Guerre en Ukraine : à Koursk, des anciens véhicules blindés de l’armée française au combat
Les troupes ukrainiennes engagées dans la région russe de Koursk depuis le 6 août utilisent du matériel occidental. Parmi les éléments employés : des véhicules de l’avant blindés français (VAB), un modèle que Paris a massivement fourni à Kiev ces derniers mois.
Du matériel militaire français est engagé sur le sol russe. À première vue, la phrase paraît anachronique, voire surréaliste. Mais, en ce mois d’août 2024, elle a bel et bien pris corps. Les troupes ukrainiennes qui, depuis le 6 août, se battent dans la région de Koursk manœuvrent en effet du matériel occidental et notamment des antiques véhicules de l’avant blindés (VAB) français.
Des VAB au triangle
La présence en Russie de ces blindés historiques de l’armée de terre tricolore est attestée par des photos publiées par des experts du renseignement en sources ouvertes. Sur l’une d’elles, publiée le 12 août par le compte X OSINTtechnical, qui s’est spécialisé dans le matériel militaire, on voit nettement un de ces VAB arborer le triangle que portent tous les véhicules engagés dans l’opération ukrainienne vers Koursk.
Le même jour, le compte French Aid to Ukraine diffusait lui une photo d’un VAB-sanitaire marqué de ce fameux triangle. Il avait auparavant relayé une vidéo dans laquelle l’un de ces véhicules, endommagé par les combats, était remorqué à l’arrière de la ligne de contact.
Plusieurs centaines de VAB français en Ukraine
De premiers exemplaires de ces véhicule blindés, qui semblent particulièrement appréciés par les Ukrainiens, ont été fournis par la France dès les premiers mois du conflit. Des véhicules de ce type avaient ainsi été repérés en juin 2022 en Slovaquie, alors qu’ils étaient acheminés vers l’Ukraine.
Plusieurs autres vagues de livraison avaient ensuite eu lieu, si bien qu’en mars 2024, le ministère des Armées indiquait que 250 VAB avaient déjà été fournis à l’Ukraine. Plusieurs autres centaines de ces véhicules devraient être livrés à l’Ukraine d’ici la fin de l’année 2025.
Après la chute d’Avdiivka, l’Europe doit-elle accentuer son soutien à l’Ukraine ?
Des véhicules remplacés dans l’armée de terre française
Si ces livraisons de VAB sont si massives, c’est que l’armée française n’en a plus besoin. Après plusieurs décennies de bons et loyaux services, au cours desquels ils auront notamment servi en Afghanistan, en Bosnie ou au Mali, ces véhicules sont en effet en train d’être remplacés par un modèle plus moderne, le Griffon.
Le déploiement de ces véhicules, qui servent également de transports de troupes et de véhicules de reconnaissance armée, a débuté en 2020. Leurs premiers déploiements en opération datent de 2021. À terme, ils remplaceront les quelque 2 500 VAB dont l’armée française disposait encore à cette date.
Cela n’aura guère trainé. Après l’évocation, par le président français Emmanuel Macron, de la possibilité d’envoyer des troupes européennes en Ukraine, les réactions, souvent peu favorables, se sont multipliées, en Europe, aux États-Unis, mais aussi au sein de la classe politique française. Les seconds couteaux de la communication russe, pour leur part, tentèrent de tourner en dérision la menace.
Ce n’est pas le cas de Vladimir Poutine. Loin de considérer l’hypothèse, ou la France, comme quantité négligeable, celui-ci a vigoureusement brandi la menace nucléaire, contre la France, et surtout l’ensemble de l’Europe, si jamais les européens venaient s’immiscer sur « le territoire russe », sans que l’on sache, vraiment, si l’Ukraine faisait, ou pas, parti de sa conception de ce qu’est le territoire russe, d’ailleurs.
De toute évidence, le président russe est prêt à user de l’ensemble de son arsenal, y compris nucléaire, pour convaincre les occidentaux de se ternir à distance de ce qu’il considère comme la sphère d’influence de Moscou, une notion par ailleurs fort dynamique dans les propos du chef d’État russe depuis 20 ans.
Dans ce contexte, et alors que le soutien et la protection américaine sont frappés d’incertitudes après les déclarations de Donald Trump, la dissuasion française apparait comme le rempart ultime contre les ambitions de Vladimir Poutine en Europe. La question est : est-elle capable de le faire ?
Sommaire
Des menaces de plus en plus appuyées de la part du kremlin contre la France et l’Europe
Les menaces proférées contre l’Europe par Vladimir Poutine ce 29 février, alors qu’il s’exprimait face aux parlementaires russes, constituent, certes, une réponse particulièrement musclée aux hypothèses évoquées par le président Macron en début de semaine. Pour autant, elles sont loin de représenter une rupture dans la position récente russe, et encore moins une surprise.
La menace nucléaire russe agitée depuis 2014 et la prise de la Crimée
Déjà, lors de l’intervention des armées russes en Crimée, en 2014, pour se saisir, par surprise, de la péninsule ukrainienne, Vladimir Poutine avait élevé le niveau d’alerte de ses forces nucléaires, et déployé des batteries de missiles Iskander-M, pour prévenir toute interférence de l’Occident.
Il fit exactement de même en février 2022, lorsqu’il ordonna l’offensive contre l’Ukraine, et le début de la désormais célèbre « opération militaire spéciale », ou специальной военной операции en russe (CBO), en annonçant, là encore, la mise en alerte renforcée des forces stratégiques aériennes et des forces des fusées.
Une réponse ferme de la dissuasion occidentale en février et mars 2022
L’efficacité de cette mesure fut toutefois moindre que lors de la prise de la Crimée, lorsque européens comme américains demeurèrent figés, se demandant qui pouvaient bien être « ces petits hommes verts », qui avaient fait main basse sur ce territoire ukrainien, à partir des bases et des navires de débarquement russes.
En 2022, sous l’impulsion des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et surtout des pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne et les Pays baltes, l’aide militaire occidentale s’est organisée en soutien à l’Ukraine, avec le transfert d’équipements de plus en plus performants, d’abord des missiles antichars et antiaériens d’infanterie (février 2022), puis des blindés de l’époque soviétique (mars 2022), suivis par les premiers blindés et systèmes d’artillerie occidentaux (avril-mai 2022).
Dans le même temps, les trois nations dotées occidentales, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, répondirent à la mise en alerte des forces nucléaires russes, par le renforcement de leurs propres moyens de dissuasion, dans un bras de fer que le monde n’avait plus connu depuis 1985 et la fin de la crise des euromissiles.
Ainsi, en mars 2022, quatre semaines après le début du conflit, la France annonçait qu’elle disposait de trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engin à la mer, dans une réponse tout à fait unique et exceptionnelle depuis la fin de la guerre de froide.
Des menaces qui ont porté leurs fruits pour contenir la livraison d’armes à l’Ukraine
En dépit de la fermeté de la réponse stratégique occidentale, la menace russe porta ses fruits. Il fallut, ainsi, plus d’une année pour que les occidentaux acceptent de livrer à l’Ukraine des blindés lourds modernes, comme des véhicules de combat d’infanterie (Bradley, Marder, CV90), ou des chars de combat (Leopard 2, Abrams, Challenger 2).
Un an et demi furent nécessaires pour qu’ils livrent des munitions à longue portée (Storm Shadow et Scalp-Er..), et plus de deux ans, pour que les premiers avions de combat F-16, n’arrivent en Ukraine (ce qui n’est pas encore le cas). C’est certainement la raison qui a convaincu Moscou de persévérer en ce sens.
Ainsi, en mars 2023, le chef de l’US Strategic Command, l’Amiral Charles Richard, estimait qu’il fallait s’attendre, dans les mois et années à venir, à ce que Moscou, comme Pékin, multiplient les tentatives de chantage nucléaire, en particulier contre les pays non dotés, bien plus sensibles à ce type de menace.
Le fait est, celle-ci a été très brandie par la Russie, de manière très régulière, et peu convaincante, par les séides du Kremlin, comme Medvedev, Peskov ou Lavrov, et de manière moins fréquente, mais beaucoup plus appuyée, par Vladimir Poutine et Nikolai Patrushev, dont la parole a beaucoup plus de poids.
La puissance des forces nucléaires russes est stupéfiante
Il faut dire que la puissance des forces de dissuasion nucléaire russes est pour le moins impressionnante, faisant aisément jeu égal avec celle des États-Unis, un pays pourtant 12 fois plus riche, et trois fois plus peuplé.
5 977 têtes nucléaires dont 4 477 sont opérationnelles
Elle s’appuie sur 5 977 têtes nucléaires en inventaire (2022), dont 4 477 seraient opérationnelles. Parmi elles, 2 567 arment les systèmes stratégiques russes, alors que 1 910 têtes nucléaires sont employées à bord de systèmes dits non stratégiques, auxquels appartiennent les missiles balistiques à courte portée Iskander-M ou le missile aéroporté Kinzhal.
50+ Tu-95MS et une vingtaine de bombardiers supersoniques Tu-160M
À l’instar des États-Unis et de la Chine, les forces stratégiques russes s’appuient sur une triade de vecteurs, navals, aériens et terrestres. Dans le domaine aérien, Moscou dispose d’un peu moins d’une centaine de bombardiers stratégiques à très long rayon d’action, dont une cinquantaine de Tu-95MS modernisés lors de la précédente décennie, ainsi qu’une vingtaine de Tu-160M supersoniques.
Ces appareils mettent en œuvre des missiles de croisière, comme le Kh-102 ou le Kh-65, transportant une unique charge nucléaire de faible à moyenne intensité. D’autres appareils, comme le bombardier à long rayon d’action Tu-22M3M, ou le Su-34, peuvent, eux aussi, transporter des missiles ou des bombes armés d’une tête nucléaire, alors qu’une dizaine de Mig-31K a été transformée pour transporter le missile balistique aéroporté Kinzhal, pouvant être armé d’une charge nucléaire.
11 sous-marins nucléaires SSBN armés de missiles balistiques stratégiques
Dans le domaine naval, la Marine russe dispose d’une flotte de 11 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SSBN selon l’acronyme anglais, en l’occurrence, 4 Boreï-A, 3 Boreï et 4 Delta-IV. Ces derniers seront remplacés, d’ici à 2031, par 5 nouveaux Boreï-A, pour atteindre une flotte de 12 SSBN modernes au début de la prochaine décennie, identique à celle de l’US Navy.
Chaque Boreï-A transporte 16 missiles balistiques intercontinentaux à changement de milieux SLBM R30 Bulava d’une portée supérieure à 8 000 km, eux-mêmes armés de 6 véhicules indépendants de rentrée atmosphérique MIRV, armés chacun d’une tête nucléaire de 100 à 150 kt.
Outre la flotte de SSBN, la Marine russe met également en œuvre le sous-marin Belgorod, conçu pour déployer la torpille nucléaire Poseidon, alors que ses sous-marins nucléaires lance-missiles SSGN Anteï et Iassen, peuvent mettre en œuvre des missiles de croisière Kalibr, ou des missiles antinavires hypersoniques Tzirkon, pouvant, eux aussi, accueillir une tête nucléaire (bien que rien ne l’indique à ce jour). C’est aussi le cas des nouvelles frégates russes Admiral Gorshkov qui mettent en œuvre ces mêmes missiles avec leurs systèmes VLS UKSK.
700 missiles balistiques intercontinentaux ICBM mobiles et en silo
Les forces des fusées russes, enfin, alignent près de 700 missiles balistiques intercontinentaux, mobiles ou en silo, de type Topol, Topol-M, Iars et, semble-t-il, depuis cette année, Sarmat. Chaque missile a une portée de plus de 10 000 km, et peut transporter de 6 à 10 MIRV semblables à ceux mis en œuvre par le RS-30 Bulava.
À ces missiles stratégiques s’ajoutent les missiles Iskander-M, dont le nombre en service est incertain, car largement employés en Ukraine. Ce missile à trajectoire semi-balistique, d’une portée de 500 km, peut emporter une tête nucléaire de faible à moyenne intensité.
La dissuasion française et la stricte suffisance
En comparaison, les moyens dont dispose la dissuasion française, peuvent apparaitre bien faibles. En effet, celle-ci a été conçue sur le principe de la stricte suffisance, c’est-à-dire qu’elle doit suffire à dissuader n’importe quel adversaire de franchir ce seuil face à la France, faute de quoi, les bénéfices qu’il entend en retirer, seront très inférieurs aux destructions engendrées par les frappes nucléaires françaises.
290 à 350 têtes nucléaires, dont 50 pour les missiles ASMPA
N’ayant jamais été soumise aux mêmes contraintes de vérifications que la Russie et les États-Unis, engagés, jusqu’il y a peu, par plusieurs accords de limitation des armes nucléaires, la France a toujours maintenu un certain flou, concernant le nombre de têtes nucléaires détenues.
Les évaluations, dans ce domaine, se situent, le plus souvent, entre 290 et 360 têtes nucléaires, dont une cinquantaine employée par les missiles supersoniques aéroportés ASMPA-rénovés, et de 250 à 300 têtes TNO pour les missiles balistiques à changement de milieux, qui arment les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.
