MGCS : Paris et Berlin tranchent un noeud gordien

MGCS : Paris et Berlin tranchent un noeud gordien

 
– Forces opérations Blog – publié le

Pile à l’heure, ou presque. Conformément à l’engagement pris à Berlin un mois plus tôt, les ministres de la Défense français et allemand ont signé hier matin l’accord de lancement de la première phase du programme de système de combat terrestre principal (SCTP, ou MGCS). 

Trancher un noeud gordien

Signe de l’éclaircie constatée depuis juillet dernier, le soleil lui-même s’est invité à la cérémonie de signature. Exit les scénarios d’impasse et autres bisbilles par presses ou parlementaires interposés, place au changement de logiciel et à la signature d’un Memorandum of Understanding (MoU) actant l’entrée dans la phase dite 1A de MGCS, celle du développement de démonstrateurs technologiques. 

C’est, selon le ministre des Armées Sébastien Lecornu, « un moment important » dans le chemin vers la succession des chars Leclerc et Leopard 2 à l’horizon 2040. Paris et Berlin sont désormais alignés, résultat d’un processus centré non plus sur les solutions techniques mais sur l’identification du besoin opérationnel et l’harmonisation de la demande entre armées partenaires. 

« Nous ne discutons pas là d’un programme trivial mais du système de combat terrestre appelé à remplacer des ‘vedettes’ nationales que les guerres de demain rendront obsolètes, le Leclerc côté français et le Leopard 2 côté allemand », soulignait pour sa part le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, sur les réseaux sociaux.

Crédits image : ministère des Armées

Le document règle, entre autres, l’épineuse question du partage de la charge. « Nous avons tranché le noeud gordien sur la répartition des responsabilités industrielles », s’est félicité le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius. En résulte un partage à 50/50 des coûts et de la charge entre les deux filières qui se maintiendra tout au long des différentes phases. 

Calqué sur le référentiel du SCAF, MGCS se structure désormais selon deux niveaux et huit piliers. Ce sont le niveau 0 du système de systèmes et le niveau 1 relevant des plateformes de combat (canon, missile et appui). À chaque niveau correspondent des études conceptuelles et d’architecture qui serviront à définir progressivement les futurs systèmes.

Les huit piliers englobent les activités de R&D et de démonstration. Conduits en national ou en binational, ils relèvent des plateformes (Allemagne), des feux classiques (France-Allemagne), des feux innovants (Fr), de la connectivité (Fr-Al), de la simulation (Fr-Al), des capteurs (Fr), de la protection au sens large dont la protection active et la lutte anti-drones (Al), et des infrastructures et du soutien (Fr-Al).

Un contrat notifié d’ici 2025

Chaque pilier ayant désormais son ou ses drapeau(x), reste à y associer des champions industriels. S’ouvre une nouvelle phase, celle de la négociation et de la notification d’un premier contrat d’une durée de trois ou quatre ans par l’Allemagne, pilote du programme. Il s’agira d’aboutir d’ici début 2025, « un objectif très ambitieux », concède le ministre de la Défense allemand.

Ce futur contrat sera confié à une « Project Company » constituée par KNDS France, KNDS Deutschland, Rheinmetall et Thales SIX GTS. Évolution de la coentreprise déjà constituée ou nouvelle structure, ce quatuor aura la charge de conduire l’ensemble des activités réalisées au niveau industriel. 

À l’exception de KNDS et de Rheinmetall, tant les industriels concernés que leur répartition parmi les piliers restent des secrets bien gardés qui ne seront dévoilés qu’ « en temps utile », indique l’entourage de Sébastien Lecornu. Une once de logique permet cependant d’éclaircir le tableau. Difficile, en effet, d’imaginer un pilier des feux classiques conduit sans KNDS France, relève par exemple le cabinet ministériel. Idem pour Thales, que l’on imagine mal être écarté du pilier de la connectivité, et pour MBDA, candidat naturel au pilier des feux innovants. 

La France investira 500 M€ d’ici à 2030, l’Allemagne plusieurs centaines de millions d’euros d’ici à  2027. « Un demi-milliard d’euros, c’est beaucoup d’argent », soulignait Sébastien Lecornu. Les deux ministres ont donc donné le « la » : « vous avez en face de vous deux ministres clients ». Deux donneurs d’ordre dont la mission reste de garantir la fourniture de l’équipement demandé par leurs armées respectives. Dès lors, hors de question de dévier de l’objectif fixé, celui de parvenir à un char identique pour les deux armées en 2040. 

Ce jalon désormais franchi, l’ouverture de MGCS à d’autres partenaires européens pourrait intervenir « sans doute plus tôt qu’on ne le croit », indique Boris Pistorius. « Il faut aller chercher d’autres partenaires », ajoutait-il, mentionnant au passage l’Italie, officiellement observateur, mais aussi la Pologne, membre d’un triangle de Weimar récemment ravivé et dont le nouveau gouvernement se veut davantage pro-européen. 

Une copie qui s’affine

La vision franco-allemande est connue dans ses grandes lignes. Arrivé à terme, MGCS débouchera sur un système de systèmes interconnectés et en partie robotisés. Des plateformes dotées de briques d’intelligence artificielle, de capteurs, armements et de protections de nouvelle génération. Bref, un « char du futur » qui se conçoit « en surplomb des crises, à l’abri du tempo et du fracas médiatiques », relevait le CEMAT.

D’annonce en annonce, la copie se précise mais reste à prendre avec du recul au vu de l’horizon fixé et des obstacles potentiels à surmonter. Après les armées françaises, la Bundeswher s’est à son tour essayée au jeu de la prospective. Exemple avec la mobilité, dont les performances pourraient être augmentées en privilégiant la réduction de la masse, estime l’armée allemande dans un article publié en marge de la cérémonie. 

La masse maximale du MGCS « doit être réduite par rapport aux plateformes actuelles – une exigence qui a été formulée compte tenu de l’augmentation significative du poids lors des récentes revalorisations des chars de combat principaux de l’OTAN », pointe la Bundeswehr. Cette mobilité, les deux armées la conçoivent autour d’un châssis commun à tous les systèmes et d’une motorisation innovante. « Les diesels hybrides seront très probablement utilisés pour la propulsion, un moteur électrique étant alors chargé par le diesel. Le moteur électrique silencieux peut alors être utilisé dans certaines situations tactiques », note l’article. 

Autre exemple avec l’équipage, réduit à deux ou trois membres et opérant dans un compartiment protégé placé au sein du châssis. Selon le BAAINBw, pendant allemand de la Direction générale de l’armement, « il est maintenant assumé que la tourelle du MGCS sera inhabitée ». L’avantage ? Une tourelle plus compacte malgré un système d’arme plus volumineux, mais mieux protégée et participant à réduire la silhouette. 

Quant à la fonction feu principale, aucune piste n’est pour l’instant privilégiée. Seule certitude : « le canon de 120 mm, largement utilisé aujourd’hui, n’a plus aucun potentiel de croissance », explique un expert du BAAINBw. Si le 130 mm de Rheinmetall et le 140 mm de KNDS sont tous deux dans les starting blocks, un scénario à deux voies parallèles semble maintenant exclu, une seule solution devant être sélectionnée à l’issue de tests comparatifs. 

Crédits image : EMACOM

France. Callac : les enjeux géopolitiques de l’accueil des réfugiés, à plusieurs échelles

France. Callac : les enjeux géopolitiques de l’accueil des réfugiés, à plusieurs échelles

Par David Basol* – Diploweb – publié le 28 avril 2024   

https://www.diploweb.com/France-Callac-les-enjeux-geopolitiques-de-l-accueil-des-refugies-a-plusieurs-echelles.html


*Étudiant en Master 2 de Géopolitique locale à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris 8). Sa formation universitaire et son parcours personnel l’ont conduit à s’intéresser à la géographie humaine, dont les enjeux migratoires et d’identité. Il a rédigé en Master 1, un mémoire de recherche sur la conflictualité liée à l’annonce de l’accueil de réfugiés à Callac en Bretagne en 2022-2023.

En quoi les mobilisations sur les projets d’accueil de réfugiés à Callac sont-elles révélatrices des tensions locales, nationales, voire européennes, sur la question de l’accueil des réfugiés ?

En Bretagne, dans les Côtes d’Armor, les projets d’accueil de réfugiés à Callac ont provoqué un mouvement de contestation dont l’envergure a largement dépassé les limites de la ville et de la région. Des contestations qui ont révélé les tensions que suscitait l’enjeu de l’accueil à toutes les échelles. Celles-ci ont abouti à l’annulation du projet d’accueil principal, Horizon. Les tensions provoquées par ces projets d’accueil ont mis à jour un système de représentations.

LE 14 avril 2022, le projet Horizon d’accueil de réfugiés est révélé aux habitants de Callac, une petite commune bretonne d’environ 2 200 habitants, située dans le département des Côtes d’Armor. Cette annonce provoque la naissance d’une première opposition locale, qui se structure et se mobilise rapidement à une échelle nationale. Finalement, un deuxième projet d’accueil de réfugiés, toujours à Callac, est présenté en octobre 2022 par le préfet, alors même que les mobilisations rencontrent un écho national. Ce conflit local interroge ainsi les logiques d’accueil et d’intégration mises en place aussi bien par la France que l’Union européenne ces dernières décennies.

Lexique. Eléments de définition : immigré, étranger, migrant, demandeur d’asile, réfugié politique
Conception et réalisation : D. Basol
Basol/Diploweb.com

En effet, la figure du réfugié politique est source d’une multitude de représentations dont se servent notamment les partis politiques. Des représentations nombreuses, dont certaines sont à l’origine d’un repli identitaire qui questionne les rapports de la société aux notions de nation et d’identité. Cet article cherche à étudier en quoi les mobilisations sur les projets d’accueil de réfugiés à Callac sont-elles révélatrices des tensions locales, nationales, voire européennes, sur la question de l’accueil des réfugiés ? Il s’agira d’abord de s’intéresser au contexte local du conflit et de sa structuration. Ensuite, de comprendre l’envergure nationale prise par le conflit et comment les enjeux locaux font écho à des enjeux globaux. Enfin, nous aborderons l’enjeu de l’accueil à l’échelle de la France et de l’Union européenne.

Des projets d’accueil de réfugiés, une réponse aux enjeux de développement territorial qui divise

L’analyse territoriale de Callac permet de révéler le contexte particulier dans lequel s’inscrivent les projets d’accueil de réfugiés. Situé au sein d’un territoire rural du centre Bretagne, cette ville fait face à de nombreux défis d’ordres aussi bien sociaux, qu’économiques ou géographiques.

