La France éblouit le reste de l’Europe avec le programme le plus ambitieux du continent pour la modernisation de son armée de Terre
Le programme de transformation de l’armée de Terre française SCORPION fête ses 10 ans.
Dix ans se sont écoulés depuis le lancement du programme SCORPION, un projet qui a radicalement transformé les capacités terrestres de l’armée française. Un événement de deux jours début avril a servi de vitrine pour prouver l’efficacité et à la pertinence des systèmes qui composent ce programme. De nombreuses délégations étrangères y étaient présentes, témoignant de l’intérêt international pour ces innovations françaises.
Le programme SORPION fête ses 10 ans à réinventer l’armée de Terre française
Le programme Scorpion, lancé en 2014, vise à moderniser les capacités de combat de l’armée de Terre française. Son budget est inclus dans la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, qui prévoit des investissements significatifs pour les équipements militaires. Pour la période 2024-2030, le budget total des armées françaises est de 413,3 milliards d’euros, avec une augmentation progressive chaque année, atteignant 68,9 milliards d’euros en 2030. Le programme Scorpion inclut la livraison de 1 872 véhicules blindés Griffon, 300 Jaguar et 103 Serval d’ici 2033. En 2024, des crédits supplémentaires sont alloués pour soutenir les programmes à effet majeur, dont Scorpion.
KNDS suit la cadence
Depuis la mise en service des premiers véhicules en 2019, le site de montage final de KNDS France, situé à Roanne, a vu sa capacité de production tripler, passant de 92 à 300 véhicules par an. Cet accroissement fulgurant vise un objectif encore plus ambitieux : atteindre une production de 450 unités par an pour l’ensemble des modèles du programme. Cette montée en puissance témoigne de l’engagement de la France dans la modernisation de ses forces terrestres.
De 3 à 6 versions du véhicule GRIFFON
Initialement prévues en trois versions, les configurations du véhicule GRIFFON s’élargissent aujourd’hui à six, incluant notamment le GRIFFON MEPAC, doté d’un mortier embarqué pour l’appui rapproché, livré fin 2024. Ces véhicules ne se contentent pas de combler les lacunes des versions précédentes mais introduisent des améliorations substantielles en termes de puissance de feu et de capacités médicales, doublant la capacité d’évacuation des blessés graves.
Une modernisation des capacités de communication
Le programme SCORPION marque une évolution majeure dans les capacités de communication du champ de bataille avec l’intégration de stations compatibles avec le système satellite Syracuse IV. Cette modernisation est le fruit d’un consortium temporaire d’entreprises, soulignant l’importance de la coopération industrielle dans le succès de SCORPION.
En outre, les véhicules SCORPION sont conçus pour intégrer le Système d’Information du Combat SCORPION (SICS), permettant une numérisation en temps réel du champ de bataille et un combat collaboratif. Cette intégration fait de la 6e Brigade Légère Blindée la première brigade interarmes complètement « SCORPIONisée ».
Avancées technologiques et opérationnelles
Les retours d’expérience des déploiements des véhicules GRIFFON dans le Sahel et en Europe de l’Est ont permis des améliorations significatives sous l’Increment 2 du programme. Ces modifications visent à augmenter la robustesse des véhicules et à optimiser leur discrétion et ergonomie, avec des tests de qualification prévus cette année et une intégration des améliorations dès 2026.
Une vitrine internationale de l’excellence française
L’exercice BIA23 a mis en lumière le rôle crucial du consortium GME EBMR dans l’actualisation des capacités de ciblage d’artillerie et de communication par satellite, renforçant la position de la France en tant que leader en matière de technologie de défense terrestre. Les Jours du SCORPION ne sont pas seulement une démonstration de force, mais aussi une plateforme d’échange doctrinal et logistique essentielle pour façonner l’avenir de la guerre terrestre.
Les programmes militaires similaires en Europe
En Europe, plusieurs programmes équivalents au programme SCORPION de l’armée de terre française sont en cours de développement. Par exemple, l’Allemagne travaille sur le programme Puma, qui vise à moderniser ses véhicules de combat d’infanterie. L’Italie a également le programme Freccia, destiné à améliorer ses capacités de combat blindé. En outre, l’Union européenne encourage la coopération entre États membres pour développer des capacités militaires communes via le Fonds européen de défense (EDF). Ces initiatives visent à renforcer l’interopérabilité et la modernisation des forces terrestres européennes.
Programme
Pays
Objectif Principal
Coût Estimé (milliards €)
Nombre de Véhicules
Puma
Allemagne
Modernisation des véhicules de combat d’infanterie
12,5
405
Freccia
Italie
Amélioration des capacités de combat blindé
1,8
250
Ajax
Royaume-Uni
Développement de véhicules de reconnaissance et de combat
3,5
589
CV90
Suède
Modernisation des véhicules de combat d’infanterie
Une colonne de chars Abrams américains a traversé le territoire national à l’automne dernier à titre d’expérimentation. Cette relève s’inscrit en tant que test dans le programme M M.
La montée en puissance d’une défense européenne soulève la question du déplacement rapide des troupes européennes et/ou alliées. Dans ce cadre, la Commission européenne par la voix du service d’action extérieure, a initié un inventaire des capacités de mobilité en Europe. Le programme se poursuit sous le pilotage de l’Agence européenne de défense (AED).
I- Le projet « Military Mobility »
Les États membres de l’Union européenne (UE) ont décidé le projet « Military Mobility » adopté en 2018 conjointement par la Commission européenne et le Haut Représentant. Il vise à assurer la fluidité des mouvements des armées et des équipements de défense en Europe et à réduire les délais de déplacement en facilitant le mouvement des troupes et des équipements de défense entre les pays.
Le financement de l’UE permet de moderniser des infrastructures, telles que des ports, des routes et des chemins de fer à travers l’Europe, afin de répondre à des normes militaires spécifiques, d’identifier des itinéraires pour le déplacement des armées et de réduire certaines formalités administratives.
A terme le projet permettra aux armées de déplacer des chars, de savoir quelles autoroutes sont sûres pour l’atterrissage des avions de chasse et de connaître la limite de poids d’un pont.
II- Extension du projet
La nécessité d’une mobilité efficace des forces armées sur le continent européen n’a cessé de croître depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022.
En novembre de cette année-là, l’UE a inclus dans ce projet des routes et d’autres infrastructures de transport vers l’Ukraine, la Moldavie et les Balkans occidentaux, en prévision d’éventuels conflits sur le continent.
La Suisse a décidé d’adhérer au projet financé par l’UE, auquel participent des pays non membres de l’UE comme le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada et la Norvège.
La Suisse était intéressée par ce projet depuis longtemps, mais Berne doit encore obtenir l’approbation des États de l’UE — attendue jeudi 9 janvier — et des autres membres du projet pour rejoindre officiellement le club, selon l’ordre du jour de la réunion.
Les États membres sont maintenant sur le point d’approuver l’adhésion de la Suisse au projet « Military Mobility »,
Avec l’adhésion de la Suisse, les Européens entendent combler le trou noir qui persistait au centre du continent, que les armées des différents pays de l’Union auraient été obligé de contourner en cas de conflit, ou de franchir au cas par cas.
« La participation de la Suisse au projet Military Mobility vise principalement à améliorer les processus administratifs grâce à une standardisation accrue », a annoncé le ministère suisse de la Défense.
III- Limites
Malgré son adhésion prochaine au projet, la Suisse reste neutre militairement. « Une participation financière [au projet] n’est pas prévue pour l’instant », a également indiqué le porte-parole du ministère suisse à Euractiv.
La Turquie a été également candidate mais a été exclue du projet en raison de son conflit avec Chypre.
IV le projet « Cyber Ranges Federation ».
La Suisse souhaite également rejoindre le projet « Cyber Ranges Federation ». Piloté par l’Estonie depuis 2021, il vise à réunir les cyber-champs de tir nationaux afin d’améliorer les exercices de cyberdéfense, le partage des connaissances, l’analyse des risques, l’éducation et la formation, ainsi que les tests d’équipement.
GCA (2S) Robert MEILLE Vice-président de l’ASAF 08/04/2025
Cyberguerre et IA : l’armée française est-elle prête pour les conflits du futur ? | Armees.com
Depuis décembre 2024, avec la publication du 2025 Armis Cyberwarfare Report, la guerre numérique, ou cyberguerre, s’est imposée comme une réalité opérationnelle. Les chiffres sont sans appel : 87 % des responsables IT dans le monde considèrent que leur organisation est exposée à des cyberattaques d’ampleur, souvent d’origine étatique. En France, les militaires font face à un défi inédit : basculer dans une doctrine de cyberguerre alimentée par l’intelligence artificielle, tout en composant avec des infrastructures fragmentées, un déficit de talents spécialisés et une course technologique déjà lancée ailleurs.
L’IA, catalyseur des nouvelles doctrines d’engagement militaire
L’intelligence artificielle transforme en profondeur les opérations militaires. Dans le rapport Armis, les capacités d’attaque recensées font froid dans le dos : « logiciels malveillants autonomes, ingénierie sociale par IA, recommandations d’objectifs exploitables, reconnaissance automatisée de failles, désinformation massive par deepfakes». Désormais, une IA peut identifier une vulnérabilité dans un système de défense, la transmettre à un module de frappe, neutraliser la cible en quelques secondes — sans action humaine.
L’offensive se fait invisible, rapide, globale. Des groupes affiliés à des États comme la Russie, la Chine ou la Corée du Nord exploitent déjà des IA pour attaquer les réseaux électriques, perturber les chaînes logistiques militaires ou espionner les communications chiffrées. La menace n’est pas future.
Les forces armées françaises face à la cyberguerre
L’armée française a entamé sa transition vers le combat numérique. Le Commandement de la cyberdéfense (Comcyber), créé en 2017, monte en puissance. Des partenariats ont été noués avec l’Agence de l’innovation de défense (AID) pour développer des outils d’anticipation algorithmique, des contre-mesures autonomes et des systèmes de guerre cognitive.
Mais cette mutation est entravée par plusieurs obstacles :
Déficit de spécialistes : la France manque d’ingénieurs en cybersécurité et IA capables d’intégrer des systèmes complexes dans un cadre militaire. En 2025, moins de 2 000 personnels sont mobilisés dans la cyberdéfense militaire, un chiffre jugé « insuffisant » par le Sénat (rapport n° 626, juillet 2024).
Infrastructures vieillissantes : nombre de systèmes de commandement reposent encore sur des architectures non sécurisées ou non conçues pour l’IA.