Deux escadrons de bombardement stratégique équipés de Rafale B et de missiles ASMPA rénovés
Contrairement à la Russie, la France n’a que deux composantes pour sa dissuasion, une composante sous-marine et une composante aérienne. Cette dernière se compose de deux escadrons de chasse stratégiques, le 1/4 Gascogne et le 3/4 La Fayette, armés de Rafale B, appartenant à la 4ᵉ escadre de chasse stationnée sur la base aérienne BA 113 de Saint-Dizier.
Ces escadrons de chasse sont épaulés par les avions de ravitaillement en vol de la 31ᵉ escadre basée à Istres, en particulier les escadrons 1/31 Bretagne, 2/31 Estérel et 4/31 Sologne, équipés d’A330 MRTT Phoenix.
À ces forces mises en œuvre par l’Armée de l’Air et de l’Espace, s’ajoute la flottille 12 F de la Marine nationale, basée à Landivisiau, montée sur Rafale M, et capable de mettre en œuvre, elle aussi, le missile ASMPA rénové, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.
4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins classe Le Triomphant
La composante sous-marine porte l’essentielle de la puissance de feu de la dissuasion française. Celle-ci s’appuie sur 4 SNLE de la classe Le Triomphant, entrés en service entre 1997 et 2010, et qui seront remplacés, à partir du milieu de la prochaine décennie, par les sous-marins nucléaires de 3ᵉ génération.
3 sous-marins, le Triomphant, le Téméraire et le Terrible, mettent aujourd’hui en œuvre 16 missiles SLBM M51.2, d’une portée estimée autour de 10 000 km, pouvant emporter de 6 à 10 têtes nucléaires TNO de 100 kt, ayant des caractéristiques évoluées de ciblage et de résistance aux contre-mesures. Le quatrième SNLE, le Vigilant, est actuellement en IPER de modernisation, pour recevoir ces mêmes nouveaux missiles, et rejoindra le service en 2025.
Le format à 4 SNLE permet de maintenir, en temps de paix, un navire à la mer, alors qu’un second sous-marin tient une alerte à 24 heures. Le troisième bâtiment est à l’entrainement, mais doit pouvoir être déployé sous 30 jours (comme ce fut le cas en mars 2022). Le quatrième est en entretien.
Cette doctrine permet de disposer, en temps de crise, de deux, voire trois sous-marins dilués, c’est-à-dire ayant suivi une procédure de plongée, protégée par des sous-marins, des frégates et des avions de patrouille maritime, pour garantir qu’il n’a pas été détecté, pour conférer à la France une capacité de seconde frappe suffisante, pour détruire entièrement n’importe quel agresseur, le cas échéant, même après des frappes nucléaires préventives contre elle.
Une équation stratégique bien plus équilibrée qu’il n’y parait
Du point de vue de la comparaison stricte des moyens, la Russie disposerait d’une dissuasion plusieurs fois supérieure à celle de la France, ceci expliquant, parfois, le sentiment de faiblesse stratégique de Paris face à Moscou.
Toutefois, si ce type de comparaison, peut avoir du sens lorsqu’il s’agit de forces armées conventionnelles, pour lesquelles la masse constitue un enjeu critique de performance et de résilience comparées, elle n’est guère pertinente, lorsqu’il s’agit de comparer des forces de discussion.
Il est vrai que Moscou dispose d’une puissance de feu suffisante pour détruire plusieurs fois la planète, et à fortiori, la France. La France, quant à elle, est en mesure de détruire, de manière certaine, toutes les villes de 100 000 habitants et plus de Russie, ainsi que l’ensemble des infrastructures économiques et industrielles significatives du pays, avec seulement un seul de ses SNLE en patrouille.
On entre, ici, dans le concept de destruction mutuelle assurée, qui a été au cœur du dialogue stratégique lors de la guerre froide. De fait, disposer d’une telle puissance de feu, pour la Russie, n’a aucune incidence sur la réalité finale du rapport de force stratégique entre Paris et Moscou, qui se neutralisent mutuellement dans ce domaine.
Contrairement à la Grande-Bretagne, la France dispose, par ailleurs, d’une capacité de riposte intermédiaire, avec sa composante aérienne, adaptée pour répondre, au besoin, à la tentative d’utiliser une arme nucléaire de faible intensité par Moscou, par exemple, pour obtenir un cadre de déconfliction, comme le prévoit d’ailleurs la doctrine russe.
La dissuasion française peut-elle protéger toute l’Europe ?
Par transitivité, si la dissuasion française est capable de contenir la menace stratégique russe contre la France, elle l’est, aussi, pour contenir cette même menace, pour tout ou partie de l’ensemble de l’Europe.
En effet, c’est par sa capacité à infliger des dégâts inévitables et insoutenables, à l’adversaire, que la dissuasion fonctionne, quel que soit le périmètre qu’elle est censée protéger. Notons qu’à ce jour, la France ne s’est nullement engagée en ce sens de manière officielle, et laisse planer, comme il est d’usage, un important flou stratégique autour de ces sujets.
Toutefois, l’efficacité de la dissuasion, repose sur la certitude qu’aurait la Russie, quant à une réponse nucléaire de la France, si elle venait à frapper, ou à attaquer, un territoire donné.
Si Moscou a, aujourd’hui, la certitude que tel sera le cas, s’il s’en prenait à la France directement, il faudra, cependant, faire preuve de beaucoup plus de fermetés dans le discours, et d’unité à l’échelle européenne, pour qu’il en soit de même à l’échelle de l’Union européenne, ou de l’Europe en général.
Conclusion
On le voit, en dépit de ce que peuvent laisser penser, la comparaison stricte des moyens dont disposent les dissuasions russes et françaises, l’équation stratégique entre Paris et Moscou, est beaucoup plus équilibrée qu’il n’y parait.
Cet équilibre est tel, que la France pourrait, au besoin, protéger de son parapluie nucléaire, tout ou partie de l’Europe, d’autant que dans une telle hypothèse, elle pourrait certainement s’appuyer sur la dissuasion britannique, et ses 4 SSBN de la classe Vanguard (si tant est qu’elle parvienne à lancer ses missiles, mais c’est un autre sujet).
De fait, en dépit des menaces de Vladimir Poutine de ce 29 février, la France, et les français, n’ont pas de raison de trembler aujourd’hui, la situation étant strictement la même qu’elle l’était hier, il y a une semaine ou dix ans.
Reste, désormais, à convaincre le Kremlin de la détermination de Paris à défendre l’Europe, au même titre que son propre territoire, mais aussi de convaincre les européens eux-mêmes, d’une telle nécessité face à l’évolution du contexte international.
Car, pour être efficace, la dissuasion doit se draper, tout à la fois, dans un flou stratégique indispensable, et s’appuyer sur un socle de certitudes ne souffrant d’aucune dissension. Dans le chaos politique européen actuel, construire cette unité représente un défi considérable.
Article du 29 février en version intégrale jusqu’au 20 aout 2024
THEATRUM BELLI enrichit sa rubrique sur Les Paras avec un témoignage du général Jean-Bernard Pinatel (auteur de l’ouvrage sur L’esprit guerrier paru chez Balland l’été dernier) sur ses rencontres avec quatre illustres généraux : Sauvagnac, Massu, Bigeard, Le Borgne.
Le général Sauvagnac
Ma vocation parachutiste est aussi liée à mes rencontres à Bayonne avec le général Henri Sauvagnac. J’étais l’ami de ses fils, en particulier de Daniel, qui, après avoir été élève officier à Saint-Cyr, promotion Vercors, me rejoignit à la 3e compagnie du 1er RCP et mourut des suites d’une fracture du bassin occasionnée par un mauvais atterrissage. Soigné à l’hôpital militaire de Bordeaux, j’ai toujours été persuadé qu’il s’était laissé mourir car les paras, pour lui, c’était fini.
Les fantassins de ma promotion de Saint-Cyr (1958-1960) furent envoyés en Algérie sans faire une année d’école d’application. Elle fut remplacée par un stage pré-AFN de 3 mois qui se déroula en 2 mois au camp des garrigues près de Nîmes puis d’un mois à Philippeville, j’avais en tête de choisir le 1er REP, où deux places étaient réservées à notre promotion et que mon classement me permettait d’obtenir.
Malheureusement, lors de sa tournée des popotes de décembre 1960, le général de Gaulle avait été chahuté par les paras et les légionnaires opposés à son projet d’un référendum sur l’autodétermination en Algérie. Furieux, le chef de l’État avait mis son veto : aucun cyrard ne devait se laisser contaminé par l’esprit de contestation des paras.
Effondré, je n’avais, en outre, aucun plan B.
Je m’en ouvris au général Sauvagnac qui dirigeait le Sud-Est Constantinois et qui m’avait donné ses coordonnées. Il me conseilla sans attendre de choisir le 7e RTA si mon désir était bien d’aller au feu, précisant avec malice que le drapeau du 7e RTA était « plus décoré que celui du 1er REP ». Je montrai son télégramme à mes camarades et les 7 premiers optèrent pour le 7e RTA.
Le général Sauvagnac, élève de Saint-Cyr, de la promotion du Rif (1924-1926) fut un des pionniers du parachutisme militaire en France. Son brevet de parachutisme militaire porte le numéro 1.
À cette époque, au bout de quelques sauts en ouverture automatique, les premiers paras ouvraient eux même leur parachute après une chute libre de quelques secondes autant dire que les accidents de sauts furent nombreux. Huit mois après son premier saut, au cours de son 37e saut, le général Sauvagnac alors capitaine, battit le record du monde de chute libre avec une chute de 74 secondes.
De 1937 à 1940, le capitaine Sauvagnac commanda la compagnie du 601e groupe d’infanterie de l’air qui fut la première unité parachutiste française basé à Reims, et enfin, le bataillon de chasseurs parachutistes no 1 qui devient le 1er RCP le 1er mai 1943. Il en prend temporairement le commandement puis devient son chef de corps de 1945 à 1947. Lorsque la demi-brigade de marche parachutiste est créée en décembre 1946 à partir d’effectifs de la 25e DAP, le lieutenant-colonel Sauvagnac en prend le commandement pour combattre en Indochine. Volontaire pour un second séjour en Indochine, il prend le commandement de l’ensemble des troupes aéroportées (TAP). De 1956 à 1958 il commande la 25e division parachutiste. Grand officier de la Légion d’honneur, cité douze fois au feu.
Je l’ai revu plusieurs fois à Pau lorsqu’il venait visiter le 1er RCP où après le saut en chute libre traditionnel de la Saint-Michel, il demandait que les chuteurs lui soient présentés pour les féliciter et j’ai pu ainsi à ces occasions discuter plusieurs fois avec lui.
Le Général Massu
Le Général Massu, était gouverneur de la Région Militaire dont le PC était à Metz lorsque j’étais sous-lieutenant, chef de la 1re section de la 3e compagnie du 1er RCP, basé depuis son retour d’Algérie en juin 1961à Montigny-lès-Metz.
Nommé en septembre 1961 gouverneur de Metz, le général Massu, établit la « coupe de cheveux para » pour toute la région militaire . Il instaura notamment une tradition dominicale pour la garnison de Metz : chaque dimanche soir, un sous-lieutenant du 1er RCP, à tour de rôle, dirigeait une patrouille en ville dont le rôle essentiel était de se poster devant la gare de Metz avec un 6 X 6, accompagné d’un sous-officier, de deux paras et d’un coiffeur. Sa mission consistait à vérifier que les permissionnaires revenaient avec la coupe règlementaire et dans le cas contraire, les faire monter dans le 6 X 6 où le coiffeur leur infligeait une coupe Iroquois à l’envers, c’est-à-dire leur passait la tondeuse au milieu du crâne, les laissant repartir avec deux touffes de cheveux séparées par une grande trace blanche ce qui les obligeait à se raser complétement la tête afin d’éviter le ridicule.
En général notre tableau de chasse était composé essentiellement d’aviateurs de la base de Frescaty et de biffins non-paras. Un soir, à ma grande surprise, je vis débarquer un grand para élancé dont la chevelure blonde débordait du béret minuscule et non réglementaire. Horrifié, je ne lui laissai pas le temps de s’expliquer et lui ordonnais de se taire si bien qu’il ne put prononcer un seul mot ; mon sous-officier l’entraîna dans le 6 X 6 et lui fit subir le même sort, assorti de remontrances puisque sa désinvolture faisait honte aux paras.
Le lendemain matin, je fus convoqué par l’officier adjoint du régiment, le capitaine Soutiras, que j’avais connu en Algérie. Il me reçut chaleureusement et m’apprit d’un ton presque amusé :
— Pinatel, vous en avez fait de belles hier soir !
— Comment mon capitaine ?
— Vous avez tondu le majordome de Madame Massu qui rentrait spécialement de permission pour un grand dîner chez le gouverneur ; il a dû se raser complètement le crâne et Madame Massu l’a très mal pris et vous a fait mettre huit jours d’arrêts simples par le commandant la place de Metz.
Je proteste en disant que cette coupe de cheveux est applicable à tous sans exception. Désolé, Soutiras me répond qu’il ne peut rien pour moi :
— Le seul qui peut vous accorder le sursis est le Général Massu, puisque le commandant de la place est son subordonné direct. Je ne vous recommande cependant pas de le lui demander, car Massu, qui n’a jamais tremblé devant l’ennemi, a la réputation de ne jamais désavouer son épouse.