Tout d’abord, la ville de Callac connaît un déclassement important depuis plus d’un siècle. En 2020, la population est estimée à 2233 habitants par l’INSEE, contre plus de 3500 habitants au début du siècle précédent. Les trois abattoirs sur lesquels s’appuyait l’économie locale ont fermé dans les années 1960 et ont entraîné le déclin de la commune. L’activité de la commune reposait principalement sur cette activité en raison d’un système de protectionnisme commerçant qui a perduré jusqu’en 1973. En effet, les commerçants Callacois qui avaient prospéré dans différents corps de métiers ont refusé l’installation de tous les commerces qui pouvaient leur faire concurrence. Les maires étant eux-mêmes commerçants, le système s’est entretenu plusieurs décennies et a bloqué l’arrivée de l’usine Velux ou de la base logistique d’Intermarché, pourtant possiblement synonymes d’opportunités de développement. Enfin, ce déclin s’est accentué en 2017 avec le passage de 32 communautés de communes dans le département à 8 intercommunalités. La communauté de communes dont Callac était le chef-lieu, a ainsi disparu en faveur de Guingamp – Paimpol Agglomération. La ville ne dispose plus que de 2 sièges sur 88 et ses enjeux ruraux sont alors moins bien pris en compte dans les décisions qu’auparavant.

Au-delà du déclin global de la ville, la situation de la commune est également préoccupante. En effet, Callac se localise à la périphérie géographique du territoire français et de son département et à la marge économique au niveau régional. Le manque de moyens de transport l’affecte tout particulièrement dans sa capacité à proposer des projets inclus dans d’autres dynamiques et à également bénéficier de projets de développement sur son sol. De plus, sa configuration territoriale est contraignante, avec de l’habitat isolé et dispersé en dehors du centre-ville. De ce fait, les déplacements sans voiture sont inenvisageables pour de nombreux résidents vivant en dehors du bourg se retrouvant alors à la périphérie d’une ville déjà marginalisée par sa localisation et ses infrastructures.

Enfin, la population callacoise en 2022 est également marquée par sa précarité et son taux élevé de personnes âgées (1 habitant sur 2 est à la retraite). En effet, les taux de pauvreté (21%) et de chômage (17,6%) sont supérieurs aux moyennes nationales au sein d’un bassin de vie parmi les 200 plus pauvres de France. Des chiffres élevés qui s’expliquent d’abord par le choix du maire de privilégier dans les logements HLM des familles monoparentales avec plusieurs enfants pour augmenter les effectifs à l’école. Mais également avec l’arrivée entre 2010 et 2019 de personnes bénéficiant des minimas sociaux souhaitant s’installer dans un espace plus abordable mais qui les a cependant maintenus dans la précarité.

Le projet Horizon a été pensé par le Fonds de dotation Merci (FDM), détenu par la famille Cohen, originaire de Paris, qui a fait fortune grâce à sa marque de vêtements pour enfant Bonpoint. Le projet Horizon s’inscrivait dans une logique d’accueil déjà en place à Callac que le FDM aurait pu mieux structurer. En effet, depuis 2018, la ville de Callac accueillait déjà 7 familles de réfugiés. Un réseau de solidarité s’était mis en place, s’appuyant sur des bénévoles et une vie associative intense. Horizon aurait permis d’encadrer au mieux l’intégration de ces populations dans une commune déjà engagée malgré des moyens limités. Horizon consistait à faire venir 5 à 6 nouvelles familles de réfugiés sur une dizaine d’années en facilitant leur intégration par une insertion professionnelle adaptée aux compétences des réfugiés et aux besoins de Callac. En effet, 78 postes vacants avaient été repérés par la municipalité dont auraient pu bénéficier les réfugiés. Cet objectif devait s’accompagner d’un programme de renouvellement et de rénovation du centre-ville en termes de logements, mais également d’équipements socio-culturels (nouveau cinéma, une crèche, réhabilitation de logements etc.). L’intérêt pour la municipalité de Callac était de bénéficier de financements pour mettre en place de nouvelles dynamiques aussi bien économiques que démographiques dans une ville sur le déclin.

L’annonce du projet Horizon s’est réalisée lors d’une réunion publique à Callac le 14 avril 2022 devant près de 150 personnes. Cette réunion s’est déroulée sous tension, avec la présence d’individus menaçants au fond de la salle qui ont contraint la gendarmerie à escorter les membres du FDM jusqu’à leur hôtel. Le lendemain une pétition en ligne est également lancée pour s’opposer au projet. Cette annonce a rapidement révélé les représentations locales opposées sur la question de l’accueil, malgré de nombreux éléments encore flou sur le projet. Une premier collectif s’est formé en juin 2022, composé de trois Callacois : Collectif pour la défense et l’identité de Callac. Ce collectif n’est pas à l’origine de la pétition, ni des tensions provoquées lors de la réunion. Il s’inscrit plutôt dans un contexte de remise en question de l’accueil de nouveaux arrivants à Callac.

La première source d’opposition locale se concentre sur les réfugiés accueillis, mais aussi à accueillir. En effet, ils sont qualifiés « d’invisibles » par les Callacois, mais cet adjectif renvoie à deux images contradictoires. D’un côté, le réfugié apparaît plus comme un fardeau pour la collectivité, qui vivrait des aides de l’État. De l’autre, cette non-visibilité dans l’espace public est aussi signe que le réfugié se fond dans la masse. Cependant, les difficultés d’intégration des réfugiés déjà accueillis sur Callac en raison du contexte territorial, interroge la population sur l’intérêt d’en accueillir de nouveaux. Ensuite, le collectif annonce qu’il est prévu d’accueillir 70 familles « extra-européennes », soit une arrivée massive de réfugiés qui alimente la peur de la formation de ghettos dans la commune. Enfin, le collectif souhaite défendre une « identité bretonne » à laquelle il se rattache, que ces nouveaux arrivants remettraient en question. Le refus d’accueillir ces réfugiés est encouragé par l’idée que ces « extra-européens » risquent de modifier « les valeurs et les traditions bretonnes ». L’attachement à une identité régionale figée autour de symboles forts en Bretagne (la langue, la gastronomie, les fest noz etc.) doit être préservé selon le collectif, pour maintenir une identité « sans migrant ». Une division apparaît alors avec les habitants en faveur de l’accueil qui revendiquent une identité bretonne inclusive et ouverte. En effet, ces Callacois sont aussi attachés aux traditions bretonnes mais prônent d’autres valeurs à travers l’identité bretonne. Les individus, qu’ils soient en faveur ou contre cet accueil, se réfèrent à une même identité, mais à laquelle ils n’attribuent pas les mêmes qualités.

Ainsi, une première opposition locale s’est organisée en s’appuyant sur ces représentations qui seront développées pour structurer un mouvement d’opposition plus général. En effet, la dimension locale est limitée par les enjeux locaux que posent encore le projet. Cependant, l’implication de nouveaux acteurs dans ce conflit contribue à l’écho national qu’il rencontre.

La structuration du conflit à l’échelle nationale

Initialement basé sur des enjeux et des acteurs exclusivement locaux, de nombreux systèmes d’acteurs aux intérêts aussi bien particuliers que collectifs interviennent. En effet, si le conflit s’est déroulé physiquement à Callac, une multitude de réseaux à travers la France ont été ensuite mobilisés par les acteurs pour mettre fin à des projets d’accueil qui ont rapidement dépassé Callac.

Pendant l’été 2022, une nouvelle opposition s’organise autour de l’extrême droite, motivée localement à se remobiliser après les élections législatives, en s’appuyant sur :

. Bernard Germain, candidat Reconquête dans les Côtes d’Armor ;

. Catherine Blein, représentante Reconquête dans les Côtes d’Armor ;

. Pierre Cassen, fondateur du site internet de « réinformation » et d’extrême droite Riposte laïque.

En effet, ils disposent tous d’un réseau médiatique et politique important, étant investis en politique depuis plusieurs décennies. Catherine Blein et Bernard Germain fondent l’association les Amis de Callac et ses environs (ACESE) en septembre 2022, avec l’aide de Danielle Le Men, présente dans le premier collectif qui s’est dissous. Ils mettent alors en place un stratégie d’omniprésence et de « réinformation » autour des projets d’accueil.

Ils investissent d’abord classiquement la place du marché de Callac, pendant près de 8 semaines afin de diffuser une nouvelle pétition. Plusieurs tracts sont également distribués pendant les mobilisations, jusqu’à 30 km autour de Callac, tout en intervenant régulièrement dans la presse locale et régionale pour faire connaître leur combat. Une première manifestation devant la mairie est organisée le 17 septembre 2022, réunissant près de 300 personnes dont 24 Callacois. Une deuxième manifestation a lieu le 5 novembre 2022 regroupant près de 400 personnes et toujours une minorité de Callacois. Ces évènements participent à la médiatisation du conflit autour des ACESE qui structurent un mouvement national d’opposition.

Carte. France. Localisation des organismes présents à la seconde manifestation à Callac le 5 novembre 2022
Conception et réalisation : D. Basol
Basol/Diploweb.com

En effet, un groupe informel composé de partis politiques et d’associations d’extrême droite aux origines géographiques extérieures à Callac se forme autour des ACESE pour soutenir et piloter la stratégie d’opposition. Profitant d’une proximité entre leurs dirigeants, ils diffusent massivement ce conflit à travers leurs réseaux, notamment sur les sites internet de « réinformation » qu’ils détiennent (Riposte Laïque, Résistance Républicaine, Place d’Armes etc.), avec des articles mensongers et diffamants sur les porteurs du projet.

Cependant si le mouvement d’opposition a pris une envergure nationale, c’est essentiellement lié aux annonces du Président de la République le 15 septembre 2022. Souhaitant revoir la politique d’accueil et d’intégration des réfugiés, Emmanuel Macron annonce vouloir mieux répartir les réfugiés dans les espaces ruraux pour faciliter leur intégration. Il juge ainsi que ces populations peuvent combler les difficultés que rencontrent les espaces ruraux déclarant que « les années qui viennent seront des années de transition démographique » [1]. A Callac, les enjeux deviennent nationaux, l’opposition considérant qu’il s’agit de la première étape d’un « grand remplacement rural ».

Les représentations que partagent les acteurs de l’opposition ont fédéré leur mouvement, servant également à justifier leur intervention. Les tensions provoquées par ces projets permettent de révéler tout le système de représentations engagé par l’annonce d’accueillir des populations réfugiées.

Tout d’abord, l’origine géographique des réfugiés est un facteur essentiel dans le consentement de la société d’accueil à accueillir. Les migrants européens et intra-Schengen sont désormais beaucoup moins perçus comme un fardeau que les migrants originaires d’Afrique ou du Moyen-Orient. En réalité, au-delà de la distance géographique, c’est la distance culturelle supposée qui influence la représentation. Ensuite, l’opposition emploie systématiquement le terme de migrant dont la définition est la plus vaste et la plus floue. Ce discours retire ainsi le statut juridique international dont bénéficie le réfugié qui atteste de sa vulnérabilité. Il permet également de développer un nouvel argumentaire qui discrimine et criminalise une catégorie entière de la société en raison du danger que d’autres migrants ont pu représenter par le passé.