Budget contraint : sur les 413 milliards d’euros prévus par la Loi de programmation militaire 2024-2030, seuls 4 milliards sont fléchés vers la cyberdéfense, IA comprise. Le rapport Armis note que « 49 % des organisations ne disposent pas des moyens nécessaires pour investir dans des solutions d’IA défensives ».
Pendant ce temps, les adversaires s’organisent. La Chine déploie déjà des systèmes d’analyse en temps réel alimentés par de l’IA pour suivre les mouvements logistiques adverses. La Russie expérimente des brouilleurs autonomes qui désactivent les communications radio dès qu’un signal militaire est détecté.
Des armes nouvelles, des menaces hybrides
La guerre de demain ne se joue pas uniquement dans le cyberespace. L’IA est désormais intégrée dans les systèmes d’armes classiques :
Drones autonomes tactiques : ils sont capables d’évaluer un terrain, d’identifier une cible et de frapper sans validation humaine immédiate. L’armée de terre française expérimente ce type de système via le programme COLIBRI.
Systèmes anti-drone automatisés : ils mobilisent l’IA pour identifier des menaces dans le spectre électromagnétique et les neutraliser. Le dispositif PARADE, développé avec Thales, en est un exemple.
Simulation et guerre cognitive : l’IA est utilisée pour simuler des comportements adverses, manipuler l’information, créer de faux ordres de mission ou de fausses voix de commandement. Les militaires français s’y préparent, mais les capacités restent limitées.
Selon Armis, « 75 % des responsables estiment que les institutions symboles de la pensée libre, comme la presse ou l’armée, seront de plus en plus ciblées par les cyberattaques à visée de déstabilisation ». Le risque est bien là : paralyser les systèmes, semer la confusion, provoquer l’erreur humaine. Et cela, sans tirer un seul coup de feu.
Pour que la France reste souveraine sur le théâtre cyber-militaire, trois leviers apparaissent :
1. Structurer une doctrine de cyberguerre à part entière Il est urgent d’intégrer la cyberguerre comme composante à part entière des engagements extérieurs, au même titre que l’aérien, le terrestre ou le naval. Aujourd’hui, cette doctrine est en gestation mais encore floue.
2. Créer une filière IA de défense stratégique Cela suppose de recruter, former, fidéliser des experts en IA appliquée à la défense. Mais aussi de sécuriser les données d’entraînement, les modèles, les infrastructures de calcul. Une IA militaire n’est efficace que si elle repose sur un écosystème souverain.
3. Intensifier la coopération interalliée À l’échelle européenne, le partage d’outils d’IA, de systèmes de veille et de protocoles d’intervention est encore embryonnaire. Pourtant, la menace est commune, et les systèmes sont souvent interconnectés. Un pacte cyber-défensif doit être pensé, au sein de l’UE comme de l’OTAN.
L’ennemi, lui, n’attend pas. Il infiltre déjà nos réseaux, cartographie nos faiblesses, programme ses frappes. Dans cette guerre, la victoire ne dépend plus seulement du courage ou de la stratégie. Elle dépend aussi… de lignes de code.
*Vice-amiral d’escadre (2S) Arnaud Coustillière. Président du « Pôle d’Excellence Cyber » CEO de Str@t Algo Conseil. Senior Advisor « Cyber & Digital ». Operating Partner “TIKEAU Capital”. Ancien COMCYBER 2011/17 et DGNUM 2017/20 au Ministère des Armées.
La route sera longue, mais l’électrochoc de la prise de pouvoir par le président Trump et de son écosystème a le mérite de nous montrer que le monde d’avant est terminé ; que celui de demain parait surtout marqué par l’incertitude, les rapports de force et les volontés de domination.
L’Europe est seule et doit reprendre en main son destin. Cela passe aussi et de façon très importante par la défense militaire, la puissance économique et le numérique qui irrigue aujourd’hui tous les pans de nos sociétés. Que chacun soit à la hauteur de ses responsabilités.
LA RECOMPOSITION géopolitique majeure qui s’opère actuellement autour du conflit en Ukraine nous démontre que l’autonomie stratégique numérique n’est plus simplement une ambition économique, mais une nécessité absolue pour l’indépendance et l’autonomie de décision de nos nations. Le monde dans lequel nous vivons est marqué par l’intensification des cyberattaques, l’ingérence étrangère et la dépendance technologique.
La France et l’Europe doivent prendre leur destin numérique en main, sous peine de s’installer définitivement dans une forme d’asservissement et de disparition progressive de leurs modèles de société. Imprégné de technologie, le sujet est aujourd’hui beaucoup plus sociétal et politique que technique. Il convient donc de le placer à ce niveau de décision et de gouvernance, celui de l’État et de notre représentation nationale et européenne, mais aussi des entreprises clientes du numérique. Ce n’est plus en premier lieu un sujet d’expert technique.
Depuis 2018 le thème de la souveraineté numérique est devenu « politique » du fait de nos dépendances à nos « partenaires-concurrents » que sont nos alliés américains et des enjeux autour de la captation des données ; chaque pays, chaque bloc, défendant de plus en plus ouvertement ses propres intérêts en utilisant le droit comme forme d’ingérence extraterritoriale.
Arnaud Coustillière
Vice-amiral d’escadre (2S).
2018/2025 a été le temps de la prise de conscience et de la fin de la naïveté…… Mais que faire à présent ?
Nous étions partenaires, alliés mais concurrents, ce n’est pas nouveau, le président François Mitterrand le déclarait déjà ; nous nous retrouvions cependant autour de valeurs communes. La souveraineté numérique semblait davantage une affaire économique que géopolitique, bien que les problématiques des données, notamment personnelles et de santé, posaient question et étaient l’objet de tractations difficiles entre l’Europe et les États-Unis.
Heureusement de nombreuses initiatives nationales et européennes ont été lancées dès cette période, tant dans le cadre de France 2030, des actions de l’ANSSI, des certifications SecnumCloud ou encore EUCS, des clouds souverains et de confiance, de la Loi « SREN » visant à sécuriser et réguler l’espace numérique en France, du combat courageux de plusieurs députés et sénateurs, du réseau des Campus Cyber, des travaux du Cigref …
Elles sont restées dans une logique de coopération, souvent subie, avec les grands acteurs non européens, sans oser en repenser le modèle relationnel, car il y avait plus d’intérêt à utiliser leurs systèmes parfaitement performants, qu’à partir sur d’autres voies très risquées, mais l’évolution vers le cloud, l’IA et le fait de confier ses données à un partenaire « non de confiance » posent de plus en plus question.
Le numérique dans toutes ses composantes est, et sera de plus en plus un terrain de compétition, de contestation et d’affrontement, tant commercial et culturel que stratégique.
Même si les actions offensives restent en deçà d’un certain seuil de violence, elles sont une réalité. De nombreux États en conduisent comme le montre régulièrement l’agence VIGINUM, elles cherchent à saper insidieusement la confiance dans l’État, le fonctionnement de la Nation et sa cohésion. Depuis une dizaine d’années, la désinformation est orchestrée avec des attaques techniques via des campagnes hybrides habilement conduites et planifiées. L’IA est plus récemment devenue un moyen et une arme pour fausser les perceptions des populations, rendant stratégique le sujet de son encadrement et de sa régulation.
La réélection du président Donald Trump en novembre 2024 marque une rupture à plusieurs niveaux
Rupture tout d’abord dans la méthode par rapport à l’administration précédente qui œuvrait avec certaines formes pour conforter sa suprématie d’empire numérique et sa « mainmise » sur l’espace numérique européen. Brutalité, surprise, hyperactivité, incertitude, mais aussi emprise sur les médias américains….
Rupture dans les soutiens : les GAFA [1] se sont ralliés très rapidement et très fortement aux discours et actions du mouvement MAGA [2], mus par l’appât des gains financiers grâce à un monde de l’Internet débridé où les données peuvent être captées sans contrainte, l’IA développée sans contre-pouvoir ou régulation, ou encore par une vision d’un monde futuriste porté par quelques grands patrons de la Silicon Valley. On parle même de « techno droite » comme nouveau courant idéologique mêlant les utopies libertariennes et les valeurs conservatrices.
Rupture majeure dans les alliances où le président Trump casse en quelques jours et quasiment seul le système des relations internationales et des alliances issues du siècle précédent, renvoyant à la politique américaine « Big Stick Policy » du tout début du XXème siècle.
Dans ce contexte, tout peut se produire… L’ennemi d’hier parait être devenu le nouvel ami ou du moins un partenaire comme les autres.
Un agent d’influence russe serait-il à la Maison Blanche comme la presse semble s’en faire l’écho ? L’Amérique est-elle en train de devenir, elle aussi, une autocratie qui tourne le dos à toutes les valeurs qui ont construit la relation transatlantique ? La question impensable il y a encore quelques semaines, est aujourd’hui sur la table.
Nous sommes face à un monde d’incertitudes !
Quid d’un décret présidentiel mettant à disposition de l’administration américaine les données des Européens, des sociétés, ou des organisations hébergées chez les GAFA ?
Quid d’une mise sous séquestre ou prise en otage des données de nos entreprises placées chez ces mêmes GAFA, juridiquement validée en droit américain ?
L’hébergement des données en France ou en Europe chez un GAFA les met de fait sous juridiction des Etats-Unis. C’est également vrai pour les données techniques confiées aux prestataires cyber de service américains issues des capteurs déployés et exploités dans le Cloud, et encore plus pour tout ce qui concerne les métadonnées et les algorithmes.
On le sait ! En l’absence d’infrastructure, de technologie et de services performants européens, il n’y a pas vraiment d’alternatives, et c’est bien cela qu’il faut collectivement bâtir progressivement afin de disposer d’une offre complémentaire, à un juste niveau technologique.
C’est ce point qui doit changer rapidement ; une voie existe, comme le montre les différentes initiatives autour des clouds de confiance/souverain, mais qui doivent passer à l’échelle au travers d’une nouvelle relation avec les grands GAFA. Une sorte de New deal entre une « Europe unie » – États et organisations représentatives des clients, comme CIGREF, NUMEUM, MEDEF, CGPME, Clubs de Directeur des Systèmes d’Information (DSI) [3]… et des sociétés privées de droit américain qui doivent s’adapter et adapter leurs infrastructures. Ce sont, in fine, les entreprises (Comex) et les DSI qui disposent du pouvoir de passer ou pas un contrat, et de peser sur leurs fournisseurs. Il faut donc s’appuyer sur eux et en faire des acteurs clef de ces démarches par de actions collectives.