Indigné par cette sanction imméritée, je persiste.
Le capitaine me tend alors la feuille de punition afin que j’inscrive moi-même « Je demande le sursis car j’estime cette punition imméritée ». Le capitaine Soutiras me regarde avec un air contrit qui veut dire : toi mon vieux tu ne sais pas ce qui t’attend, mais il se contente de confirmer qu’il transmettra. La nouvelle fait le tour du régiment et au mess les paris sont ouverts entre ceux qui pensent que je ferai « mes huit jours » et ceux qui pensent que le Général Massu « rajoutera de la sauce ». Pendant trois semaines, je n’entends plus parler de la punition et quand je finis par penser qu’elle est passée aux oubliettes, je reçois l’ordre de me présenter en tenue n°1 au PC du gouverneur[1] à 11 heures le lendemain.
Le capitaine Soutiras me précise qu’un aspirant m’attendrait non pas par la grande porte du square Giraud mais à une petite porte, située quelques dizaines de mètres plus loin sur l’avenue Ney. Je n’en mène pas large toute la journée et mes camarades accroissent mon inquiétude par leurs commentaires du genre : « Je n’aimerais pas être à ta place ». Le soir venu, je fais une reconnaissance des lieux pour être sûr d’être à l’heure au rendez-vous. Le lendemain, je me présente donc dix minutes avant l’heure en grande tenue, un aspirant m’attend, me salue et tourne les talons en me disant simplement : « mon lieutenant suivez-moi » et me fait monter par un escalier de service au premier étage où se situe le bureau du général Massu. Il me fait entrer :
— Voici le sous-lieutenant Pinatel, mon général !
Et sort en fermant la porte. Je fais un salut impeccable et reste au garde à vous paralysé par l’émotion de me trouver devant ce grand chef para. A ma grande surprise le général Massu se lève de son bureau vient vers moi la main tendue et me dit :
— Je suis heureux de rencontrer celui qui a réussi à faire couper les cheveux au majordome de mon épouse, je m’y étais essayé mais je n’avais jamais réussi.
Son regard se fixe sur mes deux citations dont celle à l’ordre de l’armée et tend le bras vers un confortable fauteuil, et s’assoit en face de moi :
— Je vois que vous avez fait une belle campagne d’Algérie, racontez-moi où et comment vous avez obtenu cette palme.
Je lui fais un compte rendu succinct tant je suis impressionné. Il me pose des questions sur le régiment, comment se passe l’entraînement de ma section puis se lève, va à son bureau prends la punition et y appose son sursis. Puis il sonne l’aspirant, me serre à nouveau la main sans rien dire et recommande à l’aspirant :
— Ramenez le lieutenant Pinatel par le même chemin.
Nous saluons, demi-tour réglementaire et nous sortons par le même chemin. Intrigué mais soulagé, je questionne l’aspirant sur les motifs de cette discrétion. Il me répond avec un large sourire :
— Mon lieutenant, si nous étions passés par la grande porte, nous aurions dû défiler devant le bureau de Madame Massu qui est contigu à celui du général et elle conserve toujours sa porte ouverte.
Je comprends que le général Massu ne voulait pas provoquer son épouse[2] ni qu’elle apprenne qu’il m’avait accordé le sursis, approuvant ainsi la tonte de son majordome. Une fois encore cette histoire fit le tour du régiment et me conféra une notoriété auprès des sous-officiers anciens qui me saluèrent désormais avec plus de rigueur.
Une fois par mois avec ma section, j’allais au champ de tir qui était dans une forêt proche du fort Drian, deux fois, je revis le général Massu qui venait à cheval et sans en descendre se renseignait sur l’entraînement de mes hommes. J’étais très fier que ce grand chef se fasse remettre le planning d’instruction de ma section et s’arrangeait pour venir me voir.
Lorsque nous avons quitté la Lorraine pour Pau en décembre 1962, je ne revis plus le général Massu mais j’eus la chance de servir sous les ordres d’autres officiers parachutistes prestigieux, les commandants Guegen et Trapp, le général Bigeard, et d’avoir été le « largueur » attitré du général Le Borgne qui commanda la 25° brigade aéroportée de Pau de 1969 à 1971.
Le général Bigeard
J’ai connu Marcel Bigeard lorsque j’étais lieutenant au 1er RCP.
Il était l’officier le plus décoré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Titulaire de 27 citations dont 19 à l’ordre de l’armée, Bigeard reste encore aujourd’hui une légende chez les parachutistes. J’eus la chance de le rencontrer puis qu’il me suive tout au long de ma carrière militaire et civile, lors de rencontres ou via une correspondance épistolaire que j’entretins avec lui jusqu’en 2007, trois ans avant sa mort.
Le dernier souvenir que je vais partager ici c’est la lettre qu’il m’adressa en 2007 à la suite d’une sollicitation de son appui afin d’organiser un saut de réconciliation sur Dien Bien Phu. Le projet avorta à cause d’une opposition stupide du ministère des Affaires étrangères : « On ne se réconcilie pas avec un régime communiste ». Ce document est un reportage de Paris Match sur la photocopie duquel il m’avait apporté son soutien. Les mots sont de sa main.
A la fin de la guerre d’Algérie, il fut admis sur titres à l’Ecole de guerre où il ne fit qu’une année destinée à le reconvertir au combat sous menace nucléaire. En 1964, il prit le commandement de la 25e brigade parachutiste à laquelle appartenait le 1er RCP. Ma première rencontre avec lui eu lieu au cours d’un exercice de cadres qu’il avait organisé au PC du régiment autour d’une grande caisse à sable où était représentée une zone entre Meuse et Moselle et où les deux brigades de la division étaient déployées pour stopper la progression des armées soviétiques sous menace d’utilisation de l’arme nucléaire tactique.
Nous étions au début du déploiement de la force nucléaire française qui à l’époque était appelée « force de frappe ». En effet, les Forces aériennes stratégiques venaient d’être créées le 14 janvier 1964. En février, le premier Mirage IV et le premier avion ravitailleur C-135F arrivèrent dans les forces. En octobre, la première prise d’alerte par un Mirage IV, armé de la bombe AN-11, et un avion ravitailleur C-135F eu lieu sur base aérienne de Mont-de-Marsan (40) dont je fus chargé d’ailleurs de tester les défenses. Le trio arme nucléaire (AN-11), avion vecteur (Mirage IV) et avion de projection (ravitailleur) était alors opérationnel.
Ce que je retiens de cet exercice c’est la gouaille et le charisme de Bigeard qui nous expliqua que lors d’un exercice d’état-major à l’Ecole de guerre, les deux commandants de la 20e et de la 25e brigades, lui et le général commandant la 20e brigade, avaient reçu comme mission de déployer leurs unités entre Meuse et Moselle pour stopper une percée des chars soviétiques. Mimant sur la caisse à sable la manœuvre, il nous expliqua en des mots peu châtiés que son camarade n’avait rien compris à la menace nucléaire et n’avait pas dispersé assez ses unités. Lorsque les instructeurs jouant le rôle des soviétiques avaient lancé un engin nucléaire sur chaque brigade, la 20e avait à eu 30 % de pertes et avait été déclarée hors de combat tandis que la sienne, la 25e qu’il avait dispersé par sections et avec l’ordre de s’enterrer n’avait été sanctionné par les arbitres de l’exercice que par 1 % de pertes et était totalement apte au combat. « Enseignement sous menace nucléaire on se disperse et on s’enterre jusqu’à ce que l’ennemi s’imbrique dans notre dispositif ». On sentait qu’il nous envoyait aussi un message subliminal : « j’étais le meilleur contre les chleus, les Viets et les Fells, alors contre les Soviétiques ce sera pareil ; si on doit aller en guerre avec moi vous risquerez moins qu’avec les autres ». Nous étions tous ressortis de ce premier contact tous gonflés à bloc.
Ma deuxième rencontre fut du même type que celle avec Massu. J’étais à cette époque lieutenant adjoint de Noir et à ce titre j’assistais à la réunion hebdomadaire chez le colonel quand le capitaine Vasseur était absent, ce qui était souvent le cas, car ayant un enfant gravement malade qui finalement décéda, il restait souvent chez lui pour soutenir son épouse et s’occuper de ses trois autres gamins.
A cette réunion, le colonel en particulier ses adjoints le patron du BOI[3], le commandant Gueguen, le commandant des services techniques, et son homologue des services administratifs nous informaient et recueillaient notre avis. C’était encore une période marquée par le putsch d’avril 61 et le haut commandement se méfiait des parachutistes. Tout en mettant à la tête des brigades des officiers incontestables comme Bigeard, restés fidèles à De Gaulle, ils donnaient les régiments à des officiers qui avaient peu ou pas servi dans les paras. C’était le cas du colonel. Ils affectaient sous leurs ordres des commandants chevronnés comme Gueguen ou Trapp qui n’avaient pas participé au putsch d’avril 1961. En revanche, l’échelon inférieur, celui des commandants de compagnie, était pourvu par des « osmosés » qui n’avaient ni l’esprit ni la condition physique suffisante. Les paras ressemblaient à cette époque à un mille-feuille : une tranche de dur, une tranche de mou.
N’ayant pas fait le putsch car je me trouvais à cette date-là à l’hôpital Bégin pour soigner ma blessure de guerre, je me considérais avec mes camarades lieutenants en charge de maintenir l’esprit para. Chuteur, instructeur commando, spécialiste survie, j’avais plus de titres de guerre que les capitaines et même que le colonel qui n’avait rien d’un chef para.
Aussi j’étais rarement d’accord avec ce que le colonel voulait faire. Malheureusement, à la différence de tous ceux qui comme le commandant Gueguen pouvaient s’adresser à lui en privé, ma seule chance de faire entendre mon point de vue était la réunion des commandants de compagnie Je ne m’en privais pas et exprimais souvent mon désaccord avec la mesure envisagée, même si mes suggestions étaient rarement prises en compte. Un jour le colonel nous exposa un projet de l’état-major qui s’inquiétait du fait que beaucoup des « osmosés » ne réussissaient pas les tests paras, certains même manœuvraient en permanence pour ne pas sauter avec leur compagnie quand il y avait du vent ou la nuit et faisaient tout pour faire leurs 6 sauts d’entretien dont 1 saut de nuit par an dans des conditions optimales[5], et ainsi être considérés comme aptes et toucher la solde à l’air[4]. Ces tests consistaient à faire 8 kms en une heure avec arme, casque et un sac de 15 kg ainsi que d’autres épreuves comme les tractions, les abdominaux, le lancer de grenade.
Le colonel nous commenta un projet de note émanant de la direction des ressources humaines de l’état-major de l’armée de terre qui envisageait de moduler la difficulté des tests en fonction l’âge pour trouver des officiers à muter dans les paras. Toujours l’osmose. Il exposa donc cette idée qui reçut l’appui de tous les capitaines présents, Trapp et Gueguen qui s’étaient prononcés contre mais en privé, ne pipaient mot. Pour ma part j’étais révolté. L’esprit para exige que le chef commande par une seule phrase : « Faites comme moi », ce qui suppose évidemment qu’il passe les mêmes tests que ses soldats. Je décidai donc de rien dire et d’en parler ultérieurement au commandant Gueguen et je baissai la tête mimant d’être plongé dans une profonde réflexion. Quand mon tour vint de m’exprimer, je fis signe que je n’avais rien à dire en passant l’index en travers de mes lèvres. Le colonel fut surpris et sans le vouloir me provoqua.
— Je suis étonné Pinatel pour une fois vous n’avez rien à dire.
— Non mon colonel, je pense.
— Pinatel faites-nous part de vos réflexions.
— Non mon colonel, je ne peux pas, ce serait irrespectueux.
Moment de silence total dans la salle. Toutes les têtes se tournèrent vers le commandant Trapp qui plissait les yeux jusqu’à les faire presque disparaître, Gueguen prenant un air détaché. Voyant que personne ne venait à son secours le colonel commanda :
— Pinatel, je vous ordonne de parler.
— Et bien mon colonel puisque vous m’y obligez, je ne peux pas accepter que l’on instaure des tests inversement proportionnels à l’âge alors que plus on vieillit, plus la solde à l’air est élevée[4]. Moins d’efforts mais plus de solde ! Mais ce qui me réconforte et c’est la raison pour laquelle que je gardais le silence, c’est que vous serez à la retraite avant moi.
— Pinatel vous me visez personnellement, vous êtes un impertinent, vous passerez à la fin de la réunion dans mon bureau.
Je me rendis au bureau du colonel qui m’annonça qu’il me mettait huit jours d’arrêts pour manque de respect envers un supérieur. Du tact au tact je lui répondis :
— Mon colonel, je demande le sursis.
Trois jours après, je me retrouvai dans le bureau du général Bigeard en grande tenue, mes deux citations et ma décoration des blessés bien en vue. Bigeard ne m’en fit pas la remarque mais, visiblement, il avait sur son bureau mon dossier militaire qu’il avait consulté. Il alla droit au but :
— Alors Pinatel qu’avez-vous dit à votre colonel.
