BRICS et de l’Organisation de Shangaï (OCS) font la promotion d’un monde multipolaire qui s’oppose à celui que défendent les États-Unis, Israël et leurs alliés (OTAN-UE) qui cherchent à en torpiller l’émergence et, a minima, ralentir la mutation vers un nouvel ordre mondial plus équilibré. La Turquie, membre de l’OTAN, mais refusant les sanctions contre la Russie, joue sa propre carte entre les regroupements antagonistes.

L’obstacle principal a une résolution des crises multiples est donc de nature systémique, et tant qu’un nouvel ordre géopolitique plus multipolaire ne sera pas accepté par les États-Unis et leurs supplétifs de l’OTAN/UE, le conflit mondial s’élargira à de nouveaux théâtres et s’envenimera jusqu’au seuil d’une troisième guerre mondiale. 

Cette nouvelle offensive djihadiste en Syrie a été facilitée par les attaques de l’armée israélienne au Liban et en Syrie, pour affaiblir le Hezbollah depuis plusieurs semaines. Le groupe djihadiste HTS est l’héritier de Jabhat al-Nusra, sous-groupe d’Al-Qaïda qui avait fusionné avec l’État islamique mais s’en est détaché en 2014.

Il ne faut pas oublier que la Syrie, la Russie, le Hezbollah, et l’Iran avaient réussi à empêcher les djihadistes sunnites d’Al-Qaïda – soutenus par Washington, Londres, Paris, Tel Aviv, Ankara, Ryad, Doha et Amman – de prendre Damas et avaient aussi combattu l’État islamique. Aujourd’hui, nous assistons à une réactivation des terroristes pour relancer l’objectif de changement de régime. Toutefois, dans le monde arabe, l’Égypte[5] et l’Irak vont cette fois-ci soutenir la Syrie de Bachar el Assad.

Rappelons-nous le soutien de la CIA, non seulement aux djihadistes afghans[6], mais aussi aux bandéristes néonazis contre l’URSS pendant la Guerre froide[7]. Souvenons-nous de la stratégie de tension de la CIA, soupçonnée d’avoir organisé des attentats ayant tué des civils en Europe, afin d’entretenir les populations dans la peur du communisme, toujours dans le contexte de la Guerre froide[8]. Plus récemment, rappelons les changements de régimes organisés en ex-Yougoslavie, en Irak, en Libye et en Syrie[9], à l’occasion desquels Washington, Londres et leurs alliés, ont soutenu des mouvements islamistes. Enfin, souvenons-nous que depuis 2014, les extrémistes ukrainiens se considérant comme les héritiers de Stepan Bandera, mais aussi des mercenaires étrangers néonazis, ont servi de supplétifs pour atteindre les objectifs géopolitiques de Washington et Londres.

Au final, Washington (Grand Occident), Tel Aviv (Grand Israël), Ankara (panturquisme) et Kiev (nation antirusse) continuent de soutenir les terroristes sunnites pour atteindre leurs objectifs géopolitiques respectifs.

Washington en soutenant militairement les deux pivots, Israël (contre l’Iran) et l’Ukraine (contre la Russie), a pour objectif géopolitique de torpiller l’émergence du monde multipolaire et déstabilise l’Europe et le Proche Orient. La politique de terreur exercée par Washington (sabotage de Nord Stream) et son soutien aux djihadistes au Proche-Orient et aux extrémistes bandéristes et néonazis en Ukraine, est destinée à menacer et contraindre tout État qui serait tenté de s’émanciper de la tutelle américaine et de rejoindre le projet géopolitique multipolaire. 

Washington, Tel Aviv et Ankara sont donc des régimes qui pratiquent le terrorisme d’État et menacent à nouveau la sécurité européenne. Ce n’est pas nouveau, la guerre en Irak en 2003 promue par les néoconservateurs adeptes du suprémacisme américano-israélien, a abouti à la montée en puissance de l’État islamique. Ces États sont co-responsables des crises migratoires de ces dernières années et des attentats islamistes en France. Leurs tentatives de changement de régime en Syrie, depuis 2011, avec leurs proxys islamistes (soutenus par Londres et aussi malheureusement aussi par Paris) demeurent jusqu’à aujourd’hui infructueuses.