Parmi les Européens employés par ces sociétés, nombre d’entre-eux se sentent de plus en plus mal à l’aise, mais ils peuvent aussi avoir un rôle en interne pour expliquer qu’un tel comportement de voyou n’est pas créateur de confiance et de stabilité. L’incertitude est mauvaise pour les affaires à moyen terme. Loin de les considérer comme des parias, il vaut mieux échanger avec eux et les associer pour en faire des « passeurs », il existe assez d’associations pour que ce sujet soit mis sur la table sans tabou.
Faire face
Premièrement, il y a aujourd’hui urgence à se préparer face à l’incertitude entretenue par la nouvelle administration américaine !
Déjà à court terme démarrons par le plus sensible qu’est déjà le besoin de se protéger et de se défendre de façon autonome, puis se mettre en sécurité juridique – déjà les sauvegardes – les données les plus importantes, et de sauvegarder sous cadre juridique européen tout ce qui peut l’être ; SECNUMCLOUD [4] bien sûr pour ce qui mérite de l’être et plusieurs initiatives de Clouds souverains sont ou seront bientôt disponibles. En cyber, il y a des solutions européennes performantes qui méritent de pouvoir passer à l’échelle.
Ensuite, un changement de paradigme pour les DSI… A-t-on besoin partout d’innovation ou de facilités de développement, qui font recourir aux « Market Places », très performantes mais non européennes pour avoir un « time to market » le plus rapide possible ? Les outils sont extraordinaires mais en a-t ’on réellement besoin partout ? Pour les domaines sensibles, ne peut-on pas penser à des systèmes plus « à façon » hébergés sur une infrastructure européenne ?
Il faut rester maître des « données sensibles » mais aussi des « algorithmes qui modélisent les savoir- faire et les modes de fonctionnement spécifiques des organisations, là où se trouvent les plus-values et la valeur qui font le « cœur stratégique » des organisations ».
Revisitons déjà tous les contrats en cours dont souvent les tarifs explosent (Broadcom/Vmware par exemple ou encore les différents avis régulièrement émis par le CIGREF).
Certains le font ! Il faut que tous les DSI s’en saisissent. Ce sont eux qui définissent l’architecture et le recours aux prestataires ; ils ont un pouvoir de décision.
Si l’infrastructure n’est pas encore passée à l’échelle ; les initiatives Secnumcloud et EUCS+ sont en cours avec des opérateurs français lancés dans l’aventure : OVH, S3NS, SCALEWAY, NUMSPOT, OUTSCALE, BLEU, OODRIVE et autres…
Des mesures à prendre en urgence, puis un long chemin restera à parcourir pour regagner le terrain informatique abandonné aux acteurs non européens, là où nos intérêts stratégiques et les données de nos citoyens le nécessitent.
Cette rupture est voulue et provoquée par notre partenaire américain. Il renoue avec le début de la Pax America post 1914 ; il tourne le dos à une partie de son histoire et de ses valeurs. Elle ne doit pas être vécue comme un traumatisme uniquement négatif mais comme un formidable défi à relever, une opportunité à saisir, pour lesquels la France a un rôle majeur à jouer, seule et avec ses partenaires les plus proches en Europe.
Un tournant de son histoire à ne pas ou à ne plus rater.
Souvenons-nous de Suez en 1956 ! Les Français et les Britanniques ont été sommés, du fait d’un accord entre les Etats-Unis et l’URSS, de stopper leurs opérations. Cela a été le point de départ de la constitution de la Force de Dissuasion par le général de Gaulle dans l’objectif de « Retrouver notre autonomie stratégique pour défendre nos intérêts nationaux ».
Le rapport « Nora-Minc » sur l’Informatisation de la Société Française datant de 1977 avait déjà anticipé beaucoup de choses, mais que d’échecs et de démissions collectives depuis face à l’émergence de l’hégémonie américaine.
Le général de Gaulle a su mobiliser les forces vives de la Nation et créer la Force de dissuasion en une dizaine d’années.
Les États et industriels ont su s’entendre et s’allier pour créer dans les années 1970 le consortium Airbus.
Plus récemment la Nation s’est retrouvée autour de la reconstruction de la cathédrale Notre Dame. L’État a su agir aux cotés des entreprises privées et d’acteurs nombreux, le tout avec un leadership original confié à un général, domaine bien éloigné de son parcours de carrière.
Des atouts à mobiliser
Si nous avons su créer une dynamique pour restaurer une architecture vielle de 800 ans, ne peut-on imaginer comment initier et entrainer une dynamique européenne pour bâtir une infrastructure numérique autonome avec des partenaires respectueux de la liberté et de la dignité des citoyens ?
Nous disposons de beaucoup d’atouts et d’énergies à libérer. La France a été à l’initiative de l’Appel de Paris en 2019 et plus récemment du Sommet de l’IA où le monde numérique a pu montrer sa diversité et son dynamisme, pas seulement états-uniens…
Il s’agit à présent de prendre son destin numérique en main et de ne plus subir. Ce n’est pas simple, même très compliqué mais la France doit se mettre au cœur de la dynamique européenne pour l’entrainer. Rassembler autour d’elle, l’Allemagne, les pays d’Europe du nord, l’Italie, l’Espagne…. Les acteurs et entrepreneurs de toute nation convaincue de cette évolution pour transformer une faiblesse en force.
L’État ne doit pas vouloir agir seul, ce doit être une action conjointe entre politiques et fonctionnaires, mais aussi et surtout avec les représentants des entreprises consommatrices et leurs DSI (Cigref, Club Décision DSI…).
Une force vive au cœur de la vie économique et politique apte à suivre un leader pour entrainer l’Europe dans cette voie.
La France dispose des atouts qu’il faut pour se positionner en catalyseur, source d’inspiration et leader. Nous avons les écoles et les compétences de haut niveau ; cyber, IA, innovation et recherche très dynamiques, French Tech, Business France, de dispositifs d’accompagnement comme France 2030 et de levées de fond.
Les compétences, la créativité et les entrepreneurs sont également là, mais il manque un marché « domestique », français et européen, d’une taille suffisante pour leur permettre de s’épanouir et de se développer, pour passer à l’échelle…
C’est l’une des étapes les plus importantes et essentielles, voire clef. Au-delà de toutes les aides et accompagnement, il faut créer un marché européen du numérique favorable aux acteurs européens et à des partenaires choisis exclusivement sous droit européen, sur la base de relations équilibrées comme on peut le voir dans les démarches de Cloud de confiance, ou encore lors de l’IA Summit.
Coca Cola est bien une société américaine, mais elle produit en France. McDonald’s est bien américain mais sa matière première est produite en Europe…. Ce sont des images éloignées du numérique, mais il faut aussi que les GAFA comprennent que leur attitude est devenue insupportable et que cela finira par nuire à leurs affaires, tant en Europe que dans le reste du monde
Il ne faut pas oublier non plus que l’espace numérique est l’espace stratégique d’affrontement où les États se confrontent en premier, restant sous le seuil de l’agression armée, combinant des actions d’ingérence, de désinformation, de propagande, ou encore des actions plus techniques pour perturber, saboter voire détruire. Saper la force morale des populations, faire perdre confiance dans l’État et ses institutions, désorganiser la société et les armées avant l’attaque, ou encore gagner sans combattre, le summum de l’Art de la Guerre (Sun Tzu).
Le réarmement européen source de nombreuses déclarations comporte lui aussi tout un champ numérique très dual qui commence chez nos industries, institutions et organisations…
L’autonomie en cybersécurité ne se limite pas à une question technique : c’est enjeu politique, un impératif de souveraineté, de compétitivité et de stabilité sociale.
Dans ce contexte, le Pôle d’Excellence Cyber est pleinement engagé à jouer un rôle clef dans la structuration de l’écosystème français et européen, centré sur le régalien européen et aligné avec les politiques du ministère des Armées, de l’ANSSI, des institutions européennes, et de partenaires européens. Sans attendre davantage, un groupe de travail sera lancé pour débattre de ce sujet avec nos membres.
Cette réflexion rend compte d’un tournant nécessitant une vision affirmée et des actions concrètes pour renforcer notre autonomie stratégique.
Quatre grandes initiatives pourraient être envisagées
Lancer une dynamique nationale « État/Représentation nationale/Entreprises » à effet d’entrainement européen pour coordonner et suivre au plus haut niveau des États l’ensemble des actions concrètes à mener sans plus tarder. Un véritable plan d’action 2025/2027 est à construire, ainsi qu’une dynamique large soumise à une gouvernance globale regroupant l’ensemble du numérique (cyber, data, cloud, IA, quantique…) et associant en premier lieu les entreprises « consommatrices » et pas simplement les grands groupes. La France a su le faire pour les JO 2024 !
Promouvoir à la fois les offres souveraines et de confiance, mais lancer un échange entre les acteurs « français » et les GAFA pour faire comprendre que la situation actuelle est intenable et sera « perdant-perdant « comme semble le montrer les récentes évolutions de la bourse américaine. Faire des affaires ne veut pas dire écraser ou prendre son client en otage….
La Revue Stratégique 2025 lancée par le Président de la République pourrait constituer le premier réceptacle pour ses premiers travaux.
Conduire des États généraux du numérique avec l’ensemble des partenaires pour définir le plan 2027/2032, inspiré des méthodologies utilisées pour les Livres blancs sur la Défense et la Sécurité nationale. La France dispose du SGDSN rodé à ce type d’exercice.
Élargir les travaux de France 2030 en allant au-delà des seuls projets techniques. Favoriser la montée en gamme de marchés « domestiques » accessibles aux offres issues de groupements d’entreprises européennes, faciliter l’accès à des marchés (gouvernement, OIV…) d’une taille importante.
Lancer une sensibilisation et concertations avec les associations de DSI d’entreprises de toutes tailles, les éditeurs et les entreprises de services numériques ESN. Grands groupes mais aussi et surtout ETI/PME qui ont besoin de davantage de conseils et des SI moins complexes, mieux adaptés dans un premier temps à des offres de services européennes.
La route sera longue, mais l’électrochoc de la prise de pouvoir par le président Trump et de son écosystème, a le mérite de nous montrer que le monde d’avant est terminé ; que celui de demain parait surtout marqué par l’incertitude, les rapports de force et les volontés de domination.