Je racontai la scène et terminai par ma défense.
— C’est parce qu’il m’a mis au garde-à-vous et m’a ordonné de parler que je lui ai dit ce que je pensais.
Bigeard partit d’un large sourire :
— Oui, cette histoire de tests modulables est une belle connerie et la formule que vous avez employée c’est celle que je cherchais : moins d’efforts mais plus de solde. Je vous donne le sursis, mais n’exagérez pas à l’avenir.
— Bien mon général.
Je le saluais et fis demi-tour.
Quelques temps après, j’apprenais que le Général Bigeard m’avait choisi pour former les sous-officiers de la division au camp de Gers et le commandant Trapp me rajouta le Peloton d’élèves gradés du Régiment. Je me trouvais à 25 ans commandant de compagnie d’instruction avec des moyens considérables. Tous les futurs sous-officiers de la division parachutiste allaient passer entre mes mains ainsi que les futurs caporaux du régiment. Quelle magnifique preuve de confiance ! Bigeard me donna l’ordre de faire une sélection sévère et de ne donner le CAP 2 qu’à un candidat sur deux. Les deux mois d’instruction se terminaient par un raid survie de 5 jours qui conduisait les meilleurs du camp de Gers au sommet du Vignemale via le col d’Ilhéou, le lac de Gaube et le refuge de Bayssellance.
J’eus plusieurs fois l’occasion de revoir le général Bigeard lorsqu’il fut nommé secrétaire d’État à la suite de la crise du service militaire puis en tant que député et membre de la Commission de la Défense nationale. Il me convoqua plusieurs fois pour avoir mon avis. Je n’ai malheureusement gardé que notre dernière correspondance, explicite de l’affection qu’il me portait. Un beau projet avorté par la bêtise d’un directeur de cabinet qui me mentit effrontément et qui me refusa une audience avec son Ministre.
Le général Le Borgne, l’esprit corsaire
Guy Le Borgne est né à Rennes le 6 janvier 1920. Fils d’un avocat et attiré depuis son adolescence par la carrière des armes, il intègre Saint Cyr en 1939 avec la promotion Amitié franco-britannique. En mai 1940, la première année est écourtée et les élèves-officiers après seulement un an d’école sont promus sous-lieutenants et envoyés en Afrique du Nord d’où ils reviennent, une fois l’armistice signé, en zone non occupée à Aix pour reprendre leurs études. À la sortie de l’école il choisit l’infanterie coloniale et sert successivement au Mali, au Sénégal et au Maroc d’où il rejoint les parachutistes de la France Libre en formation en Angleterre, au centre de Peterborough. Une fois breveté, il suit la formation commando. Puis il acquiert la spécialité « Jedburgh » pour être parachuté en France occupée afin d’y encadrer les maquis, les organiser et surtout les instruire. Il choisit un nom de guerre pour éviter d’éventuelles représailles sur sa famille en France : ce sera Le Zachmeur, un pseudonyme qui signifie LeGrand Chef en breton. Le 16 juillet, il est parachuté près de Quimperlé dans le sud Finistère. Avec le maquis qu’il commande, il libère Pont-Aven, Quimperlé et Quimper. Affecté au 2e régiment de chasseurs parachutistes, il conduit en décembre 1944 et janvier 1945 de délicates patrouilles de renseignement en jeep armées sur le front des Ardennes belges, dans la région de Bastogne. Ramené en Angleterre, il est parachuté en Hollande avec la Brigade SAS (Spécial Air Service) sur Amherst, à soixante kilomètres sur les arrières de l’ennemi, pour une opération de diversion qui doit servir d’appât aux Allemands. L’opération se termine mal. Il est capturé, mais réussit à s’évader en rapportant au commandement des renseignements de la plus haute importance.
À 25 ans, le lieutenant Le Borgne est chevalier de la Légion d’Honneur, titulaire de 4 citations, médaillé de la Résistance, titulaire de la Military Cross et de la croix de guerre néerlandaise. Il rejoint l’Indochine, en 1950, et participe à la création du 8e Bataillon de Parachutistes Coloniaux dont il prend le commandement comme capitaine où il accumule les faits d’armes qui lui valent cinq nouvelles citations. Il est promu officier de la Légion d’Honneur en 1953. Chef de bataillon en 1954, Directeur des études aéroportées à la Direction des études et de la fabrication et des armements, il est admis à l’École de Guerre (1957-58). Il prend le commandement du 3e régiment parachutiste d’infanterie de marine (1960-62). Il dégage la base de Bizerte à la tête de son régiment et refusera de participer au putsch d’Alger en 1961.
Le Général Le Borgne[7], Breton avait l’esprit d’un corsaire. À Bizerte, il avait saisi un yacht de 17 mètres appartenant à un Egyptien et s’était débrouillé pour le faire remorquer jusqu’en France. Ce yacht magnifique était ancré à Saint-Jean de Luz. Je portais au général Le Borgne une vénération particulière car il incarnait pour moi « l’esprit corsaire » que m’ont légué probablement mes ancêtres de la branche Silhouette dont certains, corsaires du Roi, finirent leur vie sous les pontons anglais.
Il est promu commandeur de la Légion d’Honneur en 1962 et prend le commandement de l’Ecole des troupes aéroportées à Pau qu’il va moderniser et embellir.
C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois.
Promu général de brigade en 1970, il prend le commandement de la 25e brigade aéroportée à Pau (1970-72) dont le 1er RCP fait partie. Le général était un passionné de ski. Je ne sais pas comment il apprit que je sautais dans le civil et que j’étais très doué en précision d’atterrissage. Il demanda au colonel Brénac qui commandait le 1er RCP de me permettre d’être son largueur pour un saut sur le glacier du Vignemale et une autre fois sur celui de Saint Lary.
Cette nouvelle mission m’excite au plus haut point. Pourtant je suis impressionné, non pas de larguer le général Le Borgne, mais de le rencontrer tout court. Je vais donc me présenter à lui au Hameau où se trouve le PC de la brigade à moins de deux kilomètres du camp d’Idron.
— Pinatel, je vous ai fait venir car on me dit que vous avez été vice-champion de France de précision d’atterrissage et un largueur confirmé. Etes-vous capable de me larguer au bon endroit y compris sur le Vignemale ?
— Oui mon général, c’est possible mais il faut avoir des conditions de vent très calmes et le seul qui peut nous le garantir à l’avance c’est un guide de haute-montagne de Cauteret, Monsieur Bouary. Ses prévisions sont très fiables, un ou deux jours à l’avance. De mémoire de montagnard, il ne s’est jamais trompé.
— Très bien, je vais demander à mon état-major de le contacter et je vous ferai signe la veille au soir. Au fait vous savez skier en hors-piste ?
— Oui mon général.
— Très bien vous sauterez donc avec nous. Nous serons trois.
Sauter d’un Nord-Atlas sur un terrain situé à 3 000 mètres d’altitude demande une grande précision, car de part et d’autre de ces deux glaciers se trouvent des à-pics de près de 1 000 mètres. Et un parachutiste qui manquerait ces glaciers ayant moins de 200 mètres de large aurait une bonne chance d’y laisser sa vie. Mais cette mission ne m’inquiétait pas, tellement j’étais sûr de ma compétence en matière de largage.
La veille je rencontre le pilote et le copilote qui vont nous larguer, tout aussi mobilisés que moi pour réussir cette mission. Je mets au point avec eux la procédure suivante : l’avion se présente dans l’axe du glacier en tenant compte de la direction du vent et le pilote me met le vert dès qu’il est axé, me laissant décider du moment du saut. Couché à plat ventre contre le plancher de l’avion, la tête dépassant la porte, fouettée par le vent glacé, je guide l’avion à vue et avec le pouce de ma main, je fais signe un peu à droite un peu à gauche, au co-pilote qui se tient à l’entrée du cockpit et qui retransmet mes corrections au pilote. Arrivé au début du glacier, je lance une flamme de couleur orange en tissus lestée et pas encore un siki[8] pour évaluer si l’axe choisi par le pilote est le bon et s’il a bien évalué la direction du vent et sa force. En fonction de l’endroit où la flamme touche le sol, je demande au pilote de repasser 100 m plus à droite ou plus à gauche. Au cours de ce deuxième passage je largue les skis qui font office de siki et cela me permet de faire une deuxième correction et c’est au troisième passage que le saut a lieu. Toujours couché sur le sol de la carlingue j’évalue la verticale et vérifie la direction puis je me relève, m’écarte de la porte et je donne le go et je saute en dernier derrière le général le Borgne et l’officier de son état-major qui l’accompagne. Le vent très froid me saisit et le parachute ouvert, la descente dure moins d’une minute avec une vue magnifique sur toute la chaîne des Pyrénées ; à l’atterrissage je m’enfonce de 40 cm dans la neige et je sue à grosse goutte enfonçant jusqu’aux genoux pour parcourir les 300 mètres qui me séparent de l’hélicoptère Alouette 3 qui est posée en limite de la zone de saut et qui vient récupérer les parachutes. A l’époque dans les Pyrénées il n’y avait pas de grands remonte-pentes et cette descente de 2500 m à ski dans une neige immaculée via le col de Bayssellance et le lac de Gaube jusqu’à Cauteret ou Gavarnie fut un moment d’une exceptionnelle intensité. Cela se termina par un déjeuner sur le capot de la voiture du général. Au moment de me déposer, le général me dit :
— À bientôt mon capitaine, nous allons refaire cette sortie sur le glacier de Saint Lary !
L’ensemble de mes cadres m’attendaient passablement inquiets. Je téléphonai immédiatement au colonel Rouquette pour lui rendre compte : Mission accomplie, on remet ça sur le glacier de Saint-Lary ».
Tout au long de ma carrière, j’ai entretenu avec eux une relation quasi filiale leur envoyant mes vœux chaque année et je ne manquais pas de les tenir au courant de ma carrière et de les appeler au secours chaque fois que le haut commandement qui voyait en moi un futur chef des armées voulait me faire commander d’autres unités que les paras. Alors que par trois fois je m’apprêtais à démissionner car ma carrière importait peu à côté du plaisir et de la fierté de servir avec ses soldats d’élite à qui, si on leur donne l’exemple, on peut tout demander, ils surent trouver les mots et me donner l’espoir pour que je continue la carrière des armes. Ce rapport que j’entretenais avec ces grands chefs m’apparaissait tellement normal que je n’en tirai aucune gloire vis à vis de mes camarades, j’étais seulement fier de ressentir qu’ils me faisaient confiance et qu’ils me considéraient comme un des leurs.
Général Jean-Bernard Pinatel
NOTES :
Le palais du Gouverneur, appelé autrefois General-Kommando, a été édifié au début du XXe siècle pour servir de pied-à-terre à l’empereur Guillaume II.
Suzanne Massu, née Torrès, était infirmière en chef de l’escouade des « Rochambelles » de la 2e DB. Il fait la connaissance durant l’épopée de la 2e DB du général Leclerc et l’avait épousée.
Bureau opérations Instruction.
C’est-à-dire en juin où la nuit était décrétée à 22 h 00 et où jusqu’à 22 h 30 on voyait encore très bien.
En revanche dès que le temps était beau et sans vent, ils se pressaient sur la zone de saut et faisaient leur saut de nuit en juin quand il faisait encore jour mais plus tard que le coucher du soleil, où commençait la nuit administrative.
Tests inversement proportionnels.
En novembre 1976, il devient gouverneur militaire de Lyon et commandant de la Ve Région Militaire comme général de corps d’armée. Grand officier de la Légion d’Honneur en 1978, le général Le Borgne prit sa retraite en 1980.Il est élevé à la Dignité de Grand Croix de la Légion d’Honneur en 2004 et totalise 13 citations.
Le siki est un mannequin que l’on largue avant les sauts d’entraînement pour calculer la dérive liée au vent.
l’essentiel Le général de division Charles Bourillon, 54 ans, quitte à la fin de la semaine son commandement de la région de gendarmerie d’Occitanie et du groupement de la Haute-Garonne. « Un marathon couru au rythme d’un 110 mètres » a dit cet officier supérieur à propos de ces trois années. Entretien.
Que retenez-vous de ces trois années ?
L’énormité et l’ampleur de la tâche, régionale et départementale. Mon prédécesseur m’avait prévenu mais ces missions ne connaissent aucun point mort. Vous avez le poids des responsabilités et un droit à l’échec inexistant. Et la réussite doit s’adapter à l’inexorable fuite du temps. On attaque le lundi matin et le vendredi arrive sans même s’en rendre compte.
Gérer la région, 12 000 gendarmes, et le groupement de la Haute-Garonne, sacré challenge.
L’événementiel de la Haute-Garonne constitue une course en avant sans aucun arrêt. Nous nous devons de garder notre lucidité et la hauteur de vue qui s’impose à nous. Dans le tumulte, il faut savoir s’arrêter, être capable d’effectuer un tour complet des difficultés pour trouver les bonnes solutions. Et de tout ça je retiens l’engagement des gendarmes, leur résilience, leur sens du service public. Les mauvaises surprises, les problèmes, les difficultés, ils passent outre pour assurer leurs missions. Rien ne les arrête.