On l’a dit, les Etats-Unis et la Turquie occupent le territoire syrien depuis des années, ce qui leur permet d’entretenir des djihadistes pour leurs objectifs de déstabilisation, et aujourd’hui ouvrir un nouveau front.

Pour éviter que la Syrie ne tombe aux mains des djihadistes, et préserver la sécurité de l’Europe mais aussi de toute l’Eurasie, il est dans l’intérêt de la France que Bachar el Assad, la Russie et l’Iran réussissent à éliminer ces djihadistes. Si un régime islamiste parvenait à se hisser au pouvoir à Damas, une nouvelle crise migratoire surgirait et les attentats islamistes sur le sol européen seraient facilités.

 

 


[1] https://www.fabricebalanche.com/syrie/lemirat-islamique-didleb/

[2] https://mayenneaujourdhui.com/2024/11/30/le-role-disrael-dans-le-retour-du-terrorisme-en-syrie/

[3] Ömer Özkizilcik, Uniting the Syrian Opposition the Components of the National Army and the Implications of the Unification. Ce rapport de 2019 souligne le soutien militaire de Washington à l’opposition à la Syrie de Bachar el Assad, et notamment sa composante turque, sous le prétexte de combattre Daesh (https://www.setav.org/en/assets/uploads/2019/10/A54En.pdf).

[4] https://www.rand.org/pubs/research_briefs/RB10014.html

[5] https://french.ahram.org.eg/NewsContent/1/130/57427/Egypte/Politique/L%E2%80%99Egypte-souligne-son-soutien-;-l%E2%80%99Etat-syrien-et-;.aspx

[6] https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/SOUCHON/54701

[7] ttps://mronline.org/2022/09/14/ukraine/

[8] https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20110501.RUE2092/quand-l-otan-tuait-des-civils-en-europe-pour-lutter-contre-l-urss.html

[9] https://cf2r.org/actualite/revelation-des-plans-secrets-de-la-cia-pour-la-destabilisation-de-la-syrie/

Le groupe Wagner : une ombre grandissante au cœur du Sahel

Le groupe Wagner : une ombre grandissante au cœur du Sahel

Centre français de recherche et d’analyse des politiques internationales
Perspective Monde Université de Université de Sherbrooke, Québec, Canada -publié le 2/12/2024
https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3662


L’implantation du groupe Wagner dans la région du Sahel a profondément modifié la dynamique sécuritaire et géopolitique de cette zone instable d’Afrique. Cette société militaire privée russe s’est rapidement imposée comme un acteur incontournable, suscitant à la fois espoirs et inquiétudes (1).

Un renforcement de l’influence russe dans la région saharienne

Le groupe Wagner a fait son entrée au Mali fin 2021, à l’invitation de la junte militaire au pouvoir. Cette arrivée a coïncidé avec le retrait des forces françaises de l’opération Barkhane, créant un vide sécuritaire que la Russie s’est empressée de combler (2). Le groupe a ensuite étendu sa présence au Burkina Faso en 2023, où environ 100 mercenaires sont arrivés en janvier 2024. Des rumeurs persistent également sur une possible implantation au Niger après le coup d’État de juillet 2023 (3).

Le déploiement de Wagner au Mali, au coût de 10 millions de dollars par mois, met en lumière la priorité donnée à la sécurité au détriment d’autres secteurs essentiels (4). L’efficacité de Wagner est mise en doute avec une augmentation des pertes civiles et une intensification du conflit, notamment contre certaines communautés sahéliennes. En échange de ses services, Wagner aurait obtenu des concessions minières, notamment dans l’or, renforçant la dépendance du Mali à la Russie. Cette coopération, qui inclut une protection contre les djihadistes dans certaines régions, manque de transparence et freine potentiellement les réformes démocratiques. Enfin, elle a détérioré les relations avec les partenaires occidentaux, ce qui pourrait nuire à l’aide internationale et à l’économie du pays (5).