L’Europe est seule et doit reprendre en main son destin. Cela passe aussi et de façon très importante par la défense militaire, la puissance économique et le numérique qui irrigue aujourd’hui tous les pans de nos sociétés.
Là où il y a une volonté, il y a un chemin…
Copyright Mars 2025-Coustillière/Pôle d’Excellence Cyber
[2] NDLR. MAGA : Make America Great Again. Littéralement « Rendre l’Amérique à nouveau grande », soit : « Rendre sa grandeur à l’Amérique », abrégé MAGA, est un slogan de campagne utilisé par des personnalités politiques des États-Unis, dont D. Trump.
[3] NDLR. Un Directeur des Systèmes d’Information (DSI) a pour missions de définir la stratégie informatique. Le DSI est chargé d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie informatique de l’entreprise, alignée sur les objectifs commerciaux. Cela inclut la planification des investissements technologiques et l’identification des opportunités d’innovation.
[4] NDLR. SECNUMCLOUD :« En tant qu’autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information, l’ANSSI accorde des Visas de sécurité ANSSI à des solutions, produits ou services qui démontrent un niveau élevé de sécurité et de confiance. Dans le cadre de cette démarche, l’agence a élaboré en 2016 le référentiel SecNumCloud pour permettre la qualification de prestataires de services d’informatique en nuage, dit cloud. Son objectif : promouvoir, enrichir et améliorer l’offre de prestataires de cloud à destination des entités publiques et privées souhaitant externaliser, auprès de prestataires de confiance, l’hébergement de leurs données, applications ou systèmes d’information. » Source : https://cyber.gouv.fr/
Analyse – L’Union européenne face à la guerre en Ukraine : Conflit géopolitique ou prétexte à une intégration fédérale européenne ?
Par Alexandre Raoult – Le Diplomate média – publié le 25 mars 2025
Réalisation Le Lab Le Diplo
Depuis février 2022, le conflit en Ukraine a profondément bouleversé l’équilibre géopolitique du continent européen. Officiellement, l’Union européenne s’est positionnée comme un seul bloc, solidaire aux côtés de Kyiv, au nom de la défense du droit international, de la souveraineté des peuples et de la sécurité collective. Mais derrière cette posture qui se veut le plus consensuelle, certains observateurs perçoivent un autre enjeu, moins visible : l’exploitation du contexte de guerre afin de faire avancer un projet d’intégration politique plus ambitieux, porté notamment par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et par notre président de la république, Emmanuel Macron.
Analyse – L’Union européenne face à la guerre en Ukraine : Conflit géopolitique ou prétexte à une intégration fédérale européenne ?
Par Alexandre Raoult – Le Diplomate média – publié le 25 mars 2025
La guerre russo-ukrainienne, dans sa forme actuelle, a éclaté en février 2022 avec l’offensive militaire de la Russie contre l’Ukraine, après huit années de tensions persistantes depuis les événements de l’EuroMaïdan, suivi de l’annexion de la Crimée en 2014. Moscou justifie son intervention par la nécessité de “dénazifier” l’Ukraine et de protéger les populations russophones du Donbass. Kyiv, de son côté, soutenu massivement par l’Occident, y voit une invasion impérialiste de la Russie. Visant à remettre en cause son intégrité territoriale et sa légitimité souveraine sur la région.
Le conflit oppose donc deux blocs : la Russie de Vladimir Poutine, soutenue plus ou moins discrètement par plusieurs puissances émergentes dans une logique de reconfiguration multipolaire ; et l’Ukraine, adossée au soutien militaire, financier et diplomatique de l’OTAN, des États-Unis et de l’Union européenne.
Trump, OTAN, UE : Une fracture transatlantique révélatrice
L’attitude de l’ancien président américain Donald Trump vis-à-vis de l’OTAN et de l’Union européenne a amplifié les doutes sur la solidité du lien transatlantique. En qualifiant l’OTAN d’organisation “obsolète” et l’Union européenne de “véhicule pour les intérêts allemands”, Trump a ouvertement remis en cause les fondements du système de sécurité européen. Plus récemment, ses déclarations évoquant l’éventualité de ne pas défendre un pays européen ne respectant pas les engagements budgétaires de l’Alliance (2 % du PIB annuel) ont renforcé un sentiment d’incertitude.
Dans ce climat de doute, certains dirigeants européens ont vu une opportunité : celle d’accélérer une intégration fédérale de l’Union, au nom de “l’autonomie stratégique”.
Des signaux clairs d’une bascule fédérale
Sous couvert de répondre aux urgences du moment, l’Union européenne a multiplié les initiatives qui dépassent largement son mandat initial. En voici quelques exemples :
Un prêt commun de 806,9 milliards d’euros, lancé via le plan de relance post-Covid “Next Generation EU”, a ouvert la voie à une mutualisation de la dette à l’échelle européenne – sans consultation directe des citoyens ;
L’euro, déjà en circulation dans 20 pays, est désormais envisagé comme levier de stabilisation politique, au-delà de son rôle économique initial ;
Le projet d’euro numérique, porté par la BCE, est censé moderniser les paiements dans la zone euro. Mais il suscite de vives inquiétudes : traçabilité des transactions, restrictions potentielles à l’usage, affaiblissement du rôle des banques commerciales et recentralisation du pouvoir monétaire à Francfort ;
Le marché unique continue de s’étendre, imposant progressivement ses normes aux États membres, au détriment de certaines prérogatives nationales ;
La coopération militaire s’intensifie avec le projet d’armée européenne et les discussions autour d’un parapluie nucléaire européen, potentiellement adossé à la dissuasion française ;
Des fonds dédiés à la Défense, comme la Facilité européenne pour la paix (FEP) ou le Fonds européen de défense (FED), permettent à l’Union de financer directement la livraison d’armes à des pays tiers – une première historique.
Pris dans leur ensemble, ces éléments dessinent les contours d’une structure quasi-étatique. Or, cette mutation politique majeure s’opère sans mandat explicite des peuples européens.
Vers une Europe technocratique et hors sol ?
La critique principale formulée par les opposants à cette dynamique fédérale tient dans l’absence de légitimation démocratique. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, n’a pas été élue au suffrage universel des populations. Pourtant, elle a négocié et validé un prêt commun de 800 milliards d’euros engageant les générations futures, sans avoir consulté les citoyens européens.
Sur le plan militaire, domaine historiquement réservé aux souverainetés nationales, l’Union avance désormais vers une intégration doctrinale, stratégique et budgétaire. Ce glissement remet en cause le principe même de subsidiarité des États membres.
La France, quant à elle, semble opérer un recentrage stratégique. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, elle accepte de plus en plus de partager, voire de diluer, ses leviers de puissance (diplomatie autonome, industrie de défense, dissuasion nucléaire) dans une architecture européenne technocratique peu soumise au contrôle des urnes.
Un fossé grandissant entre les institutions et les peuples
Cette fracture n’est plus théorique. Lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, en février 2025, la venue du vice-président américain James David Vance a illustré le décalage croissant entre les élites européennes et leurs opinions publiques. Alors que Bruxelles et certaines capitales, Paris en tête, plaident pour une intégration stratégique plus poussée – y compris sur le nucléaire –, Washington a rappelé l’importance d’une Europe “alignée sur la volonté de ses peuples”.
Des sondages récents, évoqués en marge de la conférence, confirment cette tendance : de nombreux citoyens européens expriment leur méfiance vis-à-vis des choix opérés à Bruxelles, notamment en matière militaire, budgétaire ou énergétique. Le manque de transparence, le contournement des parlements nationaux et l’absence de référendums alimentent une crise de légitimité démocratique qui ne cesse de s’aggraver.
Une Union européenne à la croisée des chemins
L’idée d’une Europe unie reste porteuse d’espoir, comme en témoignent déjà les ambitions des traités de Maastricht. Mais l’instrumentalisation d’une crise majeure – en l’occurrence la guerre en Ukraine – pour faire progresser un projet fédéraliste sans le consentement des citoyens constitue un précédent lourd de conséquences.
L’Union européenne peut-elle encore se réclamer démocratique lorsque ses choix les plus structurants sont élaborés à huis clos, dans les couloirs de la Commission, loin des regards et des urnes ? Les idéaux d’union, de paix et de coopération sont nobles. Mais ils ne doivent pas servir de prétexte à une confiscation silencieuse des souverainetés nationales au profit d’un projet technocratique qui remet en question l’essence même de la démocratie : la libre souveraineté des peuples.
Alexandre Raoult
Alexandre Raoult est étudiant en master dans une grande école de commerce à La Rochelle. Photographe indépendant et jeune passionné de géopolitique, il s’intéresse également à l’histoire et à la satire politique. Il a intégré l’équipe du Diplomate média en tant que rédacteur en mars 2025.
Deux programmes d’équipement gigantesques sont jugés nécessaires en Europe. L’un porte sur la décarbonation, l’autre porte sur un renforcement rapide et massif des armées et de leur équipement. Ces programmes, qui demanderont chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros supplémentaires, sont financièrement incompatibles. Par Philippe Roger, Ingénieur Général de l’Armement hors classe (2S).
par Philippe Roger – La tribune – Publié le 01/04/25
« La défection au moins partielle des États-Unis et l’observation des techniques de combat en Ukraine créent des besoins très importants, qui viennent s’ajouter à l’énorme besoin de rattrapage des effets du sous-financement chronique des décennies…DR
Deux programmes d’équipement gigantesques sont jugés nécessaires en Europe : l’un porte sur la décarbonation, à travers des éoliennes et des parcs photovoltaïques, et, entre autres, des subventions aux véhicules électriques et à l’isolation des bâtiments. L’autre porte sur un renforcement rapide et massif des Armées et de leur équipement. Ces programmes, qui demanderont chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros supplémentaires, sont financièrement incompatibles.
En tous cas en France où on ne veut pas toucher à la durée du travail, et à l’âge de la retraite, et où on ne peut plus emprunter aux frais de nos enfants. Et où, comme ailleurs, on s’approche d’un gouffre de dépenses de santé lié au vieillissement de la population. Quels sont actuellement l’utilité et les conséquences industrielles de ces deux programmes ?
Décarbonation, une vertu qui a un prix colossal
L’intérêt de principe du programme de décarbonation n’est contesté que par des scientifiques, que le GIEC fait déclarer hérétiques. Leurs arguments sur les causes non-anthropiques de l’augmentation du taux de CO2, sur le fait que cette augmentation suit, au lieu de la précéder, l’augmentation des températures, sur le rôle dominant de la vapeur d’eau dans la régulation des températures, sur l’existence et la saturation, s’il existe, de l’effet de serre, voire sur l’influence négligeable du taux de CO2 sur l’évolution des climats, ne parviennent pas à être mieux publiés et discutés que ceux de Galilée en son temps.