Aussi, ces réfugiés [2] sont de fait considérés comme des immigrés. Un terme chargé de représentations négatives, qui s’accentuent en période de crise socio-économique et culturelle. Dans les représentations, la qualité d’immigré s’opposerait à celle d’être français. Il existerait ainsi une distance culturelle et sociale entre les individus français et ceux qui y prétendent, une distance que le processus d’intégration ne permettrait pas d’effacer [3]. De ce fait, il serait impossible pour eux de, pleinement s’intégrer, ne partageant pas la même histoire, ni les mêmes pratiques sociales et culturelles.

Les conflits à Callac ont également permis de mettre en évidence le problème que poserait la religion musulmane, particulièrement visée par les membres de l’opposition. Les pratiquants représenteraient une véritable menace et appliqueraient une stratégie de conquête territoriale dissimulée. Certains principes du Coran interprétés par les groupes d’extrême droite présents à Callac, sont vus comme des outils mis au service d’objectifs idéologiques, voire terroristes. L’islam est ainsi envisagé comme un « logiciel mental et héréditaire qui structure chaque aspect de l’existence des musulmans et gouverne leur corps et leur esprit » [4], à qui on prête une seule et unique intention , celle de conquérir l’Europe et la France.

Les mobilisations à Callac concentrent ces représentations en raison de la présence d’acteurs politisés aux intérêts politiques et médiatiques nationaux. Les représentations défendues par les acteurs de l’opposition trouvent un soutien à travers la France et une fenêtre médiatique propice pour s’exprimer. Cela explique la différence importante entre l’emprise objective des projets d’accueil à l’échelle de Callac et la répartition spatiale des opposants à une échelle nationale. Callac est envisagée par l’opposition comme un espace symbolique, celui de la première tentative de « grand remplacement rural ». La faiblesse initiale de l’opposition locale a donc été compensée par celles d’opposants extérieurs qui ne contestent pas simplement les projets d’accueil mais bien la politique migratoire menée en France.

Ces représentations sont entretenues et reprises à des fins électorales et d’influence par les partis politiques. De plus en plus de discours et de pratiques politiques cherchent à rendre coupables des catégories entières de la société française : réfugié, immigré, musulman, descendant d’immigré suspectés de véhiculer des valeurs contraires à la nation française et même de chercher à l’envahir. Ces thèmes (anti-immigrés, anti-musulmans etc.), considérés d’abord comme racistes et xénophobes sont désormais banalisés et peuvent être défendus par des candidats politiques à l’audience nationale. Les idées ainsi exprimées par de plus en plus de partis politiques contre plusieurs millions de personnes en France, se rapportent plus en 2023 aux valeurs de liberté d’expression et de conscience que de valeurs autoritaires, racistes et discriminatoires [5]. Un processus de banalisation auquel participent également certains médias. Les mobilisations à Callac, inédites contre ce type de projets, témoignent désormais de la diffusion de ces représentations et du soutien obtenu par les acteurs combattant l’immigration. Le système de représentation engagé par l’annonce de projets d’accueil de réfugiés est construit par une multitude d’acteurs interdépendants : les acteurs politiques, médiatiques et les citoyens. Ces mobilisations révèlent les tensions et les contradictions que posent le fait d’accueillir des populations étrangères.

La question de l’accueil, source de conflit en France et en Europe

La montée progressive, en France et à travers l’Union européenne, de partis politiques combattant l’immigration, témoigne de la diffusion au sein de la sphère civile de l’affirmation que le phénomène migratoire pose un problème. Un phénomène qui vient notamment interroger les sociétés d’accueil dans leur rapport à l’identité et à la nation. La nation est formée par un processus géopolitique qui implique une identité collective sur un territoire national, bien délimité dans le cas de la France et un attachement à ce territoire car « il n’y a pas de nation sans territoire » [6]. Cette identité collective, fruit d’une construction sociale, représente un enjeu essentiel pour les gouvernements, elle est chargée de valeurs fortes auxquelles se rattachent les individus.

Le statut de réfugié politique est confronté aux mêmes représentations que celles liées aux populations immigrées et étrangères, de moins en moins bien considérées. En France, l’idée que ces populations puissent être source de bénéfices et de développement pour les sociétés d’accueil est parfois contestée tant les amalgames et les discours hostiles à leur présence se multiplient. Immigrés et étrangers sembleraient, désormais, être pour plusieurs segments des opinions publiques à l’origine de nombreux maux de la société française que n’hésitent pas à instrumentaliser des acteurs politiques. Le phénomène migratoire et d’accueil de nouvelles populations, associé à un processus de mondialisation, affectent la représentation de la nation. L’idée et le fantasme d’un « grand remplacement » instaurent un climat d’angoisse à un moment où la mondialisation engendrerait un déclassement social et économique. La notion de nation, et le rattachement des individus à une identité collective et des valeurs partagées rapprochent les individus, mais tendent également à instaurer des barrières infranchissables avec l’« Autre » : l’immigré, le réfugié, le musulman, etc. L’« Autre » devient un élément perturbateur de la nation. D’une certaine façon, une nouvelle fois, l’inclusion au groupe majoritaire se fait par l’exclusion d’une ou plusieurs minorités.

L’accueil de réfugiés ou de nouvelles populations étrangères ferait ainsi peser une menace sur la nation française, une menace à l’origine d’un repli identitaire des « menacés » . L’identité est « une façon de se représenter les différences au sein d’une société » [7]. Les revendications identitaires à Callac ont une portée géopolitique nationale, elles cherchent à différencier celui à accueillir, en l’occurrence le réfugié, à une communauté nationale qui partagerait une identité française commune. La particularité de la France est que la représentation majoritaire de la nation et de l’identité française, n’est ni basée sur la diversité des origines, ni sur la diversité culturelle, elle repose plutôt sur une vision de « l’Homme blanc », influencée par les traditions chrétiennes. Cependant, la représentation d’un accueil massif de populations étrangères, sans filtrage, associée à une augmentation de la visibilité des descendants des personnes issues de l’immigration dans l’espace public, met à mal l’identité nationale représentée. Ce sont principalement les générations d’enfants d’immigrés qui s’insèrent et s’intègrent progressivement dans la société qui impactent les représentations. En effet, ils deviennent beaucoup plus visibles sur le territoire national. Ces personnes atteignent désormais une multitude de professions dans des domaines très variés, mais accentuent parfois les représentations négatives et provoquent des réactions racistes et xénophobes des « Français blancs ». Toutes ces personnes considérées comme immigrées, bien qu’elles puissent être de nationalité française, seraient autant de symptômes d’une identité française menacée qui risque de disparaître.

Par des caractéristiques physiques et/ou culturelles choisies parmi d’autres et considérées comme fondamentalement dérangeantes pour la nation française, les individus considérés étrangers à la nation sont la cible d’une instrumentalisation politique des partis « nationalistes » d’extrême droite. Ces représentations sont ainsi reprises à travers les discours politiques, mais également mobilisées pour refuser la mise en place de projets d’accueil de réfugiés. L’identité est pensée comme centrale dans notre société et montre notre difficulté à changer les représentations que nous avons de notre identité et nation, que le phénomène migratoire et la mondialisation viennent transformer.

Les partis politiques « nationalistes » [8], dans un contexte général où l’indépendance de l’État est garantie, cherchent à affirmer l’intérêt national de la nation par rapport aux intérêts des autres groupes ou classes qui n’en feraient pas partie, en fonction de critères plus ou moins discriminatoires. Les partis politiques d’extrême droite sont des partis « nationalistes », qui se « présentent comme les “vrais” défenseurs de la nation » en opposition « aux représentants de la majorité du peuple, accusés de “brader” les valeurs nationales, de fragiliser l’identité nationale, voire d’abandonner la nation aux étrangers » [9]. Ils affirment ainsi une défense des intérêts des nationaux, aux dépens des populations qui ne feraient pas partie de la nation, notamment les personnes étrangères ou immigrées. En effet, ces discours sont justifiés par l’instabilité économique provoquée par la crise des subprimes (2007-2008), puis la crise migratoire de 2015 qui a matérialisé l’idée d’une invasion et plus récemment une crise de la représentativité des institutions européennes. Nombre de partis « nationalistes » connaissent une ascension politique à travers l’Europe, à l’image du parti Fidescz de Viktor Orbán au pouvoir en Hongrie depuis 2010. Les crispations identitaires provoquées par l’accueil de nouvelles populations et le repli identitaire qu’elles entraînent sur un récit national plus ou moins fantasmé, ne sont pas une situation propre à Callac ou à la France. La montée des partis « nationalistes » qui se saisissent de ces peurs est un enjeu plus global, qu’il serait également possible d’élargir en dehors de l’Union européenne aux États-Unis avec Donald Trump ou en Inde avec Narendra Modi.

Conclusion

Les projets d’accueil de réfugiés à Callac ont provoqué un mouvement de contestation dont l’envergure a largement dépassé les limites de la ville. Des contestations qui ont révélé les tensions que suscitait l’enjeu de l’accueil à toutes les échelles. Celles-ci ont abouti à l’annulation du projet d’accueil principal, Horizon, tandis que celui porté par le préfet s’est mis en place en toute discrétion. De par la nature inédite de l’objet des contestations, portant plus sur les populations de réfugiés à accueillir plutôt que sur le projet d’accueil en lui-même, le cas d’étude sur Callac s’est montré pertinent à analyser. En effet, ce conflit local se développe dans un contexte national et européen de plus en plus hostile aux enjeux liés à l’immigration. Alors même que, depuis au moins une décennie, faute d’une natalité supérieure aux décès, l’UE maintient une croissance totale légèrement positive grâce à l’immigration. [10] La ville de Callac a alors été investie par des acteurs aux origines géographiques bien éloignées, pour annuler ces projets qui suscitaient des représentations divergentes quant aux populations de réfugiés à accueillir. Les tensions provoquées par ces projets d’accueil ont ainsi permis de révéler tout le système de représentations engagé par l’annonce d’accueillir des populations réfugiées. Des représentations dont se sont saisis les partis « nationalistes » français ainsi que la sphère médiatique, mobilisant ainsi les notions de nations et d’identité, centrales dans nos sociétés.

Les mobilisations contre des projets d’accueil se sont multipliées en France depuis 2022 et la victoire de l’opposition sur le projet Horizon. La bataille menée par ces acteurs qui reprennent des arguments similaires à ceux développés à Callac s’est répandue en France notamment à Saint-Brévin dont la situation a été médiatisée mais également dans les territoires ruraux de Bélâbre ou Beysennac. La ville de Callac a été le premier lieu de contestation d’un mouvement qui tend à se généraliser à l’échelle nationale.

Manuscrit clos en septembre 2023.
Copyright Avril 2024-Basol/Diploweb.com

[1] Discours du Président Emmanuel Macron aux Préfets, 15 septembre 2022, https://www.youtube.com/watch?v=s8PzVgA6KLQ. NDLR Le concept de « transition démographique » a un autre sens selon l’INED : « La transition démographique désigne le passage d’un régime traditionnel où la fécondité et la mortalité sont élevées et s’équilibrent à peu près, à un régime où la natalité et la mortalité sont faibles et s’équilibrent également. »

[2] NDLR Le statut de réfugié s’obtient à travers une longue procédure. Cf. le site Service public.fr Demande d’asile (réfugié, protection subsidiaire, apatride) https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N106

[3] Afrien, Boschet & Jean-Baptiste Guégan. Comprendre les migrations : approches géographique et géopolitique, 2017.