50 % de délinquance de la région sur deux départements
Comment situer la région de gendarmerie d’Occitanie ?
12 000 gendarmes, 4 500 réservistes. Elle se place derrière l’Auvergne Rhône-Alpes en termes de délinquance. La deuxième région de gendarmerie en France avec des particularités puisque la Haute-Garonne, et l’Hérault, rassemblent 50 % de cette délinquance régionale.
Avec de fortes disparités ?
La compagnie de Toulouse Saint-Michel, une des cinq compagnies de la Haute-Garonne couvre le nord-est du département et compte 240 militaires. C’est une des plus grosses compagnies de France qui constate 12 000 crimes et délits par an. Le département de la Lozère compte 270 gendarmes pour 2 000 infractions. Bien sûr les problématiques sont différentes mais cette comparaison situe la particularité de la gendarmerie en Occitanie.
Et un emploi du temps que l’on imagine chargé ?
C’est du 7 jours sur 7, presque 24 heures sur 24. Avec d’un côté la gestion de la région qui s’organise sur des projets à moyens et longs termes pour les ressources humaines, les formations, le budget. En parallèle la gestion du groupement dont les événements s’imposent à vous. En Haute-Garonne, en moyenne, c’est un appel toutes les 2 minutes au centre opérationnel et une intervention toutes les 9 minutes.
Peut-on rester zen ?
Il ne faut pas être stressé (sourire). Il ne faut pas craindre les problèmes puisque, de toute manière, ils arrivent et que les journées, quoi qu’il se passe, durent toujours 24 heures !
Comment la gendarmerie s’adapte à une région en forte croissance démographique ?
D’ici 2050, en région d’Occitanie, selon les prévisions, c’est 500 000 habitants en plus, inégalement répartis et majoritairement en Haute-Garonne et dans l’Hérault. Il nous faut donc d’ores et déjà réfléchir à notre organisation, à notre maillage. Nous devons nous adapter et cela ne passera pas uniquement par toujours plus de personnel.
Quatre nouvelles unités en 2025 sur la Haute-Garonne
De nouvelles unités de terrain sont-elles attendues ?
D’ici 2027, 29 nouvelles unités sont programmées en Occitanie, huit ont été installées en 2024. Nous attendons les arbitrages pour l’année prochaine. En Haute-Garonne, quatre brigades sont normalement attendues pour 2025.
Où vont-elles s’installer ?
Une à Vigoulet-Auzil, au sud de Toulouse. Une autre à Montaigut-sur-Save. À Saint-Jory, il s’agira d’une brigade mobile qui devra surveiller les zones d’activités de plus en plus importantes au nord de Toulouse. Enfin la dernière à Pins-Justaret qui va permettre une réorganisation du secteur. Cela doit nous permettre de consacrer plus de temps, et de moyens, à Muret.
Où en est le projet d’implantation sur la commune de Balma ?
Ce futur bâtiment de la compagnie Saint-Michel est un projet important de 50 millions d’euros avec un calendrier ambitieux puisqu’il prévoit une livraison en 2027. Sept millions ont déjà été dépensés dans les études et un jury vient de sélectionner un projet.
La zone serait inondable ?
Cette difficulté a été écartée. L’Hers ne peut déborder à un tel niveau. À terme 140 personnels seront logés sur ce site de Balma avec, outre la compagnie de Toulouse Saint-Michel, le Psig, la brigade de Balma, la brigade des recherches mais également l’escadron départemental de sécurité routière et le peloton motorisé de Toulouse-Croix-Daurade. Plus et je suis content de l’avoir obtenu, le groupement interrégional cyno-technique qui accueillera 9 chiens (4 sont actuellement en fonction sur la Haute-Garonne).
La compagnie de Toulouse-Mirail va aussi déménager.
C’est programmé au printemps 2025 dans un bâtiment neuf qui se situe à cheval sur deux communes, Cugnaux et Villeneuve-Tolosane. Ce beau projet réunira 120 personnels avec, peut-être, un nouveau nom pour cette compagnie qui travaille sur le nord-ouest du département de la Haute-Garonne.
Après ces trois années que vous avez qualifiées de « marathon au rythme d’un 110 mètres haie », des regrets ?
Côté professionnel, je pense avoir rempli ma mission régionale avec le mariage des gendarmeries de Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées qui fonctionnent aujourd’hui ensemble. J’aurais aimé bénéficier d’une année supplémentaire pour mieux travailler au niveau du groupement de la Haute-Garonne dans la lutte contre la délinquance. Sur le plan personnel, je n’ai pas eu le temps de mieux découvrir la région mais elle nous a charmés, comme ses habitants. Nous reviendrons nous y installer avec mon épouse.
Quelles priorités dans la lutte contre la délinquance ?
Après la période du Covid, qui n’a pas été facile, j’ai rappelé l’importance des fondamentaux : la police technique et scientifique, les enquêtes de voisinage, la coordination des différentes brigades des recherches… La Haute-Garonne, c’est 42 000 crimes et délits par an. J’aurais aimé pouvoir m’investir davantage même si les résultats, et certaines belles affaires, m’ont satisfait. Il reste du travail notamment dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cela demeure notre défi numéro 1 et, restons lucides, au quotidien, la drogue se trouve à l’origine de nos maux les plus importants.
L’annonce faite par Narendra Modi concernant l’acquisition de 26 Rafale M et B pour l’Indian Navy, avait été l’un des moments forts de la visite du premier ministre indien en France, à l’occasion des célébrations du 14 juillet 2023.
Depuis, toutefois, les autorités indiennes et françaises ont été très discrètes quant aux progrès réalisés dans les négociations, qui portent également sur l’achat de trois sous-marins Scorpene de la classe Kalvari supplémentaires.
Il semble, désormais, que cette dynamique soit proche de sa conclusion. En effet, selon la presse indienne, citant des déclarations d’officiels de la Marine indienne, les négociations ce sujet auraient progressé ces dernières semaines, et le contrat pourrait être signé, d’ici à la fin de l’année 2024.
Sommaire
Les négociations pour l’acquisition des Rafale M et B par la Marine indienne retardées de plusieurs mois par les élections législatives indiennes
Les négociations entre Paris et New Delhi, au sujet des deux contrats majeurs annoncés lors de la visite de Modi en France autour du 14 juillet 2023, ont été, selon les sources, ralenties, voire suspendues, par la campagne électorale pour les élections législatives indiennes, qui se sont tenus les 19 avril et 1ᵉʳ juin 2024.
Si la coalition de l’Alliance Démocratique Nationale (NDA) a conservé, à l’issue des élections, une majorité à la chambre basse indienne, avec 293 des 543 sièges de députés, sa principale force politique, le Bharatiya Janata Party de Narendra Modi, sa principale composante, n’a obtenu que 240 sièges, contre 300 lors de la précédente magistrature, perdant de fait la majorité absolue parlementaire.
Quoi qu’il en soit, Narendra Modi a conservé, pour cinq ans, son poste de premier ministre à la tête du pays, permettant aux négociations de reprendre avec Paris, que ce soit au sujet des Rafale, et des trois sous-marins Kalvari, pour la Marine indienne.
À ce sujet, selon la presse indienne, des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières semaines, permettant de fixer, notamment, la configuration des 22 Rafale M et des 4 Rafale B indiens, comme l’ensemble des services, munitions et pièces détachées, qui accompagneront les chasseurs indiens au sein de l’Indian Navy.
Un contrat de 4 Md€ et un appareil proche du standard des Rafale B/C des forces aériennes indiennes
Selon les sources citées, le contrat définitif, d’un montant proche de 4 Md€, pourrait être finalisé dans les mois à venir, pour une signature avant la fin de l’année 2024.
Il faut, bien évidemment, prendre ces affirmations avec une certaine réserve. En effet, la presse indienne a souvent relayé des affirmations excessivement optimistes, ne s’étant pas vérifiées dans les faits. En outre, la situation politique tendue en France, peut, à son tour, ralentir les négociations avec New Delhi.
Pour autant, l’Inde étant un partenaire stratégique pour Paris, ne faisant pas l’objet de dissensions politiques au sein des forces en présence lors des élections législatives à venir, on peut supposer que si délais, il y a, ceux-ci seront limités, personne n’ayant intérêt à faire dérailler une telle commande de la part de New Delhi.
Parmi les informations diffusées par la presse indienne, figure notamment les évolutions des Rafale M indiens, vis-à-vis des appareils en service au sein de la Marine nationale. En effet, les chasseurs embarqués indiens emporteront des équipements supplémentaires, pour l’essentiel identiques à ceux qui équipent les Rafale B/C de l’Indian Air Force.
Il s’agit, notamment, du viseur à casque, certainement le Targo II de l’israélien Elbit System, des systèmes de brouillages et de guerre électronique spécifique, ou encore une évolution des logiciels pour permettre la mise en œuvre à bord des porte-avions indiens.
En termes d’armement, il est aussi probable que la panoplie qui évoluera sous les ailes des Rafale Marine indiens, sera proche de celle de l’IAF, avec des missiles air-air METEOR et MICA (NG ?), des bombes A2SM Hammer, des missiles de croisière SCALP et, version navale oblige, des missiles antinavires AM39 Exocet, observé sous l’aile du Rafale M envoyé en Inde pour les essais d’utilisation du Ski Jump.
Le Rafale M indien opèrera à partir de tous les porte-avions de la Marine indienne
Si l’article de theprint-in, n’est pas très détaillé au sujet de cette configuration, n’abordant pas, par exemple, le standard de livraison de Rafale M indien (certainement F4.x, permettant une évolution vers F5), il donne toutefois une information intéressante, et même surprenante.
En effet, jusqu’ici, les Rafale de la Marine Indienne, étaient censés être mis en œuvre à bord de l’INS Vikrant, le porte-avions de conception et fabrication indienne, livré à l’Indian Navy en septembre 2022.
Or, dans l’article, il est précisé que les modifications logicielles demandées, permettront aux chasseurs embarqués de Dassault Aviation, d’embarquer à bord de tous les porte-avions indiens.
Cette déclaration suppose donc que les appareils pourront aussi être déployés à bord de l’INS Vikramaditya, un porte-aéronefs de conception soviétique appartenant à la classe Kiev, et profondément modifié pour mettre en œuvre des chasseurs embarqués à l’aide d’un tremplin Ski Jump et de brins d’arrêt.
Ceci laisse supposer que les Rafale M indiens pourraient, à termes, remplacer les MIG 29K qui forment le groupe aérien embarqué de ce porte-aéronefs de 45000 tonnes et de 284 mètres, construit dans les années 80, mais entré en service au sein de l’Indian navy en 2014, après dix années de transformation.
Une maintenance et une formation probablement mutualisée en partie avec les forces aériennes indiennes
Autre sujet d’intérêt détaillé dans l’article, la visite d’une délégation de la Marine indienne sur la base aérienne de Ambala, proche de la frontière Pakistanaise, qui abrite l’un des deux escadrons de Rafale de l’IAF.
L’objectif de cette visite était d’étudier les synergies possibles entre la Marine indienne et les forces aériennes indiennes, concernant la maintenance et la formation des équipages et personnels de maintenance des deux forces.
La proximité de configuration des versions terrestres et marines du Rafale indien, constituera, sans le moindre doute, un précieux atout dans ce domaine, y compris pour la gestion des stocks de pièces détachées et de munitions, ainsi que la régénération des appareils et des moteurs, avec, à la clé, d’importantes économies concernant les couts de possession des chasseurs.
Des négociations de bon augure pour le programme MMRCA 2
Ces similitudes entre les versions terrestres et navales, permettant des économies significatives en matière de couts de configuration des appareils désirés par les armées indiennes, ainsi que les synergies en matières de maintenance et de formation des appareils, y compris par l’industrie aéronautique indienne, déjà impliquée dans le processus, constituent de très sérieux points forts concernant les chances du Rafale de s’imposer dans la compétition MMRCA 2, pour le remplacement des Jaguar indiens.
Rappelons que cette compétition, lancée en 2018, concerne l’acquisition de 110 chasseurs bombardiers polyvalents moyens à destination de l’IAF, destinés à remplacer les Mirage 2000 et Jaguar, à partir de 2030. Elle fait suite à la compétition MMRCA, lancée en 2001, remportée en 2012 par le Rafale, mais annulé en 2015, après que Dassault Aviation et HAL, l’avionneur d’état indien, au sujet des procédures de fabrication et de garanties.
Le contrat a été remplacé par l’achat de 36 Rafale B et C, fabriqués en France, destinés à remplacer partiellement le retrait des MIG-27 et MIG-21 indiens, ainsi qu’à porter la composante aérienne de la dissuasion indienne.
Ce contrat de 8 Md€, prévoyait, notamment, l’évolution du Rafale en y intégrant certaines technologies exigées par l’IAF, comme le viseur à casque Tagos II israélien, ou le leurre tracté X-Guard. En outre, une base de maintenance, permettant d’assurer le soutien d’une flotte de 150 chasseurs, a également été construite.
Ces investissements ont certainement joué un rôle dans le choix indien de se tourner vers le Rafale M plutôt que vers le F/A-18 E/F Super Hornet proposé par Boeing, avec des couts sensiblement inférieurs concernant l’achat et la maintenance des appareils.