Violations des droits humains et déstabilisation

Depuis l’arrivée du groupe Wagner au Mali en décembre 2021, les violences envers les populations civiles ont considérablement augmenté. Le premier trimestre de 2022 a enregistré plus de victimes civiles que toute l’année 2021, avec 71 % des actions violentes impliquant directement des civils (6). Près de 300 civils auraient été tués lors d’opérations conjointes entre le groupe Wagner et les forces maliennes, avec des violations graves des droits humains incluant des massacres, des traitements inhumains, des enlèvements, des abus sexuels, des destructions de biens et des arrestations massives sans fondement légal (7). Les incidents majeurs incluent le massacre de Moura en mars 2022, où plusieurs centaines de civils ont été tués en seulement cinq jours, ainsi que des attaques sur des marchés civils, comme à Hombori. (8).

Selon les Nations unies (ONU), les forces maliennes et les paramilitaires de Wagner sont responsables de l’exécution sommaire de plus de 300 civils, dont 58 femmes et jeunes filles victimes de violences sexuelles, lors du massacre de Moura. La présence de Wagner fragilise la stabilité régionale en délégitimant les gouvernements locaux et en compliquant les efforts internationaux de stabilisation. Le groupe alimente également la désinformation anti-occidentale, notamment anti-française, ce qui risque d’aggraver l’instabilité à long terme. En soutenant des régimes autoritaires et en commettant des crimes de guerre, Wagner nourrit la méfiance envers les acteurs internationaux et entrave toute avancée vers une paix durable (9).

La situation au Sahel central se détériore, avec une violence djihadiste croissante et une crise humanitaire grave. En 2023, le Burkina Faso a enregistré plus de 8 000 morts liés aux violences, tandis qu’au Mali, l’implication du groupe Wagner aggrave la situation sécuritaire. Parallèlement, le Niger connaît une intensification des violences depuis le coup d’État de juillet. Cela génère plus de 2,8 millions de déplacés et 7 millions de personnes en besoin d’aide, avec des milliers d’écoles fermées et des régions sous blocus. En 2024, la violence devrait persister, alimentée par les juntes militaires et Wagner, aggravant les conflits et la crise des réfugiés (10).

De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) et observateurs internationaux accusent le groupe d’exactions et de violations des droits humains. Des témoignages font état d’exécutions sommaires, de tortures et de pillages attribués aux mercenaires russes. La mission de l’ONU au Mali (MINUSMA) a rapporté une augmentation par dix du nombre de violations des droits humains commises par les forces de sécurité entre fin 2021 et début 2022, coïncidant avec l’arrivée de Wagner (11).

Les raisons de l’engagement russe en Afrique de l’Ouest

La Russie a utilisé le groupe Wagner pour étendre son influence en Afrique, notamment au Sahel, où l’instabilité politique favorise ses opérations. Ce réseau de mercenaires, étroitement lié au Kremlin, joue un rôle clé dans la stratégie de Moscou pour renforcer ses relations avec plusieurs gouvernements africains en échange de services de sécurité et de soutien militaire. En retour, Wagner obtient des concessions minières, principalement dans les secteurs de l’or et des diamants, mais aussi dans l’exploitation d’autres ressources naturelles telles que le pétrole, le gaz, et le bois (12).

La Russie exploite l’instabilité politique et le mécontentement contre l’ancienne puissance coloniale, la France, pour renforcer ses liens avec des régimes locaux en difficulté, comme au Mali, Burkina Faso et en République centrafricaine (RCA). Souvent violentes, les opérations de Wagner alimentent des préoccupations internationales concernant les droits humains. La présence russe dans le Sahel soulève des risques pour la stabilité régionale, tout en renforçant le contrôle de Moscou sur les ressources vitales (13).

L’impact de l’Africa Corps sur la sécurité et les régimes du Sahel

L’impact du groupe Wagner sur la stabilité du Sahel est controversé. Bien que les régimes militaires louent son efficacité contre les menaces sécuritaires, un rapport de l’’United States Institute of Peace (USIP) souligne que ses interventions aggravent souvent les conflits. Ses méthodes brutales, telles que les violences envers les civils, alimentent le ressentiment local et intensifient l’insécurité. Dans certaines régions, Wagner inspire plus de crainte que les groupes djihadistes, exacerbant les tensions et exposant davantage de civils aux attaques armées. (14).