Rejetons ces hérétiques dans les ténèbres extérieures, puisqu’on ne peut les mettre au bûcher, où ils dégageraient exprès du CO2. En revanche, le rythme retenu, pour des motifs politiques purs, au niveau français comme au niveau européen, pour nos actions de décarbonation, de la quasi-neutralité carbone en Europe en 2050 à la suppression des véhicules thermiques en 2035, peut et doit être contesté sans risquer le bûcher. On peut à bon droit le considérer comme infondé et suicidaire.
Infondé, car l’objectif de CO2 visé pour l’Europe ne ferait gagner que 0,014 degrés sur la température finale « moyenne » de la Terre, d’après les formules mêmes du GIEC, la part de l’Europe dans les émissions « fossiles » du monde étant de 7,2% du total mondial. Pendant ce temps, les 92,8 % restants semblent ne faire l’objet que d’efforts minimes, et l’idée selon laquelle le concours de vertu publique des COP va obliger le reste du monde à se repentir et à nous imiter ne tient pas plus la route que celle qui voit la France, lumière du monde, imposer par son exemple la paix, la laïcité, ou l’égalité hommes-femmes, au reste du monde béat d’admiration. Pour la France, qui pèse 10% du total européen d’émissions, donc 0,72% du total mondial, l’objectif visé amènerait à gagner 0,0014 degrés, soit une quantité imperceptible pour le commun des mortels, qui supporte allégrement 15 degrés d’amplitude diurne, comme pour la Planète, qui en a vu d’autres.
Suicidaire, car il accélère le remplacement des produits de notre industrie par des importations, et l’exode de nos capitaux pour construire des usines ailleurs. Ce d’autant que notre industrie et notre agriculture sont déjà extrêmement affaiblies, victimes depuis longtemps de décisions politiques dépourvues de toute base scientifique, limitation du nucléaire à 50% de la production d’électricité en 2035, arrêt des réacteurs surgénérateurs, refus de tout OGM, refus du glyphosate, interdiction de la prospection d’hydrocarbures, menace permanente de l’obscurantiste mais constitutionnel-principe-de-précaution, et j’en passe.
La fureur déconstructrice ne s’est pas donnée libre cours que dans la philosophie et l’Éducation Nationale. C’est à ce rythme dément qu’il faut maintenant s’attaquer. Les objectifs retenus à Bruxelles de façon uniforme pour tous les États membres,sans tenir compte en rien des investissements que nous avons faits pendant des années sur la production nucléaire d’électricité, doivent être révisés très fortement à la baisse, et les dates arbitrairement fixées pour les atteindre doivent être reculées, pour tenir compte du rythme de la décarbonation en Chine, en Inde, et aux États-Unis.
Il est ridicule de détruire nos industries sans effet notable sur les émissions mondiales de CO2, qui ne dépendent en pratique, vu la désindustrialisation européenne, et vu les efforts déjà faits en France, que de la politique de nos lointains concurrents, qui se moquent de notre vertu comme de leur première centrale à charbon.
Parmi les outils que nous employons pour tenir ce rythme, il faut prêter une attention particulière à la production éolienne et solaire. Le nucléaire constitue environ les trois-quarts de la production électrique française. Pour le réduire à 50%, c’est environ le tiers de sa production qui devra donc, vers une date qui a aujourd’hui été fixée à 2035, avoir été remplacé par une électricité qui ne pourra pratiquement être que de l’éolien et du solaire, seuls moyens décarbonés disposant du potentiel de croissance nécessaire. D’où, pour être à ce rendez-vous, leur développement à marche forcée actuel.
Mais, n’étant pas pilotables du fait de leur intermittence, on ne peut compter sur eux : ils ne permettent pas de fermer des réacteurs nucléaires, sauf à mettre en service au fur et à mesure, comme l’Allemagne, des centrales thermiques de puissance équivalente. D’où la décision, début 2022, de prolonger la durée de vie des réacteurs du parc actuel jusqu’à au moins 60 ans, ce qui, au vu de ce qui se fait dans le monde, ne devrait pas poser de problème majeur, et reporter vers 2040 les premières fermetures. En définitive, du fait que l’on a attribué à l’éolien et au solaire la priorité d’injection sur le réseau, en particulier par rapport au nucléaire, le seul résultat de leur croissance est une diminution équivalente de la production du parc nucléaire. Non seulement cela ne réduit pas les émissions de CO2, et au contraire les augmente en Chine, mais c’est un véritable non-sens économique et technique.
Il résulte en outre de cette priorité d’injection, qui équivaut pratiquement à une garantie d’achat, et de ce qu’ils disposent d’un prix de vente garanti pour 20 ans très incitatif, et toujours très supérieur à celui du nucléaire qu’ils remplacent, d’une part une explosion des factures d’électricité des particuliers et des industriels et, d’autre part, qu’ils sont une affaire extraordinaire pour leurs opérateurs. De plus leur dispersion géographique (moindre pour les éoliennes marines, qui présentent plus d’intérêt) oblige à construire ab nihilo un maillage serré de lignes électriques ; rien que pour ce bouleversement du réseau, on pense devoir investir 100 milliards, rien qu’en France.
Il faut ajouter que l’injection forcée d’électricité intermittente amène fréquemment, pour ne pas dépasser le niveau de la consommation, à réduire puis remettre à niveau la puissance de nos centrales nucléaires. Ces cycles vont en fatiguer les éléments, en réduire la durée de vie, en augmenter les coûts de maintenance. Comme aucun pays n’a utilisé ainsi ses réacteurs pour compenser des variations rapides d’une production massive d’énergie éolienne et photovoltaïque, on ne dispose d’aucun retour d’expérience sur ce mode de fonctionnement inquiétant.
On détruit aujourd’hui à tour de bras le bénéfice des sages investissements faits autrefois dans la production d’électricité nucléaire. On marche sur la tête ! Faut-il, pour gagner le concours de vertu auquel nous, Européens, sommes les seuls à vouloir participer, continuer des politiques suicidaires, dont la base lointaine a été électoraliste, pour nous trouver faute d’armes aux mains d’occupants dont les élections ne seront pas le premier souci ?
Comment financer le réarmement en Europe
Le programme de réarmement européen est lancé maintenant depuis trois ans et nous avons pu doubler ou tripler nos cadences de production d’armes, au profit de l’Ukraine, mais aussi pour commencer à nous remettre à niveau. Mais « la défection au moins partielle des Etats-Unis, et l’observation des techniques de combat en Ukraine, créent des besoins très importants, qui viennent s’ajouter à l’énorme besoin de rattrapage des effets du sous-financement chronique des décennies passées. Or, ce n’est pas à Bruxelles que l’on trouvera les financements nécessaires, car les centaines de milliards évoquées par la Commission ne sont que des autorisations d’endettement des États, dont nous ne sommes plus en état de profiter. »
L’appel actuellement fait à l’épargne privée ne répond qu’à la marge à la question. En effet, nul industriel ne va voir son banquier pour lui demander de financer la production en série d’armes, s’il n’y a pas de perspective, et même de quasi-certitude, d’obtenir des contrats. Or ces contrats ne peuvent venir que des États, seuls clients, États qui engagent des crédits budgétaires.
A fortiori, on ne peut demander à emprunter pour le développement de nouveaux matériels complexes, car le risque technique et l’impossibilité de prédire si l’on trouvera un client rendent impossible la spéculation, tant pour l’industriel que pour le banquier. En particulier, emprunter de quoi développer en spéculation un matériel complexe destiné uniquement à l’export serait une folie financière, du fait du montant à engager et du fait que les clients étrangers ne veulent pas d’armes que les Armées du pays fabricant n’ont pas mises en service.
Cet appel aux banquiers, et à l’épargne privée, ne doit être envisagé, à mon sens, que pour alimenter des fonds de roulement, et préfinancer une partie des outillages, et pour faire crédit aux clients export, et uniquement pour des armes dont la production est déjà sous contrat ou va l’être sous peu. Certes, ce n’est pas rien, mais le flux financier du réarmement restera, à mon avis pour 80 à 90%, budgétaire. La modification des pratiques des banquiers, lancés eux aussi, jusqu’à aujourd’hui, dans un concours de vertu autoproclamée, aura toutefois un petit intérêt psychologique pour les acteurs de l’armement, ces pelés, ces galeux, dont nous venait tout le mal.
C’est pourquoi il faut maintenant s’attaquer à une au moins des vaches sacrées budgétaires qui paissent sur nos impôts et nos emprunts, et génèrent, outre du méthane à effet de serre, des dettes. Et, comme aurait pu le dire le regretté Professeur Choron, le premier qui dit qu’il ne s’agit pas de vaches mais de danseuses a perdu. Commençons donc par les énergies intermittentes terrestres, cela soulagera nos centrales, nos finances et notre balance commerciale, et cela réduira les émissions de CO2 de la Chine, quoi de plus vertueux ?
Mais les crédits budgétaires ainsi réorientés, quel serait leur effet ? Ils fourniront de la sécurité par une production accrue des produits déjà développés de l’industrie française existante, donc sans obérer notre autonomie stratégique comme le feraient des achats d’armes hors d’Europe, et bien sûr sans effet négatif sur notre balance commerciale. Certains de ces produits résultent d’une coopération bilatérale comme le missile SCALP ou le missile anti-aérien Aster, ou multilatérale comme l’avion de transport A400M ou l’avion ravitailleur MRTT, et produiront les mêmes effets dans les pays participants.
Ils auront un effet important sur l’industrie et sur les recettes de l’État qui en proviennent, même si ce n’est pas leur objectif premier. C’est autre chose que de brasser du vent avec du CO2 importé de Chine, pour continuer sur un chemin tracé il y a longtemps pour ramasser des voix. Ces crédits financeront aussi la recherche et le développement (R&D), si possible en coopération européenne, d’armes plus évoluées, qui seront nécessaires dans une dizaine d’années ou plus. Et le développement rapide des systèmes plus simples dont la nécessité est apparue en Ukraine, et qui n’ont pas besoin de passer par la complexification et les retards qu’entraîne nécessairement la définition d’un besoin et d’un produit communs à plusieurs pays.