[4] Juliette Galonnier, Discrimination religieuse ou discrimination raciale, https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.8252, janvier 2019.

[5] Vincent, Geisser, Le “quadriptyque” électoral de la peur : immigration, islam, insécurité et identité nationale au programme de l’élection présidentielle, 3-18. https://doi.org/10.3917/migra.187.0003, 2022

[6] Jérémy, Robine, Des ghettos dans la nation. Conflit géopolitique à propos des enfants français de l’immigration postcoloniale, https://doi.org/10.3917/her.130.0173, 2008.

[7] Yves, Lacoste, Vive la nation, éd. Fayard, 1998.

[8] NDLR : L’expression parti politique « nationaliste » mérite ici des guillemets puisqu’il arrive qu’un tel parti soit soutenu de diverses manières par une puissance étrangère.

[9] Béatrice Giblin, Extrême droite en Europe : une analyse géopolitique, https://doi.org/10.3917/her.144.0003, 2012.

[10] Pierre Verluise, Comment la population de l’UE27 augmente-t-elle ?, publié sur Diploweb.com le 14 avril 2024 à l’adresse https://www.diploweb.com/Comment-la-population-de-l-UE27-augmente-t-elle.html

Le port flottant pour Gaza entre dans sa phase initiale de construction

Le port flottant pour Gaza entre dans sa phase initiale de construction

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 26 avril 2024

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Les États-Unis ont commencé la construction d’une jetée flottante à Gaza, a annoncé jeudi le Pentagone. Ce projet est destiné à faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire dans le territoire palestinien bombardé et assiégé par Israël. Jusqu’à présent, les Américains ont largué 2200 tonnes d’aide alimentaire, mais c’est insuffisant; d’où la mise en place d’une infrastructure flottante pour acheminer par voie maritime un supplément d’aide;

L’information a été donnée lors du point presse de jeudi soir par un officier américain qui a annoncé “que l’assemblage des éléments de la jetée a débuté au large de la côte de Gaza”. 

Les travaux ont donc commencé en dépit des mésaventures de ces derniers jours avec deux des huit navires acheminant les éléments des quais et jetées connaissant des problèmes techniques (voir mon post). Mais, selon le Pentagone, “tous les navires et les personnels nécessaires pour l’exécution de la phase initiale  de la mission sont en place dans l’est de le Méditerranée“. 

L’aide arrivera dans un premier temps à Chypre, où elle fera l’objet de vérifications, puis sera préparée en vue de son acheminement, a précisé un haut responsable militaire américain. Elle sera ensuite transportée par des navires commerciaux sur une plateforme flottante au large de la bande de Gaza, puis par des navires plus petits jusqu’à la jetée. La capacité opérationnelle sera au début de 90 camions d’aide par jour, puis de 150 par jour. Actuellement, en moyenne 220 camions entrent chaque jour dans la bande de Gaza.

Electricité : RTE en Camargue ou comment décarboner sans balafrer

Electricité : RTE en Camargue ou comment décarboner sans balafrer

OPINION. L’implantation par RTE d’une nouvelle ligne électrique aérienne de 400. 000 volts aux portes de la Camargue entre Jonquière-Saint Vincent et Fos-sur-Mer se heurte aux résistances locales en raison de l’impact des travaux. L’entreprise planche sur huit scénarios. Par Didier Julienne, Président de Commodities & Resources (*).

                                                        (Crédits : Didier Julienne)

Entre les départements du Gard et des Bouches-du-Rhône, l’entreprise RTE (Réseau de transport d’électricité) est accusée de menacer d’une immense balafre la Camargue, d’abîmer ou de détruire des écosystèmes arboricoles, viticoles, de maraîchages et de faire fuir les touristes. Comment ? Par l’implantation d’une nouvelle ligne électrique aérienne de 400. 000 volts aux portes de la Camargue entre Jonquière-Saint Vincent et Fos-sur-Mer.

RTE est un paradoxe, l’entreprise est remerciée d’apporter l’énergie décarbonée, l’électricité, et de réparer les lignes électriques après des tempêtes, réparations que des agents paient parfois de leur vie. Personne dans le Gard ou les Bouches-du-Rhône n’est opposé à la modernisation et à l’augmentation du flux électrique, parce qu’il est essentiel pour l’industrie post-pétrole de Fos-sur-Mer : Exxon y a mis en vente sa raffinerie le 11 avril dernier.

« Surtout pas chez moi »

Mais le paradoxe est que RTE est le mètre étalon de l’effet «  surtout pas chez moi  ». L’entreprise est combattue lorsqu’elle modernise son réseau parce que les gigantesques mats de ses lignes aériennes impactent durement et durablement les paysages. Entre Jonquière-Saint Vincent et Fos-sur-Mer, le parcours de la ligne aérienne de 400 kV pose de graves problèmes. Le décideur doit choisir entre huit routes, et il a une tentation.

Les huit solutions sont huit parcours démarrant dans le Gard et aboutissant dans les Bouches-du-Rhône. Huit circuits qui évoluent entre les rives droite et gauche du Rhône, dans un mikado de terres protégées par des appellations agricoles ; des zones de sauvegarde, naturelles ou bien d’intérêt écologique faunistique et floristique ; des parcs et réserves naturelles nationaux ou régionaux ; des zones protégeant des oiseaux, des biotopes, des espaces naturels sensibles, des zones humides ou encore Natura 2000 ; des sites historiques, classés, patrimoniaux ou archéologiques ; des biens Unesco, un site Ramsar, des plans locaux d’urbanisme, des villes et villages, etc. Et au milieu, coule le Rhône.

Le décideur qui ne veut pas balafrer la Camargue cherche pour la ligne aérienne un impénétrable chemin au milieu de cet enchevêtrement de normes. En effet, tous les parcours envisagés impactent directement tels ou tels environnement et paysages et sont destructeurs d’une économie locale reposant sur des écosystèmes basés sur l’histoire, la nature et l’agro-tourisme. À chaque fois que la ligne 400 kV pénètre un périmètre, c’est une directive, un règlement ou une autorité qui menaceront de déclasser un parc, enlever une appellation agricole, annuler une étoile hôtelière. Quel touriste se rendra dans une réserve, un hôtel, une ferme ou un vignoble dégradés par la proximité ou la vue d’une ligne 400 kV ?

Équilibrer les dommages

Si le mikado empêche l’esquisse d’un nouveau parcours, la vie interdit d’utiliser des tracés existants. Pourquoi ? Parce que transformer en 400kV une vieille ligne de 63 kV, dont l’âge est parfois proche du siècle, c’est effacer l’en-dessous de cette ligne. Sous cette dernière, sous ses petits pylônes de 20 mètres de haut transportant 63 kV dans trois câbles, deux ou trois générations ont construit, ont prospéré, ont transformé des terres agrestes en champs fertiles, en vignes et en pacages ; elles ont restauré des ruines en hôtel, elles ont fait classer des sites remarquables et protéger la nature ; des agglomérations s’y sont aussi étendues. Mais comment cette vie pourra-t-elle continuer à vivre en harmonie et prospérer sous des pylônes culminants entre 60 et 80 mètres et transportant 400 kV dans 18 câbles sous 40 mètres d’envergure ?

Quand on dit : le roi est bon, c’est que le règne est manqué. C’est pourquoi, pour gagner son règne, le parcours ne doit être bon pour personne : ne favoriser ni la rive gauche ni la rive droite du Rhône, mais équilibrer les dommages entre les deux. De cette façon, le Gard ne sera pas la poubelle des Bouches-du-Rhône et ces dernières payeront également leur part.

Mais cette tentation présente des dangers. L’opposition des populations contre le projet est déjà là ; les oppositions de la nature et de l’agriculture contre les usines viendront-elles ? L’opposition des emplois des uns contre ceux des autres sera-t-elle une menace ? Soyons raisonnables, notre société est suffisamment violente pour ne pas en rajouter.

Comment sortir de cette situation par le haut  ?

Une récente étude de l’université de Chicago (1) constate que, dans les grandes entreprises, il existe une corrélation entre la baisse de l’innovation et le nombre croissant de politiciens qu’elles embauchent pour améliorer leur lobbying. N’insultons pas l’avenir. Si le lobbying tue l’innovation, pour inverser la désindustrialisation, c’est-à-dire innover, ces entreprises doivent se déconnecter de la précipitation politique qui sacrifie tout à son calendrier empressé.

Qui n’a pas vu au moins une fois dans les yeux d’un agent RTE la fierté de raccorder des maisons coupées de l’électricité après le passage d’une tempête, qui n’a pas vu dans ces mains-là la noblesse d’un artisan couplée à une puissance scientifique. Ces qualités également présentes en tête de RTE ranimeront l’innovation pour résoudre les problèmes plutôt que le lobbying, l’habitude et la routine n’en créeront.

Lorsque toutes les solutions sont mauvaises, il faut choisir la meilleure, c’est la plus innovante et heureusement elles sont ici au nombre de deux, l’une à court terme, l’autre à moyen terme.

Au Pays basque, une ligne souterraine de 400 kV et 5 GW sera enterrée sur 80 km, puis elle sera sous-marine sur 300 km avant de rejoindre l’Espagne. De l’autre côté des Pyrénées, ce sont 65 km d’une ligne souterraine 320 kV livrant 2 GW qui rejoignent la Catalogne. Sans parler de lignes sous-marines au Japon ou bien entre la France et l’Angleterre, sans évoquer une ligne souterraine sous le Saint-Laurent au Québec, regardons l’Allemagne qui lançait en 2023 trois autoroutes électriques reliant en 2028 les éoliennes de la mer du Nord aux industries du sud en Bavière. Cette ligne de 700 km à 380 kV livrant 4 GW commence en souterrain sous l’Elbe, puis se poursuivra par des tronçons majoritairement enfouis.

À court terme, l’habitude et la routine, c’est une ligne aérienne, mais l’innovation, c’est refuser la culture de l’impossible, c’est-à-dire faire une ligne souterraine de 45 km en courant continu qui aboutit à Fos-sur-Mer avant 2030. Ce projet souterrain aurait « de la gueule », et nul ne doute que les municipalités trouveront les terrains nécessaires à l’enfouissement. Mais à quel coût ? Il y a 23 ans, une ligne aérienne de 225 kV ne coûtait plus que deux fois plus cher qu’une ligne aérienne. Accompagnée de ses deux stations de conversion, une ligne souterraine de 400 kV coûtera plus cher qu’en aérien. Mais de combien très exactement ? Car ce coût doit être diminué des externalités négatives d’une ligne aérienne sur les deux départements : pertes économiques et pertes de chance liées aux impacts sur le paysage, le tourisme, l’agro-tourisme et la faune.