De la même manière, les infrastructures déployées autour de la première commande Rafale pour l’Indian Air Force, et l’effet de masse généré par la décision de l’Indian Navy de se tourner vers le Rafale M, auront une influence sensible considérant les couts d’acquisitions et de maintenance des 110 chasseurs du programme MMRCA 2.
En effet, en tenant compte de l’inflation, les économies potentielles attendues, concernant les investissements déjà réalisés, sur le programme MMRCA, représentent aujourd’hui 4 à 5 Md€. Rapporté à 110 cellules, ce montant représente un écart de prix de 36 à 45 m€ par appareil, mettant le Rafale B/C à un prix d’acquisition presque moitié moins élevé que le Typhoon et le F-15EX, 40 % de moins que le KF-21 Boramae, 30 % plus économique que le JAS 39 Gripen E/F et que le Su-35s, ce dernier ayant, toutefois, peu de chances d’être choisi, pour ne pas provoquer l’ire de Washington et le déclenchement de sanctions au travers de la législation CAATSA.
Sachant qu’autour de ce contrat, s’articulent également des négociations avec le français Safran, pour le développement d’un turboréacteur de nouvelle génération pour propulser les nouveaux chasseurs indiens, le Rafale fait, aujourd’hui, office de favori dans cette compétition, dont le statut et le calendrier demeurent cependant incertains.
Article du 27 juin en version intégrale jusqu’au 17 aout 2024
Ballon-Saint-Mars. 80 officiers de réserve sur les pas de la 2e DB
Le Maine Libre –Publié le
Ils étaient près de 80 officiers de réserve à se présenter samedi 3 août, derrière la mairie de Ballon-Saint-Mars, face au magnifique panorama où, 80 ans plus tôt, la 2e Division Blindée et les alliés ont repoussé l’ennemi.
Le lieutenant-colonel Christophe Gué, officier historien et tacticien a conduit les activités tout au long de la journée. Ces derniers suivent le cours supérieur des officiers de réserve spécialistes d’État-major, dispensé par l’École supérieure des Orsem (officiers de réserve spécialistes d’État-major).
Une école de prestige
Cette école délivre un enseignement militaire de haut niveau à des officiers de réserve de l’Armée de terre, dans le but de fournir aux forces armées des personnels aptes à occuper des responsabilités en état-major, en France comme à l’étranger. Cet enseignement bénéficie d’aménagements afin de permettre aux stagiaires réservistes de concilier l’engagement militaire avec les obligations civiles.
L’objectif de cette opération
Cette étude historique sur le terrain n’était pas une simple évocation des combats menés dans la zone d’action qui a vu progresser la 2e DB, mais il s’agissait d’une opération d’envergure ayant un objectif précis.
Tout en permettant aux participants de découvrir certaines pages méconnues de l’histoire militaire française, cette étude historique de terrain a pour objectif de contribuer à leur formation d’officiers d’État-major. Il ne s’agit pas de leur fournir des recettes prêtes à l’emploi, mais de les entraîner au raisonnement tactique. Les officiers vont devoir résoudre les problèmes qui se sont posés en août 1944, sur les lieux mêmes des combats qui ont fait rage dans la région de Ballon et d’Alençon, et dans la forêt d’Écouves explique le lieutenant-colonel Christophe Gué.
Une mise en situation comme en 1944
L’officier supérieur lance l’exercice en présentant les forces en présence, au début d’août 44. Les participants ont une connaissance du cadre géographique et de l’emplacement des troupes. Il présente la situation et les missions des unités françaises mais aussi alliées, sans oublier, celles des Allemands. Les officiers de réserve se sont transportés vers Dangeul, Mézières-sur-Ponthouin, sur les traces de la 2e DB vers de Rouessé-Fontaine, puis terminer la journée au château de Courtilloles, près de Champfleur.
Comme dit l’adage, “mieux vaut prévenir que guérir”. Le Royaume-Uni a donc décidé de prendre les devants face à la possible arrivée d’une guerre qui prendrait racine dans l’espace.
La guerre de demain se passera vraisemblablement dans l’espace. Ou du moins elle pourrait en être originaire. C’est en tout cas ce que croit le Royaume-Uni qui a récemment décidé de faire construire, au Pays de Galles, un champ de 27 antennes radar dirigées vers l’espace lointain. Avec pour but de repérer les potentielles menaces qui pourraient s’abattre sur le pays ou sur des installations spatiales anglaises.
Des antennes capables de traquer de tous petits objets dans l’espace
La guerre est l’occasion pour les pays de démontrer leur savoir faire quant à la mise en place de certaines technologies militaires. Ainsi, il n’est plus forcément question d’afficher des équipements gigantesques, criants et donc repérables à des kilomètres. Non, la tendance serait en revanche à la miniaturisation, comme on peut le voir avec les drones par exemple.
Eh bien face à des petits objets pouvant provenir de l’espace lointain, le Deep Space Advanced Radar Capability (Darc), le réseau de 27 antennes, serait en mesure de repérer et de traquer des objets de la taille d’un ballon de football.
Et ce, à des distances très éloignées. En effet, le quotidien britannique The Guardian fait état de la possibilité de surveiller de tels petits objets, mais aussi des biens plus gros depuis l’orbite géostationnaire de la Terre soit à 36 000 kilomètres.
Ce réseau d’antennes prend place dans le cadre du partenariat international AUKUS entre l’Australie (A), le Royaume-Uni (UK) et les États-Unis (US) qui était décrit en décembre 2023 comme un moyen de protection contre la “guerre spatiale” d’après John Healey, secrétaire de la Défense (Ministre de la Défense en France)
“ Nous avons besoin de plus d’yeux rivés sur le ciel”
Bien que le projet d’installation de 27 antennes radar dans le Pembrokeshire au Sud-Ouest du Pays de Galles fasse des mécontents parmi la population locale, il est soutenu par le gouvernement et par des universitaires.
Pour défendre son projet, John Healey parle du rôle important que tient l’espace dans le quotidien des anglais, mais aussi de l’importance de l’intégrer dans un programme de défense spatiale.
“L’espace est utilisé partout, de nos téléphones portables aux services bancaires. Il est aussi utilisé par la défense britannique pour effectuer des tâches vitales telles que le soutien des opérations militaires, la navigation des forces et la collecte de renseignements.” peut-on lire dans The Guardian.
De son côté, le docteur Mark Hilborne du King’s College London et appartenant au Department of Defence Studies (Département des études de défense), prône le fait qu’une menace spatiale pèse sur le monde et qu’il faut que le Royaume-Uni soit prêt à y répondre.
“L’augmentation de l’activité militaire et de la belligérance dans l’espace suscite des inquiétudes. Nous avons besoin de plus d’yeux rivés vers le ciel.” rapporte The Guardian.
60 000 satellites en orbite en 2030
L’une des raisons qui pousse également le Royaume-Uni à se doter rapidement d’un système de repérage dans l’espace lointain, c’est le nombre croissant de satellites en orbite terrestre.
En effet, en se basant sur un rapport du gouvernement publié le 16 mai 2024, on apprend que le nombre de satellites actifs dans l’espace va vivre une explosion. Si en 2020, il y avait 3256 satellites en orbite, en avril 2024, on en comptait plus de 9000. D’après les estimations, à l’horizon 2030, le nombre de satellites actifs pour être multiplié par plus de 6 et atteindre les 60 000.
Et savez-vous à qui appartiennent plus de 6000 satellites sur tous ceux présents actuellement en orbite ? Elon Musk, enfin à son entreprise Starlink plus précisément, d’après Ouest France. Le milliardaire tient à honorer sa promesse de délivrer un internet mondial haut débit partout dans le monde. Cela demande donc beaucoup d’appareils en orbite terrestre.
L’Amérique du Sud a longtemps été considérée comme la « chasse gardée » des États-Unis, tant sur le plan politique qu’économique et culturel. Qu’en est-il désormais ?
Cette influence, consolidée au cours du XIXe siècle avec la doctrine Monroe et accentuée par la politique du « Big Stick » au début du XXe siècle, a continué de se manifester de diverses manières pendant la Guerre froide et même après. Cependant, ces dernières décennies, plusieurs signes indiquent un possible recul de cette domination américaine en Amérique du Sud. La montée en puissance de nouvelles puissances économiques, l’émergence de gouvernements locaux cherchant à s’affranchir de l’influence étasunienne et la diversification des influences culturelles sont autant de facteurs qui suscitent une réflexion sur cette dynamique.
Historique de la présence étatsunienne en Amérique du Sud
Depuis le XIXe siècle, les États-Unis ont toujours été très attentifs à l’Amérique Latine, et cela débute en 1823 avec l’instauration de la « Doctrine Monroe ». Grâce à cette dernière, les États-Unis se déclarent responsables de la protection de l’ensemble du continent américain, ce qui renforce leur force militaire. Au XXe siècle, cette volonté de préserver le continent persiste, mais la menace n’est plus d’Europe, mais émerge de l’Union Soviétique. D’où la réinterprétation de la doctrine Monroe en 1947 pour laisser place à la doctrine Truman. Cependant, dès les années 1950 la protection des Etats-Unis, est remise en question, voire contestée dans certains pays d’Amérique Latine.
En fait, les pays d’Amérique latine ne demandent aucune protection et certains y voient une tentative tout à fait voilée des États-Unis d’étendre leur contrôle sur l’ensemble du Nouveau Monde. A vrai dire, les États-Unis sont intervenus dans la politique des pays d’Amérique latine. En réaction, cela a conduit certains pays, comme Cuba, à se tourner vers l’URSS : en 1961, les États-Unis ont planifié l’invasion de la Baie des Cochons pour renverser le régime de Fidel Castro. Un an plus tard, en 1962, la crise des fusées de Cuba éclate.
Avec la fin de la guerre froide et la consolidation de la démocratie en Amérique latine, les relations avec les États-Unis se sont stabilisées et se trouvent aujourd’hui à un carrefour important. Toutefois, l’influence des États-Unis est contestée à différents niveaux. Les pays d’Amérique latine se développent et de nouvelles puissances telles que le Brésil, l’Argentine et le Mexique émergent. Par conséquent, certains pays remettent en question la prétention des États-Unis au leadership régional.
En outre, un anti-américanisme féroce s’est développé, mené en particulier par Hugo Chávez lorsqu’il était au pouvoir. Chef militaire du Venezuela de 1998 à sa mort en 2013, Chavez a fait une série de déclarations enflammées contre Washington et s’est finalement allié au régime de Castro à Cuba. Cela a conduit à la création de l’ALBA (Ariansa Bolivariana Palos Pueblos de Nuestra America) en 2004 dont l’objectif était d’unir les pays signataires d’Amérique latine dans une alliance anti-américaine. Cependant, seuls 10 pays, dont le Venezuela, le Nicaragua et Cuba, ont choisi de rejoindre l’ALBA. La plupart de autres pays souhaitent assouplir leurs relations avec les Etats-Unis et établir un partenariat avec Washington, notamment sur le plan commercial. C’est pourquoi le Mexique a décidé en 1994 de s’allier aux États-Unis par le biais de l’ALENA et de l’accord Canada-États-Unis-Mexique.
Donald Trump et l’offensive sud-américaine
L’Amérique latine a fait face aux vents de Washington à plusieurs reprises dans son histoire contemporaine : l’agressivité ou simplement l’indifférence et le mépris de la diplomatie nord-américaine, symbolisés par la politique de négligence modérée de Kissinger/Nixon entre 1969 et 1974, ont soudé les peuples latino-américains. Le « latino-américanisme » a, un temps, reflété la volonté d’émancipation politique symbolisée par l’accord de Viña del Mar de 1969.
Dès le lendemain de sa prise de fonction le 20 janvier 2017, Donald Trump passe à l’offensive en lançant directement la construction du mur sur la frontière mexicaine. Il promet que le Mexique en assumera le coût estimé à quinze milliards de dollars. La réaction du président mexicain Peña Nieto est prompte : il annule sa visite à Washington initialement programmée pour le 31 janvier. Soucieux de tenir ses promesses de campagne, Trump fait de la relation avec le Mexique une priorité de son agenda politique.
Le Mexique présente en effet deux caractéristiques qui convergent dans l’esprit des électeurs de Trump : ce pays a largement bénéficié́ des délocalisations industrielles causées par l’ALENA et continue à exercer sur les Etats-Unis une pression migratoire insupportable. Cette double mobilité́, des entreprises vers le sud et des migrants vers le nord, est censée accentuer les pressions à la baisse sur les salaires aux Etats-Unis. La renégociation de l’ALENA et la construction d’un mur doivent permettre aux Etats-Unis de retrouver leur dynamisme économique perdu depuis des décennies, et de compenser les pertes de pouvoir d’achat de la classe ouvrière. De même concernant Cuba, les engagements pris par Trump durant sa campagne n’ont pas non plus été suivis d’effets tangibles en 2017. Le 16 juin, dans un discours prononcé à Miami devant les opposants historiques au régime castriste, Trump a remis en cause l’ensemble de la politique de son prédécesseur. Dans la foulée, il a limité les possibilités de voyager dans l’ile et interdit aux entreprises américaines de faire des affaires avec des partenaires liés à l’armée (très présente dans le secteur du tourisme). Même si ces décisions risquent de freiner sérieusement le boom du tourisme en provenance des Etats-Unis qu’avait enregistré Cuba en 2016, Trump ne revient pas sur le rétablissement des relations diplomatiques ni sur la politique migratoire, et ne retourne pas non plus à l’époque des sanctions économiques sévères. La coopération dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic est quant à elle préservée. Face à cette situation, le président Trump a tergiversé et multiplié les maladresses et ces prises de position ont été critiquées dans toute l’Amérique latine. Ses errements ont contrasté avec la détermination de l’Organisation des États Américains (OEA), mais des limites à son action sont vite apparues. Rien que durant la crise politique et les soulèvements au Venezuela, les Etats-Unis sont restés discrets sur la situation mais ont souvent accusé par le gouvernement vénézuélien de s’ingérer dans ses affaires intérieures. Washington est resté silencieux à l’exception de la déclaration en 2017 qui suggérait de nombreuses options pour le Venezuela, y compris « des options militaires si nécessaire ».