Après la mort de son meneur Evgueni Prigojine en août 2023, le groupe Wagner a été rebaptisé Africa Corps et placé sous le contrôle direct du ministère russe de la Défense, supervisé par Yunus-Bek Yevkurov. Ancien président de l’Ingouchie et général de l’armée, Yevkurov supervise désormais les opérations russes en Afrique, renforçant l’influence de Moscou dans la région. L’Africa Corps, composé principalement d’anciens membres de Wagner, est déployé dans cinq pays : le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la République centrafricaine et la Libye, où il établit son quartier général (15).

Ce groupe poursuit plusieurs objectifs : assurer des missions de sécurité, former les forces locales, soutenir politiquement les régimes en place, et exploiter les ressources naturelles, notamment la mine d’or d’Intahaka au Mali. En janvier 2024, l’Africa Corps a renforcé la protection du président burkinabé Ibrahim Traoré, en envoyant un premier contingent de 100 soldats, puis 200 supplémentaires. Cette restructuration s’inscrit dans la stratégie russe d’élargir son influence en Afrique, de sécuriser ses intérêts et de contrer l’Occident, tout en tentant de redorer l’image des opérations russes, souvent associées aux violations des droits humains commises par Wagner (16).

L’implantation de Wagner au Sahel a consolidé l’influence de la Russie, mais au prix d’une escalade des violences et de l’instabilité. En soutenant les régimes locaux contre les djihadistes, le groupe utilise des méthodes brutales qui alimentent les tensions et exacerbe la souffrance des civils. Si la présence russe renforce son pouvoir dans la région, elle complique les efforts internationaux pour restaurer la paix et la stabilité.


Références:

(1) Rampe, W, What Is Russia’s Wagner Group Doing in Africa ? Council On Foreign Relations ,14 mai 2023 https://www.cfr.org/in-brief/what-russias-wagner-g… consulté le 7 novembre 2024

(2) Tacchi, B. J. I. & J, Wagner in Africa: How the Russian mercenary group has rebranded, le 20 février 2024, https://www.bbc.com/news/world-africa-68322230 consulté le 7 novembre 2024

(3) Wilk, A, The Wagner forces under a new flag : Russia’s Africa Corps in Burkina Faso. OSW Centre for Eastern Studies, 31 janvier 2024, https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/analyses/2024… consulté le 7 novembre 2024

(4) Radio-Canada, Que fait le groupe Wagner en Afrique ?, Radio-Canada.ca, 2 mai 2023 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1977921… consulté le 7 novembre 2024

(5) Jeune Afrique, Mali : comment Wagner compte faire main basse sur des mines d’or,7 septembre 2022 https://www.jeuneafrique.com/1374898/politique/rus… consulté le 13 novembre 2024

(6) ACLED, Wagner Group Operations in Africa: Civilian Targeting Trends in the Central African Republic and Mali, 30 aout 2022 https://acleddata.com/2022/08/30/wagner-group-oper… consulté le 13 novembre 2024

(7) Loc.cit.

(8) Bensimon, C., « Au Mali, l’armée et des combattants étrangers seraient responsables du massacre de 500 personnes à Moura selon l’ONU », Le Monde, 12 mai 2023, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/05/12/… consulté le 14 novembre 2024

(9) Loc.cit.

(10) ACLED Conflict Watchlist 2024 : Sahel, 2024, https://acleddata.com/conflict-watchlist-2024/sahel/, consulté le 14 novembre 2024

(11) OHCHR, Mali : UN experts call for independent investigation into possible international crimes, 13 janvier 2023, https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/01/ma… consulté le 14 novembre 2024

(12) Berge, J., Central African Republic Mine Displays Stakes for Wagner Group’s Future, Center for Strategic and International Studies, 21 septembre 2023, https://www.csis.org/analysis/central-african-repu… consulté le 15 novembre 2024

(13) Loc.cit.

(14) Litzow, J., Africa: Here’s How to Respond to Russia’s Brutal Wagner Group, United States Institute of Peace, 11 avril 2023, https://www.usip.org/publications/2023/04/africa-h… consulté le 15 novembre 2024

(15) Al-Rashid, A., The Wagner Lesson: Unveiling the Africa Corps’ Impact on Russia’s Influence in Africa, Future Center, 1er novembre 2023, https://www.futureuae.com/en-AE/Mainpage/Item/9355… consulté le 15 novembre 2024

(16) Loc.cit.