Refuser la culture de l’impossible

À moyen terme, l’innovation 2030 c’est rapprocher le producteur d’électricité du consommateur. Dans une vie antérieure, l’auteur de ces lignes a expérimenté les réacteurs nucléaires « de poche » de notre Marine nationale. Ils fonctionnent parfaitement depuis 57 ans et sont un avant-poste des petits réacteurs civils que notre pays aurait déjà dû mettre au point s’il n’avait pas eu à sa tête des hommes sous une emprise antinucléaire. Rapprocher producteurs et consommateurs d’électricité en refusant la culture de l’impossible, c’est implanter à Fos-sur-Mer un chapelet de réacteurs modulaires. C’est possible et cette réponse à l’ultimatum aurait également « de la gueule ».

Que ce soit à court ou bien à moyen terme, des solutions techniques émergent pour s’affranchir d’une ligne aérienne aux portes de la Camargue. Et que l’on ne dise plus que c’est irréalisable. Cela fait 50 ans que la culture de l’impossible fabrique des victimes et immobilise la France. Même pour une ligne de 400 kV, il est temps d’utiliser l’innovation et de retrouver une étoffe de héros amoureux des défis.

(1)   Connecting to power : political connections, innovation and firm dynamics

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(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.

Retrait des troupes américaines au Niger : un revers pour Washington ?

Retrait des troupes américaines au Niger : un revers pour Washington ?

Pointant du doigt un manque de souveraineté, les dirigeants nigériens ont poussé les États-Unis à retirer leurs troupes du Niger le 19 avril dernier. Alors que les Américains disposaient d’une place stratégique au Sahel, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste, le départ forcé des Américains représente un nouveau revers pour les Occidentaux dans la région alors que la Russie ou la Chine gagnent du terrain. Quelle analyse peut-on tirer de la situation et l’influence états-unienne au Niger et au Sahel ? Éléments de réponse avec Jeff Hawkins, ancien diplomate américain et chercheur associé à l’IRIS.

Le 19 avril dernier, Washington a annoncé le retrait de ses militaires au Niger sous la pression de la junte au pouvoir. Pourquoi le Niger a-t-il décidé de rompre avec les États-Unis ? Quel rôle occupaient les Américains sur place ?

Les relations américano-nigériennes sont actuellement au plus bas et ce n’est pas ce que souhaitaient les États-Unis. Jusqu’à l’année dernière, le gouvernement américain considérait le Niger comme un partenaire essentiel dans la région, un allié démocratique pleinement engagé dans la lutte contre l’extrémisme islamiste. Le coup d’État de juillet 2023 à Niamey, qui a porté au pouvoir le Conseil pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), a tout changé. Peu après le coup d’État, Washington a été contraint, en vertu de la législation américaine, de suspendre la majeure partie de l’aide américaine au Niger. Cette aide comprenait 200 millions de dollars d’assistance bilatérale et la planification d’un projet de transport de 302 millions de dollars financé par le Millennium Challenge Account des États-Unis. Les États-Unis ont également suspendu leurs opérations militaires dans le pays, notamment celles menées à partir de la base aérienne 201 d’Agadez, sans toutefois retirer les plus de 1 000 personnes qui constituaient la présence américaine sur place. En mars, le CNSP de plus en plus hostile s’est retiré de l’accord sur le statut des forces régissant la présence militaire américaine au Niger. Peu après, une délégation américaine de haut niveau s’est rendue à Niamey, dans l’espoir d’aider à remettre le Niger sur la voie de la démocratie et de trouver un moyen de reprendre la coopération militaire. Les Nigériens ont repoussé cet effort. D’autres négociations à Washington n’ont pas non plus réussi à faire fléchir le CNSP. Le coup d’État a peut-être empêché les États-Unis de poursuivre leurs activités habituelles, mais cela ne signifie pas que Washington ait cherché la rupture.  Ce sont plutôt les Nigériens qui ont torpillé la relation.

Pourquoi Niamey a-t-elle agi de la sorte ? Les dirigeants nigériens ont formulé leur décision en termes de souveraineté. Un nouveau gouvernement patriote, selon le CNSP, a cherché à renverser une présence américaine « illégale » « en tenant compte des intérêts et des aspirations de son peuple ».  Cette décision fait suite au renvoi tout aussi brutal de la présence militaire et diplomatique française au Niger l’année dernière.  Ces deux actions peuvent être considérées comme un effort pour obtenir la légitimité d’un gouvernement militaire non légitime et non démocratique.  Dans de nombreuses régions d’Afrique francophone, les mesures anti-françaises attirent toujours les foules. En chassant les Français, il était certain que la junte bénéficierait d’un certain soutien populaire. Bien que la présence américaine au Niger s’accompagne de beaucoup moins de bagages que la présence française, les actions des Nigériens à l’égard des États-Unis peuvent être considérées de la même manière.  Compte tenu des inévitables préoccupations concernant la démocratie et les droits de l’homme, tant à Paris qu’à Washington, et de la suspension de l’aide, le choix du CNSP n’a pas été difficile. Comme nous le verrons, les Russes ont fourni une alternative toute trouvée. Les impacts à plus long terme de la décision sur le Niger, notamment en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, seront presque négatifs.

Jusqu’au gel actuel des relations, les États-Unis étaient un acteur important au Niger. La présence militaire américaine à Agadez et à Niamey était l’une des plus importantes d’Afrique subsaharienne et se concentrait sur les cibles d’Al-Qaïda et de l’État islamique. Le pays était l’un des principaux bénéficiaires de l’aide américaine ainsi qu’un pays cible pour le Millennium Challenge Account des États-Unis, qui fournit une aide à long terme et à grande échelle aux États ayant des antécédents particulièrement bons en matière de gouvernance démocratique. Les liens entre les États-Unis et l’ancien président nigérien Mohamed Bazoum, renversé par le coup d’État, étaient cordiaux.

Que peut-on retenir sur la stratégie américaine dans les autres pays du Sahel, notamment au Tchad ? Quels sont les intérêts américains dans la région ?

Les États-Unis cherchent à établir avec la sous-région des relations à la fois larges et profondes. Les relations militaires, jusqu’à récemment très visibles au Niger, en sont une composante importante.  La menace terroriste islamiste, en particulier dans le Sahel et la Corne de l’Afrique, est l’une des principales préoccupations des Américains sur le continent.  Le commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) mène des opérations militaires dans la région, mais se concentre également sur l’établissement de partenariats avec les armées africaines.  Comme l’a expliqué le commandant de l’AFRICOM, le général Michael Langley, au Congrès le mois dernier, l’engagement militaire des États-Unis a pris de l’importance à mesure que les présences française, européenne et des Nations unies diminuaient.   Les États-Unis sont un partenaire commercial et d’investissement important pour les pays de la région, et l’administration Biden a fait du renforcement de ces liens une priorité lors du sommet des dirigeants américano-africains de 2022.  Les investissements américains dans l’extraction des ressources naturelles – avec des majors pétrolières et gazières américaines opérant dans des pays comme le Nigeria et le Tchad – sont substantiels.  L’aide américaine vise à renforcer la gouvernance démocratique, à soutenir les investissements dans les services sociaux tels que la santé et l’éducation, et à répondre aux crises humanitaires.  Malheureusement, les relations entre les États-Unis et le Tchad pourraient suivre une trajectoire similaire à celle du Niger voisin.  Ce mois-ci, les Tchadiens ont demandé aux États-Unis de retirer une petite présence militaire à l’aéroport de N’Djamena.  Le porte-parole du département d’État américain a indiqué que les responsables américains « sont en conversation permanente avec les responsables tchadiens sur l’avenir de notre partenariat en matière de sécurité ».

Peut-on parler d’une perte d’influence des États-Unis au profit d’une influence russe dans la région ?

Un déclin catastrophique de l’influence occidentale en Afrique est certainement souhaité par les Russes, et l’ours russe, bien sûr, a ses empreintes partout sur le renversement des fortunes occidentales au Niger. La présence de la Russie en Afrique, surtout dans le domaine de la défense, est ancienne. La Fédération de Russie est le plus grand fournisseur d’armes du continent, loin devant la France et les États-Unis. Alors que les tensions montent entre l’Occident et la Russie au sujet de l’Ukraine, les Russes jouent un rôle de plus en plus perturbateur, cherchant à renverser les liens de sécurité établis de longue date entre les principaux pays de l’OTAN et leurs partenaires africains. Les Russes ont effectivement utilisé leur propre assistance militaire bilatérale et des groupes de mercenaires associés au Kremlin, comme le groupe Wagner (aujourd’hui le Russian African Corps), pour offrir une alternative à l’engagement occidental. Comme le souligne la stratégie américaine de l’administration Biden à l’égard de l’Afrique subsaharienne, « la Russie considère la région comme un environnement permissif pour les entreprises parapubliques et les sociétés militaires privées, qui fomentent souvent l’instabilité pour en tirer des avantages stratégiques et financiers ». Nous pouvons également supposer que les services de sécurité russes font tout ce qu’ils peuvent en coulisses pour attiser les sentiments anti-français et antiaméricains au sein du public africain. En fin de compte, les régimes autoritaires comme celui du CNSP sont très heureux de renoncer aux exigences françaises ou américaines en matière de réformes démocratiques et de respect de l’État de droit et d’accepter à la place l’aide russe sans condition. Les forces russes de l’Africa Corps sont arrivées à Niamey ce mois-ci dans le cadre d’un nouvel accord de défense.

À plus long terme, cependant, il reste à voir quel terrain les Russes gagneront et conserveront en Afrique. Jusqu’à présent, Moscou a remporté de nombreux succès dans des pays comme le Mali et le Niger. Mais perturber les relations entre les États-Unis et le Niger et envoyer des mercenaires russes à Niamey ne signifie pas établir des liens profonds et durables. La Russie est un acteur économique secondaire sur le continent, par exemple, les flux commerciaux russes vers l’Afrique (environ 18 milliards de dollars en 2021) étant éclipsés par le commerce Afrique-Chine (282 milliards de dollars).  La véritable menace à long terme pour les intérêts américains sur le continent africain est la Chine, et non la Russie. Compte tenu de l’engagement diplomatique intense de la Chine dans la région, de ses vastes liens économiques avec l’Afrique et de son intérêt croissant pour la sécurité sur l’ensemble du continent, la véritable menace pour les intérêts américains vient de Pékin et non de Moscou.

Quelle langue parlons-nous en France en 2024 ?

Billet du Lundi 22 avril 2024 rédigé par Gérard Chesnel*

membre du Conseil d’administration de Geopragma.

https://geopragma.fr/quelle-langue-parlons-nous-en-france-en-2024/


La langue nationale est une des manifestations de la puissance d’un pays. Les grands empires, comme Rome, Byzance, les Abbassides et, plus tard, l’Espagne, le Portugal, la France ou l’Angleterre, qui ont conquis de vastes territoires, ont diffusé leur langue et leur culture dans les régions dont ils avaient pris le contrôle. C’était une composante de leur pouvoir. La défense de notre langue n’est donc pas un caprice de lettrés chauvins mais une nécessité si nous voulons maintenir prestige et influence.