C’est dans ce domaine de la R&D, donc du long terme, que les propositions d’abondement des crédits nationaux par des crédits européens, présentées par la Commission pour favoriser les développements en coopération, ont leur intérêt, mais il ne faut pas oublier que le budget européen est soumis comme les budgets nationaux à la nécessité d’arbitrages, et qu’il faudrait là sacrifier plutôt des mammouths sacrés que des vaches. Vaste programme !
Si les dépenses à faire en France vont fournir de la sécurité et, accessoirement, de l’activité ne nécessitant pas d’importations, c’est que l’industrie française, créée pour l’État et sur son budget, dispose des types de matériels dont on veut accélérer la production, et des bureaux d’études compétents pour s’attaquer aux sujets nouveaux, tels que les lacunes capacitaires listées par l’OTAN et par l’Agence Européenne de Défense (par exemple missiles de croisière à grande portée, défense antimissiles élargie, Intelligence artificielle du champ de bataille, connectivité spatiale).
Tout cela résulte de la politique d’autonomie stratégique menée avec continuité pour l’État par la Direction générale de l’armement (DGA) depuis les années soixante, principalement au profit des forces de dissuasion, avec le CEA/DAM, politique qui a aussi porté par entraînement toute l’industrie des armements conventionnels au meilleur niveau. La France a su mener des programmes d’armement sans attache étrangère autre que celles des coopérations européennes qu’elle a décidées et organisées. Elle dispose avec la DGA et son industrie d’outils sans équivalents en Europe.
En Allemagne, en Pologne, en Italie, en Espagne, et bien sûr en Ukraine, il existe des organisations et une industrie de même nature, qui pour l’instant sont dans beaucoup de secteurs techniques moins développées, et souvent orientées vers l’achat ou la production sous licence de systèmes américains. C’est ce qui fait, au fond, la difficulté des coopérations européennes, quand chacun essaye d’acquérir chez son voisin des compétences nouvelles au lieu de se contenter d’apporter ce qu’il sait déjà faire.
Cette difficulté est moins forte avec la Grande-Bretagne, qui est à parité technique avec nous dans beaucoup de domaines, et qui, pour l’instant, est la seule à partager avec nous une doctrine d’emploi de la force. L’exclure du mouvement de réarmement serait une profonde erreur. Ces pays vont comme nous augmenter la production des armes déjà développées, et, pour l’avenir, il faut espérer qu’ils privilégieront les coopérations européennes, et les achats en Europe, dans le champ actuellement occupé par les importations de matériels américains. La Commission veut s’employer à les en convaincre.On peut donc considérer que nous avons ce qu’il faut, en France et ailleurs en Europe, pour remettre nos armes au niveau nécessaire, mais il y faut un peu de temps. Et beaucoup d’argent. Trouvons-le !
Que faire ?
Il faut, pendant une bonne dizaine d’années, mettre bas celles des armes dirigées contre le gaz carbonique qui sont inutiles et dommageables, pour construire plus rapidement les armes nécessaires à notre survie et à celle de l’Europe, et étoffer nos armées. Cela s’impose à nous comme aux autres Européens. Si, dans dix ans, nous avons survécu, et recréé les conditions matérielles de la paix, nous pourrons à loisir reprendre l’importation à bride abattue de parcs de moulins à vent et de panneaux solaires. Et en finir avec les restes de notre industrie et de notre agriculture, aux applaudissements de nos concurrents et fournisseurs chinois et américains, dont les dégagements de CO2 pourront ainsi croître et embellir. Mais, d’ici là, moins de moulins à vent, plus de canons !
« Nous devons prendre au sérieux le plan de Trump sur le Groenland ». Kristian Søby Kristensen
An Airbus A330 of Air Greenland lands in airport of Nuuk, Greenland, March 12, 2025. (AP Photo/Evgeniy Maloletka)/MAL102/25071541094829/STAND ALONE /2503121616
Danemark et Groenland sont sous les feux de l’actualité à la suite des propos de Donald Trump. Comment les interpréter et comment les Européens doivent-ils réagir ? Analyse de Kristian Søby Kristensen
par Kristian Søby Kristensen*- par Geopolitika – Revue Conflits – publié le 31 mars 2025
*directeur de l’Institut danois pour la Stratégie et les Études de Guerre. Propos recueillis par Henrik Werenskiold.
Lorsque des alliés traditionnels commencent à ressembler à des adversaires, il faut réévaluer d’anciennes stratégies. Le Danemark se trouve à un carrefour géopolitique à la lumière des récentes déclarations de Trump sur le Groenland.
Les multiples déclarations de Donald Trump au sujet de l’achat du Groenland ont provoqué une onde de choc dans la politique étrangère danoise – et révélé de profondes tensions dans les relations entre le Danemark et les États-Unis. Ce qui, au départ, semblait n’être qu’une mauvaise plaisanterie est devenu une réalité géopolitique qui oblige à la fois Copenhague et Nuuk à repenser leur position.
Face à cette incertitude, le Danemark tente de renforcer ses liens avec l’OTAN, ses voisins nordiques et les puissances européennes. Mais la question demeure : Que veulent réellement les États-Unis – et pendant combien de temps l’Europe peut-elle compter sur la garantie de sécurité américaine ?
Dans cet entretien, Kristian Søby Kristensen, qui vient de prendre ses fonctions de directeur de l’Institut pour la Stratégie et les Études de Guerre au sein de l’Académie de Défense danoise, tente de faire le tri dans tout le bruit ambiant.
Que pensez-vous de l’avenir politique du Groenland, à la lumière des dernières déclarations de Trump ?
C’est une excellente question. Je crois que le gouvernement danois était conscient, déjà avant l’entrée en fonction de Trump, que le Groenland pourrait devenir un sujet pendant sa présidence. Mais qu’il occuperait une place aussi centrale, qu’il y reviendrait si souvent et exercerait une pression aussi forte sur le Danemark, cela a été une surprise.
Et le fait que cela façonne désormais le débat américain sur la présidence de Trump a également surpris le gouvernement danois. C’est une crise de politique étrangère de grande ampleur pour la nation danoise, car il est question de l’avenir de la communauté du royaume danois.
Le Danemark se retrouve dans une situation surréaliste, où il se sent menacé – et cela par la puissance qui, depuis 1949, garantit la sécurité et la souveraineté danoises. Je pense que cela a causé de nombreuses nuits blanches chez les diplomates et les fonctionnaires du système étatique et de la politique étrangère. Le problème, c’est que beaucoup disent de Donald Trump : « Oui, oui, il tient des propos hors norme, mais les choses finissent par se calmer, et au fond, c’est autre chose qu’il cherche. »
Mais il a été extrêmement difficile pour les responsables politiques danois de comprendre ce qu’il voulait vraiment. Les Américains ont déclaré qu’il s’agissait de sécurité militaire et de ressources naturelles, en estimant que la région arctique va prendre une importance stratégique croissante. S’ils s’intéressent aux ressources naturelles du Groenland, ils sont les bienvenus pour s’impliquer financièrement dans leur exploitation.
Cela fait partie intégrante de la stratégie économique de l’autonomie groenlandaise de faire venir des investissements étrangers dans le secteur minier. De plus, il existe un accord de défense entre le Danemark et les États-Unis datant de 1951, qui accorde aux États-Unis des droits militaires étendus au Groenland. Ainsi, l’économie leur est grande ouverte, de même que la coopération militaire, et on commence donc à penser, au Danemark, que c’est précisément l’objectif américain.
Que ce n’était pas une demande excessive visant seulement à ouvrir des négociations, mais que Trump envisageait réellement de prendre possession du Groenland. Il y a aussi cette idée que le Danemark n’a pas été à la hauteur ou n’a pas les capacités suffisantes pour répondre aux actions américaines au Groenland.
Mon analyse est que lorsque Trump dit qu’il veut récupérer le canal de Panama, faire du Canada le 51e État et que le Groenland devrait lui aussi faire partie des États-Unis, il le pense vraiment. C’est pourquoi nous sommes contraints de le prendre au sérieux.
Le Danemark a également investi 15 milliards de couronnes supplémentaires après que Trump est devenu le 47e président des États-Unis. Savez-vous à quoi ces fonds seront précisément affectés ?
Oui, c’est important. Une partie des critiques américaines portent sur le fait que le Danemark n’a pas fait assez. Mais si nous regardons ce que les États-Unis ont fait, ils n’ont pas non plus accompli grand-chose. L’accord de défense précise – comme les deux parties le reconnaissent que le Danemark ne peut pas, à lui seul, défendre le Groenland. Il s’agit donc d’une responsabilité partagée, avec une répartition des tâches entre le Danemark et les États-Unis concernant la défense du Groenland. Il est donc vrai que le Danemark n’est pas en mesure de tout assurer.
C’est la raison pour laquelle les États-Unis sont engagés dès le départ. Certes, ils ont souhaité un engagement militaire danois plus important sur le Groenland, mais cela fait partie d’une demande américaine plus générale à l’égard de l’Europe et du Danemark : augmenter les dépenses militaires et respecter l’objectif de 2 % au sein de l’OTAN. C’est du moins ainsi que c’est interprété au Danemark.
l est exact que le Danemark, dès 2021, avait déjà alloué davantage de ressources à l’Arctique. Avec le nouveau plan d’investissements de janvier, encore plus de moyens y ont été consacrés. D’autres suivront, mais tout cela était déjà prévu dans le cadre du renforcement général de la défense danoise, qui inclut aussi la région arctique.
Le principal défi pour le Danemark consiste à décider du degré de priorité à accorder à son propre territoire et à la mer Baltique, par rapport à l’Atlantique Nord, à l’Arctique, aux îles Féroé et au Groenland. On s’est d’abord concentré sur la mer Baltique, puis sur l’Arctique. Le nouveau plan inclut le remplacement des navires d’inspection renforcés pour évoluer dans les glaces, l’achat de drones de surveillance à longue portée et quelques autres éléments plus modestes. Je ne sais pas ce qui pourrait figurer dans un prochain plan. Peut-être des investissements supplémentaires dans les infrastructures.
Concernant le volet militaire, il a également été un peu difficile de savoir quelles étaient les priorités des Américains en matière de capacités danoises. Au départ, il était question d’une présence renforcée en mer Baltique, puis d’un renforcement général des capacités militaires conventionnelles danoises : défense antiaérienne, navires, contrôle des détroits danois, surveillance de l’espace aérien au Groenland, capacités de lutte anti-sous-marine dans le passage GIUK (entre le Groenland, l’Islande et le Royaume-Uni) ou encore des installations de base supplémentaires. Quel était l’objectif principal ?