Alors que la volonté des États sud-américains était de développer le libre-échange, Trump s’est tourné vers le
protectionnisme. Quand l’ancien président argentin Mauricio Macri s’était rendu en visite officielle au Brésil, le Mercosur a alors été rétabli. Même le Mexique a été invité à se rapprocher du Mercosur en vue d’annuler l’ALENA. De plus, le secrétaire général de l’Association latino-américaine d’intégration (ARADI) avait proposé un accord économique et commercial global intégrant tous les accords existants, y compris le Système d’intégration centraméricain (SICA). Les déclarations des dirigeants qui s’ensuivirent avaient une portée antiprotectionniste, visant à positionner l’Amérique du Sud contre le président Trump. Cette intense activité diplomatique est le produit de l’isolement des États-Unis sous la présidence Trump et de l’absence de leadership du Brésil, libérant les puissances moyennes (notamment le Mexique et l’Argentine). Elle reflète également le changement politique en Amérique du Sud, qui envisage à nouveau le développement du libre-échange dans la région.
La volonté multilatéraliste de Joe Biden mis à mal par des difficultés d’intégration régionales et des changements socio-économiques fluctuants
Lorsque Joe Biden est arrivé au pouvoir en janvier 2021, de par son expérience en tant qu’ancien président de la commission des affaires étrangères du Sénat (1997-2008) et envoyé permanent du vice-président Barack Obama en Amérique latine (2008-2016), il était jugé comme un fin connaisseur de l’Amérique latine. La « pression maximale » sur Cuba et le Venezuela (et accessoirement le Nicaragua) dans le but d’un changement de régime dans ces pays « socialistes » dont ils font partie, après quatre années de mandat de Donald Trump caractérisées par une indifférence stratégique à l’égard des pays latino-américains, une pression commerciale et une émigration ponctuelle ou constante (Argentine, Brésil, Mexique et les pays du ” Triangle du Nord “) et, selon les termes de l’ancien secrétaire d’État, John Bolton, une « troïka de despotes ».
Le Mexique, l’Amérique centrale et les Caraïbes constituent le cœur de la feuille de route latino-américaine élaborée par Joe Biden et son administration. Cette région du sous-continent est le bénéficiaire le plus direct de l’influence économique et géopolitique traditionnelle des États-Unis. Pour Joe Biden, cette approche est un plan et un moyen de restaurer l’hégémonie américaine. Dans ce contexte, Joe Biden envisage une nouvelle relation avec l’Amérique centrale et les Caraïbes basée sur la résolution conjointe de problèmes directement liés aux priorités locales. Les questions migratoires sont donc un axe central de son projet pour la sous-région.
Conformément à la promesse de Joe Biden de remporter près des deux tiers du vote latino lors des élections du 3 novembre 2020, le nouveau président américain a soumis au Congrès, dès le premier jour de son mandat, un nouveau projet de loi, l’American Citizenship Act of 2021, visant à « moderniser le système d’immigration américain ». En rupture radicale et spectaculaire avec les politiques de son prédécesseur, et notamment celles prônées par le camp républicain et de nombreux sympathisants des puissants mouvements Alt-Right et suprémacistes blancs, cette loi prévoit une nouvelle « voie d’accès à la citoyenneté » ou, à terme, au droit de vote pour les quelque 11 millions d’immigrés clandestins (principalement des Centraméricains comme le Salvador, le Guatemala et le Honduras, des Mexicains et des Caribéens comme Haïti) qui vivent et travaillent aux États-Unis (notamment dans les secteurs de l’agriculture, des travaux publics, des services et de la restauration).
Ces derniers mois encore, l’administration Biden s’est appuyée sur des accords avec le Mexique pour augmenter le nombre de demandes d’asile et de nouvelles restrictions sur le passage des frontières, alors que le président Trump avait cherché à bloquer toute entrée.
Mais la question reste complexe et doit faire face à la propagande médiatique qui s’empare du sujet à chaque élection. Tous les chercheurs, les organisations professionnelles et quatre administrations successives ont appelé le Congrès à adopter une loi. Cependant, le Congrès n’a pas réussi à agir sur cette question en raison de la polarisation politique et de la transformation du Parti républicain par le président Trump.
De plus, cette administration avait confirmé le lancement du « Plan Biden pour construire la sécurité et la prospérité en partenariat avec les peuples d’Amérique centrale ». Ce « Plan Biden » était l’une des pierres angulaires de la stratégie latino-américaine du nouveau président lors de la campagne électorale. Dans la tradition de la diplomatie de Washington, le plan affirme que « l’hémisphère occidental, ou en d’autres termes l’ensemble du continent américain, de la pointe nord du Canada à la pointe sud du Chili, a le potentiel d’être sûr, démocratique et prospère ».
Poursuivant la logique de l’Alliance pour le progrès de 2014, abolie par Donald Trump, le plan prévoit l’allocation de 4 milliards de dollars américains8 sur quatre ans à trois pays du « Triangle du Nord », où a lieu la majeure partie de la migration de la région vers les États-Unis. Conçu pour réduire les migrations en provenance du Salvador, du Guatemala et du Honduras de manière « efficace et durable », le « plan Biden » prétend s’attaquer aux problèmes « sous-jacents » de ces phénomènes : la pauvreté, la violence, le crime organisé, la corruption, le dysfonctionnement des institutions publiques et le changement climatique. Son objectif est de proposer une « stratégie globale » qui permettra à terme à ces pays de se transformer en sociétés de « classe moyenne ». Dans cette optique, le « Plan Biden » organise la mobilisation des fonds américains, l’implication des différentes administrations et agences gouvernementales impliquées sur le terrain, ainsi que la participation du secteur privé américain et des bailleurs de fonds internationaux. En contrepartie, les pays bénéficiaires doivent s’engager à mettre en œuvre, promouvoir et cofinancer les réformes identifiées et exigées par Washington et ses partenaires pour lutter contre la corruption, la pauvreté, le crime organisé et la violence en développant leurs propres ressources (réforme fiscale) ; également en termes de gouvernance d’entreprise et d’attractivité économique pour faciliter l’afflux d’investissements étrangers. Sur ce dernier point, le Président a inclus cet objectif dans la promotion de la « transition vers une énergie propre, l’adaptation au changement climatique et la résilience ».
La politique latino-américaine de Joe Biden rencontre des difficultés en Amérique latine, en particulier dans le cône sud, en raison du recul des processus d’intégration régionale et de l’absence de leadership politique régional. Les dynamiques de coopération ont eu du mal à voir le jour à cause des divisions géopolitiques du fait des choix économiques, commerciaux, sanitaires, sécuritaires et climatiques faits. C’est dans ce contexte général que Joe Biden a pris position sur deux dossiers sensibles : Cuba et le Venezuela. Ces deux pays ont exprimé le souhait de réfléchir à l’ère Trump et d’avoir un dialogue ouvert.
En ce qui concerne le Venezuela, le nouveau gouvernement, par l’intermédiaire de son nouveau secrétaire d’État Antony Blinken, a clairement indiqué qu’il considérait Nicolás Maduro comme un « dictateur brutal » et que, contrairement à l’Union européenne, il continuerait à reconnaître Juan Guaido comme président intérimaire du Venezuela jusqu’à la tenue d’élections « libres et équitables ». Tant que cet objectif n’est pas atteint, le nouveau gouvernement pourrait modifier sensiblement son approche du Venezuela. Il mettra l’accent non plus sur l’intervention politique directe (comme il l’a fait sous Donald Trump) mais sur l’action humanitaire et permettra aux Vénézuéliens qui se trouvent aux États-Unis en tant qu’immigrés clandestins de bénéficier des nouvelles dispositions du gouvernement en matière d’asile. Les dirigeants vénézuéliens ne sont pas des activistes économiques.
Quant à Cuba, l’ancien secrétaire d’État, Mike Pompeo, a réintégré à la dernière minute le 11 janvier 2021 sur la liste des « États soutenant le terrorisme » (retiré de la liste par le président Barack Obama en 2015), après quatre années de renforcement constant des mesures restrictives unilatérales, y compris extraterritoriales. L’administration Biden, quant à elle, est prête à avancer avec prudence car Joe Biden est revenu à la doctrine Obama de normalisation des relations avec Cuba et a annoncé son intention de lever certaines restrictions imposées par son prédécesseur Donald Trump sur les voyages à Cuba des Américains et sur les envois de fonds à la famille restée au pays par les Cubains vivant aux États-Unis. Toutefois, des partisans d’un changement de régime à Cuba se trouvent aussi bien dans le camp démocrate que dans le camp républicain du président.
Une moindre présence en Amérique latine : de l’interventionnisme intense à l’influence
Les États-Unis continuent de jouer un rôle-clé en Amérique latine à travers la diplomatie et la sécurité : la visite du Secrétaire d’État américain Antony Blinken, en décembre 2023, en Colombie et au Chili illustre cet engagement. En Colombie, Blinken a rencontré le nouveau président de gauche, Gustavo Petro, pour établir un cadre de collaboration sur la sécurité, notamment en ce qui concerne la « paix totale » et la lutte contre le narcotrafic. Cette rencontre vise à harmoniser les objectifs américains avec les priorités locales sous la nouvelle administration. Sur le plan économique, les États-Unis cherchent à renforcer leur influence par le biais de l’Alliance pour la prospérité économique des Amériques, lancée par Joe Biden dès 2022. Cette initiative vise à contrer l’influence croissante de la Chine dans la région et à réduire l’émigration vers les États-Unis en favorisant l’intégration économique régionale. Une stratégie de « nearshoring » est également promue, encourageant la relocalisation de centres de production en Amérique latine, notamment au Mexique, pour diminuer la dépendance envers l’Asie. Les États-Unis maintiennent aussi des relations commerciales solides avec des pays comme la Colombie et le Chili : la Colombie, par exemple, exporte une part importante de ses produits vers les États-Unis, qui restent un partenaire commercial majeur.
Les relations entre Washington et le Chili sont importantes surtout avec la montée en puissance du géant asiatique dans le pays andin, et notamment après le retour de Chine du président chilien Gabriel Boric en octobre 2023. L’administration américaine a également rédigé un rapport stratégique indiquant qu’elle souhaite étendre son influence et renforcer ses relations avec le Chili. Mais la complicité des États-Unis dans l’établissement de la dictature de Pinochet dans les années 1970 suscite encore le cynisme chez certains Chiliens et leur méfiance à l’égard de l’agenda américain dans le pays. La crise sociale de 2019 a également donné naissance à une génération d’hommes politiques désireux de changer le modèle hyper-néolibéral du Chili, calqué sur celui des États-Unis, qui crée d’énormes inégalités sociales. Il est vrai que, depuis plusieurs années, le Chili a renforcé son partenariat avec la Chine, notamment au niveau économique. Le géant asiatique est aujourd’hui le premier partenaire commercial du Chili, notamment pour l’exportation de cuivre, la principale ressource du pays. Cependant, les États-Unis conservent toujours une influence non négligeable puisqu’en 20 ans, les exportations du Chili vers les États-Unis ont triplé, notamment grâce à l’accord de libre-échange. Les relations en termes de niveaux académiques, culturels et touristiques sont également très élevées. Pour sa part, le Chili souhaite que ses relations, que ce soit avec les États-Unis ou la Chine, en récoltent le plus grand bénéfice. Le pays a vraiment besoin d’investissements majeurs, notamment dans le secteur énergétique, car il ambitionne de devenir le premier producteur mondial de lithium et mise tout sur l’hydrogène vert. Ce sont ces investissements que Gabriel Boric recherchait en Chine en octobre dernier et désormais aux Etats-Unis avec Joe Biden.