La langue française a subi, au cours des dernières décennies, de nombreux assauts auxquels elle a tenté de résister, soit en créant des institutions internationales comme la Francophonie, soit en légiférant à titre national (loi Toubon du 4 août 1994). Mais l’invasion de l’anglais ne s’est qu’accentuée avec le développement de l’informatique et des jargons générés par les réseaux sociaux.  Plus désolant encore, on voit aujourd’hui se multiplier les « attaques » provenant de l’intérieur, en raison bien souvent de l’inculture ou du snobisme de beaucoup de nos compatriotes. Citons quelques exemples, qu’on peut regrouper sous certaines rubriques :

  • Les « tics » verbaux collectifs comme « du coup », qui a remplacé depuis plusieurs années « donc » et « par conséquent » ou « voilà » qui dispense certaines personnes peu inspirées de tout autre commentaire (je pense à ce sprinter, très talentueux par ailleurs, qui, interviewé après tel ou tel de ses exploits, ne trouvait rien d’autre à dire que « Voilà »).
  • Un même appauvrissement du vocabulaire est dû à l’emploi répétitif d’un mot passe-partout. Actuellement, le vocable « incroyable » désigne tout ce qui sort de l’ordinaire ou qui est inattendu. Or il existe aussi, en français courant, des mots comme « magnifique, inouï, exceptionnel, extraordinaire » ou même « génial, fabuleux, dingue », etc. etc. Mais leur emploi se raréfie dangereusement au profit d’« incroyable ».
  • Les mots prétendument élégants ou savants comme « paradigme » ou « résilience » (souvent confondue avec « résistance ») la plupart du temps mal compris ou utilisés à contresens. Dans le même ordre d’idées, certains trouvent chic de parler de leur « problématique » alors qu’ils ont tout simplement des « problèmes ». Et il vaut mieux dire aujourd’hui que ces problèmes « perdurent » plutôt qu’ils ne « durent », ce qui serait sans doute trop simple. Mais le pompon dans ce domaine est détenu par un célèbre entraîneur de football qui redoute non pas ses « adversaires » mais « l’adversité ». Je le cite : « Nous avons perdu ce match car l’adversité était trop forte ».
  • L’utilisation détournée de mots anciens comme « maraude » qui signifiait autrefois « vol, larcin » et qui maintenant a ses lettres de noblesse puisque les « maraudes » sont devenues des tournées de travailleurs humanitaires cherchant à venir en aide aux nécessiteux. Ce « maraud » de François Villon en serait bien surpris (ou amusé).
  • La redondance injustifiée comme « Au jour d’aujourd’hui ». Le mot « hui » venant du latin « hodie » qui signifie « ce jour », le mot « aujourd’hui », est déjà une redondance, mais qui est passée dans l’usage. « Au jour d’aujourd’hui » est pour sa part une double redondance. Le verbe « pouvoir » offre lui aussi de belles perspectives comme « être en mesure de pouvoir » ou « avoir la possibilité pouvoir », etc.
  •  L’anglais mal maîtrisé mérite lui aussi quelques remarques. Ainsi, on peut être « supporter » d’une équipe, la soutenir mais pas la « supporter ». Sinon, on en viendrait à dire que l’on ne supporte pas de voir perdre l’équipe que l’on supporte.
  • Le faux anglais offre quelques expressions amusantes voire ridicules comme « rester focus » (rester concentré), « checker » pour « vérifier » ou, le pire du pire, « Il y a du level » (prononcé « levelle ») pour dire que la concurrence (ou l’adversité) a un bon niveau.

Certes toutes les langues sont soumises à ce type de problème (devrais-je dire à cette problématique ?). Le Professeur Bernard Cerquiglini, l’un de nos meilleurs linguistes, vient de publier un livre plein d’humour intitulé « La langue anglaise n’existe pas, c’est du français mal prononcé », dans lequel il cite Daniel Defoe qui, en 1708, s’insurgeait devant le remplacement du vocabulaire anglais par le français : « I cannot but think, disait l’auteur de Robinson Crusoé, that the using and introducing of foreign terms of art or foreign words into speech while our language labours under no penury or scarcity of words is an intolerable grievance ». Aujourd’hui la situation est inversée et nous voyons arriver de plus en plus de mots étrangers (en grande majorité anglais) alors que leur équivalent français existe bel et bien et est d’ailleurs généralement plus harmonieux. Pourquoi parler d’un « coach » quand nous avons les mots « entraîneur » ou « sélectionneur », pourquoi prendre un vol « low cost » (souvent prononcé d’ailleurs « low coast » !) quand existent des vols pas chers, à bas coût ? Pourquoi le « sweater » prononcé systématiquement « switer » a-t-il remplacé le bon vieux chandail et le « jogging » le survêtement. On pourrait multiplier les exemples.

L’une des causes de ce mal-parler réside dans l’affaiblissement du niveau des journalistes de radio et de télévision. Jusqu’aux années soixante, ces média faisaient office de bible, s’agissant de la prononciation du français. Ils n’auraient jamais confondu « cote » et « côte ». A cette époque on buvait du côtes-du-rhône et non pas du cotte du ronne, et c’était bien meilleur.

Faudrait-il que l’Académie française se saisisse du problème ? Après tout, elle n’est pas obligée de se limiter à l’écrit. Mais voilà une problématique que beaucoup ne supporteraient pas ?

L’économie chinoise surprend avec des résultats du premier trimestre dépassant les attentes

L’économie chinoise surprend avec des résultats du premier trimestre dépassant les attentes

SHANGHAI, CHINA – MARCH 25, 2024 – Citizens are walking past the Shanghai Stock Exchange in front of the Lujiazui Securities Building in Pudong, Shanghai, China, March 25, 2024. (Photo by CFOTO/Sipa USA)/52171136//2403251447

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 25 avril 2024

https://www.revueconflits.com/leconomie-chinoise-surprend-avec-des-resultats-du-premier-trimestre-depassant-les-attentes/


La Chine a enregistré une croissance de 5,3% au cours du premier trimestre, une performance surprenante pour les observateurs extérieurs, qui dépasse même les attentes des grandes banques d’investissement. Certains commencent à revoir à la hausse leurs prévisions, ce qui souligne clairement que, tout en poursuivant ses transformations en cours, l’économie chinoise continue de croître.

Pour éviter d’être influencés par le ton souvent négatif de certains médias occidentaux et afin d’avoir une vision précise de la réalité économique en Chine, il nous paraît utile de passer en revue de manière objective et cohérente certains chiffres et faits à l’occasion de la publication des résultats du premier trimestre.

Résultats du premier trimestre

Le 16 avril, le Bureau national des statistiques de la Chine a dévoilé ses données de croissance (1), surprenant les observateurs extérieurs avec un PIB en hausse de 5,3 % pour le premier trimestre. Cette performance dépasse les attentes pessimistes du monde extérieur, surpassant même les prévisions des grandes banques d’investissement comme Goldman Sachs et Morgan Stanley, ainsi que celles des analystes interrogés par les agences Reuters et Bloomberg.

Pour rappel, le FMI avait prévu une croissance de 4,6 %, tandis que la Chine avait annoncé un objectif de 5 % en mars. Il faudra attendre la fin de l’année pour confirmer cette reprise, à la fois attendue pour une Chine confiante et surprenante pour les observateurs sceptiques.

Certaines institutions financières ont rapidement révisé à la hausse leurs prévisions de croissance annuelle pour l’économie chinoise. Les économistes d’ANZ prévoient désormais une croissance de 4,9 % pour cette année, comparé à leur prévision précédente de 4,2 %, tandis que ceux de DBS Bank ont augmenté leurs perspectives pour 2024 de 4,5 % à 5 %. Société Générale a également relevé sa prévision de croissance pour 2024, passant de 4,7 % à 5 %, tandis que Deutsche Bank anticipe désormais une croissance de 5,2 %, soit un demi-point de pourcentage de plus que leur précédente prévision (2).

Ceux qui sont derrière les chiffres

L’économie chinoise est-elle sortie de l’affaire ? Une lecture plus détaillée et nuancée de l’ensemble des éléments, derrière ces chiffres, nous aide à saisir toute la complexité de la situation, concernant les moteurs et les freins.

La Chine vise une croissance d’environ 5 % pour l’année, un objectif jugé ambitieux par de nombreux économistes. Avec une croissance à 5,3% au 1er trimestre, l‘économie chinoise a pris un bon départ, mais les bases d’une croissance économique stable et saine ne sont pas encore complètement solides (3).

Pour soutenir sa croissance, la Chine a investi massivement dans son secteur manufacturier, notamment en construisant de nouvelles usines qui ont boosté les ventes mondiales de panneaux solaires, de voitures électriques, de batteries et d’autres produits. Certains experts voient cette expansion comme une sorte de « pic de sucre » alimentée par des prêts bancaires massifs, en hausse de 9,9 % par rapport à l’année précédente. C’est une situation à surveiller attentivement.

Au premier trimestre, l’économie chinoise a enregistré une croissance de 1,6 % par rapport au trimestre précédent, ce qui, sur une base annuelle, équivaut à une croissance d’environ 6,6 %. Cependant, la croissance des ventes au détail a été modeste, avec une augmentation de 4,7 % par rapport à l’année précédente, et plus faible en mars. La Chine doit continuer à encourager la consommation pour réduire le chômage des jeunes et aider les entreprises et les ménages endettés.

Les exportations robustes en début d’année ont également contribué à la croissance, bien que la baisse des prix ait limité les gains réels. Le tourisme intérieur et les ventes de smartphones ont connu une hausse pendant le Nouvel An lunaire (sauf pour Apple), dépassant les niveaux prépandémiques. Cependant, la baisse généralisée des prix reste un défi, en particulier pour les exportations et le commerce de gros.

On a observé le ralentissement de la construction de nouveaux logements et la baisse des prix des appartements. En même temps, les banques ont été encouragées par le Gouvernement à donner plus de prêts pour finir les appartements sur le point de terminer, sachant qu’en 2023, les achèvements ont atteint 7,8 milliards de pieds carrés (square feet) en 2023, éclipsant pour la première fois les mises en chantier (4).

Bien sûr, les taux d’intérêt américains élevés ont un impact négatif.

Il est important de considérer tous ces éléments lors de l’évaluation de la situation globale. La route à parcourir est encore longue et difficile. Des efforts sont indispensables pour promouvoir les transformations déjà initiées (5).

Y a-t-il un problème de surcapacité (overcapacity) ?

Lors de réunions de haut niveau au début du mois avec des responsables chinois, la secrétaire au Trésor Janet L. Yellen a estimé qu’il y a un problème de surcapacité de l’industrie chinoise qui inonderait les marchés d’exportations, perturberait les chaînes d’approvisionnement et menacerait les industries et les emplois.