Il a également été ardu, du point de vue danois, de déterminer comment répondre aux exigences américaines, qui préexistaient à Trump. Je pense que les Américains ont raison de dire qu’il existe un certain mécontentement quant à la manière dont le Danemark a tenté de prendre sa part de la défense militaire du Groenland.
Comment la Norvège, le reste des pays nordiques et les autres pays européens peuvent-ils coopérer avec le Danemark sur la question du Groenland ?
De manière générale, la coopération militaire nordique traverse actuellement une phase de renforcement dans presque tous les domaines, et la Norvège et le Danemark ont un intérêt commun pour l’Atlantique Nord et la zone qui s’étend jusqu’en mer de Barents, entre le Groenland et les côtes norvégiennes. Il existe déjà une collaboration entre la Norvège, le Danemark, l’Islande, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis.
Mais la coopération militaire dépend aussi de la contribution de chacun. Le Danemark ne dispose pas des mêmes capacités que, par exemple, la Norvège. Nous n’avons pas d’avion de surveillance maritime digne de ce nom, comme le P8. Cela pourrait figurer dans un prochain plan pour l’Arctique. Il existe déjà une forme de coopération, et je pense qu’elle va s’intensifier.
L’une des stratégies danoises pour faire face à la pression américaine a consisté à demander aux alliés européens du Danemark de protester contre l’inacceptabilité du comportement américain, tout en cherchant aussi des solutions. L’une d’entre elles consiste à solliciter la France pour qu’elle déclare qu’il est nécessaire que l’OTAN joue un rôle plus important. Autrement dit, multilatéraliser le problème. Lorsque les Américains réclament une présence militaire accrue, le Danemark répond : « Oui, bien sûr, mais nous voulons aussi que l’OTAN assume davantage de responsabilités. »
Il a été question par exemple d’une présence militaire permanente de l’OTAN au Groenland comme un moyen de répondre aux demandes américaines. Concernant la coopération nordique, elle se renforçait déjà avant le 24 février 2022. Mais avec l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, certains des derniers obstacles à une coopération approfondie ont disparu. Il existe désormais une collaboration très étroite – y compris au niveau politique.
Vous avez sans doute vu cette photo de Mette Frederiksen qui avait invité les quatre Premiers ministres nordiques chez elle, tous dans une ambiance très détendue, avec un intérieur au design minimaliste. Pas de cravate, pas d’apparat – juste des amis nordiques réunis pour un dîner dominical. C’est la même chose à tous les échelons, y compris dans l’armée : on se rencontre souvent et on entretient des relations confiantes et bien établies.
Pourriez-vous expliquer un peu comment le Danemark collabore militairement avec les différents pays nordiques, et comment nous pourrions mieux nous compléter afin de renforcer encore cette coopération ?
Il est évident que la géographie joue un rôle essentiel dans cette collaboration, puisque la sécurité de chaque pays est en jeu. La logique est différente d’une coopération visant à envoyer des troupes en Afghanistan. Bien entendu, des facteurs culturels et politiques rapprochent les pays nordiques. Mais en plus de la coopération politique, le Danemark occupe traditionnellement la position qui consiste à contrôler l’accès à la mer Baltique. C’est une collaboration naturelle avec la Suède et la Norvège, tandis que la Suède, la Norvège et la Finlande s’occupent davantage de la région autour de la Laponie.
On peut donc dire qu’il existe deux coopérations trilatérales dans le cadre nordique, déterminées par la géographie. Mais il existe également une collaboration plus générale, qui se renforce encore du fait que la Suède et la Finlande rejoignent l’OTAN. L’Islande en fait partie, même si c’est selon d’autres modalités.
On ne sait pas encore très bien à quoi ressemblera concrètement cette coopération au sein de l’OTAN. Pour l’instant, il semble que les quatre pays nordiques soient intégrés au commandement de Norfolk, tandis que les pays baltes, la Pologne et l’Allemagne relèvent de Brunssum. Le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Suède et l’Islande sont rattachés à Norfolk. Cela pose des défis, car les forces terrestres danoises, par exemple, devraient être gérées par Brunssum – on prévoit qu’elles seraient envoyées en Estonie –, tandis que la marine et l’armée de l’air relèveront de Norfolk.
Vous avez mentionné que le Danemark ne dispose pas des mêmes capacités que la Norvège. Comment pourrions-nous simplifier l’organisation des forces nordiques et éviter les chevauchements inutiles, un problème répandu en Europe ?
La solution la plus simple serait peut-être d’acquérir les mêmes capacités que la Norvège, si l’on parle par exemple de l’avion P8. Certains, au Danemark, ont proposé de louer un des avions norvégiens à titre temporaire, ou au moins de profiter de leur expérience et de leurs installations. La Norvège met actuellement en service des hélicoptères Seahawk, un modèle déjà utilisé par le Danemark. Le personnel norvégien s’entraîne sur des bases danoises avant de les recevoir, de sorte qu’il soit rapidement opérationnel.
Si le Danemark décide d’acquérir le P8, j’imagine que nos pilotes et techniciens s’entraîneront sur les bases aériennes norvégiennes. Au niveau opérationnel, on peut se remplacer mutuellement, et cela se fait déjà dans une certaine mesure. Je peux très bien imaginer que, pour répondre aux nouvelles exigences de l’OTAN en matière de ravitaillement en vol, les pays nordiques puissent envisager un achat groupé, parce que c’est un investissement coûteux qui de toute façon serait utilisé collectivement. Il existe déjà une collaboration plus modeste, surtout dans le domaine aérien, où les quatre forces aériennes nordiques sont assez étroitement intégrées.
De plus, la coopération nordique prend aussi en compte la géographie : la Suède, la Norvège et la Finlande coopèrent autour de la Laponie, tandis que la Suède et le Danemark, pour leur part, doivent s’assurer que l’Øresund reste accessible aux forces alliées se rendant dans la mer Baltique. Les tâches opérationnelles sont nombreuses, et je pense que cette coopération se renforcera, pas à pas.
Est-ce que l’objectif final serait de créer une force de défense nordique intégrée, ou quelle est l’ambition ?
Non, je ne le crois pas. Les pays nordiques se caractérisent par le fait qu’aucun d’entre eux n’est une grande puissance militaire. Ils coopèrent tous étroitement, mais cherchent aussi, de diverses façons, à impliquer ou à tenir à distance les puissances environnantes, en particulier la Russie. Je pense que nous allons assister à un renforcement de la coopération nordique, mais toujours dans le cadre de l’OTAN, afin de s’intégrer avec le reste de l’Alliance. En outre, tous les pays nordiques cherchent à associer des puissances extérieures. Le Royaume-Uni, par exemple, dispose de la Joint Expeditionary Force (JEF), qui rassemble notamment les pays nordiques et les Pays-Bas. Je ne pense donc pas que nous verrons une force de défense nordique complètement autonome et entièrement intégrée.
Il est impossible de prévoir ce que fera Trump, ni de saisir ses intentions, y compris à propos de l’OTAN. Existe-t-il un plan au cas où les États-Unis décideraient de se retirer de l’Alliance ?
Pas à ma connaissance, du moins rien d’officiel. Mais une grande partie de ce qui se passe en Europe s’apparente à une tentative de se préparer à l’éventualité que les États-Unis ne soient plus aussi disposés à garantir la sécurité du continent. La dernière fois que Trump était président, j’ai rédigé un rapport de recherche sur la façon dont les pays européens géraient cette incertitude stratégique. Nous avions parlé d’« attente active » : on ne veut pas se couper des États-Unis, mais on essaie de se mettre dans une position permettant de gérer l’imprévisibilité qu’ils engendrent.
Il s’agit d’une stratégie à deux volets : d’un côté, renforcer la coopération avec les Américains ; de l’autre, consolider la coopération nordique et les relations bilatérales avec les puissances européennes. Nous le constatons à nouveau aujourd’hui, à la fois en raison de la menace russe et de l’incertitude grandissante autour des intentions américaines. Prenons la Norvège : elle mise sur le concept de la JEF, mais a aussi conclu un accord avec l’Allemagne pour l’achat de sous-marins. C’est un bon exemple de démarche visant à s’allier à la fois avec des puissances régionales et de grandes puissances européennes.
Les États-Unis réclament que l’Europe investisse davantage dans sa défense, ce qui génère de nombreux achats d’armement. Du point de vue européen, on préférerait peut-être acheter européen. Comment les pays nordiques pourraient-ils unifier ou coordonner leurs industries de défense pour défendre leurs propres intérêts ?
C’est une bonne question. En tant que petits pays, nous risquons d’être écrasés entre les grands. Mais on peut aussi se replier sur une logique strictement nationale pour notre industrie de défense, afin de s’assurer un retour sur ces importants investissements. Dans ce cas, nous perdons les avantages d’échelle et la possibilité de rationaliser. C’est un équilibre.
Depuis des années, on discute de l’amélioration du partage des achats d’armement en Europe. Parfois on y parvient, d’autres fois moins. Il y a par exemple eu un achat groupé d’hélicoptères nordiques qui s’est terminé avec de gros retards, des problèmes techniques et des divergences sur les exigences et spécifications.
Il faut aussi disposer de la technologie pour concevoir et produire des équipements perfectionnés, souvent d’origine américaine. Par exemple, la défense européenne dépend beaucoup des données américaines et de leur surveillance par satellite. Sans ces ressources, nous nous trouverions affaiblis. Les avions F-35 sont, eux aussi, conçus pour être reliés aux systèmes d’information et de commandement américains. Nous dépendons donc très fortement des États-Unis.
Étant donné que l’avenir des États-Unis au sein de l’OTAN est aujourd’hui plus incertain que jamais, dans quelle mesure devrions-nous chercher à nous affranchir des composants américains dans nos équipements militaires ?
Le Danemark et la Norvège ont depuis longtemps été très proches de Washington, mais aujourd’hui, on voit naître en Europe une prise de conscience : il faut être capable de défendre davantage nos propres intérêts si jamais le lien transatlantique se fragilise.
C’est un processus de longue haleine, car il faut du temps, une industrie solide, une volonté politique et des ressources financières. Mais l’incertitude autour de la stabilité et de la fiabilité des États-Unis, et leur attention croissante pour la région indo-pacifique et la Chine, ne disparaîtra pas, quel que soit le président en place à la Maison-Blanche. Nous voyons donc se dessiner en Europe une reconnaissance nouvelle : il sera nécessaire d’assurer nous-mêmes davantage de nos intérêts de sécurité si le lien transatlantique devait s’affaiblir.
Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances, souligne François Heisbourg, auteur d’« Un monde sans l’Amérique » paru chez Odile Jacob.
La classe Suffren, issue du programme Barracuda, est la deuxième génération de sous-marins nucléaires d’attaque de la Marine nationale française. Ici, le 6 novembre 2020, dans la rade de Toulon. | ARCHIVES NICOLAS TUCAT, AFP
par François Heisbourg- Ouest-France –Publié le
Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances.
Avec la guerre contre l’Ukraine, les menaces atomiques d’une Russie néo-impériale en marche et le départ désormais inéluctable des États-Unis, cet édifice a vécu. Les pays membres de l’Union Européenne, tels la Pologne, les États baltes et la Scandinavie, qui ressentent le plus vivement la menace du grand voisin russe, cherchent désormais, parfois avec fébrilité, une dissuasion qui puisse prendre le relais.
Plusieurs voies d’inégales valeurs se présentent. Devant son Parlement, le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a esquissé il y a quelques jours l’hypothèse d’une force de dissuasion nationale.En Suède, pays qui avait engagé des travaux en ce sens pendant la Guerre froide, des chercheurs y songent, tout comme leurs collègues dans une Finlande qui partage une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie de Vladimir Poutine. Au nom de quoi la France héritière de la « force de frappe » du général de Gaulle s’y opposerait-elle ? Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais.
Pourtant, ce serait une catastrophe annoncée.Depuis plus d’un demi-siècle, l’accord quasi universel qu’est le Traité de non-prolifération l’interdit expressément. Violer l’un des derniers et peut-être le plus important élément de ce qui reste d’un ordre international ouvrirait la voie à un chaos nucléaire mondial, de l’Arabie saoudite et du Japon à la Turquie ou à la Corée du Sud. Dans une telle anarchie, le nucléaire passerait trop aisément de la dissuasion mutuelle à l’emploi mortifère d’armes à la puissance de destruction infinie. À éviter donc…
Jouer la dissuasion française
Le président polonais demande pour sa part que les États-Unis déploient dans son pays des armes nucléaires américaines, à la manière de ce qui existe déjà de longue date en Allemagne, Italie, Belgique et aux Pays-Bas. Pourquoi pas ? Mais l’Amérique de Donald Trump le voudrait-elle ? Et qui prendrait au sérieux la garantie d’un pays qui paraît désormais plus proche de l’envahisseur russe que de ses partenaires de naguère, plus prompt aussi à annexer le Canada ou le Groenland qu’à épauler ses alliés ?
Les Jeux olympiques de Paris 2024 ont-ils amélioré l’image de la France à l’international ?
Mieux vaut tenter de faire jouer la dissuasion française de façon explicite et organisée, le cas échéant aux côtés de l’allié britannique. Il est en effet clair que l’invasion de pays membres de l’Union mettrait en jeu nos intérêts vitaux. Au premier chef, la Pologne, mais aussi l’Allemagne et les États baltes qui ont tout récemment manifesté leur intérêt. D’autres, des Pays-Bas à l’Italie, y réfléchissent. Le champ de la discussion pourra être large en termes d’appréciation des moyens qu’il faudrait mobiliser, de réflexion sur leurs lieux de déploiement, de participation à des exercices, d’évaluation commune des menaces, de doctrines partagées. La décision d’emploi devrait, elle, rester nationale pour la bonne et simple raison que la meilleure façon d’apporter une garantie crédible serait d’éviter qu’elle ne soit engluée dans des procédures improbables.
Les dénonciations des initiatives françaises par les responsables russes montrent que Moscou y croit, à sa façon. C’est paradoxalement encourageant…
L’évolution du paysage de la coopération mondiale en matière de défense met la relation transatlantique au défi. Alors que les tensions géopolitiques augmentent et que l’environnement de menaces devient plus complexe, la capacité de l’Europe à assurer au mieux sa sécurité tout en maintenant sa relation avec les États-Unis est devenue primordiale. Ce Focus stratégique offre deux points de vue contrastés sur la dynamique des relations industrielles de défense entre les États-Unis et l’Europe, en soulignant les défis et les opportunités qui attendent les deux parties.
L’évolution du paysage de la coopération mondiale en matière de défense met la relation transatlantique au défi. Alors que les tensions géopolitiques augmentent et que l’environnement de menaces devient plus complexe, la capacité de l’Europe à assurer au mieux sa sécurité tout en maintenant sa relation avec les États-Unis est devenue primordiale. Ce Focus stratégique offre deux points de vue contrastés sur la dynamique des relations industrielles de défense entre les États-Unis et l’Europe, en soulignant les défis et les opportunités qui attendent les deux parties.
Le premier texte, rédigé par Jonathan Caverley et Ethan Kapstein, expose une analyse qui souligne les limites de l’autonomie stratégique européenne en matière de défense. Ils affirment qu’en dépit de l’augmentation des dépenses de défense et d’initiatives telles que le rapport Draghi, l’Europe reste fortement dépendante des États-Unis en matière de technologie militaire avancée et de capacités industrielles. Ils suggèrent que l’Europe devrait accepter un statut de partenaire junior au sein de l’Alliance transatlantique et tirer parti de la supériorité technologique des États-Unis pour renforcer ses propres capacités de défense. Selon eux, cette approche permettrait à l’Europe de bénéficier des systèmes de défense les plus avancés tout en reconnaissant les réalités économiques et industrielles qui limitent sa capacité à atteindre une autonomie totale.
Dans le second texte, Élie Tenenbaum et Léo Péria-Peigné remettent en question les études trop pessimistes sur l’industrie européenne de la défense. Ils soulignent les succès et les avancées technologiques des entreprises européennes de défense, affirmant que l’Europe a le potentiel pour devenir un acteur important sur le marché mondial de la défense. E. Tenenbaum et L. Péria-Peigné remettent en question la fiabilité des approvisionnements américains en matière de défense, évoquant les retards de production, les limitations opérationnelles et les contrôles stricts des exportations. Ils plaident pour un partenariat transatlantique plus équilibré, où l’Europe peut affirmer ses capacités industrielles et son autonomie stratégique tout en continuant à coopérer avec les États-Unis.
Au final, ces deux analyses, écrites par des chercheurs américains et européens, s’inscrivent dans le débat de plus en plus vif sur la coopération transatlantique en matière de défense. Ils explorent les tensions entre le besoin d’autonomie stratégique de l’Europe et les avantages de l’exploitation des forces technologiques et industrielles des États-Unis. Alors que l’Europe est confrontée au défi d’assurer sa sécurité dans un monde de plus en plus incertain, ces perspectives offrent un éclairage précieux sur l’avenir des relations industrielles de défense entre les États-Unis et l’Europe.
F-47 : voici la réponse américaine au succès du Rafale français | Armees.com
Le 21 mars 2025, Donald Trump a relancé la course à la domination aérienne depuis le Bureau ovale. En signant un contrat monumental avec Boeing, le président américain a dévoilé le F-47, un nouvel appareil de chasse destiné à supplanter le vieillissant F-22. Une annonce tonitruante qui tombe à pic pour le constructeur, et qui replace les États-Unis dans une guerre technologique face à la Chine… mais aussi face à l’Europe.
« Les généraux ont choisi ce nom, et c’est un joli nombre, F-47 », s’est félicité Donald Trump, le 47ᵉ président des États-Unis.
F-47 : la réponse militaire américaine à ses rivaux
Le F-47 ne sort pas de nulle part. Il s’inscrit dans le programme Next Generation Air Dominance (NGAD), piloté par l’US Air Force pour répondre aux progrès militaires importants de la Chine et de la Russie. L’objectif est de garder la main dans les airs jusqu’en 2070. À l’instar de ses futurs concurrents européens, le F-47 ne volera pas seul. Il sera accompagné de drones de combat autonomes, capables d’interagir en temps réel et de mener des frappes. L’idée, c’est de combiner l’avion et ses drones pour créer un effet d’essaim : plusieurs appareils agissent ensemble, échangent des données en temps réel, frappent plus vite, plus loin, et rendent les défenses adverses inutiles avant même qu’elles aient le temps de réagir. Intelligence artificielle embarquée, connectivité de pointe, coopération drone-avion : le F-47 coche toutes les cases de l’aviation de sixième génération. Et même si son coût reste opaque, on parle de 80 à 300 millions de dollars l’unité. Boeing n’a pas confirmé. Trump non plus. « Raisons de sécurité », a-t-il éludé.
L’annonce tombe à un moment critique pour Boeing. L’industriel est en difficulté depuis plus d’un an : pannes à répétition, scandales de sécurité, grèves massives. En remportant ce contrat stratégique, le groupe américain redore son blason. À Wall Street, l’effet est immédiat : +4,78 % pour l’action Boeing à 181,09 $ après l’annonce. En coulisses, cette victoire fait une victime : Lockheed Martin. Évincé de l’appel d’offres, le constructeur du F-35 voit son leadership désormais contesté. Le F-47 devient donc un symbole : celui du retour en grâce de Boeing dans le secteur de la défense. Le programme, gelé par Joe Biden en 2024 à cause de son coût, a été relancé en priorité par Donald Trump. Le président s’est dit convaincu après un « briefing direct » des chefs de l’armée de l’air.
Rafale F5 : la réponse européenne se prépare à décoller
Pendant que les Américains dégainent le F-47, la France affine son propre pion stratégique : le Rafale F5. Prévu pour 2030, ce nouveau standard conçu par Dassault Aviation entend prolonger la domination technologique française jusqu’en 2060. Le Rafale F5 ne sera pas seul, lui non plus. Il embarquera un drone furtif développé à partir du projet Neuron, capable de frapper ou de reconnaître en territoire contesté. Mais là où le F-47 mise sur une architecture entièrement nouvelle, le Rafale F5 ne réinvente pas tout, mais il muscle sérieusement le jeu. Il pourra coordonner ses frappes avec d’autres avions, recevoir des infos en direct depuis le sol ou les satellites et surtout, le futur missile ASN4G hypersonique en fera un pilier de la dissuasion nucléaire tricolore.
Au-delà de la technique, l’annonce du F-47 est un message. Les États-Unis refusent de se faire doubler dans les airs, ni par la Chine, ni par la Russie, ni même par l’Europe. En s’assurant la production de cet appareil, Donald Trump affiche sa volonté de transformer le F-47 en nouveau standard mondial.