Malgré ces efforts, le leadership américain en Amérique latine montre des signes de déclin. Un exemple marquant est le boycott du Sommet des Amériques par le président mexicain, suite à l’exclusion de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua. À l’origine, les Etats-Unis ont rayé de ce sommet rassemblant tous les pays du continent pour des raisons de violation des principes démocratiques et des droits humains au sein de ces pays. Ce boycott coûte cher aux efforts entrepris par Joe Biden qui souhaitait affirmer, depuis son élection, son leadership régional. Alors que Joe Biden a souhaité concentrer sa politique étrangère dernièrement sur l’Europe avec la guerre en Ukraine et l’Asie, la Chine gagne du terrain et investit massivement en Amérique du Sud. Michael Shifter, chercheur à l’organisme Inter-American Dialogue, souligne notamment que « les Etats-Unis ont encore beaucoup de soft-power, mais leur influence politique et diplomatique décline chaque jour ». Justement, le Président américain avait décidé d’être en rupture avec son prédécesseur Donal Trump et de finalement levé certaines sanctions à l’encontre de Cuba et d’être plus ouvert. Et justement, le Sommet des Amériques venait avancer une nouvelle ambition de Biden pour l’Amérique latine mais certains opposants critiquent que cela « n’est pas la bonne voie ».
En ce sens, la politique américaine de promotion de la démocratie est de plus en plus critiquée. Les États-Unis sont accusés de traiter de manière sélective certains pays, excluant Cuba et le Venezuela tout en maintenant des relations avec des nations comme l’Arabie Saoudite. Cela affaiblit la crédibilité des États-Unis en tant que promoteurs de la démocratie en Amérique latine.
L’influence croissante de nouveaux acteurs dans la région posent problèmes à Washington : la Chine, mais également la Turquie, sans oublier la Russie, notamment au Nicaragua. Les relations avec l’Europe se sont densifiées, mais sont distancées sur le plan économique par le nouveau poids de Beijing. Un nouvel engagement sur des bases contractuelles entre les États-Unis et ses voisins latino-américains semble indispensable pour une relation partagée et plus apaisée, alors même que la pandémie bouscule l’ordre établi. Enfin, les crises sociales récentes, comme celle au Chili en 2019, ont favorisé l’émergence de nouveaux leaders politiques qui remettent en question le modèle néolibéral soutenu par les États-Unis. Cette dynamique sociopolitique entraîne une méfiance accrue à l’égard de l’influence américaine.
Pour aller plus loin ;
BERG, Eugène. « Livre – LA politique des Etats-Unis en Amérique latine : interventionnisme ou influence ? », Revue Conflits, 01/08/2020.
« Biden poursuit son opération séduction auprès de l’Amérique latine », l’Orient-le Jour, AFP, 03/11/2023.
DABÈNE, Olivier. L’effet Trump en Amérique latine: une nouvelle donne régionale?. Les Études du CERI, 2018, 233-234, pp.4 – 8.
DROUHAUD, Pascal. « L’Amérique latine : enjeux et perspectives internationales », Revue Défense Nationale, n°855, 10/2022, pp. 103 à 110.
FONTAINE, Marion. « Au Sommet des Amériques, l’effritement de l’influence des Etats-Unis sur le continent », Géo, 07/06/2022.
KANDEL, Maya. « Le virage sud-américain de Joe Biden met en furie les républicains », Mediapart, 02/05/2023.
OVARLEZ, Lola. « Biden-Trump, même combat en Amérique latine », L’Opinion, 23/02/2024.
STEELS, Emmanuelle. BENRABAA, Najet. DERROISNÉ, Naïla. « Sommet des Amériques : Joe Biden soigne les relations avec ses voisins », France Info, 03/11/2023.
VAGNOUX, Isabelle. « Les Etats-Unis et l’Amérique du Sud : des voisins distants », Politique Etrangère, Institut Français des Relations Internationales, 2013/4, pp. 65 à 76.
VENTURA, Christophe. « Etats-Unis-Amérique latine : quelles perspectives après l’élection de Joe Biden ? », Note d’analyse réalisée par l’IRIS pour le compte de l’Agence française de Développement,02/2021.
(*) Athénaïs Jalabert-Douryest actuellement étudiante en relations internationales à l’ILERI et stagiaire au sein de la revue Espritsurcouf. Elle se passionne notamment sur les sujets de sécurité internationale, plus particulièrement dans les zones géographiques des Amériques et de l’Europe.
L’incursion ukrainienne en cours au nord de Sumy, dans la région russe de Koursk (sud-ouest de la Russie), suscite bien des questions dont les réponses tardent tant la discrétion (voire la confusion) règne dans les deux camps.
Les autorités de Kiev observent, pour leur part, un mutisme inhabituel : personne ne reconnait officiellement l’existence de cette opération et les hauts responsables se refusent à tout commentaire, même sous couvert de l’anonymat.
Du côté russe, d’où sont venus les premiers rapports faisant état d’une incursion ennemie, les informations précises sont rares. Selon Moscou, des forces armées venant d’Ukraine ont lancé mardi matin, une attaque dans la région de Koursk dans le sud-ouest de la Russie; l’Ukraine aurait engagé un millier d’hommes et quelques dizaines de chars et autres véhicules blindés, soutenus par des avions de combat et de l’artillerie.
Cette attaque est jugée sérieuse puisque les autorités russes ont déclaré l’état d’urgence et que la Garde nationale russe a déclaré avoir renforcé la sécurité autour de la centrale nucléaire de Koursk, située à environ 60 km au nord-est de Soudja, une ville de 5 500 habitants à huit kilomètres de la frontière ukrainienne. Soudja abrite le dernier point de transbordement opérationnel du gaz naturel russe vers l’Europe via l’Ukraine.
Un air de remake
Le scénario rappelle de précédentes incursions en territoire russe. Effectivement, des combattants en provenance d’Ukraine ont déjà effectué plusieurs brèves incursions en Russie, revendiquées par des unités prétendant être composées de Russes combattant du côté ukrainien, à savoir le « Corps des volontaires russes » et la « Légion pour la liberté de la Russie ». Ainsi, à la mi-mars, pendant les élections russes, des groupes d’assaut ukrainiens ont tenté à plusieurs reprises de s’emparer de territoires dans la région voisine de Belgorod,
Une ampleur inédite
Toutefois, l’attaque en cours paraît inhabituelle en raison de son ampleur supposée et parce qu’elle semble impliquer des troupes régulières ukrainiennes.
Analyste militaire basé à Kiev, Serguiï Zgourets a déclaré à l’AFP que « les photos montrant la destruction d’équipements russes et ukrainiens, des hélicoptères, le recours à l’aviation, l’utilisation d’artillerie des deux côtés » étaient les signes d’une opération militaire d’ampleur.
Selon l’Institute for the Study of War (ISW), les troupes ukrainiennes ont avancé jusqu’à dix kilomètres à l’intérieur du territoire russe. Cette poussée s’est concentrée sur le hub logistique de Soudja.
Quels motifs, quelles motivations?
Les objectifs de cette opération ne sont pas encore clairs. L’intérêt d’une telle manœuvre est même parfois mis en doute par des commentateurs
Une telle incursion pourrait avoir un effet psychologique et remonter le moral des Ukrainiens qui voient leur armée à la peine dans le Donbass.
Certains observateurs affirment que si l’Ukraine parvenait à conserver ces pas du territoire ruse, elle pourrait en faire une carte à jouer face à Moscou dans le cadre d’hypothétiques négociations de paix.
Pour d’autres experts (et ce sont les plus nombreux), l’incursion pourrait servir à attirer des réserves russes et éloigner celles-ci de la région ukrainienne de Kharkiv (nord-est), où la Russie a lancé une offensive en mai. « A en juger par l’échelle et l’intensité de l’opération ukrainienne, tôt ou tard, l’ennemi sera forcé de retirer des troupes d’autres théâtres d’opérations », note ainsi Kostiantyn Machovets cité par l’AFP.
Depuis la fin de la guerre froide, la flotte de chasse de l’Armée de l’air et de l’Espace, a été divisé par trois, passant de plus de 600 Mirage F1, Mirage 2000 et Jaguar, à moins de 200 Rafale et Mirage 2000D et -5F. La flotte de l’Aéronautique navale a, elle aussi, subi une sévère cure d’amaigrissement, passant de 80 Super-Étendard, F-8 Crusader et Étendard IVP, a seulement 40 Rafale M.
Cette réduction de format a souvent été critiquée, par les spécialistes du sujet, ainsi que par certains parlementaires, et même, plus récemment et de manière plus feutrée, par les états-majors eux-mêmes. Ainsi, l’Armée de l’Air et de l’Espace estime, publiquement, qu’il lui faudrait « au moins », 225 avions de combat, pour répondre à son contrat opérationnel.
Toutefois, le format optimal de la chasse française semble, aujourd’hui, davantage une question de négociations politiques et budgétaires, que le résultat d’un raisonnement objectif, face aux besoins auxquels l’Armée de l’Air et l’Aéronavale doivent être en mesure de répondre.
Dans cet article, nous tenterons de mener ce raisonnement, et de déterminer quel serait ce format, nécessaire et suffisant, pour permettre à la chasse française, de remplir pleinement et efficacement ses missions présentes et à venir. Comme nous le verrons, le format actuel apparait très sous-estimé.
Sommaire
Le format de la flotte de chasse française aujourd’hui, son origine et son contrat opérationnel
Ce format, justement, quel est-il, et d’où vient-il ? Aujourd’hui, le LPM 2024-2030 vise à amener la flotte de chasse française à 225 avions de combat, avec 185 chasseurs pour l’Armée de l’Air et de l’Espace, et 40 pour l’Aéronautique navale.
Ce format a été fixé par la Revue Stratégique 2022, elle-même reprenant ce format de la Revue Stratégique 2018, qui servit de support à la création de la LPM 2029-2025 précédente. Là encore, ce n’est pas la Revue Stratégique 2018 qui fixa ce format, puisqu’elle avait pour consigne de reprendre l’ensemble des formats des forces, définis par le Livre Blanc de 2013.
C’est, en effet, ce Livre Blanc qui établit, pour la première fois, ce format à 225 avions de combat, avec la répartition 185/40 entre l’AAE et la Marine nationale. Pour arriver à ce résultat, les concepteurs de ce Livre Blanc, qui avaient pour ligne directrice de réduire autant que possible le format des forces armées françaises, fixèrent un contrat opérationnel relativement simple aux deux forces aériennes.
Pour l’AAE, il fallait être en mesure de garantir la projection de 15 avions de combat, y compris sur des bases distantes, comme ce fut le cas au Niger et en Jordanie, pour soutenir les forces françaises et alliées, déployées dans le Sahel ou en Irak et en Syrie. En outre, l’AEE devait assurer la disponibilité de la composante aérienne de la dissuasion française, avec deux escadrons équipés de Rafale. La Marine nationale, elle, devait permettre d’armer de 18 chasseurs le porte-avions Charles de Gaulle, pour deux déploiements de deux mois par an.
Cette réduction des formats permettait, par ailleurs, de réduire sensiblement les besoins de formation et d’entrainement des équipages, ainsi que les stocks de munitions, d’autant que la principale menace conventionnelle alors envisagée, concernait des conflits dissymétriques, en Afrique ou au Moyen-Orient, avec une menace très réduite sur les appareils eux-mêmes, et une pression opérationnelle relativement réduite pour les forces déployées.
La pression opérationnelle sur la chasse française depuis 2014, sensiblement supérieure à celle estimée par le Livre Blanc 2013
Bien évidemment, cette pression opérationnelle, depuis 2013, n’a absolument pas respecté la planification du Livre Blanc. L’Armée de l’Air et de l’Espace a ainsi dû, à plusieurs reprises, déployer vingt à trente appareils de combat en missions extérieures, y compris en Europe. Le porte-avions, quant à lui, a souvent largement dépassé les quatre mois de mer par an prévus, avec un record de 8 mois à la mer pour l’année 2019, avant son IPER.
Si les armées françaises ont largement allégé leur dispositif en Afrique ces dernières années, le dispositif au Levant, lui, reste inchangé, alors que l’évolution des tensions, et des guerres, en Europe et dans le Pacifique, ont amené à de nouveaux déploiements particulièrement gourmands en potentiel de vol des appareils comme des équipages.
À ce sujet, justement, il est apparu que les appareils déployés, tendaient à consommer beaucoup plus rapidement leur potentiel de vol, par rapport aux appareils employés en France pour les missions d’entraînement et de Police du Ciel, d’un facteur allant de 2 à 3.
Comme tous les avions, civils ou militaires, les avions de chasse doivent respecter une procédure de maintenance très stricte, ponctuée de grandes visites, au bout d’un certain nombre d’heures de vol, durant lesquelles les appareils sont presque entièrement démontés et rassemblés, pour en garantir le bon fonctionnement à venir.
De fait, ces grandes visites rendent indisponibles chaque appareil pour plusieurs mois, et sont d’autant plus rapprochées, que les appareils volent beaucoup, en particulier en déploiement extérieur, et lors des missions opérationnelles.
40 avions de chasse promis par la France à l’OTAN, en cas de tensions ou de conflit
Si la pression opérationnelle a considérablement évolué ces dernières années, la guerre en Ukraine, et les fortes tensions entre l’OTAN et la Russie, ont amené à réviser le paramètre clé, au cœur de la construction même du format nécessaire et suffisante, de la flotte de chasse française.
En effet, la France s’est engagée, depuis son retour dans le Commandement intégré de l’OTAN, à fournir à l’Alliance, en cas de conflit, 40 avions de chasse prêts au combat. Cet engagement n’est pas nouveau, mais les évolutions géopolitiques récentes, en ont fait évoluer le statut.
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