Madame Yellen, une experte en économie, devrait comprendre que l’expansion des parts de marché d’un produit est étroitement liée à ses avantages comparatifs, tels que les coûts de production, la qualité et le marketing. Dans un marché concurrentiel, il n’y a pas de problème de surcapacité, car les produits de qualité avec un coût moindre se vendent naturellement mieux que les autres. Par ailleurs, la capacité de production relève d’une décision librement prise des acteurs en présence.

De plus, certains produits concernés, tels que les voitures électriques, sont encore au stade initial de leur développement sur le marché mondial des automobiles. D’où vient donc cette notion de surcapacité ? Sinon, comment doit-on qualifier la situation d’ASML qui domine complètement le marché des machines de lithographies notamment les EVU ?

La vérité est que les exportations chinoises inquiètent de nombreux pays et entreprises étrangers. Lorsque leurs produits possèdent les pleins avantages comparatifs, ils sont 100% pour la libre concurrence vers la Chine ; quand cela ne soit pas le cas, ils craignent qu’un afflux de livraisons chinoises vers des marchés lointains ne porte atteinte à leurs industries manufacturières.Il semble que l’histoire d’Overcapacity soit simplement un nouveau prétexte inventé pour justifier le protectionnisme.

Un autre cas mérite d’être soulevé. Depuis plusieurs années, nous observons des sanctions touchant les chipsets, notamment les machines et les produits haut de gamme. Les entreprises américaines et européennes sont interdites de les vendre à la Chine. Le jour où la Chine serait en mesure de produire ces chipsets en grande quantité, avec la qualité requise et à moindre coût, peut-être entendrons -nous la même histoire de surcapacité chinoise ?

Plutôt que de rêver à imposer une sorte de VER à la japonaise (Volontary Export Restraintlimitation volontaire des exportations) (6), il serait plus judicieux d’être franc et de s’engager pleinement dans le dialogue en respectant intégralement les règles de l’OMC.

Le nouveau modèle / la nouvelle productivité

Beaucoup parlent de la nouvelle productivité ou du nouveau modèle économique en Chine. De quoi s’agit-il ? L’objectif est d’augmenter la production en tirant parti des progrès technologiques et scientifiques, en particulier dans les secteurs de pointe, pour dynamiser l’économie et créer davantage de valeur ajoutée (7). Le trio des véhicules électriques, des batteries et des panneaux solaires est souvent cité en exemple.

Conclusion

Depuis 2019, le ralentissement de la croissance en Chine a conduit de nombreux observateurs à affirmer que le pays avait déjà atteint son apogée en tant que puissance économique. Cependant, dans son récent article intitulé La Chine se développe encore (China Is Still Rising), publié dans la Revue Foreign Affairs, l’économiste américain de renom Nicholas Lardy estime que cette vision témoigne d’une compréhension insuffisante de la résilience de la Chine.

Il est indéniable que la Chine est confrontée à d’énormes défis, tels que la bulle immobilière, les sanctions imposées par les États-Unis, relatives aux exportations de technologies de pointe, notamment les semi-conducteurs haut de gamme, une population vieillissante, le chômage croissant des jeunes, le surendettement des gouvernements locaux et la nécessité de stimuler la consommation intérieure. En même temps, il convient de rappeler que la Chine a surmonté des défis bien plus importants par le passé lorsqu’elle a entamé ses réformes et son ouverture.

Nicholas Lardy est convaincu que la Chine continuerait de croître à un rythme deux fois plus rapide que les États-Unis à l’avenir (8). Il prédit que la Chine contribuerait, à hauteur d’un tiers, à la croissance économique mondiale, tout en étendant son influence, principalement en Asie. La solide performance du premier trimestre confirme cette tendance.


1. Cf. Bureau national des statistiques de la Chine. PIB : 29 630 milliards de RMB (4 100 milliards de dollars) ; +5,3% sur un an. Ventes au détail : 12 000 milliards de RMB (1 660 milliards de dollars) ; +4,7%. Valeur ajoutée industrielle : +4,5%. Valeur ajoutée des services : +5%2. Joe Cash and Kevin Yao, China’s economy grew faster than expected in the March quarter, Reuters, April 16, 2024 Ceux qui sont derrière les chiffres.

3. China’s Economy, Propelled by Its Factories, Grew More Than Expected, Keith Bradsher, Alexandra Stevenson, April 17; 2024.

4. Nicholas R. Lardy, China Is Still Rising, Don’t Underestimate the World’s Second-Biggest Economy, Foreign Affairs,

5. Alex Wang, L’économie chinoise : douleurs transitoires ou début d’effondrement, Revue Conflits, le 14 février 2024.

6. Les VER sont apparus dans les années 1930 et ont gagné en popularité dans les années 1980, lorsque le Japon en a utilisé un pour limiter les exportations automobiles vers les États-Unis. En 1994, les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont convenu de ne pas mettre en œuvre de nouveaux VER et d’éliminer progressivement ceux qui existaient déjà (Cf. Marshall Hargrave, September 20, 2023)

7. Cf. 新质生产力的内涵特征和发展重点, 习近平经济思想研究中心, 2024/03/01

8. Nicholas R. Lardy, China Is Still Rising, Don’t Underestimate the World’s Second-Biggest Economy, Foreign Affairs,

Selon la Cour des comptes, le ministère des Armées est celui qui a perdu le plus de postes en 2023

Selon la Cour des comptes, le ministère des Armées est celui qui a perdu le plus de postes en 2023

https://www.opex360.com/2024/04/23/selon-la-cour-des-comptes-le-ministere-des-armees-est-celui-qui-a-perdu-le-plus-de-postes-en-2023/


Ainsi, note le rapport, de « nombreux crédits ont fait l’objet de reports depuis 2022 et vers 2024 ». Par exemple, s’agissant du programme 178 « Préparation et emploi des forces », 2 milliards d’euros d’autorisations d’engagement ont été reportés à l’exercice 2024, en raison de « marchés de maintien en condition opérationnelle [MCO] dont la préparation connaît des difficultés »… Ce qui représente 7,4 % des ressources budgétaires de la loi de finances initiale [LFI].

Autre exemple : la Cour des comptes a peu goûté le fait que des crédits de paiement d’un montant de 1,6 milliard d’euros aient été l’objet « d’un gel immédiat » pour ensuite être reportés à 2024. En outre, l’enveloppe de 200 millions d’euros destinée au « fonds spécial pour l’équipement de l’Ukraine », votée en loi de finances rectificative pour 2022 puis « en loi de finances de fin de gestion pour 2023 avec l’objectif de les reporter respectivement aux exercices 2023 et 2024, plutôt qu’en lois de finances initiales pour ces exercices, constitue une autre entorse au principe d’annualité des crédits », a-t-elle relevé.

Enfin, s’agissant de la loi de finances de fin de gestion pour 2023, qui a ouvert 2,6 milliards d’euros d’autorisations d’engagement et 2,3 milliards d’euros de crédits de paiement, elle aurait permis de couvrir des « dépenses nouvelles à hauteur de 3,3 milliards d’autorisations d’engagement et de 3 milliards de crédits de paiement » ainsi que l’annulation de dépenses mises en réserve pour 700 millions d’autorisations d’engagement et 700 autres millions de crédits de paiement.

Parmi ces nouvelles dépenses, la Cour des comptes a relevé les surcoûts afférents au soutien à l’Ukraine « sous toutes ses formes » [déploiements militaires renforcés sur le flanc oriental de l’Otan , financement direct ou indirect de cessions d’équipement], un surcoût des opérations extérieures [pour 200 millions de plus par rapport à l’enveloppe initialement prévue] et les hausses du coût des carburants opérationnels à hauteur de 300 millions.

« L’ouverture de certains crédits, par cette loi, a été très tardive par rapport au fait générateur qui leur est associé : les déploiements militaires sur le flanc Est de l’Otan, soit 600 millions d’euros, connaissaient leur forme actuelle dès la préparation de la loi de finances initiale, à la mi-2022. Il en va de même pour les coûts du carburant opérationnel qui n’ont pas été ajustés, alors qu’ils avaient déjà occasionné un besoin de financement supplémentaire en 2022 », expliquent les magistrats de la rue Cambon.

Ceux-ci ont également pointé l’allocation de 1,5 milliard d’euros supplémentaires à la mission Défense, dans le cadre de la préparation de la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30. « En l’absence d’une loi de finances rectificative déposée en même temps que le projet de LPM, les évolutions des dépenses correspondantes ont donné lieu à un suivi spécifique pendant la majeure partie de l’exercice et ont contribué à contraindre son exécution », soulignent-ils.

Or, selon eux, de telles « pratiques semblent motivées par la volonté de présenter en loi de finances initiale des ouvertures de crédits conformes ‘à l’euro près’ à la programmation militaire ». Mais elles ont surtout « contribué à l’analyse de l’exécution budgétaire pour 2023 et à réduire l’information du Parlement ».

Sur ce point, le rapport déplore le fait que plusieurs indicateurs budgétaires – comme les reports de charge ou les restes à payer – ne soient plus communiqués aux parlementaires, qui, là encore, ne peuvent pas exercer leur mission de contrôle de manière efficace. Même chose pour les indicateurs mesurant l’activité opérationnelle, mis sous le boisseau pour des « raisons de confidentialité ». Pour la Cour des comptes, leur confidentialité « réduit significativement l’intérêt de la partie ‘performance’ » des « publications budgétaires pour le Parlement ».

Au-delà de ces pratiques comptables, le rapport a pointé une autre anomalie… Alors que, en 2023, le ministère des Armées devait créer un peu plus de 1500 postes, il en a finalement perdu… alors que les dépenses de personnel de l’ensemble des structures de l’État ont augmenté de 6 milliards d’euros [hors pensions], en partie à cause de l’augmentation de 1,5 % de la valeur du point d’indice, mais aussi et surtout au recrutement de nouveaux agents.

« Conformément aux priorités gouvernementales, les missions régaliennes devaient être fortement renforcées avec des effectifs en hausse au sein des ministères de l’Intérieur [+ 2978 ‘équivalents temps plein’ sur un effectif de 296’097 emplois], de la justice [+ 2253 ETP sur un effectif total de 92’753 emplois] et des Armées [+ 1500 dans le seul champ du ministère, hors service industriel de l’aéronautique », rappelle la Cour des comptes.

Si les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont respecté leurs schémas d’emplois respectifs, ce n’est pas le cas de celui des Armées.

« Alors que le ministère des Armées prévoyait 1547 créations nettes de postes en LFI, l’année 2023 s’est finalement conclue par une baisse de – 2 515 ETP, s’imposant comme le premier ministère contributeur à la baisse des effectifs, contrairement à ce qui était prévu. À l’inverse, alors que la LFI prévoyait une création nette de 2000 postes au ministère de l’éducation nationale, ses effectifs ont crû de 6027 emplois en 2023, soit un écart au schéma d’emplois présenté en LFI 2023 de 4027 ETP », constate la Cour des comptes.

Pourtant, la « dynamique » des recrutements a été soutenue en 2023, avec « 27’164 entrées nouvelles externes ». Mais elle a toutefois été inférieure aux objectifs du ministère des Armées [avec un déficit de 1813 ETP]. Et cela d’autant plus que le rythme des départs n’a pas faibli, avec 25’309 « sorties » en 2023 qui sont venues s’ajouter aux 24’957 départs constatés en 2022. « Les départs sont à leur plus haut niveau depuis 2017 », note le rapport. En particulier chez les sous-officiers et les militaires du rang.

Photo : Ministère des armées

Une « commande globale » de PLFS et VLFS actée par les armées

Une « commande globale » de PLFS et VLFS actée par les armées

Screenshot
par – Forces opérations Blog – publié le

Le ministère des Armées a acté l’acquisition des dernières tranches de poids lourds et véhicules légers pour forces spéciales (PLFS/VLFS), une opération réalisée en 2023 au profit d’Arquus mais jusqu’à présent restée sous les radars. 

Exit les tranches annuelles, place à une « commande globale » pour faire progresser le programme « véhicules forces spéciales » (VFS), effort lancé en 2015 pour remotoriser les unités du Commandement des opérations spéciales (COS) et de la 11e brigade parachutiste (11e BP). Une manœuvre parmi d’autres mises en lumière par le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2023.

Notifiée « tardivement dans l’année », cette commande pour 96 PLFS et 136 VLFS résulte de la fusion des tranches planifiées de 2022 à 2024. De quoi atteindre dès à présent les cibles à terminaison de 151 PLFS et 206 VLFS, deux parcs rabotés en cours de route du fait de l’acquisition d’autres véhicules hors programme.

Ce regroupement, le ministère des Armées l’explique par « une recherche d’optimisation industrielle et financière du programme ». En résulte une hausse de près de 100 M€ des engagements en 2023, mais aussi un regain de visibilité pour les équipes du site limougeaud d’Arquus et la possibilité d’optimiser les commandes de pièces. 

Le sujet VFS subit cependant les aléas rencontrés dans la chaîne d’approvisionnement « à cause du contexte géopolitique ». Aucun des cinq VLFS et PLFS prévus l’an dernier n’a pu être livré. La réception du premier VLFS est désormais reportée à décembre prochain. 

Le déploiement dans les forces du PLFS « Grizzly », tous standards confondus, a quant à lui déjà démarré. Non prévue à l’origine, la réorientation de certains véhicules vers les régiments de la 11e BP s’est matérialisée à l’occasion du défilé militaire du 14 juillet. Premier bénéficiaire, le 1er régiment de hussards parachutistes avait alors descendu les Champs-Élysées au volant de trois exemplaires. 

Troisième volet du programme, la livraison de fardiers et de leurs remorques accuse elle aussi des retards justifiés par des « difficultés d’approvisionnement de certains composants ». Seuls 48 fardiers et six remorques auront pu être perçus sur les 60 et 34 exemplaires attendus.

Renforcement blindé

Renforcement blindé

Israeli soldiers carry heavy shells past battle tanks deployed at a position along the border with the Gaza Strip and southern Israel on December 31, 2023, amid the ongoing conflict between Israel and the militant group Hamas. (Photo by Menahem KAHANA / AFP)

par Blablachars – publié le 24 avril 2024

https://blablachars.blogspot.com/2024/04/renforcement-blinde.html


Après le 22 février 2022, plusieurs pays européens ont choisi de muscler leur composante blindée mécanisée en lançant des programmes (souvent ambitieux) de modernisation ou d’acquisition d’engins blindés, parmi lesquels l’achat de chars modernes figure en bonne place dans les différents processus en cours ou à venir. Cet engouement pour la “chose blindée” étant basée sur l’observation du conflit ukrainien et de la place tenue par les différents engins dans les opérations. Loin d’une Europe confrontée au retour de la guerre de haute intensité, un autre pays a également fait le choix de muscler sa composante blindée pour répondre aux menaces actuelles et futures. 

On a appris aujourd’hui que les Forces de Défense Israéliennes (FDI) avaient décidé d’augmenter le nombre de compagnies de chars dans chaque bataillon du Corps blindé. Cette décision semble être le résultat direct des enseignements tirés des opérations menées par Tsahal, depuis six mois dans la Bande de Gaza. Cette décision qui vise à augmenter le nombre d’unités blindées annule une décision prise il y a plus de dix ans, qui visait à réduire le nombre de chars dans l’armée israélienne. L’observation des engagements dans la bande de Gaza a confirmé l’utilité des chars dans la conduite des opérations en milieu urbain, au sein duquel les destructions contribuent à entraver l’action des engins. Les zones ouvertes hors des localités ont également permis aux chars de tirer le meilleur parti de leurs capacités de jour comme de nuit, comme ce fut le cas lors des premières incursions de Tsahal au mois d’octobre dernier. 

 

 Selon le Cne AMITAI, commandant une compagnie de chars au sein du 82ème Bataillon blindé “Gaash” appartenant à la 7ème Brigade blindée “Saar me-Golan, les véhicules blindés ont joué un rôle essentiel dans le conflit. Engagée aux côtés de la 188ème Brigade blindée “Barak” et de la 401ème Brigade blindée ” Ikvot HaBarzel” dans la Bande de Gaza, la 7ème Brigade blindée a été engagée le long du littoral afin de contrôler les accès sud et centre de la ville de Gaza, en vue de l’isoler. Pour l’officier israélien, les chars ont permis de protéger et de fournir des feux aux fantassins et sapeurs engagés en zone urbaine, tout en offrant une capacité de déplacement rapide en tout terrain. A la tête d’une compagnie de Merkava IV, le Cne AMITAI a évidemment souligné le rôle essentiel du système de protection active Trophy dans l’engagement des chars à Gaza, permettant de décupler l’efficacité des engins et de renforcer la confiance des équipages. Pour illustrer l’efficacité du Trophy, l’officier israélien évoque une embuscade au cours de laquelle le char du commandant de bataillon a été ciblé par deux missiles antichars, interceptés par le système de protection israélien, tout en permettant au char poursuivre son action. 

Jonathan SPYER, chercheur à l’Institut de stratégie et de sécurité de Jérusalem indique que les forces blindées ont joué un rôle central et vital dans les combats à Gaza menés au sein de dispositifs interarmes et que la décision de recréer les compagnies dissoutes s’inscrit dans le cadre de l’augmentation du budget de la défense qui devrait suivre la guerre. Selon le chercheur, l’augmentation de la capacité blindée de  Tsahal reflète l’idée selon laquelle les FDI doivent être équipées pour lutter contre des forces semi-régulières et régulières, perspective d’emploi qui qui crée des besoins différents et exige donc des moyens également différents de ceux liés aux opérations de contre-terrorisme ou de contre-insurrection.  

 

Cette augmentation de potentiel blindé, qui se traduit par la réactivation de compagnies de chars consiste à transformer la troisième compagnie de chars des bataillons blindés. Armée jusqu’à présent par des réservistes, cette unité devrait donc devenir une unité d’active, donnant aux bataillons une véritable troisième unité, dont les réservistes disponibles pourraient être engagés dans d’autres missions. Selon les FDI, trois compagnies ont déjà été réactivées au sein du 82eme, 52eme et 71ème Bataillon blindé, appartenant respectivement à la 7ème, 401ème et 188ème brigade, les prochaines pourraient l’être d’ici la fin de l’année. Cette remontée en puissance est en outre permise par l’afflux de volontaires pour servir au sein des unités blindées, avec un accroissement de 30% du volume de recrues au sein des brigades de chars par rapport aux années passées. Cette vague pourrait constituer le plus grand volume de recrutement du Corps blindé pour les prochaines années. La transformation en unités d’active des unités de chars de réserve souligne l’objectif affiché par les FDI de ne pas compter sur les réservistes pour la mise en œuvre de leurs blindés, dont plus de 300 000 furent rappelés au lendemain des attaques du 7 octobre. Selon le Times Of Israël, de nombreux réservistes ont manifesté leur volonté de ne pas rejoindre leur unité pour marquer leur opposition au projet de réforme du système judiciaire. En dépit de la signature par 6000 réservistes d’une déclaration affirmant leur engagement à servir le pays, il est probable que la décision de ne plus confier ces unités aux seuls réservistes, ne traduit pas uniquement le manque d’adaptation de l’armée israélienne à soutenir un conflit dans la durée, mais aussi la crainte de devoir composer avec d’éventuelles oppositions en cas de mobilisation massive. Avec ces nouvelles unités, Tsahal augmente donc sa capacité à occuper plus longtemps le terrain sans que cela ne se traduise par le rappel de réservistes supplémentaires ou par l’augmentation du nombre de chars en service. Au sein du 82ème bataillon blindé, la compagnie nouvellement créée sert sur des Merkava IV, à la différence des unités de réserve habituellement équipées de chars de versions plus anciennes, comme le Merkava III. Ce choix devrait donc se traduire par une plus grande homogénéité en matière de formation et d’entrainement, synonyme d’une efficacité accrue. 

 

Même si elle constitue l’un des volets d’une probable stratégie de contournement destinée à prévenir les problèmes liés au rappel des réservistes, la nouvelle organisation traduit surtout l’importance du char et des blindés dans la stratégie de Tsahal. Comme les pays européens concernés et à la différence de la France, l’armée israélienne reste convaincue de la polyvalence du char et de son utilité dans les différents conflits potentiels. Il est important de noter qu’au moment où plusieurs armées européennes se heurtent à des difficultés accrues de recrutement, Tsahal ne semble pas connaitre de problèmes pour armer ses unités blindées en raison de l’afflux de volontaires désireux de servir dans les chars. Cet afflux qui pourrait être également  lié à l’attitude de certains réservistes est probablement motivé par le côté technologique des engins utilisés ainsi que par la protection offerte aux équipages blindés, qui peuvent se sentir moins exposés que leurs camarades fantassins ou sapeurs. Cette opération, qui ne se limite pas à une simple manipulation RH souligne également l’importance de disposer d’unités de réserve équipées et spécialisées. Dans ce domaine, l’armée française a probablement raté une occasion au moment du retrait des AMX 30B2, qui aurait pu s’accompagner de la création d’escadrons de réserve au sein des Régiments de chars. Servis par des équipages de réserve (anciens d’active ou réservistes) suivant de véritables cycles d’entrainement et de contrôle, ces unités auraient pu contribuer de façon significative aux missions des régiments de chars auxquelles elles auraient été rattachées. En outre, on peut imaginer que ces unités auraient très certainement favorisé le recrutement de réservistes, attirés par ce métier et accru le rayonnement des régiments de chars. Au moment où la spécialisation des brigades revient à l’ordre du jour avec la création d’écoles de milieu au sein de la 9ème BIMa (Brigade d’Infanterie de Marine) et de la 11ème BP (Brigade Parachutiste), la constitution d’une véritable réserve blindée pourrait contribuer à confirmer la spécificité des brigades blindées et à renforcer leur attractivité, à défaut de créer une école de milieu blindé mécanisé.